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Hommage au Professeur BLAMONT

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 1 / 44

Chers amis, chères amies, chers anciens collègues, L’Association Amicale des Anciens du CNES (3ACNES) est très attristée du décès du Professeur Jacques-Emile Blamont survenu le 13 avril à Châtillon-sur-Seine ; il était l’un des fondateurs du CNES, son premier Directeur scientifique et technique ; il était membre d’honneur de notre association avec laquelle il entretenait des rapports de proximité constants, notamment en répondant présent à toutes nos sollicitations pour des conférences et débats... En cette période de confinement, il nous est difficile de lui rendre l’hommage qu’il mérite en organisant des rassemblements tant à qu’à . Aussi nous avons opté pour la publication d’un numéro spécial de notre bulletin interne d’information (BIG) dédié au Professeur J.E. Blamont. Cette revue interne permet un lien entre les anciens du CNES et aussi avec les actifs. Ce document d’hommages comprend : - une préface par J-Y Le Gall, Président du CNES - les communiqués de presse, les articles du Monde et d’Air-et-Cosmos publiés à l’occasion de son décès, - les témoignages que nous avons sollicités de personnalités du CNES anciens ou encore actifs qui l’ont bien connu et fréquenté - des extraits de ses exposés aux conférences organisées par 3ACNES et consacrées aux : o 50 ans du CNES en 2012, o 50 ans de la création du CSG en novembre 2014, o 50 ans des lancements des premiers français FR1 et D1 en février 2016 o 50 ans du lancement de Véronique au CSG en décembre 2018. et enfin une liste des titres de ses ouvrages, ses décorations et sa bibliographie. Ce bulletin a été conçu avec la collaboration des animateurs de nos sections de Paris et Toulouse (A. Ragot, Y. Beguin, G. Gargir, M. Le Goarant et A-M. Laborde) Les articles de presse sont intégrés avec l’accord de leurs auteurs.

Maurice Desloire

Président de la 3ACNES

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 2 / 44 Hommage à Jacques-Emile Blamont

Jean-Yves Le Gall

Président du CNES

1er mai 2020

La disparition de Jacques-Emile Blamont laisse orphelins le CNES et l’ensemble de la communauté spatiale française, européenne et internationale. J’ai connu Jacques-Emile Blamont au cours de l’été 1982, alors que j’étais « Visitor Scientist » au Jet Propulsion Laboratory (JPL). J’avais alors été impressionné par son intelligence et sa vision hors du commun mais encore plus, par l’estime et le respect que lui portaient les plus hautes instances de l’espace américain, au JPL, au CalTech et à la NASA. Par la suite, à mon retour en , j’ai pu mesurer le rôle clé qu’il avait joué dans le développement du programme spatial français, avec la création du CNES et son rayonnement international. Partout en , aux Etats-Unis, en Russie, en Inde, dans toutes les organisations internationales, Jacques-Emile Blamont était cité comme la référence de l’espace français ! Plus tard, lorsque j’ai été nommé Président du CNES, Jacques-Emile Blamont m’a accueilli en me disant qu’il allait me conseiller comme il l’avait fait avec mes dix prédécesseurs puisqu’il avait rejoint le CNES dès sa création en 1961. Et je dois dire que pendant cette trop courte période, de 2013 à sa disparition, j’ai pu apprécier l’extraordinaire pertinence de sa vision de l’espace, toujours en avance sur son temps et toujours universelle. Je retiendrai l’hommage que lui a rendu le Président de la République de l’Inde lorsqu’il lui a remis le Padma Shri, la plus haute distinction attribuée à un étranger. Je retiendrai aussi sa passion pour le développement de la Guyane et la création d’une Université. Je retiendrai encore l’initiative Fédération pour que le spatial soit accessible au plus grand nombre. Je suis donc très reconnaissant à l’Association Amicale des Anciens du CNES pour avoir préparé cet hommage et faire ainsi vivre pour longtemps, la mémoire de Jacques-Emile Blamont.

Au revoir, Professeur !

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 3 / 44 Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 4 / 44

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 5 / 44 COMMUNIQUES et ARTICLES de PRESSE

Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, exprime son émotion suite au décès lundi 13 avril de , un des pères de l'aventure spatiale française. Elle tient à saluer la mémoire de cet astrophysicien, qui a œuvré à la création du Centre National d'Etudes Spatiales (CNES) avant d'en être le premier Directeur scientifique.

Jacques Blamont s'est consacré à la recherche spatiale en France : en parallèle de sa carrière scientifique au CNES, qui le vit notamment diriger le service d'aéronomie de 1962 à 1985, il fut conseiller scientifique au CNES de 1972 à 1982. Elu membre de l'Académie des sciences en 1979, il continua également à conseiller tous les présidents du CNES jusqu'à son décès.

Ce chercheur passionné a toujours eu le goût des sciences : il passe l'agrégation de physique en 1952, il fait la découverte en 1959 de la turbopause et effectue les premières mesures de la thermosphère. En 1964, il mène l'étude de la forme de la Terre par échos laser et du sondage vertical de la haute atmosphère par laser en 1967, il fait la découverte du vent interstellaire et de l'enveloppe des comètes en 1971...

En plus de ses nombreuses découvertes, Jacques Blamont n'a cessé d'enseigner et a dirigé de nombreuses thèses. Il fut aussi l'auteur de nombreux ouvrages et essais qui ont fait de lui un promoteur passionné de la culture scientifique, portant sur les grandes questions de notre temps un regard pénétrant et engagé. Professeur émérite à l'université Pierre-et-Marie-Curie, il a participé à la plupart des missions planétaires internationales et a joué un rôle majeur dans le développement de la coopération en ce domaine.

Frédérique Vidal salue l'engagement et la grande ferveur scientifique de cet astrophysicien qui a contribué tout au long de sa très longue et riche carrière à faire de la France un acteur majeur dans l'espace. Elle adresse à sa famille et à ses proches ses plus sincères condoléances

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Extrait de « In Memoriam Jacques Blamont, membre de l’Académie des sciences », publié par l’Académie des Sciences en avril 2020

Œuvre scientifique

L’œuvre de Jacques Blamont, consacrée à l'astronautique et à l'astrophysique, est remarquable par des travaux sur l’atmosphère terrestre, le Soleil et les planètes. Après sa découverte en 1959 de la turbopause, puis en 1971 du vent interstellaire et du nuage d’hydrogène des comètes, Jacques Blamont a participé à la plupart des missions planétaires internationales et a joué un rôle de premier plan dans le développement de la coopération en ce domaine. Responsable de la mise au point des satellites artificiels lancés par la France, il a conçu l’idée dès 1962 de construire un champ de tir spatial à en Guyane française. En plus de ses fonctions de direction au CNES, il n’a jamais cessé d’enseigner et a dirigé personnellement de nombreuses thèses. Ses principaux sujets d'étude ont été les suivants : 1. Découverte en 1956, sous la direction d'Alfred Kastler, du phénomène de cohérence des sous-niveaux atomiques dans un champ de radio-fréquence. 2. Travaux portant sur l'atmosphère du Soleil, de la Terre et des planètes : premières mesures du déplacement Einstein des raies atomiques sur le Soleil, de la température de la haute atmosphère de la Terre, du mécanisme d'évaporation d'hydrogène de la Terre et des planètes, des nuages polaires noctilucents. 3. Découverte de la turbopause de l'atmosphère terrestre (1959), du vent interstellaire (1971), de l'enveloppe des comètes (1971). 4. Promoteur de nombreux programmes de recherche tels le recueil de données par (1963), la géodésie par échos laser (1964), l'étude de la basse atmosphère par ballons étanches (programme Eole) (1971), le sondage vertical de la haute atmosphère par laser depuis 1967, etc. 5. Impliqué depuis les années 1960 dans les programmes spatiaux soviétiques et européens, Jacques Blamont s’est attaché aux missions planétaires et a participé depuis 1972 à la plupart d’entre elles. Il a mis au point et réussi le lancement, en 1985, de ballons dans l'atmosphère de Vénus par les sondes soviétiques . Il a réalisé les travaux préparatoires au lancement, en 1996, de ballons dans l'atmosphère de Mars.

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 7 / 44 6. En fournissant aux satellites martiens de la NASA un relais des données émises par des véhicules posés sur le sol de Mars, il a permis le recueil de nombreuses informations sur la physique et la géomorphologie de la surface. 7. En fournissant le système de compression d’images, Jacques Blamont a joué un rôle important dans la mission du département de la défense des États-Unis pour l’obtention de la première cartographie digitale complète de la Lune à partir de la sonde lunaire Clémentine (1994). Le système a été ensuite, sous son influence, placé sur les satellites imageurs terrestres, Spot 5 et Hélios et sur les sondes planétaires et Cassini-Huygens.

De gauche à droite : Debernard, Froger, Dementhon, Causse, Blamont, Peyrefitte Ministre de la Recherche, Coulomb Président du CNES, Pompidou 1er Ministre, Aubinière DG du CNES, Chiquet, Charbit et Destivelle.

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 8 / 44 C’est avec une grande tristesse que j’ai appris la disparition de Jacques Blamont, astrophysicien français, pionnier du domaine spatial, agrégé en sciences physiques, docteur en sciences, et premier directeur scientifique du Centre National d’Études Spatiales (CNES) de 1962 à 1972. Jacques Blamont a tenu une place centrale sur notre territoire, où il a joué un rôle clé dans la création du Centre Spatial Guyanais à Kourou, et a œuvré au développement des premiers satellites français et de sondes spatiales d’exploration du système solaire. Il fut à l’origine de plusieurs découvertes.

J’ai eu la chance de le rencontrer à plusieurs reprises et j’ai pu découvrir son attachement pour notre territoire guyanais. Il faut noter et retenir qu’il a d’ailleurs contribué à la création du GIP-Pôle universitaire de Guyane, préfiguration de la nouvelle université autonome, et a réalisé l’ouvrage « Réalisme et vision. Une université en Guyane française » en 2001.

Je tiens à saluer la mémoire de ce grand homme qui, au-delà de ses fonctions au niveau de la direction du CNES, a longtemps enseigné et dirigé personnellement d’importantes études. Son travail a été reconnu à de nombreuses reprises. Il a d’ailleurs reçu plusieurs prix, distinctions et récompenses dans le monde entier (Grand officier de la Légion d’honneur, Grand-Croix de lOrdre National du mérite, Médaille d’or du Centre Spatial Guyanais, Prix Leon Grelaud de l’Académie des sciences…).

Il aura marqué l’histoire du spatial de son empreinte, mais également celle de la Guyane.

Les conseillers territoriaux de l’Assemblée de Guyane se joignent à moi pour adresser nos plus sincères condoléances à la famille et aux proches de Jacques Blamont.”

Rodolphe Alexandre

Président de la Collectivité Territoriale de Guyane

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 9 / 44

Article Pierre-François Mouriaux et Philippe Varnoteaux

C’est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris le décès ce 13 avril de l’astrophysicien Jacques Blamont, personnage emblématique du spatial français qu’il a contribué à faire naître.

Né le 13 octobre 1926 à Paris, Jacques-Emile Blamont devient en 1948 élève de l’Ecole normale supérieure. Agrégé en sciences physiques en 1952, il entre au CNRS comme attaché de recherche. En 1956, sous la direction d’Alfred Kastler (Prix Nobel de physique 1966) et de Jean Brossel, il soutient une thèse au Laboratoire de Physique, sur l’effet Stark de l’atome de mercure par double résonnance optique et magnétique. Devenu chargé de recherche, il poursuit ses études à l’Université de Wisconsin et c’est aux Etats-Unis qu’il découvre les expériences au sodium menées dans la haute atmosphère à l’aide de fusées-sondes.

Les débuts du service d’Aéronomie

De retour en France, Jacques Blamont apprend que le Comité d’action scientifique de la Défense nationale (CASDN), organisme militaire en charge des premières activités « spatiales », souhaite également effectuer des expériences dans la haute atmosphère à l’aide de fusées-sondes Véronique AGI, dans le cadre de l’Année géophysique internationale (annoncée pour 1957-58). Blamont propose alors la réalisation de nuages artificiels de sodium et devient sous-directeur du service d’Aéronomie qui est mis en place en décembre 1958 au sein du CNRS – c’est le premier laboratoire spatial français. Ses premières expériences en direction de l’espace sont effectuées en mars 1959, depuis les champs de tir militaires d’ (Sahara algérien) du Centre interarmées d’essais d’engins spéciaux (CIEES). Elles permettent la découverte de la turbopause.

Ce succès attire l’attention des Américains et Blamont profite de l’occasion pour négocier avec eux la mise sur orbite du premier satellite scientifique français, FR-1 (qui sera lancé le 6 décembre 1965), ainsi que la formation aux activités spatiales de spécialistes français, envoyés outre-Atlantique. Cela favorisera l’émergence d’une communauté scientifique spatiale, dont sortiront plusieurs dirigeants du spatial français et même européen. Enfin, le

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 10 / 44 succès des fusées Véronique convainc les responsables politiques d’engager plus en avant notre pays dans l’aventure spatiale, en le dotant de son propre lanceur, (réalisé par la SEREB), et la création en décembre 1961 d’une agence spatiale, le Centre national d’études spatiales (CNES). Son président est le géophysicien Jean Coulomb et son directeur le général Aubinière, qui a dirigé le CIEES en 1957-1959. Quant à la carrière de Jacques Blamont, elle est littéralement propulsée : au 1er mars 1962, il est à la fois directeur du service d’Aéronomie, professeur titulaire à la Faculté des sciences de Paris et directeur scientifique et technique du CNES.

L’âme du CNES

Aux côtés du général Aubinière, pour lequel il voue une immense admiration, Jacques Blamont contribue à la mise au point des premiers satellites artificiels français (lancés par Diamant A à partir de 1965) mais aussi à la formation du premier tissu industriel français capable de concevoir les technologies pour le spatial. Il joue également un rôle dans le choix du nouveau site de lancement de fusées au moment où le gouvernement décide de quitter l’Algérie. Blamont fait alors partie de ceux qui ont très vite compris que le site idéal ne pouvait être que la Guyane, et la décision officielle d’y construire le Centre spatial guyanais (CSG) intervient en avril 1964.

Jacques Blamont considère que le CNES doit être « le bras armé du gouvernement français », autrement dit la cheville-ouvrière de la politique spatiale française. N’ayant pas les moyens d’une NASA américaine, le CNES doit agir comme un organisme fédérateur permettant à chacun (industries, laboratoires de recherche, etc.) de conserver son indépendance et ainsi de s’épanouir – c’est la raison pour laquelle il refuse que le service d’Aéronomie soit intégré au CNES. Il veille aussi à ce que toutes les techniques d’exploration possibles soient exploitées, y compris des ballons instrumentés, technique qu’il rapporte également des Etats-Unis. Ainsi voit le jour le centre de ballons d’Aire-sur-l’Adour en 1963, d’abord au sein du Service d’aéronomie avant son transfert au CNES en 1965. Quant à la question des lanceurs, il soutient Robert Aubinière dans l’idée que les prochaines générations (Diamant B et au-delà) doivent être placées sous la responsabilité du CNES et non plus des militaires.

En accord avec Jean Coulomb, Jacques Blamont souhaite ardemment la « coopération élargie » avec les superpuissances, mais aussi avec les pays émergents. Avec les premières, la démarche consiste notamment à embarquer des instruments scientifiques français à bord de sondes interplanétaires ou satellites. Ainsi, ce sont des instruments conçus par l’équipe Blamont qui, dans des satellites américains OGO, découvrent en 1969 le vent interstellaire et l’enveloppe d’hydrogène des comètes. « Un de mes plus grands succès scientifiques », ne cessera de dire Jacques Blamont. En 1972, la NASA lui décerne la Medal for Exceptional Scientific Achievement.

En aidant les pays émergents, Jacques Blamont voit l’occasion pour la France de transmettre son savoir et son savoir-faire et, pour ces pays, le moyen d’obtenir des technologies favorisant leur développement. L’une des plus belles coopérations est sans conteste celle menée avec l’Inde, dont il soutient l’engagement dans « un programme de satellites pour l’éducation des masses et l’amélioration de la production agricole » (Le Monde, 27 décembre 1967) et la

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 11 / 44 création de son agence spatiale, l’ISRO (Indian Space Research Organisation) ; celle-ci lui remettra d’ailleurs en 1994 la médaille Vikram Sarabhai.

Début 1972, Jacques Blamont quitte la direction scientifique et technique du CNES (qui est réorganisée) mais reste haut conseiller scientifique, puis conseiller des présidents du CNES de 1982 jusqu’à sa disparition – soit onze présidents d’affilée. Quant à ses recherches scientifiques, il les poursuit à travers le Service d’aéronomie.

L’espace, encore et toujours

Jusqu’au milieu des années 1990, Jacques Blamont intervient dans d’ambitieux programmes américains et soviétiques, rencontrant tantôt des échecs ( en 1988-1989, Mars Observer en 1992-1993), tantôt des succès. Ainsi, sur la mission Pioneer-Venus Multiprobe (1978), une mission américaine d’étude in situ de l’atmosphère de la planète Vénus, il est expérimentateur principal pour l’instrument néphélomètre (placé sur les quatre sondes atmosphériques). Il contribue également à l’extraordinaire mission des sondes Voyager en tant que co-expérimentateur sur le spectrographe ultra-violet. Sur la mission , qui réalise la première cartographie digitale de la Lune en 1994, il convainc la NASA que la pièce maîtresse de la sonde, le compresseur d’images, soit fournie par le CNES.

Avec les Soviétiques, une des implications les plus originales de Jacques Blamont est probablement celle qui a consisté à faire évoluer un ballon dans l’atmosphère de la planète Vénus. Toutefois, au final, les Soviétiques ont préféré remplacer le ballon français EOS (de 9 m de diamètre avec une nacelle de 220 kg) par deux plus petits. En compagnie de modules d’atterrissage, ils ont été largués dans l’atmosphère de Vénus en juin 1985 par les sondes Vega 1 et 2 alors que celles-ci, en partance pour la comète de Halley, croisaient notre planète voisine. Le concept de Blamont a été un succès ; les ballons ont permis d’obtenir des données durant 45 heures. Dans Vénus dévoilée (Odile Jacob, 1987), cette extraordinaire mission, unique à ce jour, est présentée par le détail.

Le temps des honneurs

En 1985, Jacques Blamont quitte la direction du Service d’aéronomie. Il continue néanmoins ses interventions, notamment à la Faculté des sciences de Paris et au California Institute of Technology. Membre de plusieurs sociétés savantes en France (Académie des sciences, Académie de l’air et de l’espace, etc.) et à l’étranger (National Academy of Science aux Etats- Unis, Indian National Science Academy en Inde, etc.), Jacques Blamont reçoit de nombreuses distinctions ou prix, dont l’Ordre de l’Amitié des Peuples (la plus haute distinction honorifique soviétique accordée à un étranger, en 1986), la NASA Distinguished Service Medal (en 2000), la COSPAR Space Science Award (en 2004), le Padma Shri (Légion d’honneur indienne, en 2015). En 2016, il est élevé en France Grand Officier de la Légion d’honneur. Enfin, en novembre dernier, il a reçu avec beaucoup d’émotion le Prix international d’Astronautique 2019 de la Société Astronomique de France qui, 90 ans plus tôt, avait été remis pour la première fois au pionnier austro-hongrois de l’astronautique Hermann Oberth.

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 12 / 44 L’amoureux de la Guyane

Depuis longtemps, Jacques Blamont s’intéressait au sort du département de la Guyane et à l’éducation des jeunes. « Il était un amoureux de la Guyane, il la connaissait bien, il avait contribué à la création du CSG », considère Bernard Chemoul, directeur du Centre spatial guyanais entre 2012 et 2016. Il se souvient notamment du « baroudeur » et d’un personnage « impatient », et considère que son autre « grande œuvre » a été la création de l’IUT de Kourou, implantée en 1986-1988 pour favoriser les filières professionnelles adaptées au marché du travail local. Jacques Blamont voulait aller plus loin encore et n’hésitait pas à faire le pied de grue dès 6 heures du matin devant le bureau du président de la collectivité territoriale de région pour obtenir un rendez-vous, voire signer une convention dans la journée. Dans son livre Voilà la nouvelle université de Guyane (Ibis Rouge, 2015), il pensait que le développement de la Guyane devait s’appuyer sur le numérique et la recherche, en étroite collaboration avec le parc amazonien. Si Jacques Blamont avait l’esprit dans l’espace, son action était bel et bien au service des hommes.

Le philosophe

L’écriture et la réflexion vont occuper les dernières années du scientifique. Il se montre d’abord très pessimiste sur le sort de l’humanité, comme il l’exprime en 2004 dans l’ouvrage Introduction au siècle des menaces (Odile Jacob, 2004). Pour lui, il n’y a alors aucun doute : l’humanité court à sa perte en raison des conséquences désastreuses de l’écart grandissant entre pays riches et pays pauvres, le gaspillage des ressources, les multiples pollutions, le dépérissement de la pensée politique, l’expansion d’épidémies, etc.

Mais le visionnaire a ensuite porté sa réflexion sur les solutions possibles. C’est ainsi qu’il a lancé le projet Fédération en 2017, dans le but d’enclencher une dynamique collective en lieu et place de celle des gouvernements, pour exploiter la révolution numérique et développer une intelligence collective, en regroupant des makers et des fablabs, des spécialistes et des non spécialistes, des jeunes et des moins jeunes, mais aussi des hackers, pour bâtir ensemble des projets autres que ceux du système libéral : « Nous voyons se développer une situation inédite qui offre un potentiel inestimable en même temps aux individus et aux organismes industriels ou étatiques sur lesquels repose le système global économique et politique, écrivait Jacques Blamont dans la Lettre 3AF consacrée au projet Fédération (n°26, juillet-août 2017). Le CNES, agence dont l’activité exige l’innovation, ne peut l’ignorer. Il propose donc le lancement de l’initiative Fédération, qui devrait unir la carpe et le lapin : d’une part, le bouillonnement horizontal d’individus avides de réalisations concrètes, jouissant d’une culture dont l’espace est un mythe privilégié, et d’autre part la rigueur d’une Agence hiérarchisée, intransigeante sur sa pratique et ses méthodes. Cette structure a pour but d’introduire la multitude des bonnes volontés dans le monde raréfié de l’espace, jusqu’ici réservé à des privilégiés. L’Agence apportera sa culture de projet et son excellence technique. La communauté apportera sa créativité et son enthousiasme. Ce sera le mariage encore jamais vu du top down et du bottom up, il faudra inventer le mode de fonctionnement et le mode de comportement des différents partenaires. » L’année suivante, lors d’une interview donnée pour le laboratoire d’idées Thinkerview, Jacques Blamont déclarait : « Je ne pense pas que ce

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 13 / 44 soit dans le jeu politique actuel que la jeunesse puisse trouver son avenir, mais elle le fera d’elle-même et la Fédération sera là pour l’épauler ».

« Il n’est richesse que d’hommes »

Nous avions rencontré Jacques Blamont une dernière fois en février dernier. Un peu plus songeur qu’à l’accoutumée mais toujours vif d’esprit, il continuait d’écrire quotidiennement et d’analyser l’évolution du monde, échafaudant encore de nouveaux projets. Nous connaissions son immense culture et son goût pour les auteurs classiques, comme en témoignent les citations qu’il glissait dans ses publications – l’une d’elle a retenu notre attention, celle du philosophe et théoricien politique français Jean Bodin (1530-1596) : « Il n’est richesse que d’hommes ». Nous savions également qu’il ne manquait pas d’humour et pouvait se montrer facétieux. Cette fois, il nous a reçus, entouré d’une grande partie de ses tableaux, réalisés au cours de sa vie, nous révélant alors une passion méconnue pour la peinture… et quelques explications savoureuses.

Agé de 93 ans, Jacques Blamont s’est éteint le 13 avril, dans la maison de repos où il était installé depuis l’été 2019, laissant derrière lui cinq enfants et douze petits enfants. Son esprit vogue probablement aujourd’hui en direction de l’étoile Alpha du Centaure, comme les cerveaux numérisés embarqués à bord du vaisseau spatial Eternité, forme d’expansion de l’humanité qu’il proposait en conclusion de son dernier livre, Mémoires d’un aspirateur, paru en février dernier. Bon voyage, professeur !

Pour mémoire

Un ouvrage de souvenirs : « L’action, sœur du rêve. Souvenirs de voyage », Jacques Blamont, E-Dite, 2012.

Un ouvrage intimiste : Jacques-Emile Blamont. Ma vie, mes proches, mes paysages, réalisé par Marie-Lise Chanin, 2 volumes, Blurb, 2017.

Une interview visionnaire en ligne de Jacques Blamont en compagnie de Pablo Servigne, sur le thème « Effondrement de la civilisation ? », 18 octobre 2018, Thinkerview.

Pierre-François Mouriaux est responsable de la rubrique Espace à Air & Cosmos et président de la commission Astronautique et Techniques spatiales de la Société Astronomique de France

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 14 / 44 Article de Jean-François Augereau – 16 avril 2020 Responsable rubrique scientifique Combat, AFP et Le Monde

L’astrophysicien Jacques Blamont est mort, lundi 13 avril à Châtillon (Hauts-de-Seine). Il était âgé de 93 ans. Chercheur passionné et infatigable, il fut l’un des ardents promoteurs de la présence de la France dans l’espace et un acteur majeur de ses programmes scientifiques dans ce domaine.

Ce goût pour les sciences lui est venu, disait-il, de son adolescence. Le jeune homme, né le 13 octobre 1926 à Paris, rêvait alors au rythme des histoires que les nombreux amis de son père, docteur en droit mais surtout secrétaire de l’Assemblée nationale, racontaient. Parmi elles, celles concernant la physique et l’astronomie. Séduit, il envisage de s’y lancer. Son bac en poche, il présente le concours de l’Ecole normale supérieure et y entre en 1948. Là, il prépare sa thèse sous la conduite du professeur Alfred Kastler, dont les travaux sur le pompage optique vont jouer un rôle essentiel dans le fonctionnement des lasers et lui valoir, en 1966, le prix Nobel de physique.

On ne saurait rêver meilleure formation. A son contact, Jacques Blamont passe l’agrégation de physique en 1952, puis, deux ans plus tard, son doctorat. C’est durant cette courte période que le CNRS le recrute pour un poste d’attaché de recherche, qu’il occupera jusqu’en 1956. Un an plus tard, alors qu’il vient d’être nommé chargé de recherche, le directeur général du CNRS, Jean Coulomb, lui demande de se libérer pour aider le géophysicien Etienne Vassy, qui mène des expériences scientifiques à partir de fusées-sondes.

L’élue s’appelle Véronique. « Ver » comme Vernon, dans l’Eure, où le Laboratoire de recherches balistiques et aérodynamiques (LRBA) travaille à son développement depuis 1948 et « onique » comme électronique. Si les premières versions de ce très modeste lanceur donnent satisfaction, les suivantes, plus puissantes, seront une catastrophe. A telle enseigne que, entre mai 1952 et avril 1953, neuf tirs de la Véronique-N tirées depuis la base algérienne de Colomb-Béchar sont des échecs au grand dam des scientifiques et des militaires qui les assistent. De l’appétit et des idées

Avec le temps, Véronique s’assagit et lance avec succès le 29 octobre 1954 sa première charge utile. Peu de scientifiques croient alors au potentiel de ces fusées. A tort. Jacques Blamont en fait la démonstration en mars 1959. Il découvre une région inconnue de la haute atmosphère, la turbopause, et réalise les premières mesures de la thermosphère. Ces résultats sont si novateurs, qu’ils vont bientôt donner lieu à une nouvelle discipline, la dynamique de la haute atmosphère, dont lui et ses collaborateurs vont devenir des champions.

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 15 / 44 Ce début de notoriété l’éloigne progressivement d’Etienne Vassy, dont il trouve les projets trop répétitifs. D’élève, il devient patron. De l’appétit et des idées, il n’en manque pas. Alors, il fonce, comme il le fera toujours, et commence à se faire un nom.

Le CNRS ne s’y trompe pas, et lui confie en 1962 la direction du service d’aéronomie qu’il vient de créer, poste qu’il occupera jusqu’en 1985. Jacques Blamont a 35 ans, il vient d’être nommé professeur à la faculté des sciences de Paris et n’a qu’une obsession : faire voler les expériences que son équipe a imaginées. Mais pour cela, il faut des crédits et des moyens de transport pour aller en orbite.

A cette époque, l’argent est rare. Qu’à cela ne tienne. « Blamont se débrouille toujours », s’amuse un de ses collaborateurs. Pour les fusées, c’est plus délicat. La France n’offre que Véronique. Certes, elle a des ambitions et prépare avec le Centre national d’études spatiales (CNES), que le général de Gaulle a créé en 1961, un lanceur plus puissant, Diamant, capable de délivrer un satellite en orbite. Mais il ne sera pas disponible avant novembre 1965. Pas question d’attendre. Il faut s’inviter sur les lanceurs et les vaisseaux des deux grands, les Soviétiques et les Américains. Etude des planètes géantes du Système solaire

Avec les premiers, il s’impose, au culot. En 1960, lors d’un colloque à Nice, il interpelle le général d’artillerie Anatoli Blagonarov, l’un des grands responsables du programme spatial soviétique, et lui demande s’il serait favorable à une coopération scientifique avec les Français. Quelle n’est pas sa surprise, lorsque, quelques jours plus tard, il découvre à la « une » du Monde que Moscou n’est pas hostile à une telle initiative. Les choses mettront longtemps à se mettre en place, mais elles se feront.

Avec les seconds, des contacts plus officiels se nouent dès 1962. Jacques Blamont se fait connaître de la NASA et des chercheurs de ses laboratoires, en particulier de l’un des plus célèbres d’entre eux, le JPL, engagé dans l’exploration du Système solaire.

Fort de ces atouts, il s’appuie sur son tout nouveau poste de directeur scientifique et technique du CNES (1962-1972) pour décrocher des coopérations internationales et s’imposer sur le plan national. Devenu plus tard haut conseiller scientifique de cet organisme (1972- 1982) et membre de l’Académie des sciences en 1979, il continuera dans cette voie grâce aux liens qu’il a tissés. Il est conscient que pour réussir il faut des propositions originales ou être à l’origine d’une découverte comme celle de la turbopause.

C’est le cas avec l’étude de la forme de la Terre par échos laser (1964), le sondage vertical de la haute atmosphère par laser (1967), l’étude de la basse atmosphère via des ballons suivis par satellite (1971), la découverte du vent interstellaire (1971) et du cocon d’hydrogène qui enveloppe les comètes (1971).

Avec les deux grands, il élargit son champ de recherche et « monte à bord » de leurs sondes. De 1972 à 1985, il participe ainsi à l’étude des planètes géantes du Système solaire (Voyager 1 et 2), à celle de Vénus (Pioneer Venus, Venera), de la comète de Halley (Vega) et à celle de Mars et de ses lunes (Phobos, Mars Observer, Mars 96, Mars Global Surveyor).

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 16 / 44 La conquête spatiale passe par la miniaturisation

Jamais rassasié, cet infatigable commis voyageur, devenu en 1982 conseiller du président du CNES, continue de sillonner la planète, enseigne au Caltech (1985) et fréquente plus que jamais les acteurs influents du secteur spatial. C’est ainsi que, en 1994, à presque 70 ans, il participe à un programme d’études de la Lune (Clementine) imaginé par… le département d’Etat américain à la défense (DoD). Pour lui, peu importe le patron, du moment que son système de compression d’image peut prendre place à bord.

C’est une réussite. D’autant plus grande, qu’elle a été accomplie avec une sonde spatiale de faibles dimensions. Jacques Blamont, alors professeur émérite à l’université Pierre-et-Marie- Curie, se replonge dans la conquête spatiale, convaincu que son avenir passe par cette miniaturisation. Dans la foulée, il imagine des micromissions planétaires qui pourraient embarquer comme passagers supplémentaires sur la puissante fusée 5. Il ne manque pas une occasion de s’en prendre à la Station spatiale internationale (ISS), dont il estime que le programme budgétivore a accouché de résultats scientifiques plus que « marginaux ».

Il répète alors à qui veut l’entendre que l’humanité ne doit pas attendre grand-chose pour le moment des vols habités. Ce sont les satellites et les sondes, martèle-t-il, qui lui apporteront du progrès. « Le rêve qui m’a mené dans l’atmosphère de Vénus était bien modeste », dira-t- il, comparé à celui « que j’ai fait jadis avec mes amis indiens d’éduquer des villageois illettrés par des émissions de télévision relayées par des satellites ». Cela « paraissait fou », mais, en 1967, « ce rêve s’est bien incarné ». Il en sera deux fois remercié par les plus grandes distinctions indiennes en 1994 et 2015.

Au crépuscule de sa vie, l’enthousiasme s’émousse. Dans ses deux derniers livres qui ne traitent pas de la conquête spatiale, Introduction au siècle des menaces (éd. Odile Jacob, 2004) et Lève-toi et marche : propositions pour un futur de l’humanité (éd. Odile Jacob, 2009), le pessimisme l’emporte. Face à cette volonté manifestée par l’humanité tout entière d’atteindre « un modèle de société Hollywood », que les progrès de la science et de la technologie ne pourront satisfaire, il prône une économie des ressources et le partage

Jacques Blamont en quelques dates :

13 octobre 1926 Naissance à Paris

1962-1985 Directeur du service d’aéronomie du CNRS

1962-1972 Directeur scientifique et technique du CNES

1972-1982 Haut conseiller scientifique du CNES

1979 Membre de l’Académie des sciences

2009 Publie « Lève-toi et marche : propositions pour un futur de l’humanité »

13 avril 2020 Mort à Châtillon (Hauts-de-Seine).

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TEMOIGNAGES

Hommage de Frédéric d’Allest à Jacques Blamont Cassis le 5/5/2020

Jacques Blamont nous a quittés.

Au moment d’écrire ces lignes, ma première rencontre avec lui me revient à l’esprit. C’était en 1962 dans un amphithéâtre de l’Ecole Polytechnique. Il accompagnait alors comme Directeur Scientifique et Technique le Général Aubinière, Directeur Général du CNES, qui venait d’être créé. J’avais été séduit par sa jeunesse (il avait 36 ans), son enthousiasme, sa largeur de vue et l’ambition qu’il avait pour le CNES au moment où l’Espace devenait clairement un enjeu majeur. Avec le Général Aubinière c’est lui qui m’a convaincu alors d’orienter ma carrière vers les activités spatiales et de rejoindre le CNES. Je n’eus pas à le regretter. Fervent promoteur et utilisateur scientifique du CSG ainsi que du lanceur Diamant, nous eûmes beaucoup de mal alors que nous étions encore à Brétigny au début de 1973, préparant le dossier du Programme ARIANE, à le convaincre de l’opportunité de lancer ce programme contre lequel il militait. Il craignait que son ampleur, beaucoup plus importante que ce que le CNES avait entrepris jusqu’alors, soit budgétivore et mette en danger le financement des programmes scientifiques. C’est à partir de 1982, alors que j’étais devenu Directeur Général du CNES, que nous eûmes une collaboration étroite et empreinte d’un respect mutuel. Le succès d’Ariane et le constat qu’il fit de mon soutien au développement des programmes scientifiques et d’applications le rassurèrent. J’appréciais alors son ouverture d’esprit, sa curiosité intellectuelle, sa recherche incessante d’idées nouvelles, son dynamisme. Cette ébullition permanente n’était pas toujours facile à canaliser mais il apportait toujours une contribution très utile dans les débats du Comité de direction quel que soit le sujet, scientifique, technique, managérial, social ou lié à la coopération internationale.

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 18 / 44 Après avoir quitté le CNES, j’appréciais toujours de le retrouver de temps à autre dans un colloque ou une cérémonie. Nous parlions bien entendu de ses livres qu’il m’envoyait. L'an dernier encore j’ai été frappé par son dynamisme et son activité intellectuelle exceptionnels restés intacts. C’est un grand personnage du CNES et de l’Espace Français qui nous quitte.

Frédéric d’Allest Directeur Général CNES 1982-1989 Président Directeur Général 1980-1990

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Hommage de Gérard Brachet à Jacques Blamont

La disparition de Jacques Blamont marque la fin d'une époque qu'il avait profondément marquée de sa personnalité et de ses nombreux ouvrages. J'ai fait sa connaissance en 1975 quand j’ai pris la succession de Jean-Marie Luton comme chef de la division des programmes scientifiques à la direction des programmes du CNES. Dans sa fonction de Haut Conseiller Scientifique, il était évidemment très présent dans le secteur dont j’étais responsable et je devais gérer ses fréquentes interventions dans la gestion des programmes scientifiques. Heureusement, à partir de mi-1976, le nouveau président du CNES était Hubert Curien et je savais pouvoir compter sur lui pour calmer, lorsque cela était nécessaire, les ardeurs de Jacques Blamont. Hubert Curien me disait alors « Gérard, je comprends qu’il ne vous rend pas la tâche facile, mais Jacques est si intelligent... ». La vérité était que j’étais assez fasciné par la personnalité de Jacques Blamont et par sa vision réellement supérieure du paysage international de la science spatiale, qui se traduisait par un prestige tout à fait remarquable aux yeux de ses collègues, en particulier aux Etats Unis et en Union soviétique. En Europe, en revanche, il n’avait pas que des amis et son influence en était diminuée.

Plus tard, étant très impliqué dans la préparation de l’exploitation de SPOT et ayant quitté le CNES pour prendre la direction de Spot Image, j’ai eu moins l’occasion de rencontrer Jacques Blamont mais je l’ai retrouvé lors de mon retour au CNES en 1994, au moment où faisait rage le débat sur la participation de l’Europe au programme de station spatiale internationale. Comme chacun le sait, Jacques Blamont était de ceux qui estimaient que les vols humains dans l’espace ne présentaient aucun intérêt sur le plan scientifique.

Jacques Blamont avait aussi joué en 1993 un rôle très important auprès du ministre de la défense Pierre Joxe, auquel il a remis un rapport remarquable et remarqué sur l’espace pour la défense. Ce rapport a ouvert la voie à une prise en compte plus marquée de l’espace par le ministère de la défense et à une coopération plus étroite entre la DGA et l’Etat major d’une part et le CNES d’autre part. Dans mes fonctions de directeur des programmes, puis de Directeur Général à partir de 1997, je me suis beaucoup appuyé sur les conseils de Jacques Blamont pour consolider cette coopération qui, à l’époque, était encore fragile. Il est vrai que son style, toujours très direct, lui aliénait parfois ses interlocuteurs mais sa vision prospective était remarquable, toujours en avance de deux coups sur (presque) tout le monde. Il avait par exemple recommandé au ministre de la défense de ne pas faire Hélios II mais de se contenter d’un Hélios IC car la technologie évoluait si vite que les performances d’imagerie d’Hélios II pourraient bientôt être réalisées par des satellites beaucoup plus compacts et légers, comme

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 20 / 44 le démontrera le satellite américain Ikonos lancé en 1999. Jacques Blamont était encore une fois en avance sur son temps puisque c’est exactement ce que le CNES a démontré avec les satellites , plus performants qu’Ikonos, mis en orbite dix ans plus tard.

Si je devais résumer en une seule phrase ma vision de la contribution de Jacques Blamont aux affaires spatiales françaises depuis 1970, je le ferais de la manière suivante : "Jacques Blamont était souvent excessif mais c’était un visionnaire et sa capacité à nous obliger à regarder ailleurs, et pas seulement dans les domaines scientifiques et techniques, était incomparable".

Avec la disparition de Jacques Blamont, nous avons perdu un grand homme.

Gérard Brachet Directeur Général Spot-Image 1982-1994 Directeur Général CNES 1997-2002

20 avril 2020

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 21 / 44

Jacques-Emile Blamont, « témoignage Michel Mignot »

« L’homme des très grands dossiers Guyanais » dit de lui, mon ami Rodolphe Alexandre, Président de la collectivité territoriale de Guyane. Rien n’est plus juste. J. BLAMONT et le Centre Spatial Guyanais Un des pères fondateurs du CSG, proche du Général Aubinière, il aimait rappeler son rôle et ses recommandations pour le choix gaullien, de la Guyane en 1964, pour la relève du site algérien d’Hammaguir. La Guyane française lui paraissait idéale pour l’accès à l’espace. Jeune embauché au CNES en 1967 dans l’équipe d’Yves Sillard, autre passionné de la Guyane, je rencontre le professeur Blamont, pour la première fois, avant que je ne parte, pour de longues années, participer au développement du CSG, afin qu’il me conte la genèse du choix de Kourou. Son charisme, sa vision, son intelligence lumineuse m’impressionnaient. Tout semblait évident dans ses explications, c’était un grand Professeur. Plus tard, membre du comité de direction hebdomadaire du CNES de 1992 à 2004, organisé en téléconférence, j’essayais d’y participer à Paris environ un fois par mois. L’avion de Cayenne arrivait vers 6h du matin. Avec la fluidité de la circulation, j’étais au siège peu après 7h, bien en avance pour mes premiers rendez-vous de 8H30/9h. Le seul bureau occupé de l’étage présidentiel et de la direction générale était celui du Professeur Blamont ! Porte toujours ouverte, sans préalable, il me recevait, avec beaucoup de simplicité, au milieu de piles impressionnantes de dossiers dont lui seul devait connaître le classement. J’étais heureux de partager avec lui ses points de vue, parfois peu nuancés, de la vie du CNES, puis il me demandait toujours de l’entretenir, non pas du CSG qu’il connaissait par les notes officielles, mais de la Guyane et de son évolution. Ses analyses et avis m’étaient fort précieux. Il m’encourageait dans la politique d’intégration au CSG de cadres compétents Guyanais. En 1995, comme directeur, j’ai eu l’honneur de lui remettre la Médaille d’Or du CSG. Il était déjà Académicien des Sciences, titulaire de multiples et plus prestigieuses décorations, pourtant dans son remerciement, transparaissait sa profonde émotion de recevoir cette distinction. Il en était touché et fier, tout comme le personnel du CSG rassemblé pour l’événement.

J. BLAMONT et l’Université de Guyane, « un de ses pères fondateur » Le 28 octobre 1998, Claude Allègre, alors ministre de l’Education nationale, de la recherche et de la technologie, lui confie une mission d’étude relative à l’avenir du pôle universitaire guyanais qui dépendait alors de l’université Antilles Guyane, « afin que l’autonomie guyanaise se prépare autour d’un projet cohérent ». Cette autonomie était fortement souhaitée par les élus guyanais, notamment le Président de Région, Antoine Karam, et son vice-président, Henri Claude Dédé. Le président du CNES, A.Bensoussan, plaidait également cette évolution auprès du ministre de tutelle. J. BLAMONT se trouve, du 4 au 7 novembre, en Guyane, pour cette mission. Sa puissance de travail, d’analyse et de synthèse fut impressionnante. Le Professeur loge à l’Hôtel de la

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 22 / 44 Chaumière, proche de mon domicile privé, tous les soirs. Il nous parle à Roberto Visigali chargé au CSG des relations guyanaises et à moi, de tout ce qu’il a retenu et noté dans les moindres détails de ses multiples entretiens guyanais du jour, accompagné par Henri Claude Dédé. Il nous demande avis et notes complémentaires démographiques et économiques pour le lendemain. Et au petit déjeuner, il avait rédigé et édité le chapitre correspondant de son rapport ! Ainsi à la fin de sa mission de 4 jours en Guyane en prenant l’avion à Cayenne, son rapport de plus de 300 pages était prêt. Il avait un rendez-vous programmé avec le ministre, le jour suivant, pour lui remettre ses propositions. Le concept d’une « Université Française en Guyane » rayonnant vers l’Amérique du Sud était né ! Ensuite, il devait rejoindre la Californie, le Jet Propulsion Laboratory de la NASA à Palo-Alto où il œuvrait ! Impressionnant ! C’était simplement Monsieur le Professeur Jacques Emile Blamont.

Michel Mignot Directeur du CSG 1992-2000 Directeur de la Mission Guyane 2000-2004

Avril 2020

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Jacques Blamont est à l’origine des activités de ballons stratosphériques scientifiques en France, et de la création du centre d’opérations ballons d’Aire sur l’Adour, dans les Landes. En 1962, JE Blamont est à la fois directeur du service d’Aéronomie et directeur scientifique et technique du CNES ; fort du succès d’une campagne Franco-Américaine de ballons instrumentés (technique rapportée des Etats-Unis) aux Kerguelen dont il a été le grand organisateur, il contribue à convaincre le CNES d’avoir son propre site permanent de lâcher de ballons en France. Et c’est en collaboration avec Robert Regipa, l’autre père fondateur de l’activité ballons du CNES, que le Centre de Lâchers de Ballons d’Aire sur l’Adour (CLBA) va voir le jour en 1963. Le CLBA fait d’abord partie du Service d’aéronomie, avant son inauguration officielle en septembre 1964, et son transfert au CNES en 1965. Robert Régipa, capitaine de l’Armée de l’air, est détaché en 1961 au Service d’Aéronomie, où il va se consacrer au développement de l’activité ballons, suite à une mission aux Etats-Unis à l’Université du Minnesota, qui opère des ballons, mandatée par JE Blamont. Il fallait un site qui soit éloigné des grandes agglomérations : après un essai infructueux sur la base de Mont de Marsan, l’Armée de l’air a proposé la zone située à côté du petit aérodrome d’Aire-sur-l’Adour dans les Landes, à côté de l’usine Potez Aéronautique. Dès l’été 1962, cinq vols de ballons y furent réalisés. Au début, le choix du site n’a pas l’agrément du professeur Blamont, qui le fait savoir assez vertement à l’équipe des « pionniers » dont Robert Regipa et Claude Bannelier, que j’ai eu le plaisir de côtoyer, et à qui je dois cette anecdote et la majeure partie de mon récit. Mais la météorologie et la géographie très favorables du site (vents faibles, faible densité de population alentour, larges zones d’atterrissage) finissent par convaincre CNRS et CNES d’officialiser l’implantation. Depuis lors, les équipes du CLBA continuent à opérer des vols de ballons scientifiques en France (ballons légers) et à préparer et réaliser des campagnes de vols partout dans le monde, à toutes les latitudes, au service de la communauté scientifique. Et durant toute sa prestigieuse carrière, le professeur Blamont a impulsé des idées de projets utilisant les ballons, dans l’atmosphère terrestre (MIR, ballon isopycne), et même sur d’autres planètes (projets Venus et Aérostat Martien).

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 24 / 44 Il avait répondu présent lors de la célébration du 50éme anniversaire du CLBA le 1er Octobre 2016 à Aire sur l’Adour, et avait assisté à l’intégralité de l’évènement. Jacques-Emile Blamont reste pour tous les ballonniers du CNES, et en particulier pour ceux qui comme moi ont eu le privilège de le croiser, l’un des pères fondateurs de l’activité ballons scientifiques en France.

Vincent Dubourg CNES Sous-Directeur Ballons

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 25 / 44

Hommage de Jacques Bertholle au Pr Blamont

Pendant les quelques années où j'ai pu côtoyer Jacques Emile Blamont, j'étais dans l'équipe de Sud-Aviation, la première équipe de lancement de Fusées Sondes opérant dans divers sites, à Colomb-Béchar, à Hammaguir, en Islande et aux îles du Levant. Ma première rencontre eut lieu à Colomb-Béchar en septembre 1964 : je devais rejoindre l'équipe qui se trouvait à Hammaguir après avoir pris l'avion régulier depuis Paris jusqu'à Alger et ensuite la correspondance avec un autre avion. Je me suis retrouvé dans le local du CNES, attenant à un hôtel. J’y ai passé la nuit. Et le matin de mon départ pour Hammaguir, j'étais dans le local avec le chef de l’antenne CNES à Colomb-Béchar et qui se débattait pour que je puisse avoir un transport pour rejoindre Hammaguir. J. Blamont est rentré soudain et a commencé à s’emporter : il a dit que lui aussi n’avait pas de transport, que cette histoire était scandaleuse, mais le responsable logistique lui a dit qu’on n’avait pas d’autre solution que d’attendre. Et pour moi, on me donnerait une 2 chevaux pour aller rejoindre la base. Cette 2 chevaux était celle du commandant de la base : il fallait donc en prendre soin tout particulièrement. Je suis donc parti avec cette 2 chevaux et ai roulé jusqu’à ce qu’un coup de vent de sable violent m’oblige à m'arrêter et prendre les postures de survie que j’avais apprises quand mon père m'avait envoyé jeune, à ma demande, avec des caravaniers pendant quelques jours jusqu'au grand sud de la Tunisie : je me suis couché à côté de la voiture j'ai mouillé le cheche que j'avais avec moi et me suis entouré la bouche avec, puis me suis prostré jusqu'au moment où les militaires venus à ma recherche m’ont déterré et m’ont remis au volant de la 2 chevaux. Le lendemain matin Jacques Blamont est venu vers moi et il m'a félicité pour mon comportement exemplaire : ça a été le premier contact chaleureux avec lui. Par la suite il lui est arrivé, pendant les campagnes de lancement de Fusées Sondes de venir directement vers moi et de me demander des conseils pour le choix du site de lancement. En Islande il a eu une occasion particulière de manifester sa joie, en aout 1965 : on attendait impatiemment les aurores boréales depuis des jours ou plutôt des nuits, lorsque, d’un coup, une aurore boréale magnifique apparut : d'après J. Blamont c’était la plus belle jamais vue : elle se produisait à l’occasion d’une expérience sur le champ magnétique terrestre en liaison avec le rôle qu’il joue sur l’organisme humain et sur les malaises qu’il peut provoquer. Mais voilà que d’un coup la rampe de lancement de fusée sonde Dragon se met à vibrer et « tousse » sérieusement : j'ai tout de suite eu J. Blamont sur le dos, interrogatif, le cœur battant. Je lui ai demandé une demi-heure pour résoudre ce problème d’origine électromécanique, qui nécessitait la consultation de la documentation technique de Sud- Aviation, que j’avais apporté avec moi et que j’avais analysée avant de partir notamment sous l’angle des défaillances possibles (cela m’a beaucoup servi ensuite pour la sauvegarde). Au bout de 20 minutes, pas plus, après avoir simulé deux pannes, j'ai trouvé la 3ème, qui était la

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 26 / 44 bonne : pour la première fois j'ai vu J. Blamont venir vers moi avec un large sourire. Il m’a légèrement tapé sur l'épaule en signe de reconnaissance. À la fin de la mission il est venu me voir et m'a dit en aparté : « vous avez réussi quelque chose d'extraordinaire : vous n'avez pas paniqué, alors que tout le monde l'était. C'était la plus belle aurore boréale, on aurait vraiment loupé quelque chose d’unique. Je vais demander à Le Fevre et de Villepin de faire quelque chose pour vous » …et toute l'équipe a eu la médaille de la campagne scientifique d'Islande du CNES. Après trois ans passés à Sud-Aviation, j'ai reçu une lettre de J. Blamont me disant qu'il y avait un poste en Guyane et de me rapprocher de Golonka. Mon épouse étant guyanaise, cette proposition m’intéressait beaucoup. C’était le départ pour une nouvelle vie en Guyane, riche d’évènements.

Jacques Bertholle Directeur départemental honoraire du travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle Chef des services de l'inspection Membre des équipes Sud-Aviation et CNES de lancement des Fusées sondes.

27 avril 2020

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 27 / 44

« Si j’étais le pape... » par Jacques Arnould

À l’occasion d’un de nos échanges, Jacques Blamont sortit un jour de ses archives un article de sa main ; je pense qu’il tenait surtout à m’en faire lire le titre : « Si j’étais de Gaulle ». Je ne connais pas les relations qu’il entretenait avec le Général mais, en revanche, je sais que, depuis une dizaine d’années, il poursuivait le rêve de rencontrer le pape. Il avait organisé et accompli plusieurs séjours à Rome dans ce sens, frappé à la porte de quelques éminences, parlé à plusieurs autorités jésuites et, bien évidemment, rédigé plusieurs missives à destination du pontife. Malheureusement, son rêve ne s’est pas réalisé.

J’imagine qu’il aurait aimé accrocher à un mur de son bureau la photo de sa rencontre avec Benoît XVI ou François ; mais je sais que cette rencontre tant désirée avait un autre but : elle s’inscrivait dans la perspective qu’a pris sa réflexion au milieu des années 2000.

Quelques mois avant la publication de son ouvrage Introduction au siècle des menaces, en 2004, il était venu dans mon bureau et m’avait proposé d’en lire le manuscrit. Je lui avais clairement dit ne pas partager la conclusion de ce texte (grosso modo, il n’y a rien à faire face à ces menaces) et qu’un homme comme lui ne devrait pas diffuser un tel message... Quelques mois plus tard, il me proposait d’entamer un dialogue afin de trouver des solutions aux crises de notre temps ; nous avons publié Lève-toi et marche !.

Sa principale idée était de s’inspirer de deux éléments de l’histoire de l’Église catholique : la tenue de conciles et la création d’ordres religieux dédiés à une cause particulière. Et il était convaincu qu’aujourd’hui seule une personnalité comme le pape posséderait l’autorité suffisante pour réunir toutes les bonnes volontés de la planète afin d’entreprendre les réformes nécessaires et d’empêcher l’humanité de disparaître sous les menaces qu’il avait annoncées. Bref, il voulait convaincre le pape de réunir un concile et de lancer des troupes de volontaires pour sauver la planète ! Le professeur luttait avec réalisme et lucidité contre le pessimisme auquel, trop facilement, nous aurions pu réduire sa pensée.

J’ai été le témoin de l’engagement, de l’entêtement de Jacques Blamont pour la promotion de cette idée. Il n’a donc pas rencontré le pape, mais il a tenté de mettre en œuvre son idée : il a écrit Réseaux ! et, en soutenant l’initiative « Fédération » du CNES, a fait le pari de l’intelligence collective. Mais je sais qu’il ne voyait là que les moyens de mettre en œuvre l’esprit qu’il avait cherché à me partager, à m’expliquer au cours de nos entretiens, un esprit connu de tous ceux qui l’ont connu.

Jacques Blamont n’était pas le pape, pas plus qu’il n’avait été le Général ; je souhaite que ses idées n’en continuent pas moins à inspirer certains d’entre nous. Et comme c’est lui qui avait trouvé le titre de notre ouvrage, je tiens aujourd’hui à le lui rendre, en même temps que mon hommage :

Lève-toi, Jacques Blamont, et marche !

Jacques Arnould Historien des Sciences chargé des questions éthiques au CNES Avril 2020

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 28 / 44

Hommage d’Anny Cazenave à Jacques Blamont

En ce morne printemps 2020, la disparition de Jacques Emile Blamont nous rend encore plus tristes. Bien qu’ayant évolué dans un domaine de recherche différent, j’ai eu la chance de rencontrer J.E. Blamont à diverses occasions. En premier lieu, au début de ma carrière au CNES dans les années 1970, où mon tout premier travail avait été de calculer la trajectoire des ballons du programme EOLE, puis avec la création du Groupe de Recherches de Géodésie Spatiale (où j’ai ensuite poursuivi ma carrière), grâce à l’utilisation de la technique Laser pour calculer la trajectoires des satellites artificiels; Et plus tard encore, au début des années 1980, lors d’un court passage au centre spatial de Toulouse dans une équipe impliquée dans la préparation d’une mission franco-russe vers Venus sous la responsabilité scientifique de J.E. Blamont. Et enfin plus régulièrement à l’Académie des sciences, au sein de la section des sciences de l’Univers, depuis 1994 lorsque j’ai été nommée membre correspondant puis membre à partir de 2004. J’ai toujours été très impressionnée par la personnalité hors du commun de J.E. Blamont, son côté visionnaire, son immense culture scientifique ; un très ‘Grand Monsieur’, attachant malgré son tempérament plutôt réservé. Ayant fait toute ma carrière dans le domaine spatial, je ne peux m’empêcher aussi d’évoquer le rôle capital joué par J.E. Blamont dans le développement de la recherche spatiale en France. Son leadership, sa hauteur de vue, sa vision de la science, d’abord en tant que directeur scientifique du CNES de 1962 à 1972, puis Haut Conseiller scientifique de 1972 à 1982 et enfin jusqu’à aujourd’hui comme conseiller scientifique des présidents successifs du CNES, ses idées foisonnantes pour de nouvelles missions et son infatigable recherche de collaborations internationales, notamment avec l’Amérique et la Russie, ont été déterminantes dans la place qu’occupe la France aujourd’hui dans la recherche spatiale mondiale. Je garde le souvenir d’une personnalité d’exception, contente d’avoir croisé son chemin mais aussi triste de sa disparition. Anny Cazenave Membre de l’Académie des sciences, section sciences de l'Univers, Membre de l’Académie nationale des sciences des États-Unis depuis 2008, Membre de l’Indian National Science Academy (Allahabad) depuis 2008, Scientifique du LEGOS ( Laboratoire d’études en Géophysique et Océanie Spatiale) Directrice à l’International Space Science Institut 30 avril 2020

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 29 / 44

Hommage de Catherine Lambert à Jacques Blamont

J’ai eu l’honneur de travailler avec le Professeur Jacques Blamont dans le cadre de la mission américaine Clementine en 1993 et 1994, au début de ma carrière professionnelle au Cnes. Cette mission avait pour objectif de réaliser une cartographie complète de la Lune et le Professeur Blamont avait convaincu le chef de projet américain d’intégrer, à bord de Clementine, un module de compression image développé par le Cnes. Ce fut une grande réussite : l’exploitation de la compression sur cette mission a ouvert la voie à l’utilisation de ce type d’algorithme sur d’autres missions spatiales. Avoir eu le Professeur Blamont comme guide pour visiter le musée de l’air et de l’espace à Washington, à l’occasion de missions du projet, restera un souvenir inoubliable. J’ai eu, par la suite, de nombreuses occasions de travailler avec lui et de bénéficier de ses conseils et de son soutien. Il a toujours été présent et bienveillant dans les moments importants de mon parcours professionnel, encore très récemment lors de mon élection à l’Académie des Technologies. Je garderai le souvenir d’un homme passionné et visionnaire, qui n’oubliait pas d’avoir une pointe d’humour en toutes circonstances.

Dr Catherine LAMBERT, Directrice du Cerfacs. Avril 2020

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 30 / 44

Jacques Blamont et Jean Coulomb et une délégation de l’URSS devant FR-1

1964 : Jacques Blamont en Inde pour le lancement d’une fusée Centaure

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 31 / 44

Le Professeur Jacques-Emile Blamont, un savant et un humaniste 17/04/2020

Le Professeur Jacques-Emile Blamont a entretenu avec notre Association parisienne (3ACNES/PeK) des liens de bienveillante attention, que nous avons toujours cherché à renforcer, lors des deux décennies qui viennent de s’écouler en sa compagnie. Nos bureaux réciproques étaient en effet assez proches au siège du CNES, ce qui nous a permis d’entretenir de nombreux échanges informels avec lui.

Permettez-nous de rappeler quelques temps forts de ces moments précieux passés en sa compagnie. Nos échanges se sont établis d’abord dans les années 2000 par le biais de sa participation active à nos conférences dédiées aux évènements du monde spatial, que nous organisions régulièrement au CNES à Paris. Il a ainsi eu l’occasion, entre autres, de nous amener à réfléchir à l’évolution de notre monde telle qu’il la voyait, parfois emprunte de pessimisme, comme il l’exposa dans l’ouvrage intitulé « Introduction au siècle des Menaces », parfois cherchant la voie d’un nouvel essor écologique salvateur, comme il l’exposa dans « Lève-toi et marche, proposition pour un futur de l’Humanité » (en liaison avec Jacques Arnould). Sa contribution au colloque que nous avions organisé en 2012 pour le Cinquantième anniversaire du CNES a permis de mettre en évidence « l’originalité du modèle CNES », titre de son intervention, dans lequel apparaissait nettement le caractère à la fois évolutif, facilitateur de la collaboration entre laboratoires de recherche spécialisés, et développeur de l’industrie spatiale, sans chercher à se substituer à elle.

En 2013 ce fut la conférence de présentation de son ouvrage central « l’Action Soeur du rêve », où l’auteur nous entraîna dans la spirale ascendante de sa carrière échevelée depuis l’évocation de l’étrange sodium crépusculaire, à la main tendue à l’Inde pour la collaboration spatiale, de l’étroite amitié avec la NASA, le Jet Propulsion Laboratory à la coopération exotique avec l’Union soviétique, des lâchers de ballons aux Kerguelen aux missions multiples sur les planètes. Jacques Emile Blamont a connu un parcours personnel commencé dans l’enthousiasme et prolongé, in fine, dans le questionnement sur la naissance de l’Espace associée aux crimes hitlériens, et dont les développements technologiques sont partie intégrante de ceux d’une société souvent narcissique et boulimique, qui pourraient conduire à la destruction du monde, si elle ne réoriente pas ses comportements excessifs.

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 32 / 44 Nous avons eu aussi l’occasion de l’inviter à nos célébrations plus intimes en salle de l’Espace, auxquelles il ne manquait jamais d’assister en simple auditeur, attentif et toujours vigilant sur les questions spatiales. Mais aussi en tant qu’intervenant pour la journée sur « les 50 ans de la création du CSG » en février 2014 qu’il avait conclue et « les 50 ans de Diamant A et des satellites FR1 etD1 » en février 2016 qu’il avait introduite. Ce fut pour nous l’occasion de découvrir quel esprit extraordinairement ouvert et agile il était, qu’il s’agisse de problèmes techniques, comme le fonctionnement des ballons stratosphériques ou encore de l’envoi sur la Lune de robots miniaturisés, et dernièrement en décembre 2018 lors du colloque placé sous son patronage, que nous avions organisé pour évoquer l’épopée des « Pionniers du spatial » dans le cadre du programme Diamant B au CSG précédé par celui des Fusées sondes, qui sont à l’origine de son extraordinaire carrière d’expérimentateur et de découvertes très importantes pour la physique de l’atmosphère. L’un de ces derniers ouvrages « RESEAUX - le pari de l’intelligence collective » aux Editions CNRS (novembre 2018) portait sur l’idée et le concept de fédération, dont l'enjeu est pour l'auteur rien de moins que de relever les défis sociétaux et environnementaux qui attendent l'humanité dans les années à venir. Il portait aussi un regard fraternel sur la Guyane et sa jeunesse, terre qu’il avait visitée avant même l’installation du CNES sur place : à l’issue de sa visite, il recommanda au gouvernement, nous dit-il, de retenir le (futur) CSG comme site de lancement privilégié pour les lanceurs français et européens. Ce penchant est apparu nettement à l’occasion de sa présentation à notre profit, en salle de l’Espace, du film d’Alain Maline, « Des Pépites dans le ciel de Guyane », qu’il commenta avec le réalisateur, en juin 2014 Jacques-Emile Blamont restera pour notre Association un fidèle compagnon de route habité d’une capacité créatrice prodigieuse. Nous ne manquerons pas de célébrer tant son audace scientifique que sa grande humanité, qui ont constitué les deux volets essentiels de sa personnalité exceptionnelle.

Alain Ragot, Yves Beguin 3ACNES-PeK

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 33 / 44 Extraits de ses exposés aux conférences 3ACNES

Extraits du discours introductif du Pr J.E. Blamont au colloque « les 50 ans du CNES » consacré à L’originalité du modèle CNES et ses évolutions organisé par la 3ACNES le 9 février 2012 (Salle de l’Espace - CNES-Siège) ======L’AME DU CNES …Le CNES est l’organisme chargé de la politique spatiale française. Disons plutôt qu’il s’est chargé de la politique spatiale de la France et qu’il s’est construit lui-même pour assumer cette tâche…le général Aubinière sans troupes commença donc à sous-traiter les tâches : la fabrication des 4 satellites destinés au Diamant, le développement de la technologie spatiale au CNET…il fallait déterminer notre territoire. Si la DMA exerçait la responsabilité du secteur balistique, tout ce qui touchait à l’orbite, à savoir satellites et industrie correspondantes, station sol de poursuite et télécommande, calculs de trajectoire, définition et gestion des applications, c’est-à-dire rapports avec les communautés d’utilisateurs, tout cela devait constituer le domaine du CNES…le succès vint de l’amalgame entre deux catégories de jeunes gens, des scientifiques d’une part, habitués des méthodes américaines , et des militaires de l’autre, forts de leur expérience sur les champs de tir. …l’objectif était d’émuler les soviétiques et les américains en créant une Agence souple, ouverte, appuyée sur la recherche et l’industrie dans un esprit de coopération et fixant ses objectifs et ses méthodes avec un extrême pragmatisme…. fallait-il une agence nationale ? le CNES a toujours cru à la nécessité d’une composante nationale dans le fonctionnement politique de l’Europe. Quelle que soit la rapidité de son intégration, elle est et restera longtemps l’Europe des Nations et il faut un mécanisme pour promouvoir la créativité à travers cette nébuleuse….Son rôle (cnes) consiste à construire un programme et à veiller à son exécution…Le CNES ne se réserve que des activités nouvelles : il développe en son sein, puis les transfère à ses partenaires industriels….Ariane fut aussitôt après les tirs d’essais, confiée à une société de droit privé Arianespace…après les tirs réussis des premiers DIAMANT, la presse a donné à la France le titre de troisième puissance mondiale spatiale…. …trois modes d’actions s’offraient à la France pour mener les affaires spatiales : un mode national, un mode bilatéral, un mode multilatéral ou européen. Le CNES les a adoptés tous les trois…d’un côté des relations privilégiées avec les Etats-Unis au moyen de grands programmes comme FR1…..Topex en 1993 suivie de Jason en 2001…d’un autre, une multitude de projets en commun avec l’Union Soviétique… le plus connu du public, le premier lancement d’un spationaute européen…en Europe, le Royaume Uni, leader en 1960, a démissionné en

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 34 / 44 achetant le Polaris en 1963 et il ira jusqu’à refuser de participer au programme Ariane ; à sa place, c’est la France qui domine l’Europe spatiale… …Avec le recul du temps quel trophée peut-on dresser au CNES ? • Il a donné à l’Europe l’accès à l’espace avec Diamant B, la famille Ariane et surtout le Centre Spatial Guyanais, clé de l’indépendance spatiale. • Il a nourri l’industrie spatiale, de sorte que deux groupes européens basés en France comptent parmi les tous premiers dans le monde. • Il a conduit de grandes missions : les 5 Spot suivis de PLeiades, Topex suivi des Jason, Telecom suivi des Syracuse, les Hélios nécessaires à la Défense, et il a vigoureusement soutenu la communauté scientifique française….

Le CNES serait fidèle à son glorieux passé s’il suivait la formule de Goethe : Werden und Sterben « Devenir et mourir »

Légende : La Direction Scientifique et Technique du CNES à l’emplacement du futur centre spatial de Brétigny le 23 mars 1963 De gauche à droite : Jacques Blamont, Jean-Pierre Causse, Pierre Morel, Bernard Golonka, Jean Dinkespiller et Pierre Chiquet

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Extraits de la conclusion du Pr J.E. Blamont au colloque « les 50 ans du Centre Spatial Guyanais » organisé par la 3ACNES le 25 novembre 2014 (CNES-DLA Daumesnil).

======Nous avons effectivement fait de la France puis de l’Europe la troisième puissance spatiale ..... un statut qu’il faudra se battre pour continuer à le mériter. L’Europe spatiale brille par l’excellence : l’excellence de ses produits, de ses programmes, de ses découvertes, des services qu’elle fournit à ses citoyens. Elle n’existerait pas sans ses capacités de lancement, c’est-à-dire le système ARIANE et le CSG dont le soubassement est votre œuvre. Imaginons ce que serait l’Europe sans le CSG. Certes, elle pourrait, comme d’autres, acheter des lancements selon ses besoins mais outre les difficultés de ce processus assujetti aux caprices de la conjecture, l’Europe manquerait du système majeur de la puissance géopolitique.... Le CSG est d’abord une grande réussite technique de l’avis universel. Nous nous demandions au début si les difficultés ne seraient pas insurmontables. Nous débarquions sur un territoire sans industrie ni agriculture ni en fait population. Hostilité déclarée des élus, climat de mauvaise réputation, corrosion rapide à craindre pour tous les équipements, absence d'infrastructures routières ou portuaires. Vous avez su les uns après les autres franchir tous les obstacles comme s’ils étaient faciles à vaincre sans commettre de faute et sans dépasser vos budgets. Le CSG est aujourd'hui, grâce à vous, synonyme de perfection professionnelle sans luxe inutile...... Que nous réserve l'avenir, nous savons que ça ne sera pas un long fleuve tranquille mais un combat car deux menaces sont présentes : - Sa position de premier opérateur spatial commercial fait d’Arianespace une cible tant des puissances établies que des émergentes. Le programme doit s'accompagner d'une révision en profondeur de notre organisation et de toutes nos

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 36 / 44 pratiques. Trois ingénieurs et un laptop suffisent à lancer l’Epsilon japonais, un lanceur du niveau de Vega. il n'y a plus de compte à rebours ni de radar de poursuite. Chacun s’accorde à dire que la simplification s’impose. L’objectif est de faire plus en Guyane et de dépenser beaucoup moins. - L'autre évolution que tout acteur en Guyane doit considérer avec attention est la croissance démographique de 4 % par an qui a fait passer la population de 35000 en 1964 à 220000 aujourd'hui et l’amènera à 600000 en 2050. Or la population croit plus vite que la population active c'est-à-dire le nombre de chômeurs, d'assistés et de clandestins augmente rapidement. L’Espace qui représentait, vous avez entendu ces chiffres, 30 % du PIB guyanais en 1992, n’y entre aujourd'hui que pour 15 % et tend vers 5 % en 2050. Cette tendance traduit évidemment l'évolution démographique d'une population qui reste assistée a plus de 70 % si l'on inclut les 40 % de fonctionnaires. La situation actuelle est donc instable alors que seulement 38 % des classes d’âges scolarisées atteignent le baccalauréat ce qui est à comparer avec 70 % en métropole. Nous n'aimons pas voir des manifestants à l'entrée du CSG un jour de turbulence et ce ne sont ni la police ni la légion qui maintiendront la paix sociale. La paix sociale s’obtiendra par l'instruction en particulier l’enseignement supérieur que dispensera la nouvelle université à laquelle le CNES devra apporter un soutien renforcé afin qu’elle puisse engendrer une vague de création d’entreprises exploitant enfin le potentiel de la Guyane. Le CNES aurait pu se contenter de construire et gérer une base sans se préoccuper de ce qui l'entourait. Mais dès le début, sans que cela lui soit demandé, il a voulu transformer la Guyane en bâtissant une ville qui compte aujourd'hui 25000 habitants à partir d'un village de 400 personnes et en contribuant financièrement au développement du territoire bien au-delà des sommes consacrées à ses propres investissements et des salaires versés à son personnel. L'essor démographique en a été nourri. Nous avons donc une responsabilité dans la situation actuelle. Nous nous devons de l’assumer en participant fortement à l'éducation et la formation de la population, c'est notre devoir et notre intérêt. Rien n'est jamais acquis pour toujours même la splendide réussite du CSG. Nous devons tant en ce qui concerne la technologie spatiale que ce qui touche la population guyanaise, trouver des modes d’action nouveaux dignes de notre grand passé pour sauvegarder le futur. Merci

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Extrait de l’exposé introductif du Pr J.E. Blamont au colloque « les 50 ans des lancements des satellites FR1 et D1 » organisé par la 3ACNES le 17 février 2016.

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Le CNES, naquit le 1er mars 1962, 4 hommes le dirigeaient : le Président Pierre Auger, le Directeur Général le Général Robert Aubinière, le Directeur des relations extérieures Michel Bignier et moi-même Directeur scientifique et technique. Autour de moi je n'avais que 2 techniciens, Pierre Chiquet et Bernard Golonka. Le programme des satellites n'était pas défini, le CNES héritait du satellite FR1 déjà en route mais l'utilisation du Diamant n'avait pas été discutée. Quelle était la place du nouveau venu dans un paysage où personne ne connaissait rien à l'espace...... il m'a incombé de définir la posture et la stratégie du nouvel organisme qui furent fixés sur la ligne suivante : le domaine du CNES engloberait tout ce qui touche à l’orbite c’est-à-dire la définition des missions, la fabrication des satellites, le réseau de poursuite, les opérations orbitales, l’exploitation de données recueillies. Il exercerait aussi la tutelle de la communauté scientifique et d'industrie spatiale l'une et l'autre à créer. S’en déduisit une ligne d’action claire : Premièrement, le programme FR1 serait dévolu à l’acquisition de la technologie des satellites grâce à la formation de jeunes ingénieurs au Goddart Space Center de la NASA. Devant impérativement réussir à fournir des données scientifiques de bonne qualité, il utiliserait les meilleurs équipements disponibles donc possiblement américains. Deuxièmement le programme Diamant avait pour objectif le développement d'une filière spatiale française et donc les satellites que nous voulions placer sur Diamant et que nous appelions D et qui devaient impérativement ne comporter que du matériel français. Nos chefs s'inquiétaient de notre faiblesse et il a été un peu fâcheux que le Directeur Général ne m’ait pas fait confiance et que malgré mon opposition il a accepté en avril 62 de céder à la SEREB la maîtrise d'œuvre des satellites Diamant ce qui a amené l’échec du premier Astérix resté muet. Mais cette décision ne m'a pas empêché de construire les satellites D1 qui ont été placés sur les trois lanceurs Diamant suivant Astérix. Le Directeur Général n'était pas le seul à douter de nous, lorsque j'ai exposé à Brétigny au Président du CNES Jean Coulomb qui avait succédé en octobre 1962 à Auger parti diriger l’ESRO ce que je comptais faire pour accompagner la première mise en orbite : stations de poursuite, centre de calcul, orbitographie il me regarda éffaré et s'exclama « tout ça mais vous n'y arriverez pas » mais nous y sommes arrivés. Nous avons réuni une phalange de très jeunes et brillants ingénieurs qui ont appliqué avec énergie la doctrine de rigueur technique et intellectuelle qui a fait du CNES un organisme qui réussit

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 38 / 44 tout ce qu'il entreprend ...... FR1 a effectivement réalisé le transfert de technologie qui a fondé la qualité spatiale en France .... et les satellites D1 ont posé la première pierre d'une industrie spatiale nationale devenue avec le temps la deuxième du monde et en même temps crée une science la «géodésie spatiale». Ce sont ces satellites et surtout ceux qui les entouraient qui ont fait de la France ce que la presse appelait une troisième puissance spatiale. Car disposer d’un lanceur spatial n’est que la condition nécessaire mais non suffisante pour mériter le qualificatif de puissance spatiale comme le montre l'exemple du Royaume-Uni qui a bien mis en orbite dans les années1970 un satellite et qui n'est pourtant pas une puissance spatiale et l'exemple tout récent de la Corée du Nord ne fait qu’illustrer ce que je viens de dire. La Corée du Nord peut faire orbiter un satellite mais elle n'est pas une puissance spatiale; en plus du lanceur il faut disposer de tout le reste et le CNES a su acquérir le tout : une doctrine et une pratique qui s'apparente à ce que l'on appelle aujourd'hui à la Silicon Valley un Moonshot c'est-à-dire un projet ambitieux exploratoire et en rupture, entrepris sans savoir si on a une rentabilité ou un bénéfice à court terme et sans analyse complète des risques et des bénéfices potentiels...... c’est ce Moonshot là qui a fait de la France la 3ème puissance spatiale.

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Extraits du discours de clôture du Pr J.E. Blamont au colloque « Pré-Ariane – Témoignages de pionniers » organisé par la 3ACNES le 12 décembre 2018 (Salle de l’Espace - CNES-Siège). Ce colloque était centré sur la Naissance des activités spatiales en France et la célébration du premier lancement à Kourou d’une VERONIQUE 61M. ======« …. Les trois premiers tirs de la fusée VERONIQUE, jamais lancée auparavant, prirent place les 8, 9 et 11 mars 1959 à Hammaguir, avec deux réussites spectaculaires qui rendirent le nom de Véronique célèbre en France. Ce succès attira l’attention du Général de Gaulle après l’incroyable battage qu’en fit la presse. Il décida aussitôt après de développer seul les vecteurs de la force de frappe et créa dans ce but en septembre une société dédiée à cette mission, la SEREB… Pour accompagner les VERONIQUE, j’avais obtenu en 1958 la création par le CNRS du premier laboratoire spatial dans le pays, intitulé modestement le Service d’Aéronomie, qui allait devenir la matrice de l’espace Français. La mise sur pied de ce petit organisme me permit de proposer à la NASA l’expérience satellitale qui devait devenir FR-1 en novembre 1960.… Pierre Auger, un physicien célèbre pour la découverte de l’effet Auger en 1924, s’était reconverti à la promotion du spatial après avoir longtemps été Directeur scientifique de l’UNESCO. En 1960, il avait organisé la CPERS, un comité officieux qui s’occupa de créer l’Agence Spatiale Européenne, selon le modèle du CERN dont il avait été l’un des pères….à ce moment l’Espace est considéré universellement comme le domaine exclusif des Deux Grands, les Etats Unis et l’Union Soviétique….toujours est-il que le « bureau d’études » CNES fut décidé en même temps que le Diamant en Aout 1961 et qu’il prit naissance le1er mars avec Auger comme Président et Aubinière comme Directeur Général…Je n’acceptais absolument pas le concept de bureau d’études. Pour moi le CNES devait devenir une Agence sur le modèle de la NASA avec l’ambition de permettre à la France de jouer dans la grande aventure du siècle un rôle digne de son glorieux passé dans les sciences et les techniques ….je recrutais immédiatement trois hommes exceptionnels pour former l’état-major technique de la fameuse agence, les normaliens Jean-Pierre Causse, Pierre Morel et Bernard Lago…(ce qui) nous permis de recruter de jeunes ingénieurs sortant de leur école pour les envoyer aux Etats- Unis apprendre ce qu’est un satellite…… la Direction scientifique et technique (DST) du CNES fut organisée en six divisions. Elle atteignit en 1965 quatre cent ingénieurs et vingt-sept-mille mètre carrés de constructions permanentes… Dans le cours de 1962 fut forgée la philosophie du CNES telle qu’elle subsiste encore aujourd’hui….

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 40 / 44 Premièrement : l’objet de l’activité du CNES était de maitriser tous les aspects des techniques spatiales en agissant comme pionnier dans les domaines que personne ne connaissait et ensuite de transmettre les résultats et le know-how à des partenaires scientifiques et industriels … Deuxièmement : Excellence technique, ce que nous avons appelé la politique de la Cadillac en or…la création à Bretigny de moyens d’essais puissants et l’adoption d’une doctrine d’emploi ont permis le succès de toutes les entreprises du CNES…. Troisièmement : une participation spatiale selon trois axes : un axe national qui s’est traduit d’abord par Diamant, puis par des projets comme SPOT…. un axe bilatéral de coopération avec les grandes puissances…enfin un axe européen avec la participation à tous les grands programmes de l’ESRO, de l’ELDO. En 1964, sur notre proposition et à la suite d’une habile manœuvre d’Aubinière, le premier Ministre Pompidou décida la construction du champ de tir de Guyane et l’attribution de sa responsabilité au CNES. Sans doute la décision fut-elle emportée par l’existence du programme DIAMANT ; puisqu’on avait un lanceur, il fallait bien un endroit d’où le lancer, depuis notre départ de l’Algérie ….. Le premier lancement DIAMANT a eu lieu à Kourou le 10 mars 1970 avec succès…. ça y est, le CNES est devenu une Agence et cette fois la France est bien la troisième puissance spatiale » Sic itur ad « c’est ainsi qu’on s’élève vers les étoiles »

L’intégralité du texte se trouve dans les actes publiés par la 3ACNES. Contact : [email protected]

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 41 / 44 Bibliographie du Professeur Jacques Emile Blamont

1987 Vénus dévoilée Ed Odile Jacob 1993 Le Chiffre et le Songe Ed Odile Jacob

2000 Le Lion et le moucheron Ed Odile Jacob 2001 Réalisme et vision, une Université en Guyane Française (avec Henri-Claude Dédé) Ed CG de Guyane 2004 Introduction au siècle des menaces Ed Odile Jacob 2009 Lève-toi et marche (avec Jacques Arnould) Ed Odile Jacob 2012 L’action sœur du rêve (souvenirs de voyage) Ed e/dite 2018 Réseaux Ed CNRS 2020 Mémoire d’un aspirateur (avec Jean-François Clervoy) Ed LGM

Sociétés savantes

1969 Membre de l’International Academy of Astronautics 1978 Membre étranger de l'Académie des sciences de l'Inde 1979 Membre de l’Académie des Sciences de France 1980 Associé étranger de la National Academy of Sciences (États-Unis) 1983 Membre de l'Académie de l'air et de l'espace 1989 Membre de l'Academia Europaea 2000 Membre fondateur de l’Académie des technologies 2002 Membre international de l’American Philosophical Society

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 42 / 44 Distinctions – Prix

1957 H. Rovel de la Faculté des sciences de Paris

1960 Prix Aimé Cotton de la Société française de physique

1960 Prix Léon Grelaud de l’Académie des sciences

1967 Médaille de vermeil du CNES

1967 Prix Paul Doisteau - Émile Blutet de l’Académie des sciences

1967 Médaille d'argent du Président de la République

1967 Daniel and Florence Guggenheim Award de l’International Academy of Astronautics

1972 NASA Exceptional Scientific Achievement Medal

1985 Médaille Gagarine de l'Académie des sciences de l'URSS

1986 Médaille Guggenheim de l’International Academy of Astronautics

1989 Ordre soviétique de l'amitié des peuples

1989 Von Karman Award de l’International Academy of Astronautics

1994 Vikram Sarabhai Medal de l’Indian Space Research Organization

1995 Médaille d’or du Centre spatial guyanais

1997 George N. Goddard Award de l’International Society for Optical Engineering

2000 NASA Distinguished Service Medal

2004 COSPAR Space Science Award

2011 Grand Croix de l'Ordre national du mérite

2015 Palma Shri – Inde

2016 Grand officier de la Légion d'honneur

Commandeur des palmes académiques

Mai 2020 Association Amicale des Anciens du CNES 43 / 44 B I G

Bulletin d’Informations Générales Numéro Spécial De l’Association Amicale des Anciens du CNES 18, avenue Edouard Belin 31401 TOULOUSE Cedex

Téléphone : 05 61 27 48 19 Fax : 05 61 18 18 26 Site : www.3acnes.org Contact : [email protected]

Directeur de Publication : Maurice Desloire Responsable d’édition : Michel Le Goarant

Ont participé à la réalisation de ce numéro : Frédéric d’Allest, Jacques Arnould, Yves Beguin, Jacques Bertholle, Gérard Brachet, Anny Cazenave, Maurice Desloire, Vincent Dubourg, Geneviève Gargir, Anne-Marie Laborde, Jean-Yves Le Gall, Michel Le Goarant, Catherine Lambert, Michel Mignot, Alain Ragot

Communiqués et articles de presse repris dans ce numéro : Service de Presse CNES (Pascale Bresson, Raphaël Sart) Conseil Général de Guyane (Rodolphe Alexandre) Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (Frédérique Vidal) Académie des Sciences Air&Cosmos (Pierre-François Mouriaux et Philippe Varnoteaux) Le Monde (Jean-François Augereau)

Crédit photos : Photothèque CNES, Michel Le Goarant, Michel Mignot, Air&Cosmos Impression : Service Edition Pôle Multimédia CNES-Toulouse

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