
Réforme des Politiques en matière de drogues en Afrique de l'Ouest- Adeolu Ogunrumbi Il est impératif de reformer les politiques des drogues en Afrique de l’Ouest, du fait notamment des effets négatifs du trafic de drogue sur la sécurité, la gouvernance, la santé et le développement humain dans la région. Le trafic de drogue en Afrique de l’Ouest contribue de manière significative au développement du commerce illicite mondial de stupéfiants, ce qui est d’autant plus vrai que la région sert de zone de transit pour la drogue en provenance d’Amérique latine, qui est ensuite acheminée vers l’Europe et l’Amérique du Nord. Selon les chiffres des Nations Unies, la valeur de la cocaïne qui transite dans la région par an s’élève à 1,2 milliards de dollars US1, soit plus du budget de la sécurité de beaucoup d’Etats ouest africains. Cette réalité a également d’énormes conséquences sur les économies déjà fragiles des pays de la région, surtout dans le contexte économique actuel où beaucoup de gouvernements doivent faire face à une baisse de leurs revenus. Les pays ouest africains doivent impérativement reformer leur législation en matière de lutte contre la drogue et adopter une stratégie faite davantage d’investissements, pour des résultats concrets, plutôt que de poursuivre l’approche populaire de la « guerre contre la drogue », qui pendant de longues années est restée inefficace. Le choix de l'Afrique de l'Ouest comme zone de transit est du à de nombreux facteurs. Le renforcement de la sécurité le long des routes traditionnelles de trafic de drogue qui mènent vers l'Amérique latine et l’Amérique du Nord a obligé les cartels de la drogue à rechercher de nouvelles pistes de moindre résistance, comme l'Afrique de l'Ouest. 2 L’on peut aussi citer d’autres facteurs connus tels que la porosité des frontières, l’existence de syndicats de la drogue locaux bien établis, la faiblesse du système de gouvernance, la corruption et les conditions géographiques qui rendent difficiles le contrôle et la détection du trafic de drogue. 3 En l'Afrique de l'Ouest, hormis le trafic de cocaïne, il a aussi été signalé la présence d'héroïne afghane en provenance des pays asiatiques.4 Ces dernières années, on a cependant noté dans la région ouest africaine, l’émergence d’un certain nombre de drogues illicites, fabriquées sur place et exportées dans d’autres parties du monde. Outre le cannabis, qui est traditionnellement cultivé dans toutes les parties de la région, il existe à l’heure actuelle plusieurs laboratoires clandestins qui produisent des méthamphétamines. Entre 2011 et 2015, une dizaine de grands laboratoires de méthamphétamines ont été découverts au Nigeria. Certains chiffrent font aussi état d’une production annuelle de 1,5 tonnes de drogue en Afrique de l’Ouest. 5 Ce chiffre peut certes paraitre dérisoire comparé à la quantité de méthamphétamines qui circule dans le monde, 6 il témoigne 1 UNODC, 2013: La criminalité transnationale organisée en Afrique de l'Ouest: Une évaluation de la menace. 2 Mikael Wiggel et Maurice Romereo, 2013. Transatlantic Drug Trade, Europe, Latin America and the need to strengthen anti-narcotics cooperation. Document d'information, Institut Finlandais des affaires internationales. 3 Kwesi Anning et John Pokoo. “Drug Trafficking and threat to national and regional security in West Africa.’’ Document d'information pour la Commission ouest-africaine sur les drogues. 4 Liana Sun and Nicolas Cook. 2009. Illegal drug trade in Africa : Trends and US policy. Document du Congressional Research Service. 5 The News : ‘Obasanjo: Meth drug business will destroy Nigeria politics’. http://thenewsnigeria.com.ng/2015/07/obasanjo-meth-drug-business-will-destroy-nigerias-politics/ 6 UNODC. West Africa – 2012 ATS situation report. Un rapport du Global Smart program, juin2012. cependant d’une hausse significative de la production locale de drogue, qui cinq ans auparavant était de zéro. Quelles sont les conséquences du trafic de drogue en Afrique de l’Ouest? Conséquences sur la gouvernance La faible croissance économique en Afrique est fortement liée à la mauvaise gouvernance, qui se manifeste par la corruption, l'instabilité politique, la subversion de l'État de droit et la faiblesse des institutions. 7 En Afrique de l’Ouest, les cartels de la drogue ont profité de la faiblesse du système de gouvernance, qu’ils ont davantage affaibli par la pratique de la corruption. Les réseaux de la drogue disposent d'énormes ressources. Ils peuvent facilement acheter les fonctionnaires de l'Etat, y compris la police, la justice et les élus pour arriver à leurs fins funestes, et même parfois coopter ces agents de l'Etat dans leur entreprise illicite. Dans certains cas, des fonctionnaires de l'Etat ont été impliquées dans le trafic de drogue. En 2010, le chef d’état-major de l’armée de l’air Bissau guinéenne, Ibraima Papa Camara et chef de la Marine, le contre- amiral Jose America Bubo Na Tchuto, ont tous deux été placés sur la liste des barons de la drogue dressée par le gouvernement américain. Le dernier a d’ailleurs par la suite été arrêté en 2013 et extradé vers les Etats-Unis. 8 Le coup d'Etat en Guinée-Bissau de 2013, qui pour certains participent de la «politique de cocaïne » trouve également son origine dans la lutte des dirigeants militaires Bissau guinéens pour le contrôle du trafic de drogue dans le pays. 9 En Janvier 2015, une femme de la jet-set ghanéenne a aussi été emprisonnée pour avoir essayé d’introduire 12 kg de cocaïne en Grande-Bretagne. Selon les premières indications de l’enquête, elle aurait servi de mule à des hauts fonctionnaires du gouvernement ghanéen, qui lui ont facilité l’accès au salon d’honneur de l'aéroport international de Kotoka avant son embarquement sur un vol British Airways à destination de Heathrow.10 Dans la même veine, on peut noter que c’est la crise économique née en Afrique de l’Ouest au début des années 1990 qui a favorisé la venue des cartels de la drogue et la mobilisation de leurs collaborateurs locaux dans la région. 11 Au cours des 30 dernières années, le statut socio-économique de beaucoup de pays ouest africains a peu changé. Selon les chiffres du classement des pays les moins avancées des Nations Unies de 2015, 12 des 16 pays de l’Afrique de l’Ouest figurent parmi les pays les plus pauvres de 7 UK Essays, novembre 2013. Poor Governance Effects On Growth Performance In Africa Economics Essay [document en ligne]. Consulté le 24 mars 2016, Disponible au lien suivant: https://www.ukessays.com/essays/economics/poor-governance-effects-on-growth-performance-in-africa- economics-essay.php?cref=1 8 Rapport de la Commission ouest africaine sur les drogues, 2013, page 24 9 Mark Shaw and Tuesday Retino. Cocaine Politics in Guinea-Bissau: The link between drug trafficking and political fragility and its wider implications. January 2013. 10 The Voice : http://www.voice-online.co.uk/article/ghanaian-socialite-guilty-smuggling-coke-britain 11 Adebayo Olukoshi. Drug trafficking and its impact on governance in West Africa, Document de référence pour la Commission oust africaine sur les drogues : http://www.wacommissionondrugs.org/wp- content/uploads/2013/07/Drug-Trafficking-and-its-impact-on-Governance-in-West-Africa-Final-Version-2013-06- 24.pdf la planète. 12 Ainsi, les facteurs socio-économiques nécessaires à l’explosion du trafic de drogue sont toujours aussi présents dans la région. L’implication des hommes politiques ouest-africains dans le trafic de drogue suscite un certain nombre de questions directement liées au problème, notamment la rentabilité du trafic en question, la corruption, l'infiltration du gouvernement par des réseaux criminels et leur désir d’exercer un contrôle sur le pouvoir. Une telle situation ne fait que fragiliser davantage les jeunes démocraties ouest africaines, et explique d’une certaine manière pourquoi les puissants trafiquants de drogue dans la région sont rarement arrêtés ou poursuivis par la justice. Contrairement à ces derniers, ce sont les petits trafiquants et les utilisateurs de drogues qui font l’objet de poursuites et de sanctions pénales. En 2011, l’agence nigériane de lutte contre la drogue a arrêté un politicien aspirant originaire de l’état d’Edo à l'aéroport Murtala Muhammed de Lagos avec plus de 2 kg de cocaïne alors qu'il tentait de monter à bord d’un vol de la compagnie aérienne Lufthansa à destination de Francfort. Il avouera plus tard aux enquêteurs qu’il comptait utilisait les gains tirés de la vente de la drogue pour financer sa campagne électorale. 13 Il y a aussi le cas de ce député nigérian en fonction qui a été condamné pour trafic d’héroïne aux Etats Unis, mais qui n’aurait cependant pas été remis aux américains par le gouvernement sortant parce qu’étant considéré comme un important chef de parti. 14 Trafic de drogue et terrorisme La vague d'insurrection qui traverse l'Afrique de l'Ouest exerce une forte influence sur la nature des récits sur le trafic de drogue. Certains observateurs parlent notamment de narco terrorisme, à savoir «l'utilisation du trafic de drogue par une organisation terroriste pour atteindre ses objectifs». 15 En 2013, le Groupe intergouvernemental d'action contre le blanchiment d'argent (GIABA) a publié un rapport sur «le financement du terrorisme en Afrique de l'Ouest», dans lequel il fait directement référence à des organisations terroristes comme Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et Boko Haram qu’il accuse d’être financés par le trafic de drogue. 16 En Juillet 2014, l'International Business Times révélait que les États-Unis, la France et le gouvernement du Royaume-Uni mènent une «guerre secrète» contre le narco terrorisme en Afrique de l'Ouest, qu’ils soupçonnent de i) contribuer à financer Al-Qaïda au Maghreb islamique, ii) le présumé responsable de l'insurrection au Mali; iii) et d'autres organisations terroristes telles que le Hezbollah et Boko Haram.
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