Thesis

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

RACIANU, Ileana Nicoleta

Abstract

Les changements politiques survenus à l'issue de la Grande Guerre qui mettent fin aux Empires austro-hongrois et russe, ainsi que l'affaiblissement momentané de l'Allemagne, marquent pour la Roumanie (România Mare) le début d'une nouvelle "ère". Durant sa courte existence, 1919-1940, la România Mare apparaît comme un pays en voie de développement qui bénéficie de nombreux atouts économiques et géo-stratégiques. C'est un pays essentiellement agricole, disposant d'importantes ressources pétrolières, de charbon, de fer qui s'oriente vers la modification de ses structures économiques et sociales par le développement du secteur industriel. La faiblesse de l'épargne et des capitaux intérieurs s'avère rapidement très contraignante et elle obligera les autorités roumaines à s'adresser aux marchés financiers internationaux. Le recours aux capitaux étrangers se révèle rapidement difficile et contraignant en raison, d'une part, des considérations politiques des dirigeants roumains et, d'autre part, des conditions économiques et financières exigées par les créditeurs étrangers.

Reference

RACIANU, Ileana Nicoleta. La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2012, no. SES 774

URN : urn:nbn:ch:unige-206696 DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:20669

Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:20669

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1 / 1 La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

THÈSE présentée à la Faculté des sciences économiques et sociales de l’Université de Genève par Ileana Nicoleta Racianu

sous la direction de Prof. Youssef Cassis

pour l’obtention du grade de Docteur ès sciences économiques et sociales mention histoire économique et sociale

Membres du jury de thèse:

M. Eric BUSSIERE, Professeur, Université Paris IV M. Philippe COTTRELL, Professeur, Université de Leicester M. Olivier FEIERTAG, Professeur, Université de Rouen Mme. Mary O’SULLIVAN, Présidente du jury, Professeur, Université de Genève Mme. Catherine SCHENK, Professeur, Université de Glasgow

Thèse 774 Genève, 19 mars 2012 La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

La Faculté des sciences économiques et sociales, sur préavis du jury, a autorisé l’impression de la présente thèse, sans entendre, par là, émettre aucune opinion sur les propositions qui s’y trouvent énoncées et qui n’engagent que la responsabilité de leur auteur.

Genève, le 14 avril 2010

Le doyen Bernard MORARD

Impression d'après le manuscrit de l'auteur

Table des matières

Table des matières…………………………………………………………………….iii Résumé…………………………………………………………………………………iv Remerciments………………………………………………………………………..…v Introduction…………………………………………………………………………p. 15 Cadre général…………………………………………………………………...….p. 15 Problématique et méthode………………………………………………………..p. 24 Présentation des sources primaires…………………………………..……….…p. 30

PREMIÈRE PARTIE : LA DIFFICILE RECONSTRUCTION ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE DE LA ROUMANIE, 19 JANVIER 1922 - 10 NOVEMBRE 1928……………...... p. 38

CHAPITRE I : LE DÉVELOPPEMENT DE LA ROUMANIE Á L’ÉPREUVE DES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES ET FINANCIERS DU PARTI NATIONAL LIBÉRAL, 19 JANVIER 1922 - 30 MARS 1926………………………………………….….p. 43

1. Les frères Bratianu et les destinées de la Grande Roumanie ………...... p. 43

2. Le Gouvernement Bratianu et l’industrialisation de la Grande Roumanie……………………………………………………………………...... p. 51

2.1. Les lois et les mesures d’encouragement aux entreprises et aux capitaux roumains……………..……………………………….………………………….....p. 53

2.2. La politique d’investissement industriel : nécessité et contrainte pour Ionel et Vintila Bratianu………………………………………...... p. 60

3. Le retrait du Gouvernement Bratianu……………………………………...….p. 71

CHAPITRE II : LES TENTATIVES ET LES ÉCHECS DU GÉNÉRAL AVERESCU D’OUVRIR LA ROUMANIE AUX CAPITAUX ÉTRANGERS, 31 MARS 1926 - 4 JUIN 1927…………………………………………………….....p. 74

1. Averescu, Mussolini et le développement économique de la Roumanie……………………………………………………………...... ….p. 78

2. La réorganisation financière et monétaire de la Roumanie …………….….p. 82

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

3. La réorganisation et le développement des chemins de fer roumains…………………………………………………………………...... p. 87

CHAPITRE III : LE BREF RETOUR AU POUVOIR DU PARTI NATIONAL LIBÉRAL ET LA TENTATIVE D’UNE NOUVELLE POLITIQUE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE, 22 JUIN 1927 - 10 NOVEMBRE 1928……………………..p. 90

1. Les démarches effectuées par le Gouvernement Bratianu pour l’obtention d’un emprunt international pour le développement économique de la Roumanie, 22 juin 1927 - 15 décembre 1927……………………………………………...... p. 92

2. La Banque de France et les négociations pour l’émission de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique, 15 décembre 1927 - novembre 1928…………………………………..……………………………...p. 100

2.1. Le Gouvernement roumain et la procédure de la Banque de France………………………………………………………………….…………..p. 104

2.2. La mission de la Banque de France en Roumanie pour l’organisation de l’emprunt de stabilisation monétaire et de réorganisation des chemins de fer, janvier - février 1928 ………………………………………..…………………....p. 106

2.3. Les Banques centrales et le programme de stabilisation de la monnaie roumaine………………………………………………………………………..….p. 110

2.3.1. Montagu Norman, la Banque d’Angleterre et la stabilisation de la monnaie roumaine ……………………………………………………………………..…....p. 110

2.3.2. La Federal Reserve Bank de New York et la stabilisation monétaire de la Roumanie………………………………………………………………….……....p. 115

2.3.3. La Reichsbank et le règlement des emprunts roumains d’avant-guerre ………………………………………………………………………………….p. 116

2.3.4. La Banque Nationale Suisse et la stabilisation de la monnaie roumaine...... p. 123

2.4. Les banquiers privés et le Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie ………………..…………….....p. 125

2.4.1. La Banque de Paris et des Pays-Bas et la participation des banques françaises à l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique…………..…………………………………………………………....p. 125

2.4.2. Hambro Bank Ltd., Lazard Brothers et la participation à l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique...... p. 126

2.4.3. Le groupe « D Banken » et la participation à l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique…………………...p. 128

3. Le déroulement des négociations entre la Roumanie et la Banque de France……………………………………………………………………………...p. 129

3.1. La question du Conseiller technique français auprès de la Banque Nationale de Roumanie………………………………………………...... p. 134

3.2. La question du Conseiller technique pour la réorganisation des chemins de fer roumains……………………………………………...... …p. 139

DEUXIÈME PARTIE : LE RENFORCEMENT DE L’INFLUENCE FRANÇAISE ENTRE STRATEGIES FINANCIÈRES ET PRINCIPES POLITIQUES, 10 NOVEMBRE 1928 - JUILLET 1932………….………………………………...p. 142

CHAPITRE I : LE GOUVERNEMENT MANIU ET LA REMISE EN QUESTION DE LA PARTICIPATION DE LA BANQUE DE FRANCE AU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET FINANCIER DE LA ROUMANIE, 10 NOVEMBRE 1928 - 9 FEVRIER 1929……………………………………………………………..…….p. 143

1. et l’introduction d’une nouvelle politique économique et financière………………………………………………………………....…….....p. 146

2. Le gouvernement Maniu, les négociations avec la Banque de France et la stabilisation monétaire de la Roumanie…………………………………..…....p. 152

3. L’émission de l’emprunt et le Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie………...……………..………..p. 165

CHAPITRE II: LA MISSION FINANCIÈRE DE LA BANQUE DE FRANCE ET LE RENFORCEMENT DE L’INFLUENCE FRANCAISE EN ROUMANIE, FÉVRIER 1929 - MAI 1932………………………………………………………………….p. 178 La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

1. Charles Rist, Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie, 9 février 1929 - 9 février 1930……………………… ………………………..……p. 179

2. Roger Auboin, Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie, 9 février 1930 - mai 1932……………………………………………………..……p. 190

2.1. Les négociations et l’émission de l’emprunt de développement économique de la Roumanie, octobre 1930 - mars 1931……………………………….…..p. 192

3.2.Charles Rist et la situation économique et financière de la Roumanie, avril- mai 1932…...... p. 207

CHAPITRE III : LA ROUMANIE A L’EPREUVE DE LA GRANDE CRISE…………………………………………………………………...... p. 213

1. L’impact de la Crise de 1929 sur l’économie de la Roumanie………………………………………………………………………....p. 214

2. Les tenteatives et les échecs d’action économique concertée à l’échelle régionale et européenne ………………………………………………………..p. 223

TROISIEME PARTIE : L’INFLUENCE FRANCAISE EN QUESTION, JUILLET 1932 - NOVEMBRE 1935…………………………………………..…………...p. 240

CHAPITRE I : LE QUAI D’ORSAY, LA BANQUE DE FRANCE, LA SOCIETE DES NATIONS ET LA ROUMANIE, JUILLET 1932-MAI 1932…………….p. 245

1. Le Quai d’Orsay face au projet de la Banque de France de collaboration technique et financière entre la Roumanie et la Société des Nations…………………………………………………………………………….p. 245

2. La politique « roumaine » de la Banque de France au début des années trente……………………………………………………………………………….p. 255

3. La Société des Nations et la collaboration avec la Roumanie, 1932-1934, …………………………………………………………………………………...…p. 260

CHAPITRE II : L’ATTITUDE DE LA FRANCE FACE AUX DIFFICULTES FINANCIERES DE LA ROUMANIE ET A LA POLITIQUE ANTISOVIETIQUE DES DIRIGEANTS DE BUCAREST…………………………………...... p. 275

1. La crise de la dette roumaine et les efforts des dirigeants de Bucarest d’obtenir l’allégement des paiements extérieurs durant les années trente…………………………………………………………………………….…p. 277

2. Les efforts du Quai d’Orsay de maintenir dans la sphère d’influence française…………………………..………………………………………….…...p. 291

CHAPITRE III: L’INFLUENCE FRANCAISE A L’EPREUVE DES INTERETS ECONOMIQUES ET POLITIQUES ALLEMANDS, 1933-1935……………..p. 301

1. L’Allemagne, premier client et fournisseur de la Roumanie……………....p. 305

2. Le facteur politique comme principal moyen de pression d’intensifier les relations économiques et commerciales avec la Roumanie………………...p. 308

IV. CONCLUSION…………………………………………………..……………p. 324

V. SOURCES BIBLIOGRAPHIE…………………………………….…….…...p. 335

VI. ANNEXES…………………………………………………………………….p. 365 La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Résumé

Les changements politiques survenus à l’issue de la Grande Guerre qui mettent fin aux Empires austro-hongrois et russe, ainsi que l’affaiblissement momentané de l’Allemagne, marquent pour la Roumanie (România Mare) le début d’une nouvelle « ère ». Durant sa courte existence, la România Mare apparaît comme un pays en voie de développement qui bénéficie de nombreux atouts économiques et géo-stratégiques. C’est un pays essentiellement agricole, disposant d’importantes ressources pétrolières qui, s’oriente vers la modification de ses structures économiques et sociales par le développement du secteur industriel. La faiblesse de l’épargne et des capitaux intérieurs s’avère rapidement très contraignante et elle obligera les dirigeants roumains à s’adresser aux marchés financiers internationaux. Le recours aux capitaux étrangers durant les années 1922-1935 se révèle rapidement difficile et contraignant en raison, d’une part, des considérations politiques des dirigeants roumains et, d’autre part, des conditions économiques et financières exigées par les créditeurs étrangers.

Remerciements

Je tiens à remercier en premier lieu à mon directeur de thèse, le Professeur Youssef Cassis. Grâce à ses conseils, ses commentaires et aux nombreuses discussions que nous avons eues sur le sujet, il a permis à ce projet de prendre forme. Je tiens également à remercier le Professeur Olivier Feiertag de l’Université de Rouen. Par le biais de ses commentaires, ses relectures et ses sugesstions, ainsi que de ses connaissances de la coopération monétaire internationale et des banques centrales, il m’a aidé à structurer ma pensée et ma recherche.

Mes remerciements vont également à l’ensemble de mes collègues de l’Institut d’Histoire économique Paul Bairoch. Les années que j’y ai passées ont été extrêmement enrichissants et ce travail n’aurait certainement pas été possible sans le soutien reçu de la part des enseignants, de assistants et des secrétaires.

J’adresse également de chaleureux remerciements à tous les archivistes qui m’ont aidé à construire cette étude. Que ce soit aux archives de la Banque de France, à la Banque Nationale de Roumanie, à la Banque Nationale Suisse, au Crédit Lyonnais, à la Société des Nations, aux archives diplomatiques du Quay d’Orsay, j’ai toujours été reçu avec gentillesse et professionnalisme. Un remerciement particulier va au personnel des archives de la Banque de France.

J’adresse évidemment un immense merci à ma famille et mes amis pour m’avoir soutenu et encourager à mener à bien cette thèse. Je remercie particulièrement mon mari Josto pour l’appui permanent qu’il m’a apporté et pour sa patience.

Je souhaite enfin remercier les membres du jury d’avoir accepté de porter attention à mon travail.

TABLE DES ABREVIATIONS

CAM Caisse Autonome des Monopoles

CFR Chemins de Fer Roumains

CL Crédit Lyonnais

BdF Banque de France

BdA Banque d’Angleterre

BNR Banque Nationale de Roumanie

BNS Banque Nationale Suisse

BRI Banque des Réglements Internationaux

BUP Banque de l’Union Parisienne

DBFP Documents on British Foreign Policy

DDF Documents Diplomatiques Français

FED Federal Reserve Bank of New York

FO Foreign Office

IAR Industrie Aéronautique Roumaine

IUHEI Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales

MAERO Ministère des Affaires Etrangères de Roumanie

MAEF Ministère des Affaires Etrangères de France

PNL Parti National Libéral

PNP Parti National Paysan 13

SdN Société des Nations

SNCI Société Nationale de Crédit Industriel

STEG Société Autrichienne de Voies Ferrées

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

15

INTRODUCTION

Cadre général

À l’issue de la Première Guerre mondiale, l’espace européen situé entre l’Allemagne et la Russie soviétique subit de profondes modifications territoriales et statutaires qui marquent un tournant de l’histoire du XXe siècle. Le démembrement des Empires des Habsbourg, des Hohenzollern et des Romanov par les Traités de Paix de 1919-1920 laisse place à la création de toute une série d’États nationaux - l’Autriche, l’Estonie, la Finlande, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie - dont l’intégration dans le système politique, économique et financier international crée une situation inédite dans l’histoire des relations internationales.1

Privés de liberté et d’autonomie depuis plusieurs siècles, les peuples de l’espace européen délimité à l’Est par la République des Soviets et à l’Ouest par la République de Weimar retrouvent au lendemain de la Grande Guerre à la fois leur identité nationale et le droit de choisir leur propre destin. Pour la première fois, ils semblent s’être affranchis de toute domination étrangère car aucune des puissances traditionnellement engagées dans cette région et, plus particulièrement, l’Allemagne2 n’est plus en mesure d’exercer une influence

1 Par souci de cohérence et de précision, nous n’allons pas traiter dans le cadre de notre travail les questions relatives à l’Estonie, à la Finlande, à la Lettonie et à la Lituanie. Notre travail se concentre sur la région qui est désignée, tout le long de l’entre-deux-guerres, par les politiques et les historiens sous le nom de l’Europe centrale. Il est nécessaire de souligner que cette dénomination correspond à des critères politiques, qui sont mis au service d’une vision politique fluctuante, et non géographiques. Le terme de l’Europe centrale est utilisé dans notre travail pour désigner la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie. 2 Le rôle économique et financier joué par l’Allemagne dans cette région jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale est bien connu grâce aux travaux de Raymond Poidevin, Les relations économiques et financières entre la France et l’Allemagne de 1898 à 1914, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière, 1998 et de Georges Diouritch, L’expansion des banques allemandes

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 politique, économique et financière prépondérante. Mais, il s’avère très rapidement que cet affranchissement n’est en fait qu’apparent car la réorganisation de cette partie du Vieux Continent éveille l’intérêt et la convoitise de la France, de l’Italie et de la Grande-Bretagne qui cherchent, chacune à sa manière, de tirer profit de l’affaiblissement momentané de l’Allemagne et de l’isolement soviétique.

Déçue par l’échec des garanties promises par les Etats-Unis et la Grande- Bretagne en matière de sécurité, ainsi que par la disparition de l’alliée russe, la France s’efforce de créer en Europe centrale un système d’alliance politique et militaire, destiné à la protéger contre la renaissance du danger allemand et la révolution bolchévique.3 À , la ligne générale de la politique adoptée par les dirigeants italiens à l’égard de nouveaux États centre-européens s’articule autour de l’expansion territoriale sur le bassin danubien et de la création d’une zone d’influence exclusive dans la région.4 C’est un projet ambitieux, dont le principal objectif est d’assurer à l’Italie le statut de Grande Puissance. En revanche, l’intérêt de la Grande-Bretagne pour cette région est essentiellement d’ordre économique et commercial.5 Les nouveaux États centre-européens offrent aux milieux économiques et financiers de la City un important marché d’exportation et d’investissement. Dès 1920, des missions commerciales britanniques, qui s’installent en Hongrie, en Roumanie et en Tchécoslovaquie,

à l’étranger : ses rapports avec le développement économique de l’Allemagne, Paris, A. Rousseau, 1909. 3 Cf. SANDU, Traian, Le système de sécurité français en Europe centre- orientale. L’exemple roumain 1919-1933, Paris, Harmattan, 1999. Rappelons que le Quai d’Orsay et, plus précisément, son Secrétaire Général Maurice Paléologue soutient durant l’année 1920 le projet de création d’une Fédération danubienne sous l’égide de la Hongrie. En revanche, son successeur Philippe Berthelot oriente la politique étrangère française vers la coopération et l’entente avec la Pologne, la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie. 4 Cf. DI QUIRICO, Roberto, « Italy and the Economic Penetration Policy in Central-Eastern Europe during the Early First Post-War Period » in The Journal of European Economic History, Vol. 30, No. 2, 2001, pp. 291-318 et PAVLOVIC, Vojislav, « Le conflit franco-italien dans les Balkans, 1915-1935. Le rôle de la Yougoslavie » in Balcanica, XXXVI, , 2006, pp. 163-201. 5 Cf. ORDE, Anne, British policy and European reconstruction after the first world war, Cambridge University Press, 1990. 17

concluent de nombreux accords commerciaux et financiers avec ces pays et orientent les investissements vers des secteurs industriels clés, tels que l’exploitation des ressources d’énergie, de minerais, l’industrie métallurgique, la construction des chemins de fer, etc.6

Au-delà des craintes liées à la pénétration politique, économique et financière de la France, de l’Italie et de la Grande-Bretagne, les nouveaux États centre- européens sont confrontés à une situation qui les oppose de facto, par suite des problèmes créés par la délimitation de leurs frontières par les Traités de Paix de 1919-1920. Les bénéficiaires des accords de paix, appelés les États successeurs de la Double Monarchie, cherchent à se protéger contre toute éventuelle revendication territoriale et la rancœur des États vaincus par la création des alliances politiques et militaires. C’est dans cette optique que la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie créent en avril-août 1921 la Petite Entente, une alliance politique et militaire dirigée contre la Hongrie, et s’efforcent d’obtenir le soutien de la France et de la Grande-Bretagne en matière de sécurité et de protection de l’intégrité territoriale et statutaire.7

À ces soucis de sécurité et de préservation des acquis territoriaux et statutaires obtenus à l’issue de Première Guerre mondiale s’ajoutent les difficultés économiques et financières qui rendent la situation de nouveaux pays de l’Europe centrale encore plus fragile et vulnérable. La situation économique et financière désastreuse provoquée par les destructions de la guerre, ainsi que les besoins de reconstruction et, notamment, de création de nouveaux espaces économiques nationaux ouvrent pour ces États de graves problèmes, dont la solution sera longue à survenir durant les années 1920-1939. La volonté de vivre essentiellement de leurs ressources nationales, ainsi que d’encourager le développement du secteur industriel au détriment de l’agriculture par la création

6 Cf. BOGDAN, Henry, Histoire des pays de l’Est, Paris, Perrin, 1991, pp. 340- 341. 7 Cf. CARMI, Ozer, La Grande-Bretagne et la Petite Entente, Genève, IUHEI, 1972 et IORDACHE, Nicolae, La Petite Entente et l’Europe, Genève, IUHEI, 1977.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 de nouvelles industries, aboutissent rapidement à une orientation géographique des courants économiques et financiers en fonction des orientations politiques.8 Le financement des programmes de développement économique, envisagés par les États centre-européens dès le début des années vingt, s’avère rapidement très difficile et contraignant en raison de l’insuffisance de l’épargne et des capitaux intérieurs. Le recours aux marchés financiers internationaux devient, dans ces circonstances, une nécessité qui, conditionne le développement et la modernisation de nouveaux États de l’Europe centrale. Ces derniers se verront obligés de s’adresser de manière récurrente, tout le long l’entre-deux-guerres, aux marchés financiers américains, anglais et français afin de financer leurs efforts de développement économique.

Dans le contexte financier et monétaire international, tourné vers la restauration de l’étalon-or après la Première Guerre mondiale, l’accès des États centre- européens aux marchés financiers étrangers est conditonné par la réalisation de la stabilisation de leurs monnaies. À titre d’exemple, la Roumanie se voit obligée en 1927 par la Société des Nations et par la Banque de France d’accepter de rétablir la convertibilité de sa monnaie, le leu, avant d’obtenir tout emprunt étranger pour financer son programme de développement économique. Dans une certaine mesure, la situation de la Roumanie est semblable à celle des autres pays centre-européens et, notamment, à celle de la Pologne et de la Yougoslavie. Une caractéristique significative des relations financières que les pays centre-européens tentent de créer avec les marchés financiers internationaux est la « politisation » de leur recours aux capitaux étrangers. Le choix de s’adresser à tel ou à tel marché financier international n’est pas neutre. Il relève généralement des préoccupations d’ordre politique d’obtenir des garanties pour la reconnaissance et le respect de leur souveraineté économique et politique. Le recours de la Pologne, de la Roumanie et de la Yougoslavie aux marchés financiers internationaux durant les années vingt pour financer leurs

8 Cf. BOGDAN, Henry, Histoire des pays de l’Est, Paris, Perrin, 1991, p. 332. 19

programmes de stabilisation monétaire et de développement économique l’illustre parfaitement.9

Les changements territoriaux et statutaires survenus en Europe centrale à l’issue de la Première Guerre mondiale et, plus particulièrement, la création de nouveaux États nationaux font, donc, surgir de nombreuses questions et problèmes politiques, économiques et financiers, dont la solution ne laisse pas indifférentes, tout au long de l’entre-deux-guerre, la France et la Grande- Bretagne et à partir de 1930 l’Allemagne. Durant les années vingt, la France et la Grande-Bretagne s’efforcent, chacune à sa manière, de tirer profit de l’affaiblissement momentané de l’Allemagne. Le retour de cette dernière sur la scène internationale durant les années trente compliquera la donne.

Les « solutions » d’ordre politique et militaire, proposées par la France aux pays centre-européens, notamment durant les années vingt, ont été fait très tôt l’objet de nombreuses études qui, analysent de manière détalliée l’importance et le rôle accordés par la diplomatie française à cette région pour la création d’un système d’alliance défensive contre l’Allemagne et la Russie soviétique. A ce sujet, il convient de souligner les travaux de Jean-Baptiste Duroselle10, de Nicolae Iordache11, de Ozer Carmi12, de Traian Sandu13 et de Frédéric Dessberg14.

En revanche, les études relatives à l’engagement de la France et de la Grande- Bretagne dans la résolution des problèmes économiques et financiers des États

9 Sur cette question, voir MEYER, Richard Hemming, Bankers’ Diplomacy : Monetary Stabilization in the Twenties, New York and London, 1970. 10 DUROSELLE, Jean-Baptiste, Histoire diplomatique de 1919 à nos jours, Paris, Dalloz, 1990 (10e édition). 11 IORDACHE, Nicolae, La Petite Entente et l’Europe, Genève, I.U.H.E.I., 1977. 12 OZER, Carmi, La Grande-Bretagne et la Petite Entente, Genève, I.U.H.E.I., 1977. 13 SANDU, Traian, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale. L’exemple roumain 1919-1933, Paris, Harmattan, 1999. 14 DESSBERG, Frédéric, Le triangle impossible : les relations franco-soviétiques et le facteur polonais dans les questions de sécurité en Europe (1924-1935), Bruxelles, P. Lang, 2009.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 centre-européens font l’objet depuis les années 1980 de nombreuses recherches qui renouvellent constamment la question.15 Ainsi, depuis la fin des années 1990, de nombreux historiens qui ont consacré leurs recherches à l’étude des relations financières internationales durant l’entre-deux-guerres commencent à s’intéresser et à s’interroger sur le rôle des banques centrales américaine et, notamment, anglaise et française dans l’engagement et la création des zones d’influence financière et, implicitement, économique en Europe centrale. À ce sujet, nous mentionnons les travaux de Eric Bussière16, de Philip Cottrell17, de Olivier Feiertag18, de Meyer Richard19 et de Kenneth

15 A ce sujet, il convient de souligner les travaux de COTTRELL, Philip L. & TEICHOVA, Alice (Eds.), International Business and Central Europe, 1918- 1939, Leicester, Leicester University Press, 1983, de BOYCE, Robert W.D., British capitalism at the crossroads, 1919-1932: a study in politics, economics and international relations, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, de ORDE, Anne, British policy and European reconstruction after the first world war, Cambridge University Press, 1990, de SCHIRMANN, Sylvain, Crise, coopération économique et financière entre Etats européens, 1929-1933, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2000 et de DAVID, Thomas, Nationalisme économique et développement : l’industrialisation des pays d’Europe de l’Est durant l’entre-deux-guerres, Lausanne, Université de Lausanne, 2001. 16 BUSSIERE, Eric, « Jean Monnet et la stabilisation monétaire de 1929 : un « outsider » entre l’Europe et l’Amérique » in BOSSUAT, Gérard et Wilkens, Andres (éds.), Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la paix, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, pp. 63-77. 17 COTTRELL, Philip L., « Central bank co-operation and Romanian stabilisation, 1926-1929 » in GOURVISH, Terry (ed.), Business and Politics in Europe, 1900-1970, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, pp. 106-143 et COTTRELL, Philip L., « Norman, Strakosch and the development of central banking: from conception to practice, 1919-1924 » in COTTRELL, Philip L. (ed.), Rebuilding the financial system in Central and Eastern Europe, 1918-1994, Scholar Press, 1997, pp. 29-73. 18 FEIERTAG, Olivier et PLESSIS, Alain, « The Position and the Role of French Finance in the Balkans from the Late Nineteenth Century until the Second World War » in KOSTIS, Kostas P. (éd.), Modern Banking in the Balkans and West- European Capital in the Nineteenth and Twentieth Centuries, Ashgate, 1999, pp. 215-234. FEIERTAG, Olivier, « Banques centrales et relations internationales au XXe siècle: le problème historique de la cooperation monétaire internationale » in Relations internationales, No. 100, 1990, pp. 355-376. 19 MEYER, Richard Hemming, Bankers’ Diplomacy : Monetary Stabilization in the Twenties, New York and London, 1970. 21

Mouré20 et de György Péteri21. En analysant la vague des stabilisation des monnaies centre-européennes durant les années vingt, ces recherches démontrent l’importance et le nouveau rôle acquis par les banques centrales dans les relations financières internationales au lendemain de la Première Guerre mondiale. Le Gouverneur de la Banque d’Angleterre, Montagu Norman, le Président de la Federal Reserve of New York, Benjamin Strong, et le Gouverneur de la Banque de France, Emile Moreau, deviennent les principaux acteurs de la réorganisation monétaire et financière de l’Europe centrale et de la gestion des relations financières, voire politiques, avec les États de cette région. Au rôle des banques centrales dans l’organisation et l’établissement des relations monétaires et financières avec les pays centre-européens s’ajoute celui du Comité financier de la Société des Nations et à partir de 1930 celui de la Banque des règlements internationaux. Les travaux de Yann Decorzant22, de Olivier Feiertag23, de Michel Fior24, de Nicole Pietri25 et de Gianni Toniolo26 démontrent le rôle joué par ces deux institutions dans la réorganisation monétaire et financière de l’Europe centrale.

20 MOURE, Kenneth, « French money doctors, central banks, and politics in the 1920s » in FLANDREAU, Marc (éd.), Money Doctors.The experience of international financial advising 1850-2000, London, 2003, pp. 138-165. 21 PETRI, György, « Central Bank Diplomacy: Montagu Norman and Central Europe’s Monetary Reconstruction after World War I » in Contemporary European History, Vol. 1, Part 3, November 1992, pp. 233-258. 22 DECORZANT, Yann, La Société des Nations et la naissance d’une conception de la régulation économique internationale, Bruxelles, Peter Lang, 2011. 23 FEIERTAG, Olivier, « Les banques d’émission et la BRI face à la dislocation de l’étalon-or (1931-1933): l’entrée dans l’âge de la cooperation monétaire internationale » in Histoire, Economie et Société, 18 année, 4e trimestre 1999, No. 4, pp. 715-736. 24 FIOR, Michel, Institution globale et marchés financiers. La Société des Nations face à la reconstruction de l’Europe, 1918-1931, Bern, Peter Lang, 2008. 25 PIETRI, Nicole, La reconstruction financière de l’Autriche, 1921-1926, Genève, Centre européen de la Dotation Carnegie pour la paix internationale, 1970. 26 TONIOLO, Gianni, Central bank cooperation at the Bank for International Settlements, 1930-1973, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Quant aux « solutions », proposées par l’Allemagne pour résoudre les problèmes économiques des États centre -européens, dont la situation sera fortement fragilisée par la Crise de 1929, nous mentionnons les travaux de Antonin Basch27, de Jacques Droz28, de Frédéric Clavert29, de Philippe Marguerat30 et de Sylvain Schirmann31. Tous ces études abordent à la fois les aspects politiques, économiques et commerciaux du « retour » de l’Allemagne sur la scène centre-européenne durant les années trentes et leurs impacts sur les relations avec les pays de l’Europe centrale.

Evaluer le rôle et l’intervention de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne en Europe centrale implique, donc, de s’interroger, d’une part, sur le poids qu’occupe cette région du Vieux Continent dans les intérêts politiques, économiques et financiers de ces trois Grandes Puissances et, d’autre part, sur l’influence que la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne ont pu avoir sur le développement économique et les transformations politiques de l’Europe centrale.

En ce qui concerne la première question, il fait peu de doutes que l’Europe centrale représente un terrain d’affrontement politique et financier entre la France, la Grande-Bretagne et, à partir de 1930, l’Allemagne. En revanche, l’influence des trois grandes puissances dans cette région est plus complexe et difficile à évaluer en raison des spécificités et des particularités politiques et

27 BASCH, Antonin, The Danube Basin and the German Economic Sphere, London, Kegan Paul, Trench, Trubner & Co., 1944. 28 DROZ, Jacques, L’Europe Centrale. Evolution historique de l’idée de Mitteleuropa, Paris, Payot, 1960. 29 CLAVERT, Frédéric, Hjalmar Schacht, financier et diplomate (1930-1950), Bruxelles, Peter Lang, 2009. 30 MARGUERAT, Philippe, Le IIIe Reich et le pétrole roumain, 1938-1940. Contribution à l’étude de la pénétration économique allemande dans les Balkans à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Genève, Leiden, 1977. 31 SCHIRMANN, Sylvain, Les relations économiques et financières franco- allemandes, 1932-1939, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995 et Crise, coopération économique et financière entre Etats européens, 1929-1933, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2000. 23

économiques de chaque État centre-européen. On connaît l’impact de leur intervention dans la réorganisation politique, économique et financière de l’Europe centrale, mais ce ne sont là que les grandes lignes des politiques adoptées à l’égard des États centre-européens. À titre d’exemple, l’implication et la participation des banques centrales, dont le rôle et l’importance ont été accrus par la Première Guerre mondiale, à la reconstruction de l’Europe centrale reste un champ d’étude très peu exploré par les historiens. Des recherches générales sur la coopération monétaire internationale et l’intervention des banques centrales dans l’histoire des relations internationales ont mis en lumière l’activité et la participation des banques centrales à la reconstruction du Vieux Continent durant l’entre-deux-guerres.32 Pierre Renouvin ouvre dans les années soixante la voie des recherches sur la notion globale « d’arme financière » et son maniement par les banques centrales au service des grands desseins impérialistes.33 Le maniement de « l’arme financière » par les banques centrales pose implicitement la question du degré d’indépendance et d’autonomie de ces institutions par rapport à la politique des États. L’implication des banques centrales en Europe centrale relève-t-elle de la coopération monétaire internationale ou des ambitions centre-européennes de la diplomatie des États ? Est-ce que nous pouvons parlé d’une possible diplomatie des banques

32 Sur cette question, voir notamment CLARKE, S.V.O., Central Bank Cooperation 1924-31, New York, 1967, DE CECCO, Marcello, « Central Bank Cooperation in the Inter-War Period: A View from the Periphery » in REIS, Jaime (ed.), International Monetary Systems in Historical Perspective, New York, St. Martin's Press, 1995, pp. 113-134, COTTRELL, Philip L., « Norman, Strakosch and the development of central banking: from conception to practice, 1919-1924 » in COTTRELL, Philip L. (ed.), Rebuilding the financial system in Central and Eastern Europe, 1918-1994, Scholar Press, 1997, pp. 29-73, FEIERTAG, Olivier, «Banques centrales et relations internationales au XXe siècle, le problème historique de la cooperation monétaire internationale » in Relations internationales, No. 100, 1999, pp. 355-376, MEYER, Richard Hemmig, Bankers’ Diplomacy: Monetary Stabilization in the Twenties, New York and London, 1970, PETRI, György, « Central Bank Diplomacy: Montagu Norman and Central Europe’s Monetary Reconstruction after World War I » in Contemporary European History, Vol. 1, Part 3, November 1992, pp. 233-258. 33 Cf. RENOUVIN, Pierre, DUROSELLE, Jean-Baptiste, Introduction à l'histoire des relations internationales, Paris, A. Colin, 1991 (4e éd.)

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 centrale ? Si oui, comment s’exerce-t-elle ? À ce sujet, les États centre- européens offre un excellent terrain de recherche et de réflexion.

Problématique et méthode

Dans le cadre de ce travail, nous cherchons à analyser l’influence que la France, la Grande-Bretagne et, inévitablement, l’Allemagne ont eu, durant les années 1922 -1935, sur l’évolution politique, économique et financière de l’Europe centrale à travers l’exemple de la Roumanie. Pays essentiellement agricole et nouvellement remodelé par les Traités de Paix de 1919-1920, la Roumanie se situe dans le contexte général des relations économiques et financières internationales parmi les pays en voie de développement qui ont un important besoin de capitaux étrangers pour financer leurs programmes de réorganisation et de développement économique. Il convient de préciser que la perte des marchés austro-hongrois et allemand, ainsi que du soutien financier de Berlin crée un important vide économique et financier que les dirigeants de Bucarest tentent de combler par l’élaboration de nouvelles stratégies de coopération à la fois avec les États successeurs de l’Autriche-Hongrie et avec la France, la Grande-Bretagne, l’Italie et à partir des années trente avec l’Allemagne.

La question fondamentale de l’influence et de l’impact de l’intervention de la France et de la Grande-Bretagne et à partir de 1930 de l’Allemagne dans la réorganisation politique, économique et financière de la Roumanie pourrait se formuler ainsi : la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne ont-elles eu le projet d’intégrer la Roumanie à un ensemble politique et économique européen ? Si oui, lesquels, y sont-elles parvenues, et quelles conséquences sur l’intégration de la Roumanie dans le système politique, économique et financier international ? À l’interieur de cette problèmatique générale, d’autres questions retiendront notre attention, à savoir le rôle et l’implication des banques centrales dans la reconstruction de la Grande Roumanie, les enjeux et les conséquences sur la coopération monétaire internationale, ainsi que l’évolution 25

des relations financières internationales. Quels sont les enjeux de l’implication des banques centrales dans la stabilisation de la monnaie roumaine ? Leur implication relève-t-elle de la politique de coopération monétaire internationale ou des ambitions politiques et diplomatiques des États ? Est-ce que le cas de la Roumanie contribue-t-il à illustrer, voire renseigner, sur l’histoire de la coopération monétaire internationale et du rôle international des banques centrales ? C’est un champ d’étude très peu exploré par les historiens qui ont consacré leurs recherches à la Roumanie. L’étude de Loredana Ureche- Rangau, Dette souveraine en crise : l’expérience des emprunts roumains à la bourse de Paris durant l’entre-deux-guerres,34 est une des premières recherches sur les relations financières de la Grande Roumanie qui nous renseigne sur le fonctionnement des marché financiers internationaux et sur l’évolution de la dette souveraine roumaine. Toutefois, c’est une étude très générale, basée essentiellement sur la littérature secondaire, qui ne traite qu’en filigrane les enjeux économiques et financiers internationaux de la reconstruction de la Roumanie. Il convient de resouligner l’apport essentiel pour notre sujet de recherche des premières études consacrées à l’implication des banques centrales dans la stabilisation monétaire de la Roumanie de Eric Bussière, Philip Cottrell et Kenneth Moure.35

La signification des dates choisies pour délimiter notre travail, 1922 - 1935, correspond au retour au pouvoir du Parti National Libéral, dirigé par Ionel Bratianu, et au lancement d’un vaste programme de développement de l’économie roumaine et, respectivement, au retrait de la mission financière, installée par la Banque de France auprès de la Banque Nationale de Roumanie,

34 URECHE-RANGAU, Loredana, Dette souveraine en crise : l’expérience des emprunts roumains à la bourse de Paris durant l’entre-deux-guerres, Paris, Publication de la Sorbonne, 2008. 35 Sur cette question, voir BUSSIERE, « Jean Monnet et la stabilisation monétaire de 1929 : un « outsider » entre l’Europe et l’Amérique », pp. 63-77, COTTRELL, Philip L., « Central bank co-operation and Romanian stabilisation, 1926-1929 », pp. 106-143 et MOURE, « French money doctors, central banks, and politics in the 1920s », pp. 138-165.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 par suite de l’émission de l’emprunt de stabilisation monétaire et de développement économique, le 7 février 1929.

Notre travail se divise en trois parties, selon une périodisation que nous avons établie en fonction de la prééminence, soit des facteurs politiques, soit des facteurs économiques et financiers. La première partie, qui couvre les années 1922-1928, traite des enjeux de la reconstruction économique et financière de la Grande Roumanie (România Mare). Résultat de l’intégration à l’ancien Royaume de Roumanie du Banat, de la Bessarabie, de la Bucovine, de la Dobroudja du Nord et de la Transylvanie, territoires provenant de la dislocation des Empires austro-hongrois et russe, ainsi que de la Bulgarie, la Grande Roumanie révèle, dès le 19 janvier 1922, un besoin impérieux d’émancipation économique et politique. Le développement d’une économie nationale puissante et indépendante apparaît comme l’objectif principal du Parti National Libéral et du Parti du Peuple, les deux formations politiques qui se sont partagées le pouvoir durant cette période. Cet objectif crée de nombreuses contraintes de nature politique et financière, dont l’impact sur la reconstruction du nouvel Etat roumain sera lourd de conséquences. Les mesures prises par le Parti National Libéral à l’encontre de la participation des capitaux étrangers au développement économique de la Roumanie, telles que la loi des mines, la loi sur la commercialisation et le contrôle des entreprises de l’Etat, se transforment en obstacles économiques et, notamment, financiers. Les démarches effectuées par les dirigeants de Bucarest auprès de la France et de la Grande-Bretagne en vue de l’émission d’un emprunt roumain, nécessaire pour le développement économique du pays, sont vouées à l’échec. La Banque d’Angleterre lie l’émission de tout emprunt roumain sur le marché anglais à l’implication de la Roumanie dans le processus de reconstruction politique et économique de l’Europe centrale. Obligés à admettre le rôle essentiel des capitaux étrangers dans le développement économique de la Grande Roumanie, les Libéraux commencent en décembre 1927 des négociations avec la Banque de France en vue de l’émission d’un emprunt roumain sur le marché français. Ces négociations s’avèrent rapidement difficiles et complexes car les dirigeants de Bucarest doivent se plier aux exigences des banquiers étrangers qui 27

subordonnent l’émission de tout emprunt roumain à la stabilisation de la monnaie roumaine, le leu. Après avoir refusé l’aide financière de la Société des Nations en raison du contrôle que cette institution aurait instauré sur les finances roumaines, les leaders du Parti National Libéral se voient obligés par la Banque de France d’accepter la nomination d’un Conseiller technique auprès de la Banque Nationale de Roumanie pour une durée de trois ans. Cette mission de surveiller, d’une part, l’application du Programme de stabilisation et de développement économique et, d’autre part, la politique monétaire de la Banque Nationale et plus particulièrement ses relations avec le Gouvernement roumain revient, dans un premier temps, à Charles Rist36 et, ensuite, à Roger Auboin37. Les démarches entreprises par les dirigeants de Bucarest auprès de la Banque de France en vue de l’émission d’un emprunt roumain sur le marché international pour la stabilisation de la monnaie et le développement économique du pays ouvrent, ainsi, la voie au renforcement de l’influence et de la position acquise par la France en Roumanie dès la fin de la Première Guerre mondiale.

La seconde partie, relative à la période de la Crise de 1929, analyse les fondements de l’influence politique et, plus particulièrement, financière acquise par la France en Roumanie dès le 7 février 1929, date à laquelle le leu est stabilisé et la Banque Nationale de Roumanie reçoit la mission financière de la Banque de France. Désigné Conseiller technique de la Banque Nationale de

36 Professeur d’économie à l’Université de Montpellier et à la Faculté de Droit de Paris, Charles Rist (1874-1955) entame dès la fin de la Première Guerre mondiale une carrière d’expert monétaire et financier international participant à la reconstruction financière de l’Autriche, de l’Espagne, de la Roumanie et de la Turquie. En 1926, Rist est nommé sous-gouverneur de la Banque de France, fonction qu’il occupera jusqu’en février 1929, date à laquelle il est désigné Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie. Parmi ses principaux ouvrages, on retient l’Histoire des doctrines économiques depuis les Physiocrates jusqu'à nos jours (1909, avec Ch. Gide), La déflation en pratique: Angleterre, Etats-Unis, France, Tchéco-Slovaquie (1924), l’Histoire des doctrines relatives au crédit et à la monnaie depuis John Law jusqu’à nos jours (1938) et la Défense de l’or (1953). 37 Roger Auboin (1891-1974) est Maître des requêtes au Conseil d’Etat français. De janvier 1938 à septembre 1958, Auboin est Directeur de la Banque des Réglements Internationaux.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Roumanie pour la période 7 février 1929 - 7 février 1930, Charles Rist impose aux dirigeants de Bucarest des mesures rigoureuses visant à renforcer le contrôle sur les finances roumaines et l’indépendance de la banque centrale. Afin d’élargir son champ d’action et de surveillance, limité à la Banque Nationale de Roumanie, Rist décide de désigner des collaborateurs français dans des secteurs qui échappent à son activité et qui se révèlent importants pour l’organisation et la gestion des finances roumaines. C’est dans ces circonstances que Charles Rist s’assure la collaboration de Jean Bolgert38, de Henri Guittard39,de Henri Poisson40, de Gaston Leverve41 et de Michel Mange42. Ce réseau d’experts financiers et d’ingénieurs est complété par une étroite collaboration avec le Ministre de France à Bucarest Gabriel Puaux. Ce dernier informe le Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie des différentes affaires envisagées par les dirigeants roumains en utilisant les crédits de l’emprunt de stabilisation et de développement, sans demander ses conseils et son autorisation. Le 7 février 1930, Rist quitte ses fonctions auprès de la Banque Nationale de Roumanie, en faveur de Roger Auboin qui doit séjourner à Bucarest jusqu’en février 1932. Cependant, Auboin ne jouit pas de l’influence et du prestige de Rist et son autorité sera fortement affaiblie par les intrigues des dirigeants roumains et par l’aggravation de la Crise de 1929. La crise économique et financière qui frappe de plein fouet la Roumanie dès l’été 1931, voire avant, détermine les dirigeants de Bucarest de faire appel à l’expertise et aux conseils de Rist. Ce dernier se voit obligé de conclure en mai 1932 à une aide économique internationale en recommandant au Gouvernement de Bucarest de solliciter l’intervention de la Société des Nations. Les conclusions du Rapport Rist heurtent les intérêts de la diplomatie française. Convaincu de la nécessité de défendre et de renforcer la position française en Roumanie au moment où l’expansion économique et commerciale de l’Allemagne prend de

38 Jean Bolgert est Inspecteur de la Banque de France. 39 Henri Guittard est Inspecteur de la Banque de France. 40 Henri Poisson est Inspecteur général des Finances. 41 Gaston Leverve est ingénieur et expert pour la réorganisation des chemins de fer roumains. 42 Michel Mange est ingénieur et adjoint de Gaston Leverve pour la réorganisation des chemins de fer roumains. 29

l’ampleur dans la région, le Quai d’Orsay souhaite rallier à sa politique les dirigeants de la Banque de France afin de prolonger leur mission en Roumanie.

Finalement, la troisième partie, qui s’ouvre avec les débats provoqués en juillet 1932 par l’intervention de la Société des Nations en Roumanie et se ferme avec le départ de la mission financière de la Banque de France de Bucarest en février 1935, porte sur les étapes de l’affaiblissement de l’influence française en Roumanie. Révélatrice de l’échec de l’adaptation de l’économie roumaine au système économique international, la Crise de 1929 jalonne une sorte de fuite en avant qui conduit les dirigeants de Bucarest à soutenir le développement des relations commerciales avec l’Allemagne. Face au manque de dynamisme et à l’inefficacité des mesures prises, soit à l’échelle régionale, soit à l’échelle internationale, l’Allemagne parvient à s’imposer comme partenaire commercial privilégié de la Roumanie au détriment de la France et de la Grande-Bretagne. Le marché allemand représente dés le début des années trente le principal débouché pour les exportations roumaines, constituées essentiellement de produits agricoles (36%) et de matières premières (61%).43 Le besoin de la Roumanie de commercer avec l’Allemagne heurte les intérêts de la France, dont sa politique centre-européenne a pour principal objectif de faire des États de la Petite Entente une barrière à l’expansionnisme allemand dans cette région. Pour la diplomatie française, l’intérêt de ce pays danubien est davantage politique et géo-stratégique que commercial et économique. Le rapprochement franco- sovitétique, commencé en novembre 1932 par la signature d’un pacte de non- agression, complique les relations franco-roumaines. Les dirigeants de Paris pourraient à tout moment retirer leurs garanties sur l’union avec la Bessarabie, dont l’intégration à la Roumanie n’a pas encore été reconnue par Moscou. Ainsi, les difficultés économiques et financières, qui résultent de la Grande Crise, et les divergences politiques déterminent les dirigeants de Paris à réviser leur position en Roumanie.

43 Archives de la Société des Nations (SdN), Genève, Chiffres essentiels du commerce extérieur des pays danubiens, Comité économique de la Société des Nations, Questions économique et financières, 1937, pp. 29-35.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Présentation des sources primaires

L’analyse de ces problématiques nous ont amené à faire l’inventaire de nombreuses sources concernat les intérêts politiques et financiers qui ont déterminé la France et la Grande-Bretagne à intervenir en Europe centrale et plus particulièrement en Roumanie. À Paris, nous avons principalement consulté les archives du ministère des Affaires Etrangères et celles de la Banque de France. A Bucarest, les archives du ministère des Affaires Etrangères et celles de la Banque Nationale de Roumanie ont particulièrement retenu notre attention. Très peu consultées par les chercheurs étrangers, ces archives représentent une véritable mine d’or pour l’historien des relations internationales. Le fonds intitulé Dosare speciale44 et plus précisement les volumes 131-134 retrace minutieusement l’évolution économique et financière de la Roumanie par rapports aux intérêts politiques et diplomatiques des dirigeants de Bucarest. Les échanges de télégrammes et de notes entre le gouvernement roumain et ses différents représentants à l’étranger nous ont permis de mieux apprécier le poids des intérêts politiques dans la prise des décisions d’ordre économique et financier.

Hormis les archives mentionnées ci-dessus, d’autres sources se sont avérées utiles pour éclairer les problématiques de notre recherche. Les archives de la Société des Nations à Genève, de la Banque des Règlements Internationaux à Bâle, de la Banque Nationale Suisse à Zurich et du Crédit Lyonnais à Paris retracent rigoureusement le contexte politique, économique et financier international dans lequel nos problématiques sont insérées.

Il convient de formuler quelques observations sur les sources que nous avons consulté dans les archives mentionnées ci-dessus afin de pourvoir souligner leur

44 Ce fonds se trouve aux Archives du Ministère des Affaires Étrangères de Roumanie. 31

apport à notre recherche. A Paris, les archives du Quai d’Orsay nous ont renseigné sur la politique menée par la France à l’égard de ses alliés d’Europe centrale durant l’entre-deux-guerres, ainsi que sur les enjeux géostratégiques et économiques de la consolidation de l’influence acquise par les dirigeants français dans cette région depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Les échanges de télégrammes et de comptes rendus entre les dirigeants du Quai d’Orsay et les différents représentants des Affaires Etrangères à l’étranger nous ont fourni des informations importantes sur les intérêts politiques et militiares de la France et plus particulièrement sur les stratégies utilisées par les dirigeants de Paris afin de consolider leur position en Europe centrale au détriment de l’Allemagne, de l’Italie et de la Grande-Bretagne. La série Z-Europe (Roumanie, 1918-1940) comprend des dossiers sur la vie politique, militaire et économique de la Roumanie, de sa politique étrangère et de ses relations avec la France. Les renseignements fournis au Quai d’Orsay par ses représentants en Roumanie nous ont également permis de déterminer dans quelle mesure les intérêts économiques et financiers ont été pris en compte pour la formulation de la politique étrangère française. Afin de compléter ces informations, nous avons également consulté quelques dossiers de la série des Relations commerciales, 1919-1944 (sous-série C) qui comprend des documents relatifs à l’évolution économique de la Roumanie, aux négociations commerciales, ainsi qu’aux affaires industrielles centre-européennes où les intérêts français étaient présents.

Aux archives de la Banque de France, nous avons essentiellement consulté les fonds Études Économiques (Missions financières françaises en Roumanie) et Papiers de Charles Rist, 1890-1960. Constitué des archives publiques et des papiers privés, le fonds Rist mérite une attention particulière compte tenu du rôle joué par celui-ci dans la stabilisation de la monnaie roumaine. Outre les dossiers généraux sur la situation financière et monétaire de la Roumanie, les Papiers de Charles Rist comprennent des renseignements de premier ordre sur la Banque Nationale de Roumanie et ses dirigeants. Le « Journal roumain » qui, couvrent la période 12 février - 12 septembre 1929, nous fournit des détails importants non seulement sur l’évolution financière et monétaire du pays, mais également

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 sur le fonctionnement et les spécificités du système financier roumain et de la société roumaine. Par ailleurs, le « Journal roumain » nous permet de percevoir les réseaux de personnes et les structures dans lesquelles Charles Rist est inséré durant sa mission auprès de la Banque Nationale de Roumanie.

Le fonds Etudes Economiques : Missions financières françaises en Roumanie forment un ensemble de treize boîtes et couvrent la période 1919-1955. La consultation de ce fonds s’est avérée indispensable pour notre recherche puisqu’il comprend des dossiers thématiques sur la vie économique, financière et monétaire de la Roumanie, ainsi que sur le rôle de la Banque de France dans la reconstruction économique et financière de ce pays. Les dossiers relatifs à la participation de la Banque de France à la stabilisation monétaire de la Roumanie et à la mission financière, installée par le Gouverneur Emile Moreau auprès de la Banque Nationale de Roumanie en février 1929 ont particulièrement retenu notre attention.

À Bucarest, les archives du Ministère des Affaires Etrangères présentent un très grand intérêt pour notre recherche car elles ont été très peu utilisées par les chercheurs étrangers. Les échanges des télégrammes entre les gouvernements de Bucarest et les différentes représentations roumaines à l’étranger nous renseignent sur les considérations politiques des dirigeants roumains à l’égard des Grandes Puissances. Nous mentionnons plus particulièrement les fonds Franta (France), Anglia (Angleterre), Germania (Allemagne) qui traitent des relations diplomatiques et militaires que la Roumanie avait avec ces trois pays. L’intérêt principal de ces fonds est qu’ils contiennent les échanges de télégrammes et de compte-rendus entre les dirigeants de Bucarest et les Ministres roumains à l’étranger qui nous permettent de mieux cerner la position et les intérêts de la Roumanie à entreprendre telle ou telle démarche. Cette documentation est primordiale pour la compréhension de l’évolution de la politique étrangère, menée par la Roumanie durant l’entre-deux-guerres.

33

Le fonds intitulé Dosare speciale et plus précisément les volumes 131-134 nous ont fourni des informations d’un très grand intérêt pour notre recherche. Il s’agit des documents de premier ordre concernant le déroulement des démarches effectuées par les dirigeants de Bucarest auprès de la Banque de France dès octobre 1927 en vue de l’émission de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique de 1929 (volumes 131 et 132). Les volumes 133 et 134 portent sur les négociations et l’émission de l’emprunt roumain de développement économique de mars 1931. Toute cette documentation s’avère essentielle pour comprendre les enjeux et la politique menée par les dirigeants de Bucarest lors de la stabilisation de la monnaie roumaine.

En contrepartie, les archives de la Banque Nationale de Roumanie sont plus décevantes. Rares sont les dossiers permettant d’obtenir des informations sur le Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie, ainsi que sur la mission financière de la Banque de France bien que cette mission soit restée en Roumanie jusqu’en février 1935. Le responsable de ces archives nous a communiqué qu’aucun document relatif à cette question ne se trouve dans les fonds d’archives de la Banque. Toutefois, les comptes rendus et les rapports que nous avons trouvé dans le fonds intitulé Serviciul Secretariat nous permettent d’expliquer le fonctionnement et le rôle de la Banque Nationale de Roumanie dans le maintien de la stabilité monétaire. Le dossier numéro 38/1930-1931 s’avére utile pour démontrer la fragilité de l’indépendance de la Banque Nationale de Roumanie qui, malgré la modification de ses Statuts, en février 1929, doit suivre les intérêts financiers et politiques des dirigeants du gouvernement de Bucarest. Ce document nous permet également d’expliquer et de démontrer l’attitude des dirigeants de la Banque Nationale de Roumanie à l’égard de la présence et du maintien de la mission financière de la Banque de France en Roumanie jusqu’en 1935.

Hormis les archives diplomatiques et celles de la Banque de France et de la Banque Nationale de Roumanie d’autres sources se sont avérées utiles pour

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 approfondir notre recherche. A Zurich, nous avons consulté les archives de la Banque Nationale Suisse relatives à la participation de cette institution à la stabilisation de la devise roumaine à la fin des années vingt. Les archives de la Société des Nations nous ont permis de démontrer le rôle joué par cette institution et plus particulièrement par le Comité économique et financier dans la reconstruction économique et financière de l’Europe centrale. Le fonds intitulé Missions en Roumanie (1932) nous renseignent sur les démarches entreprises par le gouvernement de Bucarest en juin 1932 auprès de la Société des Nations en faveur de la collaboration technique pour l’application d’un plan de réforme financière destiné à adapter le pays aux nouvelles conditions économiques créées par la Crise de 1929. Les Papiers de Alexander Loveday s’avèrent un complément utile car il s’agit d’une collection d’articles publiés par la presse roumaine en juillet 1932 et avril 1933 au sujet de l’intervention de la Société des Nations en Roumanie. Les Papiers du Sir Arthur Salter nous fournissent des informations concernant la situation économique, financière et politique de la Roumanie, ainsi que le projet du gouvernement roumain de faire appel à l’aide financière de la Société des Nations en 1926. Les rapports généraux des Comités économique et financier nous ont permis d’approfondir la situation économique et financière internationale et centre-européenne provoquée par la crise de 1929.

En revanche, les archives de la Banque des Règlements Internationaux nous offrent très peu d’informations sur notre problématique. Toutefois, les Rapports annuels publiés par cette institution durant les années 1931-1935 nous ont permis de mieux comprendre la situation monétaire et financière internationale, ainsi que son impact sur les relations entre les différents États européens.

Les archives historiques du Crédit Agricole, fonds Crédit Lyonnais nous renseignent également sur la situation économique et financière de la Roumanie, ainsi que sur l’attitude de cet établissement financier à égard de la Roumanie. Sans être impliqué dans les affaires roumaines, le Crédit Lyonnais suit les démarches entreprises par la Banque de France en faveur de la 35

stabilisation de la monnaie roumaine et participe à la mise en place en juin 1931 d’une Commission d’études pour l’Europe centrale, dont l’objectif vise à renforcer la présence des banques et des industries françaises dans cette région. La série DEEF 73305 contient toute une série d’informations recoltées par le Crédit Lyonnais durant les années vingt pour l’établissement d’un programme d’investissement financier et industriel en Roumanie. Ces documents nous permettent d’éclairer les relations qui se tissent entre la mission financière de la Banque de France et les industries françaises lors de la mise en place de plusieurs projets visant à developper l’industrie et l’infrastructure roumaines.

Le manque de sources allemandes et, également, anglaises et américaines a été partiellement compensé par la consultation des archives de la Banque de France, par la lecture de la correspondance entre Emile Moreau, Hjalmar Schacht, Montagu Norman et Benjamin Strong.

Les mémoires des acteurs de l’époque représentent également des sources importantes qui permettent notamment de percevoir les réseaux de personnes et le cadre politique, économique et financier dans lequel se produit l’intervention de des Grande Puissances en Roumanie. Dans l’exploitation de ces sources, très abondantes en informations, nous avons pris en compte le manque de recul des auteurs par rapport aux événements présentés, ainsi que leurs convictions idéologiques : toute source secondaire ou primaire exige d’être utilisée avec esprit critique. Les principaux ouvrages qui ont retenu notre attention sont ceux de Grigore Gafencu45, de Louis Loucheur46, de Emile Moreau47, de Henri Prost48, de Victor Slavescu49 et de .50 A titre

45 GAFENCU, Grigore, Însemnari politice, 1929-1939, [Réflexions politiques, 1929-1939], Bucuresti, Humanitas, 1991 (2e Ed.). 46 LOUCHEUR, Louis, Carnets secrets, 1908-1932, Bruxelles, Brepols, 1962. 47 MOREAU, Emile, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, Paris, Génin, 1954. 48 PROST, Henri, Destin de la Roumanie, Paris, Berger-Levrault, 1954.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 d’exemple, le journal de , journaliste et ministre adjoint des Affaires Etrangères durant les années 1928 -1930, nous renseigne sur la lutte pour le pouvoir qui oppose le Parti National Libéral et le Parti National Paysan, notamment, durant les années vingt en soulignant les conséquences négatives des démarches effectuées par les Libéraux auprès de la Banque de France en vue de l’émission de l’emprunt de stabilisation monétaire. Cette analyse contrastent fortement avec celle de Victor Slavescu, directeur de la Société Nationale de Crédit Industriel et ministre des Finances durant les années 1934- 1935. Très proche collaborateur de Vintila Bratianu, Slavescu approuve les démarches entreprises par le Parti National Libéral auprès de la Banque de France et dénonce les effets néfastes des divergences qui dominent la vie politique roumaine sur le développement économique du pays. En revanche, Henri Prost, un observateur français résidant à Bucarest dans les années vingt, nous propose une lecture plus neutre de l’histoire roumaine, ses remarques étant fondées sur des faits plus objectifs.

Avant de terminer l’intoduction de notre travail, il convient de souligner les difficultés auxquelles nous avons été confrontées pour l’utilisation de la littérature secondaire roumaine car les historiens roumains proposent une lecture de l’histoire fortement influencée par les impératifs idéologiques des régimes politiques en place et par les contraintes géopolitiques. Ainsi, l’historiographie de la Grande Roumanie, monolithique en matière d’interprétation mais abondante en publications, est marquée par un nationalisme exacerbé. La défense des intérêts de la diplomatie de statu quo post bellum, menacée par l’irrédentisme bulgare, hongrois et soviétique, imprègne tous les écrits. Les relations économiques et financières de la Roumanie durant l’entre-deux-guerres sont souvent minimisées ou amplifiées en fonction des rapports et des intérêts diplomatiques et politiques des différentes

49 SLAVESCU, Victor, Note si însemnari zilnice, octombrie 1923 - 1 ianuarie 1938, [Notes et réflexions quotidiennes, octobre 1923 - 1er janvier 1938], Vol. I, Bucuresti, Editura Enciclopedica, 1996 (2ième édition). 50 TITULESCU, Nicolae, Discursuri, [Discours], Bucarest, Ed. Tehnica, 1991 (3ème éd.) 37

formations politiques au pouvoir. Juste après 1947, l’historiographie roumaine subit les impératifs idéologiques du régime communiste et les nouvelles contraintes géopolitiques.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

PREMIÈRE PARTIE

LA DIFFICILE RECONSTRUCTION

ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE DE LA ROUMANIE,

19 JANVIER 1922 - 10 NOVEMBRE 1928

39

Favorisé indéniablement par les Traités de Paix de 1919-192051, qui lui permettent de maintenir les acquis territoriaux et statutaires obtenus durant la Première Guerre mondiale, le Royaume de Roumanie52 réalise en janvier 1919 son unité nationale par l’intégration dans ses frontières des territoires provenant du démembrement des Empires austro-hongrois et russe, ainsi que de la Bulgarie.53 Bucarest devient, ainsi, la capitale d’un État dont la superficie et la population ont plus que doublé par rapport à l’avant-guerre.54 Du Nistru aux plaines de la Hongrie et des sources de la Tisa au Dobroudja, la Grande Roumanie (România Mare) couvre pour la première fois depuis cinq siècles presque la totalité de la nation roumaine.55 C’est la réalisation d’un projet politique de longue date que l’évolution des relations internationales révéla, par la suite, non viable et éphémère.

L’union avec la Bessarabie, la Bucovine, la Dobroudja du Sud et la Transylvanie créée dès la fin de la Grande Guerre une situation qui oppose de facto l’État

51 Le Royaume de Roumanie reçoit officiellement la Transylvanie, ainsi que le Banat et la Crisana au Traité de Trianon (le 4 juin 1920), la Bucovine et le Maramures au Traité de Saint-Germain (le 10 décembre 1919) et la Dobroudja du Sud au Traité de Neuilly (le 10 décembre 1919). En ce qui concerne la Bessarabie - qui, à la faveur de la révolution russe, avait proclamé son indépendance et son union avec le Royaume de Roumanie en avril 1918 - les Alliés (en l’occurrence la Russie soviétique, les Etats-Unis et l’Italie) remettent en cause, dès la fin de la Première Guerre mondiale, son statut de province indépendante et la validité de l’union de 1918. Malgré le fait que la France et la Grande-Bretagne reconnaissent le 28 octobre 1920 à Sèvres l’intégration de cette région dans le nouvel Etat roumain, le problème de la Bessarabie reste ouvert tout le long de l’entre-deux-guerres. 52 L’Etat roumain, né le 24 janvier 1859 de l’union des Principautés danubiennes de Valachie et de Moldavie, est érigé au rang de royaume le 25 mars 1881 par le prince régnant Carol de Hohenzollern-Sigmaringen (1866-1914). La Roumanie devient ainsi un royaume, Carol de Hohenzollern - Sigmaringen étant couronné roi le 22 mai 1881 à la cathédrale de Bucarest. 53 Voir Annexes I et II : Evolution de la Roumanie, 1881-2011 et Carte politique de la Grande Roumanie (România Mare), 1919-1940. 54 Voir Annexe III : Superficie et population de la Grande Roumanie (România Mare), 1919-1920. 55 Au sujet de la création de la Grande Roumanie, voir SETON-WATSON, R. W., Histoire des Roumains de l’époque romaine à l’achèvement de l’unité, Paris, P.U.F., 1937, pp. 531-618 et DURANDIN, Catherine, Histoire des Roumains, Paris, Fayard, 1995, pp. 204-234.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 roumain à ses nouveaux voisins, la Bulgarie, la Hongrie et l’Union Soviétique. Face à ces relations conflictuelles en lien avec la délimitation des frontières, les dirigeants roumains se voient obligés d’intégrer la România Mare dans des systèmes d’alliance diplomatique et militaire de défense du statu quo post bellum.56 C’est dans cette optique que la Grande Roumanie participe à la création de la Petite Entente (avril - août 1921)57 avec la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie, les deux autres bénéficiaires du Traité de Trianon, et s’efforce d’obtenir le soutien de la France et de la Grande-Bretagne en matière de sécurité et de protection. Si pour Londres le problème de défense du statu quo post bellum est secondaire par rapport à la reconstruction économique et financière de l’Europe centrale, il en est autrement pour Paris.58 Déçue par l’échec des garanties promises par les États-Unis et la Grande-Bretagne, ainsi que par la disparition de l’allié russe, la France, hantée, à la fois, par la renaissance du danger allemand et par la révolution bolchévique, cherche à renforcer son système de sécurité par des alliances avec les États centre- européens.59 Au croisement des préoccupations défensives de la Roumanie, de la Tchécoslovaquie et de la Yougoslavie, la France se rallie immédiatement à la Petite Entente, même si la Hongrie n’est pas son adversaire direct. En effet, les trois États membres de la Petite Entente occupent, du point de vue géo- stratégique, une place importante dans le système de sécurité français.60 La Roumanie remplit un rôle de glacis face à une Russie hostile aux nouveaux

56 SANDU, Traian, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale. L’exemple roumain 1919-1933, Paris, Harmattan, 1999, pp. 13-14. 57 Au sujet de la création de la Petite Entente et de la participation de la Roumanie à cette alliance, voir CARMI, Ozer, La Grande-Bretagne et la Petite Entente, Genève, I.U.H.E.I., 1972, pp. 19-55 et IORDACHE, Nicolae, La Petite Entente et l’Europe, Genève, I.U.H.E.I., 1977, pp. 17-70. 58 Sur l’attitude de la Grande-Bretagne et de la France vis-à-vis de la création de la Petite Entente, voir notamment CARMI, Ozer, La Grande-Bretagne et la Petite Entente, pp. 19-87. 59 Sur cette question, voir, WANDYCZ, Piotr S., The Twilight of French Eastern Alliances, 1926-1936. French-Czechoslovak-Polish Relations from Locarno to the Remilitarization of the Rhineland, New Jeresy, Princeton, 1988, pp. 3-17. 60 Sur les relations diplomatiques et militaires entre la France et la Roumanie durant les années 1919-1933, voir plus particulièrement l’étude de SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale. 41

règlements, alors que la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie jouent le même rôle vis-à-vis des révisionnismes allemand et italien.

Cette politique du « cordon sanitaire » permettra à la Roumanie de faire pièce aux tentatives bulgare, hongroise et soviétique de révision des frontières durant les années vingt. Néanmoins, les problèmes de sécurité et de protection de nouvelles frontières ne sont pas pour autant résolus car l’irrédentisme magyar et, plus particulièrement, russe restera une menace tout le long de l’entre-deux- guerres. Aussi tout acte diplomatique roumain relèvera du souci d’obtenir des garanties pour le maintien de l’intégrité territoriale, acquise à l’issue de la Première Guerre mondiale.

Du point de vue économique et financier, la România Mare du début des années 1920 se caractérise par un manque profond d’organisation de la production et de la circulation monétaire, par le chaos financier et l’inflation.61 Il convient de rappeler que la Grande Guerre fait legs au nouvel État roumain de trois monnaies entièrement dépréciées et sans couverture métallique, les « lei Generali », les couronnes austro-hongroises et les roubles Lwoff, Kerensky et Romanoff.62 La situation économique désastreuse provoquée par les destructions de la guerre et les besoins de reconstruction du pays, les dépenses de guerre et celles imposées par l’occupation allemande et, notamment, par l’union avec les nouveaux territoires rendent la situation financière de la Grande Roumanie très difficile. Le besoin de capitaux se révèle rapidement très important et il deviendra le problème majeur de toute l’économie roumaine de l’entre-deux-guerrres. Par ailleurs, la création de nouvelles formations politiques et, plus particulièrement, la lutte pour le pouvoir entre le Parti National Libéral et le Parti National Paysan ouvre pour l’économie roumaine de graves problèmes,

61 Sur cette question, voir MANOLIOU, Florin E., La reconstruction économique et financière de la Roumanie et les partis politiques, Paris, Librairie Universitaire J. Gamber, 1931, pp. 70-115. 62 MANOLIOU, La reconstruction économique et financière, pp. 94 - 99.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 dont la solution sera longue à survenir.63 « Chaque parti politique, ainsi que le souligne Florin Manoliou, n’admettait que ses propres idées et pensait que seul son programme pouvait réaliser le redressement économique et financier du pays. »64

63 Voir Annexe IV : Gouvernements de la Grande Roumanie, 1919-1937. Sur cette question, voir SAIZU, Ioan, Politica economica a României între 1922 si 1928 (La politique économique de la Roumanie durant les années 1922-1928), Bucuresti, Ed. Academiei Republicii Socialiste România, 1981, pp. 25-31. 64 MANOLIOU, La reconstruction économique et financière, p. 107. 43

CHAPITRE I : LE DÉVELOPPEMENT DE LA ROUMANIE Á L’ÉPREUVE DES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES ET FINANCIERS DU PARTI NATIONAL LIBÉRAL, 19 JANVIER 1922 - 30 MARS 1926

Avec le retour au pouvoir du Parti National Libéral, la seule formation politique de l’ancien Royaume de Roumanie (Vechiul Regat) qui a survécu à la Première Guerre mondiale, la Roumanie retrouve la stabilité politique interne, assurée jusqu’à la fin des années vingt par les gouvernements des frères Bratianu (janvier 1922 - novembre 1928) avec le bref intermède du général (mars 1926 - juin 1927). Ayant pour principal objectif la consolidation de l’indépendance politique et économique du nouvel État roumain, le Parti National Libéral décide de mettre en place une importante campagne d’industrialisation par l’introduction de toute une série de lois et de mesures en faveur des entreprises et des capitaux roumains. Néanmoins, ce processus d’industrialisation se révélera rapidement très difficile et contraignant en raison de la faiblesse de l’épargne et des capitaux roumains et de l’opposition des milieux économiques et financiers internationaux. Les frères Bratianu ont-ils les moyens et les capacités de réaliser le développement économique de la Roumanie à l’abri de l’intervention financière des grandes puissances ? Comment la France et la Grande-Bretagne, les deux Grandes Puissances appelées, au lendemain de la guerre, à réorganiser et à reconstruire l’Europe centrale, réagissent-elles à la politique de « contrôle » des capitaux étrangers adoptée par Ionel et Vintila Bratianu ?

1. Les frères Bratianu et les destinées de la Grande Roumanie

Le retour au pouvoir du Parti National Libéral, le 19 janvier 1922, ouvre une nouvelle étape dans l’évolution économique et financière de l’État roumain, crée par les Traités de Paix de 1919-1920. Constituée en 1875, cette formation politique représente les intérêts de la bourgeoisie industrielle et financière roumaine, dont les positions se sont consolidées jusqu’en 1914 par une étroite collaboration avec les capitaux étrangers et, plus particulièrement, avec les

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 capitaux allemands.65 Rappelons que les membres du Parti National Libéral disposent de la majorité des actions de la Banque Nationale de Roumanie66 et qu’ils contrôlent la Banca Generala a Tarii Românesti et la Banca Româneasca, ainsi que plusieurs entreprises industrielles du pays.67 L’histoire et l’évolution de cette formation politique sont étroitement liées et influencées par la famille Bratianu, Ion (1821-1891) et ses trois fils Ionel (1864-1927), Constantin « Dinu » (1866-1950) et Vintila (1867-1930), qui domine le parti depuis sa création et jusqu’aux années 1948, date à laquelle le régime communiste interdira tous les partis politiques roumains.68

Ionel Bratianu69, fort de l’appui du roi Ferdinand (1865-1927)70 et convaincu qu’il lui revient de mener les destinées de la Grande Roumanie, constitue le 20 janvier 1922 un nouveau cabinet libéral, où il confie le portefeuille des Affaires Etrangères à Ion Gh. Duca, l’Industrie et le Commerce à Tancred Constantinescu et les Finances à son frère cadet, Vintila. Ce dernier deviendra durant les années 1920 la figure la plus emblématique du gouvernement de son frère aîné, qui lui accordera l’autorité nécessaire pour la réorganisation économique et financière du nouvel État roumain.

65 ZELETIN, Stefan, Burghezia româna : originea si rolul ei istoric (La bourgeoisie roumaine : l’origine et son rôle historique), Bucuresti, 1925. 66 Le 1er janvier 1901, date à laquelle l’Etat roumain s’est retiré de sa qualité d’actionnaire de la Banque Nationale de Roumanie, les actionnaires privés, majoritairement membres du Parti National Libéral, deviennent les principaux actionnaires de cette institution par le rachat des actions de l’Etat. 67 SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, p. 29. 68 TREPTOW, Kurt W., A history of , Iasi, The Center for Romanian Studies, 1996, pp. 412 - 413. 69 Diplômé de l’Ecole des Ponts et des Chaussées de Paris en 1889, Ionel Bratianu (1864-1927) commence sa carrière politique en 1891, après le décès de son père, Ion Bratianu. En 1909, il prend la direction du Parti National Libéral, fonction qu’il occupera jusqu’au 24 novembre 1927, date à laquelle il décède par suite des complications d’une laryngite infectieuse mal soignée. De 1909 à 1927, Ionel Bratianu est nommé Président du Conseil roumain à cinq reprises : décembre 1909 - décembre 1910, janvier 1914 - janvier 1918, novembre 1918 - septembre 1919, janvier 1922 - mars 1926 et juin - novembre 1927. 70 Ferdinand de Hohenzollern - Sigmaringen, neveu du roi Carol de Hohenzollern - Sigmaringen, est désigné roi de Roumanie du 10 octobre 1914 au 20 juillet 1927. 45

Diplômé de l’Ecole centrale des arts et des manufactures de Paris en 1891, Vintila Bratianu entre dans la vie politique roumaine comme maire de Bucarest, fonction qu’il occupera de 1907 à 1911. Très tôt, il réussit à se distinguer par l’élaboration de nombreux projets de modernisation de la société roumaine par l’introduction du suffrage universel et l’abolition de la grande propriété foncière. En 1911, dans le Manifeste-Programme du Parti National Libéral, Vintila Bratianu aborde pour la première fois la question de l’indépendance économique et financière de l’État roumain en déclarant que la présence des capitaux étrangers dans l’industrie pétrolière représentait un véritable danger pour le développement et la modernisation du pays. Afin de réduire l’influence et l’ingérence de la finance étrangère dans l’économie du Vechiul Regat, il proposait l’introduction, sous l’égide de l’État, de nouvelles mesures, destinées à soutenir le développement rapide du secteur industriel, ainsi que la création d’une classe bourgeoise roumaine. Toutefois, l’éclatement de la Première Guerre mondiale a obligé Vintila Bratianu à différer de quelques années ses projets de modernisation de l’État roumain. Il convient de rappeler que l’économie de l’ancien Royaume de Roumanie reposait essentiellement sur le secteur agricole et les exportations de céréales, qui représentaient, en 1914, 70% du total des exportations effectuées par le pays.71 En revanche, le secteur industriel, basé principalement sur l’industrie pétrolière et l’industrie agro- alimentaire, était relativemement peu développé.72 En possession de vastes ressources pétrolières, situées notamment dans la région de la Vallée de Prahova, Vechiul Regat avait attiré, dès la fin du XIXe siècle, d’importants investissements étrangers et, plus particulièrement, allemands et anglais.73 A la veille de la Grande Guerre, les capitaux étrangers investis dans l’industrie pétroière roumaine se répartissaient de cette manière : les capitaux allemands

71 Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, Mémorandum sur le commerce international et sur les balances de paiements 1912-1926, Questions économiques et financières, Vol. II, 1927, p. 738. 72 CONSTANTINESCU, Nicolae, L’histoire de l’économie roumaine de l’origine jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, Bucarest, Expert, 1996, pp. 184-202 et MURESAN, Maria, MURESAN, Dumitru, Istoria economiei [L’histoire de l’économie], Bucuresti, Ed. Economica, 2003, pp. 109-131. 73 Sur cette question, voir PEARTON, Maurice, Oil and the Romanian State, Oxford, Clarendon Press, 1971.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 et austro-hongrois représentaient 35% du total des investissements étrangers, anglais 21,2%, hollandais 20%, français et belges 14% et suisses 1%.74 Quant aux capitaux roumains, ils ne représentaient que 5% du total des investissements effectués dans ce secteur. Le tableau ci-dessous nous permet de situer et de comparer le « niveau d’implication » de la finance étrangère dans l’ancien Royaume de Roumanie à la veille de la Première Guerre mondiale.

Tableau I : Participations et investissements étrangers dans l’ancien Royaume de Roumanie à la veille de la Première Guerre mondiale (en millions de francs français et en %) Pays Emprunts d’Etat Investissements Total d’entreprises Allemagne 903 60,2% 120 23,5% 1023 51% Angleterre - - 96,6 18,9% 96,6 4,8% France 484 32,3% 37,8 7,4% 521,8 26% Hollande - - 99,6 19,5% 99,6 5% Suisse 64,5 4,3% - - 64,5 3,2% Divers 48,5 3,2% 157 30,7% 205,5 10% Total 1500,0 100 511 100 2011 100 Source : THOBIE, Jacques, La France impériale, 1880-1914, Paris, Megrelis, 1982, p. 263.

Il apparaît, ainsi, que les capitaux allemands, engagés pour 60,2% dans les emprunts de l’État roumain et pour 23,5% dans des diverses entreprises, notamment pétrolières75, dominent largement le marché roumain.76 Avec 484

74 PEARTON, Oil and the Romanian State, pp. 68-69. 75 Les banques allemandes et, notamment, la Deutsche Bank et la Disconto- Gesellschaft, contrôlent la Steaua Româna, la Concordia, le Creditul petrolifer, ainsi que la raffinerie Vega. Sur les participations de la Deutsche Bank à l’industrie pétrolière roumaine avant la Première Guerre mondiale voir l’étude de GALL, Lothar, JAMES, Harold et al., The Deutsche Bank 1870-1995, London Weidenfeld & Nicolson, 1995, pp. 64-67 et pp. 148-150. 76 Sur les relations économiques et financières entre le Royaume de Roumanie et l’Allemagne jusqu’à la veille de la Grande Guerre, voir les études de DOBROVICI, Gheorghe M., Istoricul desvoltarii economice si financiare a Romaniei si imprumuturile contractate intre 1832 si 1933 (L’histoire du développement économique et financier de la Roumanie et les emprunts 47

millions de francs français de fonds du Vechiul Regat, la France n’absorbe que 32,2% de la dette publique roumaine. Les capitaux français sont investis essentiellement dans de petites entreprises de papier (Clément Heurtard, Dupont), de bois, de sucre (Lachaume, Meillassoux et Cie) et de textiles. Dans l’industrie pétrolière, ils contrôlent les sociétés l’Aquila Franco-Româna et l’Omnium International du Pétrole, qui regroupe en 1911 les entreprises Columbia et Alpha et la raffinerie de Cernavodă. En revanche, les capitaux anglais dirigent l’Astra Româna, une des plus grandes compagnies de production pétrolière de l’ancien Royaume.77

Pays, donc, essentiellement agricole et disposant d’importantes ressources pétrolières, l’ancien Royaume de Roumanie voit à l’issue de la Grande Guerre son potentiel économique s’accroître, par suite de l’intégration de nouvelles provinces. La Dobroudja du Sud et la Bessarabie augmentaient la capacité de production agricole et notamment de l’élevage, alors que la Transylvanie et la Bucovine apportaient de nouvelles matières premières et d’infrastructures industrielles. La métallurgie de Resita et de Anina, l’industrie charbonnière de la Vallée de Jiu et l’industrie textile de Cluj, ainsi que les ressources de charbon, de fer, de gaz méthane, de cuivre, de l’or et les massifs forestiers de Bucovine pouvaient contrebalancer l’économie agricole du Vechiul Regat.78

À la tête des Finances, Vintila Bratianu se propose de tirer profit de la nouvelle configuration économique de l’Etat roumain par l’introduction de toute une série

contractés durant les années 1832-1933), pp. 400-450, Bucuresti, Universul, 1934, de POIDEVIN, Raymond, Les relations économiques et financières entre la France et l’Allemagne de 1898 à 1914, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998, pp. 57-59 et pp. 306-313 et de THOBIE, Jacques, La France impériale, 1880-1914, Paris, Megrelis, 1982, pp. 260-263. 77 PEARTON, Oil and the Romanian State, p. 42. 78 Sur l’accroissement du potentiel économique du Royaume de Roumanie, par suite de l’intégration de nouvelles provinces, voir Archives du CL, Paris, DEEF 73305 : Nouveau Royaume de Roumanie. Note économique détaillée, août 1922 et TURNOCK, David, The Romanian economy in the twentieth century, London, Croom Helm, 1986, pp. 96-98.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 de mesures administratives et législatives, destinées à promouvoir le développement de l’industrie roumaine et à réglementer la participation du capital étranger à l’exploitation des ressources minières du pays. A plusieurs reprises, Ionel et Vintila Bratianu vantent les avantages économiques et, notamment, politiques d’un État industriel sur un État agricole, dépendant des puissances étrangères. Ainsi, l’avenir du nouvel Etat roumain, dont l’unité nationale et les frontières étaient menacées par la Hongrie et par la Russie soviétique, résidait dans la création et le développement du secteur industriel. Devenue, donc, une nécessité pour l’émancipation politique et économique du pays, l’industrialisation de la Roumanie devient dès 1922 la pierre de touche de toute l’économie d’après-guerre.

Pour ce faire, les frères Bratianu annoncent dans leur programme économique que le développement du secteur industriel roumain se réalisera selon la devise « par nous-mêmes »79, qui deviendra le symbole de la politique économique menée par le Parti National Libéral durant les années 1922-1926. Le soutien et l’encouragement de la population et des capitaux roumains à participer à l’exploitation et à la mise en valeur des ressources minières du pays au détriment des puissances étrangères constituent les principes majeurs de la nouvelle politique économique envisagée par Ionel et Vintila Bratianu. C’est une politique très ambitieuse, dont la réalisation demandera d’importantes ressources financières et l’introduction d’une nouvelle législation économique et financière en faveur des entreprises et des capitaux roumains. Quant aux entreprises et aux capitaux étrangers, Vintila Bratianu se déclare l’adversaire résolu des participations majoritaires dans les sociétés roumaines et des investissements massifs dans certaines branches industrielles, telles que l’industrie pétrolière et l’industrie métallurgique. Bratianu se propose, ainsi, de réglementer la forme et les proportions de la participation de la finance étrangère au développement de l’économie roumaine.

79 Sur l’origine et les principes de la politique économique du Parti National Libéral « par nous-mêmes », voir SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, pp. 41- 54. 49

Dès son annonce, la nouvelle politique économique du gouvernement Bratianu suscitede nombreux débats parmi les hommes politiques et les historiens de l’époque. Dans les milieux politiques roumains, on s’intérroge sur la faisabilité et les conséquences de cette politique d’inspiration nationaliste sur le développement de la Roumanie, ainsi que sur les relations politiques et économiques de la Roumanie avec les autres États. A titre d’exemple, les anciens membres du Parti Conservateur80 ne donnent aucune chance au gouvernement Bratianu de mettre en place cette politique en raison du manque de capitaux et de la fragilité politique du nouvel État roumain. Dans les nouvelles provinces, les minorités s’interrogent sur la place et le rôle que les autorités de Bucarest leur réservent dans le développement de l’économie roumaine. Néanmoins, l’utilisation des expressions de politique de nationalisme économique ou de nostrification/roumanisation reste assez rare, voire absente des débats de l’époque. L’usage de ces expressions se généralisera après la Deuxième Guerre mondiale et, notamment, dans les années 1980-1990, quand on cherche à analyer les politiques économiques de pays en voie de développement et la mise en place des conditions propices à leur industrialisation.81 Dans l’ouvrage Nationalisme économique et industrialisation. L’expérience des pays de l’Est (1789-1939)82, Thomas David décrit, sans prendre en considération les aspirations politiques du nouvel État roumain, la politique adoptée par les frères Bratianu comme le seul outil économique disponible pour consolider les positions et l’influence du Parti National Libéral.83 Pour Thomas David, le principal objectif de la politique « par nous-mêmes » est l’affaiblissement des positions acquises par les capitaux étrangers dans

80 Le Parti Conservateur, qui avait assuré avec le Parti National Libéral le gouvernement de l’ancien Royaume de Roumanie jusqu’en 1914, disparaît à l’issue de la Première Guerre Mondiale. La collaboration avec les armées austro-allemandes durant la guerre serait la principale raison de la disparition de cette formation politique. 81 BOULANGER, Éric, « Théories du nationalisme économique », L'Économie politique 3/2006 (no 31), p. 82-95. 82 DAVID, Thomas, Nationalisme économique et industrialisation. L’expérience des pays de l’Est (1789-1939), Genève, Droz, 2009, pp. 173-179. 83 DAVID, Nationalisme économique et industrialisation, p. 406.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 l’économie roumaine depuis la fin du XIXe siècle au détriment des intérêts généraux du pays. La question de la politique de nationalisme économique et de nostrification adoptée à l’issue de la Grande Guerre par les nouveaux Etats centre-européens apparaît également dans l’étude de Jan Koffman, Economic Nationalism in East-Central Europe : A General View.84 A la différence de Thomas David, Jan Koffman démontre que la nostrification est une composante du nationalisme économique qui caractérise touts les pays de l’Europe centrale et qu’elle peut avoir plusieurs significations.85 Dans le cas de la Roumanie, ainsi que dans celui de la Pologne et de la Tchécoslovaquie, l’interprétation du terme de nostrification doit tenir compte de la volonté des autorités politiques de consolider l’indépendance politique et économique de leurs pays, qui sont des Etats neufs en quête d’affirmation sur la scène internationale. Pour Koffman, la politique de nostrification n’apparaît pas comme un obstacle au développement des États d’Europe centrale, ainsi que le suggère David, mais comme une politique favorisant l’établissement d’un nouvel ordre économique et financier. « It should also be rememberd, écrit Koffman, that strictly speaking the main objective of nostrification was to create new economic and financial relations, consistent with the needs of the newly formed territorial units.»86

Il convient de préciser que la politique de nationalisme économique et de nostrification, annoncée par les Ionel et Vintila Bratianu, s’inscrit dans une tendance générale, qui caractérise tous les États centre-européens, nouvellement créés ou remodelés par les Traités de Paix de 1919-1920. En quête d’indépendance politique et économique ces pays cherchent à protéger leur économie et, plus particulièrement, le secteur industriel par des lois et des tarifs fortement protectionnistes. Chaque Etat centre-européen souhaite développer son propre secteur industriel au détriment de l’agriculture, afin de

84 KOFFMAN, Jan, « Economic Nationalism in East-Central Europe : A General View » in SZLAJFER, Henryk (ed.), Economic Nationalism in East-Central Europe and South America, 1918-1939, Genève, Droz, 1990, pp. 191-249. 85 KOFFMAN, « Economic Nationalism in East-Central Europe : A General View », pp. 218-223. 86 KOFFMAN, « Economic Nationalism in East-Central Europe : A General View », p. 220. 51

consolider son indépendance par rapport aux puissances étrangères et, notamment, par rapport aux Etats révisonnistes. En Yougoslavie, le gouvernement, dirigé par Nikola Pasic (juin 1921 - avril 1926) adopte aussi une politique favorisant le développement de l’industrie au détriment du secteur agricole par l’application des tarifs douaniers élevés, la nationalisation des entreprises détenues par les Allemands, les Autrichiens et les Hongrois, etc.87 En Hongrie, Istvan Bethlen (avril 1921 - août 1931) introduit toute une série de mesures, destinées à soutenir l’industrialisation du pays par l’instauration de droits de douane très élevès, l’introduction des exemptions d’impôts, ainsi que par une politique financière peu restrictive, etc.88

2. Le Gouvernement Bratianu et l’industrialisation de la Roumanie

Décidés à promouvoir l’industrialisation de la Roumanie par l’introduction de nouvelles lois en faveur des entreprises et des capitaux roumains, les dirigeants de Bucarest décident préalablement d’introduire une nouvelle Constitution. La principale raison invoquée par Ionel et Vintila Bratianu afin que le Parlement roumain adopte, le 30 mars 1923, la nouvelle Constitution est le fait que celle du Vechiul Regat était entièrement dépassée, par suite de la réalisation de l’unité nationale. Intégrées durant presque deux siècles dans la Russie et la Hongrie, ainsi que dans l’Empire ottoman (puis dans la Bulgarie), la Transylvanie, la Bessarabie, la Bucovine et la Dobroudja du Sud disposaient de législations très différentes de celles du Vechiul Regat. Parmi les principaux objectifs de la nouvelle Constitution, nous mentionnons l’entérinement de la réforme agraire (1920-1921)89 et l’interdiction de tout nouveau partage de terres, la

87 DAVID, Nationalisme économique et industrialisation, pp. 187-197. 88 DAVID, Nationalisme économique et industrialisation, pp. 165-169. 89 La réforme agraire, promise par le roi Ferdinand en 1917 afin de motiver son armée, constituée essentiellement de paysans, est réalisée par le décret royal du 18 décembre 1918. En 1921, plus de six millions d’hectares (environ 66% de la terre arable) de la Grande Roumanie ont été distribuées aux petits paysans. Si sur le plan politique et social, la réforme agraire a conduit à des résultats hautement favorables, il en est autrement sur le plan économique. Le partage des terres, appliqué aussi aux nouvelles provinces, est réalisé sans prendre en considération la situation précaire des paysans roumains. Le manque

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 nationalisation de la propriété du sous-sol, ainsi que l’homologation du statut des minorités, imposée à la Roumanie par les Traités de Paix 1919-1920.90

L’article 19 de la nouvelle Constitution, relatif au droit de propriété de l’État roumain sur « les richesses de toute nature du sous-sol - à l’exception des roches communes, des carrières de matériaux de construction et de la tourbe »91 annonce déjà l’élaboration d’une « loi spéciale », destinée à réglementer les normes et les conditions d’exploitation des ressources minières du pays. Cette « loi spéciale » ouvrira la voie à la introduction durant l’année 1924 de toute une série de lois et de mesures, dont le rôle principal était, ainsi que le précisait Vintila Bratianu, d’assurer l’industrialisation du nouvel État roumain. « Si l’ancien Royaume, déclare le Ministre roumain des Finances en août 1924, était caractérisé par une production agricole très intense et une industrie basée - en dehors de l’industrie pétrolière - sur l’utilisation des produits du sol - industrie alimentaire, bois, etc. - la Roumanie nouvelle possède dans ses nouvelles frontières les éléments nécessaires pour assurer le développement d’une activité industrielle à peu près complète et capable de satisfaire, en grande partie, aux besoins du pays. »92 La Roumanie a, donc, les atouts pour modifier ses structures économiques et devenir un pays agro-industriel.

d’outillage, de savoir-faire et notamment de ressources financières et des instituts de crédit agricole se répercutent tant sur la capacité de production agricole que sur la qualité des produits. Il convient également de souligner le fait qu’elle a permis aux dirigeants de Bucarest de diminuer l’influence des grands proprétaire fonciers non-roumains en Transylvaine, en Bessarabie et en Bucovine, 90 SCURTU, Ioan (éd.), Documente privind istoria României între anii 1918- 1944, [Les documents concernant l’histoire de la Roumanie durant les années 1918-1944], Bucuresti, Ed. didactica si pedagogica, 1995, pp. 250-253. 91 Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R. 310 : « Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le cadre des nouvelles lois économiques », Mémoire présenté par Vintila Bratianu à la Société des Nations, août 1924, p. 132. 92 Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R. 310 : « Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le cadre des nouvelles lois économiques », Mémoire présenté par Vintila Bratianu à la Société des Nations, août 1924, p. 131. 53

2.1. Les lois et les mesures d’encouragement aux entreprises et aux capitaux roumains

Le premier problème auquel les frères Bratianu décident de s’attaquer en raison de l’étendue de son champ d’application, qui concerne les ressources en matières premières (les minerais de fer, de cuivre, d’or, etc.), ainsi que les générateurs d’énergie (le pétrole, le charbon, le gaz méthane) est le régime des mines. La réglementation de l’exploitation des richesses minières détient, selon Vintila Bratianu, une importance particulière dans l’évolution économique du pays en raison de : « (...) l’intérêt politique qui se rattache aujourd’hui à la possession et à la libre disposition des gisements miniers, notamment du pétrole, l’État roumain devait poser les principes qui régiront l’exploitation des gisements qu’il possède aujourd’hui et de ceux dont il disposera à l’extinction des droits acquis, de manière à assurer le respect et la sauvegarde des intérêts permanents du pays. »93 Institué, par l’article 19 de la Constitution de 1923, le droit de propriété de l’État roumain sur les ressources minières du pays fait en juillet 1924 l’objet d’une nouvelle loi. Il s’agit d’une loi spéciale, ainsi que les alinéas 2 et 3 de l’article mentionné ci-dessus l’ont stipulé, dont le principal objectif sera de déterminer : « les règles générales et les conditions de mise en valeur des gisements miniers, la redevance due aux propriétaires de la surface et indiquera en même temps les conditions et les mesures dans lesquelles ceux- ci participeront à l’exploitation de ces richesses. »94 Par cette loi, appelée la loi des mines, Ionel et Vintila Bratianu confirment et renforcent le droit de propriété de l’État roumain sur les ressources minières du pays, ainsi que le privilège de les exploiter soit directement, soit indirectement par l’intermédiaire des

93 Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R. 310 : « Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le cadre des nouvelles lois économiques », Mémoire présenté par Vintila Bratianu à la Société des Nations, août 1924, p. 133. 94 Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R. 310 : « Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le cadre des nouvelles lois économiques », Mémoire présenté par Vintila Bratianu à la Société des Nations, août 1924, p. 133.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 concessions accordées à des entreprises privées.95 Ces dernières doivent revêtir un caractère national par la nomination dans les comités de direction et d’administration d’une majorité roumaine, représentée par l’État et les capitaux roumains. Par ailleurs, le président et le directeur général de toutes les entreprises privées, ayant acquis des concessions minières, doivent bénéficier de la nationalité roumaine. À ces mesures administratives de « roumanisation » des entreprises travaillant dans le secteur minier, s’ajoute la question de la participation du capital étranger à l’exploitation et à la mise en valeur des ressources minérales du pays. Prévue par l’article 33 de la loi de mines, cette mesure vise en effet à réduire la participation du capital étranger dans l’industrie pétrolière roumaine et, plus particulièrement, à l’exploitation et à l’équipement des raffineries.

Les débats provoqués à l’étranger par l’introduction de nouvelles normes et mesures, destinées à réglementer les investissements dans l’industrie pétrolière, démontrent l’importance de ce secteur pour l’émancipation économique et politique de la Roumanie. Le pétrole, dont l’importance économique et stratégique a été révélée par la Première Grande mondiale, devient durant l’entre-deux-guerres un enjeu majeur pour l’intégration de la Roumanie dans le système économique international.96 Il convient de préciser que dès 1918, l’Italie et, plus particulièrement, la France et la Grande-Bretagne cherchent à acquérir de nouvelles concessions et participations dans les entreprises pétrolières roumaines, ainsi qu’à reprendre les sociétés détenues jusqu’en 1914 par les banques allemandes, la Deutsche Bank et la Disconto-Gesellschaft. A titre d’exemple, la Banque de Paris et des Pays-Bas et la Banque de l’Union Parisienne s’efforcent de consolider leur présence dans les pétroles roumains

95 Sur cette question, voir SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, pp. 90-91. 96 BUSSIERE, Eric, Horace Finaly, banquier : 1871-1945, Paris, Fayard, 1996, MARGUERAT, Philippe, Banque et investissement industriel. Paribas, le pétrole roumain et la politique française, 1919-1939, Genève, Droz, 1987 et MARGUERAT, Philippe, Le IIIe Reich et le pétrole roumain, 1938-1940. Contribution à l’étude de la pénétration économique allemande dans les Balkans à la veille et au début de la Seconde Guerre mondiale, Genève, H.E.I., 1977. 55

par la reprise de la Steaua Româna97, de la Telega Oil Company Ltd.98, ainsi que par l’obtention de nouvelles concessions pétrolières. Sous les pressions de la France et de la Grande-Bretagne, les dirigeants de Bucarest doivent accepter en avril 1920, lors de la Conférence de San Remo, le partage de la Steaua Româna, qui représentait une des plus importantes sociétés pétrolières roumaines.99 Après de longues négociations, la Roumanie100 réussit à obtenir la majorité des actions, alors que le syndicat français, composé de la Banque de Paris et des Pays-Bas, de la banque Mallet et des groupes Champin et Mercier et le syndicat anglais, composé de la Banque Stern, de l’Anglo-Iranian et de la Royal Dutsch-Shell, doivent se partager de manière égale les 49.900 actions restantes.101

La question de la réglementation de la participation des capitaux étrangers au développement économique de la Roumanie suscitera également de nombreuses controverses. Vintila Bratianu est accusé par ses adversaires politiques de porter atteinte aux intérêts économiques du pays par l’introduction de cette mesure. « Plus que jamais, déclarent-ils, la Roumanie a besoin de produire et doit avoir par conséquent recours aux capitaux étrangers. Les capitaux nationaux sont incapables d’assurer l’exploitation même des plus riches terrains. »102 Conscient du manque de capitaux roumains, ainsi que du savoir- faire de la population roumaine, constituée essentiellement de paysans, le Ministre roumain des Finances

97 Fondée en 1895 par la Banque Hongroise pour le Commerce et l’Industrie et l’Internationale Petroleum Industrie A.G. de , la Steaua Româna a été reprise et réorganisée par la Deutsche Bank en 1904. 98 Créée en 1901, la Telega Oil Company Ltd. passe deux ans plus tard sous le contrôle du consortium Disconto-Gesellschaft - S. Bleichröder. 99 Voir l’étude de MARGUERAT, Banque et investissement industriel. 100 Le syndicat roumain est constitué de la Banque Marmorosch, la Banque de Crédit Roumain et la Banque L. Berkowitz, qui ont des liens très étroits avec Paribas. Cette dernière, ainsi que le souligne Philippe Marguerat, pourrait disposer des 6.000 actions de la Banque L. Berkowitz, ce qui donne le contrôle de la Steaua Româna au groupe franco-anglais. 101 MARGUERAT, Banque et investissement industriel, pp. 27-28. 102 GANE, Alexandru, La question de la nationalisation du sous-sol en Roumanie, Paris, Joue & Cie, 1924, p. 16.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 admet l’importance et la nécessité de la participation du capital étranger au développement des différents secteurs industriels roumains.103 Mais, ce que Vintila Bratianu conteste et tente de réglementer concerne la forme et les proportions de la participation des capitaux étrangers dans les industries roumaines.104 Le but de cette mesure est, d’une part, de réduire les investissements étrangers dans un seul secteur industriel et, d’autre part, de contrôler leurs participations à la création des entreprises étroitement liées à la sécurité et à la défense du pays. Ainsi, dans les entreprises, nouvellement créées pour l’exploitation et la mise en valeur des ressources minières appartenant à l’État roumain, les capitaux étrangers ne doivent pas dépasser les 40% du capital total, alors que le capital roumain devait être majoritaire.105 En introduisant cette nouvelle réglementation, le gouvernement Bratianu entrevoit la possibilité d’intéresser les capitaux étrangers au développement de plusieurs secteurs d’activité économique, tels que l’industrie textile, l’industrie agro- alimentaire, l’industrie métallurgique etc. De cette manière, l’État roumain pourra s’assurer de la mise en place d’une division des risques liés à l’instauration d’un contrôle financier étranger sur l’activité économique du pays.

Une autre loi adoptée par le gouvernement Bratianu, le 7 juin 1924, concerne « la commercialisation et le contrôle des entreprises de l’Etat » qui s’applique à toutes les entreprises appartenant à l’État roumain. L’article 2 de cette nouvelle loi prévoit l’introduction de quelques « mesures spéciales », destinées à changer l’organisation et le fonctionnement des entreprises étatiques. Ainsi, la principale

103 Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R 310 : Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le cadre des nouvelles lois économiques. Mémoire présenté par Vintila Bratianu à la Société des Nations, août 1924, pp. 136-139. 104 Sur la question de la collaboration avec les capitaux étrangers, voir SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, pp. 43-44. 105 Sur la forme et les proportions des capitaux étrangers, admises par le Parti National Libéral dans le développement économique de la Roumanie, voir Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R 310 : Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le cadre des nouvelles lois économiques. Mémoire présenté par Vintila Bratianu à la Société des Nations, août 1924, p. 142 et SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, p. 44. 57

mesure, adoptée par les autorités roumaines, entérine la division des entreprises appartenant à l’État en deux catégories. La première concerne les entreprises à caractère économique d’intérêt général, appelées à remplir des services publics intéressant la sécurité et la défense nationale, ainsi que celles faisant l’objet d’un monopole.106 Ces entreprises sont, principalement, représentées par les chemins de fer, les postes, les télégraphes et les téléphones, les usines d’armement et la Régie des Monopoles de l’État. Quant à la deuxième catégorie, elle se rapporte aux entreprises à caractère uniquement commercial et industriel, qui sont la propriété de l’État, mais qui ne font pas l’objet d’un monopole.107 Selon la nouvelle loi, ces entreprises doivent être exploitées par des sociétés anonymes, constituées par l’État et par les particuliers (roumains et étrangers) où le capital roumain (de l’État et des particuliers roumains) sera majoritaire.108 Dans cette deuxième catégorie, nous retrouvons les entreprises minières (Petrosani, Slatna, Abrud, Altan-Tepe, Gaz Méthane Cluj), métallurgiques (Hunedoara, Cugir et Baia Mare), de transport fluvial et maritime (la Société roumaine de navigation fluviale, le Service maritime roumain), ainsi que les stations balnéaires (Mehadia, , Tekirghiol), les forêts et les pêcheries du Danube et du Delta du Danube.109 Un Conseil Supérieur des entreprises commerciales sera chargé de veiller à l’application et au respect de cette loi, ainsi que de donner son avis sur les différentes questions, liées à l’évaluation de l’apport de l’État, à l’établissement des bilan, au contrôle des statuts, etc.110

La nouvelle législation économique et financière introduite par le gouvernement Bratianu pour renforcer le rôle de l’État roumain prévoit aussi des mesures qui établissent le régime général des eaux et des générateurs d’énergie. La loi des

106 SCURTU, Documente privind istoria României, p.120. 107 SCURTU, Documente privind istoria României, p.120. 108 SCURTU, Documente privind istoria României, p.120. 109 Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R 310 : Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le cadre des nouvelles lois économiques. Mémoire présenté par Vintila Bratianu à la Société des Nations, août 1924, pp. 140-141. 110 Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R 310 : Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le cadre des nouvelles lois économiques. Mémoire présenté par Vintila Bratianu à la Société des Nations, août 1924, pp. 140-141.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 eaux et des générateurs d’énergie, adoptée le 4 juillet 1924, a pour principal objectif d’assurer la coordination des différentes sources d’énergie thermique (le pétrole, le charbon, le gaz méthane), afin de permettre et de faciliter l’électrification générale du pays pour les transports, l’industrie et les usages domestiques.111 La possibilité d’obtenir des concessions dans l’aménagement d’installations hydrauliques et thermoélectriques est donnée uniquement aux investisseurs roumains et aux sociétés anonymes roumaines (où le capital roumain doit être majoritaire).112

Des lois similaires sont passées également dans le secteur des transports et des communications et, plus particulièrement, dans le domaine du transport ferroviaire par l’introduction d’une politique de reconstruction et de rachat des voies ferrées appartenant à des sociétés privées roumaines ou étrangères. En vertu de la Convention de Vienne du 10 septembre 1922 et de la décision de la Commission des Réparations du 13 mars 1923, l’Etat roumain rachète les chemins de fer de Transylvanie qui ont appartenu à la Société autrichienne des voies ferrées (S.T.E.G.).113 En 1925, l’Etat deviendra le propriétaire de presque la totalité du réseau des voies ferrées de Roumanie, estimé, en 1919, à 12.000 kilomètres.114 Il convient de rappeler que le réseau feroviaire du Vechiul Regat, évalué à 3.500 kilomètres en 1914, nécéssite d’importants travaux d’unification et de raccordement avec les réseaux de nouvelles provinces. Dirigés avant la Première Guerre mondiale vers Budapest, Vienne et Fiume (pour la Transylvanie et la Bucovine) et vers Kiev et Odessa (pour la Bessarabie), les

111 Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R 310 : Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le cadre des nouvelles lois économiques. Mémoire présenté par Vintila Bratianu à la Société des Nations, août 1924, pp. 139-140. 112 Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R 310 : Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le cadre des nouvelles lois économiques. Mémoire présenté par Vintila Bratianu à la Société des Nations, août 1924, pp. 139-140. 113 DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, pp. 548-560. 114 Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R. 310 : Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le cadre des nouvelles lois économiques. Mémoire présenté par Vintila Bratianu à la Société des Nations, août 1924, p. 142. 59

réseaux ferroviaires de ces provinces doivent être intégrés au réseau de l’ancien Royaume et orientés vers Bucarest et les principaux ports de la Mer Noire, Braila, Constanta et Galati.115 À titre d’exemple, les lignes ferroviaires de l’Autriche-Hongrie et celles du Vechiul Regat s’arrêtent à l’ancienne frontière, les Carpathes, et la communication entre plusieures villes de Transylvanie doit se faire en traversant le territoire de la Tchécoslovaquie.116 La construction de nouvelles lignes et d’ateliers de réparations et de dépôt, l’agrandissement et l’équipement des ports et des centres de transit s’imposent comme une nécessité pour le fonctionnement et le développement du réseau ferroviaire de la Grande Roumanie.117

L’introduction de toutes ces lois et mesures et, plus particulièrement, celle de la loi des mines suscite une forte opposition des milieux économiques et financiers étrangers et, plus particulièrement, anglais. A plusieurs reprises, les compagnies pétrolières, la Royal Dutch-Shell et la Standard Oil font des pressions sur les dirigeants de Bucarest, en remettant en question le droit de propriété de l’État roumain sur les richesses minières du pays, ainsi que la création des conditions favorables pour les entreprises et le capitaux roumains.118 Les pressions effectuées par ces compagnies, soutenues également par leurs gouvernements, obligent les frères Bratianu à faire marche arrière et à accepter d’apporter quelques modifications à la loi des mines.119 Ainsi, le 6 décembre 1925, l’État roumain accordera aux sociétés pétrolières étrangères le même droit de concession et de prospection que les entreprises nationales. Par ailleurs, la

115 Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R. 310 : Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le cadre des nouvelles lois économiques. Mémoire présenté par Vintila Bratianu à la Société des Nations, août 1924, pp. 142-143. 116 Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R. 310 : Mémoire sur le rôle de la Société des Nations, de la Commission des Réparations et des Etats d’Occidents dans le relèvement de l’Europe orientale, exposé d’après l’exemple de la Roumanie, Mémoire présenté par Nicolae Titulescu, décembre 1924, pp. 21-22. 117 Sur cette question, voir TURNOCK, The Romanian economy, pp. 117-118. 118 PEARTON, Oil and Romanian State, pp. 105-134. 119 QUINLAN, Clash over Romania, p. 21.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 participation du capital roumain dans la création de nouvelles entreprises est réduite de 60% à 50% du capital total.120

L’aperçu, que nous avons donné de nouvelles lois économiques, bien qu’assez sommaire, fait toutefois apparaître l’ampleur du programme économique à réaliser et laisse entrevoir l’importance des investissements que l’État doit effectuer pour soutenir l’industrialisation de la Roumanie.

2.2. La politique d’investissement industriel : nécessité et contrainte pour Ionel et Vintila Bratianu

Le politique d’industrialisation envisagée par les frères Bratianu représente l’une des politiques de développement économique les plus ambitieuses menées en Europe centrale durant l’entre-deux-guerres, compte tenu de l’ampleur des investissements à réaliser dans ce domaine et de la situation financière du pays. Un bref aperçu de la répartition et de l’origine des investissements effectués dans le secteur industriel roumain jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale nous semble édifiant afin de démontrer la situation du capital roumain par rapport au capital étranger.

Jusqu’en 1914, l’accumulation nationale de capital est relativement faible en raison de la structure agraire de l’ancien Royaume de Roumanie, qui a considérablement freiné le développement de l’épargne roumaine. Rappelons que la population du Vechiul Regat est constituée pour 80% de paysans, qui ont des revenus très modestes, voire insuffisants pour assurer leur vie quotidienne. A cela s’ajoute, le fait que l’ancien Royaume est resté jusqu’en juillet 1878 sous la domination de l’Empire ottoman, qui a entravé l’accumulation de l’épargne domestique, par suite du paiement des différents tributs.121 Par ailleurs, les grands propriétaires terriens roumains préfèrent, ainsi que le soulignent Maria et

120 SCURTU, Documente privind istoria României pp. 126-127. 121 MURESAN, MURESAN, Istoria economiei, p. 178. 61

Dumitru Muresan, la consommation de produits de luxe, des longs séjours à l’étranger aux investissements dans le commerce, l’industrie etc.122

Cette situation a ouvert, dès le début des années 1880, la voie à la pénétration du capital étranger dans l’économie du Vechiul Regat et, plus particulièrement, dans les secteurs industriel et bancaire. A titre d’exemple, sur un montant total de 636.556.546 de lei-or, les capitaux étrangers représentaient 511.019.236 de lei-or, soit 80,2%, dont 23,56% allemands, 19,5% hollandais, 18,8% anglais, 12,9% austro-hongrois, 11,3% belges, 7,3% français, 4,8% américains, 1,4% italiens, etc.123 Par branche industrielle, les capitaux étrangers sont répartis de cette manière : 74% dans la métallurgie, 91,9% dans l’industrie pétrolière, 79% dans l’industrie du bois, 23% dans l’industrie textile et 95,5% dans l’industrie du gaz et de l’électricité. Dans le domaine bancaire, sur un montant total de 176.392.000 de lei-or, détenus par huit banques commerciales roumaines (la Banca Românesca, la Banca Generala Româna, la Banca de Credit Român, la Banca Marmorosch & Blank, la Banca Agricola, la Banca Comerciala a României, la Bank of Romania et la Banca de Scont), la somme de 106.800.000 de lei-or, soit 60%, appartenaient aux capitaux allemands, austro-hongrois, anglais, français, etc.124

En ce qui concerne la situation financière de nouvelles provinces125, il convient de préciser qu’elles bénéficiaient essentiellement des capitaux allemands et austro-hongrois. En Transylvanie, les investissements étrangers représentaient 95% dans la construction des machines, 87% dans l’industrie chimique, 79% dans l’industrie textile, etc.126 Dans le secteur bancaire, les banques autrichiennes et hongroises détenaient plus de la moitié des capitaux investis

122 MURESAN, MURESAN, Istoria economiei, p. 178. 123 Chiffres donnés par CONSTANTINESCU, L’histoire de l’économie roumaine, pp. 220-221. 124 Chiffres donnés par CONSTANTINESCU, L’histoire de l’économie roumaine, pp. 220-221. 125 Nous présentons uniquement le cas de la Transylvanie, car pour les autres provinces les données sont inexistantes. 126 Chiffres donnés par CONSTANTINESCU, L’histoire de l’économie roumaine, p. 221.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 dans cette région. Les banques allemandes représentaient 35%, alors que les banques roumaines seulement 20% du total des capitaux investis en Transylvanie jusqu’en 1914.127 Il apparaît ainsi que la finance étrangère détenait avant la Première Guerre mondiale, des deux côtés des Carpates, un rôle prépondérant dans la vie économique de la Roumanie.

Pour remédier à la faiblesse du capital national, les dirigeants roumains décident de mettre en place de nouvelles institutions de crédit industriel, destinées à fournir aux entreprises roumaines des prêts à des taux d’intérêts peu élevés.128 C’est dans cette optique que le gouvernement Bratianu a créé l’Union Générale des industriels de Roumanie, l’Union des industries minières et métallurgiques, l’Association des producteurs de pétrole et, notamment, la Société Nationale de Crédit Industriel. Cette dernière, constituée le 23 juin 1923, représente le meilleur exemple qui illustre l’intervention de l’État roumain dans la politique d’encouragement financier du secteur industriel. Constituée avec un capital de 500 millions de lei par l’action commune des Ministères des Finances et de l’Industrie (20%), de la Banque Nationale de Roumanie (30%) et de l’épargne privée roumaine (50%), la Société Nationale de Crédit Industriel (SNCI), a pour principale mission d’accorder des crédits à l’industrie, de faciliter la mobilisation des créances industrielles, ainsi que d’encourager d’une manière générale le développement industriel en Roumanie.129 Pour se procurer les fonds nécessaires, la Société Nationale de Crédit Industriel est autorisée à émettre des obligations industrielles à long terme, garanties par les hypothèques et autres sûretés réelles consenties par les débiteurs130, et des bons de caisse, à court terme, garantis par des stocks de marchandises, matières premières, etc. A la tête de cette nouvelle institution, Vintila Bratianu nomme Victor Slavescu, Directeur de la Banca Româneasca et un vieil ami.131 Pour Slavescu, la Banque

127 Chiffres donés par MURESAN, MURESAN, Istoria economiei, p. 173. 128 SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, p. 106. 129 DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, p. 445. 130 Il convient de préciser que toutes ces obligations sont amortissables en 15 ou 20 ans. 131 SLAVESCU, Victor, Note si însemnari zilnice, octombrie 1923 - 1 ianuarie 1938 (Notes et réflexions journalières, octobre 1923 - 1er novembre 1938), Vol. I, 63

Nationale de Roumanie a entièrement le devoir de soutenir le développement de l’industrie par l’intermédiaire des prêts avantageux à long terme.132 Ainsi, en 1928, les crédits accordés par la Banque Nationale à l’industrie représentent 33% du total des crédits fournis durant cette année.133 Parmi les principales entreprises créées par la Société Nationale de Crédit Industriel durant les années 1920, nous signalons la Fabrique de Câbles de Câmpia Turzii (1922), les Usines Titan - Nadrag - Calan (1924), les Usines Copsa Mica - Cugir (1925), les Usines Malaxa de Bucarest (1926), l’Industrie Aéronautique - I. A. R. Brasov (1926), etc.134 Le tableau ci-dessous illustre le rôle et la participation financière de la Société Nationale de Crédit Industriel dans le développement de l’industrie roumaine durant les années 1924-1928. Il apparaît, ainsi, que le principal secteur industriel qui bénéficie de l’aide financière de cette institution est l’industrie métallurgique avec un montant total de 713 millions de lei en 1928.

Tableau II : La Société Nationale de Crédit Industriel et les investissements industriels durant les années 1924-1928 (en millions de lei) Secteurs 1924 1925 1926 1927 1928 industriels Industrie 215 597 502 603 713 métallurgique Industrie 98 120 130 142 134 forestière Industrie 72 104 93 53 55 chimique Industrie 276 400 554 666 619 alimentaire Industrie textile 140 201 225 244 247 Industrie 51 104 103 111 111 électrique Industrie - - - 113 575 pétrolière Divers 20 46 132 166 154

Bucuresti, Editura Enciclopedica, 1996. (2e Ed.). BANCA NATIONALA A ROMÂNIEI, Viata si opera lui Victor Slavescu (La vie et l’œuvre de Victor Slavescu), Bucuresti, B.N.R., 2001. 132 BANCA NATIONALA A ROMÂNIEI, Viata si opera lui Victor Slavescu, p. 23 (Trad. du roumain). 133 MURESAN, MURESAN, Istoria economiei, p. 275. 134 BANCA NATIONALA A ROMÂNIEI, Viata si opera lui Victor Slavescu, p. 24.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Petite Industrie - 9 65 91 85 Total 872 1’581 1’804 2’189 2’693

Source : DOBROVICI, Gheorghe M., Istoricul desvoltarii economice si financiare a României si împrumuturile contractate 1823-1933 (L’historique du développement économique et financier de la Roumanie et les emprunts contractés 1823-1933), Bucuresti, Editura Universul, 1933, p. 654.

Toutefois, les données présentées ci-dessus reflètent la faiblesse des ressources financières, dont disposent Ionel et Vintila Bratianu pour soutenir l’industrialisation de la Roumanie. Le besoin de capitaux s’avère, donc, très important et détermine les dirigeants roumains à faire appel aux capitaux étrangers et, plus particulièrement, anglais et français.

Les maisons britanniques Armstrong et Vickers sont admises, dès 1925, à participer à la construction d’une fabrique d’armement à Copsa Mica et Cugir (Uzinele Metalurgice din Copsa Mica si Cugir).135 Rappelons que les Vickers ont acquis, en mai 1922, des intérêts très importants dans l’industrie métallurgique roumaine, par l’intermédiaire des usines de Resita (Uzinele de Fier si Domeniile din Resita) où ils détenaient 30% du capital total.136 Créées en 1854 par la Société autrichienne de voies ferrées (STEG), les usines de Resita constituent l’un des plus grands complexes métallurgiques de l’Europe centrale, qui réunit des mines de fer et de charbon, des fonderies et des aciéries, ainsi que des fabriques de machines et d’armement.137 Les capitaux anglais sont également acceptés dans la création de la Fabrique de Câbles de Câmpia Turzii, des

135 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (1926- 1928) : Note pour la Légation de Roumanie en Grande-Bretagne, p. 1143. 136 Sur cette question, voir DAVENPORT-HINES, Richard P.T., « Vickers and Schneider : a comparison of new British and French multinational stratégies 1916-1926 » in TEICHOVA, Alice, LEVY-LEBOYER, Maurice, Historical Studies in International Corporate Business, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, p. 129 et DAVENPORT-HINES, Richard P. T., «Vickers’ Balkan Conscience: Aspects of Anglo-Romanian Armaments 1918-1939» in Business History, 25, 1983, p. 293. 137 PERIANU, Dan Gh., Istoria Uzinelor din Resita 1771-1996 (L’histoire des Usines Resita 1771-1996), Timisoara, Ed. Timpul, 1996. 65

Usines Titan - Nadrag - Calan et des Usines Malaxa de Bucarest.138 En revanche, les capitaux français, représentés par les entreprises Blériot, Dietrich- Lorraine et Potez, participent dès avril 1925 à la création de l’I.A.R. Brasov. En 1926, leur participation financière dans cette entreprise est estimée à 45% du capital total.139

La collaboration avec les capitaux étrangers à la création des Usines de Copsa Mica et Cugir, des Usines Titan - Nadrag - Calan, des Usines Malaxa de Bucarest, de la Fabrique de Câbles de Câmpia Turzii et de l’I.A.R. Brasov démontre que les dirigeants roumains ont commencé à changer leur attitude à l’égard de participation de la finance étrangère au développement des secteurs clés de la défense nationale. La mise en place d’un système militaire de défense nationale devient progressivement la priorité du gouvernement Bratianu. Dès son retour au pouvoir, le Parti National Libéral prépare la réorganisation et l’équipement de l’armée roumaine afin de renforcer la capacité de résistance autonome de la Roumanie, car elle pourrait se révéler importante en cas de guerre et d’interruption des liaisons avec les pays alliés.140 Presque inexistante à l’issue de la Première Guerre mondiale, l’industrie roumaine de défense nationale a besoin d’importants investissements.141 Confrontés au manque de ressources financières internes, les frères Bratianu se voient obligés de solliciter en octobre 1922 la France pour l’émission d’un emprunt pour la réorganisation

138 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie (1918-1940), No. 35 : Télégramme de Paul Neyrac, Consul de France à Düsseldorf, au Quai d’Orsay (Article sur les capitaux anglais en Roumanie publié par le journal allemand Düsseldorfer Nachrichten), le 11 mai 1939, pp. 83-87. 139 OTU, Petre, « La signification du traité du 10 juin 1926 entre la Roumanie et la France » in Bâtir une nouvelle sécurité. La coopération militaire entre la France et les Etats d’Europe centrale et orientale de 1919 à 1929, Paris, 2001, pp. 499-500. 140 MIDAN, Christophe, « L’aide matérielle militaire française à la Roumanie dans les années vingt » in Bâtir une nouvelle sécurité. La coopération militaire entre la France et les Etats d’Europe centrale et orientale de 1919 à 1929, 2001, Paris, pp. 519-533. 141 ZAHARIA, Gheorghe, BOTORAN, Constantin, Politica de aparare nationala a României în contextul european interbelic, 1919-1939 (La politique de défense nationale de la Roumanie dans le contexte de l’entre-deux-guerres, 1919-1939), Bucuresti, 1981, Ed. Militara, p. 75.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 de l’armée roumaine. Malgré la conviction de Vintila Bratianu que les dirigeants français vont lui accorder rapidement l’aide financière demandée, les négociations s’avèrent longues et compl exes, en raison des conditions économiques et financières exigées par les dirigeants de Paris. Ces derniers subordonnent l’émission de l’emprunt roumain à l’envoi de matériel de guerre et aux éventuelles commandes que les autorités de Bucarest devraient passer à l’industrie française sur le produit de l’emprunt.142 Dans une lettre adressée à Poincaré, en décembre 1922, le Ministre roumain des Finances exprime son désaccord avec les exigences formulées et réclame « un changement immédiat d’attitude à l’égard d’un pays allié. »143 Dans l’impossibilité de trouver un accord avec les dirigeants français, Vintila Bratianu décide le 15 janvier 1924 de rompre les négociations. Cette décision provoque immédiatement une vive réaction à Paris, qui accuse, d’une part, l’intervention de la Grande-Bretagne auprès du gouvernement roumain et, d’autre part, les pressions des frères Bratianu pour obtenir la ratification de la Convention sur la Bessarabie.144

La première hypothèse est reprise par l’agence de presse Havas, qui écrit le 25 janvier 1924 que la décision de Vintila Bratianu est due aux pressions exercées par le Foreign Office sur le gouvernement roumain.145 Selon le communiqué de cette agence, les Bratianu hésiteraient entre l’amitié de la Grande-Bretagne et celle de la France. Ces informations provoquent l’inquiétude de Ionel Bratianu, qui se voit obligé d’informer le gouvernement français que la décision d’arrêter les négociations pour l’émission de l’emprunt roumain est due uniquement à la prolongation injustifiée de cette opération. En revanche, le Ministre roumain des Affaires Etrangères, Ion Gh. Duca, reproche à la diplomatie française, le 27 janvier 1924, d’avoir négligé la Roumanie en faveur de la Pologne et de la Yougoslavie. Rappelons que la Pologne et la Yougoslavie obtiennent en octobre

142 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România (1921-1934), No. 358 : Note pour la Légation de Roumanie à Paris, p. 2256 143 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România (1921-1934), No. 358 : Note pour la Légation de Roumanie à Paris, p. 2257 (Trad. du roumain). 144 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România (1921-1934), No. 358 : Note la Légation de Roumanie à Paris pour le gouvernement roumain, p. 361. 145 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România (1921-1934), No. 358 : Note pour la Légation de Roumanie à Paris pour le gouvernement roumain, p. 362. 67

1923 l’émission sur le marché français d’un emprunt de 400 millions de francs français et, respectivement, de 300 millions de francs français. Par la même occasion, Ion Gh. Duca dénonce l’intervention des dirigeants de Paris auprès des dirigeants roumains, afin d’imposer les intérêts économiques et financiers de quelques groupes industriels français.146 Au sujet de la question de la ratification de la Convention sur la Bessarabie, Duca s’exprime dans ces termes : « Le Gouvernement de Bucarest ne comprend pas l’attitude de la France dans le problème de la Bessarabie et, plus particulièrement, les raisons pour lesquelles Henri Béranger, dont la mauvaise réputation est bien connue dans les milieux diplomatiques internationaux, a été chargé par les dirigeants de Paris de s’occuper du différend, qui opposent la Roumanie et la Russie soviétique. »147

La décision du Gouvernement roumain de suspendre les négociations avec la France provoque également des critiques à . Les journaux tchécoslovaques publient toute une série d’articles sur cette question, visant à dénoncer la politique de diversification d’appuis occidentaux pratiquée par les frères Bratianu depuis leur retour au pouvoir. A titre d’exemple, le Prager Tageblatt, dans son édition du 28 janvier 1924, condamne le fait que les autorités de Bucarest envisagent de signer une alliance politique et militaire avec la Grande-Bretagne, alors que la Roumanie avait des accords bien définis avec la France et la Petite Entente. Ce journal reproche également aux fréres Bratianu de faire usage de leur position et de leur influence politique afin que les entreprises françaises soient exclues des affaires pétrolières de ce pays. Dans ses conclusions, le Prager Tageblatt s’interroge sur l’impact et les conséquences d’une éventuelle alliance entre la Grande-Bretagne et la Roumanie sur l’influence politique et militaire acquise par la France en Europe centrale depuis la fin de la Première Guerre mondiale.148 Malgré les tentatives de Raymond Poincaré et du

146 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds, România (1921-1934), No. 358 : Note de Ion Gh. Duca pour la Légation de Roumanie à Paris, p. 370 (Trad. du roumain). 147 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România (1921-1934), No. 358 : Note de Ion Gh. Duca à la Légation de Roumanie à Paris, p. 376 (Trad. du roumain). 148 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 : Note de la Légation de Roumanie à Paris au gouvernement de Bucarest, p. 13.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Quai d’Orsay de convaincre les dirigeants roumains de reprendre les négociations, les frères Bratianu ne changent pas leur décision. Dans une lettre adressée au Premier Ministre français, le 27 janvier 1924, le Ministre des Affaires Etrangères Duca écrit que la décision de son gouvernement ne portera aucune atteinte à l’alliance roumano-française, mais qu’à l’avenir les dirigeants de Paris devront offrir plus de garanties politiques et militaires pour la défense des frontières roumaines et, en particulier, pour la défense de la frontière avec l’Union Soviétique.149 « La Roumanie, écrit Duca, est décidée à lutter par tous les moyens contre la révision des Traités de Paix et, plus particulièrement, contre la Russie soviétique qui représente le vrai danger pour les frontières du pays. Pour la conclusion d’autres accords, elle exigera des garanties supplémentaires pour la protection de sa frontière avec l’U.R.S.S. »150

Face à l’échec des négociations avec la France et à la nécessité d’obtenir un crédit international pour la réorganisation de l’armée, Ionel et Vintila Bratianu décident de faire appel à la Grande Bretagne. En juin 1924, Vintila Bratianu se rend à Londres où il demande à Montagu Norman, Gouverneur de la Banque d’Angleterre, d’intervenir auprès des milieux financiers de la City en faveur de l’émission sur le marché anglais d’un emprunt roumain. Cet emprunt, ainsi que l’explique Bratianu, doit servir au financement de projets de développement économique de la Roumanie, qui est une condition préalable pour la reconstruction et la consolidation de la paix en Europe centrale.151 Sans se prononcer sur les possibilités de fournir à la Roumanie l’aide financière sollicitée, Norman avertit le Ministre roumain des Finances de la réticence des milieux financiers de la City à l’égard de la politique économique menée par le

149 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 : Télégramme de Ion Gh. Duca à Raymond Poincaré, 27 janvier 1924, p. 17. 150 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 : Télégramme de Ion Gh. Duca à Raymond Poincaré, 27 janvier 1924, p. 17. 151 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 : Note sur les discussions avec Montagu Norman, Gouverneur de la Banque d’Angleterre, p. 20. 69

gouvernement de Bucarest.152 En effet, les différentes lois votées par les dirigeants roumains durant l’été 1924 et, plus particulièrement, la loi des mines suscitent une forte opposition dans les milieux politiques et financiers de la City, qui excluent toute participation à l’émission d’un emprunt roumain sur le marché anglais.153 Le 5 septembre 1924, Nicolae Titulescu, Ministre de Roumanie à Londres, signale aux dirigeants de Bucarest que les banques anglaises pourraient changer d’avis s’ils décideront de modifier la loi des mines en faveur de la participation des capitaux étrangers dans l’industrie pétrolière roumaine.154 Toutefois, le 20 septembre 1924, le Gouverneur Norman annonce le gouvernement de Bucarest que l’emprunt ne pourra pas être conclu en Grande Bretagne car « les milieux financiers de la City refusent même d’aborder la question d’un éventuel emprunt roumain sur le marché anglais. »155 Les principales raisons invoquées par la diplomatie anglaise sont que les dirigeants de Bucarest mènent une politique offensive et provocatrice à l’égard de la Hongrie et de la Bulgarie et que l’aide financière demandée constituerait une véritable menace pour la paix et la reconstruction économique de l’Europe centrale.156 Il faut également préciser que l’opinion publique anglaise est hostile à la Roumanie car, ainsi que le souligne le Ministre de France à Londres, ce pays fait partie des vainqueurs de la Première Guerre mondiale et a bénéficié d’un important agrandissement territorial.157 « À ce titre, note le Ministre français, elle

152 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133, Note sur les discussions avec Montagu Norman, Gouverneur de la Banque d’Angleterre, p. 20. 153 Dans un télégramme envoyé à Vintila Bratianu le 16 mai 1924, Nicolae Titulescu, Ministre de Roumanie en Grande-Bretagne, avait insisté sur le mécontentement des milieux politiques et financiers anglais à l’égard des lois envisagées par les frères Bratianu durant l’été1924. 154 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Anglia, Vol. 39 : Télégramme de Nicolae Titulescu, Ministre de Roumanie en Grande-Bretagne, à Ion Gh. Duca, Ministre des Affaires Etrangères, le 5 septembre 1924, pp. 1245 155 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Anglia, No. 39 : Télégramme de Nicolae Titulescu à Ion Gh. Duca, le 20 septembre 1924, pp. 1247. 156 CARMI, La Grande Bretagne et la Petite Entente, p. 92. 157 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 201 : Télégramme du Ministre de France à Londres au Quai d’Orsay au sujet de la visite du roi Ferdinand à Londres, le 16 mai 1924, p. 337.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 est suspecte et doit être surveillée. »158 Le télégramme envoyé à Paris par le représentant de la diplomatie française à Londres nous renseigne également sur l’image de la Roumanie en Grande-Bretagne. La manière, dont l’opinion publique anglaise perçoit la Roumanie, est très ambiguë et illustre, de notre point de vue, l’attitude manifestée par les dirigeants britanniques à l’égard de la Roumanie tout le long de l’entre-deux-guerres. D’éventuelle poudrière à un eldorado, la Roumanie « ne représente à ses yeux [l’opinion publique anglaise] qu’une vague partie de cet inquiétant et attirant Orient européen, chaos effervescent, mais riche en potentiel économique dont on ne sait s’il faut surtout redouter l’explosion ou convoiter l’exploitation. »159

Le refus de la City d’accorder un prêt aux dirigeants de Bucarest pourrait également s’expliquer par la méfiance des dirigeants de Londres à l’égard de la capacité de la Roumanie de régler ses dettes d’avant-guerre.160 C’est également un moyen de pression sur les frères Bratianu afin de modifier les lois introduites durant l’été 1924 et, notamment, loi des mines.

L’échec du gouvernement Bratianu d’obtenir une aide financière étrangère pour assurer le développement économique de la Roumanie est vivement critiqué par les adversaires politiques du Parti National Libéral et, notamment par le Parti National de Transylvanie. Ce dernier exige le retrait immédiat du gouvernement afin de ne pas compromettre la position internationale de la Roumanie.

158 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 201 : Télégramme du Ministre de France à Londres au Quai d’Orsay au sujet de la visite du roi Ferdinand à Londres, le 16 mai 1924, p. 337. 159 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 201 : Télégramme du Ministre de France à Londres au Quai d’Orsay au sujet de la visite du roi Ferdinand à Londres, le 16 mai 1924, p. 337. 160 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România, No. 368 : Note sur l’évolution économique de la Roumanie, p. 3471. 71

3. Le retrait du Gouvernement Bratianu

Comme une dernière tentative pour consolider leur position politique les frères Bratianu décident de réaliser l’assainissement du système monétaire roumain, dont l’instabilité paralysait de plus en plus l’activité économique et commerciale du pays. Il convient de préciser que la monnaie roumaine, le leu161, enregistrait depuis la fin de la Première Guerre mondiale une forte dépréciation. A titre d’exemple, en 1922, il avait perdu 97% de sa valeur d’avant-guerre.162

Pour ce faire, Vintila Bratianu adopte le 19 juin 1925 une politique de revalorisation de la monnaie, destinée à relever la valeur du leu à celle d’avant- guerre, par la réduction progressive de la circulation monétaire.163 Cette politique sanctionne, en effet, la Convention du 19 mai 1925 conclue par Vintila Bratianu avec le Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie164, Mihail Oromolu.165 Cette Convention fixe le plafond de l’émission à 21 milliards de lei et elle oblige l’État roumain à racheter les émissions inflationnistes de la Banque Nationale166 jusqu’au 19 mai 1940.167 La politique de revalorisation prévoit, en outre, la création d’un fonds spécial, le Fonds de liquidation des émissions publiques, afin d’augmenter la garantie des prochaines émissions effectuées par la Banque

161 Leu (sg.), Lei (pl.). La valeur du leu-or de l’ancien Royaume de Roumanie est de 0,3226 gramme avec le titre de 9/10. Jusqu’en 1914, 1 franc suisse équivalait à 1 leu-or; 1 dollar équivalait à 5,18 lei et 1 livre sterling équivalait à 25,25 lei. 162 ARSENOVICI, Tiberiu, La stabilisation monétaire de la Roumanie, Paris, Jouve & Cie, 1930, p. 40. 163 Sur cette quation, voir SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, pp. 164-165. 164 Voir Annexe V : Gouverneurs de la Banque Nationale de Roumanie, 1919- 1937. 165 Diplômé de la Faculté de Droit de Paris, Mihail Oromolu est nommé Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie le 1er janvier 1922, fonction qu’il occupera jusqu’au 31 décembre 1926. Mihail Oromolu est successivement membre du Parti Conservateur, du Parti Conservateur Démocrate et du Parti National Libéral. 166 L’Etat roumain reprend en 1925 sa participation au capital de la Banque Nationale, participation abandonnée en janvier 1901. 167 Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1926 : Memoriul Bancii Nationale a României privitor la stabilizarea monetei românesti si finantarea recoltei anului 1926, le 19 juin 1926, p. 10.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Nationale de Roumanie.168 La somme des billets à retirer chaque année de la circulation doit être établie par le Ministère des Finances en collaboration avec la Banque Nationale. Cette dernière est tenue à augmenter son encaisse métallique par l’acquisition de nouvelles ressources d’or et de devises, ainsi qu’à respecter l’interdiction d’accorder tout nouvel emprunt à l’État pendant une période de vingt ans.

Malgré l’introduction de cette politique de revalorisation, la situation économique du pays ne connaît pas d’amélioration car le plafond de l’émission de 21 milliards de lei n’était pas adapté à un pays comme la Roumanie, où les besoins économiques et financiers de la population étaient très importants.169 Rappelons que la politique de revalorisation a également été appliquée en Tchécoslovaquie en 1922, par le Ministre des Finances Alois Rasin. 170

Contestée par l’opinion publique roumaine, la politique de revalorisation du leu précipite le retrait du gouvernement Bratianu. Le 30 mars 1926, pour ne pas compromettre définitivement le Parti National Libéral, Ionel Bratianu présente sa démission au roi Ferdinand. Ce dernier confie la création d’un nouveau cabinet au général Alexandru Averescu.171 Selon une analyse réalisée en 1929 par l’historien anglais Arnold Toynbee172, la nomination de Averescu à la tête du gouvernement roumain s’expliquerait par le fait que les frères Bratianu espéraient qu’il obtiendrait par ses orientations italophiles un emprunt de l’Italie.

168 SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, p. 165. 169 ARSENOVICI, La stabilisation monétaire, p. 54. 170 ARSENOVICI, La stabilisation monétaire, pp. 48-50. 171 Le Général Alexandru Averescu (1859-1938) fonde en avril 1918 le mouvement politique la Ligue du Peuple (Liga Poporului) qui, se transforme en 1920 en Parti du Peuple. Cette formation politique regroupe notamment des anciens combattants de la Première Guerre mondiale et, ainsi que le souligne Henri Prost, « tous les mécontents ». Il convient également de préciser que Averescu avait déjà assuré le gouvernement de la Roumanie à deux reprises : 11 février - 18 mars 1918 et 13 mars -17 décembre 1921. 172 TOYNBEE, Arnold, Survey of international affaires (1927), London, Oxford University Press, 1929, pp. 160-163. 73

Henri Prost, un observateur français résidant à Bucarest durant les années vingt, confirme également cette hypothèse.173

173 PROST, Henri, Destin de la Roumanie (1918-1954), Paris, Berger-Levrault, 1954, pp. 29-30.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

CHAPITRE II : LES TENTATIVES ET LES ÉCHECS DU GÉNÉRAL AVERESCU D’OUVRIR LA ROUMANIE AUX CAPITAUX ÉTRANGERS, 31 MARS 1926 - 4 JUIN 1927

Dès sa nomination à la tête du gouvernement roumain, le 31 mars 1926, le général Alexandru Averescu décide de rompre avec la politique économique et financière promue par les frères Bratianu durant les années 1922-1926 et il s’engage à ouvrir le pays aux capitaux étrangers.174 Pour le leader du Parti du Peuple, la mise en valeur des richesses minières et des sources d’énergie du pays nécessite la modification des lois et des mesures introduites par les frères Bratianu et la création de nouvelles institutions de crédit industriel.175 Quant aux capitaux étrangers, Averescu se propose, d’emblée, de soutenir leur participation au développement du secteur industriel et, plus particulièrement, des industries métallurgiques et minières, dont l’essor exige d’importantes ressources financières et compétences techniques. Le développement des usines métallurgiques de Resita et de Bucarest, la création de nouvelles entreprises, l’acquisition de nouveaux équipements et la modernisation de l’industrie minière ne représentent que quelques projets que le gouvernement Averescu souhaite réaliser avec l’aide de la finance étrangère.176

La nouvelle politique économique et financière, annoncée par Alexandru Averescu, est entièrement approuvée par le Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie, Mihail Oromolu, qui déclare le 10 avril 1926 que le retour au normal n’est possible que par la collaboration avec le capital étranger.177 Le 26 octobre 1926, la Banque Nationale publie un communiqué officiel, qui dénonce les mesures d’exclusion du capital étranger du processus de modernisation de la Roumanie, introduites par Ionel et Vintila Bratianu en 1924, ainsi que la politique

174 SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, pp. 90-91. 175 SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, pp. 90-91. 176 SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, pp. 90-91. 177 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Fonds Privés : Sir Arthur Salter’s Papers, S 123 : Article publié par le journal roumain Progresul (le Progrès), le 10 avril 1926. 75

de revalorisation du leu.178 « La Roumanie, déclare le Gouverneur Oromolu, doit immédiatement abandonner la politique d’exclusion du capital étranger suivie jusqu’ici car elle signifie la ruine du pays. »179

Les changements politiques survenus à Bucarest, par suite de la démission du gouvernement Bratianu, ainsi que l’engagement de nouveaux dirigeants d’ouvrir la Roumanie aux capitaux étrangers, suscitent immédiatement l’intérêt de plusieurs établissements financiers étrangers, qui avaient déjà manifesté leur intention d’investir dans ce pays. A titre d’exemple, le 30 avril 1926, Nicolae Petrescu-Comnen, Ministre de Roumanie en Suisse, informe le général Averescu de la discussion qu’il a eu à Berne avec Wilhelm Muehlon, un ancien directeur des usines Krupp.180 Ce dernier, qui s’était inopinément présenté à la Légation de Roumanie à Berne, a déclaré à Petrescu-Comnen qu’il a été chargé par un groupe de banques allemandes, anglaises et hollandaises de se renseigner sur les affaires industrielles à réaliser en Roumanie et, plus particulièrement, celles liées à la réorganisation des chemins de fer et au développement du secteur minier.181 Ce groupe bancaire, ainsi que Muelholm le précise, serait disposé à investir dans le pays entre 400 et 500 millions de reichsmarks et à fournir aux dirigeants de Bucarest une importante aide financière à des conditions très avantageuses.182

178 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România, Vol. 358 (Probleme economice, 1921-1934) : Déclaration sensationnelle du Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie, Mihail Oromolu, le 26 octobre 1926, p. 170. 179 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România, Vol. 358 (Probleme economice, 1921-1934) : Déclaration sensationnelle du Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie, Mihail Oromolu, le 26 octobre 1926, p. 170. 180 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (România si împrumutul pentru stabilizare, Transa I, 1928-1930) : Télégramme de Nicolae Petrescu-Comnen au Président du Conseil roumain, le Général Alexandru Averescu, le 30 avril 1926, p. 90. 181 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (România si împrumutul pentru stabilizare, Transa I, 1928-1930) : Télégramme de Nicolae Petrescu-Comnen au Président du Conseil roumain, le Général Alexandru Averescu, le 30 avril 1926, p. 91. 182 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (România si împrumutul pentru stabilizare, Transa I, 1928-1930) : Télégramme de Nicolae

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

En outre, les milieux financiers et industriels de la City commencent également à manifester leur intérêt pour la politique économique et financière, annoncée par le gouvernement Averescu.183 Nicolae Titulescu, Ministre de Roumanie en Grande-Bretagne, avertit à plusieurs reprises les autorités de Bucarest que les banques anglaises demandent des renseignements précis sur la situation économique et financière de la Roumanie, ainsi que sur les différentes possibilités d’investissements dans l’industrie pétrolière.184 Par ailleurs, le 20 mai 1926 plusieurs journaux anglais annoncent l’ouverture des négociations entre la Roumanie et la Grande-Bretagne pour l’émission d’un important emprunt roumain sur le marché de Londres.185

Il apparaît, ainsi, que le retrait des frères Bratianu ouvre une nouvelle étape dans l’évolution économique de la Roumanie. L’introduction d’une nouvelle politique économique et, notamment, l’initiative de Averescu d’ouvrir la Roumanie aux capitaux étrangers déterminent les milieux financiers et industriels occidentaux à changer leur attitude à l’égard des dirigeants de Bucarest.186 Dans le gouvernement formé le 31 mars 1926, le général Averescu confie les Finances à Ion Lapedatu, les Affaires Étrangères à Ion Mitileniu et l’Intérieur à .

Toutefois, l’arrivée au pouvoir de Averescu provoque l’inquiétude des milieux diplomatiques européens et notamment français en raison des orientations italophiles des nouveaux dirigeants de Bucarest. Les dirigeants du Quai d’Orsay,

Petrescu-Comnen au Président du Conseil roumain, le Général Alexandru Averescu, le 30 avril 1926, p. 91. 183 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România, No. 358 (1921-1934) : Télégramme de Nicolae Titulescu au Président du Conseil roumain, Alexandru Averescu, le 6 avril 1926, p. 114. 184 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România, No. 358 (1921-1934) : Télégramme de Nicolae Titulescu au Président du Conseil roumain, Alexandru Averescu, le 6 avril 1926, p. 114. 185 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România, No. 358 (1921-1934) : Télégramme de Nicolae Titulescu au Président du Conseil roumain, Alexandru Averescu, le 6 avril 1926, p. 114. 186 SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, pp. 182-183. 77

ainsi que le démontrent les documents d’archives, s’interrogent sur l’impact et les conséquences d’un éventuel rapprochement entre la Roumanie et l’Italie sur l’influence politique et diplomatique, acquise par la France dans ce pays depuis la fin de la guerre. La Tchécoslovaquie et la Yougoslavie, les deux autres alliés de la Roumanie dans le cadre de la Petite Entente, expriment également leur inquiétude à l’égard des orientations politiques des dirigeants de Bucarest car la conclusion d’un accord politique et militaire avec l’Italie affaiblirait leur alliance. Néanmoins, la nommination de aux Affaires Etrangères qui, ainsi que Henri Prost note, est « un des amis les plus éprouvés de la France »187 dissipe quelque peu les inquiétudes des diplomaties française, tchécoslovaque et yougoslave.188

Le gouvernement Averescu donne, ainsi, l’occasion à Mussolini de faire de la Roumanie l’objet d’une compétition politique et économique avec la France.189 Les intérêts en présence sont tant pour la Roumanie que pour l’Italie considérables. Pour le général Averescu, l’enjeu essentiel du rapprochement avec l’Italie est l’obtention d’une aide financière pour le développement économique du pays et la reconnaissance de l’union de la Bessarabie avec la Roumanie.190 En revanche, Mussolini, animé par le désir de consolider la présence politique et économique de l’Italie en Europe centrale au détriment de la France, veut affaiblir les positions françaises et obtenir une place privilégiée dans l’industrie roumaine et, notamment, dans le secteur pétrolier.191 Pour ce faire, Mussolini envisage la création d’une union personnelle entre la Bulgarie, la

187 PROST, Destin de la Roumanie, pp. 29-30. 188 Archives du MAEF, Paris, Z Roumanie, 37, Télégramme de Billy, le 2 avril 1927, p. 60 : « Le Ministre des Affaires Etrangères, au nom du nouveau gouvernement, m’a dit que la politique étrangère du cabinet serait entièrement conforme à celle de MM. et Duca, c’est-à-dire qu’elle s’appuierait sur les Grands Alliés et, en première ligne, sur la France. M. Mitilineu a ajouté qu’il souhaitait vivement, comme son prédécesseurs, que Votre Excellence puisse se trouver bientôt à même de signer le traité franco-roumain ». 189 TOYNBEE, Survey of international affaires (1927), pp. 160-163. 190 Il convient de rappeler que l’Italie n’a pas reconnu à Sèvres, en octobre 1920, l’union de la Bessarabie avec la Roumanie. 191 TOYNBEE, Survey of international affaires (1927), pp. 160-163 et STANCIU, Laura, « Italian multinational banking in interwar east central Europe », in Financial History Review 7, 2000, pp. 45-66.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Hongrie et la Roumanie. Ce projet, ainsi que le souligne Traian Sandu, avait pour principal objectif de rendre de la cohérence économique à l’espace danubien sous l’égide italienne.192 Par le ralliement de la Roumanie au camp bulgaro- hongrois, Mussolini détruirait la Petite Entente et l’implicitement l’influence française en Europe centrale et modifierait les frontières avec la Yougoslavie en sa faveur.193

1. Averescu, Mussolini et le développement économique de la Roumanie

Après avoir obtenu l’accord de Mussolini pour l’émission sur le marché italien d’un emprunt roumain, le général Averescu se rend à Rome le 15 juin 1926, où il devait rencontrer les dirigeants de la Azienda Generali Italiana di Petroli (AGIP). Cette société, dont l’intérêt pour l’industrie pétrolière roumaine ne peut être négligé, s’est, en effet, engagée à accorder à la Roumanie un emprunt de 200 millions de lires italiennes, au taux d’intérêt de 7%.194 « Cet emprunt, ainsi que précise la Convention signée par la Azienda Generali Italiana di Petroli et Alexandru Averescu, ne comporte aucune garantie spéciale de la part du gouvernement roumain car il constitue un emprunt de pure confiance. »195 En contrepartie, les dirigeants de Bucarest doivent s’engager d’utiliser, sur le produit de l’emprunt, la somme de 170.410.000 millions de lires italiennes pour le paiement des commandes de matériel de guerre et d’équipement pour les chemins de fer, effectuées en Italie avant la conclusion de cet emprunt.196 La Roumanie ne reçoit dans ces circonstances qu’un montant de 29.590.000 millions de lire italiennes. Quant au reboursement de ce crédit, la Azienda Generali Italiana di Petroli autorise la Roumanie à effectuer les paiements sur

192 SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 263. 193 Au sujet des divergences entre l’Italie et la Yougoslavie en lien avec la délimitation de leurs frontières, voir TOYNBEE, Survey of international affaires (1927), pp. 164-169. 194 STÂNGACIU, Anca, Capitalul italian în economia româneasca între anii 1919-1939 (Le capital italien dans l’économie roumaine durant les années 1919- 1939), Cluj-Napoca, EFES, 2004, pp. 30-32. 195 DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, p. 562. 196 DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, p. 563. 79

une période de dix ans, soit en espèces, soit en produits pétroliers.197 Pour justifier cette exigences auprès des milieux politiques roumains, le général Averescu s’exprime dans ces termes : « Cette clause nous permettra de payer chaque fois que notre intérêt l’exigera, et seulement alors, en produits de pétrole dont dipose l’État soit à titre de redevances, soit de tout autre source. »198 Par la même occasion, le gouvernement italien propose aux dirigeants de Bucarest un deuxième crédit 100 millions de lires, dont le produit doit être entièrement destiné à l’achat en Italie d’équipement pour les industries et l’agriculture roumaine.199 Toutefois, ce crédit ne sera jamais accordé à la Roumanie par manque de moyens financiers.

L’organisation de cet emprunt et, notamment, l’engagement de l’Italie de ratifier la Convention sur la Bessarabie permettent à Mussolini de soutenir la pénétration des industries et des capitaux italiens dans les entreprises pétrolières roumaines.200 Ainsi, Batistini, un des plus proches conseillers du leader italien, se rend à Bucarest durant les négociations pour l’émission de l’emprunt roumain, afin d’examiner les différentes possibilités pour l’obtention de nouvelles concessions de terrains pétrolifères.201 Le 5 août 1926, le journal italien Il Momento annonce que l’Italie souhaite s’impliquer d’avantage dans l’industrie pétrolière roumaine.202 Le 16 septembre 1926, date à laquelle l’emprunt roumain est émis sur le marché italien, nous apprenons que la Azienda Generali Italiana di Petroli a acquis de nouvelles participations dans trois sociétés pétrolières roumaines, l’Atlas Petrol, la Prahova SAR et le Petrolul Bucuresti, ainsi que le droit d’exporter du pétrole brut.203 Toutefois, la participation des capitaux italiens dans l’industrie pétrolière roumaine reste relativement modeste par rapport à celle des capitaux anglais, belges, français et

197 DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, p. 563. 198 DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, p. 562. 199 DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, p. 563. 200 SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, p. 185. 201 SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, p. 185. 202 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Italia, Vol. 62 : Extrait d’un article publié par Il Momento, le 5 août 1926, p. 27. 203 STÂNGACIU, Capitalul italian în economia româneasca, pp. 194-194.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 hollandais. Les principaux secteurs d’investissements pour les capitaux italiens sont représentés par l’industrie forestière (Foresta Româna204, Deda Bistra SA, Izvorul Alb et Goëtz)205 et par l’industrie métallurgique (Phoebus SA Oradea et Astra SA Arad206).207 En novembre 1926, la société Foresta Româna, une des plus importantes entreprises forestières de Roumanie passe sous le contrôle des capitaux italiens.208

En l’absence de ratification de la Convention sur la Bessarabie, que le gouvernement italien diffère pour le printemps 1927, le traité d’amitié signé par Averescu et Mussolini en septembre 1926 provoque dans les milieux politiques roumains des critiques violentes.209 Les frères Bratianu dénoncent la politique menée par Averescu à l’égard de l’Italie et, notamment, les concessions accordées à la Azienda Generali Italiana di Petroli en échange d’un crédit de 29.590.000 millions de lires.210 Dans son édition du 1er octobre 1926, le journal roumain Argus manifeste également son désaccord à l’égard du choix effectué par le général Averescu de se tourner vers l’Italie : « Nous ne pouvons pas négliger le fait que l’Italie - confrontée au manque de débouchés - trouve en Roumanie de grandes facilités pour résoudre son problème, alors que le problème majeur pour notre pays - le besoin de crédit - ne peut trouver en Italie

204 Créée en 1921, la Foresta Româna est une filiale de la société Foresta S.A. Milan. Cette dernière a été constituée en 1919 sous l’égide de la Banca Commerciale Italiana et de Camillo Castiglioni afin de prendre le contrôle de nouvelles industries forestières de l’Europe centrale. 205 Sur la participation des capitaux italiens à l’industrie forestière roumaine, voir STÂNGACIU, Capitalul italian în economia româneasca, pp. 72-107. 206 Les capitaux italiens, représentés par la Banca Commerciale Italiana et Camillo Castiglioni, détiennent, durant les années vingt, 84% du total des capitaux investis dans cette fabrique de wagons et de locomotives. 207 Sur cette question, voir STÂNGACIU, Capitalul italian în economia româneasca, pp. 107-116. 208 STANCIU, « Italian multinational banking in interwar east central Europe », pp. 61-62. 209 Sur cette question, voir SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, pp. 185-186. 210 SAIZU Politica economica a României între 1922 si 1928, p. 184. 81

qu’une aide très limité. »211 Les réactions et les critiques des milieux politiques roumains donnent un support au discours de la diplomatie française, qui accentue ses pressions sur le gouvernement Averescu. La rencontre du 5 novembre 1926 entre Aristide Briand et Constantin Diamandy, le chef de la diplomatie française et, respectivement, le Ministre de Roumanie à Paris, se termine par un véritable ultimatum : Bucarest doit prouver que l’entente avec la France demeure la base essentielle de sa politique et que le rapprochement avec l’Italie reste artificiel.212

Malgré les efforts de Diamandy, le général Averescu, encouragé par son Ministre de l’Intérieur Octavian Goga, refuse de faire marche arrière et s’engage à entamer les négociations pour la conclusion d’une alliance politique et économique avec la Hongrie et la Bulgarie.213 Néanmoins, le rapprochement italo-roumain sera remis en question le 5 avril 1927 par la signature du traité d’amitié italo-hongrois, auquel la Roumanie n’a pas été invitée à participer. Du fait de la contestation hongroise de l’unification avec la Transylvanie et de la non- ratification de la Convention sur la Bessarabie, Averescu se voit obligé de changer son attitude à l’égard de l’Italie et implicitement à l’égard de la France. L’attitude favorable à l’alliance avec la Hongrie et la Bulgarie a été, de notre point de vue, une stratégie des frères Bratianu, que Averescu a mis en œuvre, à la fois pour apprécier les bénéfices que la Roumanie pourrait obtenir d’un éventuel rapprochement avec l’Italie et pour déterminer la France à intervenir financièrement dans le développement économique de la Roumanie, ainsi qu’à ratifier la Convention sur la Bessarabie. Le 12 mai 1927, à la conférence de la Petite Entente de Jachimov, en Tchécoslovaquie, la Roumanie réaffirmera son appartenance à la Petite Entente et au système de sécurité français.

211 ARGUS, 1er octobre 1926, cité par SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, p. 186 (Trad. du roumain). 212 SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, pp. 267-275. 213 SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, pp. 267-275.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

2. Averescu et la réorganisation financière et monétaire de la Roumanie

L’échec des dirigeants de Bucarest d’obtenir un emprunt plus important de la part de l’Italie aboutit au retour de la Roumanie à une politique de diversification d’appuis occidentaux. Ce changement se produit au moment où le gouvernement roumain décide de demander le soutien de la France et de la Grande-Bretagne pour la réorganisation financière et monétaire du pays. Par rapport à ses prédécesseurs, Averescu décide, avec l’assentiment du Gouverneur Oromolu, de renoncer à la politique de revalorisation du leu et d’envisager une politique plus réaliste de dévaluation, suivie par la consolidation de la monnaie roumaine à l’aide des financements étrangers.214

En visite à la Banque de France, le sous-Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie, Oscar Kiriacescu, est conseillé par le Gouverneur Moreau le 2 octobre 1926 de rétablir l’équilibre de la balance des paiements par l’augmentation des exportations et par la création des conditions favorables au placement des capitaux étrangers dans le pays.215 Afin d’éviter les fluctuations saisonnières du leu, Moreau propose à la Banque Nationale de Roumanie de soutenir son cours par l’achat de devises sur le marché roumain en échange des billets émis uniquement à cet effet.216 En revanche, le Gouverneur de la Banque d’Angleterre, Montagu Norman, recommande aux dirigeants de Bucarest de présenter le projet de réorganisation financière et monétaire de la Roumanie au Comité Financier de la Société des Nations. C’est dans cette optique que Sir Arthur Salter, Directeur du Comité Economique et Financier de la Société des Nations est reçu à Bucarest, le 6 novembre 1926, par le Ministre des Finances

214 Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1926 : Memoriul Bancii Nationale a României privitor la stabilizarea monetei românesti si finantarea recoltei anului 1926, (Le mémoire de la Banque Nationale de Roumanie sur la stabilisation de la monnaie roumaine et le financement de la récolte de 1926), le 19 juin 1926, pp. 8-21. 215 MOREAU, Emile, Souvenirs d’un gouverneur de la Banque de France. Histoire de la stabilisation du Franc (1926-1928), Paris, Ed. M.- Génin, 1954, pp. 119-120. 216 MOREAU, Souvenirs d’un gouverneur de la Banque de France, pp. 119-120. 83

Ion Lepedatu et le Président du Conseil le général Averescu.217 Le journal roumain Cuvântul (Le Mot) présente dans son édition du 7 novembre 1926 la visite du représentant de la Société des Nations, qui doit se renseigner sur la situation monétaire et fiancière du pays, ainsi que sur la participation de la Roumanie à la réorganisation économique de l’Europe centrale.218 Sans donner d’avis officiel sur la situation monétaire et financière de la Roumanie, car le gouvernement Averescu n’a fait aucune démarche auprès de la Société des Nations, Salter conseille aux dirigeants de Bucarest de solliciter officiellement l’intervention technique et financière de l’institution de Genève. Les querelles politiques internes, le désordre financier et notamment l’influence de la famille Bratianu sur la Banque Nationale de Roumanie expliquent, ainsi que le souligne Anne Orde, l’attitude de Salter.219

Toutefois, un article publié dans le journal allemand Frankfurter Zeitung annonce, le 16 novembre 1926, la stabilisation imminente de la monnaie roumaine sous les auspices de la Société des Nations car « on a beaucoup remarqué ces derniers jours la présence à Bucarest de M. Salter de la Société des Nations et ses multiples conférences avec les personnalités dirigeantes des Ministères des Finances et de l’Industrie ».220 A la lecture de cet article, nous apprenons également que « Vintila Bratianu, qui a une influence considérable dans les

217 Archives de la SdN, Genève, Fonds privés : Fonds privés : Sir Arthur Salter Papers, S 123, No. 19 : Report on economic and financial situation of Romania. Sur cette question, voir également SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, p. 184. 218 Archives de la SdN, Genève, Fonds privés : Sir Arthur Salter Papers, S 123, No. 19 : Report on economic and financial situation of Romania, Cuvântul, le 7 novembre 1926. 219 ORDE, Anne, British policy and European reconstruction after the First World War, Cambridge, Cambridge University Press, 1990. 220 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : le Frankfurter Zeitung : Vers la stabilisation du leu roumain, le 16 novembre 1926 (compte rendu de l’article transmis à la BdF).

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 milieux économiques et financiers roumains n’est plus hostile à la politique de stabilisation monétaire avec l’aide des capita ux étrangers. »221

Durant le mois de novembre 1926, les dirigeants de Bucarest font également des démarches auprès de la banque anglaise Schroders pour l’émission sur le marché anglais d’un emprunt roumain.222 Ainsi, le 26 novembre 1926, Frank Tiarks, un des directeurs de Schroders, se rend à Bucarest afin d’examiner les possibilités d’accorder à la Roumanie un crédit de 30 millions de livres. Schroders envisageait de prendre comme banquier de la Roumanie, la place détenue avant la Première Guerre mondiale par la Disconto-Gesellschaft. Rappelons que Schroders avait des intérêts financiers considérables dans ce pays, par suite de l’achat d’un montant important de titres roumains d’avant- guerre, qui avaient été placés sur le marché allemand par la Disconto- Gesellschaft.223 Dès la fin de la guerre, les autorités de Bucarest, s’appuyant sur les dispositions du Traité de Versailles (article 297 B) relatives à l’annulation des créances détenues par les banques allemandes sur la Roumanie, refusaient de reconnaître et de racheter les titres détenus par la banque anglaise car ils étaient présumés appartenir à l’Allemagne.224

Les démarches entreprises par le général Averescu auprès de Schroders ne laissent pas indiférentes les banques allemandes, qui avant la Première Guerre mondiale ont joué un rôle de premier plan dans l’économie et les finances

221 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : le Frankfurter Zeitung : Vers la stabilisation du leu roumain, le 16 novembre 1926 (compte rendu de l’article transmis à la BdF). 222 BUSSIERE, Eric, « Jean Monnet et la stabilisation monétaire de 1929 : un « outsider » entre l’Europe et l’Amérique » in BOSSUAT, Gérard et Wilkens, Andres (éds.), Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la paix, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999. 223 COTTRELL, Philip, « Central bank co-operation and Romanian stabilisation, 1926-1929 » in GOURVISH, Terry (ed.), Business ans Politics in Europe, 1900- 1970, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, pp. 110-113. 224 COTTRELL, Philip, « Central bank co-operation and Romanian stabilisation, 1926-1929 », pp. 110-113. 85

roumaines.225 Ainsi, un consortium allemand dirigé par la Disconto-Gesellschaft approche le gouvernement roumain en mai 1927 en lui proposant un prêt de 200 millions de reichsmarks pour la stabilisation de la monnaie et la réorganisation des chemins de fer.226 L’action des banques allemandes s’inscrit dans les efforts de la diplomatie allemande de résoudre les problèmes financiers, qui opposent la Roumanie et l’Allemagne depuis la fin de guerre.227 Le règlement des différends financiers entre les deux pays et, notamment, de ceux liés à l’émission des « lei Generali » par la Banque Générale de Roumanie durant l’occupation de l’ancien Royaume par l’armée allemande, a pour principal objectif la reprise des échanges économiques et commerciaux entre les deux pays. Rappelons que la Banque Générale de Roumanie est chargée dès janvier 1917 par les autorités militaires allemandes d’émettre dans les régions occupées de l’ancien Royaume de Roumanie (la Valachie et l’Olténie) une nouvelle monnaie, de même dénomination et de même valeur que celle émise par la Banque Nationale. Cette nouvelle monnaie, appelée donc leu, dont le cours était déterminé par les Empires Centraux, devient jusqu’en novembre 1918 le seul moyen de paiement pour tout le territoire occupé.228 De janvier 1917 à novembre 1918, un montant total de 2.173.000.000 milliards de lei sont mis en circulation par l’Administration militaire allemande. En ce qui concerne les avantages de cette nouvelle devise pour l’Allemagne, le Directeur technique de la section d’émission de la Banque Générale de Roumanie s’exprime dans ces termes : « La création de cette section d’émission a présenté des avantages extraordinaires pour les

225 Sur cette question, voir DIOURITCH, Georges, L’expansion des banques allemandes à l’étranger : ses rapports avec le développement économique de l’Allemagne, Paris, A. Rousseau, 1909. 226 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (1928- 1930) : Télégramme de la Légation de Roumanie à Londres au Gouvernement roumain, le 2 juin1927, p. 201. 227 L’arrivée au pouvoir du général Alexandru Averescu avait déterminé, ainsi que le souligne Ioan Saizu, la volonté de la diplomatie allemande de résoudre les différends financiers avec la Roumanie et de consolider les relations économiques entre les deux pays. Voir SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, pp. 182-183. 228 Les émissions de ce papier-monnaie sont couvertes par un dépôt à la Reichsbank soit en marks, soit en couronnes-papier à raison de 100 marks pour 125 lei.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Puissances Centrales parce que, par le Traité de paix de Bucarest, ces Puissances ont imposé au Gouvernement roumain le remboursement des billets émis. La couverture de ces billets déposée à la Reichsbank de Berlin sera libérée de fait et reviendra de nouveau aux Puissances Centrales qui rentreront de cette manière gratuitement en possession des marchandises fournies par la Roumanie. L’entretien des troupes dans les territoires occupés devient également gratuit. »229 Le rachat de ces « lei Generali », effectué par la Banque Nationale de Roumanie à partir d’avril 1919 coûte à l’État roumain 7.031.571.264. milliards de lei.230

Afin de régler ce différent, le Ministre allemand des Affaires Etrangères, Gustav Stresemann, rencontre à Genève, le 20 septembre 1926, le général Alexandru Averescu. Toutefois, les discussions restent sans résultat en raison du refus du ministre allemand de résoudre la question du remboursement des « lei Generali » par le biais du plan Dawes, ainsi que l’exigeaient les autorités roumaines. Les discussions sont reprises en mai 1927, mais les conditions formulés de nouveau par le gouvernement de Bucarest détermine l’Allemagne de différer la conclusion de tout accord financier jusqu’en septembre 1927.231 Si la conclusion d’un accord financier entre les deux pays s’avère très difficile232, la normalisation des échanges économiques et commerciaux réussit à faire l’objet d’une entente entre les dirigeants allemands et roumains. Cette entente est entièrement approuvée par la la diplomatie française, qui dans le contexte de la

229 Archives SDN, Genève, Section économique et financière, R 310 : Mémoire sur le rôle de la Société des Nations, de la Commission des Réparations et des États d’Occident dans le relèvement de l’Europe Orientale exposé d’après l’exemple de la Roumanie, p. 110. 230 Le cours d’un « leu Generali » est fixé à un leu de la Banque Nationale de Roumanie. 231 Archives de la BdF, Missions financières en Roumanie, No. 1370200006/13 : Réclamation roumaine au sujet des émissions de Lei de la Banque Générale de Roumanie pendant l’occupation allemande. 232 Les négociations pour le règlement des différends financiers qui opposent la Roumanie et l’Allemagne échouent en raison des difficultés de trouver un accord sur le montant que l’Allemagne devait payer la Roumanie. Selon les évaluations allemandes, le remboursement des « lei generali » est estimé à 750 millions de lei-or, alors que les dirigeants de Bucarest exigent la somme d’un milliard de lei- or. 87

normalisation des relations franco-allemandes encourage le rapprochement économique entre la Roumanie et l’Allemagne. La question des différends financiers existants entre Bucarest et Berlin restera ouverte jusqu’au 10 novembre 1928, date à laquelle les deux pays vont signer un accord dans le contexte des négociations pour l’émission de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie.

3. La réorganisation et le développement des chemins de fer roumains

Le projet de réorganisation des chemins de fer roumains, dont l’importance a déjà été souligné par Ionel et Vintila Bratianu, est repris par le général Averescu. Ce dernier, soutenu également par le nouveau Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie, Dimitrie Burillianu233, se propose d’organiser un emprunt international pour la réalisation de ce projet en raison de l’importance des ressources financières nécessaires pour le développement rapide du réseau ferroviaire roumain. Le 29 mars 1927, lors d’un voyage à Londres, Dimitrie Burillianu admet la nécessité d’une aide financière étrangère pour la réorganisation et le développement des chemins de fer roumains et propose à la Grande-Bretagne de prendre en Roumanie l’influence et la position économique que l’Allemagne occupait avant la guerre.234

Le 7 mars 1927, Averescu réussit à signer un accord financier et industriel avec le Groupement Roumanie, une association française qui regroupe dès janvier 1927 les principales entreprises sidérurgiques, métallurgiques et mécaniques de matériel de chemins de fer susceptibles d’assurer les fournitures et les travaux

233 Après l’expiration du mandat de Mihail Oromolu le 16 janvier 1927, Dimitrie Burillianu est nommé à la tête de la Banque Nationale de Roumanie, fonction qu’il occupera jusqu’au 10 mars 1932. 234 Archives de la BdF, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/6 : Leu improvement, Government to Stabilise Exchange at its Natural Level, Statement by Dimitrie Burileano in The Financial News, le 29 mars 1927.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 de réorganisation des chemins de fer roumains.235 Cet accord prévoit l’engagement du Groupement Roumanie de fournir aux dirigeants de Bucarest tout le matériel et les équipements nécéssaires pour la reconstruction et le développement du réseau féroviaire roumain. Quant à son financement, la Roumanie obtiendrait une importante aide financière française, dont le montant devait être établi, qu’elle utilisera pour le paiement de toutes les commandes effectuées auprès des industries françaises.236

A l’origine de ce projet de collaboration économique entre les industries françaises et la Roumanie nous trouvons E. Metzger, fondateur et Ingénieur- Conseil du Groupement Roumanie.237 L’idée de Metzger de mettre en place le Groupement Roumanie date de la fin la guerre et vise à promouvoir les intérêts économiques de la France dans les nouveaux États de l’Europe centrale. Partisan du rapprochement économique entre la France et l’Allemagne, Metzger prendra l’initiative d’associer au projet roumain, malgré les réticences de la diplomatie française, les industries allemandes. Dans une lettre adressée au Président du Conseil français Raymond Poincaré, le 10 décembre 1928, il présente les raisons, qui l’ont déterminé à soutenir la participation des industries allemandes à la restauration des chemins de faire roumains. Metzger souligne l’importance de la collaboration avec les industries allemandes au sein du Groupement Roumanie en raison de l’experience et des connaissances acquises par l’Allemagne dans ce pays avant 1914. Pour justifier son initiative, Metzer s’exprime dans ces termes : « S’agissant d’un pays allié de la France, après avoir été longtemps soumis à l’influence économique allemande, il m’a semblé qu’une telle union pouvait être féconde et qu’elle devait fatalement porter le

235 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/4 : Note relative à la pénétration économique française en Roumanie, le 7 décembre 1928, pp. 1-4. 236 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/4 : Note relative à la pénétration économique française en Roumanie, le 7 décembre 1928, pp. 1-4. 237 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre E. Metzger à Raymond Poincaré, le 10 décembre 1928. 89

sceau de la prépondérence française et assurer à Paris le centre de cette opération. »238

Les efforts du général Averescu d’obtenir une aide financière internationale pour promouvir le développement de l’économie roumaine reçoivent un coup d’arrêt le 4 juin 1927. Dans l’impossibilité de réaliser un gouvernement d’union nationale, ainsi que l’avait exigé le roi Ferdinand, le général Alexandru Averescu se voit obligé de démissioner.239

Selon Traian Sandu, cette démission est entièrement organisée par Ionel et Vintila Bratianu, qui mettent en avant, pour faire passer leurs trucages électoraux, les excès italophiles et le risque d’un régime autoritaire du général Averescu.240 Les frères Bratianu ont soutenu la nomination de Averescu à la tête du gouvernement, le 30 mars 1926, afin de pouvoir refaire leur popularité, ainsi que d’éviter les critiques et les attaques directes de la véritable opposition populaire qui se met en place durant l’année 1926, par la fusion du Parti National Paysan et du Parti National de Transylvanie au sein du Parti National Paysan.241 Le 19 juin 1927, Ionel Bratianu est chargé de nouveau par le roi Ferdinand de constituer un gouvernement libéral, qui entrera en fonction le 22 juin 1927.

238 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre E. Metzger à Raymond Poincaré, le 10 décembre 1928. 239 PROST, Destin de la Roumanie, pp. 30-31. 240 SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 281. 241 SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 281.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

CHAPITRE III : LE BREF RETOUR AU POUVOIR DU PARTI NATIONAL LIBÉRAL ET LA TENTATIVE D’UNE NOUVELLE POLITIQUE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE, 22 JUIN 1927 - 10 NOVEMBRE 1928

Dès leur retour au pouvoir, les frères Bratianu annoncent l’introduction d’une nouvelle politique économique et financière, basée essentiellement sur le développement du secteur agricole et l’ouverture du pays aux capitaux étrangers. L’importance que Ionel et Vintila Bratianu accordent à l’agriculture, ainsi que l’annonce de la collaboration avec la finance étrangère s’expliquent par le fait qu’ils souhaitent consolider leur position au détriment du Parti National Paysan, dont les attaques et les critiques devenaient de plus en plus violentes.242 Cette formation politique exige, dès sa création en octobre 1926 par la fusion du Parti National Paysan de et du Parti National de Transylvanie de Iuliu Maniu, l’éloignement du Parti National Libéral de la vie politique et économique de la Roumanie.243

Pour appliquer ce nouveau programme économique, les frères Bratianu s’engagent à introduire de nouvelles mesures, visant à soutenir le développement du secteur agricole et l’amélioration des conditions de travail de la population rurale, qui représente 80% de la population totale de la Roumanie. Parmi ces mesures, nous mentionnons la création de nouvelles institutions de crédit agricole, le développement des industries basées sur l’utilisation des produits agricoles, la réduction des droits de douane sur les importations d’équipement agricole, ainsi que sur certains produits de consommation courante, etc.244 Pour ce qui est des moyens financiers nécéssaires pour la mise

242 Archives de la BdF, Paris, Missions française françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Virgil MADGEARU, La situation politique en Roumanie, , mai 1928, pp. 1-22 et SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, pp. 188-189. 243 Archives de la BdF, Paris, Missions françaises françaises en Roumnaie, No. 1370200006/13 : Virgil MADGEARU, La situation politique en Roumanie, Alba Iulia, mai 1928, p. 12. 244 DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, pp. 570-571. 91

en œuvre de toutes ces mesures,Vintila Bratianu affirme que le gouvernement roumain envisage d’entreprendre de nouvelles démarches auprès de la France et de la Grande-Bretagne, afin d’obtenir un emprunt international, dont le produit sera entièrement destiné au développement économique du pays.245

Conscient de la réticence des milieux économiques et financiers de la City à l’égard de son gouvernement, Ionel Bratianu confie le portefeuille des Affaires Etrangères à Nicolae Titulescu.246 Diplômé de la Faculté de droit de Paris en 1905, Titulescu devient, après la Première Guerre mondiale, une perssonage politique d’envergure européenne, processus largement favorisé par sa position de représentant de la Roumanie à la Société des Nations, ainsi par sa position de ministre plénipotentiaire de Roumanie en Grande-Bretagne. Défenseur de la paix internationale, de la reconstruction économique de l’Europe et de la Société des Nations, Titutlescu jouit d’un grand prestige international. En Grande- Bretagne, il est beaucoup apprécié pour ses convictions politiques en faveur de la paix internationale et la prévention de nouveaux conflits et, notamment, pour son engagement auprès de la Société des Nations. Par sa nomination aux Affaires Etrangères, les frères Bratianu visent à démontrer à l’opinion publique internationale que la Roumanie fait partie des États attachés à la consolidation de la paix internationale et, plus particulièrement, centre-européenne et à la reconstruction économique et financière du Vieux Continent.

245 DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, p. 571. 246 Professeur de droit international aux Universités de Bucarest et de Iasi, Nicolae Titulescu (1882-1941) devient à l’issue de la Première Guerre mondiale un personnage politique d’envergure européenne. Parmi les principales fonctions occupées par Titulescu durant les années 1919-1935, nous mentionnons celles de Ministre des Finances (décembre 1918 - septembre 1919), de Ministre de Roumanie à Londres (janvier 1922 - juin 1927 et novembre 1928 - 1932), de Ministre des Affaires Etrangères (juin 1927 - novembre 1928 et 1923 - 1936) et de représentant de la Roumanie auprès de la Société des Nations. En 1936, Nicolae Titulescu est démis de toutes ses fonctions officielles par le roi Carol II et il est obligé de quitter le pays pour la Suisse et, ensuite, pour la France. Il décédera quelques années plus tard en 1941 à Cannes.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

1. Les démarches effectuées par Vintila Bratianu pour l’obtention d’un emprunt international pour le développement économique de la Roumanie, juin 1927 - décembre 1927

Pressés d’obtenir une aide financière internationale pour mettre en œuvre leur nouveau programme économique, les frères Bratianu décident de s’adresser à la Grande-Bretagne. Pour ce faire, Vintila Bratianu, renommé Ministre des Finances, se rend à Londres en juillet 1927 afin de se renseigner sur les conditions et les exigences des milieux financiers de la City pour l’émission d’un éventuel emprunt roumain sur le marché anglais. Dans une entrevue avec le Gouverneur de la Banque d’Angleterre, Montagu Norman, le Ministre roumain des Finances révèle le programme économique, adopté par son gouvernement, et il insiste sur l’importance de la collaboration avec les capitaux étrangers pour assurer le développement du pays. Vintila Bratianu souligne l’importance que son gouvernement attache à la réorganisation et au développement des chemins de fer roumains, qui représentent un véritable obstacle pour la normalisation des échanges économiques et commerciaux internes et internationux de la Roumanie. C’est un projet de grande envergure, dont la réalisation exige de considérables moyens financiers. La construction de nouvelles lignes ferroviaires, l’achat de matériel et des équipements ferroviaires, l’agrandissement et l’équipement des ports et des centres de transit représentent une nécessité pour le bon fonctionnement du réseau ferroviaire roumain.247 Après avoir démandé des précisons sur la situation monétaire et financière de la Roumanie, le Gouverneur Norman conseille Vintila Bratianu de s’adresser à la Société des Nations. Cette dernière représente, ainsi que le souligne Norman, la seule institution en mesure d’accorder à la Roumanie une aide financière pour le développement économique du pays. Montagu Norman évoque le cas de la Hongrie qui, en juin 1924, avait obtenu par le truchement de la Société des

247 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, R 310 : Mémoire sur le rôle de la Société des Nations, de la Commission des Réparations et des Etats d’Occident dans le relèvement de l’Europe orientale. Exposé d’après l’exemple de la Roumanie, Mémoire présenté par Nicolae Titulescu à la Société des Nations, décembre 1924, pp. 20-21. 93

Nations un emprunt international pour la stabilisation de la monnaie et la reconstruction économique du pays.

Face à l’intransigeance de Norman d’accepter l’émission d’un emprunt roumain sur le marché anglais, les dirigeants de Bucarest décident de s’adresser à la Société des Nations. Dans ces circonstances, Vintila Bratianu se rend à Genève le 7 septembre 1927, afin de se renseigner sur les conditions et les démarches à effectuer pour l’émission d’un emprunt roumain sous les auspices de la Société des Nations.248 Reçu par Sir Arthur Salter249, Bratianu explique, en insistant sur l’importance que son gouvernement accorde à la réorganisation des chemins de fer et au développement du pays, les raisons économiques et financières qui déterminent les dirigeants roumains de faire appel à cette institution.

Salter, déjà averti par Montagu Norman des démarches effectuées par les dirigeants roumains auprès de la Banque d’Angleterre, informe Vintila Bratianu que la Société des Nations pourrait effectivement participer financièrement au processus de développement économique de la Roumanie. Par la même occasion, Salter fait savoir au gouvernement de Bucarest que l’émission d’un emprunt roumain sous l’égide de la Société des Nations implique le respect de certaines conditions et exigences. Ces conditions, ainsi que le précise Salter, sont en lien avec la stabilisation de la monnaie roumaine, le leu. La Société des Nations subordonne sa participation à l’émission de tout emprunt roumain à l’engagement des dirigeants de Bucarest de réaliser la stabilisation monétaire.250 Selon Salter, cet engagement permettra au gouvernement de consolider le crédit international de la Roumanie et d’obtenir de meilleures conditions pour l’émission d’un emprunt international. Face à la reticence de Vintila Bratianu d’accepter la

248 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Extrait d’une lettre de Charles Rist à Pierre Quesnay, le 13 septembre 1927, pp. 1-6. 249 Arthur Salter est Directeur du Comité économique et financier de la Société des Nations. 250 Sur cette question, voir Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Extrait d’une lettre de Charles Rist à Pierre Quesnay, le 13 septembre 1927, pp. 1-2.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 stabilisation du leu, Arthur Salter, soutenu également par Otto Niemeyer et Henry Strakosch, met l’accent sur les difficultés de la Roumanie d’obtenir une aide financière internationale sans réaliser la stabilisation monétaire.

Peu convaincu par les arguments relatifs à la stabilisation du leu, Vintila Bratianu demande à Salter d’ajourner les négociations de la Roumanie avec la Société des Nations afin de pouvoir consulter son gouvernement au sujet de la stabilisation monétaire. Le mécontentement, voire la déception, du Ministre roumain des Finances à l’égard des exigences formulées par la Société des Nations sont minutieusement décrits par le sous-Gouverneur de la Banque de France, Charles Rist, dans la lettre envoyée le 13 septembre 1927 à Pierre Quesnay, Directeur des Études Économiques de la Banque de France.251 Dans cette lettre, Rist fait le compte-rendu de l’entrevue privée qu’il a eu à Genève avec le Ministre roumain des Finances, le 9 septembre 1927. Ce dernier, ayant sollicité une rencontre inopinée avec Rist, explique les raisons de sa présence à la Société des Nations, ainsi que le résultats des discussions avec Sir Arthur Salter. Bratianu souligne le fait que son gouvernement ne souhaite pas obtenir un emprunt international pour la stabilisation monétaire car la réalisation du programme de développement économique conduira implicitement à la stabilisation du leu. « Ma stabilisation, affirme Bratianu, se fera toute seule, parce que la productivité du pays sera accrue.»252

Aux arguments invoqués par Salter pour réaliser la stabilisation monétaire, tels que la consolidation du crédit international de la Roumanie et des meilleures conditions pour l’émission d’un emprunt international, Vintila Bratianu explique à Charles Rist qu’il ne peut pas accepter ces raisons. Il justifie son refus en déclarant que : « D’abord, je suis décidé à me fixer un maximum pour les emprunts étrangers, et, en second lieu, il y a des groupes étrangers (Schroder

251 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Extrait d’une lettre de Charles Rist à Pierre Quesnay, le 13 septembre 1927, pp. 1-6. 252 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Extrait d’une lettre de Charles Rist à Pierre Quesnay, le 13 septembre 1927, p. 2. 95

m’a dit Monnet) qui sont disposés à me prêter même sans stabilisation.»253 Quant à l’intervention de la Société des Nations en Roumanie, Bratianu se montre très réticent, voire hostile, à une éventuelle collaboration avec cette institution en raison du contrôle financier qu’elle instaurerait sur les finances du pays. Il défend sa position en soulignant les conditions et les méthodes draconiennes utilisées par la Société des Nations en Grèce, qui a été obligée de réformer sa Banque Nationale.254 Vintila Bratianu critique également la mission et l’activité de l’institution de Genève qui, « jusqu’ici, n’a fourni son concours au relèvement financier que des pays vaincus, de ceux qui n’ont pas su trouver en eux-mêmes l’énergie de se rétablir financièrement.»255 L’intervention de la Société des Nations en Roumanie impliquerait, ainsi que Vintila Bratianu précise, un changement de procédure car « la S.D.N. doit trouver une nouvelle formule pour les pays comme le mien. Il faut en tout cas qu’elle me convainque moi d’abord256 que les conditions qu’elle pose sont nécessaires si je dois les faire accepter par mon pays. Or, j’estime qu’un pays comme la Roumanie ne peut être soumis ni à un Contrôleur ni à un Commissaire. »257

En approuvant l’attitude de son interlocuteur à l’égard de la Société des Nations, Rist conseille Vintila Bratianu d’envisager la stabilisation du leu. La politique de stabilisation monétaire, affirme Rist, « à tort ou à raison, est devenue aujourd’hui pour les marchés étrangers l’enseigne258 et la marque d’une situation

253 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Extrait d’une lettre de Charles Rist à Pierre Quesnay, le 13 septembre 1927, p. 2. 254 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Extrait d’une lettre de Charles Rist à Pierre Quesnay, le 13 septembre 1927, p. 2. 255 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Extrait d’une lettre de Charles Rist à Pierre Quesnay, le 13 septembre 1927, p. 2. 256 Souligné dans le texte. 257 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Extrait d’une lettre de Charles Rist à Pierre Quesnay, le 13 septembre 1927, p. 4. 258 Souligné dans le texte.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

économique et budgetaire définitivement consolidée. »259 Pour Rist, les dirigeants de Bucarest devraient réaliser la stabilisation monétaire avant d’envisager tout projet de développement économique. Afin de convaicre Vintila Bratianu d’accepter la stabilisation de la monnaie, Rist évoque le cas de la Pologne qui, après avoir fait des démarches auprès de la Société des Nations, s’est adressée à la Federal Reserve Bank de New York pour achever la stabilisation du zloty. Tout en admettant le point de vue de Rist, le Ministre roumain se voit obligé de dévoiler les raisons qui empêchent les autorités de Bucarest d’envisager la stabilisation de la monnaie. Essentiellement d’ordre moral et politique, les raisons évoquées par Bratianu révèlent l’inquiétude du Parti National Libéral de rester au pouvoir au détriment des attaques et des critiques du Parti National Paysan. Pour justifier son opposition à la stabilisation monétaire, Vintila Bratianu insiste sur les conséquences économiques et sociales de la stabilisation du leu : « J’ai fait la réforme agraire. Je dois quinze milliards de lei d’indémnités aux propriétaires, dont la moitié reste à payer et à trouver par des emprunts. Or, quand j’ai promis ces indemnités il s’agissait de lei-or. Vais-je par la stabilisation dépouiller deux fois mes proriétaires fonciers ? Une première fois par l’expropriation à une évaluation déjà assez basse, une deuxième fois par la dévaluation de leur titres-or en titres-papier ? »260 Il apparaît clairement que les raisons politiques des dirigeants libéraux l’emportent sur les intérêts économiques et financiers du pays.

Décidé à demander une aide financière étrangère pour assurer le développement économique de la Roumanie et non pas pour réaliser la stabilisation du leu, les frères Bratianu décident de prendre contact avec un groupe de banques allemandes, dirigé par la Disconto-Gesellschaft. Cette dernière, ainsi que l’explique Vintila Bratianu, serait disposée à accorder à son gouvernement un emprunt très important sans exiger la stabilisation monétaire.

259 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Extrait d’une lettre de Charles Rist à Pierre Quesnay, le 13 septembre 1927, pp. 3-4. 260 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Extrait d’une lettre de Charles Rist à Pierre Quesnay, le 13 septembre 1927, pp. 4-5. 97

Les banques allemandes seraient même prêtes à verser à la Roumanie une indemnité pour les « lei Generali »261, émis par la Banque Générale de Roumanie durant l’occupation du Vechiul Regat (novembre 1916 - novembre 1918) par les armées austro-allemandes. Toutefois, les divergences, qui opposent les dirigeants roumains et leurs homologues allemandes au sujet de Traité de Bucarest (7 mai 1918), font échouer les pourparlers. Malgré l’insistance de la Disconto-Gesellschaft de reprendre les négociations, Ionel et Vintila Bratianu décident de renoncer au crédit proposé par les banques allemandes. L’intention de Vintila Bratianu d’approcher la banque anglaise Schroders pourrait expliquer l’intransigeance des dirigeants roumains à l’égard des banques allemandes.

Toutefois, l’intention du Ministre roumain des Finances de faire appel à Schroders est contrecarrée par les démarches effectuées par Nicolae Titulescu, Ministre des Affaires Etrangères, auprès de la Société des Nations. En effet, Titulescu avait pris l’initiative de demander à Sir Otto Niemeyer de se rendre à Bucarest afin d’étudier la situation économique et financière du pays. Partisan de l’intervention de la Société des Nations dans la reconstruction économique et financière de l’Europe centrale, Titulescu a essayé à plusieures reprises de convaincre les frères Bratianu d’accepter la collaboration avec cette institution. Tout en approuvant l’initiative du Ministre roumain des Affaires Etrangères, le Gouverneur Norman intervient immédiatement auprès des dirigeants de Bucarest et les conseille d’accepter de travailler avec la Société des Nations. Norman intervient également auprès de Frank Tiarks, un des directeurs de la banque Schroders, et lui demande de persuader les dirigeants roumains de faire appel à l’institution de Genève.

261 Leu (sg.), Lei (pl.). Les « lei Generali » sont émis par la Banque Générale de Roumanie durant l’occupation de l’ancien Royaume de Roumanie par les armées austro-allemandes de novembre 1916 à novembre 1918.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Cependant, le 22 novembre 1927, dans un entretien avec Louis-Dreyfus262, Consul général de Roumanie à Paris, Ionel et Vintila Bratianu expriment leur intention de s’adresser aux marchés américain et français pour l’émission d’un emprunt de deux milliards de francs français.263 Les démarches entreprises par la Pologne auprès des banques américaines et françaises dès septembre 1926 en vue de l’émission d’un emprunt international pour la stabilisation du zloty et le développement économique, nous semblent être à l’origine de la décision des frères Bratianu de se tourner vers les marchés américain et français.264 Ionel Bratianu évoque même l’idée d’envoyer immédiatement à Paris afin de commencer les négociations avec les banques françaises. Dans ses Mémoires, le Gouverneur de la Banque de France, Emile Moreau, écrit avoir confié à Louis Dreyfus la mission « de suggérer à M. Jean Bratiano d’émettre un emprunt en France et aux Etats-Unis pour stabiliser le leu, sans passer par le Comité de Genève. »265

Le 24 novembre 1927, le décès inopiné du Président du Conseil roumain, Ionel Bratianu, interrompt pour quelques semaines les démarches que les dirigeants de Bucarest avaient décidé d’entrependre auprés des banques françaises.266 Succédant à son frère aîné à la présidence du Parti National Libéral, Vintila Bratianu est appelé par la Régence267 pour prendre la direction du Conseil,

262 Dans l’ouvrage de MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, p. 422, Louis-Dreyfus est également mentionné comme banquier négociant en céréales. 263 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. …. 264 DUCHÊNE, François, Jean Monnet. The first statesman of interdependence, New York, London, W.W. Norton & Compagny, p. 47. 265 MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, p. 422. 266 Rappelons que Ionel Bratianu décède le 24 novembre 1927, par suite des complications d’une laryngite infectieuse mal soignée. Les causes de son décès sont très controversées. On affirme même que Ionel Bratianu a été empoisonné par ses adversaires politiques. 267 Par suite du décès du roi Ferdinand le 20 juillet 1927, le prince Michel, âgé de cinq ans, est proclamé roi de Roumanie sous l’égide d’un conseil de Régence. Rappelons que Carol II, le fils aîné du roi Ferdinand, a renoncé à ses droits à la succession au trône de la Roumanie en 1925, en faveur de son fils Michel. Le conseil de Régence est composé du prince Nicolae, second fils du roi 99

fonction qu’il cumulera avec la gestion des Finances. Dans son discours d’investiture, Vintila Bratianu annonce le début des négociations avec les banques américaines et françaises pour l’émission d’un emprunt international, destiné à stabiliser le leu et à financer la réorganisation des chemins de fer. Pour comprendre les enjeux de cette déclaration, il nous semble nécessaire de préciser le fait que Vintila Bratianu cherche à consolider et à assurer le maintien au pouvoir du Parti National Libéral au détriment du Parti National Paysan.268

Décidé, donc, à rester au pouvoir, Vintila Bratianu confie à Victor Antonescu, Ministre de Roumanie à Paris, le 15 décembre 1927 la mission de commencer les négociations avec la Banque de France pour l’émission d’un emprunt roumain, destiné à stabiliser la monnaie et à réaliser le développement économique du pays.269

Ferdinand, du Patriarche de Roumanie Miron Cristea et du Président de la Cour de Cassation Gheorghe Buzdugan. Il exercera ses fonctions jusqu’au 5 juin 1930, date à laquelle Carol II décide de revenir en Roumanie et de se proclamer roi. 268 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Virgil Madgearu, La situation politique en Roumanie, mai 1928, pp. 19-20. 269 Sur la question de la stabilisation monétaire de la Roumanie, consulter l’ouvrage de MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, SAYERS, Richard, The Bank of England, 1891-1914, Vol. I, Cambridge, Cambridge University Press, 1976, pp. 195-199, MEYER, Richard Hemming, Bankers’ Diplomacy : Monetary Stabilization in the Twenties, New York and London, 1970, pp. 100-137 et les articles de COTTRELL, P. « Central bank co- operation and Romanian stabilisation, 1926-1929 » in GOURVISH, Terry (ed.), Business and Politics in Europe, 1900-1970, Cambridge, Cambridge University Press, 2003 et de MOURE, K. «French money doctors, central banks, and politics in the 1920s » in FLANDREAU, Marc (éd.), Money Doctors.The experience of international financial advising 1850-2000, London, 2003, pp. 138- 16 et RACIANU, Ileana, « The Banque de France, the Bank of England, and the Stabilization of the Romanian Currency in late 1920s » in QUENNOUELLE- CORRE, Laure et CASSIS, Youssef (éds.), Financial Centres and International Capital Flows in the Nineteenth and Twentieth Centuries, Oxford University Press, 2011, pp. 198-208.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

2. La Banque de France et les négociations pour l’émission de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique, 15 décembre 1927 - novembre 1928

Après avoir suivi les démarches effectuées par les dirigeants roumains dès juillet 1927 auprès de la Banque d’Angleterre, de la Société des Nations et de la Disconto-Gesellschaft, le Gouverneur de la Banque de France, Emile Moreau, est appelé à se prononcer sur les conditions et les exigences du marché français pour l’émission d’un emprunt roumain. Dans une entrevue avec Poincaré, le 7 novembre 1927, Moreau avait déjà exprimé son intérêt pour l’émission d’un emprunt roumain, visant à réaliser la stabilisation de la monnaie roumaine.270 L’objectif principal de son initiative est, ainsi qu’il affirme, de substituer, en Europe centrale, l’influence de la Banque de France à celle de la Banque d’Angleterre.271 Tout en approuvant cette initiative qui permettra également à la France de consolider l’influence acquise dans cette région depuis la fin de la Première Guerre mondiale, Raymond Poincaré avertit Moreau des éventuelles difficultés, liées aux questions politiques internes de la Roumanie. Il met l’accent sur la réticence des dirigeants roumains de stabiliser la monnaie, ainsi que sur l’opposition acerbe entre le Parti National Libéral et le Parti National Paysan, qui pourrait affaiblir la position de Ionel Bratianu, voire provoquer un changement de gouvernement.272 Toutefois, les changements politiques survenus en Roumanie, par suite du décès de Ionel Bratianu, semblent dissiper toute crainte relative à l’éloignement des Libéraux du gouvernement en faveur du Nationaux Paysans. La décision de Vintila Bratianu de réaliser la stabilisation monétaire de la Roumanie avec l’aide de la Banque de France, au détriment de la Société des Nations et de la Banque d’Angleterre, donne l’occasion au Gouverneur Moreau et implicitement à Raymond Poincaré de défendre la position et l’influence de la Banque de France et celle de la France en Europe centrale.

270 MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, pp. 421- 422. 271 MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, p. 422. 272 MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, p. 422. 101

Le 15 décembre 1927, Moreau reçoit à la Banque de France le représentant du gouvernement roumain, Victor Antonescu, chargé par Vintila Bratianu de commencer les négociations avec la Banque de France.273 Dans ses Mémoires, Emile Moreau témoigne de l’entrevue avec le représentant du gouvernement roumain, ainsi que des conseils donnés aux dirigeants de Bucarest pour garantir le succès de l’émission de l’emprunt de stabilisation monétaire et de réorganisation des chemins de fer. 274 Il explique de manière détaillée à Antonescu les étapes et les conditions générales, requises par la Banque de France pour l’organisation de cet emprunt. Afin de réaliser la stabilisation monétaire, Moreau conseille Vintila Bratianu d’entamer, dans un premier temps, des négociations avec des banques privés et de conclure un accord relatif aux conditions et aux crédits qu’elles pourront offrir pour cette opération. La Banque Nationale de Roumanie devra s’adresser, dans un deuxième temps, à la Banque de France et lui demander d’organiser un consortium de banques centrales qui participera à l’émission de l’emprunt. De cette manière, la banque centrale française se verra confier par la Banque Nationale de Roumanie la mission « de lui servir d’intermédiare pour obtenir des ouvertures de crédit des autres Banques d’Emission de façon à éviter à la Roumanie de passer par le Comité financier de Genève. »275 Dès que tous ces démarches seront réalisées, la Banque de France enverra Bucarest un représentant pour établir un rapport sur la situation économique, financière et monétaire du pays, qui constituera la base des négociations avec toutes les banques d’émission intérésées par la stabilisation de la monnaie roumaine. Par la même occasion, le Gouverneur Moreau avertit les dirigeants de Bucarest que la mise en œuvre d’un Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie implique l’instauration d’un contrôle financier sur le pays que « (...) nous nous efforcerions de rendre le moins pénible possible pour l’amour-propre

273 BUSSIERE, Eric, « Jean Monnet et la stabilisation monétaire de 1929 : un « outsider » entre l’Europe et l’Amérique » in BOSSUAT, Gérard et Wilkens, Andres (éds.), Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la paix, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, pp. 67. 274 MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, p. 452. 275 MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, p. 452.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 roumain.»276 Ce contrôle, ainsi que le précise Emile Moreau, pourra être exercé par un Français, dont le rôle principal sera de surveiller la politique monétaire de la Banque Nationale de Roumanie.277

La procédure annoncée par le Gouverneur de la Banque de France aux dirigeants roumains est en effet similaire à celle que la Pologne a suivi en 1927 en collaboration avec la Federal Reserve Bank de New York pour l’émission de l’emprunt de stablisation monétaire.278 Rappelons que la Pologne, après avoir effectué des démarches auprès de la Société des Nations, décide en septembre 1926 de faire appel à la Federal Reserve Bank de New York et aux banques privées américaines, Blair & Co. et Chase Securities Corporation, afin d’organiser l’émission de l’emprunt de stabilisation monétaire.279 La décision de la Pologne de s’adresse à la Federal Reserve Banque de New York provoque des divergences avec le Gouverneur de la Banque d’Angleterre, Montagu Norman. Ce dernier subordonne la participation de la Banque d’Angleterre à la stabilisation de la monnaie polonaise, le zloty, à l’installation d’un expert financier anglais à Varsovie, ainsi qu’au règlement des questions d’ordre politique et territorial avec ses voisins et, notamment, avec l’Allemagne.280

Afin de se décider sur leur participation à la stabilisation polonaise, les banques américaines décident d’envoyer à Varsovie une commission d’experts financiers et monétaires, dirigée par Edwin W. Kemmerer afin d’étudier la situation

276 MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, p. 452. 277 MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, p. 452. 278 Sur la question de la stabilisation monétaire de la Pologne et, plus particulièrement, sur les démarches effectuées par les dirigeants de Varsovie auprès des banques américaines voir PEASE, Neal, Poland, the United States, and the Stabilisation of Europe, 1919-1933, Oxford, Oxford University Press, 1986, pp. 40-103. Sur cette question, voir également SAYERS, Richard, The Bank of England, 1891-1914, Vol. I, Cambridge, Cambridge University Press, 1976, pp. 190-191. 279 Sur la question de la participation de la banque américaine Blair & Co. à l’organisation de l’emprunt polonais de stabilisation monétaire, voir MONNET, Jean, Mémoires, Paris, Fayard, 1956, pp. 121-124. 280 Archives de la BdF, Paris, Crédit de stabilisation à la Banque de Pologne, No. 1397199402/11 : Télégramme de Montagu Norman à Emile Moreau, le 11 janvier 1927. 103

économique et financière du pays. Sur la base du rapport établi par Kemmerer, la Federal Reserve de New York accepte d’organiser l’émission de l’emprunt polonais avec l’aide de la Banque de France et des banques privées américaines, malgré l’opposition de Montagu Norman, selon lequel la Pologne devait s’adresser à la Société des Nations. Il convient également de préciser que Norman exprime dans une lettre envoyée à Emile Moreau le regret que la Banque de Dantzig a été exclue du programme de stabilisation polonaise.281 Le programme proposé par le Gouverneur Strong durant en juin 1927 aux banques centrales européennes prévoit la stabilisation du zloty et la réorganisation de la Banque Nationale de Pologne, la réorganisation et le développement des chemins de fer et le développement économique du pays. Afin de s’assurer de l’application et de l’exécution de ce programme, la Federal Reserve de New York doit désigne un Conseiller financier. Après quelques hésitations, le choix de Strong se porte sur Charles S. Dewey, sous-directeur du Mouvement des Fonds à la Trésorerie américaine et vice-président de la North Trust Co. de Chicago.282

Le programme de stabilisation monétaire de la Pologne, présenté par le Gouverneur Strong en juin 1927, a reçu l’adhésion de treize banques centrales européennes, qui accordaient aux dirigeants de Varsovie un emprunt de 72 millions de dollars 7%, gagée sur les recettes de douane.283 Le zloty a été finalement stabilisé le 13 octobre 1927, date à laquelle la Banque Nationale de Pologne recevait pour une durée de de trois ans Charles S. Dewey, sous- directeur du Mouvement des Fonds à la Trésorerie américaine et vice-président de la North Trust Co. de Chicago, en qualité de Conseiller financier.284 Á Varsovie, la mission de Dewey consiste à surveiller et à contrôler l’utilisation des crédits provenant de l’emprunt de stabilisation et l’application du programme de

281 Archives de la BdF, Paris, Crédit de stabilisation à la Banque de Pologne, No. 1397199402/11 : Télégramme de Montagu Norman à Emile Moreau, le 17 juin 1927. 282 Cf. PEASE, Poland, the United States, and the Stabilisation, p. 106. 283 DUCHÊNE, François, Jean Monnet. The first statesman of interdependence, WW. Norton & Company, New York, p. 124. 284 Sur cette question, voir MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, pp. 390-391 et PEASE, Poland, the United States, and the Stabilisation, pp. 106-120.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 réformes monétaires et financières. Il convient de souligner le fait Dewey est Conseiller financier non seulement de la Banque de Pologne, mais également du gouvernement polonais. Nous tenons à souligner cet aspect car il ne sera pas accepté par la Roumanie. Le Conseiller financier ne sera nommé qu’auprès de la Banque Nationale de Roumanie.

2.1. Le Gouvernement roumain et la procédure annoncée par la Banque de France

Afin de prouver la volonté des autorités roumaines d’organiser l’emprunt roumain avec l’aide de la Banque de France, Vintila Bratianu demande à Emile Moreau d’envoyer à Bucarest un expert afin d’examiner la situation économique, financière et monétaire du pays. Le 29 décembre 1927, Charles Rist, sous- gouverneur de la Banque de France, informe les dirigeants roumains que la Banque de France pourra envoyer à Bucarest durant le mois de janvier 1928 Pierre Quesnay, Directeur des Études Économiques de la Banque de France, à condition que la Banque Nationale de Roumanie donne son accord avant la fin de l’année.285 Par la même occasion, Rist explique à Vintila Bratianu que l’engagement effectif de la Banque de France en Roumanie dépendra, d’une part, des conclusions du rapport établi par Quesnay et, d’autre part, de la participation de la Federal Reserve Bank de New York.286

Face à la décision de Vintila Bratianu de confier l’organisation de l’emprunt de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie à la Banque de France, les milieux financiers et bancaires britanniques manifestent immédiatement leur mécontentement. À titre d’exemple, le Gouverneur de la Banque d’Angleterre critique violemment les démarches effectuées par les dirigeants roumains et exige le « retour » immédiat à la Société des Nations. La

285 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/6 : Lettre de Charles Rist à Vintila Bratianu, le 29 décembre 1927. 286 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006//6 : Lettre de Charles Rist à Vintila Bratianu, le 29 décembre 1927, pp. 1-3. 105

principale cible des critiques de Montagu Norman est le Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie, Dimitrie Burillianu, auquel il repproche de ne pas prêter suffisamment d’attention aux intérêts monétaires et financiers roumains. Très prudent, Burillianu écrit immédiatement à Norman en affirmant que la Banque d’Angleterre sera informée constamment de toutes les démarches, réalisées par la Roumanie auprès de la Banque de France. Dans la lettre envoyée à Norman, Burillianu exprime ses regrets par rapport à la décision des dirigeants roumains d’interrompre les négociations avec la Société des Nations sans avertir la Banque d’Angleterre.

Malgré l’opposition de Montagu Norman, Emile Moreau accepte avec l’assentiment de Poincaré d’organiser l’émission de l’emprunt roumain. Dans ses Mémoires, il nous donne un apeçu des raisons qui l’ont détérminé à accepter le projet roumain. « L’impérialisme financier de M. Montagu Norman, écrit Moreau, était une menace pour nos intérêts les plus légitimes, notamment en Europe centrale, où l’influence anglaise risquait d’éclipser la nôtre, au préjudice grave de notre politique étrangère. »287 Informée de la décision de la Banque de France d’organiser l’emprunt roumain, la Banque d’Anleterre réagit immédiatement et accuse Emile Moreau de servir les visées impérialistes du Quai d’Orsay en Europe. L’implication de la Banque de France dans l’affaire roumaine est présentée par les dirigeants anglais non seulement comme un moyen pour la France d’exercer une influence politique prépondérante en Roumanie, mais encore comme une opération ayant pour principal objet de permettre à la Roumanie de réaliser un programme très important d’achat de matériel de guerre en France de manière à faciliter à l’un des États de la Petite Entente la consolidation de sa puissance militaire.288 À ses critiques, Raymond Poincaré réagit en affirmant que le Gouverneur de la Banque d’Angleterre envisageait de transformer son institution en conseiller financier officieux des banques d’émission européennes en voie de réorganisation, ainsi qu’en dépositaire des

287 MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, p. 452. 288 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/6 : Lettre du Président du Conseil Ministre des Finances à M. le Ministre des Affaires Etrangères, le 24 février 1928, p. 7.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 encaisses qui doivent servir de garantie aux monnaies nouvellement stabilisées.289 « C’était un programme d’hégémonie financière, écrit Poincaré au Quai d’Orsay, qui consistait à nous éliminer de la direction de tous les projets de réforme monétaire, à empêcher la Banque de France et les Établissements français d’obtenir avec des avantages moraux et matériels la possibilité d’exercer dans l’intérêt français une influence sur les pays qui ne peuvent se passer du concours étrangers. »290 Pour le Président du Conseil français, il est indispensable que chacun ait sa sphère d’influence et que l’or et les devises des banques d’émission soient gérés non seulement par Londres, mais également par Paris. Quant à l’organisation des emprunts internationaux, Poincaré souhaite qu’ils soient réalisés de commun accord entre la Banque de France et la Banque d’Angleterre.

2.2. La mission de la Banque de France en Roumanie pour l’organisation de l’emprunt de stabilisation monétaire et de réorganisation des chemins de fer, janvier - février 1928

Après avoir obtenu l’accord de Vintila Bratianu et du Gouverneur Burillianu, la Banque de France envoie à Bucarest le 24 janvier 1928 une mission financière, composée de Pierre Quesnay291 et de Gaston Jèze. L’objectif de cette mission est, ainsi que nous l’avons précisé, d’établir un rapport détaillé sur la situation économique, financière et monétaire de la Roumanie afin de permettre à la Banque de France de se prononcer définitivement sur sa décison d’organiser l’émission de l’emprunt sollicité par les dirigeants roumains. La mission de

289 Cf. Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/6 : Lettre du Président du Conseil Ministre des Finances à M. le Ministre des Affaires Etrangères, le 24 février 1928, pp. 7-8. 290 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/6 : Lettre du Président du Conseil Ministre des Finances à M. le Ministre des Affaires Etrangères, le 24 février 1928, pp. 7-8. 291 Sur l’activité internationale et la carrière de Pierre Quesnay, voir FEIERTAG, Olivier, « Pierre Quesnay et les réseaux de l’internationalisme monétaire en Europe » in DUMOULIN, Michel (éd.), Les réseaux économiques et le processus de construction européenne, Bern, Peter Lang, 2004, pp. 331-349. 107

réaliser ce rapport revient à Pierre Quesnay, Directeur des Études Économiques de la Banque de France. En revanche, Gaston Jèze292 qui, se rend à Bucarest à la demande du gouvernement roumain, a pour principale mission d’étudier en collaboration avec Vintila Bratianu le programme de restauration des finances publiques et de développement économique du pays. Il convient également de préciser que la mission envoyée par la Banque de France est également accompagnée par un groupe d’ingénieurs français, chargé par le Groupement Roumanie, de réaliser une enquête sur l’état et les besoins financiers des chemins de fer roumains.

À la même date, le 24 janvier 1928, les dirigeants roumains reçoivent aussi Jean Monnet et Pierre Denis, représentants en France des banques américaines Blair & Co. et Chase Cy.293 Leur présence à Bucarest s’explique par le fait que la Roumanie avait pris contact avec les banques américaines en vue de leur participation à l’émission de l’emprunt roumain. Comme la mission de la Banque de France, la mission de Monnet et de Denis consiste dans l’étude de la situation économique et financière du pays, afin de déterminer des possibilités et les moyens d’organiser l’émisson de l’emprunt roumain sur le marché international, mais principalement sur le marché américain et accessoirement sur le marché français.294

Dans le rapport remis à la Banque de France le 12 février 1928, Pierre Quesnay et Gaston Jèze affirment que la Roumanie, malgré le grand désordre qui règne au Ministère des Finances et à la Banque Nationale, se trouve dans des

292 Gaston Jèze est professeur de Finances publiques et de Droit public à la Faculté de Droit de Paris. 293 Sur cette question, voir BUSSIERE, Eric, « Jean Monnet et la stabilisation monétaire de 1929 : un « outsider » entre l’Europe et l’Amérique » in BOSSUAT, Gérard et Wilkens, Andres (éds.), Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la paix, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, pp. 63-77, DUCHÊNE, Jean Monnet. The first statesman of interdependence, 1994, p. 47 et MONNET, Mémoires, pp. 124-126. 294 Archives BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/6 : Lettre du Président du Conseil, Ministre des Finances à M. le Ministre des Affaires Etrangères, le 24 février 1928.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 conditions favorables pour réaliser la stabilisation de sa monnaie, le leu. Selon Quesnay, la stabilisation du leu pourra être réalisée avec toutes les chances de succès compte tenu aussi du fait que la Banque Nationale de Roumanie et le gouvernement sont favorables à la nomination d’un conseiller technique français pour une durée de trois ans.295 Quant à la réorganisation des chemins de fer, Gaston Jèze, après avoir analysé les enjeux financiers et politiques du rapport rendu par la mission d’ingénieurs français, met l’accent sur l’importance de ce projet pour la France. Dans une entrevue avec Poincaré, il estime également que la stabilisation de la monnaie roumaine peut être entreprise avec succès et que la présence à Bucarest d’un Conseiller technique français auprès de la Banque Nationale de Roumanie et de l’Administration des Chemins de Fer roumains représente une garantie très importante. Le seul point sur lequel la Banque de France et Vintila Bratianu devront se mettre d’accord est la nomination du Conseiller financier auprès de la Banque Nationale de Roumanie et non pas auprès du gouvernement roumain. Pour cette question, Vintila Bratianu demande des garanties très claires.

Quant au rapport sur la situation des chemins de fer roumains, Leverve se montre plus pessimiste et affirme qu’il est difficile de connaître les besoins financiers des chemins de fer roumains car la dernière évaluation effectuée par les dirigeants de Bucarest date de l’année 1923.296 En l’absence de toute évaluation financière, Gaston Leverve avertit la Banque de France qu’il lui est très difficile de se fier aux informations fournies par les dirigeants roumains. À titre d’exemple, Leverve précise que les chiffres qui lui ont été mis à disposition par le gouvernement de Bucarest pour l’année 1927 sont très différents de ceux qui lui ont été fournis antérieurement. Son principal constat est que, malgré le

295 Archives BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/6 : Lettre du Président du Conseil, Ministre des Finances à M. le Ministre des Affaires Etrangères, le 24 février 1928, p. 2. 296 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/6: Lettre de Gaston Leverve à Charles Rist, le 21 janvier 1928 (projet de rapport). Il convient de souligner le fait que les chemins de fer ont été intégrés jusqu’au 17 juin 1925 dans le Ministère des Travaux Publics et, donc, leur budget faisait partie du budget général roumain. 109

statut d’autonomie des chemins de fer, les dirigeants de Bucarest continuent à intervenir dans leur gestion financière tout en imposant la gratuité des transports pour de nombreux ministères.297 Cela explique en grande partie la dette arriérée de 3 milliards de lei de l’Administration des Chemins de Fer du Royaume de Roumanie. « Cette dette, affirme Leverve, est bien supérieure à la part de l’emprunt qu’on envisage de donner aux chemins de fer comme fonds de roulement, soit 9 millions de dollars. »298 En ce qui concerne l’organisation administrative des chemins de fer, la situation semble aussi décourager Gaston Leverve. Afin de pouvoir estimer correctement les besoins des chemins de fer, il suggère de procéder immédiatement à l’établissement d’une comptabilité détaillée et fiable. Leverve sollicite également l’intervention de Moreau auprès des dirigeants roumains afin qu’ils commencent à payer régulièrement les transports effectués par l’Administration des Chemins de fer du Royaume de Roumanie.

En s’appuyant sur les rapports de Quesnay, de Jèze et de Leverve, ainsi que sur l’approbation de Raymond Poincaré, le Gouverneur Moreau décide de commencer avec l’aide de Charles Rist la préparation du programme d’émission de l’emprunt roumain. Sur la base de ce programme, la Banque de France devra s’adresser et inviter la Federal Reserve Bank de New York et les banques centrales européennes à participer à l’ouverture en faveur de la Banque Nationale de Roumanie d’un crédit de 20 millions de dollars. Les démarches effectuées par la Banque de France auprès de différentes banques d’émission américaine et, notamment, européennes à partir de mars 1928 s’annonce immédiatement longues et très complexes.

297 La loi du 17 juin 1925 qui accorde aux chemins de fer l’autonomie administrative et financière n’est pas respectée car les décisions relatives aux questions de tarifs, de fonctionnement et de politique économique étaient prises par le Ministère des Communications. Malgrè les modifications apportées à cette loi, le 13 août 1927, l’autonomie des chemins de fer ne sera que théorique et elle continuera à être régie par le pouvoir politique. Sur cette question, voir SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, pp. 120-122. 298 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/6: Lettre de Gaston Leverve à Charles Rist, le 21 janvier 1928 (projet de rapport), p. 3.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

2.3. Les Banques centrales américaine et européennes et le programme de stabilisation de la monnaie roumaine

Les réactions des banques centrales européennes, ainsi que celles de la Federal Reverve Bank de New York à l’égard de cette opération sont fort diverses. À Londres et à Berlin, Montagu Norman et Hjalmar Schacht s’y montrent, d’emblée, hostiles. En revanche, Benjamin Strong se prononce en faveur de la participation de la participation de son institution à l’émission de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire. Afin de mieux comprendre les réactions et les enjeux de la stabilisation roumaine, nous présentons l’exemple des négociations avec la Banque d’Angleterre, la Federal Reserve Bank de New York, la Reichsbank et la Banque Nationale Suisse.

2.3.1. Montagu Norman, la Banque d’Angleterre et la stabilisation de la monnaie roumaine

Informé officiellement le 5 février 1928 par le Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie, Dimitrie Burillianu, des démarches effectuées par Vintila Bratianu auprès de la Banque de France et des banques américaines, Montagu Norman exprime immédiatement son désaccord à l’égard de la procédure choisie par les dirigeants de Bucarest. Il convient de rappeler que le 19 décembre 1927, Burillianu avait envoyé à Norman une lettre dans laquelle il exprimait « le grand désir de développer le plus possible les relations entre nos deux banques, de la façon la plus satisfaisante pour les deux parties » 299 et proposait d’envoyer à Londres le sous-gouverneur de la Banque Nationale Kiriacescu.

Dans la lettre envoyée à Burillianu le 8 février 1928, Norman reproche aux dirigeants roumains de ne pas avoir tenu compte de ses conseils de s’adresser la Société des Nations. Norman demande immédiatement des éclaircissements

299 Archives BdF, Paris, Fonds Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre de Dimitrie Burillianu à Montagu Norman, le 19 décembre 1927, p. 1. 111

sur la présence à Bucarest des banquiers privés, ainsi que sur l’attitude des dirigeants de la Banque Nationale à l’égard des conventions antérieures intervenues entre la Banque d’Angleterre et la Banque Nationale de Roumanie. Provoquant une vive émotion et l’inquiétude des dirigeants de la Banque Nationale, la lettre de Norman conduit le Gouverneur Burillianu à envisager d’envoyer à Londres une mission afin de fournir les explications nécessaires et, éventuellement, trouver une solution susceptible de donner satisfaction au Gouverneur de la Banque d’Angleterre.

Toutefois, Pierre Quesnay, informé des intentions de Burillianu, conseille aux dirigeants de la Banque Nationale de ne pas réagir aux menaces de Norman.300 Sur les conseils et les insistances de Quesnay, Burillianu se contente de répondre à Norman que la Banque Nationale de Roumanie tiendra la Banque d’Angleterre au courant du développement des négociations avec la Banque de France pour l’émission de l’emprunt de stabilisation monétaire.301 Quant aux conventions mentionnées par Norman dans sa lettre, il convient de préciser qu’il s’agissait, en effet, d’un accord signé par le gouvernement Averescu et la Banque d’Angleterre pour la réorganisation des finances sous l’égide de la Société des Nations. Dans ce cas, l’émission de l’emprunt roumain aurait été effectuée sous le patronage de la banque anglaise Schroders, dont l’objectif été de prendre la place que la Disconto-Gesellschaft occupait en Roumanie avant la Première Guerre mondiale. Mais, les frères Bratianu s’opposent à l’émission de cet emprunt sous le patronage de Schroders en raison du fait que le siège de la banque anglaise pour les pays de l’Europe centrale et de la Petite Entente était situé à Budapest. « Il était politiquement impossible, affirmait Vintila Bratianu, dans les régions de la nouvelle Roumanie où l’esprit national n’est pas encore complètement consolidé, de concevoir que les crédits nécessaires au

300 Rappelons que Pierre Quesnay se trouvait à ce moment-là à Bucarest. 301 Archives BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/6 : Lettre de Dimitrie Burillianu à Montagu Norman, le 10 février 1928.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 développement de l’économie du pays fussent répartis d’ailleurs que de Bucarest même.»302

Afin d’empêcher l’émission de l’emprunt roumain sous l’égide de la Banque de France, Montagu Norman confie, ainsi que l’affirme les dirigeants de Paris, à Otto Niemeyer la mission de fournir au Gouverneur Benjamin Strong des renseignements erronés sur la participation de la Banque de France à cette opération. Ainsi, Niemeyer aurait déclaré à la Federal Reserve Bank de New York que la Banque de France, servirait involontairement les visées impérialistes du gouvernement de Paris en Europe Centrale.303 Quant à l’emprunt roumain, Otto Niemayer l’aurait présenté aux dirigeants américains comme un moyen pour la Roumanie de réaliser un programme très important d’achat de matériel de guerre en France afin de permettre à la Petite Entente de consolider sa puissance financière et militaire.304 Face à ces informations, le Gouverneur Strong, très inquiète demande immédiatement des explications à la Banque de France et suggère même à Emile Moreau de proposer à la Roumanie de s’adresser à la Société des Nations. Dans ces circonstances et pour dissiper les craintes de la Federal Reserve Bank de New York au sujet des motivations de la Banque de France d’organiser l’émission de l’emprunt roumain, Emile Moreau décide, avec l’accord de Poincaré, à New York Pierre Quesnay. La tentative de Montagu Norman de dissuader le Gouverneur Strong de soutenir la Banque de France dans l’affaire roumaine est fortement critiquée par Poincaré. Pour ce dernier, l’intervenion auprès de Strong visait à permettre à Norman de réaliser un programme « d’hégémonie financière, qui consistait à nous éliminer de la direction de tous les projets de réforme monétaire, à empêcher la Banque de France et les banques françaises à obtenir, avec des avantages moraux et

302 Archives BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No : 1370200006/9 : Note de Pierre Quesnay à Emile Moreau, le 5 février 1928. 303 Archives BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No : 1370200006/9 : Note de Pierre Quesnay à Emile Moreau, le 5 février 1928, p.7. 304 Archives BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Note de Pierre Quesnay à Emile Moreau, le 5 février 1928. 113

matériels la possibilité d’exercer dans l’intérêt français une influence sur les pays qui ne peuvent pas se passer du concours étranger. »305

Afin de discuter avec Norman de l’affaire roumanie, Emile Moreau et Pierre Quesnay se rendent le 21 février 1928 à Londres. Le principal objectif de ce voyage est, ainsi que le note Moreau : « d’offrir à Norman la paix ou la guerre. C’est toute notre influence en Europe centrale qui est un jeu. »306 A leur grande surprise, ils ne sont par reçus par Norman, mais par le vice-gouverneur de la Banque d’Angleterre, Lubock. Se montrant favorable au projet roumain de stabilisation monétaire avec l’aide de la Banque de France, Lubock déclare que la Banque d’Angleterre s’engage à soutenir le programme de stabilisation que la Banque de France établira en collaboration avec la Federal Reserve Bank de New York.307 Toutefois, quelques jours plus tard le 29 février 1928, Lubock envoie une lettre à Moreau qui remet en question l’engagement de la Banque d’Angleterre de soutenir le projet roumain car le Gouverneur Norman n’avait pris aucune décision à ce sujet.308 Malgré le fait qu’il prévient les dirigeants de la Banque de France de tout faire pour que la stabilisation de la monnaie roumaine soit réalisée avec l’aide de la Société des Nations, Norman laisse entendre que la participation de la Banque d’Angleterre à l’emprunt roumain est entièrement subordonnée à celle de la Federal Reserve Bank de New York, ainsi qu’à la conclusion d’un accord financier entre la Roumanie et le Stock Exchange.309 Selon Emile Moreau, ce changement d’attitude s’expliquerait par la volonté de Montagu Norman de donner satisfaction à Frank Tiarks, en réservant à la maison Schroders et aux banques allemandes la possibilité de travailler en Roumanie à l’exclusion de tout autre groupement. En visite à Paris, Siepmann se voit conseillé par Quesnay d’abandonner toute tentative d’entraver l’organisation de

305 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Note de Raymond Poincaré à Emile Moreau, le 25 février 1928. 306 MOREAU, Souvenirs d’un gouverneur de la Banque de France, p. 505. 307 MOREAU, Souvenirs d’un gouverneur de la Banque de France, p. 507. 308 MOREAU, Souvenirs d’un gouverneur de la Banque de France, p. 512. 309 Archives BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/10 : Stabilisation monétaire et développement économique en Roumanie : Lettre de l’Ambassadeur de France à Londres, de Fleuriau au Ministre des Affaires Etrangères, le 1er août 1928, pp. 1-2.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 la stabilisation de la monnaie roumaine car la Banque de France n’a pas l’intention d’y renoncer. De retour à Londres, Siepmann informe les dirigeants de la Banque de France que la Banque d’Angleterre renonce à diriger toute campagne destinée à amener la Roumanie devant la Société des Nations, mais que son participation reste liée à celle de la Federal Reserve Bank de New York.

La principale difficulté à résoudre, afin que la Banque d’Angleterre participe à l’émission de l’emprunt roumain, est de différencier l’emprunt de stabilisation de celui de 1922, coté à Londres aux environs de 48%. De cette manière, les souscripteurs anglais pouvaient être attirés vers l’emprunt de stabilisation plutôt que d’acheter l’ancien. Afin de donner satisfaction aux dirigeants anglais, Charles Rist propose de donner au nouvel emprunt des sécurités et des gages dont ne bénéficie pas le précédent, qui est entièrement gagé sur l’ensemble des actifs de l’État roumain.310 Cette proposition consiste, en effet, à substituer à l’État roumain comme emprunteur une Caisse Autonome des Monopoles du Royaume de Roumanie qui bénéficiera du droit exclusif d’exploiter les monopoles, qui sont actuellement exploités par la Régie des Monopoles du tabac et des poudres. Par ailleurs, cette Caisse Autonome des Monopoles recevra la personnalité civile et sera chargée de faire des emprunts pour le développement économique du pays et versera à la Banque Nationale de Roumanie à un compte spécial au fur et à mesure de leur perception, deux tiers des recettes brutes des monopoles. Après la constitution des provisions prévues par le contrat d’emprunt la Caisse Autonome des Monopoles pourra retirer de ce compte le solde des revenus bruts et le revenu net disponible reviendra à l’Etat. Les emprunts contractés par la Caisse Autonome des Monopoles constitueront, en effet, une obligation directe de celle-ci. Leur service sera assuré par une affectation de premier rang du produit brut des monopoles et des autres ressources et actifs de la Caisse et le paiement du service des obligations de la Caisse Autonome sera garanti par l’État roumain. Cette garantie générale de l’État accordée aux emprunts de la Caisse Autonome sera une charge de

310 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Lettre de Charles Rist à George Harrisson, le 25 juillet 1928. 115

premier rang sur l’ensemble des revenus et actifs de l’État, venant après l’emprunt extérieur de 4% en 1922.

Toutefois, l’inquiétude de Charles Rist est de savoir si le Stock Exchange de Londres consentira à voir dans cette Caisse Autonome des Monopoles du Royaume de Roumanie une entité suffisamment distincte de l’État roumain pour que les gages de l’emprunt nouveau ne soient pas automatiquement affectés à l’emprunt de 1922 lequel jouit déjà d’une garantie générale sur toutes les ressources de l’Etat. Dans ce cas, la différence entre les deux emprunts disparaîtra et les conditions plus favorables auxquelles on voudrait émettre le nouvel emprunt ne seraient plus possible.

2.3.2. La Federal Reserve Bank de New York et la stabilisation monétaire de la Roumanie

Le 18 mars 1928, Charles Rist et Pierre Quesnay se rendent à New York afin de présenter au Gouverneur Strong le projet établi par la Banque de France pour l’émission de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique. Il convient de rappeler que ce voyage est d’une très grande importance car l’action de la Banque de France en faveur de la Roumanie, ainsi que le changement de l’attitude de la Banque d’Angleterre à l’égard de cette opération, dépendent entièrement de la décision des dirigeants de la Federal Reserve Bank de New York. Des États-Unis, Rist informe à plusieurs reprises les dirigeants de Bucarest des difficultés de faire connaître la situation économique et financière réelle de la Roumanie en raison des informations erronées fournies aux dirigeants de la Federal Reserve Bank par la Banque d’Angleterre.311

Malgré les tentatives de Montagu Norman de convaincre la Federal Reserve Bank de New York de conseiller la Roumanie de s’adresser à la Société des

311 Archives de la BdF, Paris, Missions financières en Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre de Charles Rist à Vintila Bratianu, le 12 avril 1928.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Nations, Strong prend position en faveur des démarches effectuées par la Banque de France pour la création d’un consortium de banques centrales, chargé de fournir à la Banque Nationale de Roumanie un crédit de stabilisation monétaire.312 « Afin de ne pas nous laisser seuls avec Roumains, Polonais, Tchéco-Slovaques et quelques autres en face de la Banque d’Angleterre, Federal Reserve Bank est, donc, disposée à nous suivre même si Norman refuse » écrit Rist à Moreau le 21 mars 1928.313 Le 22 mars 1928, le Gouverneur Strong décide de communiquer sa décision à la Banque d’Angleterre en conseillant ses dirigeants de participer à cette opération.

2.3.3. La Reichsbank et le règlement des emprunts roumains d’avant-guerre

Le 14 avril 1928, le Président de la Reichsbank Hjalmar Schacht est informé par Emile Moreau de l’intention de la Banque Nationale de Roumanie a confié à la Banque de France la mission de stabiliser le leu à l’aide d’un crédit semblable à celui qui a été accordé à la Belgique, à l’Italie et à la Pologne.314 La Banque de France, ainsi que l’explique Moreau, a accepté de s’entretenir de la question avec les principales banques d’émission et d’établir avec leur collaboration les conditions pour l’octroi à la Banque Nationale de Roumanie d’un crédit de 20 millions de dollars.

Après avoir présenté le projet à la Banque d’Angleterre et à la Federal Reserve Bank de New York, la Banque de France demande à la Reichsbank de faire connaître son point de vue. Pour ce faire, Emile Moreau et Pierre Quesnay se rendent à Berlin le 5 mai 1928 afin de s’entretenir avec les dirigeants de la

312 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/10 : Télégramme de Charles Rist à Emile Moreau, le 21 mars 1929. 313 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/10 : Télégramme de Charles Rist à Emile Moreau, le 21 mars 1929, p. 1. 314 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre du Gouverneur de la Banque de France au Président de la Reichsbank, le 14 avril 1928. 117

Reichsbank de stabilisation de la monnaie roumaine. Il convient de préciser que les journaux français présentent cette visite comme « un fait sans précédent »315 et « un pas de plus pour la restauration monétaire de l’Europe. »316

Partisan de la coopération des banques centrales à la reconstruction économique et financière de l’Europe, Hjalmar Schacht approuve l’intiative de la Banque de France de soutenir le projet de la Banque Nationale de Roumanie.317 Pour ce qui de la participation de la Reichsbank à ce projet, Schacht attire l’attention de Moreau sur la nécessité de trouver une solution aux différends financiers qui opposent l’Allemagne et la Roumanie depuis la fin de la Première Guerre mondiale.318 La Reichsbank subordonne, ainsi, sa participation à l’emprunt roumain à la signature d’un accord financier entre les gouvernements allemand et roumain. Par la même occasion, le Président de la Reichsbank demande aux dirigeants de la Banque de France d’intervenir auprès du gouvernement de Bucarest et de la Banque Nationale de Roumanie de résoudre ces problèmes avant de solliciter le concours financier des banques allemandes.319 Ces dernières, « dont le concours est au plus haut point souhaitable en raison de leurs relations antérieures avec la Roumanie »320, ne participeront à cette opération que sur la recommandation de la Reichsbank. Hjamlar Schacht informe les dirigeants de la Banque de France qu’il mettra

315 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Coupures de presse (Information) : M. Moreau à Berlin, le 5 mai 1928. 316 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Coupures de presse, M. Moreau à Berlin et l’opinion allemande, le 5 mai 1928. 317 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre du Président de la Reichsbank au Gouverneur de la Banque de France, le 5 mai 1928. 318 Archives de la BdF, Paris, Fonds Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre du Président de la Reichsbank au Gouverneur de la Banque de France, le 5 mai 1928, p. 2. 319 Archives de la BdF, Paris, Fonds Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre du Président de la Reichsbank au Gouverneur de la Banque de France, le 5 mai 1928, p. 6. 320 Archives de la BdF, Paris, Fonds Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre du Président de la Reichsbank au Gouverneur de la Banque de France, le 5 mai 1928, p. 6.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 personnellement au courant la Federal Reserve Bank de New York et la Banque d’Angleterre de l’impossibilité du marché allemand de participer à l’émission de l’emprunt roumain si les différends financiers entre les deux pays ne sont pas résolus avant l’organisation cette émission.

Les différends financiers auxquels Schacht fait référence dans sa lettre à Moreau sont en lien avec l’obligation de l’Allemagne de rembourser à la Roumanie les sommes déposées à la Reichsbank durant la Première Guerre mondiale pour la couverture des « lei Generali » et le règlement des dettes roumaines d’avant-guerre. Rappelons que le 18 janvier 1917, pendant l’occupation allemande du territoire roumain, le Maréchal Mackensen a ordonné l’émission par la Banque Générale de Roumanie de billets ayant cours légal sur le territoire roumain occupé. Cette émission qui a dépassé 2 milliards de lei et, dont la couverture avait atteint 1 600 millions de mark, a eu pour principal but de permettre à l’Allemagne et à ses alliés de recevoir gratuitement des marchandises provenant du territoire occupé.321 Après la capitulation de la Roumanie, en février 1918, le traité imposé par l’Allemagne stipulait que la Roumanie devait acquitter, sur ses propres fonds, les billets émis par la Banque Générale de Roumanie, afin de libérer la couverture. L’article 259, paragraphe 6, du Traité de Versailles stipulait que : « l’Allemagne s’engage à transfsérer respectivement, soit à la Roumanie, soit aux principales puissances alliées et associées, touts les intruments monétaires, espèces, valeurs et instruments négociables en produits, qu’elle a reçu en vertu ou en exécution des Traités de Bucarest et de Brest-Litovsk. »322 Le 18 mai 1921, le gouvernement allemand propose à la Roumanie de lui verser les marks dépréciées déposées à la Reischbank, ainsi que d’utiliser le dépôt se trouvant à Berlin pour la couverture des « lei-Generali » pour le paiement des locomotives commandées en

321Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Rapport établi par Gaston Jèze sur l’origine des divergences financières entre la Roumanie et l’Allemagne, le 6 juin 1928, pp. 2-3. 322 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Point de vue du Gouvernement roumain au sujet de l’obligation de l’Allemagne de rembourser la couverture de l’émission des billets de la Banque Générale de Roumanie, le 3 mars 1928, pp. 1-4. 119

Allemagne. Toutefois, le Gouvernement allemand refuse de reconnaître le principe même d’une obligation de sa part envers la Roumanie, attendu que le Traité de Versailles fixe toutes ses obligations et ne parle pas de l’obligation de payer les sommes déposées à la Reischbank pour la couverture des billets émis. En juillet 1924, le gouvernement allemand transmet aux dirigeants de Bucarest que, même en admettant le principe de son obligation, cette obligation rentre dans les annuités du Plan Dawes, ce qui dispensait l’Allemagne de verser quoi que ce soit à la Roumanie.323 Le litige en question fait l’objet de négociations directes entre l’Allemagne et la Roumanie durant l’été 1927, par suite du projet des dirigeants de Bucarest d’émettre un emprunt sur le marché allemand.324 Toutefois, les divergences liées à l’évalutation du montant que l’Allemagne devait rembouser à la Roumanie ont fait échouer ces négociations.325

Sur les recommandations du Gouverneur Moreau, Vintila Bratianu se voit obligé en juin 1928 d’entamer de nouvelles négociations avec le gouvernement allemand, afin de s’assurer la participation du marché allemand à l’émission de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique. La mission d’ouvrir les pourparlers avec les dirigeants allemands revient à Nicolae Petrescu-Comnen, Ministre de Roumanie à Berlin. Les négociations s’avèrent rapidement difficiles et complexes. Tout en affirmant que la participation de la Reichsbank à l’émission de l’emprunt roumain est liée au

323 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Rapport établi par Gaston Jèze sur l’origine des divergences financières entre la Roumanie et l’Allemagne, le 6 juin 1928, p. 4. 324 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Réclamation roumaine au sujet des émissions de lei de la Banque Générale de Roumanie pendant l’occupation allemande, 1928, p. 4. 325 Cf. au Mémorandum remis par la Roumanie en juillet 1924 à la Conférence de Londres, la somme que l’Allemagne doit rembourser à la Roumanie représente un milliard de lei-or.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 règleent des différends financiers, Schacht avertit les dirigeants de Bucarest que la durée des négociations ne dépendra que d’eux.326

Le 21 juin 1928, Charles Rist est informé par Vintila Bratianu de l’échec des négociations avec Berlin, malgré les concessions faites par la délégation roumaine dans le désir d’obtenir le concours allemand pour la stabilisation roumaine. Dans ces négociations, ainsi que le souligne Bratianu, le gouvernement roumain avait accepté pour la première fois à lier la question des rentes allemandes d’avant guerre aux créances roumaines dérivant de l’émission des billets de la Banque Générale de Roumanie.327 Le paiement des rentiers allemand devait être effectué par le gouvernement allemand en compensation partielle des indemnités qui étaient dues à la Roumanie pour les billets de la Banque Générale de Roumanie à la seule condition que notification soit faite à la Roumanie d’un solde créditeur en faveur de la Roumanie. Cette notification devait préciser le fait qu’il résultait du total de créances allemandes un solde créditeur en faveur de l’Etat roumain et une commission spéciale devait en déterminer le détail sur la base de ce programme.328

Le 23 août 1928, le ton monte entre Emile Moreau et Hjalmar Schacht. Dans une lettre, Moreau repproche à Schahcht d’avoir changé d’avis car, sans l’avertir, il a décidé de faire dépendre la participation du marché allemand du règlement préalable de la situation concernant les porteurs allemands d’emprunt roumains d’avant-guerre avant le 15 septembre 1928.329 Moreau affirme ne pas comprendre ce changement d’attitude et déclare : « Vous avez bien voulu me faire savoir verbalement lors de ma visite à Berlin, puis par la lettre de 5 mai

326 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre de Hjalmar Schacht à Nicolae Petrescu Comnene, le 3 août 1928. 327 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No 1370200006/6 : Lettre de Vintila Bratianu à Charles Rist, le 21 juin 1928. 328 Archives de la BdF, Paris, Fonds Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/6 : Lettre de Vintila Bratianu à Charles Rist, le 21 juin 1928. 329 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre de Emile Moreau à Hjalmar Schacht, le 22 août 1928. 121

1928, que vous étiez obligé de subordonner votre participation tout au moins à la conclusion d’un accord sur les moyens et les méthodes à employer pour mettre fin dans un délai raisonable et d’une façon qui engage les deux parties aux divergences actuelles d’opinion. »330 Quant au crédit qui a été accordé à la Société Nationale de Crédit Industriel par la Banca Commerciale Italiana, Emile Moreau affirme qu’il n’a aucun rapport avec le crédit envisagé par les banques d’émission et que la Roumanie a la liberté de s’adresser aux groupes bancaires privés. Afin de déterminer Schacht de changer son point de vue, Moreau met enn évidence le fait que même la Banque d’Angleterre a annoncé sa participation.

En réponse, le 27 août 1928, Schacht informe le Gouverneur de la Banque de France qu’il n’a pas changé d’avis et il ne fait que défendre les intérêts de l’Allemagne car c’est sur l’initiative des négociateurs roumains que les dirigeants allemands souhaitent aboutir à un règlement matériel proprement dit.331Pour Schacht, les négociations avec la Roumanie ont échoué en raison des négociateurs roumains. Toutefois, le Président de la Reichsbank laisse entrendre qu’une négociation sur la base des propositions faites par Ritter permettaient de revenir sur son refus.

Dans ces circonstances, Rist demande à Bratianu d’écrire à la Reichsbank qu’il n’avait pas eu rupture des négociations et que le Gouvernement roumain était disposé à répondre aux propositions de Ritter et à suggérer lui-même une procédure qui fournit l’assurance que les négociations sur le fond ne seraient pas indéfiniment prolongées. 332 Les propositions faites par Ritter impliquent de la part de l’Allemagne un sacrifice financier et de la part de la Roumanie un règlement sur la base de la valeur en Bourse de ces titres en faveur des

330 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre de Emile Moreau à Hjalmar Schacht, le 22 août 1928, p. 1. 331 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre de Hjalmar Schacht à Emile Moreau, le 27 août 1928. 332 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/6 : Lettre de Charles Rist à Vintila Bratianu, le 3 juillet 1928.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 porteurs allemands de titres roumains.333 Les dirigeants roumains se déclarent prêts à continuer les négociations avec l’Allemagne et manifestent leur volonté de trouver un accord pour régler définitivement les différends financiers entre les deux pays. Toutefois, le 28 septembre 1928, le Berliner Tageblatt annoncera l’arrêt des négociations germano-roumaines en raison du refus des dirigeants de Bucarest d’accepter la révalorisation de titres roumains détenus par les porteurs allemands.334 L’accord financier entre la Roumanie et l’Allemagne sera finalement signé le 10 novembre 1928 à Berlin, date à laquelle le gouvernement libéral de Vintila Bratianu se retire du pouvoir en faveur du Parti National Paysan. Nous n’avons pas assez d’éléments pour établir un lien direct entre les deux évenements. L’accord roumano-allemand, dont l’entrée en vigueur dépend de sa ratification par la Commission des Réparations (en vertu de l’article 248 du Traité de Versailles)335, stipule que l’Allemagne doit payer à la Roumanie le montant de 75 500 000 de Reichsmarks, dont 35 millions immédiatement et la somme restante jusqu’au 1er avril 1931. En contrepartie, la Roumanie doit définitivement renoncer à la liquidation de biens allemands, ainsi qu’aux divergences de vue entre la Reichsbank et la Banque Nationale.336

Dans ces circonstances, Schacht informe le 13 novembre 1928 Emile Moreau que la Reichsbank est disposée à participer avec un montant de 4 millions de dollars au crédit ouvert en faveur de la Banque Nationale de Roumanie. Par ailleurs l’accord financier entre la Roumanie et l’Allemagne prévoit également la création d’un consortium de banques allemandes, intéréssé par l’émission de l’émprunt roumain. Dans la composition du groupe alleamnd, nous retrouve la

333 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, Lettre de Victor Antonescu au Gouverneur de la Banque de France, Emile Moreau, le 30 juin 1928. 334 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Résumé publié par Le Temps, le 29 septembre 1928. 335 La Commission des Réparations doit se réunir le 8 décembre 1928, Zeuceanu s’engage de faire auprès de toutes les délégations des Gouvernements représentés à la Commission les démarches afin prévenir un ajournement de la question roumaine. 336 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre de Hjalmar Schacht à Emile Moreau, le 13 novembre 1928, p. 2. 123

Disconto-Gesellschaft, la Deutsche Bank, la Dresdner Bank, ainsi que la Darmstäter-Bank, établissements bancaires qui ont déjà travaillé en Roumanie et qui connaissent très bien la situation économique et financière du pays.

2.3.4. La Banque Nationale Suisse et la stabilisation de la monnaie roumaine

Le 17 octobre 1928, le Gouverneur Moreau demande au Président de la Banque Nationale Suisse, Gottlieb Bachmann si le Conseil de la Banque a pris une décision définitive concernant la participation de la Suisse à la stabilisation de la monnaie roumaine.337 Manifestant son mécontentement à l’égard des réticences du Conseil de la Banque Nationale Suisse, Moreau avertit Bachmann que la Banque de France ne pourra pas résoudre touts les litiges financiers existant entre la Suisse et la Roumanie car il est impossible de convaincre tous les débiteurs roumains d’accepter les conditions fixées par leurs créanciers. Rappelons que le Conseil de la Banque Nationale Suisse avait, malgré l’avis favorable du Conseil Fédéral, exprimé son refus de participer au crédit roumain de stabilisation monétaire, en exigeant que tous les différends financiers existant entre les deux pays soient entièrement réglés. « La stabilisation roumaine, écrit Moreau, a précisement pour objet de permettre le développement économique du pays et d’accroître, ainsi, pour l’avenir les possibilités financières de ses habitants. »338

Dans sa réponse à Emile Moreau, Bachmann affirme que le Conseil de la Banque Nationale Suisse se réunira une deuxième fois, afin d’examiner les conditions de sa participation à cette opération. Par la même occasion, il déclare que les dirigeants de la Banque Nationale Suisse souhaitent obtenir de

337 Archives de la BNS, Zurich, No. 3116 (Rumaenien : Protokollauszüge, Berichte, Anträge, Konventions swischen den Zentralbanken, dir. Korr, 1928- 1931) Lettre du Gouverneur de la Banque de France, Emile Moreau, au Président de la Banque Nationale Suisse, G. Bachmann, le 17 octobre 1928. 338 Archives de la BNS, Zurich, No. 3116 (Rumaenien : Protokollauszüge, Berichte, Anträge, Konventions swischen den Zentralbanken, dir. Korr, 1928- 1931) Lettre du Gouverneur de la Banque de France, Emile Moreau, au Président de la Banque Nationale Suisse, G. Bachmann, le 17 octobre 1928.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 nouvelles garanties concernant l’utilisation de l’emprunt de stabilisation par le gouvernement roumain. Il convient de préciser que les dirigeants suisses soupçonnent la Roumanie de vouloir utiliser cet emprunt pour la réorganisation de l’armée roumaine. Ces soupçons sont, en effet, alimentés par les doutes que les dirigeants de la Banque Nationale Suisse ont à l’égard de l’utilisation de l’emprunt polonais par les dirigeants de Varsovie.339 À plusieurs reprises, la Banque de France et le gouvernement polonais se voient obligés de prouver que l’emprunt de stabilisation n’a pas servi à la réorganisation et à l’équipement de l’armée.

Dans l’impossibilité de trouver un accord au sein du Conseil de la Banque, Bachmann décide de soumettre la question de la participation de la Banque Nationale Suisse à l’émission de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire au Conseil Fédéral.340 Le 26 octobre 1928, le Ministre des Finances Musy encourage, pour des raisons d’ordre économique, la Banque Nationale Suisse à participer à cette opération. « Il est de l’intérêt national suisse, affirme Musy, que la Banque Nationale participe au crédit d’escompte sollicité par la Roumanie auprès des banques européennes, anglaises et américaines. »341 Dans ces circonstances, la Banque Nationale Suisse confirme le 28 octobre 1928 sa participation à l’œuvre de stabilisation envisagée par la Banque de France en faveur de la Roumanie pour un montant de 500.000 de dollars.342

339 Sur cette question, voir Archives de la BdF, Paris, Pologne, No. 1397199402/11 : Télégramme de G. Bachmann, Président de la Banque Nationale Suisse, à Emile Moreau, Gouverneur de la Banque de France, le 19 octobre 1928, pp. 1-2. 340 Archives de la BNS, Zurich, No. 3116 (Rumaenien : Protokollauszüge, Berichte, Anträge, Konventions swischen den Zentralbanken, dir. Korr, 1928- 1931) : Télégramme de Musy, Ministre des Finances, à la Banque Nationale Suisse, le 26 octobre 1928. 341 Archives de la BNS, Zurich, No. 3116 (Rumaenien : Protokollauszüge, Berichte, Anträge, Konventions swischen den Zentralbanken, dir. Korr, 1928- 1931) : Télégramme de Musy, Ministre des Finances, à la Banque Nationale Suisse, le 26 octobre 1928. 342 Archives de la BNS, Zurich, No. 3116 (Rumaenien : Protokollauszüge, Berichte, Anträge, Konventions swischen den Zentralbanken, dir. Korr, 1928- 125

2.4. Les banquiers privés et le Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie

Les négociations avec les banques privées s’avèrent également longues et complexes. Si les banques américaines et françaises donnent immédiatement leur accord pour l’octroi d’un crédit international en faveur de la Roumanie, il en est autrement pour les banques anglaises qui exigent toute une série de conditions et garanties en échange de leur participation à cette opération. Nous allons présenter brièvement l’attitude et le positionnement des banquiers privés européens et américains à l’égard de l’émission de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie.

2.4.1. La Banque de Paris et des Pays-Bas et la participation des banques françaises à l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique

Dès le début des négociations avec les banques privées, en février 1928, les dirigeants roumains confient à la Banque de Paris et des Pays-Bas l’organisation d’un consortium de banques françaises, souhaitant participer à l’émission de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique.343 Tout en subordonnant sa participation à cette opération au règlement des dettes d’avant-guerre, ainsi qu’à l’attribution d’un gage sur les ressources générales de la Roumanie, la Banque de Paris et des Pays-Bas obtient sans difficulté l’accord de Vintila Bratianu d’organiser le groupe français, ainsi que les démarches auprès de différentes banques étrangères. En avril 1928, la Société Générale, la Banque Française d’Acceptation, le Crédit Lyonnais et le Comptoir National d’Escompte de Paris annoncent leur

1931) : Télégramme du Département des Finances à la Banque Nationale Suisse, le 20 octobre 1928. 343 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/6 : Télégramme du Gouverneur Emile Moreau à Charles Rist, le 23 mars 1928.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 participation à l’emprunt roumain pour un montant de 500 millions de francs français.

En collaboration avec les banques américaines Blair & Co et Chase Securities Corporation, les dirigeants de la Banque de Paris et des Pays-Bas réussissent à créer deux autres groupes européens en Hollande et en Suisse, dont les participations sont estimées à 4 millions de dollars et, respectivement, à 5 millions de dollars.344 Rappelons les efforts inaboutis de la Banque de Paris et des Pays-Bas de constituer deux autres groupes en Belgique et en Espagne. Face à cet échec, la participation des banques anglaises à l’émission de l’emprunt roumain apparaît comme une nécessité pour le succès de cette opération.

2.4.2. Hambro Bank Ltd., Lazard Brothers et la participation à l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique

A Londres, Blair & Co et la Banque de Paris et des Pays-Bas se heurtent au refus des banques Schroders, Barings Brothers et Rothschild de participer à l’émission de l’emprunt roumain. Convaincu que la Roumanie doit passer par le Comité financier de la Société des Nations, le groupe Schroders - Barings - Rothschild tente également de décourager la maison américaine Blair & Co en affirmant que le Gouverneur Montagu Norman était fortement opposé à cette opération et qu’il ne changera pas son point de vue.

Toutefois, ce refus ne décourage pas la Banque de Paris et des Pays-Bas, qui décide de s’adresser aux maisons Hambro Bank Ltd. et Lazard Brothers. Tout en affirmant leur volonté de participer à l’émission de l’emprunt roumain, les deux banques anglaises demandent l’introduction de cinq nouvelles exigences dans le

344 Archives de la BdF, Paris, Missions françaises françaises en Roumanie, No. 1370200006/10 : Note sur la situation des négociations concernant l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique, le 27 juin 1928.

127

Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie. La première concerne l’ajournement de l’émission de l’emprunt pour le mois de septembre 1928 et, notamment, l’attribution à cet emprunt d’un gage spécifique. La deuxième exigence est en lien avec la nomination d’un expert étranger pour la réorganisation des chemins de fer et l’engagement des dirigeants roumains d’effectuer des commandes de matériel ferroviaire aux industries de tous les pays participants à l’emprunt.345 Cette exigence déterminera la Banque de France à désigner, avec l’assentiment de Vintila Bratianu, Gaston Leverve comme expert pour la réorganisation et le développement des chemins de fer roumains. La principale mission de Leverve sera de rédiger tous les trois ou six mois un rapport relatif à l’application technique et aux résultats du programme de réorganisation du réseau ferroviaire roumain.346 En revanche, le contrôle financier de ce programme devra être confié au Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie, qui établira un rapport trimestriel sur l’application financière du programme de réorganisation des chemins de fer.347 La troisième exigence concerne le Conseiller technique de la Banque Nationale et sa nomination comme directeur de cette institution afin de mieux défendre les intérêts financiers des créanciers de ce pays. Le règlement des différends qui existent entre l’État roumain et les compagnies pétrolières britanniques représente la quatrième exigence formulée notamment par les dirigeants de Hambro Bank Ltd.348 La dernière exigence et peut être la plus importante consiste dans le fait que Hambro Bank Ltd. et Lazard Brothers subordonnent leur participation à l’emprunt roumain à l’acceptation du Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la

345 Archives de la BdF, Paris Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre de Charles Rist à George Harrison, le 28 septembre 1928, p. 1. 346 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre de Charles Rist à George Harrison, le 28 septembre 1928, p. 2. 347 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre de Charles Rist à George Harrison, le 28 septembre 1928, p. 2. 348 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre de Hambro Bank Ltd à la Banque de France, p. 2.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Roumanie par la Banque de France, la Banque d’Angleterre, la Federal Reserve Bank de New York et la Reichsbank. L’accord de la Banque de Paris et des Pays-Bas avec le groupe anglais sera finalement conclu en septembre 1928.

2.4.3. Le groupe « D Banken » et la participation à l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique

Dès le début des négociations avec la Roumanie, les banques allemandes349, dirigées par la Disconto-Gesellschaft, subordonnent leur participation à cette opération au règlement des différends financiers, qui opposaient Berlin et Bucarest depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Le 10 novembre 1928, date à laquelle l’accord germano-roumain, mettant fin aux différends financiers entre les deux pays, est signé, les « 4 D » confirment leur participation à l’émission de l’emprunt roumain de développement économique.350 Avec l’assentiment du Président de la Reichsbank, Hjalmar Schacht, la Disconto- Gesellschaft exige l’amélioration des conditions imposées à la Roumanie par les banques étrangères et, plus particulièrement, celles relatives au contrôle financier, qui devrait être exercé par une commission neutre.351 Il convient de préciser que par cette demande, la Disconto-Gesellschaft visait non seulement à gagner les sympathies des dirigeants de Bucarest, mais aussi à défendre les intérêts de l’Allemagne, en exigeant la suppression du contrôle financier instauré par les Alliés en Allemagne dès la fin de la guerre.

Toutefois, le 23 novembre 1928, le Directeur de la Disconto-Gesellschaft, Georg Solmssen, avertit Charles Rist des difficultés de l’émission de l’emprunt roumain sur le marché allemand en raison de la réticence de l’opinion publique allemande de s’engager de nouveau en Roumanie. Cette attitude s’explique, ainsi que le

349 Il s’agit de la Deutsche Bank, de la Darmstädter Bank et de la Dresdner Bank. 350 Archives de la BdF, Paris, Missions financières en Roumanie, No. 1370200006/7 : Note sur Les banquiers étrangers viennent à Bucarest, pp. 1-4. 351 Archives de la BdF, Paris, Missions financières en Roumanie, No. 1370200006/7 : Note sur Les banquiers étrangers viennent à Bucarest, p. 3. 129

précise Solmssen, par le fait que les détenteurs allemands des emprunts roumains, émis sur le marché allemand avant 1914, n’ont pas obtenu la même satisfaction que les détenteurs anglais et français.352 « Pour des raisons générales, affirme Solmssen, il existe chez les banques allemandes une hésitation bien compréhensible à se présenter comme propagandiste pour un emprunt étranger quelconque car elles courront le risque d’être blessées. »353 Toutefois, le Directeur de la Diconto-Gesellschsft déclare que la participation des banques allemandes à l’émission de l’emprunt roumain dépendra entièrement de la décision de la Reichsbank. Malgré les difficultés d’arriver à un accord financier avec la Roumanie, Schacht considère que les banques allemandes, qui ont figuré depuis la fin du XIXe siècle comme les principaux financiers de la Roumanie, doivent impérativement participer à cette opération.354

3. Le déroulement des négociations entre la Roumanie et la Banque de France

Le 7 juillet 1928, Charles Rist se rend à Bucarest afin de mettre au point avec les dirigeants de la Banque Nationale de Roumanie et du Ministère des Finances les termes et les conditions du Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie, qui doit être présenté aux banques étrangères pour la signature finale de l’accord.355 À l’origine du déplacement de Rist en Roumanie est, en effet, la question de l’équilibre budgétaire car les rentrées d’impôts, au cours des six premières mois de l’année 1928, laissaient un déficit de 1200 millions de lei par rapport aux prévisions

352 Archives de la BdF, Paris, Missions françaises en Roumanie, No. 1370200006/10: Lettre de Georg Solmssen à Charles Rist, le 23 novembre 1928. 353 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/10 : Lettre de Georg Solmssen à Charles Rist, le 23 novembre 1928. 354 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/10 : Lettre de Georg Solmssen à Charles Rist, le 23 novembre 1928. 355 SLAVESCU, Note si însemnari zilnice, p. 44.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 effectuées en 1927.356 Or, le déséquilibre budgétaire est considéré par Rist comme un véritable danger qui pourra porter atteinte à l’émission de l’emprunt roumain. Face aux inquiétudes de Rist, Vintila Bratianu rassure le sous- gouverneur de la Banque de France que ce déficit est un phénomène normal auquel la Roumanie se confronte chaque année, mais que les rentrées des impôts seront beaucoup plus abondantes dans le deuxième trimestre, grâce aux récoltes, et elles permettront de combler aisément ce déficit.

Parallèlement à la visite de Charles Rist, les représentants des banques américaines, anglaises et français sont également présents à Bucarest afin de poursuivre leurs négociations avec les dirigeants roumains.357 Le sujet principal abordé par les banquiers privés concerne la création d’une Caisse Autonome, ainsi que l’avait exigé la Banque d’Angleterre, à laquelle l’État roumain devra transférer le droit d’exploitation de ses Monopoles.358 A ce sujet, ils décident que la Caisse Autonome des Monopoles du Royaume de Roumanie devra être créée par une loi préalable à l’émission de l’emprunt de stabilisation, qui lui conférera la personnalité civile, le droit de faire des emprunts et des prêts pour le développement économique du pays (l’outillage, les écoles et autres objets productifs).359 La concession du droit d’exploitation des Monopoles, actuellement exploités par la Régie des Monopoles de l’État, doit durer autant que les emprunts contractés par la Caisse Autonome. Si ces emprunts seront remboursés par anticipation, cette concession pourra bien entendu être résiliée.

356 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre de Charles Rist à George Harisson, le 28 septembre 1928, p. 5. 357 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre des banquiers privés à Vintila Bratianu, Président du Conseil et Ministre des Finances de Roumanie, le 19 juillet 1928. 358 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre des banquiers privés à Vintila Bratianu, Président du Conseil et Ministre des Finances de Roumanie, le 19 juillet 1928, Protocole No. 1. 359 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre des banquiers privés à Vintila Bratianu, Président du Conseil et Ministre des Finances de Roumanie, le 19 juillet 1928, Protocole No. 1, p. 1. 131

En ce qui concerne l’administration de cette Caisse, les banquiers privés exigent qu’elle soit assurée par un conseil de huit membres désignés parmi les hauts fonctionnaires de l’ordre administratif et judiciaire de la Banque Nationale de Roumanie et les représentants des grandes institutions publiques. Le Directeur Général de cette institution sera nommé par le gouvernement roumain sur la proposition du Conseil d’Administration de la Banque Nationale. Pour ce qui est des revenus, la Caisse Autonome, qui aura son propre budget distinct de celui de l’État, doit verser à la Banque Nationale de Roumanie, sur un compte spéciale, 2/3 des recettes brutes des monopoles.360 Les emprunts contractés par la Caisse Autonome des Monopoles constitueront sa responsabilité directe et leur service sera assuré par une affectation du produit brut des Monopoles et des autres ressources et actifs de cette institution. Quant au paiement du service des obligations, il doit être entièrement garanti par l’État roumain. Sur le produit du premier emprunt, la Caisse Autonome fournira les sommes nécessaires à l’exécution immédiate des mesures prévues par le Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie. Elle sera autorisée à remettre à l’Administration des chemins de fer une somme de 40 millions de dollars, contre l’engagement de cette institution de rembourser ce crédit par annuités égales sans intérêt pendant la période prévue par le tableau d’amortissement contractuel des emprunts, ayant servi à fournir cette somme.361 Ces annuités seront utilisées par la Caisse pour le rachat en bourse des emprunts qui lui ont permis à prêter ce montant de 40 millions de dollars. Une fois que la Caisse Autonome aura assuré ces fonctions, elle sera habilitée, dans les limites de ses capacités d’emprunt, à fournir à l’État les ressources nécessaires pour l’exécution d’autres travaux de reconstruction du pays.362 Par

360 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre des banquiers privés à Vintila Bratianu, Président du Conseil et Ministre des Finances de Roumanie, le 19 juillet 1928, Protocole No. 1, p. 2. 361 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre des banquiers privés à Vintila Bratianu, Président du Conseil et Ministre des Finances de Roumanie, le 19 juillet 1928, Protocole No. 1, p. 4. 362 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre des banquiers privés à Vintila Bratianu, Président du

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 la même occasion, les banquiers privés communiquent à Bratianu que le montant de l’emprunt de stabilisation monétaire et de développement économique s’élève à 250.000.000 millions de dollars et qu’il sera émis en deux tranches.363 La première tranche de cet emprunt, qui sera émise à la fin de l’année 1928, est estimée à 80.000.000 milions de dollars avec un taux d’intérêt de 7%.364

Le 19 juillet 1928, Vintila Bratianu informe les banquiers privés que son gouvernement ne pourra prendre en considération les exigences liées à la Caisse Autonome que s’ils s’engagent avant le 1er août à ouvrir à la Roumanie un crédit de 20 millions de dollars, destiné à renforcer les moyens dont disposent la Banque Nationale de Roumanie pour le maintien de la stabilité monétaire.365 Dans un mémorandum adressé au groupe bancaire privé, constitué pour l’émission de l’emprunt roumain, Vintila Bratianu demande en addition aux crédits des banques centrales qu’on accorde à la Banque Nationale un crédit de 20 millions de dollars pour la défense de la stabilité du leu jusqu’à sa stabilisation officielle.366 Cette avance apparaît comme nécessaire pour les dirigeants roumains car la Banque Nationale n’est pas autorisée à dépasser l’émission, fixée à 21 milliards de lei par la Convention de mai 1925 que si les lei émis au-delà de cette limite sont couverts par une remise des devises à la Banque. En août 1928, un crédit de 12 millions de dollars avec un

Conseil et Ministre des Finances de Roumanie, le 19 juillet 1928, Protocole No. 1, p. 5. 363 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre des banquiers privés à Vintila Bratianu, Président du Conseil et Ministre des Finances de Roumanie, le 19 juillet 1928, Aide-Mémoire No. 2, p. 1. 364 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre des banquiers privés à Vintila Bratianu, Président du Conseil et Ministre des Finances de Roumanie, le 19 juillet 1928, Aide-Mémoire No. 2, p. 1. 365 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre de Vintila Bratianu, Président du Conseil et Ministre des Finances de Roumanie, aux banquiers privés, le 19 juillet 1928. 366 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Mémorandum du gouvernement roumain concernant l’avance de 20 millions de dollars, le 19 juillet 1928, p. 1. 133

taux d’intérêt de 8% est accordé à l’État roumain par la Banca Commerciale Italiana.367 Dans une lettre adressée à la Federal Reserve Bank de New York, le 28 septembre 1928, Rist explique que ce crédit a été accordé à la Roumanie sur l’initiative personnelle de Mussolini par l’intermédiaire de la Société Nationale de Crédit Industriel.368 Sur cette somme, un montant de 9 millions de dollars a été utilisé par le gouvernement roumain pour liquider la dette de la Société Nationale de Crédit Industriel envers la Banque Nationale, alors que les trois autres millions ont été utilisés directement par la Trésorerie.369

La Banque Nationale de Roumanie est informée par Charles Rist en juillet 1928 que, selon les premières estimations de la Banque de France, elle bénéficiera d’un crédit de 20 millions de dollars. À ce montant pourrait s’ajouter les participations de la Reichsbank et de la Banque Nationale Suisse, de 4 millions de dollars et, respectivement, un million de dollars. Rappelons que la Reichsbank refusait de donner son accord de participation tant que les différends financiers qui opposaient l’Allemagne et la Roumanie n’étaient pas solutionnés. Ainsi, la Banque Nationale de Roumanie pourra recevoir en novembre 1928 un crédit de 25 millions de dollars. Par la même occasion, Charles Rist informe également les dirigeants roumains que le consortium des banques centrales européennes, réuni par la Banque de France a formulé de nouvelles exigences à l’égard de la Roumanie. Ces exigences sont en lien avec la nomination d’un Conseiller technique auprès de la Banque Nationale de Roumanie et la modification des statuts de la Banque Nationale, afin de renforcer l’indépendance de cette institution par rapport au povoir politique.

367 Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1928 : Télégramme de la Banca Commerciale Italiana à la Banque Nationale de Roumanie, le 2 août 1928, p. 6. 368 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre de Charles Rist à George Harisson, le 28 septembre 1928, pp. 4-5. 369 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre de Charles Rist à George Harisson, le 28 septembre 1928, p. 5.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

3.1. La question du Conseiller technique français auprès de la Banque Nationale de Roumanie

Evoquée le 15 décembre 1927, lors de l’entrevue entre Emile Moreau et Victor Antonescu, la question de la nomination d’un « contrôleur » financier français auprès de la Banque Nationale de Roumanie est dès le début violemment attaquée par les adversaires du gouvernement Bratianu et, notamment, par le Parti National Paysan. Ce dernier est accusé d’aliéner l’indépendance du pays au profit d’un emprunt insignifiant, dont le principal objectif est de maintenir au pouvoir du Parti National Libéral.370 Cette question provoque même au sein du Parti National Libéral des interrogations relatives au choix effectué par Vintila Bratianu de confier l’organisation de l’emprunt roumain à la Banque de France, dont les exigences en matière de surveillance et de contrôle financier sont analogues à celles de la Société des Nations. Toutefois, les critiques les plus acerbes viennent de la Banque Nationale de Roumanie. Le Gouverneur Dimitrie Burilianu s’oppose à l’instauration de tout contrôle financier étranger sur son institution car il symbolisera la faiblesse et l’incompétence des dirigeants de la Banque Nationale pour gérer les questions financières et monétaires du pays.

Malgré toutes ces critiques, le Président du Conseil roumain annonce le 28 janvier 1928 à Pierre Quesnay qu’il est prêt à confier la surveillance de la Banque Nationale et la réorganisation des chemins de fer à des « contrôleurs » français. Leur nomination, ainsi que Vintila Bratianu l’exige, sera effectuée pour une durée de six mois au maximum.371 Dans un télégramme adressé à Charles Rist, le 24 avril 1928, il confirme sa décision de nommer un Conseiller technique français auprès de la Banque Nationale de Roumanie et il suggère de confier cette mission à Pierre Quesnay. « J’apprécie, écrit Vintila Bratianu, comme il convient la présence auprès de la Banque Nationale de Roumanie d’un expert

370 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 : Extrait d’un article publié par le journal Adevarul (La Vérité), le 1er janvier 1928, p. 30. 371 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/10 : Lettre de Pierre Quesnay à Emile Moreau, le 28 janvier 1928, p. 6. 135

aussi éclairé que Monsieur Quesnay dont j’ai apprécié la compétence et les sentiments très dévoués à l’égard de notre pays et je serais heureux si choix définitif se portait sur lui ».372 Quant à la durée de la mission et des fonctions du Conseiller technique français, Bratianu demande à Rist d’intervenir auprès des dirigeants de la Banque de France afin de trouver un nouvel accord avec les banques étrangères car « nous voudrions que cette collaboration n’ait pas caractère d’une participation directe dans l’administration de la Banque Nationale de Roumanie ».373 De son point de vue, cette démarche s’impose comme une nécessité car les participants à l’emprunt roumain ne doivent pas heurter les intérêts politiques et économiques du pays.

La proposition de Vintila Bratianu de confier la mission du Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie à Pierre Quesnay ne laisse pas indifférents les dirigeants de la Banque de France. Dans ses Mémoires, le Gouverneur Moreau évoque le fait que Rist conseille les dirigeants de Bucarest de désigner Quesnay, qui ne séjournera qu’occasionnellement en Roumanie, et un autre fonctionnaire de la Banque de France, comme remplaçant qui, lui résidera de manière permanente dans le pays.374 Mis au courant de l’initiative du gouvernement roumain, Pierre Quesnay conseille les dirigeants de la Banque de France de confier cette mission à René M. F. Charron, Conseiller financier de la Bulgarie. Cette proposition provoque l’indignation de Avenol qui accuse Quesnay de se mettre au service de la Banque d’Angleterre et du Gouverneur Norman.375 Dans une lettre adressée à Avenol, le 16 juillet 1928, Quesnay explique que le nom de Charron lui a effectivement été suggéré par Siepmann, mais qu’il n’a jamais abordé cette question avec Montagu Norman. Pour justifier et argumenter

372 Archives de la BdF, Paris, Missions financières en Roumanie, No. 1370200006/6 : Télégramme de Vintila Bratianu à Charles Rist, le 24 avril 1928, p. 2. 373 Archives de BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/6 : Télégramme de Vintila Bratianu à Charles Rist, le 24 avril 1928, p. 2. 374 MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, p. 532. 375 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No, 1370200006/10 : Lettre de Pierre Quesnay à Joseph Avenol, le 16 juillet 1928, p. 1.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 sa position, Quesnay affirme que Sipmann considère que Charron est « à peu près la seule personne capable internationalement d’inspirer assez de confiance dans la bonne gestion du pays».376 Afin de rassurer Avenol, Quesnay précise que même Moreau a évoqué la nomination de Charron auprès de la Banque Nationale de Roumanie. Conseillé par Sir Arthur Salter de désigner Jacques Rueff377, le Gouverneur Moreau opte pour Charron, le Conseiller technique de la Banque Nationale de Bulgarie, en raison de l’anti-sémitisme roumain.378 A la recherche d’un Conseiller technique français « d’âge assez respectable »379, qui pourra s’imposer véritablement à Bucarest, Quesnay informe Avenol que les dirigeants de la Banque de France font également des démarches auprès de De Mouy, Conseiller économique du Comité des transferts à Berlin, et de Gaillet- Billoteaux. Pour Quesnay, ce dernier apparaît comme favori car la nomination de De Mouy ne sera pas acceptée par Paribas.380

Les démarches de la Banque de France pour trouver un Conseiller technique pour la Banque Nationale de Roumanie sont accélérées par la demande des dirigeants roumains, selon laquelle l’expert qui se rendra à Bucarest durant l’été 1928 devra occuper les fonctions de Conseiller technique. Dans ces circonstances, le Gouverneur Moreau propose la nomination temporaire de Roger Auboin, Maître des requêtes au Conseil d’Etat français, qui pourra par la suite occuper les fonctions de Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie.381 Ayant demandé l’avis de Rist, Vintila Bratianu se voit conseillé

376 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/10 : Lettre Pierre Quesnay à Joseph Avenol, 16 juillet 1928, p. 2. 377 Jacques Rueff est inspecteur des Finances et directeur du Mouvement Général des Fonds. 378 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/10 : Lettre Pierre Quesnay à Joseph Avenol, 18 juillet 1928, pp. 1- 2. 379 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/10 : Lettre Pierre Quesnay à Joseph Avenol, 18 juillet 1928, p. 3. 380 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/10 : Lettre Pierre Quesnay à Joseph Avenol, 18 juillet 1928, p. 4. 381 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/6 : Compte rendu d’une lettre adressée à la BdF par le Gouverneur de la BNR, Burillianu, le 14 août 1928. 137

d’accepter sans hésitation la proposition de Moreau. Par la même occasion, Rist insiste sur le fait que le gouvernement roumain doit être plus transparent avec les dirigeants de la Banque Nationale et qu’ils doivent impérativement prendre les décisions d’un commun accord.382 Le Gouverneur Burillianu s’est en effet plaint auprès de Moreau que le Président du Conseil roumain prend toutes les décisions sans consulter la Banque Nationale. En ce qui concerne le statut du Conseiller technique, Rist suggère de l’assimiler au personnel diplomatique et de lui offrir un salaire de 3000 à 4000 livres sterling par année.383

Sans se prononcer sur le choix effectué par Moreau et Rist, Vintila Bratianu exprime en août 1928 la volonté du gouvernement roumain et des dirigeants de la Banque Nationale de confier le contrôle et la surveillance financière de la Roumanie au sous-Gouverneur de la Banque de France. Malgré les suspicions des dirigeants de la Banque de France par rapport à la décision des dirigeants roumains, Charles Rist accepte d’être désigné Conseiller technique de Banque Nationale de Roumanie. Il avertit immédiatement les dirigeants de Bucarest qu’il ne pourra résider en Roumanie que pendant la première année de la stabilisation monétaire.384 Afin d’assurer la continuité de la mission confiée par les dirigeants roumains, Rist propose la nommination de Roger Auboin, Maître des requêtes au Conseil d’Etat français, comme remplaçant qui, lui, séjournera de manière permanente à Bucarest jusqu’à la fin du mandat.385

Dans une lettre adressée au gouvernement Bratianu le 3 novembre 1928, Emile Moreau confirme la nomination de Charles Rist comme Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie, ainsi que celle de Roger Auboin, comme

382 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/6 : Lettre de Charles Rist à Vintila Bratianu, le 13 août 1928, p. 2. 383 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/6 : Lettre de Charles Rist à Vintila Bratianu, le 13 août 1928, pp. 3- 4. 384 La mission financière de la Banque de France auprès de la Banque Nationale de Roumanie est fixée à une période de trois ans. 385 RIST, Charles, « Notice biographique » in Revue d’Economie politique, « Charles Rist, 1874-1955 », Paris, Sirey, 1956, p. 1011.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 remplaçant.386 Peu confiant envers les dirigeants roumains, le Gouverneur de la Banque de France demande à Vintila Bratianu de formuler par écrit que durant l’absence de Rist « le Conseiller technique remplaçant, nommé de la mêeme manière que le Conseiller technique remplira les fonctions de celui-ci en son absence. »387 Quant à la durée de la mission de Auboin, Rist demande aux dirigeants roumains de désigner le Conseiller technique pour une durée de trois ans, afin d’éviter tout malentendu avec les banques étrangères.388 Auboin, ainsi que Moreau l’explique à Vintila Bratianu, devra bénéficier du même statut, ainsi que des mêmes droits que Rist afin de démontrer à l’opinion publique internationale que la Roumanie accepte le contrôle financier étranger.389 En effet, cette demande vise à imposer Auboin auprès des dirigeants de la Banque Nationale au même titre que Rist.

En ce qui concerne les fonctions du Conseiller technique, la principale mission de Rist et de Auboin est de surveiller la répartition et l’utilisation de l’emprunt de stabilisation et de développement, ainsi que la politique monétaire de la Banque Nationale. Pour ce faire, ils doivent établir, en collaboration avec les ministres des Finances, de l’Economie et des Communications, chaque trimestre un rapport relatif à la situation financière et monétaire du pays, qui sera publié dans le Bulletin officiel du Service des Études Économiques et Monétaires de la

386 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/6 : Lettre du Gouverneur Emile Moreau à Vintila Bratianu, Président du Conseil roumain, le 3 novembre 1928. 387 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/6 : Lettre du Gouverneur Moreau à Vintila Bratianu, Président du Conseil roumain, le 3 novembre 1928, p. 2. 388 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/6 : Lettre de Charles Rist à Vintila Bratianu, le 3 novembre 1928, p. 2. 389Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre des Banquiers privés au Gouverneur de la Banque de France, Emile Moreau, le 29 septembre 1928. 139

Banque Nationale de Roumanie de Roumanie, qui sera mis sous son autorité pendant toute la durée de son mandat.390

3.2. La question du Conseiller technique pour la réorganisation des chemins de fer roumains

Parmi les techniciens français proposés aux dirigeants de Bucarest par la Banque de France pour remplir les fonctions de Conseiller technique pour les chemins de fer roumains, Vintila Bratianu retient le nom de Raoul Dautry. Pour Bratianu, Dautry, par rapport à d’autres noms proposés par la Banque de France, jouit d’un grand prestige internationl car il est premier ingénieur de la Compagnie du Nord « qui a mis au point les méthodes les plus modernes.»391 Il convient de préciser que cette question de prestige et de reconnaissance internationale est très importante pour le gouvernement roumain car, ainsi que Bratianu précise à plusieurs reprises au Ministre de France à Bucarest, le futur Conseiller doit être un ingénieur de la Compagnie du Nord avec une personnalité très imposante.392 A titre d’exemple, Michel Mange, un autre nom proposé par les dirigeants de la Banque de France, n’est pas retenu par Vintila Bratianu car il a été l’ingénieur d’un réseau considéré comme inférieur à la Compagnie du Nord.393 A ce sujet, le Ministre de France à Bucarest écrit aux dirigeants du Quay d’Orsay : « Il résulte très nettement de cette conversation que le Gouvernement roumain n’agréera pas la candidature de M. Mange et qu’il tient essentiellement

390 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre de Pierre Quesnay au Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie, Dimitrie Burillianu, le 3 octobre 1928, pp. 1-2. 391 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Télégramme du Ministère des Affaires Étrangères de France (signé Corbin) à Poincaré, Président du Conseil français, le 2 juin 1928, p. 1. 392 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Télégramme du Ministère des Affaires Étrangères de France à Poincaré, Président du Conseil français, le 2 juin 1928, p. 2. 393 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Télégramme du Ministère des Affaires Étrangères de France à Poincaré, Président du Conseil français, le 2 juin 1928, p. 2.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

à la désignation d’un ingénieur du Nord, de préférence M. Dautry. »394 Par la même occasion, le Ministre français conseille les dirigeants de Paris d’accepter les exigences du gouvernement roumain et de lui mettre à disposition un ingénieur de la Compagnie du Nord et de préférence Raoul Dautry. Pour argumenter sont point de vue, Puaux Bucarest déclare : « Étant donné les avantages considérables que nous pouvons escompter de la réorganisation des chemins de fer roumains, sous une direction française, il vous apparaîtra sans doute comme à moi qu’il convient de donner satisfaction à la demande de M. Bratiano (...). »395

La mission du Conseiller technique pour les chemins de fer consiste principalement dans la publication pendant une durée de trois ans d’un rapport annuel sur l’exécution technique du programme de réorganisation et d’amélioration des chemins de fer.396 Ce rapport présentera également la situation financière des chemins de fer, ainsi que l’évolution du trafic et des tarifs. Le programme général établi en octobre 1928 par Gaston Leverve en collaboration avec les dirigeants roumains de l’Administration des Chemins de Fer prévoit une dépense totale de 12 milliards de lei pour les travaux d’amélioration et de 9,6 milliards de lei pour la construction de nouvelles lignes.397

Les négociations avec la Banque de France, ainsi que tout le Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie, sont remises en question le 10 novembre 1928 par la chute du gouvernement de

394 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Télégramme du Ministère des Affaires Étrangères (signé Corbin) de France à Poincaré, Président du Conseil français, le 2 juin 1928, p. 2. 395Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Télégramme du Ministère des Affaires Étrangères de France (signé Corbin) à Poincaré, Président du Conseil français, le 2 juin 1928, p. 3. 396 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Rapport sur l’exécution du Programme d’amélioration des chemins de fer roumains, 7 février 1930 - 7 février 1931, p. 1. 397 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/9 : Rapport sur l’exécution du Programme d’amélioration des chemins de fer roumains, 7 février 1930 - 7 février 1931, p. 13. 141

Vintila Bratianu. Le sous-Gouverneur de la Banque de France, Charles Rist, explique la chute du Parti National Libéral par suite de l’intervention de la Régence qui soutient l’arrivée au pouvoir du Parti National Paysan.398 Les gouvernements des frères Bratianu n’ont pas réussit à réaliser le développement économique de la Roumanie, ainsi qu’ils se sont proposés lors de leur retour au pouvoir le19 janvier 1922. La politique économique basée sur l’industrialisation du pays, le manque de ressources financières, ainsi que le fonctionnement de la société roumaine ne représentent que quelques obstacles qui ont fait échoué le développement économique de la Roumanie, ainsi que son intégration dans le système économique et financier international. Les problèmes politiques, économiques et financiers de la Roumanie ne peuvent pas être résolus séparement, mais uniquement en tenant compte de leur interdépendance.

398 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Note de Charles Rist à Emile Moreau sur son voyage en Roumanie, le 29 novembre 1928, p. 2.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

DEUXIÈME PARTIE

LE RENFORCEMENT DE L’INFLUENCE FRANÇAISE EN ROUMANIE : ENTRE STRATEGIES FINANCIÈRES ET PRINCIPES POLITIQUES,

10 NOVEMBRE 1928 - 20 JUIN 1932

143

CHAPITRE I : LE GOUVERNEMENT MANIU ET LA REMISE EN QUESTION DE LA PARTICIPATION DE LA BANQUE DE FRANCE AU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET FINANCIER DE LA ROUMANIE, 10 NOVEMBRE 1928 - 9 FEVRIER 1929

L’arrivée au pouvoir du Parti National Paysan, dirigé par Iuliu Maniu399, le 10 novembre 1928 remet en question les démarches effectuées par Vintila Bratianu auprès des différentes banques américaines et européennes pour l’organisation de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique. La politique de stabilisation monétaire choisie par Vintila Bratianu est fortement critiquée par les dirigeants du Parti National Paysan en raison du caractère politique très marqué de cette opération et des conditions imposées par les milieux financiers américains et européens. Les 26 et 27 juillet 1928, lors de l’Assemblée générale du Parti National Paysan, Grigore Gafencu400 recommandait le recours à la Société des Nations, ainsi que l’avait suggéré le Gouverneur Montagu Norman, afin de soustraire le programme de reconstruction financière et monétaire aux influences politiques internes et

399 Après des études de droit à Cluj, à Budapest et à Vienne, Iuliu Maniu (1873- 1953) entre dans la vie politique en 1906 en tant que député de Transylvanie au Parlement de Budapest. En 1912, il créé le Parti National de Transylvanie qui militait pour l’union de la Transylvanie avec le Royaume de Roumanie. Le 10 octobre 1926, Iuliu Maniu est élu Président du Parti National Paysan, formation politique issue de la fusion du Parti National Paysan de Ion Mihalache et du Parti National de Transylvanie. Arrêté en juillet 1947 par le régime communiste, Maniu sera condamné quelques mois plus tard, le 11 novembre, aux travaux forcés à perpétuité. Il décédera le 5 février 1953 dans la prison de Sighet. Sur l’action politique de Iuliu Maniu, voir SCURTU, Ioan, Iuliu Maniu : activitatea politica (Iuliu Maniu : l’activité politique), Bucuresti, Ed. Enciclopedica, 1995. 400 Homme politique et journaliste roumain, Grigore Gafencu (1892-1957) est désigné par Iuliu Maniu Ministre adjoint des Affaires Etrangères. Le 1er février 1937, il deviendra Ministre des Affaires Etrangères de Roumanie, fonction qu’il occupera jusqu’au 3 juillet 1940. Parmi les principaux ouvrages publiés par Gafencu, nous mentionnons : Derniers jours de l’Europe : un voyage diplomatique en 1939, Paris, LUF, 1946, Préliminaires de la guerre à l’Est : de l’accord de Moscou (21 août 1939) aux hostilités en Russie (22 juin 1941), Fribourg, Egloff, 1944 et Însemnari politice, 1929-1939, Bucuresti, Humanitas, 1991 (2e édition).

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 internationales et de le soumettre à certaines règles générales, purement techniques.401 Pour Gafencu, le plan de stabilisation adopté par Vintila Bratianu en collaboration avec la Banque de France a rendu les négociations avec les banques allemandes et, notamment, anglaises très difficiles et complexes en raison de son caractère politique qui pèse lourdement sur la moralité et le crédit international de la Roumanie.402 La principale raison pour laquelle Vintila Bratianu s’est adressé à la Banque de France est, ainsi que le souligne Iuliu Maniu, la volonté d’assurer le maintien au pouvoir du Parti National Libéral, malgré la forte opposition de l’opinion publique roumaine et les conditions financières sévères imposées par les banques étrangères.403 Devenue une affaire politique, la stabilisation monétaire de la Roumanie pourrait entraver le développement économique du pays car la perspective d’un expert financier français auprès de la Banque Nationale de Roumanie a provoqué dans les milieux financiers allemands et anglais une grande méfiance.404

Toutefois, la plus grande erreur commise par Vintila Bratianu est d’avoir fait trop de concessions aux banques anglaises, françaises et, notamment, allemandes en acceptant le règlement des différends financiers, qui opposaient Bucarest à Londres, Paris et Berlin, au détriment des intérêts économiques et financiers de la Roumanie. En acceptant la revalorisation des dettes d’avant-guerre envers la France, Bratianu avait encouragé l’Allemagne et la Grande-Bretagne à exiger, en échange de leur participation à l’emprunt roumain de stabilisation monétaire

401 Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Grigore Gafencu sur Les négociations d’emprunt et notre politique étrangère), p. 44. 402 Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Grigore Gafencu sur Les négociations d’emprunt et notre politique étrangère), pp. 45-47. 403 Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928, (Exposé de Iuliu Maniu sur La situation économique de la Roumanie avant la stabilisation), p. 52. 404 Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Grigore Gafencu sur Les négociations d’emprunt et notre politique étrangère), p. 46. 145

et de développement économique, l’application du même principe.405 « Par l’intermédiaire de la Société des Nations, affirme Virgil Madgearu406, nous aurions pu obtenir un emprunt et régler nos litiges, dans des conditions avantageuses, parce qu’elle a toujours tenu compte, pour fixer les obligations, de la capacité de paiement de chaque pays. »407 Les critiques formulées par Iuliu Maniu, Virgil Madgearu et Grigore Gafencu à l’égard du plan de stabilisation monétaire choisi par Vintila Bratianu détermineront-elles la révision, voire la réorientation, de la politique roumaine de stabilisation monétaire ? Le gouvernement Maniu a-t-il les moyens d’interrompre les négociations avec la Banque de France ?

Avant de présenter les démarches effectuées par les nouveaux dirigeants de Bucarest pour réaliser la stabilisation de la monnaie roumaine, il convient de présenter briévement le programme économique et financier annoncé par le Parti National Paysan dès son arrivée au pouvoir, le 10 novembre 1928.

405 Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Virgil Madgearu sur La stabilisation du leu), pp. 30-36. 406 Economiste, sociologue et homme politique, Virgil Madgearu (1887-1940) est le principal théoricien du Parti National Paysan. Il occupe plusieurs plusieurs portefeuilles dans les cabinets de Iuliu Maniu, George Mironescu et Alexandru Vaida Voevod : Ministre de l’Industrie et du Commerce (novembre 1928 - novembre 1929, juin - octobre 1930 et octobre 1932), Ministre des Finances (novembre 1929 - juin 1930 et octobre 1932 - novembre 1933) et Ministre de l’Agriculture (octobre 1930 - avril1931). Madgearu a également représenté la Roumanie aux conférences organisées la Société des Nations dans le contexte de la crise de 1929, telles que les conférences de Genève (1930), de Stresa (1932), de Londres (1933), etc. Le 27 novembre 1940, Virgil Madgearu sera assassiné par la Garde de Fer. Parmi les principaux ouvrages publiés par Virgil Madgearu, durant les années trente nous mentionnons : Rumania’s new economic policy, Le traitement préférentiel et l’entente économique régionale, La Roumanie à la Conférence de Stresa, Notre collaboration technique avec la Société des Nations, La capacité de paiement et la dette publique de la Roumanie, La politique extérieure de la Roumanie (1927-1938). Sur l’activité politique et les conceptions économiques de Virgil Madgearu, voir BANCA NATIONALA A ROMÂNIEI, Viata si opera lui Virgil Madgearu (La vie et l’œuvre de Virgil Madgearu), Bucuresti, Banca Nationala a României, 2002. 407 Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Virgil Madgearu sur La stabilisation du leu), pp. 33-35.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

1. Iuliu Maniu et l’introduction d’une nouvelle politique économique et financière

Hostile à la politique d’industrialisation de ses prédécesseurs, qui avaient globalement échoué à faire décoller l’économie roumaine, Iuliu Maniu s’engage auprès de la population roumaine, formée majoritairement de classes agricoles, à soutenir le développement de l’agriculture et des industries basées sur l’utilisation de produits issus de l’agriculture et de l’élevage.408 L’économiste du Parti National Paysan Virgil Madgearu, devenu Ministre de l’Industrie et du Commerce, promet de mettre fin à la politique d’industrialisation menée par les Libéraux durant les années 1922 - 1928 aux dépens de l’État et des classes agricoles, par des tarifs protecteurs élevés, par l’inexistence du crédit agricole et par des prélèvements importants sur le budget du pays. Pour Madgearu, l’économie roumaine reste, malgré l’intégration de nouvelles provinces, une économie agricole, dont le développement économique exige l’introduction de toute une série de mesures, destinées à augmenter la production agricole et à soutenir financièrement et administrativement les classes rurales. Pour se faire, il propose l’introduction d’un régime de liberté économique et la création de nouvelles institutions de crédit agricole afin de faciliter l’accès de la population paysanne à des aides financières à des taux d’intérêt très modérés.409 Ainsi, dans le cadre du Crédit Foncier Rural, le gouvernement Maniu a décidé de créer une section bancaire qui accordait aux grands propriétaires des crédits contre le gage des récoltes, ainsi que des diverses subventions.410 On prévoit également la réorganisation de la Caisse Rurale, ainsi que celle des Caisses

408 SCURTU, Ioan (ed.), Documente privind istoria României între anii 1918- 1944 (Documents concernant l’histoire de la Roumanie durant les années 1918- 1944), Bucuresti, Ed. Didactica si Pedagogica, 1995, pp. 319-326 et Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Iuliu Maniu sur La situation économique de la Roumanie avant la stabilisation), pp. 51-55. 409 SCURTU, Documente privind istoria României între anii 1918-1944, pp. 322- 324. 410 Sur cette question, voir BRATIANU, Constantin, Le Crédit Foncier Rural en Roumanie, Paris, Librairie technique et économique, 1937. 147

départementales d’emprunt contre gage, destinées aux petits agriculteurs.411 Afin de soutenir l’acquisition et l’utilisation en commun d’outils de production, ainsi que la commercialisation des produits agricoles, Virgil Madgearu préconise la création dans toutes les provinces du pays de coopératives agricoles.412

Quant à l’industrie, le gouvernement Maniu accepte d’encourager uniquement les industries basées sur l’utilisation et la transformation des produits agricoles, telles que les industries textile, alimentaire et sucrière.413 Les autres branches, à savoir les industries minières et métallurgiques, dont l’exploitation et la croissance représentent pour l’État roumain une charge financière très coûteuse car elles ne bénéficient pas de conditions appropriées de développement, à savoir les capitaux et les compétences techniques, doivent être confier aux entreprises et aux capitaux privés.414 Conscients du manque de capitaux roumains, les nouveaux dirigeants de Bucarest encouragent la collaboration avec les entreprises et les capitaux étrangers par l’introduction d’une nouvelle politique d’ouverture à la finance et aux compétences étrangères.415 « Le Parti National Paysan, déclare Iuliu Maniu, ouvrira les portes au capital et aux compétences techniques étrangères, en leur faisant des conditions légales et administratives à parfaite égalité avec le capital roumain. »416 Cette politique vise en effet la modification de la législation libérale et, plus particulièrement, la loi des mines417, par l’assouplissement des mesures de participation à

411 CONSTANTINESCU, Nicolae, L’histoire de la Roumanie de l’origine jusqu’à la deuxième guerre mondiale, Bucarest, Expert, 1996, p. 250. 412 SCURTU, Documente privind istoria României, pp. 322-324. 413 SCURTU, Documente privind istoria României, p. 323 et Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Iuliu Maniu sur La situation économique de la Roumanie avant la stabilisation), pp. 51-55. 414 SCURTU, Documente privind istoria României, p. 323. 415 Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Iuliu Maniu sur La révision de la législation économique du Parti Libéral), pp. 48-50. 416 Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928, p. 10. 417 La loi des mines, introduite par le gouvernement Bratianu en juillet 1924, sera modifiée le 28 mars 1929 en faveur des entreprises et des capitaux étrangers. Le 19 mars 1929, le gouvernement Maniu modifiera également la loi concernant

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 l’exploitation et à la mise en valeurs des richesses minières du pays.418 A ce sujet, les dirigeants roumains se proposent de prendre des mesures pour intensifier les travaux d’exploitation en garantissant les concessions aux sociétés étrangères et en leur accordant certains avantages, tels que les réductions provisoires de redevances et d’impôts.419 Une autre mesure envisagée par le gouvernement Maniu en faveur des entreprises et des capitaux étrangers concerne « la séparation de la vie politique et de l’activité économique » afin de soustraire les entreprises à l’influence arbitraire et abusive des différentes formations politiques roumaines et, plus particulièrement, celle du Parti National Libéral.420 Fortement contestée par les milieux roumains anti- occidentalistes, en raison des liens de dépendance économique et financière qu’elle engendra à l’égard des puissances étrangères, l’ouverture de la Roumanie aux capitaux étrangers est appelée « portes ouvertes au capital étranger » par opposition à la politique libérale « par nous-mêmes ».421

La politique extérieure adoptée par le gouvernement Maniu illustre également cette volonté de collaboration économique et financière avec les entreprises et les capitaux étrangers et, plus particulièrement, avec les milieux économiques et financiers de la City. Interrogé par un journaliste anglais sur la politique pro- française menée par les dirigeants roumains dès la fin de la Première Guerre mondiale, Grigore Gafencu déclarait en juillet 1928 que : « la Roumanie fait la politique de la France car, depuis la guerre, la France seule, parmi, les grandes

la commercialisation et le contrôle des entreprises de l’Etat du 7 juin 1924 afin d’encourager la participation du capital étranger au développement industriel de la Roumanie. La nouvelle législation, adoptée par le Parti National Paysan, suscitera une forte opposition du Parti National Libéral. 418 SCURTU, Documente privind istoria României, p. 325. 419 Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Iuliu Maniu sur La révision de la législation économique du Parti Libéral), pp. 49-50. 420 Sur cette question, voir Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Iuliu Maniu sur La révision de la législation économique du Parti Libéral), p. 49. 421 Sur cette question, voir BANCA NATIONALA A ROMÂNIEI, Viata si opera lui Virgil Madgearu, pp. 23-24. 149

puissances, n’a jamais cessé de faire la politique roumaine. »422 Par la même occasion, Gafencu souligne l’intention de nouveaux dirigeants de Bucarest de resserrer les liens diplomatiques et économiques avec la Grande-Bretagne en offrant aux capitaux et aux industries anglaises une participation large et sûre au développement économique de la Roumanie.423 Afin de développer les relations avec les cercles politiques et financiers britanniques, les Nationaux Paysans se rallient immédiatement à la politique anglaise d’« union européenne », consacrée à Locarno en octobre 1925 et poursuivie par la Société des Nations.424 Le gouvernement Maniu prévoit également la reprise et le développement des relations politiques et diplomatiques avec les anciens ennemis du Royaume de Roumanie et, plus particulièrement, avec l’Allemagne. Cette dernière apparaît aux yeux des dirigeants roumains comme nécessaire « non seulement à cause du rôle politique qu’elle est appelée à jouer dans l’avenir européen, mais en raison de la situation importante qu’elle a, d’ores et déjà, acquise dans la vie économique mondiale. »425

Toutefois, l’initiative majeure de Iuliu Maniu sur le plan politique et économique international reste le projet de création d’une Confédération économique danubienne par la réunification de l’espace centre-européen, composé de l’Autriche, de la Hongrie, de la Pologne, de la Roumanie, de la Tchécoslovaquie et de la Yougoslavie.426 Le but de cette Confédération économique danubienne

422 Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Grigore Gafencu sur Les négociations d’emprunt et notre politique étrangère), p. 41. 423 Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Grigore Gafencu sur Les négociations d’emprunt et notre politique étrangère), p. 42. 424 Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Grigore Gafencu sur Les négociations d’emprunt et notre politique étrangère), p. 42. 425 Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Grigore Gafencu sur Les négociations d’emprunt et notre politique étrangère), p. 43. 426 Sur cette question, voir SANDU, Traian, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale. L’exemple roumain 1919-1933, Paris, Harmattan, 1999, p. 303.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 est, ainsi que le souligne Traian Sandu, de protéger le commerce centre- européen de la concurrence et du dynamisme commercial de l’Allemagne.427 Elle aurait également permis aux pays à caractère agricole de trouver par l’introduction des tarifs préférentiels une importante source de financement pour soutenir le développement de leurs économies. Combattu avant même sa discussion officielle, le projet de Maniu échoue en juin 1929 devant l’opposition, d’ordre économique, de la Grande-Bretagne et de la Tchécoslovaquie, ainsi que devant les coups politiques de l’Italie et de la Hongrie. Il convient, toutefois, de retenir le caractère précurseur de cette tentative, qui parvient à articuler des données internationales d’ordre économique (l’écoulement de la production des Etats agraires et de leur industrialisation), politique (la réunification économique et politique de l’espace danubien sur les bases du statu quo territorial, au bénéfice donc de la France) et géo-stratégique.

Néanmoins, le projet principal du gouvernement Maniu est la réalisation de la stabilisation monétaire et la réorganisation des finances roumaines par le rétablissement de l’équilibre budgetaire, la diminution des dépenses de l’État, ainsi que la réduction du nombre de fonctionnaires. Selon Iuliu Maniu, les fonctionnaires roumains doivent être bien préparés et formés pour remplir les fonctions confiées par l’État et, notamment, bien payés afin de mettre un terme aux pratiques de corruption et de favoritisme, qui caractérisent le système roumain depuis la fin du XIXe siècle.428 Afin de renforcer l’indépendance du Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie vis-à-vis du pouvoir politique et de tout autre groupement financier privé, Maniu prévoit également la modification de l’organisation et des statuts de cette institution.429 Par cette mesure, il vise en effet à s’attaquer à l’influence exercée par les Libéraux sur la Banque Nationale par l’intermédiaire de leur participation financière à cette institution. Rappelons que Libéraux disposent depuis 1925 la majorité des

427 SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 303. 428 Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Iuliu Maniu sur La révision de la législation économique du Parti Libéral), p. 50. 429 SCURTU, Documente privind istoria României, p. 326. 151

actions de la Banque Nationale de Roumanie et qu’ils contrôlent une de plus puissante banque privée de Roumanie, la Banca Românesca, qui détient également un nombre important d’actions de la Banque Nationale.

Ebauchée, ainsi que nous l’avons démontré par Vintila Bratianu, la finalisation de la stabilisation monétaire de la Roumanie provoque au sein du Parti National Paysan un véritable débat. Grigore Gafencu décrit dans son Journal430 les longues discussions qui ont lieu entre les membres de cette formation politique afin de savoir s’ils doivent continuer les négociations avec la Banque de France ou s’ils doivent entamer une nouvelle procédure avec la Société des Nations. Rappelons que Gafencu même se déclare le partisan résolu de la deuxième alternative car il souhaite rompre définitivement avec la politique du gouvernement Bratianu.431 Un autre partisan de la collaboration avec l’institution de Genève est le Ministre de Roumanie en Grande-Bretagne, Nicolae Titulescu. « Ce dernier, note Grigore Gafencu, avait obtenu des garanties sérieuses de la part de la banque anglaise Schroder et pouvait compter sur l’amitié et la sympathie de Montagu Norman, Gouverneur de la Banque d’Angleterre. »432 En revanche, Iuliu Maniu et Mihai Popovici433, nommé Ministre des Finances, manifeste une certaine hésitation entre Paris et Londres. L’avantage des négociations, organisées sous l’égide de la Banque de France, est qu’elles sont pratiquement finalisées et qu’elles permettront la réalisation de la stabilisation monétaire dans les plus brefs délais. C’est, de notre point de vue, un facteur assez important pour le gouvernement Maniu afin consolider sa position

430 GAFENCU, Grigore, Însemnari politice, 1929-1939 (Réflexions politiques, 1929-1939), Bucuresti, Humanitas, 1991 (2ème éd.), pp. 189-192. 431 GAFENCU, Însemnari politice, 1929-1939, p. 191 et Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Grigore Gafencu sur Les négociations d’emprunt et notre politique étrangère), pp. 45-47. 432 GAFENCU, Însemnari politice, 1929-1939, p. 191. 433 Après des études de droit et de philosophie à Budapest et à Vienne, Mihai Popovici (1879-1966) commence sa carrière politique au sein du Parti National de Transylvanie. Popovici est nommé à plusieurs reprises durant les années 1928 -1933 ministre des Finances, de la Justice et des Travaux publics. Arrêté en juillet 1947 par le régime communiste, Mihai Popovici sera condamné quelques mois plus tard, le 11 novembre. Il sera libéré en 1955.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 politique au détriment du Parti National Libéral auquel on avait également reproché la longueur des négociations avec les banques étrangères. Dans une lettre envoyée au Gouverneur de la Banque de France, Charles Rist met en évidence la « faiblesse » de nouveaux dirigeants de Bucarest qui, pour se maintenir au pouvoir, accepteront de la part des créditeurs étrangers n’importe quel programme et n’importe quelle exigence.434

2. Le gouvernement Maniu, les négociations avec la Banque de France et la stabilisation monétaire de la Roumanie

Face aux changements politiques survenus à Bucarest, le 10 novembre 1928, la Banque de France se voit obligée de demander l’accord du gouvernement Maniu pour la finalisation des négociations avec les banques américaines et européennes, engagées depuis huits mois dans l’organisation de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique. Cet accord devait être obtenu par le Gouverneur Emile Moreau avant le 5 décembre 1928, date à laquelle les banques étrangères devaient se réunir à Paris afin de mettre au point l’émission de l’emprunt roumain, prévue pour le début de l’année 1929.

Face à l’hésitation de Iuliu Maniu qui, malgré l’aggravation de la situation économique et financière de la Roumanie435, restait indéterminé, Charles Rist décide le 24 novembre 1928 de se rendre à Bucarest.436 En exprimant son inquiétude pour la dégradation des finances roumaines, Rist insiste sur la nécessité et l’urgence de continuer les démarches, effectuées par leurs prédécesseurs, afin d’éviter toute nouvelle exigence de la part des banques

434 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Note de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de France, au Gouverneur Emile Moreau sur son voyage à Bucarest, le 29 novembre 1928, pp. 2-3. 435 En 1928, la Roumanie enregistre une très mauvaise récolte. 436 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (1926- 1928) : Télégramme de Constantin Diamandy, Ministre de Roumanie en France, à Iuliu Maniu, Président du Conseil roumain, le 20 novembre 1928, p. 400. 153

étrangères. « La Roumanie, déclare le sous-gouverneur de la Banque de France, a besoin immédiatement de cet emprunt pour achever sa stabilisation monétaire et pour réaliser son développement économique. »437 Après avoir présenté les grandes lignes des négociations avec les banques étrangères, Charles Rist aborde la question de l’équilibre budgétaire que Vintila Bratianu s’était engagé à respecter jusqu’à l’émission de l’emprunt. C’est une question de premier ordre, dont l’importance et, plus particulièrement, les éventuelles répercussions sur le déroulement des négociations avec les créditeurs étrangers n’échappent pas Rist compte tenu du fait que le budget roumain pour l’année 1928 enregistrait déjà un déficit de 7 milliards de lei.438 Dans une entrevue avec Iuliu Maniu et Mihai Popovici, Rist exprime son inquiétude par rapport à ce déficit budgétaire car les banques étrangères pourraient formuler de nouvelles exigences à l’égard de la Roumanie, voire renoncer à leur participation à cette opération.439 Afin d’éviter ce scénario, il conseille le Président du Conseil roumain de demander au Gouverneur Emile Moreau d’envoyer immédiatement à Bucarest de Jean Bolgert, Inspecteur de la Banque de France.440 Avec l’aide de Bolgert, Mihai Popovici pourra établir pour l’année 1929 un budget prévisionnel fiable, basé sur les recettes perçues effectivement en 1928 et non sur des estimations arbitraires.441 En outre, Bolgert rédigera également un rapport détaillé sur la situation financière de la Roumanie que les dirigeants de la Banque de France devront transmettre aux banques centrales américaine et européennes afin de dissiper les craintes provoquées par la révélation de ce

437 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de France à Mihai Popovici, Ministre des Finances, le 27 novembre 1928. 438 Il s’agit d’un montnat de 5 milliards de lei pour le budget général et d’un montant de 2 milliards de lei pour les chemins de fer roumains. 439 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de France à Mihai Popovici, Ministre des Finances, le 27 novembre 1928. 440 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de France, à Mihai Popovici, Ministre des Finances, le 27 novembre 1928. 441 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de France, à Mihai Popovici, Ministre des Finances, le 27 novembre 1928.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 déficit budgétaire.442 Dans ces circonstances, le Gouverneur Moreau pourra facilement demander à tous les participants à l’emprunt roumain le renouvellement du crédit international jusqu’au 15 mars 1929. Par ailleurs, Rist recommande également aux nouveaux dirigeants roumains de faire une déclaration publique afin de présenter les grandes lignes de la politique financière envisagée et, notamment, les moyens auxquels ils auront recours, d’une part, pour équilibrer le budget de 1929 et, d’autre part, pour éponger le déficit de 1928.443 Selon Rist, cette déclaration devra persuader les participants à l’emprunt roumain à renoncer à toute nouvelle exigence à l’égard de la Roumanie.

La décision prise par le Ministre roumain des Finances, Mihai Popovici, de réaliser l’équilibre budgétaire sans l’aide de Jean Bolgert provoque l’inquiétude de Rist qui, lors d’une entrevue avec Diamandy, Ministre de Roumanie en France, exprime ouvertement son manque de confiance dans les nouveaux dirigeants de Bucarest.444 Pour Rist, la question de l’établissement d’un budget équilibré et fiable pour l’année 1929 est d’autant plus importante que la banque américaine Blair & Co. avait annoncé une diminution de 10 millions de dollars de sa participation à l’emprunt roumain. Cette diminution, ainsi que le souligne Rist, se répercute directement sur le projet de réorganisation des chemins de fer car le montant prévu à cet effet devra être révisé à la baisse, soit 10 millions de dollars de moins.445 Afin d’éviter la diminution des autres participations, voire le retrait des autres banques étrangères, Charles Rist demande à Diamandy d’intervenir immédiatement auprès de Iuliu Maniu et d’insister sur l’urgence de la

442 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Télégramme de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de France, à Mihai Popovici, Ministre des Finances, le 8 décembre 1928. 443 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7: Lettre de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de France à Mihai Popovici, Ministre des Finances, le 27 novembre 1928. 444 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (1926- 1928): Télégramme de Constantin Diamandy, Ministre de Roumanie en France, à Iuliu Maniu, Président du Conseil roumain, le 4 décembre 1928, p. 411. 445 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (1926- 1928): Télégramme de Constantin Diamandy, Ministre de Roumanie en France à Iuliu Maniu, Président du Conseil roumain, le 4 décembre 1928, p. 411. 155

déclaration sur l’état des finances et les prévisions budgétaires pour l’année 1929.446

Dans le compte rendu de son voyage en Roumanie, Charles Rist manifeste son inquiétude par rapport à la conclusion de l’emprunt roumain.447 Le manque de volonté de Popovici de faire voter de nouvelles réformes financières et, notamment, celle du budget, ainsi que le refus de travailler avec Jean Bolgert pour l’établissement du budget de 1929 compliquent la donne.448 La seule solution envisagée par Rist pour assurer la finalisation de l’emprunt roumain car, ainsi qu’il affirme, le problème du déséquilibre budgétaire n’était pas un obstacle insurmontable449 sera l’intervention ferme du Gouverneur Moreau auprès des dirigeants de Bucarest. À la question de Moreau si la Banque de France devait se retirer de cette affaire, Rist déclare qu’ils sont obligés de continuer les négociations avec la Roumanie car le prestige et le crédit international de la Banque de France étaient en jeu.450 Devenue, ainsi, un enjeu essentiel pour le succès de la stabilisation du leu, la question du budget roumain provoquera de véritables tensions entre les dirigeants roumains et Charles Rist. Si pour ce

446 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (1926- 1928): Télégramme de Constantin Diamandy à Iuliu Maniu, le 4 décembre 1928, p. 411. 447 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Note de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de France, au Gouverneur Emile Moreau sur son voyage à Bucarest, le 29 novembre 1928, pp. 1-4. 448 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Note de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de France, au Gouverneur Emile Moreau sur son voyage à Bucarest, le 29 novembre 1928, pp. 2-3. 449 Pour Charles Rist, le véritable problème sera « (…) d’empêcher le retour de nouveaux trous dans l’avenir. Or, ceci aussi n’est pas difficile techniquement. Ce n’est difficile que psychologiquement, étant donné les hommes. » Voir Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Note de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de France, au Gouverneur Emile Moreau sur son voyage à Bucarest, le 29 novembre 1928, p. 3. 450 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Note de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de France, au Gouverneur Emile Moreau sur son voyage à Bucarest, le 29 novembre 1928, p. 4.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 dernier, le déficit budgétaire de 1928 pourra être facilement combler grâce à la somme de 75 millions de reichsmarks que la Roumanie devait recevoir de l’Allemagne en vertu de l’Accord de Berlin du 10 novembre 1928, il en est autrement pour Mihai Popovici.

Dans la lettre envoyée à Rist, le 12 décembre 1928, le Ministre roumain des Finances se contente de déclarer que les principales causes du déficit budgétaire de 1928 résident dans la mauvaise exploitation des chemins de fer et les évalutations trop élevées des revenus de l’État, effectuées par le gouvernement Bratianu en 1927.451 Admettant que le déséquilibre budgétaire pourra porter atteinte aux intérêts de la Roumanie, Mihai Popovici déclare qu’il sera difficile d’établir un budget équilibré et fiable pour l’année 1929 car la mauvaise récolte de 1928 a considérablement diminué les revenus de l’État. Quant à la création de nouveaux impôts, il insiste sur le fait qu’il ne pourra pas entrer en matière jusqu’à ce que la position de son gouvernement ne soit entièrement consolidée. Par la même occasion, Popovici avertit que la puissance contributive de la population roumaine, essentiellement agricole, est trés limitée et que l’augmentation des impôts sera une véritable catastrophe. La seule solution proposée pour éponger le déficit budgétaire de l’année 1928 et pour établir l’équilibre pour l’année suivante est le recours à l’emprunt de stabilisation monétaire et de développement économique.452 De son point de vue, soutenu également par le Ministre de l’Economie et du Commerce, Virgil Madgearu, l’emprunt devra servir tout d’abord à couvrir le déficit budgétaire récemment créé et, deuxièmement, à la création d’une réserve en vue d’un déficit éventuel pour les années suivantes.453 La somme restante de cet emprunt devra être utilisée pour la réorganisation des chemins de fer et la

451 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre de Mihai Popovici, Ministre des Finance, à Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de France, le 12 décembre 1928. 452 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Conversation avec Virgil Madgearu, Ministre de l’Industrie et du Commerce, le 20 janvier 1929, p. 1. 453 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Conversation avec Virgil Madgearu, Ministre de l’Industrie et du Commerce, le 20 janvier 1929, p. 1. 157

réalisation des travaux d’utilité générale, tels que la construction des écoles, des universités, des coopératives agricoles, etc.454 Rappelons que Virgil Madgearu s’est montré à plusieurs reprises partisan de l’intervention et de la collaboration avec de la Société des Nations pour la restauration des finances roumaines. Selon Madgearu, l’institution de Genève est le seul établissement compétent d’imposer une trève entre les differentes formations politiques roumaines qui se disputent le pouvoir depuis la fin de la Première Guerre mondiale.455

Parallèlement aux démarches effectuées auprès de la la Banque de France456, les dirigeants de Bucarest décident de solliciter l’aide financière de la Grande- Bretagne et de la Société des Nations. Le journal anglais Manchester Guardian, annonce même dans son édition du 15 décembre 1928 que : « Le Parti National Paysan s’est déclaré en faveur d’un emprunt extérieur émis sous les auspices de la Ligue des Nations. »457 Chargé par Mihai Popovici de se renseigner sur les conditions et les possibilités de l’émission sur le marché anglais d’un éventuel emprunt auprès du représentant du Trésor britannique, Frederick Leith Ross, Nicolae Titulescu informe le 19 décembre 1928 les dirigeants roumains que Londres recommande la Société des Nations.458 L’entrevue avec le Ministre roumain donne l’occasion à Leith Ross de demander à Maniu de réserver à l’industrie anglaise des commandes proportionnelles aux crédits accordés par le

454 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Conversation avec Virgil Madgearu, Ministre de l’Industrie et du Commerce, le 20 janvier 1929, p. 1. 455 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Conversation avec Virgil Madgearu, Ministre de l’Industrie et du Commerce, le 20 janvier 1929, p. 3. 456 Le 6 décembre 1928, Iuliu Maniu envoie Virgil Madgearu et le Régent Buzdugan à Paris afin de continuer les négociations avec le consortium de banques centrales américaine et européennes, réuni par la Banque de France pour l’émission de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique. 457 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (1926- 1928) : Télégramme de Nicolae Titulescu, Ministre de Roumanie en Grande- Bretagne, au gouvernement roumain, le 19 décembre 1928, p 420. 458 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (1926- 1928), Télégramme de Nicolae Titulescu, Ministre de Roumanie en Grande- Bretagne au gouvernement roumain, le 19 décembre 1928, p. 419.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 marché britannique dans l’éventualité où l’emprunt roumain sera émis sous les auspices de la Banque de France. Contrarié par cette exigence, Titulescu rappelle que la politique et les principes de la Société des Nations excluent tout arrangement industriel en faveur des participants à une émission étrangère et que, si c’est le cas, la Roumanie trouvera une autre solution. Surpris par l’attitude de Titulescu, Leith Ross réplique dans ces termes : « Oui, vous avez raison. Mais, il y a des situations d’exception même pour le Comité financier de la Société des Nations si la France et la Grande Bretagne se mettent d’accord.»459 Malgré ses divergences d’opinion avec le représentant du Trésor britannique, Nicolae Titulescu s’adressera quelques semaines plus tard au Comité fiancier de Genève. Révélées par le journal roumain Adevarul (La Vérité) dans son édition du 12 janvier 1929, les démarches effectuées par Titulescu auprès de la Société des Nations provoquent une véritable crise entre les dirigeants roumains et les dirigeants de la Banque de France. Mihai Popovici se voit obligé dans ces circonstances de faire immédiatement une déclaration publique pour démentir son implication dans ces démarches. À la surprise générale, il accusera ouvertement Nicolae Titulescu de vouloir saboter les négociations avec la Banque de France.460 Cet acte de « trahison » lui portera préjudice car Mihai Popovici perdera toute sa crédibilité auprès de son parti et des milieux financiers internationaux. En revanche, Nicolae Titulescu, qui n’a jamais caché son penchant pour la Société des Nations, décide de se désolidariser du gouvernement Maniu en déclarant fermement : « Je serai Ministre de Roumanie à Londres et à Genève et rien d’autre. »461

Les nouvelles informations transmises à Paris par Gabriel Puaux, selon lesquelles le Régent Buzdugan a été envoyé à Londres afin d’obtenir que d’autres banques anglaises se joignent à Lazard Brothers et à Hambro Bank Ltd. pour l’émission de l’emprunt roumain, exaspèrent les dirigeants de la

459 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (1926- 1928), Télégramme de Nicolae Titulescu, Ministre de Roumanie en Grande- Bretagne au gouvernement roumain, le 19 décembre 1928, p. 420 (Trad. du roumain). 460 GAFENCU, Însemnari politice, 1929-1939, p. 10. 461 GAFENCU, Însemnari politice, 1929-1939, p. 9. 159

Banque de France.462 Mihai Popovici se voit encore une fois obligé d’intervenir en déclarant « qu’il est toujours fermement décidé à mener à son terme les négociations engagées par la Roumanie sous les auspices de la Banque de France. »463

Appelé à Paris le 16 janvier 1929, Popovici menace la Banque de France d’arrêter les négociations et de s’adresser à la Société des Nations si les banques étrangères ne modifient pas les conditions et les exigences pour l’émission de l’emprunt roumain en faveur de son pays.464 Or, « les conséquences d’un telle action, avertit Popovici, vont porter atteinte à l’influence et au prestige acquis par la France en Roumanie depuis la fin de la Grande Guerre. »465 Pour mieux comprendre l’attitude du Ministre roumain, il convient de préciser qu’il avait promis à son gouvernement de demander à la Banque de France et aux autres banques centrales américaine et européennes un crédit de 70 millions. Rappelons que le montant prévu par les banques centrales américaine et européennes était de 25 millions de dollars. Afin de justifier sa demande, Mihai Popovici invoque le fait que « le Gouvernement roumain a fait tous les sacrifices que la Banque de France lui a demandé et plus particulièrement d’établir l’équilibre budgétaire et de signer l’accord avec l’Allemagne. »466

462 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/10 : Télégramme de Gabriel Puaux, Ministre de France en Roumanie, au Gouverneur Emile Moreau, le 11 janvier 1929. 463 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, 1370200006/10 : Télégramme de Gabriel Puaux, Ministre de France en Roumanie, au Gouverneur Emile Moreau, le 11 janvier 1929, p. 2. 464 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (România si împrumutul pentru stabilizare, 1928-1930) : Lettre de Mihai Popovici, Ministre des Finances, au Gouverneur Emile Moreau, p. 9 (Trad. du roumain). 465Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (România si împrumutul pentru stabilizare, 1928-1930) : Lettre de Mihai Popovici, Ministre des Finances, au Gouverneur Emile Moreau, p. 9 (Trad. du roumain). 466 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (România si împrumutul pentru stabilizare, 1928-1930) : Lettre de Mihai Popovici, Ministre des Finances, au Gouverneur Emile Moreau, p. 9 (Trad. du roumain).

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Face à l’exigence de Mihai Popovici d’augmenter de 45 millions de dollars l’emprunt de stabilisation, ainsi que aux démarches effectuées à Londres et à Genève, Emile Moreau, avec l’assentiment de Poincaré, réagit fortement contre les dirigeants roumains. Le Gouverneur de la Banque de France déplore l’attitude du gouvernement Maniu et, en particulier, celle de Popovici et menace d’arrêter les négociations avec la Roumanie, ainsi que d’exclure toute autre émission roumaine sur le marché français.467

C’est encore Charles Rist qui tente de raisonner le gouvernement Maniu en leur signalant l’apparition des premiers signes de détérioration du marché américain.468 Les difficultés rencontrées par la Bulgarie pour le placement de son emprunt de stabilisation monétaire, émis sous les auspices de la Société des Nations, sur le marché américain illustrent parfaitement l’observation de Rist.469 Afin que le marché international et, en particulier, américain puisse absorber l’émission de l’emprunt roumain, les dirigeants de Bucarest doivent réagir très vite en donnant leur accord pour la finalisation des négociations, organisées par la Banque de France. Dans le but de compenser la diminution de la tranche américaine470, Charles Rist propose l’admission du groupe suédois Ivar Kreuger & Toll dans le consortium de banques étrangères qui, en échange du monopole des allumettes pourrait apporter à la Roumanie la somme de 30

467 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 : (1926- 1928) : Télégramme de Constantin Diamandy, Ministre de Roumanie en France, à Iuliu Maniu, Président du Conseil roumain, p. 13 (Trad. du roumain). 468 Sur cette question, voir DUCHÊNE, François, Jean Monnet. The first statesman of interdependence, New York, London, WW Norton & Company, p. 47. Duchêne évoque la chute du marché boursier américain en avril 1928 qui se répercute fortement sur l’intérêt des banques américaines sur les émissions et les titres étrangers. 469 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (1929- 1939) : Note confidentielle de Constantin Diamandy à Iuliu Maniu sur les négociations de Paris, le 18 janvier 1929, p. 13. 470 Sur cette question, voir BUSSIERE, Eric, « Jean Monnet et la stabilisation monétaire de 1929 : un « outsider » entre l’Europe et l’Amérique » in BOSSUAT, Gérard et Wilkens, Andres (éds.), Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la paix, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, pp. 73-74. 161

millions de dollars.471 Le montant total de l’emprunt roumain serait, ainsi, de 80 millions de dollars. Face à la réticence de Mihai Popovici d’accepter l’entrée de Ivar Kreuger dans le consortium organisé par la Banque de France, Rist déclare : « Le fait qu’un petit pays comme la Suède investit en Roumanie ne présente pas les mêmes risques et inconvénients que ceux d’une Grande Puissance. »472

La proposition de Rist suscite de nouvelles interrogations et débats parmi les dirigeants du gouvernement Maniu. De Londres, Nicolae Titulescu, malgré ses divergences avec Mihai Popovici, conseille à Iuliu Maniu de conclure immédiatement les négociations avec les banques étrangères, selon les conditions établies par Vintila Bratianu et, donc, sans la participation du groupe suédois. Pour compenser la diminution de la participation de la banque américaine Blair & Co., Titulescu propose de s’adresser à la Société des Nations et de demander l’émission d’un nouvel emprunt sous les auspices de cette institution.473 Toute en approuvant l’initiative de Titulescu, Virgil Madgearu propose d’informer immédiatement Moreau et Rist de la volonté de son gouvernement de conclure le plus rapidemment possible les négociations commencées par Vintila Bratianu.474 Madgearu vise, en effet, à finaliser les négociations en cours et à s’adresser à la Société des Nations avant le 1er mars 1929. Si le gouvernement Maniu respectait ce délai, la banque anglaise Schroders était disposée de lui accorder un important emprunt pour soutenir le

471 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (1929- 1939) : Note confidentielle de Constantin Diamandy à Iuliu Maniu sur les négociations de Paris, le 18 janvier 1929, p. 13. 472Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (1929- 1939): Note confidentielle de Constantin Diamandy à Iuliu Maniu sur les négociations de Paris, le 18 janvier 1929, p. 14 (trad. du roumain). 473 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (1929- 1939) : Télégramme de Nicolae Titulescu, Ministre de Roumanie en Grande- Bretagne, à Iuliu Maniu et à Virgil Madgearu, le 29 janvier 1929, p. 20 (Trad. du roumain). 474 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (1929- 1939) : Télégramme de Virgil Madgearu à Nicolae Titulescu, le 29 janvier 1929, p. 22.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 développement économique de la Roumanie.475 Mais, Madgearu et Titulescu ignoraient le fait que le gouvernement roumain ne pourra plus conclure d’autres emprunts étrangers sans l’accord du Conseiller technique de la Banque Nationale si le Programme de stabilisation monétaire et de développement économique entrait en vigueur. Rappelons que le Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie devait être consulté par les dirigeants de Bucarest pour chaque emprunt extérieur qu’ils souhaitaient conclure avec les banques étrangères.

Appelé à se prononcer sur la continuation ou l’arrêt des négociations avec la Banque de France, Iuliu Maniu se montre toujours indécis. Toutefois, il juge nécessaire pour les intérêts de la Roumanie de se soumettre aux décisions prises par Charles Rist et le Gouverneur Moreau et il décide de donner son accord pour la finanlisation des négociations. Dans le télégramme envoyé le 30 janvier 1929 à Diamandy, Maniu donnera finalement son accord pour l’émission, sous les auspices de la Banque de France de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique. Il confirme également la volonté du gouvernement roumain de confier la surveillance et le contrôle des finances du pays à Charles Rist et Roger Auboin.476 Il convient de rappeler que les pourparlers entre la Roumanie et la Banque de France ont commencé le 15 décembre 1927. Après deux mois et demi de tergiversations Iuliu Maniu décide, tout en redoutant les réactions de l’opinion publique, d’approuver les démarches effectuées à l’étranger par Vintila Bratianu pour l’obtention d’un crédit international. En apprenant la nouvelle, le Secrétaire Général de la Société des Nations Sir Eric Drumond exprime son grand étonnement et déclare à Gafencu ne pas comprendre pourquoi : « La Roumanie a refusé de faire appel à

475 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (1929- 1939) : Télégramme de Virgil Madgearu à Nicolae Titulescu, le 29 janvier 1929, pp. 22-23. 476 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (1929- 1939) : Télégramme de Iuliu Maniu, Président du Conseil roumain, à Constantin Diamandy, Ministre de Roumanie en France, le 30 janvier 1929, p. 24. 163

l’institution de Genève, où on peut facilement s’entendre et créer des liens d’amitié avec tout le monde. »477

Le 2 février 1929, Mihai Popovici signe à Paris l’accord définitif avec les banques américaines et européennes, réunies par la Banque de France, pour l’émission de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique. L’émission de cet emprunt est fixée le 14 février 1929, date à laquelle le Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie devra être mis en vigueur. Avec l’accord de Charles Rist, le cours de stabilisation de la monnaie roumaine est établi par les dirigeants de Bucarest à 3,10 centimes or qui représente le cours du jour du leu. Il convient de préciser que certains membres du gouvernement ont demandé que le cours de stabilisation soit fixé à 3, voire au-dessous de 3 centimes or, afin de faire baisser le pouvoir d’achat à l’étranger du leu qui était supériur à celui de l’intérieur.478 De cette manière, les exportateurs roumains auraient pu profiter pendant une courte période de la baisse de prix à l’étranger. Le tableau ci- dessous (Tableau III) illustre le cours de la monnaie roumaine, le leu, avant et après sa stabilisation par rapport aux principales devises étrangères :

477 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (1929- 1939) : Télégramme de Iuliu Maniu, Président du Conseil roumain, à Constantin Diamandy, Ministre de Roumanie en France, le 30 janvier 1929, pp. 11-12 (trad. du roumain). 478 Sur cette question, voir ARSENOVICI, Tiberiu, La stabilisation monétaire en Roumanie, Paris, Jouve & C., 1930, p. 50.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Tableau III : Le cours du leu avant la stabilisation et après la stabilisation monétaire par rapport aux principales devises étrangères

Monnaie Cours du leu avant la Cours du leu après la stabilisation monétaire stabilisation monétaire Livre sterling 807 - 810 813.588

Dollar 165 - 166 167.185

Franc français 6,58-6,60 6.55

Franc suisse 32,30-32,50 32.258

Franc belge 23,25-23,50 23.222

Reichsmark 39,50-39,80 39.821

Lire italienne 8,65 - 8,70 8.799

Pengö 29,20 - 29,25 29.239

Zloty 18,65 - 18,70 18.754

Couronne 4,92 - 4,95 4.97 tchécoslovaque

Source : DOBROVICI, Gheorghe M., Istoricul desvoltarii economice si financiare a României si împrumuturile contractate 1823-1933 (L’historique du développement économique et financier de la Roumanie et les emprunts contractés durant les années 1823-1933), Bucuresti, Universul, 1933, p. 717.

La loi monétaire, destinée à réaliser la stabilisation légale du leu est, ainsi, établie par les dirigeants roumains sur cette base de 3,10 centimes or. Votée par le Parlement roumain le 7 février 1929, la nouvelle loi monétaire fixe la parité-or de du leu à 10 miligrammes d’or au titre de 9/10.479 Elle réalise, donc, la dévalorisation du leu, en le réduisant à la 33e partie de sa valeur d’avant- guerre. Rappelons qu’avant la Première Guerre mondiale la valeur du leu-or était de 0,3229 au titre des 9/10e. Cette loi confirme également le privilège d’émission, ainsi que le cours légal des billets de la Banque Nationale de

479 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Loi monétaire promulguée au Moniteur Officiel du Royaume de Roumanie, le 7 février 1929. 165

Roumanie qui sont convertibles soit en monnaie-or, ayant cours légal, soit en lingots-or, soit en devises étrangères convertibles en or. Concernant la couverture légale de la circulation des billets, elle est fixée par la nouvelle loi monétaire à 35%. Cette encaise or pourra être composée d’or ou de devises libellées en monnaies légalement et pratiquement convertibles en or exportable. Mais, au moins 25% de la circulation des billets doit être garantie par de l’or en caisse ou en dépôt disponible à l’étranger. L’article 6 de cette nouvelle loi entérine l’adoption du Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie, établi par les dirigeants de Bucarest en collaboration avec les banques étrangères durant l’année 1928. Ce Programme, dont l’exécution a été estimée à une durée de trois ans, prévoit l’introduction de toute une série de mesures et de réformes administratives et financières, destinées à réorganiser les statuts de la Banque Nationale de Roumanie et de la Trésorérie, la comptabilité publique et les chemins de fer roumains. Les ressources financières qui permettront au gouvernement Maniu de réaliser tous ces travaux sont, donc, celles de l’emprunt international, dont l’émission était prévue pour le 15 mars 1929.

Avant de présenter l’action et les mesures adoptées par le Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie, Charles Rist, et ses collaborateurs afin d’assurer l’exécution du Programme, nous présentons l’émission et les conditions de l’emprunt roumain.

3. L’émission de l’emprunt et le Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie

Contracté par les dirigeants de Bucarest après de longues négociations, l’emprunt de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie est conclu, ainsi que les banques étrangères l’ont exigé, par la Caisse Autonome des Monopoles du Royaume de Roumanie. À cette dernière, l’État roumain a confié à titre irrévocable et non transférable le droit exclusif d’exploiter tous ses monopoles fiscaux pour le prix de 300.000.000 de dollars et

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 contre le paiement des différentes redevances annuelles.480 La Caisse Autonome des Monopoles doit, en effet, verser chaque mois sur un compte spécial ouvert à la Banque Nationale de Roumanie deux tiers de recettes brutes de l’exploitation de ses monopoles, après la déduction des provisions nécessaires pour toutes ses dépenses, y compris les frais d’administration, de direction et d’exploitation, ainsi que les allocations pour la réparation, le renouvellement et l’entretien.481 Par ailleurs, elle doit remettre à l’État par des versements à la Banque Nationale de Roumanie le produit de l’emprunt, dont l’affectation s’effectuera conformément au Programme.482

Cet emprunt qui, est considéré comme la première tranche de l’emprunt international de 300.000.000 de dollars, destiné à l’application du Programme, est émis sous forme d’obligations de 7% amortissables en 30 ans et garanties par la Caisse Autonome des Monopoles du Royaume de Roumanie. Libellé, selon les places émettrices, soit en dollars, soit en francs français, soit en livres sterling, il s’élève à 69.000.000 de dollars, 561.638.000 francs français et 2.000.000 de livres sterling.483 Sur le montant de 69.000.000 dollars, la Svenska Tandsticks-Aktienbolaget (Compagnie Suédoise des Allumettes), à laquelle l’État roumain a concédé l’exploitation du monopole des allumettes pour une durée de 30 ans, achète 30.000.000 de dollars au pair.484 Le montant de

480 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Bulletin d’information et de documentation (Loi du 7 février 1929 portant création de la Caisse Autonome des Monopoles du Royaume de Roumanie, art. 5, p. 26.), Bucarest, février 1929. 481 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Bulletin d’information et de documentation (Convention conclue le 7 février 1929 entre l’État et la Caisse Autonome des Monopoles du Royaume de Roumanie, article 5.6, p. 29), Bucarest, février 1929. 482 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Bulletin d’information et de documentation (Convention conclue le 7 février 1929 entre l’État et la Caisse Autonome des Monopoles du Royaume de Roumanie, article 5.6, p. 29), Bucarest, février 1929, article 5.2, pp. 28-29. 483 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Bulletin d’information et de documentation : La Réforme monétaire du 7 février 1929, Bucarest, février 1929, p. 2. 484 DOBROVICI, Gheorghe M., Istoricul desvoltarii economice si financiare a României si împrumuturile contractate 1823-1933 (L’historique du 167

l’emprunt roumain qui, représente en dollars la somme de 101.000.000, se repartit par pays participant de cette manière (Tableau IV).

Tableau IV : La répartition de l’emprunt international de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie Pays Montant Devise

France 561.638.000485 Francs français

Grande-Bretagne 2.000.000486 Livres sterling

Etats-Unis 12.000.000 Dollars

Allemagne 5.000.000 Dollars

Autriche 1.000.000 Dollars

Belgique 3.000.000 Dollars

Tchécoslovaquie 1.000.000 Dollars

Hollande 3.000.000 Dollars

Italie 8.000.000 Dollars

Roumanie 2.000.000 Dollars

Suisse 4.000.000 Dollars

Suède 30.000.000 Dollars

Total 101.000.000 Dollars

Source : Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Bulletin d’information et de documentation : La Réforme monétaire du 7 février 1929, Bucarest, février 1929, p. 2.

Ainsi, que nous pouvons remarquer, la somme la plus importante, soit 30 millions de dollars, revient à la Suède, par suite de la participation de la Svenska

développement économique et financier de la Roumanie et les emprunts contractés durant les années 1823-1933), Bucuresti, Universul, 1933, pp. 700- 701. 485 Il s’agit d’un montant de 22 millions de dollars. 486 Il s’agit d’un montant de 10 millions de dollars.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Tandsticks-Aktienbolaget d’Ivar Kreuger. Constituée en 1917 à l’initiative de Kreuger, cette société tente d’établir son monopole sur les allumettes des différents pays européens et, notamment, centre-européens, en accordant des prêts aux gouvernements qui, sont à la recherche des capitaux étrangers. Le processus de stabilisation des monnaies centre-européennes, qui exige d’importants moyens financiers, donne à Kreuger l’occasion d’intervenir dans cette région. Le premier pays centre-européen qui, a eu recours à la Svenska Tandsticks-Aktienbolaget pour obtenir les ressources financières nécessaires à la réalisation de sa stabilisation monétaire, est la Pologne.487 Dans ses Mémoires, Jean Monnet témoigne de la rencontre avec Kreuger dans l’affaire polonaise qui, n’était qu’un début pour « cet homme inquiétant, bâti en force, qui portait son énigme sur son visage impassible, volontairement inexpressif »488 car il s’était proposé d’acquérir les monopoles des allumettes un peu partout dans le monde. En le rencontrant à nouveau dans l’affaire roumaine, Monnet marque son grand étonnement devant la proposition de Kreuger de participer à l’émission de l’emprunt roumain car « à lui seul, il nous proposait d’apporter ce que les groupes bancaires les plus puissants ne pouvaient obtenir sur les marchés européen et américain. »489 Questionné par Jean Monnet sur ses moyens de participation à l’emprunt roumain, Ivar Kreuger s’exprime dans ces termes : « J’ai calculé que si je mettais une allumettes en moins dans chaque boîte, je m’y retrouverais. »490

Exceptée la tranche de 30 millions de dollars souscrite par Ivar Kreuger, les trois autres tranches de l’emprunt roumain sont soucrites par les banques et les sociétés financières américaines et européennes suivantes (Tableau V) :

487 Avec un crédit de 30 millions de dollars accordé à la Pologne, Ivar Kreuger acquiert le monopole des allumettes. 488 MONNET, Jean, Mémoires, Paris, Fayard, 1995, p. 125. 489 MONNET, Mémoires, p. 125. 490 MONNET, Mémoires, p. 126. 169

Tableau V : Les souscripteurs de l’emprunt international de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie Tranche Souscripteurs/Banques Prix de assurant l’émission souscription

Tranche de Banque de Paris et des Pays-Bas 92% 561.638.000 FF

Tranche de 2.000.000 Hambros Bank, Lazard Brothers & 88% Co. £

Tranche de 39.000.000 - Chase National Bank, Blair & 88% Co., Dillon Red & Co. ; $ - Banca Commerciale Italiana ; - Deutsche Bank, Disconto- Gesellschaft ; - Crédit Suisse ; - Banque de Paris et des Pays- Bas, Bruxelles ; - Mendelssohn & Co., Nederlandche Handel- Maatschapij ; - Banca Românesca, Banca de Credit Român, Banca Chrissoveloni, Banca Marmorosch, Blank & Co. ; - Oesterreichische Escompte Ges. ; - Zivnostenska Banka.

Source : URECHE-RANGAU, Loredana, Dette souveraine en crise: l’expérience des emprunts roumains à la Bourse de Paris durant l’entre-deux-guerres, Paris, Publications de la Sorbonne, 2008, p. 207.

Il ressort du Tableau V que le montant le plus important revient à la Banque de Paris et des Pays Bas qui souscrit entièrement la tranche de 561.638.000 francs français, ainsi que le quota de 3.000.000 de dollars émis sur le marché belge. Rappelons l’intérêt de cette banque pour les affaires pétrolières roumaines où elle fait d’importants investissements dès la fin de la Première Guerre

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 mondiale.491 Elle dispose également des liens très étroits avec les plus puissants établissemets bancaires mixtes roumains, la Banque Marmorosch, Blank and Co. et la Banque de Crédit Roumai n, qui lui ont permis dès 1919, ainsi que le souligne Marguerat, de négocier son engagement dans certaines sociétés métallurgiques et pétrolières roumaines.492 Le rôle et la participation de la Banque de Paris et des Pays Bas à l’emprunt roumain montre l’implication des dirigeants de Paris dans ce pays où la question de la stabilisation monétaire devient un moyen de garder et de consolider l’influence politique et financière française dans la région. Par ailleurs, la stabilisation roumaine permet à la finance française de rivaliser avec la grande finance américaine et, plus particulièrement, anglaise.

À ce montant de 101 millions de dollars s’ajoute le crédit de 25 millions de dollars, accordé à la Banque Nationale de Roumanie par la Federal Reserve Bank de New York et par treize banques centrales européennes. La Banque de France, la Banque d’Angleterre, la Reichsbank et la Federal Reserve Bank accordent chacune un crédit de 4 millions de dollars.493 Il convient également de préciser que les versements que l’Allemagne doit être effectué à la Roumanie, en vertu de l’accord du 10 novembre 1928, seront également ajoutés au montant de l’emprunt de stabilisation et recevront les mêmes affectations que les fonds de cet emprunt.494

491 Sur cette question, voir BUSSIERE, Eric, Paribas. L’Europe et le monde, 1972-1992, Paris, Fonds Mercator, 1992 et MARGUERAT, Philippe, Banque et investissement industriel. Paribas, le pétrole roumain et la politique française, 1919-1939, Genève, Droz, 1987. 492 MARGUERAT, Banque et investissement industriel, p. 22. 493 Le montant restant de 9 millions de dollars se partage entre l’Oesterreichische Nationalbank, la Banque Nationale de Belgique, la Finlands Bank, la Magyar Nemzeti Bank, la Banca d’Italia, la Nederlandsche Bank, la Bank Polski, la Sveriges Riks Bank, la Banque Nationale de Suisse et la Narodni Banka Ceskoslovenska. 494 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : La Réforme monétaire du 7 février 1929, p. 2. 171

Les affectations de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et développement économique, dont la contrevaleur en lei du produit net de l’emprunt, soit le montant de 90 millions de dollars, a été déposé par la Caisse Autonome des Monopoles à la Banque Nationale de Roumanie, sont les suivantes (Tableau VI) :

Tableau VI : Les affectations de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie Affectation Montant en millions Montant en millions de dollars de lei

Stabilisation monétaire et 1.219 10 Banque Nationale de Roumanie Institutions de Crédit (Banques 2.961 15 populaires, SNCI, Coopétatives de production et de consommation) Fonds de roulement du Trésor 6.182 20 et des Chemins de Fer Investissements et remise en 5.950 35 état des Chemins de Fer roumains Travaux publics productifs 1.219 10 divers

Total 17.531 90

Source : Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 13700006/7 : Bulletin d’information et de documentation (L’Emprunt, p. 12), Bucarest, février 1929.

Le Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie prévoit donc d’accorder le crédit le plus important à la réorganisation et au développement des chemins de fer. En collaboration avec Gaston Leverve, l’Administration des Chemins de Fer du Royaume de Roumanie a établit tout un programme de travaux à effectuer pour la réorganisation du réseau ferroviaire roumain, dont l’exécution nécéssite de considérables ressources financières. Parmi les principaux travaux envisagés,

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 nous mentionnons : la consolidation et la construction de nouvelles lignes, le renfort et la reconstruction des ponts, l’agrandissement des gares, le développement des installations téléphoniques et télégraphiques, l’amélioration et l’augmentation du matériel roulant.495 Désigné Expert pour l’application technique de ce programme, Leverve a pour principale mission de fixer les dates et l’ordre d’exécution de tous les travaux prévus en fonction de leur nécessité et, notamment, de leur caractère productif, à savoir la nature à donner des recettes nouvelles ou des économies correspondant aux charges résultant de ces dépenses. Le crédit de 35 millions de dollars doit également permettre à Leverve de réorganiser, en collaboration avec Rist pour les questions financières, toute l’Administration des Chemins de Fer. Cette dernière doit bénéficier par rapport au pouvoir politique de l’autonomie administrative et financière, y compris dans la nommination de personnel, le pouvoir et les compétences du Conseil d’administration, la passation des marchés, etc. Le fait que les recettes du trafic ferroviaire doivent couvrir les dépenses d’exploitation sans subvention du budget général devient désormais la règle principale.496 Elle s’attaque, en effet, à la gratuité et à la réduction des transports au profit des différents services publics qui était une pratique courante des dirigeants roumains. Sous la stricte surveillance de Leverve et de Rist, tous les Services publiques roumains et, essentiellement, la Société Nationale de Crédit Industriel doivent payer intégralement les transports effectués pour leur compte par l’Administration des Chemins de Fer. L’exécution technique et la nature des travaux de réorganisation et de développement du réseau ferroviaire roumain doit faire l’objet pendant une durée de trois ans d’un rapport annuel, dont la rédaction est confiée à Gaston Leverve.497 Ce dernier doit également renseigner

495 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, 1370200006/7 : Bulletin d’information et de documentation (La réorganisation des chemins de fer, p. 10), Bucarest, février 1929. 496 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Bulletin d’information et de documentation (La réorganisation des chemins de fer, p. 11), Bucarest, février 1929. 497 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Bulletin d’information et de documentation (La réorganisation des chemins de fer, p. 11), Bucarest, février 1929. 173

les créanciers étrangers de la Roumanie sur la situation financière des chemins de fer, ainsi que la situation du trafic et, notamment, des tarifs en vigueur.

Quant à la réorganisation des services financiers, le Programme prévoit l’introduction de toute une série de mesures concernant l’établissement et l’application du budget, dont l’équilibre doit rigoureusement maintenu. Responsable de l’équilibre budgétaire, le Ministre des Finances a pour principale tâche de préparer le budget général des recettes et des dépenses avec des chiffres fiables et transparents. Si en cours d’exercice il a besoin de crédits aditionnels, il doit demander au Parlement de créer de nouvelles recettes et non plus à la Banque Nationale, ainsi que le permettait la Convention du 19 mai 1925. Le gouvernement roumain n’a plus le droit de faire des dépenses que dans la limite des crédits budgétaires accordés. Afin de renforcer la surveillance et le contrôle des dépenses, le Ministre des Finances, en collaboration avec la Cours des Comptes du Royaume de Roumanie, doit désigner auprès de chaque membre du gouvernement un contrôleur des dépenses. Ces derniers se réuniront une fois par mois afin de communiquer et d’échanger leurs observations sur l’exécution du budget et de proposer au Ministre des Finances, en cas de nécessité, des réformes de comptabilité.498

Le Programme envisage également la création auprès du Ministère des Finances de la Direction du Mouvement Général des Fonds, dont la mission sera de surveiller le fonctionnement du fonds de roulement et de centraliser les écritures relatives à ce mouvement. Afin de renforcer la surveillance de l’exécution du budget, les pouvoirs de la Cour des Comptes seront étendus de manière à assurer immédiatement et sans l’accord du gouvernement le contrôle des comptes. La réorganisation des services industriels et des services d’exploitation du domaine de l’État roumain, tels que les transports fluviaux et maritimes, les ports, les mines, les forêts, les redevances minières en nature figure aussi dans le Programme. Par cette mesure, on vise principalement à

498 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Bullletin d’information et de documentation. La Réforme monétaire du 7 février 1929, p. 9.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 doter tous ces services d’une gestion indépendante et, notamment, d’une responsabilité financière propre.

Selon les exigences du Programme, le Trésor roumain doit avoir un compte courant à la Banque Nationale, chargée des mouvements de fonds sur tout le territoire roumain. Les caisses publiques ne doivent plus garder dans leurs coffres que le minimum des fonds nécessaires. Les fonds disponibles devront être régulièrement versés à la Banque Nationale au compte courant du Trésor. En outre, les marchés importants conclus par les différents Ministères devront stipuler que les paiements seront faits aux fournisseurs et aux entrepreneurs qu’au moyen de chéques de virement. Par ailleurs, une somme de 11 millions de dollars, prélevée sur l’emprunt de la Caisse Autonome des Monopoles, sera attribuée au fonds de roulement du Trésor et au remboursement des avances faites auparavant par l’État roumain à la Régie des Monopoles de l’Etat. En cours d’exercice, le Trésor pourra demander à la Banque Nationale des avances temporaires de maximum 2 milliards de lei. Un autre moyen autorisé pour la Trésorerie pour se procurer des ressources est le placement des Bons du Trésor, dont l’échéance ne pourra pas dépasser une année et le montant de 2 milliards de lei. La situation financière de la Trésorerie devra faire l’objet d’un rapport mensuel du Ministre des Finances qui mentionnera également l’état d’exécution des mesures administratives et législatives, prévues par le Programme.

La Convention, relative à la révision des statuts de la Banque Nationale de Roumanie et aux opérations de stabilisation, conclue le 7 février 1929 entre l’État roumain et la Banque Nationale établit le rôle et la mission de la banque centrale de manière à consolider son indépendance par rapport au pouvoir politique. La loi monétaire du 7 février 1929 qui rend à la Banque Nationale de Roumanie son autonomie complète limite le droit des dirigeants politiques d’intervenir dans les décisions et la politique monétaire et financière menée par la banque centrale. Selon l’article 87 des nouveaux Statuts, le pouvoir politique pourra uniquement s’opposer à l’exécution de toute mesure prévue par la 175

Banque Nationale s’il l’estmaitt contraire aux lois, aux statuts ou aux intérêts de l’Etat.499 Afin de s’assurer que la Banque Nationale respecte ses engagements et sa mission, les dirigeants politiques désigneront un commissaire qui assistera à toutes les séances de la Banque et aura une voix consultative. En outre, le pouvoir politique est autorisé à participer à la désignation du Gouverneur, dont la nomination doit se faire par décret royal pour un mandat de six ans, renouvelable si les conditions de nomination sont entièrement respectées.

Le premier article des nouveaux Statuts entérine la mission de la Banque Nationale de maintenir dans le pays la stabilité et la sécurité de la monnaie, ainsi que celle d’assurer et de contrôler la circulation monétaire et le crédit. Afin de lui permettre d’accomplir sa mission, on prévoit l’introduction de toute une série de mesures, telles que l’augmentation de son capital de 100 millions de lei à 600 millions de lei (article 6), l’établissement des opérations monétaires et financières à réaliser en Roumanie et à l’étranger (articles 20-35), le fonctionnement administratif de cette insititution (articles 44-86), ains que les relations avec le Trésor, la Société Nationale de Crédit Industriel500, l’Administration des Chemins de Fer, etc. Toutes ces mesures sont destinées à changer le rôle et l’activité de la Banque Nationale de Roumanie qui avant la stabilisation monétaire était, ainsi que le souligne Tiberiu Arsenovici, « l’usine à papier-monnaie » assurant le financement de l’industrie, du commerce, des propriétaires agricoles par des crédits à long terme.501

Afin de garantir et de faciliter l’exécution de toutes ces mesures de réorganisation des chemins de fer, des services financiers et de la Banque Nationale, les créanciers étrangers de la Roumanie ont imposé auprès de la

499 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Bullletin d’information et de documentation. La Réforme monétaire du 7 février 1929, p. 23. 500 Nous rappelons que la Banque Nationale de Roumanie est actionnaire de la Société Nationale de Crédit Industriel. Les nouveaux Statuts (article 22) lui permettent de maintenir sa participation au capital de cette société aussi longtemps qu’elle le jugera indispensable. 501 ARSENOVICI, La stabilisation monétaire, pp. 99-100.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Banque Nationale, pendant une période de trois un Conseiller technique. La mission et les fonctions de ce dernier sont stipulées par l’article K concernant les Dispositions transitoires des nouveaux Statuts. Ainsi, le Conseiller technique devra être consulté par les dirigeants de la Banque sur toutes les questions relatives à l’application du Programme, au service des arrièrages et à l’exécution des transferts prévus par l’emprunt. En outre, il sera chargé d’organiser le Services des Études Économiques et Monétaires de la Banque Nationale qui, sera mis sous son autorité pendant les trois premières années de la promulgation de la stabilisation monétaire. La mission de Conseiller technique a été confiée, ainsi que nous avons précisé dans la première partie de notre travail, au sous-gouverneur de la Banque de France Charles Rist et à son adjoint Roger Auboin.

Ayant permis au gouvernement de Iuliu Maniu d’obtenir un emprunt international de 101 millions de dollars, le Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie, dont les principales mesures nous les avons présentées ci-dessus, est mis en viguer dès le 14 février 1929 sous la stricte surveillance de la mission financière de la Banque de France. Cette dernière a réussi, après de longues discussions et divergences avec les autorités de Bucarest, à conclure l’emprunt roumain et de « sauver », ainsi, son prestige international, notamment, par rapport à la Banque d’Angleterre qui, à plusieurs reprises, a tenté d’empêcher cette opération. Avec l’installation de la mission de la Banque de France en Roumanie, le Gouverneur Moreau consolide, ainsi, le prestige et l’influence de la Banque de France au détriment de « l’impérialisme financier de la Banque d’Angleterre » qui, ainsi qu’il affirme , « était une menace pour nos intérêts les plus légitimes, notamment en Europe centrale, où l’influence anglaise risquait d’éclipser la nôtre, au préjudice grave de notre politique étrangère. »502

502 MOREAU, Emile, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, Paris, Génin 1954, p. 491. 177

C’est également une réussite pour la diplomatie française qui, avait soutenu et suivi de près les négociations avec la Roumanie. « La présence du Conseiller technique à la Banque Nationale de Roumanie fortifie notre influence dans ce pays »503 écrit le Ministre de France à Bucarest Gabriel Puaux au lendemain de la stabilisation de la monnaie roumaine. Dans ces circonstances, le Quai d’Orsay peut mieux défendre ses intérêts roumains et consolider son influence dans ce pays membre de la Petite Entente et, implicitement, dans la région. Composée de diplomates, industriels, banquiers et militaires, le réseau de la diplomatie française s’enrichit, donc, dès février 1929 de nouveaux collaborateurs, dont le rôle et les activités pourront être fortement utiles pour le renforcement de la position de la France au détriment des autres puissances européennes.

503 Archives du MAEF, Paris, Relations commerciales, 1918-1940, Roumanie, No. 16.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

CHAPITRE II : LA MISSION FINANCIÈRE DE LA BANQUE DE FRANCE ET LE RENFORCEMENT DE L’INFLUENCE FRANÇAISE EN ROUMANIE, FEVRIER 1929 - MAI 1932

La mission financière de la Banque de France en Roumanie durant les années 1929-1932, s’inscrit dans le Programme de stabilisation monétaire et de développement économique établit par la Banque de France et les dirigeants roumains dans le contexte des négociations visant à émettre un emprunt international pour la stabilisation de la monnaie et la réorganisation des chemins de fer.504 En quelque sorte garante de la Roumanie, la Banque de France envoie à Bucarest dès février 1929 plusieurs conseillers et experts financiers afin de s’assurer l’application et l’exécution administrative et financière des mesures exigées par les participants à l’emprunt roumain, auxquels elle avait donné des garanties concernant le respect des engagements pris par les dirigeants de Bucarest.

Charles Rist, Roger Auboin, Jean Bolgert, Henri Poisson et les ingénieurs Gaston Leverve et Michel Mange se voient confié par la Banque de France la mission de surveiller et de participer, en collaboration avec les dirigeants roumains, à l’application du Programme durant les années 1929-1932. C’est une mission qui s’annonce difficile et laborieuse et qui nécessite beaucoup d’efforts des experts français et, notamment, du Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie. Rist témoigne de sa mission dans son Journal roumain (12 février -14 septembre 1929) où il décrit rigoureusement son activité éprouvante de « contrôleur » financier, ainsi que les difficultés rencontrées avec les dirigeants de Bucarest pour l’exécution du Programme.

504 Sur la question de la stabilisation monétaire de la Roumanie, consulter l’ouvrage de MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France et les articles de COTTRELL, P. « Central bank co-operation and Romanian stabilisation, 1926-1929 » in GOURVISH, Terry (ed.), Business and Politics in Europe, 1900-1970, Cambridge, Cambridge University Press, 2003 et de MOURE, K. «French money doctors, central banks, and politics in the 1920s » in FLANDREAU, Marc (éd.), Money Doctors. The experience of international financial advising 1850-2000, London, 2003, pp. 138-16. 179

1. Charles Rist, Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie, février 1929 - février 1930

Dès la mise en vigueur du Programme, Charles Rist quitte ses fonctions de sous-gouverneur de la Banque de France pour se rendre à Bucarest où il avait accepté d’être nommé pendant une année Conseiller technique de la Banque Nationale. Accompagné de Roger Auboin, Rist arrive en Roumanie le 11 février 1929 après un long et pénible voyage en raison des conditions hivernales particulièrement rigoureuses de cette année.505

Leur arrivée dans la capitale roumaine provoque immédiatement de nombreuses critiques dans la presse étrangère et plus particulièrement dans la presse anglaise. Cette dernière publie en février 1929 toute une série d’articles visant à dénoncer les avantages économiques et financiers que la France obtiendra dans ce pays par l’intermédiaire de Charles Rist.506 À titre d’exemple, Financial News publie dans son édition du 12 février 1929 l’article intitulé L’attitude de Charles Rist en Roumanie qui accuse la mission financière envoyée à Bucarest par la Banque de France de favoriser les intérêts financiers et industriels français au détriment des autres participants à l’emprunt roumain.507 Financial News reproche au Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie de faire usage de sa position et de son influence auprès des dirigeants de Bucarest, afin que les maisons anglaises, américaines et allemandes soient exclues de toutes les affaires de ce pays.508 « Des cas ont été rapportés, écrit Financial News, où des offres faites par des maisons

505 RIST, Charles, « Notice biographique » in Revue d’Economie politique, « Charles Rist, 1874-1955 », Paris, Sirey, 1956, p. 1014. 506 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 : Télégramme de la Légation de Roumanie à Londres au Gouvernement de Bucarest, le 12 février 1929, pp. 74-77. Il s’agit des articles publiés le 11 et le 12 février 1929 par Manchester Guardian, Evening Standard et Financial News. 507 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/11 : « L’attitude de Charles Rist en Roumanie » in Financial News, le 12 avril 1929, p. 25. 508 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/11 : « L’attitude de Charles Rist en Roumanie » in Financial News, le 12 avril 1929, p. 25.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 britanniques et autres ont été repoussés par Rist sous le prétexte qu’elles mettaient en péril le projet de stabilisation, alors que des offres françaises ne présentant pas plus de garanties à cet égard ont été approuvées ».509

À cette campagne lancée par Financial New contre la mission financière française se rallie également le Lord Rothermere, propriétaire des publications Daily Mail et Sunday Mail. Il conseille à plusieurs reprises l’opinion publique anglaise de ne pas souscrire à l’emprunt roumain en raison de l’instabilité politique qui règne dans ce pays depuis la fin de la Première Guerre mondiale.510 Selon une enquête effectuée à Londres en mars 1929 par le Quai d’Orsay en raison des articles publiés par la presse britannique, il s’est avéré que des dirigents de Bucarest, pour la majorité membres du gouvernement national-paysan, étaient à l’origine de ces publications. « Par une coïncidence assez curieuse, informe Puaux la diplomatie française, le Gouvernement roumain vient de faire un contrat avec le Financial News pour la publication d’une série d’articles sur la Roumanie. »511 Selon Puaux, l’attaque du journal anglais est d’autant plus surprenant que Charles Rist n’a jamais dû prendre position contre une offre britannique, comme il l’a fait contre des propositions allemandes. Quant aux motivations des dirigeants roumains de faire une campagne contre la mission de Rist, Puaux s’exprime en ces termes : « ils ne veulent pas être « protégés » et la présence de M. Rist à la Banque Nationale leur paraît comme une sorte de protectorat financier de la France. »512 Toutefois, l’enquête effectuée par la diplomatie française à Londres conclu qu’« il n’y a peut-être dans l’offensive du Financial News que le symptôme du

509 Archives de la BdF, Paris Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/11 : « L’attitude de Charles Rist en Roumanie » in Financial News, le 12 avril 1929, p. 25. 510 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 : Télégramme de la Légation de Roumanie à Londres au Gouvernement de Bucarest, le 11 février 1929, p. 74, Trad. du roumain. 511 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.1370200006/10 : Télégramme de Gabriel Puaux au Quai d’Orsay, le 21 avril 1929 : A.s. d’un article du Financial News., p. 2. 512 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, 1370200006/10 : Télégramme de Gabriel Puaux au Quai d’Orsay, le 21 avril 1929 : A.s. d’un article du Financial News., p. 2. 181

mécontentement persistant de certain cercles britanniques qui préconisaient la restauration des finances roumaines par la S.D.N. mais peut-être aussi est-elle l’écho de certain propos d’origine roumaine, il serait intéressant de connaître exactement les relations du Financial News avec la Légation de Roumanie à Londres.»513

Plusieurs articles parus dans la presse roumaine critiquent également la mission envoyée par les créanciers étrangers auprès de la Banque Nationale en dénonçant le protectorat financier que la France instale sur le pays par le biais de l’emprunt de 1929.514 À la Banque Nationale de Roumanie, Rist et, plus particulièrement, Auboin rencontrent l’attitude distante et réservée du Gouverneur Dimitrie Burillianu et du Conseil d’Administration. Dans son Journal roumain, Rist témoigne de l’attitude réservée de Burillianu qui, lors de la cérémonie d’investiture du Conseiller technique organisée le 14 février 1929 par la Banque Nationale, décide de ne pas prononcer de discours d’accueil. Déçu, Rist écrit dans Journal roumain : « Comme cela, on évitait de souligner la présence, malgré tout pénible, de ces étrangers dans le Conseil et cela passa comme cela : moi, j’avais pris Auboin, on n’avait pas fait de discours, tout le monde était content. »515 Toutefois, cet incident ne décourage pas Rist car : « Tout le monde est extrêmement gentil. Les discussions se font en Français ; on fait tout pour nous faciliter la tâche et j’ai très bonne confiance dans nos relations futures. »516

Quant à la situation de Roger Auboin, Rist est plus pessimiste car les dirigeants roumains essaient systématiquement de le faire passer sous silence.517 À titre

513 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/10 : Télégramme de Gabriel Puaux au Quai d’Orsay, le 21 avril 1929 : A.s. d’un article du Financial News., p. 2. 514 Il s’agit des journaux Dimineata (Le Matin), Epoca (L’Epoque) et Tara Noastra (Notre Pays). 515 Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 14 février 1929, p. 2. 516 Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 14 février 1929, p. 3. 517 Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 14 février, p. 3.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 d’exemple, dans une lettre envoyée à la Banque de France, le 4 février 1929, par le Gouverneur Burillianu au sujet de la mission du Conseiller technique, le nom et le rôle de Roger Auboin ne sont mentionnés nulle part.518 Cet oubli se reproduit lors de la cérémonie d’investiture du Conseiller technique où les dirigeants de la Banque Nationale n’ont préparé qu’un fauteuil pour Charles Rist. À la demande de Rist, Auboin s’est vu attribué un siège à côté de celui de Rist, situé en face du Gouverneur Burillianu.519

Dès son installation à la Banque Nationale de Roumanie, Rist prend contact avec les différents membres du gouvernement Maniu et, plus particulièrement, avec les Ministres de l’Agriculture (I. Mihalache), des Communications (le général Allevra), des Finances (M. Popovici) et des Travaux Publics (I. Halipa), afin de mettre au point les derniers détails de l’utilisation des fonds de l’emprunt qui, seront mis à leur disposition dès le 6 mars 1929. À la Banque Nationale, Rist commence à surperviser la réorganisation et la politique monétaire de cette institution, que les nouveaux statuts transoformaient en banque centrale moderne, dotées des moyens d’action pour surveiller la circulation et le crédit, ainsi que pour maintenir la sécurité et la stabilité monétaire. Cette tâche représente, ainsi que le souligne Rist, la partie la plus délicate de son travail car : « plus tard, lorsque tous les emprunts que l’on souhaite auront à être discutés et approuvés par moi, j’apparaîtrai comme un gêneur (…). »520

Toutefois, la première difficulté rencontrée par Charles Rist à la Banque Nationale est liée à la sortie massive de devises, obtenues par la Roumanie grâce à l’emprunt de février 1929. Les remboursements des crédits, accordés aux banques commerciales roumaines par les banques anglaises depuis les années 1910, seraient en grande partie à l’origine de ce phénomène. Ainsi que

518 Archives de la BdF, Paris, Missions financières en Roumanie, No. 1370200006/7: Lettre du Gouverneur Burillianu au Gouverneur Moreau, le 4 février 1929. 519 Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 14 février, p. 2. 520 Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 15 février 1929, p. 5. 183

l’explique Rist, les banques anglaises ont constamment fourni et renouvelé aux banques roumaines les crédits en livres sterling, afin de soutenir le commerce extérieur roumain et, notamment, celui des céréales (blé et maïs). La réalisation de la stabilisation du leu détermine les banques anglaises à exiger le remboursement intégral de ces crédits que les banques roumaines avaient payés de temps à autre quand les exportations roumaines le permettaient. Malgré les avertissements de Boutry, Directeur de la Banque Commerciale Roumaine, qui avait anticipé cette situation avant l’émission de l’emprunt roumain, Rist avait minimisé ses éventuelles conséquences sur la restauration monétaire de la Roumanie.521 En effet, les renseignements fournis par les dirigeants roumains à la Banque de France durant les négociations pour l’émission de l’emprunt de 1929 n’ont pas permis l’estimation exacte de ce risque car ils ont occulté l’ampleur des crédits à rembourser aux banques anglaises. « J’ai toujours considéré cet incident, affirme Rist, comme la preuve de l’extraordinaire difficulté d’apprécier convenablement la situation monétaire et financière d’un pays, lorsque les experts désignés à cet effet n’ont pas la chance de rencontrer des témoins particulièrement sincères. »522 Du reste, ainsi que le déclare le Conseiller technique en signe de résignation : « C’était un exemple très intéressant du rôle joué par la place de Londres avant la chute du sterling en 1931, non seulement en Roumanie, mais dans bien d’autres pays, par son aptitude à fournir des crédits constamment renouvelés. »523

Afin d’arrêter la sortie des devises, Rist impose, malgré l’opposition des dirigeants de la Banque Nationale qui avaient proposé des restrictions de change, le relèvement du taux de l’escompte de 6% à 9%.524 De cette manière, le Conseiller technique mettait fin à une pratique financière très ancienne que Roger Auboin décrit en ces termes : « les banques roumaines avaient en effet l’habitude d’escompter à la Banque Nationale, à un taux relativement bas, du

521 RIST, Charles, « Notice biographique » in Revue d’Economie politique, « Charles Rist, 1874-1955 », Paris, Sirey, 1956, p. 1013. 522 RIST, « Notice biographique », p. 1014. 523 RIST, « Notice biographique », p. 1013. 524 RIST, « Notice biographique », p. 1015.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 papier souvent discutable et utilisaient le produit de cet escompte à de nouveaux prêts au marché à des taux d’autant plus élevés que l’escompte était considéré comme une faveur. » 525 La rentrée de devises dès juillet 1929, par suite de la reprise des exportations de céréales, commence à améliorer la situation de la Banque Nationale et à restaurer la confiance dans le leu.

La deuxième difficulté rencontrée par Rist est liée à la répartition et à l’utilisation des fonds de l’emprunt par les dirigeants roumains et, notamment, par le Ministre des Finances Mihai Popovici. Le refus de Popovici d’utiliser les fonds de l’emprunt alloués à son Ministère pour le règlement des dettes envers la Banque Nationale détermine Rist à noter dans son Journal : « Cette mentalité de boyard pour qui l’acquitement d’une dette est une humiliation est quelque chose d’extraordinaire, mais il faut compter avec elle. »526 Les projets envisagés par le Ministre des Finances, tels que la création d’un Hôtel des Monnaies, l’agrandissement des Universités de Bucarest, de Cluj et de Iasi, ainsi que la construction des logements pour 40.000 Macédoniens dans la province de Dobroudja, incitent Rist à solliciter l’intervention immédiate du Premier ministre Iuliu Maniu.527 Quelques jours plus tard, Rist apprend que la création d’un Hôtel des Monnaies a été suggérée à Popovici par une maison française installée à Bucarest « qui veut faire la monnaie roumaine à la condition de ne fabriquer que les flans et, comme elle a de vieilles machines à frapper qu’elle veut céder au Gouvernement roumain, elle désire que ce dernier construise un Hôtel des Monnaies et en fasse les frais. »528

En revanche, le général Allevra, chargé de la réorganisation des chemins de fer roumains, informe Rist le 28 février 1929 qu’il ignorait le fait que le Programme

525 AUBOIN, Roger, « Les missions en Roumanie, 1929-1932 » in Revue d’Economie politique, « Charles Rist, 1874-1955 », Paris, Sirey, 1956, p. 933. 526 Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 3 mars 1929, p. 19. 527 Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 9 mars 1929, p. 23. 528 Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 11 avril 1929, p. 31. 185

de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie attribuait à son ministère 35 millions de dollars. « Voilà trois semaines que le Programme est publié à l’Officiel ! »529 s’exclame Rist en affirmant qu’Allevra, sous prétexte qu’il ne connaissait pas la somme accordée aux chemins de fer, en profitait pour ne pas établir les programmes de travaux à effectuer. Rappelons que les principaux points visés par le Programme concernent la création d’une gestion autonome du réseau, l’établissement d’une comptabilité correcte, la supression des gratuités et la réduction des tarifs abusives, ainsi que la réalisation de l’équilibre financier de l’exploitation dans un délais de maximum de trois ans.530 Les discussions pour l’organisation du transfert des fonds attribués à l’Administration des Chemins de Fer doivent se prolonger, au grand désepoir de Rist, de quelques mois, par suite de la démission du Général Allevra le 5 avril 1929. « Tout est très long, écrit Rist le 28 février 1929, et il faut prendre les gens par la main, d’eux mêmes, il ne font rien sauf Popovici qui fait des bêtises. »531

À la Banque Nationale, Rist constate que les dirigeants du gouvernement continuent à s’immiscer dans la politique et, notamment, dans la réorganisation de cette institution.532 À titre d’exemple, le Premier Ministre Maniu tente d’imposer dans le Comité exécutif de la Banque les quatre Administrateurs Délégués, prévus par les nouveaux Statuts de cette institution. L’article 50 des Statuts prévoit effectivement la nomination de quatre Administrateurs Délégués qui, avec le Gouverneur, forment le Comité Exécutif de la Banque.533 Un des Administrateurs est nommé par le gouvernement, alors que les trois autres

529 Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 28 février 1929, p. 16. 530 Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, No. 31/1931 : Rapport sur les deux premières années d’application du Programme de stabilisation et de développement économique, p. 12. 531 Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 28 février 1929, p. 16. 532 Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 21 février 1929, p. 11. 533 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Bulletin d’information et de documentation. Statuts de la Banque Nationle de Roumanie, art. 50, p. 20.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 doivent être élus par l’Assemblée Générale des Actionnaires de la Banque. Leur nomination se fait pour une durée de deux ans et doit être confirmée par le Conseil d’Administration de la Banque. Il convient de préciser que le Conseil d’Administration se composent du Gouverneur et de dix Administrateurs. Parmi ces derniers, trois sont désignés directement par le Gouverneur parmi les personnalités compétentes dans les questions agricoles, commerciales, industrielles, bancaires et financières, tandis que l’Assemblée Générale des Actionnaires doit en choisir les sept autres Administrateurs, proposés par l’Union des Chambres de Commerces et d’Industrie et l’Union des Chambres d’Agriculture. 534 Le fait que le Gouverneur de la Banque Bationale doit choisir le Vice-Gouverneur de cette institution parmi les Administrateurs Délégués expliquerait, de notre point de vue, la tentative d’ingérence de Maniu dans la nomination des quatre Administrateurs.

La mission de Rist apparaît dans ces circonstances très difficile. À plusieures reprises, Rist déplore le manque de soutien des dirigeants de la Banque de France, l’absence d’une autorité extérieure et les limites juridiques de ses fonctions auprès de la Banque Nationale. Afin de mener à bon terme la mission confiée par les créditeurs étrangers de la Roumanie, il prend l’initiative de combler le vide juridique de l’accord conclu par la Banque de France et les dirigeants de Bucarest en imposant toute une série de mesures administratives. Ainsi, en l’absence d’une autorité extérieure qui, faciliterait la collaboration et les relations avec les dirigeants roumains, Charles Rist se voit obligé d’user de son autorité et plus particulièrement de la menace des rapports trimestriels, dont la rédaction lui avait été confiée, en avertissant les dirigeants roumains des éventuelles conséquences de leurs actions et décisions.535 « Vous êtes entièrement libre de prendre une telle décision, affirme Rist, et je n’ai juridiquement aucun droit de veto, mais je suis aussi entièrement libre de dire ce

534 Archives de la BdF, Paris, Missions financières en françaises Roumanie, No. 1370200006/7 : Bulletin d’information et de documentation. Statuts Banque Nationale de Roumanie, art. 51, p. 20. 535 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Roger Auboin, Les Missions de Charles Rist en Roumanie, 1929-1932, août 1955, p. 21. 187

que j’en pense dans mon rapport. »536 Malgré les tentatives de dirigeants roumains de « négocier » la rédaction de ces rapports, Rist défend à plusieurs reprises son indépendance de jugement et d’expression.

Afin d’élargir son champ d’action et de surveillance, limité à la Banque Nationale, Rist décide de désigner des collaborateurs français dans des secteurs qui échappent à son activité et qui se révèlent importants pour l’organisation et la gestion des finances roumaines. Cette mesure, ainsi qu’il souligne dans son Journal roumain, apparaît comme nécessaire, mais elle comporte certains risques. « À nous deux, note Rist, nous sommes trop peu pour faire face à toutes les difficultés, d’autre part, si nous faisons venir trop de monde, on parlera de contrôle et nous susciterons toutes sortes de mécontentements. »537

C’est dans ces circonstances qu’il s’assure à la Banque Nationale de Roumanie la collaboration de Jean Bolgert et Henri Guittard, Inspecteurs de la Banque de France, dont le rôle est de renforcer la surveillance de l’application du programme de stabilisation monétaire et de développer les relations du Conseiller technique avec les dirigeants de la Banque Nationale. Au Ministère des Finances, dirigé par Mihai Popovici, Rist impose, avec beaucoup de difficultés, l’Inspecteur général des Finances Henri Poisson, chargé dès le 15 juin 1929 de vérifier et de contrôler la réorganisation des services financiers roumains.538 Cette nomination s’avère rapidemment très importante car elle permet à Rist de mieux contrôler la politique et les projets de dépenses démesurées envisagées par Mihai Popovici. Hyon, chef de Bureau à la Direction Générale des Douanes françaises, est appelé à participer à la réorganisation du service roumain des douanes. À son tour, Gaston Leverve, nommé expert pour

536 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Note sur la manière dont l’action de restauration financière en Roumanie pourrait être replacée sur un plan international, p. 5. 537 Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 18 avril 1929, p. 33. 538 Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 10 juin 1929, p. 60.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 la réorganisation administrative et financière des chemins de fer roumains, désigne comme adjoint l’ingénieur français Michel Mange.

Ce réseau d’experts financiers et d’ingénieurs est complété par une étroite collaboration avec le Ministre de France à Bucarest Gabriel Puaux. Ce dernier informe Rist des différentes affaires envisagées par les dirigeants roumains en utilisant les crédits de l’emprunt de stabilisation et de développement, sans demander ses conseils et son autorisation.539 C’est dans ces circonstances qu’il apprend que le Ministre Popovici a signé le 21 février 1929 avec des entreprises allemandes et françaises des contrats qui transgressent les principes du Programme de stabilisation monétaire et de développement économique. À ce sujet, Rist s’exprime dans ces termes : « Il me verra, dès mon retour de Berlin, prendre en main la question des emprunts extérieurs sur lesquels on doit me consulter chaque fois, mais on paraît l’avoir oublié. »540 À plusieures reprises, Puaux se voit obligé d’intervenir auprès du Premier ministre Maniu en exigeant le respect de la politique monétaire et financière adoptée par la Banque Nationale en étroite collaboration avec le Conseiller technique, qui depuis le 7 février 1929 bénéficie d’un statut d’indépendence que les dirigeants du gouvernement et plus particulièrement Popovici semblent négliger. L’incident produit à la Banque, lors d’une séance organisée par Rist pour discuter du relèvement du taux d’escompte de 6% à 8%, démontre les difficultés que Popovici éprouve à respecter l’indépendance de cette intitution: « (…) convocation du Conseil pour faire décider l’élévation du taux d’escompte de 6% à 8%. Kiriacescu dit, dans mon bureau qu’on attend plus que le Ministre des Finances pour entrer en séance. J’ai sauté de mon fauteuil. J’ai fait une scène et j’ai déclaré que si le Ministre mettait les pieds au Comité, je n’y resterais pas et qu’il n’y avait plus qu’à m’en aller. »541

539 Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 21 février 1929, p. 11. 540 Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 21 février 1929, pp. 11-12. 541 Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 4 mai 1929, p. 39. 189

Les questions budgétaires représentent une autre source de conflit entre Rist et les dirigeants du gouvernement roumain. Il convient de rappeler que le Programme contient l’engagement du gouvernement de Bucarest d’établir et de maintenir un strict équilibre budgétaire. Aussi, Rist avait accepté sa mission en Roumanie, en échange de l’engagement des dirigeants de Bucarest d’assurer et de maintenir l’équilibre budgétaire. En 1929, le déficit budgétaire réussit à être eviter par le vote au cours de l’année de 2 milliards de lei de nouveaux impôts, ainsi que par des restrictions de dépenses d’un milliard et demi de lei. En apprenant que Popovici envisage la création d’une nouvelle taxe sur les benzines, Rist conseille à Maniu de l’attribuer au budget général afin de couvrir les recettes insuffisantes de l’année en cours.542 À la grande surprise du Conseiller technique, Maniu lui déclare : « J’ai promis cette taxe pour autre chose, je dois tenir mon engagement, que mon Ministre des Finance me suggère une autre taxe, c’est son métier d’en trouver. »543 Quelques jours plus tard, Rist apprend que Iuliu Maniu a promis cette taxe au Prince Nicolae544, dont l’intérêt pour l’aviation et les courses de voiture et, notamment la confusion entre les caisses de l’État et ses propres revenus ont fait coulé beaucoup d’encre.545

Toutes ces mesures adoptées par Rist contribuent au maintien de la stabilité et la convertibilité de la monnaie roumaine, le principal objectif qu’il s’était fixé en arrivant en Roumanie. Elles permettent également à la Banque Nationale de Roumanie de s’affirmer comme une véritable banque d’émission et limitent l’intervention des dirigeants du gouvernement et plus particulièrement celle Ministre des Finances dans l’organisation et la politique monétaire de cette

542 Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 18 juillet 1929, p. VIII. 543 Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 18 juillet 1929, p. VIII. 544 Le Prince Nicolae (1903 - 1977) est le deuxième fils du Roi Ferdinand et de la Reine Marie. Après le décès de son père, le 20 juillet 1927, il est désigné Régent de Roumanie, fonction qu’il assumera jusqu’au 8 juin 1930, date à laquelle son frère aîné Carol II est procalmé roi de Roumanie. 545 Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 22 juillet 1929, p. XI.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 institution. Toutefois, les mesures de Rist et, notamment, la surveillance de l’utilisation de fonds de l’emprunt, provoquent les critiques des exportateurs des pays ayant souscrits à son émission. Ces derniers, ainsi que le souligne Auboin, considéraient que ces fonds devaient leur revenir de droit sous forme de commandes.546 L’autorité et la fermeté, dont fait preuve Rist à l’égard de ces exigences, créent de nombreuses divergences entre le Conseiller technique et les différents participants, y compris la France, à l’emprunt roumain.

Après la rédaction du rapport trimestriel du 9 février 1930, Charles Rist quitte ses fonctions de Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie, en faveur de Auboin qui doit séjourner à Bucarest jusqu’en février 1932. Malgré son départ de Bucarest, Rist continue, ainsi qu’en témoigne Auboin, à s’intéresser et à suivre de près l’œuvre monétaire et financière entreprise en Roumanie sous sa direction. Il continue à défendre et à encourager la création de nouvelles institutions de crédit, telles une Banque agricole et une Société de crédit agricole hypothécaire visant à soutenir le développement du principal secteur d’activité de l’économie roumaine, l’agriculture. Charles Rist reviendra à Bucarest en avril 1932, en qualité d’expert financier, afin d’étudier une nouvelle fois la situation économique et financière de la Roumanie.

2. Roger Auboin, Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie, février 1930 - mai 1932

La mission du nouveau Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie s’annonce dès le début très difficile car il ne jouit pas auprès des dirigeants de Bucarest de la même influence que Charles Rist. L’autorité de Roger Auboin sera fortement affaiblie par les intrigues du Parti National Libéral et les changements succesifs des leaders du gouvernement National Paysan547, ainsi que par le retour en Roumanie du prince Carol II.548 Rappelons que Carol II

546 AUBOIN, « Les missions en Roumanie, 1929-1932 », p. 936. 547 Voir Annexe IV : Gouvernements de la Grande Roumanie, 1919-1937. 548 RIST, « Notice biographique », p. 1024. 191

obtient le 7 juin 1930 avec le soutien du Parti National Paysan l’abrogation par le Parlement de l’acte d’abdication d’avril 1925 et sa proclamation comme roi de Roumanie.549

À la Banque Nationale de Roumanie, Auboin continue à surveiller la politique monétaire et financière de cette institution, mais sa présence devient rapidemment gênante. Avec l’aide de Jean Bolgert, Henri Guitard et Henri Poisson, il défend la mission financière qui a été confiée à la Banque de France par les créanciers étrangers de la Roumanie, ainsi que les mesures monétaires et financières introduites par Charles Rist. La rédaction des rapports trimestriels sur la situation économique et financière du pays, ainsi que sur l’exécution du Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie donne cependant à Auboin une certaine autorité auprès des dirigeants roumains, qui craignent les réactions des participants à l’emprunt de 1929. Par ailleurs, les dirigeants de Bucarest se voient obligés de respecter les engagements pris car ils s’apprêtent à demander à la Banque de France l’émission de la deuxième tranche de l’emprunt international de stabilisation monétaire et de développement économique. Cette opération s’avère à la fois pour la Roumanie et pour la France d’une grande importance car la prolongation de la mission du Conseiller technique de la Banque Nationale après février 1932 est au cœur des négociations entre la Banque de France et le gouvernement roumain. Exigée par les banques étrangères et, notamment, par les banques françaises, cette prolongation se heurte au refus du Gouverneur Burillianu qui, leur reproche le manque de confiance dans la capacité et les compétences des dirigeants de la Banque Nationale d’administrer efficacement leur institution. Ce refus, qui provoquera un véritable conflit entre la Banque Nationale et le gouvernement roumain, reflète les divergences politiques, qui opposent les dirigeants de Bucarest, ainsi que le fonctionnement de la société roumaine durant l’entre-deux-guerres.

549 Sur le retour de Carol II (1893-1953) en Roumanie en juin 1930 et son avènement au trône, voir PROST, Destin de la Roumanie, pp. 49-65 et QUINLAN, Paul, Regele playboy. Carol al II-lea al României, Bucuresti, Humanitas, 2008, pp. 108-197.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

2.1. Les négociations et l’émission de l’emprunt de développement économique, octobre 1930 - mars 1931

En octobre 1930 le Gouvernement roumain, dirigé par George Mironescu, entame de nouvelles négociations avec la Banque de France en vue de l’émission de la deuxième tranche de l’emprunt international, dont le produit, ainsi que l’avait suggéré Charles Rist, sera entièrement destiné au développement économique du pays. Ces négociations s’avèrent rapidement difficiles et complexes car le consortium des banques privées et des banques centrales réuni le 7 février 1929 par le Gouverneur Emile Moreau ne peut pas être renouvelé en raison de la situation défavorable du marché international.

Les démarches effectuées par George Mironescu et son Ministre des Finances, Mihai Popovici, auprès de différents établissements financiers étrangers s’annoncent également longues et très contraignantes en raison des conditions économiques et financières exigées pour la participation à l’émission de cet emprunt. A titre d’exemple, les banques suisses subordonnent leur participation à cette opération au règlement des dettes d’avant-guerre et aux éventuelles commandes que les dirigeants roumains devraient passer à l’industrie suisse sur le produit du nouvel emprunt.550 Le groupe allemand, dirigé par la Disconto- Gesellschaft, reproche aux dirigeants de Bucarest d’avoir négligé l’industrie allemande en 1929 et réclame la signature d’un contrat d’achat de biens d’équipement pour les chemins de fer roumains. Les banques françaises, dirigées par la Banque de Paris et des Pays Bas, lient également leur participation au nouvel emprunt roumain à l’engagement des dirigeants de Bucarest de réserver à l’industrie française et, essentiellement, à celle

550 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 (1930- 1936) : Télégramme de la Légation de Roumanie à Berne au Président du Conseil roumain, George Mironescu, le 17 décembre 1930, p. 187. 193

productrice d’équipements agricoles, des commandes proportionnelles avec les crédits accordés par le marché parisien.551

Quant aux banques américaines et, plus particulièrement, à la maison Blair & Co., qui avait joué un rôle de premier plan dans les négociations pour l’émission de l’emprunt de stabilisation monétaire, elles avertissent le Gouverneur de la Banque de France, Clément Moret, de leur difficulté de participer à cette nouvelle opération, en raison de la mauvaise situation du marché international. Ces circonstances déterminent Moret et Rist de conseiller les dirigeants de Bucarest de reprendre contact avec le groupe suédois d’Ivar Kreuger & Toll qui, lors du précédent emprunt avait apporté à la Roumanie 30 millions de dollars en échange du monopole des allumettes.552 La participation de Kreuger à cette nouvelle opération, ainsi que le souligne Charles Rist, pourrait compenser la diminution de la participation des banques américaines et assurer l’émission de l’emprunt roumain de développement économique. En échange de sa participation, estimée à 10 millions de dollars, Kreuger demande la cession du monopole des routes de Roumanie (la construction, l’entretien, etc.).553

Face à la situation défavorable du marché international, ainsi qu’aux exigences formulées par les banques étrangères, la Banque de France se voit obligée le 8 janvier 1931 d’avertir les dirigeants roumains qu’il sera très difficile de garantir l’émission de cet emprunt, dont le montant a dû être réduit en l’absence des banques américaines. Pour ne pas compromettre la réalisation de cette opération, il propose aux dirigeants roumains d’organiser l’émission de l’emprunt

551 Archives MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 (1930-1936) : Télégramme de la Légation de Roumanie au Président du Conseil roumain, George Mironescu, le 27 janvier 1931, 129. 552 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 (România si împrumutul pentru stabilizare, Transa II, 1930-1936) : Télégramme de la Légation de Roumanie à Paris au Président du Conseil roumain, George Mironescu, le 7 janvier 1931, p. 9. 553 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 (România si împrumutul pentru stabilizare, Transa II, 1930-1936) : Télégramme de la Légation de Roumanie à Paris au Président du Conseil roumain, George Mironescu, le 7 janvier 193 p.82.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 en deux tranches - la première serait émise immédiatement, alors que la deuxième devrait être repoussée de quelques mois, voire une année, afin que le marché international puisse absorber une nouvelle émission.554 Il convient de préciser que le marché français est au même moment chargé de préparer l’émission de l’emprunt yougoslave de stabilisation monétaire.555 Le 24 janvier 1931, date à laquelle la Banque de France organise une nouvelle rencontre avec les banques étrangères intéressées par l’emprunt roumain, Mihai Popovici est informé que le montant total de l’emprunt ne s’élève qu’à 30 millions de dollars, dont 14 millions seront émis directement sur le marché français, et qu’il sera très difficile d’augmenter cette somme dans les conditions actuelles du marché international.556 Par la même occasion, le Gouverneur Moret informe les dirigeants roumains que les banques étrangères et, plus particulièrement, françaises ont formulé de nouvelles exigences à l’égard de la Roumanie pour s’assurer de la sécurité et de l’utilisation des crédits accordés à ce pays. D’emblée, Moret affirme que les dirigeants de la Banque de France n’approuvent pas intégralement ces exigences, mais que la Roumanie devrait les accepter pour obtenir l’aide financière sollicitée.

Ces nouvelles exigences sont en lien avec la prolongation de deux, voire trois ans, de la mission du Conseiller technique de la Banque Nationale, qui, aux termes de l’Accord du 7 février 1929, devait quitter le pays le 7 février 1932.557

554 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 (România si împrumutul pentru stabilizare, Transa II, 1930-1936), Télégramme de la Légation de Roumanie à Paris au Président du Conseil roumain, George Mironescu, le 9 janvier 1931, p. 28. 555 La monnaie yougoslave, le dinar, est stabilisée le 28 juin 1931. Jean Bolgert, Inspecteur de la Banque de France, est désigné Expert monétaire de la Banque Nationale de Yougoslavie pour une période de trois ans. Sa mission consiste principalement dans le contrôle et la surveillance de l’exécution du programme de reconstruction financière et monétaire par les dirigeants yougoslaves. 556 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 (România si împrumutul pentru stabilizare, Transa II, 1930-1936), Télégramme de la Légation de Roumanie à Paris au Président du Conseil roumain, George Mironescu, le 14 janvier 1931, p. 127. 557 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 (România si împrumutul pentru stabilizare, Transa II, 1930-1936), Télégramme de la 195

Afin que les dirigeants roumains acceptent sans trop de difficulté cette prolongation, Moret propose l’introduction d’une nouvelle formule de collaboration entre la Banque Nationale de Roumanie et le Conseiller technique. Tout d’abord, le terme de Conseiller technique serait remplacé par celui d’Expert, dont la principale mission serait de rédiger deux à trois fois par année un rapport sur la situation financière et monétaire de la Roumanie, ainsi que sur la politique menée par la Banque Nationale. Par rapport au Conseiller technique, l’Expert ne résiderait plus à Bucarest de manière permanente et ne serait plus obligé de participer aux réunions et aux conseils de la Banque Nationale. Toutefois, l’Expert aurait le droit de désigner un collaborateur adjoint qui, lui devrait séjourner dans la capitale roumaine de manière permanent jusqu’à la fin de la mission, dont la durée pourrait varier de deux à trois ans, en fonction de la décision des créanciers étrangers. L’Expert continuerait également à diriger et à surveiller le Service d’Etudes de la Banque Nationale, qui avait été mis sous l’autorité du Conseiller technique dès le 7 février 1929. Quant au devoir des dirigeants de la Banque Nationale envers l’Expert, il serait de s’engager formellement à collaborer et à faciliter la mission de l’Expert, ainsi que celle de son adjoint, en leur mettant à disposition toutes les informations nécessaires pour la réaction des rapports sur la situation monétaire et financière du pays.

Transmis à Bucarest, le montant de 30 millions de dollars de l’emprunt, proposé par la Banque de France, est vivement critiqué par les milieux politiques libéraux et nationaux-paysans qui exigent l’augmentation de cette somme. Dans un entretien avec Grigore Gafencu, le Ministre Puaux déclare : « On nous reproche qu’on veut vous donner de l’argent, après nous avoir reproché, pendant des mois, qu’on ne voulait pas vous en donner. Qu’est-ce qu’on doit faire pour vous contenter ? »558

Légation de Roumanie à Paris au Président du Conseil roumain, George Mironescu, le 14 janvier 1931, p. 127. 558 GAFENCU, Însemnari politice, 1929-1939, p. 51.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Fortement encouragés par Charles Rist, le Président du Conseil roumain Mironescu et le Ministre des Finances Popovici acceptent les propositions du Gouverneur Moret et donnent leur accord le 1er février 1931 pour la prolongation de la mission financière de la Banque de France auprès de la Banque Nationale.559 Mihai Popovici s’engage auprès de Moret de transmettre au Gouverneur de la Banque Nationale Dimitrie Burillianu la décision prise par le Gouvernement, ainsi que les démarches qu’il devra réaliser auprès de la Banque de France pour la prolongation de sa mission. Rappelons que les Statuts de la Banque Nationale, défini par la Réforme monétaire du 7 février 1929, exigent que les démarches soient réalisées directement par les dirigeants de cette institution, dont l’indépendance a été renforcée par rapport au pouvoir politique.560 Ainsi, le Gouverneur Burillianu doit écrire à la Banque de France une lettre, par laquelle la Banque Nationale demande la prolongation de la collaboration avec Auboin après l’expiration de la période de trois ans, prévue par le Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie.

Averti, le 1er février 1931, par le Ministre Popovici de nouvelles exigences formulées par les banques étrangères, ainsi que des démarches à réaliser auprès de la Banque de France, Dimitrie Burillianu remet immédiatement en question la présence de Roger Auboin à titre d’Expert auprès de la Banque Nationale de Roumanie. Pour Burillianu, la présence de Charles Rist et, ensuite, celle de Roger Auboin auprès de la Banque Nationale à titre de Conseiller technique n’a été qu’une mesure exceptionnelle et transitoire, limitée à une période de trois ans. Il ne souhaite pas sa prolongation, au-delà du 7 février 1932, car elle influencerait négativement le crédit international de la Roumanie, ainsi que la confiance des créranciers étrangers dans les compétences des

559 Sur cette question, voir RACIANU, Ileana, « L'indépendance de la Banque nationale de Roumanie en question: le gouverneur Burillianu et la mission de la Banque de France au début des années 30 » in Histoire, Economie et Société, No. 4, 2011, pp. 19-28. 560 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/16 : La stabilisation monétaire et la Banque Nationale de Roumanie, Section I : Statuts de la Banque Nationale Missions en Roumanie. 197

dirigeants de la Banque Nationale de surveiller la politique monétaire et financière du pays. 561 Toutefois, si le Gouvernement « juge que la collaboration avec les experts étrangers est indispensable pour renforcer le crédit international de la Roumanie », Burillianu affirme que la Banque Nationale leur mettra à disposition toutes les informations nécessaires pour la rédaction de leurs rapports, mais qu’elle ne pourra pas réaliser les démarches exigées auprès de la Banque de France. 562

Pressé de conclure l’emprunt, Popovici sollicite l’intervention du Président du Conseil auprès des dirigeants de la Banque Nationale afin de les convaincre de l’importance et de la nécessité des démarches qu’ils doivent effectuer auprès de la Banque de France. Après avoir démontré l’importance de cet emprunt pour le développement économique de la Roumanie, ainsi que pour la continuation des réformes monétaires et financières, Mironescu réussit à convaincre le Gouverneur Burillianu de réunir le Conseil de la Banque Nationale pour une nouvelle discussion sur la prolongation de la mission de Roger Auboin. Malgré l’intervention et les conseils de Rist, qui insiste également sur la nécessité de cet emprunt, Burillianu communique à Mironescu le 17 février 1931 que le Conseil de la Banque Nationale de Roumanie maintient, à l’unanimité, son refus d’accepter la prolongation de la mission française.563 Par la même occasion, il reproche au Président du Conseil et au Ministre des Finances de ne pas avoir consulté la Banque Nationale lors des démarches qu’ils ont réalisées auprès de la Banque de France pour l’émission de cet emprunt.564 Dimitrie Burillianu rappelle à George Mironescu que les nouveaux Statuts de la Banque Nationale de Roumanie prévoient clairement cette consultation et que les dirigeants politiques sont obligés de tenir compte de l’avis et des observations formulées

561 Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1931 : Istoricul chestiunei Consilierului technic, p. 1. 562 Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1931 : Istoricul chestiunei Consilierului technic, p. 1. 563 Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1931 : Istoricul chestiunei Consilierului technic, p. 2. 564 Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1931 : Télégramme du Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie au Ministre des Finances, Mihai Popovici, le 17 février 1931, p. 1.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 par la Banque, dont le rôle dans l’activité économique et financière du pays a été fortement consolidé par la Réforme monétaire du 7 février 1929.565

Dans l’impossibilité d’obtenir l’accord du Gouverneur Burillianu, Mironescu décide d’intervenir directement auprès des membres du Conseil de la Banque Nationale en leur présentant le texte d’une lettre qu’ils devraient uniquement signer et envoyer à la Banque de France.566 Le 24 février 1931, date à laquelle le Conseil de la Banque se réunit pour la troisième fois pour traiter cette question, Burillianu accepte, avec l’assentiment de ses collaborateurs, de rédiger et d’envoyer à la Banque de France le texte suivant : « Afin de donner une publicité internationale plus étendue aux résultats du Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie, si le Gouvernement juge utile d’inviter une des personnalités qui ont déjà collaboré à ce Programme, soit Monsieur Rist, soit Monsieur Auboin, de se rendre en Roumanie pour examiner l’exécution du Programme et pour en faire un rapport, la Banque Nationale de Roumanie mettra à sa disposition ses services, pour lui fournir toutes les données et lui accorder le concours nécéssaire. »567 Il apparaît, ainsi, que la Banque Nationale de Roumanie maintient clairement son refus de prolonger la mission financière de la Banque de France, mais qu’elle se soumettra aux décisions prises par le Gouvernement à ce sujet.

Envoyée à la Banque de France à titre de « projet de lettre pour la prolongation de la mission de Roger Auboin », la lettre de la Banque Nationale de Roumanie provoque le mécontentement de Moret qui, menace d’interrompre les négociations pour l’émission de l’emprunt jusqu’à ce que les dirigeants de la Banque Nationale acceptent les exigences des banques étrangères. Le

565 Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1931, Télégramme du Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie, Dimitrie Burillianu, au Ministre des Finances, Mihai Popovici, le 17 février 1931, p. 1. 566 Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1931, Istoricul chestiunei Consilierului technic (L’historique de la question du Conseiller technique), p. 3. 567 Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1931, Istoricul chestiunei Consilierului technic, p. 5. 199

Gouverneur Moret avertit son homologue roumain que la Banque Nationale de Roumanie doit envoyer immédiatement à la Banque de France un texte qui stipule : « Comment la Banque Nationale de Roumanie entend continuer à bénéficier de l’avantage que comporte pour elle actuellement la collaboration avec le Conseiller technique. »568 L’objectif de ce texte, souligne Clément Moret, est de demander : « au Conseiller technique de continuer à faire, pendant deux ou trois ans, simplement à titre d’expert, un rapport annuel qui serait publié, comme précédement, dans le bulletin de la Banque. »569 En réponse à cette lettre, ainsi qu’aux pressions effectuées par les dirigeants du gouvernement, Dimitrie Burillianu accepte le 4 mars 1931 de compléter le texte précédent avec un nouveau paragraphe, mais sans aucune référence à la prolongation de la mission de Roger Auboin. « La Banque Nationale de Roumanie, écrit Burillianu, entend notamment poursuivre énergiquement l’application intégrale dans le délai de trois ans de toutes les mesures résultant tant dans le Programme de stabilisation que dans ses nouveaux statuts afin notamment d’assurer à son actif, avec le concours du Conseiller Technique, la liquidité indispensable. »570 Envoyée directement à Cesianu, Ministre de Roumanie à Paris, pour être remise à la Banque de France, la lettre de Burillianu provoque une véritable crise politique entre les dirigeants de la Banque Nationale et les membres du Gouvernement roumain. Dans ces circonstances, Cesianu conseille Mironescu de prendre immédiatement des mesures à l’égard du Gouverneur Burillianu et d’user de tous les moyens pour convaincre le Conseil de la Banque Nationale d’accepter la prolongation de la mission française car les banques étrangères menacent d’arrêter les négociations si la question de l’Expert n’est pas réglée dans les plus brefs délais. « Le crédit international de la Banque Nationale de Roumanie, écrit Cesianu, a été renforcé après février 1929 grâce à la présence

568 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/16 : Télégramme du Gouverneur de la Banque de France à la Banque Nationale de Roumanie, le 27 février 1931, p. 4. 569 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/16 : Télégramme du Gouverneur de la Banque de France à la Banque Nationale de Roumanie, le 27 février 1931, p. 4. 570 Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1931 : Istoricul chestiunei Consilierului technic, p. 7.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 des experts de la Banque de France. Pourquoi le Gouverneur Burillianu redoute- t-il le Conseiller technique ? Qu’est-ce que la Banque Nationale veut nous cacher ? »571

Souhaitant conclure immédiatement l’emprunt, le Gouvernement roumain décide, le 7 mars 1931, à 8 voix sur 9 de rédiger et d’envoyer au nom de la Banque Nationale de Roumanie et du Gouverneur Burillianu la lettre demandée par la Banque de France dès le 1er février 1931. Afin de remercier les dirigeants de la Banque Nationale pour leur changement d’attitude, Moret envoie le 8 mars 1931, au nom des participants à l’emprunt roumain, un télégramme pour confirmer la prolongation de la mission de Auboin. Ce télégramme provoque le mécontentement de Burilianu, qui décide d’informer immédiatement la Banque de France et les autres participants à l’emprunt roumain qu’il s’agissait d’un malentendu et que la Banque Nationale de Roumanie n’a jamais rédigé cette lettre. Face à situation, Mironescu décide d’intervenir immédiatement auprès du roi Carol II et de demander la destitution de Burillianu de ses fonctions de Gouverneur de la Banque Nationale.

Accusé d’avoir mis en danger les intérêts de l’État roumain, Dimitrie Burillianu est destitué par décret royal le 10 mars 1931. Son successeur, Constantin Angelescu572 approuve les démarches effectuées par le gouvernement auprès de la Banque de France et l’emprunt roumain de développement économique sera finalement émis le 15 mars 1931.

Considéré comme la deuxième tranche de l’emprunt de stabilisation de 300.000.000 de dollars, cet emprunt est également contracté par la Caisse

571 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 134 (1930- 1936) : Télégramme de la Légation de Roumanie à Paris au Président du Conseil roumain, le 26 février 1931, p. 449. 572 Professeur de droit à la Faculté de Droit de Bucarest, Constantin Angelescu (1870-1948) est nommé durant les années trente à deux reprises Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie : du 9 mars 1931 au 10 juin 1931 et du 27 novembre 1931 au 3 février 1934. Entre le 30 décembre 1933 et le 3 janvier 1934, Angelescu assume les fonctions de Président du Conseil roumain. 201

Autonome des Monopoles du Royaume de Roumanie avec un taux d’intérêt de 7,5% et un cours d’émission de 86,50%. Le montant total de cet emprunt s’élève à un milliard trois cent vingt-cinq millions de francs français, dont 450 millions sont émis sur le marché français.573 Parmi les banques étrangères qui ont souscrit cet emprunt, la somme la plus importante revient, comme en février 1929, à la Banque de Paris et des Pays-Bas avec un montant de 450 millions de francs français. Le tableau ci-dessous (Tableau VII) nous indique la physionomie internationale et la participation des banques et des institutions financières à l’émission de cet emprunt.

573 Il convient de préciser que par rapport à la première tranche de l’emprunt de stabilisation monétaire et développement économique de février 1929, la deuxième tranche de cet emprunt est contractée en une seule devise, le franc français.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Tableau VII : La répartition internationale de l’emprunt roumain de développement économique de mars 1931. Pays Banque/Société Montant souscrit % du total financière (FF)

France Banque de Paris et des 450 000 000 33,96 Pays-Bas Suède Stockholm-Enskilda Bank 303 500 000 22,91

Etats –Unis National City Bank 250 000 000 18,87

Suède Groupe Kreuger & Toll 75 000 000 5,66

Roumanie Banca Româneasca, 75 000 000 5,66 Banca de Credit Român, Societatea Bancara Româneasca, Banca Moldovei, Banca Comerciala Italiana si Româna Allemagne Deutsche Bank 43 500 000 3,28

Pays-Bas Mendelssohn & Co 37 500 000 2,83

Tchécoslovaquie Zivnostenska Banka 35 500 000 2,68

Suisse Crédit Suisse 25 000 000 1,89

Belgique Banque de Paris et des 17 500 000 1,32 Pays-Bas Autriche Banque des Pays de 12 500 000 0,94 l’Europe centrale Total 1 325 000 000 100,00

Source : URECHE-RANGAU, Loredana, Dette souveraine en crise : l’éxperience des emprunts roumains à la bourse de Paris durant l’entre-deux-guerres, Paris, Publications de la Sorbonne, 2008, p. 212.

Les crédits obtenus par la Roumanie, par suite de cette deuxième émission internationale sont destinées au développement du secteur agricole et à la création d’une Banque agricole et d’une Société de Crédit Agricole 203

Hypothécaire.574 Cette dernière institution, dont la principale mission est d’assainir les dettes agricoles en fournissant aux débiteurs, dans des conditions de sécurité, des fonds à taux modéré pour rembourser les dettes anciennes à taux élevé et souvent usuraire, est placé sous la surveillance de Regard, ancien sous-gouverneur du Crédit Foncier de France.575 Toutefois, le montant de 400 millions de francs français, accordé au développement de l’agriculture, s’est avéré rapidement insuffisant, compte tenu du caractère agricole du pays et de l’importance des investissements à réaliser dans ce secteur. En outre, une somme de 250 millions de francs français est affectée au développement des chemins de fer pour la continuation des travaux commencés en 1929.576 Le programme de restauration du réseau routier roumain reçoit sur le produit de l’emprunt déposé à la Banque Nationale par la Caisse Autonome des Monopoles un montant de 220 millions de francs français.577 Quant au fonds de roulement du Trésor, la somme accordée est de 200 millions de francs français.578

Face aux critiques de la presse internationale, qui s’interroge sur les raisons de la destitution du Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie, Mironescu déclare qu’il a été obligé de prendre cette mesure afin de défendre les intérêts de l’État roumain, car l’emprunt roumain devait être émis avant l’emprunt yougoslave de stabilisation monétaire. Le journal français l’Écho de Paris annonce dans son édition du 10 mars 1931 que le Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie a été révoqué par décret royal en raison d’une lettre

574AUBOIN, « Les missions en Roumanie, 1929-1932 », p. 937. 575 Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, No. 31/1931 : Rapport sur les deux premières années d’application du Programme de stabilisation et de développement économique, pp. 13-15. 576 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, 1370200006/13 : Deuxième emprunt international de la Caisse Autonome des Monopoles du Royaume de Roumanie, pp. 9-10. 577 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, 1370200006/13 : Deuxième emprunt international de la Caisse Autonome des Monopoles du Royaume de Roumanie, pp. 9-10. 578 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, 1370200006/13 : Deuxième emprunt international de la Caisse Autonome des Monopoles du Royaume de Roumanie, p. 10.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 qu’il a envoyé aux dirigeants de la Banque de France quelques jours auparavant. Sans évoquer le contenu de cette lettre, l’Écho de Paris écrit qu’elle: « était calculée pour rendre impossibles toutes les négociations d’un nouvel emprunt et même pour compromettre les bonnes relations entre la France et la Roumanie. »579 En revanche dans la presse roumaine, les avis sont très partagés et fortement influencés par l’orientation politique de leurs auteurs. Ainsi, les journaux, qui représentent les intérêts du Parti National Libéral, accusent Mironescu, représentant du Parti National Paysan, d’avoir violé l’indépendance de la Banque Nationale au nom de ses propres intérêts: « Un emprunt de 35 millions de dollars a conduit Mironescu à condamner la Roumanie à un asservissement envers les créditeurs étrangers et à renier l’indépendance de la Banque Nationale acquise en vertu du Programme de stabilisation monétaire. »580 Constantin Bratianu et I. Gh. Duca, les nouveaux leaders des Libéraux, s’expriment également sur cette affaire en condamnant la sévérité de la mesure prise à l’égard de Burillianu car elle pourrait affaiblir le crédit international de la Roumanie. Dans la presse du Parti National Paysan, la destitution de Dimitrie Burillianu est intégralement approuvée car la Banque Nationale doit servir les intérêts de l’État.581 Ce point de vue est également partagé par Grigore Gafencu qui note dans son journal que seulement le gouvernement a le droit de décider la politique financière de la Roumanie.582 Toutes les autres institutions du pays doivent s’y soumettre. Par la révocation de Burillianu, le gouvernement restaure son prestige et son autorité politique.

Considérant sa destitution illégale et abusive, Dimitrie Burillianu décide, le 28 mai 1931, de contester la mesure prise par le Président du Conseil, Mironescu,

579 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 134 (1931- 1934) : Coupures de presse, p. 516. 580 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 134 (1931- 1934) : Coupures de presse, p. 517. 581 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 134 (1931- 1934) : Coupures de presse, p. 518. 582 GAFENCU, Însemnari politice, 1929-1939, p. 119. 205

à son égard en faisant appel à la Cour Constitutionnelle de Roumanie.583 Il demande à cette instance de se prononcer sur le droit et les compétences du Gouvernement roumain de désigner et de destituer le Gouverneur de la Banque Nationale. Se basant sur les nouveaux Statuts de la Banque Nationale, qui « ont été révisés de façon à harmoniser leurs dispositions avec celles des statuts les plus récents des autres banques d’émission européennes », la Cour Constitutionnelle de Roumanie reconnaît le droit du Gouvernement de désigner le Gouverneur de la Banque Nationale par décret royal pour une durée de six ans.584 En l’absence de toute disposition législative sur la révocation du Gouverneur, la Cour décide que les dirigeants du Gouvernement n’ont ni le droit, ni les compétences de destituer le Gouverneur, car il n’est pas un fonctionnaire public au sens strict du terme. Il peut être révoqué en cas d’incapacité ou de faute grave, mais il n’y a que la Cour Constitutionnelle qui a le droit et les compétences pour délibérer dans ce domaine. Ayant destitué Burillianu sans respecter cette procédure, le gouvernement se rend, donc, coupable d’avoir violé les nouveaux Statuts de la Banque Nationale, qui visent à régler et à limiter l’intervention de l’État dans les affaires de la Banque.585 Selon la Cour Constitutionnelle de Roumanie, Burillanu a fait son devoir de Gouverneur, tel qu’il était prévu par les Statuts de la Banque Nationale, et rien ne prouve qu’il a eu l’intention de contrecarrer la politique financière menée par le gouvernement à l’occasion des négociations pour l’emprunt de mars 1931.

Le 8 juillet 1931, la Cour Constitutionnelle de Roumanie décide d’annuler le décret royal du 10 mars 1931 qui destituait Dimitrie Burillianu de ses fonctions de Gouverneur de la Banque Nationale. Dans ces circonstances, la nomination de Angelescu devient illégale et abusive car le mandat de Gouverneur n’était

583 Archives de la BNR, Bucarest Fonds Secretariat, Année 1931 : Curtea de Apel Bucuresti, Procès verbal no. 4621, le 8 juillet 1931, pp. 1-11. 584 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/16 : La stabilisation monétaire et la Banque Nationale de Roumanie. Statuts de la Banque Nationale, p. 4. 585 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/16 : La stabilisation monétaire et la Banque Nationale de Roumanie. Statuts de la Banque Nationale, p. 4.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 pas disponible. Toutefois, Burillianu décide de ne pas revenir à la Banque Nationale de Roumanie et de continuer sa carrière politique au sein du Parti de Octavian Goga. Le 14 juillet 1931, le Gouvernement désigne à la tête de la Banque Nationale de Roumanie Mihai Manoilescu586, lui-même, qui sera également destitué le 27 novembre 1931, en raison de son opposition à la volonté du roi Carol II de sauver la Banque Marmorosch, Blank and Co.587

Toutefois, les crédits étrangers obtenus par la Roumanie en mars 1931 n’améliorent pas la situation économique et financière du pays qui, sous l’effet de la dépréciation des produits agricoles sur le marché international, traverse dès l’été 1931 une forte crise économique et financière. Pays essentiellement agricole et dépendant des exportations de produits primaires, la Roumanie est fortement touchée par l’effondrement des prix agricoles, forestiers et pétroliers sur le marché international. En 1931, le revenu national roumain baisse de 43,04% par rapport à l’année 1929 et menace la stabilité de la monnaie, ainsi qu’il résulte de la réduction du stock de devises de la Banque Nationale de 4.062 millions de lei en janvier 1931 à 654 millions de lei vers la fin de la même année.588 Face à ces difficultés, le Ministre des Finances Argetoianu, « un homme extrêmement rusé, germanophile, et, bien entendu, mal disposé vis-à- vis des conseillers technique français »589 demande au Gouvernement français le 16 mars 1932 d’envoyer à Bucarest Rist pour examiner la situation

586 Ingénieur, économiste et homme politique, Mihai Manoilescu (1891-1950) est désigné le 14 juillet 1931 Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie. Il assumera ces fonctions jusqu’au 27 novembre 1931, date à laquelle il a été destitué par le roi Carol II en raison de son refus de sauver la Banque Marmorosch, Blank and Co. Durant son activité politique, il a été nommé plusieurs fois à la tête des Ministères du Commerce et de l’Industrie, des Travaux Publics et des Communications et des Affaires Etrangères. Parmi ses principaux ouvrages, on retient Théorie du protectionnisme et de l'échange international (1929) et Le siécle du corporatisme. Doctrine du corporatisme intégral et pur (1934 ) . 587 La Banque Marmorosch, Blank and Co. est considérée comme étant la banque du roi Carol II. 588 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en Roumanie, S. 87 : Rapport sur la situation économique et financière de la Roumanie, p. 6. 589 RIST, « Notice biographique », p. 1016. 207

économique et financière du pays. Les dirigeants roumains espèrent, en effet, que Rist conclura à la nécessité d’un nouvel emprunt international.590

Malgré sa réticence de retourner à Bucarest pour étudier la situation économique et financière du pays, Rist accepte, sur l’insistance de Auboin, la mission confiée par les gouvernements roumain et français.591 Afin de faciliter sa tâche, Rist demande aux dirigeants de la Banque de France le concours temporaire de Jean Bolgert, qui sera chargé de réunir toutes les données nécessaires à l’établissement de son rapport.

3. Charles Rist et la situation économique et financière de la Roumanie, avril - mai 1932

Dès son retour à Bucarest en avril 1932, Rist trouve une situation complètement différente de celle qu’il avait connue durant les années 1928-1931. Le roi Carol II serait en grande partie à l’origine de ce changement, lourd de conséquences politiques et financières pour la Roumanie. Préoccupé de renforcer l’armée roumaine par des dépenses démésurées, Carol II a négligé les répercussions sur la situation financière et monétaire du pays.

Analysant la situation de la Trésorerie et du budget, Rist met en évidence la désorganisation des finances publiques, le déséquilibre budgétaire, l’intervention de l’Etat dans la politique de la Banque Nationale et l’échec du projet de « conversion des dettes agricoles » qui, au lieu de faciliter les arrangements entre les créditeurs et les débiteurs, avait organisait le défaut des débiteurs. Afin de dissiper les suspicions des dirigeants roumains à l’égard de la stabilisation monétaire et de ses conséquences négatives sur la situation de la Roumanie, Rist écrit dans son Rapport que la stabilisation du leu a été une opération parfaitemment réussie et que, après cette opération, la Banque Nationale a très

590 RIST, « Notice biographique », p. 1016. 591 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/5 : Lettre de Roger Auboin à Jean Bolgert, le 13 avril 1932.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 bien fonctionné. « Si la situation de la Roumanie, écrit Rist à Argetoianu, est actuellement sérieuse, la raison de cet état de choses est à chercher dans la gestion des finances publiques. »592

Pour expliquer les difficultés économiques et financières de la Roumanie, Charles Rist insiste, d’une part, sur les effets économiques et financiers de la crise de 1929 et, d’autre part, sur la mauvaise gestion et l’intervention de l’État qui avait augmenté ses dépenses et ses engagements hors budget, tels que les dépenses pour la réorganisation de l’armée et l’achat des équipements militaires. Ces dépenses qui, ont conduit au déséquilibre budgétaire en faussant tout le mécanisme financier et bancaire de la Roumanie, se sont aggravées bien entendu avec la crise mondiale.

Dans les conclusions de son Rapport, Rist recommande la réforme du système financier, depuis l’établissement du budget et jusqu’aux méthodes de perception de l’impôt, mesures qui permettront à la Roumanie de s’adapter aux nouvelles conditions économiques et financières internationales.593 Etant donné que « le remède à ces difficultés est d’ordre essentiellement économique et ne peut résulter que d’une action internationale »594, Rist conseille aux dirigeants de Bucarest « de demander la collaboration technique non à un seul gouvernement, quelque amicaux que soient ses sentiments, mais à une autorité internationale, telle que la Société des Nations, en mesure de s’assurer les concours les plus qualifiés, non dans un seul pays, mais dans plusieurs. »595 La France se voit, ainsi, obligée de faire marche arrière et recommande à son allié politique et militaire de solliciter l’aide de la Société des Nations car aucun emprunt roumain ne pourra plus être émis sur le marché parisien.

592 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Roumanie (1921-1934), No. 358 : Télégramme de Charles Rist à , Ministre des Finances, le 22 mars 1932, p. 338. 593 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Roumanie (1921-1934), No. 358 : Note sur le Rapport Rist, p. 323. 594 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Roumanie (1921-1934), No. 358 : Note sur le Rapport Rist, p. 323. 595 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Roumanie (1921-1934), No. 358 : Note sur le Rapport Rist, p. 323. 209

Les recommandations données par Rist aus dirigeants de Bucarest de s’adresser à la Société de Nations ne doivent pas nous surprendre car Roger Auboin avait déjà évoqué dès le 7 mars 1932 l’idée d’une action internationale en faveur de la Roumanie.596 Dans une lettre adressée à Moret, le 7 mars 1932, Auboin, dont le mandat de Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie avait expiré le 7 février 1932, fait le point sur les résultats obtenus par la mission financière de la Banque de France dans ce pays. Si jusqu’en février 1932 le Conseiller technique a pu s’appuyer sur « l’autorité morale », représentée par le groupe des banques d’émission européennes et américaine, il ne bénéficie plus de ce soutien à partir de cette date en raison de son non renouvellement. Malgré les suggestions effectuées pour y substituer la Banque des Règlements Internationaux ou une autre autorité internationale, les créanciers de la Roumanie n’ont pris aucune décision. L’action financière en Roumanie, ainsi que la position de l’Expert de la Banque Nationale n’ont plus le fondement international qui, avait garanti avant février 1932 le bon déroulement de la mission dans ce pays. Dans ces circonstances, les experts français ne peuvent plus garantir le respect du Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie par les dirigeants de Bucarest et les d’importants intérêts étrangers seront mis en danger. Afin d’éviter une telle situation, Auboin demande l’intervention ferme des dirigeants de Paris jusqu’à l’établissement d’une nouvelle formule d’action internationale en Roumanie. Pour Auboin, cette action comporte deux aspects : premièrement, une action politique, dont l’objectif principal doit être de convaincre les dirigeants roumains de respecter les engagements pris en 1929, et deuxièmement, une action technique qui, consiste dans la mise à disposition des dirigeants roumains, voire même leur imposer, les experts étrangers compétents pour l’établissement et l’application des réformes nécessaires à la réorganisation financière et

596 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Lettre de Roger Auboin à Clement Moret, le 7 mars 1932, pp. 19-21.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

économique du pays.597 « La conclusion à laquelle conduisent l’examen de la situation actuelle et l’expérience de trois années écoulées, écrit Auboin, est que dans tous les cas une action très énergique et comportant avant tout un effort soutenu est indispensable en Roumanie pour le maintien et l’achèvement de l’œuvre financière entreprise et la défense des intérêts considérables qui sont liés à cette œuvre. »598 Reprenant l’idée de Auboin, Charles Rist décide, donc, de confier l’autorité internationale nécessaire au bon fonctionnement de la Roumanie à la Société des Nations.

Mis au courant des conclusions négatives du Rapport, établi par Rist, le gouvernement français convoque le Ministre roumain à Paris, Cesianu, et lui annonce que la France ne pourra plus venir au secours financier de son pays.599 Tardieu reproche à Cesianu la mauvaise gestion des finances et le non-respect des engagements pris par les dirigeants de Bucarest en 1929, à l’occasion de l’émission de l’emprunt de stabilisation qui, ont conduit à l’affaiblissement du crédit international de la Roumanie. « La Roumanie, précise Tardieu, devra s’adresser à la Ligue des Nations. Elle doit agir vite et entreprendre immédiatement sa reconstruction économique et financière afin de pouvoir résister à l’expansion économique de l’Allemagne.»600

Remis au gouvernement de Bucarest le 25 mai 1932 par Puaux, le Rapport Rist, décrit par Auboin « comme un modèle de clarté, une clarté évidemment un peu

597 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Lettre de Roger Auboin à Clement Moret, le 7 mars 1932, p. 19. 598 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, 1370200006/13 : Lettre de Roger Auboin à Clement Moret, le 7 mars 1932, p. 19. 599 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România (1921-1934), No. 358 : Télégramme de Cesianu, Ministre de Roumanie à Paris, à Nicolae Iorga, Président du Conseil, et Constantin Argetoianu, Ministre des Finances, le 22 mars 1932, p. 26780. 600 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România (1921-1934), No. 358 : Télégramme de Cesianu, Ministre de Roumanie à Paris, à Nicolae Iorga, Président du Conseil, et Constantin Argetoianu, Ministre des Finances, le 22 mars 1932, p. 26780. 211

cruelle »601 provoque une vive émotion. Les dirigeants roumains considèrent l’intervention de la Société des Nations dans les problèmes économiques et financiers de la Roumanie comme une véritable humiliation. Les débats lancés durant les années vingt par les frères Bratianu contre la stabilisation monétaire sous l’égide de la Société des Nations refont surface et relient tous les partis politiques car, ainsi que Vintila Bratianu l’avait affirmait : « Seulement les Etats vaincus dans la Grande Guerre, tels que l’Autriche et la Hongrie, devaient recourir à la Ligue des Nations. Pour la Roumanie, qui était un Etat vainqueur et créé par les Traités de Paix de 1919-1920, le recours à la Ligue serait une humiliation et porterait atteinte à l’indépendance et à l’intégrité territoriale du pays. »602 Le 21 juin 1932, lors d’une entrevue avec les dirigeants français, Nicolae Titulescu, le chef de la diplomatie roumaine, reproche à la France d’abandonner la Roumanie en faveur de la Société des Nations et avertit qu’il y aura un changement de la politique étrangère : « En 1927 et 1928, la France s’est opposée à la Société des Nations parce qu’elle souhaitait avoir une victoire contre la Banque d’Angleterre. Le résultat a été que les autres Etats se sont éloignés de la Roumanie et que l’Angleterre l’a considéré comme une colonie économique de la France. La Ligue est une simple procédure, mais la Roumanie devra trouver une véritable aide ou la liberté. »603 Quant aux principales raisons de cet « abandon », Titulescu manifeste son indignation en affirmant que, de cette manière, la France pouvait « se débarrasser » de la responsabilité financière et, notamment, morale qu’elle avait accepté par suite de l’organisation des emprunts de février 1929 et de mars 1931.604 Par ailleurs, Titulescu remet en question le contrôle financier exercé par Charles Rist sur les

601 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Roger Auboin : Les missions de Charles Rist en Roumanie, 1929-1932, p. 19. 602 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare speciale, No. 247 : Télégramme de Nicolae Titulescu au roi Carol II et au Ministre des Finances, le 22 juin 1932. 603 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare speciale, No. 247 : Télégramme de Nicolae Titulescu au roi Carol II et au Ministre des Finances, le 22 juin 1932, pp. 1-2 (Trad. du roumain). 604 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare speciale, No. 247 : Télégramme de Nicolae Titulescu au roi Carol II et au Ministre des Finances, le 22 juin 1932, p. 3.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 finances roumaines depuis le 7 février 1929 et lui repproche d’être également responsable de la situation actuelle du pays. « (…) Rist, s’exclame Titulescu, fait un rapport qui démontre les erreurs de gestion, fait difficile à concevoir dans un Etat où il y a un contrôle de facto et de jure sur la Banque Nationale et sur le Ministère des Finances. »605

Le 18 juin 1932, le gouvernement de Bucarest va adresser au Comité financier de la Société des Nations une lettre lui demandant la collaboration technique pour l’application d’un plan de réforme financière, destiné à adapter la vie administrative du pays aux nouvelles conditions économiques et pour l’étude des mesures propres à améliorer la situation économique de la Roumanie606. À la lecture de différents journaux roumains de l’époque, tels que Universul (L’Univers), Epoca (L’Epoque), Tara Noastra (Notre Pays), on apprend que « la Roumanie, trahie par la France, deviendra une colonie de la Société des Nations »607.

Avant d’aborder la question de la collaboration de la Roumanie avec le Comité financier de la Société des Nations, il convient de nous pencher sur les effets de la crise de 1929 sur la situation économique et financière du pays.

605 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare speciale, No. 247 : Télégramme de Nicolae Titulescu au roi Carol II et au Ministre des Finances, le 22 juin 1932, p. 2 (Trad. du roumain). 606Archives de la SdN, Genève, Questions économiques et financières, 1933. II. A. 3 : Accord instituant une collaboration technique consultative en Roumanie. 607 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en Roumanie (1932), S 90 : La Roumanie et la Société des Nations. 213

CHAPITRE III : LA ROUMANIE À L’ÉPREUVE DE LA GRANDE CRISE

La crise économique et financière, qui frappe l’Europe et le monde dès 1929, n’épargne pas non plus la Roumanie. Dès 1930, ce pays agricole et fortement dépendant des exportations de produits primaires subit les effets de l’effondrement des prix internationaux des produits agricoles et pétroliers qui constituent ses principaux articles d’échange sur le marché mondial. Il convient de préciser que la baisse des prix agricoles, qui s’est accentuée en Europe dès 1928, n’est pas ressentie par la Roumanie avant 1930 car les années 1927 et 1928 sont des années de mauvaise récolte. De ce fait, les quantités de céréales exportées sur le marché international ne sont pas considérables et, donc, la diminution des prix tarde à faire sentir ses effets économiques et financiers jusqu’en 1929, année de récolte abondante.608

Intimement liés à la situation économique et commerciale du pays, les difficultés financières de la Roumanie commence à s’aggraver dès juin 1931 car l’excédent de la balance commerciale, le seul élément actif de la balance des comptes, ne procure plus les sommes nécessaires à l’amortissement et au paiement des emprunts étrangers. En 1931, la dette extérieure de la Roumanie s’élève à 181,5 milliards de lei, ce que représente une charge de 370 francs suisses par habitant.609 La baisse des revenus des agriculteurs, qui représente 80% de la population roumaine, se répercute à la fois sur la consommation des produits industriels et sur la contribution aux charges de l’État.

À toutes ces difficultés s’ajoute la défaillance durant l’été 1931 de plusieurs établissements bancaires roumains et, en particulier, de la Banque Marmorosch, Blank & Co., par suite de la crise bancaire allemande et autrichienne. La situation de la Banque Nationale de Roumanie commence également à se détériorer à partir de juillet 1931 en raison de la dépréciation de la livre sterling

608 DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, pp. 757-770. 609 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en Roumanie, S 90 : Note sur la Grande Dépression.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 qui provoque à la banque centrale roumaine une perte immédiate de 300 millions de lei. Cette situation, ainsi que le déficit de la balance de paiement menacent également la stabilité de la monna ie roumaine.

Dans ces circonstances, les dirigeants roumains, en collaboration avec le Conseiller technique de la Banque Nationale, cherchent à introduire toute une série de mesures d’ordre économique, commercial et financier afin de vaincre la crise. Par ailleurs, ils participent à l’élaboration tant à l’échelle régionale qu’européenne, des projets d’action économique concertée. La nécessité de coopération économique et commerciale incite la Roumanie à développer ses relations non seulement avec la France, la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie, mais aussi avec la Hongrie, la Bulgarie et, notamment, avec l’Allemagne.

1. L’impact de la Crise de 1929 sur l’économie de la Roumanie

Insister sur l’origine externe de la crise ne signifie pas que l’on doive minimiser les mécanismes cumulatifs internes, antérieurs à l’année 1929. Le secteur agricole roumain, ainsi que nous l’avons précisé, subit les contrecoups d’un facteur « accidentel », la succession des deux mauvaises récoltes, celles de 1927 et de 1928, en provoquant la diminution du revenu national et la baisse du pouvoir d’achat de la population. En 1930, les experts de l’Institut International de l’Agriculture de Rome, analysant la situation économique de la Roumanie, insistent sur les conséquences désastreuses de la réforme agraire de 1918- 1921. Le partage des terres à des paysans, dépourvus d’outillage, de moyens financiers et de savoir faire, a été réalisé par les dirigeants roumains sans calculer les effets économiques à long terme. Au lieu de varier les cultures agricoles et d’améliorer la qualité des produits, afin de suivre la diversification de la demande mondiale, les paysans ont continué de cultiver les mêmes produits et de qualité inférieure. À cela s’ajoute également le manque de soutient de l’État roumain, qui durant les années 1922-1928, s’est efforcé à développer l’industrie au détriment de l’agriculture et de la population paysanne qui 215

représente 80% de la population roumaine.610 En revanche, les mesures favorables à ce secteur, envisagées par le Parti National Paysan dès novembre 1928, interviennent au moment du déclenchement de la crise de 1929.

Tous ces mécanismes cumulatifs internes conduisent progressivement durant les années vingt à la diminution de la production agricole et, implicitement, des revenus de l’État et de la population roumaine. Cette situation s’aggrave à la fin de l’année 1929, par suite de la baisse des prix agricoles et des matières premières sur le marché international. Attendant de gros bénéfices de la récolte particulièrement abondante de 1929, tant l’État que la population roumaine voient diminuer considérablement leurs revenus.

Sous l’effet conjugué d’une récolte abondante, dont dépendait en grande mesure le rétablissement économique et financier du pays, et de l’effondrement international des prix agricoles, la Roumanie entre en crise. La spécificité de crise roumaine découle de la mévente des principaux produits d’exportation, en l’occurrence les céréales, sur le marché mondial. Or, ce phénomène se répercute immédiatement sur les revenus tant de l’État que de la population, ce qui rend la situation financière du pays très vulnérable et menace la stabilité monétaire, réalisée en février 1929.

Le tableau ci-dessous (Tableau VIII) met en évidence la baisse progressive à partir de 1929 des prix des produits agricoles, exportés par la Roumanie.

610 MADGEARU, Virgil, Rumania’s new economic Policy, London, P.S. King & Son, 1930, p. 5. Avec ce pourcentage de 80%, la Roumanie devance la Yougoslavie (77%), la Pologne (67%), la Hongrie (54%) et même la Bulgarie (74%).

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Tableau VIII : L’évolution des prix moyens annuels des principaux produits agricoles, exportés par la Roumanie, 1929-1931 (en lei) Produits 1929 1930 1931 Diminution en % par agricoles rapport aux prix de 1929 Blé 7.50 4.69 2.52 66.40

Orge 4.75 2.38 2.45 48.50

Avoine 4.54 2.16 2.82 47.90

Maïs 5.91 2.85 2.12 63.10

Total 45,79

Source : MADGEARU, Virgil, La Roumanie à la Conférence de Stresa (1932), p. 50, Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en Roumanie, S. 86.

Cette chute brutale des prix agricoles se poursuit jusqu’en 1932, quand les prix commencent à remonter légèrement sur le marché international.611 La première mesure adoptée par les dirigeants roumains en 1930, afin de compenser la baisse des prix, et, donc, d’assurer les revenus de l’État, est d’augmenter les quantités de céréales exportées en accordant aux agriculteurs d’importantes primes d’exportation.612 Ainsi, en 1931, il y a une augmentation de 150% par rapport à l’année 1927. Mais, l’effondrement général des prix ne tarde pas d’annuler les effets financiers de l’augmentation des quantités exportées, ainsi que nous le démontre le tableau ci-dessous (Tableau IX).

611 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en Roumanie, S. 87. 612 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en Roumanie, S. 87. 217

Tableau IX : Les exportations des céréales roumaines, 1927-193 Années Quantités exportées Valeur des exportations (en lei) Prix

1927 94.890 7.080.000 74.61

1930 159.347 8.060.000 50.58

1931 350.356 9.000.000 25.69

1932 395.424 9.219.000 23.31

Source : Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en Roumanie, S.87.

Toutefois, la dépréciation des produits agricoles ne reste pas un phénomène isolé et touche également le pétrole et le bois, les deux autres articles, exportés par la Roumanie. Les prix moyens du pétrole comparés à ceux de 1929 indiquent en 1931 une diminution de 40 %, alors que le bois baisse de presque 72%. Malgré la dépréciation des principaux produits d’exportation, la balance commerciale de la Roumanie présente une évolution assez paradoxale, qui n’en constitue moins un symptôme frappant de dépression. Elle reste, en effet, en équilibre tout le long de la crise (Tableau X).613

613 Le déficit budgétaire enregistré pour l’année 1929 est dû à la mauvaise récolte de 1928.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Tableau X: Commerce extérieur de la Roumanie, 1929-1933 Années Valeurs (en millions lei) Indices 1929 =100

Importations Exportations Balance Importations Exportations 1929 29,628 28,960 -668 100 100 1930 23,044 28,522 +5,478 77,8 98,5 1931 15,755 22,197 +6,442 53,2 76,6 1932 12,011 16,722 +4,711 40,5 57,7 1933 11,742 14,171 +2,429 39,6 48,9 Source : Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en Roumanie, S. 90.

Cette situation s’explique, ainsi que nous observons, en grande partie par l’augmentation de quantités exportées et la diminution des importations, qui, en 1931, baissent de 50% par rapport à 1929. Ce phénomène se produit spontanément sans l’intervention des dirigeants de Bucarest, étant directement lié à la diminution du pouvoir d’achat de l’État et de la population.

Intimement liés à la situation de l’économie du pays, les problèmes financiers de la Roumanie suscitent dès juin 1931 l’inquiétude des dirigeants roumains et de Roger Auboin. Rappelons qu’à partir de cette date, l’excédent de la balance commerciale, le seul élément actif de la balance des comptes, ne procure plus les sommes nécessaires à l’amortissement et au paiement de l’emprunt de stabilisation monétaire et de développement économique. En 1930 le revenu national de la Roumanie baisse de 26,83% et, en 1931, de 43,04% par rapport à l’année 1929.614 Le déficit de la balance de paiement menace aussi la stabilité monétaire, ainsi qu’il résulte de la réduction du stock de devises de la Banque Nationale qui passe de 4.062 millions de lei en janvier 1931 à 654 millions de lei vers la fin de la même année.615 Face aux difficultés de la Roumanie d’assurer le service de ses emprunts extérieurs et le paiement des fournitures commandées à l’étranger, les dirigeants de Paris examineront dès novembre

614 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en Roumanie, S. 87. 615 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en Roumanie, S. 87. 219

1931 les possibilités de développer les achats de produits pétroliers en Roumanie.616

La défaillance de la Credit-Anstalt, le 11 mai 1931, frappe également le système bancaire roumain en provoquant le retrait massif des crédits étrangers et roumains. Ce mouvement s’accentue avec la crise bancaire allemande et hongroise car de nombreuses banques de Transylvanie et de Bucovine ont gardé des relations très étroites avec les banques de Berlin et de Budapest.617 A ces difficultés s’ajoute le refus de la Banque Nationale de Roumanie et, en particulier, de Roger Auboin de soutenir les banques roumaines, dont la situation était qualifiée de « très mauvaise ». Ainsi, plusieurs établissements bancaires roumains font faillite durant l’été 1931. Nous mentionnons la Banque Générale de Roumanie618, dont la faillite est prononcée en juin 1931, la Banque L. Berkovici619 en juillet 1931 et, plus particulièrement, la Banque Marmoroch, Blank and Co.620, en octobre 1931.621 Malgré l’intervention personnelle du roi Carol II et l’élaboration de plusieurs projets de sauvetage, basés sur la solidarité des autres banques roumaines et de certains sacrifices financiers de l’État roumain, la Banque Marmoroch, Blank and Co. est laissée par Auboin à la

616 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 229 : Note pour la sous-direction des relations commerciales (Paiements de la Roumanie et pétrole roumain), le 30 novembre 1931. 617 ISRAIL, Mihail-Dumitru, Le marché monétaire roumain, Paris, Librairie Rodstein, 1933, p. 129. 618 La Banque Générale de Roumanie est considérablement affaiblie depuis l’année 1925 par l’octroi des crédits à caractère politique visant à maintenir au pouvoir le Parti National Libéral au détriment du Parti National Paysan. 619 La Banque L. Berkovici, on affirme qu’elle a été compromise par les spéculations immobilières personnelles de ses deux principaux actionnaires, les frères Berkovici. 620 La Banque Marmoroch, Blank and Co. enregistre durant l’année 1931 une perte de deux milliards de lei sur un actif de quatre milliards et demi de lei. Il convient de préciser que cette banque est considérée comme étant la banque personnelle du roi Carol II. 621 BICHI, Cristian, « Foreign Banks in Romania : A Historical Perspective » in KOSTIS, Kostas P., Modern Banking in the Balkans and West-European Capital in the Nineteenth and Twentieth Centuries, Ashgate, 1999, p. 43.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 faillite.622 Le projet des dirigeants roumains de sauver cet établissement par l’étatisation, sur le modèle de la Dresdnerbank, est rejeté par Roger Auboin car une telle mesure était totalement contraire aux Statuts de la Banque Nationale et portera atteinte au crédit international acquis par la Roumanie depuis le 7 février 1929.623 Inutile de préciser que les attaques et les critiques qui vont être formulées à l’adresse du Conseiller technique, notamment par l’entourage du roi Carol II. Toutefois, la chute de la Banque Marmoroch, Blank and Co. provoque une certaine satisfaction parmi les opposants du roi qui détermine Grigore Gafencu à écrire : « Le banquier du roi - le soutien financier du roi et de toute sa clique - s’est effondré, malgré la volonté du gouvernement et l’obstination acerbe du roi. »624 Il convient de préciser que le 24 septembre 1931 Jean Bolgert met en garde les dirigeants de Paris du projet des dirigeants roumains de solliciter une aide financière française pour l’assainissement du portefeuille de la Banque Nationale qui sera, en effet, utilisée pour la reconstruction de la Banque Marmoroch, Blank and Co.625

Malgré le retrait massif et la thésaurisation d’importants capitaux roumains et étrangers, la Banque Nationale de Roumanie refuse d’annoncer la fermeture générale des banques et décide d’augmenter les escomptes, afin de soutenir les établissements, dont la situation est qualifiée de « saine ». Pour ce faire, la Banque Nationale crée, avec l’assentiment de Auboin, un Syndicat bancaire avec un fonds de réserve d’un milliards de lei qui, lui permettra de faire des escomptes à des banques en difficultés grâce aux portefeuille prêté par les autres banques. 626 Les banques qui participent à la création de ce Syndicat

622 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/10 : Notes sur la situation générale de la Roumanie pour le Directeur du Mouvement Général des Fonds, (secret), le 3 novembre 1931, p. 2. 623 GAFENCU, Însemnari politice, 1929-1939, p. 269. 624 GAFENCU, Însemnari politice, 1929-1939, p. 270. 625 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Jean Bolgert à Clément Moret, Gouverneur de la Banque de France, le 24 septembre 1931. 626 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Roger Auboin à Clement Moret, Gouverneur de la Banque de France, le 19 août 1931. 221

sont la Banque Roumaine, la Banque de Crédit Roumain, la Banque Moldova, la Banque Chrissoveloni et Aristide Blank (un des actionnaires de la Banque Marmoroch, Blank and Co.). Un événement qui inquiète Auboin, en raison de ses éventuelles répercussions sur la Roumanie, est la suspension « déguisée » de la convertibilité de la monnaie hongroise, le pengöe. Cette mesure, ainsi que le souligne Auboin, est contraire aux principes de stabilisation monétaire qui, doit à tout prix être maintenue et sans laquelle on n’accordait aucun crédit international. Rappelons que la Hongrie obtient en juillet 1931 une aide financière de 26 millions de dollars par l’intermédiaire de la Banque des Règlements Internationaux et négocie un nouvel emprunt international sous les auspices de la Société des Nations.627 C’est un mauvais exemple pour la Roumanie et le leu, car, ainsi que l’explique Auboin : « À la première difficulté et au moindre sacrifice nécessaire pour maintenir le statut du leu, on aura immédiatement la tentation d’une mesure de ce genre. (…) Nous n’avons qu’une chance, c’est qu’ici ces questions sont très mal connues et comprises et que personne ne s’est aperçu de ce qui se passait exactement. Mais, nous ne sommes pas certains que cela durera. »628 Les réserves de 3 millions de lei, provenant de l’emprunt de mars 1931, explique en quelque sorte la résistance la Banque Nationale de Roumanie. Le 20 novembre 1931, le portefeuille de la Banque Nationale atteint douze milliards de lei.629

Toutefois, le 11 octobre 1931, Roger Auboin avertit les dirigeants de Paris que la Roumanie doit commencer à réduire ses transferts à l’étranger.630 Pour ce

627 Voir sur cette question, VRAIN, Cécile, « Politique étangère française et intérêts de la Banque de France en Hongrie au début des années 1930 : Histoire d’une divergence » in Histoire, économie et société, No. 4, Vol. 18, 1999, pp. 737-752. 628 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Télégramme de Roger Auboin à la Banque de France, le 19 août 1931. 629 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/10 : Notes sur la situation générale de la Roumanie pour le Directeur du Mouvement Général des Fonds, (secret), le 3 novembre 1931, p. 2. 630 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/10 : Note de Roger Auboin au Ministère français des Finances, le 11 octobre 1931.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 faire, Auboin décide d’interdire toutes les nouvelles commandes envisagées par les dirigeants roumains à l’étranger, ainsi que de demander des arrangements de paiements pour les commandes déjà effectuées. Cette mesure, prévient Auboin, touche notamment les paiements prévus pour les commandes militaires effectuées par les dirigeants roumains à Skoda et Schneider qui s’élèvent à 500 millions de lei pour 1931 et 1.200 millions pour l’année suivante. De cette manière, Auboin vise à continuer d’assurer le paiement de la dette publique roumaine. Il évoque même la nécessité de faire un nouvel arrangement de paiement avec les porteurs de titres roumains afin d’alléger la période de paiement et de reporter le premier paiement en 1933. Auboin n’exclut pas la nécessité de demander soit à la Banque de France, soit à la Banque des Règlements Internationaux un nouveau crédit pour renforcer la situation de la Banque Nationale de Roumanie.

Si le 11 octobre 1931 Auboin refuse de conseiller l’introduction du contrôle des changes, il se voit obligé le 17 mai 1932, avec l’assentiment de Charles Rist de introduire cette mesure afin de permettre à la Banque Nationale de défendre son encaisse métallique et de maintenir le cours du leu au niveau fixé par la loi de février 1929.

La Roumanie se trouve donc, comme tous les pays agricoles, aux prises avec des grandes difficultés économiques et financières nées de la crise mondiale des prix. Le remède à ces problèmes est, ainsi que le souligne Charles Rist631, d’ordre essentiellement économique et il ne peut résulter que d’une action internationale. L’élargissement des débouchés avec l’assurance des prix plus élevés sur les marchés européens constituerait, selon Rist, les seuls moyens pour le relèvement de l’économie roumaine.632

631 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en Roumanie S 86 : Charles Rist : Rapport sur les finances publiques de la Roumanie, mai 1932. 632 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en Roumanie S 86: Charles Rist : Rapport sur les finances publiques de la Roumanie, mai 1932, pp. 30-35. 223

2. Les tentatives et les échecs d’action économique concertée à l’échelle régionale et européenne

Malgré les réactions protectionnistes et autarciques, provoquées par la crise en Europe et dans le monde, des projets de coopération économique commencent à être élaborés tant à l’échelle régionale qu’européenne.

Les Etats agricoles de l’Europe centrale commencent dès 1929 à attirer l’attention sur leurs difficultés économiques et commerciales. Intervenant au nom de ces pays lors de la Xe Assemblée de la Société des Nations, réunie à Genève en septembre 1929633, le Ministre roumain Virgil Madgearu condamne les mesures de protectionnisme agricole adoptées par les Etats industriels importateurs de céréales et d’autres produits agricoles.634 Après avoir exposé les difficultés économiques et financières des Etats qu’il représente, Madgearu propose aux participants à cette Assemblée la conclusion d’une « trêve » douanière.635 La réduction progressive des droits de douanes sur les céréales, qui ont beaucoup augmenté depuis le déclenchement de la Crise636, et l’adoption d’un système préférentiel pour les céréales danubiennes permettraient aux pays agricoles centre-européens de surmonter leurs problèmes économiques et financiers. Les propositions de Virgil Madgearu suscitent de nombreuses réserves et, notamment, de la part de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne. Londres refuse de soutenir l’écoulement de céréales à la fois des pays centre-européens et de ses Dominions et ses colonies. Quant à l’Allemagne, la réduction des tarifs douaniers heurterait, ainsi que l’explique son délégué, Trendelenburg les

633Au sujet de la Xe Assemblée de la Société des Nations, voir SCHIRMANN, Sylvain, Crise, coopération économique et financière entre Etats européens, 1929-1933, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2000, pp. 15-29. 634 MADGEARU, Virgil, Le traitement préférentiel et l’entente économique régionale, Bucarest, Cartea Romaneasca, 1934, p. 5. 635 MADGEARU, Le traitement préférentiel, p. 5. 636 Au sujet de l’augmentation des tarifs douaniers sur les céréales par les Etats industriels importateurs, voir page 43.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 intérêts du « monde agricole allemand ».637 Ces réticences donnent lieu à l’élaboration d’un avant-projet de convention sur la « trêve » douanière qui devrait être discuté lors de la prochaine conférence économique internationale.638 Mais, le déclenchement de la grande crise met en échec l’initiative de Madgearu, soit la réduction des mesures de protectionnisme agricole et la mise en place d’un système préférentiel.

La conjonction de la dépréciation des produits agricoles sur le marché international et l’intensification des mesures protectionnistes des États industriels importateurs amène les pays agricoles danubiens à reprendre les initiatives de coopération économique régionale et à élaborer d’autres projets.

À la conférence annuelle de la Petite Entente, réunie en Tchécoslovaquie à Strbské Plese du 25 au 27 juin 1930, les délégués de la Roumanie et de la Yougoslavie remettent à l’ordre du jour le besoin de créer une « Petite Entente économique ». Les représentants des trois États membres décident de réaliser progressivement un rapprochement économique entre les trois économies.639 La première étape consisterait dans une entente entre la Roumanie et la Yougoslavie, pays essentiellement agricoles, alors que l’adhésion de la Tchécoslovaquie, pays à structure mixte, se réaliserait dans un deuxième temps. Néanmoins, l’opposition et les pressions du parti agraire tchécoslovaque, une importante force politique du pays, ne laissent aucun doute sur l’échec de ce projet.640

Le désistement de la Tchécoslovaquie, en faveur de ses propres agriculteurs, détermine la Yougoslavie et la Roumanie à se tourner vers la Hongrie, sous prétexte que cette dernière serait confrontée aux mêmes problèmes agricoles.641 L’initiative roumano - yougoslave de créer une entente économique

637 SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, p. 36. 638 MADGEARU, Le traitement préférentiel, p. 5. 639 MADGEARU, Le traitement préférentiel, p. 9. 640Voir KARLIKOVITCH, M., Le rapprochement économique des pays danubiens, Paris, Librairie technique er économique, 1937, pp. 127. 641 KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens, pp. 128-129. 225

avec l’État révisionniste aboutit le 24 juillet 1930 à l’organisation d’une conférence économique à Bucarest. Réunis pour la premières fois depuis la fin de la Grande Guerre, les ministres de l’Agriculture et du Commerce des trois pays agricoles focalisent le débat sur l’élaboration d’une action économique commune afin d’assurer l’écoulement des céréales à un prix rémunérateur sur le marché international. Le Ministre roumain de l’Industrie et du Commerce Virgil Madgearu, reprend l’idée de système préférentiel, déjà évoquée en septembre 1929 à Genève, et souligne son importance pour protéger les céréales danubiennes de celles d’Outre-mer.

La mise au point du projet sur l’obtention des tarifs préférentiels fait l’objet d’une nouvelle rencontre entre la Roumanie et la Yougoslavie.642 Réunis à Sinaia, en Roumanie, au mois d’août 1930, les experts des deux pays se mettent d’accord pour solliciter aux États importateurs un système préférentiel avant même la conclusion d’accords généraux avec les autres pays agricoles. De même, ils s’accordent sur des concessions et des avantages mutuels dans les échanges, sur l’interdiction de se concurrencer à l’exportation et éventuellement sur la mise en place d’institutions communes.643 Selon une étude de l’époque réalisée par Jean Hurmuzesco644, cet accord projetterait une union douanière entre les deux membres de la Petite Entente.645 Le même auteur affirme que les décisions prises à Sinaia produisent un refroidissement dans les relations de la Roumanie et de la Yougoslavie avec la Hongrie.646 Mais, ainsi que nous l’avons pu constater en analysant les archives de la Société des Nations, le changement d’attitude de Budapest est aussi dû aux problèmes des minorités hongroises de Roumanie et de Yougoslavie.647 L’aggravation des tensions entre la Bucarest et Budapest, au sujet des ressortissants hongrois qui représentent 10% de la population roumaine, attire l’attention de la Société des Nations à partir de

642 KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens. 643 SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, p. 112. 644 HURMUZESCO, Jean, Le problème douanier dans l’Europe centrale, Paris, Coopérative Etoile, 1932. 645 HURMUZESCO, Le problème douanier dans l’Europe centrale, p. 59. 646 HURMUZESCO, Le problème douanier dans l’Europe centrale, p. 59. 647 Archives de la SdN, Genève Section économique et financière, Hongrie, D. 4824.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

1930.648 Traité sous le nom de l’Affaire des optants hongrois, le conflit entre la Roumanie et la Hongrie se focalise sur les droits des minorités hongroises de Transylvanie. Les dirigeants de Budapest exigent l’amélioration de la situation de ses nationaux qui ont opté pour la nationalité roumaine à l’issue de la Première Guerre mondiale. La confiscation des biens immobiliers, l’application de la réforme agraire, les mesures abusives des frères Bratianu de « roumaniser » les entreprises détenues par les « optants hongrois » font l’objet d’une plainte adressé par la Hongrie à la Société des Nations. Ce conflit restera ouvert tout le long des années trente.649

L’aspect le plus remarquable de la Conférence de Sinaia est que le groupe roumano-yougoslave n’a pas exclu Tchécoslovaquie. Les gouvernements roumain et yougoslave se proposent de lui communiquer les résultats de cette conférence et de l’inviter à s’associer, comme Etat mixte - à la fois agricole et industriel - aux réunions ultérieures de la Petite Entente.650 La cohésion économique tchéco-roumano-yougoslave, telle qu’elle a été pensée par la Roumanie et la Yougoslavie, conférerait à la Petite Entente un poids considérable dans la réorganisation économique et politique de l’Europe centrale.

À la conférence agricole de Varsovie en août 1930, le gouvernement polonais propose l’intégration dans la « Petite Entente économique » de la Bulgarie, de l’Estonie, de la Hongrie, de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne.651 Or, l’insertion des États de l’Europe orientale au groupe roumano-tchéco- yougoslave, déjà incertain, brise les tentatives de consolidation du front des pays agricoles danubiens. Le fait que le gouvernement polonais soutient l’intégration des trois pays baltes n’est pas un hasard. Rappelons que le marché balte représente le principal débouché de la Pologne, dont les exportations de

648 Sur cette question, voir les archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, R. 310, Roumanie. 649 Sur cette question, voir les archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, R. 310 : Roumanie. 650 SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, p. 112. 651 HURMUZESCO, Le problème douanier, pp. 70-79. 227

blé et de seigle avaient fortement baissé652 depuis le déclenchement de la crise. La mise en place d’un système d’échanges préférentiels permettrait à la Pologne de consolider son influence économique et politique dans la zone baltique. De même, ce poids lui permettrait de régler à sa faveur le différent frontalier avec la Lituanie.653 Cela explique la volonté des dirigeants polonais d’étendre l’entente centre-européenne à la Lettonie, l’Estonie et la Lituanie.

Ayant comme principal objectif l’élaboration d’un accord sur l’organisation de la production agricole des pays danubiens, la Conférence de Varsovie se heurte aux intérêts des agrariens tchécoslovaques.654 La limitation des restrictions à l’exportation des produits agricoles, le seul point commun entre les neuf États, ne suffit pas pour associer ces pays aux intérêts économiques bien différents. La Conférence de Varsovie s’achève sans aboutir à donner une cohésion aux demandes des États de l’Europe centrale et orientale.

Malgré les initiatives et la volonté de coopération régionale, les intérêts politiques et économiques des États centre-européens bloquent l’adoption de toute position commune. Les pays mixtes, la Tchécoslovaquie, ainsi que la Pologne, n’ont pas les mêmes intérêts que les pays à dominante agricole (la Roumanie, la Yougoslavie et la Hongrie). De même, l’extension de la coopération économique aux États de l’Europe orientale met en évidence l’impossibilité d’arriver à une entente régionale danubienne. Les pays agricoles centre-européens, prenant conscience de leur isolement économique et de l’inefficacité des tentatives de concertation économique, attendent l’internationalisation de leurs difficultés économiques et financières.

L’attention des grandes puissances européennes et, notamment, de la France sur les problèmes économiques et financière qui frappent l’Europe centrale est brusquement éveillée en mars 1931 par l’annonce du projet d’union douanière austro-allemande. Cette annonce a sur les gouvernements européens et, plus

652 SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, p. 125. 653 DUROSELLE, Jean-Baptiste, Histoire diplomatique de 1919 à nos jours, Paris, Dalloz, 1990 (10e édition), p. 43. 654 DUROSELLE, Histoire diplomatique, pp. 109-110.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 particulièrement, sur les dirigeants de Paris un effet beaucoup plus important que la crise agricole danubienne. Inquiets du retour de l’Allemagne, les dirigeants de Paris décident de contrecarrer l’offensive économique allemande dans l’Europe centrale par la résolution des difficultés économiques et financières de cette région. Y ayant établi son influence politique et économique depuis la fin de la Première Guerre mondiale, la France ne conçoit pas de la céder au profit de l’Allemagne qui montre à partir du milieu des années vingt une grande ouverture pour les exportations des pays danubiens. Problème essentiellement économique au départ, la crise agricole centre-européenne devient un terrain d’affrontement diplomatique franco-allemand.

Le 14 mars 1931, Curtius et Schöber, les chefs des diplomaties allemande et autrichienne, signent à Vienne un projet sur « l’assimilation des conditions douanières et politico-commerciales entre l’Allemagne et l’Autriche ».655 Cet accord prévoit l’établissement d’une union douanière entre les deux pays par la franchise du trafic austro-allemand et par la création d’une frontière commune envers les pays tiers. Stipulant, en outre, la possibilité pour les États tiers d’y adhérer, dans les mêmes conditions, le projet Curtius-Schöber conclut de façon surprenante la conférence de la Petite Entente du 21 mars 1931. Dans l’impossibilité de résoudre la crise économique, les pays agricoles danubiens laissent entendre que leur adhésion à l’union austro-allemande pourrait être envisagée puisque l’Allemagne représente un débouché important et sûr pour l’écoulement de leurs céréales.656

Soupçonnées d’être à l’origine de cette initiative, les autorités roumaines font l’objet d’une grande attention de la part de la France, de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie.657 Ayant envoyé une délégation à Vienne pour négocier une convention commerciale avec l’Autriche et l’Allemagne, en vue de l’obtention des tarifs préférentiels, les dirigeants de Bucarest sembleraient trahir ses alliés politiques. Tant Benès que Marinkovic, les ministres des Affaires Etrangères de

655 DUROSELLE, Histoire diplomatique, p. 142. 656 SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 365. 657 SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 365. 229

la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie, font pression sur la France pour s’assurer de la fidélité de l’allié roumain.658 La conférence de la Petite Entente, réunie à Bucarest le 3 mai 1931, a la question de l’adhésion roumaine à l’union austro-allemande comme principal sujet. Malgré les efforts de Dimitrie I. Ghica, à la fois le ministre des Affaires Etrangères et le ministre de la Roumanie à Rome, qui tente d’expliquer que la Roumanie n’a jamais envisagé d’obtenir de tarifs préférentiels de la part de l’Allemagne, malgré les insistances de cette dernière, Benès et Marinkovic ne croient pas à la sincérité de ses propos.659 Les intérêts commerciaux semblent, désormais, devenir la priorité des dirigeants de Bucarest.

Inquiet de la nomination de Ghica et d’autres membres du gouvernement roumain (Constantin Argetoianu, le ministre des Finances, de l’Industrie et du Commerce, et , le ministre de l’Economie), connus pour leurs orientations pro-allemandes, Paris décide de réagir en proposant une alternative à l’union douanière austro-allemande. Afin de contrecarrer l’évolution vers l’Allemagne du gouvernement roumain et généralement des pays agricoles centre-européens, la France accorde le 16 mai 1931 un régime préférentiel pour les États agricoles danubiens.660 Une des subtilités de ce projet est qu’il interdit aux exportateurs de céréales d’acheter dans les États industriels importateurs de produits agricoles. Cette mesure vise en fait à empêcher la création des flux privilégiés entre les pays danubiens et l’Allemagne qui représente le principal fournisseur de cette région.661 En 1930, les importations des États centre- européens662 en provenance de l’Allemagne sont estimées à 1.317,2 millions de Reichsmarks, soit 11% de l’exportation totale allemande663, alors que la France ne réussit à leur vendre que pour 775 millions de francs, soit 1,8% de

658 SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 366. 659 SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 366. 660 SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, p. 170. 661 SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, p. 170. 662 Il s’agit de l’Autriche, de la Hongrie, de la Roumanie, de la Tchécoslovaquie et de la Yougoslavie. 663 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Questions économiques et financières, 1932, 1-11, Chiffres essentiels du commerce extérieur des pays danubiens, p. 39.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 l’exportation totale française.664 Les achats effectués en Allemagne dépassent avec 8 millions de francs ceux réalisés en France. Pour ce qui est des exportations, les pays danubiens vendent à l’Allemagne pour 934 millions de Reichsmarks, soit 9 % des importations allemandes, alors que la France achète pour 1.214 millions de francs, soit 2,3% de son importation totale.665

Afin de donner plus de cohérence à son projet, connu sous le nom du Plan Poncet, Paris propose également d’intervenir financièrement dans la région avec la collaboration de la Grande-Bretagne.666 Le Plan Poncet comporte donc tous les paramètres destinés à rassurer les capitales centre-européennes et notamment Bucarest de la participation française à leur relèvement économique et financier. L’acceptation de ce projet par les membres de la Petite Entente réconforte le gouvernement français. Ayant appris que les dirigeants roumains continuent les négociations avec l’Allemagne, Benès667 conseille aux dirigeants français d’appliquer immédiatement les tarifs préférentiels, dont le principe a été adopté le 16 mars 1931, car Bucarest « ne résisterait pas longtemps aux tentations allemandes ».668 Face au retard pris par le Comité pour l’écoulement des céréales, mis en place après l’annonce du Plan Poncet, et aux réticences de la Grande-Bretagne, au sujet de l’abandon de la clause de la nation la plus favorisée, la France doit faire marche arrière. Ayant obtenu l’accord français, Bucarest signe le 5 juin 1931 un traité commercial avec l’Allemagne sur la base de tarifs préférentiels.

Conçu donc pour empêcher la dérive allemande des États agricoles centre- européens, par suite de l’annonce de l’union douanière austro-allemande, le

664 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Questions économiques et financières, 1932, 1-11, Chiffres essentiels du commerce extérieur des pays danubiens, p. 48. 665 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Questions économiques et financières, 1932, 1-11, Chiffres essentiels du commerce extérieur des pays danubiens, p. 39 et p. 48. 666 SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 367. 667 Edouard Benès est le principal partisan du projet français car il craignait la mainmise de l’industrie allemande sur les économies centre-européennes. 668 Cité par SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 367, note no. 295. 231

Plan Poncet produit un résultat inverse. À Bucarest, le marché allemand devient plus important que les garanties de sécurité données par la France.669 L’échec du Plan Poncet, nous semble, consolider les relations roumano-allemandes et l’influence de l’Allemagne sur l’Europe centrale, malgré l’enterrement du projet Curtius-Schöber en septembre 1931 par Cour internationale de justice de La Haye.670

N’étant pas parvenu à légitimer son intervention dans la résolution des difficultés économiques centres-européennes, Tardieu propose à Genève en mars 1932, au nom du gouvernement français, un nouveau projet de relèvement économique de cette région. Le souci immédiat des dirigeants français, qui obtiennent l’assistance de leurs homologues anglais671, est de consolider économiquement le bassin danubien, afin d’offrir des garanties aux États qui prévoient de soutenir financièrement les pays centre-européens.672 Le souci plus éloigné, mais le principal, est la création d’une Confédération économique danubienne, qui devrait permettre à la France de contrecarrer l’expansionnisme économique allemand.673 Pour résumer l’objectif de ce projet, la France envisage, par une politique de diversification des appuis occidentaux, de soustraire les pays agricoles de l’Europe centrale à la tentative de développer leur commerce avec l’Allemagne et de consolider aussi son influence politique et économique dans la région.

Reprenant l’idée d’une concertation entre les Etats centre-européens, le mémorandum Tardieu propose la création d’une entente économique régionale basée sur le système des tarifs préférentiels que les États danubiens doivent

669 HURMUZESCO, Jean, Les questions roumaines, p. 82. 670 La Roumanie n’a pas envoyé de mémoire à la Cour internationale de justice de La Haye pour condamner l’Anschluss douanier. 671 Au sujet de l’adhésion de la Grande-Bretagne au Plan Tardieu, voir CARMI, La Grande-Bretagne et la Petite Entente, pp.183-192 ; pour le Plan Tardieu voir KARLIKOVITCH, M., Le rapprochement économique des pays danubiens, Paris, Librairie technique er économique, 1937, pp. 99-123. 672 KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens, p. 100. 673 KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens, p. 100.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 s’accorder mutuellement. L’Autriche674, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Yougoslavie et la Roumanie sont tenus de déterminer les modalités de ce nouveau régime préférentiel tout en tenant compte de leurs intérêts et de ceux des États tiers.675 Cette entente centre-européenne une fois mise en place bénéficierait de l’aide économique et financier de la France, de la Grande- Bretagne et de l’Italie. La coopération, souligne Tardieu, « ne doit être ni une fusion politique, ni une union douanière, mais simplement un rapprochement économique par des traités à base préférentielle ».676

L’interférence des intérêts politiques et économiques dans cette région détermine la Grande-Bretagne et l’Italie à se rallier immédiatement au projet de Tardieu. Le gouvernement britannique qui, avait décidé d’intervenir financièrement en Europe centrale avant l’élaboration du Plan Tardieu677, en raison de l’importance des capitaux anglais investis dans cette région, se montre favorable à l’application de ce projet, tel qu’il a été conçu par Tardieu. En revanche, le gouvernement italien adopte une position très ambigüe. Déclarant partager les inquiétudes du gouvernement français au sujet des difficultés économique de cette région, le gouvernement italien suggère la modification du projet, car, selon lui, les cinq pays danubiens ne peuvent pas s’entendre seuls. En contrepartie, Rome propose une conférence à neuf, les cinq États danubiens, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Allemagne. En fait, comme le souligne Karlikovitch dans son étude de 1937, l’Italie se méfie de la création dans le bassin danubien, d’une nouvelle formation économique qui s’opposera à ses prétentions économiques et politiques sur cette région.678

674 L’intégration de l’Autriche à ce projet permettrait à la France d’empêcher son évolution vers l’Allemagne. 675 KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens, p. 102. 676 KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens, p. 103. 677 KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens, p. 101. 678 KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens, p. 104. 233

La position italienne et la réaction de Berlin, qui avait fait à Vienne une contre- proposition basée sur le régime préférentiel, obligent Tardieu à changer son attitude et à associer l’Allemagne à ce projet, qui était en fait dirigée contre elle. Rappelons que l’intégration de l’Autriche dans le Plan Tardieu heurterait les intérêts allemands qui sont loin de renoncer au projet d’union douanière entre les deux pays. Dans la note envoyée à Tardieu, le 16 mars 1932, le gouvernement allemand affirme qu’il ne partage pas le point de vue du gouvernement français, au sujet des moyens utilisés pour résoudre les difficultés économiques de l’Europe centrale. En mettant l’accent sur le fait que les problèmes économiques de cette région résident dans la paralysie commerciale, le gouvernement allemand affirme que seule la création d’un marché unifié garantirait l’écoulement des produits agricoles de ces pays.679 Cette solution, réglerait à la fois les problèmes des États centre-européennes et ceux de l’Allemagne, bien entendu au détriment de la France. Soulignons que l’initiative de marché unifié n’est pas récente, elle date depuis le XIXe siècle et s’inscrit dans l’idée que le développement de l’Allemagne est étroitement lié à d’autres espaces économiques. En mars 1931, dans un discours prononcé à Leipzig Luther, le directeur de la Reichbank affirmait déjà : « Die Deutschland beherrschende Wirklichkeit ist, dass wir nicht unabhängig auf einer Insel leben, sondern das ˝Volk ohne Raum˝ sind, wirtschaftlich mit den anderen Völkern verflochten und politische auf das Zusammenleben mit ihnen angewiesen».680 Ces propos anticipent l’expansion économique de l’Allemagne qui vise en effet, comme avant la Première Guerre mondiale, l’Europe centrale.

À l’annonce du Plan Tardieu, les États centre-européens montrent leurs réticences. La Tchécoslovaquie, toujours soucieuse de protéger son industrie, se déclare dans l’impossibilité de souscrire aux tarifs préférentiels. En revanche,

679 KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens, pp. 105-106. 680 LUTHER, Hans, Rede des Reichsbankpräsidenten Dr. Hans Luther auf dem Presseabend der Leipziger Frühjahrsmesse am 1. März 1931, Berlin, Reichsbank, 1931, p. 9, cité par GRAF, Jakob, La problématique réintégration de l’Allemagne dans l’économie internationale: question des transferts et ajustement structurel, 1919-1932, p. 121, (mémoire D.E.A.).

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 les dirigeants de Bucarest ne retiennent du mémorandum que l’absence de l’Allemagne.681 Dans un communiqué envoyé au roi Carol II, le 1 avril 1932, le Ministre des Affaires Etrangères Dimitrie I. Ghica souligne : « il n’a toutefois pas été fait mention du gouvernement allemand. »682 L’accent mis sur cette absence laisse déjà des doutes à Paris sur l’intégration de la Roumanie dans la confédération de Tardieu. A la conférence de la Petite Entente, réunie en mai 1932 à Belgrade, les ministres des Affaires Etrangères des pays membres adoptent un projet commun auquel est liée leur adhésion au Plan Tardieu. Ce projet met l’accent sur le refus de toute idée d’union douanière centre- européenne, sur la défense réciproque de leurs intérêts économiques et notamment sur le fait qu’ils doivent choisir librement l’orientation politique et économique qui doit être donnée au nouveau groupement économique centre- européen.683 La Petite Entente rejet ainsi l’union douanière si utile à Paris pour contrecarrer l’expansion de l’Allemagne.684

Les États de l’Europe centrale, et notamment les alliés politiques et militaires, étant incapables de résister à l’attirance commerciale de l’Allemagne, obligent Tardieu à essayer d’obtenir l’appui de la Grande-Bretagne. Mais cette dernière, influencée par les positions italienne et allemande, avait modifié son attitude. Le gouvernement britannique exige, désormais, avant l’adoption de ce projet, une concertation avec l’Italie et l’Allemagne afin que chaque puissance puisse protéger ses propres intérêts dans la région danubienne. Pour ce faire, il propose la réunion d’une conférence à quatre. Une fois que la France, la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Allemagne auront réussi à concilier leurs points de

681 SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 370. 682 Archives de la SdN, Genève, Fonds Privés, Papiers Sir Arthur Salter, Roumanie, p. 148. 683 SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 385. 684 Le changement d’attitude de Benès s’expliquerait par le fait que l’industrielle Tchécoslovaquie envisageait d’établir sa direction économique sur cette région, tout en n’excluant pas la coopération avec l’Allemagne. Voir SANDU, Traian, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 385. 235

vue divergents, les pays centre-européens seront invités à exposer leurs propres intérêts.685

La conférence réunie à Londres, du 4 au 8 avril 1932, que Tardieu aurait voulu la limiter à une seule entrevue franco-britannique, remet au premier plan le décalage politique et économique de la France tant avec la Grande Bretagne, l’Italie et l’Allemagne qu’avec les États de l’Europe centrale. L’Italie et l’Allemagne interprètent le projet français comme une volonté d’isoler l’Europe centrale au détriment de leurs intérêts économiques et de ceux des pays danubiens. Le délégué allemand, von Bülow, fait valoir que l’entrée de l’Allemagne dans la Confédération économique danubienne permettrait aux pays centre-européens d’avoir un débouché assuré pour leurs exportations de produits primaires.686 Quant à la Grande-Bretagne, le déroulement des négociations d’Ottawa l’éloigne des problèmes centre-européennes.687 Rappelons que le gouvernement anglais accorde la préférence impériale à ses Dominions et ses colonies.

Quant aux États centre-européens, le projet de Confédération économique danubienne soulève de nombreuses craintes politiques et économiques. Au point de vue politique, la Hongrie et l’Autriche appréhendent que la Petite Entente prendrait la direction de ce nouvel organisme de coopération économique. Benès s’oppose à l’union douanière afin de protéger l’économie tchécoslovaque et demande l’adoption d’une position commune franco-italo- allemande dans les affaires danubiennes. La Yougoslavie, craignant le

685 Au sujet de la défection britannique, voir SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 386 et KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens, p. 112. 686 KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens, p. 118. 687 Après la signature des Accords d’Ottawa, le 20 août 1932, la Grande- Bretagne consacre son attention et ses intérêts économiques à ceux de ses Dominions et de ses colonies. Au sujet du repli britannique, voir SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, pp. 114-116 et pp. 306 -308.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 révisionnisme italien, veut bloquer l’implication économique de Rome dans l’Europe centrale.688

Néanmoins, le coup de grâce vient de Nicolae Titulescu, le Ministre de Roumanie en Grande-Bretagne et le délégué auprès de la Société des Nations. Lors d’une communication faite à Genève, le 13 avril 1932, il propose « l’édification d’un bâtiment à trois étages : le premier étage, les Etats danubiens, avec des tarifs préférentiels réduits ; le deuxième étage, l’Allemagne et l’Italie, avec des tarifs moyens ; dans le troisième étage, tous les autres Etats, qui restent soumis aux tarifs élevés ».689 À la demande du gouvernement français sur les opinions des dirigeants de Bucarest, Dimitire I. Ghica, le ministre des Affaires Etrangères de la Roumanie, réplique le 16 mars que : « les Etats sont pareils à des roues dentées, car bien qu’ayant des liens très forts entre eux, ils entretiennent des contacts poussés avec d’autres roues dentées, la Pologne, l’Allemagne, etc. Il est difficile de concevoir un projet s’appliquant à ces États et non à leurs proches voisins».690 Il apparaît ainsi que le renforcement de la coopération commerciale avec l’Allemagne demeure la principale préoccupation des autorités roumaines, au détriment des projets et des initiatives françaises. Les propos de Dimitire I. Ghica, reproduites en mai 1932 par le ministre de la Grande-Bretagne à Bucarest, éclairent l’objectif économique des gouvernants de Bucarest : « En ce qui concerne la Roumanie, le problème le plus préoccupant était celui de sa production de céréales, et ce n’était pas une coopération avec les autres Etats danubiens qui pouvait la régler. La seule solution semblait être un accord avec l’Allemagne qui aurait fourni à la Roumanie, ce dont elle avait besoin. Le traité de commerce germano- roumain qui avait fourni un débouché aux surplus de céréales roumaines n’était pas encore signé, du fait de la pression exercée par la France sur Bucarest ;

688 SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, pp. 194-202. 689 Cité par SANDU qui reprend une note envoyée par Nicolae Titulescu au gouvernement de Bucarest. Voir son ouvrage Le système de sécurité français en Europe centre-orientale p. 388, la note 445. 690 Sur cette question, voir CARMI, La Grande-Bretagne et la Petite Entente, p.189. 237

cependant il était peu probable que les considérations financières et politiques prendraient toujours le pas sur les considérations économiques ».691

N’ayant abouti à aucun compromis à la fois entre les Quatre et entre les États centre-européens, le Plan Tardieu, dont les débats se sont prolongés jusqu’à la Conférence de Lausanne, juillet 1932, est enterré sans que la France trouve une solution aux problèmes économiques de l’Europe danubienne et indirectement à la défense de ses intérêts. À la Conférence de Stresa, réunie en septembre 1932, Paris reprend l’initiative en proposant un nouveau projet pour l’assainissement économique et financier de l’Europe centrale. Une fois de plus, les considérations et les rivalités politiques l’obligent d’affronter l’Italie et l’Allemagne.

À la Commission économique et agricole, réunie dans le cadre de la Conférence de Stresa692, la délégation française fait une nouvelle proposition pour le règlement des problèmes de l’espace danubien. Il s’agit de la conclusion d’une convention multilatérale qui garantirait des prix rémunérateurs aux ventes des céréales centre-européennes, dont l’entrée en vigueur dépendrait de l’accord des pays tiers. On entend par cette dernière stipulation l’accord des États avec lesquels les pays participants à ce traité multilatéral ont auparavant conclu des traités de commerce. Néanmoins, l’omission de l’obligation des pays agricoles d’acheter dans les États importateurs de céréales et le fait que l’application de cette convention multilatérale est liée à un accord des pays extérieurs à l’Europe, provoquent la réaction de l’Italie.693 Cette dernière se montre favorable à l’adoption d’un système des traités bilatéraux qui devraient être négociés au cas par cas avec les pays intéressés. Quant à la proposition allemande, elle se rapproche du projet italien. Les négociations du système de bilatéralité ne devraient porter que sur des mesures destinées à faciliter l’écoulement des céréales danubiennes.694

691 CARMI, La Grande-Bretagne et la Petite Entente, p.190. 692 Au sujet de la Conférence de Stresa, voir SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, pp. 233-253. 693 SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, pp. 238-239. 694 SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, pp. 238-239.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Virgil Madgeru, Ministre roumain de l’Industrie et du Commerce et porte-parole des pays agricoles à la Conférence de Stresa, soulignant le manque de concertation franco-italo-allemande et la prééminence de leurs propres intérêts, suggère la généralisation des tarifs préférentiels. Cette mesure permettrait aux pays agricoles de vendre les excédents céréaliers à des prix rémunérateurs.695 Quant au financement du système des préférences, Virgil Madgearu estime que chaque pays acheteur est libre de choisir la « voie qui lui convient ».696 De nouvelles difficultés surgissent lorsqu’il s’agit d’envisager le régime de préférence et le principe d’un fonds de secours et de revalorisation des céréales. La France est favorable à la convention multilatérale et à la création d’un fonds de secours de l’Europe danubiennes, par la contribution financière de tous les États européens. En revanche, l’Allemagne et l’Italie mettent l’accent sur les préférences bilatérales et s’opposent à la création du fonds de secours. L’Allemagne, comme le souligne Sylvain Schirmann, refuse de souscrire car les traités préférentiels, qu’elle a conclus auparavant avec les pays danubiens, y représentent déjà une source d’aide financière.697 En ce qui concerne la Grande-Bretagne, la contribution anglaise à ce fonds de secours ne laisse pas d’illusions. Les dirigeants britanniques refusent de subventionner à la fois les achats de céréales dans les Dominions et les colonies et dans les pays agricoles de l’espace danubien.

La Commission économique et agricole de Stresa adopte lors de la dernière réunion, le 12 septembre 1932, le régime préférentiel pour le blé, l’orge et le maïs. Ce système de tarifs préférentiels ne s’applique qu’aux pays agricoles de l’Europe centrale, ce qui inclut, selon les recommandations de la France, la Pologne, mais exclut l’Autriche et la Tchécoslovaquie. La Commission financière de Stresa, déléguée par la Commission économique et agricole, admet la création d’un fonds de revalorisation de céréales. Les pays importateurs de céréales restent libres de participer ou non à ce fonds, soit par des contributions

695 MADGEARU, Virgil, La Roumanie à la Conférence de Stresa (1932), Archives de la SdN, Section économique et financière, S. 86, p. 9. 696 MADGEARU, La Roumanie à la Conférence de Stresa, pp. 10-15. 697 SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, p. 240. 239

directes, soit par l’octroi de tarifs préférentiels.698 Ces résultats ne peuvent que coïncider avec les projets de l’Allemagne, qui avait toujours défendu sa complémentarité économique avec l’espace danubien. Par l’adoption du système de préférence, Paris voit sa position fragilisée car la France ne peut offrir une complémentarité économique aussi prononcée que celle de l’Allemagne. Le tarif préférentiel s’appliquant aux trois céréales, ci-dessus mentionnées, permet à l’Allemagne d’exclure la Pologne du système préférentiel, car le seigle, la principale exportation polonaise, n’en fait pas partie.699 Cette exclusion lui permettrait de dissocier le front des pays agraires et de concentrer autour d’elle les principaux exportateurs de blé : la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie. Ayant saisi les intentions allemandes, Paris chercher à contrecarrer l’influence de l’Allemagne par l’arme financière.700 Cette stratégie ne tarde pas à donner des résultats négatifs et à se répercuter sur les relations franco-roumaines. Face au dramatique bilan financier réalisé en mai 1932 par Charles Rist, la Roumanie se voit obligée de s’adresser à la Société de Nations, après avoir été empêchée en 1927 par Emile Moreau et Raymond Poincaré de solliciter l’aide de cette institution. Le recours à la Société des Nations provoque à Bucarest de violentes critiques à l’égard des dirigeants de Paris qui, place volontairement la Roumanie sous le protectorat de experts de Genève.

L’échec des initiatives et projets français de relèvement économique et financier de l’Europe centrale réside dans le fait que l’intérêt de cette région est davantage politique et géo-stratégique que commercial et économique. Les secours envisagés par Paris sont, ainsi, imprégnés de calculs géo-politiques, bien plus que de logique économique. La Confédération économique danubienne aurait eu l’avantage de contrecarrer l’expansion allemande en Europe centrale. Par le manque de moyens et de détermination économique de résoudre la crise économique des pays danubiens, la France facilite et encourage les visées de l’Italie et, notamment, de l’Allemagne sur cette région.

698 Voir, DROZ, Jacques, L’Europe centrale. Evolution historique de l’idée de « Mitteleuropa », Paris, Payot, 1960, pp. 252-253. 699 SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, pp. 249-252. 700 SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, pp. 249-252.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

TROISIÈME PARTIE

L’INFLUENCE FRANÇAISE EN QUESTION,

JUILLET 1932 - JUILLET 1935

241

La période juillet 1932 - juillet 1935 voit se succéder en Roumanie sept gouvernements, dont cinq sont constitués par le Parti National Paysan et deux autres par le Parti National Libéral. Ces formations politiques, dont le maintien au pouvoir dépendait de plus en plus de la volonté du roi Carol II, continuent à être confrontées aux difficultés économiques et financières, générées par la crise de 1929. Á cela s’ajoute le développement des mouvements de contestation sociale au sein des fonctionnaires de l’État et de l’armée qui depuis plusieurs mois ne recevaient plus les salaires et les fonds, destinés à assurer l’entretien de l’appareil militaire.701

Après avoir écarté du gouvernement les leaders du Parti National Paysan, Iuliu Maniu, George Mironescu et Alexandru Vaida-Voevod, le 13 novembre 1933, sous prétexte qu’ils ne pouvaient pas redresser la situation économique et financière de la Roumanie, Carol II se tourne pour la première fois vers le Parti National Libéral. Ion Gh. Duca, le Président de cette formation politique, se voit confier le 14 novembre 1933, après quatre années d’attente, la mission de constituer un nouveau gouvernement libéral.702 Rappelons que le dernier gouvernement des Libéraux a été celui de Vintila Bratianu du 24 novembre 1927 au 10 novembre 1928. Dès son arrivée au pouvoir, Ion Gh. Duca s’engage à réaliser par l’introduction de toute une série de mesures commerciales, budgétaires et fiscales le relèvement économique et financier de la Roumanie, dont la situation tardait à s’améliorer.703 C’est un programme très ambitieux et longuement réfléchi par le Parti National Libéral durant les années 1928 - 1933 que, malheureusement, Duca n’aura pas le temps de mettre en place. Dans la soirée du 29 décembre 1933, il est assassiné par un étudiant, membre de la

701 Cf. PROST, Henri, Destin de la Roumanie, 1918-1954, Paris, Berger- Levrault, 1954, p. 59. 702 Cf. SLAVESCU, Victor, Note si însemnari zilnice, octombrie 1923 - 1 ianuarie 1938 (Notes et réflexions journalières, octobre 1923 - 1er janvier 1938), Vol. I, Bucuresti, Editura Enciclopedica, 1996. (2e Ed.), pp. 56-57. 703 SONEA, Emilia, SONEA Gavrila, Viata economica si politica a României, 1933-1938 (La vie économique et politique de la Roumanie, 1933-1938), Bucuresti, Ed. Stiintifica si Enciclopedica, 1987, pp. 56-57.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Garde de Fer704, sur le quai de la gare de Sinaia où le roi Carol II l’avait convoqué pour une réunion d’urgence. 705 Inutile de préciser que les circonstances de cet assassinat ont fait l’objet de nombreuses controverses en Roumanie et à l’étranger. Certaines voix vont même accuser Carol II d’avoir organisé cet assassinat afin d’affaiblir, voire diviser, le Parti National Libéral qui, contestait fortement la politique personnelle menée par le roi depuis son retour au pouvoir, le 6 juin 1930.706

Sur le fond de cette instabilité politique interne, ainsi que de l’ingérence de Carol II dans la vie politique du pays, la résolution des difficultés économiques et financières de la Roumanie devient de plus en plus difficile. Aux restrictions commerciales internationales, s’ajoutent l’augmentation des dépenses des dirigeants de Bucarest et des engagements hors budget, malgré les restrictions administratives et la pénurie de devises, l’ajournement des mesures fiscales à prendre pour la majoration des recettes de l’État, etc. La conjonction de tous ces facteurs, internationaux et internes, mettra la Roumanie dès juillet 1933 dans l’incapacité de se procurer les sommes nécessaires à l’amortissement et au paiement des emprunts étrangers.707 Des arrangements de paiement, ainsi que des allégements du service de la dette extérieure seront demandés à plusieurs

704 La Garde de Fer (Garda de Fier) est un mouvement nationaliste, xénophobe et antisémite, fondée le 24 juillet 1927 par Corneliu Zelea Codreanu. 705 Sur les circonstances de l’assassinat de Ion Gh. Duca, voir PROST, Destin de la Roumanie, 1918-1954, pp. 66-68 et SONEA, SONEA, Viata economica si politica a României, pp. 64-68. 706 Á titre d’exemple, les Libéraux sont accusés par le roi Carol II d’avoir divulguer dans la presse roumaine une conversation téléphonique qu’il a eu avec son secrétaire personnel Puiu Dumitrescu. Nous reproduisons le texte de cette conversation téléphonique que nous avons trouvé dans les archives de la Société des Nations : « Cher Puiu, téléphone à Madgearu d’envoyer immédiatement à la Domnitsa les 11 millions de lei, dont je lui ai parlé. S’il ne les a pas à la Trésorerie, qu’ils les prennent aux Chemins de Fer ou à la Caisse Autonome des Monopoles. » Il convient de préciser que Domnitsa est Elena Lupescu, la maîtresse de Carol II. Cf. Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, R3634, No. 4373, Situation en Roumanie. Il convient également de préciser que le retour au pouvoir de Carol II le 6 juin 1930 a été fortement contesté par le Parti National Libéal. 707 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en Roumanie (S 90 ): Note sur la situation financière et monétaire de la Roumanie après la dépression. 243

reprises aux créditeurs étrangers de la Roumanie par les autorités de Bucarest. En outre, la collaboration technique et financière avec la Société des Nations, recommandée aux dirigeants roumains par Charles Rist en mai 1932, provoquera au sein des différents gouvernements qui, se sont succédés au pouvoir durant cette période, de nombreux débats et interrogations sur l’indépendance du pays par rapport aux puissances étrangères. La mise en vigueur de l’Accord de Genève signé le 28 janvier 1933 par le gouvernement Vaida-Voevod avec le Comité financier de la Société des Nations compliquera la donne.

Révélatrices de l’échec d’adaptation de la Roumanie au système économique international, les difficultés économiques, commerciales et financières, enregistrées par le pays dès le début des années trente, jalonnent une sorte de fuite en avant qui, conduiront les gouvernements de Bucarest à se tourner progressivement vers l’Allemagne. En tant que source d’approvisionnement en denrées alimentaires et en matières premières, ainsi que de marché d’exportation des produits manufacturés sur la base des accords de clearing, la Roumanie est destinée à contribuer au développement de l’économie allemande. Pour les autorités de Berlin, les États de l’Europe centrale représentent « une sorte de hinterland»708, dont le développement économique est étroitement lié à celui de l’Allemagne. Avec l’arrivée au pouvoir en janvier 1933 des Nationaux Socialistes, l’idée de l’adaptation des économies centre-européennes aux besoins de l’économie allemande gagnera progressivement tous les milieux politiques et économiques de Berlin.

Face à la pénétration économique et commerciale de l’Allemagne dans cette région où la France avait acquit depuis la fin de la Grande Guerre une importance considérable, les dirigeants de Paris réagissent de façon étonnante en proposant la réorganisation du système français d’alliance politique et militaire par l’intégration de l’Union soviétique. C’est une initiative qui inquiète immédiatement les dirigeants roumains car la France pourrait à tout moment

708 DROZ, Jacques, L’Europe centrale. Évolution historique de l’idée de « Mitteleuropa », Paris, Payot, 1960, p. 255.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 retirer ses garanties sur l’union avec la Bessarabie, dont l’intégration à la Roumanie n’a jamais été reconnue par la Russie soviétique. Impliquant le fait que la Roumanie passe du rôle de possible intervenant contre la Russie Soviétique à celui de pont stratégique pour l’Armée Rouge contre l’Allemagne de Hitler, le pacte de non-agression franco-soviétique de juillet 1933 crée des tensions entre les dirigeants de Bucarest et de Paris.709

En l’absence de toute garantie concernant l’union avec la Bessarabie, les autorités de Bucarest se voient obligées d’adopter une politique de diversification d’appuis occidentaux. Le maintien de l’alliance politique et militaire avec la France permettra à la Roumanie de garder la Bucovine, la Transylvanie et la Dobroudja du Sud, ainsi que le soutien financier de Paris, alors que le rapprochement avec l’Allemagne lui garantira la Bessarabie et un vaste marché d’exportation. Or, ce double « jeu » commence à heurter les visées de l’Allemagne nazie car Hitler est résolu à tirer profit sur le plan politique du rôle joué par son pays en tant que débouché principal des exportations roumaines. L’influence politique et financière acquise par la France en Roumanie depuis la fin de la Première Guerre mondiale est-elle suffisamment forte pour contrecarrer l’expansionnisme allemand ? Quels sont les moyens utilisés par les autorités de Paris pour garder la Roumanie dans la sphère française ?

709 Cf. SANDU, Traian, Le système de sécurité français en Europe centre- orientale. L’exemple roumain : 1919-1933, Paris, Harmattan, 1999, pp. 340-345. 245

CHAPITRE I : LE QUAI D’ORSAY, LA BANQUE DE FRANCE, LA SOCIÉTÉ DES NATIONS ET LA ROUMANIE, JUILLET 1932 - MAI 1934

Les démarches effectuées par le gouvernement Vaida-Voevod auprès de la Société des Nations dès le 18 juin 1932 provoquent dans les milieux politiques roumains qui, redoutent la prolongation du contrôle étranger sur les finances du pays, de nombreuses critiques et inquiétudes. Cette question préoccupe également la diplomatie française car l’intervention de la Société des Nations dans un pays qui, depuis la fin de la Première Guerre mondiale se situe dans la sphère d’influence de la France, pourra porter atteinte au prestige et aux intérêts politiques et financiers acquis en Roumanie durant les années vingt. Loin de faire l’unanimité au sein des dirigeants de Paris, l’initiative de la Banque de France de confier la réorganisation économique et, notamment, financière de la Roumanie au Comité financier de la Société des Nations suscite en juillet 1932 de nombreuses controverses entre le Quai d’Orsay et le Gouverneur Clément Moret. Quels sont les enjeux de la présence d’une mission financière française en Roumanie pour le Quai d’Orsay et pour la Banque de France ?

1. Le Quai d’Orsay face au projet de la Banque de France de collaboration technique et financière entre la Roumanie et la Société des Nations

Sous l’égide de la diplomatie française, les débats sur l’intervention de la Société des Nations en Roumanie au détriment de la mission financière de la Banque de France prennent de l’ampleur dès le 18 juin 1932, date à laquelle le gouvernement de Bucarest sollicite la collaboration de l’institution de Genève pour la réorganisation économique et financière du pays.

Dans une lettre adressée au Quai d’Orsay le 15 juin 1932, le Ministre de France en Roumanie, Gabriel Puaux, s’interroge sur les conséquences du retrait de Bucarest de la mission financière de la Banque de France sur l’influence et les

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 intérêts acquis par la France dans ce pays depuis les années 1920. Pour Puaux, le départ de cette mission de la Banque Nationale de Roumanie aura des effets négatifs car ce « nous priverait de tout droit de regard que nous avons maintenant sur les finances roumaines. »710 D’emblée, cette lettre révèle les enjeux et l’importance économique et financière accordée par les milieux diplomatiques français au maintien de Roger Auboin et des autres experts français auprès de la Banque Nationale de Roumanie, du Ministère des Finances et de l’Administration des Chemins de fer roumains. Le maintien de la mission financière de la Banque de France apparaît, dans ces circonstances, comme le principal objectif du Qaui d’Orsay afin de renforcer sa position et son influence dans ce pays au moment où l’expansion économique et commerciale de l’Allemagne commence à prendre de l’ampleur dans la région.

Dans une deuxième lettre adressée au Quai d’Orsay et datée du 25 juin 1932, Gabriel Puaux, fortement préoccupé par la consolidation des intérêts français en Europe centrale, demande l’envoi immédiat à Bucarest d’un inspecteur de la Banque de France pour remplacer Auboin qui, devait retourner à Paris pour quelques semaines. Pour justifier sa demande, Puaux informe les autorités françaises que le Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie « souhaite son concours pour l’établissement du bilan semestriel et il ne faudrait pas apparaître nous désintéresser de l’Institut d’émission roumain au moment même où s’organisera la mission de la Société des Nations. »711 Dans ces démarches, le Ministre français en Roumanie est également soutenu par le Secrétaire général de la Société des Nations, Joseph Avenol. Ce dernier avait expliqué aux dirigeants de Paris le 19 juillet 1932 qu’il ne voyait aucun inconvénient à ce que la Banque de France prolonge sa mission en Roumanie conformément à l’accord conclu en mars 1931 avec le gouvernement Mironescu.712 La présence des

710 Archives du MAEF, Paris, Relations commerciales 1918-1940, Roumanie, No. 16, pp. 340-341. 711 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/10. 712 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre du Président du Conseil, Ministre des Affaires Etrangères au Ministre des Finances, Flandin, le 19 juillet 1932, pp. 5-6. 247

experts français à Bucarest est, au contraire, jugée comme nécessaire et indispensable par Avenol car les dirigeants roumains ne devaient pas être abandonnés à eux-mêmes jusqu’à ce que la collaboration avec la Société des Nations soit mise en place.713 Le Secrétaire adjoint de la Société des Nations suggère même la nomination de Charles Rist comme expert dans la commission économique et financière que l’institution de Genève devra créer pour examiner la situation de la Roumanie. Cela assurera, ainsi que le souligne Avenol, une continuité entre l’action entreprise par la Banque de France dès le 7 février février 1929 et celle que la Société des Nations devra exercer en Roumanie durant les années trente. La seule difficulté que la Société des Nations pourrait rencontrer en Roumanie serait, ainsi que l’explique Joseph Avenol dans sa lettre, l’attitude des dirigeants roumains et, plus précisément, celle du roi Carol II. Ce dernier avait évoqué avec insistance, lors d’un entretien avec Avenol, les difficultés financières et commerciales de la Roumanie, ainsi que sa préoccupation pour l’équipement et la réorganisation de l’armée, en négligeant les problèmes financiers et la nécessité de réformer le système financier roumain en collaboration avec la Société des Nations.714

Les démarches effectuées par Puaux et Avenol déterminent le Président du Conseil et de la diplomatie française, Edouard Herriot, de soutenir la prolongation de la mission financière de la Banque de France en Roumanie. Afin de convaincre à la fois le Ministre des Finances, Flandin, et le Gouverneur Moret de l’importance et des enjeux politiques et financiers de la consolidation de l’influence française dans ce pays, membre de la Petite Entente et du système de sécurité français, Edouard Herriot se voit obligé d’effectuer de nombreux démarches auprès des dirigeants de Paris. Ainsi, le 2 juillet 1932, il demande à Flandin d’intervenir auprès des dirigeants de la Banque de France et de les convaincre d’envoyer à Bucarest pour le 15 juillet 1932 Jean Bolgert ou un autre

713 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre du Président du Conseil, Ministre des Affaires Etrangères au Ministre des Finances, Flandin, le 19 juillet 1932, p. 5 714 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre du Président du Conseil, Ministre des Affaires Etrangères au Ministre des Finances, Flandin, le 19 juillet 1932, p. 3.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 expert. « La présence de nos experts en Roumanie, explique Herriot dans sa lettre, apparaît comme nécessaire, tant pour l’exécution des mesures immédiates envisagées, comme suite au rapport de Rist, que pour documenter les experts de la Société des Nations lorsque ceux-ci se rendront en Roumanie ».715 Quelques jours plus tard, le 7 juillet 1932, Flandin écrit au Gouverneur Moret une lettre dans laquelle il explique les raisons qui déterminent le Quai d’Orsay à prendre position en faveur du maintien des experts de la Banque de France à Bucarest. Tout en soulignant le rôle et l’importance accordée par Edouard Herriot au renforcement de la présence française dans ce pays, Flandin conclut sa lettre en écrivant : « Je ne puis qu’appuyer auprès de vous la suggestion de Puaux à laquelle Herriot se rallie pleinement et dont l’intérêt politique ne vous échappera pas. »716

Dans sa réponse, Moret insiste essentiellement sur les responsabilités et les difficultés rencontrées en Roumanie par les experts de la Banque de la France depuis mars 1931. L’aggravation de la situation des finances roumaines, le non- respect des engagements pris en février 1929 par les autorités de Bucarest envers les créditeurs étrangers, les déséquilibres budgétaires ne représentent que quelques difficultés invoquées par le Gouverneur Moret afin de justifier le retrait de la mission de la Banque de France de Roumanie. Selon Moret, la Banque de France doit commencer à diminuer progressivement son implication dans les affaires roumaines, dont le degré de complexité ne cessait pas d’augmenter, car son prestige et sa position internationale sont en jeu.

Afin de ne pas donner l’impression qu’il envisage de dissocier la Banque de France de la politique roumaine menée par le Quai d’Orsay, le Gouverneur Moret accepte d’envoyer à Bucarest pour quelques semaines Jean Bolgert. En revanche, tout autre séjour en Roumanie des experts de la Banque de France

715 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Lettre du Président du Conseil, Ministre des Affaires Etrangères au Ministre des Finances, Flandin, le 19 juillet 1932, p. 4. 716 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/10, Lettre du Ministre des Finances, Flandin, au Gouverneur de la Banque de France, Moret, le 7 juillet 1932. 249

devra faire l’objet d’un accord préalable entre les dirigeants de la Banque de France et ceux de la Banque Nationale de Roumanie. En raison du désordre politique et financier qui règne en Roumanie, Moret conseille l’expectative pour la conclusion de tout nouvel accord avec les dirigeants de Bucarest. Ainsi, la Société des Nations aura suffisamment le temps de définir en collaboration avec le gouvernement roumain l’activité et les compétences administratives et financières des experts qu’elle enverra à Bucarest.717 Par ailleurs, cette expectative permettra aux dirigeants de la Banque de France de connaître les champs d’action et les objectifs des experts de Genève et, notamment, de redéfinir leur mission en Roumanie qui, ne doit pas apparaître comme un obstacle pour l’activité de l’institution de Genève.718

Dans cette optique, Moret conseille fortement la diplomatie française d’attendre la mise en place de la collaboration avec la Société des Nations avant d’aborder la question du maintien de Roger Auboin auprès de la Banque Nationale de Roumanie. La présence des experts français à Bucarest apparaît, dans ces circonstances, incertaine. Malgré ses démarches et ses efforts, Edouard Herriot n’obtient aucune garantie de la part du Gouverneur Moret quant à la participation de la Banque de France au renforcement de l’influence française en Roumanie et, implicitement, en Europe centrale.

Afin de mieux comprendre les démarches du Quai d’Orsay pour le maintien de la mission financière de la Banque de France en Roumanie, il convient de les intégrer dans l’ensemble des opérations politiques, économiques et financières entreprises par la diplomatie française dans ce pays depuis la fin de la Première Guerre mondiale.

717 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/10 : Lettre du Gouverneur Moret au Ministre des Finances, Flandin, le 12 juillet 1932. 718 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/10 : Lettre du Gouverneur Moret au Ministre des Finances, Flandin, le 12 juillet 1932.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Pilier de la Petite Entente, la Roumanie joue un rôle important dans la politique française de containment de l’Allemagne et des États révisionnistes. Au croisement des préoccupations défensives de la France, la Roumanie s’intègre dans le système de sécurité français dès 1922 afin de contrer les révisionnismes hongrois et, plus particulièrement, soviétique. Les initiatives prises par le Quai d’Orsay et les dirigeants de Bucarest pour la réorganisation de l’armée roumaine durant les années vingt démontrent l’importance que ce pays avait dans le système de sécurité français, ainsi que les soucis de sécurité et de préservation des acquis territoriaux obtenus par la Roumanie à l’issu des Traités de Paix de 1919-1920.719 Il convient de préciser que la diplomatie française avait demandé dès le début des négociations franco-roumaines pour l’émission de l’emprunt de stabilisation monétaire et de développement économique d’intégrer dans le Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie de février 1929 un accord relatif à la réorganisation de l’armée et l’achat de matériel de guerre aux industries françaises.720 Les projets de réorganisation et d’équipement militaire de l’armée roumaine mettent également en évidence les intérêts industriels et financiers que les dirigeants de Paris peuvent acquérir dans ce pays en lui fournissant le savoir-faire et le matériel nécessaire pour la création d’une armée moderne. En octobre 1931, le Quai d’Orsay intervient auprès de la Banque de France en faveur de l’octroi d’un crédit de 125 millions de francs français aux dirigeants roumains, afin de leur permettre de payer un acompte sur les commandes militaires passées en France, dont l’importance et les enjeux que le Ministère français de la Guerre attache à cette affaire n’échappe pas à la diplomatie française. Dans l’analyse des intérêts de la diplomatie française, les aspects économiques et financiers de

719 Sur cette question, voir MIDAN, Cristophe, « L’aide matérielle militaire française à la Roumanie durant les années vingt » in Bâtir une nouvelle sécurité. La coopération militaire entre la France et les Etats d’Europe centrale et orientale de 1919 à 1929, Paris, Centre d’études d’histoire de la défense et Service historique de l’armée de terre, 2001, pp. 519-533. 720 La diplomatie française renonce à ce projet par crainte d’opposition des banques américaines et notamment par manque de moyens financiers. A ce sujet, voir Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/10 : Lettre de Poincaré, Président du Conseil au Quai d’Orsay, le 12 janvier 1928. 251

la réorganisation de l’armée roumaine doivent être également pris en compte car ils jouent un rôle très important. A plusieurs reprises, le Quai d’Orsay intervient auprès les dirigeants roumains pour obtenir des garanties pour l’achat de matériel et d’équipements ferroviaires, agricoles et militaires aux industries françaises.721

La mission financière envoyée par la Banque de France en Roumanie le 7 février 1929 représentait une garantie et une source d’information très importante sur les affaires à réaliser dans ce pays par les industries françaises productrices de matériel et d’équipement militaire. En outre, cette mission permet aux dirigeants du Quai d’Orsay de renforcer la présence et l’influence française dans ce pays, ainsi que de mieux défendre les intérêts économiques et financiers des industries françaises. Des techniciens avisés, comme Charles Rist et Roger Auboin, devaient par leurs conseils et leurs mesures financières convaincre les autorités de Bucarest du bien-fondé de la collaboration avec les industries françaises. Mais, ils étaient aussi tenus pour responsables si la Roumanie ne respectait pas ses engagements de paiement à l’égard de l’industrie française et, plus particulièrement, envers l’industrie de l’armement. À titre d’exemple, le 7 novembre 1931, le Quai d’Orsay reproche à Roger Auboin d’avoir accepté le paiement des commandes que le gouvernement roumain avait passé aux usines Skoda au détriment de la maison Schneider.722 Afin d’entendre la position de Auboin au sujet de cette affaire qui n’a pas été réglée en faveur de l’industrie française, la diplomatie française, représentée par Laboulaye, organise une réunion avec les dirigeants des Finances et de la Banque de France. D’emblée, Laboulaye reproche à Auboin, d’une part, d’être à l’origine de la décision des dirigeants roumains de payer les usines Skoda et, d’autre part, d’avoir décider, par la suite, de suspendre les autres paiements que la Roumanie devait effectués aux industries françaises et tchèques. Selon les estimations du représentant des Affaires Etrangères, le règlement des

721 Cf. MIDAN, « L’aide matérielle militaire française à la Roumanie durant les années vingt », pp. 519-533. 722 Archives du MAEF, Paris, Relations commerciales 1918-1940, Roumanie C104-C109.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 commandes faites à Skoda et à Schneider ne dépassait pas un milliard de lei et ce montant était prévu de figurer annuellement au budget roumain pour l’achat de matériel de guerre.723 Interrogé sur les difficultés financières rencontrées par la Roumanie pour l’exécution des engagements de paiement, Auboin tente d’expliquer aux dirigeants de Paris qu’il ne s’agissait pas uniquement d’un problème de transfert, mais aussi d’un manque de ressources financières. Pour Auboin, le devoir de la Roumanie d’assurer le service de la dette publique extérieure primait incontestablement sur le règlement des commandes de matériel militaire.724 Par ailleurs, Roger Auboin avait averti les dirigeants du Quai d’Orsay que, durant l’année 1932, la Roumanie ne pourra prévoir aucun règlement de ses dettes commerciales en raison du déficit budgétaire qui s’annonçait pour cette année.725 La seule solution envisagée et proposée par Auboin aux dirigeants de Paris est que le Quai d’Orsay intervient directement auprès du gouvernement roumain afin de trouver un arrangement et d’autres modalités de paiement en faveur de Skoda et de Schneider, telle que la vente de redevances de pétrole. Le représentant de la Banque de France à cette réunion, Charles Farnier, avertit également Laboulaye qu’en aucun cas et sous aucun prétexte le concours demandé à la Banque de France par la Banque Nationale de Roumanie ne pourra être utilisé au règlement des commandes d’armement, dont son institution n’a jamais été informée par les dirigeants de Paris.726

Des nouvelles divergences surgissent entre le Quai d’Orsay et Roger Auboin, le 14 octobre 1932, date à la quelle Lepercq, Administrateur délégué des usines Skoda, demande aux dirigeants de Paris d’intervenir auprès du gouvernement

723 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Tchécoslovaquie, No. 167, Note, le 7 novembre 1931, p. 116. 724 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Tchécoslovaquie, No. 167, Note, le 7 novembre 1931, p. 117. 725Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Tchécoslovaquie, No. 167, Note, le 7 novembre 1931, p. 117. 726 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Tchécoslovaquie, No. 167, Note, le 7 novembre 1931, p. 117. 253

roumain pour le paiement de commandes de munition et d’artillerie.727 N’ayant pas le droit d’intervenir officiellement dans cette affaire en raison de la nationalité des usines Skoda, la diplomatie française se tourne immédiatement vers Auboin. Rappelons que Skoda est une société tchèque, malgré le fait que 60% du capital appartient à la France.728 Selon Lepercq, Roger Auboin serait à l’origine de la commande effectuée par le gouvernement roumain, dont le montant était estimé à environ 800 millions de francs français.729 Décidé à défendre Auboin, Charles Rist intervient auprès des dirigeants du Quai d’Orsay en expliquant que les difficultés financières de la Roumanie sont réelles et que la décision de Auboin de limiter les paiements des commandes militaires est totalement justifiée. Quant à la responsabilité de l’Expert de la Banque Nationale de Roumanie au sujet des commandes réalisées par le gouvernement Vaida-Voevod, Rist émet des réserves. Il n’exclut pas le fait que Roger Auboin ait été informé par les dirigeants de Bucarest des commandes passées à Skoda, mais il ne croit à aucun moment que Auboin ait connu leurs montant exact. Par la même occasion, Rist rappelle aux dirigeants de Paris que les industries françaises ont été averties à plusieurs reprises du risque qu’elles couraient de ne pas être payées par les autorités de Bucarest. Le seul conseil qu’il donne à Lepercq est d’envoyer à Bucarest un agent pour négocier avec le gouvernement Maniu un arrangement allongeant considérablement les échéances prévues.730

727 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Tchécoslovaquie, No. 167, Note : A.S. du paiement des commandes de matériel de guerre passées par le Gouvernement roumain à Skoda, le 14 octobre 1931, pp. 97-99. 728 Sur les usines Skoda, voir SEGAL, Harold, The French State and French Private Investment in , 1918-1938. A Study of Economic Diplomacy, New York, Garland Publishing, 1987. 729 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/ Tchécoslovaquie, No. 167, Note : A.S. du paiement des commandes de matériel de guerre passées par le Gouvernement roumain à Skoda, le 14 octobre 1931, pp. 98. 730 Archives du MAEF, Paris Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Tchécoslovaquie, No. 167, Note : A.S. du paiement des commandes de matériel de guerre passées par le Gouvernement roumain à Skoda, le 14 octobre 1931, p. 99.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

La résurgence de l’influence économique et commerciale de l’Allemagne en Europe centrale dans le contexte de la crise de 1929 pourrait également expliquer l’intervention du Quai d’Orsay en faveur du maintien de la mission financière de la Banque de France à Bucarest.731 Le besoin de la Roumanie de commercer avec l’Allemagne pour vendre ses produits agricoles heurte les intérêts de la diplomatie française, dont le volet centre-européen de sa politique envisageait de transformer cette région dans une barrière contre l’expansionnisme allemand. Face au retour de l’Allemagne sur la scène internationale, la France se verra obligée de redéfinir sa politique à l’égard de l’Union Soviétique au détriment des intérêts politiques et géo-stratégiques de la Roumanie, dont la frontière orientale était convoitée par la diplomatie russe.

Il apparaît, ainsi, que les intérêts de la diplomatie française en Roumanie sont très importants et que leur défense implique la collaboration avec le Ministère des Finances et la Banque de France. Pour cette dernière, la priorité accordée par le Quai d’Orsay au renforcement de son influence en Roumanie semble ne plus s’accorder avec sa politique étrangère. En participant à la stabilisation de la monnaie roumaine, en tant que leader, la Banque de France a démontré, notamment, à la Banque d’Angleterre, ses compétences et son rôle dans l’organisation du système financier et monétaire international mis en place durant les années vingt. À partir de 1931, date à laquelle le processus de stabilisation des monnaies européennes est pratiquement achevé, les dirigeants de la Banque de France visent d’autres objectifs, tels que le fonctionnement et le développement du système financier et monétaire international. La Roumanie ne représente plus un cas « particulier », ainsi qu’elle l’a été à la fin des années vingt au moment où la Banque de France est intervenue afin de régler une question précise dans un cadre bien défini. Face à l’internationalisation des difficultés économiques, financières et monétaires de la Roumanie au début des années trente, la Banque de France n’est plus en mesure de résoudre seule les

731 Dès 1931, l’Allemagne est prête à payer des prix très élevés pour les produits agricoles et le pétrole roumain. En revanche, la France importe des céréales roumaines pour compléter ses récoltes au cours des mauvaises années agricoles. 255

problèmes de ce pays car leur solution dépendait de l’adoption d’un ensemble de mesures internationales. C’est dans ces circonstances que la Roger Auboin, Charles Rist et le Gouverneur Moret ont décidé de confier la réorganisation économique et financière de la Roumanie à la Société des Nations.

2. La politique « roumaine » de la Banque de France au début des années trente

Recommandée par Charles Rist en mai 1932, l’intervention de la Société des Nations en Roumanie est, en effet, un projet élaboré par les dirigeants de la Banque de France durant les premiers mois de l’année 1932. Le Gouverneur Moret l’évoque à plusieurs reprises dans ses notes et sa correspondance avec Roger Auboin et Jean Bolgert durant le mois de février 1932, date à laquelle la mission de l’Expert de la Banque Nationale de Roumanie et de ses collaborateurs devait se terminer. Il convient de rappeler qu’en mars 1931, lors de l’émission du deuxième emprunt roumain de développement économique, les dirigeants de Bucarest et ceux de la Banque de France ont décidé de redéfinir les compétences et le champ d’activité du Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie qui devenait Expert technique, chargé de la rédaction deux à trois fois par année d’un rapport sur la situation économique et financière du pays.

Ce changement de statut et de compétences, dont les conséquences sur la position et l’activité des experts français en Roumanie étaient jugées comme préjudiciables, est, en effet, à l’origine de l’initiative des dirigeants de la Banque de France de confier la gestion des affaires roumaines au Comité financier de la Société des Nations. À cela s’ajoute le fait que les garanties et le soutien moral, accordés au Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie par le consortium de banques centrales, réuni en février 1929 par le Emile Moreau, n’ont pas été renouvelés après février 1932. La Banque de France devait, dans ces circonstances, assumer entièrement toute la responsabilité de la gestion des affaires roumaines.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Dans une note732, datée du 10 mars 1932, les dirigeants de la Banque de France soulignent avec acuité les changements survenus en Roumanie, ainsi que leurs conséquences sur la position de la Banque de France qui « se trouve actuellement seule pour faire pression sur les Roumains, la pression morale et politique, nécessaires au maintien de la monnaie et de la dette extérieure. »733 L’internationalisation des problèmes économiques et financiers de la Roumanie, ainsi que l’anticipation des difficultés que la Banque de France devra affronter dans ce pays durant les années 1932-1934, avaient déjà conduit le Gouverneur Moret quelques mois auparavant à prendre en considération le retrait des experts français de Bucarest. Ainsi, dans une note rédigée le 20 décembre 1931, qu’il souhaitait transmettre aux Finances, Moret s’exprime dans ces termes : « je suis très nettement et très résolument d’accord que nous devons dégager notre responsabilité de la gestion des affaires roumaines [….]). »734 La Roumanie devient, donc, affaire difficile, voire contraignante, dont les difficultés économiques, financières et monétaires ne pouvaient pas être résolus qu’en tenant compte de leur interdépendance.

Sans pouvoir se dégager brusquement de ce pays pour des raisons stratégiques et morales, la Banque de France décide de céder progressivement et, sous certaines conditions, sa responsabilité financière à la Société des Nations. Il convient de préciser que ces conditions sont en lien avec l’engagement de l’institution de Genève d’établir et de proposer aux dirigeants roumains un nouveau programme de collaboration financière qui, doit être totalement différent de celui adopté durant les années vingt pour l’Autriche et la Hongrie, considérées comme les pays vaincus de la Grande Guerre. Cela permettra à la Banque de France, d’une part, de soutenir ce programme auprès des dirigeants de Bucarest, et d’autre part, de se désengager de Roumanie sans donner

732 Cette note que nous avons trouvé dans les archives de la Banque de France n’est pas signée. 733 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Note sur la manière dont l’action de restauration financière en Roumanie pourrait être replacée sur le plan international, le 10 mars 1932, p. 1. 734 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/8 : Note sur la lettre de Roger Auboin, le 20 décembre 1931. 257

l’impression de l’abandonner en faveur de la Société des Nations. En agissant de cette manière, le retrait de la mission financière de la Banque de France de Roumanie ne sera pas interprété par les milieux économiques et financiers internationaux comme un échec de la politique étrangère de la Banque de France.

Un autre avantage pris en considération par la Banque de France est que la Société des Nations pourra intervenir en Roumanie assez rapidement et sans trop de difficultés car tous les États de l’Europe centrale attendent un programme de soutien économique et financier international. Encore une fois, les dirigeants de la Banque de France insistent sur la nécessité d’élaborer un nouveau programme afin de donner aux pays centre-européens le sentiment qu’ils font appel au soutien de la Société des Nations non comme des pays vaincus qui, demandent de l’assistance, mais comme des pays qui, souhaitent bénéficier de l’aide et des compétences d’une véritable organisation internationale.735

En ce qui concerne l’installation des experts genevois à Bucarest, la Banque de France vise à les aider à s’imposer rapidement auprès des dirigeants de Bucarest afin que les engagements pris envers les participants aux emprunts de février 1929 et de mars1931 soient entièrement respectés. Conscients, que la mise en place de la collaboration entre la Roumanie et la Société des Nations prendra du temps, les dirigeants de Banque de France s’engagent à maintenir à Bucarest Roger Auboin jusqu’à ce que les experts de Genève s’installent dans la capitale roumaine.736 Afin de faciliter l’organisation de cette collaboration, ils proposent même de mettre à leur disposition Auboin qui peut les renseigner

735 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Note sur la manière dont l’action de restauration financière en Roumanie pourrait être replacée sur le plan international, le 10 mars 1932, p. 5. 736 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Note sur la manière dont l’action de restauration financière en Roumanie pourrait être replacée sur le plan international, le 10 mars 1932, pp. 3-5.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 rapidement sur la situation économique et financière du pays.737 Quant au bon déroulement de l’activité de Roger Auboin et des autres experts français jusqu’à l’arrivée des experts genevois, les dirigeants de la Banque de France expriment leur crainte en avertissant qu’elle dépendra entièrement de la volonté des dirigeants roumains de continuer à se soumettre à leur autorité.

Dans l’état actuel de nos recherches, nous ne savons pas si Moret a informé le Quai d’Orsay en mars 1932 des changements envisagés par la Banque de France à l’égard de la Roumanie. La réaction de Puaux, ainsi que les démarches effectuées en juillet 1932 par Herriot auprès de Flandin et de Moret nous laissent croire que la diplomatie française ne connaissait pas le projet avant la publication du Rapport Rist en mai 1932. Simple omission des dirigeants de la Banque de France ou crainte de l’opposition et des pressions du Quai d’Orsay ? La deuxième hypothèse nous semble plus pertinente en raison de l’importance et du rôle que la diplomatie française a accordé à la mission financière de la Banque de France qui, est considérée comme un des piliers de la politique étrangère menée par la France dans ce pays.

La publication du Rapport Rist en mai 1932 permet, donc, à la Banque de France de mettre en application le projet de retrait de Bucarest en faveur de la Société des Nations. Conseillés de solliciter l’intervention de l’institution de Genève, les dirigeants roumains se voient obligés de commencer le 18 juin 1932 les démarches auprès de l’institution de Genève. Toutefois, la procédure s’annonce rapidement longue et très contraignante en raison du contrôle et des conditions financières imposées par les experts du Comité financier genevois.

En attendant l’installation des experts finaciers de la Société des Nations à Bucarest, Roger Auboin continue à occuper les fonctions d’Expert technique de la Banque Nationale de Roumanie et à rédiger les rapports trimestriels sur la situation économique et financière du pays. L’attente de Auboin de quitter la Roumanie s'avérera finalement longue car il ne quittera ce pays que le 1er février

737 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Note sur la manière dont l’action de restauration financière en Roumanie pourrait être replacée sur le plan international, le 10 mars 1932, p. 6. 259

1935. Sa mission qui, selon l’accord de mars 1931 devait se terminer le 7 février 1934, sera, en effet, prolongée d’une année à la demande du gouvernement roumain de Ion Gh. Duca. Il convient de préciser que la prolongation de cette mission provoquera, comme en mars 1931, le mécontentement et les réactions des dirigeants de la Banque Nationale de Roumanie, pour lesquelles la présence des experts français devenait de plus en plus difficile à supporter.738 Le Gouverneur Grigore Dimitrescu739 reproche au gouvernement Tatarescu de tout faire pour se mettre en situation de se voir imposer un contrôle étranger et lui demande d’assumer entièrement les conséquences car la Banque Nationale n’accepte plus de prolonger le mission de Auboin.740 Le refus de ce dernier d’accepter la demande du Gouverneur Dimitrescu de soumettre ses rapports au contrôle du Conseil de la Banque Nationale explique en grande partie les réactions des dirigeants de cette institution.741 Dans la lettre de prolongation de cette mission, rédigée par la Banque Nationale de Roumanie en vertu de son indépendance, Grigore Dimitrescu demandait à Roger Auboin de céder aux dirigeants de Bucarest « le droit de décider de l’utilité de la publication de ses rapports. »742

Sous les pressions du Président du Conseil roumain, Gheorghe Tatarescu, la Banque Nationale se voit obligée, encore une fois, d’accepter le 15 février 1934 la prolongation d’une année de la mission de la Banque de France. Toutefois,

738 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/8 : Lettre de à Jean Bolgert, le 23 mars 1934. 739 Docteur en droit, économie et finances, Grigore Dimitrescu est nommé Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie le 3 février 1934, fonction qu’il remplira jusqu’au 27 juillet 1935. Le retour au pouvoir du Parti National Libéral, le 14 novembre 1933, est à l’origine de la démission de l’ancien Gouverneur Constantin Angelescu et de son remplacement par Grigore Dimitrescu. 740 Archives de la BdF, Paris, Missions financières en Roumanie, No. 1370200006/8 : Lettre de Roger Auboin au Ministre français des Finances, le 26 février 1934, p. 1. 741 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/8 : Projet de lettre présentée officieusement par la Banque Nationale de Roumanie et refusée par Roger Auboin, février 1934. 742 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/8 : Projet de lettre présentée officieusement par la Banque Nationale de Roumanie et refusée par Roger Auboin, février 1934, p. 2.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 quelques jours plus tard, Roger Auboin se retrouvera de nouveau en conflit avec le Gouverneur Dimitrescu en raison d’une lettre qu’il avait envoyé le 18 février 1934 aux banques anglaises Hambro Bank et Lazard Brothers au sujet des capacités de la Roumanie d’assurer le service de sa dette extérieure. Fortement contrarié, Dimitrescu rappelle à l’Expert de la Banque Nationale que son activité en Roumanie se résumait strictement à la rédaction de deux rapports sur la situation économique et financière du pays.743 « A part ces rapports, affirme Dimitrescu, vous aurez à nous donner les avis qui vous seront sollicités par le Gouvernement et par la Banque sur les questions qui leur sembleraient nécessaires et qui nous intéresseraient spécialement. »744

La gestion des affaires roumaines devient, ainsi que les dirigeants de la Banque de France l’ont anticipé, difficile à gérer uniquement car l’autorité et les compétences des experts français ont beaucoup diminué par rapport à février 1929, date à laquelle ils sont arrivés à Bucarest. Dans ces circonstances, l’intervention de la Société des Nations apparaît comme une nécessité pressante afin d’éviter à ce que les dirigeants de Bucarest se retrouvent à gérer seuls les problèmes financiers et monétaires du pays.

3. La Société des Nations et la collaboration technique avec la Roumanie au début des années trentes

Malgré les réactions de l’opinion publique roumaine, le gouvernement Vaida- Voevod décide le 18 juin 1932 de solliciter le concours de la Société des Nations pour la réorganisation économique et financière du pays.745 À la suite des

743 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/8 : Lettre du Gouverneur Dimitrescu à Roger Auboin, le 6 mars 1943. 744 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/8 : Lettre du Gouverneur Dimitrescu à Roger Auboin, le 6 mars 1943. 745 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Accord instituant la collaboration technique consultative en Roumanie, le 28 janvier 1933 - Lettre du gouvernement roumain au Secrétaire 261

démarches effectuées par le gouvernement roumain, Joseph Avenol, Secrétaire général adjoint de la Société des Nations et Alexander Loveday, Directeur de la Section financière de la Société des Nations, se rendent à Bucarest le 12 juillet 1932 afin d’établir les conditions et le programme des réformes financières qui doit être réalisé en Roumanie.746 Dans les conclusions de leur rapport, Avenol et Loveday recommandent aux dirigeants roumains d’envoyer à Genève une nouvelle lettre où ils expliquent la procédure et le programme de réorganisation financière qu’ils visent à réaliser en collaboration avec la Société des Nations.

Le 21 juillet 1932, le gouvernement Vaida-Voevod entreprend de nouvelles démarches auprès de l’institution de Genève en insistant sur la volonté des dirigeants roumains de bénéficier des compétences des experts de la Société des Nations pour l’élaboration d’un programme de réformes financières, destinées à adapter le pays à la situation économique internationale.747 Après ces nouvelles démarches, le gouvernement roumain reçoit à la fin du mois d’août 1932 une délégation d’experts financiers et économiques, composée de Dayras, Max Kempner, Otto Niemeyer et de Di Nola, chargée de préparer le programme de collaboration technique de la Roumanie avec la Société des Nations.748 Après avoir étudié la situation des finances et du budget roumain les experts de Genève envoient le 17 septembre 1932 à Bucarest une lettre où ils présentent les conclusions de leur rapport, ainsi que le projet de collaboration susceptible

général demandant la collaboration technique de la Société des Nations, le 18 juin 1932. 746 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare speciale, No. 247 : Télégramme de George Mironescu, Ministre des Finances, à Nicolae Titulescu, délégué de la Roumanie auprès de la Société des Nations, le 5 juin 1932. 747 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Accord instituant la collaboration technique consultative en Roumanie, le 28 janvier 1933 - Lettre du gouvernement roumain au Secrétaire général demandant la collaboration technique de la Société des Nations, le 21 juillet 1932. 748 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare speciale, No. 247 : Télégramme de Constantin Antoniade, délégué de la Roumanie auprès de la Société des Nations, à Alexandru Vaida-Voevod, Président du Conseil, et George Mironescu, Ministre de Finances, le 13 août 1932.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 d’être conclu entre la Roumanie et la Société des Nations.749 Par la même occasion, ils avertissent le gouvernement Vaida-Voevod de la gravité de la situation financière en déclarant que la question la plus importante et urgente était celle de la réforme financière. Quant aux difficultés économiques du pays, les experts de la Société des Nations affirment qu’il sont secondaires par rapport aux problèmes financiers et qu’elles ne peuvent pas être examinées avant l’exécution du programme de réorganisation financière.

Sur la base de ces constats, la délégation de la Roumanie à l’Assemblée de la Société des Nations du mois de septembre 1932 fixe avec le Comité financier de cette institution les conditions et le texte provisoire de l’accord de collaboration. Malgré son acceptation par le Comité financier, le texte définitif et l’adoption de l’accord ne peuvent pas être réaliser en raison de l’opposition des dirigeants de Bucarest.750 À la surprise générale, Virgil Madgearu, Ministre de l’Industrie et du Commerce, demande un délai de quelques semaines, voire quelques mois, afin de pouvoir réexaminer le texte de ce programme, dont la portée et les conséquences commençaient à inquiéter les milieux politiques et financiers roumains.751 La décision des autorités de Bucarest prend également par surprise Nicolae Titulescu, chef de la délégration roumaine auprès de la Société des Nations, qui décide de présenter le 7 octobre 1932 sa démission à Alexandru Vaida-Voevod.752 Titulescu accuse le gouvernement de Bucarest de duplicité et

749 MADGEARU, Virgil, Notre collaboration technique avec la Société des Nations, Bucarest, Imp. Nationale, 1933, pp. 51-54. 750 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare speciale, No. 247 : Télégramme de George Mironescu, Ministre des Finances, à Nicolae Titulescu, délégué de la Roumanie auprès de la Société des Nations, le 24 septembre 1932, pp. 1-2. Dans ce télégramme, Mironescu explique que le Parlement roumain refuse de valider les sacrifices financiers demandés par les experts de la Société des Nations pour rétablir l’équilibre budgétaire. 751 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare speciale, No. 247 : Télégramme de Nicolae Titulescu, délégué de la Roumanie auprès de la Société des Nations, à Alexandru Vaida-Voevod, Président du Conseil, le 7 octobre 1932. 752 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare speciale, No. 247 : Télégramme de Nicolae Titulescu, délégué de la Roumanie auprès de la Société des Nations, à Alexandru Vaida-Voevod, Président du Conseil, le 7 octobre 1932. 263

d’irrespect à l’égard des experts de la Société des Nations qui, à aucun moment, n’ont pas été avertis de l’intention du gouvernement roumain de différer la signature l’accord de collaboration.753 Sans prendre en considération les conseils de Nicolae Titulescu, le gouvernement Vaida-Voevod demande d’ajourner la signature de l’accord de collaboration avec la Société des Nations à la session du Comité financier du mois de janvier 1933.754

Dans une lettre envoyée à la Banque de France, le 21 septembre 1932, Jean Bolgert déclare que les principaux aspects qui préoccupent les dirigeants roumains sont essentiellement en lien avec la durée, la forme de la collaboration avec la Société des Nations, ainsi que la volonté de Madgearu d’introduire, au même titre que le programme de réforme financière, un programme économique, destiné à promouvoir le développement du secteur industriel.755 Selon Bolgert, le gouvernement Vaida-Voevod ne semble pas attacher beaucoup d’intérêt et d’importance à la collaboration avec la Société des Nations et il y renoncera facilement si les aspects économiques seront négligés. Cette hypothèse est aussi formulée par un des experts de la Société des Nations, Dayras qui, le 10 octobre 1932, avertit la Banque de France du projet des dirigeants de Bucarest de réaliser un vaste programme économique, sans se préoccuper de l’état des finances roumaines et des déséquilibres budgétaires.756 Dans son ouvrage, Notre collaboration technique avec la Société des Nations, Virgil Madgearu exprime son mécontentement car les experts genevois ont supprimé du programme proposé par les dirigeants de Bucarest les aspects relatifs à la

753 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare speciale, No. 247 : Télégramme de Nicolae Titulescu, délégué de la Roumanie auprès de la Société des Nations, à Alexandru Vaida-Voevod, Président du Conseil, le 7 octobre 1932. 754 MADGEARU, Notre collaboration technique, pp. 55-56. 755 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Au sujet des négociations entre le gouvernement roumain et le Comité Financier de la Société des Nations, le 21 septembre 1932, Bolgert à la Banque de France. 756 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Etat actuel des pourparlers entre la Roumanie et la Société des Nations au sujet de la collaboration technique, Dayras à la Banque de France, le 10 octobre 1932.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 restauration économique de la Roumanie et la mise en valeur des richesses naturelles du pays.757 La priorité accordée par les experts de la Société des Nations à la réorganisation financière de la Roumanie ne réussit pas à convaincre Madgearu. Ce dernier explique que la raison pour laquelle le gouvernement de Bucarest insiste sur la réalisation d’un programme économique est totalement justifié car la Roumanie ne demande pas l’assistance financière de la Société des Nations, ainsi que l’ont fait d’autres États de l’Europe centrale.758

Il est nécessaire de préciser que les dirigeants roumains ne font aucune déclaration publique concernant les démarches effectuées auprès de la Société des Nations. Par crainte des réactions de l’opinion publique roumaine, les négociations restent secrètes jusqu’au 17 octobre 1932. À cette date, Vaida- Voevod déclare que son gouvernement a sollicité l’aide économique et financière de la Société des Nations, mais il a dû y renoncer en raison des exigences et des conditions draconiennes formulées par cette institution. Le silence de Vaida- Voevod sur les exigences de la Société des Nations, ainsi que sa démission de la tête du gouvernement, le 19 octobre 1932, font circuler de nombreuses rumeurs au sujet des conditions et du programme de collaboration avec l’institution de Genève.

Pour Gabriel Puaux, les exigences draconiennes de la Société des Nations sont liées aux mesures générales que la Roumanie doit prendre, d’une part, pour le rétablissement de l’équilibre bugétaire et le paiement de la dette extérieure, et, d’autre part, pour la nomination de quatre nouveaux experts pour une durée de cinq ans.759 Cette dernière exigence prévoit, en effet, la création d’une commission de contrôle et de surveillance, composé d’un Conseiller financier et de trois experts, en matière fiscale, budgétaire et comptable, qui devra réaliser

757 MADGEARU, Notre collaboration technique, p. 54. 758 MADGEARU, Notre collaboration technique, p. 54. 759 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/7 : Note sur la collaboration technique de la Roumanie avec la Société des Nations, octobre 1932. 265

son activité en étroite collaboration avec le gouvernement roumain et, plus particulièrement, avec le Ministère des Finances et la Banque Nationale de Roumanie. Le Conseiller financier devra résider à Bucarest durant toute la période de la collaboration entre la Roumanie et la Société des Nations et il représentera le pays à toutes les réunions qui auront lieu à Genève au sujet des affaires roumaines. Par ailleurs, il pourra nommer et faire venir à Bucarest d’autres experts étrangers s’il l’estimera nécessaire pour le bon déroulement de son activité et celles de ses trois collaborateurs. Quant à ses activités, le Conseiller financier sera chagé de conseiller et de surveiller la Banque Nationale et le gouvernement sur toutes les questions concernant la politique monétaire et financière de la Roumanie, ainsi que sur tous les projets d’emprunt extérieur.

Malgré les critiques de l’opinion publique roumaine et, plus particulièrement, du Parti National Libéral, Iuliu Maniu, désigné à nouveau Président du Conseil, décide en décembre 1932 de reprendre les négociations avec le Comité de Genève. Le 28 janvier 1933, l’accord de collaboration technique avec la Roumanie est finalement approuvé et signé le même jour par le Ministre roumain de l’Industrie et du Commerce, Ion Lugosianu.

D’emblée, le rapport présenté par le Conseil financier de la Société des Nations stipule que l’Accord de collaboration avec la Roumanie se distingue des autres programmes de restauration financière, établis durant les années vingt pour l’Autriche et la Hongrie.760 Ainsi que la Banque de France l’avait demandé, le Comité de Genève insiste dans les conclusions de cet Accord sur le fait que la Roumanie est « un État dans le plein exercice de souveraineté. »761 René Massigli, le représentant du gouvernement français auprès du Comité financier insiste également dans ses déclarations sur le fait que « nous ne trouvons pas aujourd’hui en présence d’un État sollicitant par l’intermédiaire de la Société des Nations, l’aide financière d’autres gouvernements à la suite d’une crise grave,

760 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Publications de la Société des Nations, C.107.M21.1933.II.A. : Accord de collaboration technique consultative avec la Roumanie, p. 3. 761 MADGEARU, Notre collaboration technique, p. 68.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 mais, en présence d’un État qui a déjà fait des efforts pour rétablir sa monnaie sur la base de l’or et qui a déjà introduit diverses améliorations dans son organisation financière.»762 La durée de collaboration, prévue par l’Accord de collaboration avec la Société des Nations, est de quatre exercices budgétaires, soit du 1er avril 1933 au 31 mars 1937.763 Rappelons que l’année financière en Roumanie ne correspond pas à l’année civile et elle débute le 1er avril. Toutefois, l’article 3 de cet Accord établit la possibilité pour la Société des Nations de rappeler son Conseiller financier et les autres experts si leur maintien ne s’avérera plus nécessaire.764 La mission du Conseiller financier et de ses trois collaborateurs est d’assister le gouvernement roumain à l’établissement et à l’application du programme de réformes financières, nécésaires pour l’adaptation de la Roumanie aux nouvelles conditions économiques et financières internationales.765Afin de faciliter la mission du Conseiller financier et des autres experts, le gouvernement et la Banque Nationale de Roumanie devront leur fournir toutes les informations nécéssaires, dont ils auront besoin pour leur activité. Un rapport trimestriel sur la situation économique et financière de la Roumanie sera présenté par le Conseiller financier au Conseil de la Société des Nations.766

Quant aux engagements des dirigeants de Bucarest, ils concernent principalement l’élaboration et l’exécution des réformes fiscales, la réorganisation

762 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Accord instituant la collaboration technique consultative en Roumanie, le 28 janvier 1933, - Rapport du Comité financier (session de janvier 1933), p. 9. 763 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Publications de la Société des Nations, C.107.M21.1933.II.A. : Accord de collaboration technique consultative avec la Roumanie, p. 6. 764 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Publications de la Société des Nations, C.107.M21.1933.II.A. Accord de collaboration technique consultative avec la Roumanie, p. 11 (Accord texte). 765 Si la présence d’autres experts deviendra nécessaire pour assurer l’exécution du programme de collaboration, le Conseiller financier pourra nommer, avec l’accord du gouvernement roumain, de nouveaux collaborateurs. 766 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Publications de la Société des Nations, C.107.M21.1933.II.A. Accord de collaboration technique consultative avec la Roumanie pp. 12-13 (Annexe II). 267

de l’administration financière et du recouvrement des impôts, le renforcement du contrôle des dépenses publiques, la réalisation et le maintien de l’équilibre budgétaire, etc.767 En outre, le gouvernement roumain devra s’assurer à ce que la mission de Roger Auboin, soit prolongée afin qu’il puisse prêter son concours à l’application de l’Accord de collaboration avec la Société des Nations.768 Il convient également de préciser que le Comité financier de Genève a décidé de maintenir la mission de l’Expert des Chemins de fer roumains, Gaston Leverve, et de son adjoint, Michel Mange.

Approuvé, donc, par le Conseil de la Société des Nations, le 28 janvier 1933, la mise en vigueur de l’Accord est subordonnée à la ratification avant le 30 avril 1933 par le Parlement roumain. Ce délai laisse, en effet, aux dirigeants de Genève le temps nécéssaire de choisir et de désigner le Conseiller financier de la Roumanie, ainsi que les trois autres experts. La nomination du Conseiller financier sera effectuée par un sous-comité, composé du Président de la Société des Nations, Paul Hymans, et des représentants de l’Allemagne, de la France et de la Grande-Bretagne, ainsi que du rapporteur du Conseil pour les questions financières, Rolf Andvord.769 Ce même sous-comité, auquel se joindra le Conseiller financier, devra choisir les trois autres experts en matière fiscale, comptable et de trésorerie et du budget.

Ajourné à plusieurs reprises par les dirigeants de Bucarest, par crainte des réactions de l’opinion publique roumaine, l’Accord de Genève sera finalement présenté au Parlement les 10 et 12 avril 1933 par Virgil Madgearu. Cela provoque des vives discussions et critiques à l’égard du gouvernement Vaida-

767 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Publications de la Société des Nations, C.107.M21.1933.II.A. Accord de collaboration technique consultative avec la Roumanie pp. 11-12 (Annexe I). 768 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Publications de la Société des Nations, C.107.M21.1933.II.A. Accord de collaboration technique consultative avec la Roumanie p. 13 (Annexe II, art. 5). 769 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Publications de la Société des Nations, C.107.M21.1933.II.A. Accord de collaboration technique consultative avec la Roumanie p. 15 (Procédure de nomination du Conseiller financier et des experts).

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Voevod. Le Parti National Libéral accuse le Parti National Paysan d’offrir au peuple roumain « une abdication de l’indépendance du pays, une subjugation des intérêts de notre pays à je ne sais quelles fin internationales. »770 Pour Madgearu, le seul responsable de l’intervention de la Société des Nations en Roumanie n’est en aucun cas son gouvernement qui a été pratiquement obligé de faire les démarches auprès de l’institution de Genève, mais les gouvernements précédents et, notamment, l’ancien Ministre des Finances, Constantin Argetoianu. Rappelons que ce dernier a demandé le 16 mars 1932 au gouvernement français d’envoyer en Roumanie Charles Rist pour examiner la situation économique et financière du pays.

Malgré la ratification de l’Accord, le gouvernement de Vaida-Voevod repousse sa mise en vigueur, sans donner des explications très claires. Les historiens roumains mettent généralement en avant la crainte des réactions de l’opinion publique roumaine.771 Mais de notre point de vue, le Conseiller financier, proposé par la Société des Nations, joue un rôle très important. À cela s’ajoute encore le refus de la Banque Nationale de Roumanie de collaborer avec le Conseiller de la Société des Nations car, ainsi que le souligne le Gouverneur Constantin Angelescu, la prolongation de la tutelle étrangère ne fera que discréditer les dirigeants de la Banque Nationale auprès des instances internationales.772 En reprochant à la Société des Nations d’avoir exclu la Banque Nationale des négociations avec le gouvernement roumain, le Gouverneur Angelescu écrit dans une lettre à Virgil Madgearu : « C’est un mauvais départ qui, va créer par la suite des divergences et des conflits entre la Roumanie et la Société des Nations. En ce qui me concerne, ça serait un très grand bonheur si l’Accord

770 MADGEARU, Notre collaboration technique, p. 1. 771 SCURTU, Ioan (éd.), Documente privind istoria României între anii 1918- 1944 (Documents concernant l’histoire de la Roumanie durant les années 1918- 1944), Bucuresti, Editura didactica si pedagogica, 1995. 772 Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1934 : Lettre de Virgil Madgearu à la Banque Nationale de Roumanie, le 23 mars 1933. 269

n’était finalement pas conclu. »773 Pour Angelescu, l’Accord de Genève ne présente aucun avantage car il impose à la Roumanie, d’une part, l’obligation d’accepter une collaboration étrangère pour la réorganisation financière du pays et, d’autre part, l’obligation de demander et de recevoir la surveillance vexatrice pour l’application zélé et honnête des réformes financières.774 En acceptant cet Accord, la Roumanie prouvera au monde entier à la fois qu’elle est incappable de penser et d’envisager tout projet de réorganisation économique et financière et qu’elle n’a ni l’honnêteté, ni la force et ni l’autorité d’appliquer les lois nécéssaires au redressement du pays.775 « Le passé et toutes les difficultés que la Roumanie a dû affronté depuis sa création, conclut Angelescu, déterminent la Banque Nationale à ne pas signer l’Accord de Genève. De plus, elle se voit obligée de tirer le signal d’alarme en démontrant que cet Accord discréditera et conduira le pays à une véritable catastrophe. »776

Pour ce qui est du choix du Conseiller financier, le Conseil de la Société des Nations propose au gouvernement roumain de désigner Sir George Corey, un ancien chef d’état-major adjoint de l’Armée de l’Inde.777 Cette proposition provoque immédiatement le mécontentement des dirigeants de Bucarest car Corey ne jouit pas du même prestige et de la même renomée internationale que les Conseillers envoyés en Roumanie par la Banque de France, Roger Auboin et, notamment, Charles Rist. Inutile de préciser que le choix d’un militaire qui, a

773 Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1934 : Lettre du Gouverneur Angelescu à Virgil Madgearu, intitulée Opinie separata (Une opinion séparée), le 25 mars 1933, p. 2 (Trad. du roumain). 774 Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1934 : Lettre du Gouverneur Angelescu à Madgearu, intitulée Opinie separata (Une opinion séparée), le 25 mars 1933, p. 3 (Trad. du roumain). 775 Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1934 : Lettre du Gouverneur Angelescu à Virgil Madgearu, intitulée Opinie separata (Une opinion séparée), le 25 mars 1933, p. 3 (Trad. du roumain). 776 Archives BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1934 : Lettre du Gouverneur Angelescu à Virgil Madgearu, intitulée Opinie separata (Une opinion séparée), le 25 mars 1933, p. 4 (Tad. du roumain). 777 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006//7 : Collaboration technique consultative de la Roumanie avec la Société des Nations, juillet 1932 - mai 1933/Note confidentielle sur le choix d’un Conseiller financier et des experts pour la Roumanie, le 13 mai 1933.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 servi pendant des années en Inde, complique la donne. Humiliés, les dirigeants de Bucarest reprochent à l’institution de Genève d’avoir choisi intentionnellement Sir George Corey afin de vexer le peuple roumain. La Roumanie, ainsi que le soulignent les dirigeants de Bucarest, est un pays libre qui ne pouvait pas être comparé à une colonie britannique. Dans ces circonstances, le Conseil de la Société des Nations se voit obligé d’abandonner la nomination de Corey en décidant de prolonger le délai pour la désignation du Conseiller financier jusqu’au 1er juin 1933. Par la suite, un nouvelle prolongation devra être effectuée jusqu’en décembre 1933.

L’échec de la Conférence de Londres de juillet 1933 jalonne une sorte de fuite en avant qui compromettra l’intervention de la Société des Nations en Roumanie. La conviction qu’aucune aide internationale positive ne pourra plus être envisagée pour les États agricoles de l’Europe centrale détermine les dirigeants roumains à abandonner progressivement le projet de collaboration avec la Société des Nations. La chute du gouvernement Vaida-Voevod, le 13 novembre 1933, et l’arrivée au pouvoir du gouvernement libéral de Ion Gh. Duca laissent entrevoir les difficultés pour mettre en application l’Accord de Genève. Préoccupé par les changements politiques survenus à Bucarest, Roger Auboin décide le 18 novembre 1933 de rendre visite au nouveau Ministre adjoint des Finances, Victor Slavescu, afin de se renseigner sur l’attitude du nouveau gouvernement à l’égard de la collaboration avec la Société des Nations.778 La discussion qui a eu lieu sur cette question est relatée par Slavescu dans son Journal. « Il [Auboin] cherche à me convaicre, note Slavescu, que de point de vue politique nous n’avons rien à craindre et que nous ne pouvons pas être rendus responsables en tant que parti et en tant que gouvernement pour une demande effectuée par un autre gouvernement. »779 Dans sa réponse, Slavescu se contente de déclarer que la question de la collaboration avec la Société des Nations est très compliquée et

778 SLAVESCU, Victor, Note si însemnari zilnice (Notes et réféxions quotidiennes), Vol. I, Bucuresti, Ed. Enciclopedica, 1996 (2ième Ed), p. 73, le 18 novembre 1933. 779 SLAVESCU, Note si însemnari zilnice, p. 73, le 18 novembre 1933 (Trad. du roumain). 271

qu’elle sera discutée par le gouvernement les prochaines jours. Informé immédiatement par Slavescu de la discussion avec Auboin, le Ministre des Finances, Constantin « Dinu » Bratianu se montre très réticent quant à la mise en vigueur de l’Accord de Genève en déclarant que « ce que les Nationaux- Paysans, les initiateurs de l’Accord, n’ont pas pu accepté, nous ne pouvons non plus accepter. »780 Pour Bratianu, la question est très difficile à résoudre surtout que le terme pour mettre en viguer l’Accord de Genève arrivait à écheance dans quelques semaines. Avant de s’exprimer officiellement sur l’attitude de son gouvernement à l’égard de la collaboration avec la Société des Nations, Bratianu décide d’en discuter avec Auboin. Le 20 novembre 1933, Auboin rencontre le nouveau Ministre des Finances en le conseillant de commencer immédiatement des négociations avec les banques anglaises et françaises afin de gagner du temps pour pouvoir prendre la décision qui convient le mieux à son gouvernement. De nouvelles discussions auront lieu le 25 novembre 1933 entre Victor Slavescu et Roger Auboin, qui tente encore une fois de convaincre les dirigeants roumains de la nécéssité de collaborer avec la Société des Nations. Tout en évitant de se prononcer ouvertement sur cette question, Victor Slavescu écrit dans son Journal que cet Accord « nous ne pouvons pas l’accepter sous aucun pretexte.»781 À Nicolae Titulescu, qui continue à assurer les fonctions de Ministre des Affaires Etrangères, Slavescu reproche la signature de l’Accord de Genève et lui demande le soutien afin de sortir la Roumanie de cette situation gênante.782 Résolus à ne pas mettre en vigueur cet Accord, les dirigeants libéraux décident d’envoyer à Paris au mois de décembre « Dinu » Bratianu afin de discuter les modalités et les possibilités d’annuler la collaboration avec la Société des Nations.

Effectivement, Bratianu se rend à Paris le 1er décembre 1933 et informe les dirigeants de la Banque de France de l’attitude de son gouvernement à l’égard

780 SLAVESCU, Note si însemnari zilnice, pp. 73-74, le 19 novembre 1933 (Trad. du roumain). 781 SLAVESCU, Note si însemnari zilnice, p. 74, le 19 novembre 1933 (Trad. du roumain). 782 SLAVESCU, Note si însemnari zilnice, p. 74, le 19 novembre 1933.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 de la mise en vigueur de l’Accord de Genève.783 Sans révéler les intentions des nouveaux dirigeants de Bucarest de le dénoncer, « Dinu » Bratianu demande un nouveau délai pour sa mise en vigueur sous prétexte que les dirigeants de Bucarest avait besoin de temps pour se faire une idée sur la situation effective des finances et de l’économie roumaine.784 Par la même occasion, Bratianu demande la prolongation d’une année du mandat de Roger Auboin. Il convient également de préciser que le voyage de Dinu Bratianu aboutit à un accord avec la Banque de France au sujet de l’envoi à Bucarest d’une commission d’experts pour examiner la capacité de la Roumanie d’assurer le service de sa dette extérieure.

L’assassinat du Premier Ministre Ion Gh. Duca, le 29 décembre 1933, et son remplacement par Gheorghe Tatarescu, à la fois à la tête du gouvernement et du Parti National Libéral, ne modifiera pas l’attitude des dirigeants libéraux à l’égard de l’Accord de Genève. Ainsi, le 5 février 1934, Victor Slavescu, nommé Ministre des Finances, renouvelle les demandes formulées par « Dinu » Bratianu aux dirigeants de la Banque de France en décembre 1933 pour la prolongation de la mission de Roger Auboin. Le représentant de la Roumanie auprès de la Société des Nations, Antoniade, se voit également obiligé de solliciter au Conseil financier de Genève lors de la session de février 1934 un nouveau délai pour l’application de l’Accord en expliquant que le gouvernement Tatarescu avait besoin de temps pour étudier cette question.785

Cependant, le 18 mai 1934, Tatarescu annonce les dirigeants de Genève et de Paris que la Roumanie renonce définitivement à la collaboration technique avec

783 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/8 : Télégramme de Constantin « Dinu » Bratianu à Duca, le 13 décembre 1933. 784 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/8 : Protocole signée par Constantin « Dinu »Bratianu, le 13 décembre 1933. 785 Archives de la SdN, Genève, Journal Officiel, juin 1934. 273

la Société des Nations.786 En juin 1934, le représentant de la Roumanie auprès de la Société des Nations, Antoniade, est chargé par le gouvernement de Bucarest d’annoncer officiellement lors de la soixante-dix-neuvième session du Conseil de la Société des Nations que la Roumanie renonçait à l’application de l’Accord du 28 janvier 1933. « Ceci, déclare Antoniade, ne veut pas dire pourtant qu’il renonce à toute idée de collaboration. Si la nécessité d’une telle collaboration technique avec la Société des Nations se faisait sentir par la suite, le Gouvernement roumain se réserve le droit de présenter une demande à ce sujet. »787 Le principale raison invoquée par Antoniade afin de justifier la décision des dirigeants de Bucarest est le changement du contexte économique et financier par rapport au moment où la Roumanie a effectué sa demande de collaboration avec la Société des Nations en juin 1932 et a signé l’Accord du 28 janvier 1933.

Ainsi, le projet de la Banque de France de se désengager des affaires roumaines en faveur de la Société des Nations échoue devant l’opposition des dirigeants roumains. Les exigences imposées par la Société des Nations en matière de réorganisation financière et la nomination d’un nouveau Conseiller financier sont des conditions que les dirigeants libéraux refusent, encore une fois, d’accepter. Rappelons le refus des frères Bratianu en 1927 de s’adresser à la Société des Nations pour la réalisation du programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie. Les conditions et les méthodes draconiennes utilisées par la Société des Nations en Autriche, en Hongrie et, notamment, en Grèce, ainsi que la crainte de l’ingérence étrangère dans les affaires roumaines avaient détérminé Vintila Bratianu à s’adresser à la Banque de France pour l’organisation de l’emprunt de stabilisation monétaire.

Dans ces circonstances, la Banque de France se voit obligée de continuer seule la gestion des affaires roumaines et de veiller à ce que les dirigeants de

786 Archives de la SdN, Genève, Journal Officiel, 1934, Soixante-dix-neuvième session du Conseil (Première partie), juin 1934, p. 519. 787 Archives de la SdN, Genève, Journal Officiel, 1934, Soixante-dix-neuvième session du Conseil (Première partie), juin 1934, p. 519.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Bucarest respectent, malgré les difficultés économiques et financières, leurs engagements vis-à-vis des créditeurs étrangers du pays et, plus particulièrement, envers les porteurs des emprunts de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie de février 1929 et de mars 1931.

Dès janvier 1933, la capacité de la Roumanie à assurer les fonds nécessaires au service de la dette extérieure et à transférer ces fonds dans les devises de ses créanciers subit le contrecoup des difficultés économiques et financières engendrées par la crise de 1929. La diminution du revenu national, par suite de l’effondrement des prix agricoles sur le marché international, la réduction des recettes de l’Etat et des autres institutions publiques roumaines, l’inefficacité des mesures introduites pour augmenter les revenus de l’Etat, telles que les taxes sur la consommation, sur le luxe et le chiffres d’affaires commencent à se répercuter sur la capacité de paiement de la Roumanie. Dans ces circonstances, l’ajustement du service de la dette publique roumaine aux capacités de paiement et de transfert s’impose comme le seul moyen afin que la Roumanie puisse continuer à assurer ses obligations envers les créditeurs étrangers.

275

CHAPITRE II : L’ATTITUDE DE LA FRANCE FACE AUX DIFFICULTÉS FINANCIÈRES DE LA ROUMANIE ET Á LA POLITIQUE ANTI-SOVIÉTIQUE DES DIRIGEANTS DE BUCAREST

Au début du siècle passé, la Roumanie se situe dans les relations financières internationales, ainsi le souligne Loredana Ureche-Rangau788, parmi les Etats emprunteurs. Le recours des dirigeants de Bucarest aux emprunts étrangers, par suite de la faiblesse de l’épargne nationale, de l’archaïsme et du dysfonctionnement du système de crédit et d’imposition, accroît progressivement la dépendance de l’État roumain du marché économique international car, pour assurer le service de la dette publique extérieure, il est tributaire des exportations de produits agricoles et de matières premières. Les emprunts de stabilisation monétaire et développement économique de la Roumanie de février 1929 et mars 1931 commencent également à alourdir le service de la dette publique extérieure. La crise économique de 1929 qui, touche de plein fouet l’agriculture roumaine, révèle plus intensément les problèmes engendrés par la dépendance du service de la dette des exportations.789 L’effondrement des prix agricoles et des matières premières sur le marché international se répercute immédaitement sur les revenus de l’État roumain et, implicitement, sur sa capacité d’honorer le service de sa dette publique extérieure. Le fait de se procurer les sommes en lei, destinées au règlement de la dette, ainsi que les devises nécessaires au transfert deviendra de plus en plus difficile pour les dirigeants de Bucarest. Le rapport entre l’annuité de la dette publique extérieure et la valeur des exportations enregistre durant l’année 1932 une augmentation de 27,43%, ce qui représente plus que le double par rapport à l’année 1927.790 Le tableau ci-dessous (Tableau XI) nous démontre les difficultés de la Roumanie d’assurer le transfert de l’annuité de la

788 URECHE-RANGAU, Loredana, Dette souveraine en crise : l’expérience des emprunts roumains à la bourse de Paris durant l’entre-deux-guerres, Paris, Sorbonne, 2008, p. 35. 789 MADGEARU, Virgil, La capacité de paiement et la dette publique de la Roumanie, Bucarest, Imp. Nationale, 1933, pp. 7-12. 790 SLAVESCU, Victor, La situation économique de la Roumanie et sa capacité de paiement, Bucarest, Imp. Centrale, 1934, p. 129.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 dette publique extérieure en raison de la diminution de la valeur des exportations, ainsi que de l’accroissement continu des annuités jusqu’en 1932.

Tableau XI: L’annuité de la dette publique extérieure et les exportations roumaines (en millions de lei). Années Annuité de la Exportations Rapport de dette extérieure l’annuité aux exportations 1927 4.279 38.111 11,22

1928 4.012 26.919 14,91

1929 5.392 28.960 18,60

1930 5.032 28.522 17,64

1931 6.090 22.197 27,43

1932 4.776 16.654 28,60

Source : SLAVESCU, Victor, La situation économique de la Roumanie et sa capacité de paiement, Bucarest, Imp. Centrale, 1934, p. 129.

De la lecture de ce tableau, il ressort que les négociations avec les créditeurs étrangers afin d’alléger le service de la dette publique extérieure de la Roumanie deviennent de plus en plus indispensables. La Banque de France en tant que organisatrice des emprunts de février 1929 et mars 1931 sera tenue à mener les pourparlers avec les dirigeants de Bucarest afin de trouver un accord convenable pour tous les créditeurs étrangers en fonction de la capacité de paiement et de transfert de la Roumanie. La mission des dirigeants de la Banque de France sera très difficile en raison de la mauvaise « réputation » acquise par la Roumanie envers ses créanciers étrangers durant les années vingt.791 Selon une note, que nous avons trouvé dans les archives historiques du Crédit Lyonnais, la Roumanie avait à plusieurs reprises manqué ses

791 Sur cette question, voir Archives CL, Paris, DEEF 73305 : Note sur la moralité de la Roumanie, novembre 1931, pp. 1-2 (cette note n’est pas signée). 277

engagements vis-à-vis de ses créanciers étrangers.792 Parmi les plusieurs exemples mentionnés dans cette note, nous évoquons ceux de l’estampillage des titres de diverses sociétés roumaines par l’État roumain en 1919 qui, en raison d’une publicité insuffisante, a porté atteinte aux porteurs anglais et français et de la loi interdisant l’exportation des capitaux de novembre 1922. Quant à l’émission de l’emprunt de mars 1931, cette note souligne le « double jeu » et la mauvaise fois des dirigeants de Bucarest qui, deux mois plus tard, signaient un important accord commercial avec l’Allemagne.

1. La crise de la dette roumaine et les efforts des dirigeants de Bucarest d’obtenir l’allégement des paiements extérieurs durant les années trente

Pays essentiellement agricole et dépendant des exportations de matières premières pour assurer le service de la dette publique, la Roumanie voit dès 1932 sa capacité de paiement et ses possibilités de transfert très réduites. La diminution du revenu national, par suite de l’effondrement des prix agricoles sur le marché international, de la baisse du rendement des différentes catégories d’impôts et de taxes, constitue le point de départ des difficultés de la Roumanie d’assurer ses engagements envers les créditeurs étrangers. Rappelons que malgré les efforts des autorités de Bucarest de compenser la baisse des prix agricoles par une augmentation de 45% du volume des exportations par rapport à l’année 1929, la valeur des produits exportés continuait à baisser chaque année. Selon Victor Slavescu, les pertes subies par l’État roumain durant les années 1930-1933 sont de 74,4 milliards de lei, soit 48% par rapport à 1929.793 Le tableau suivant nous indique l’évolution du revenu national roumain durant les années 1928-1933 (Tableau XII) :

792 Archives CL, Paris, DEEF 73305 : Note sur la moralité de la Roumanie, novembre 1931, pp. 1-2. 793 SLAVESCU, La situation économique de la Roumanie, pp. 121-122.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Tableau XII : Revenu national de la Roumanie, 1928-1933 (en milliards de lei) Années Revenu national Indices 1928 200,9 100

1929 195,9 97,5

1930 144,9 72,5

1931 110,6 55

1932 103,5 51,7

1933 99,3 49,4

Source: SLAVESCU, Victor, La situation économique de la Roumanie et sa capacité de paiement, Bucarest, Imp. Centrale, 1934, p. 61

La comparaison entre le revenu national de la Roumanie l’annuité de la dette publique extérieure de la Roumanie durant les années 1928-1933 met clairement en évidence la majoration à un niveau pratiquement écrasant du ratio entre l’annuité de cette charge et revenu total (Tableau XIII).

Tableau XIII : Le revenu national et la dette publique roumaine, 1928-1933

Années Revenu Indice Annuité Indice Indice de national par extérieure la charge tête d’habitant (milliards de relative lei) 1928 11.546 100 4 100 100

1928 11.105 96 5,4 130 135

1930 8.099 70,1 5,2 130 186

1931 6.086 52,6 6,1 152 289

1932 5.610 48,5 4,8 120 247

1933 5.327 47,8 3,75 93,7 195

Source : SLAVESCU, Victor, La situation économique de la Roumanie et sa capacité de paiement, Bucarest, Imp. Centrale, 1934, pp. 60-61

279

Á la contraction graduelle du revenu national par tête d’habitant depuis 1928 s’ajoute l’accroissement de l’annuité extérieure, ce qui a conduit à la majoration de la charge relative atteigant, en 1931, l’indice de 289. En 1932, par suite de la dépréciation de la livre sterling et de la suspension du paiement des dettes de guerres grâce au moratoire Hoover, le budget est allégé partiellement, l’indice de la charge relative étant réduit à 247 par rapport à l’année 1928.794 La suspension de l’amortissement de l’année 1933, qui diminue le service de la dette publique par rapport aux paiements réels réalisée en 1932, est loin de ramener la dette publique aux proportions normales des années 1928 et 1929, même si, on considère, ainsi que le souligne Victor Slavescu, que le revenu national soit resté invariable, ce qui n’est pas le cas.795 Il convient de préciser que l’allègement relatif à l’année 1933 n’est qu’une décision temporaire.

Aux difficultés de trouver les lei nécessaires pour le paiement de la dette publique s’ajoute les difficultés de transfert. Se procurer les devises dont la Roumanie a besoin pour le service de sa dette publique, qui proviennent notamment de l’excédent de la balance commerciale, devient de plus en plus difficile et préoccupant. Au cours des années 1930-1931, le service de la dette publique roumaine utilise presque l’intégralité du solde positif de la balance commerciale pour le dépasser à partir de 1932 (Tableau XIV).

794 SLAVESCU, La situation économique de la Roumanie, p. 61. 795 SLAVESCU, La situation économique de la Roumanie, p. 61.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Tableau XIV : La balance commerciale et l’annuité de la dette publique extérieure

Années Importatio Exportation Solde de Annuité de Ratio Ratio ns s la balance la dette annuité annuité (millions (millions de commerci publique de la de la de lei) lei) ale extérieure dette/sold dette/ (millions (millions de e b.c. (%) exportati de lei) lei) ons (%) 1928 31 641 27 030 - 4 611 3 805 - 14,08

1929 29 628 28 960 - 668 5 400 - 18,65

1930 23 044 28 522 5 478 5 230 95,47 18,34

1931 15 754 22 197 6 443 6 100 94,68 27,48

1932 12 011 16 723 4 712 4 800 101,87 28,70

1933 11 742 14 171 2 429 3 745 154,18 26,43

Source : MADGEARU, Virgil, La capacité de paiement et la dette publique de la Roumanie, Bucarest, Imp. Nationale, 1933, p. 42.

Dans l’impossibilité de continuer à assurer le service de la dette publique, les dirigeants de Bucarest se voient obligés de demander en décembre 1932 aux créditeurs étrangers l’allégement des paiements extérieurs. Cette demande débouche sur des négociations qui ont lieu à Paris du 15 décembre 1932 au 18 février 1932, date à laquelle la Roumanie obtient une réduction provisoire 1.020 millions de lei. Par la même occasion, les porteurs des titres roumains décident d’envoyer à Bucarest une commission d’experts économiques et financiers afin d’étudier la situation du pays et la question du règlement de la dette publique.Une nouvelle réunion sera fixée pour le 5 septembre 1933 afin d’réexaminer la capacité de paiement et de transfert de la Roumanie sur la base du rapport établi par les experts étrangers.796

796 Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1934 : Lettre de la Légation de Roumanie à Paris à la Banque de Paris et des Pays-Bas, le 21 juillet 1934. 281

Il convient de préciser que les dirigeants roumains demandent des allégements de paiement non seulement aux porteurs de titres de emprunts directs de l’État roumain, mais également aux porteurs des emprunts de la Caisse Autonome des Monopoles du Royaume de Roumanie de février 1929 et de mars 1931. Les porteurs de ces deux emprunts et, notamment, les représentants des banques anglaises Lazard Brothers et Hambros Bank Ltd., signalent aux autorités de Bucarest que les difficultés financières de l’État roumain ne devraient pas affecter le service des emprunts de la Caisse Autonome des Monopoles aussi longtemps que les gages spéciaux réservés à ce service restent suffisants.797 Rappelons que la Caisse Autonomes des Monopoles avait reçue à partir de février 1929 le droit exclusif d’exploiter presque tous les monopoles de la Régie roumaine des Monopoles du tabac et des poudres en échange du paiement d’une somme de 300 millions de dollars.798 À remarque de Kindersely au sujet des moyens financiers de la Caisse Autonome, le Ministre des Finances Madgearu et le Directeur de la Caisse Autonome, Stanescu, répliquent en affirmant que cette institution ne trouve plus, par suite du déclin du commerce extérieur roumain, les mêmes possibilités qu’avant le déclenchement de la crise de 1929 pour constituer en devises les provisions nécessaires au service de ses emprunts de stabilisation monétaire et de développement économique. En continuant à assurer ce service comme auparavant, la Caisse Autonome des Monopoles risquera de mettre en danger la stabilité monétaire de la Roumanie. Le tableau suivant nous permet de démontrer le rapport entre les recettes brutes de la Caisse Autonomes des Monopoles et des autres régies autonomes et le versement de leurs excédents à l’État roumain durant les années 1930 - 1933 (Tableau XV).

797 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Paris, Vol. 963 : Note sur les emprunts de la Caisse Autonome des Monopoles rédigée par la Robert Kindersley, le 21 décembre 1933. 798 Nous rappelons que le monopole des allumettes et des routesa été accordé au groupe suédois d’Ivar Kreuger & Toll en échange d’un montant de 40 millions de dollars, ce qui représente, en effet, la participation de Kreuger aux emprunts de février 1929 et de mars 1931.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Tableau XV : Recettes et dépenses de la Caisse Autonome des Monopoles du Royaume de Roumanie et des autres Régies autonomes Années Total des Excédents Excédents Pourcentage Pourcentage excédents versés par versés par par rapport par rapport CAM les autres au total au total Régies CAM Autres Régies 1930 6.583.117 4.919.345 1.663.772 74,73 25,27

1931 4.666.856 3.970.490 696.366 85,08 14,92

1932 4.171.822 3.501.962 669.860 83,94 16,06

1933 4.940.257 4.181.059 759.198 84,63 15,37

SLAVESCU, Victor, La situation économique de la Roumanie et sa capacité de paiement, Bucarest, Imp. Centrale, 1934, p. 82.

Il apparaît, ainsi, que par rapport au montant total des excédents versés à l’État, la participation de la Caisse Autonome est beaucoup plus élevée que celles des autres Régies, dont les contributions durant les années 1930-1933 sont de plus en plus restreintes. Selon Victor Slavescu, ce résultat est principalement dû à la gestion efficace de la Caisse Autonome qui, a réussit, non seulement à limiter la baisse de ses recettes brutes, mais également à diminuer au maximum les frais de régie, de manière à donner un excédent plus élevé par rapport à ses recettes.799

Face à la demande des dirigeants roumains d’réexaminer les possibilités d’allègement du service des emprunts de la Caisse Autonome des Monopoles, les représentants des porteurs des emprunts de 1929 et de 1931 acceptent de traiter cette question lors de la réunion prévue pour le 5 septembre 1933. Toutefois, le 6 juillet 1933, l’Association des porteurs des emprunts roumains et les agents financiers des emprunts de la Caisse Autonome des Monopoles sont informés par le gouvernement de Bucarest des difficultés d’effectuer le transfert des sommes que la Roumanie devait payer aux créanciers étrangers. Afin de trouver une solution à ce problème très préoccupant, les autorités roumaines

799 SLAVESCU, La situation économique de la Roumanie, p. 81. 283

réclament une réunion d’urgence à Paris avant le 15 août 1933, date à laquelle la Roumanie devait réaliser le paiement des annuités pour l’emprunt de mars 1931.800 Mais, face aux hésitations des créditeurs étrangers de rencontrer les dirigeants de Bucarest avant le mois de septembre, le gouvernement Vaida- Voevod annonce le 15 août 1933, à la surprise générale, la suspension du transfert des sommes dues par la Roumanie aux créanciers étrangers. En agissant de cette manière, les dirigeants de Bucarest cherchent, d’une part, à attirer l’attention internationale sur la nécessité de donner à la Roumanie de nouvelles facilités commerciales, afin de lui rendre possible le transfert du service, et, d’autre part, à faire pression sur les porteurs de la rente roumaine pour avancer les négociations.801

Cette décision provoque immédiatement la réaction des porteurs de titres roumains et, plus particulièrement, celle des banques anglaises qui, ont souscrit l’emprunt de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie de février 1929. Dans une lettre adressée au gouvernement roumain, Robert Kindersley, associé de la maison Lazard Brothers et également porte- parole de la Hambros Bank Ltd dans les affaires roumaines, reproche aux dirigeants de Bucarest de ne plus respecter les engagements pris avant l’émission de l’emprunt de stabilisation monétaire qui, retirent à cet emprunt sa « situation spéciale » par rapports aux autres emprunts contractés par la Roumanie.802 Rappelons que, par la création de la Caisse Autonome des Monopoles, le service de l’emprunt de stabilisation monétaire était entièrement placé en dehors de la situation budgétaire de la Roumanie car il était basé sur des gages spéciaux. Sans ces engagements, ainsi que le rappelle Kindersely, les banques anglaises n’auraient jamais accepté de participer à cette émission.

800 DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României si împrumuturile contractate 1823-1933, Bucuresti, Universul, 1933, pp. 1021- 1022. 801 DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, p. 1022. 802 Archives MAERO, Bucarest, Fonds Paris, Vol. 963 : Note sur les emprunts de la Caisse Autonome des Monopoles rédigée par la Robert Kindersley, le 21 décembre 1933, pp. 1-3.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Afin de protéger les détenteurs britanniques de ces titres, ainsi que la réputation de Lazard Brothers et de Hambros Bank Ltd, Robert Kindersely explique au gouvernement roumain qu’il ne peut pas accepter ses propositions visant l’allégement du service de l’emprunt de 1929 et lui demande de respecter entièrement les engagements pris à ce sujet.803

La suspension du transfert provoque également les réactions de la presse roumaine qui reproche au gouvernement Vaida-Voevod d’affaiblir le crédit international de la Roumanie.804 La décision unilatérale et arbitraire prise par le gouvernement de Bucarest est également condamnée Roger Auboin qui, rappelle que la consultation avec les représentants des porteurs des titres roumain est, en vertu, des engagements de 1929 et de 1931, obligatoire. Dans le Mémorandum sur la capacité de paiement et la dette publique de la Roumanie805, établit et présenté aux créditeurs étrangers par les dirigeants roumains, le Ministre des Finances Virgil Madgearu insiste sur les difficultés économiques et financières du pays et sur l’impossibilité de continuer à honorer le service de la dette publique extérieure.806 Madgearu reconnaît que la mesure de suspension du transfert a pu surprendre et mécontenter les créditeurs étrangers, mais il réprouve les reproches faits au gouvernement roumain d’avoir pris une décision sans les consulter. « J’ai été obligé de prendre cette mesure et j’ai tous les preuves pour justifier sa nécessité»807, notait Madgearu dans les conclusions de son Mémorandum. Le déficit de la balance commerciale, les dépenses élevées de l’État roumain et le manque de devises étrangères ne constituent que quelques arguments invoqués par le Ministre des Finances. « Ces faits, se justifie Madgearu, plaident en faveur d’un aménagement de caractère permanent des dettes extérieures des Etats agricoles. Nous savons

803 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Paris, Vol. 963 : Note sur les emprunts de la Caisse Autonome des Monopoles rédigée par la Robert Kindersley, le 21 décembre 1933, p. 3. 804 SLAVESCU, Note si însemnari zilnice. 805 MADGEARU, La capacité de paiement et la dette publique. 806 MADGEARU, La capacité de paiement et la dette publique, pp. 50-52. 807 Cité par DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, p. 1024. 285

que ce point de vue n’a pas été adopté à la Conférence monétaire et économique de Londres, où les représentants des pays créanciers se sont prononcés en faveur d’un aménagement temporaire. De pareils arrangements provisoires sont incapables de faciliter l’œuvre de redressement économique et financier d’un pays agricole, tels que la Roumanie.»808

Malgré ses explications et ses arguments, Virgil Madgearu ne réussit pas à apaiser le mécontentement des porteurs de titres roumains qui, tout en admettant les difficultés financières de la Roumanie, désapprouvent la méthode utilisée par les dirigeants de Bucarest pour attirer l’attention de l’opinion publique internationale.

En signe de protestation, ils font savoir aux dirigeants roumains leur refus de participer à la réunion du 5 septembre 1933 et lient toutes nouvelles négociations à la mise en vigueur de l’Accord de collaboration avec la Société des Nations. La réunion du 5 septembre 1933 est, donc, annulée. Afin de transmettre leurs revendications et leurs conditions au gouvernement roumain, les créditeurs étrangers décident de rencontrer à Paris Virgil Madgearu le 11 septembre 1933. Pour manifester son désaccord, le Ministre roumain des Finances annonce immédiatement son intention de s’opposer à la décision des représentants des porteurs des titres roumains de subordonner les négociations à l’installation des experts de Genève à Bucarest en affirmant que la Banque Nationale était déjà sous la surveillance de Auboin que cela devra être suffisant comme garantie. Selon Madgearu, cette exigence constituait une violation des décisions prises par la Conférence de Londres qui, interdissait d’imposer toute condition avant le commencement des négociations. Par la même occasion, Madgearu reproche à Roger Auboin d’avoir fournit un rapport erroné sur la situation économique et financière de la Roumanie car il démontrait que le pays disposait de ressources suffisantes pour faire face à ses engagements, alors que ce n’était pas le cas.

808 MADGEARU, La capacité de paiement et la dette publique, p. 52.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Le 26 octobre 1933, lors d’une nouvelle réunion organisée à Paris, Virgil Madgearu obtient finalement le réaménagement de la dette publique roumaine. En contrepartie, le gouvernement de Bucarest s’engage à ouvrir de nouvelles négociations avec les représentants des porteurs des emprunts roumains dans la première quinzaine du mois de janvier 1934. La chute du gouvernement national-paysan de Alexandru Vaida-Voevod le 14 novembre 1933 et son remplacement par un gouvernement libéral retardera de quelques semaines la nouvelle rencontre avec les créditeurs étrangers.

Le 13 décembre 1933, le nouveau Ministre roumain des Finances, « Dinu » Bratianu, se rend à Paris afin de rediscuter avec les créditeurs étrangers l’allégement du service de la dette extérieure roumaine. A cette occasion, Bratianu confirme son accord, d’une part, d’assurer les paiements de 25% et de 50% jusqu’au 31 mars 1934 et, d’autre part, de maintenir les négociations pour 15 janvier 1934, ainsi qu’il avait été décidé le 26 octobre 1933.809 Afin de bien préparer ces négociations, « Dinu » Bratianu demande l’envoi en Roumanie d’une commission d’experts financiers et économiques afin d’étudier sur place la situation du pays. L’assassinat de Ion Gh. Duca, le 29 décembre 1933 et le remplacement de « Dinu Bratianu » par Victor Slavescu à la tête des Finances ajournent l’envoi de cette commission à Bucarest. Cette dernière, composée de François Richard, Hall-Patch et Gijsbert W. Bruins, sera finalement reçue par les autorités roumaines le 20 février 1934. Sa mission sera facilitée par la collaboration avec Auboin et les autres experts français travaillant auprès le Ministère roumain des Finances, Marquis et Picharles.

Le premier constat du rapport établi par cette commission est qu’il ya une très grande disparité entre les moyens d’action dont dispose le gouvernement roumain et ceux qui seraient nécessaires pour obtenir les résultats convenables. A cela s’ajoutent la désorganisation des finances roumaines en raison des engagements irréguliers, les évaluations de recettes excessives, les méthodes

809 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/8 : Protocole signé par Dinu Bratianu le 13 décembre 1933, p.1. 287

défectueuses de perception des impôts, etc.810 En ce qui concerne le budget pour l’année 1933-1934, la commission constate un déficit de trois milliards de lei, compte tenu des engagements irréguliers qui, ont étaient effectués par les dirigeants roumains.811 Si les recettes de l’État roumain ne pourront pas être augmentées pour l’année 1934-1935, la commision estime possible l’introduction de nouveaux impôts indirects sur l’alcool et le chiffre d’affaires, dont les tarifs sont généralement inférieures à ceux pratiqués par les autres pays qui ont la même structure économique que la Roumanie.812 De cette manière, la Roumanie couvrira une partie de son déficit budgétaire car, selon les membres de cette commission, les nouveaux impôts pourront lui apporter deux, voire deux milliards de demi de lei. Afin que la Roumanie puisse réaliser son équilibre budgétaire pour 1934-1935, les Experts concluent à un nouvel allègement de la charge de la dette de l’ordre d’un milliard de lei. La charge de la dette sera, ainsi, réduite à 2.400 millions de lei pour l’exercice 1934-1935.813 Une fois que le déficit budgétaire sera comblé, par suite de l’introduction de nouveaux impôts, la charge de la dette devra être réévaluée. Quant à la capacité de transfert, les Experts établissent également une réduction d’au moins 500 millions de lei par rapport à l’année budgétaire 1933-1934.814

Le 24 juillet 1934, le Ministre des Finances Victor Slavescu réussit à conclure avec les créanciers de la Roumanie un nouvel accord sur les modalités de reprise du service des emprunts directs de l’État roumain, ainsi que ceux de la

810 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006 /4 : Le Rapport de la commission des Experts sur la situation financière de la Roumanie, le 29 mars 1934, pp. 1-15. 811 L’année budgétaire roumaine s’achève le 31 mars. La nouvelle année commence le 1er avril. 812 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006 /4: Le Rapport de la commission des Experts sur la situation financière de la Roumanie, le 29 mars 1934, p. 11. 813 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006 /4: Le Rapport de la commission des Experts sur la situation financière de la Roumanie, le 29 mars 1934, p. 11. 814 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006 /4: Le Rapport de la commission des Experts sur la situation financière de la Roumanie, le 29 mars 1934, p. 14.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Caisse Autonomes des Monopoles.815 Cet accord prévoit la suspension pour une durée de trois ans de l’amortissement de la plupart des emprunts roumains. Le service des emprunts de la Caisse Autonome des Monopoles est assuré sur la base de l’Accord Slavescu qui envisage les allégements suivants pour les échéances comprises entre le 1er août 1934 et le 1er février 1937 (Tableau XVI).

Tableau XVI : Accord Slavescu sur le service de la dette extérieure roumaine, août 1934 - février 1937 Accord Amortissement Coupons 24 juillet Suspendus jusqu’au 1er Paiements en espèces à l’échéance 1933 octobre 1936 pour l’emprunt de 1929 et jusqu’au 1er mars 1937 Emprunt de 7% de 1929 pour l’emprunt de 1931. 1er août 1934 - 1er février 1935 : 50% 1er août 1935 - 1er février 1936 : 53% 1er août 1936 - 1er février 1937 : 55%

Emprunt de 7,5% de 1931

1er avril 1934 - 1er octobre 1934 : 50% 1er avril 1935 - 1er octobre 1935 : 53% 1er avril 1936 - 1er octobre 1936 : 55%

Sources: URECHE-RANGAU, Loredana, Dette souveraine en crise : L’expérience des emprunts roumains à la bourse de Paris durant l’entre-deux- guerres, Paris, Publications de la Sorbonne, 2008, p. 41 et Archives de la BNR, Fonds Secretariat, Année 1934 : Lettre de la Caisse Autonome des Monopoles à la Banque Nationale de Roumanie, le 31 juillet 1934.

Le tableau ci-dessous nous indique le montant total des allégements de la dette extérieure roumaine par suite de la conclusion de l’Accord Slavescu (Tableau XVII).

815 Archives de la BNR, Fonds Secretariat, Année 1934: Lettre de la Caisse Autonome des Monopoles à la Banque Nationale de Roumanie, le 31 juillet 1934.

289

Tableau XVII : Le montant des allégements de la dette extérieure roumaine

Service des Service des Montant de emprunts avant emprunts après l’allégement l’Accord l’Accord Slavescu Slavescu Emprunts 156 615 258,01 51 817 091, 92 104 798 166,10 extérieurs directs de l’Etat roumain

Emprunts de la Caisse Autonome 478 015 280,24 258 894 000,6 219 121 279,56 des Monopoles

Total 634 630 538,25 310 711 092,61 323 919 445,65

Source: URECHE-RANGAU, Loredana, Dette souveraine en crise : L’expérience des emprunts roumains à la bourse de Paris durant l’entre-deux- guerres, Paris, Publications de la Sorbonne, 2008, p. 42.

Par suite des difficultés de transfert, la Roumanie suspendra en août 1935 une nouvelle fois ses paiements à l’étranger. Après cette date, chaque pays créancier doit négocier directement avec la Roumanie afin de régulariser sa situation. Ainsi, le 7 février 1936, la Roumanie signe un accord avec la France qui prévoit la reprise des paiements en juin 1936, grâce aux facilités accordées aux exportations en France et à l’acquisition par un groupe français des trois quarts des redevances pétrolières revenant au gouvernement roumain. Malgré la réduction des difficultés des transferts, par suite des accords commerciaux avec la France, la Roumanie engage dès octobre 1936 de nouvelles négociations visant la prolongation de l’accord du 24 juillet 1934 qui arrive à échéance le 31 mars 1937. Ces négociations arrivent à un nouvel accord, le 1er mars 1937, applicable à tous les emprunts roumains émis sur le marché français.

Le dernier rapport publié le 1er février 1935 par Roger Auboin avant son départ de Roumanie nous donne un ultime aperçu de la situation financière et

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 monétaire de la Roumanie.816 Dans ce rapport, Auboin met en évidence, ainsi que Rist l’avait fait en mai 1932, la désorganisation des finances roumaines et l’inefficacité des mesures prises par les dirigeants roumains pour le redressement du pays. L’application partielle, voire l’ajournement, des mesures recommandées aux dirigeants roumains depuis 1932, l’augmentation des dépenses et des engagements hors budget, malgré les restrictions administratives et la pénurie des devises, ne représentent que quelques causes qui sont à l’origine des difficultés économiques, financières et monétaires de la Roumanie. À titre d’exemple, le budget de l’exercice 1933-1934 s’est soldé avec un déficit de 3 millions de lei.817 Pour l’année 1934-1935, les recettes sont fixées à 20.451.000 millions de lei, alors que les recettes réelles de l’année précédente n’ont été que de 18.364.100 millions de lei, soit une augmentation de 2.088.000 millions de lei. Or, le gouvernement roumain n’avait pris aucune mesure afin de justifier cette augmentation.818 Quant aux dépenses, elles augmentent de 3 millions de lei par rapport à l’année 1933-1934.

Dans ses conclusions, Roger Auboin recommande encore une fois la réforme du système financier depuis l’établissement du budget et jusqu’aux méthodes de perception de l’impôt, mesures qui permettront à la Roumanie de s’adapter aux nouvelles conditions économiques et financières internationales. « Les mesures qui s’imposaient en mai 1932, souligne Auboin, s’imposent toujours, mais seulement d’une manière plus pressante encore. »819 La première mesure à prendre par les dirigeants roumains est celle de maintenir le total des dépenses, autres que le service de la dette, au niveau des dépenses réelles de 1932-1933

816 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/4 : Roger Auboin, Rapport annuel sur la situation financière et monétaire de la Roumanie, février 1935, 817 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/4 : Roger Auboin, Rapport annuel sur la situation financière et monétaire de la Roumanie, février 1935, p. 9. 818 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/4 : Roger Auboin, Rapport annuel sur la situation financière et monétaire de la Roumanie, février 1935. 819 Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No. 1370200006/4 : Roger Auboin, Rapport annuel sur la situation financière et monétaire de la Roumanie, février 1935. 291

et de 1933-1934, au-dessous de 15 milliards de lei par an. Pour Auboin, cette mesure est entièrement possible, sans trop de sacrifices, à condition que les dirigeants de Bucarest acceptent de renoncer aux augmentations injustifiées de personnel et de dépenses d’investissement. La deuxième mesure, préconisée par Auboin, concerne l’augmentation et l’extension de l’assiette fiscale sur le chiffre d’affaires, dont le taux est très bas en Roumanie par rapport aux autres pays. Cette mesure vise, notamment, la réforme du régime de l’alcool qui est soumis à des taxes de 2 à 5 fois plus faibles que celles qui sont pratiquées à l’étranger. Les mesures recommandées par Auboin aux dirigeants roumains seront inefficaces si elles ne constitueront pas ensemble cohérent dont l’application soit poursuivie avec ténacité jusqu’à l’obtention des résultats satisfaisants.

Le rapport de Roger Auboin représente, ainsi, un réquisitoire très sévère contre les dirigeants roumains qui n’ont pas respecté les engagements pris en février 1929 envers les créditeurs étrangers et la Banque de France. Après la publication de ce rapport le 1er février 1935, le Ministre roumain des Finances Victor Slavescu décide de présenter sa démission du gouvernement Tatarescu.820

2. Les efforts du Quai d’Orsay de maintenir la Roumanie dans la sphère d’influence française

La nouvelle configuration des relations diplomatiques internationales au début des années trente, par suite du retour sur le devant de la scène internationale de l’Allemagne et de la Russie soviétique, annonce le changement de l’ordre politique

820 Durant la période 1er février 1935 - 1er février 1939 Victor Slavescu remplit les fonctions de Directeur de la Société Nationale de Crédit Industriel. Du 1er février 1939 au 4 juillet 1940, il est nommé Ministre de Guerre. Après cette date, il se consacrera entièrement à son activité d’enseignant à l’Académie de Sciences économiques et commerciales jusqu’en 1947 quand le Parti Communiste l’obligera à quitter ce poste.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 définie par les Traité de Paix de 1919-1920. La diplomatie française, hantée par la renaissance du danger allemand, décide de rédéfinir sa politique étrangère envers l’U.R.S.S. et, implicitement, envers ses alliés d’Europe centrale en appuyant un rapprochement avec Moscou afin de créer une nouvelle force de dissuasion contre les éventuelles visées expansionnistes des dirigeants de Berlin. Pour le Quai d’Orsay, l’intégration de la Russie soviétique dans le système d’alliance politique et militaire établi en Europe centrale permettra à la France d’assurer la défense du statu quo post bellum et de renforcer la résistance de ses alliés centre-européens (la Pologne, la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie) à l’expansionnisme allemand dans cette région.

De par leur position géo-stratégique et leurs préoccupations communes à l’égard de la Russie soviétique, la Pologne et la Roumanie sont appelées à jouer un rôle important dans le nouveau système d’alliance, envisagé par la diplomatie française dès 1932. De force de dissuasion contre l’U.R.S.S. durant les années vingt, ces deux États centre-européens se voient attribuer par l’allié français un nouvel rôle de protection contre le danger allemand, ainsi que celui de pont stratégique pour l’Armée Rouge dans l’éventualité d’un conflit avec l’Allemagne. Rappelons que la Roumanie et la Pologne sont liées depuis le 3 mars 1921 par une convention militaire défensive, dirigée contre les revendications territoriales de l’Union soviétique.821 Cette convention a été renouvelée à deux reprises, le 26 mars 1926 et, respectivement, le 15 janvier 1931.

Si jusqu’au début des années trente, la Russie soviétique représentait la principale menace à la fois pour la Pologne et la Roumanie, en raison des divergences territoriales, la situation se modifie dès 1933, par suite des changements politiques survenus à Berlin. À la différence des dirigeants de Bucarest, les dirigeants de Varsovie sont de plus en plus préoccupés par le retour de l’Allemagne sur la scène internationale en raison des éventuelles revendications territoriales des nouveaux dirigeants de Berlin sur le corridor de

821 Cf. SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, pp. 146-150. 293

Dantzig. Au croisement des préoccupations défensives de la France, la Pologne accueille avec satisfaction les nouvelles considérations politiques des dirigeants de Quai d’Orsay en décidant de soutenir également le rapprochement avec la Russie soviétique. Le 25 juillet 1932, le rapprochement polono-russe aboutit à la signature à Moscou d’un pacte de non-agression entre les deux pays.822 Paris signe à son tour avec les dirigeants soviétiques un pacte de non agression le 29 novembre 1932, ratifié par le Parlement français en mai 1933.

Si à Varsovie la politique de rapprochement avec l’Union soviétique fait l’unanimité, il en est autrement à Bucarest. Préoccupés par la question de la Bessarabie, dont l’union avec la Roumanie n’a pas été reconnue par les dirigeants soviétiques, les autorités de Bucarest manifestent immédiatement leur réticence face à un éventuel rapprochement avec Moscou. En l’absence de toute divergence territoriale avec l’Allemagne, les dirigeants de Bucarest refusent d’envisager la réorientation de leur politique étrangère vers la Russie soviétique.823 D’emblée, ce refus provoque le mécontentement et les réactions de la France et de la Pologne qui, réclament la modification de la politique soviétique des dirigeants de Bucarest, ainsi que la reprise immédiate des relations diplomatiques avec Moscou. Les autorités polonaises, ainsi que le souligne Frédéric Dessberg824, se sont même proposées comme médiateur pour la conclusion d’un pacte de non-agression roumano-soviétique.825 Mais, l’exigence des dirigeants de Bucarest de subordonner les négociations à la reconnaissance de l’union et de l’intégration de la Bessarabie dans la Roumanie par les dirigeants soviétiques détermine la Pologne à renoncer à son rôle de médiateur surtout que les autorités soviétiques ont déjà annoncé leur refus de lier la question de la Bessarabie à la conclusion de tout accord avec la

822 Cf. DESSBERG, Frédéric, « La Roumanie et la Pologne dans la politique soviétique de la France : la difficulté d’établir en « front uni » », in Revue historique des armées, No. 244, 2006, pp. 60-72. 823 SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, pp. 340-345. 824 DESSBERG, « La Roumanie et la Pologne dans la politique soviétique de la France : la difficulté d’établir en « front uni » ». 825 Cf. DESSBERG, « La Roumanie et la Pologne dans la politique soviétique de la France : la difficulté d’établir en "front uni" », pp. 60-72.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Roumanie. L’intransigeance des dirigeants roumains provoque l’indignation des dirigeants de Varsovie qui les accusent de s’éloigner des principes et des intérêts qui les unissent depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Les propos tenus le 26 juin 1934 au Ministre français de Vienne, par Gavronsky, Chargé d’Affaires de Pologne à Vienne sont illustratifs à ce sujet : « J’admets encore que la Yougoslavie vous soit dans une certaine mesures utile pour votre politique italienne. Mais la Roumanie ? Elle vous a déjà coûté assez cher comme alliée de la guerre et de la paix. »826

Dès l’été 1932, le Quai d’Orsay reprend en quelque sorte l’initiative de la Pologne d’encourager les dirigeants de Bucarest à signer un accord avec Moscou. Sous les pressions de la diplomatie française, les dirigeants roumains acceptent d’entamer des discussions avec les dirigeants soviétiques, mais ils continuent à exiger la reconnaissance de la Bessarabie comme territoire appartenant à la Roumanie. Or, cette condition laisse déjà entrevoir les difficultés pour arriver à la signature d’un accord entre les deux. Sans obtenir suffisamment de garanties concernant le statut de la Bessarabie, les dirigeants de Bucarest décident de tergiverser les négociations. La question reste néanmoins pendante durant les années 1932-1933.

Tout en précisant qu’ils restent favorables au rapprochement avec l’Union soviétique, les dirigeants roumains décident d’adopter une politique de diversification d’appuis occidentaux. La déclaration faite par les dirigeants roumains en septembre 1931 illustre bien l’objectif et les principes de cette politique de diversification d’appuis occidentaux adoptée par Bucarest dans le contexte du retour sur la scène internationale de l’Union soviétique et de l’Allemagne. « La Roumanie, déclarent les dirigeants de Bucarest, ne peut avoir quelque soit son régime qu’une seule politique extérieure : celle qui lui garantie ses frontières, payées avec tant de sang. »827 Or, dans le contexte actuel, la

826 Archives du MAEF, Paris, Direction Politique et Commerciale, Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Propos tenus le 26 juin 1934 par le Chargé d’Affaires de Pologne à Vienne. 827 Archives du CL, Paris, DEEF 73305 : Roumanie, situation économique et financière, septembre 1931. 295

seule puissance qui, pourrait assurer à la Roumanie non seulement ses frontières orientales avec l’U.R.S.S., mais aussi son relèvement économique est l’Allemagne.

Les nouvelles prérogatives de la politique roumaine commencent à illustrer, ainsi que le démontre Sandu, le décalage qui se creuse entre la Roumanie et la France pour des raisons politiques et économiques.828 Certes, la France détient encore « l’arme financière », mais son pouvoir commence à affaiblir, par suite de l’absence des mesures pour résoudre les difficultés économiques et financières éprouvées par la Roumanie dans le contexte de la crise de 1929. En remplaçant Gabriel Puaux par André Lefèrve d’Ormesson, chargé d’affaires à Munich, à la tête de la représentation diplomatique française en Roumanie le 1er mai 1933, le Quai d’Orsay montre sa préoccupation pour la Roumanie qu’il souhaite empêcher de se tourner politiquement et économiquement vers l’Allemagne. Selon Grigore Gafencu, Ormesson et toute la diplomatie française auraient également joué un rôle très important dans le retour au pouvoir du Parti National Libéral le 14 novembre 1933.829 Cette hypothèse est également confirmée par Victr Slavescu qui décrit dans son Journal le voyage effectué à Paris par les membres dirigeants de cette formation politique du 23 octobre au 8 novembre 1931, afin de s’assurer du soutien de la France dans l’éventualité de leur retour au pouvoir.830 Dans sa « lutte » contre l’expansion allemande en Roumanie et en Europe Centrale, le Quai d’Orsay peut aussi compter sur Nicolae Titulescu, nommé Ministre des Affaires Etrangères du 10 octobre 1932 au 29 août 1936. Décrit par Ormesson comme « partisan d’un rapprochement répondant à la situation géographique de son pays, comme aux nécessités

828 Cf. SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 404. 829 GAFENCU, Insemnari politice, 1929-1939, p. 312. 830 SLAVESCU, Note si însemnari zilnice, pp. 56-62.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 politiques »831, Titulescu est, à la différence de la majorité des membres du gouvernement roumain, favorable au rapprochement avec l’Union Soviétique.832

Ainsi, le 9 juin 1934, Titulescu réussit, malgré l’opposition et les critiques des dirigeants de Bucarest, à conclure avec les dirigeants de Moscou un accord diplomatique pour la reprise des relations entre les deux pays. L’aspect le plus remarquable de cet accord est qu’il ne fait aucune référence au statut de la Bessarabie. La question de l’intégration de cette province dans la Roumanie reste donc ouverte. La seule chose obtenue par Titulescu est l’engagement des dirigeants soviétiques à restituer à la Roumanie tout le trésor, déposé à Moscou en février 1917 par le gouvernement et la Banque Nationale de Roumanie, par suite de l’occupation d’une partie du territoire roumain par les armées austro- allemandes.833 Toutefois, la promesse n’est pas tenue par les dirigeants soviétiques car ils ne restitueront qu’un mètre étalon en platine, les cendres du prince moldave Dimitri Cantemir, restées en Russie depuis deux siècles, et 1.435 caisses d’archives qui contenaient des titres de propriété, rendus inutiles par la réforme agraire.834 Quant aux réclamations de la Banque Nationale de Roumanie qui, souhaitait récupérer les 314.580.456 millions de lei-or, représentant en 1917 son encaisse métallique, les dirigeants soviétiques expriment leur refus d’entrer en matière.

831 Archives MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et commerciales, Série Z, Europe/Roumanie , No. 179 : Télégramme de Ormesson au Quai d’Orsay, le 16 novembre 1935, no. 451. 832 Nicolae Titulescu se distingue aussi par ses efforts de consolider la Petite Entente en tant qu’alliance défensive, dont le principal objectif restait, ainsi qu’il le soulignait, la sauvegarde de la paix en Europe. Par ailleurs, il participe au cours de l’hiver 1933-1934 aux négociations pour la création d’une nouvelle alliance régionale entre les pays balkaniques afin d’assurer la défense de cette région contre toute éventuelle remise en question de l’ordre international établi en 1919-1920. 833 Sur les objets et les valeurs, ainsi que l’encaisse métallique de la Banque Nationale de Roumanie, déposés par les autorités roumaines à Moscou en février 1917, voir MANOLIU, Florin Emil, La reconstruction économique et financière de la Roumanie et les partis politiques, Paris, Librairie Universitaire J. Gamber, 1931, pp. 87-89. 834 PROST, Destin de la Roumanie, p. 91. 297

Dans ces circonstances, la politique menée par Nicolae Titulescu provoque à Bucarest de fortes réactions étant accusé de poursuivre une politique « personnelle », en contradiction avec les intérêts de l’État roumain. Loin de Bucarest car, ainsi que le note Henri Prost, Titulescu évite de séjourner en Roumanie depuis l’assassinat de Ion Gh. Duca, il adopte une politique de coopération internationale, fortement inspirée par les principes de la Société des Nations, mais qui ne représente pas les intérêts de la Roumanie. Quelques années plus tard, le 27 juillet 1937, le roi Carol II s’exprimera sur la politique de Titulescu dans ces termes : « Jamais celui-ci ne reviendra aux affaires tant que j’exercerai une influence véritable sur la politique de mon pays. »835 De par sa politique, Nicolae Titulescu réussit également à indisposer les dirigeants de Berlin. En reprochant au gouvernement de Bucarest de mener une politique hostile à l’égard de l’Allemagne, les dirigeants de Berlin menacent à plusieurs reprises durant 1933 d’arrêter toutes les importations de produits agricoles roumains jusqu’à ce que la Roumanie fera preuve de sa bienveillance envers son principal client commercial.

Il apparaît ainsi que la politique de diversification d’appuis occidentaux menée par la Roumanie ne laisse guère indifférents les dirigeants allemands et que le renforcement des liens commerciaux avec l’Allemagne dépendra du changement des relations politiques et diplomatiques entre les deux pays.836

Les efforts de l’Allemagne de renforcer le rapprochement avec les pays centre- européens incitent la diplomatie française à envoyer une mission diplomatique en mai - juin 1934 en Pologne et dans les États de la Petite Entente.837 Cette mission, dirigée par le Ministre des Affaires Étrangères Louis Barthou, démontre que la France n’entend pas rester inactive dans cette région du Vieux Continent

835 Cf. CARMI, Ozer, La Grande-Bretagne et la Petite Entente, Genève, I.U.H.E.I., 1977, p. 330. 836 Nous allons aborder la question des relations roumano-allemandes dans le troisième chapitre de cette partie. 837 Sur la mission de Louis Barthou en Pologne et en Tchécoslovaquie, voir WANDYCZ, Piotr S., The Twilight of French Eastern Alliances, 1926-1936. French-Czechoslovak-Polish Relations from Locarno to the Remilitarization of the Rhineland, New Jeresy, Princeton, 1988, pp. 336-371.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 qui est de nouveau convoitée par l’Allemagne. Les dirigeants de Paris expriment ainsi leur volonté de défendre les intérêts et l’influence acquise par la France en Europe centrale durant les années vingt en apportant un argument de poids : « Quiconque voudrait prendre un centimètre carré de votre territoire se heurterait à votre résistance. Mais votre résistance ne serait pas seule : vous avez la voix, l’appui et le cœur de la France. »838 Les étapes du « voyage diplomatique », organisé par le Quai d’Orsay sont par ordre chronologique Varsovie (22 - 25 avril 1934), Prague (26 - 27 avril 1934, Bucarest (19 - 23 juin 1934) et Belgrade (24 - 26 juin 1934). Par ce voyage Barthou cherche à resserrer le système d’alliance avec les États centre-européens afin de réaliser une « collaboration européenne » dans le cadre de la Société des Nations.839

À Bucarest, Barthou rencontre les dirigeants du gouvernement roumain et, plus particulièrement, le Ministre des Affaires Etrangères Nicolae Titulescu et le Président du Conseil Gheorghe Tatarescu. Dans ses discussions avec les dirigeants roumains, il insiste sur la nécessité de défendre les Traités de Paix de 1919-1920 et de poursuivre la restauration économique du bassin danubien « sans abdiquer devant une suprématie ni devant aucune hégémonie. »840 Aux yeux des dirigeants de Paris, le développement du commerce roumano- allemand apparaît comme une faiblesse de la part du gouvernement roumain qui, sans se rendre compte, s’incline devant l’Allemagne. La visite de Louis Barthou à Bucarest provoque immédiatement dans la presse allemande toute une série de commentaires visant à dénoncer la politique provocatrice menée par la France dans les États de la Petite Entente à l’égard de l’Allemagne. « Un vent qui vient de Paris, déclare la Gazette de la Bourse, gonfle de nouveau les voiles de la Petite Entente. Celle-ci recommence à se conformer point par point

838 Archives du MAEF, Direction Politique et Commerciale, Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Discours de Barthou devant le Parlement roumain, le 21 juin 1934. 839 Cf. DESSBERG, Frédéric, Le triangle impossible. Les relations franco- soviétiques et le facteur polonais dans les questions de sécurité en Europe (1924-1935), Bruxelles, Peter Lang, 2009, p. 341. 840 Archives du MAEF, Direction Politique et Commerciale, Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Discours prononcé à Bucarest par Barthou, le 20 juin 1934. 299

aux instructions de la France. »841 Le journal allemand reproche aux dirigeants de Paris de vouloir maintenir les blocs rivaux, crées à l’issue de la Première Guerre mondiale, alors que, partout en Europe, les hommes politiques affirment leur volonté de mettre fin à la division du Vieux Continent en États vaincus et États vainqueurs qui subsiste depuis les années 1919-1920. Les rumeurs, selon lesquelles la France aurait promis à la Roumanie un nouvel emprunt, déterminent la presse allemande à lancer une campagne contre « l’or français » en soulignant avec amertume le fait que : « C’est par son or que la France cherche une fois de plus à enchaîner les États de la Petite Entente. »842 « De l’or français pour Bucarest » annonce de nombreux journaux allemands dans leurs éditions du 24 juin et du 25 juin 1934.

La question de « l’or français » est effectivement abordée dans les discussions qui ont lieu à Bucarest entre les dirigeants roumains et Louis Barthou. En exprimant ses inquiétudes par rapport à la situation générale de l’Europe, dont la détérioration pourrait avoir de graves conséquences sur la Roumanie, Ghoerghe Tatarescu insiste sur la nécessité d’obtenir une aide financière française pour assurer l’organisation et l’équipement de l’armée. Cette dernière, ainsi que le souligne le Président du Conseil roumain, a un grand besoin de pièce d’artillerie, de munitions, de canon Brandt afin qu’elle puisse assurer à la fois la défense de la Roumanie et celle de la France.843 À l’inquiétude de Barthou par rapport aux difficultés financières de la Roumanie et leurs répercussions sur le paiement de la dette extérieure, Tatarescu affirme vouloir généraliser l’utilisation du pétrole comme moyen de règlement des dettes roumaines. Pour ce faire, Tatarescu décide de se rendre à Paris durant l’été

841 Archives du MAEF, Paris, Direction Politique et Commerciale, Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : La Presse allemande, Note de Berlin, le 23 juin 1934, no. 1157. 842 Archives MAEF, Paris, Direction Politique et Commerciale, Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : La Presse allemande, Note de Berlin, le 23 juin 1934, no. 1157. 843 Archives du MAEF, Paris, Direction Politique et Commerciale, Série Z, Europe/Roumanie No. 185 : Entretien à Bucarest entre Louis Barthou et Tatarescu, le 21 juin 1934.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

1934 afin de soumettre aux dirigeants de Paris son projet d’équipement de l’armée roumaine et les modalités de paiement. 844

Toutefois, l’aggravation de la situation économique et l’impossibilité de résoudre les difficultés économiques et financières incitent les gouvernants de Bucarest à se tourner progressivement vers l’Allemagne. Le besoin de commercer avec l’Allemagne heurte les intérêts de la diplomatie française, dont sa politique centre-européenne a pour objectif de faire de ce pays une barrière à l’expansionnisme allemand et non pas un allié. Cantonnés dans une position défensive et soucieux avant tout de contrecarrer l’expansionnisme allemand, les dirigeants de Paris ont sous-estimé et négligé les besoins de ce pays agricole de s’assurer un marché d’exportation.

844 Archives du MAEF, Paris, Direction Politique et Commerciale, Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Entretien à Bucarest entre Louis Barthou et Tatarescu, le 21 juin 1934. 301

CHAPITRE III : L’INFLUENCE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DES INTÉRÊTS ECONOMIQUES ET POLITIQUES ALLEMANDS, 1933-1935

Dès le début des années trente, les millieux officiels allemands commencent à accorder une attention particulière aux États agricoles de l’Europe centrale, dont la situation économique et financière a été fortement fragilisée par la crise de 1929. L’intérêt de l’Allemagne pour cette région qui est considérée depuis la fin du XIXe siècle par les théoriciens de la politique allemande845 comme l’axe principal de l’expansion germanique, a fait l’objet de nombreuses études après la Deuxième Guerre mondiale.846 L’analyse approfondie des concepts de Mitteleuropa et de Grosswirtschaftsraum permet à la fois aux historiens des relations internationales et de l’histoire économique de démontrer l’importance et le rôle politique et, notamment, économique accordés par les dirigeants de Berlin à l’Europe centrale durant les années trente. Cette région est destinée, de par sa configuration économique, sa position géo-stratégique, ainsi que sa tradition historique, à assurer à l’Allemagne le statut de grande puissance.

Il convient de préciser que le terme de Mitteleuropa847, comme toutes les différentes expressions utilisées pour désigner des groupes à géométrie variable

845 Nous mentionnons notamment Josef Partsch, Friedrich Naumann, Friedrich List, etc. 846 BASCH, Antonin, The Danube Basin and the German Economic Sphere, London, Kegan Paul, Trench, Trubner & Co., 1944, DROZ, Jacques, L’Europe Centrale. Evolution historique de l’idée de Mitteleuropa, Paris, Payot, 1960, MARGUERAT, Philippe, Le III Reich et le pétrole roumain, 1938-1940. Contribution à l’étude de la pénétration économique allemande dans les Balkans à la veille et au début de la Seconde Guerre mondiale, Genève, H.E.I., 1977, SCHIRMANN, Sylvain, Les relations économiques et financières franco- allemandes 1932-1939, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995, STIK, Peter (ed.), Mitteleuropa. History and prospects, Edinburgh, Edinburgh University Press, 1994. 847 Pour un approfondissement des théories spatiales, cultures et économiques sur la Mitteleuropa, voir DROZ, Jacques, L’Europe Centrale. Evolution historique de l’idée de Mitteleuropa, Paris, Payot, 1960, pp. 15-127, ELVERT, Jürgen, « Plans allemands d’entre les deux guerres mondiales pour la Mitteleuropa » in BUSSIERE, Eric, DUMOULIN, Michel, SCHIRMANN, Sylvain (éds.) Milieux économiques et integration européenne au XXe siècle, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2001-2002, pp. 30-38.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 n’est pas neutre. Cette expression, utilisée de manière floue par les auteurs allemands du XIXe siècle, est liée à l’idée de l’héritage du Saint Empire germanique et s’appuie sur la communauté de la langue et de la culture allemande. Le géographe Josef Partsch publie en 1904 une étude sur la Mitteleuropa qui cherche à donner une définition spatiale à cette notion. La Mitteleuropa symbolise, depuis lors, l’ensemble des plans élaborés par l’Allemagne en vue de la création d’un territoire économique qui englobe l’Europe danubienne dans le sens le plus large. Dans son ouvrage, Partsch s’attache à démontrer l’unité géographique et économique des pays qui se trouvent entre les Alpes Occidentales et les Balkans. Il donne le nom de Mitteleuropa à ce vaste territoire, où l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie seront les blocs économiques les plus forts. Mais, c’est Friedrich Naumann, député libéral au Reichstag qui porte la question de la Mitteleuropa à son point culminant. Il expose sa théorie dans l’ouvrage, aussi intitulé la Mitteleuropa, publié en octobre 1915. Dans son projet, Naumann plaide pour la création d’un vaste territoire économique en Europe centrale afin d’éviter que le peuple allemand soit écrasé par les grands groupements économiques, en l’occurrence la Grande-Bretagne, la Russie et les Etats-Unis. Dans ce but, l’Allemagne doit former un vaste groupement économique et politique dans l’Europe centrale, qui engloberait l’Autriche- Hongrie, le Royaume de Serbie, la Bulgarie, le Royaume de Roumanie et la Turquie. La Première Guerre mondiale interrompt la création de cet ensemble économique et politique qui, aurait assuré à la Allemagne le statut de grande puissance aux côtés de la Russie, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Toutefois, ce projet reste au centre de la politique allemande et il sera le thème d’élection de l’extrême droite en janvier 1933. En tant que source de ravitaillement en produits agricoles, en pétrole, en minerais et en différents métaux, les États centre-européens sont voués à assurer à l’Allemagne une place importante sur la scène internationale.

et STIK, Peter (ed.), Mitteleuropa. History and prospects, Edinburgh, Edinburgh University Press, 1994. 303

Face au manque de dynamisme et à l’inéfficacité des mesures prises, soit à l’échelle régionale, soit à l’échelle internationale, pour résoudre les problèmes économiques et financiers engendrés par la crise de 1929, l’Allemagne parvient rapidemment à (re)développer ses relations économiques et commerciales avec les pays de la Mitteleuropa. Le besoin de ces pays d’exporter en l’Allemagne leurs produits agricoles et leurs matières premières explique la facilité avec laquelle les dirigeants de Berlin arrivent à renforcer leur présence dans cette région du Vieux Continent. La logique économique et, plus particulièrement, commerciale affichée par l’Allemagne dans ses relations avec les économies traditionnelles des Etats centre-européens heurte progressivement les intérêts politiques et militaires, acquis par la France dans ces pays centre-européens depuis la fin de la Première Guerre mondiale.

Les représentants de la diplomatie française à Berlin et dans les pays de la Petite Entente avertissent à plusieurs reprises les dirigeants du Quai d’Orsay de l’intérêt croissant de l’Allemagne pour les États agricoles de l’Europe centrale.848 En insistant sur les efforts de l’Allemagne de développer les relations économiques et commerciales avec les États de la Petite Entente, le Ministre français à Berlin, François Poncet, déclare, le 28 mai 1932, que les conséquences d’une telle action pourraient être très graves pour la France car « la perte de son influence dans le bassin danubien sera une atteinte sérieuse à son rôle de grande Puissance en Europe. »849 Afin d’éviter une telle situation, François Poncet suggère aux dirigeants de Paris d’entreprendre dans cette région une action économique et commerciale plus intense.

Les rumeurs, selon lesquelles le gouvernement roumain aurait entamé en juillet 1933 des négociations avec un groupe industriel allemand pour la vente d’une très grande quantité de céréales, déterminent les dirigeants de Paris à prendre le

848 Archives MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 182 : Note sur la visite de Antonescu à Paris et sur l’opinion allemande, le 31 décembre 1936, no. 1894. 849 Archives MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 182 : Télégramme de François Poncet, Ministre de France à Berlin, au Quai d’Orsay, le 28 mai 1932, no. 1025.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 danger allemand au sérieux.850 Chargé par le Ministre Puaux de vérifier la véracité de ces rumeurs, Roger Auboin informe la diplomatie française que effectivement un groupe industriel allemand, dirigé par I. G. Farben, a proposé au gouvernement roumain l’achat d’une importante quantié de blés à un prix supérieur de 15% à celui pratiqué sur le marché international.851 « Cette proposition, avertit Auboin, qui a toutes les chances d’être acceptée puisqu’elle répond exactement aux préoccupations les plus pressantes du gouvernement roumain, atteindrait directement les négociations en cours ou à prévoir entre la Roumanie et la France. »852 L’Expert technique de la Banque Nationale de Roumanie fait, en effet, référence aux négociations que la France doit commencer avec le gouvernement roumain à la fois pour le règlement de la dette extérieure roumaine et pour la régularisation des paiements commerciaux entre les deux pays.853 La question du développement des relations économiques roumano-allemandes au détriment de la France devient, dans ces circonstances, une véritable préoccupation pour les dirigeants de Paris.

La France a-t-elle la volonté et les moyens d’empêcher le dévloppement des relations économiques entre la Roumanie et l’Allemagne ? L’influence politique et financière acquise dans ce pays durant les années vingt est-elle suffisament forte pour garder la Roumanie dans la sphère d’influence française ?

850 Archives MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Télégramme de Puaux, Ministre de France à Bucarest, au Quai d’Orsay, le 20 juillet 1933, no. 271. 851 Archives MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Note sur les pourparlers engagés par le gouvernement roumain avec un groupe allemand pour l’exportation d’une partie de la récolte de blé et d’orge, le 19 juillet 1933, no. 272. 852 Archives MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Note sur les pourparlers engagés par le gouvernement roumain avec un groupe allemand pour l’exportation d’une partie de la récolte de blé et d’orge, le 19 juillet 1933, no. 272. 853 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Note sur les pourparlers engagés par le gouvernement roumain avec un groupe allemand pour l’exportation d’une partie de la récolte de blé et d’orge, le 19 juillet 1933, no. 271. 305

1. L’Allemagne, premier client et fournisseur de la Roumanie

En progression depuis 1925, les échanges commerciaux entre la Roumanie et l’Allemagne enregistrent dès le début des années trente, par suite de l’échec des projets de coopération économique régionale et internationale une considérable augmentation au détriment de la France et de la Grande-Bretagne. À partir de 1933, le marché allemand devient le principal débouché pour les exportations roumaines, constituées essentiellement de produits agricoles (36%) et de matières premières (61%).854 À la lecture du tableau Tableau XVIII, on remarque qu’en 1935 la valeur des exportations roumaines effectuées vers l’Allemagne croît de 60% par rapport à 1933, alors que celle de la Grande-Bretagne durant la même période enregistre une régression de 32%.

Tableau XVIII : Part de l’Allemagne, de la France et de la Grande-Bretagne dans les exportations roumaines 1933 -1935 (en millions de dollars et en %) Années Allemagne France Grande-Bretagne 1933 15.3 10,6% 17.9 13,3% 22.3 18,1% 1934 23.1 16,7% 13.5 11,3% 14.0 12,6% 1935 24.7 16.8 % 6.0 4,2% 14.2 12,3% Source: DRABEK, Zdenek, « Foreign Trade Performance and Policy », in The Economic History of Eastern Europe 1919-1975, Oxford, Clarendon Press, 1985, p. 521.

Pour ce qui est des importations, on observe que la Roumanie accroît durant les années 1933-1935 les achats en Allemagne tout en diminuant ceux effectués en Grande-Bretagne et en France (Tableau XIX). La Roumanie importe essentiellement de l’Allemagne des produits métallurgiques, des machines, des produits chimiques et pharmaceutiques, etc.

854 Archives de la SdN, Genève, Comité économique/Questions économique et financières : Chiffres essentiels du commerce extérieur des pays danubiens, Comité économique, 1937, pp. 29-35.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Tableau XIX: Part de l’Allemagne, de la France et de la Grande-Bretagne dans les importations roumaines 1933 -1935 (en millions de dollars et en %) Années Allemagne France Grande-Bretagne 1933 22.2 18,6% 12.6 10,5% 17.8 15,1% 1934 20.9 15,5% 14.9 11,1% 21.9 17,9% 1935 23.2 23,8% 7.0 7,2% 9.6 10,3% Source: DRABEK, Zdenek, « Foreign Trade Performance and Policy », in The Economic History of Eastern Europe 1919-1975, Oxford, Clarendon Press, 1985, p. 514.

Néanmoins, le rythme de la progression des échanges entre la Roumanie et l’Allemagne durant cette période est, comme le souligne Philippe Marguerat855, largement inférieur à celui des années 1926-1929, quand les exportations vers l’Allemagne passent de 12,2% à 27,6%. Les tableaux ci-dessous (Tableaux XX et XXI) nous montrent la valeur des échanges économiques entre la Roumanie et l’Allemagne durant les années 1925-1929 par rapport à ceux effectués par la Roumanie avec la France, la Grande-Bretagne et l’Italie.856

Tableau XX: Exportations de la Roumanie 1925-1929 (en millions de dollars) Année Allemagne France Grande- Italie Bretagne 1925 20.0 13.5 19.3 9.8 1926 36.3 17.9 18.9 25.6 1927 72.1 13.8 23.0 25.7 1928 51.2 13.4 16.3 24.2 1929 81,3 13,2 19,0 22,8

855 MARGUERAT, Le III Reich et le pétrole roumain, 1938-1940, p. 334. 856 Sur cette question, voir CALAFETEANU, Ion, « Les relations économiques germano-roumaines de 1933 à 1944 » in Revue d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale et des conflits contemporains, No. 140, octobre 1985, pp. 25- 26

307

Source: DRABEK, Zdenek, « Foreign Trade Performance and Policy », in The Economic History of Eastern Europe 1919-1975, Oxford, Clarendon Press, 1985, p. 521.

Pour ce qui est des importations, nous remarquons qu’entre 1925 et 1929 la Roumanie augmente de manière importante ses achats en Allemagne.

Tableau XXI : Importations de la Roumanie 1925-1929 (en millions de dollars) Année Allemagne France Grande- Italie Bretagne 1925 40.6 19.0 25.6 26.7 1926 66.9 25.7 24.2 27.6 1927 76.6 26.6 28.9 30.0 1928 77.6 20.9 27.8 24.7 1929 72,5 16,7 21,9 20,6 Source: DRABEK, Zdenek, « Foreign Trade Performance and Policy », in The Economic History of Eastern Europe 1919-1975, Oxford, Clarendon Press, 1985, p. 514.

En revanche, les investissements des capitaux allemands dans l’économie roumaine demeurent l’entre-deux-guerres à un niveau très bas. Après avoir vu ses intérêts réduits à zéro par le Traité de Versailles, l’Allemagne commence à réinvestir en Roumanie à partir de 1921. Cependant, le mouvement a été lent et en 1932 les résultats sont très modestes étant estimés à 350 millions de lei, (soit 0,7% du total du capital étranger investi en Roumanie). Ce mouvement ne va pas s’accélèrer durant les années 1933-1938 et, à la fin de cette période les investissements allemand s’élèvent à 450 millions de lei (soit 0,9% du total du capital étranger), plus de deux tiers étant immobilisé dans le secteur tertiaire, sous la forme d’une grande banque commerciale et de différents comptoirs de vente. Si l’on compare cette situation à celle des autres pays centre-européens, on constate qu’en Roumanie la pénétration des capitaux allemands est restée la plus faible. La situation reste pratiquement la même après l’Anschluss, étant donné que l’Autriche ne disposait pas de grands investissements de capitaux en Roumanie. La position de l’Allemagne, estimée à environ 550 millions de lei, est

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 largement inférieure à celles occupées par la Grande-Bretagne, la France, la Tchécoslovaquie, la Hollande etc.

Si pour Philippe Marguerat, la « lenteur » des investissements et de la progression des échanges roumano-alleamnds durant les années trente s’explique notamment par le manque d’intérêt de l’Allemagne pour la Roumanie, il nous semble important de prendre en considération le poids des facteurs politiques dans les relations germano-roumaines.

2. Le facteur politique comme principal moyen de pression d’intensifier les relations économiques et commerciales

Si jusqu’à la fin de l’année 1932 Berlin n’utilise pas le facteur politique, comme un moyen de pression économique et commerciale sur les pays agricoles de l’Europe centrale, la situation change dès janvier 1933, par suite de l’arrivée au pouvoir de Adolf Hitler.857 Décidés à tirer profit sur le plan politique du rôle joué par l’Allemagne en tant que débouché principal des exportations roumaines, les dirigeants nazis commencent à utiliser l’appartenance de la Roumanie à la Petite Entente et au système de sécurité français comme un moyen de pression sur les dirigeants de Bucarest.

Le 26 mai 1933, dans un entretien avec le Ministre roumain à Berlin, Nicolae Petrescu-Comnen, Hitler déclare que les dirigeants de Berlin se sont toujours montrés favorables aux importations de produits agricoles roumains en dépit de l’indifférence des dirigeants de Bucarest à l’égard de l’Allemagne. Cette situation, ainsi que le leader nazi avertit Petrescu-Comnen, doit changer car l’Allemagne n’est plus en mesure de soutenir le développement des relations commerciales avec la Roumanie que dans la mesure où les relations politiques entre les deux

857 Sur les relations économiques entre la Roumanie et l’Allemagne, voir CALAFETEANU, « Les relations économiques germano-roumaines de 1933 à 1944 », pp. 23-35. 309

pays seront également florissantes.858 Or, « la Petite Entente, déclare Hitler, est constamment contre nous. Comment pouvons-nous avoir de bons rapports économiques avec des pays qui sont, au plan politique, en permanence contre nous ? » Aux efforts du Ministre roumain d’assurer Adolf Hitler de la bienveillance des dirigeants de Bucarest à l’égard de l’Allemagne, le leader nazi réplique en ces termes : « C’est une phrase générale; l’attitude actuelle du gouvernement roumain et de M. Titulescu n’exprime pas votre point de vue.»859 Pour justifier les orientations politiques du gouvernement roumain, Petrescu- Comnen avertit le dirigeant allemand que la Roumanie ne pourra pas se rapprocher politiquement d’un pays qui, à la fois, est attaché à la révision des Traités de Paix de 1919-1920 et soutient les revendications territoriales de la Hongrie et de la Bulgarie. Mais, le dernier argument invoqué par Nicolae Petrescu-Comnen au sujet de l’éventuel soutien des révisionnismes bulgare et hongrois ne représente pas pour Hitler un véritable motif car l’Allemagne n’accordait pas beaucoup d’importance aux revendications territoriales et militaires des dirigeants de Budapest et de Sofia .860

Les nouvelles prérogatives de la politique hitlérienne apparaissent également dans les propos tenus au Ministre roumain à Berlin par Alfred Rosenberg, Chef du bureau diplomatique du Parti National-Socialiste, et ses collaborateurs au sujet des relations économiques et politiques que le Reich souhaitait développer avec les États de l’Europe centrale.861

858 Archives MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 178 : Télégramme de Poncet à Paris au sujet des discussions Petrescu-Comnen –Hitler, le 31 mai 1933. 859Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Télégramme de Puaux au Quai d’Orsay, le 30 août 1933, no. 306. 859 Archives de la SdN, Genève, Comité économique/Questions économique et financières : Chiffres essentiels du commerce extérieur des pays danubiens, Comité économique, 1937, pp. 29-35. 860 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 178 : Télégramme de Poncet à Paris au sujet des discussions Petrescu-Comnen - Hitler, le 31 mai 1933. 861 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 178 : Télégramme de Poncet à Paris au sujet de la politique des nationaux-socialistes en Europe orientale, le 21 juin 1933.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Dans une entrevue avec François Poncet, Nicolae Petrescu-Comnen signale la détermination des dirigeants de Berlin d’attacher une grande importance au développement des relations politiques entre la Roumanie et l’Allemagne. Daitz, un des collaborateurs de Rosenberg, ainsi que le déclare Petrescu-Comnen, a conseillé la Roumanie de réviser immédiatement son système d’alliance politique et militaire, ainsi sa politique étrangère, si elle souhaitait continuer à exporter ses produits agricoles sur le marché allemand. « La Roumanie, affirme Daitz, doit renoncer à ses amitiés politiques et se préparer à une collaboration aussi étroite que possible avec l’Allemagne. Désormais, l’Allemagne n’admettra plus les attitudes équivoques, elle désire que les pays qui veulent entretenir avec elle des relations économiques étroites commencent par réviser leur politique étrangère et se déclarent catégoriquement en faveur d’une entente avec le Reich. »862 Il apparaît ainsi que le facteur politique devient, en quelque sorte, une arme pour les dirigeants de Berlin qui, entendent l’utiliser comme moyen de pression sur les États centre-européens souhaitant développer leurs relations économiques avec l’Allemagne.863 L’objectif de cette nouvelle politique est, ainsi que l’affirme Daitz, de « faire de l’Allemagne une citadelle où, en cas de conflit politique, nous puissions nous enfermer et nous alimenter par nos propres moyens. »864

Préoccupé par les changements politiques et idéologiques survenus à Berlin, ainsi que de leurs conséquences sur les relations économiques roumano- allemandes, Petrescu-Comnen informe les dirigeants de Bucarest des discutions qu’il a eu avec les dirigeants nazis et de la nouvelle configuration de la politique allemande à l’égard de l’Europe centrale. « La Roumanie, écrit Petrescu- Comnen, doit affronter des difficultés spéciales en raison de sa position géographique. C’est pour cette raison-là qu’elle ne peut pas avoir une orientation

862 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 178 : Télégramme de Poncet à Paris au sujet de la politique des nationaux-socialistes en Europe orientale, le 21 juin 1933. 863 CALAFETEANU, « Les relations économiques germano-roumaines de 1933 à 1944 », p. 27. 864 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 178 : Télégramme de Poncet à Paris au sujet de la politique des nationaux-socialistes en Europe orientale, le 21 juin 1933. 311

politique unilatérale. »865 Afin de renforcer les relations économiques et commerciales avec l’Allemagne, il suggère au gouvernement roumain de démontrer la volonté d’améliorer les rapports politiques et diplomatiques avec les dirigeants nazis. Les conseils de Nicolae Petrescu-Comnen semblent avoir été suivis par les dirigeants de Bucarest car les relations économiques entre la Roumanie et l’Allemagne enregistrent durant l’automne 1933 une certaine amélioration.

Ainsi, le 8 septembre 1933, le gouvernement roumain réussit à signer avec I. G. Farben un accord qui, prévoit l’achat de céréales et de oléagineux pour un montant total de 680 millions de Reichsmarks.866 Face à la demande croissante des entreprises allemandes pour les oléagineux, les dirigeants de Bucarest se proposent dès novembre 1933 d’accroître les cultures de soja, de millet et de lin afin de pouvoir satisfaire les exigences de son principal partenaire commercial.867 Comment expliquer ce renforcement des relations économiques et commerciales entre les deux pays ? La réponse à cette question réside dans l’ouverture des négociations entre la Roumanie et l’Allemagne en novembre 1933 en vue de la conclusion d’un pacte de non-agression. Interrogé par François Poncet sur l’existence de ces négociations, car le gouvernement roumain n’avait donné aucune information aux dirigeants de Paris, Petrescu-Comnen confirme le fait que le gouvernement de Bucarest avait envisagé de signer un pacte de non- agression avec l’Allemagne, mais qu’il a rapidemment abandonner cette idée par crainte d’indisposer ses alliés traditionnels.868 Dans un télégramme adressé au

865 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Germania, Vol. 74 : Télégramme de Nicolae Petrescu-Comnen à Vaida-Voevod, Président du Conseil roumain, le 26 mai 1933. 866 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Convention passée entre le gouvernement roumain et I. G. Farben, le 2 septembre 1933, no. 370. 867 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Télégramme de Poncet au Quai d’Orsay, le 30 novembre 1933, no. 2135. 868 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 178 : Télégramme de Poncet à Paris au sujet du projet de Pacte de non-agression germano-roumain, le 29 novembre 1933, no. 2129.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Quai d’Orsay, Poncet affirme qu’il ignorait si les négociations ont véritablement été suspendues et demande aux dirigeants de Paris de se renseigner rapidememnt auprès du Ministre de France à Bucarest, Ormesson. Le 20 décembre 1933, ce dernier informe la diplomatie française qu’il y a effectivement à Bucarest des rumeurs selon lesquels le roi Carol II aurait pris la décission de donner une nouvelle orientation à la politique extérieure roumaine, mais qu’il n’a pas réussit à obtenir des informations sur les négociations entre la Roumanie et l’Allemagne.869 Ces renseignements donnent encore une fois l’occasion au Quai d’Orsay de s’interroger sur la politique et la sincérité de l’amitié que Carol II affirme éprouvée pour la France. Ainsi que l’ancien Ministre de France à Bucarest Puaux l’avait signalé, Carol II souhaitait organiser la politique étrangère de la Roumanie en fonction de ses intérêts personnelles, dictés par la sympathie ou l’antipathie qu’il a envers les gens.870 À titre d’exemple, Carol II manifestait peu de sympathie pour la Tchécoslovaquie car « c’est une république de petits gens et de professeurs. »871 Le conseil donné par Gabriel Puaux aux dirigeants du Quai d’Orsay était de rester très prudents à l’égard du souverain roumain et de ne lui accorder qu’une confiance très limitée car « il est velléitaire et peu équilibré dans l’esprit duquel prédominent les hérédités prusiennes et slaves. »872 Malgré tous les efforts de Carol II d’assurer la France de son attachement aux alliances tradionnelles de la Roumanie, le Quai d’Orsay formule des réserves à l’égard de la politique étrangère menée par les dirigeants de Bucarest. Cela donne l’occasion à la presse allemande de s’interroger sur la résistance des liens entre la France et la Roumanie dans les conditions où les

869 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 178 : Télégramme de Ormesson à Paris au sujet de la politique étrangère de la Roumanie, le 20 décembre 1933, No. 439. 870 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 557 : Télégramme de Gabriel Puaux au Quai d’Orsay, le 27 avril 1931. 871 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 557 : Télégramme de Gabriel Puaux au Quai d’Orsay, le 27 avril 1931. 872 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 557 : Télégramme de Gabriel Puaux au Quai d’Orsay, le 27 avril 1931. 313

dirigeants de Bucarest décident de consolider leurs relations économiques et commerciales avec le Reich.

Le 28 mai 1934, lors d’un voyage à Berlin, l’économiste du Parti National Paysan Virgil Madgearu demande à s’entretenir avec Konstantin von Neurath au sujet des relations économiques et commerciales roumano-allemandes. Virgil Madgearu expose les difficultés rencontrées par la Roumanie pour l’exportation de ses céréales et demande au Ministre allemand d’intervenir auprès de Hitler afin de conclure avec la Roumanie un accord similaire à celui que le Reich a signé avec la Yougoslavie. Après avoir rappeler l’importance accordée par les dirigeants allemands à la politique étrangère roumaine, von Neurath s’engage à informer Hitler de la volonté des dirigeants de Bucarest de développer leurs relations économiques avec l’Allemagne.873

Ne se résumant qu’à des simples déclarations sans prendre une position ferme à l’égard de l’Allemagne, les dirigeants de Bucarest sont soumis à de nouvelles pressions en 1934 concernant la signature d’un nouvel accord économique.874 À leur tour pour faire pression sur les milieux allemands, les autorités roumaines dénoncent l’ancien accord commercial, conclu le 23 juin 1931. Soucieux de ne pas voir la Roumanie s’éloigner de l’Allemagne, Hitler donnera son consentement en novembre 1934 pour la signature d’un nouvel accord économique entre les deux pays. Cette concession n’est pas étonnante si nous prenons en compte le fait que les ressources pétrolières roumaines commencent à éveiller l’intérêt d’Hitler. Par la même occasion, le leader nazi

873 Il convient de préciser que le voyage de Madgearu à Berlin a provoqué de nombreuses critiques dans la presse roumaine. Pour se défendre, Madgearu a déclaré que sa visite n’était pas un acte politique, mais qu’il avait donné une conférence sur l’industrialisation et la réagrarisation de l’Europe centrale. 874 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Germania, Vol. 74 : Télégramme de Nicolae Petrescu-Comnen à Nicolae Titulescu, Ministre des Affaires Etrangères, le 15 mars 1934, p. 2.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 renouvelle sa demande de conclure un pacte de non-agression avec la Roumanie, similaire à celui qui a été signé avec la Pologne le 26 janvier 1934.875

Le 16 décembre 1934, lors d’un entretien avec le Ministre roumain de l’Industrie et du Commerce, Ion Manolescu-Strunga, Schacht aborde la question de l’adaptation de l’agriculture roumaine aux besoins de l’économie allemande.876 Obligée d’acheter hors de l’Europe et, notamment, en Asie certaines matières premières, l’Allemagne souhaite introduire en Roumanie les cultures de cotons et de riz. Pour se faire, Hjalmar Schacht déclare à Manolescu-Strunga que l’Allemagne fournira à la Roumanie les capitaux et l’équipement nécessaire pour la mise en place de ces cultures.877

Dans ce contexte, une évolution des rapports roumano-allemands commence à se dessiner à partir du 23 mars 1935, lors de la signature d’un traité commercial et d’un accord de clearing qui inaugure une nouvelle étape de coopération économique et commerciale entre l’Allemagne et la Roumanie.878 La particularité de cet accord de clearing qui, assure à la Roumanie des tarifs préférentiels pour les produits agricoles et, plus particulièrement, pour les céréales est qu’il est conçu selon les besoins de l’économie allemande énoncés dans le Nouveau Plan de Hjalmar Schacht.879 Le Nouveau Plan, mis en place dès septembre

875 Dans l’entretien qu’il a eu avec Nicolae Petrescu-Comnen le 15 mars 1934, Hitler avait insisté à plusieurs reprises sur l’importance de la signature d’un pacte de non-agression entre l’Allemagne et la Roumanie. Selon le leader nazi, cet accord permettrait le renforcement des liens d’amitié et de confiance entre les deux pays. Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Germania, Vol. 74 : Télégramme de Nicolae Petrescu-Comnen, Ministre de Roumanie à Berlin, à Nicolae Titulescu, Ministre des Affaires Etrangères, le 15 mars 1934, pp. 1-2. 876 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Télégramme de Poncet au Quai d’Orsay, le 16 décembre 1934, no. 2336. 877 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Télégramme de Poncet au Quai d’Orsay, le 16 décembre 1934, no. 2336. 878 Documents on German foreign policy 1918-1945, Series C (1933-1937), The Third Reich: first phase, Volume I, no 556, pp. 1080-1081. 879 Documents on German foreign policy 1918-1945, Series C (1933-1937), The Third Reich: first phase, Volume I, no 6, pp. 5-6. 315

1934, prévoit en effet un ensemble de mesures visant à redéfinir la politique économique extérieure de l’Allemagne en fonction des besoins du réarmement. Les lignes directrices de ce nouveau programme économique visent à assurer l’approvisionnement en matières premières et produits alimentaires de l’Allemagne par une réorientation du commerce extérieur et par une utilisation repensée des faibles réserves en devises.880 Les deux régions du monde qui produisent les matières premières et les produits agricoles intéressant l’économie allemande sont l’Amérique du Sud et l’Europe centrale. Cette dernière, à la différence de l’Amérique du Sud, présente moins d’inconvénients en cas de guerre et pourrait assurer l’approvisionnement de l’Allemagne sans trop de difficultés. Permettant à l’Allemagne de trouver une certaine autonomie économique et financière par rapport au reste du monde, l’Europe centrale se voit encore une fois confié la mission de soutenir l’expansion germanique. Le Nouveau Plan, ainsi que le souligne Frédéric Clavert, a eu pour conséquence d’intégrer l’Europe centrale à une Großraumwirtschaft allemande, notamment par le biais de facilités d’utilisation des Sperrmark à des taux aménagés.»881 Dans le cas de la Roumanie, le Nouveau Plan enregistre quelques difficultés en lien avec l’achat de pétrole qui n’ont pas pour autant découragés les dirigeants allemands.

Conclu le 23 mars 1935, le traité commercial germano-roumain prévoit la mise en place des tarifs préférentiels pour les produits agricoles roumains. En contrepartie, les dirigeants de Berlin exigent l’extension des cultures de soja, dont l’utilisation industrielle va du savon au caoutchouc artificiel et de l’émail aux explosifs. Rappelons que la culture de soja a été développée par l’Allemagne durant les années vingt en Mandchourie et qu’elle commence à se répandre progressivement en Europe centrale dès le début années trente.882 En 1937, le

880 CLAVERT, Frédéric, Hjalmar Schacht, financier et diplomate (1930-1950), Bruxelles, Peter Lang, 2009, p. 236. 881 CLAVERT, Hjalmar Schacht, financier et diplomate, p 282. 882 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie, No. 201, La situation agricole en Roumanie, le 24 juillet 1935, p. 294.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 prix de revient du soja roumain est de 94,60 reichsmarks, alors que celui du soja mandchourien est de 100,60 reichsmarks.883

Par la même occasion, les dirigeants de Berlin lancent un programme d’implantation culturelle en Roumanie en accordant à 600 étudiants roumains la possibilité de fréquenter les universités allemandes, dont les frais seront pour la grande partie couverts par le gouvernement allemand.884 À ce programme d’implantation culturelle s’ajoute une importante campagne de propagande allemande qui trouve en Roumanie et, notamment, en Transylvanie chez les Saxons et les Souabes un terrain très favorable. Il convient de préciser que la minorité allemande de Roumanie compte, selon des sources françaises, 800.000 personnes, dont la vie culturelle et politique est très active, ainsi que le montre le grand nombre des journaux de langue allemande publiés dans le pays.885 Parmi les principaux journaux de la minorité allemande de Roumanie, qu’on décrit comme étant « le poste avancé de l’Allemagne hitlérienne poursuivant la conquête de son espace vital », nous mentionnons la Kronstaedter Zeitung, le Siebenbuergisch-Deutsches Tageblatt, la Temesvarer Zeitung, le Czernowitzer Tageblatt, le Bukarester Tageblatt, Das Volk. 886

Le 24 mai 1935, le traité commercial germano-roumain est complété à la demande des dirigeants de Berlin par une convention qui prévoit un programme de participations et d’investissements allemands dans l’industrie roumaine et, notamment, dans l’industrie pétrolière. Cette convention prévoit, en effet, une aide financière aux compagnies pétrolières roumaines et la création d’une

883 Archives du CL, Paris, DEEF 73370 : Les problèmes du commerce allemand en Extrême-Orient, Paris, Société d’études et d’informations économiques, 1938, p. 25. 884 PROST, Destin de la Roumanie, 1918-1954, p. 75. Il mentionne des bourses de 100 reichsmarks par mois que la Banque Nationale de Roumanie s’engage à leur permettre de transférer mensuellement 75 marks. 885 Archives du CL, Paris, DEEF 73377-1 : Les minorités allemandes et la propagande nazie en Europe orientale et sud-orientale, Paris, Société d’études et d’informations économiques, mai 1939, p. 17. 886 Archives du CL, Paris, DEEF 73377-1 : Les minorités allemandes et la propagande nazie en Europe orientale et sud-orientale, Paris, Société d’études et d’informations économiques, mai 1939, p. 17. 317

nouvelle entreprise, dirigée conjointement par le gouvernement allemand et le gouvernement roumain.887 Les crédits alloués aux compagnies pétrolières roumaines devaient servir à la fois à l’achat en Allemagne de matériel et d’équipement nécessaire pour le développement de l’exploitation pétrolifère et au rachat des avoirs allemands bloqués en Roumanie après la Première Guerre mondiale. Il convient de préciser que cette dernière exigence concerne le rachat des parts, du moins roumaines, que les banques allemandes avaient détenues dans l’industrie pétrolière roumaine jusqu’en 1914. Rappelons que les entreprises pétrolières allemandes ont été partagées en avril 1920 entre la Roumanie, la France et la Grande-Bretagne. Les sommes libérées du rachat des avoirs allemands seront affectées au financement des usines roumaines pour produire des équipements et des différentes installations pétrolières, ainsi qu’au paiement des dépenses liées à la main-d’œuvre. De cette manière, les dirigeants de Berlin réalisent l’autofinancement de l’industrie pétrolière roumaine au profit de l’Allemagne qui ne doit pas ajuster sa production industrielle pour satisfaire les besoins de la Roumanie. Quant au surplus de pétrole, la convention du 24 mai 1935 stipule qu’il doit être intégralement réservé à l’Allemagne. Toutefois, le gouvernement roumain avait estimé qu’il était nécessaire d’imposer à l’Allemagne une limite de 25% pour les livraisons de pétrole effectués au compte de l’accord de clearing.888 Au-dessus de cette limite, le pétrole roumain devait être payé en devises. De cette manière, les dirigeants de Bucarest contournent les intentions des dirigeants allemands de transformer le pétrole en produit principal de l’accord de clearing. Il convient de rappeler que les exportations de pétrole représentent pour l’État roumain durant les années trente la principale source de revenu et de devises.

Toutefois, cette convention provoque très vite les réactions de l’opinion publique roumaine et internationale qui désapprouve l’ingérence des capitaux allemands dans l’industrie pétrolière. Les journaux de Bucarest critiquent violemment les

887 Archives du CL, Paris, DEEF 73377-1 : Les minorités allemandes et la propagande nazie en Europe orientale et sud-orientale, Paris, Société d’études et d’informations économiques, mai 1939, p. 6. 888 CALAFETEANU, « Les relations économiques germano-roumaines de 1933 à 1944 », pp. 27-28.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 projets d’investissement des capitaux allemands dans l’industrie roumaine en rappelant le fait « qu’avant 1914 une politique analogue avait aboutit à rendre les Allemands maîtres de toute l’industrie et de tout le commerce du pays et qu’on a vu les inconvénients d’une telle situation lorsque la Roumanie s’est rangée aux côtés des Alliés. »889 Selon une enquête effectuée à Bucarest par la diplomatie allemande890, il s’agit d’une campagne de presse, lancée par les journaux Lupta (La Lutte) et Adevarul (La Vérité) qui appartiennent à des familles juives.891 Le 13 juin 1935, Schacht convoque le Ministre roumain à Berlin Nicolae Petrescu- Comnen et lui reproche la campagne anti-allemande menée par la presse roumaine.892 Le Ministre allemand accuse même la France et l’U.R.S.S. de faire des pressions sur les dirigeants de Bucarest afin d’empêcher le développement des relations économiques roumano-allemandes. Si le gouvernement de Bucarest souhaite profiter de la bienveillance des dirigeants de Berlin à l’égard des exportations roumaines de produits agricoles, il doit faire preuve de sa volonté de favoriser le développement des relations entre les deux pays.893 Les rumeurs, selon lesquelles le gouvernement roumain aurait vendu à la France ses redevances de pétrole, expliquent, en effet, l’indignation de Schacht. Ce dernier demande à Comnen de vérifier immédiatement auprès des dirigeants de Bucarest la validité et l’origine de ces rumeurs.

La pénétration des capitaux allemands dans l’industrie pétrolière roumaine est également dénoncée par le Quai d’Orsay surtout que son Ministre à Londres soupçonnait le fait que plusieurs sociétés pétrolières roumaines (le Crédit Minier, la Redeventza, l’Industrie roumaine du pétrole et le Petrol Block) seraient

889 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Roumanie, No. 202, Presse roumaine et accord germano-roumain, le 1er juin 1935, p. 237. 890 Documents on German foreign policy 1918-1945, Series C (1933-1937), The Third Reich: first phase, Volume I, no 110, p. 213. 891 PROST, Destin de la Roumanie, p. 76 est de même avis. 892 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Germania, Vol. 74 : Télégramme de Nicolae Petrescu-Comnen au gouvernement roumain, le 13 juin 1935, p. 231. 893 Archives MAERO, Bucarest, Fonds Germania, Vol. 74 : Télégramme de Nicolae Petrescu-Comnen au gouvernement roumain, le 13 juin 1935, p. 231. 319

passées sous le contrôle de la Deutsche Petroleum AG.894 Dans ces circonstances, les dirigeants de Bucarest annoncent que la question de la collaboration avec les capitaux allemands dans le secteur pétrolier doit être repensée avant la mise en vigueur de cette convention.895 Face aux réactions de la presse roumaine et à l’attitude des dirigeants de Bucarest, Schacht convoque de nouveau le 12 juin 1935 Petrescu-Comnen.896 Il reproche au gouvernement roumain et notamment à Nicolae Titulescu d’être à l’origine des attaques lancées par la presse contre l’Allemagne. Afin de convaicre le Ministre roumain de sa bienveillance à l’égard de la Roumanie, Schacht s’exprime en ces termes : « J’ai beaucoup de confiance et de sympathie envers votre pays et je souhaite participer au développement économique de la Roumanie. Toutefois, je considérai tout échec de l’Allemagne dans ce pays comme un échec personnel. »897 En insistant sur le fait que les relations entre la Roumanie et l’Allemagne doivent être basées sur la bienveillance et l’amitié réciproque, Schacht déclare que le meilleur moyen pour prouver la volonté des dirigeants de Bucarest de développer les relations avec l’Allemagne est l’action et non pas les mots.898 Par la même occasion, il demande à Petrescu-Comnen des renseignements précis sur l’attitude et les réactions des dirigeants de Paris au sujet du traité germano-roumain. Cela lui donnera l’occasion d’interroger Nicolae Petrescu-Comnen sur le projet du gouvernement roumain de vendre en France ses redevances de pétrole pour plusieurs années. Face à l’ambigüité du Ministre roumain, Schacht perd son calme et exige une réponse claire et immédiate car

894 Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Roumanie, No. 229, L’Allemagne et le marché pétrolier roumain, le 17 mai 1935, p. 258. (Coulondré au Ministre français à Bucarest). 895 Selon une communication faite à Pochhammer, le représentant de l’Allemagne à Bucarest. Voir Documents on German foreign policy 1918-1945, Series C (1933-1937), The Third Reich: first phase, Volume I, no 556, pp. 1080-1081. 896 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Germania, Vol. 74 : Télégramme de Petrescu-Comnen au Gouvernement roumain, le 13 juin 1935, pp. 231-234. 897 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Germania, Vol. 74 : Télégramme de Nicolae Petrescu-Comnen au Gouvernement roumain, le 13 juin 1935, pp. 231 (Trad. du roumain) 898 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Germania, Vol. 74 : Télégramme de Nicolae Petrescu-Comnen au Gouvernement roumain, le 13 juin 1935, p. 231 (Trad. du roumain)

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

« il doit savoir s’il peut compter sur les promesses de la Roumanie de vendre à l’Allemagne des céréales et du pétrole. »899

Les négociations roumano-allemandes, ainsi que le Nouveau Plan de Schacht mettent en évidence l’intérêt croissant de l’Allemagne pour le pétrole roumain. Il convient de préciser que les intérêts allemands dans l’industrie pétrolière roumaine sont après la Première Guerre mondiale très modestes et se limitent à trois entreprises, Mirafor, Consortiul Petrolului et Buna Speranta qui, comptent parmi les plus petites sociétés pétrolières du pays.900 Ces négociations font également ressortir le refus des dirigeants de Bucarest à admettre que cette principale source de revenu et de devises pour l’économie roumaine soit incluse totalement dans le commerce de clearing avec l’Allemagne.901

Dès mars 1939, après l’occupation de la Bohême et de la Moravie, la Roumanie est amenée à renforcer les relations économiques et commerciales avec le Reich car le clearing roumano-tchèque est intégré dans le système commercial allemand. Rappelons que la Tchécoslovaquie constituait un des principaux partenaires de la Roumanie : entre 1935-1938, elle représente le deuxième fournisseur de la Roumanie, après l’Allemagne, et le cinquième client ; en pour-cent sa part, aux importations roumaines oscille entre 11,5% et 16%, alors que sa part aux exportations passe de 5,9% en 1935 à 9,6% en 1938.902 Un des avantages pour l’Allemagne est le fait que presque la moitié des exportations roumaines envers la Tchécoslovaquie n’exigait pas de contrepartie et qu’elle servait à rémunérer les investissements tchèques en Roumanie et à honorer diverses créances, soit des titres de la dette publique roumaine, de crédits d’armements ou des prêts de la Banque Nationale de Tchécoslovaquie à la Banque Nationale de Roumanie.

899 Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Germania, Vol. 74 : Télégramme de Nicolae Petrescu-Comnen au Gouvernement roumain, le 13 juin 1935, p. 233. (Trad du roumain) 900 Cf. MARGUERAT, Le III Reich et le pétrole roumain, 1938-1940, p. 61. 901 Sur cette question, voir MILWARD, Alain S., « The Reichsmark Bloc and the International Economy » in KOCH, Hannsjoachim W. (ed.), Aspects of the Third Reich, 1985, Basingstoke, London, MacMillan, 1985, pp. 358-359. 902 MARGUERAT, Le III Reich et le pétrole roumain, p. 149. 321

À cela il faudrait ajouter le besoin d’équipement de l’armée roumaine.903 Inquiet de la tournure prise par la situation internationale et par la renaissance des revendications hongroises, bulgares et soviétiques, les dirigeants de Bucarest ne voient d’autre sauvegarde que le réarmement, ainsi que le démontre l’augmentation de 10 à 25 milliards lei du budget militaire pour l’année 1938- 1939.904 Le besoin de réarmement fait le jeu du Reich qui est un des seuls pays en état de livrer à la Roumanie l’équipement nécessaire. Rappelons que l’Allemagne contrôle les usines d’armements tchèques, la Skoda et la Zbrojovka.905 Soutenus par d’importantes commandes d’armes, les échanges entre la Roumanie et l’Allemagne augmentent considérablement à partir de mars 1939. Alors que pour la période décembre 1938 - mars1939, la moyenne des importations roumaines est de 464,5 millions lei, elle monte à 747 millions de lei pour la période avril-août 1939.906 De même les exportations roumaines vers l’Allemagne passent de 24,40% pour la période décembre 1938 - mars 1939 à 33,14% et si l’on ajoute les chiffres relatifs au Protectorat, elles dépassent 40%.907 Il convient également de souligner le fait que l’Allemagne commence à lier les exportations de matériels de guerre, allemand ou tchécoslovaque, aux importations de pétrole. A titre d’exemple, le Reich n’accepte de lui livrer du matériel allemand perfectionné qu’à la condition de recevoir la contrepartie intégralement en pétrole.908

Pour ce qui est directement des initiatives à la fois roumaines et allemandes de renforcer les liens économiques et commerciaux, mentionnons, le traité du 23 mars 1939. Sans le décrire point par point nous soulignons qu’il stipule que la collaboration entre les deux pays se fera sur la base d’un plan économique s’étendant sur dix ans qui prévoit l’adaptation de l’économie roumaine aux besoins de l’économie allemande. Ce plan économique doit tenir compte des

903 MARGUERAT, Le III Reich et le pétrole roumain, p. 150. 904 MARGUERAT, Le III Reich et le pétrole roumain, p.150. 905 MARGUERAT, Le III Reich et le pétrole roumain, p. 144. 906 MARGUERAT, Le III Reich et le pétrole roumain, p. 144. 907 Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Questions économiques et financières, 1940, Chiffres essentiels du commerce extérieur des pays danubiens, p. 170. 908 MARGUERAT, Le III Reich et le pétrole roumain, p. 150.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 besoins de l’importation allemande, des possibilités de développement de la production roumaine, des besoins nationaux roumains et, en dernier lieu, des nécessités de l’économie roumaine dans ses échanges commerciaux avec les autres pays.909 A l’exception de ce dernier point, qui semble être une réserve concédée à la Roumanie en vue de limiter l’orientation future de l’économie nationale à un sens unique, dirigé vers l’Allemagne, tous les autres points visent le renforcement des échanges germano-roumains.

Dans le secteur agricole de l’activité économique, le traité prévoit le développement et l’orientation de la production agricole roumaine selon les besoins des importations allemandes.910 On se rend compte de l’importance de ce problème en rappelant que 80% de la population roumaine sont des agriculteurs. Dans ce secteur la collaboration entre l’Allemagne et la Roumanie se caractérise, plus particulièrement, par l’introduction dans l’agriculture roumaine de machines et engrain allemands qui contribueront à l’élévation du niveau de l’agriculture et au développement de l’activité économique générale du pays. La culture des céréales est limitée alors que celle du maïs, des plantes oléagineuses et industrielles (soja, coton, houblon) est augmenté. Le développement de la culture de soja a déjà fait l’objet de nombreux essais avant la conclusion de cet accord non seulement en Roumanie mais également en Bulgarie et en Yougoslavie.911 Si en Bulgarie et en Yougoslavie ces essais ont échoué, la Roumanie cultive le soja sur plus 110,5 milliers d’hectares. Cette vaste action qui oriente le développement de l’agriculture vers les besoins de l’Allemagne a pour conséquences le renoncement inévitable à la politique roumaine d’expansion industrielle. Bien que l’accord tienne compte de l’extraction des minerais et de certaines autres branches industrielles, les mesures prévues pour l’agriculture ont un caractère très marqué de réagrarisation du pays. Cette tendance de réagrarisation est illustrée par

909 TRANDAFILOVITCH, Ivan, L’expansion économique allemande vers le sud-est européen, Paris, Librairie sociale et économique, 1939, pp. 40-47. 910 TRANDAFILOVITCH, L’expansion économique allemande, pp. 40-47.

911 BEUVE-MERY, Hubert, Vers la plus Grande Allemagne, Paris, Centre d’études de politique étrangère, 1939, p. 45. 323

l’engagement des capitaux dans les investissements agricoles aux dépenses des investissements industriels, par le ralentissement de l’exode de la main d’œuvre vers les centres industriels.

Toutefois, l’aspect le plus important de cet accord concerne l’industrie et, plus particulièrement, l’industrie minière.912 Alors que, pour l’agriculture et l’industrie agricole, l’accord laisse l’initiative aux entreprises nationales roumaines, dans le secteur d’exploitation pétrolière et minière, il prévoit la création de sociétés mixtes germano-roumaines aux fins d’exploitation des gisements de minerais et champs pétrolifères qui, dépendront directement des gouvernements allemand et roumain. Il envisage notamment la recherche de nouveaux gisements, la fourniture de machines allemandes pour l’exploitation et la construction d’installation pour le raffinement et le transport du pétrole.913 Cela permettra, donc, à l’Allemagne non seulement de disposer à son gré du pétrole roumain mais aussi d’évincer l’opposition des compagnies françaises et britanniques.

L’interférence des facteurs économiques et des échecs de la politique internationale amène, donc, la Roumanie, en dépit des efforts français et des certains milieux roumains, à réintégrée la sphère allemande. Désormais, l’initiative passe dans le camp allemand et Hitler restera jusqu’à en 1944 le maître du jeu. En 1940, la Roumanie, si on pourrait le dire, est amenée à revivre la situation de 1883-1914. En dépit de l’attitude ambiguë des gouvernants roumains qui a même, fait espérer la France, à plusieurs reprises, de la solidité de l’alliance franco-roumaine, Hitler obtient le retour de la Roumanie dans la sphère d’influence allemande.

912 TRANDAFILOVITCH, L’expansion économique allemande, pp. 47-53. 913 Sur cette question, voir MARGUERAT, Le III Reich et le pétrole roumain, pp. 131- 134.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

CONCLUSION

325

Les changements politiques survenus à l’issue de la Première Guerre mondiale, qui mettent fin aux Empires austro-hongrois et russe, ainsi que l’affaiblissement momentané de l’Allemagne, marquent pour la Roumanie le début d’une nouvelle « ère ». Elle apparaît manifestement comme un des grands bénéficiaires des modifications territoriales et statutaires qui ont affecté l’espace européen situé entre l’Allemagne et la Russie soviétique. Favorisé indéniablement par les Traités de Paix de 1919-1920, le Royaume de Roumanie fait d’importantes acquisitions de territoires qui lui permettent de réaliser son unité nationale par suite de l’union avec la Bessarabie, la Bucovine, la Dobroudja du Sud et la Transylvanie. Les dirigeants de Bucarest réalisent, ainsi, l’un des objectifs essentiels de la politique roumaine, à savoir la création de la România Mare. C’est la réalisation d’un projet politique de longue date auquel les changements politiques survenus sur la scène internationale durant les années trente mettent brutalement fin. En juin - août 1940, la cession de la Bessarabie et de la Bucovine à l’Union Soviétique, ainsi que de la Transylvanie à la Hongrie provoquent le démembrement de la România Mare.914 C’est la naissance d’une nouvelle Roumanie, moins étendue et plus homogène par sa population, dont l’évolution et l’histoire seront profondément marquées jusqu’en décembre 1989 par l’Union soviétique et le régime communiste.915

Durant sa courte existence, 1919-1940, la Grande Roumanie apparaît comme un pays en voie de dévloppement qui bénéficie de nombreux atouts économiques et géo-stratgégiques. C’est un pays essentiellement agricole, disposant d’importantes ressources pétrolières, de charbon, de fer, de gaz méthane, de cuivre, de l’or et les massifs forestiers, qui s’oriente vers la modification de ses structures économiques et sociales par le développement du secteur industriel. Néanmoins, la faiblesse de l’épargne et des capitaux intérieurs s’avère rapidement très contraignante et elle obligera les dirigeants

914 Sur cette question, voir PROST, Henri, Destin de la Roumanie, Paris, Berger- Levrault, 1954, pp. 137-151 et BOGDAN, Henry, Histoire des pays de l’Est, Paris, Perrin, 1991, pp. 381-384. 915 Sur cette question, voir DURANDIN, Catherine et TOMESCU, Despina, La Roumanie de Ceausescu, Paris, Ed. Guy Epaud, 1988.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 roumains à s’adresser aux marchés financiers internationaux afin de soutenir leurs programmes de développement économique et de modernisation de la société roumaine. Mais, le recours aux capitaux étrangers se révèle rapidement difficile et contraignant en raison, d’une part, des considérations politiques des dirigeants de Bucarest, et d’autre part, des conditions économiques et financières exigées par les créditeurs étrangers. Visant à consolider l’indépendance politique et économique de la România Mare par rapports aux puissances étrangères, les dirigeants roumains choisissent progressivement de s’orienter vers la France et de lui confier la réorganisation économique, financière et monétaire du pays. C’est un choix qui n’est pas neutre compte tenu des préoccupations politiques et économiques des autorités de Bucarest. Quels sont les atouts de la France par rapport aux autres grandes puissances durant les années vingt ?

La politique et les préoccupations liées au maintien du statu quo post bellum des dirigeants de Paris confèrent à la France une grande considération auprès des autorités roumaines. Au croisement des préoccupations défensives des dirigeants de Paris, ils intègrent la Roumanie dans le système de sécurité français qui leur permet de contrer à la fois les révisionnismes bulgare, hongrois et, notamment, soviétique. La France apparaît, dans ces circonstances, comme un État allié avec des objectifs de politique étrangère communs qui ne mettra pas en danger l’intégrité territoriale de la Grande Roumanie du moins jusqu’au 29 novembre 1932, date de la signature du pacte de non-agression franco- soviétique. À la différence de la France, la Grande-Bretagne n’est jamais parvenue à devenir un partenaire politique et militaire de la Roumanie. Pour les dirigeants de Londres, l’intérêt de ce pays danubien est davantage économique que politique et géo-stratégique. Pour l’opinion publique britannique, la Roumanie représente à la fois une poudrière et un eldorado. Quant à l’attitude des dirigeants roumais à l’égard de la Grande-Bretagne, elle est très prudente. La participation de la Banque d’Angleterre à la reconstruction économique et financière de la Hongrie en 1923 et, notamment, le refus de la diplomatie britannique de se positionner dans les affaires politiques et territoriales qui opposent les États de l’Europe centrale tout le long de l’entre-deux-guerres 327

déterminent une certaine méfiance à Bucarest. Les conseils du Gouverneur de la Banque d’Angleterre, Montagu Norman, de confier la réorganisation économique, financière et monétaire de la Roumanie à la Société des Nations compliquent la donne. Dans l’esprit des dirigeants de Bucarest, Norman ne reconnaît pas le statut d’État vainquer de la Roumanie l’assimilant à l’Autriche et la Hongrie. Or, le besoin de reconnaissance internationale de la Roumanie en tant qu’État vainquer de la Première Guerre mondiale est fortement présent dans l’esprit des dirgeants de Bucarest durant les années vingt. Touts ces facteurs donne à la France un certain avantage par rapport à son concurrent anglais.

Le 15 décembre 1927, les dirigeants roumains décident de confier la réorganisation économique, financière et monétaire du pays à la France. Vintila Bratianu demande à la Banque de France d’organiser l’émission du premier emprunt international de la România Mare, dont le produit sera entièrement destiné à la stabilisation de la monnaie roumaine, le leu, et au développement économique du pays. Après des négociations très longues et complexes, décembre 1927 - janvier 1929, les dirigeants roumains obtiennent en février 1929 un crédit international de 126 millions de dollars. Le 7 février 1929, la monnaie roumaine est définitivement stabilisée sur la base de la nouvelle valeur du leu, soit de dix milligrammes d’or à 9/10 de fin et le Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie entre finalement en vigueur. C’est un Programme qui prévoit, ainsi que l’ont exigé les créditeurs étrangers, la réorganisation de la Banque Nationale de Roumanie et sa transormation en banque centrale moderne, la réorganisation des finances publiques et des services financiers et la réorganisation et le développement des chemins de fer roumains.

Toutefois, l’aspect le plus remarquable de ce Programme est l’envoi en Roumanie pour une durée de trois ans d’une mission financière, composée d’experts financiers de la Banque de France et d’ingénieurs de la Compagnie des Chemins de Fer du Nord. Charles Rist et, ensuite, Roger Auboin sont

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 désignés Conseillers de la Banque Nationale de Roumanie et Gaston Leverve, expert pour la réorganisation des chemins de fer. D’autres experts vont se joindre rapidement à cette mission. Il s’agit de Jean Bolgert, Henri Guittard, Henri Poisson et Michel Mange. Ce réseau d’experts financiers et d’ingénieurs est complété par une étroite collaboration avec le Ministre de France à Bucarest, Gabriel Puaux. Leur mission consiste essentiellement à surveiller et à contrôler l’application et l’exécution du Programme par les dirigeants roumains. C’est une mission difficile, compte tenu du fonctionnement de la société roumaine, dont Charles Rist témoigne dans son Journal roumain.

L’installation de cette mission de « money doctors » à Bucarest qui, était devenu une sorte de sorte de conditionnalité, imposée aux dirigeants roumains par les créditeurs étrangers en échange de leur participation à l’émission de l’emprunt, permet à la France de consolider ses intérêts et son influence politique, économique et financière en Europe centrale. Rappelons que la France bénéficie également en Pologne, en Yougoslavie et en Tchécoslovaquie d’une position hautement favorable. Pour la Banque de France, le succès de l’opération roumaine est une importance considérable. Le Gouverneur Emile Moreau réussit, ainsi qu’il le souhaitait et qu’il l’a plusieurs fois noté dans ses Mémoires, à prouver à son rival Montagu Norman et à la Banque d’Angleterre que la Banque de France a les compétences d’organiser la stabilisation d’autres monnaies européennes que le franc, ainsi que de participer réellement à la coopération monétaire internationale.

Pour la diplomatie française, dont le soutien et l’encouragement apporté à la Banque de France dans l’affaire roumaine ne doit pas être négligé, la présence en Roumanie d’une mission financière française constitue un élément très important pour le renforcement des liens politiques, militaires et économiques avec ce pays centre-européen et, implicitement, dans toute la région, qu’elle convoitait depuis la fin du XIXe siècle.

Quant à la Roumanie, les dirigeants de Bucarest découvrent assez rapidement les contraintes et les limites du contrôle et de la surveillance financière 329

française. Avec beaucoup de difficultés, ils tentent de respecter les engagements pris envers les créditeurs étrangers et, notamment, envers la Banque de France. Le maintien de l’équilibre budgétaire s’avère très le problème majeur des dirigeants roumains qui, malgré les mises en garde de Charles Rist et de Roger Auboin, augmentent continuellement les dépenses et les engagements hors budget, notamment pour la réorganisation de l’armée et l’achat des équipements militaires. Ce problème, ainsi que toute la situation économique et financière de la Roumanie, s’aggravent progressivement, par suite de l’éclatement de la Crise de 1929. Surprenant la Roumanie en plein processus de reconstruction et de développement, la Crise de 1929 plonge dès 1931 le pays dans une forte crise économique et financière, par suite de l’effondrement des prix agricoles, forestiers et pétroliers sur le marché international, les principaux produits des échanges commerciaux roumains. Malgré les nouveaux crédits internationaux, obtenus par les dirigeants de Bucarest en mars 1931, 1 325 000 000 millairds de francs français, par suite de l’émission de la deuxième tranche de l’emprunt de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie, la situation économique et financière du pays continue à se détériorer. Face à ces difficultés, les dirigeants roumains décident de faire appel à l’expertise économique et financière de Charles Rist en espérant que l’ancien Conseiller technique de la Banque Nationale conclura à la nécessité d’un nouvel emprunt étranger.

Toutefois, le Rapport Rist met en évidence les limites de collaboration financière avec la Roumanie, ainsi que les contraintes d’ordre financier et, notamment, moral pour la Banque de France. Dans son rapport, publiée en mai 1932, Rist conseille la Roumanie de s’adresser à la Société des Nations car la France ne pouvait plus venir seule à son secours économique et financier, compte tenu de l’internationalisation des difficultés économiques et financières des États centre- européens. Les recommandations sont également partagées par les dirigeants de la Banque de France qui, dès le printemps 1932, ainsi que l’atteste les documents d’archives, envisagent de quitter la Roumanie car la gestion des affaires financières de ce pays devenait de plus en plus difficile et risquait de compromettre le prestige et le crédit international de leur institution. Inutile de

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 préciser que le projet d’intervention de la Société des Nations en Roumanie provoque à Bucarest une vive émotion et des critiques à l’égard de la Banque de France. Le retrait de cette dernière est également critiquée par le Quai d’Orsay car il représente un véritable danger pour l’influence et les intérêts politiques économiques et financiers acquis en Roumanie depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Pour la diplomatie française, le maintien de cette mission en Roumanie apparaît, au moment où l’expansion économique et commerciale de l’Allemagne prend de l’ampleur dans la région, d’autant plus important. La Banque de France, dont l’implication dans les affaires roumaines a été soutenue et encouragée par Poincaré, ne semble plus continuer à suivre les grandes lignes de la diplomatie française. Face aux difficultés économiques et financières, qui résultent de la Crise de 1929, et au refus de la Banque de France de lui accorder son soutien financier, la Roumanie doit s’adresser en juin 1932 à la Société des Nations. Toutefois, la méfiance des dirigeants roumains à l’égard de l’institution de Genève, les conditions et les exigences imposées par les experts genevois et, notamment, l’instauration d’un nouveau contrôle financier sur le pays pour une durée de cinq ans, jalonnent une sorte de fuite en avant qui conduira en mai 1934 à l’échec du projet de collaboration avec la Société des Nations.

La Banque de France, dont la mission financière de la Banque de France quittera finalement la Roumanie le 1er février 1935. Le dernier rapport publié par Roger Auboin sur la situation économique et financière de la Roumanie constitue un sévère réquisitoire contre les dirigeants de Bucarest qui n’ont pas respecté les engagements pris en février 1929 et en mars 1931 envers la Banque de France et les créditeurs étrangers. Le non-respect de ces engagements a mis la Roumanie dans l’impossibilité à partir de 1933 de continuer à honorer le service de sa dette publique extérieure. Ainsi, à partir de août 1935, quand la Roumanie suspendra une nouvelle fois ses paiements extérieurs, chaque pays créancier doit négocier directement avec les dirigeants de Bucarest pour régulariser sa situation. Nous soulignons le fait que la France qui, représente le premier créancier de la Roumanie durant l’entre-deux-guerres, détient, en 1940, 30% du total de la dette publique roumaine devant la Grande- 331

Bretagne avec 16,34% et l’Allemagne avec 11,11%. À la différence de la Grande-Bretagne, la France réussit, donc, à s’imposer en Roumanie durant l’entre-deux-guerres non seulement comme allié politique et militaire, mais aussi comme principal créancier. Les considérations politiques des dirigeants de Bucarest, ainsi que nous l’avons déjà précisé, y jouent un rôle important car les garanties que la France offrent pour le maintien du statu quo post bellum ne sont pas négligeables.

L’exemple de la Roumanie constitue un case-study à travers lequel nous pouvons analyser l’évolution de la coopération monétaire internationale durant l’entre-deux-guerres. Il met en évidence à la fois la coopération et la concurrence entre la Banque de France, la Banque d’Angleterre et la Federal Reserve Bank de New York durant les années vingt, les principales banques centrales qui interviennent dans le redressement monétaire et financier de la Roumanie. À l’évidence, la stabilisation de la monnaie roumaine, comme celle de la monnaie polonaise de 1927, met en lumière l’échec des tentatives de coopération monétaire internationale qui s’expliquent fortement par l’opposion et la rivalité entre la Banque de France et la Banque d’Angleterre. Le redressement monétaire de la France de 1926-1927 redonne à la Banque de France une influence et un poids financier considérable en Europe qui mettent un terme aux efforts du Gouverneur de la Banque d’Angleterre, Montagu Norman, de reconstruire le système monétaire européen sur l’égide de la Banque d’Angleterre. À cela s’ajoute également l’influence financière croissante des Etats-Unis et, notamment de la Federal Reserve Bank de New York, qui diversifie le pouvoir financier en Europe de par leur participation à la reconstruction du système financier et monétaire européen.

L’implication de la Banque de France en Roumanie relève dans un premier temps des ambitions centre-européennes à la fois du Gouverneur Emile Moreau et des dirigeants du Quai d’Orsay. En participant à la stabilisation de la monnaie roumaine, Emile Moreau veut démontrer à la Banque d’Angleterre et à son Gouverneur Montagu Norman que la Banque de France dispose des compétences techniques et financières pour participer à la stabilisation des

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935 monnaies centre-européenns. Cependant, dans les années trente, la Banque de France semble ne plus suivre les intérêts et les ambitions centre-européenne de la diplomatie française en souhaitant se retirer des affaires roumaines pour ne pas affaiblir le prestige et le crédit international de la Banque de France.

L’exemple roumain peut également contribuer à la compréhension quant à l’émergence de la banque centrale moderne au XXe siècle. Avec la modification de ses anciens Statuts en février 1929, la Banque Nationale de Roumanie devient une banque centrale moderne, dont les compétences monétaires et financières ont été considérablement étendues par rapport au pouvoir politique. Toutefois, la destitution des Gouverneurs Dimitrie Burillianu et Mihail Manoilescu en mars 1931 et, respectivement, en novembre 1931 reflète la fragilité de l’indépendance de la Banque Nationale de Roumanie par rapport au pouvoir politique qui continue à intervenir dans son fonctionnement et ses décisions.

Le présent travail revendique sa différence par le fait qu’il analyse l’interférence et l’articulation des facteurs politiques, économiques, financiers et monétaires durant les années 1922-1935, ayant conduit à l’intégration de la Grande Roumanie dans l’histoire des relations internationales. Cette méthode d’analyse que nous avons utilisée tout le long de notre travail conclut à une forte interdépendance entre le politique, l’économique, le financier et le monétaire, même si un des facteurs impose à certains moments sa primauté. Les problèmes et les difficultés auxquels la Roumanie doit faire face tout le long de l’entre-deux-guerres sont des problèmes très concrets et complexes qui ne peuvent pas être résolus qu’en tenant compte de leur interdépendance.

Nous souhaitons insister encore sur le fait que l’intervention politique et financière de la France en Roumanie durant les années 1922-1935 illustre parfaitement, ce que Philippe Marguerat916 a appelé, la volonté des dirigeants de Paris d’exclure l’Allemagne des économies centre-européennes et de

916 MARGUERAT, Philippe, « Les investissements français dans le Bassin danubien durant l'entre-deux-guerres : pour une nouvelle interprétation », Revue historique 1/2004 (n° 629), p. 121-162. 333

substituer à son influence celle de la France. Á travers l’exemple de la Roumanie, nous avons démontré que l’expansion financière française en Europe centrale durant les années 1922-1935, taxée de « l’impérialisme du pauvre », a été importante et complexe. La Banque de France devient le porte- parole de la Pologne, de la Roumanie et de la Yougoslavie et elle instaure des liens très étroits avec ces pays par l’installation des missions financières à Varsovie, à Bucarest et à Belgrade. En Roumanie, Charles Rist, Roger Auboin, Jean Bolgert, Henri Poisson font bénéficier les dirigeants de Bucarest de leurs compétences et de l’expertise financière afin de faciliter l’insertion de la Roumanie dans les relations financières internationales. Le recul français durant les années trente est le résultat d’une conjonction des facteurs internes et internationaux qui, dans le cas de la Roumanie, est autant le fait de la crise de 1929 que des dirigeants roumains, français, anglais et allemands. L’exemple de la Roumanie durant les années 1922-1935 fait ressortir les difficultés des États de la périphérie de s’intégrer dans le système politique, économique et financier international mis en place par les Traités de Paix de 1919-1920. La périphérie centre-européenne reste toute le long de l’entre-deux- guerres un terrain où se croissent de multiples rivalités internationales, dont l’impact et les conséquences sur l’évolution de cette région ne sont pas négligeables compte tenu des rapports de force et des intérêts qui régissent les grandes puissances et, implicitement, les États centre-européens.

La Roumanie face aux rivalités politiques et fiancières internationales et les recherches futures ?

En répondant à certaines interrogation, cette recherche en a évidemment soulevé d’autres. Dans cette thèse, les archives françaises et roumaines ont été étudiées de manière extensive car elles présentent une importance considérable pour la compréhension de l’intégration de la Roumanie dans les relations internationales durant les années 1922-1935. Mais, souvent, elles posent le problème d’objectivité et de parti pris des acteurs français et roumains. Un croisement de ces archives avec celles de la Banque d’Angleterre, de la Federal

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Reserve de New York, de la Reichsbank, ainsi qu’avec des archives diplomatiques anglaises, américaines et allemandes pourrait s’avèrer fort interessant et enrichissant.

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SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

SOURCES NON-PUBLIÉES

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1370200006/11 : Missions françaises en Roumanie (Stabilisation monétaire et développement économique. Coupures de presse).

1370200006/12 : Missions françaises en Roumanie ().

1370200006/13 : Missions françaises en Roumanie (Relations internationales de la Roumanie : notes, études et correspondance entre les dirigeants roumains et les gouvernements étrangers).

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

1.2. Fonds Papiers de Charles Rist, 1890-1960 :

9/1 : Interprétations économiques de la guerre, 1918-1919 : Notes de lecture (Politique, économie politique et guerre. Notes sur les arguments économiques du pangermanisme, l’idée de l’Europe centrale d’après Andler).

10/4 : Les systèmes monétaires et les banques d’émission de nouveaux pays de l’Europe centrale (Hongrie, Tchécoslovaquie, Roumanie, Yougoslavie), 1921- 1924.

17/6 : Visite de M. Montagu Norman à Paris : procès-verbal de l’entretien du vendredi 27 mai 1927 concernant la collaboration des marchés de Londres et Paris (présents : MM. Moreau, Rist, Quesnay et MM. Norman et Siepmann).

18/5 : Correspondance 1927, 1928, 1929, lettres reçues par Charles Rist (Lettres manuscrites de Pierre Quesnay concernant la situation de la Banque Nationale de Roumanie, 1928).

22/9 : Correspondance avec MM. Strong et Norman au sujet du marché monétaire, mai-juin 1927.

23/1 : Conversations du 1er au 7 juillet 1927 à New York et Washington, entre MM. Strong, Norman, Schacht et Rist et entre MM. Ogden, Mills, Kellog, Dwight Morrow et Rist.

23/2 : Deux lettres de Benjamin Strong de la Federal Reserve Bank of New York, 16 et 18 août 1927.

23/3 : Conversation avec M. Siepmann, 19 novembre 1927 (Compte-rendu d’une conversation entre M. Siepmann et MM. Rist et Quesnay du 19 novembre 1927).

23/4 : Note manuscrite sur la Mission américaine de Charles Rist.

23/5 : Aide mémoire pour la visite de Londres du 21 février 1928 : résumé dactylographié de la visite.

23/7 : Voyage à Rome avec M. Moreau, février 1928 (Compte rendu d’une conversation avec Volpi. Lettres de Siepmann de la Banque d’Angleterre, 339

datées du 21 février et du 6 mars 1928, à Charles Rist concernant le voyage en Italie).

23/9 : Journal de la Roumanie : notes, premier séjour, juillet 1928 et notes, second séjour, novembre 1928.

23/10 : Journal roumain, notes du troisième séjour, février - septembre 1929 (Réflexions, comptes-rendus de rendez-vous avec les dirigeants roumains).

23/11 : Extrait incomplet du Journal roumain, pp. 15-19. Télégramme de la famille de Charles Rist, juillet 1929.

23/12 : Lettre de Charles Rist à Emile Moreau du 7 juillet 1929 évoquant sa mission en Roumanie et lui faisant part de son refus de siéger au Conseil d’administration de la nouvelle banque internationale, en tant que délégué de la Banque Nationale de Roumanie.

24/1 : Correspondance avec Roger Auboin (Correspondance et télégrammes avec Auboin, lettres et télégrammes reçus et envoyés à Auboin, Henry Guittard, Jean Bolgert, G. Bachmann, Bratianu, 1927-1930).

24/2 : Correspondance avec Roger Auboin et autres, mars 1931 (Lettres concernant la Banque Nationale de Roumanie reçues et envoyées à M. Auboin, M. Bolgert, M. Guittard, M. Bachmann, M. Burillianu, M. Manoilescu, M. Antonescu, M. Poisson, M. Argetoianu, M. Farnier, M. Quesnay, 1930-1931).

25/1 : Télégrammes Charles Rist - Roger Auboin, 1930-1931.

25/2 : Bernard Weinberg. Un conte roumain, extrait de « Paris Midi » du 29 mai 1931.

25/3 : Note sur les réformes restant à réaliser ou à achever en Roumanie, février 1932.

25/4 : Rapport sur les finances publiques de la Roumanie, par M. Charles Rist, I. Rapport général, mai 1932.

25/5 : Note sur les deux premières années d’application du programme de stabilisation et de développement économique : notes dactylographiées concernant la Roumanie, s.d.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

26/2 : Journal 1931, pp. 1-7 ; Journal 1932 avec une partie intitulée Journées de Vienne du 19 au 21 août 1932, pp. 8-15, Journal 1933 avec une partie intitulée Résumé de ce que nous avons vu à Washington et une autre Conversations de Washington, pp. 16-24, 1931-1933.

2. Archives de la Banque Nationale de Roumanie, Bucarest

2.1. Fonds Secretariat :

Nos. : 4/1923-1936, 5/1926, 10/1927-1938, 4/1925-1942, 4/1926-1928, 19/1927- 1938, 21/1927-1946, 1/1928-1935, 3/1928, 4/1928-1936, 6/1928-1930, 9/1928- 1936, 15/1928-1931, 3/1929-1930, 6/1929-1931, 7/1929-1933, 31/1929-1944, 10/1930-1934, 12/1930, 26/1930-1931, 38/1930-1931, 6/1931-1937, 7/1931- 1938, 10/1931-1932, 17/1931-1933, 18/1931-1933, 31/1931-1933.

2.2. Fonds Etudes : No. 8/1935.

3. Archives du Ministères des Affaires Etrangères, France, Paris

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie (1918-1940), Nos. : 179, 180, 181, 183, 225, 202. , 288, 289, 290, 291, 292, 312, 321, 380, 577.

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Tchécoslovaquie (1918-1940), No. 167 : Affaire Skoda et le Gouvernement roumain, 1930-1939.

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie (1918-1940), No. 178 : Politique intérieure, 1925-1934.

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie (1918-1940), No. 182 : Politique étrangère, 1934-1939.

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie (1918-1940), No. 183 : Relations franco-roumaines. Visites à Paris de Carol II et de Nicolae Titulescu. Propagande de la France, 1930-1940.

341

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie (1918-1940), No. 185 : Voyage de Louis Barthou à Bucarest et Belgrade, juin 1934.

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie (1918-1940), No. 201 : Affaires économiques, 1931-1940.

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie (1918-1940), No. 224 : Commerce. Relations et conventions, 1930-1935.

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie (1918-1940), No. 225 : Relations et conventions commerciales franco- roumaines. Affaires diverses, 1930-1934.

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie (1918-1940), No. 228 : Industrie, dossier général, 1931-1955.

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie (1918-1940), No. 229 : Mines et Pétroles, 1930-1935.

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Grande- Bretagne (1918-1940), No. 287 : Relations avec la France, 1936-1945.

Relations commerciales 1918-1940, Roumanie C104-C109, No. 16 : Affaires industrielles, Skoda, l’Industrie Aéronautique Roumaine, 1929-1931.

4. Archives du Ministère des Affaires Etrangères, Roumanie, Bucarest

Fonds Anglia, No. 39-40 : Relatii cu România, 1921-1939 (Télégrammes, notes, coupures de presse) ; No. 41 (1940-1944) ; No. 42.

Fonds Dosare speciale, No. 131 (1926-1928), No. 132 (1929-1939), No. 133 (1930-1936), No. 134, No. 247 (1932-1934).

Fonds Franta, No. 65 : Relatii cu România, 1930-1935 (Télégrammes, notes, coupures de presse); No. 162, No. 164, No. 962, No. 963.

Fonds Germania, No. 73 (1921-1932), No. 74 (1933-1935).

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Fonds România, Vol. 1, Vol. 3, Vol. 4 ; Vol. 358 (Probleme economice, 1921- 1934 (Télégrammes, études sur la situation économique et financière de la Roumanie, coupures de presse).

5. Archives de la Société des Nations, Genève

Section économique et financière, Genève : R 310 (Roumanie : situation politique du pays) ; R 305 ; R 358 ; R 3634 (Situation in Romania, dossier 4373); R 561 ; R 583 ; S 84.

Section économique et financière, Genève, Fonds Missions en Roumanie (1932) : S 85, S 86 (Loi monétaire et questions budgétaires. La production de la Roumanie durant la Crise de 1929), S 87 (La Roumanie à la Conférence de Stresa, Discours de Virgila Madgearu. Programme de développement économique et financier, 1931. Coupures de presse, 1929-1935), S 88 (Rapport sur les finances publiques de la Roumanie, Charles Rist, mai 1932), S 89 (Situation économique, financière et monétaire de la Roumanie), S 90 (Situation économique et commerciale de la Roumanie. Relations avec l’étranger)

Section économique et financière, Genève, Fonds Privés : Sir Arthur Salter’s Papers, S 123 (Report on economic and financial situation of Romania)

Section économique et financière, Genève, Conférence financière internationale de Bruxelles, 1920, Tome III.

Section économique et financière, Genève, Mémorandum sur les Balances de paiements et sur les balances du commerce extérieur 1911-1925, Volume I, Questions économiques et financières, 1926.

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Section économique et financière, Genève, Questions économiques et financières (1-11), 1932.

6. Archives de la Banque des Règlements Internationaux, Bâle

Archives de la Banque des Règlements Internationaux, Bâle, Reviewing the global economy over 75 years, BIS Annual Reports, 1931-1937.

343

7. Archives de la Banque Nationale Suisse, Zurich

Lettre des Banquiers suisses à la Banque Nationale Suisse, le 19 juillet 1928, Archives BNS, Zurich, No. 3116 (Rumaenien : Protokollauszüge, Berichte, Anträge, Konvention swischen den Zentralbanken, dir. korr), 1928-1931.

Lettre de Emile Moreau à G. Bachman, le 17 octobre 1928, Archives BNS, Zurich, No. 3116 (Rumaenien : Protokollauszüge, Berichte, Anträge, Konvention swischen den Zentralbanken, dir. korr), 1928-1931.

Lettre de Musy à G. Bachmann, le 20 octobre 1928, Archives BNS, Zurich, No. 3116 (Rumaenien : Protokollauszüge, Berichte, Anträge, Konvention swischen den Zentralbanken, dir. korr), 1928-1931.

Lettre de Musy à G. Bachman, le 26 octobre 1928, Archives BNS, Zurich, No. 3116 (Rumaenien : Protokollauszüge, Berichte, Anträge, Konvention swischen den Zentralbanken, dir. korr), 1928-1931.

Note sur les participations industrielles et commerciales suisses en Roumanie, Archives BNS, Zurich, No. 2136 (Rumänien), 1936-1961.

8. Archives historiques du Crédit Agricole Groupe, fonds Crédit Lyonnais, Paris

98 AH 61-63 : Allemagne (Discours de M. Schacht sur la situation économique et financière internationale, décembre 1933).

98AH 164 : Première Guerre mondiale : puissances centrales et leurs alliés, mesures concernant les entreprises liées à l’Autriche ou présumées comme telles ; rapports avec les Etats issus de l’ancien empire d’Autriche-Hongrie, 1919-1928.

DAF 00501-1 : Dossier d’études sur le financement d’un crédit aux Chemins de fer roumains pour la livraison de locomotives, 1929.

DEEF 22085 : Etudes industrielles (Pologne : note sur la situation économique et financière, 1919).

DEEF 22878 : Banque Nationale de Roumanie, 1916-1928.

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

DEEF 31749 : Etudes économiques (Roumanie : études économiques 1927, 1928 ; situation politique et organisation parlementaire, notes et études, 1928- 1931).

DEEF 37319 : Bulletins mensuels de banques : Banque Chrissoveloni, septembre 1928 - juillet 1930, Bulletin de la coopération roumaine, janvier 1931 - juin 1932, Banque de Crédit roumain, juillet 1927 - juillet 1932).

DEEF 57196-2 : Etudes industrielles (Union européenne industrielle et financière : études sur les intérêts pris par MM. Schneider et Cie dans les affaires de l’Europe centrale).

DEEF 59482 : Répertoire des articles de presse parus sur les pays étrangers, questions économiques, politiques et financières, monétaires et sociales. (Yougoslavie : les relations et conventions commerciales avec les autres pays d’Europe et notamment avec l’Allemagne, la France, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie, 1920-1955).

DEEF 67003 : Roumanie (Brochures sur la situation économique et financière de la Roumanie, 1924 ; brochure avec carte sur les opportunités de développement des intérêts américains, 1919 ; loi sur la réforme agraire, 1921 ; loi sur le contrôle et la commercialisation des entreprises d’Etat, 1924 ; petite brochure sur la situation politique en Roumanie, 1928 ; textes des débats du parlement national paysan réuni en juillet 1928 ; loi pour l’organisation et l’administration des entreprises et des biens publics, 1929).

DEEF 72890 : Etudes économiques (Texte d’un accord entre la Roumanie et l’Allemagne, 1929. Réparations orientales : texte des accords relatifs aux obligations résultants du traité de Trianon, 1930. Notes, coupures de presse, textes officiels, 1927-1931).

DEEF 73215 : Etudes économiques (Hongrie : études sur l’économie, sur la situation financière, sur les finances publiques, 1920-1939 ; étude sur la restauration financière sous les auspices de la Société des Nations, 1924-1926 ; notes sur la situation politique, sur la situation bancaire, 1931).

DEEF 73219 : Etudes économiques sur la Hongrie (La réforme monétaire de 1924-1925 ; étude sur le système monétaire, 1921-1926).

DEEF 73305 : Etudes économiques sur la Roumanie (Notes et études sur la situation économique et financière, 1922, 1927, 1928, 1930, 1931, 1932).

345

DEEF 73306 : Etudes économiques et financières sur la Roumanie (Roumanie, finances publiques et monnaie. Accord signé à la Société des Nations sur une collaboration technique consultative en Roumanie, 1933. Situation financière : notes, coupures de presse, tableaux, 1833-1944. Notes sur la Caisse Autonome des Monopoles, 1931. Etudes sur la Banque Nationale de Roumanie (service des changes et des études économiques). Stabilisation monétaire : texte de loi, notes, coupure de presse, 1928-1929, 1870-1944).

DEEF 73339 : Etudes économiques (Royaume des Serbes, Croates et Slovènes : études économiques et études sur la situation financière, 1922, 1924. Yougoslavie : note sur la situation financière, 1928 ; note et étude pour un projet d’emprunt, 1930 ; coupures de presse, 1928-1943).

DEEF 73343 : Mission d’études en Europe centrale et orientale, 1931- 1932 (Notes, procès-verbaux des réunions et études sur la situation économique et financières de la Bulgarie, de la Grèce, de la Hongrie, de la Roumanie, de la Tchécoslovaquie et de la Yougoslavie).

DEEF 73370 : Allemagne (La situation économique et financière de l’Allemagne durant les années trente. Rapport sur le développement du commerce allemand).

DEEF 73376 : Allemagne (Les effets de l’union douanière austro-allemande. Les réactions de la France et des pays d’Europe centrale et orientale).

DEEF 73377-1 : Autriche (Situation interne, brochures, coupures de presse, 1927-1935)

DEEF 73500-2 : Etudes économiques (Exécution du traité de Versailles dans différents pays. Roumanie, 1920-1921).

DEEF 73514 : Etudes économiques (Traité de Trianon : documents concernant l’exécution du traité de Trianon dans les différents pays de l’Europe centrale).

DHB 2122 : Etudes financières (Roumanie : répertoire des banques roumaines).

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

SOURCES PUBLIÉES ET ÉTUDES CONTEMPORAINES

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365

ANNEXES

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Annexe I: Evolution de la Roumanie, 1859-2011

Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Régions_historiques_de_Roumanie, consulté le 17 octobre 2011.

En violet l’ancien Royaume de Roumanie avant 1913, en rose les territoires rattachés au terme de la Première Guerre mondiale et restés roumains après la Deuxième Guerre mondiale et en orange les territoires rattachés en 1919-1920, mais perdus après 1945.

367

Annexe II: Carte politique de la Grande Roumanie (România Mare), 1919- 1940

Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Romania1935judete.jpg, consulté le 17 octobre 2011

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Annexe III: Superficie et population de la Grande Roumanie (România Mare), 1919-1920

Royaume de Roumanie Grande Roumanie Augmentation 1914 2 Superficie (km ) 137ʹ903 292ʹ244 154ʹ341 Population 7,8 16,9917 9,1 (en millions) Source : BRATIANU, Vintila, Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et programme d’avenir dans le cadre des nouvelles lois économiques (1923), p. 2, Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, R 310.

917 Les minorités ethniques de la Grande Roumanie représentent : 10% Hongrois, 6% Allemands, 5% Russes, 4% Juifs, 3% Bulgares, etc. 369

Annexe IV: Gouvernements de la Grande Roumanie, 1919 – 1937

Alexandru VAIDA-VOEVOD, 1er décembre 1919 - 12 mars 1920

Alexandru AVERESCU, 13 mars 1920 - 16 décembre 1921

Take IONESCU, 17 décembre 1921 - 19 janvier 1922

Ionel BRATIANU, 19 janvier 1922 - 29 mars 1926

Alexandru AVERESCU, 30 mars 1926 - 4 juin 1927

Barbu STIRBEY, 4 - 20 juin 1927

Ionel BRATIANU, 21 juin - 24 novembre 1927

Vintila BRATIANU, 24 novembre 1927 - 9 novembre 1928

Iuliu MANIU, 10 novembre 1928 - 6 juin 1930

George MIRONESCU, 7 - 12 juin 1930

Iuliu MANIU, 13 juin - 9 octobre 1930

George MIRONESCU, 10 octobre 1930 - 17 avril 1931

Nicolae IORGA, 18 avril 1931 - 5 juin 1932

Alexandru VAIDA-VOEVOD, 6 juin - 10 août 1932

Alexandru VAIDA-VOEVOD, 11 août - 19 octobre 1932

Iuliu MANIU, 20 octobre 1932 - 13 janvier 1933

Alexandru VAIDA-VOEVOD, 14 janvier - 13 novembre 1933

Ion Gh. DUCA, 14 novembre - 29 décembre 1933

Constantin ANGELESCU, 30 décembre 1933 - 3 janvier 1934

Gheorghe TATARESCU, 4 janvier 1934 - 28 décembre 1937

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières internationales, 1922-1935

Annexe V : Gouverneurs de la Banque Nationale de Roumanie, 1919 - 1937

Ioan BIBICESCU, 11 décembre 1916 - 31 décembre 1921

Mihail OROMOLU, 1er janvier 1922 - 31 décembre 1926

Dimitrie BURILLIANU, 1er janvier 1927 - 9 mars 1931

Constantin ANGELESCU, 9 mars 1931 - 10 juin 1931

Mihail MANOILIU, 14 juillet 1931 - 27 novembre 1931

Constantin ANGELESCU, 27 novembre 1931 - 3 février 1934

Grigorie DIMITRESCU, 03 février 1934 - 26 juillet 1935

Dimitrie (Mitita) CONSTANTINESCU, 23 septembre 1935 - 17 septembre 1940

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