Carte Blanche ‹ Caetano Veloso
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André Larquié président Brigitte Marger directeur général manifeste pour un paradoxe « Musique populaire » est l’expression par excellence du Brésil. Parfois le football nous exprime également. Dans le football, nous montrons notre manière d’être, ce qui est différent. Le cinéma de Glauber Rocha fut le point de départ de quelque chose que la grande littérature de Machado de Assis et de Guimarães Rosa et la grande poésie de Carlos Drummond de Andrade cachent dans la brume de la langue portugaise : tout ce qui émerge de l’architecture sans mots de Niemeyer, dans les repères isolés que Brasilia n’a pas encore unifiés en une structure de monde nouveau ; tout ce que l’on entend dans la musique de Villa-Lobos qui insiste pour sembler chanter seule. La musique populaire — João Gilberto, Tom Jobim, Milton Nascimento… — vit notre expressivité. Vit : expérimente la conti- nuité, se donne naturellement au combat pour la préservation. La musique populaire s’est appropriée le Brésil. Ce qui n’est pas nécessaire- ment bon. J’appartiens à un groupe de musiciens qui, dans les années soixante, a essayé de faire de son travail un regard critique sur ce pouvoir. Au fond, le rêve était de développer ce pouvoir à partir de ce qu’il avait de potentiellement bon. Les résultats furent riches et problématiques : le pouvoir de la musique populaire a grandi, mais ce n’a pas toujours été suivi d’une prise de conscience de la res- ponsabilité que cela engageait. Non que nous dussions faire de la musique popu- laire de manière circonspecte. Au contraire : l’irresponsabilité s’est souvent retrouvée du côté des prudents, alors que les joyeux ingénus et les voyous vénaux le plus souvent ont produit un travail responsable. Le combat continue. C’est pourquoi je suis là, avec Lenine — qui en même temps qu’il donne une continuité à l’apprivoisement de notre grand talent, révèle son haut niveau d’élaboration dans l’éventail des intérêts esthétiques des nouveaux créateurs de musique populaire au Brésil — et également avec Augusto de Campos — qui, parallèlement à la création d’une poésie magnifique et créative, aux côtés de Haroldo de Campos et de Décio Pignatari (inventeurs de la poésie concrète brésilienne), exerce un militantisme critique qui exige une avancée cou- rageuse dans le domaine de la culture savante. Son mouvement d’avant-garde fut inspiré par la musique de Webern et stimulé par celles de Boulez et Stockhausen ; aujourd’hui, avec son fils Cid, il montre la version sonore de poèmes conçus comme objets visuels. Lenine, lui, possède la musicalité spontanée d’un Djavan et navigue avec aisance dans les nouveaux procédés de la techno et du hip-hop qui attirent sa génération, et les plus jeunes aussi. Il parle également avec naturel le langage des nouveaux groupes de percussions de son Pernambouc natal (eux-mêmes intéressés par la techno, le hip-hop tout comme par les rythmes traditionnels du carnaval de Pernambouc, suivant en cela les traces des groupes de percussions du carna- val de rue de Bahia). Entre les deux, je me situe en toute légitimité ou du moins je dis clairement quelque chose de l’environnement dans lequel je vis et j’agis. Je veux montrer au monde la force de la musique populaire brésilienne et tout en voulant faire croître cette force, je veux en délivrer le Brésil. Un paradoxe ? Sans lui nous n’avance- rions pas. Caetano Veloso traduction Dominique Dreyfus vendredi 14 carte blanche et samedi 15 mai - 20h à Caetano Veloso dimanche 16 mai - 16h30 salle des concerts concert Caetano Veloso, introduction première partie Lenine et ses musiciens Lenine/Bráulio Tavares O Marco Marclano Lenine Jack Soul Lenine/Dudu Falcão Distantes demais Lenine/Bráulio Tavares Miragem do Porto Lenine/Bráulio Tavares O Dia Em Que Faremos Contato Lenine/Paulo César Pinheiro Candeeiro Encantado Lenine, chant, guitare Marcos Lobo, percussions Carlos Malta, saxophone, flûte deuxième partie Augusto de Campos Poesia é risco Augusto de Campos (poésie) Cid Campos (musique) Poesia é risco (Poésie est risque) Bestiário (Bestiaire) Lygia fingers Tensão (Tension) Caracol (Limaçon) Tvgrama (Télégramme) (Tombeau de Mallarmé) SOS Cocheiro bêbado (Cocher ivre) (Rimbaud) Poema bomba (Poème bombe) Cidade city cité Augusto de Campos, récitant Cid Campos, guitare, guitare basse Walter Silveira, direction et vidéoédition troisième partie Caetano Veloso et ses musiciens Caetano Veloso Terra Trilhos Urbanos Coração vagabundo #Razzano/Carlos Gardel/Esteban Celedonio Flores Mano a mano Caetano Veloso O Ciúme Livros Charles Aznavour Tu te laisses aller Caetano Veloso/ Augusto de Campos Pulsar Caetano Veloso Você é Linda Caetano Veloso/Gilberto Gil Haiti Henri Salvador/Maurice Pon Dans mon île Rafael Hernandez Lamento boricano Caetano Veloso O estrangeiro Caetano Veloso, chant, composition Jacques Morelembaum, violoncelle Alberto Continentino, contrebasse Luiz Brasil, guitare Ronaldo Silva, percussions durée du spectacle : 2 heures avec le soutien de Varig Brazil et de RFO musiques du Brésil Lenine : la révolution Le succès mondial du samba et de la bossa nova de dans la tradition Rio, puis du Tropicalisme de Bahia, a longtemps éclipsé un héritage musical tout aussi riche : celui du Sertao, le territoire austère du Nordeste. C’est là que les repentistas perpétuent des joutes oratoires et musicales très proches de celles des baladins du Moyen-Age, qui ont perduré au Portugal jusqu’à la période coloniale... D’ailleurs, dans la musique de Lenine - natif de Recife - il y a aussi l’infinie richesse des polyrythmies locales (frevo, forro, maracatu) en partie d’origine yoruba - la principale ethnie du Nigeria, dont les tam- bours sont omniprésents dans les carnavals de la côte brésilienne. Rejeton indiscipliné des grands maîtres nordestins de la génération précédente (Luiz Gonzaga et son fils Gonzaguinho, Alceu Valença, Fagner, Geraldo Azevedo), Lenine s’en distingue par une boulimie esthétique et technologique digne de cette « anthropophagie » pacifique qui fit la gloire des Tropicalistes. En ce sens, il n’est pas seulement l’in- vité, mais aussi l’héritier de Caetano Veloso. Augusto de Campos, Le « Tropicalisme » - qui se définit comme « un son libre un frère en poésie et universel » - est né de la rencontre à São Paulo, au milieu des années soixante, de Caetano Veloso et Gilberto Gil avec deux frères poètes qui étaient leurs aînés : Augusto et Haroldo de Campos, co-fondateurs en 1952 de la revue Noigrandes, œuvraient pour l’ac- climatation au Brésil de la « poésie concrète ». Ce concept apparu en Allemagne et en Suisse dans l’im- médiat Après-Guerre, puis théorisé en France par les Lettristes, attribue au poème une valeur indépendante du discours, mettant l’accent sur les sons des syllabes, le graphisme et les couleurs des lettres. On peut en déceler les prémices dans les calligrammes d’Apollinaire, puis les recherches dadaïstes et futuristes. La poesia concreta brasileira fait la synthèse entre toutes ces expériences européennes et celle du modernismo brésilien incarné dans les années vingt et trente par le poète Oswald de Andrade (inventeur 8| cité de la musique musiques du Brésil du concept « anthropophagique ») mais aussi par le compositeur H. Villa-Lobos. Car elle est avant tout d’essence musicale : dans son manifeste de 1956, Augusto de Campos la décrit comme « tension entre l’objet-mot et l’espace-temps » et il se réfère explicitement aux œuvres vocales de la Seconde École de Vienne : son modèle est la Klangfarbenmelodie d’Anton Webern qui attribue un timbre, une identité spécifique à chaque note... Poète fécond, esprit encyclopédique, traducteur de l’intraduisible (Mallarmé, Joyce, Pound, Maïakovsky ou le troubadour Arnaut Daniel), Augusto de Campos est aussi célèbre comme critique musical. Il est l’au- teur d’essais sur Ives, Varèse et Nono, et aussi d’un recueil magistral sur la musique populaire brésilienne des années 60 : Balanço da Bossa. Passionné par les nouvelles technologies, il « compose » désormais ses poèmes sous forme d’hologrammes, de pro- grammes informatiques ou de projections laser... C’est le même homme qui a suivi Caetano Veloso depuis ses tout débuts, écrit pour lui (ainsi que son frère) plusieurs chansons et réalisé avec lui (juste avant le fameux « Sign of the Times » de Prince) le premier « poème clip » (« Pulsar », 1984)... Gérald Arnaud Augusto de Campos Poésie est risque est une présentation multimédia, Poesia é risco ou intermédia, qui réunit poésie, musique et image. (Poésie est risque) Avec la coopération du musicien et compositeur Cid Campos, mon fils, et de Walter Silveira, qui se charge de l’édition des vidéos et diapositives, je cherche à réaliser une présentation verbivocovisuelle (expres- sion de James Joyce). C’est une idée entretenue par la poésie brésilienne, il y a plus de quarante ans. Notre présentation se fonde sur le répertoire du CD Poésie est risque (Polygram, 1995), que j’ai produit avec Cid Campos et qui documente quarante ans de mon expérience poétique. Le spectacle original a une durée d’environ une heure. Pour l’intervention notes de programme | 9 musiques du Brésil dans le concert de Caetano, nous ferons une version réduite, mais une version bilingue, spécialement conçue pour le public français, avec les brefs hom- mages à Mallarmé et à Rimbaud. Les poèmes, en leur majorité, sont des exemples de la poésie concrète, qui a été officiellement introduite au Brésil, en 1956, au Musée d’Art Moderne de São Paulo, par Décio Pignatari, Haroldo de Campos et moi-même, et qui ensuite s’est répandue à travers le monde, comme un mouvement littéraire interna- tional. La poésie concrète met en relief la matérialité du mot, sa visualité, sa sonorité, sans exclure toute- fois la dimension sémantique. Nous avons pris comme seuil de nos recherches pour un nouveau langage le poème Un coup de dés de Mallarmé, écrit il y a cent ans, mais qui, aux années cinquante, était oublié, comme bloqué par le surréalisme en vogue, et consi- déré comme un formidable échec littéraire par la cri- tique de l’époque.