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Peretz, Pauline: Rezension über: Ronald Smelser / Edward J. Davies II (Hg.), The Myth of the Eastern Front. The Nazi-Soviet War in American Popular Culture, Cambridge: Cambridge University Press, 2008, in: Annales, 2009, 3 - Mondes slaves, S. 726-727, DOI: 10.15463/rec.1189724722, heruntergeladen über recensio.net

First published: http://www.cairn.info/revue-annales-2009-3-p-697.htm

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This article may be downloaded and/or used within the private copying exemption. Any further use without permission of the rights owner shall be subject to legal licences (§§ 44a-63a UrhG / German Copyright Act). COMPTES RENDUS

magistrale par Eduard Mühle, qui met ici en politiques et le grand public. Ils invitent ainsi lumière les continuités intellectuelles et insti- à une réflexion sur l’émergence d’un discours tutionnelles qui permirent à l’ancien mandarin historique révisionniste et sur son influence de Breslau (aujourd’hui Wrocłau), auteur de dans la culture populaire américaine. rapports d’expert pour la politique de remode- Dans les trois premiers chapitres, les lage ethnique nazie durant la Seconde Guerre auteurs identifient les conditions qui per- mondiale, de contribuer après 1945 à une mirent la naissance de ce « contre-narratif » reprise des études sur l’Est (Ostforschung) en RFA. venu neutraliser les récits et la mémoire des Le cinéma fut (et est toujours) fondamen- horreurs subies pendant la guerre par la popu- tal dans la diffusion d’images passablement lation russe au contact de l’armée allemande : stéréotypées sur l’Est. Dans une étude parti- le début de la guerre froide et la transformation culièrement bienvenue, Kristin Kopp retrouve de l’ancien ennemi en allié décisif dans la lutte l’interprétation postcoloniale et propose de contre le communisme, mais aussi l’arrivée comprendre le film Ich denke oft an Piroschka, d’une nouvelle génération n’ayant pas connu grand succès nostalgique de 1955, comme une les combats dans l’armée américaine, et la compensation de la perte de la patrie orientale. résurgence de l’antislavisme et de l’antisémi- À travers une romance germano-hongroise, tisme chez une partie des militaires améri- c’est toute la présence civilisatrice allemande cains. En dépit de la condamnation de plusieurs en Europe centrale qui est rétrospectivement militaires au procès de Nuremberg, qui établit magnifiée. Enfin, Jan Behrends se penche sur la culpabilité de la dans les crimes la production très encadrée du discours de pro- commis sur le front de l’Est et sa participation pagande est-allemand sur l’URSS. à la Shoah, le mythe révisionniste d’une armée Entraînant le lecteur dans l’analyse d’un aux mains propres s’imposa grâce à la désinfor- imaginaire fascinant, souvent irritant, parfois mation organisée aux États-Unis par des mili- inquiétant, l’ouvrage doit sa réussite à la contex- taires allemands. Le groupe dirigé par Franz tualisation précise et à la juste complexification Halder (chef de l’état-major allemand de 1938 de ces fantasmes « orientalistes » protéiformes. à 1942), formé à l’initiative de l’armée améri- caine pour recueillir des renseignements sur THOMAS SERRIER l’armement soviétique, initia ce processus de réhabilitation, à un moment où Washington soutenait la reconstitution d’une armée alle- Ronald Smelser et Edward mande et se préparait à coopérer avec celle-ci. J. Davies II À ce stade, on aurait aimé mieux comprendre The myth of the Eastern Front: The Nazi- le processus administratif qui conduisit à la Soviet war in American popular culture création de l’Operational History (German) Cambridge, Cambridge University Press, Section (le groupe Halder) et se voir proposer 2008, XII-327 p. une analyse plus précise des canaux de diffu- sion du mythe produit par les officiers alle- Cet ouvrage, situé à la jonction de l’histoire mands dans l’armée américaine. militaire, de l’histoire de la guerre froide et Les chapitres suivants traitent de la popu- de l’histoire des représentations, défend une larisation de ce mythe dont quelques hauts thèse intéressante et nouvelle. Alors même gradés allemands en mal de reconnaissance que l’historiographie a solidement établi la furent à l’origine, et de son intégration rapide participation active des généraux allemands à dans la culture populaire américaine. R. Smelser la réalisation des plans d’extermination conçus et E. Davies considèrent successivement les par Hitler sur le front de l’Est, Ronald Smelser différents types de sources qui véhiculèrent et Edward Davies démontrent que le mythe cette vision des années 1950 à nos jours, tou- d’une Wehrmacht non complice des crimes chant un public de plus en plus large. Les nazis s’est imposé aux États-Unis à partir du mémoires des grands généraux allemands début des années 1950, un mythe qui convain- (ainsi ou ), 726 quit d’abord les militaires, puis les hommes devenus de très grands succès de librairie, COMPTES RENDUS nourrirent l’admiration des militaires améri- E. Davies montrent de manière convaincante cains, impressionnés par la qualité de la straté- comment, dans les deux cas, l’impératif de la gie allemande et par la tradition militariste réconciliation (Allemagne/États-Unis et Sud/ prussienne. Les officiers américains furent Nord) a pris le dessus sur celui de la justice, doublement aveuglés : ils ne surent pas voir aux dépens des victimes (celles tuées par les la déformation des faits véhiculée par ces Einzatsgruppen sur le front de l’Est et les Noirs ouvrages et leurs auteurs, et refoulèrent le fait américains dans les anciens États confédérés). que leur admiration se portait sur une armée Ces deux cas posent la question de la concur- défaite, qui avait connu un véritable désastre rence entre historiens professionnels aux militaire sur le front de l’Est. L’effet de ces ambitions scientifiques et historiens amateurs mémoires fut prolongé par les récits de guerre aux visées politiques révisionnistes. C’était là populaires qui offraient une vision romancée une belle occasion de réfléchir aux tensions des actions de l’armée allemande sur le front entre histoire professionnelle et histoire ama- oriental : pour faire oublier le comportement teur. On peut regretter que les deux auteurs ne sanglant des nazis, elles insistaient sur la cama- l’aient pas saisie et ne se soient pas demandés raderie fraternelle, le respect des lois de la comment les porteurs du mythe de la Wehr- guerre, la défense de la mère-patrie, ou encore macht ont réussi à résister aux démentis des un code de la morale inspiré des mythes de historiens professionnels alors que l’histoire de la chevalerie. la Seconde Guerre mondiale et l’histoire de la Les derniers chapitres de l’ouvrage traitent Shoah sont des champs d’étude si importants des épigones de cette littérature et révèlent aux États-Unis. Or l’histoire des historiens est une production, américaine cette fois, produite à peine présente dans cet ouvrage et le lecteur par des auteurs populaires que R. Smelser et n’est pas complètement convaincu par la thèse E. Davies désignent par le terme de « gourous ». de la « compartimentalisation » (p. 3) qui, Ceux-ci perpétueraient le mythe révisionniste selon les auteurs, expliquerait la perméabilité par le biais de jeux de rôle, d’histoires-fictions des deux sphères et justifierait l’absence de et de publications désormais vendues sur référence à l’historiographie. internet. Les Russes sont les autres absents de cette Outre sa thèse novatrice, un des intérêts histoire : on ne trouve dans cet ouvrage nulle de cette recherche est de présenter un corpus trace de leur contre-récit, même dans une ver- extrêmement important d’ouvrages véhiculant sion contemporaine, alors même qu’une fois ce mythe, écrits tant par des militaires alle- la guerre froide terminée, les considérations mands que par des auteurs américains. Il est idéologiques et stratégiques qui avaient pu dommage cependant que les auteurs ne s’inté- justifier le succès du mythe du front de l’Est ressent ni à la diffusion de cette littérature ni ont disparu. à sa réception. Il aurait été bon de s’interroger PAULINE PERETZ sur les raisons du succès de l’histoire militaire populaire aux États-Unis (les rayons chargés des grandes chaînes de librairie en sont la Nicolas Werth meilleure preuve), en s’intéressant par exemple L’ivrogne et la marchande de fleurs. Autopsie à ses réseaux de diffusion (groupes de lecture, d’un meurtre de masse, 1937-1938 maisons d’édition, librairies spécialisées...). Paris, Tallandier, 2009, 335 p. On aurait encore plus aimé savoir qui sont les lecteurs de cette histoire révisionniste : des La terreur et le désarroi. militaires, des membres des mouvements Staline et son système suprématistes blancs, des groupements néo- Paris, Perrin, 2007, 614 p. nazis, des mouvements pro-armes ? L’île aux cannibales. 1933, une déportation- L’analogie que cet ouvrage propose entre abandon en Sibérie « le mythe du front de l’Est » et celui de la Paris, Perrin, 2006, 205 p. « cause perdue » qui s’est popularisé dans le Sud américain au lendemain de la guerre de Une remarquable synthèse historiographique Sécession est intéressante. R. Smelser et et documentaire sur la Grande Terreur, un 727