l’Europe avec ou sans frontières

au racines de l’europe : civis romanus sum

n Jean-Yves Boriaud n

« Le mot “frontière” est un mot borgne ; l’homme a deux yeux pour voir le monde. » Paul Eluard

ous autres, Gaulois, savons ce que nous devons à nos coloni- sateurs romains : notre langue, notre organisation territoriale, Nnotre droit, et ce sens suraigu de la démocratie, dût-elle (chez nous tous les cinq ans) s’incarner dans un chef, comme le disait un connaisseur, le prince Louis-Napoléon Bonaparte. Lorsque, dans les années 1789, nous nous redécouvrîmes ce goût pour les saines et vivifiantes joies de la politique, il fut d’ailleurs de bon ton ­d’aller rechercher des modèles parmi les plus nobles figures de notre civili- sation de référence, la civilisation romaine, tels le républicain Brutus ou les premiers des partageux, les Gracques. Les plus méridionaux d’entre nous, les futurs Provençaux, avaient été colonisés sans trop de casse (deux campagnes) autour des années cent vingt avant Jésus- Christ. Ensuite, ce fut un peu plus long et un peu plus « rugueux » ; un politicien ambitieux, noble mais désargenté – Caius Julius Caesar – jeta en effet son dévolu, pour se refaire, sur ce territoire immense

92 l’europe avec ou sans frontières Aux racines de l’Europe : Civis romanus sum et potentiellement riche. L’entreprise était gigantesque mais il y mit les moyens : on parla, du côté gaulois, d’un million (Plutarque), ou d’un million deux cent mille morts, cependant qu’un million de nos ancêtres étaient réduits en esclavage. Même pour les Romains, c’était beaucoup, et Pline l’Ancien, pourtant militaire de carrière (il était ami- ral de la flotte de Misène), s’en émeut encore un siècle plus tard. Le « peuple » à Rome décréta certes des supplicationes (actions de grâce), à l’annonce de chacun des succès sanglants de César, mais il s’y trouva quand même un opposant (Caton d’Utique) pour propo- ser de livrer ledit César aux Germains, en raison de son manque de loyauté (c’était un euphémisme) dans la conduite de la guerre. Il ne fut pas suivi… Et c’est le récit de ce massacre soigneusement planifié qu’on appelle pudiquement la guerre des Gaules, que, peu rancu- niers, nos bons maîtres du siècle dernier, quand l’enseignement du latin se démocratisa, mirent au programme des classes de quatrième ; des générations sans nombre apprirent donc en version originale, de la plume même du colonisateur, le récit de leurs infortunes (Gallia est omnis divisa in partes tres…) Infortunes ? Les Romains nous pardonnèrent très tôt Gergovie, et surtout le terror gallicus que nous leur inspirions depuis nos incur- sions réussies à Rome ou dans les environs (Ah ! sans les oies du Capitole…), et s’employèrent très vite à quadriller « notre » territoire avec des voies en dur que nous ne savions pas construire aupara- vant, nous donnèrent de véritables capitales régionales, nous ­dotèrent d’une langue de communication simple (mais si ! mais si !) et claire, réduisant définitivement nos parlers locaux à l’état de patois, et nous amenèrent à renoncer aux sacrifices humains auxquels nous avaient habitués nos druides. Avec Auguste, on nous confirma que nous habi- tions dans telle ou telle de nos quatre belles provinces, Lyonnaise, Aquitaine, Belgique et Narbonnaise. Les Romains ne s’arrêtèrent pas là : ils franchirent le channel et poussèrent de profondes incursions dans l’île de Bretagne. Ce pays, on le sait, est compliqué à envahir, et ce fut beaucoup plus long. Il fallut s’y reprendre à plusieurs fois : l’em- pereur Claude y envoya quarante mille hommes, et Agricola, dans les années quatre-vingt, poussa la conquête à son maximum, en pénétrant au sud de la Calédonie (l’Écosse). L’héroïsme ne manqua pas, comme en témoigne à Londres, près du pont de Westminster, le groupe de bronze de Thomas Thornycroft représentant la reine Boudicca, la

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« Vercingétorix anglaise » (Jean-Louis Voisin), révoltée malheureuse en 61. Mais avec ce genre de régions, on touchait – concrètement – à un des fondamentaux de la pensée politique latine, l’idée de frontière ou de limite, comme en témoigna Agricola au retour de son expédition : « Il n’y a plus de peuple au-delà, rien que des flots et des rochers. » On était au nord du Nord, et là s’arrêtait, aux yeux des Romains, la civilisation, l’humanitas.

Penser, religieusement, la limite

Pour ces Romains, la notion de frontière extérieure n’avait pour- tant rien d’évident. Très tôt on leur avait dit qu’ils avaient vocation à gouverner le monde entier. « On » c’est-à-dire Jupiter, le plus puissant des dieux : « Je n’assigne de bornes à leur puissance ni dans l’espace ni dans le temps : je leur ai donné un empire sans limites », annonce- t-il à Vénus au livre premier de l’Énéide. Le monde était donc un cercle (orbis terrarum), avec Rome pour centre et capitale (caput mundi). Ce centre, les Romains en avaient d’ailleurs quotidiennement sous les yeux la matérialisation concrète, avec le « milliaire d’or », une borne, au pied du Capitole, sorte de kilomètre zéro d’où partaient, tous azimuts, les principales voies de l’empire. Mais cette ambition territoriale absolue, affichée et revendiquée, était curieusement insé- parable d’une autre idée, celle de frontières (fines). Ces frontières, à l’intérieur même de ce qui devint, au Ier siècle, l’« empire », étaient d’abord topographico-religieuses. Paradoxalement en effet, l’histoire de cette ville, qui ne se connaissait aucune limite territoriale, est par- semée d’histoires de frontières, et surtout de frontières violées, depuis Rémus tué par son frère pour avoir franchi le sillon primordial (sulcus primigenius) qu’il avait tracé autour de la future Rome, jusqu’à César franchissant le Rubicon pour entrer, avec son armée et contre toutes les lois, sur un territoire administré par le Sénat. Transgresser pareils tabous n’était pas rien : Rémus le paya de sa vie, et César, peu reli- gieux mais bien conscient de vivre dans un monde qui l’était, crut nécessaire de théâtraliser ce franchissement, en faisant rechercher un Gaulois d’allure vaguement divine qui, surgi de nulle part, franchit tout à coup la rivière, entraînant derrière lui les troupes persuadées d’assister à un miracle.

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Des frontières, les Romains s’en imposaient en effet à eux- mêmes, dans la vie courante. La toute première était immédiate : c’était celle du pomerium, au centre même de la ville. Le sens du mot est controversé, mais la réalité de son référent bien établie : il s’agit des limites de l’espace sacré, cœur absolu de la latinité, où les armées ne pouvaient pénétrer en armes, et jamais en tout cas sans s’être purifiées des effluves néfastes dont elles s’étaient chargées pendant leurs campagnes guerrières. Même chose quand il s’agis- sait, pour l’armée, de quitter Rome, ce qui ne pouvait se faire sans que le général en chef, le consul, ne prît les auspices, au sortir de ce pomerium, puis de l’ager romanus, de l’ager publicus, pour en arriver au théâtre des opérations, l’ager hostilis. À chacune de ces frontières, on changeait ce statut augural, et le général devait, à la tête de ses troupes, s’assurer, par cette cérémonie des auspices, du bon vouloir des dieux, dans l’espace qu’il allait investir.

Des limites bien réelles

À chaque conquête, les Romains se lançaient, tout à fait logi- quement, dans une « romanisation » de leur nouveau territoire. En fait, il s’agissait surtout pour eux de « provincialiser » le territoire en question, en y imposant un cadre politique prédéterminé, celui de la province, « un territoire, selon Patrick Le Roux, placé sous le contrôle d’une autorité munie de pouvoirs judiciaires, financiers et militaires », cette autorité résidant en un lieu précis, identifiable comme le chef-lieu de la province en question. Ce faisant, les Romains avaient clairement le sentiment de faire entrer les popula- tions nouvellement soumises dans l’humanitas, et leur laissaient le temps de se couler peu à peu dans le moule institutionnel et culturel que représentait une romanité dont le ciment fut, après Auguste, le culte (civique) de l’empereur, sans pourtant les obliger à abdiquer l’essentiel de leur identité régionale. Mais, si l’on s’en tient à ce qui deviendrait notre Europe de l’Ouest, l’idée de limite s’imposa aux Romains à travers deux drames, deux défaites qui bornèrent durablement leur imaginaire : celles de Carrhes et de Teutoburg. La première, en 53 avant notre ère, vit les onze légions de Crassus écrasées, en Anatolie du Sud-Est, par les

95 l’europe avec ou sans frontières Aux racines de l’Europe : Civis romanus sum insaisissables Parthes (Perses) de Suréna. Cela signifia vingt mille tués du côté romain, et dix mille soldats réduits en esclavage. La seconde fut le cauchemar, au sens propre, de l’empereur Auguste. En l’an 9, le gouverneur de la province de Germanie, Varus, fut trahi en rase campagne par son second, Arminius, un Germain que l’on avait trop vite cru romanisé. Ce fut un massacre : vingt mille légionnaires périrent pendant les trois jours de la bataille et Suétone nous décrit un Auguste en pleurs, s’effondrant à l’annonce du désastre et vociférant dans les couloirs du palais (« Varus, rends- moi mes légions ! »). On récupéra certes les enseignes d’or perdues à Teutoburg mais le mal était fait : il y avait, vers l’est et le nord-est, des irréductibles, au plein sens du terme, c’est-à-dire des gens à qui on n’arriverait jamais à faire comprendre que se soumettre à Rome, c’était aller dans le sens de l’histoire. Ces gens-là persistaient dans leurs modèles pré-civilisationnels, sans capitale ni structure politique fixes. Germains et Parthes étaient définitivement des barbares, avec qui on n’aurait jamais que des relations armées. Pour Rome, il y avait toujours eu, en effet, ennemis et ennemis. Avec , au moins, on savait où on allait : c’était une cité-État et une fois cette cité détruite, on n’aurait plus de problèmes. C’est d’ailleurs ce qui arriva, et quand Carthage fut rasée (en 146 av. J.-C.), ses habitants massacrés et ses terres salées, on eut la paix. Avec les Germains (si proches de l’océan, limite absolue des territoires habitables !) et les Parthes, c’était différent : vous aviez beau les battre, comme il n’y avait pas chez eux de cœur – repérable – du pouvoir, rien n’était jamais définitif. Mieux valait, avec de tels voisins, marquer les limites de la civilisation par quelque chose de tangible : ce fut le , interminable muraille, depuis les 117 km du mur d’Hadrien, sur l’île de Bretagne, jusqu’au limes tripolitanus, dans l’actuelle Libye, en passant par les fortifications du Rhin et du Danube. Il ne s’agissait cependant pas, pour les Romains, de clore hermétiquement un ter- ritoire, en repoussant et excluant toute population étrangère, mais bien plutôt de signifier, par un dispositif imposant, la toute-puis- sance de Rome. Plus qu’une limite, c’était plutôt une frange-fron- tière, poreuse, qui n’empêchait en rien les échanges économiques. Bien loin des frontières négociées entre États que connaît l’époque moderne, le limes imposait unilatéralement son tracé à des peuples potentiellement hostiles. Il suffit, pour s’en convaincre, de consi-

96 l’europe avec ou sans frontières Aux racines de l’Europe : Civis romanus sum dérer le luxe et la munificence ostentatoires de la libyenne , embellie par l’un de ses enfants parvenu à l’empire, Septime Sévère, et dont l’intimidante silhouette avait vocation à protéger les routes caravanières en direction du pays des mythiques .

Civis romanus sum

À l’intérieur de ce territoire ainsi défini existaient des popula- tions aux statuts juridiques fort différents les uns des autres, depuis l’esclave, sans droits légaux (res nullius), jusqu’à l’élite juridique, celle des citoyens romains. Le titre n’avait rien d’anodin. Être citoyen, c’était avoir le droit de se marier officiellement ius( connubii), d’acheter ou de vendre (ius commercii), d’intenter des procès (ius legis actionis), et de faire appel, devant le peuple, d’un jugement (ius provocatio- nis), mais c’était d’abord une garantie contre l’arbitraire : l’un des plus grands ennemis de Cicéron, Verrès, en fit l’expérience. Il avait osé faire crucifier, dans la Sicile où il était gouverneur, un citoyen romain, châtiment infamant s’il en fut. Cicéron, grand artiste de la parole, montre en un tableau d’une belle force pathétique la malheureuse victime, digne jusqu’en son dernier moment de son titre envié :

« Juges ! En plein forum de Messine, un citoyen romain était battu de verges ! De sa bouche, au milieu de tant de douleurs, au milieu de cette pluie de coups, il ne vint aucun gémissement, et l’on n’entendait que cette seule parole : “Je suis citoyen romain.” Par ce simple rappel de sa citoyenneté, il croyait échapper aux coups et aux tourments. Rien n’y fit ! Mais il eut beau se réclamer encore et encore de ce titre, c’est une croix, oui ! une croix que l’on prépara pour ce malheureux supplicié, qui n’avait jamais vu d’exemple d’un pareil abus de pouvoir ! »

Exemple plus célèbre encore, celui de Cneius Pompeius Paullus ou Paul de Tarse, citoyen romain qui exigea d’être jugé à Rome, ce à quoi il avait droit, et d’y être décapité, et non crucifié, ce qui, on le sait, fut le lot de Pierre, exécuté à la même époque, mais qui ne bénéficiait pas des privilèges de la citoyenneté. Être citoyen, c’était sans doute un « métier », comme le disait Claude Nicolet, mais c’était d’abord, en effet, un privilège. Ce fut donc, quand on n’était pas citoyen de droit, une récompense accor-

97 l’europe avec ou sans frontières Aux racines de l’Europe : Civis romanus sum dée pour des mérites sérieux : à partir de Claude, on la concéda ainsi aux recrues auxiliaires qui avaient effectué leurs vingt-cinq années de service. Mais la grande affaire avait eu lieu dans les années quatre-vingt-dix quand les alliés de Rome (socii), qui avaient largement aidé – militairement – à l’expansion de Rome, se virent refuser par le Sénat le droit de citoyenneté romaine : ils firent, pour une bonne partie d’entre eux, sécession, puis passèrent à l’offen- sive : ce fut la guerre sociale. Rome leva une armée de cent mille hommes et finit par l’emporter. Mais elle avait compris la leçon, et le Sénat dut accorder la citoyenneté à tous les hommes libres vivant au sud du Pô. En 49, ce fut au tour des habitants de la Gaule cisalpine. Le processus était enclenché, et il se termina en 212 après Jésus- Christ, quand l’empereur Caracalla accorda la citoyenneté à tous les hommes libres de l’empire. Si bien qu’au début du IIIe siècle, on a affaire sinon à un empire égalitaire (le terme n’a pas de sens à l’époque), du moins à un énorme bloc politique dont une partie non négligeable de la population possède des droits qui la mettent à l’abri de l’arbitraire juridique et politique.

Perspectives : Rome et la modernité des valeurs européennes

Ce bloc, un temps fédéré autour de la personne de l’empe- reur, allait se déliter rapidement, ce qui déboucha sur un repli de la romanité à l’intérieur des limites de notre future Europe de l’Ouest, après la rupture déchirante entre deux mondes, l’empire occidental et l’empire d’Orient, l’un parlant et pensant latin, et l’autre grec, l’un obéissant au successeur de Pierre et l’autre persuadé d’incarner l’« orthodoxie » chrétienne. En « Occident » surgirent peu à peu, à partir des linéaments des provinces latines (bientôt regroupées, ou divisées, en diocèses), ce que l’on appelle, non sans condescen- dance, des royaumes barbares, embryons de ces nations médié- vales appelées à se construire selon le modèle inscrit par Rome dans leur culture, modèle centralisé autour d’une capitale admi­ nistrative, politique, économique et, le plus souvent, spirituelle. Les sociétés s’y organisèrent certes autour de structures solides, des hiérarchies féodales et urbaines fondées sur une relecture origi-

98 l’europe avec ou sans frontières Aux racines de l’Europe : Civis romanus sum nale des territoires, qui engendrèrent un renouvellement complet de l’idée de frontières. Mais, la langue elle-même fût-elle large- ment altérée, la latinité n’était pas morte, et pendant tout ce Moyen Âge, l’on ne cessa (les aspirations constantes à la recréation d’un empire romain, saint, germanique, ou autre, le prouvent assez) de penser le monde selon des catégories issues de l’héritage romain. Il est de coutume de considérer que la réalité européenne naquit au XIIIe siècle, à travers notamment le réseau « international » des universités, de Salamanque à Cracovie, l’unification des savoirs (le trivium, le quadrivium…) que l’on y transmettait, l’ouverture de l’Occident au culte marial et la généralisation, sur ces territoires, de l’art gothique, ensemble de processus qui aboutit à l’idée d’une monde chrétien occidental culturellement – sinon politiquement – unifié. Tandis que la prise de conscience d’une identité euro- péenne, culturelle et géographique, correspondrait, globalement, à ce que nous appelons la Renaissance, renovatio qui affecta peu ou prou tous les pays du « vieux monde » : c’est dans ce sens qu’il faudrait interpréter des textes aussi célèbres que la fameuse lettre où le pape Pie II Piccolomini définit à Mehmet le Conquérant l’ori- ginalité des diverses nations « européennes », l’idée d’Europe se précisant et s’affinant par ailleurs dans son rapport aux mondes nouveaux, découverts ou atteints tout au long du XVe siècle. Tout cela est difficilement contestable (même si la Réforme, phénomène lui aussi renaissant, cassa pour un temps l’unité de cette belle idée), mais pourquoi ne pas aller plus loin encore et chercher les racines – morales – de l’Europe d’aujourd’hui dans la redécouverte, au XIIe siècle, du dernier code juridique romain, celui de l’empereur (byzantin) Justinien ? Cette compilation du début du VIe siècle, aboutissement de toute la réflexion romaine en matière civile, affir- mait les droits de l’individu, face – entre autres – à l’arbitraire fami- lial, en modérant les droits du père sur les enfants ou en donnant aux enfants illégitimes accès à une partie de la succession. Ce code, dépoussiéré et adapté aux exigences « modernes », lu et a­bon­ damment commenté tout particulièrement en Italie et en France, fut à l’origine de la renaissance du droit civil et posa les jalons de ce qui deviendrait bien plus tard les droits du citoyen, dans une Europe qui saurait dépasser ses propres limites pour imposer au monde une série de valeurs surgies de sa lointaine histoire.

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C’est en effet à partir de tels cadres juridiques qu’allait se dessiner en plusieurs temps l’idée du droit, pour tout individu, à l’autonomie intellectuelle et civique. Une idée qui, dans les pays leaders en matière de renaissance européenne, se renforça par des lectures – sélectives – des historiens latins (Tite-Live puis Tacite) où l’on apprit vite à puiser des paradigmes en matière de conquête – et de maintien – des libertés. Malgré les soubresauts de l’Histoire, les tentations absolutistes et les prétentions à l’hégémonie religieuse, cette idée, devenue autonome, allait faire son chemin, au travers de deux siècles agités, jusqu’aux Lumières qui en affirmeraient l’univer- salité, définissant ainsi pour longtemps les contours d’une commu- nauté européenne éclairée, se reconnaissant dans les valeurs d’une humanitas à laquelle, en bonne logique, il est demandé aujourd’hui à tout nouvel impétrant d’adhérer.

n Jean-Yves Boriaud est professeur de littérature latine à l’université de Nantes.

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