André Larquié président Brigitte Marger directeur général manifeste pour un paradoxe

« Musique populaire » est l’expression par excellence du Brésil. Parfois le football nous exprime également. Dans le football, nous montrons notre manière d’être, ce qui est différent. Le cinéma de Glauber Rocha fut le point de départ de quelque chose que la grande littérature de Machado de Assis et de Guimarães Rosa et la grande poésie de Carlos Drummond de Andrade cachent dans la brume de la langue portugaise : tout ce qui émerge de l’architecture sans mots de Niemeyer, dans les repères isolés que Brasilia n’a pas encore unifiés en une structure de monde nouveau ; tout ce que l’on entend dans la musique de Villa-Lobos qui insiste pour sembler chanter seule. La musique populaire — João Gilberto, Tom Jobim, … — vit notre expressivité. Vit : expérimente la conti- nuité, se donne naturellement au combat pour la préservation.

La musique populaire s’est appropriée le Brésil. Ce qui n’est pas nécessaire- ment bon. J’appartiens à un groupe de musiciens qui, dans les années soixante, a essayé de faire de son travail un regard critique sur ce pouvoir. Au fond, le rêve était de développer ce pouvoir à partir de ce qu’il avait de potentiellement bon. Les résultats furent riches et problématiques : le pouvoir de la musique populaire a grandi, mais ce n’a pas toujours été suivi d’une prise de conscience de la res- ponsabilité que cela engageait. Non que nous dussions faire de la musique popu- laire de manière circonspecte. Au contraire : l’irresponsabilité s’est souvent retrouvée du côté des prudents, alors que les joyeux ingénus et les voyous vénaux le plus souvent ont produit un travail responsable.

Le combat continue. C’est pourquoi je suis là, avec Lenine — qui en même temps qu’il donne une continuité à l’apprivoisement de notre grand talent, révèle son haut niveau d’élaboration dans l’éventail des intérêts esthétiques des nouveaux créateurs de musique populaire au Brésil — et également avec — qui, parallèlement à la création d’une poésie magnifique et créative, aux côtés de et de Décio Pignatari (inventeurs de la poésie concrète brésilienne), exerce un militantisme critique qui exige une avancée cou- rageuse dans le domaine de la culture savante. Son mouvement d’avant-garde fut inspiré par la musique de Webern et stimulé par celles de Boulez et Stockhausen ; aujourd’hui, avec son fils Cid, il montre la version sonore de poèmes conçus comme objets visuels.

Lenine, lui, possède la musicalité spontanée d’un Djavan et navigue avec aisance dans les nouveaux procédés de la techno et du hip-hop qui attirent sa génération, et les plus jeunes aussi. Il parle également avec naturel le langage des nouveaux groupes de percussions de son Pernambouc natal (eux-mêmes intéressés par la techno, le hip-hop tout comme par les rythmes traditionnels du carnaval de Pernambouc, suivant en cela les traces des groupes de percussions du carna- val de rue de Bahia).

Entre les deux, je me situe en toute légitimité ou du moins je dis clairement quelque chose de l’environnement dans lequel je vis et j’agis. Je veux montrer au monde la force de la musique populaire brésilienne et tout en voulant faire croître cette force, je veux en délivrer le Brésil. Un paradoxe ? Sans lui nous n’avance- rions pas.

Caetano Veloso traduction Dominique Dreyfus vendredi 14 carte blanche et samedi 15 mai - 20h à dimanche 16 mai - 16h30 salle des concerts concert Caetano Veloso, introduction

première partie Lenine et ses musiciens

Lenine/Bráulio Tavares O Marco Marclano

Lenine Jack Soul

Lenine/Dudu Falcão Distantes demais

Lenine/Bráulio Tavares Miragem do Porto

Lenine/Bráulio Tavares O Dia Em Que Faremos Contato

Lenine/Paulo César Pinheiro Candeeiro Encantado

Lenine, chant, guitare Marcos Lobo, percussions Carlos Malta, saxophone, flûte deuxième partie Augusto de Campos Poesia é risco

Augusto de Campos (poésie) Cid Campos (musique) Poesia é risco (Poésie est risque) Bestiário (Bestiaire) Lygia fingers Tensão (Tension) Caracol (Limaçon) Tvgrama (Télégramme) (Tombeau de Mallarmé) SOS Cocheiro bêbado (Cocher ivre) (Rimbaud) Poema bomba (Poème bombe) Cidade city cité

Augusto de Campos, récitant Cid Campos, guitare, guitare basse Walter Silveira, direction et vidéoédition

troisième partie Caetano Veloso et ses musiciens

Caetano Veloso Terra Trilhos Urbanos Coração vagabundo #Razzano/Carlos Gardel/Esteban Celedonio Flores Mano a mano

Caetano Veloso O Ciúme Livros

Charles Aznavour Tu te laisses aller

Caetano Veloso/ Augusto de Campos Pulsar

Caetano Veloso Você é Linda

Caetano Veloso/ Haiti

Henri Salvador/Maurice Pon Dans mon île

Rafael Hernandez Lamento boricano

Caetano Veloso O estrangeiro

Caetano Veloso, chant, composition Jacques Morelembaum, violoncelle Alberto Continentino, contrebasse Luiz Brasil, guitare Ronaldo Silva, percussions

durée du spectacle : 2 heures avec le soutien de Varig Brazil et de RFO musiques du Brésil

Lenine : la révolution Le succès mondial du samba et de la de dans la tradition Rio, puis du Tropicalisme de Bahia, a longtemps éclipsé un héritage musical tout aussi riche : celui du Sertao, le territoire austère du Nordeste. C’est là que les repentistas perpétuent des joutes oratoires et musicales très proches de celles des baladins du Moyen-Age, qui ont perduré au Portugal jusqu’à la période coloniale... D’ailleurs, dans la musique de Lenine - natif de Recife - il y a aussi l’infinie richesse des polyrythmies locales (frevo, forro, maracatu) en partie d’origine yoruba - la principale ethnie du Nigeria, dont les tam- bours sont omniprésents dans les carnavals de la côte brésilienne. Rejeton indiscipliné des grands maîtres nordestins de la génération précédente ( et son fils Gonzaguinho, Alceu Valença, Fagner, Geraldo Azevedo), Lenine s’en distingue par une boulimie esthétique et technologique digne de cette « anthropophagie » pacifique qui fit la gloire des Tropicalistes. En ce sens, il n’est pas seulement l’in- vité, mais aussi l’héritier de Caetano Veloso.

Augusto de Campos, Le « Tropicalisme » - qui se définit comme « un son libre un frère en poésie et universel » - est né de la rencontre à São Paulo, au milieu des années soixante, de Caetano Veloso et Gilberto Gil avec deux frères poètes qui étaient leurs aînés : Augusto et Haroldo de Campos, co-fondateurs en 1952 de la revue Noigrandes, œuvraient pour l’ac- climatation au Brésil de la « poésie concrète ». Ce concept apparu en Allemagne et en Suisse dans l’im- médiat Après-Guerre, puis théorisé en France par les Lettristes, attribue au poème une valeur indépendante du discours, mettant l’accent sur les sons des syllabes, le graphisme et les couleurs des lettres. On peut en déceler les prémices dans les calligrammes d’Apollinaire, puis les recherches dadaïstes et futuristes. La poesia concreta brasileira fait la synthèse entre toutes ces expériences européennes et celle du modernismo brésilien incarné dans les années vingt et trente par le poète Oswald de Andrade (inventeur

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du concept « anthropophagique ») mais aussi par le compositeur H. Villa-Lobos. Car elle est avant tout d’essence musicale : dans son manifeste de 1956, Augusto de Campos la décrit comme « tension entre l’objet-mot et l’espace-temps » et il se réfère explicitement aux œuvres vocales de la Seconde École de Vienne : son modèle est la Klangfarbenmelodie d’Anton Webern qui attribue un timbre, une identité spécifique à chaque note... Poète fécond, esprit encyclopédique, traducteur de l’intraduisible (Mallarmé, Joyce, Pound, Maïakovsky ou le troubadour Arnaut Daniel), Augusto de Campos est aussi célèbre comme critique musical. Il est l’au- teur d’essais sur Ives, Varèse et Nono, et aussi d’un recueil magistral sur la musique populaire brésilienne des années 60 : Balanço da Bossa. Passionné par les nouvelles technologies, il « compose » désormais ses poèmes sous forme d’hologrammes, de pro- grammes informatiques ou de projections laser... C’est le même homme qui a suivi Caetano Veloso depuis ses tout débuts, écrit pour lui (ainsi que son frère) plusieurs chansons et réalisé avec lui (juste avant le fameux « Sign of the Times » de Prince) le premier « poème clip » (« Pulsar », 1984)...

Gérald Arnaud

Augusto de Campos Poésie est risque est une présentation multimédia, Poesia é risco ou intermédia, qui réunit poésie, musique et image. (Poésie est risque) Avec la coopération du musicien et compositeur Cid Campos, mon fils, et de Walter Silveira, qui se charge de l’édition des vidéos et diapositives, je cherche à réaliser une présentation verbivocovisuelle (expres- sion de James Joyce). C’est une idée entretenue par la poésie brésilienne, il y a plus de quarante ans. Notre présentation se fonde sur le répertoire du CD Poésie est risque (Polygram, 1995), que j’ai produit avec Cid Campos et qui documente quarante ans de mon expérience poétique. Le spectacle original a une durée d’environ une heure. Pour l’intervention

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dans le concert de Caetano, nous ferons une version réduite, mais une version bilingue, spécialement conçue pour le public français, avec les brefs hom- mages à Mallarmé et à Rimbaud. Les poèmes, en leur majorité, sont des exemples de la poésie concrète, qui a été officiellement introduite au Brésil, en 1956, au Musée d’Art Moderne de São Paulo, par Décio Pignatari, Haroldo de Campos et moi-même, et qui ensuite s’est répandue à travers le monde, comme un mouvement littéraire interna- tional. La poésie concrète met en relief la matérialité du mot, sa visualité, sa sonorité, sans exclure toute- fois la dimension sémantique. Nous avons pris comme seuil de nos recherches pour un nouveau langage le poème Un coup de dés de Mallarmé, écrit il y a cent ans, mais qui, aux années cinquante, était oublié, comme bloqué par le surréalisme en vogue, et consi- déré comme un formidable échec littéraire par la cri- tique de l’époque. A partir d’une réflexion sur les conséquences des propositions de ce poème, et aussi de la poétique radicale d’Ezra Pound, Joyce, Cummings, Oswald de Andrade, de la musique de Webern, Boulez, Stockhausen, John Cage, de l’œuvre plastique de Mondrian, Malevitch, Calder, la poésie concrète a proposé des nouvelles structures gra- phiques et spatiales pour le poème, des nouveaux supports hors de la page, et des nouvelles articulations sonores pour sa présentation. Avec le recours à des techniques électroacoustiques comme les samplers et sequencers qui favorisent la déconstruction du mot, sa fragmentation et la super- position des voix, associées à l’animation digitale des mots et des images, on a pu arriver à des produits, qui, pour ainsi dire, provoquent tous les sens et tâchent de répondre au défi des nouveaux moyens de communication et d’information dans l’ère technolo- gique, en essayant de les humaniser avec la force et la pureté de la poésie. Dans le spectacle nous présentons des poèmes de la phase historique des années cinquante, comme

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Tension, et des poèmes plus récents comme Cidade city cité (un mot-poème trilingue, portugais, anglais, français, de cent cinquante lettres), et aussi Poème bombe et SOS, qui utilise des techniques complexes d’élaboration : il s’agit d’animations digitales réali- sées par ordinateur, produites dans une super-sta- tion Silicon-Graphics, à l’Université de São Paulo, et transcodées pour vidéo, en 1992). Sur scène j’inter- prète les poèmes avec Cid Campos. Nous employons des play-back de la musique de Cid, qui aussi joue live, en faisant des improvisations à la contrebasse électrique et à la guitare électrique midi, une interface qui permet de changer les timbres de l’instrument. Walter Silveira a réuni et édité les vidéos et diaposi- tives, et lui-même, comme vidéo-artiste et poète, a créé diverses de ses vidéos pour dialoguer synchro- niquement avec les poèmes et la musique.

Augusto de Campos (1999)

Caetano Veloso, Il y a tout juste trente ans, après quatre mois de prison anthropophage musical sans jugement, Caetano Veloso rejoignait à Londres son ami Gilberto Gil. Un exil d’un an et demi qui allait changer leur vie : une immersion dans le grand bain du « swinging London » à l’âge d’or de la pop. Pour la jeunesse brésilienne, c’était la fin d’un rêve qui avait illuminé la nuit de la dictature : le « tropicalisme », mouvement poético-musical né après le coup d’état de 1964, baptisé sous ce nom quatre ans plus tard d’après « Tropicalia », le titre d’une chanson de Caetano Veloso... Gilberto et Caetano (nés tous deux à Salvador de Bahia en 1942) n’avaient rien d’activistes dange- reux. Ils s’étaient liés d’une amitié indéfectible à l’uni- versité, où Caetano étudiait la philo sans savoir qu’il en obtiendrait un jour le diplôme suprême : être incar- céré sur cette vieille et vague accusation de « cor- rompre la jeunesse » qui avait mené Socrate à la mort ! La censure ne s’y était pas trompée. Dans la frêle car- rure de Caetano Veloso, dans sa voix de ténor si fra-

notes de programme | 11 musiques du Brésil

gile au falsetto androgyne, dans ses textes si subtils et ses musiques si précieuses, la dictature et la corrup- tion avaient identifié leur pire ennemie : la culture... Vingt-trois ans après, en 1992, les millions de Brésiliens qui défilaient pour démissionner leur Président « Collor Dollar » allaient choisir spontanément pour hymne une vieille chanson de Caetano Veloso : « Alegria, Alegria ». Comme d’habitude, les paroles n’avaient rien de déli- bérément frondeur. Mais quand la poésie et la musique fusionnent à ce point, elles sont plus fortes que les mots et les sons d’une chanson. Les chansons de Caetano ne sont pas subversives : elles sont minées. Les mots n’explosent jamais, chaque syllabe est apprivoisée et sublimée par le chant le plus doux, le plus pacifique qui soit. Héritage de la bossa nova... Car Caetano a grandi dans l’admiration éperdue de João Gilberto, génie solitaire de la bossa que dès sa première audition un producteur définit par cette perle magnifique : « mais ce n’est pas un chanteur... c’est un ventriloque ! » On pourrait en dire autant de Caetano, le seul que João Gilberto a toujours considéré comme son dis- ciple au point de ne quitter sa retraite que pour chan- ter avec lui. Fille du samba et du jazz née à la fin des années 50, aube d’une éphémère démocratie, la bossa nova de Rio a été à la fois la source musicale et le repoussoir des tropicalistes de Bahia qui lui repro- chaient son insouciance. Dès 1964, la famille des « Bahianos » (Caetano, sa sœur Maria Bethania, Gilberto Gil, , Tom Zé) affiche les couleurs : celles d’un Brésil qui reven- dique la plénitude de son héritage africain, européen et indigène, mais aussi les apports de la modernité anglo-saxonne. Caetano ira plus loin que les autres. Il osera en anglais d’admirables interprétations des chansons des Beatles, reprendra en français « Mon île » (merveilleuse ballade d’Henri Salvador) et un vaste répertoire hispanique... Quant aux chansons (plus de trois-cents) signées par

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Caetano Veloso, elles sont d’une prodigieuse diversité, à l’image d’une « anthropophagie » musicale qui a absorbé tous les styles du Brésil (depuis l’art des «repentistas », ultimes descendants nordestins de nos troubadours) jusqu’au rap en passant par le choro, le frevo, le samba cançao, mais aussi Miles Davis et Frank Zappa... Depuis quelques années Caetano, devenu écrivain à mi-temps, s’est assuré la collaboration du remar- quable violoncelliste et orchestrateur Jacques Morelembaum. Grâce à l’usage intensif du contre- point et des combinaisons de timbres inédites (tous deux sont des admirateurs passionnés de Bach, de Webern et de Boulez), leur petit ensemble est devenu le plus raffiné de la musique brésilienne actuelle.

G. A.

notes de programme | 13 musiques du Brésil biographies Lenine de Rio de Janeiro et de Au début des années São Paulo grâce au travail 1980, lors d’un concert d’artistes comme Chico de Lenine à Rio de Science et Nação Zumbi, Janeiro, le public amusé Antonio Nóbrega, Mestre fut étonné de voir un Ambrósio et le groupe groupe de musiciens Maracatu « Nação envahir la scène en bat- Pernambuco ». Le rythme tant d’énormes tambours profond des percussions rustiques et en chantant qui font hurler la terre de fort des thèmes de mara- Recife (capitale du catu traditionnels du Pernambuco) durant le Pernambuco (état du Carnaval, se retrouve Nord-Est du Brésil - désormais (en versions Maracatu : chants et allégées et gommées soi- danses typique du gneusement de toutes Carnaval de cette même traces primitives) dans les région). Le Maracatu bandes-son de « soap- n’était pas étranger aux opera », les jingles de gens de Rio de Janeiro, publicité ou dans le réper- étant l’une des principales toire d’artistes qui sources d’inspiration de considèrent ce genre de compositeurs comme musique comme un cou- Alceu Valença et Geraldo sin syncopé de la samba. Azevedo déjà célèbres. Le pionnier n’est pas celui Mais le choc de la nou- qui a découvert le pre- veauté troubla le public en mier, mais celui qui a majorité jeune, qui décou- toujours su. Tout comme vrait un artiste très les autres artistes cités présent dans le circuit plus haut, Lenine a tou- alternatif utilisant des élé- jours su que le marcatu ments de « pop music » était de la musique pop et en harmonie avec les que le meilleur moyen de aspects profondément créer un son pop brésilien régionaux de sa musique. serait de s’enfoncer pro- Quinze années s’écoule- fondément dans la ront avant que les musique brésilienne. rythmes cadencés du Autrement dit, le seul maracatu ne soient chemin vers une musique acceptés par les médias brésilienne de qualité (qui

14 | cité de la musique musiques du Brésil ne serait pas simplement de fouiller dans le passé de Janeiro où il entend les une « dilution de dilution » ou d’essayer de lire l’ave- grands musiciens du de « pop music radiopho- nir, cherche seulement à moment. En 1960, il nique » est la création reproduire la plénitude du s’installe à Salvador avec d’une MPB (Musique moment présent que sa famille et y suit ses Populaire Brésilienne) nous vivons, et ainsi réus- études. Entre 1960 et radicale. Dans son troi- sit des choses ou des 1962, son intérêt pour la sième album, le premier faits vieux de 200 ans musique ira grandissant travail en solo (après avec d’autres intervenus (en particulier pour la Baque Solto en collabora- le mois dernier. bossa nova et pour le tion avec Lulu Queiroga et chanteur-guitariste João Olho de Peixe avec Caetano Veloso Gilberto). A l’université, il Marcos Suzano), Lenine Né le 7 août 1942, s’imprègne des courants place son compas musi- Caetano Emanuel Vianna artistiques avant-gar- cal sur les différents Telles Veloso est le cin- distes et s’essaie à la points cardinaux nous quième d’une famille de critique de film (pour la permettant de découvrir sept enfants. Ses parents, revue Diáro de Notícias). Il toute l’étendue de ses José Telles Velloso et apprend la guitare et possibilités et de sa créa- Claudionor Vianna Telles chante avec sa sœur tion artistique. Vue la Velloso, habitaient Santo Maria Bethânia dans les richesse des références Amaro da Purificação, bars de Salvador. A la littéraires et culturelles une petite ville située près télévision, il découvre un dans ses musiques, fruit de Salvador de Bahia. nouveau chanteur : d’un travail méticuleux, on Entre 1946 et 1951, le Gilberto Gil. En 1963, il peut même parler des jeune garçon témoigne de commence ses études de disques de Lenine talents artistiques éton- philosophie à l’université comme étant des œuvres nants, à la fois en de Bahia. Il réussit à ren- conceptuelles - des musique, dessin et pein- contrer Gilberto Gil (par albums qui sont d’abord ture. C’est aussi l’époque l’intermédiaire de son pro- pensés comme étant un où il se passionne pour le ducteur Roberto Santana) tout puis créés pas à pas. chanteur Luiz Gonzaga et devient aussi l’ami de Lenine est fondamentale- qu’il écoute à la radio. En Gal Costa (encore appe- ment guidé dans sa 1952, il réalise son pre- lée à cette époque Maria démarche artistique et sa mier enregistrement da Graça) et de Tom Zé. Il vision de compositeur par « familial » en chantant compose ses premières le concept de base : être « Feitiço da Vila » et œuvres qui le convain- définitivement contempo- « Mãzinha querida ». En quent de devenir rain. « Contemporain » 1956, il fréquente avec professionnel : « O boca dans le sens de la créa- assiduité l’auditorium de de ouro » et « The tion culturelle qui, au lieu la Radio nationale de Rio Exception and the Rule »

notes de programme | 15 musiques du Brésil d’après Bertold Brecht. octobre, il reçoit le Prix les nombreuses répercus- En 1964, il est invité à des meilleures paroles au sions qu’il aura jusqu’à l’inauguration du théâtre deuxième Festival aujourd’hui. Ce mouve- Vila Velha en compagnie Nacional da Música ment vise à appliquer à de G. Gil, Bethânia, Gal et Popular Brasiliera, un prix grande échelle et à actua- Tom Zé. 1965 marque qui témoigne de la pre- liser la philosophie une nouvelle étape impor- mière reconnaissance en d’Oswald de Andrade qui tante dans sa vie : la tant que poète. En 1967, s’appuyait sur plusieurs rencontre avec João Caetano participe à courants de pensée Gilberto qu’il considère l’émission TV Esta noite étrangers pour jeter les comme l’un des plus se improvisa où il bases d’un art brésilien grands artistes brésiliens témoigne publiquement original. Le tropicalisme et qui restera tout au long de son attachement pour entendait également créer de sa vie une référence. la musique populaire. Il les liens entre les La même année, il décide compose la même année musiques urbaine et de suivre sa sœur et de la musique du film rurale, entre musiques s’installer à Rio de Janeiro Proezas de Satanás na savante et populaire, et pour débuter une vérita- terra do leva-e-traz de entre « bon » et bla carrière de chanteur. Il Paulo Gil Soares. En juillet « mauvais » goût... La enregistre son premier 1967, il signe pour le label chanson « Tropicália » single (« Cavaleiro » et Philips avec qui il produit servira pour Caetano de « Samba em paz ») pour son premier album manifeste et de contribu- RCA. En 1966, le sep- Domingo. Ses composi- tion à ce mouvement. Le tième numéro de la revue tions témoignent toutes 21 novembre 1967, son Revista Civilização publie de son intérêt pour la mariage avec Baiana un article de Caetano bossa nova et de sa Dedé Gadelha servira de dans lequel il explique « la volonté de « faire un syn- symbole à ce mouvement nécessité de redonner un thèse des multiples puisque la cérémonie, nouvel élan à la musique musiques qui l’avaient abondamment photogra- populaire brésilienne » et influencé jusqu’ici ». En phiée par les revues de d’étudier en profondeur octobre, la marche mode, prenait l’air d’un les règles de la bossa « Alegria, alegria » obtient happening « pop-tropica- nova. En juin 1966, il un succès étourdissant liste » dans lequel la concourt pour la première au troisième Festival mariée trônait en mini- fois au Festival Nacional Nacional da Música jupe. En 1968, son album da Música Popular avec Popular. C’est aussi à Caetano Veloso réunit ses « Boa palavra »: cette cette époque que le principaux succès. En chanson interprétée par Mouvement tropicaliste juillet suivant, il enregistre Maria Odette obtient la commence à se faire un album collectif cinquième place. En connaître et à annoncer (Tropicalia ou panis et cir-

16 | cité de la musique musiques du Brésil censis) avec Gil, Gal, Tom juillet, ils s’exilent en Paulo, Caetano en vient Zé, Rogerio Duprat, Julio Angleterre avec leur aussi à surprendre - voire Medaglia, Daminao épouse respective et choquer - son public bré- Cozella et les poètes tro- enregistreront avec elles silien en caricaturant les picalistes , l’album Barra 69 en 1972. gestes de Carmen Piauiense... Caetano De Londres, Caetano Miranda, avec son nou- Veloso s’illustre en sep- envoie de nombreux veau look hippie. En tembre suivant par un articles au tabloïd O 1973, Caetano publie autre coup de théâtre. A Pasquim aussi bien que Araça Azul, un album l’occasion du troisième des chansons à ses chers expérimental et « anti- Festival international de la (« London, London » pour commercial » et le single chanson (FIC) au Théâtre Gal Costa, « A tua pre- Um frevo novo pour le de l’université catholique sença » et « Your carnaval. En 1974, de São Paulo, il improvise presence » pour Maria Caetano se lance dans la une grande diatribe Bethânia, « Não tenha production musicale afin contre le public et le jury medo » et « Don’t be de soutenir des artistes (« Vous ne comprendrez afraid » pour Elis Regina, comme Gal Costa et rien »), entièrement habillé « De noite na cama » pour Walter Smetak. En 1975, de plastique. Le 27 , « Como il collabore avec Augusto décembre 1968 marque dois e dois » et « Like two de Campos pour le début de la terreur poli- and two » pour Roberto « Pulsar ». En 1976, il tique exercée par la Carlos... En janvier 1971, forme avec ses compa- dictature militaire. il obtient enfin la permis- gnons Gil, Gal et Bethânia Caetano Veloso et de G. sion de passer un mois le groupe Doces Gil seront même arrêtés au Brésil. A son arrivée, il Bárbaros (Doux sous prétexte d’avoir est kidnappé par les mili- Barbares). Leur tournée manqué de respect à taires qui lui demandent s’arrête rapidement l’hymne et au drapeau d’écrire une chanson puisque G. Gil et le bat- nationaux. Ils furent inter- censée commémorer la teur C. Azevedo sont nés au Quartier Général fin des travaux de la arrêtés pour possession de l’Armée dirigé par le Tranzamazonienne. Le de marijuana à Maréchal Deodoro. En pays vit la période la plus Florianopolis. Une polé- février 1969, Gil et Veloso dure de la dictature (celle mique s’en est sont relâchés et doivent du Président Garrastazu rapidement suivie, forçant quitter Rio pour Salvador Médici). En 1972, de Caetano à déclarer publi- où leur liberté d’expres- retour au Brésil, il sort son quement qu’il ne sion restera limitée album Transa avec une consommait pas de (interdiction d’apparaître couverture originale en drogue. En 1977, il publie publiquement et de faire trois dimensions. Au Alegria, alegria, une série des déclarations). En Théâtre Tuca de São d’articles, de manifestes

notes de programme | 17 musiques du Brésil et de poèmes. Ses Paulo. En 1993, le recueil graphiques, parfois impri- albums suivants (Muito et Caetano - esse cara més en différentes Maria Bethânia e Caetano réunit la majorité des couleurs, en référence à Veloso ao vivo en 1978, interviews accordées à la la Klangfarbenmelodie Cinema transcendental en presse. En 1995, (mélodie du timbre) du 1979, Outras palavras et Caetano commence ses compositeur viennois Brasil en 1981, Cores, Mémoires. En 1997, il Anton Webern. La plupart nomes en 1982, Velô en publie son livre Verdade des poèmes d’Augusto 1984... lui donnent très Tropical et son album de Campos sont regrou- vite une audience interna- Livro. pés dans les recueils Viva tionale. En 1983, il se Vaia (1979), Poemobiles produit à l’Olympia à Augusto de Campos (1974), Caixa Preta et en 1985 à Carnegie Né à São Paulo en 1931, (1975), (collection de Hall. En 1986, il se sépare Augusto de Campos est poèmes-objets réalisée de Dedé Veloso pour vivre considéré comme l’une en collaboration avec l’ar- avec Paula Lavigne. En des grandes figures poé- tiste graphique Julio 1988, le magazine Vogue tiques du Brésil. En 1951, Plaza) et Depoesia (1994). lui consacre un numéro il publie son premier En tant que traducteur, spécial. En 1989, il reçoit recueil de poèmes, O rei Augusto de Campos s’est le Prix Shell et le Prix menos o reino. L’année specialisé dans les Sharp de la meilleure suivante, il fonde la revue auteurs d’avant-garde musique. En 1990, il est littéraire d’avant-garde comme Ezra Pound, victime d’un attentat pen- Noigandres avec son James Joyce, Gertrude dant ses vacances, peu frère Haroldo de Campos Stein ou encore les après avoir critiqué publi- et Decio Pignatari ; revue russes Vladimir quement l’administration qui servira de support au Maïakovski et Viktor de Fernando José. La futur mouvement de la Khlebnikov. Il a également même année, le fils de Gil « poésie concrète », inau- traduit Arnaut Daniel et meurt à la suite d’un guré en 1956, à les troubadours, Donne et coma. Caetano considè- l’occasion de la première les poètes métaphy- rera toujours cette exposition d’Art Concret siques, Mallarmé et les journée comme la « plus au Musée d’Art Moderne Symbolistes français. triste de sa vie ». Le 21 de São Paulo, par les Avec son frère Haroldo et avril 1990, son spectacle frères de Campos et Decio Pignatari, il a co- Dia da Terra attire à Rio Decio Pignatari. Dans écrit en 1965 une Théorie plus de 50.000 per- cette nouvelle poésie, les de la Poésie Concrète, et sonnes, autant que le vers et la syntaxe tradi- sous son nom O concert qu’il donnera tionnelle sont Anticritico (L’Anticritique) l’année suivante pour abandonnés au profit de en 1986, A margem da l’anniversaire de São mots arrangés en motifs Margen en 1989. Depuis

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1980, il intensifie ses expériences avec les nou- veaux médias, présentant ses poèmes sur des pan- neaux lumineux, utilisant les néons, les holo- grammes et le laser, le graphisme par ordinateur. En 1984, il crée un poème vidéo-clip, Pulsar avec une musique de Caetano Veloso. Après avoir étudié le Tropicalisme et la pop music dès 1968, il enre- gistre un livre-disque compact, Poesia é risco, en 1995, qui se présente comme une anthologie du dialogue entre le poète et le musicien.

technique régie générale Joël Simon Didier Belkacem régie plateau Pedro Caetano régie lumières Marc Gomez régie son Bruno Morain

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