xviii.ch

JAHRBUCH DER SCHWEIZERISCHEN GESELLSCHAFT FÜR DIE ERFORSCHUNG DES 18. JAHRHUNDERTS

ANNALES DE LA SOCIÉTÉ SUISSE POUR L’ÉTUDE DU XVIIIE SIÈCLE

ANNALI DELLA SOCIETÀ SVIZZERA PER LO STUDIO DEL SECOLO XVIII

VOL. 6/2015

SCHWABE VERLAG BASEL xviii.ch

VOL. 6/2015

REDAKTION / RÉDACTION / REDAZIONE

SIEGFRIED BODENMANN, LÉONARD BURNAND, MIRIAM NICOLI, NATHALIE VUILLEMIN

SCHWABE VERLAG BASEL © 2015 by Schwabe AG, Verlag, Basel Layout : Dunja Cometti Satz : Dubois Gesamtherstellung : Schwabe AG, Druckerei, Muttenz/Basel Printed in Switzerland ISBN 978-3-7965-3443-0 ISSN 1664-011X

www.schwabeverlag.ch Inhalt / Table / Indice

Editorial / Éditorial / Editoriale...... 7

Beiträge / Contributions / Contributi Timothée Léchot : L’insécurité poétique dans la Suisse francophone du XVIIIe siècle : deux palliatifs...... 9 Francesca Chiesi Ermotti : Pace e guerra nelle vicende di una famiglia di mercanti alpini. Conflittualità familiare nel casato Pedrazzini di Campo Vallemaggia (XVIII s.) ...... 29 Sarah Baumgartner : Medien und Kommunikationspraxis der physikalischen Gesellschaft Zürich und ihrer ökonomischen Kommission...... 45 Helder Mendes Baiao : Imaginaire politique et réformisme dans la Genève des Lumières : La « république heureuse » de de Constant . . . . 61 Stefania Bianchi : Cittadini attivi assenti, assenti perché attivi. La mobilità delle genti luganesi nel 1798...... 77

Rezensionen / Recensions / Recensioni Lucia Pedrini-Stanga rec. di Stefania Bianchi: I cantieri dei Cantoni. Relazioni, opera, vicissitudini di una famiglia della Svizzera italiana in Liguria (secoli XVI-XVIII) ...... 95 Rossella Baldi sur Jean-Marie Roland de la Platière : La Svizzera nel Settecento ...... 98 Miriam Nicoli rec. di Francesco Soave: Epistolario, a cura di Stefano Barelli...... 102 Gabriele Bucchi rec. di Francesco Soave: Nuovi idilli. Versioni da Salomon Gessner, a cura di Stefano Barelli ...... 104 Patricia Rosselet sur Miriam Nicoli : Les savants et les livres. Autour d’Albrech von Haller (1708-1777) et Samuel-Auguste Tissot (1728-1797)...... 105

Editorial / Éditorial / Editoriale

Diese Ausgabe des Jahrbuchs der Schweizerischen Gesellschaft zur Erforschung des 18. Jahrhunderts – xviii.ch – erscheint erstmals in neuer Aufmachung. Die Redaktion­ hat sich für einen frischeren und dynamischeren Stil und damit für ein klareres, lesefreundlicheres Layout entschieden. Um ein einheitliches Er- scheinungsbild des Heftes zu gewährleisten, wurde die Gestaltung des Covers ebenfalls leicht angepasst, ohne sich dabei jedoch zu weit von den bisherigen Ausgaben zu entfernen. Zudem dürfen wir eine weitere wichtige Neuerung ankündigen: Ab sofort können die älteren Ausgaben (ausgenommen die beiden neusten Jahrgänge) online auf der Internetseite der Schweizerischen Gesellschaft zur Erforschung des 18. Jahr- hunderts (www.xviii.ch) abgerufen werden. An unseren Zielen hat sich indes nichts geändert: Gerade jungen Forschenden stellt die Zeitschrift viel Raum für ihre aktuellen Arbeiten zur Schweiz im 18. Jahr- hundert zur Verfügung. Wir freuen uns besonders, in dieser Ausgabe mehrere italienischsprachige Beiträge präsentieren zu dürfen. Die Ausgabe für 2016 ist bereits in Vorbereitung und widmet sich der Rolle kulturel- ler Vermittler und dem Austausch von Wissen in der Schweiz des 18. Jahrhunderts. Die Redaktion des Jahrbuchs nimmt gerne bereits Vorschläge für Beiträge zum Jahrbuch 2017 entgegen. Alle diesbezüglichen Informationen finden Sie auf un- serer Internetseite: www.xviii.ch

Ce numéro des Annales de la Société suisse pour l’étude du XVIIIe siècle – xviii.ch – se présente au lecteur sous une nouvelle apparence graphique. La rédaction a opté pour un style plus frais et dynamique. La mise en page nous paraît ainsi plus claire, et la lecture plus aisée. Même si elle reste proche du modèle d’origine, la couverture a également été revisitée de manière à former un ensemble cohérent. Signalons une nouveauté importante relativement à la diffusion de notre revue : il est désormais possible de consulter les anciens numéros (publiés il y a plus de 8 Editorial / Éditorial / Editoriale

deux ans) en ligne sur le site de la Société suisse pour l’étude du XVIIIe siècle à l’adresse www.xviii.ch La politique éditoriale reste inchangée. Un large espace est réservé aux jeunes chercheurs, dont les travaux confirment la vivacité des études sur le dix-huitième siècle helvétique. Nous nous réjouissons également d’accueillir cette année plu- sieurs contributions en italien, et sur des corpus italophones. Le numéro 2016, en préparation, proposera un recueil d’articles sur le thème des intermédiaires culturels et de la circulation des savoirs dans la Suisse du XVIIIe siècle. La rédaction des Annales examinera avec plaisir et attention toutes les proposi- tions de contributions relatives au volume « libre » prévu pour 2017. Vous trouve- rez toutes les informations à ce propos à l’adresse www.xviii.ch

Con questo numero, gli Annali della Società svizzera per lo studio del secolo XVIII – xviii.ch – si presentano ai loro lettori sotto una nuova veste grafica. La redazione ha optato per uno stile più fresco e dinamico. L’impaginazione si fa più chiara ed essenziale permettendo così una lettura più agevole. Ridisegnata, pur restando vi- cina al modello originario, è anche la copertina che preannuncia il restyling interno. Le novità riguardano anche la diffusione della nostra rivista. È oramai possibile consultare i primi numeri degli Annali (embargo di due anni) online sul sito del- la Società svizzera per lo studio del secolo XVIII all’indirizzo www.xviii.ch La politica editoriale rimane invece invariata. Largo spazio è stato dato in questo numero a dei giovani autori le cui ricerche confermano la vivacità degli studi sul Settecento elvetico. Ci rallegriamo inoltre di poter presentare quest’anno ai nostri lettori diversi contributi in italiano e su fondi archivistici in lingua italiana. Il numero 2016, già in preparazione, proporrà una raccolta d’articoli sul tema degli intermediari culturali e della circolazione del sapere nella Svizzera del XVIII secolo. La redazione degli Annali esaminerà invece attentamente tutte le propo- ste di contributi in vista del volume a tema libero previsto per il 2017. Ulteriori informazioni sono disponibili all’indirizzo www.xviii.ch

Die Redaktion / La Rédaction / La Redazione [email protected] Beiträge / Contributions / Contributi

L’insécurité poétique dans la Suisse francophone du XVIIIe siècle : deux palliatifs

Timothée Léchot

Selon le Chinois Sioeu-Tcheou, la Suisse francophone abrite en 1740 « les plus mauvais poètes de l’univers ».1 Celui qui s’exprime ainsi est un épistolier fictif qui parcourt l’Europe dans les Lettres chinoises, un roman de Jean-Baptiste de Boyer (1704-1771), marquis d’Argens. Souvent cité, le jugement du personnage est d’autant plus alarmant qu’il s’accompagne d’un constat paradoxal : « Cependant il n’y a pas de pays dans le monde, où il paraisse journalièrement autant de petites pièces de vers ; on a soin de les imprimer tous les mois dans des livres, où on les recueille précieusement. »2 Comme le suggèrent de tels propos, d’Argens connaît la poésie suisse à travers le Journal helvétique, une publication mensuelle qui s’imprime depuis 1732 à Neuchâtel et qui consacre chaque mois des pages aux poésies et aux jeux littéraires. Touchés sur un point sensible, les Suisses réa- gissent d’abord très vivement aux propos de l’auteur français dans les pages du périodique,3 avant d’accepter et parfois même de revendiquer, au fil des années, une incompétence en matière de production poétique.4

1 Jean-Baptiste de Boyer d’Argens : Lettres chinoises, Jacques Marx (éd.) (Paris 2009, éd. origi- nale 1739-1740) I, 707. 2 Ibid. 3 Voir Jean-Daniel Candaux : D’Argens et les Suisses : le dossier du « Journal helvétique », in : Jean-Louis Vissière (dir.) : Le marquis d’Argens. Colloque international de 1988 (Aix-en-Pro- vence 1990) 185-198 ; Georges Renard : Une querelle littéraire dans la Suisse romande au XVIIIe siècle, Revue historique vaudoise 2 (1894) 97-110, 129-141 ; et Rodolphe Zellweger : Une cause célèbre du « Mercure suisse » : la défense de la nation helvétique, in : Jacques Rychner, Michel Schlup (dir.) : Aspects du livre neuchâtelois. Etudes réunies à l’occasion du 450e anniversaire de l’imprimerie neuchâteloise (Neuchâtel 1986) 37-58. 4 Voir François Rosset : « Spectacle sublime » et « petite mécanique » : un contentieux poétique au XVIIIe siècle, in : Marie-Jeanne Heger-Etienvre, Guillaume Poisson (dir.) : Entre attraction et rejet : deux siècles de contacts franco-suisses (XVIIIe-XIXe s.) (Paris 2011) 132-151. xviii.ch, vol. 6/2015 10 Timothée Léchot

Pourtant, si paradoxe il y a, ce n’est pas dans un décalage entre la quantité des vers suisses et leur qualité moindre qu’il faut le chercher : les poètes de la région ne sont pas si nombreux que d’Argens le laisse entendre et le Journal helvétique n’est évidemment pas le seul périodique européen à publier des pièces de circons- tance sans prétention à l’immortalité. Il n’en demeure pas moins que les auteurs désignés exercent leur muse dans un contexte problématique. D’un côté, de nom- breux Suisses tombent d’accord sur le fait qu’une région paraîtrait peu civilisée si elle ne parvenait jamais à s’illustrer dans le domaine des belles-lettres et en particulier dans celui de la poésie. La culture de celle-ci ne représente-t-elle pas alors, selon les mots Voltaire, « une preuve infaillible de la supériorité d’une na- tion dans les arts de l’esprit » ?5 D’un autre côté, l’épisode des Lettres chinoises est loin de constituer une exception : les poètes suisses peinent à acquérir une quel- conque légitimité dans l’espace français et singulièrement à Paris où les princi- pales institutions littéraires sont concentrées. Quand leurs œuvres atteignent les pairs littéraires ou les critiques de la capitale, ceux-ci les jugent volontiers à l’aune de la rudesse et de l’ivrognerie légendaires du Suisse. Sur le plan littéraire, ces traits du caractère helvétique se traduisent par une mauvaise maîtrise des règles de la versification, une forte propension aux barbarismes linguistiques et une absence rédhibitoire d’esprit. Prompts à anticiper de telles critiques, les au- teurs francophones de Berne, Genève, Lausanne ou Neuchâtel se les appliquent régulièrement les uns aux autres dans les textes qu’ils donnent au Journal helvé- tique, et souvent à eux-mêmes dans les préfaces de leurs ouvrages pour excuser d’avance les défauts que le lecteur y trouvera. Publier des vers dans un climat d’insécurité poétique : telle est la difficulté que rencontrent et que surmontent plusieurs Suisses. Dans les pages qui suivent, nous nous arrêterons sur deux solutions originales que des poètes ont données au problème de leur illégitimité : l’autodérision et le pathos. Manifestant une conscience aiguë de leur situation particulière – écrire en français à l’écart de –, ces auteurs nous aident à saisir la Suisse fran- cophone de l’Ancien Régime comme un espace littéraire périphérique, c’est-à-

5 Voltaire : Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, Bruno Bernard, Nicholas Cronk, Janet Godden, John Renwick (éd.) (Oxford 2009-2012, éd. originale 1756) II, 145. L’insécurité poétique dans la Suisse francophone du XVIIIe siècle 11

dire soumis à l’attrait du centre parisien et cependant irréductible à la littérature française proprement dite.6

Littérature périphérique et insécurité linguistique Ce que nous désignons comme un sentiment d’insécurité poétique contient une composante langagière forte. De prime abord, elle doit être considérée comme une émanation de ce que les sociolinguistes appellent l’insécurité linguistique. Il n’est pas question de retracer ici l’histoire de ce concept, qui est introduit en 1972 par William Labov7 et qui connaît ensuite une grande variété d’applications, notamment pour aborder dans une dimension sociale et géographique les commu- nautés francophones.8 On peut considérer avec Jean-Marie Klinkenberg l’insécu- rité linguistique comme « un phénomène carrefour », « une disposition à la fois individuelle et collective, que l’on ne peut atteindre qu’à travers ses symptômes »,9 et retenir une définition souple :

Le mot désigne le produit psychologique et social d’une distorsion entre la représen- tation que le locuteur se fait de la norme linguistique et celle qu’il y a de ses propres productions. Il y a insécurité dès lors que le locuteur a d’une part une représentation nette des variétés légitimes de la langue (norme évaluative) mais que, d’autre part, il a conscience de ce que ses propres pratiques langagières (norme objective) ne sont pas conformes à cette norme évaluative.10

6 Cet article constitue le prolongement de réflexions menées dans le cadre d’une thèse de doc- torat intitulée « ‘Ayons aussi une poésie nationale.’ La littérature suisse en orbite (1730- 1830) », dirigée par Claire Jaquier et soutenue en mai 2015 à l’Université de Neuchâtel, à paraître à la Librairie Droz (Genève). 7 William Labov : Sociolinguistique (Paris 1976, éd. originale 1972). 8 Pour l’espace suisse romand, voir les travaux de Pascal Singy : Identités de genre, identités de classe et insécurité linguistique (Berne 2004) ; et L’image du français en Suisse romande. Une enquête sociolinguistique en Pays de Vaud (Paris 1996). 9 Jean-Marie Klinkenberg : Terres d’insécurité, in : Michel Francard (dir.) : L’insécurité linguis- tique dans les communautés francophones périphériques. Actes du colloque de Louvain-la- Neuve 10-12 novembre 1993 (Louvain-la-Neuve 1993-1994) I, 14. 10 Benoît Denis, Jean-Marie Klinkenberg : La littérature belge. Précis d’histoire sociale (Loverval 2005) 58. Cette définition est reprise dans Jean-Marie Klinkenberg : Insécurité linguistique, in : Michel Beniamino, Lise Gauvin (dir.) : Vocabulaire des études francophones. Les concepts de base (Limoges 2005) 104-106. Cf. Michel Francard : Insécurité linguistique, in : Marie- Louise Moreau (dir.) : Sociolinguistique. Concepts de base (Sprimont 1997) 170-176. 12 Timothée Léchot

Par leur éloignement géographique du centre qui émet la norme évaluative, les régions périphériques sont facilement sujettes à l’insécurité linguistique. Ce qui est vrai des locuteurs l’est à plus forte raison des écrivains. La littérature belge se débat encore aujourd’hui avec le problème de son insécurité linguistique.11 Pour Myriam Suchet, celle-ci constitue également « l’un des motifs récurrent de la lit- térature québécoise ».12 La Suisse francophone n’y échappe pas. Jérôme Meizoz présente le sentiment d’insécurité, sinon « d’infériorité linguistique »,13 comme un trait partagé par les auteurs romands du XVIIIe au XXe siècle : « Nombreux sont les Romands qui craignent de parler ‘mal’, de trébucher à l’écrit sur une expression inusitée en France, ou de ‘faire rire aussitôt [qu’ils ouvrent] la bouche’, pour le dire avec l’amère malice de Jean-Jacques Rousseau ».14 Rousseau, en opposant le langage naturel des épistoliers vaudois de La Nouvelle Héloïse (1761) aux artifices du bel esprit parisien, compte parmi les écrivains qui savent tirer profit d’un « décalage fécond »15 entre une position excentrée et le centre parisien. Qu’en est-il des poètes ? Mode d’expression possédant une normativité particulièrement forte au XVIIIe siècle, la poésie exacerbe en quelque sorte le problème de l’insécurité linguis- tique. Il suffit de parcourir leJournal helvétique pour rassembler d’évidents symp- tômes. Un des poètes les plus prolifiques du périodique, l’apothicaire genevois Jean-Baptiste Tollot (1698-1773), écrit par exemple une « Epitre contre la Poë- sie » en 1745 :

Je le confesse ingénûment, La Mesure me desespère, Et la rime fait mon tourment. […] Laissons le sublime Voltaire Marcher, sans assoupissement,

11 Voir B. Denis, J.-M. Klinkenberg : La littérature belge, op. cit. [voir note 10] 234-237. 12 Myriam Suchet : Le Québécois : d’une langue identitaire à un imaginaire hétérolingue, Quaderna. Revue transdisciplinaire multilingue, 9 mars 2014 : http ://quaderna.org/ le-quebecois-dune-langue-identitaire-a-un-imaginaire-heterolingue/(consulté le 21 juin 2015). 13 Jérôme Meizoz : Le droit de « mal écrire » : quand les auteurs romands déjouent le « français de Paris » (Genève 1998) 8. 14 Ibid. 15 Ibid. 23. L’expression est empruntée à Jean Starobinski : L’écrivain romand : un décalage fé- cond, La Licorne 16 (1989) 17-20. L’insécurité poétique dans la Suisse francophone du XVIIIe siècle 13

Sur les pas du Divin Homêre. Pour nous, à parler franchement, Le plus court seroit de nous taire.16

Certes, l’exhortation au silence poétique est contredite par la forme même du texte – une épître en vers –, mais la tentation du mutisme est bien présente : les affres de la versification française et le poids écrasant des auteurs consacrés peuvent conduire jusqu’au découragement. Dans le même journal, il arrive que des versificateurs se disputent d’une livraison à l’autre sur la faiblesse de leurs pièces respectives, sur leur mauvaise maîtrise de la langue ou d’autres codes tels que l’usage des références mythologiques. Ces incompétences sont souvent asso- ciées à la tare nationale de la grossièreté ou simplement à l’éloignement du centre littéraire : « nous sommes si loin de Paris ! »17 déplore encore en 1779 le Neuchâtelois Henri- Chaillet (1751-1823), dernier rédacteur du périodique, pour expliquer la rareté du bon goût chez les écrivains suisses. Hors du journal, l’insécurité n’épargne pas les poètes qui publient leurs produc- tions sous la forme de recueils monographiques. Ces volumes sont peu nombreux dans les trois premiers quarts du siècle. Quoique Tollot ait l’idée en 1742 de faire « une collection des meilleures Piéces de Poësie, qui ont été faites en Suisse »,18 il ne met jamais son projet à exécution. Et quoique le magistrat vaudois Gabriel Seigneux de Correvon (1695-1775) donne des vers au Journal helvétique depuis le début des années 1730, il ne rassemble ses pièces dans un recueil de Muses hel- vétiennes19 qu’en 1775, l’année de sa mort. Ce recueil de trois cents pages contient

16 Jean-Baptiste Tollot : Epitre contre la Poësie, Journal helvétique ou recueil de pieces fugitives de literature choisie ; de Poësie ; de traits d’Histoire, ancienne & moderne ; de Découvertes des Sciences & des Arts ; de Nouvelles de la République des Lettres ; & de diverses autres Particu- larités interessantes & curieuses, tant de Suisse, que des Païs Etrangers. Dédié au Roi (mars 1745) 251‑252. L’épître est datée de Genève et signée « J. B. Tollot ». 17 Henri-David Chaillet : Discours politiques, historiques & critiques, &c. Par M. le comte d’Albon. Neuchatel, Société Typographique, 1779. Suite, Nouveau Journal helvétique, ou annales litté- raires et politiques de l’Europe, & principalement de la Suisse. Dedié au Roi (septembre 1779) 46. 18 Lettre de Jean-Baptiste Tollot à Gabriel Seigneux de Correvon, Genève, 18 septembre 1742, Bibliothèque de Genève, Correspondance de Seigneux de Correvon, Ms fr. 9103, pièce 1/18, fo [1] v. 19 Gabriel Seigneux de Correvon : Les Muses helvétiennes, ou Recueil de pièces fugitives de l’Helvétie, en vers et en prose (Lausanne 1775). 14 Timothée Léchot

d’ailleurs un riche paratexte auctorial – un avant-propos et de nombreuses notes accompagnant les pièces – qui vise à soutenir la voix du poète. Une lettre ambi- guë de Fontenelle, un témoignage tardif de reconnaissance du roi de Pologne, les jugements positifs d’une poignée de correspondants français : ces cautions litté- raires et ces petits titres de gloire cachent mal l’absence d’autorité propre du poète. Dans les années suivantes, les publications poétiques se multiplient dans la Suisse francophone. Animé par un dessein patriotique, un auteur comme Phi- lippe-Sirice Bridel (1757-1845) surpasse au moins en partie l’insécurité lorsqu’il donne des Tombeaux imités de Hervey en 177920 et surtout des Poésies helvé- tiennes en 178221 où il tient des propos conquérants et laisse présager d’heureux jours à la poésie suisse.22 Cependant, d’autres versificateurs continuent de douter que leurs compositions aient le droit de paraître au grand jour. L’un d’entre eux, le patricien vaudois Etienne-Emmanuel Frossard de Saugy (1757-1815)23 est un militaire de carrière qui publie à Vienne un recueil au titre évocateur : Mes der- nières folies (1790). Et en effet, cette première publication est aussi la dernière du poète qui s’en explique dans une préface. Frossard dit n’avoir accepté d’impri- mer ses poésies qu’à la sollicitation d’un jeune prince. Ce qui pourrait n’être qu’une simple précaution rhétorique est mis en œuvre par des choix éditoriaux : l’auteur n’a fait tirer qu’un petit nombre d’exemplaires et il a pris toutes les me- sures pour que « le public ne les vît jamais ».24 Il se méfie des mécènes et des journalistes et il n’a confiance qu’en ses amis qui sont les destinataires de ses pièces de circonstance. Ainsi, Frossard ne se veut « ni Français, ni poëte, ni aca- démicien, ni même littérateur ».25 N’étant que soldat, il fait une incursion ponc-

20 Philippe-Sirice Bridel : Les Tombeaux, poëme en quatorze chants, imité d’Hervey (Lau- sanne 1779). 21 Philippe-Sirice Bridel : Poésies helvétiennes. Par Mr. B***** (Lausanne 1782). 22 Voir Timothée Léchot : La « poésie helvétienne » (1775-1830) : fonctions patriotiques et vertus civiques d’une littérature émergente, Etudes Lumières.Lausanne 1 (2014) : https ://lumieres. unil.ch/fiches/biblio/7072 (consulté le 21 juin 2015). 23 Sur Frossard de Saugy, voir Henri Perrochon : Un Vaudois général et poète : Marc Frossard (1757-1815), Revue historique vaudoise 18/1 (1930) 23-54, republié dans Henri Perrochon : Evasion dans le passé romand. Etudes littéraires (Lausanne 1941) 75-103. 24 Etienne-Emmanuel Frossard de Saugy : Mes dernières folies, ou opuscules d’un jeune militaire (Vienne 1790) I, 8. 25 Ibid. 6-7. L’insécurité poétique dans la Suisse francophone du XVIIIe siècle 15

tuelle dans le domaine des belles-lettres et il promet de consacrer le reste de sa vie à « des occupations plus utiles et plus sérieuses ».26 Conséquence de l’insécurité, le mutisme est une option qui reste admissible et même valorisable à la fin du XVIIIe siècle. La négation d’une vocation d’auteur a l’avantage de garantir Frossard de toute prétention auprès des institutions litté- raires et, par conséquent, elle le protège du silence ou du mépris éventuel de la critique littéraire. Il n’empêche que le Vaudois promet de réduire sa muse au si- lence alors même qu’il imprime quelques 380 pages de vers au sein d’un recueil en deux volumes, richement orné de bandeaux et de culs-de-lampe … Ainsi, de l’« Epitre contre la Poësie » à Mes dernières folies, l’insécurité linguistique et ses déclinaisons littéraires ne peuvent être réduites, mêmes chez les versificateurs les plus prompts à l’autocensure, à leur caractère stérilisant. Elles constituent toute- fois de puissants facteurs qui orientent la production et la réception des œuvres, et avec lesquels peuvent jouer les auteurs.

La grossièreté revendiquée Samuel Henzi (1701-1749) ne s’en prive pas. Avant d’être décapité par le gouver- nement de son canton, à la suite de la conjuration qui porte son nom, le publiciste bernois a suivi la voie du service militaire étranger et il a rempli la fonction de précepteur auprès de jeunes patriciens suisses.27 Banni de Berne entre 1744 et 1748, il habite Neuchâtel et s’adonne à des activités littéraires et journalistiques

26 Ibid. 10. 27 Sur Samuel Henzi et son œuvre littéraire, voir Johan Jakob Baebler : Samuel Henzi’s Leben und Schriften (Aarau 1879) ; Eusèbe-Henri Gaullieur : Les œuvres poétiques de Samuel Henzi, Etrennes nationales, faisant suite au Conservateur suisse, ou Mélanges helvétiques d’histoire, de biographie et de bibliographie (1845) 209-230 ; Manfred Gsteiger : Verschwörer und Literat : Samuel Henzi, ein französischer Schrifsteller des bernischen Ancien Régime, Schweizer Monatshefte : Zeitschrift für Politik, Wissenschaft, Kultur 64/5 (1984) 431-439 ; Manfred Gsteiger : Verschwörer und Literat : Samuel Henzi, ein französischer Schrifsteller des bernischen Ancien Régime und sein Tell-Drama, in Manfred Gsteiger, Peter Utz (éd.) : Telldramen des 18. Jahrhunderts. Samuel Henzi : Grisler ou l’ambition punie. Johann Ludwig am Bühl : Wilhelm Tell (Berne, Stuttgart 1985) 87-100 ; Urs Helmensdorfer : La tête à l’échafaud ou Guillaume Tell à Berne, in Samuel Henzi : Grisler ou l’ambition punie (Bâle 1996) 152-181 ; Xavier Kohler : Les œuvres poétiques de Samuel Henzi. Etude suivie de quelques notes relatives à la conspiration bernoise de 1749, Actes de la Société jurassienne d’émulation 21 (1869) 56-125 ; Maria Krebs : Henzi und Lessing. Eine historisch-literarische Studie (Berne 1903) ; et Virgile Rossel : Un Scarron bernois, Le semeur, revue littéraire et artistique 3 (1889-1890) 178-182, 209-212, 251-253. 16 Timothée Léchot

dans le giron du Journal helvétique auquel il collabore. Dans ce contexte, il tente de lancer deux périodiques satiriques dont il est l’unique rédacteur : l’Amusement de Misodème ou pieces fugitives en Prose & en Vers (1745) et La Messagerie du Pinde (1747-1748). « Voilà donc un Ecrivain de plus dans le Monde »,28 annonce Henzi derrière le pseudonyme de « Misodème » au seuil de sa première feuille. Voilà aussi un nouveau poète, et un poète alémanique s’exprimant en français, qui prend la plume alors que les railleries du marquis d’Argens résonnent encore aux oreilles des Suisses. Loin d’être rebuté par la carrière poétique, Henzi y entre effrontément :

Oui ! Non ! mais encor si, vous dis-je : C’en est fait, me voila, J’écri ! Tout le Pinde crie au Prodige Et craint qu’il ne soit avili : Le Chantre d’Ilion en colère, Me semble menacer du Poing, Et le Mantouan très sévére, Voudroit m’intimider de loin. Mais encor ! N’importe, je grimpe, En dépit de ces Sires là, Le Parnasse n’est pas l’Olympe. Et plus d’un Mortel s’y plaça.29

Monter sur le Parnasse n’est pas facile : on risque de tomber à tout moment. Ce- pendant, Henzi s’en moque. Ses ouvrages « ne doivent pas être des meilleurs »,30 mais il n’a pas peur d’affronter Homère, Virgile et, derrière eux, ce grand ennemi des muses qu’est Johann Christoph Gottsched (1700-1766). Dans le cadre de la querelle opposant l’auteur classique de Leipzig aux Zurichois Johann Jakob Bod- mer (1698-1783) et Johann Jakob Breitinger (1701-1776), Henzi prend – comme d’autres rédacteurs du Journal helvétique31 – le parti des poètes alémaniques qu’il défend à coup d’épigrammes.

28 Samuel Henzi : Resolution de Misodème de s’ériger en Ecrivain, Amusement de Misodeme ou pieces fugitives en Prose & en Vers. Feuille premiere (s.l. [Neuchâtel] 1745) 3. 29 Ibid. 30 Ibid. 4. 31 Voir Rodolphe Zellweger : « Ô Haller ! Ô Gessner ! Ô Bodmer. » Le « Journal helvétique » et la littérature suisse-allemande, Musée neuchâtelois (1979) 123-138. La querelle entre le profes- seur de Leipzig et les Zurichois a éclaté à propos du Versuch von schweizerischen Gedichten (1732) d’Albrecht von Haller, que Gottsched jugeait peu conforme aux règles émises dans son L’insécurité poétique dans la Suisse francophone du XVIIIe siècle 17

Le Bernois remarque pourtant que, sur le Parnasse, se trouvent aussi « un , un Voltaire[,] un Van Haeren, un Broks, un Haller, un Haguedorn, un de Rost »32 et il se sent plus mal à l’aise de côtoyer ces auteurs modernes que les ombres loin- taines des poètes de l’Antiquité. Face à eux, il exprime un sentiment d’insécurité en craignant de « se casser le Cou en gambadant en bas quelque Précipice ».33 Il le répétera plus loin en assurant que « la Montée dificile & périlleuse duPinde [lui] fait peur ».34 Mais le poète-journaliste se ravise ; il préfère à une couronne de laurier « un beau Panache de Sapin » et il définit sa position : « Eh, bien ! me voila immatriculé dans le Catalogue des Méchans Ecrivains : Qui plus est, je pré- tens de n’y pas mal figurer. »35 Cette position a un double intérêt : elle feint de concilier la vocation poétique de Henzi avec la mauvaise réputation des versifi- cateurs suisses et elle fait du Bernois un anti-Gottsched qui revendique une cer- taine grossièreté pour mieux se moquer du purisme littéraire et linguistique de l’école allemande. Des auteurs médiocres, Henzi se fait le héraut et même le gé- néral lorsque, sur un ton martial, il leur dispense des « conseils » pour les en- joindre à contre-attaquer les « bons écrivains » :

Pour moi je crois Apollon détrôné, Et que Momus, le Dieu de la Satire, Sur le Parnasse aujourd’hui couroné, Soufle aux Auteurs la fureur de médire.36

Il y a chez Henzi un programme qui, pour être exposé de manière décousue, n’en vise pas moins à bousculer le monde littéraire par un renversement des valeurs qui définissent le bon goût et le bel esprit, mais surtout par la contestation des autorités qui, confortablement installées sur le Parnasse, en ferment l’accès aux nouveaux venus. Les pièces rassemblées dans l’Amusement de Misodème et La Messagerie du Pinde alimentent ce programme. Henzi n’épargne aucune injure à

art poétique Versuch einer kritischen Dichtkunst vor die Deutschen (1730). Au début des années 1740, elle s’est centrée sur la question du merveilleux religieux et la place de l’imagination dans l’art poétique, deux notions que Bodmer et Breitinger opposent au classicisme rationnel de Gottsched. 32 S. Henzi : art. cit. [voir note 28] 5. 33 Ibid. 6. 34 S. Henzi : Songe de Misodème ou voiage sur le Parnasse de Hirschberg, ibid. feuille seconde 4. 35 S. Henzi : Resolution de Misodème de s’ériger en Ecrivain, art. cit. [voir note 28] 8. 36 S. Henzi : Conseil aux Méchans Ecrivains, ibid. feuille sixième 82. 18 Timothée Léchot

Gottsched et à ses amis : celui-ci donne « la Colique »37 aux muses ; son complice Daniel Stoppe (1697-1747) demeure un « grand Docteur en Bêtises / Dont les stupides Adhérans, / Sont Antipodes du Bon sens ».38 L’auteur exerce aussi sa satire contre les Français : le grand Boileau n’est pas toujours ménagé et Jean- Baptiste de Grécourt (1684-1743) est la cible de plusieurs épigrammes.39 D’autres sujets intéressent sa verve de polémiste. En pleine guerre de Succession d’Au- triche, l’ancien militaire s’exprime sur le mouvement des armées pour chanter la gloire de Louis XV ou pour se moquer des alliés austro-saxons. Dans La Messagerie du Pinde – presque essentiellement composée de vers –, Henzi diversifie cepen- dant sa production. Il s’essaie entre autres à l’imitation burlesque en donnant les longs fragments d’un « Homère travesti » résolument graveleux.40 Ainsi, l’option du « méchant écrivain » apparaît comme libératrice. Au moment de lancer son second périodique, Henzi présente le désir d’écrire comme une « dé- mangeaison » qu’il peut soulager légitimement, parce que les journaux du temps offrent une tribune aux mauvais auteurs :

Tout ceci, Ami Lecteur, m’encourage, à mettre aussi la main à la plume. Je me sens une démangeaison extraordinaire dans cette partie de mon Corps, à tracer cent mille fois tout l’Alphabet sur du Papier. Ce seroit un grand malheur, s’il n’en naissoit pas quelques Paroles, mais par raport au sens, & à la liaison que ces Paroles doivent avoir entr’elles, c’est la le moindre des soucis d’un Auteur moderne, & sur tout d’un Ecrivain périodique […].41

Ses pièces seront « peu travaillées & par conséquent bonnes ».42 Omniprésente chez le Bernois, l’autodépréciation se mue en autodérision et se trouve ainsi ré- investie d’une valeur comique. D’ailleurs, si Henzi est un poète balourd, son lec- torat suisse ne vaut pas mieux, comme on l’apprend dans une courte pièce sur « Le bon goût de V**** » :

37 S. Henzi : Reponse a la Lettre de Mr. le Chevalier de ***, ibid. feuille première 14. 38 Ibid. 16. 39 S. Henzi : Autre, La Messagerie du Pinde. Par M.O.L.E.E.B.H. [1] (s. l. [Neuchâtel] 1747) 40 ; Epigramme, ibid. 41 ; Autre, ibid. 40 S. Henzi : Homere travesti, ibid. 1-94 (pagination séparée) ; et dans la troisième pièce (s.l. [Neuchâtel] 1748) 91-132. Cf. Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux : L’Homère travesti, ou l’Iliade en vers burlesques. Ornée de Figures en Tailles-douces (Paris 1716). 41 S. Henzi : Au lecteur, La Messagerie du Pinde [1], op. cit. [voir note 39] 7. 42 Ibid. 8. L’insécurité poétique dans la Suisse francophone du XVIIIe siècle 19

A V****, dans un petit Bourg D’un des prémiers Cantons de Suisse, Mon Libraire à crû l’autre jour, Je ne sai pas par quel caprice, De pouvoir vendre de mes Vers ; Mais il ne fit pas son afaire, Car non plus qu’au fin fond du plus grand des Déserts Il n’y vendit point d’Exemplaire. Croyez-moi lui disois-je, au lieu de mes Ecrits Envoyez à ces beaux Esprits, Quelques fromages de Gruyéres ! Vous viendrez bien plûtôt à bout, De satisfaire leur bon goût.43

Henzi s’érige donc en champion du vers décomplexé ; le lieu commun de la gros- sièreté helvétique profite à son entreprise. Par la même occasion, il rallie égale- ment une tradition française bien établie, celle de la poésie burlesque. Son « Ho- mère travesti » paraît trente ans après celui de Marivaux et un siècle après Le Virgile travesti de Paul Scarron44. Par ailleurs, associer l’écriture en vers à une démangeaison grossière rapproche encore l’auteur suisse du cercle anglais de Jonathan Swift, Alexander Pope et John Arbuthnot dont le Peri Bathous, or the Art of Sinking in Poetry (1727) avait été traduit en français dès 1733. Dans cet anti-manuel de poésie, on peut lire que « l’envie d’écrire s’appelle proprement pruritus ou démangeaison » et qu’il est opportun de laisser parfois déborder sa « bile poétique » :45 « Il est donc manifeste qu’il faut tolérer la Médiocrité [poé- tique], & qu’on doit même la permettre aux bons Sujets d’Angleterre. »46 La gros- sièreté de Henzi n’est donc pas réductible au facteur helvétique, mais elle coïn- cide avec une posture burlesque qui profite d’une certaine forme de légitimité à l’échelle internationale.

43 S. Henzi : Le bon gout de V****. Conte, La Messagerie du Pinde 2, op. cit. [voir note 39] 55. 44 Cf. Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux : L’Homère travesti, ou l’Iliade en vers burlesques. Ornée de Figures en Tailles-douces (Paris 1716) ; et Paul Scarron : Le Virgile Travesty en vers burlesques, de Monsieur Scarron. Dedié à la Reyne (Paris 1683-1653). 45 Martin Scriblerus [John Artbuthnot, John Gay, Alexander Pope, Henri Jean de Bolingbroke, Jonathan Swift] : Peri Bathos ou l’Anti-Sublime, c’est-à-dire l’art de ramper en poésie, David Bosc (éd.) (Cabris 1999) 36. 46 Ibid. 37. 20 Timothée Léchot

Dans d’autres registres, l’insécurité linguistique et poétique rattrape le Bernois. Quoique de langue maternelle allemande, celui-ci se complait dans le plus strict purisme lorsqu’il prend le rôle d’un critique littéraire. Ses longues « Reflexions critiques sur quelques Piéces de Poësie du Mercure Suisse de Janvier 1748 » frappent par l’hypercorrection qu’elles convoquent. Une épitaphe anonyme n’est que le « misérable galimatias » d’un « pauvre Rimailleur » :47 les hémistiches qu’elle contient sont celle d’un « Allemand françois »48 qui ne maîtrise pas la syntaxe. L’épître d’une jeune veuve de Berne trahit une méconnaissance des « règles de la Poësie & de la Langue Françoise » ;49 elle comporte des hiatus qui ne provoquent rien de moins qu’une « cacophonie insuportable » ;50 des « fautes contre la mésure » le disputent à des « fautes contre le génie de la Langue Françoise ».51 Tel autre poète suisse a le défaut de ne connaître ni « les règles, ni le génie de la Langue »52 ; il pèche contre la mythologie et il mélange inopportunément les tons badin et sérieux. Un peu plus loin, un « Germanisme »53 épouvante Henzi qui s’est probable- ment appliqué une rigoureuse autodiscipline pour éviter les tournures allemandes dans ses propres vers. D’autres erreurs dans l’alternance des rimes masculines et féminines sont présentées comme d’impardonnables « fautes d’Ecolier ».54 « Mais a quoi sert ce purisme outré ? »,55 se demande finalement Henzi qui réalise, au mo- ment de terminer l’article, que ses observations sévères pourraient se retourner contre lui : « […] pour ce qui me regarde, Je dois dire avec Horace […] Qui veut qu’on lui pardonne, / Ne doit point critiquer trop rudemment personne. »56 Si la satire, l’invective et la parodie forment autant d’îlots qui placent le « mé- chant écrivain » en-deçà des traits de la critique et qui le préservent de l’insécurité littéraire, celle-ci n’est qu’esquivée et elle peut ressurgir à la moindre occasion.57

47 S. Henzi : Reflexions critiques sur quelques Piéces de Poësie du Mercure Suisse de Janvier 1748, La Messagerie du Pinde 3, op. cit. [voir note 39] 81. 48 Ibid. 82. 49 Ibid. 84. 50 Ibid. 51 Ibid. 52 Ibid. 86. 53 Ibid. 96. 54 Ibid. 98. 55 Ibid. 56 Ibid. 57 Lorsqu’il prépare une tragédie en cinq actes et en alexandrins sur Guillaume Tell, Grisler ou l’ambition punie, publiée de manière posthume (s.l. 1762), Henzi s’applique scrupuleusement L’insécurité poétique dans la Suisse francophone du XVIIIe siècle 21

Le mal du centre Samuel-Elisée Bridel (1761-1828), qui publie ses premiers vers quarante ans après les ouvrages de Henzi, adopte une attitude très différente face au problème d’une poésie suisse en mal de reconnaissance. Frère cadet de Philippe-Sirice, l’auteur des Poésies helvétiennes, le Vaudois s’exprime à une époque où l’émulation litté- raire est forte en Suisse francophone, et où les vers alémaniques d’Albrecht von Haller et de Salomon Gessner ont désormais conquis l’Europe. Cependant, le syn- tagme poète suisse continue de former, dans les années 1780, un oxymore sous la plume d’un auteur français comme Louis-Sébastien Mercier (1740-1814) : vue de l’extérieur, la Suisse protestante reste une terre où l’on ne cultive pas l’enthou- siasme et où l’on ne sait toujours pas tourner correctement un vers français.58 Dans un premier recueil de Délassemens poétiques (1788), Samuel-Elisée Bridel estime malgré tout que l’heure est à l’ouverture : « L’homme de lettres n’est plus Anglais, Français, Allemand. Cosmopolite nouveau, il fait sa récolte partout où il trouve de la culture, & s’enrichit des dépouilles de tout l’univers. […] On ne croit plus, de nos jours, qu’il soit impossible de raisonner hors de l’Angleterre, ou d’écrire avec élégance, sans avoir vêcu à Paris. »59 L’auteur a lui-même beaucoup voyagé avec deux princes de Saxe-Gotha, dont il est le précepteur depuis 1780 ; sa carrière de botaniste et de diplomate au service de la Saxe le mènera encore souvent en France, en Prusse, en Italie.60 En refusant d’admettre que Paris a le monopole de l’élégance, les Délassemens poétiques opèrent un décentrement. Selon Bridel, on peut composer des vers français hors de France. Pourtant, le recours au français empêche selon lui un recentrement sur la Suisse. Sans cacher ce qu’il doit aux paysages vaudois et à ses souvenirs d’enfance en termes d’inspiration poétique, Bridel rejette l’option de la

à rendre cette œuvre compatible avec les attentes qui reposent en France sur ce genre élevé qu’est la tragédie. Voir Manfred Gsteiger : Verschwörer und Literat : Samuel Henzi, ein franzö- sischer Schriftsteller des bernischen Ancien Régime, art. cit. [voir note 27] ; et la réédition de Samuel Henzi : Grisler ou l’ambition punie / Grisler oder der bestrafte Ehrgeiz. 1748/49, Tra- gédie / Tragödie, Kurt Steinmann (trad.) (Bâle 1996). 58 Voir F. Rosset : art. cit. [voir note 4] 136-137. 59 S.-E. Bridel : Avant-propos, Les Délassemens poétiques, par M** (Lausanne 1788) VI‑VII. 60 Voir la notice nécrologique signée « A. Monnard » dans : Nouvelles scientifiques et littéraires, Revue encyclopédique, ou analyse raisonnée des productions les plus remarquables dans les sciences, les arts industriels, la littérature et les beaux-arts ; par une réunion de membres de l’Institut, et d’autres hommes de lettres 38 (avril 1828) 240-246. 22 Timothée Léchot

« poésie nationale » qui avait réussi à Philippe-Sirice. Dans son avant-propos, il invoque en particulier le motif suivant :

ce qui nous empêchera toujours de donner à notre poésie une forme véritablement originale, c’est que nous n’avons point de langue qui nous appartienne en propre. Forcés de nous exprimer comme nos voisins, nous avons cependant d’autres sentiments à rendre, & d’autres scenes à dépeindre, & la langue d’un peuple asservi ne se prête que difficilement à devenir l’organe du patriotisme & de la liberté. La Française a sur- tout une délicatesse qui s’offense de la dureté des noms Suisses. Veut-on chanter la bataille de Morgarten, le dévouement de Winkelried, ou les prodiges de valeur dont furent témoins les remparts de Farnspurg, les Muses effarouchées s’enfuient, & le Poëte rébuté sent qu’avec de tels noms, il ne peut prétendre à des vers coulants & harmo- nieux.61

Ici, l’insécurité du scripteur périphérique n’est plus la conséquence d’un décalage entre la grossièreté helvétique et les grâces de la poésie, mais le corolaire d’une inadéquation du génie de la langue française avec le génie de la nation suisse, ou du moins avec les réalités physiques, morales et onomastiques qui caractérisent celle-ci. Présenté en termes carcéraux, l’asservissement linguistique d’un peuple qui se regarde comme politiquement libre constitue l’aveu d’une domination culturelle ressentie avec une certaine violence et pourtant admise. En effet, Bri- del ne propose aucune solution pour contourner le problème de la langue d’ex- pression : il se contente de le soulever et de se refuser la composition de pièces « véritablement Helvétiennes ».62 Sans préjuger des sentiments qui ont accompa- gné la publication de cette première œuvre, la position ambiguë de Bridel peut être perçue comme un malaise. L’auteur éprouve manifestement le besoin de se situer dans le jeu des forces centrifuges et centripètes qui l’attirent vers le centre littéraire parisien et qui l’en tiennent éloigné. Il revendique une pluralité d’in- fluences et il active des contrepoids – la littérature allemande, la littérature an- glaise et la poésie helvétienne de son frère auquel il rend hommage63 –, mais il ne rompt pas avec le centre français dont il reste à la fois un prisonnier et un exilé.

61 S.-E. Bridel : Avant-propos, op. cit. [voir note 59] XI-XII. 62 Ibid. XII. 63 Dans son recueil, Samuel-Elisée mentionne plusieurs fois Philippe-Sirice Bridel et il le pré- sente comme un modèle légitime dans une pièce de circonstance : Vers. Adressés à l’auteur des Poésies helvétiennes, le jour de sa fête, ibid. 168-172. L’insécurité poétique dans la Suisse francophone du XVIIIe siècle 23

Un an après les Délassemens poétiques, la question de la domination symbolique de la France est au cœur d’une deuxième publication : un récit allégorique intitulé Le Temple de la mode (1789) et présenté sous la forme d’un poème en prose divisé en dix chants. Dans cette satire de mœurs, Bridel donne à la mode une expression figurée, celle d’une déesse nommée Parasophie et du temple somptueux que celle-ci possède à Paris. Là se rendent des adorateurs de toute l’Europe. Même les Anglais, d’habitude trop fiers pour se laisser imposer des chaînes, et même les irréductibles Helvétiens se soumettent aux volontés de la déesse et de ses mi- nistres. Le temple, cette « patrie de toute les nations »,64 est un lieu de rencontre et un puissant facteur d’unification des peuples européens. Sa magnificence en impose au narrateur qui subit pleinement l’attrait d’un tel centre culturel. Cepen- dant, Parasophie exerce un pouvoir tyrannique et ses décisions sont imprévi- sibles. Espère-t-on recevoir d’elle un brin de reconnaissance pour ses talents ? Loin d’évaluer le mérite des artistes et des écrivains, elle « distribue à son gré la renommée »65 et elle se contente de piocher au hasard des noms dans « l’urne de la réputation »66 avant que son serviteur Caprice ne décide s’ils obtiendront la gloire ou s’ils tomberont dans l’oubli. Aux abords du temple, le narrateur ren- contre toute une série d’hommes et de femmes éplorés, à qui Parasophie refuse ses bienfaits. L’un d’entre eux est un poète. Chaque jour, il revient vers la déesse pour réclamer la consécration à laquelle ses talents lui donnent le droit de pré- tendre : « Vœux, offrandes, prieres, j’ai tout mis en œuvre pour m’attirer sa bien- veillance ; mais hélas ! elle n’a payé jusqu’ici mon zele d’aucune de ses faveurs. »67 Or, le narrateur apprend bientôt que « ses vœux ne seraient point exaucés, & que son nom ne devait sortir de l’urne de la Réputation que pour se perdre dans le fleuve de l’oubli » :68 subordonné à l’empire de la mode, l’espace littéraire est tissé d’injustices. Bridel pose donc un regard pessimiste sur le mécanisme de la recon- naissance symbolique qui tranche avec l’avant-propos des Délassemens. C’est bien auprès des instances parisiennes que les auteurs se tournent pour donner un sens à leurs activités, mais ces instances soumises à la fluctuation capricieuse des goûts émettent des jugements absolument arbitraires.

64 S.-E. Bridel : Le Temple de la mode. Par M*** (Lausanne 1789) 295. 65 Ibid. 208. 66 Ibid. 210. 67 Ibid. 272-273. 68 Ibid. 274-275. 24 Timothée Léchot

Bridel semble d’autant mieux prédestiné au « fleuve de l’oubli » qu’il est né suisse. Après avoir dénoncé par la satire la domination culturelle parisienne, il la réaf- firme en 1808 dans son dernier recueil de poésies où il choisit plus éloquemment la posture littéraire de l’exilé. Si les Délassemens mettaient l’accent sur la poésie épique et bucolique, avec des poèmes champêtres et des imitations d’Ossian, les Loisirs de Polymnie et d’Euterpe sont dédiés « Au génie du mont Cyllene »,69 c’est- à-dire à Hermès l’inventeur de la lyre, et ils s’ouvrent sur trois livres d’odes : Bridel privilégie désormais le lyrisme pindarique à l’image de son modèle parisien, le poète Ponce-Denis Echouard-Lebrun (1729-1807).70 L’ouvrage est publié à Paris et édité par les soins du baron Ludwig Benedict Franz von Bilderbeck (1766 ?-1833), avec qui Bridel a rédigé les Cahiers de lecture de Gotha. Signée par le baron, la préface rappelle que les poèmes antérieurs de l’auteur suisse ont été bien accueil- lis dans son pays natal et en Allemagne, quoiqu’ils fussent « moins connus en France ».71 Dans sa captatio benevolentiae, l’éditeur – dont on peut supposer que Bridel a, sinon inspiré, du moins validé les propos – insiste sur la situation excen- trée du poète :

L’auteur de ces Poésies est loin de croire que ses ouvrages n’aient pas besoin d’indul- gence : il la réclame avec d’autant plus de confiance qu’il ne manque pas de titres pour l’obtenir. Né en Suisse, comme nous venons de le dire, il a passé en Allemagne la plus grande partie de sa vie : il ne tient pour ainsi dire à la France que par son admiration pour les hommes illustres qui en font la gloire, et par ses relations avec quelques hommes de lettres.72

Ainsi orientée par Bilderbeck, la réception de l’œuvre doit tenir compte de l’ori- gine non française de l’auteur francophone. Le statut de poète suisse n’est plus

69 S.-E. Bridel : Les Loisirs de Polymnie et d’Euterpe, ou choix de poésies diverses de M. S. E. de Bridel. Recueillies et publiées par M. le baron de Bilderbeck (Paris 1808) s.p. 70 Sur Les Loisirs de Polymnie et d’Euterpe, voir Claire Jaquier : Bienfaits et richesses de la nature : un point de rencontre entre économie rurale et littérature nationale, in André Holenstein, Béla Kapossy, Danièle Tosato-Rigo, Simone Zurbuchen (dir.) : Richesse et pauvreté dans les répu- bliques suisses au XVIIIe siècle (Berne 2008) 163-173 ; et Jean-Noël Pascal : Un poète lyrique suisse émule de Le Brun : le baron Samuel-Elisée Bridel, Cahiers Roucher – André Chénier 23 (2004) 121-139. 71 Préface de l’éditeur, in S.-E. Bridel : Les Loisirs de Polymnie et d’Euterpe, op. cit. [voir note 69] VIII. 72 Ibid. X. L’insécurité poétique dans la Suisse francophone du XVIIIe siècle 25

seulement un préjudice ; il devient également un motif d’indulgence et un pare- feu contre la critique. Très diverses, les odes de Bridel abordent des sujets puisés dans la tradition clas- sique, de même que dans l’histoire ancienne de la Suisse ou l’histoire récente de l’Amérique. À l’égard de la France, elles déplorent la violence des révolutionnaires et célèbrent Napoléon. Parmi les plus personnelles, la dernière des odes retrace « Ma carriere poétique » ; elle date de 1804 et peut être interprétée comme le récit du combat d’un auteur ambitieux contre l’insécurité littéraire. Jeune poète, Bridel explique qu’il a d’abord cherché à imiter les lyriques grecs et romains. Ce- pendant,

d’un trop juste affront mon audace est punie. Rebelle à mes desirs, muette sous mes doigts, Ma lyre se refuse aux accents de ma voix ; J’épuise en vains efforts mon stérile génie, Et vais cacher ma honte à l’ombre de nos bois.73

C’est alors que son frère, l’auteur des Poésies helvétiennes, le tire de son découra- gement en lui faisant sentir les grâces d’une poésie simple et champêtre, consa- crée aux héros et aux paysages de la Suisse. Rasséréné, Samuel-Elisée suit un temps cette carrière avant d’abandonner « et [sa] route et [son] guide étonné »74 pour prendre de la hauteur. Il retrouve alors le lyrisme de sa jeunesse, mais dé- barrassé de sa honte face aux modèles de l’Antiquité et libre de quitter les « sen- tiers battus » pour faire « voler [ses] chants vers des bords étrangers ».75 Le poète suisse a donc besoin d’un appui pour prendre confiance et pour se re- trouver lui-même. Samuel-Elisée aurait découvert cet appui auprès de son aîné qui avait acquis à l’intérieur de la Suisse une aura de poète et d’historien natio- nal. Pour autant, ses chants ont-ils atteint quelque « bord étranger » comme il l’ambitionnait ? Ecrite à la même époque que « Ma carrière poétique » et publiée parmi les « Poésies mêlées » du recueil, une pièce intitulée « Les Deux ruis- seaux » complète le dessin que l’auteur fait de sa propre trajectoire littéraire. Les deux ruisseaux de cette allégorie représentent la gloire et le bonheur.

73 S.-E. Bridel : Ode XII. Ma carriere poétique. A l’auteur des Poésies helvétiennes. En 1804, ibid. 196-197. 74 Ibid. 199. 75 Ibid. 26 Timothée Léchot

Tous deux prennent leur source au pied du trône du destin. Le torrent de la gloire est dangereux et les mortels y périssent souvent lorsqu’ils prétendent s’y lancer. Bridel a quant à lui puisé dans le fleuve du bonheur mais, à plus de qua- rante ans, il souhaiterait pouvoir enfin s’abreuver à l’autre ruisseau : « O Gloire ! à tes faveurs j’ai quelques droits peut-être. »76 Né à peu de distance de Genève et de Ferney, Bridel a foulé les mêmes campagnes que Jean-Jacques Rousseau et Voltaire, et il prétend avoir suivi la trace de ces deux maîtres. Pourtant, le poète avoue son échec tout en réaffirmant douloureusement la toute-puissance du centre littéraire parisien :

Ce ciel, dispensateur de la célébrité, Avare de ses dons, ne m’a point écouté. Mes chants sont inconnus aux rives de la Seine. Mon nom du peuple-roi serait-il répété, Quand les bords du Léman le connaissent à peine ?77

Bridel se peint comme un auteur méconnu, aux élans frustrés, tenu à l’écart du Parnasse français. Ce n’est en effet ni en France ni en poésie qu’il a obtenu un brin de reconnaissance, mais en Allemagne et dans le domaine de la botanique :

Mais enfin sur ce globe où le sort m’a jeté, De mon passage au moins je laisserai la trace. Les Alpes m’ont vengé des rigueurs du Parnasse, Et Flore pour ma gloire a fait plus qu’Apollon. Une plante à l’oubli dérobera mon nom. Venez, ô mes amis ! contemplez la couronne Qui brille sur mon front des siecles respecté. Le Ciel me la devait, un Sage me la donne, Et je vole avec elle à l’immortalité.78

Une note précise que Bridel – spécialiste des mousses et des lichens – a été distingué par le botaniste berlinois Carl Ludwig Willdenow (1765-1812) qui lui a dédié le genre végétal Bridelia. Quoi qu’il en soit, l’auteur exploite dans sa poé- sie un sentiment de mise à l’écart et un destin pitoyable d’auteur anonyme.

76 S.-E. Bridel : Les Deux ruisseaux. En 1804, ibid. 378. 77 Ibid. 379. 78 Ibid. 379-380. L’insécurité poétique dans la Suisse francophone du XVIIIe siècle 27

D’autres textes des Loisirs de Polymnie et d’Euterpe racontent des ambitions dé- çues, comme celles des aéronautes Jean-François Pilâtre de Rozier et Pierre Ro- main dont le ballon s’est écrasé en 1785.79 La marginalité, l’échec ou l’obscurité ont un parfum de modernité ; on sait que ces thèmes deviendront bientôt de véritables topoï. Sans sacrifier avant l’heure aux effusions d’un lyrisme mélancolique, Bridel a dé- couvert un filon dans sa situation périphérique en investissant son illégitimité de poète d’un certain pathos et d’une certaine morale – celle de l’ambition punie.

* Samuel Henzi et Samuel-Elisée Bridel ne font pas véritablement d’émules.80 Il n’empêche que plusieurs de leurs contemporains ont adopté des attitudes compa- rables face à l’insécurité linguistique et littéraire. L’exploitation pathétique d’une mise à l’écart du poète, en particulier, profitera à de jeunes romantiques genevois qui prennent la posture du mal-aimé. C’est le cas de Charles Didier dont les Mélo- dies helvétiques (1828) jouent sur l’écart fatal entre une Suisse antipoétique et le centre littéraire français :

Enfant d’une patrie où l’on rit du poète, Pourquoi chanter ? Pourquoi d’un sourire moqueur Contre moi provoquer l’outrageante froideur ?… Français ! c’est parmi vous que je cherche un refuge, Et, de l’obscurité téméraire transfuge, C’est de vous que j’implore un généreux appui.81

Les poètes suisses sont-ils vraiment, auprès de leurs compatriotes, les victimes d’un rire moqueur et d’une « outrageante froideur » ? Dès le XVIIIe siècle, la poésie patriotique destinée à chanter les vertus des anciens Suisses, leurs alliances mi- litaires et leurs paysages idylliques ou sublimes est au contraire fortement valo- risée à l’intérieur du pays. Après 1780, elle offre une ressource salvatrice contre

79 S.-E. Bridel : Ode XI. L’aéronaute, ibid. 61-69. 80 Un auteur vaudois, Charles François Recordon (1800-1870), se réclamera de Samuel-Elisée Bridel en 1823, au moment de publier son premier recueil de Poésies lyriques, mais ce sont les pièces patriotiques de frères Bridel qu’il admira par-dessus tout. Voir T. Léchot : art. cit. [voir note 22]. 81 Charles Didier : Aux Français, in Mélodies helvétiques. Par Charles Didier (Genève, Paris 1828) 3. 28 Timothée Léchot

l’insécurité, sans doute parce que sa légitimité se situe hors du domaine littéraire : l’importance de célébrer la patrie ou de resserrer le nœud fédéral entre les terri- toires helvétiques l’emporte sur la peur de la balourdise et de l’incorrection. Plus globalement, en Suisse francophone, les diverses expériences des poètes ont donc contribué, d’une part, à développer une première forme de surconscience linguistique82 et, d’autre part, à apprivoiser une situation de rupture par rapport aux instances de légitimation. Ces deux phénomènes s’expriment en premier lieu dans le paratexte des recueils, marqué par la prégnance d’un métadiscours expli- catif ou justificatif. Mais chez les auteurs que nous avons abordés, la situation d’énonciation problématique du poète suisse a l’intérêt de s’inscrire dans les œuvres elles-mêmes et d’acquérir ainsi une valeur littéraire propre. Mieux que la récurrence de certains thèmes et motifs nationaux, mieux que d’hypothétiques innovations formelles qu’on aurait beaucoup de peine à déceler dans les vers suisses, ce métadiscours et cette tendance à l’autoréflexivité constituent les indices les plus fiables d’une littérature périphérique en train d’éclore.

82 Nous employons cette notion dans le sens que lui donne Lise Gauvin : « Surconscience, c’est- à-dire conscience de la langue comme lieu de réflexion privilégié, comme espace de fiction voire de friction, comme territoire imaginaire à la fois ouvert et contraint. » Lise Gauvin : Surconscience linguistique, in Michel Beniamino, Lise Gauvin (dir.) : op. cit. [voir note 9] 172. Pace e guerra nelle vicende di una famiglia di mercanti alpini. Conflittualità familiare nel casato Pedrazzini di Campo Vallemaggia (XVIII s.)

Francesca Chiesi Ermotti

Premessa1 La storia dell’emigrazione imprenditoriale della famiglia dei mercanti Pedrazzini di Campo Vallemaggia si situa all’intersezione di due campi della ricerca storica tra i più stimolanti e innovativi degli ultimi decenni: la storia della famiglia2 e la storia dell’emigrazione.3 Gli itinerari dei Pedrazzini, ricostruiti per il XVIII secolo, illustra- no la complessità che scaturisce dall’incontro tra i due ambiti d’indagine in uno spazio euristico come l’arco alpino in epoca moderna. La specificità storica ricono- sciuta alle Alpi è stata il presupposto per l’avvio di una fase prolifica di studi in una prospettiva comparativa e sovranazionale.4 L’esame delle migrazioni alpine in par-

1 Questo contributo si basa su alcuni dei risultati emersi dalla tesi di dottorato «Le Alpi in movimento. Percorsi imprenditoriali di un casato alpino: i Pedrazzini di Campo Vallemaggia (XVIII s.)», sostenuta nel novembre 2014 in cotutela tra l’università di Ginevra e l’EHESS di Parigi. 2 Della ricca bibliografia si citano qui essenzialmente M. Barbagli, D. I. Kertzer (a cura di): Storia della famiglia in Europa: Dal Cinquecento alla Rivoluzione francese (Roma-Bari 2001); A. Gestrich, J.-U. Krause, M. Mitterauer: Geschichte der Familie (Stuttgart 2003); F. Chacón Jimenez, J. Hernández Franco (ed.): Espacios sociales, universos familiares. La familia en la historiografia española (Murcia 2007); J.-P. Poussou, I. Robin-Romero (dir.): Histoire des fa- milles, de la démographie et des comportements, en hommage à Jean-Pierre Bardet (Paris 2007); D. W. Sabean, S. Teuscher, J. Mathieu (ed.): Kinship in Europe. Approaches to long- term development:1300-1900 (New York 2007); D. Albera: Au fil des générations: terre, pou- voir et parenté dans l’Europe alpine: XIVe-XXe siècles (Grenoble 2011). 3 Tra i numerosi lavori sul tema, si vedano P. Corti, M. Sanfilippo: Migrazioni, Annali della Storia d’Italia 24 (2009) e soprattutto P.-Y. Beaurepaire, P. Pourchasse (dir.): Les circulations inter- nationales en Europe: années 1680-années 1780 (Rennes 2010); oltre al numero tematico su Migrations - Exodes - Diasporas, Annales. H.S.S. 2 (2011) 66. 4 J.-F. Bergier, S. Guzzi (dir.): La découverte des Alpes = La scoperta delle Alpi = Die Ent- deckung der Alpen, Itinera, 1992/12; M. Körner, F. Walter (dir.): Quand la montagne aussi a une histoire: Mélanges offerts à Jean-François Bergier (Bern-Stuttgart-Wien 1996); J.-F. Bergier: Pour une histoire des Alpes: Moyen Âge et temps modernes (Aldershot [etc.] 1997); xviii.ch, vol. 6/2015 30 Francesca Chiesi Ermotti

ticolare ha permesso di decostruire lo stereotipo dell’immobilismo e dell’arretratez- za di uno spazio considerato ai margini della «modernità», consolidando a sua volta il paradigma della mobilità delle montagne europee, luoghi strategici di tran- sito e di scambi commerciali5. L’incessante itineranza alpina, che rappresenta per i suoi attori una vera e propria strategia economica e un espediente per compensare risorse limitate, restituisce alle Alpi la loro vivacità e le integra nel dinamismo dell’economia d’Antico Regime.6 Stemperando idee preconcette quali il loro isola- mento e la secolare fissità, le Alpi sono così state colte nel loro movimento. Per quanto riguarda lo studio dei fenomeni migratori nel contesto elvetico, un rinnovato interesse per i percorsi degli Svizzeri all’estero (non più solo legati al mercenariato) ha ispirato una nuova stagione storiografica.7 Ricerche recenti

J. Mathieu: Geschichte der Alpen 1500-1900: Umwelt, Entwicklung, Gesellschaft (Köln 1998); J. Mathieu, S. Boscani Leoni (hg.): Die Alpen! Zur europäischen Wahrnehmungsge- schichte seit der Renaissance = Les Alpes! Pour une histoire de la perception européenne depuis la Renaissance (Bern [etc.] 2005). Si vedano anche gli articoli di L. Fontaine, J. Mathieu, U. Pfister e F. Walter sul tema «Montagnes: représentations et appropriations» e sulla «spécificité montagnarde», Revue d’histoire moderne et contemporaine 52/2 (2005). 5 Sulla mobilità commerciale nelle Alpi si vedano D. Jauch (a cura di.): Col bastone e la bisaccia per le strade d’Europa: Migrazioni stagionali di mestiere nell’arco alpino dei secoli XVI-XVIII (Bellinzona 1991); A.-M. Granet-Abisset: La route réinventée: Les migrations des Queyrassins aux XIXe et XXe siècles (Grenoble 1994); G. L. Fontana, A. Leonardi, L. Trezzi (a cura di): Mo- bilità imprenditoriale e del lavoro nelle Alpi in età moderna e contemporanea (Milano 1998); P. Poujade: Le voisin et le migrant: hommes et circulations dans les Pyrénées modernes: XVIe- XIXe siècle (Rennes 2011). Si rimanda poi anche agli articoli apparsi sul tema «Mobilité spa- tiale et frontières = Räumliche Mobilität und Grenzen», nel numero tematico di Histoire des Alpes – Storia delle Alpi – Geschichte der Alpen 3 (1998); o al numero monografico su «Mo- bilité spatiale = Räumliche Mobilität und Grenzen», Revue suisse d’histoire 49 (1999); come pure alla sintesi delle ricerche sulle migrazioni alpine proposto da J. Mathieu: «Migrationen im mittleren Alpenraum: 15.‑19. Jahrhundert: Eträge und Probleme der Forschung», Itinera 2 (2002) 95-110. 6 L. Fontaine: Les Alpes dans le commerce européen: XVIe-XVIIIe siècles, Itinera 12 (1992) 130- 152; Ead.: Pouvoir, identités et migrations dans les hautes vallées des Alpes occidentales: XVIIe-XVIIIe siècles (Grenoble 2003). 7 Dell’ampia bibliografia prodotta si è scelto di menzionare solo alcuni titoli delle riviste che hanno trattato il tema, tra cui Der Weg in die Fremde = Le chemin de l’expatriation, Itinera 11 (1992); Mobilité spatiale, Revue suisse d’histoire 49/1 (1999); Partir pour travailler: mobilités et migrations professionnelles à Neuchâtel et en Suisse: fin XVIIIe – milieu XXe siècle, Revue historique neuchâteloise 1-2 (2001); Les migrations de retour = Rückwanderungen, Histoire des Alpes – Storia delle Alpi – Geschichte der Alpen 14 (2009); e soprattutto Die Schweiz anderswo. La Suisse ailleurs. AuslandschweizerInnen - SchweizerInnen im Ausland. Les Suisses de l’étran- ger – Les Suisses à l’étranger, Schweizerisches Jahrbuch für Wirtschafts- und Sozialgeschichte – Pace e guerra nelle vicende di una famiglia di mercanti alpini 31

hanno messo in luce migrazioni professionali dal territorio dell’antica Confedera- zione e dinamiche imprenditoriali,8 che si iscrivono pienamente nelle realtà docu- mentate dai molti studi sull’itineranza di mestiere. A questo proposito, lo spazio che comprende il territorio dei baliaggi italiani del Corpo elvetico – contraddistin- to da una spiccata tradizione migratoria – rappresenta un vero e proprio «labora- torio dell’itineranza»,9 che ha prodotto lavori importanti sul fenomeno delle mi- grazioni di Antico Regime.10 Il casato di cui questa ricerca segue i percorsi imprenditoriali, rilevandone gli aspetti conflittuali, si colloca tra le dinastie di mercanti provenienti da quest’area e attive nel commercio europeo11.

Annuaire suisse d’histoire économique et sociale, 29 (2015). Si vedano inoltre i due saggi di A.-L. Head-König: Hommes et femmes dans la migration: la mobilité des Suisses dans leur pays et en Europe: 1600-1900, in: A. Eiras Roel, O. Rey Castelao (dir.): Migrations internes et à moyenne distance en Europe: 1500-1900, vol. 1 (Santiago de Compostella 1994) 225-245; A.‑M. Piuz: Le commerce européen et les Suisses: XVIIe et XVIIIe siècles, in: P. Braunstein et al. (a cura di): Il mestiere dello storico dell’Età moderna (Bellinzona 1997) 121-135. 8 Cfr. le ricerche di R. Zaugg: Stranieri di antico regime: Mercanti, giudici e consoli nella Napoli del Settecento (Roma 2011); M.-C. Schöpfer Pfaffen, G. Imboden: The Fratelli Loscho in Brig: Alpine entrepreneurship in small markets during the napoleonic era, in: M. A. Denzel, Ph. Robinson Rössner, J. De Vries (ed.): Small is beautiful? Interlopers and smaller trading nations in the pre-industrial period: proceedings of the XVth world economic history Congress in Utrecht (Netherlands) 2009 (Stuttgart 2011) 219-249; N. Rolla: Appunti sui lavoratori gior- nalieri dei cantieri edili torinesi nel Settecento: una ricerca in corso, Mélanges de l’Ecole française de Rome: Italie et Méditerranée (MEFRIM) (1) 2013 181-193; S. Girardier: La méca- nique et le luxe selon les Jaquet-Droz et Leschot: Produire et vendre à l’international: 1781- 1811, in: N. Sougy (dir.): Luxes et internationalisation: XVIe-XIXe siècles (Neuchâtel 2013) 289-312; S. Bianchi: I cantieri dei Cantoni: Relazioni, opere, vicissitudini di una famiglia della Svizzera italiana in Liguria: secoli XVI-XVIII (Genova 2013); M. Schnyder: La Suisse faite par l’étranger: Les migrants suisses dans le duché de Savoie et dans la République de Venise: XVIIe- XVIIIe siècles, in: Die Schweiz anderswo [vedi nota 7] 83-102. 9 F. Walter: Histoire de la Suisse: L’âge classique: 1600-1750, tome 2 (Neuchâtel 2009) 53. 10 Tra i molti titoli che andrebbero citati, si ricordino R. Ceschi: Nel labirinto delle valli: Uomini e terre di una regione alpina: la Svizzera italiana (Bellinzona 1999); R. Merzario: Adamocrazia: Famiglie di emigranti in una regione alpina: Svizzera italiana: XVIII secolo (Bologna 2000); L. Lorenzetti, R. Merzario: Il fuoco acceso: Famiglie e migrazioni alpine nell’Italia d’età moder- na (Roma 2005); S. Levati, L. Lorenzetti (a cura di): Dalla Sila alle Alpi: l’itinerario storiogra- fico di Raul Merzario (Milano 2008). Si veda anche il prezioso contributo che offre uno sguardo d’insieme sul fenomeno dell’emigrazione di mestiere nell’Europa meridionale di C. Maitte: Mo- bilités internationales de travail en Europe du Sud: v. 1680-1780, in: P.-Y. Beaurepaire, P. Pourchasse (dir.): Les circulations internationales en Europe [vedi nota 3] 37-54. 11 L. Lorenzetti: Les élites «tessinoises» du XVIIe au XIXe siècles: alliances et réseaux familiaux, in: A.-L. Head-König, L. Lorenzetti, B. Veyrassat (dir.): Familles, parenté, réseaux en Occident: XVIIe-XXe siècles: Mélanges offerts à Alfred Perrenoud (Genève 2001) 207-226; Id.: Controllo 32 Francesca Chiesi Ermotti

Gli itinerari dei mercanti alpini La famiglia Pedrazzini è originaria di un villaggio situato in un’impervia valle la- terale nell’alta Vallemaggia (a 1320 metri di altitudine), nelle montagne dell’at- tuale Svizzera italiana, un tempo baliaggi comuni dei XII cantoni elvetici. Da questo luogo discosto e periferico rispetto ai centri del commercio nell’Europa d’epoca moderna, i mercanti gestiscono per più di un secolo un negozio di pro- dotti coloniali nella città tedesca di Kassel, nel landgraviato di Assia-Kassel.12 Tra fine Seicento e i primi decenni dell’Ottocento,13 i negozianti campesi consolidano una fiorente attività commerciale sotto la ragione sociale Gaspard Pedrazzini & fils. La loro emigrazione s’iscrive in un fenomeno più vasto e ben documentato, di cui André Holenstein ha recentemente sottolineato le implicazioni nell’intrec- cio socio-economico che descrive la storia svizzera.14 Il percorso dei Pedrazzini ricalca quello di altri mercanti sudalpini, recatisi come colporteurs, Lemonihändler

del mercato, famiglie e forme imprenditoriali tra le élite mercantili sudalpine dalla fine del Cinquecento al Settecento, in: S. Cavaciocchi (a cura di): Il ruolo economico della famiglia secoli XIII-XVIII, Atti del convegno dell’Istituto Internazionale di Storia Economica F. Datini, (Firenze 2009) 517‑526. 12 Un listino a stampa dei prezzi del 1796 a Kassel illustra i prodotti commerciati dalla ditta Pedrazzini: «Waaren Preise bey Gaspar Pedrazzino und Söhne». La diversificazione merceolo- gica è tipica delle drogherie settecentesche, in cui oltre a spezie, generi alimentari, dolci, bevande alcoliche, condimenti si trovano coloranti, sostanze organiche e polveri per prepara- ti. Nel lungo elenco in tedesco sono menzionate spezie quali: noce moscata, chiodi di garofa- no, cannella, zafferano, cardamomo, zenzero, pepe bianco e nero. I mercanti vendono poi cioccolato, varie qualità di té (nero e verde), diversi tipi di caffè (Levante, Giava, Martinica, Santo Domingo) e zucchero (di Amburgo, olandese, inglese). Nella lista si trovano mandorle, frutta candita (arance e limoni), confetti o dragées de Verdun (con mandorle, anice, finocchio, coriandolo, cumino), «cibebi» (al malaga o al moscatello), ciliegie («Bierkirschen»), «truffo- li» ovvero tartufi, spugnole, pistacchi, pinoli, capperi, olive provenzali, senape di Doesburg, sago indiano, oltre a pasta (tagliatelle, «lasagni & macaroni» di Genova), farina di semola, orzo, riso, tritello di avena. Completano l’enumerazione olio di melaleuca, formaggio (parmi- giano e Gruyère), acciughe, aceto di vino, talco o cipria, amido e limoni. 13 La cronologia stessa della parabola familiare ritaglia una cornice temporale che per le sue caratteristiche introduce nell’esame un aspetto singolare da sottoporre ad attenta valutazio- ne. Il Settecento dei Pedrazzini si estende a coprire la fine del secolo precedente e lambisce i primi decenni del XIX. La traiettoria familiare oltrepassa per durata le cesure poste dalla storiografia, annullando lo iato creato dalla fine dell’Ancien Régime e dell’epoca balivale per prolungarsi sino agli anni 1830. 14 A. Holenstein: Mitten in Europa: Verflechtung und Abgrenzung in der Schweizer Geschichte (Baden 2014) [in particolare la sezione su «Verflechtungen in der alten Schweiz», 27 sg., e più specificamente il capitolo dedicato alla «Kommerzielle Verflechtung», 79-107]. Pace e guerra nelle vicende di una famiglia di mercanti alpini 33

o venditori di coloniali in centri tedeschi.15 La loro attività imprenditoriale pog- gia in particolare su una rete formata da compatrioti emigrati a nord delle Alpi e cementata da alleanze matrimoniali. Le ramificazioni di questo network mercan- tile illustrano collaborazioni con gli emigranti campesi Lamberti, Fantina, Sartori e Tosetti, proprietari di drogherie ad Ansbach, Heidelberg, Mannheim e Magonza. L’itineranza dei mercanti riflette il modello delle emigrazioni temporanee nell’arco alpino, con un’alternanza dettata dai ritmi delle attività commerciali e dalla so- stituzione del personale in azienda. Nondimeno, la pratica migratoria dei Pedraz- zini si distingue da quella dei conterranei per assenze più brevi e tragitti frequen- ti grazie a una specifica concezione del progetto imprenditoriale. Questo è comune a un gruppo familiare ampio e ramificato ed è stabilito sulla rotazione concertata dei discendenti associati. Nel negozio si succedono essenzialmente gli eredi maschi, che tuttavia non vi soggiornano per periodi eccessivamente lunghi, ma ritornano regolarmente nel villaggio natio. Nelle cadenze dell’emigrazione così come nella gestione imprenditoriale collettiva si riconoscono i tratti caratte- ristici di un gruppo, la cui importante fecondità ha favorito la continuità gestio- nale dell’azienda familiare. Da ciò deriva in primo luogo uno specifico rapporto con il paese straniero, in- fluenzato dalla prospettiva del ritorno in patria. I soggiorni ciclici dei parenti a Kassel e il loro avvicendarsi in negozio implicano un’appartenenza episodica e imperfetta alla comunità d’accoglienza, e ostacolano un’integrazione duratura. Il carattere effimero della loro iscrizione nella città tedesca risulta dall’intensità dei legami con la patria e dalla distanza che essi mantengono con la società

15 Si veda soprattutto J. Augel: Italienische Einwanderung und Wirtschafstätigkeit in rheinischen Städten des 17. und 18. Jahrhunderts (Bonn 1971); ma anche i contributi di L. Bauer: Die italienischen Kaufleute und ihre Stellung im protestantischen Nürnberg am Ende des 16. Jahr- hunderts, Jahrbuch für fränkische Landesforschung 22 (1962) 1-18; G. Seibold: Zur Situation der italienischen Kaufleute in Nürnberg während der zweiten Hälfte des 17. und der ersten Hälfte des 18. Jahrhunderts, Mitteilungen des Vereins für Geschichte der Stadt Nürnberg 71 (1984) 186-207; A. Schindling: Bei Hofe und als Pomeranzenhändler: Italiener im Deutschland der frühen Neuzeit, in: K. J. Bade (Hg.): Deutsche im Ausland - Fremde in Deutschland: Migra- tion in Geschichte und Gegenwart (München 1992) 287-294; Ch. Peter: Operatori prealpini all’estero: negozianti comaschi a Francoforte nel Settecento, in: L. Mocarelli (a cura di): Tra identità e integrazione: La Lombardia nella macroregione alpina dello sviluppo economico eu- ropeo: secoli XVII-XX (Milano 2002) 195‑209; R. Beck: Lemonihändler: Welsche Händler und die Ausbreitung der Zitrusfrüchte im frühneuzeitlichen Deutschland, Jahrbuch für Wirtschafts- geschichte 2 (2004) 97-123. 34 Francesca Chiesi Ermotti

straniera, di cui colgono soprattutto le opportunità economiche, non volendo sottomettersi a obblighi legati alla residenza. Ciononostante, di fronte alle pres- sioni della borghesia mercantile, i negozianti sono obbligati a entrare nella gilda cittadina. La cooptazione nella corporazione di mestiere parrebbe preludere a un’acquisizione della borghesia, senza tuttavia che vi sia un’integrazione tra le élites locali né la conclusione di unioni con autoctone. Pur non desiderando con- trariare le autorità urbane o i membri della corte principesca, i Pedrazzini riven- dicano il loro statuto di stranieri mobili con i privilegi fiscali e giuridici che vi sono associati. Secondariamente, al rifiuto di assimilarsi alla società tedesca fa eco un lavoro di radicamento e di affermazione nello spazio di origine. La costruzione del prestigio familiare, nutrito dal successo dell’impresa, si realizza tramite un’iscrizione nel contesto politico, religioso ed economico dei baliaggi elvetici. Numerosi investi- menti marcano questa volontà di appartenenza alle origini, come l’acquisizione di terre e beni, il credito, i legati a istituzioni religiose, il mecenatismo e le cariche politiche. Tramite una politica di influenza e un patrimonio costituito grazie ai proventi dei commerci, essi mirano a ottenere diritti legati all’appartenenza loca- le, consolidando la loro reputazione tra i notabili locali. Tali investimenti assicu- rano d’altra parte ai negozianti le condizioni economiche e i rapporti di fiducia indispensabili all’attività commerciale in Germania. La mobilità dei Pedrazzini poggia dunque sull’equilibrio che i mercanti ricercano e mantengono tra appartenenza alla società d’origine e inclusione nel contesto tedesco.

La discordia tra parenti e il suo intreccio A unire i due ambiti in cui si esplica la presenza dei negozianti non sono soltan- to fattori inerenti la concezione del progetto imprenditoriale quali ad esempio l’alternanza degli emigranti tra la sede della ditta e le dimore familiari, la circo- lazione della manodopera reclutata nelle valli alpine e impiegata nelle drogherie tedesche, una rete commerciale che riproduce gerarchie e solidarietà proprie alla comunità di provenienza, il viaggio di merci e beni, lo scambio di informazioni per il tramite della corrispondenza. Il nesso tra i due contesti di iscrizione è connaturato nella vicenda familiare e trova conferma in un esame della litigiosi- tà, che increspa la storia del casato. Pace e guerra nelle vicende di una famiglia di mercanti alpini 35

Lo studio della conflittualità nelle vicende familiari dell’Europa moderna16 ha per- messo di ricostruire una complessa casistica degli episodi di scontro,17 indivi- duando attriti tra padri o genitori e figli, tra coniugi, tra fratelli e sorelle, tra zii e nipoti, tra collaterali o attorno alla figura della vedova.18 All’origine delle osti- lità che sconvolgono la pace familiare vi sono questioni legate in particolare alla successione o alla trasmissione di beni, all’attribuzione di diritti e prerogative, alla tutela di eredi. Di queste cause si trova traccia anche tra le vertenze che oppongono i discendenti Pedrazzini, benché la discordia nel casato – come si avrà modo di vedere – si estenda oltre i rami per toccarne anche le linee in entrambi gli ambiti di appartenenza. L’animosità nella famiglia di mercanti è infatti rivela- trice dell’interrelazione tra i due spazi e del loro intersecarsi. Un’analisi dei con- flitti sorti nei due luoghi permette così di superare un’astratta bipartizione e la dicotomia che suo malgrado si insinua nel tentativo di abbracciare la traiettoria commerciale del casato, tesa tra spazi lontani. Più aspetti documentano la con- giunzione tra la conflittualità degli eredi in patria (sul terreno del patronato

16 Sul tema della conflittualità familiare è stato utile confrontarsi con i lavori di M. Daumas: L’affaire d’Esclans: Les conflits familiaux au XVIIIe siècle (Paris 1988); F.-J., Ruggiu: L’Individu et la famille dans les sociétés urbaines anglaise et française: 1720-1780 (Paris 2007) [sprt. la parte seconda su «Solidarités et conflits au sein de la famille», 129 sg.]; C. Chatelain: Chro- nique d’une ascension sociale: Exercice de la parenté chez des grands officiers: XVIe-XVIIe siècles (Paris 2009) [in particolare il capitolo «Logiques des conflits et conflits des logiques», 333-356]; e soprattutto con i contributi riuniti nella miscellanea curata da A. Bellavitis, I. Chabot (éd.): La justice des familles: Autour de la transmission des biens, des savoirs et des pouvoirs: Europe, Nouveau monde: XIIe-XIXe siècles (Rome 2011), che hanno costituito uno spunto per approfondire il rapporto tra conflitto nel contesto familiare e trasmissione o suc- cessione. Per quanto riguarda i conflitti nelle famiglie di emigranti alpini, si rimanda al saggio di L. Lorenzetti: Razionalità, cooperazione, conflitti: gli emigranti delle Alpi italiane: 1600- 1850, in: A. Arru, D.-L. Caglioti, F. Ramella (a cura di): Donne e uomini migranti: Storie e geografie tra breve e lunga distanza (Roma 2008) 181-209. 17 Sulle tipologie dei conflitti familiari cfr. il saggio di A. Collomp: Conflits familiaux et groupes de résidence en Haute-Provence, Annales. E.S.C., 36/3 (1981) 408-425; nonché l’analisi di M. Daumas: Les conflits familiaux dans les milieux dominants au XVIIIe siècle, Annales. E.S.C. 42/4 (1987) 901-923. 18 P. M. M. Klep: Introduction to special issue: contradictory interests of offspring and parents: 1500-2000, The history of the family 9 (2004) 349-354; M. Trévisi: Au cœur de la parenté: Oncles et tantes dans la France des Lumières (Paris 2008) [capitolo VIII: «Solidarités et con- flits», 375-445]; Ch. Dousset: Au risque du veuvage: Veuves et conflits familiaux dans les mémoires judiciaires du Parlement de Toulouse à la fin du XVIIIe siècle, in: A. Bellavitis, I. Chabot (dir.): La justice des familles [vedi nota 16] 207-225. 36 Francesca Chiesi Ermotti

sull’oratorio familiare di San Giovanni Battista19 o dei beni immobili da spartire) e i litigi protrattisi a lungo nella ditta estera (in merito alla sua amministrazione, agli obblighi rispettivi dei compadroni, alla definizione degli aventi diritto, alla partecipazione agli utili) in una dinamica aggrovigliata in cui i versanti del litigio si sovrappongono. Un primo elemento di lettura rivelatore del legame esistente tra i dissidi risiede nella cronologia stessa degli episodi di litigiosità. La documentazione familiare restituisce testimonianze di controversie e cause intentate contro parenti in par- ticolare negli ultimi trent’anni del Settecento e nei primi due decenni dell’Otto- cento. Il loro esame suggerisce l’esistenza di contiguità di tempo e di origine tra le vertenze che dividono i cugini. Accade ad esempio che liti scoppiate a Campo in merito al possesso dell’oratorio privato o alla delimitazione dei giardini anti- stanti le case avvelenino ed esacerbino i rapporti tra i compadroni del negozio. Viceversa, l’emarginazione di un discendente dalla gestione della ditta può indur- lo ad avanzare pretese di possesso esclusive sul beneficio ecclesiastico. La sincro- nia dei litigi non deve tuttavia celarne diacronia e verticalità.20 Il ricordo delle controversie permane nella memoria familiare, che nel conservare collettivamente traccia dell’animosità e delle azioni dei singoli conferisce loro spessore e profon- dità. Ciò fa sì che le dispute si prolunghino o riemergano nel tempo, generandone altre. All’esplodere di un litigio riprendono spesso vigore antiche ruggini, mentre dissapori mal sopiti riappaiono con maggiore capacità erosiva (anche in un con- testo diverso). In secondo luogo, nel prendere in esame in modo speculare e consecutivo le ver- tenze tra parenti in merito al negozio e in rapporto ai beni in patria, ad affiorare è anche la relazione causale che tra loro sussiste. Le motivazioni delle liti mostra- no la prossimità esistente tra il villaggio alpino e il centro di emigrazione, e ri- mandano a un unico terreno di conflitto, le cui sfumature derivano da un’identica matrice. La cifra interpretativa delle controversie – in quella che si potrebbe

19 Sulle controversie familiari che sorgono in merito ai benefici e sulle loro motivazioni si veda A. Ciuffreda: I benefici di giuspatronato nella diocesi di Oria tra XVI e XVII secolo, Quaderni storici, XXIII (1988) 67, 37-71 [sprt. 41-44 e 52-61]. Altra interessante lettura della natura e delle caratteristiche dei benefici è offerta da A. Torre: Il consumo di devozioni: Religione e comunità nelle campagne dell’Ancien Régime (Venezia 1995) [parte terza: «Devozione e pa- rentela» (151-247), sprt. il capitolo «Benefici e configurazione dei poteri locali» (197-212)]. 20 A proposito della diacronia dei conflitti familiari e della loro evoluzione verticale attorno a un asse, cfr. M. Daumas: L’affaire d’Esclans [vedi nota 16] 211-234. Pace e guerra nelle vicende di una famiglia di mercanti alpini 37

definire una «conflittualità riflessa» – risiede in effetti principalmente nella ri- vendicazione di appartenenza alla famiglia e alle iniziative di cui il casato si fa promotore nei due luoghi, quali l’impresa di Kassel o gli edifici (sacri ed abitativi) e i possedimenti nel nucleo alpino. Le giustificazioni addotte nella richiesta d’in- clusione nel gruppo familiare suonano allora come prove indispensabili per legit- timare un’appartenenza. La pretesa di essere considerati tanto eredi del casato quanto compadroni della ditta o patroni dell’oratorio implica un duplice ricono- scimento sul piano successorio e su quello societario o proprietario. Il consegui- mento di tali prerogative è perseguito dai cugini in entrambi gli ambiti, uniti da analoghe preoccupazioni miranti a costruire parentele e a stabilire successioni.21 Se infatti vi è la ferma volontà di partecipare al progetto imprenditoriale della famiglia, vi è pure la consapevolezza dell’importanza della propria posizione e del ruolo nella comunità natia.

Un difficile equilibrio Nel rivendicare diritti in quanto membri a pieno titolo della famiglia, si profilano per gli eredi due opposti sistemi di legittimazione, che tuttavia si incontrano e si intersecano tra loro: da una parte si cerca di imporre quale requisito la sola ap- partenenza al casato, il fatto cioè di discendere in linea maschile da un comune antenato e di portarne il nome; dall’altra si chiede di riconoscere e di valorizzare adeguatamente il proprio impegno (nella gestione della ditta tedesca come pure nella dotazione dell’edificio sacro), disapprovando il disinteresse e la neghittosi- tà dei parenti. In merito alla prima giustificazione, il vincolo di sangue e l’ascen- denza genealogica sono impugnati da eredi (e in particolare da soggetti vulnera- bili quali orfani e vedove) desiderosi di farli prevalere su azioni che hanno reso concreta per altri l’appartenenza al casato con i privilegi connessi. La seconda rivendicazione – che assume grande risalto nelle vertenze familiari e che risuona con particolare veemenza nelle accuse mosse ai cugini – ha invece quale corollario

21 A proposito della capacità dei benefici di patronato familiare di creare linee successorie, si veda A. Ciuffreda: I benefici di giuspatronato [vedi nota 19]. In merito alla costruzione di linee di discendenza non basate sul sangue né su alleanze, nonché sul ruolo del beneficio in assenza di eredi legittimi cfr. la riflessione di S. Cerutti: À qui appartiennent les biens qui n’appartiennent à personne? Citoyenneté et droit d’aubaine à l’époque moderne, Annales H.S.S. 62/2 (2007) 355-383 (sprt. 377-379); Ead.: Étrangers: Étude d’une condition d’incerti- tude dans une société d’Ancien Régime (Paris 2012) 61-63. 38 Francesca Chiesi Ermotti

la pretesa che i parenti meno impegnati nelle imprese familiari intervengano adeguatamente, ricambiando la dedizione di cui altri hanno dato prova. Gli argo- menti addotti per ottenere un uguale interessamento da parte dei cugini elevano il «bene comune» o il «vantaggio dell’impresa»22 a scopo primario della coopera- zione familiare, cui vanno sottomessi i comportamenti individuali, rispettando un tacito patto di solidarietà incrociate tra linee, rami e generazioni. Quest’ideale uguaglianza fra le diramazioni dal tronco genealogico, che ne suggel- la la coesione, è tuttavia messa a repentaglio da fattori quali gli squilibri demo- grafici e l’incertezza delle vicende umane, in grado di incrinare la stabilità di un sistema costruito sull’apporto di ogni erede. L’assenza di discendenti legittimi, la scomparsa di un genitore con eredi in tenera età, il divario cronologico tra due fratelli o cugini e di conseguenza tra i rispettivi figli, la sterilità coniugale o la possibilità di generare figli in momenti diversi rispetto ai cugini creano vuoti e distanze sulle linee genealogiche. Ne deriva uno sfasamento tra generazioni non più appaiate e un indebolimento dei rami, la cui perpetuazione è minacciata dai decessi. Questi squilibri genealogici si ripercuotono poi – venendone accentuati – sulle asimmetrie nel carico lavorativo addossato a un ramo o a una linea e impu- tabile a una spartizione iniqua dei compiti. Poiché la collaborazione tra eredi si fonda su rapporti pacificati dalla certezza dell’equità e della reciprocità, che indi- rizza gli sforzi dei rami verso obiettivi comuni, le fratture demografiche vengono a intaccare non solo la concordia familiare, ma anche la continuità amministrativa dell’azienda. Lo studio delle fonti ha infatti rivelato come la collaborazione tra le linee (e del resto pure tra i rami) del casato mercantile sia ipotizzabile solo a condizione che esse siano feconde, vigorose, sincrone e procedano senza interru- zioni demografiche.23 La fecondità dei nuclei familiari e il loro ordinato prolungar- si nel tempo sono dunque assunto necessario del progetto imprenditoriale stesso. Oltre a ciò, l’analisi delle controversie familiari ha evidenziato come l’impegno per l’accrescimento patrimoniale paia accettabile essenzialmente se destinato a una

22 Seppur influenzati da rivalità e incomprensioni, i richiami frequenti al «bene comune», al ri- spetto per i sacrifici dei predecessori, all’accortezza e alla parsimonia rimandano a un’ideale continuità d’intenti, che nonostante le pressioni mira a cementare i rapporti tra parenti. 23 Sui rapporti tra linee e rami in relazione alla conflittualità familiare si rimanda al caso del patriziato veneziano studiato da D. Raines: Entre rameau et branche: Deux modèles du com- portement familial du patriciat vénitien, in A. Bellavitis, L. Casella, D. Raines (dir.): Constru- ire les liens de famille dans l’Europe moderne (Mont-Saint-Aignan 2013) 125-152. In merito alle evoluzioni delle relazioni tra generazioni e alla riproduzione dei legami anche rispetto a Pace e guerra nelle vicende di una famiglia di mercanti alpini 39

parentela con cui il legame è vivo perché carnale. I timori provocati dal non poter contare su una solida successione trattengono gli eredi da investimenti e da altre operazioni finanziarie di qualche importanza. Lo slancio ideale verso la coopera- zione tra parenti è cioè frenato dall’incertezza che avvolge il proprio ramo e dalla necessità di percepire come vividi, concreti e saldi i legami con i cugini. Non è pensabile assumere responsabilità per una collettività astratta di parenti, senza la speranza di una discendenza che ne tragga beneficio. Il richiamo alla collaborazio- ne tra gli eredi associati e alla reciprocità su cui poggia la prassi corporativa della famiglia si scontra perciò con una concezione di linea e di discendenza che non include né i nipoti, né i cugini, ma essenzialmente figli e abbiatici. Il precario equilibrio raggiunto tra i rami si regge tuttavia su basi troppo fragili per non venire sconvolto di continuo da imprevisti e da circostanze sfavorevoli. Anche se estranee alla volontà, queste situazioni influiscono profondamente sul- la percezione dei singoli e sui rapporti familiari, creando disparità e frizioni pres- soché insanabili nelle relazioni tra parenti.

Conflitti e sentimenti Le vicende conflittuali che contraddistinguono il percorso dei Pedrazzini interpel- lano le evoluzioni che segnano la storia della famiglia d’Antico Regime24. Il caso in esame induce a osservare più attentamente i cambiamenti su cui il Settecento imprime un segno decisivo e in particolare il processo di trasformazione verso la cosiddetta «famiglia affettiva moderna» con il declino della famiglia «tradiziona- le», considerata fredda e fissa nella sua coesione gerarchica.25 Pur trattandosi di una generalizzazione e per questo criticata da più parti, questa lettura ha il pre- gio di introdurre nell’indagine il tema dei sentimenti e degli affetti, che si espri- mono in modo più eloquente nella cornice familiare, influenzandone relazioni

situazioni conflittuali, cfr. nella stessa collettanea J.-M. Imizcoz Beunza: D’une génération à l’autre: Réseaux et pratiques familiales de reproduction dans les carrières de la monarchie hispanique au XVIIIe siècle, 153-180. 24 Sui mutamenti nelle famiglie in epoca moderna e su continuità e discontinuità in rapporto a sentimenti e a conflitti si veda il ricco saggio di D. Lombardi: Famiglie di antico regime, in: G. Calvi (a cura di): Innesti: Donne e genere nella storia sociale (Roma 2004), 199-221. 25 Per una lettura critica delle trasformazioni che hanno segnato la famiglia europea e per una trattazione dei paradigmi proposti dagli studiosi cfr. G. Calvi: La famiglia in Europa, in: R. Bizzocchi (a cura di): Storia d’Europa e del Mediterraneo, sezione 5: L’età moderna: secoli XVI-XVIII, vol. 10: Ambiente, popolazione, società (Roma 2010) 627-676 [sprt. 666-674]. 40 Francesca Chiesi Ermotti

e gerarchie in un mutamento più generale della percezione dei ruoli.26 L’emergen- za di un individualismo affettivo è assurta a indicatore di un’evoluzione nelle relazioni tra individui nella società settecentesca, alla stregua di fattori quali ad esempio la graduale scomparsa dei rapporti di deferenza d’Antico Regime, costruiti sull’autorità indiscussa del pater familias e su norme sociali proprie del patri­ lineaggio, la diversa consistenza dei rapporti tra coniugi, ma anche tra genitori e figli, tra zii e nipoti, o ancora strategie improntate a una più grande libertà e a punti di vista differenziati. Nella documentazione privata dei Pedrazzini, che mescola carteggi familiari ad atti giuridici, si colgono segni di questo cambiamento in un discorso in cui trape- lano in modo più chiaro sentimenti ed emozioni, in particolare nella seconda metà del Settecento. Vi si ravvisano frequenti riferimenti alla «pace» e all’«armonia familiari»,27 così come l’uso di un vocabolario che attinge ampiamente all’espres- sione dei sentimenti. Tuttavia, nel caso esaminato è l’adeguatezza stessa della categoria del mutamento a dover essere discussa. Il manifestarsi della lirica dei sentimenti in documenti prodotti quando l’affetto tra parenti sembra dimentica- to28 obbliga a una più attenta riflessione sulle metamorfosi settecentesche. La retorica sentimentalistica si accentua in effetti non tanto in coincidenza con una vicinanza affettiva (ed effettiva) tra parenti, ma nel momento in cui i rapporti

26 H. Medick, D.W. Sabean (ed.): Interest and emotion: essays on the study of family and kinship (London 1984); C. Casanova: La famiglia italiana in età moderna: Ricerche e modelli (Roma 1997), 145-169; R. Bizzocchi: In famiglia: Storie di interessi e affetti nell’Italia moderna (Roma, Bari 2001); J.-P. Bardet, F.-J. Ruggiu (dir.): Au plus près du secret des cœurs? Nouvel- les lectures historiques des écrits du for privé (Paris 2005); F.-J., Ruggiu: L’Individu et la fa- mille [vedi nota 16]; M. Trévisi: Au cœur de la parenté [vedi nota 18] [sprt. capitolo IX: «Des parents qui s’aiment?», 447 sg.]; A. Fine, Ch. Klapisch-Zuber, D. Lett: Liens et affects fami- liaux, Clio. Femmes, Genre, Histoire 34/2 (2011) 7-16. 27 Sulla retorica della pace si rimanda a quanto osservato da F.-J., Ruggiu: L’Individu et la famil- le [vedi nota 16] 156-157. A proposito della famiglia in quanto spazio di solidarietà e al contempo di conflitto e sull’ideale dell’armonia familiare in relazione a querelles successorali cfr. il saggio dello stesso autore: Pour préserver la paix des familles… Les querelles successo- rales et leurs règlements au XVIIIe siècle, in: A. Bellavitis, I. Chabot (dir.): La justice des fa- milles [vedi nota 16] 137-163 (sprt. 152-162). 28 Si osserva un parallelismo significativo tra la crescita delle vertenze intestine al casato e la mole della documentazione superstite. È indubbio che i conflitti scoppiati dagli anni 1770 in poi – incidendo profondamente sui rapporti tra parenti – abbiano prodotto una massa docu- mentaria considerevole. La coincidenza tra la relativa abbondanza delle fonti e l’acuirsi dei conflitti interni potrebbe non essere casuale. I documenti conservati si concentrano in anni in cui la coesione familiare si sgretola per l’insorgere di litigi. La cura con cui il casato ha Pace e guerra nelle vicende di una famiglia di mercanti alpini 41

familiari si logorano. Essa si precisa cioè quando le relazioni tra le generazioni di cugini – e non necessariamente tra genitori e figli, quanto piuttosto tra zii e ni- poti o collaterali in una dinamica che investe rami e linee29 – subiscono il contrac- colpo del conflitto nelle sue diverse forme.30 Una trasformazione in senso emotivo delle relazioni familiari avviene dunque, ma è in parte di segno negativo: l’elegia degli affetti cela il loro sconvolgimento e il riferimento a un’ideale armonia agisce su rapporti burrascosi e su tendenze centrifughe. Il linguaggio dei sentimenti nasconde il disgregarsi del tessuto familiare, mentre la coloritura affettiva enfa- tizza la ricerca di compattezza tra linee divise in una coesione fattasi più instabi- le. Nell’eccesso di sentimento di cui si rivestono i legami familiari si ravvisa dun- que paradossalmente il tentativo di riaffermare la consistenza di una famiglia complessa ed estesa,31 così come l’unità tra le sue linee.32 In un’analoga prospettiva devono essere colti la ribellione ai dettami familiari e un più spiccato individualismo tra i cugini più giovani.33 Questi elementi sono in genere fatti risalire a una presunta disaffezione al progetto che unisce i membri del casato e sono portati a prova della frantumazione di un modello di famiglia

lasciato una testimonianza scritta di quanto è successo è sì traccia del passato familiare e pure arma per contrastare coloro che ne contestano le prerogative, ma è soprattutto prova dell’incidenza che gli avvenimenti di cui riferisce hanno avuto sulla sua storia. 29 Su questo aspetto l’analisi si discosta da quanto osserva M. Daumas: Les conflits familiaux [vedi nota 17], che invece riconosce un ruolo preponderante ai conflitti tra genitori e figli. 30 Se un ripiegamento sul gruppo affettivo avviene, questo riguarda l’appartenenza alla linea di discendenza e non tanto al nucleo domestico. Esso risulta da un processo di scollamento tra rami e linee, frutto – come osservato – della competizione e della contraddittorietà delle ri- vendicazioni che essi esprimono. 31 Il concetto di «famiglia complessa ed estesa» non è mutuato da Peter Laslett e dalle sue ti- pologie, ma vuole qui descrivere la realtà di un gruppo familiare composto da vari nuclei che vivono in dimore attigue e in parte sotto lo stesso tetto, strettamente uniti tra loro da inte- ressi e rapporti endogamici. 32 Cfr. R. Ago: Ruoli familiari e statuto giuridico, in Quaderni storici, XXX, 88/1 (1995) 111-133; e l’introduzione della storica al numero su Diritti di proprietà, Quaderni storici XXX, 88/1 (1995) 3-8. Sul conflitto tra logica dinastica e interessi individuali si rimanda a S.Guzzi- Heeb: Donne, uomini e parentela: Casati alpini nell’Europa preindustriale: 1650-1850 (Torino 2007) 133-137. 33 In merito alle tendenze individualistiche e all’indebolimento delle pratiche della solidarietà intergenerazionale e dei comportamenti corporativi nelle famiglie di emigranti alpini sul fini- re dell’Antico Regime (che tuttavia non sembrano «potersi spiegare con la svolta culturale delle relazioni familiari» settecentesca), si veda l’analisi di L. Lorenzetti: Razionalità, coope- razione [vedi nota 16] 195-208. 42 Francesca Chiesi Ermotti

basato su gerarchie, deferenza e imposizioni. Tuttavia l’insofferenza delle giovani generazioni rispetto al diktat della deontologia mercantile non può essere spie- gata situandola soltanto sulla linea del cambiamento storico e di una mutata sensibilità. Come nel caso della valenza sentimentale dei rapporti, anche l’insu- bordinazione di giovani eredi presenta una temporalità propria. Essa si manifesta cioè in coincidenza con l’insorgere della litigiosità interna e in rapporto alle ca- ratteristiche della parabola imprenditoriale. Come osservato sopra, negli ultimi decenni del Settecento segni di disobbedienza si manifestano tra gli eredi Pe- drazzini nel quadro di un conflitto tra linee concorrenti. Questo è il prodotto anche dell’amplificazione del gruppo e dell’agiatezza raggiunta, che creano cedi- mento e assuefazione nella traiettoria imprenditoriale, intaccando la dedizione dei singoli. Un numero crescente di eredi ormai avvezzo agli agi pare sempre meno disposto a prestar ascolto ai moniti dei predecessori nel dar prova di mag- giori disciplina e sacrificio. Lo scontro tra parenti e le rivendicazioni dei giovani, pur subendo gli effetti della crisi dell’autoritarismo paterno e familiare, conferi- scono dunque alla ribellione un significato peculiare, iscrivendola a pieno titolo nella successione degli avvenimenti familiari da cui essa prende origine. La dialettica tra l’unicità della traiettoria del casato e il flusso degli avvenimenti storici invita così a valutare la dissolvenza dell’una nell’altro o la distanza che si stabilisce tra loro. Le fonti familiari paiono suggerire un certo influsso del conte- sto storico sulla vicenda familiare, che tuttavia ricalca parabole caratteristiche delle dinastie imprenditoriali.34

Spunti conclusivi Quanto osservato nell’indagine sui mercanti Pedrazzini invita a pensare in altri termini la «svolta settecentesca», collocandola nel contesto di una strategia di-

34 La traiettoria dei Pedrazzini può essere paragonata ai cicli di vita delle dinastie imprendito- riali familiari e alla loro storia di ascesa e declino sul modello dei Buddenbrook di Thomas Mann. La metafora familiare per cui la terza generazione scialacqua e distrugge la ricchezza creata dalla prima e conservata dalla seconda parrebbe potersi applicare in qualche misura anche al caso studiato con dei distinguo. La dinamica di accumulo e sperpero o meglio di dedizione e mollezza descriverebbe la parabola familiare, decretando la fine dell’esperienza mercantile secondo una specifica periodizzazione, sebbene sia la quarta generazione di eredi Pedrazzini a chiudere la ditta. D. Landes: I Bleichröder e i Rotschild: il problema della conti- nuità nell’azienda famigliare, in: Ch. E. Rosenberg (a cura di): La famiglia nella storia: Com- portamenti sociali e ideali domestici (Torino 1979) 121-145. Pace e guerra nelle vicende di una famiglia di mercanti alpini 43

scorsiva sulle relazioni familiari assai più sfaccettata e complessa. L’espressività sentimentale – nel richiamare al valore della «pace familiare» e dell’abnegazione per un «bene comune» – è qui votata alla riconferma di un modello familiare «tradizionale» o complesso, che dovrebbe cedere il passo di fronte al manifestar- si di volontà individualistiche ed emancipatorie. Il carattere emotivo dei rapporti è un richiamo a un’unità di intenti nel contesto del mantenimento di una «fami- glia corpo», il cui sgretolarsi svuota di senso collaborazioni e obblighi. La con- servazione di un gruppo familiare esteso e ramificato al tramonto dell’epoca mo- derna e alle soglie di quella contemporanea non è dunque in contraddizione con l’esternazione di una soggettività (anche affettiva), pur intrisa di retorica e d’idealismo, e anzi ne è debitrice ottenendone legittimità.35 La famiglia quale grembo naturale di affetti e solidarietà è una costruzione ideale perseguita di fronte al venir meno delle logiche del lignaggio, in grado di arginare insubordi- nazione e propositi di emancipazione. In quest’ottica – e forse anche per la ritrosia delle fonti stesse a svelarci l’intimi- tà dei rapporti e la verità degli affetti – risulta difficile opporre interessi ed emozioni:36 essi non si elidono a vicenda e a maggior ragione nel contesto di un casato mercantile.37 Laddove le finalità e le ambizioni sono maggiori, come nel momento in cui la coesione familiare è necessaria al funzionamento dell’impresa, il sentimento di vicinanza tra membri è coltivato per rifondarne la collaborazione. Il riferimento ai sentimenti è dunque uno strumento per riaffermare l’unità familiare e la coralità aziendale. Famiglia e impresa sono elementi a tal punto inscindibili che a tratti non è semplice decretare se sia la famiglia a creare l’im-

35 Su questo dato l’esame dei percorsi dei Pedrazzini incontra l’analisi di Sandro Guzzi-Heeb sulle traiettorie familiari di casati vallesani tra Sette e Ottocento. In essa lo storico smentisce la relazione tra nascita dell’amore romantico e dissoluzione dei legami di parentela o diminu- zione di unioni consanguinee. S. Guzzi-Heeb: Donne, uomini e parentela [vedi nota 32]. 36 Si veda il contributo dei curatori: Interest and emotion in family and kinship studies: a cri­ tique of social history and anthropology, in: H. Medick, D.W. Sabean (ed.): Interest and emotion [vedi nota 26] 9-27. 37 S. Cerutti: Introduzione all’edizione italiana, in: M. Anderson: Interpretazioni storiche della famiglia: L’Europa occidentale: 1500-1914 (Torino 1982) 7-29 (in particolare 10-11). Sulla relazione tra interessi materiali, denaro e sentimenti si vedano anche le osservazioni di J. Doyon: «Ni clair ni liquide»: l’argent dans les conflits familiaux de 1686 à 1745, in: B. Garnot (dir.): Justice et argent: Les crimes et les peines pécuniaires du XIIIe au XXIe siècle (Dijon 2005) 65-75. 44 Francesca Chiesi Ermotti

presa o l’impresa (nelle vesti societarie di una «fratellanza»38) a definire la fami- glia. L’accordo tra parenti resta infatti il postulato irrinunciabile, senza il quale il progetto imprenditoriale che unisce i membri del casato sarebbe privo di effica- cia. Viceversa, la struttura societaria, basata su un’indivisione patrimoniale e su una spartizione dei benefici tra i compadroni, plasma l’unità del gruppo proprie- tario. Ne deriva la necessità di una pacificazione delle liti, affinché la conflittua- lità familiare non danneggi gli interessi economici del casato.39 La pace tra parenti associati è dunque un’aspirazione necessaria di fronte alle fratture aperte dalle dispute. La litigiosità intestina non impedisce infatti alla famiglia di passare indenne oltre la cesura dell’Ancien Régime e la fine dell’espe- rienza imprenditoriale con la chiusura del negozio negli anni 1830. Il binomio pace e guerra nella storia familiare permette così di illustrare il dialogo tra le specificità della traiettoria del casato nella sua particolare periodizzazione e i processi o le cesure rilevati dalla storiografia, ponendoli in un rapporto dialettico rivelatore dell’articolazione tra micro e macro.

38 Sul rapporto tra architettura familiare e impianto societario, cfr. il contributo di D. Raines: Entre rameau et branche [vedi nota 23] 148-150. 39 L’appianamento dei contrasti tuttavia non si esaurisce nel richiamo a valori condivisi, ma si realizza anche attraverso matrimoni endogamici allo scopo di riavvicinare le linee e rinsaldare il gruppo familiare. La tendenza endogamica riscontrata nel casato nella seconda metà del Settecento sposa la tesi e la cronologia proposte da D. W. Sabean, S. Teuscher: Kinship in Europe: A new approach to long term development, in: D. W. Sabean, S. Teuscher, J. Mathieu (ed.): Kinship in Europe [vedi nota 2] 1-32. Si veda al proposito anche la lettura critica delle ipotesi avanzate dagli autori soprattutto in merito ai matrimoni consanguinei in F.-J. Ruggiu, Note critique: Histoire de la parenté ou anthropologie historique de la parenté? Autour de «Kinship in Europe», in: Annales de démographie historique 119/1 (2010) 223-256. Medien und Kommunikationspraxis der physikalischen Gesellschaft Zürich und ihrer ökonomischen Kommission

Sarah Baumgartner

Die Zürcher Physikalische Gesellschaft war eine dieser unzähligen Sozietäten, die im 18. Jahrhundert in ganz Europa und auch in Amerika entstanden und die als eine der charakteristischen Erscheinungen des Ausklärungssäkulums gelten. Unter diesem in der Forschung als Sozietätenbewegung1 bezeichneten Phänomen wer- den so unterschiedliche Zusammenschlüsse subsumiert wie gelehrte Gesellschaf- ten, die ökonomisch-patriotischen Sozietäten, welche ihre Blütezeit ab der Jahr- hundertmitte erlebten oder die vor allem kurz vor dem Ende des Jahrhunderts in grosser Zahl gegründeten Lesegesellschaften; ihnen gemeinsam war die Freiwil- ligkeit der Mitgliedschaft, was sie zu neuartigen Formen der Soziabilität machte und von den traditionellen korporativen Zwangsgemeinschaften unterschied. Von informellen Gruppierungen unterschieden sie sich durch ihre statutarische Ver- fasstheit, die neben einer fixierten organisatorischen Struktur auch mit einer klaren Zweckorientierung einherging. Ein weiteres Charakteristikum dieser Sozie- täten war ihre von der aufklärerischen Verbesserungsutopie inspirierte Wirksam- keitsintention, die zumeist nach zwei Richtungen orientiert war: Einerseits soll- ten sie es als Selbstbildungsorganisationen den Mitgliedern erlauben, sich «nützliche» Kenntnisse und Fähigkeiten anzueignen, andererseits organisierten die Gesellschaften besonders ab der zweiten Hälfte des Jahrhunderts auch ganz konkrete und praktische Aktivitäten zur Realisierung ihrer Vorstellungen. Gelehr- te Gesellschaften wie die Zürcher Sozietät orientierten sich zudem inhaltlich und organisatorisch an der Tradition der grossen, ab dem 17. Jahrhundert in einigen europäischen Hauptstädten gegründeten Akademien. Als 1746 ein Kreis naturwissenschaftlich interessierter Bürger um den Gelehrten Johannes Gessner (1709-1790) die Physikalische Gesellschaft einrichtete, ging es

1 Grundlegend zur Sozietätenbewegung: Richard van Dülmen: Die Gesellschaft der Aufklärer. Zur bürgerlichen Emanzipation und aufklärerischen Kultur in Deutschland (Frankfurt a.M. 1986); für die Schweiz: Emil Erne: Die schweizerischen Sozietäten. Lexikalische Darstellung der Re- formgesellschaften des 18. Jahrhunderts in der Schweiz (Zürich 1988). xviii.ch, vol. 6/2015 46 Sarah Baumgartner

insbesondere darum, sich ein Forum für naturkundliche Aktivitäten zu schaffen. Bis dahin gab es in Zürich keine Institution, die sich diesem Wissensbereich wid- mete; an der lokalen Hochschule, dem theologischen Carolinum, fehlte die natur- kundliche Lehre zwar nicht, aber nahm nur eine marginale Rolle ein. Die Sozietät gab sich ein pragmatisch-bescheidenes Profil, das zwar durch die königlichen Akademien inspiriert war, aber doch in den Zielen auf die beschränkten Kapazitä- ten ihrer Mitglieder Rücksicht nahm. Den meist in ihrem Erwerbsberuf, im Kir- chen- oder Staatsdienst nur zu sehr beschäftigten Mitgliedern sollte es ermög- licht werden, und zwar durch die Bereitstellung von nötiger Infrastruktur und eines Diskussionsforums, sich naturkundliches Wissen anzueignen – Kenntnisse, denen man ausserdem das Potential zuschrieb, für das Wohlergehen des Staates nützlich zu sein. Zwei Mitgliedschaftskategorien, auch dies ein von den Akademien übernommenes Element, ermöglichten die Integration von Personen mit unterschiedlichen Interes- sen: Als Membra honoraria, die zahlenmässig am bedeutendsten waren, liessen sich vermögende und einflussreiche Persönlichkeiten einbinden, ohne sie als «Passivmit- glieder», so die sinngemässe Benennung dieser Kategorie, zu wissenschaftlicher Tätigkeit zu verpflichten. Dazu kamen die nicht in Zürich lebenden «fremden» Mit- glieder und die zwar als «correspondierende ländliche Mitglieder» bezeichneten, aber in keinem Verzeichnis eingetragenen und nur über Protokolle und Briefe fass- baren Personen, meist Pfarrer, die auf der Landschaft domiziliert waren und in regel- mässigem Briefkontakt mit der Gesellschaft standen. Sie erfüllten eine wichtige Broker-Funktion zwischen der Gesellschaft und der Landbevölkerung. Dem eigent­ lichen Gesellschaftszweck widmeten sich vorab die Membra ordinaria; für diese «Aktivmitglieder» war der Besuch der Sitzungen obligatorisch, zudem hatten sie dabei auch eigene Beiträge zu leisten. Trotz Bezugnahme auf das Nützlichkeitspara- digma blieb die Gesellschaft zunächst ein privater Bildungsclub mit kleiner Aussen- wirkung. Dies änderte sich für einige Jahrzehnte, als die Gesellschaft 1759 – dies muss im Kontext jener «Agrarbegeisterung» gesehen werden, die die westlichen Eliten im Nachgang der Krise des siebenjährigen Kriegs erfasste – eine ökonomische Kommission einberief, die sich bald schon sehr aktiv mit Landbaureformen befasste.2

2 Vgl. Marcus Popplow: Die Ökonomische Aufklärung als Innovationskultur des 18. Jahrhunderts zur optimierten Nutzung natürlicher Ressourcen, in: M. Popplow (Hg.): Landschaften agra- risch-ökonomischen Wissens (München 2010) 3-48, hier 10. Medien und Kommunikationspraxis der physikalischen Gesellschaft Zürich 47

Die Beschäftigung mit naturgeschichtlichen und philosophischen Themen im weite- ren Sinne wurde aber stets beibehalten. Die Physikalische Gesellschaft bestand also während der zweiten Hälfte des 18. Jahrhunderts aus zwei Abteilungen, die an sich unterschiedliche Ziele verfolgten – die Vermittlung von theoretischem Wissen an gebildete Laien (und in geringem Umfang empirische Forschung) einerseits, die volksaufklärerische Aufbereitung und Weiterverbreitung von anwendbarem Wissen an die ländliche Bevölkerung andererseits. Als Arbeitsmittel baute sie eine Naturaliensammlung und eine Kollektion von Instrumenten und Apparaten auf, legte einen botanischen Garten an und richtete sich eine Bibliothek mit aktueller Literatur ein. Die Gesellschaft ist bisher primär im Hinblick auf ihre Mitgliederstruktur und die Einbindung in das soziopolitische System des Stadtstaats3 sowie das konkrete Wirksamwerden der von ihr angegangenen Reformbemühungen4 untersucht wor- den. Eher am Rande wurde auf ihre wissens- und wissenschaftshistorische Bedeu- tung eingegangen.5 Es wurde schon früh festgestellt, dass diese Sozietät kein Gelehrtenzirkel war, sondern sich primär der Vermittlung von naturkundlichen Kenntnissen an gebil- dete Laien widmete.6 Bisher wurde es jedoch nicht unternommen, ihre Aktivitäten auch aus dieser Perspektive zu würdigen; stattdessen wurde die geringe Bedeu- tung eigener empirischer Untersuchungen bemängelt,7 ohne zu berücksichtigen,

3 Wichtig ist hierzu Rolf Graber: Bürgerliche Öffentlichkeit und spätabsolutistischer Staat. Sozietätenbewegung­ und Konfliktkonjunktur in Zürich 1746-1780 (Zürich 1993); auch in all- gemeiner ausgerichteten Untersuchungen nehmen diese Aspekte eine wichtige Stelle ein: Ferdinand Rudio: Die naturforschende Gesellschaft in Zürich 1746-1896, in: Festschrift der Naturforschenden Gesellschaft in Zürich, 1896; James Roger Hansen: Scientific Fellowship in a Swiss Community Enlightenment: A History of Zurich’s Physical Society, 1746-1798 (unpub- lizierte Dissertation, Columbus 1981). 4 Peter Rásonyi: Promotoren und Prozesse Promotoren und Prozesse institutionellen Wandels: Agrarreformen im Kanton Zürich im 18. Jahrhundert (Berlin 2000); zu volkspädagogischen Aktivitäten, insbesondere den Bauerngesprächen: Rita Casale; Jürgen Oelkers; Daniel Tröhler: Lebenslanges Lernen in historischer Perspektive. Drei Beispiele für ein altes Konzept, in: Zeit- schrift für Pädagogik 50 (2004), 21-37, hier 31-34; ferner die ältere, stark in der Perspektive und Selbstdarstellung der städtischen Akteure verhaftete Arbeit von Annita Stiefel-Bianca: Das Wirken der ökonomischen Kommission in der zürcherischen Landschaft (Zürich 1944). 5 Namentlich bei Emil J. Walter: Die Pflege der exakten Wissenschaften im alten Zürich, in: Vierteljahresschrift der Naturforschenden Gesellschaft Zürich, Beiheft, 96. Jg., 1951, 79-84. 6 Bernhard Milt: Johannes Gessner (1709-1790), in: Gesnerus 3 (1946), 103-124, hier 117. 7 Insbesondere bei E. J. Walter: exakte Wissenschaften [wie Fn. 5]. 48 Sarah Baumgartner

dass das weitgehende Fehlen eigener Forschungstätigkeit mit dem deklarierten Zweck der Sozietät in keinem Widerspruch stand. Das Agieren der ökonomischen Kommission dagegen hat in der Forschung schon einige Aufmerksamkeit gefunden. Meist ging es dabei um die Durchführung und Wirksamkeit ihrer Agrarreformerischen und Volksaufklärerischen/-pädagogischen Bemühungen.8 Dennoch wurde der umfangreiche Quellenkorpus bislang nur sehr selektiv untersucht. Bestandteile wie die umfangreiche Korrespondenz oder die Antworten auf die Preisfragen fanden bisher nur wenig Beachtung. Ebenso wurde kaum danach gefragt, wie das Sammeln und Bewerten von Informationen konkret ablief. Dieser Beitrag möchte einige Aspekte genauer beleuchten, die die Art und Weise betreffen, wie im Rahmen der Aktivitäten der Gesellschaft Informationen und Wissen gesammelt und verfügbar gemacht wurde. Es soll insbesondere dargelegt werden, welcher Medien und Kanäle sich die beiden Abteilungen der Gesellschaft zu diesem Zweck bedienten, und welche Ziele und Absichten damit verbunden waren.

Die Beschäftigung mit Naturwissenschaften Die regelmässig stattfindenden Sitzungen waren der Ort, an dem sich die Aktivi- täten der Gesellschaft abspielten, hier wurde Wissen vermittelt und diskutiert. Ab 1756 fanden diese wöchentlich statt, wobei inhaltlich ein festes Schema gelten sollte: So war die erste Sitzung jedes Monats dem längeren Referat eines Ordina- rius vorbehalten, die zweite der Vorführung von Experimenten, die dritte der Beschäftigung mit landwirtschaftlichen Fragen und die vierte dem Verlesen von Rezensionen. Zwar wurde dieses System schon bald nicht mehr strikt eingehalten, doch hörten die Mitglieder fast jeden Monat ein längeres, gut vorbereitetes Refe- rat und konnten Experiments-Vorführungen beiwohnen. Ab dem 19. Jahrhundert veranstaltete die Gesellschaft auch öffentliche Vorträge. Die Protokollaufzeichnungen geben ab 1757 etwas detaillierter Einblick in Ablauf und Inhalt der Sitzungen. Was für dieses Jahr festgestellt werden kann, gilt teil- weise für das ganze 18. Jahrhundert. So stammte ein grosser Teil der Beiträge von einem kleinen Kreis engagierter Mitglieder. Unter den elf abendfüllenden Refera-

8 Siehe Fn. 4. Medien und Kommunikationspraxis der physikalischen Gesellschaft Zürich 49

ten von 1757 finden sich drei von Gessner und zwei vom Stadtarzt Hirzel9. Davon handelten vier von landwirtschaftlich-ökonomischen Sachverhalten, zweimal re- ferierte Gessner über Botanik, je einmal kam eine Thematik aus der Humanmedi- zin, respektive der experimentellen Naturforschung zur Sprache; ausserdem wur- den drei theoretisch-philosophisch Abhandlungen verlesen – was eher eine Ausnahme war, überwogen im Laufe der Zeit doch Beiträge zu konkreteren Sach- verhalten, teilweise unter Bezugnahme auf eigene Erfahrungen. Dies war beson- ders oft der Fall bei Referaten von praktizierenden Ärzten über humanmedizini- sche Themen. Entsprechend selten blieben während der ganzen Zeit Abhandlungen über abstrakte Mathematik. Die einzigen von der Gesellschaft durchgeführten namhaften empirischen Untersuchungen, die 1756 zum ersten Mal unternomme- nen Bevölkerungszählungen und die mittels statistischen Verfahren daraus abge- leiteten Schlussfolgerungen waren hingegen relativ oft Thema von Beiträgen. Über die Referate wurde im Anschluss oft diskutiert – auch wenn in den Protokol- len oft unklar bleibt, welche Inhalte seitens des Referenten vorgetragen wurden, und welche erst in der anschliessenden Diskussion zur Sprache kamen. Zumindest während der ersten Jahrzehnte war es meist Gessner, der die Beiträge kommen- tierte und zusätzliche Informationen beisteuerte, etwa indem er auf einschlägige Literatur hinwies. Als Quellen und Anregung dienten den Referenten, neben der Literatur, sehr oft eigene Beobachtungen und Untersuchungen, oder solche von mit ihnen korrespon- dierenden Ökonomen, Naturforschern und Ärzten. Dabei liessen sie nicht nur In- formationen in ihre Beiträge einfliessen, sondern lasen gleich die Briefe selbst vor. Auf diese Weise dehnten einige Mitglieder die Reichweite ihrer Kontakte auf die Gesellschaftsmitglieder aus – an sich keine Innovation, der gelehrte Brief zeich- nete sich schliesslich seit jeher durch seinen semiöffentlichen Charakter aus,10 doch stellten die Versammlungen der Gesellschaft für Zürich eine neue, institutio- nalisierte Plattform dar, wo diese Art des Austausches stattfindenkonnte .

9 1725-1803; Verfasser der bekannten Abhandlung über den Kleinjogg genannten Bauern Jakob Guyer, Die Wirthschaft eines Philosophischen Bauers (siehe unten, S. 4). 10 Das zeigt sich etwa auch an den von Gelehrten selbst vorgenommenen Veröffentlichungen ihrer Briefwechsel, wie z.B. Albrecht von Haller; dazu: Martin Stuber, Stefan Hächler, Hubert Steinke: Albrecht von Hallers Korrespondenz. Eine Gesamtanalyse, in: M. Stuber (et al.), Hal- lers Netz. Ein europäischer Gelehrtenbriefwechsel zur Zeit der Aufklärung (Basel 2005), 3-216, hier 54-58. 50 Sarah Baumgartner

Aber noch viel häufiger als gelehrte Briefe brachten die Mitglieder Naturalien aller Art in die Sitzungen mit –meist solche, deren Auftreten im Kanton selten war, oder die sich durch ihre ungewohnte Erscheinung auszeichneten, von eigenartig geformten Früchten über monostrose, also missgebildeten, Tieren bis hin zu ei- nem Albino-Sperling. Wie das bei textlich vermittelten Informationen der Fall war, wurden auch diese Gegenstände meist Anlass zur Diskussion, mit Mutmas- sungen über deren Entstehungsweise und gelegentlich sogar mit Literaturhinwei- sen. Auch hierbei war es in den ersten Jahrzehnten oft Gessner, der die umfang- reichsten Kommentare lieferte. Bei den vorgeführten Experimenten wiederholt sich das Bild einer effektiv sehr geringen Zahl an agierenden Mitgliedern; die meisten oder vermutlich sämtliche Experimente des Jahres 1757 wurden durch Gessner und den Stadtarzt Hirzel de- monstriert. Später übernahm diese Aufgabe der Gessner-Schüler David Breitinger. Die verwendeten Instrumente wie auch die Lehrbücher, an denen sich die Experi- mentatoren orientierten, zeigen klar die didaktische Intention dieser Demonstra- tionen. Mit technisch ausgereiften, in der experimentellen Praxis seit langem verwendeten Apparaturen – namentlich der Luftpumpe und der Elektrisiermaschi- ne – wurden Versuche durchgeführt, die den Zuschauern bestimmte Gesetzmässig- keiten der physischen Natur anschaulich vor Augen führen sollten, wie das «be- rühmte Newtonische experiment […] von dem fall der Cörper in dem luftleeren Raume».11 Dabei gestalteten die Durchführenden meist gemäss etablierten Lehr- büchern, wie Abbé Nollets Leçons de Physique expérimentale. Die der Landwirtschaft gewidmeten Sitzungen bestanden meist im Verlesen des Protokolls der ökonomischen Kommission, wobei die darin festgehaltenen Tätig- keiten oft noch weiter kommentiert und diskutiert wurden. Zudem wurden bei dieser Gelegenheit Auszüge aus den eingegangenen Preisschriften präsentiert und die definitive Zuteilung der Preise vorgenommen. Manuskripte von Rezensionen sind leider nur in geringer Zahl erhalten. Die Hin- weise in den Protokollen zeigen, dass dabei oft, aber nicht ausschliesslich, vor kurzem neu erschienene Werke vorgestellt wurden. Gelegentlich wohnten den Sitzungen Gäste bei; ein Grossteil stammte aus der Eid- genossenschaft, hin und wieder kam aber auch Besuch aus dem Ausland. Die durch sie vermittelten Informationen sind unterschiedlich einzuschätzen und dürften ins-

11 StAZ B IX 179 24, Sitzung vom 25.04.1757. Medien und Kommunikationspraxis der physikalischen Gesellschaft Zürich 51

gesamt eher gering gewesen sein, unter Ausnahme von einer Handvoll Gelehrter, mit denen die Gesellschaft oder einzelne Mitglieder auch darüber hinaus brieflich in Kontakt standen – heute unbekannte Personen wie der Schaffhauser Arzt Johann Georg Stockar (1736-1809), aber auch Prominenz wie der Mathematiker Johann Heinrich Lambert (1728-1777), oder der italienische Physiker Alessandro Volta (1745-1827), der bei seinem Besuch im Jahre 1777 Experimente mit Elektrizität und brennbarer «Sumpfluft», d.h. Methangas vom Stadtgraben, vorführte.

Während die Herausgabe von Zeitschriften, die zumeist an das gebildete Publi- kum gerichtet waren, zu den wichtigsten Aktivitäten vieler gelehrter und ökono- mischer Sozietäten zählte, lag es der Zürcher Gesellschaft nicht unbedingt daran, ihre naturkundlichen Beschäftigungen nach aussen zu tragen. Sie wollte sich primär der Informationsvermittlung vor Ort widmen. Erst nach langem Zögern entschlossen sich die Ordinarii zur Herausgabe eines Periodikums. 1761 kam der erste, 1766 der letzte von drei Bänden an Abhandlungen12 heraus. Die meisten Artikel waren ursprünglich von Zürcher Mitgliedern als Referate für die Gesell- schaftssitzungen geschrieben worden; es finden sich darin aber auch eine Hand- voll Abhandlungen von auswärtigen Mitgliedern, zwei volksaufklärerische Anlei- tungen (s.u.), und als wohl herausragendster Beitrag Johann Caspar Hirzels Wirthschaft eines Philosophischen Bauers, ein Werk, das dann, mit zahlreichen Neuauflagen und Übersetzungen, zu einer der populärsten Schriften der ökonomi- schen Aufklärung werden sollte. Die Einrichtung einer Sammlung von Büchern und insbesondere Zeitschriften aus Sachgebieten, die in den Tätigkeitsbereich der Gesellschaft fielen, war von An- fang an eingeplant und wurde sehr hoch bewertet – sie sei «eines der ersten und wirk sammsten hilffs mittlen […] die der Absicht der Gesellschaft angemessenen Erkenntnisse zu erlangen und auszubreiten.»13 Folgerichtig war der Erwerb von Literatur über die Jahre hinweg der bedeutsamste Ausgabeposten im Gesell- schaftsbudget. Die Bedeutung der Bibliothek bestand darin, den Mitgliedern Fachliteratur bereitzustellen, deren Anschaffung die Mittel der meisten von ihnen überschritten hätte. Dass dies einem Bedürfnis entsprach, zeigt sich darin, dass

12 Abhandlungen der Naturforschenden Gesellschaft in Zürich (Zürich 1761; 1764; 1766). 13 StAZ B IX 211, Gesatze und Uebungen, 50. 52 Sarah Baumgartner

die Mitglieder offenbar recht eifrig von ihrem Recht Gebrauch machten, sich Bü- cher nach Hause auszuleihen.14 Beim Aufbau des Bestandes wurde auf den Erwerb aktueller Forschungsliteratur und insbesondere von Zeitschriften besonders viel Wert gelegt. Der Grossteil der Bücher wurde über die lokalen Buchhändler-Verleger bezogen, weniges kam auch als Donation, vor allem Publikationen von Mitgliedern. Es gab für sie aber zumin- dest offiziell keine Verpflichtung, eigene Werke abzuliefern, wie das teilweise in anderen Sozietäten der Fall war – doch leisteten die meisten Mitglieder diesen Beitrag freiwillig. Viele der auswärtigen Mitglieder hatten sich durch ein Bücher- geschenk zur Aufnahme in die Sozietät empfohlen. Dem Aufbau der Instrumentensammlung, die primär auf das Durchführen von Lehrexperimenten ausgerichtet war, kam über die Zeit hinweg gesehen die zweit- grösste Bedeutung im Budget zu. Dabei kamen drei Bezugsquellen zum Zuge: Komplexe Apparaturen wie die Luftpumpe oder der Sonnenquadrant wurden beim renommierten Augsburger Instrumentenbauer Brander bestellt. Glaswaren, wie Gefässe für Chemische Versuche oder Baro- und Thermometer wurden wandernden italienischen Glashändlern abgekauft, und eine grosse Zahl meist kleinerer In­ strumente wurde lokalen Handwerkern in Auftrag gegeben. Für den Aufbau der Naturaliensammlung dagegen wurden zumindest im 18. Jahr- hundert kaum Ausgaben getätigt – ausser für die Anfertigung von geeignetem Mobiliar zur Aufbewahrung der Objekte aus dem ‘Stein-, Pflanzen- und Tierreich’. Die bis Ende des 18. Jahrhunderts sehr bescheidene Sammlung setzte sich zusam- men aus einigen ihr durch Testament vermachten, geschenkten oder auch käuflich erworbenen Privatsammlungen und geschenkten Einzelobjekten. Den grössten Zuwachs brachte die Übernahme des städtischen Naturalienkabinetts, das 1783 aus der Bürgerbibliothek herausgelöst wurde. Dies wurde dann zum Anlass genom- men, die Sammlung systematisch, unter der Anwendung der Linné’schen Klassifi- kation, zu ordnen. Unter anderem aus diesem Grund enthielt die Sammlung auch noch an der Wende zum 19. Jahrhundert eine Reihe von Gegenständen, wie sie typischerweise zum Inventar einer barocken «Wunderkammer» zählten, etwa Nar-

14 Da die in den Statuten geforderten Verzeichnisse nicht überliefert sind, sind genaue Angaben über den Ausleihverkehr nicht möglich. Indirekte Hinweise, beispielsweise ein sogar im städ- tischen Intelligenzblatt publizierter Aufruf zur Rückgabe von Büchern, legen nahe, dass die Bücher häufig und auch von den nicht zum Sitzungsbesuch verpflichteten Membra Honorarii ausgeliehen wurden (Donnstags-Nachrichten XIX, 10.05.1770). Medien und Kommunikationspraxis der physikalischen Gesellschaft Zürich 53

walzähnen – die nun aber nicht mehr als «Einhorn-Hörner» zu bestaunen waren, sondern im Katalog unter dem Genus Monodon/Einhornfisch in die Systematik eingeordnet waren. Obwohl ursprünglich beabsichtigt war, in erster Linie Natura- lien aus dem Kanton Zürich und allenfalls der Eidgenossenschaft zu sammeln, fanden bald schon exotischere Objekte den Weg in die Sammlung, und zwar in der Form von Donationen, meist von Zürchern, die sich ins Ausland begeben hatten. Im Gegensatz zu den Instrumenten fanden die Naturalien, abgesehen von ihrer Präsentation anlässlich des Eingangs in die Sammlung, im Rahmen der Veranstal- tungen der Gesellschaft kaum mehr Verwendung.15 Hingegen kamen sie, wie die Instrumente, schon im 18. Jahrhundert auch zur Wissensvermittlung ausserhalb der Gesellschaft zum Einsatz. So veranstalteten Mitglieder, unter Verwendung der gesellschaftseigenen Sammlungen, private Kurse in Naturgeschichte sowie Expe- rimentalphysik,16 und den gegen Ende des 18. Jahrhundert gegründeten Unter- richtsanstalten – dem medizinisch-chirurgischen Institut und der Kunstschule, die insbesondere auf die Ausbildung junger Kaufleute ausgerichtet war, wurden Naturalien und Instrumente ausgeliehen. Zu festgelegten Zeiten wurden die Sammlungen auch für das Publikum geöffnet und Reisende besichtigen die Samm- lung, doch oft fanden die Privatsammlungen, etwa jene von Gessner, bei ihnen mehr Interesse. Ein weiteres wichtiges Arbeitsinstrument war schliesslich der botanische Garten. Das Beschaffen der nötigen Pflanzen und Samen war weniger mit dem Einsatz fi- nanzieller Mittel, als mit dem Rückgriff auf persönliche Beziehungen verbunden. Zu Beginn war es vor allem Präsident Gessner, dem sehr viel an der Botanik lag, der sich über ihm bekannte Gelehrte verschiedenste Gewächse aus aller Welt be- schaffte, oft tauschweise gegen Alpenpflanzen. Pflanzenlieferanten wurden auch mit der Ernennung zum «fremden» Mitglied der Gesellschaft belohnt. Hier schie- nen also diese nicht-monetären, auf symbolischem Kapital beruhenden Aus- tauschmechanismen mit Ursprung in der humanistischen Gelehrtenrepublik auch noch bis ins frühe 19. Jahrhundert zu funktionieren.

15 Darauf deutet hin, dass Mitglieder des Öfteren beantragten, diese Objekte vermehrt in den Sitzungen zu präsentieren, z.B. B IX 174, Sitzung vom 30.06.1783, 39 und wieder im Jahr 1788; B IX 207, Geschichte der naturhistorischen Sammlungen, unpag. 16 David Breitinger: Nachricht an das Publikum wegen Vorlesungen über die Experimentalphysik (Zürich 1794). 54 Sarah Baumgartner

Kommunikation und Medien der ökonomischen Kommission Die ökonomische Kommission richtete ihre kommunikativen Aktivitäten an einen anderen Adressatenkreis.17 Ihre Aufgabe bestand einerseits darin, Informationen über den Landbau und insbesondere praktisches agrarisches Wissen zu sammeln, zu überprüfen und, um es wirksam zu lassen, in volksaufklärerischer Absicht wie- der unter den Bauern zu verbreiten; jene waren so zugleich Informanten wie In- formierte. Um die Landleüthe zu erreichen, bediente sich die Kommission unter- schiedlicher Kanäle – solche, die wie die Preisfragen, im Umfeld von Akademien schon seit langem etabliert waren, direkt an die Bevölkerung gerichtetes Klein- schrifttum, wie es ab der Jahrhundertmitte im Zuge von Volksaufklärungsbemü- hungen18 in ganz Europa aufkam, und schliesslich die innovative Kommunika­ tionsform der Bauerngespräche. Preisfragen waren ein Instrument zur Erweiterung des jeweiligen sozietären Aus- tauschforums, um Akteure ausserhalb der Gesellschaft einzubeziehen und Wis- sensbestände zu erschliessen, die den Mitgliedern selbst nicht zugänglich waren. In diese Richtung wurde auch im Falle der Zürcher Gesellschaft argumentiert, wenn es hiess, man wolle mit den Preisfragen «die Landleüthe selbst zum Nach- denken […] bringen».19 Sie können als Gradmesser der theoretischen Einsichten und praktischen Erfah- rungen einer Gesellschaft gesehen werden.20 In diesem Sinne sprechen die detail- lierten Fragen der Zürcher Gesellschaft für eine gute Kenntnis der üblichen Forst- und Landbaupraktiken und sie geben Einblick in die von ihr vertretenen Problemauffassungen. Die präzisen Fragen bewirkten zudem eine enge Lenkung der Schreibenden; die Kommission wollte nicht eine offene Ideensammlung anre- gen, sondern von den Landbaupraktikern genau jene Informationen erhalten, die sie selbst als relevant einschätzte. Hinter den gestellten Fragen stand ein auf längere Dauer angelegtes System, das im Laufe der Zeit zu einer umfassenden

17 Vgl. zum Mediengebrauch von ökonomischen Gesellschaften: Hans Erich Bödeker: Medien der patriotischen Gesellschaften, in: Fischer, E. et al.: Von Almanach bis Zeitung. Ein Handbuch der Medien in Deutschland 1700-1800 (München 1999) 285-302. 18 Zur Volksaufklärung und den dabei verwendeten Medien: Holger Böning; Reinhart Siegert: Volksaufklärung. Biobibliographisches Handbuch zur Popularisierung aufklärerischen Denkens im deutschen Sprachraum von den Anfängen bis 1850 (Stuttgart, Bad Cannstadt 1990), XX-XL- VII. 19 StAZ B IX 181, Sitzung vom 17.10.1762, 49. 20 H. E. Bödeker: Medien [wie Fn. 17] 290. Medien und Kommunikationspraxis der physikalischen Gesellschaft Zürich 55

Sammlung von Praxiswissen zu allen Bereichen der Land- und Forstwirtschaft führen sollte. Die Fragen waren jeweils Bestandteil einer ganzen Serie zum glei- chen Themenbereich. So findet sich, nach der ersten Aufgabe über Zäunungen, ein Block von sechs Preisfragen zu forstwirtschaftlichen Fragen, gefolgt von ebenso vielen über den Themenkomplex der Erhöhung der Bodenfruchtbarkeit, dann deren vier über den Wiesenbau, sieben über den Obst- und dann acht über den Rebbau, und schliesslich neun über Themen der Viehzucht. Zusammen mit vier ‘ausserordentlichen’ Preisen waren bis 1803 insgesamt 47 Fragen ausge- schrieben worden. Keine einzige Frage befasste sich mit einem Problem der hand- werklich-gewerblichen Verarbeitung.21 Mit dieser Fokussierung auf die biogene Primärproduktion unterschieden sich die Preisfragen der Gesellschaft inhaltlich von den Fragen, wie sie von den Akademien, aber auch den meisten anderen ökonomischen Gesellschaften gestellt wurden. Auch fehlte anderswo in der Regel eine analoge Systematik hinter den einzeln ausgelobten Preisaufgaben, die ein- ander stattdessen scheinbar zusammenhangslos folgten, oft angeregt durch gera- de aktuelle Fragen. Verfasst wurden die Fragen von einem kleinen Kreis engagier- ter Mitglieder der Kommission; die Bewertung und Zuerkennung der Preise erfolgte zwar durch die Gesamtheit der Ordinarii, aber auf der Basis von Auszü- gen, mit deren Zusammenstellung jeweils einzelne Mitglieder betraut wurden. Die Fragen richteten sich ausschliesslich an Zürcher Landleute. Den Pfarrern, wel- chen die Austeilung der Aufgaben übertragen wurde, war die Teilnahme offiziell nicht gestattet; einige von ihnen hatten aber die Abfassung von Antwortschrei- ben aktiv unterstützt. Der Grossteil der Schreiben entstammte aber doch der ei- genen Initiative von Landleuten; insbesondere Schulmeister waren unter den Teilnehmern prominent vertreten. Im Durchschnitt gingen auf eine Preisfrage 14 Antworten ein – angesichts des kleinen Adressatenkreises ein guter Wert – und keine Ausschreibung blieb gänzlich ohne Antwort.22

21 Vgl. zur Frage, warum sich die Zürcher ökonomische Kommission fast ausschliesslich auf die Landwirtschaft beschränkte: Simone Zurbuchen: Die Ökonomische Kommission der Naturfor- schenden Gesellschaft Zürich und Johann Caspar Hirzels «Kleinjogg», in: A. Lütteken; B. Mahlmann-Bauer: Johann Jakob Bodmer und Johann Jakob Breitinger im Netzwerk der europäischen Aufklärung (Göttingen 2009), 574-597. 22 Zumindest bis Ende des 18. Jahrhunderts; für die letzten vier Preisfragen sind keine Angaben über die Teilnehmerzahl mehr verfügbar. Die Antworten auf die Preisfragen bis 1793 sind, ziemlich vollständig, überliefert: StAZ B IX 18-24. 56 Sarah Baumgartner

Mittels einer Publikationsreihe unter dem Titel Anleitungen für die Landleute, bestehend aus teils recht umfangreichen Traktaten, sollte das durch die Preisfra- gen gesammelte Wissen den Bauern – zu einem für sie erschwinglichen Preis – verfügbar gemacht werden. Dazu wurde nicht einfach die erstplatzierte Schrift unverändert publiziert, sondern ein Zusammenzug von als tauglich angesehenen Hinweisen verfasst. Der redaktionelle Eingriff sollte es ermöglichen, «dieselben, wo sie etwan mangelbar, zu verbesseren und eine festliche gemeinnützige und gründliche Abhandlung»23 über die betreffende Thematik zu verfassen. So spies sich die erste Anleitung, über das Zäunen, aus drei Quellen – die in der Sitzung der Kommission geführte Diskussion über den Nutzen von Zäunen, die Bemerkun- gen zu den für Hecken geeigneten Sträuchern gemäss der erstplatzierten Schrift, mit einigen Ergänzungen aus der zweitplatzierten Arbeit. Bis zum Ende des 18. Jahrhunderts wurden, die Mehrfachauflagen eingerechnet, insgesamt 16 Aus- gaben herausgegeben. Besonders weite Verbreitung erfuhr die aus den ersten sechs Preisfragen entstandene Anleitung über die Ausstockung und Pflanzung der Wälder; nach mehreren vollständigen und einer gekürzten Neuausgabe wurde das Werk dann, mehr als zehn Jahre nach dem Erstdruck, von der Berner Oekonomi- schen Gesellschaft von neuem veröffentlicht. Wie dies nur zu oft bei volksaufklärerischen Schriften der Fall war, fanden auch diese Anleitungen durchaus Anklang bei anderen Aufklärern – aber kaum bei den eigentlichen Adressaten, was auch eine teilweise kostenlose Abgabe der Schriften nicht ändern konnte. Die pauschale Unterstellung einer bäuerlichen Modernisie- rungsfeindlichkeit, wie sie häufig in den Schriften enttäuschter Volksaufklärer auftauchte, verkannte die strukturellen Hindernisse, die einer schnellen Umset- zung der verlangten Reformmassnahmen entgegenstanden – wie das auf Risiko- minimierung und Reproduktion, statt kurzfristiger Nutzenmaximierung, ausge- richtete Agrarsystem, die keine Individualisierung erlaubende sozioökonomische Organisation der Dörfer und das feudale Abgabensystem, dessen Abschaffung von den Agrarreformern nie auch nur in Betracht gezogen wurde.24

23 StAZ B IX 181, Sitzung vom 09.11.1763, 52. 24 Zu den Hindernissen der Realisierung von Agrarreformen: Clemens Zimmermann: Bäuerlicher Traditionalismus und agrarischer Fortschritt in der frühen Neuzeit, in: J. Peters (Hg.): Gutsherr- schaft als soziales Modell (München 1995), 219-238; zur Kritik an der volksaufklärerischen Ag- rarliteratur: Verena Lehmbrock: Agrarwissen und Volksaufklärung im langen 18. Jahrhundert. Medien und Kommunikationspraxis der physikalischen Gesellschaft Zürich 57

Dass auch der Alphabetisierungsgrad der ländlichen Bevölkerung kein Hindernis dargestellt hätte, zeigt sich etwa darin, dass es durchaus Lesestoff gab, der auf der Landschaft sehr populär war: Die Volkskalender.25 Wie an vielen anderen Orten versuchten darum die Zürcher Ökonomen, ihre Ideen den Bauern schmackhaft zu machen, indem sie in den frühen 1770er-Jahren kurze Beiträge zu landwirtschaft- lichen Themen in den lokalen Kalender einfügen liessen.26 Dies blieb jedoch ein kurzlebiges Experiment. Diese Texte stiessen offenbar auf so viel Ablehnung, dass der Verleger sich schon nach wenigen Ausgaben weigerte, sie weiterhin abzudru- cken, weil deswegen der Absatz des Kalenders massiv eingebrochen sei.27 Solches konnte zwar auch andernorts beobachtet werden, ist aber im Fall Zürichs dennoch bemerkenswert, da hier die Kalender ansonsten keinerlei Veränderung erfuhren, und andere volksaufklärerische Texte, wie Auszüge aus Tissot’s Gesundheitsratge- ber,28 scheinbar keinen Anstoss erregten.

Zeitgleich und im Zusammenhang mit den Preisfragen initiierte die Kommission die auf den ersten Blick so revolutionäre und innovative Kontaktform der Bauern- gespräche.29 Während die ältere Literatur darin noch ein frühes Beispiel für die Annäherung von Vertretern verschiedener Stände zur Diskussion drängender Pro- bleme sah,30 werden sie von der neueren Forschung als ein Indoktrinations- und

Was sehen historische Gewährsleute und was sehen Historiker/innen? In: M. Mulsow und F. Rexroth (Hg.): Was als wissenschaftlich gelten darf: Praktiken der Grenzziehung in Gelehrten- milieus der Vormoderne (Frankfurt a.M. 2014), 485-514. 25 Allgemein zu Volkskalendern und ihre Verwendung für die Volksaufklärung: Holger Böning: Volksaufklärung und Kalender. Zu den Anfängen der Diskussion über die Nutzung traditioneller Volkslesestoffe zur Aufklärung und zu ersten praktischen Versuchen bis 1780, in: Archiv für Geschichte des Buchwesens 56 (2000), 79-107; H.E. Bödeker: Medien [wie Fn. 17]. 26 Gemeint war der «Jährliche Haus-Rath, oder Neuer und Alter Calender». 27 StAZ B IX 32, Brief an Doctor Wyss, 02.05.1788, 24f. 28 Samuel-Auguste Tissot: Avis au peuple sur sa santé (Lausanne 1761); es wurde ein Jahr später durch den bereits erwähnten Stadtarzt Hirzel in deutscher Übersetzung herausgegeben; die im Kalender abgedruckten Partien waren wohl daraus entnommen worden. 29 Zwischen 1763 und 1779 fanden 22 Sitzungen statt; ab 1780 wurde in Rücksicht auf die poli- tische Lage darauf verzichtet. 30 Georg C. L. Schmitt: Der Schweizer Bauer im Zeitalter des Frühkapitalismus. Die Wandlung der Schweizer Bauernwirtschaft im achtzehnten Jahrhundert und die Politik der Ökonomischen Patrioten (Bern 1932) I 126 u. 138. 58 Sarah Baumgartner

Herrschaftssicherungsinstrument interpretiert.31 In der Tat war der Austausch zwi- schen den Landleuten und den städtischen Herren – es wohnten jeweils nicht nur Gesellschaftsmitglieder, sondern auch Vertreter des Magistrats bei – keineswegs hierarchiefrei. Jedes Gespräch begann mit einer Rede, in welcher sich die städti- schen Gastgeber in paternalistischer Manier als fürsorgliche Landesväter darstell- ten – denen die Bauern mit einer genauso treuen Erfüllung ihrer für das Wohler- gehen des Staates so wichtigen Standespflichten zu danken hätten. Dieser Tonfall wurde dann auch im weiteren Verlauf der Versammlung beibehalten. Ausgehend von im Voraus erfassten statistischen Angaben über die Dörfer, aus denen die eingeladenen Landleute stammten, stellten Vertreter der Gesellschaft detaillierte Fragen über die lokale Landbaupraxis. Damit sollte, komplementär zu den thema- tisch ausgerichteten Preisfragen, die Landwirtschaft im Kanton geographisch- naturräumlich möglichst vollständig erfasst werden. Auch der direkte Kontakt der Landleüthe mit den städtischen Agrarreformern hat die unmittelbare Wirksamkeit ihrer Volkaufklärerischen Bemühungen nicht gesteigert.32 Dennoch sollte der In- formationsfluss – gemeint ist derjenige in die andere Richtung, von ‘unten nach oben’ – nicht unterschätzt werden. Die Vertreter der Gesellschaft haben diese von Landschulmeistern und Untervögten erteilten Auskünfte als wertvolle Informa­ tion, als potenziell nützliches Herrschaftswissen, trotzdem sorgfältig registriert. Die in einem Gutachten zur Einführung der Bauerngespräche als eines von drei Zielen angeführte Absicht, damit «den physicalischen und oeconomischen Zu- stand»33 des Territoriums zu erfassen, war kein toter Buchstabe – auch wenn sich die entsprechende Bedeutung dieser Gespräche erst in der Gesamtschau mit den anderen Instrumenten der Informationsgewinnung34 vollständig erschliesst. Ferner zu erwähnen ist die umfangreiche Korrespondenz, die das Sekretariat der ökonomischen Kommission unterhielt; im Gegensatz zur eigentlichen Gesell- schaft, deren Kommunikation nach aussen durch die Mitglieder in ihrem eigenen

31 Rolf Graber: Die Züricher Bauerngespräche: Innovation der Volksaufklärung oder Instrument der Herrschaftssicherung?, in: Holger Böning, Werner Greiling und Reinhart Siegert (Hg.): Die Entdeckung von Volk, Erziehung und Ökonomie im europäischen Netzwerk der Aufklärung (Bremen 2011) 43-58. 32 Graber: Bauerngespräche [wie Fn. 31]; R. Oelkers et al.: Lernen [wie Fn. 4] 33f.; vgl. auch Zimmermann: Traditionalismus [wie Fn. 24]. 33 StAZ B IX 67, Gutachten der Oeconomischen Commission betreffend die neu anzustellenden Bauren unterredungen, 1-5. 34 Zu nennen sind auch noch die von ihr veranstalteten Volkszählungen, s.o., 3. Medien und Kommunikationspraxis der physikalischen Gesellschaft Zürich 59

Namen geschah, hatte die Kommission ihre Aussenbeziehungen institutionali- siert. Mehr als 1000 empfangene Briefe und zahlreiche Briefentwürfe sind über- liefert. Ein Grossteil von Ihnen wurde von Landpfarrern oder Vertretern der länd- lichen Elite abgefasst.35 Die behandelten Themen sind vielfältig und können hier nicht im Detail beschrieben werden, meist ging es aber in irgendeiner Weise um die Landwirtschaft. So berichteten Vertreter der Landschaft, oft auch Dorfbeamte, über in ihren Gemeinden unternommene Bemühungen zur Verbesserung des Land- baus. Recht häufig finden sich auch Briefe von Pfarrern, die um finanzielle Hilfe baten für Bauern, die entweder unverschuldet in Not geraten waren, oder die sich durch überdurchschnittliche Innovationsbereitschaft auszeichneten, denen es aber an den Mitteln zur Umsetzung von entsprechenden Massnahmen mangelte. Die Unterstützung solcher Individuen war möglicherweise ein wirkungsvolleres ‘Kommunikationsmedium’ als all die schriftlichen Anleitungen.

Fazit Die Gesellschaft erleichterte ihren Mitgliedern nicht nur den Zugang zu Medien und Informationen, sondern stellte eine Kommunikationsplattform zur Verfügung, die den lokalen wie überregionalen Wissensaustausch förderte. Dabei ging es nicht um die Etablierung neuer privater Kontakte, sondern um das Zusammentra- gen und Diskutieren von Informationen, die die Mitglieder aus unterschiedlichen Quellen gewonnen hatten. Die regelmässig stattfindenden Sitzungen erlaubten es ihnen, die Früchte eigener Forschungsarbeiten einem kleinen Kreis interessierter Mitbürger zu präsentieren, die arbeitsteilige Bearbeitung des Publikationsmarktes erleichterte den Überblick über Neuerscheinungen und die Bibliothek verbesserte die Zugänglichkeit von wissenschaftlicher Literatur. Am Meisten von der Gesell- schaft profitierten wohl gerade jene Mitglieder, die sich nur in ihren Mussestun- den der Naturforschung widmen konnten. Ihnen ermöglichte die Gesellschaft den Austausch mit ihresgleichen wie auch mit den wenigen ‘professionellen’ Forschern vor Ort und den Zugang zu kostspieliger Infrastruktur. Für Personen wie Gessner und dann auch seine Schüler und Nachfolger diente die Gesellschaft weniger der Beförderung der eigenen Forschungstätigkeit – so waren die Privatbibliothek wie

35 Es finden sich aber auch eine Handvoll Briefe von Vertretern der Berner Oekonomischen Ge- sellschaft und aus dem Ausland, namentlich von süddeutschen Volksaufklärern wie dem Pfarrer Johann Friedrich Mayer aus Kupferzell und einem Professor Sprenger aus Maulbronn, beide auch Herausgeber von Kalendern. 60 Sarah Baumgartner

auch die Naturaliensammlungen des Gründungspräsidenten um ein Vielfaches um- fangreicher als die Sammlungen der Gesellschaft – als dass sie ihnen eine Mög- lichkeit bot, naturkundliche Kenntnisse in einer Form zu vermitteln, wie das am Carolinum nicht möglich war. Im Gegensatz zur auch international ausgerichteten naturkundlichen Kommunika- tion zielte die ökonomische Kommission vorrangig auf die lokale Informationsbe- schaffung und -verbreitung ab. Dazu kamen diverse, teils – wie die Bauerngesprä- che –innovative Formen der Kontaktaufnahme mit der ländlichen Bevölkerung zum Einsatz. Wie die neuere Literatur ganz zu Recht betont, stand hinter diesen Annäherungen keineswegs die Absicht, die Bauern auch politisch einzubeziehen. Trotzdem sollten die dadurch eröffneten Kommunikationsmöglichkeiten nicht un- terschätzt werden. Die Informationsbeschaffung war nicht nur eine deklarierte Intention der Kommission, auch die Protokollaufzeichnungen sprechen dafür, dass es den Ökonomen mit der Informationsbeschaffung durchaus ernst war. In der möglichst detaillierten Kenntnis des Landes sahen sie, ganz dem zeitgenössi- schen Diskurs entsprechend, eine unabdingbare Vorbedingung für die Steigerung der Versorgungsautarkie, der wirtschaftlichen Lage – und damit auch der militäri- schen Stärke. Imaginaire politique et réformisme dans la Genève des Lumières : La « république heureuse » de Samuel de Constant

Helder Mendes Baiao

« En réfléchissant sur l’humanité, on remonte aux institutions primitives, et on se laisse aller aux idées inutiles ».1 C’est en ces termes dépités que se termine la réflexion de M. de St. Ange décrivant une « république parfaitement heureuse » et adressée à son fidèle ami Marville. Ce dernier, comme l’annonce la Lettre XXXV, a accepté un emploi de « judicature », et St. Ange l’encourage à utiliser ses « ver- tus » en faveur des malheureux. Rêvant au bonheur des peuples, il lui vient l’idée de communiquer à Marville les plans d’une république, que St. Ange ne désigne pas tellement comme idéale, mais simplement comme « heureuse ». Le lecteur ne saura jamais les fonctions réelles de cet emploi de « judicature »2 car Samuel de Constant de Rebecque (1729-1800) l’auteur du roman de Laure, espace littéraire où se déroule l’échange susmentionné, ne le précisera pas.3 Par ce seul mot, cependant, un des enjeux essentiels du roman est posé : comment conjuguer vertu privée et devoir public afin d’accroître le bonheur des hommes en société ?

Samuel de Constant et « Laure ou lettres de quelques femmes de Suisse » Laure rapporte le quotidien de la famille Germosan, originaire du Pays de Vaud et habitant la ville d’Y***. Quoiqu’aucune indication temporelle ne soit fournie,

1 Samuel de Constant : Laure ou lettres de quelques femmes de Suisse (Paris, Genève 1786- 1787) III 250. La « république heureuse » couvre les pages 231 à 251 du volume III du roman. Nous avons modernisé l’orthographe, mais respecté la ponctuation et les majuscules. 2 Selon l’Encyclopédie, on utilisait « judicature » pour ceux qui étaient « employés à l’adminis- tration de la justice ». Cf. Boucher d’Argis : Judicature in : Encyclopédie ou dictionnaire uni- versel… (Paris 1765) IX, 4 et ss. 3 Samuel de Constant est l’auteur de trois romans intéressants : Le Mari sentimental (1783) ; Camille ou lettres de deux filles de ce siècle (4 vol., 1785) et Laure (7 vol., 1787). Il écrivit également des textes sur la religion, l’agriculture, l’éducation publique ou le droit naturel. Valdo-genevois, il s’établit définitivement à Lausanne dans l’avant-dernière décennie du XVIIIe siècle. Cf. Claire Jaquier : Constant, Samuel (de Rebecque) in : Dictionnaire historique de la Suisse : www.hls-dhs-dss.ch. xviii.ch, vol. 6/2015 62 Helder Mendes Baiao

l’histoire et ses personnages montrent que l’action prend place dans un temps historique semblable à celui de l’auteur lui-même. Comme le laisse soupçonner le titre, le lecteur suit dans ce roman épistolaire les « aventures » de Laure de Ger- mosan, très attachée à sa famille, et dont les journées s’organisent autour de sa correspondance et des différents événements de société – comme le théâtre et les bals – auxquels elle participe. La jeune fille s’interroge également beaucoup sur sa condition de femme, sur les relations amoureuses et, un brin philosophe, sur des questions de société. Elle entretient régulièrement ses correspondants quant à la nature et la portée de ses réflexions. D’abord courtisée par M. de Marville qu’elle rejette, Laure se verra peu à peu sé- duite par M. de St. Ange, personnage « romanesque » qui après avoir abandonné sa fortune au profit d’une sœur, s’est retiré à la campagne où il mène une vie dédiée aux activités des champs. La sensibilité de M. de St. Ange le pousse à s’intéresser au sort des paysans et autres déshérités, auxquels il s’efforce de venir en aide. Au fil des sept volumes de cette œuvre romanesque, Laure est peu à peu séduite par l’éloignement des plaisirs et le sérieux qui caractérisent St. Ange et par la vertu constante dont il fait montre lors des multiples événements tragiques qui ponctuent le récit. La similitude de noms entre St. Ange et Saint-Preux, le héros de La Nouvelle Hé- loïse, n’est guère fortuite. Cette filiation souligne l’importance que le récit de Jean-Jacques Rousseau a eue pour la réflexion et l’élan littéraire de Samuel de Constant. Ce dernier s’est approprié les thèmes déployés dans La Nouvelle Héloïse et a développé avec Laure une histoire similaire. Le roman de Samuel de Constant est caractéristique d’un moment intéressant de l’histoire suisse et notamment de l’histoire du Pays de Vaud.4 Emboîtant le pas à Rousseau, Samuel de Constant réfléchit sur les valeurs et l’esprit républicain qui animent les États de l’Ancienne Confédération. Bourgeois d’un pays sous domination bernoise et de ce fait mar- ginalisé en politique, l’auteur favorise malgré tout dans le récit un ensemble de valeurs perçues comme « suisses », en contradiction avec l’image frivole et super- ficielle que Béat-Louis de Muralt (1665-1749) et Rousseau avaient esquissée de la culture de cour française. A ce modèle de culture monarchique dominant

4 Pour davantage de détails, nous renvoyons à l’introduction de Pierre Kohler à un autre roman de Samuel de Constant : Le mari sentimental (Lausanne 1928, éd. originale 1783) 9-64. On consultera également C. Jaquier : Samuel de Constant romancier : propositions pour une lec- ture du Mari sentimental, Annales Benjamin Constant 14 (1993) 19-28. Imaginaire politique et réformisme dans la Genève des Lumières 63

l’Europe, les Suisses opposaient leur bon sens et leur simplicité ; à la splendeur des villes ils répondaient par la quiétude des campagnes ; au luxe des nobles ils répliquaient par l’aisance des paysans suisses, laborieux mais bien nourris. Fina- lement, face à l’irresponsabilité supposée des courtisans du roi, les Suisses favo- risaient les actions citoyennes et la conscience de l’implication de chacun dans la « liberté » et le bonheur de tous. Il est possible de percevoir un parallèle entre Samuel de Constant et son person- nage, M. de St. Ange. Ce dernier nous est présenté comme déserteur de Paris et des faux plaisirs de la capitale au profit des labeurs ruraux et de leurs peines. Recouvrant une bourgeoisie genevoise à haut prix en 1757,5 Samuel de Constant s’établira définitivement, après des séjours de plus en plus prolongés, dans les campagnes du Pays de Vaud en 1787. C’est dans ce lieu de séjour, très prisé déjà par la noblesse européenne en raison de poursa tranquillité et de son belvédère éblouissant sur le panorama lémanique, que prendra vie et forme l’œuvre roma- nesque de Samuel de Constant. Sa fille Rosalie l’a plus tard rapporté : « n’ayant pas pris l’esprit ni le caractère du pays, nous n’étions qu’une colonie suisse aux portes de Genève »6 ; Samuel de Constant n’était pas parvenu à trouver sa place dans la bourdonnante et parfois turbulente république « des abeilles » et lui avait substi- tué le monde rural vaudois et ses activités à la campagne. Semblable en cela à Jean-Jacques Rousseau, Samuel de Constant va donc porter sur Genève un regard extérieur. Il ne semble pas qu’il ait été affilié à un quel- conque des partis actifs dans les débats sur le gouvernement et la gestion de la république. De cette perspective surplombante, Samuel de Constant tirera une appréciation globale de la situation, d’autant plus générale que ses observations seront recueillies par des textes de fiction – des romans – qui, de ce fait, privilé- gient la diversité des interprétations. L’introduction de la missive décrivant la « république heureuse » soulève un cer- tain nombre de questions. En effet, l’histoire se déroulant en territoire bernois, il n’est pas surprenant de trouver une ouverture positive sur « notre patrie » qui réfère au gouvernement de cette République, désigné comme « doux », « tranquille »

5 S. de Constant « tant à titre de réhabilitation que de nouvelle réception » a été confirmé bourgeois de Genève pour 10’500 fl. et 20 écus payés à la bibliothèque. Cf. Alfred L. Covelle : Le livre des bourgeois de l’ancienne République de Genève (Genève 1897) 435. 6 Lucie Achard : Rosalie de Constant, sa famille et ses amis : 1758-1834 (Genève 1901- 1902) II, 58. 64 Helder Mendes Baiao

et « uniforme ».7 Le mythe de la République aristocratique des bords de l’Aar se renforce dès le milieu du XVIIIe siècle avec le nombre croissant des visiteurs. Or les relations de voyage de ceux-ci résonnent de l’écho de la propagande de l’État bernois, dont les magistrats se définissaient comme « équitables » et surtout « pa- ternels ».8 L’uniformité appréciée par M. de St. Ange rehaussait la force de la tradition républicaine, car les censeurs de ces régimes mettaient régulièrement en garde contre le risque de disparition subite provoquée par l’hostilité des fac- tions ou les débordements populaires. Face à la sérénité de l’État bernois, qui offre à ses sujets une douce « médiocrité » et un « bonheur paisible », St. Ange s’interroge malgré tout sur l’absence de « commerce », « d’industrie » et de « ri- chesses ». L’« abondance » qui règne à Berne entraîne les esprits à jouir de « ma- nière passive de la douceur du gouvernement ». Et alors que les « âmes restent sans énergie », les « sentiments patriotiques » s’évaporent au profit de « l’intérêt personnel ». Ainsi, la « vertu des hommes libres » devient-elle un mirage des temps passés alors qu’une « république heureuse » requiert un constant aiguillon : un intérêt renouvelé pour la liberté. Cependant, la tradition républicaine en- seigne que la liberté est aussi précieuse qu’elle peut être capricieuse ; elle doit alors être soumise à une juste pondération des institutions. En bref, il faut créer une « balance » équitable entre l’implication de chacun au service de tous et l’es- pace laissé aux désirs individuels. De ce fait, le tableau de la république heureuse déployé par St. Ange débute avec la description des conséquences idéalisées de la politique de Berne pour offrir peut-être à cette capitale une alternative à un

7 Samuel de Constant (SC) : Laure [voir note 1] III, 233. 8 William Coxe, dont le récit de voyage fut très lu au XVIIIe siècle, remarque que la Suisse et Berne représentent l’exception à la règle qui édicte que les « constitutions aristocratiques » sont oppressives pour le peuple, « qui au lieu d’un despote a cent tyrans ». W. Coxe admire l’organisation et l’équité du gouvernement bernois. Cf. William Coxe : Essai sur l’état présent, naturel, civil et politique de la Suisse ou lettres adressées à Guillaume Melmoth écuyer, ou- vrage traduit de l’anglais par Ramond et augmenté des observations faites dans le même pays par le traducteur (Londres ; Lausanne ; Paris 1787) II 260. Dans l’Encyclopédie d’Yverdon, à l’article « Berne », Vincent Bernard de Tscharner, patricien bernois, écrit que « l’aisance » s’ac- croit « chaque jour dans l’État de Berne. » Cf. Vincent Bernard de Tscharner : Berne in : F.-B. De Felice (mis en ordre par) : Encyclopédie ou Dictionnaire universel raisonné des connaissances humaines (Yverdon 1775) V, 291-319. Concernant la représentation des Républiques helvé- tiques au XVIIIe siècle et leurs mythes, voir l’ouvrage de Claude Reichler et Roland Ruffieux : Le voyage en Suisse : Anthologie des voyageurs français et européens de la Renaissance au XXe siècle (Paris, 1998). Imaginaire politique et réformisme dans la Genève des Lumières 65

aristocratisme qui, en réalité, se révélait étouffant pour ses sujets et problématique d’un point de vue économique. Or, il se trouve que le plan de Genève qui va être analysé est aussi un « clin d’œil » à la laborieuse « République des Abeilles » dé- crite par d’Alembert dans l’Encyclopédie.9 En effet, la vie politique genevoise est dominée depuis 1782 par l’Édit constitutionnel appelé « bienfaisant », texte sou- mis de force aux Genevois par les « Puissances garantes » de la stabilité politique de cette Cité-État – au nombre desquelles il est possible de compter Berne et le Royaume de France ; toute discussion publique, aussi bien orale qu’écrite, est prohibée ; les univers fictionnels, et notamment les romans, offrent donc un des seuls espaces littéraires encore exploitables par l’argumentation politique. Opposé donc à la gouvernance bernoise « paternaliste » mais autoritaire, et à la domination des magistrats du Petit Conseil genevois sur la vie publique, Samuel de Constant, grâce à la voix de St. Ange, va tenter de corriger certains dysfonc- tionnements de l’État genevois et, pourquoi pas, proposer ses solutions pour la pérennité des systèmes républicains de toute la Suisse.

Genève : « Ville des Lumières » et aristo-démocratie C’est au milieu du XVIIIe siècle que se constitue le mythe de Genève « Ville des Lumières ».10 L’article de d’Alembert pour l’Encyclopédie consacré à la Cité-État républicaine transforme Genève en un paradis du républicanisme où un peuple laborieux et éduqué, qui respecte ses magistrats et ses pasteurs, s’active fébrile- ment à perfectionner les arts et les sciences et à accroître la richesse de chaque particulier au profit de tous. Cette esquisse est rehaussée par la métaphore de « ruche bourdonnante ». Ce texte présente le patriotisme genevois comme un exemple de civisme accompli et les Genevois eux-mêmes comme une population

9 D’Alembert : Genève in : Encyclopédie (Paris 1757) VII 578 et ss. 10 Michel Porret : Genève républicaine au XVIIIe siècle : réalité des représentations et représen- tations de la réalité, in : Charles Bonnet. Savant et philosophe (1720-1793) (Genève 1994) 6. Sur l’histoire de Genève et les caractéristiques de son républicanisme, il peut être intéressant de consulter les ouvrages suivants : Helena Rosenblatt : Rousseau and Geneva : from the « First Discourse » to the « Social Contract », 1749-1762 (Cambridge 1997) ; Gabriella Silvestrini : Le républicanisme genevois au XVIIIe siècle : Polis Working Paper 82 (déc. 2006) : www.polis. leeds.ac.uk/research/working-papers.php ; Richard Whatmore : Against War and Empire : Geneva, Britain, and France in the Eighteenth Century (New Haven 2012). 66 Helder Mendes Baiao

tolérante et accueillante. Selon l’image idéalisée de d’Alembert, Genève serait une ville « qui réunirait à la sagesse de Lacédémone la politesse d’Athènes ».11 En réalité, les contemporains n’étaient pas dupes de cet éloge et d’autres du même type qu’ils se voyaient attribuer et qui visaient notamment à critiquer in- directement l’absolutisme royal. À Genève même, la situation politique n’était pas idéale, comme le montre à partir de 1762 « l’affaire Rousseau ». Celle-ci éclate suite à la décision prise par le Petit Conseil de condamner l’Émile et le Contrat social, ouvrages « séditieux ». Plus grave, le Sénat annonça que la personne de Rousseau serait saisie si trouvée sur territoire de la République. « L’affaire Rous- seau » trouve son origine dans les événements dramatiques qui s’étaient déroulés de 1734 à 1738 et qui avaient vu les bourgeois et citoyens de Genève affronter les magistrats des Conseils supérieurs afin de contrôler la prise de décision dans la Cité-État. Pour que nos explications soient plus claires, nous introduisons ici quelques points fondamentaux de l’histoire de Genève au temps de l’Ancien Régime. Le système politique genevois était doté de trois conseils : un Conseil Général qui réunissait tous les citoyens et bourgeois mâles âgés de plus de 25 ans ; un Grand Conseil (ou CC) qui était composé d’environ 250 membres et qui instituait des décisions de police, d’administration ou qui disposait encore du droit de grâce ; un dernier conseil de 28 membres était chargé de la gestion quotidienne de la ville et édictait la plupart des règlements, délivrait la justice, composait la chan- cellerie et représentait à l’extérieur la Seigneurie. Ce dernier conseil était compo- sé des syndics et autres officiers de la ville. Les conseils fonctionnaient selon un système d’emboîtement : le Grand Conseil en assemblée accueillait les membres du Petit. Et lorsque le Conseil Général s’assemblait, ses rangs étaient constitués des membres des autres conseils. Pour la bonne marche de la République, le Petit Conseil s’assemblait aussi souvent que nécessaire, le CC une fois par mois et le Conseil Général deux fois par année au moment de l’élection des magistrats. Comme on peut le constater, ce système dévoile un déséquilibre : l’emprise du Petit Conseil sur la République est patente. Or, comme le soulignaient déjà les historiens genevois au XVIIIe siècle, la République avait d’abord connu une pé- riode de relative stabilité intérieure sous la pression des menaces extérieures, provenant des pays catholiques et des puissances à proximité, telles que la Sa-

11 D’Alembert [voir note 9] ibid. Imaginaire politique et réformisme dans la Genève des Lumières 67

voie.12 Cette période courait de 1534 à 1602 ; ses bornes s’étiraient de la fonda- tion de la République et de l’expulsion de l’Évêque à « l’Escalade », dernier coup de force des troupes savoyardes sur Genève. A partir du XVIIe siècle et surtout au XVIIIe, la situation internationale se stabilisant et la ville de Genève revenant à un certain calme, quelques citoyens protestèrent contre des prérogatives exces- sives que les conseils supérieurs avaient fait voter. De plus, il se fit évident qu’un phénomène d’oligarchie était à l’œuvre dans la République : les charges étant distribuées parmi un nombre restreint de familles. Alors qu’à la fin du XVIe siècle, le « Conseil des Deux-Cents se composait de 176 noms de familles différentes ; en 1734, il n’y en a plus que 94, et dix grandes familles forment à elles un tiers du Conseil entier ».13 Dès 1707, les bourgeois avaient ouvertement protesté et tenté de renverser en Conseil Général la politique et les modes de votation des Conseils supérieurs.14 Ces événements avaient été conclus par la défaite des citoyens et l’exécution de deux meneurs : Pierre Fatio et Nicolas Lemaître. A ce moment-là, pour calmer les révoltes, le Petit Conseil avait fait appel à des troupes zurichoises et bernoises afin de disposer d’un rapport de forces favorable. Noyée dans la crainte, la contes- tation avait d’abord décru avant de déborder à nouveau dans la troisième décade du siècle. Porté par une nouvelle génération, ce mouvement d’opposition contes- tait les impôts « arbitraires » décidés par le Petit Conseil et réclamait davantage de transparence dans les décisions de l’administration de la République ; notam- ment par l’autorisation de la publication des édits sur lesquels se basaient les lois républicaines. Pour le parti le plus radical, certains citoyens militaient même pour une constitution concrètement démocratique où le Conseil Général aurait droit de regard et de délibération sur la majorité des affaires. Ce parti souhaitait la des- truction de l’oligarchie et la fin des avantages officieux dont bénéficiaient les familles de la « ville-haute », colline où s’élevaient les beaux palais des citoyens qui avaient fait fortune dans la banque, l’horlogerie, les indienneries et d’autres activités du commerce international. Après quelques moments de tension, cette agitation avait finalement été calmée par l’intervention des « Puissances ga- rantes » – la France, les Républiques de Zurich et Berne – dont les émissaires

12 [Jean-Pierre Bérenger ?] : Genève in : Encyclopédie d’Yverdon [voir note 8] XXI, 362 et ss. 13 Herbert Lüthy : La banque protestante en France, de la Révocation de l’Edit de Nantes à la Révolution (Paris 1959-1961) I, 40. 14 Alfred Dufour : Histoire de Genève (Paris 2010). 68 Helder Mendes Baiao

avaient refondu en partie la « constitution » genevoise. Cette intervention exté- rieure garantirait à la République trente années de calme politique et de crois- sance économique sous l’égide du règlement de « l’Illustre Médiation ». Avec « l’af- faire Rousseau » pourtant, la lutte politique entre les habitants de Genève reprendra et elle sera continue, avec des périodes d’intensité variable, jusqu’à la Révolution de la Cité-État survenue en 1792. Grâce au texte de Samuel de Constant, certains de ces événements historiques pourront être analysés plus en détail par l’observation des solutions proposées par l’auteur. Il sera alors possible de confirmer notre hypothèse selon laquelle sous la « république heureuse » de St. Ange se cache en réalité une constitution genevoise perfectionnée. Les enjeux de la démonstration porteront sur la compré- hension des sens de l’« utopisme »15 de Samuel de Constant en relation avec la tradition intellectuelle dont il émane / qu’il représente et au regard des débats suisses et genevois sur les systèmes républicains à la fin du XVIIIe siècle. La « République heureuse » : l’esquisse d’une cité dédiée à la vertu et au civisme « [Ses] romans étaient des cadres où il faisait entrer ses idées philosophiques, politiques ou d’utilité pour le pays »16 : telle est la manière dont Rosalie de Constant (1758-1834) présente l’œuvre romanesque de son père. Cette littéra- ture, très fortement inspirée par le travail et les solutions proposées par J.-J. Rousseau, a également été le média à l’aide duquel Samuel de Constant s’est le plus interrogé sur la situation de sa patrie de cœur : Genève17. En 1783, un échange de lettres entre deux personnages du Mari sentimental offrait déjà à

15 Par « utopisme », il faut comprendre « mode utopique ». Selon Jean-Michel Racault : « l’utopie est d’abord un mode, une attitude mentale née d’un sentiment d’insatisfaction devant ce qui est, justifiant une projection compensatoire dans l’imaginaire ». L’utopiste procède du réel, car ses fabulations sont une sélection de propositions qui « perfectionnent » une situation déli- cate (Jean-Michel Racault : L’utopie narrative en France et en Angleterre : 1675-1761 (Oxford 1991) 33-92). Par ailleurs, selon Raymond Trousson, « l’utopisme englobe l’utopie, alors que l’inverse n’est pas vrai : l’utopie n’a pas plus le monopole des expressions de l’utopisme, que la tragédie ne retient celui du tragique. » Cf. Raymond Trousson : Voyages aux pays de nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique (Bruxelles 1999, éd. originale 1975) 9-26. 16 Rosalie de Constant, « Journal de l’enfance de M. le Baron Victor de Constant de Rebecque » in : Pierre Kohler : Introduction au Mari sentimental [voir note 4] 10. 17 En août 1792, Genève craignant une invasion de la France, Samuel de Constant, son fils Victor et sa fille Lisette s’y rendirent pour aider à l’organisation de la défense de la cité. Rosalie a laissé une description émue de son père, sexagénaire, montant la garde sur les remparts. Cf. Lucie Achard : Rosalie de Constant, sa famille et ses amis [voir note 6] II, 143-144. Imaginaire politique et réformisme dans la Genève des Lumières 69

l’auteur l’occasion de revenir sur les torts mutuels des parties en lutte. En ar- rière-fond de la discussion épistolaire se lisait la désolation provoquée par l’Édit de pacificationqui avait poussé à l’exil une partie de la population de Genève et renforcé l’aristocratisme de sa constitution. La population genevoise avait conscience pour sa majeure partie que le gouver- nement de Genève ne pouvait adopter la forme d’une pure aristocratie inspirée par les républiques militaires helvétiques, telles Berne ou Soleure, comme la ville ne pouvait se prévaloir d’une démocratie étendue semblable au mythe des Lands- gemeinde qui survivait en Suisse centrale. C’est cette caractéristique, spécifique- ment genevoise, qui rend les débats politiques difficiles à comprendre, car les deux partis en conflit – les « Représentants » du côté des citoyens mécontents et les « Négatifs » pour les magistrats – partageaient des valeurs similaires sans s’entendre sur l’étendue de la souveraineté du Conseil Général. Ces valeurs com- munes recouvraient la nécessité pour les citoyens de Genève de disposer d’une certaine liberté d’initiative afin d’assurer le commerce d’une petite cité qui ne pouvait se soutenir sans ses bénéfices. Un autre aspect primordial du républica- nisme genevois, nonobstant l’opinion de J.-J. Rousseau dans le chapitre dédié à la « Religion civile » du Contrat social, était le rôle fondamental que le christia- nisme jouait pour les Genevois. Le Conseil Général se regroupait dans la nef de la cathédrale Saint-Pierre et la vertu était le concept fondateur et structurant du républicanisme des Cités-État d’Ancien Régime. On se souvient qu’une des pierres d’achoppement de la renaissance de l’humanisme dès la fin du XVe siècle était la virtù des républiques antiques18. La « république heureuse » de M. de St. Ange s’inscrit dans ce contexte intellectuel et culturel. Ce système politique présente la « vertu » comme force de félicité et comme rampe civique. En bref, le plan idéal de St. Ange structure une vision de l’homme autour des valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de civisme. La formulation de cette république « heureuse » se découpe en deux phases : la première s’arrête sur un système « modèle » de gouvernement et la deuxième, jusqu’à la fin de la lettre, expose un certain « utopisme » tiré de ces observations.

18 Sous l’Ancien Régime à Genève, il n’y avait pas de contradiction, aux yeux de la population genevoise, entre vertus républicaines et vertus chrétiennes. La défense de la religion réformée faisait partie du serment des bourgeois, et les pasteurs glorifiaient dans leurs sermons les vertus civiques : l’altruisme, le sens de la gestion publique, la nécessité du « sacrifice » pour la communauté. 70 Helder Mendes Baiao

L’amorce de la description rappelle des préceptes partagés par les analystes poli- tiques du siècle, à savoir qu’une république idéale ne peut que se déployer sur un territoire « borné ».19 Il est important de relever qu’une autre édition de Laure, londonienne (ou parisienne, voire genevoise), stipule que le plan donné est une « peinture fidèle de celui de Genève »,20 cependant ce n’est pas tout à fait exact et nous allons constater les différences. L’innovation la plus intéressante proposée par M. de St. Ange est l’intérêt qu’il fixe sur le Grand Conseil. Ce conseil qui « se trouve naturellement composé des pères de famille et des citoyens les plus intéressés au bien-être et à la tranquil- lité de l’état […] ne peut jamais vouloir le mal. »21 Il sera composé de « l’élite des citoyens » et ce sera à lui qu’incombera le « droit négatif », c’est-à-dire cette fameuse disposition intercalée dans l’acte de l’Illustre médiation de 1738 qui assurait au Petit Conseil le rejet des « représentations » des citoyens et bour- geois de Genève contre la politique des magistrats.22 Ainsi la clef de voûte du système républicain de M. de St. Ange est fixée par ce conseil intermédiaire qui ne peut pencher vers la démocratie la plus directe ou exercer un arbitraire des plus rigides et opaques. En fabulant autour de cette solution, Samuel de Constant reprenait les propositions émises au milieu des années 1760 par le cercle des intimes de J.-J. Rousseau. Paul Moultou avait écrit à Salomon Rever- dil en février 1764 : « Entre le Petit Conseil, violent aristocrate, et le Conseil Général, démocrate effréné, où trouver une force intermédiaire qui contienne

19 Montesquieu : De l’esprit des lois in : Œuvres complètes, éd. de la Pléiade (Paris 1949, éd. originale Genève 1748) II, 270 ; 279 ; 362 ; 369. J.-J. Rousseau : Du contrat social : Livre III, Ch. VIII. 20 Samuel Constant : Laure ou lettres de quelques personnes de Suisse (Londres [i.e. Genève ?] 1787) III, 21. 21 SC : Laure [voir note 1] III, 239. 22 C’est une innovation intéressante et significative par rapport à l’Édit de pacification, qui s’il retire l’exercice du contesté droit négatif au Petit Conseil, en partage cependant le pouvoir entre ce conseil et le Grand Conseil. Édit de pacification de 1782 : imprimé par ordre du Gou- vernement ([Genève] 1782) : Titre XII art. XI à XVIII. Sur les troubles des années 1781 - 1782 à Genève, les ouvrages suivants apportent des éclairages substantiels : Jean-Daniel Candaux : La révolution genevoise de 1782 : un état de la question, in : Roland Mortier, Hervé Hasquin (dir.) : L’Europe et les révolutions (1770-1800), vol. VII des Études sur le XVIIIe siècle (Bruxelles 1980) 77-93 ; Franco Venturi : Ubi libertas, ibi patria. La révolution de Genève de 1782, in : Bâtir une ville au siècle des Lumières : Carouge : modèles et réalités (Torino 1990), 34-53 ; Marc Neuenschwander : Les troubles de 1782 à Genève et le temps de l’émigration, in : Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, t. XIX/II (Genève 1990) 127-188. Imaginaire politique et réformisme dans la Genève des Lumières 71

l’un et l’autre et soit la clef du gouvernement ? Elle existe, cette force ; c’est le conseil des Deux Cents ».23 Ce Grand Conseil, véritable arche de vertu et de civisme, « cœur du Souverain », offre à St. Ange la possibilité d’universaliser les principes de la république qu’il imagine. Ainsi les membres du Grand Conseil procéderont à leur propre élection, aidés dans cette tâche par des citoyens et bourgeois qui ne seront « d’aucun conseil ».24 Alors que dans la Genève historique, depuis 1782, les membres du Grand Conseil étaient moitié élus par cet organe et moitié par le Petit Conseil.25 Une autre innovation majeure de St. Ange concerne la constitution du Conseil Général qui intégrera « la vingtième partie de toute la nation, en y comprenant les sujets ».26 Il est tentant de percevoir ici une ouverture timide vers un système de « démocratie représentative ». Le terme est certes anachronique, mais l’idée pousse St. Ange à légaliser le statut économique des non-citoyens ; ainsi : « le droit d’exercer le commerce, et toute espèce d’industrie sera accordé à l’habita- tion et à la naissance sur ce territoire ».27 Ce faisant, St. Ange rationalise un problème genevois majeur, celui de l’exclusion des habitants et natifs, classes sociales qui n’avaient pas de droits politiques à l’intérieur de la Genève histo- rique. « L’affaire Rousseau » avait déclenché l’éveil protestataire de ces popula- tions, dont le nombre était devenu supérieur à celui des citoyens dès 1740.28

23 Lettre de Paul Moultou à Salomon Reverdil (n° 3150) in : CC XIX 161. Cf. Céline Spector : Droit de représentation et pouvoir négatif : la « garde de la liberté » dans la Constitution genevoise in : B. Bernardi, F. Guénard et G. Silvestrini (éd.) : La Religion, la Liberté, la Justice. Un com- mentaire des Lettres écrites de la montagne (Paris 2005) 155-172. Elie Salomon François Re- verdil (1732-1808) étudia aux académies de Genève et de Lausanne, fut consacré pasteur et devint précepteur du prince Frédéric de Danemark et de son frère, le futur Christian VII (1749- 1808). Paul Moultou (1731-1787), docteur en théologie, était ministre à Genève et véritable admirateur de Rousseau. Il abandonnera son poste et l’Église calviniste sous l’influence des idées de son ami. 24 St. Ange reprend ici une pratique qui avait été instaurée en 1768 avec la fin momentanée des troubles liés à « l’affaire Rousseau ». Cet usage avait été aboli en 1782, sans pour autant re- venir à la situation d’avant 1768, lorsque le Petit Conseil assurait le choix exclusif des membres du Grand Conseil. 25 Édit de pacification de 1782 [voir note 22] Titre VI art. VII à XIX. 26 SC : Laure [voir note 1] III, 236. 27 Ibid. 234. St. Ange va ici plus loin que l’Edit de 1782, puisque celui-ci n’accorde de droits économiques égaux à ceux des bourgeois et citoyens qu’aux natifs. Édit de pacification de 1782 [voir note 22] Titre X, art. V. 28 Michel Porret : Genève républicaine au XVIIIe siècle [voir note 10] 3-17. « Au recensement de 1781, les citoyens et bourgeois, qui forment le Conseil général, ne sont que 36% de la popu- 72 Helder Mendes Baiao

L’éphémère édit de 1781 leur avait accordé de larges droits économiques et un semblant d’intégration dans la citoyenneté, avantages que l’Édit de pacification détruira. Si les « sujets » sont également compris dans la vingtième partie de la nation – le texte demeure ambigu sur cet aspect – alors le Conseil Général que propose St. Ange est une sorte d’assemblée représentative. L’oscillation entre modernité et tradition est cependant perceptible dans l’idéolo- gie de St. Ange. Le Conseil Général, par exemple, n’obtient aucun droit délibéra- tif. Ce conseil ne suit pas les principes de l’auteur du Contrat social et il ne de- viendra pas une Assemblée nationale, législative, discutant les lois de la République : nulle « volonté générale » ne s’exprimera par ses décrets. Ses membres auront seulement à charge « un signe simple d’approbation ou de réjection ».29 Ils pourront donc exclusivement voter les lois, sans en débattre et sans proposer de nouveaux arrêtés. L’autre constante de la pensée de St. Ange est le respect des principes de la « méritocratie calvinienne »,30 ainsi seuls ceux qui « ont acquis et maintenu la liberté au prix de leur sang » pourront gouverner. Il est possible de déceler ici un écho des débats animant les assemblées de « négatifs », ces parti- sans ou magistrats hostiles à toute politique d’accommodation avec la bourgeoi- sie. La « vertu » que St. Ange appelle pour sa « république heureuse » voisine avec l’exaltation de l’esprit de l’arbitraire ; c’est-à-dire cette raison des magistrats d’Ancien Régime qui moralisait autant qu’elle rendait justice ou gouvernait. Très explicitement, la « république heureuse » de St. Ange macère dans l’utopisme31 d’un républicanisme salvateur et d’une vertu régénératrice. Autrement, comment expliquer que dans cette république « il n’y aura point de code criminel, les lois ne règleront que les informations et les procédures ; les juges, dans leurs sen-

lation mâle, tandis que 64% n’ont aucun droit politique (Natifs, Habitants, sujets et étran- gers). » Cf. Anne-Marie Piuz : La Genève des Lumières in : Paul Guichonnet (éd.) : Histoire de Genève (Lausanne 1986, éd. originale 1974) 240. 29 SC : Laure [voir note 1] III, 236. 30 Michel Porret : Genève républicaine au XVIIIe siècle [voir note 10] 11-12. 31 Si Samuel de Constant n’a voulu faire que l’apologie du système genevois de l’Édit de 1782, alors cet « utopisme », que nous interprétons, n’est en réalité qu’un « archaïsme ». Comment estimer « heureuse » une république sans codes de lois et où les magistrats agissent de façon « arbitraire » ? Notre interprétation est que l’auteur croyait sincèrement au pouvoir « régéné- rateur » de la « vertu » et à l’intégrité des magistrats dévoués au bien commun. Imaginaire politique et réformisme dans la Genève des Lumières 73

tences, pourront suivre leurs sentiments d’équité » ?32 Ce point de vue renvoie très explicitement aux opinions qui avaient été défendues par le Procureur général Jean-Robert Tronchin (1740-1793), consignées dans les Lettres écrites de la cam- pagne (1763) au lendemain de la proscription des ouvrages de J.-J. Rousseau. Tronchin estimait que l’absence d’un code rigide offrait au magistrat l’opportuni- té d’être davantage « indulgent », « parce que la sévérité paraîtrait son ouvrage et non pas l’ouvrage de la Loi ».33 Ce point de vue néanmoins très élitiste et d’obé- dience aristocratique – au sens étymologique du « gouvernement des meilleurs » – avait été combattu dès les débuts du siècle par la bourgeoisie. D’ailleurs, dans l’avant-dernière décennie du XVIIIe siècle, seuls ceux qui avaient été qualifiés d’ultra-négatifs rejetaient encore l’instauration et la prescription d’un code pénal dans les affaires judiciaires. Néanmoins en 1779, ils détenaient toujours la majo- rité du Grand et du Petit Conseils.34 Dans le sillage des études qui, au cours de ces dernières années, se sont intéres- sées à la période que les spécialistes ont nommée, faute de mieux, les « Lumières suisses », il est tentant de qualifier la pensée qui sinue à travers la description de la « république heureuse » de « libéralisme conservateur » ou de « conservatisme éclairé ».35 Ce texte encourage déjà un certain libéralisme économique, certes adapté à ses contextes idéaux et historiques, mais en abandonnant par exemple une législation sur les lois somptuaires dont la codification était pourtant l’orne- ment des constitutions républicaines au XVIIIe siècle.36

32 SC : Laure [voir note 1] III, 244. Sur l’esprit de l’arbitraire, voir Michel Porret : Le crime et ses circonstances : de l’esprit de l’arbitraire au siècle des Lumières selon les réquisitoires des procureurs généraux de Genève (Genève 1995). 33 Jean-Robert Tronchin : Lettres écrites de la campagne (Genève 1763) 160-161. 34 Histoire de Genève : Des origines à 1798 (vol. I) : Paul-E. Martin (dir.) (Genève 1951) 461. 35 Nous renvoyons à la collection « Travaux sur la Suisse des Lumières » publiée chez Slatkine. 36 D’Alembert fait l’éloge des lois somptuaires de Genève dans l’Encyclopédie. Le patricien bernois Albrecht von Haller démontre également leur utilité contre le luxe, dans la république idéali- sée qu’il décrit dans une fiction tardive : Fabius und Cato (1774). Peut-être Samuel de Constant suit-il les idées de Voltaire, qu’il connaissait bien ; le patriarche de Ferney affirme en effet dans ses Idées républicaines : « Une loi somptuaire qui est bonne dans une République pauvre et destituée des arts, devient absurde quand la ville est devenue industrieuse et opulente. C’est priver les artistes du gain légitime qu’ils feraient avec les riches ; c’est priver ceux qui ont fait des fortunes du droit naturel d’en jouir, c’est étouffer toute industrie, c’est vexer à la fois les riches et les pauvres. » Cf. Voltaire : Idées républicaines, par un membre d’un corps : augmentées de remarques (Coppet 1766, éd. originale 1762) 23. 74 Helder Mendes Baiao

La « république heureuse » pose ainsi un entrelacs de modernité et de tradition que parachève jusqu’au dernier paragraphe la métaphore filée autour de la Cité- État de Genève, jamais citée dans le texte, mais omniprésente à l’arrière-plan. Quoique cherchant à définir une séparation des pouvoirs entre un pôle « législa- tif » et « exécutif »,37 St. Ange se retient dans son élan de rationalisation en promulguant de nouveaux conseils qui consacrent la société d’ordres qu’ils insti- tuent et défendent. Cette architecture de privilèges et de cloisons sociales était cependant déjà dépassée au regard de l’urgence des défis économiques, politiques et juridiques de la période de la fin du XVIIIe siècle. L’utopisme qui couronne les ajustements structurels de la première partie du plan renforce également cette impression, non seulement par l’arbitraire du système judiciaire, mais également par l’absence d’assurances données à la liberté de la presse, ou par le silence à propos de la réouverture des cercles citoyens de réu- nion et de débats – proscrits par l’Édit de pacification en 1782. D’un point de vue économique et social, la « république heureuse » prolonge, en l’amendant quelque peu, la politique institutionnelle genevoise déjà très bien développée en compa- raison des systèmes monarchiques européens, exception faite peut-être du sys- tème britannique. L’État étant commerçant, St. Ange ne songe pas à taxer exces- sivement les riches. Ils seront encouragés à l’évergétisme et personne ne pourra être poursuivi pour dettes. Le gouvernement devra donc mener une lutte intelli- gente contre le luxe, instituant des impôts progressifs, mais prenant garde à la fuite des capitaux. La liberté s’entoure ici d’un patriotisme nécessaire et frater- nel sans que St. Ange, pourtant, ne songe à instituer des cérémonies « natio- nales » qui pourraient renforcer la cohésion populaire et « l’amour de la patrie ». On remarque cependant qu’il prend position pour le théâtre en admettant dans son État les « plaisirs publics ».38 La religion de même ne sera pas un facteur d’identification sociale : « elle n’exigera point des pratiques superstitieuses, son culte sera simple comme elle ».39 Notons par ailleurs, qu’il n’est nulle part fait mention d’un « Consistoire » censurant les « mœurs licencieuses » ; institution si caractéristique des anciennes républiques helvétiques. L’État qui n’aura « point de trésor » – si ce n’est dans le « cœur des citoyens » – ni de « monopoles pu-

37 SC : Laure [voir note 1] III, 239. 38 Ibid. 247. 39 Ibid. 248. Imaginaire politique et réformisme dans la Genève des Lumières 75

blics », et qui sera géré par des magistrats dotés d’une « pension » symbolique, devra veiller à endiguer les disettes publiques, les famines, les épidémies et les calamités de toutes sortes qui pourraient inverser le sort heureux de la popula- tion. Concernant la défense de la Cité-État, le texte reprend les dispositions de l’Édit de pacificationet crée un « Conseil militaire » doté d’une garnison, ce conseil sera indépendant afin d’éviter d’être instrumentalisé. Cependant, la lo- gique de défense semble d’abord orientée vers une politique d’apaisement et d’entente cordiale avec les puissances voisines. Le cœur de cette république est prioritairement soutenu par un rouage de « chaînons » assurant à chaque individu et à chaque ordre social une série de droits et de devoirs fondant leur liberté : « un peuple gouverné par ces lois sera aussi heureux et aussi libre que l’humani- té le comporte, il doit atteindre à la plus grande prospérité, il ne lui manquera que l’art de jouir de son bonheur ».40 La perspective de la jouissance de ce bonheur sera affermie par la réponse de Marville, qui, loin de contredire son ami, présentera lui-même l’ébauche d’un autre plan idéal, où cette fois la qualité de noble dans une république ne sera pas oubliée. La noblesse de Marville délaisserait sa qualité militaire pour rechercher ses attributs dans la vertu. Ce « bon » et « juste » comportement donnerait droit à des « titres » qui ne seraient plus contraires aux pratiques civiques ; ceux-ci « pourraient alors être admis dans les républiques ; cette distinction entre ci- toyens ne nuirait point à l’esprit d’égalité ».41

Hommes de papier et rêves d’humanité Le timide essai de « perfectionnement » de Marville sera rapidement balayé par St. Ange ; en écho à l’inutilité auto-proclamée de ses propres plans chimériques, celui-ci apostrophe son ami : « tu exerces ton imagination sur ce qui est impos- sible, ploie plutôt ta raison sur ce qui existe. »42 St. Ange signale alors à Marville « l’humanité » que requiert sa charge de « judicature » pour le redressement de toute loi « contraire à la raison ». Le lecteur, cependant, n’est pas dupe ; il sait qu’il « faut des romans aux peuples corrompus »43 comme il se remémore, en tour-

40 Ibid. 249. 41 Ibid. IV, 197. 42 Ibid. 222. 43 J.-J. Rousseau : La Nouvelle Héloïse (1761), première préface. 76 Helder Mendes Baiao

nant les pages, l’étonnante profession de foi romanesque d’un éditeur « craignant la disette des livres » :

Combien de gens auraient de mauvaises idées, ou n’en auraient point du tout, s’ils ne s’occupaient de celles des autres ? Combien d’autres ne connaîtraient pas toute l’éten- due de leur génie, ou en feraient un mauvais usage, s’ils n’avaient à faire des commen- taires, des allusions, des applications très utiles pour eux et pour les autres ?44

La « République heureuse » de St. Ange se clôt donc sur elle-même. Architecture chimérique sur support de papier, elle tente de briser le sceau de l’inégalité qui « fait le malheur de ceux qui n’ont rien, sans assurer le bonheur de ceux qui ont trop. » Incomplète au regard des multiples facettes des théories républicaines, elle témoigne du rousseauisme et de la « sensibilité » de son auteur. République de roman, elle encourage cependant, dans la tradition des romans sentimentaux suisses initiée avec Rousseau, à « immoler l’amour à la vertu ».

44 SC : Laure [voir note 1] I xix. Cittadini attivi assenti, assenti perché attivi. La mobilità delle genti luganesi nel 1798

Stefania Bianchi

Il 1798 rappresenta per la storia del Canton Ticino l’anno che pone fine alla tutela dei Sovrani elvetici.1 Venute meno le antiche gerarchie di controllo ed organizza- zione giuridico-amministrative delle terre sottoposte al regime balivale, il Consi- glio Provvisorio, insediatosi il 21 marzo, pone le basi istituzionali per governare secondo i principi dichiarati in apertura dei lavori:

In mezzo alla Rivoluzione e cambiamento di Costituzione di un Paese egli è necessario che sul momento il Pubblico s’occupi e pensi a defferire la sua autorità e confidenza ad un determinato numero di Cittadini illuminati, capaci, e d’esperimentata integrità e civismo giusta le istruzioni già trasmesse alli Comuni, li quali eletti siino incaricati di stabilire un’interinale forma di Governo, che proveda alle instantanee urgenze del pubblico e privato interesse, ed alla sicurezza delle Persone e delle proprietà, onde evitare l’infelice e deplorabile stato dell’Anarchia.2

Pertanto nelle sedute successive si provvede ad organizzare ogni aspetto riguar- dante le cariche politiche, l’amministrazione pubblica, e naturalmente la difesa. Infatti, in data 26 marzo si legge che «Il Governo ha invitato il Comitato Militare a presentare nel termine di giorni cinque la nota di tutti gli individui, ossia Citta- dini che rimangono nella Comunità di Lugano, cioè non vadano in maestranza, abilitandolo a dare quegli ordini opportuni per l’esecuzione di simile invito, e que- sto deve riguardare soltanto gli uomini dall’età di anni 17 alli 60». A sua volta, il Comitato Militare presenta la lettera da spedire «alli rispettivi Parroci della Comu-

1 Cfr. Sandro Guzzi: Dalla sudditanza all’indipendenza: 1798-1803, in Raffaello Ceschi (a cura di): Storia della Svizzera italiana dal Cinquecento al Settecento (Bellinzona 2000) 551-580, in particolare 561-562. 2 Archivio storico della città di Lugano (in seguito ASL), Protocollo del governo provvisorio cominciante dal giorno 21 marzo sino li 18 luglio 1798. Cfr. Antonio Gili, Adriano Venuti (a cura di): I protocolli dei governi provvisori di Lugano 1798-1800, vol. 1, Introduzione e tra- scrizioni (Lugano 2010) 3. xviii.ch, vol. 6/2015 78 Stefania Bianchi

nità per l’esecuzione dell’ordine ricevuto il giorno antecedente»,3 accompagnata da una tabella a stampa che va completata inserendo in modo sistematico nome, cognome, età sia dei cittadini presenti, sia degli assenti. I parroci delle quattro Pievi e dei borghi componenti le cosiddette terre separate,4 si mettono al lavoro, spesso intitolando il loro rapporto Anno primo della liberazione, consapevoli del ruolo loro affidato nell’ambito di questo radicale cambiamento.5 I dati che se ne ricavano ci consegnano un’attendibile radiografia dell’incidenza e del valore economico del fattore migratorio, sebbene nelle dichiarazioni siano esclusi gli adulti che hanno superato la soglia dei sessanta anni, e i giovani gar- zoni e apprendisti d’età inferiore ai diciassette.6 D’altra parte, in questo momento, le preoccupazioni del giovane governo lugane- se sono di altra natura; l’incidenza del valore economico sociale delle prassi mi- gratorie sarà argomento di altre sedute, quando la destabilizzante situazione

3 Ibid. 10. 4 L’antica organizzazione ammnistrativa comprendeva: la Pieve di Lugano con Morcote, Carona, Vezia e Sonvico; la Pieve di Agno con Ponte Tresa, Monteggio e Carabietta; quelle di Riva S. Vitale e , la cui unica terra separata era Ponte. Ad eccezione di contingenze partico- lari (guerra, epidemia), le terre separate godevano di una certa autonomia, mentre le terre privilegiate (Vezia, Monteggio) erano esenti da ogni genere di imposta. Cfr. Johann Conrad Fäsi (1766), in: Renato Martinoni (a cura di): Viaggiatori del Settecento nella Svizzera italia- na (Locarno 1989), 98-107; Otto Weiss: Il Ticino nel periodo dei baliaggi (Locarno 1998) 79-80. 5 ASL, Comune, 447. Queste tabelle contemplano i dati di numerose località, ma solo per la Pieve di Riva San Vitale l’elenco dei comuni è completo. Presumibilmente le tabelle mancanti sono andate perdute. Cfr. Stefania Bianchi, Giuseppe Negro, Antonio Gili (a cura di): I proto- colli dei governi provvisori di Lugano 1798-1800, vol. 2. Note, apparati e indici (Lugano 2010) 184-187. 6 Il limite di conoscenza dell’effettiva incidenza delle assenze è determinato dalla «forchetta biografica» finalizzata al reclutamento, riscontrabile in altre fonti. A proposito del Ruolo -mi litare per il baliaggio di Blenio del novembre 1743 (in Archivio di Stato del Canton Ticino (in seguito ASTi), Blenio 10), Raffaello Ceschi osserva che si contano solo gli assenti nelle classi dai 18 ai 60 anni «trascurando dunque il contingente migratorio giovanile, diciamo dai 12 ai 17 anni e forse qualche caso di migratore anziano». Cfr. Raffaello Ceschi: Bleniesi Milanesi. Note sull’emigrazione di mestieri dalla Svizzera italiana, in: AA.VV.: Col bastone e la bisaccia per le strade d’Europa (Bellinzona 1991) 49-72. In merito all’attendibilità che dalle valli su- periori dell’odierno Cantone partissero anche uomini ben più anziani, segnaliamo un docu- mento dell’Archivio della Veneranda Fabbrica del Duomo di Milano, AS 23, 1730. Attestato di «bontà» «dei poveri omini Sguiceri che abitano al ponte Vetro», dove vendono paglia e fieno. Sono quasi tutti fra i 75 e gli 85 anni. Cfr. Stefania Bianchi: La «patria» di quartiere: identità e mercato dei servizi nella Milano dei facchini, in: Percorsi di ricerca 6 (2014) 36-44. Cittadini attivi assenti, assenti perché attivi 79

politica europea e le occupazioni militari, nel 1799, precluderanno ai solitamente assenti perché attivi, l’accesso alle mete di lavoro.7 Ma torniamo a queste preziose tabelle che evidenziano, attraverso notizie di diversa natura, il «peso» delle assenze, un elemento di realtà quotidiana che attraversa vallate e regioni prealpine dei laghi, tanto che Karl Viktor von Bonstetten osserva:

Ogni valle ha qualche artigianato, esercitato poi in esclusiva nelle città italiane. Nella valle di Blenio tutti gli abitanti sono ciocholattieri, poiché un servitore lo era diventa- to anni prima, e si era tirato dietro uno dopo l’altro i suoi giovani convallerani. In valle Maggia ci sono molti fumisti che impediscono al fumo di stagnare nelle canne fumarie di tutta Europa; nelle Centovalli sono tutti faquini o vetturini a Roma. In Valtellina e nel Bergamasco ci sono intere regioni di rosticcieri; nelle valli di Lugano, di stuccatori, muratori, costruttori edili;8

Anche i settecenteschi ruoli militari confermano la riflessione dell’attento Sinda- catore, in particolare i dati riferiti al baliaggio di Blenio, i cui assenti, uomini di fatica che esercitano perlopiù umili mestieri, superano complessivamente il 50% dei maschi, calamitati principalmente dal capoluogo lombardo, con Leontica che detiene il primato: 7 uomini presenti su un totale di 99.9 Dai comuni della valle partono regolarmente, oltre ai ciocholattieri, facchini, marronai, pulitori di latri- ne, brentadori, mentre dal Sottoceneri sono le maestranze dedite alle attività

7 ASL, Protocollo del Governo Provvisorio Cominciante dal Giorno della sua installazione cioè dal giorno 29 Aprile 1799, 17, 19 maggio, supplica rivolta al principe Vittorio di Rohan: «Questo Governo Provvisorio nel tempo che ha il piacere di far conoscere a Vostra Altezza di avere questo Distretto di Lugano fornito alle Truppe Austro-Russe li viveri d’ogni genere, foraggi, e trasporti per la concorrente somma di circa £ 40/m non può a meno di rappresentarle la mi- serabile situazione, in cui trovasi, affinché Ella si compiaccia di dare quelle provvidenze, che crederà necessarie al di lui sollievo, e pel buon servizio delle suddette Truppe. Il di lui sterile ed alpestre suolo non dà la sussistenza che per quattro mesi circa dell’anno, l’industria degli Abitanti, che esercitavano nell’estero le diverse professioni e mestjeri forniva il resto; questa sorgente però è disseccata, essendo cessati i lavori dopo che la guerra si dilatò nell’Italia. Per ben sei mesi questa povera popolazione ebbe a sostenere gravissime spese per la dimora, che vi hanno fatto le Truppe Francesi. Aggiungasi a tutto questo l’attuale estrema penuria de’ grani, l’intemperie della stagione, l’esaurimento totale del denaro, l’interrompimento del com- mercio, e li danni recati dalla licenza militare». 8 Karl Viktor von Bonstetten: Lettere sopra i baliaggi italiani (Locarno 1984) 223-224. 9 Vedi nota 6. 80 Stefania Bianchi

edilizie a dominare la società dell’assenza, con effetti tali da sorprendere altri viaggiatori che percorrono nel tardo Settecento le contrade luganesi.10

Entità e peculiarità delle assenze La carta che accompagna il testo, dando immediatezza ai dati dell’allegata ta- bella, evidenzia alcune regioni in cui l’intensità del fenomeno risulta pronuncia- ta. Per le due aree periferiche (parte del Malcantone e gli ultimi comuni della Val Colla) l’assenza di dati appare significativa in termini di superficie, ma di fatto quantitativamente meno rilevante se rapportata con la densità degli abi- tanti, e stimabile intorno a un quarto della popolazione maschile d’età compre- sa fra i 17 e i 60 anni11. Manca anche il dato di Lugano, di cui però conosciamo, grazie al Catalogo dei cittadini attivi, quelli abili a prestar servizio nel 1801,12 che sono 639; se si prendono in esame le professioni dichiarate, è plausibile suggerire che per il borgo ceresiano l’incidenza delle assenze fosse poco rilevan- te e simile a quella degli, allora, comuni limitrofi,13 e che, fatte le dovute

10 Leandro Fernandez de Moratin (1793), in: R. Martinoni (a cura di): Viaggiatori del Settecento [vedi nota 4] 351 «Sorprende, evidentemente, trovare fra queste rupi pittori, architetti, stucca- tori, scultori, marmoristi ed altri artefici di cui ho visto varie opere nelle chiese e in case priva- te: di maggior merito sono quelle architetturali, la lavorazione dei marmi e le pitture di deco- razione, genere, quest’ultimo, che non è secondo nemmeno – con rispetto parlando – a Madrid. Questi uomini non si mantengono con tale attività, né – come sarebbe mai possibile? – vivono di quanto producono le loro scarse terre e se ne stanno rintanati a Lugano o nei villaggi vicini, di venti o trenta famiglie: se talvolta vengono chiamati a lavorare, sono pagati con un soldo così basso che non può che meravigliare. Così diffuso è lo studio delle arti in Italia che – dopo aver riempito le città popolose, centri di lusso e di ricchezza – esse si estendono fino ai villag- gi più remoti e qui si trova la prova del genio artistico e del buon gusto della nazione». 11 Nel 1798 il numero degli uomini censiti nelle quattro pievi luganesi d’età compresa fra i 17 e i 60 anni, è 7700. Cfr. Raffaello Ceschi, Vasco Gamboni, Andrea Ghiringhelli: Contare gli uomini: fonti per lo studio della popolazione ticinese (Bellinzona 1980) 24) mentre la somma cittadini attivi ricavata dalle tabelle conservate presso l’archivio storico di Lugano è 5322. Considerato che il borgo ne conta 639, manca una conoscenza di presenze ed assenze relativa, approssima- tivamente, a 1700 individui. In merito al rapporto fra superficie e popolazione (dati ricavati dalla Tabella delle Comini ed Agenzie del Distretto di Lugano, Cantone di Lugano formata li 28 gennaro 1799, in ASTi, Diversi 1393) diamo, per il Malcontone, alcuni esempi comparativi: Sessa 130 abitanti per km2, Monteggio 118, Curio 100, Cademario 51, Miglieglia 39, Arosio 36. 12 Cfr. S. Bianchi, G. Negro, A. Gili (a cura di): I protocolli [vedi nota 5] 190-205. 13 I comuni attorno a Lugano, oggi perlopiù compresi nell’area che lo rappresenta (es. Rovello nessun assente, Massagno 20%, Sorengo e Cortivallo 23%), sono quelli con pochi assenti: Viganello, Pregassona e Albonago 21%, Calprino l’odierno Paradiso, 17%. Cittadini attivi assenti, assenti perché attivi 81

Cittadini attivi assenti nel 1798 82 Stefania Bianchi

eccezioni,14 fosse di ben diversa natura, più legata al mondo dei commerci e delle attività imprenditoriali.15 Quindi, pur con molte sfaccettature determinate dalle fonti, possiamo tracciare una lettura «demografica» generale attendibile anche per i comuni privi di dati, quali Curio, Aranno, Montagnola, che hanno conosciuto una secolare storia di assenze, attestata da puntuali studi per alcune famiglie di grande successo pro- fessionale16, e documentata in termini più generali e generici dalle visite pasto- rali che parlano di «arte laterizia», «arte muraria» e «arte cementizia».17 Interpretando la rappresentazione cartografica e le tabelle redatte dai parroci si possono avanzare alcune considerazioni. Fra luoghi d’origine e specificità delle attività praticate vi è una stretta relazione che determina anche la diversificazione delle mete, aspetto dominante anche nelle limitrofe valli del Comasco.18

14 Nel Catalogo figurano il pittore Giovanni Antonio Torricelli, Giovanni Sertorio pure pittore zio del più noto Giovanni Battista, lo stuccatore Luigi Taddei probabile discendente dei marmola- ri e decoratori di Gandria. 15 Le professioni più ricorrenti sono quelle di negoziante (una settantina) e di mercante (una quarantina e altrettanti sono i «benestanti»); fra le attività artigianali, definite in modo assai specifico, preponderanti i calzolai, più di novanta, cui seguono i barcaroli (35). Anche i con- tadini sono numerosi, poco più di 60, dato che non sorprende se si pensa alle importanti proprietà terriere delle ricche famiglie notabili e dei numerosi enti ecclesiastici. 16 Si vedano Carlo Palumbo Fossati: L’architetto militare Domenico Pelli e i Pelli di Aranno (Bel- linzona 1972); Bernardino Croci Maspoli, Giancarlo Zappa: Le maestranze artistiche malcanto- nesi in Russia dal XVII al XX secolo: gli uomini, le storie, la memoria delle cose (Curio 1994); Mario Redaelli, Pia Todorovic: Montagnola San Pietroburgo: un epistolario della Collina d’Oro, 1845-1854 (Montagnola 1998). Anche se quest’ultimo saggio è riferito alla metà dell’Ottocen- to è indicativo per capire quanto anche per questa località il ruolo economico e anche di prestigio giocato dalla migrazione sia fondamentale. Se ne trova conferma nel Registro Civico de Vicini del Comune di Montagnola del 1840: pressoché la metà degli iscritti lavora all’estero, non solo in Russia ma anche a Milano, Torino, Mantova e, meta nuova che attira anche altri muratori migranti da comuni vicini, Algeri (ASTi, Comuni, Montagnola, 2/3, 2 febbraio 1840). Sull’emigrazione in Russia da questi luoghi cfr. Nicola Navone: Dalle rive della Neva. Epistola- ri di tre famiglie di costruttori nella Russia degli zar (Mendrisio 2009). 17 Giulia Pedrazzi: I padroni del «fumo». Fornaciai malcantonesi tra emigrazione e imprendito- rialità (XVII-XX secolo), in: Bernardino Croci Maspoli (a cura di): I padroni del fumo: contri- buti per la storia dell’emigrazione dei fornaciai malcantonesi (Curio 2010), 16-17 e relativa bibliografia in nota. 18 La Val d’Intelvi e la Val Solda sono patria di mastri muratori, stuccatori, pittori e architetti, mentre gli abitanti della Val Cavargna sono soprattutto «ramari» e quelli delle montagne la- riane vanno altrove «lavorando lana e filisello»; cfr. Raul Merzario: Il capitalismo nelle mon- tagne (Bologna 1989) 47-48. Cittadini attivi assenti, assenti perché attivi 83

Per la pieve d’Agno emergente è in particolare quell’angolo di Malcantone che ha dato i natali ai «padroni del fumo»;19 per la pieve di Lugano due sono le aree forti: la Collina d’oro e l’alta Val Colla, terra di magnani.20 Anche la Capriasca, patria di muratori,21 conta in molte località assenze che superano la metà dei cittadini attivi, così come avviene per i paesi della Val Mara e per quelli alle falde del monte San Giorgio, dove il prezioso marmo, broccatello o macchiavecchia, si cava, si lavora, si trasporta per adornare chiese, oratori, gallerie, giardini.22 Fra altitudine e incidenza delle assenze vi è dunque una significativa relazione, anche in questo caso confermata dai dati bleniesi.23 Le comunità più prossime al lago e alle vie di transito sono meno toccate dal fenomeno. Come già osservato non abbiamo il dato del borgo, ma quello dei piccoli comuni pertinenti è decisa- mente basso, meno del 25%, giustificabile da maggiori risorse del territorio che generano maggiori opportunità di lavoro.24 Ma occorre considerare anche l’aspetto culturale dell’assenza. I villaggi dove i vuoti sono più incisivi conoscono una radi- cata strategia migratoria che risale ai magistri antelami25. Spicca fra tutti il dato di Carona, 120 assenti contro i 33 in patria (75%); uno squilibrio che si ripete, anche se in modo meno accentuato, per le altre località della Collina d’oro; pure significativo il dato di Rovio, con i suoi 78 assenti (67%), in modo leggermente meno appariscente quello di Arogno (56%) e di altre località della pieve.

19 Cfr. B. Croci Maspoli (a cura di): I padroni del «fumo» [vedi nota 17]. 20 Sono i calderai ambulanti dal particolare gergo, cfr. Ottavio Lurati: Quale l’ideologia degli ambulanti?, in: Fernando Zappa (a cura di): Valli di Lugano (Locarno 1990) 221-248. 21 Cfr. Carlo Clementi: Struttura delle famiglie e attività professionali in Capriasca fra il 1574 e il 1638/39, in: F. Zappa (a cura di): Valli di Lugano [vedi nota 20] 31-52. 22 Rosa Cassani, Beppe Galli, Antonio Trapletti: Le predere «rosse» di Arzo, Besazio e di Meride (Viggiù 2003); Giovanni Piffaretti: Le cave di marmo di Arzo (Arzo 2003). 23 Cfr. R. Ceschi: Bleniesi Milanesi [vedi nota 6] 57. «Il censimento rivela pure che l’emigrazione è più intensa nell’alta e media valle che nella parte bassa, o meglio che tocca maggiormente gli insediamenti in quota». Analoga l’analisi di Merzario per il Comasco [vedi nota 18]. 24 Pesca per i paesi affacciati sul lago, osterie e cambi per quelli lungo le strade, attività mer- cantili e artigianali nel borgo e nei comuni vicini. Si pensi che all’inizio dell’Ottocento lungo il corso del Cassarate, il fiume che sfocia a Lugano, si contavano 80 ruote per la macina, 3 per trinciare il tabacco, 3 per frangere la corteccia, 5 per fabbricare la carta, 3 ruote per la spre- mitura, altre 3 per frangere, e una per azionare il maglio (cfr. Stefania Bianchi: Il paesaggio agrario di pianura e di collina, in R. Ceschi (a cura di): Stroia della Svizzera italiana [vedi nota 1] 106. 25 Cfr. Marco Lazzati: Il significato del termine Antelami nei documenti medievali e nell’iscrizio- ne di Benedetto Antelami nel duomo di Parma, in: Archivio Storico Ticinese 150 (2011) 198- 310. 84 Stefania Bianchi Cittadini attivi assenti, assenti perché attivi 85

Cittadini attivi di Carona nel 1798 (ASL, Comune, 447) 86 Stefania Bianchi

E se pensiamo a Carona non si può che ricordare la consolidata abilità, già tardo medievale, di esperti scultori, quali i Solari, gli Aprile, i Casella, allora attivi in Lombardia e in Liguria.26 In questo scorcio di fine Settecento, invece, i loro pronipoti lavorano in Ungheria, a , a Venezia, nella Bergamasca, in Pie- monte e in Romagna, perché le destinazioni cambiano in relazione al mercato del lavoro soggetto agli avvicendamenti politico-istituzionali e al variare dei fermenti culturali. Analogamente Arogno è, con Campione, la terra dei lombardi costruttori di catte- drali, mentre Rovio ha dato i natali ai Carloni, ai Bagutti, ai Mazzetti, e ancora Arogno ai Colomba, agli Artari e ai Cometta, tutte famiglie abili col marmo quan- to con lo stucco e con i colori, come documentano i segni della memoria lasciati in patria, quando i loro passi erano guidati dai transalpini cantieri della Controri- forma.27. Ora queste famiglie vanno «sul veneziano», in Piemonte o in Francia. Non sempre però è possibile ricostruire dove dimorano all’estero e quali profes- sioni esercitano le molte menti e braccia, che hanno dato vita al mito dei magistri comacini, assenti la primavera del 1798. Alcuni parroci precisano le mete migratorie che possono identificarsi con una specifica nazione, regione o città,28 dove per alcune famiglie la presenza è radi- cata da una secolare attività di bottega, ritmata da un’emigrazione periodica, a volte di lunga durata, che induce le mogli a seguire i mariti,29 cosicché i figli nascono all’estero, come annota a tal proposito il parroco di Rivera, in merito a dodici adulti «non si può aver l’età per essere batezati in pagi foresti ma tutti li notati hanno più d’anni venti», mentre don De Stefani conta fra gli assenti «due Rusca nati su lo stato Papalino oriondi delle Taverne».

26 Cfr. Federica Bianchi, Edoardo Agustoni: I Casella di Carona (Lugano 2002). 27 Cfr. Lucia Pedrini Stanga: I Colomba di Arogno (Lugano 1994); Massimo Bartoletti, Laura Da- miani Cabrini: I Carlone di Rovio (Lugano 1997). 28 Ad esempio da Taverne quasi tutti vanno in Valle d’Aosta, da Vico Morcote i Pelli a Venezia e tutti gli altri in Francia, da Arzo i Rossi, proprietari di cave e commercianti di manufatti in marmo, si recano solo in Spagna. Da Brusino si parte per mete disparate: Venezia, Milano, Inghilterra, Francia compresa la Corsica, Vallata Bressata?, ecc..; lo stesso sciamare da Gandria che fra le mete comprende Utrecht e la Danimarca, mentre Ponte Tresa, oltre al bresciano e alla bergamasca, ha pure destinazioni svizzere, Friborgo (4 dei 23 assenti) e alpine «Sciambe- ri». 29 Sull’argomento si veda Stefania Bianchi: Donne che seguono i mariti, in: Percorsi di ricerca 4 (2012) 15-21. Cittadini attivi assenti, assenti perché attivi 87

Altri, pur segnalando chi non è in patria, dichiarano che tutti sono domiciliati e residenti nella parrocchia di loro pertinenza, puntualizzazione che porta a sti- mare che in queste località sia prevalente l’emigrazione stagionale, ipotesi con- fortata dal fatto che effettivamente solo per casi singolari si riconoscono, tra le file dei migranti, personalità o casati emergenti nei mercati edilizi. Per Caslano, il parroco, a proposito di una famiglia precisa: «li cinque Farini al- ternativamente dimorano per qualche tempo sul territorio Cisalpino», esplicitan- do questa pratica, cui allude indirettamente anche don Ghezzi segnalando che «eccettuati li due fratelli Rezzonici che già da molti anni sono in altri paesi, tutti gli altri cittadini hanno la loro ordinaria abitazione in Cadempino». In questo andirivieni qualche cognome nuovo, estraneo alle famiglie della vici- nia, fa invece pensare che ci sai anche qualche marito che segue la propria com- pagna o meglio il suocero, non di rado un collega. Confrontando cognomi e mete s’intuiscono poi anche specifiche rotte migratorie poiché le destinazioni si susseguono lungo tracciati che portano ai porti mediter- ranei o nelle vallate alpine; per alcuni comuni sembra esserci una vera e propria «cordata» che passa dal Piemonte per la valle d’Aosta e l’alta Savoia (Castagnola), piuttosto che lungo l’asse per Venezia e Trieste (Gandria) o attraverso l’appennino tosco umbro verso la Campania (Mezzovico e Sigirino). E i curati più solerti, pochi in verità, hanno elencato in modo ordinato presenti e assenti di uno stesso fuoco consecutivamente, scelta grafica che evidenzia le strategie messe in atto: il padre già anziano resta in patria, i figli continuano sulla sua via tracciata e/o diversificano le mete in concomitanza con altri conter- ranei. Altrimenti è un fratello, di solito quello maggiore, a restare a casa per conservare il «fuoco acceso». L’esercizio del plurilocalismo, d’altro canto, è pure una strategia consolidata, per cui alle mete tradizionali se ne aggiungono altre che offrono rinnovate op- portunità, perché fra le abilità di queste compagnie e botteghe, avvezze ad adeguarsi al mutare degli eventi, c’è la capacità di insinuarsi laddove il mercato del lavoro non è ancora saturo, e di proporsi in termini concorrenziali per com- petenze e costi. La professione praticata non è mai specificata, ma individuabile grazie alle mol- teplici fonti bibliografiche incentrate sulle famiglie, su importanti cantieri, o sulle mete di lavoro desunte e desumibili dalla prolifica corrispondenza familiare, 88 Stefania Bianchi

Cittadini attivi di Gandria nel 1798 (ASL, Comune, 447) che per alcuni casati ha costituito una fondamentale risorsa per conoscere la quotidianità e l’umanità di questi protagonisti dell’edificare, da architetti ed ingegneri ai più modesti scalpellini e fornaciai. Un caso esemplare quello delle maestranze del comune di Barbengo con le sue frazioni: Cadepiano, Casoro, Cernesio, Figino e Garaverio. Per ogni località citata vi è una famiglia economicamente dominante che ha costruito la sua fortuna all’este- ro. A Barbengo sono i Ramella, ingegneri e impresari a Milano, e i Guidini con il ramo di Garaverio, pittori e impresari a Venezia, mentre i Triulzi e gli Scala, copo Cittadini attivi assenti, assenti perché attivi 89

mastri a Torino e in Liguria, sono le famiglie benestanti di Cadepiano. Fra loro sono tutte imparentate o affratellate da competenze di mestiere e collaborazioni di cantiere, da relazioni d’apprendistato o creditizie, che conosciamo grazie al fondo della famiglia Guidini conservato presso l’archivio storico della città di Lugano.30 Un altro è rappresentato dall’area malcantonese comprendente le località di Ca- stelrotto, Piano, Croglio, Barico, Purasca, Beride e Biogno che contano nel loro insieme un’alta percentuale di assenti. La maggior parte si reca «nella Cisalpina», qualcun altro in Piemonte o in Francia;31 ma il compilatore non rivela altro che consenta di capire dove vanno a lavorare e che cosa fanno. La comparazione fra la lista degli assenti nel 1798 e quella del 1813 non lascia però dubbi: sono i molti migranti che si sono specializzati nella produzione di laterizi, investendo capitali ed energie nel pavese e nel bresciano, in Piemonte e in Francia.32

Un’epoca di transizione Nel corso degli ultimi decenni del Settecento sono in atto molti cambiamenti che determinano le sorti delle maestranze, perché il mercato edilizio sta profonda- mente cambiando. Aldilà dei grandi eventi che attraversano l’Europa in questo volgere di secolo, altri fattori inducono ad orientarsi verso altri «lidi», secondo un lento ma inarrestabile processo che va di pari passo con l’evoluzione politi- co-istituzionale ed economica delle società. Alcuni importanti committenti esco- no di scena33. La stessa trasmissione del sapere cambia percorsi svincolandosi dalla tradizionale formazione di bottega che implicava una scontata continuità di

30 Si tratta di 16 scatole che contengono fonti di diversa natura: carteggi, conti di casa, documen- ti di identità, partite d’estimo, già parzialmente oggetto di studio in merito al profilo biografico di Augusto Giudini senior (cfr. Stefania Bianchi: La terra, il lago e la laguna. I Guidini, una fa- miglia dell’aristocrazia dell’emigrazione fra patria e mete di lavoro (secc. XVIII-XIX), in: Angela Windholz (a cura di): Augusto Guidini. Architetto, giornalista, politico (di prossima pubblica- zione). 31 La popolazione maschile dei cittadini attivi si compone di 45 presenti e 133 assenti; di questi 109 sono in Cisalpina, 28 in Piemonte, 3 in Francia e uno in Valtellina. 32 Si vedano i contributi di G. Pedrazzi [nota 17] e Mario Vicari: «Voci di fornaciai malcantonesi», in: B. Croci Maspoli (a cura di): I padroni del «fumo». [vedi nota 17], rispettivamente pagine 13-92 (in particolare 17 e 27), e pagine 127-160 (in particolare 143 e 160). 33 Si pensi all’ordine dei Gesuiti, facoltosa e colta committenza. Inoltre, fra le corti d’Europa gli ultimi importanti cantieri sono quelli degli zar; cfr. Nicola Navone, Letizia Tedeschi (a cura di): Dal mito al progetto: la cultura architettonica dei maestri italiani e ticinesi nella Russai neoclassica (Mendrisio 2003). 90 Stefania Bianchi

mestiere all’interno delle famiglie: prima le accademie e poi i politecnici creano i nuovi professionisti. Inoltre, aristocrazia e ricca borghesia rinnovano arredi e de- cori delle loro residenze secondo i nuovi canoni estetici, di gusto neoclassico, che limitano le opportunità per gli specialisti della decorazione plastica,34 i cui di- scendenti si convertono ad altre attività artigianali, proponendosi, soprattutto in Francia, quali vetrai, corniciai, commercianti di stampe. Diversamente la proficua storia dei fornaciai si consolida perché coppi e mattoni alimentano la crescita urbana. Per i semplici muratori e scalpellini si aprono altre vie: strade, ponti, strutture portuali, ma anche ospedali e caserme, sono i nuovi cantieri che attrag- gono manovalanza, mentre i figli dell’aristocrazia dell’emigrazione, artigiani arti- sti che hanno ottenuto il successo, soprattutto nelle grandi città d’arte italiane, si convertono per mete ed attività praticate. Qualcuno di loro resterà in patria, propendendo per gli studi accademici e scientifici, o per la carriera politica,35 contribuendo così a plasmare l’identità del giovane Cantone; e i primi segni di questa nuova classe dirigente si leggono nella partecipazione ai comitati e all’am- ministrazione del primo governo provvisorio,36 di personalità appartenenti all’élite migratoria, quali Stanislao Somazzi e Simone Cantoni membri della Camera Am- ministrativa, Carlo Luca Pozzi rappresentante del Cantone di Lugano al Gran Con- siglio Elvetico, autorevoli esempi della nuova realtà politica che prende avvio nel 1798, l’anno che segna, sotto molti punti di vista, la cesura fra Ancien Régime e un futuro destinato a «globalizzare» anche le assenze, un processo graduale e scalare, se si considera il rapporto tra patria e mete, innescato dalle campagne napoleoniche e accelerato nel corso del Diciannovesimo secolo dall’indistrializza- zione, dalla rivoluzione dei trasporti e dall’incipiente colonialismo37. 1798, comunque, significa prima di tutto indipendenza e libertà, novità che pro- ducono anche l’eccezionalità delle fonti studiate, che aiutano a capire quanto in età moderna, l’emigrazione abbia giocato un ruolo quantitativamente importante

34 Con il tramonto del rocaille finisce la secolare tradizione di botteghe che non tengono il passo con i nuovi modelli estetici (cfr. ad esempio Andrea Spiriti: Artisti e architetti svizzeri a Torino, Arte e storia 52 (2011), 65. 35 Cfr. N. Navone: Sulle rive della Neva [vedi nota 16] 141. 36 Cfr. S. Bianchi, G. Negro, A. Gili (a cura di): I protocolli [vedi nota 5] 5-6, 19, 229-243. 37 La Francia, già intorno alla metà del secolo, diventa terra di transizione per i muratori che partono per l’Algeria, una realtà migratoria ancora poco conosciuta. In merito a queste nuove mete si veda Raffaello Ceschi: Migrazioni dalla montagna alla montagna, in: Archivio Storico Ticinese 111 (1992) 5-36. Cittadini attivi assenti, assenti perché attivi 91

nell’equilibrio fra popolazione e risorse, e qualitativamente altrettanto significati- vo per le ricadute economiche e culturali di queste pievi «rurali» in cui convivono emigrazione stagionale ed emigrazione periodica improntata sul plurilocalismo. La prima riguarda la manodopera meno specializzata, la seconda l’aristocrazia dell’emi­grazione. Tuttavia le due variabili condividono elementi aggreganti: una pianificata relazione fra paese natio, competenze professionali e luoghi di lavoro, e una capillare presenza laddove il mercato edilizio offre opportunità che si rinno- vano determinando nuove mete e/o nuove collaborazioni professionali. 92 Stefania Bianchi

Tabella Cittadini attivi presenti, ed absenti che possono entrare nelle Assemblee ossiano. Comizj primarj della Comunità di Lugano [1798]

Pieve Comune o Località Presenti assenti m/sm %

Agno Agno 75 74 285 50

Bedano 25 31 370 55

Bironico 38 17 465 31

Camignolo 35 10 449 22

Caslano 55 54 279 50 Castelrotto (Croglio) (con Piano, Croglio, Barico, Purasca, 45 133 422 75 Ronco e Beride) Gravesano 13 19 378 59

Magliaso 31 13 284 30

Manno 27 15 343 36

Mezzovico 86 47 437 35

Monteggio 34 73 420 68

Muzzano 17 12 385 41

Neggio 10 17 391 63

Ponte Tresa 41 29 283 41

Pura 34 69 382 67

Rivera 70 33 554 32

Sessa 36 50 392 58

Sigirino 30 43 470 59

Taverne 37 24 360 39

Torricella 24 36 425 60

Vernate 8 20 569 71

Capriasca Bidogno e Corticiasca 27 122 790-1060 82

Cagiallo (con Sarone e Almatro) 78 83 532 52 Lugaggia (con Sureggio, 49 74 340-590 60 Bettagno, Campestro) Cittadini attivi assenti, assenti perché attivi 93

Pieve Comune o Località Presenti assenti m/sm %

Origlio 28 32 422 53

Ponte Capriasca 22 28 450 70 Roveredo (con Migliera, Oggio, 18 68 725 79 Percamorina, ) Sala 34 49 546 59 e Bigorio (con 59 50 520 46 Pazzolo, Odogno, Gelpio) 31 31 547 50

Lugano Agra 18 40 556 69 Barbengo (con Casoro, Garavée, 38 61 370 62 Scernesio, Figino, Cadepiano) Biogno 24 21 523 47

Bré Aldesago 29 32 800 52

Breganzona 30 33 436 52

Cadempino 27 10 315 27

Cadro 33 22 473 40

Canobbio 31 19 405 38

Carabbia 29 9 523 24

Carona 33 120 442 78

Cassarate 13 0 273 0

Castagnola 34 18 380 58

Cimadera 13 40 1084 75

Comano 54 35 511 39

Cureglia 25 15 430 37

Davesco/Soragno 34 15 421 31

Dino 9 14 454 67

Gandria 16 26 320 62

Grancia 5 14 320 74

Lamone 39 34 337 47 94 Stefania Bianchi

Pieve Comune o Località Presenti assenti m/sm %

Massagno 54 14 320 20

Melide 22 21 274 49

Morcote 100 32 277 24 Pambio/Noranco (con Pazzallo 73 27 274-349 27 e Calpino)) Porza 33 28 46 Pregassona, Albonago 119 31 305-350 21 e Viganello Rovello (Savosa) 18 0 0

Savosa 14 7 437 35

Sonvico 58 81 603 58 Sorengo, Cortivallo 21 7 277 25 e Cramignone Vezia 45 30 365 40

Vicomorcote 6 17 447 74

Villa 8 59 603 88

Riva San Vitale Arogno 68 87 604 56

Arzo 93 48 503 34

Besazio 22 26 497 54

Bissone 42 24 280 36

Brusino Arsizio 32 14 293 30

Capolago 28 6 277 19

Maroggia 32 18 276 36

Melano 36 32 289 47

Meride 36 43 586 54

Rancate 50 52 359 51

Riva San Vitale 133 59 282 31

Rovio 37 78 492 68

Tremona 26 11 571 30 Rezensionen / Recensions / Recensioni

Stefania Bianchi: I cantieri dei Cantoni. Relazioni, opera, vicissitudini di una fa- miglia della Svizzera italiana in Liguria (secoli XVI-XVIII) (Genova 2013), 295 p. (Menzione speciale del Premio Migros Ticino 2011 per ricerche di storia locale e re- gionale della Svizzera italiana).

Lo studio è la rielaborazione di un dottorato di ricerca, conseguito nel 2011 pres- so l’Università di Lucerna, sotto la direzione dello storico delle Alpi Jon Mathieu. Del lavoro accademico il libro mantiene il rigore scientifico, l’acribia storica e -fi lologica, ma grazie alla sua strategia narrativa riesce ad avere immediatamente presa sul lettore, che viene coinvolto nell’indagine, nelle domande e nelle piste di ricerca seguite dalla ricercatrice. Il lavoro di Stefania Bianchi s’inserisce nel vivace dibattito storiografico interna- zionale che negli ultimi decenni ha portato a riconsiderare il fenomeno migratorio delle maestranze nell’arco alpino visto come un mondo dinamico, osmotico, aper- to alla modernità sia in campo economico che demografico, in contrapposizione al noto paradigma braudeliano della montagna mediterranea come fabbrica di uomini al servizio della pianura. Un fenomeno amplissimo nello spazio come nel tempo, che l’autrice osserva al microscopio, riuscendo grazie a questo sguardo ravvicinato a cogliere cose che altrimenti non si potrebbero vedere. Sotto al suo microscopio ha posto la famiglia Cantoni, una dinastia di maestri d’arte proveniente dalla valle più meridionale del Cantone Ticino, la valle di Muggio, attiva a Genova e nell’entroterra ligure dal Cinquecento fino al tardo Settecento e divisa in due rami dalla metà del XVII se- colo in poi: quello di Cabbio e quello del villaggio limitrofo di Muggio. L’impalcatura dell’intero lavoro si regge su una serie di dicotomie: la montagna e il mare; il villaggio montano di partenza e la città portuale di arrivo; il lavoro e la famiglia; la dimensione pubblica e la sfera privata; la fedeltà della famiglia alla

xviii.ch, vol. 6/2015 96 Rezensionen / Recensions / Recensioni

tradizione migratoria e lo scarto dal modello comportamentale; il ruolo della donna e il lavoro dell’uomo; la sedentarietà e la mobilità professionale. Una dicotomia che ritroviamo anche nella stessa casa seicentesca dei Cantoni a Cabbio, dai due volti come un Giano bifronte: quello cittadino, ligure per forme e colori, sulla fronte che si affaccia sulla via del paese e quello «rusticano» sul lato che guarda verso la montagna. Una casa che è anche emblema di questa terra di migranti, ancorata alla tradizione costruttiva del luogo, dall’altro ricettiva, aper- ta agli stimoli esterni e alla cultura importata dai centri di raccolta dell’emigra- zione. Una casa che è dunque simbolo di un «paese stretto affacciato sul mondo»: un ossimoro coniato dalla recente storiografia e che ben sintetizza il carattere complesso e ambivalente di queste vallate alpine. I termini del confronto non sono tuttavia sempre contrapposti, i confini non così netti, le categorie non così distinte. È quanto risulta dallo sguardo a tutto tondo posato sulla famiglia Cantoni, che rivela dinamiche economiche e sociali, strate- gie lavorative e migratorie lontane dai modelli storiografici acquisiti, come la regolarità delle partenze e dei rientri, la non integrazione nella città di adozione o le alleanze matrimoniali endogamiche. Ma il caso Cantoni, più che un’eccezio- ne, è forse da considerare una conferma della mancanza di una regola unica e inderogabile, dell’impossibilità di voler fissare in una forma rigida il mutevole e aleidoscopico mondo delle maestranze itineranti. I lavori condotti nell’ultimo ventennio anche nel campo della storia dell’arte e i casi studiati nelle monografie sugli artisti dei laghi hanno d’altronde messo a fuoco profili professionali e arti- stici ben differenziati a seconda delle famiglie e dei periodi analizzati, non ri- conducibili ad un’unica logica migratoria. L’approccio microanalitico adottato dalla Bianchi mette al riparo da generalizza- zioni e da sbrigative deduzioni. Partendo da un’introduzione generale sul vasto fenomeno migratorio della regione dei laghi prealpini e delle vallate superiori, il campo si restringe via via alla valle di Muggio, per poi fissarsi sui Cantoni e sulle strategie familiari messe in campo per salvaguardare quel difficile equilibrio fra assenza e persistenza, fra il bisogno di gestire cantieri diversi grazie a una fitta rete di collaborazioni salvaguardando privilegi e posizioni conquistati all’estero e l’esigenza di mantenere il «fuoco acceso» nel villaggio d’origine. Dopo la ricostruzione biografica dei Cantoni, avvalorata da un’approfondita ricer- ca genealogica, la studiosa contestualizza le vicende familiari nella realtà di Rezensionen / Recensions / Recensioni 97

valle, senza mai perdere di vista il fenomeno generale delle migrazioni di mestie- re comune a quasi tutto l’arco alpino. Con uno sguardo sempre più ravvicinato passa poi a indagare il fenomeno migra- torio declinato al femminile, analizzando attraverso lettere, atti notarili e parroc- chiali il ruolo delle donne e i loro spazi di attività all’interno di una famiglia svuotata di uomini per buona parte dell’anno. Restringendo sempre più il campo d’osservazione, negli ultimi due capitoli l’au- trice affronta, in prospettiva storica, l’attività dei Cantoni nei cantieri liguri, passando anche in questo caso da una contestualizzazione più ampia del fenome- no delle presenze lombarde a Genova, attestate sin dal medioevo, a un’analisi più puntuale e circostanziata del lavoro di questa famiglia al servizio della Superba protrattasi per ben tre secoli con rinnovate competenze. L’occhio attento della ricercatrice guarda alternativamente alla vita pubblica sui cantieri genovesi e a quella privata di chi resta in valle; agli edifici, alle de- corazioni a stucco realizzati nelle terre d’adozione e alle tracce più invisibili e effimere – legate alla complessa trama di relazioni professionali e familiari intes- suta da generazioni di migranti – lasciate nella valle d’origine. Dall’analisi di una famiglia di maestranti lo studio offre una finestra di straordi- nario interesse sul vasto fenomeno dell’emigrazione artistico-artigianale e una ricostruzione del modello economico-antropologico su cui si poggiava. Una storia dell’aristocrazia dell’emigrazione, che sposta continuamente il fuoco dell’analisi dai contesti culturali nei quali è attestata la presenza degli emigranti al polo d’attrazione-repulsione costituito dal villaggio di provenienza, sull’orma di quanto già auspicato, in tempi ormai lontani, dallo storico Virgilio Gilardoni per la storia culturale del Cantone Ticino. Da questo duplice sguardo l’autrice riesce a ricavare l’immagine di città visibili, fatte di strade, palazzi, case e chiese, e di città invisibili, fatte «di ragnatele di rapporti intricati che cercano una forma», come recita la bella citazione di Calvi- no messa in esergo. Una forma che la studiosa è riuscita a trovare attraverso una meticolosa disanima delle carte (circa cinquecento) della famiglia Cantoni, tra cui centosessanta lettere che coprono l’arco di quattro generazioni, completata da un’indagine negli archivi genovesi, milanesi, comaschi e ticinesi. La Bianchi giunge così a illustrare i meccanismi che hanno permesso ai Cantoni di conservare nel tempo appalti pubblici e committenza privata nei grandi can- tieri aperti nelle principali vie del centro di Genova. Oltre alle opere già indagate 98 Rezensionen / Recensions / Recensioni

dalla critica, come la Strada Nuova – l’elegante via progettata da Bernardino Cantoni, simbolo della nobiltà e dell’aristocrazia cinquecentesca – o il Palazzo Ducale – la residenza del potere genovese in cui lavorano sia i Cantoni architetti che i cugini stuccatori autori delle decorazioni delle sale del Maggiore e Minor Consiglio – , la studiosa è riuscita ad attribuire a questi maestri «di valle» molte altre opere disseminate tra il capoluogo e l’entroterra ligure. Dagli epistolari, dai taccuini, dai documenti emerge una messe di notizie su au- tori, committenze, tempi, costi e modalità di lavoro, dinamiche del cantiere, come pure episodi di vita materiale, che forniranno un utilissimo strumento di lavoro anche per gli storici dell’arte. A loro toccherà ora il compito di mettere sotto il microscopio le opere genovesi dei Cantoni, in particolare le realizzazioni a stucco prodotte dalla fiorente bottega di Francesco Maria Cantoni e dei suoi figli, rigorosamente documentate da questo lavoro, meticoloso e certosino, ma nel contempo appassionato e appassionante. Lucia Pedrini-Stanga (Bellinzona)

Jean-Marie Roland de la Platière : La Svizzera nel Settecento, prefazione di Giusep- pe Ricuperati (Locarno 2014), 224 p.

Le charme historiographique que Madame Roland (1754-1793) n’a cessé d’exercer depuis sa mort tragique sur l’échafaud a sans doute contribué à faire sombrer dans l’oubli la figure de son mari, Jean-Marie Roland de la Platière (1734-1793). La réputation de celui-ci avait déjà été ternie par l’échec du gouvernement révo- lutionnaire girondin, au sein duquel Roland occupa la fonction de ministre de l’intérieur entre 1792 et 1793. Ainsi, les rares pages consacrées à Roland peinent à se libérer de l’encombrante présence de Marie-Philipon et de l’image d’héroïne ancienne que ses Mémoires, parus pour la première fois en 1795 sous le titre d’Appel à l’impartiale postérité, ont savamment façonnée et divulguée. Roland de la Platière compte pourtant parmi les plus importants « technologues » d’Ancien Régime, notamment dans le domaine du tissu. Parmi les inspecteurs des manufac- tures les plus prolifiques et les plus fidèles de l’administration Trudaine, il rédige quatre tomes de la Description des arts et des métiers ; publiés au début des an- nées 1780, les volumes suscitèrent la curiosité de Charles- Panckoucke qui Rezensionen / Recensions / Recensioni 99

confia à l’auteur la préparation de la sectionManufactures, arts et métiers de l’Encyclopédie Méthodique. Bien entendu, en dépit de l’intérêt dont les grandes entreprises de description technique des Lumières ont fait récemment l’objet, les efforts de Roland pour élaborer ce qui constitue une véritable somme du savoir textile prérévolutionnaire attendent toujours qu’un chercheur s’y penche de ma- nière systématique. À l’exception de quelques analyses lacunaires, les Lettres écrites de Suisse, d’Ita- lie, de Sicile et de Malthe – que l’inspecteur des manufactures publie sous anony- mat en six volumes à la suite d’un séjour en Italie effectué entre 1776 et 17771 – n’ont guère connu une meilleure fortune. Néanmoins, la presse littéraire de l’époque réserva au livre un accueil élogieux. À bien des égards, les Lettres parais- saient enfin comme le modèle du voyage savant par excellence : ouvrage hybride, elles représentaient une tentative manifeste d’inscrire le champ de l’érudition technique dans un genre littéraire en vogue, celui du voyage d’Italie. L’initiative de l’éditeur tessinois Armando Dadò mérite donc d’être saluée. Sous le titre La Svizzera nel Settecento (La Suisse au dix-huitième siècle), la maison d’édi- tion de Locarno propose pour la première fois au public la traduction italienne des chapitres d’ouverture de ces Lettres, qui portent justement sur le territoire helvé- tique. La préface nous apprend que le projet prévoyait initialement la traduction de l’ensemble de l’ouvrage. Faute de moyens financiers adéquats, celui-ci a cepen- dant dû se limiter aux pages sur la Suisse. Espérons que le vif intérêt éveillé par ce premier volet, dont le tirage rapidement écoulé a rendu nécessaire une réédi- tion, concourra à faciliter la reprise et l’accomplissement du projet. Depuis la parution de l’édition française originale, seule une traduction allemande partielle a vu le jour à Bonn en 1784. En français, il n’y a jamais eu de réédition : en 1799, les ballots de la première impression restés invendus furent simplement remis en vente avec une nouvelle page de titre. L’édition tessinoise constitue par consé- quent la seule édition moderne actuellement disponible. Son résultat est un remarquable travail de traduction accompli par Paolo Vettore qui, tout en respectant le texte original, a réussi à gommer les sécheresses sty- listiques de Roland, sécheresses que les Mémoires de sa femme et la presse contemporaine n’avaient pas manqué de souligner. L’intérêt des pages « suisses »

1 Jean-Marie Roland de la Platière : Lettres écrites de Suisse, d’Italie, de Sicile et de Malthe (Amsterdam 1780). 100 Rezensionen / Recensions / Recensioni

des Lettres de Roland ne réside donc pas dans leur rhétorique, mais dans la réu- nion de trois récits de voyages successifs, effectués à différentes dates par l’ins- pecteur. Roland visite la Suisse pour la première fois en 1769 : à cette occasion, il descend depuis Bâle vers Berne et Soleure pour ensuite traverser le Pays de Vaud et rendre visite à Voltaire à Ferney. En 1774, il parcourt le Jura et essaie en vain de se faire recevoir de nouveau à Ferney. Enfin, en août 1776, date du début de son voyage d’Italie, il traverse le sol helvétique en passant par Olten, Sursee et Lucerne ; après le passage du Saint-Gothard, il arpente le Tessin en direction du lac de Côme et de la foire de Bergame. Le titre choisi pour la traduction ita- lienne, La Svizzera nel Settecento, reflète donc bien la tentative déjà inscrite dans les Lettres mêmes d’esquisser un portrait exhaustif du territoire suisse ; toutefois, la tranche chronologique des séjours de Roland aurait peut-être mérité d’être précisée, pour ne pas induire en erreur le lecteur. L’œil que Roland de la Platière porte sur la Suisse est bien celui d’un administra- teur. Habitué aux tournées et à la rédaction de mémoires qui scandent ses jour- nées d’inspecteur, Roland s’intéresse notamment aux réalités politiques et pro- ductives, mais ne néglige pas les remarques topographiques ou d’ordre plus touristique. La mode du voyage en Suisse étant en plein essor, le lecteur ne s’étonnera guère de la description de la Suisse comme la terre d’une démocratie rêvée. Fervent lecteur de Rousseau, à l’instar de sa femme, Roland ne rate pas l’occasion lors de son passage à travers les montagnes jurassiennes de rappeler que Rousseau avait vécu dans ces lieux ; son récit prend ainsi la forme d’une sorte de pèlerinage qui se lie, de manière antinomique, au compte-rendu de la visite à Ferney. La traduction italienne des Lettres de Roland de la Platière ne comporte pas d’ap- pareillage critique dans les notes. Elle est en revanche complétée par un en- semble iconographique et par une postface rédigée par Giuseppe Ricuperati (an- noncée en couverture comme une préface). Etonnamment, aucune indication ne précise que l’essai du professeur turinois a déjà été publié dans la Rivista storica italiana en 2007. L’essai retrace dans les très grandes lignes les enjeux et la struc- ture des Lettres écrites de Suisse, d’Italie, de Sicile et de Malthe. Le lecteur n’y trouvera toutefois pas de remarques au sujet des liens entre l’ouvrage de Roland de la Platière et la littérature viatique de l’époque consacrée à la Suisse, ce qui pourrait laisser croire au public non spécialiste que l’ouvrage de Roland constitue Rezensionen / Recensions / Recensioni 101

une sorte d’unicum. Nous aurions également souhaité découvrir la présentation, ou du moins l’évocation, des buts réels du voyage d’Italie de Roland. Si les Lettres donnent l’impression que l’inspecteur voyage en Grand Touriste, son séjour fut en réalité commandité par Trudaine de Montigny (1733-1777). Celui-ci chargea le fonctionnaire d’étudier les objets de consommation italiens et de comprendre les causes du manque de débouchés commerciaux dont souffraient les produits fran- çais dans la péninsule. Contre la volonté de Roland, il lui confia en outre la for- mation sur le terrain de Charles Bruyard (1753-1817), fils du directeur de la Ba- lance du Commerce Pierre Bruyard (1707-1793). Le jeune devait apprendre le métier d’inspecteur pour pouvoir un jour remplacer son père. Les tomes des Lettres ne mentionnent pas cet aspect intéressant du voyage de Roland, Grand Tour administratif imposé qui demeure, pour ces raisons, une exception au sein de l’inspectorat des manufactures. On comprend donc plus aisément la part tenue par les matières économiques et techniques dans l’élaboration du récit. Enfin, il aurait été opportun de rappeler au lecteur le complexe et passionnant chemin éditorial des Lettres. Mais pour ce faire, la consultation des sources archi- vistiques dispersées entre la Bibliothèque nationale de Paris et la Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel s’avérait nécessaire et Ricuperati ne paraît pas avoir eu la possibilité de s’y consacrer. En effet, la date imprimée en page de titre des Lettres est celle de 1780 : elle ne correspond pas avec la mise en vente effective du livre, qui arrive sur les bancs des libraires entre la fin de l’année 1781 et le début de la suivante. Le décalage témoigne des tracasseries subies pendant deux ans par l’ouvrage de l’inspecteur qui fut à la fois retouché par des amis à l’insu de Roland, soumis à un censeur royal zélé, cartonné ensuite par les Affaires étrangères et finalement commercialisé par la Société typographique de Neuchâ- tel. Exemple probant des péripéties du livre d’Ancien Régime, les Lettres de Ro- land fournissent néanmoins une belle leçon méthodologique aux spécialistes de la littérature de voyage : elles rappellent le besoin de questionner l’imprimé via- tique avant de le considérer comme une source historique fiable à part entière. Rossella Baldi (Neuchâtel) 102 Rezensionen / Recensions / Recensioni

Francesco Soave: Epistolario, a cura di Stefano Barelli (Bellinzona 2006), 419 p.

Il padre somasco Francesco Soave (Lugano 1743-Pavia 1806) è indiscutibilmente uno dei personaggi di spicco dei Lumi Svizzeri. Promotore dell’istruzione popola- re, egli è oggi considerato un insigne riformatore. Formatosi al collegio S. Anto- nio a Lugano, si laureò in filosofia e teologia studiando prima a Pavia presso il Collegio di S. Maiolo e poi a Roma presso il Collegio Clementino. Oltre ad appren- dere il greco e il latino, Soave si applicò in particolar modo allo studio delle lin- gue moderne (tedesco, inglese e francese). Finiti gli studi nel 1765, fu chiamato ad insegnare le Belle Lettere presso la reale Paggeria di Parma, poi, nel 1767, in seguito all’espulsione dei Gesuiti dalla città, venne nominato all’Università di Parma dove gli fu affidata la cattedra di Poesia. Nel 1773, Carlo Gottardo Firmian gli propose la cattedra di Filosofia Morale nelle scuole di Brera a Milano, dove, a partire dal 1778, insegnerà anche Logica e Metafisica. Qui, tra gli anni 1786- 1789, si dedicò all’attuazione del progetto di educazione pubblica del governo austriaco fondando e dirigendo scuole elementari e superiori, per cui stese i programmi di studio, provvide ai testi scolastici ed elaborò i metodi d’insegna- mento. Gli anni 1789-1793, il Soave li consacrò a viaggi in Francia e Italia. Nel 1796, in seguito all’ingresso delle truppe francesi in Lombardia, egli si ritirò a Lugano, sua città natale, dove insegnò al Collegio S. Antonio per poi tornare ad insegnare a Brera nel 1799. Tra il 1802 e il 1803, Francesco Melzi d’Eril, vice pre- sidente della Repubblica Italiana sotto Napoleone, l’omaggiò del titolo di membro della recentemente fondata Accademia italiana delle scienze e dell’Istituto nazio- nale, lo nominò poi direttore del collegio nazionale di Modena e gli conferì la cattedra di Analisi delle idee all’università di Pavia. Francesco Soave morì a Pavia all’età di sessantatré anni. Il somasco fu l’autore di numerose opere tra cui Anto- logia latina (1771), Ricerche intorno all’istituzione naturale d’una società e d’una lingua (1772), Novelle morali (1782) – testo per l’infanzia che conobbe più di 100 edizioni tra la data di uscita e il 1909 –, Istituzioni di logica, metafisica ed etica (1791), Filosofia di Kant (1803). Insieme al naturalista italiano Carlo Amoretti fondò e diresse il periodico Scelta di Opuscoli, ribattezzato poi Opuscoli scelti. Tradusse inoltre dal greco e dal latino in italiano diversi classici, dall’inglese e dal tedesco saggi e opere letterarie tra cui i Nuovi Idilli di Salomon Gessner. Soave ebbe inoltre un ruolo importante nella diffusione in Italia dell’empirismo lockiano Rezensionen / Recensions / Recensioni 103

e del sensismo di Condillac. Egli tradusse in italiano e commentò i lavori di Lock (Saggio filosofico sull’umano intelletto (1775) e Guida dell’intelletto alla ricerca della verità (1776)). Lock e Condillac rappresentano, sottolinea Barelli, «l’impal- catura su cui poggia il sistema filosofico e pedagogico soaviano» (p. xiv) Le sue Opere complete furono pubblicate in 19 volumi qualche anno dopo la sua morte (1815-1817). L’epistolario, pubblicato nella collana «Testi per la storia della cultura della Sviz- zera italiana», con le sue 290 lettere perlopiù inedite e ritrovate in oltre 36 diver- se istituzioni,2 attesta l’operato del Soave per il periodo 1765-1805. Racchiudendo lettere destinate a naturalisti, medici, matematici, letterati, antiquari, filosofi e pedagogisti, esso rispecchia gli svariati interessi dell’erudito luganese. I desti- natari individuati sono 70, 12 sono quelli anonimi. L’epistolario rende soprattutto conto dell’importante rete di contatti del Soave: egli corrispondeva infatti con alcuni dei più illustri eruditi e uomini politici del secondo Settecento e del primo Ottocento. Tra gli eruditi si contano Lazzaro Spallanzani, Francesco Algarotti, Gianmbattista Palletta, Antonio Cagnoli, Lorenzo Mascheroni, Saverio Bettinelli, Aurelio de Giorgi Bertola, Alessandro Barca, Clementino Vanetti; tra gli svizzeri citiamo Jean Senebier e Salomon Gessner. Per quanto riguarda i rappresentanti del potere politico, sono da menzionare Ferdinando I, Léon-Guillaume du Tillot, Carlo Gottardo Firmian, Johann Joseph Wilczeck, Francesco Melzi d’Eril o Luigi Villa. L’epistolario è di grande interesse non solo per gli storici dell’educazione ma an- che per i ricercatori interessanti alla storia culturale del periodo. Stefano Barelli rileva ciononostante come la maggior parte delle lettere conservate siano di ca- rattere ufficiale. Scarse sono infatti le informazioni sulla vita privata (famiglia, amicizie, ecc.) del padre somasco così come non trova spazio nel suo carteggio il «ripiegamento introspettivo» (p. xi). Un ricco apparato di note critiche valorizza il preciso lavoro d’edizione. Il lettore può inoltre consultare una «Cronologia delle edizioni pubblicate in vita (1762- 1806)» dal Soave come autore o curatore (p. xlix-lxx). Molto utili al ricercatore sono anche le brevi biografie dei corrispondenti e gli indici (dei destinatari, dei nomi e dei toponimi), così come l’indice cronologico delle lettere. Miriam Nicoli (Lausanne)

2 Il censimento delle lettere è stato inizialmente condotto da Henny Martinoni durante gli anni 2003-2004. 104 Rezensionen / Recensions / Recensioni

Francesco Soave: Nuovi idilli. Versioni da Salomon Gessner, a cura di Stefano Barelli (Bellinzona 2011), LXXX + 207 p.

L’edizione degli Idilli tradotti da Gessner a cura di Stefano Barelli apparsa nel 2011 nella collana «Edizioni dello Stato Canton Ticino» ha il merito di riportare all’attenzione degli studiosi l’opera letteraria del luganese Francesco Soave (1743-1806), tra i maggiori rappresentanti del pensiero italiano del Settecento in campo pedagogico e linguistico. Se la situazione testuale del Soave linguista ed epistolografo può dirsi ormai fissata (la Grammatica ragionata, a cura di Simone Fornara del 2001, l’Epistolario a cura dello stesso Barelli per la stessa collana ti- cinese, apparso nel 2006), non così è per la restante produzione del padre soma- sco. Diversamente da molti dei letterati coinvolti nel movimento delle riforme in Lombardia e negli altri stati dell’Italia settentrionale, Soave praticò abbondante- mente la poesia e in particolare la traduzione poetica (tra gli altri da Virgilio e da Orazio). A questo genere appartengono appunto gli Idilli gessneriani qui ottima- mente riproposti da Barelli con ampia introduzione, nota al testo e un sobrio ma puntuale commento. Pubblicate tra il 1765 e il 1772 e seguite da una fortunata traduzione francese di Hüber, le tre raccolte di Idyllen del poeta svizzero avevano trovato in Italia pochi rari ma tempestivi divulgatori come il riminese Aurelio Deʼ Giorgi Bertola (pioniere della letteratura tedesca in Italia) e lo stesso Soave. Questʼultimo dette alla luce nel 1777 la sua traduzione di trenta idilli di Gessner cui accompagnò anche la pubblicazione di cinque altri suoi propri, com- posti ad imitazione di quelli dello zurighese. A conquistare il Soave (e con lui tanti lettori settecenteschi, non solo italiani) alla poesia di Gessner fu il felice connubio tra la tradizione bucolica classica, un nuovo sentimento della natura (descritta anche nei suoi aspetti più umili e quotidiani) e le pronunciate istanze morali. Nelle mani di Gessner – e ancor più in quelle del Soave – l’idillio perde infatti ogni inclinazione lussureggiante e lasciva tipica del genere qual era stato praticato in epoca barocca per offrirsi al lettore come momento di misurato pia- cere e soprattutto di perfezionamento etico. È quest’ultimo aspetto che il Soave, a lungo insegnante e poi influente riformatore in campo scolastico, doveva sen- tire più suo, tanto da contrassegnare le poesie tradotte con nuovi eloquenti tito- li quali «La felicità coniugale» (XII), «Il soccorso dell’indigenza» (XVI), «La be- neficenza» (XXI) ecc. Dietro i nomi convenzionali dei pastori Alessi, Menalca Rezensionen / Recensions / Recensioni 105

o Dameta non c’è più il gioco rococò del travestimento galante, ma lʼidea ben più seria di una società retta dai valori del Bello, del Giusto e soprattutto del Buono. «Non vʼha piacer… che agguagli / il piacer dʼuna bella opera pietosa, / Il lam- peggiar della novella auorora, / il declinar del sole alla marina, / Cinzia che rompe della notte il velo, / spiran un dolce sentimento allʼalma; / ma il sentimen- to, onde Virtù cʼinnonda, ah questo… è ben più dolce ancora» (XXI La Beneficen- za, 74-80) e ancora «O libertà! tu sola, / propizia diva, a questʼamata terra / dolce sei dʼogni ben fonte e radice» (XXII La riconoscenza, 48-50). Inserendosi perfettamente in una letteratura a vocazione pedagogico-morale, gli Idilli costi- tuiscono la premessa poetica di quelle Novelle morali (1782) che si imporranno subito quale best seller nella formazione delle coscienze fino almeno all’Unità d’Italia. Se sul piano formale non si può non sottoscrivere il giudizio foscoliano su una qualche snervatezza e facile abbondanza del Soave poeta è invece impor- tante riconoscere al somasco il merito di aver conferito all’idillio una dimensione a tratti quasi teatrale che nell’alternarsi di discorso diretto e riportato, di dialo- ghi, monologhi e descrizioni, nella semplice ma non negletta sintassi del verso risente del misurato pathos del dramma metastasiano. Gabriele Bucchi (Lausanne)

Miriam Nicoli : Les savants et les livres. Autour d’Albrecht von Haller (1708-1777) et Samuel-Auguste Tissot (1728-1797) (Genève 2013), 365 p.

En reprenant le circuit de communication de Robert Darnton, Miriam Nicoli nous livre une étude de cas remarquable, celle de la production littéraire savante au XVIIIe siècle. Dans son travail, l’auteure se situe au croisement de l’histoire du livre et de l’histoire des sciences, dans la lignée, entre autres, de Frasca-Spada, Jardine et Topham tout en adoptant également une approche socio-économique du livre telle que développée par Roger Chartier. Pour cet ouvrage issu d’une thèse de doctorat soutenue en 2011 à l’Université de Lausanne, récipiendaire d’un prix de Faculté, l’auteure nous présente un fascinant récit des activités de savants suisses en dépouillant la vaste correspondance entre Albrecht von Haller et Samuel-Auguste Tissot et de leur réseau, ainsi qu’une étude des pièces liminaires 106 Rezensionen / Recensions / Recensioni

des livres que ces auteurs publient. Elle reprend tous les outils de travail des sa- vants de l’époque en se basant sur leurs écrits et leurs remarques concernant leur manière de travailler. Cette analyse, riche en détails, nous offre une vive impression de la vie quoti- dienne du savant au milieu du XVIIIe siècle en nous proposant un compte rendu complet de la production du savoir, de sa circulation et de sa réception après la seconde révolution du livre. Les chapitres sont divisés en thématiques associées au travail de l’écrivain, de la lecture à la transformation des textes savants, en passant par toutes les étapes nécessaires à la production d’un livre. Nul détail n’est laissé de côté et le lecteur se retrouve non seulement à lire par-dessus l’épaule du savant, mais également directement dans ses « pensées ». Le lecteur est plongé au cœur des activités quotidiennes du savant, de ses tracas et réjouissances, et semble revivre les états d’âme et les ennuis de santé des auteurs, tant le texte de Miriam Nicoli est riche en exemples tirés des lettres que les savants s’adressent. Les travaux des savants sont mis en contexte par une recherche des activités des autres protagonistes, allant du libraire-éditeur au lecteur et décrivant le remanie- ment constant du texte, de sa première rédaction à sa publication puis à nouveau lors de traductions ou de rééditions avec ajouts. Tout au long de son travail, le savant doit faire des choix qui auront une influence sur la vente du livre : quel libraire-éditeur choisir ? quel type d’édition privilégier ? dans quelle langue pu- blier ? à quel moment ? quel public cibler ? L’insertion d’images va-t-elle augmen- ter les ventes ou au contraire rendre le prix du livre inaccessible ? Tous ces choix, comme le décrit Miriam Nicoli, feront en sorte qu’un livre soit un succès ou un échec éditorial avec des conséquences pour l’auteur, l’éditeur et l’imprimeur. Au fil de l’ouvrage, l’auteure pose de grandes questions auxquelles elle répond par les mots des savants, gardant ainsi une approche descriptive. Au cœur de son étude, Miriam Nicoli souligne le parcours du combattant que le savant doit effectuer pour arriver au bout de ses peines : avant toute chose, il doit lire abondamment, ou comme le dit l’historienne, il doit « apprendre » à lire. Puis il peut se lancer dans l’écriture s’il trouve des plages libres dans son emploi du temps chargé. Avant même l’achèvement de cette phase, il doit trouver un libraire-éditeur qui publiera son livre. Ensuite il veillera à éviter la censure, le plagiat, la contrefaçon, les mauvaises traductions, tout en essayant de gagner un peu d’argent avec sa vente. Miriam Nicoli met également en avant les remodelages Rezensionen / Recensions / Recensioni 107

constants à apporter aux œuvres par les auteurs, par de nouvelles éditions, des clarifications, des corrections d’erreurs qui auraient pu se glisser dans des réédi- tions officielles ou pirates, etc. Le livre est bel et bien un « chantier perpétuelle- ment ouvert ». S’il y avait des critiques à formuler à propos d’un travail aussi complet sur les correspondances de deux savants, ce serait de regretter que l’auteure n’ait pas élargi le spectre de ses recherches vers l’étranger. Le lecteur reste un peu sur sa faim concernant les échanges qui devaient certainement avoir lieu avec l’exté- rieur de la Suisse et l’étude s’en trouverait certainement enrichie. Les savants et les livres se lit avec plaisir et les chapitres s’enchaînent avec une grande fluidité. Le sujet s’adresse à un public large et varié. Que le lecteur soit historien du livre, des sciences, ou amateur de récits traitant du XVIIIe siècle ou de la culture savante, chacun y trouvera son compte. Patricia Rosselet (Lausanne)