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Les enjeux et stratégies identitaires des Nehirowisiwok de

Mémoire

Jessica Béland

Maîtrise en anthropologie - avec mémoire Maître ès arts (M.A.)

Québec,

© Jessica Béland, 2021

Résumé

Au Canada, de nombreux chercheurs se sont intéressés aux générations d’Autochtones qui ont vécu les pensionnats. L’attention des chercheurs se tournent maintenant de plus en plus vers les générations plus jeunes. Je propose dans ce mémoire de chercher à saisir les dynamiques et les enjeux identitaires des jeunes adultes (18-35 ans) Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan, soit les enfants et les petits-enfants de la génération des pensionnats. L’objectif principal est de tenter de mieux saisir la façon dont ceux-ci appréhendent le devenir de leur identité et de leur communauté. Parmi les facettes à explorer: qu’implique d’être un Atikamekw Nehirowisiw de Manawan, aujourd’hui, pour ces agents culturels? De quelles manières s’articulent les relations intergénérationnelles et familiales dans la co-construction et la transmission de l’identité Nehirowisiw à Manawan? Quels sont leurs défis, enjeux et stratégies identitaires? Mais aussi, et il s’agit de la question de recherche principale: Comment les jeunes adultes Nehirowisiwok de Manawan conçoivent-ils le Miro pimatisiwin (Bien Vivre) et le devenir de l’identité Nehirowisiw (Atikamekw)?

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Abstract

In Canada, many researchers have focused on the generations of Aboriginal people who lived through residential schools. Researchers are now increasingly turning their attention to younger generations. In this master thesis, I propose to try to grasp the dynamics and identity issues of the young adults (18-35 years) Atikamekw Nehirowisiwok of Manawan, that is, the children and grandchildren of the residential school generation. The main objective is to try to better understand the way they apprehend the future of their identity and their community. Among the facets to be explored: what does it mean to be an Atikamekw Nehirowisiw of Manawan today for these cultural agents? In what ways are intergenerational and family relationships articulated in the co-construction and transmission of the Nehirowisiw identity in Manawan? What are their challenges, issues and identity strategies? But also, and this is the main research question: How do Nehirowisiwok young adults in Manawan conceive the Miro pimatisiwin (Living Well) and the future of the Nehirowisiw (Atikamekw) identity?

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Table des matières

Résumé ...... ii Abstract ...... iii Table des matières ...... iv Liste des figures, tableaux, illustrations ...... vi Remerciements ...... vii Introduction ...... 1 Chapitre 1. Cadre théorique et conceptuel et contextualisation ...... 3 1.1 Cadre théorique et conceptuel ...... 3 1.1.1 Agencéité et autochtonie ...... 3 1.1.3 Identités, réaffirmations autochtones et résistances culturelles ...... 5 1.1.4 Projets de vie et Bien Vivre autochtones ...... 7 1.1.5 Relations intergénérationnelles et familiales ...... 9 1.1.6 Concept de « dialogue » et relations entre les Autochtones et les non-Autochtones 10 1.2 Contextualisation: les Atikamekw Nehirowisiwok ...... 12 1.2.1 Portait de la Nation Atikamekw Nehirowisiw ...... 12 1.2.2 Des premiers contacts à l’instauration des pensionnats « indiens » ...... 15 1.2.3 Réaffirmation identitaire et revendications politiques et territoriales ...... 20 1.2.4 La Communauté de Manawan: bref historique et portrait actuel ...... 24 1.3 Objectifs et questions de recherche ...... 28 Chapitre 2. Cadre épistémologique et méthodologique : Les défis et les enjeux d’un terrain en milieu autochtone ...... 29 2.1 Réflexivité et processus ethnographique en contexte autochtone ...... 29 2.2 Séjour de recherche à Manawan ...... 35 2.2.1 De quelques connaissances et expériences préalables ...... 35 2.2.2 « Trouver ma place » à Manawan ...... 36 2.2.3 Recrutement et échantillonnage ...... 40 2.2.4 Entretiens semi-dirigés et souper-discussion ...... 42 2.2.5 Discussions informelles et observation participante ...... 45 2.2.6 Le journal de bord et les notes de terrain ...... 47 2.2.7 De quelques enjeux méthodologiques ...... 47 Chapitre 3. De quelques défis et enjeux de la communauté de Manawan ...... 51 3.1 Héritage des pensionnats sur les relations intergénérationnelles ...... 51 3.2 Sur la pression « d’être » Atikamekw Nehirowisiw ...... 59 3.3 Précarité au niveau du logement, de l’éducation et de l’emploi ...... 62 Chapitre 4. Réseaux familiaux, activités communautaires et relations au territoire ...... 76

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4.1 Les liens familiaux et la transmission des valeurs et des savoirs ...... 76 4.2 L’esprit communautaire à Manawan ...... 79 4.3 Stratégies communautaires de valorisation et de transmission des savoirs ...... 80 4.4 Transmission de la langue ...... 83 4.5 Les relations au ...... 86 4.5.1 Le Nitaskinan et les revendications ...... 87 4.5.2 Le Nitaskinan et l’affirmation culturelle ...... 89 4.5.3 Le territoire comme lieu de guérison ...... 91 4.6 L’impact des réseaux sociaux à Manawan ...... 95 Chapitre 5 Les initiatives de rapprochements avec les non-Atikamekw ...... 101 5.1 Stratégies politiques et éducatives de rapprochements ...... 101 5.2 La Marche Motetan mamo ...... 106 5.3 Le Pow-wow de Manawan ...... 119 Conclusion...... 129 Bibliographie ...... 133 Annexes ...... 145

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Liste des figures, tableaux, illustrations

Figure 1 : Participants de l’expédition Tapiskwan Sipi de 2019…...... 92

Figure 2 : Programmation du projet Mirokin 3…………...... … 95

Figure 3: Les marcheurs, bénévoles et organisateurs, membres politiques locaux et fédéraux, peu de temps avant l’entrée des marcheurs sur le site du pow-wow de Manawan été 2019...... 113

Figure 4: Moment où le marcheur non-Atikamekw a répandu les cendres de son père sur le Nitaskinan, été 2019...... 117

Figure 5 : Programmation du Pow-wow de Manawan de 2019...... 122

Figure 6: Pow-wow de Manawan, été 2019...... 123

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Remerciements

Plusieurs personnes ont contribué, de près ou de loin, à la réalisation de ce processus de recherche. Aide qui s’est articulée, tout au long de mon cheminement à la maîtrise et non pas seulement durant le processus ethnographique proprement dit. J’aimerais d’abord remercier l’ensemble des membres de la communauté Atikamekw Nehirowisiw de Manawan. Je ne serais pas en mesure de nommer l’ensemble des personnes sans lesquelles cette recherche n’aurait pu être réalisée. Parmi celles-ci se trouvent Patrick Moar, Sipi Flamand, Paul Émile Ottawa, chef de la communauté de Manawan et l’ensemble des interlocuteurs de ce projet de recherche. Au cours de l’analyse des données, les relations que j’ai pu tisser, que ce soit alors que je travaillais à Manawan comme travailleuse sociale ou lors de mon terrain à l’été 2019, m’ont permis d’être en mesure de valider certaines informations auprès de membres de la communauté et auprès de personnes travaillant au Conseil de la Nation Atikamekw (Société d'histoire atikamekw, par exemple). Je remercie toutes ces personnes de leur confiance et de leur aide précieuse. Un énorme merci également à Sylvain, chef des services sociaux de la communauté, qui m’a permis de réaliser le déroulement du souper-discussion dans les locaux de l’institution de Manawan.

Dans ce mémoire, j’ai tenté de faire honneur de mon mieux à la confiance que vous m’avez accordée de diverses manières. Merci à tous mes amis qui m’ont soutenue, écoutée et/ou qui ont accepté de faire des relectures de mes chapitres, dont Gérard, Guillaume, Gabriel et Sonia. Merci aussi aux amis rencontrés durant mon processus de maîtrise, dont plusieurs membres du CIÉRA, et qui m’ont aidée directement et indirectement, dont Flora et Paul, mais aussi étudiants et professeurs du département d’anthropologie, ainsi que Lise G. Fortin, agente administrative du CIÉRA.

Énorme merci à Laurence, ma super patronne du moment, qui a toujours su se montrer flexible, afin de me permettre de me rendre à Manawan, durant l’été 2019, afin d’y conduire mon terrain de recherche.

Durant mon parcours de maîtrise, j’ai bénéficié de trois bourses : une bourse de fin de rédac- tion octroyée par la Chaire Louis-Edmond Hamelin (CIÉRA – Université Laval); une bourse de la Fondation des Anciens de Shawinigan dédiée aux étudiants à la maîtrise; et une bourse

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de ma directrice de recherche à partir d’une subvention FRQSC, Centre pour la conservation et le développement autochtones alternatifs (sous la direction de Colin Scott, Université McGill). Je leur adresse mes remerciements les plus sincères. Ces sources d'aide finan- cière ont été essentielles au bon déroulement de la recherche, et ce de diverses manières.

Enfin, j’aimerais remercier infiniment Sylvie Poirier, ma directrice de recherche, qui s’est pleinement impliquée pour m’aider à la réalisation de ce projet de recherche. Cela, considérant mon retour aux études et mon entrée dans une discipline qui m’était préalablement inconnue et compte tenu également du contexte de pandémie dans lequel nous avons été plongées, dès mars 2020, et qui n’a pas facilité la démarche d’écriture.

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Introduction

Au cours de mon implication d’un peu plus de deux ans (2016-2018), en tant que travailleuse sociale, au sein de la nation Nehirowisiw, particulièrement avec la collectivité de Manawan, j’ai amorcé une réflexion sur l’identité de ce peuple. Dès lors, mon attention s’est particulièrement centrée sur les variations perçues quant à la façon dont ceux-ci peuvent signifier et exprimer leur identité au sein de leur communauté et à l’extérieur de celle-ci. Alors que le fait « d’être » Atikamekw Nehirowisiw à l’intérieur même de la communauté est généralement porteur d’une grande fierté identitaire, ce sentiment me semblait affaibli, du moins chez certains Nehirowisiwok, dès lors qu’ils quittaient l’enceinte de la communauté et se retrouvaient en milieux urbains parmi les non-Autochtones. N’ayant pas les outils me permettant de mieux comprendre la situation et le vécu du peuple Nehirowisiw, la discipline anthropologique me semblait être un choix tout désigné à cette démarche de réflexion.

Ce mémoire tente de rendre compte de ce que signifie être un Atikamekw Nehirowisiw aujourd’hui, avec un accent sur la génération des jeunes adultes (18 à 35 ans) de la communauté de Manawan. J’explore les dimensions diverses qui fondent leur identité, leur sentiment de bien-être et leurs stratégies de transmission de ce qu’est « être » Atikamekw nehirowisiw dans le contexte actuel. Ces dimensions incluent aussi d’avoir à se définir face aux non-Autochtones et dans leurs relations avec ceux-ci.

Le chapitre 1 présente, dans un premier temps, le cadre théorique et conceptuel. Partant du concept d’agencéité, j’aborde les thèmes suivants: l’autochtonie et l’anthropologie de la situation coloniale; les identités, réaffirmations et résistances autochtones; les concepts de projets de vie et du Bien Vivre autochtones; les relations intergénérationnelles et familiales, et les stratégies de transmission; et enfin le concept de « dialogue » et des relations entre les Autochtones et les non-Autochtones. Dans un deuxième temps, je présente un portrait actuel de la Nation Atikamekw Nehirowisiw, avec un accent sur la communauté de Manawan où s’est déroulée ma recherche. Ma principale question de recherche se lit comme suit: Comment les jeunes adultes Nehirowisiwok (18-35 ans) de Manawan conçoivent-ils le Bien Vivre et le devenir de l’identité Nehirowisiw (Atikamekw)? Le second chapitre expose le cadre épistémologique et méthodologique. Il y est question des défis, des enjeux ainsi que

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des démarches réflexives inhérentes à un processus ethnographique en contexte autochtone. Suit ensuite une présentation du terrain proprement dit qui s’est déroulé à l’été 2019 sur une période de deux mois, et donc des modalités de recrutement et de la cueillette des données Nous terminons ce chapitre avec des considérations d’ordre éthique.

Les chapitres 3, 4 et 5 présentent l’analyse des données autour des défis, des enjeux, des obstacles et des espoirs qui sous-tendent la question identitaire chez les Atikamekw nehirowisiwok de Manawan. Le chapitre 3 souligne la manière dont le passage d’une génération dans les pensionnats continue de se refléter sur les relations intergénérationnelles, sur le sentiment identitaire et la transmission des savoirs traditionnels. Ce chapitre met aussi en lumière les difficultés et les défis de la communauté face à la précarité économique, au manque de logements et d’emploi. Il pose un regard sur comment des jeunes adultes font face à des pressions sur la manière « d’être » Atikamekw Nehirowisiwok Le chapitre 4 offre un aperçu des principales composantes identitaires des Atikamekw Nehirowisiwok, soit les liens familiaux, les valeurs de solidarité et de partage, la langue, la relation au Nitaskinan, le territoire ancestral, et les savoirs locaux en lien notamment avec le monde de la chasse. Nous verrons aussi comment le tissu social de Manawan et certaines de ses composantes identitaires sont aujourd’hui influencées par la présence d’Internet, des jeux vidéo et des réseaux sociaux, dont Facebook, dans la communauté. Enfin, le dernier chapitre se penche sur quelques initiatives et stratégies mises en place par la Nation et la communauté de Manawan pour favoriser les rapprochements avec les non-Atikamekw. Il est question, entre autres, de la marche Motetan mamo et du Pow-wow annuel de Manawan.

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Chapitre 1. Cadre théorique et conceptuel et contextualisation

1.1 Cadre théorique et conceptuel

1.1.1 Agencéité et autochtonie Anthony Giddens (1979), Sherry Ortner (2006) ainsi que Adrian Tanner (1992) désignent l’agency (agencéité ou agentivité) comme l’expression des diverses formes de pouvoir d’action des agents culturels sur leur propre vie, sur celle d’autres groupes sociaux ou sur des événements, selon le sens qu’ils attribuent aux situations et aux finalités. Ce qui les amène à être en mesure de se réapproprier un certain contrôle et pouvoir sur leur vie afin d’agir et d’influencer les phénomènes et les autres acteurs qui les entourent (Gidden, 1979; Tanner, 1992; Ortner, 2006). Deux modalités distinctes aident à saisir les manifestations de l’agency, selon Ortner. La première, qu’elle nomme « agency of power », émane directement des relations d’asymétrie de pouvoir. Ce qui mène certains groupes d’acteurs à se retrouver entre la position d’assujettissement ou celle de la résistance et se manifeste en contexte de relations de masse (Ortner, 2006: 144). La seconde, nommée « agency of project », se rapporte à la capacité des acteurs sociaux à formuler ou à exprimer leur intention ou projet culturellement constitué en des circonstances durant lesquelles il n’y a pas de juxtaposition directe entre les opposants et les opposés (Ortner, 2006: 144; Ortner, 2001)). En ce sens et comme l’évoque Thibault Martin (2009), chaque communauté autochtone a la capacité de se construire et d’agir sur elle-même, selon sa propre perspective du monde, et ceci même en tenant compte des rapports de pouvoir inégaux auxquels elle est sujette. Ceci nous amène à la notion d’autochtonie qui sera discutée dans les prochains paragraphes.

L’autochtonie ou « les » autochtonies (Gagné, Martin et Salaün, 2009) sont comprises comme de nouvelles sources de pouvoirs internationaux complexes et propres aux Premiers Peuples. L’anthropologue symbolique et social Tanner (1992) la situe comme une force agissant au sein même de ces populations (Tanner, 1992), au terme de 400 ans de résistance (Poirier, 2000) face aux violences assimilatrices des puissances coloniales. L’autochtonie présente aujourd’hui un caractère et une reconnaissance internationaux (Bellier, 2009). Cette forme de reconnaissance, et donc de pouvoir, s’accole directement au territoire « symbolique » et «

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naturel » de chacune des nations de la planète, tant ancestrale qu’actuelle, selon le linguiste et géographe Louis-Edmond Hamelin (1994: 421). Depuis environ la deuxième moitié du XXe siècle, les peuples autochtones revendiquent leur « droit à l’autodétermination » (Morin, 2006: 11), ainsi que leurs identités de peuples et Nations à part entière (Bellier, 2007; Nations Unies, 2007).

Cette puissance autochtone est dépeinte comme l’essence même de l’existence d’une altérité qui s’oppose au moule uniformisant de la globalisation. Ce phénomène mondial peut engendrer des conséquences à la fois profitables et nuisibles pour ces peuples. François Jullien (2009a), philosophe, helléniste et sinologue, indique que le poids des globalisations sur ces nations engendrerait certains défis sur le plan culturel. Parmi ceux-ci, il cible le risque d’homogénéisation de leur façon de penser le monde. D’un autre côté, l’anthropologue Françoise Morin (2005) affirme que la mondialisation serait, par le fait même, créatrice d’espaces de dialogue et de reprise de pouvoir pour les collectivités d’agents culturels de divers lieux qui partagent une historicité commune sur le plan des legs coloniaux, ainsi qu’un besoin de reconnaissance collectif (Morin, 2005, 2006).

Au fil de la période coloniale, des traitements et discours qui stigmatisent, infériorisent et discriminent ont été infligés aux peuples indigènes des territoires colonisés (Memmi, 1957; Wieviorka, 1991; Ferréol, 2003; Labelle, 2006). Fondés sur des préjugés ou « mythes » (Omi et Winant, 1986; Wieviorka, 1991; Guillaumin, 1972), ces traitements et discours ont maintes fois été légitimés par des institutions scientifiques. Dans leur détermination à contrôler les collectivités autochtones, les États coloniaux sont passés maîtres dans ces traitements dépréciatifs à l’endroit des Premiers Peuples. Giselle Robelin (2003), andragogue et éditrice à la Fondation autochtone de guérison, souligne, comme d’autres, qu’au Canada c’était l’existence même desdits « Indiens » qui posait problème aux yeux des colonisateurs européens. Ceci, puisqu’ils symbolisaient une embûche significative à leurs démarches de « civilisation moderne », comme le renchérit Sylvie Poirier (2000:137). C’est ce qu’Albert Memmi (1982), Tunisien ayant lui-même subi la colonisation, définit comme du racisme colonial1. C’est aussi toute la question de la différence et du rapport à l’Autre qui est mise à

1La littérature anthropologique est abondante sur les concepts de « race » et « racisme », leur genèse et leur histoire. Or, nous ne pouvons élaborer dans le cadre de ce texte. Voir, parmi de nombreux autres auteurs, le texte classique de Lévi-Strauss, 1952.

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mal avec les théories racistes engendrées et alimentées par le régime colonial. Au Canada, parmi les répercussions toujours actuelles des politiques coloniales, on note la disparité sociale et économique entre les nations autochtones et la société majoritaire (Salée, 2005). Parmi de nombreux autres, Jacinthe Dion (2016) et son équipe reconnaissent que les pensionnats Indiens, instaurés entre la fin des années 1800 et la fin des années 1900, comptent parmi les mesures étatiques ayant laissé de lourds impacts intergénérationnels toujours présents au sein de ces familles et communautés. Au Canada et au Québec, Pierre Lepage (2006) fait état de plusieurs facteurs et dimensions qui contribuent, encore aujourd’hui, à la mystification et au mépris social de la population majoritaire envers les peuples autochtones. Parmi ceux-ci, notons les médias (Lepage, 2006; Francis, 1992; Furniss, 2001), les espaces politiques (Furniss, 2001) et les manuels d’histoire canadiens (Bacon, 2012). Selon L Edward Wells (1978) qui a travaillé sur la question du contrôle social et qui reprend la théorie du labeling, ces étiquettes d’identification et d’infériorisation imposées aux Autochtones sont si puissantes qu’elles conduisent ces derniers à les intérioriser et à devenir ces Autres. Ce qui rejoint d’emblée la thèse de Memmi (1957) sur l’intériorisation chez les colonisés d’un sens d’infériorité. Wells ajoute que ce phénomène encourage également les pratiques et les attitudes déshumanisantes à leur endroit. En avançant le concept « d’indigénisation de la modernité », soit les multiples manières dont les peuples autochtones se sont appropriés la « modernité » en leurs propres termes tout en maintenant leur spécificité, Sahlins (1993; Badadzan, 2009) s’éloigne du scénario selon lequel ces peuples seraient voués à disparaître ou condamnés à la perte de leurs particularités culturelles.

Au travers des tactiques de la société majoritaire pour éteindre les altérités autochtones, voire à guider ces collectivités vers leur extinction (Charest et Tanner, 1992), les peuples colonisés ont constamment su faire preuve d’insoumission et de résistance (Memmi, 1957), en dépit des contraintes, des violences et des souffrances infligées. La section suivante sera dédiée à l’approfondissement des identités, réaffirmations et résistances autochtones.

1.1.3 Identités, réaffirmations autochtones et résistances culturelles Au terme d’une incapacité du régime colonial à éteindre ces Autres autochtones, ces derniers ont amorcé un processus de réappropriation de « soi » (Memmi, 1957: 90) et du pouvoir qui leur ont été dérobés par les colonisateurs (Charest et Tanner, 1992). De façon générale, la

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notion d’identité se définit de manière relationnelle (relations à soi et aux autres) et évolue selon la teneur et la nature des relations sociales au sein de contextes historiques et sociaux particuliers. C’est dire que l’identité (individuelle et collective) se négocie toujours dans les rapports aux autres, soient-ils proches ou lointains. En milieu autochtone, la plupart du temps, cette négociation s’inscrit au sein de rapports de pouvoir inégaux face à l’ordre dominant de la société majoritaire. Bien qu’aucun consensus ne soit possible sur les termes à utiliser pour aborder le concept des identités autochtones, Hilary N. Weaver (2001: 45), membre de la nation Lakota et codirectrice de l'Institut de recherche sur les immigrants et les réfugiés de l’Université de Buffalo, avance que:

Indigenous identity is connected to a sense of peoplehood inseparably linked to sacred traditions, traditional homelands, and a shared history as indigenous people. A person must be integrated into a society, not simply stand alone as an individual, in order to be fully human. Additionally, identity can only be confirmed by others who share that identity. The sense of membership in a community is so integrally linked to a sense of identity that Native people often identify themselves by their reservations or tribal communities.

Laurent Jérôme (2005) met de l’avant la notion de « convocation ». Celle-ci permet de compléter la définition de l'identité autochtone proposée par Weaver. L’auteur, anthropologue menant des recherches auprès de la nation Atikamekw Nehirowisiw, présente la notion de convocation comme un « processus par lequel sont traduits, réunis et intégrés des pratiques et des savoirs inspirés d’espaces relationnels multiples au sein des expériences contemporaines pour répondre à un contexte social en pleine mutation et transition » (Jérôme, 2005: 22). De tels processus se manifestent au travers de trois types d’espaces relationnels, soit les relations « entre les générations », celles avec les « groupes voisins », c’est-à-dire entre les nations autochtones, et enfin celles « avec la société non autochtone » (Jérôme, 2005: 22).

Dans les processus de revendication des Autochtones à l’égard des États, ceux-ci « doivent amener la preuve que ce qui définit l’essence de l’« être autochtone » est fidèle à un passé ancestral pour que soit simplement reconnu le droit d’entamer des négociations à propos de leurs spécificités culturelle, identitaire et territoriale » (Jérôme, 2010a; 2005: 21). Face à la mondialisation et à l’idéologie politique néolibérale, on observe une augmentation et une accélération des revendications, des preuves d’insoumissions et de révoltes des peuples

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autochtones. Au Canada comme ailleurs, ces collectivités revendiquent « les outils et pouvoirs pour construire l’avenir » (Collin, 1994: 477). Selon Nicolas Paquet (2016), philosophe politique qui s’est intéressé au phénomène de résurgence chez les peuples indigènes du Canada, ces manifestations seraient indispensables au processus de « réconciliation » entre les Autochtones et la société majoritaire. Ces mouvements auraient pour fondement la solidarité et conduiraient à une réaffirmation à la fois des solidarités et des identités autochtones (Houtard, 2004). Comme en témoignent les travaux, parmi d’autres, de Jérôme (2011) et Gagné et Jérôme (2009), les défis des jeunes générations autochtones au niveau de la réaffirmation et des revendications identitaires sont majeurs et ont suscité ces dernières années un intérêt croissant de la part des chercheurs. Nous y reviendrons plus loin.

1.1.4 Projets de vie et Bien Vivre autochtones Mario Blaser (2004) est l’auteur de la notion de projet de vie autochtone (Indigenous life project). Cette notion illustre le refus de certains groupes autochtones d’adhérer à un projet de vie qui promulgue la survalorisation de l’Homme au détriment des dimensions non humaines et spirituelles (Blaser, 2004; Cyr et Éthier, 2017). Au travers de leur agencéité, ces groupes autochtones saisissent et revendiquent des significations particulières quant à leur avenir et leur devenir. Ce qui se traduit au travers de divers projets de vie qui s’imprègnent d’une valeur sacrée accordée au territoire et qui valorisent les particularités locales telles les mémoires, les récits, les imaginaires, ainsi que leurs désirs. Ceci afin de concrétiser leur propre vision du monde. Ces projets de vie autochtones s’opposent ainsi à ceux que tendent à imposer l’État et les marchés économiques (Blaser, 2004). Éva Ottawa (2014: 115), une femme politique de la nation Nehirowisiw, souligne trois dimensions autour desquelles devrait s’articuler le projet de société de sa collectivité: par la solidification de leur fondement culturel, au travers de leur identité, de leur spiritualité et de leur mieux-être; par l’élaboration de stratégies leur permettant de faire entendre leurs voix; puis par la réappropriation culturelle.

Directrice du Centre de recherche sur l’éducation des Autochtones à l’Université de la Saskatchewan, Marie Battiste (2010; 2013) présente les institutions scolaires comme des potentialités de pouvoir pour les collectivités autochtones. Selon cette chercheure mi’kmaq, les priorités sociales actuelles en termes d’éducation et de scolarisation au Canada seraient

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le démantèlement de structures teintées par le racisme, les préjugés, les tensions historiquement insérées via, notamment, les pensionnats autochtones et l’idéologie eurocentrique inscrite dans le système scolaire. Elle atteste la nécessité que soient reconnus et inscrits aux programmes scolaires les besoins éducatifs propres aux groupes autochtones. Ce qui implique des dimensions comme le territoire, leur mode d’être spécifique, les savoirs ancestraux, les enseignements des aînés et les relations intergénérationnelles, ou encore l’importance de « l’esprit » (« learning spirit » (Battiste, 2013: 24)). La négligence de ces dimensions au sein des espaces accordés à la transmission des savoirs peut engendrer de lourds impacts chez ces populations, notamment sur « their development of self-esteem and self-confidence, their connections with their elders and families, and the losses to their culture and communities » (Battiste, 2013: 146; voir aussi Grant, 1996; Johnston, 1988; Knockwood, 1992). Au final, la décolonisation du système scolaire pour les Autochtones s’inscrit non seulement comme projet de vie plus large pour l’ensemble des collectivités autochtones, mais aussi comme fondement du Bien Vivre autochtone.

La conception sumak kawsay, buen vivir ou Bien Vivre (Langlois, 2012; Solón, 2018; Roussel, 2018) provient originairement des peuples andins (Roussel, 2018; Solón, 2018). Utilisée comme outil politique officiel par des peuples autochtones de l’Amérique latine (Langlois, 2012; Roussel, 2018), la notion du « bien-vivre » réfère à une conception pour appréhender, vivre et être au monde (Gudynas, 2011; Solón, 2018; Morin, 2013). Elle constitue une réponse de ces peuples à l’imposition des valeurs occidentales de progrès et de développement et de l’idéologie néolibérale (Langlois, 2012). Le buen vivir est un fondement qui conduit l’être à envisager son état d’équilibre global avec le territoire, l’espace, le bagage ancestral et toutes les formes de vie (Huanacuni Mamani, 2010; Langlois, 2012; Solón, 2018; Roussel, 2018; Morin 2013). Denis Langlois (2012) figure parmi les nombreux auteurs qui ont porté une attention particulière aux enjeux liés aux droits et aux résurgences autochtones de l’Équateur et de la Bolivie, et sur la notion de « Bien Vivre ». Il souligne que d’autres peuples autochtones à travers le monde, dont ceux du Canada, mettent aussi de l’avant cette notion, mais toujours en leurs propres termes.

Chez les Atikamekw Nehirowisiwok, par exemple, le terme « nehirowisiw » signifie « un être en harmonie avec lui, avec les autres et avec son environnement » (Ottawa 2001, cité

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dans Jérôme, 2010a: 85). Cette collectivité fait aussi l’usage de l’expression « Miro pimatisiwin » (Éthier, 2017: 279) pour aborder la « bonne existence », « qui a une vie équilibrée » ou « art de bien vivre » (Éthier, 2017: 294). Morin (2013) et Jean-François Roussel (2018) soutiennent que l’usage du concept de Bien Vivre implique directement la reconfirmation des droits des peuples autochtones, dont celui à l’autodétermination (Langlois, 2012; Morin, 2013). La notion de Buen vivir s’inscrit ainsi comme une réponse aux nombreuses crises actuelles, à la fois climatiques, économiques et culturelles et prend la forme d'un devoir pour les générations futures.

Le défunt Gilles Ottawa de la nation Nehirowisiw déclarait : « Le territoire que nos ancêtres ont reçu du Créateur nous est actuellement prêté et est destiné à nos petits-enfants et aux autres générations suivantes » (2004: 17).

1.1.5 Relations intergénérationnelles et familiales Les projets de vie, revendications et réaffirmations politiques et identitaires des peuples autochtones convoquent nécessairement les relations intergénérationnelles et familiales. En outre, en 2003, l’Organisation des Nations Unies considérait que la survie des multiples peuples autochtones dépendait du « bien-être de la jeune génération » (Gagné et Jérôme, 2009: 14).

Chaque génération2 d’Autochtones fait face à des défis et stratégies identitaires distincts. Ceci, entre autres, dans leurs rapports à la société majoritaire. Dans le cadre actuel des processus de réaffirmation identitaire et de construction de leur avenir, de nombreux acteurs autochtones sont investis dans la consignation et la transmission des savoirs ancestraux pour les jeunes générations. Ce qui implique des processus d’échanges et de négociations, ainsi qu’une « persistance culturelle » (Jérôme, 2005: 20). Ces processus de transmission des traditions et des cultures entre les générations et familles, au sens de Jérôme (2005: 22), prennent les formes « d’outils politiques » « dans la reconnaissance d’une identité culturelle ». Les relations dynamiques et continuellement renouvelées par les jeunes générations sont: « à la fois dialectiques et dialogiques, avec les générations de leurs parents et de leurs grands-

2La notion de génération est amplement valorisée par les collectivités privilégiant la transmission orale comme référent temporel, face à leurs ancêtres (Attias-Donfut, 1988).

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parents (et donc avec leur tradition) ; avec la société non autochtone et les discours et représentations de celles-ci à leur égard ; ou encore avec les institutions de l’État (dont l’école et le travail) et de la société majoritaire » (Poirier, 2009: 21-22).Au sein des communautés autochtones, les aînés sont signifiés comme gardiens des savoirs3 et des histoires identitaires (Gélinas, 2009) en plus d’être appréhendés comme symboles de respect par les jeunes générations (Poirier, 2009). Ceci n’exclut pas toutefois la présence de frictions entre les diverses générations, souvent dues aux oppositions entre les idéologies de la société majoritaire et celles portées par les ancêtres (Poirier, 2009). Tout en étant confrontées au risque de dilution culturelle, les jeunes générations font l’acquisition d’habiletés particulières pour entrer en dialogue avec une multitude d’espaces de vie (Poirier, 2009). Les technologies contribuent également à ces démarches qui visent à protéger et transmettre leur patrimoine culturel (Jérôme, 2005; Gélinas, 2009) ou pour défendre leurs droits (Ottawa, 2012)4.Pour Jérôme (2005) et Poirier (2009), les éléments contextuels actuels de la société dominante mènent inévitablement les jeunes générations autochtones à être à mi-chemin entre divers référents identitaires: ceux de la société dominante et ceux des générations familiales et communautaires qui les ont précédés. Cette situation mène actuellement ces acteurs à vivre une « crise identitaire ». Ce que Belleau (2009), issue d’une union entre une mère Inuk et un père québécois, appuie, parlant de « dualités quotidiennes » (Belleau, 2009: 9). Gagné et Jérôme (2009) sont d’avis que les jeunes générations autochtones confrontent certains enjeux particuliers: décrochage scolaire, problématique de violence familiale, d’agressions sexuelles, situations de chômage élevé, importants taux de suicide, et de consommation problématique d’alcool et/ou de drogues. Poirier (2009) évoque ce qu’elle comprend comme le défi premier des jeunes générations, soit le remodelage d’un nouvel ordre concordant à leurs visions actuelles du monde, notamment, sur les dimensions culturelles, sociales et territoriales.

1.1.6 Concept de « dialogue » et relations entre les Autochtones et les non-Autochtones Selon Jullien (2008; 2009 a et b), un dialogue entre les cultures consiste en une circulation de multiples intelligibilités avec l’Autre au sein desquelles des cohérences peuvent naître,

3Jérôme (2005:20) présente les savoirs comme: « des règles et des codes sociaux, des savoirs-faire et des manières d’être au monde, des valeurs et des significations culturelles inscrites dans la relation à l’environnement et à ce qui le constitue (entités humaines et non humaines) ». 4Sur la place des nouveaux médias dans l’affirmation de l’identité atikamekw nehirowisiw, voir aussi Jérôme et Veilleux, 2014.

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d’un côté comme de l’autre. Ce sont ces cohérences que chercheront à saisir les personnes impliquées dans le dialogue. Chaque acteur culturel étant porteur d’idées qui peuvent être fondamentalement saisissables.

Pour procéder à un « dia-logue », selon Jullien, il est impératif d’observer l’Autre, ici, autochtone, comme un être de culture et dans toute sa pluralité. Et plutôt que d’appréhender cet Autre en termes de « différences », manière de faire encourageant, selon lui, l’uniformisation des idées communiquées, il invite à l’observer en termes « d’écarts » - d’où le trait d’union dans sa façon d’écrire le mot dia-logue. D’ailleurs, ce « dia-logue » peut autant s’articuler au sein des échanges et interactions, des partages que dans les « ruptures » entres les écarts ontologiques (Jullien, 2008). C’est dire qu’un dia-logue entre une personne occidentale et une personne autochtone, tous deux agents culturels, implique ainsi la notion « d’écart culturel », incluant des écarts sur les plans ontologiques. En outre, chaque agent et groupe culturel sont en constante transformation et chacune de ces identités culturelles est plurielle. Jullien explique comment le fait de dialoguer avec l’Autre « oblige de facto chacun à réélaborer ses propres conceptions, pour entrer en communication, et donc aussi à réfléchir » (Jullien, 2009b: 162).

Jullien (2009b: 157) explique comment le fait de tendre de plus en plus à uniformiser les significations (sous la lentille occidentale) « envahit l’imaginaire et le rétrécit », au-delà de la tendance actuelle à uniformiser les biens matériels, partout sur le globe. Dans la section 1.2, nous avons d’ailleurs abordé la manière dont l’autochtonie porte en elle une altérité qui s’oppose au moule uniformisant de la globalisation. La conception occidentale étant loin d’être la seule, désormais, nous (Occidentaux) nous « apercevons qu’il y a d’autres façons d’interroger le monde et même que l’on peut penser sans l’interroger » (Jullien, 2009: 158). Pour arriver à « entendre » et à « dialoguer » avec l’Autre, Jullien conçoit comme nécessaire la reconnaissance de ces écarts et de cette diversité. Dans le contexte actuel de la mondialisation, il soutient la nécessité de prendre un pas de recul, face à la tendance occidentale à uniformiser les conceptions partagées dans le cadre d’échanges, considérant que cette posture universaliste de la culture européenne invite souvent à soustraire les écarts culturels et ontologiques communiqués, pour en tirer une intelligibilité occidentale. Cette tendance à « standardiser » les conceptions de l’Autre sous le moule occidental et sans

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remise en question de soi et de l’impérialisme occidental expose ainsi les Occidentaux au risque d’entendre en omettant une partie essentielle des idées qui nous sont communiquées et de ce fait, à rester sourd au monde de l’Autre.

Chaque mot retenu et énoncé dans le cadre d’un dialogue est empreint d’une coloration culturelle et ontologique profonde. De plus, il nous faut considérer que « la culture est toujours en train à la fois de s’homogénéiser et de s’hétérogénéiser; de se confondre et de se démarquer; de se désidentifier et de se réidentifier; de se conformer et de résister; de s’imposer (de dominer) et d’entrer en dissidence » (Jullien, 2009b: 157). Au travers du dialogue avec l’Autre autochtone, plutôt que de favoriser une uniformisation des significations ainsi partagées, il souligne plutôt l’importance d’aborder ces conceptions autres en termes de multiplicités et « d’écarts ». Une telle démarche dialogique nécessite un processus réflexif lequel appelle à remettre en question les fausses évidences, en termes de traduction, du point de vue de la culture majoritaire.

1.2 Contextualisation: les Atikamekw Nehirowisiwok Afin de bien saisir la réalité et les particularités des membres de la communauté Atikamekw Nehirowisiw de Manawan, dans le contexte contemporain, il importe de présenter, dans les grandes lignes, l’historique et les transformations de la nation, ainsi que les dynamiques actuelles et passées du tissu social. Cette section peint également un portrait succinct de la communauté de Manawan des premiers contacts à aujourd’hui. À partir de ce portrait global de la Nation Atikamekw Nehirowisiw, j’expliquerai brièvement ce qu’impliquent les termes « Atikamekw » et « Nehirowisiw ». Je m’attarderai ensuite à une présentation de certains des changements, embûches et défis auxquels ils ont fait face, ainsi que quelques-unes des stratégies mises de l’avant par ces acteurs culturels, au fil des générations, en réponse à ces défis et embûches. Ces stratégies sont entendues ici dans une visée de résistance, de réaffirmation identitaire et de réappropriation culturelle.

1.2.1 Portait de la Nation Atikamekw Nehirowisiw « Nehirowisi pimatisitan Ekoci Nehirowatcihotan Miro Matisi Kictisikewin apatcitatan Iriniw otci ke nehickakotc »5, affirmait Gilles Ottawa, le 28 novembre 2008.Gilles Ottawa,

5« Vivons notre culture. Pratiquons notre façon d’être. Respectons nos propres valeurs. Cette harmonie enrichira l’humanité » (Ottawa-

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Charles Coocoo et Jean-Pierre Mattawa déclaraient en 2009 : « Le terme atikamekw nous a été proposé dans les années 1970 par les anthropologues. Et nous l’avons pris. Mais les aînés n’étaient pas d’accord. Nous avons toujours été des Nehirowisiwok6 » (Société d’histoire atikamekw et Jérôme 2009: 24).Laurent Jérôme (2008a: 51-52) explique que:

Le terme nehirowisiw est celui qui exprime le mieux cet état relationnel de la personne au sein de son environnement, une conception particulière du monde et de la personne, un mode de vie basé sur l’autonomie, l’échange, la réciprocité, l’ouverture et l’adaptation. Le terme nehirowisiw est au fond considéré et revendiqué au-delà de la simple expression identitaire ou politique : il éclaire les manières dont les Atikamekw vivent et construisent leurs relations au sein de leur milieu de vie, y compris lorsque celui-ci change ou se complexifie (communauté/ forêt/ville).

Traditionnellement peuple de chasseurs-cueilleurs semi-nomades de la forêt boréale, la nation Atikamekw Nehirowisiw s’inscrit dans la famille algonquienne. La nation regroupe trois communautés (des « réserves », selon la Loi sur les Indiens), soit , créée en 1895, Opitciwan, créée en 1950, et Manawan, créée en 1906 (Gélinas, 2002). Le Nitaskinan7, soit le territoire ancestral nehirowisiw, est situé dans le centre-nord du Québec (Poirier et al.2014) et fait l’objet d’un processus de revendications 8 territoriales par la Nation Nehirowisiw auprès des deux paliers de gouvernement, et ce, depuis le début des années 1980.Le Conseil de la Nation Atikamekw (CNA ou Atikamekw Sipi) est créé en 1982 (Morissette, 2007) et représente les trois communautés de Wemotaci, Manawan et Opitciwan. Au sein du processus de revendications territoriales, il prendra graduellement la place du Conseil des Atikamekw et des Montagnais (CAM),9 dissous en 1994. Depuis, les

Flamand, 2010). 6Cécile Mattawa relevait la définition suivante de Nehirowisiw : « Celui qui vient du bois. Son alimentation y est également décrite, ses outils et équipements, le fait et la manière d'utiliser des ressources. C'est un être indépendant de tous (wir tipirowe ou autonome). Son identité englobe aussi ses croyances, son territoire, son mode de vie (onehirowatcihiwin), son droit inné en tant qu’ « indien » ou en tant que Nehirowisiw, les ressources et éléments qu’il adapte à sa vie (par exemple : un « indien » ne peut rapporter ou raconter les bienfaits d'une plante médicinale que si cette plante pousse sur son territoire » (Société d’histoire Atikamekw et Jérôme, 2009: 24), Gilles Ottawa proposait cette définition: « Nehirowisiw est un être en harmonie avec lui, avec les autres et avec son environnement. Le terme désigne autant le côté spirituel que le côté physique de lui-même dans ses relations avec les autres et leur environnement (autochtones). C’est quelqu’un qui s’efforce de toujours tirer profit de ce qu’il entreprend, mais sans jamais abuser » (Ottawa 2001 : 23). 7« Le territoire qui fait actuellement l'objet de revendications, le « Nitaskinan », «Kitaskino» ou «Nehiro Aski», s'étend sur 80 000 kilomètres carrés environ dans les régions de la et de la Haute Mauricie au Nord-Ouest de Trois-Rivières, au centre du Québec » (Jérôme, 2010a: 54). 8L’année 1979 a été capitale pour les Atikamekw puisqu’elle est l’année du dépôt officiel de leurs revendications auprès des gouvernements fédéral et provincial (Morissette, 2004: 4). 9Depuis l’instauration de la Politique canadienne concernant les revendications territoriales globales (AINC 2003 :1), en 1972, la Nation Atikamekw Nehirowisiw se mobilise activement dans un processus de revendications territoriales globales. En effet, ce peuple n’a jamais cédé ses droits ancestraux à l’État canadien. En 1975, les Atikamekw Nehirowisiwok s’associaient aux Montagnais () pour former le Conseil des Atikamekw et des Montagnais (CAM) (Charest, 1992). En 1979, dans la foulée de leurs démarches visant leur autonomie et les revendications territoriales, l’instance adopte le projet de: « de prise en charge globale de tous les programmes et services actuellement assurés par les Affaires indiennes et/ou les autres organismes fédéraux et provinciaux » (Bacon, 1979).

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différents secteurs du CNA (revendications politiques et services au territoire, services culturels, services éducatifs, services de santé et services sociaux) sont responsables de représenter les besoins et les attentes des trois communautés. Ajoutons que les négociations avec les deux paliers de gouvernement dans le cadre de la Politique fédérale des revendications territoriales globales en vue de la signature d’un traité durent depuis maintenant un peu plus de 40 ans.En 2006, le Conseil de la Nation atikamekw a officiellement adopté l’ethnonyme Nehirowisiw pour désigner leur nation, soit le terme qu’ils ont toujours utilisé pour s’autodésigner (Poirier, et al. 2014). En date du 8 septembre 2014, les chefs de chacune des communautés Nehirowisiwok, ainsi que le Grand chef de la nation ont publiquement déclaré la souveraineté de leurs peuples sur le Nitaskinan/Kistaskino10 (voir Déclaration de souveraineté en annexe 1). Par ailleurs, les dirigeants politiques de l’époque ont soutenu, lors de cette déclaration, que l’identité de la nation Atikamekw Nehirowisiw s’inscrit directement dans le Nitaskinan, territoire d’où proviennent leurs ancêtres: « Nitaskinan est notre patrimoine et notre héritage des plus sacrés. Notre Créateur a voulu que nous puissions vivre en harmonie avec Nikawinan Aski, notre Terre Mère, en nous accordant le droit de l’occuper et le devoir de la protéger. Nitaskinan a façonné notre mode de vie et notre langue ; c’est ce qui nous distingue des autres Nations » (Conseil de la Nation Atikamekw, 2014: 1).Katherine Labrecque (2015: 146) a pu relever cette affirmation de fierté identitaire chez des membres de la communauté de Manawan, alors qu’ils discutaient de la Déclaration de souveraineté Atikamekw sur Nitaskinan: « Plusieurs Atikamekw, dont des jeunes femmes, en ont profité pour exprimer leur fierté d’appartenir à cette Nation ». Ce geste, à la fois symbolique et politique, a toutefois eu peu de portée auprès des gouvernements et de la société dominante.

L’histoire, l’identité et le devenir de la nation Nehirowisiw sont indissociables de sa relation au Nitaskinan/Kistaskino et des modes de transmissions qui y ont cours. Un autre terme utilisé pour désigner le territoire est celui de notcimik : « Les Atikamekw Nehirowisiwok décrivent notcimik comme un milieu de vie où ils se sentent bien, un lieu d’intimité et de bien-être. Il s’agit d’un lieu, ou plutôt d’un ensemble de lieux, parcourus, entretenus et transmis par les générations précédentes, et qui portent encore les traces des ancêtres, des

10Kistaskino est privilégié par les membres de la nation Atikamekw pour aborder leur territoire d’appartenance, lorsqu’ils discutent entre eux. Le nitaskinan est mis de l’avant pour discuter de leur territoire avec les acteurs ne faisant pas partie de leur nation (Poirier, et al. 2014).

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lieux imprégnés de souvenirs et de récits familiaux » (Éthier et Poirier, 2018: 109).

Milieu de vie, le territoire est le gardien de la mémoire des générations antérieures. Les Atikamekw Nehirowisiwok: « entretiennent ainsi une relation de proximité avec les ancêtres, les esprits des parents défunts, les mocomonok (grands-pères) et les kokominok (grands- mères) qui assurent la protection, la viabilité, la supervision et la transmission des territoires que parcourent les chasseurs, en toutes saisons, et envers lesquels ils ont une responsabilité » (Éthier et Poirier, 2018: 110).

En outre, les relations développées par les membres de la nation avec leur « environnement » servent de fondation aux relations qu’ils entretiennent avec leur « langue » et leur « culture » (Biron, 2005: 5). Comme il sera discuté dans des sections ultérieures (dont le chapitre 4), la langue atikamekw est intrinsèquement liée au territoire et elle est signifiée comme méthode de survie et de transmission culturelle entre les générations Elle est désignée comme la « langue du territoire »11. Avant de présenter un portrait contemporain de cette nation et de la communauté de Manawan, il importe de relever très brièvement quelques éléments marquants de la période coloniale qui s’est imposée à ce peuple.

1.2.2 Des premiers contacts à l’instauration des pensionnats « indiens » Les premiers contacts

La première trace écrite indiquant les premiers contacts entre le peuple « Attikamegouckhi » ou « Atikamègues » et les Européens, sur le territoire du Haut-Saint-Mauricie, date de 1636 (Gélinas, 1998). Comme l’indique Claude Gélinas (2000), ce territoire était néanmoins déjà occupé par la nation Nehirowisiw, et ce, depuis au moins 4000 ans. Des relations entre ces deux peuples distincts ont donc lieu depuis des centaines d’années. Au départ, elles étaient principalement fondées sur des motifs économiques et religieux, avec la visite de quelques missionnaires. Les postes de traite localisés sur le territoire haut-mauricien étaient les principaux lieux de rencontres et permettaient le déroulement du commerce de fourrures des Attikamègues avec les commerçants étrangers (Gélinas, 2000). Au fil du 19e siècle, la

11Notcimi arimowewin, se traduit par « la langue/ la voix de la forêt » et l’expression notcimi iriniw otarimwewin signifie « la langue des habitants de la forêt » (Poirier,2014: 7).

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présence et l’exploitation des ressources naturelles par les Emitcikociwicak12 (les « Blancs ») se sont intensifiées (Allaire, 1987). Pour l’historien québécois Bernard Allaire (1987: 22), ces contacts ont ensuite donné lieu à « l’envahissement sans précédent de leur territoire, à une destruction progressive de leur milieu de travail (forêts, rivières, etc.) ainsi qu'à une modification de leur statut juridique au niveau de l'administration du pays ». C’est dire que la mise en place de pratiques et de politiques coloniales, dont la Loi sur les Indiens (1876), a contribué à justifier ces actions qui allaient à l’encontre des usages et des significations qu’avaient les Nehirowisiwok des ressources et du Nitaskinan.Instauration de la Loi sur les Indiens13 et création des « réserves »Le 10 août 1850, la colonie britannique du Canada avait riposté à un acte de résistance des populations autochtones de la vallée du Saint-Laurent, via la création de pétitions qui visaient à protéger leurs territoires des exploitations coloniales, par la mise en place et l’adoption de l’Acte pour mieux protéger les terres et les propriétés de sauvages (Fortin et Frenette, 1989). Statuée par la « Très-Excellente Majesté de la Reine », cette mesure de cantonnement des peuples autochtones était affichée comme étant une démarche qui devait offrir aux collectivités autochtones « les meilleures dispositions », face à l’usage des territoires par les colonisateurs de l’époque (Derbishire et Desbarats, 1850: 1267). Cette modalité avait donc été érigée en regard de la posture majoritaire euro canadienne et avait été justifiée selon certains critères juridiques précis et préalablement sélectionnés par l’État. Ce droit assurait au gouvernement du Canada le plein pouvoir sur les acteurs qui avaient le « privilège » de bénéficier de l’identité « d’Indiens » (Allaire, 1987).

L’Acte des sauvages de 1876 contenait deux Actes validant clairement les ambitions des dirigeants à l’égard desdits Indiens ou sauvages: l’Acte pour encourager la civilisation graduelle des tribus sauvages en cette province et l’Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages (Henderson, 2018 (2006)). Parmi les mesures inscrites dans cette même loi, on y dictait plusieurs dispositions, dont l’interdiction desdits Indiens inscrits: « d’exprimer leur identité par des activités liées à leur culture ou à la gouvernance »

12Généralement compris comme « celui qui est arrivé par bateau de bois » (Jérôme 2010a : 61), pour faire référence aux « Canadiens français » ou « Blancs ». 13La Loi sur les Indiens est: « un document évolutif, rempli de contradictions, qui s’est traduit pendant plusieurs générations par des traumatismes, des violations des droits de la personne et des perturbations sociales et culturelles chez les Premières Nations. Cette loi définit également les obligations du gouvernement envers les membres des Premières Nations et les critères propres au « statut d’Indien », qui permettent de reconnaître juridiquement qu’une personne est d’ascendance des Premières Nations, ce qui donne certains droits, tels que celui de vivre sur des terres de réserve » (Henderson, 2018 (2006)).

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(Henderson, 2018 (2006)). Ce qui permettait à l’État, au final, de contrôler les identités et les pratiques culturelles, politiques et éducatives des collectivités autochtones sur le territoire canadien.

L’Acte des sauvages fut remplacé peu après par la Loi sur les Indiens. Celle-ci a également contribué à la redéfinition de l’organisation sociale des Nehirowisiwok en communauté, par l’imposition du conseil de bande au sein des « réserves » nouvellement créées (Morissette, 2007). Selon Annie Morissette (2004: 2): « Le conseil de bande est l’appareil administratif et politique imposé aux Premières nations par le gouvernement canadien en 1876 (la Loi sur les Indiens), modifié par des lois subséquentes, afin de codifier et permettre la gestion locale des réserves indiennes ». Cette structure politique, au départ étrangère aux peuples autochtones, est également présentée par Gélinas (2003) comme un outil pour contrôler la gouvernance et la structure organisationnelle de ces peuples. Également: « Par la mise en place des Conseils de bande, le Département des Affaires indiennes vient imposer une structure politique calquée sur le modèle municipal et nier les modes de gouvernance autochtone » (Ladner et Orsini 2004 : 70 ; 72, dans Éthier, 2011: 22).

C’est en 1881 que le processus de création des terres réservées (« réserves », selon la Loi sur les Indiens) desdits Têtes-de-Boules14 a été amorcé, par l'initiative d'acteurs de cette Nation qui avaient adressé leur demande au gouvernement du Canada, devant l’envahissement graduel de leur territoire par les Emitcikociwicak. Globalement, par cette mobilisation, ils espéraient bénéficier de deux terres « réservées », soit celle de Wemotaci et de Coucoucache qu’ils avaient l’habitude de fréquenter. Ils souhaitaient aussi maintenir leurs activités de subsistance et leur mode de vie semi-nomade, en dépit du nombre croissant d’Emitcikociwicak sur leur territoire. À partir du 19e siècle, les missionnaires ont été de plus en plus présents sur le territoire des Nehirowisiwok. Tout en exerçant de la pression sur ces derniers afin qu’ils se convertissent, les missionnaires ont aussi dans un certain sens cherché à les « protéger ». Comme l’écrit Claude Gélinas: (2002: 37): « Les missionnaires

14La dénomination «Têtes-De-Boules» n’a jamais été mise de l’avant par ces peuples eux-mêmes pour s’auto-identifier. Il semble possible que cette appellation soit la traduction française du terme ojibwa « mitcha indibe ». Dans les faits, comme l’explique Gélinas (1998: 62), cette étiquette était fréquemment utilisée par les allochtones pour désigner de façon générique les peuples autochtones nomades « à l’intérieur des terres ». Les groupes algonquins, quant à eux, faisaient usage de l’appellation Nopiming daje inini, pour désigner ces mêmes « hommes de l’intérieur des terres » ou « Têtes-de-Boules », en français (Cuoq, 1886: 129). Ces groupes étaient identifiés par les peuples comme Garr-ronnon. Ce qui est traduit en français par « habitants de la forêt ou de la profondeur des terres » (Gélinas, 1998: 204).

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considéraient que les Atikamekw étaient des enfants, et qu'il était de leur devoir de les protéger de l'influence néfaste des Eurocanadiens [...] ». C’est dans cette optique que les missionnaires vont participer aux démarches pour la création de terres réservées et par le fait même au processus de sédentarisation des Nehirowisiwok. « Les quatre grands piliers de la colonisation au Canada, soit la christianisation, la sédentarisation, la tutelle et l'émancipation, ont précipité les transformations du mode de vie atikamekw » (Jérôme, 2010a: 4).En 1906, Manawan est officiellement créée en tant que « terre réservée » pour le bénéfice des « Indiens », mais néanmoins sous juridiction fédérale. Toutefois, ça ne sera que plus tard, soit au cours des années 1950 et 1960, que les familles nehirowisiwok vont graduellement délaisser leur mode de vie semi-nomade basé sur la chasse, la trappe, la pêche et la cueillette, afin de joindre la réserve et un mode de vie plus sédentaire (Morissette, 2007). Dès lors, et suite à la sédentarisation des Autochtones, le gouvernement provincial avait le plein pouvoir d’user comme il le souhaitait des espaces territoriaux du Haut-Saint-Maurice (par exemple, coupes forestières et barrages hydroélectriques) autrefois occupés par les familles nehirowisiwok Privés de leur mode de subsistance et de leurs ressources, les Atikamekw Nehirowisiwok se sont vus dans l’obligation de transiter graduellement vers une économie de dépendance face à l’État. C’est d’ailleurs au terme de la Seconde Guerre mondiale que les nations autochtones au Canada ont commencé à bénéficier d’allocations étatiques (Gélinas, 2000: 316, dans Gill, 1994: 31). Néanmoins, au tournant des 19e et 20e siècles, et en dépit de leur sédentarisation et de l’appropriation du Nitaskinan par le gouvernement du Québec, les Nehirowisiwok jouissaient encore de leurs territoires de chasse, de trappe et de pêche.

Cette sédentarisation 15 « forcée » des Premiers Peuples et ce système de « réserve » représentent des mesures inconciliables avec « la conception de la vie autochtone » ainsi qu’avec « leur relation avec cet univers qu’est le territoire » (Shkilnik, 1985, Larose, 1989 :35; Morissette, 2004: 35), et ainsi avec celle des Nehirowisiwok, peuple de chasseurs semi- nomades parcourant le Nitaskinan sur un cycle saisonnier. Elle a ainsi graduellement contribué à inscrire dans leur réalité des problèmes sociaux qui étaient auparavant inexistants. Parmi ceux-ci, Morissette (2004: 35) mentionne la violence et les comportements

15Cette transition du mode de vie nomade vers la sédentarité chez les collectivités autochtones a été influencée par plusieurs facteurs, dont : «la famine, les épidémies, l’accès à des services gouvernementaux, l’industrialisation touchant leur territoire, l’attrait du travail salarié et de meilleures conditions économiques (Duhaime, Bernard et Godmaire, 2001 :191, dans Morissette, 2004: 35).

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destructeurs, tels l’alcoolisme, la toxicomanie et le suicide.Ainsi, à partir de la seconde moitié du 20e siècle, au terme de plusieurs siècles de contacts avec le monde occidental, ces groupes sont passés d’un mode de vie semi-nomade, autonome et souverain à celui de la sédentarité, d’un statut de pupille de l’État et de la dépendance face à ce dernier. Cette nouvelle réalité a engendré des impacts et des transformations à plusieurs niveaux, qu’il s’agisse de leur identité, leur mode de vie, leur structure familiale et sociale16, leur mode de subsistance et de gouvernance, bref l’ensemble des dimensions spatio-temporelles, politiques et économiques à partir desquelles un peuple se définit face à lui-même et aux autres.Les pensionnats « indiens »

Les pensionnats ont fini par représenter en théorie et en pratique un effort systémique délibéré déployé pour extirper des générations d'enfants autochtones, un par un, de leur famille, de leur communauté, de leur langue, de leur culture et, généralement parlant, des modes de vie autochtones dans le monde (Fondation autochtone de guérison, 2000 : 11-12).

Au Canada, les politiques coloniales imposées à l’ensemble des Nations autochtones via la Loi sur les Indiens se poursuivent encore aujourd’hui, bien que certaines aient été abrogées au fil des décennies. Parmi celles-ci, on pense bien entendu aux pensionnats « indiens », instaurés dès la fin du 19e siècle dans l’Ouest canadien17. C’est en 1955 que les enfants natifs d’Opitciwan et de Wemotaci, âgés entre 6 et 17 ans, ont commencé à être envoyés de force au pensionnat18. Charles Coocoo (Biron, 2005: 3) met entre autres de l’avant les menaces d’incarcération ou de coupures financières gouvernementales qu’ont subies les parents et les grands-parents à l’époque, en cas d’opposition d’« exil de leurs enfants vers les pensionnats ». En 1960, ce sera le tour de ceux de la communauté de Manawan (Atikamekw Sipi, s.d.). Ces pensionnats, subventionnés par l’État canadien, étaient sous la responsabilité des

16Avant leur sédentarisation, les Atikamekw Nehirowisiwok vivaient « en groupes multifamiliaux » (Allaire, 1987: 7), composés d’environ 10 à 20 individus (Gélinas 2000: 102), et se partageant de vastes territoires. 17Bien qu’adopté par l’État canadien dans les années 1880 (Bousquet, 2018), au Québec, c’est de 1934 à 1990 que les pensionnats indiens seront à l’œuvre (Ottawa, 2010). Ces mesures se sont ainsi poursuivies au-delà de l’époque où l’État valorisait la soi-disant fin de la colonisation, soit au cours de la seconde moitié du 20e siècle. Pour ce faire, l’État canadien avait insidieusement érigé cette politique des pensionnats selon des critères qui englobaient les modes d’être et certaines caractéristiques qu’il associait aux populations autochtones, plutôt que d’indiquer directement les groupes visés: « the residential school is primarily an institution for children from broken homes or whose parents are unable to provide for proper care and direction. It is also used for the children of nomadic hunters and trappers whose way of life makes day-school ar rangements impracticable. In practice, it also remains in operation in settled communities where scattered home locations or sub-standard socioeconomic patterns are against successful day school attendance. » (Renaud, 1958: 9). 18Parmi les pensionnats fréquentés par les membres de cette Nation figurent ceux de St-Marc-de-Figuery d’Amos et de Pointe-Bleue.

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institutions religieuses (catholiques et protestantes).

Alors que les enfants étaient sous leur garde, plusieurs tactiques sont alors mises de l’avant par les institutions religieuses pour tenter de supprimer les différences identitaires et culturelles des Nehirowisiwok, face au modèle majoritaire. Que ce soit par un retrait des symboles ou pratiques affichant ou valorisant l’identité autochtone, par l’usage de mesures de corrections multiples, d’interdiction formelle de s’exprimer dans leur langue maternelle, et d’imposition des manières de faire occidentales. Tout cela, au détriment des manières de faire et d’être des Nehirowisiwok, et, plus généralement, des peuples autochtones (Bousquet, 2018). Suite à la Commission de vérité et réconciliation (CVR, de 2007 à 2015), les témoignages des anciens pensionnaires ont clairement mis en évidence les tords causé par les pensionnats et les séquelles identitaires 19 , psychologiques et physiques. De plus, cette séparation d’avec leurs parents et leurs grands-parents a provoqué une rupture intergénérationnelle ainsi qu’une discontinuité dans la transmission culturelle tant aux niveaux des savoirs que de la langue et de la tradition orale. Alors que l’on sait comment ceux-ci ainsi que les relations intergénérationnelles sont essentielles à la vitalité de l’identité culturelle atikamekw nehirowisiw (Biron, 2005).

1.2.3 Réaffirmation identitaire et revendications politiques et territoriales Alors que le processus de sédentarisation des membres de la bande de Manawan a été amorcé vers le mitan du 20e siècle, ceux-ci ont, dès lors, été exposés à un nouveau mode d’organisation spatiale et de structuration sociale. Plutôt que d’être en mesure de s’établir sur l’ensemble du nitaskinan, soit le territoire ancestral revendiqué depuis des dizaines d’années, ils doivent continuer à demeurer sur le territoire restreint de la communauté (« réserve ») qui leur est officiellement alloué par l’État canadien. Toutefois, une grande proportion des Atikamekw Nehirowisiwok ont accès à des territoires familiaux ou communautaires, comme le site Matakan (voir chapitre 4). Les familles qui en ont les moyens financiers fréquentent régulièrement leurs territoires familiaux20.

19 « Une étude « ethno-psychologique », publiée en 1970, en donne un exemple frappant: l’auteure, Françoise Ducottet- Delorme, analyse les réponses de 44 enfants algonquins « résidant à cette époque dans un internat catholique » pour voir comment ils recevaient et interprétaient leur éducation. Elle montre que les enfants « ne s’identifient ni à leurs ancêtres, ni à ce que leurs parents en ont gardé, mais à leur propre caricature » (1970 : 116), Indiens de western, sauvages et ennemis » (Bousquet, 2018). 20Voir Éthier et Poirier (2018) sur les territoires familiaux.

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Au début des années 2000, dans un contexte où la Nation Atikamekw Nehirowisiw est pleinement engagée dans un processus de revendications politiques et territoriales afin de recouvrer une forme d’auto-détermination, des auteurs évoquent une thèse de soi-disant disparition du peuple atikamekw nehirowisiw. Parmi ces études compte celle de Nelson- Martin Dawson (2003), spécialiste en histoire religieuse. Au sein d’une étude commanditée par Hydro-Québec et armé d’une approche valorisant la posture colonisatrice 21 (Jérôme 2010a), Dawson soutient sans nuance que le groupe des « Têtes-de-Boules » formerait une identité distincte de celle des « Attikamègues ». Selon lui, ces derniers auraient été décimés au cours du 18e siècle par les épidémies et les raids iroquois sur leur territoire pour être remplacés par ceux que les écrits coloniaux nomment les « Têtes-de-Boules ». Dawson soutient donc que les territoires revendiqués par la Nation Atikamekw Nehirowisiw ne sont pas les leurs. Cette hypothèse a pu être réfutée au travers d’études d’anthropologues et d’historiens comme Gélinas (1998), Beaulieu (2000), Jérôme (2010a), Charest (2009), Poirier (2014) et du Conseil de la Nation Atikamekw (2004).

Réaffirmations identitaires et réappropriations culturelles

En sus des revendications politiques et territoriales, et ce depuis au moins les années 1980, la nation Atikamekw nehirowisiw est aussi engagée dans des démarches de réaffirmation identitaire et culturelle. Ce qui se voit dans des stratégies comme celle où des groupes Nehiwowisiwok se sont réapproprié certaines cérémonies traditionnelles. Ce qui leur permet une « affirmation de l’autochtonité » (Biron, 2005: 5). Parmi celles-ci, compte celle du otepihawson22, qui marque à la fois l’appartenance d’une mère au territoire, suite à son accouchement, ainsi que sa « relation spirituelle particulière à la Terre » (Biron, 2005: 5; Jérôme, 2008a).

À Manawan, à la fin des années 1980, « suite à une réflexion communautaire engendrée par un mouvement contre l'abus d'alcool et de drogues », puis à une vague de divulgation de violences et d’agressions sexuelles subies, s’est amorcé un processus de « guérison communautaire » (Clément, 2007: 2). Dans un premier temps, a alors été créé, en 1992, un

21« Il est en effet possible de relever dans l'approche de Dawson au moins deux dimensions qui rappellent la persistance du point de vue du colonisateur : 1. la thèse de Dawson s'inscrit dans la continuité des thèses « disparitionnistes » basées sur une utilisation à sens unique des archives missionnaires et 2. elle répond à une commande de la société d'État Hydro-Québec » (Jérôme, 2010: 77). 22Qui peut être traduit en français par: « retour à la terre du placenta » (Jérôme, 2008a: 46).

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Groupe de travail sur la violence, puis en 1998, le Cercle communautaire et intersectoriel Mikisiw pour l'espoir (voir Clément, 2007 pour plus d’informations sur ces sujets).

L’ensemble de ces mouvements de guérison et de démarches et processus de remises à l’avant de rituels et d’affirmation culturelle et identitaire 23 ont contribué à renouer les relations intergénérationnelles qui avaient fait face à une certaine rupture. Cette rupture était survenue suite aux pensionnats autochtones et aux placements d’enfants atikamekw nehirowisiwok dans des familles d’accueil non-autochtone, dans les années 1960. De nombreux rituels comme celui appelé orowitahawasowin (rite des premiers pas) « semble[nt] ainsi valoriser le modèle relationnel des rapports entre les générations chez les populations nomades de chasseurs » (Jérôme, 2008a: 51).

Inscrite dans le groupe linguistique algonquien, la langue maternelle des membres de la communauté est l’atikamekw (Notcimi Arimowewin). En plus d’être un « élément fondateur de la nation » (Chachai et al, 2019: 3), sur un plan plus général, la langue atikamekw est « la langue du cœur et des émotions des Atikamekw. Elle est source d’identité » (Conseil de la nation atikamekw,, 2009: 2). Encore aujourd’hui, celle-ci demeure très vivante, étant parlée par 96% de l’ensemble des Atikamekw Nehirowisiwok24 (Conseil de la Nation Atikamekw, 2018). D’autant plus que certains aînés de Manawan, mais également des deux autres communautés, ne parlent actuellement que la langue atikamekw.

Les Atikamekw Nehirowisiwok ne sont d’ailleurs pas à court d’idées, pour permettre à la langue atikamekw de demeurer vivante et, ainsi, de maintenir sa place fondamentale dans leur quotidien. Ainsi, la Société d’histoire atikamekw25 (Nehirowisiw Kitci Atisokan) « Reconnue officiellement par le CNA en 2000 » et « composée de chercheurs autodidactes des trois communautés, hommes et femmes, et est indépendante de tout projet universitaire », la Société d’histoire atikamekw (Nehirowisiw Kitci Atisokan), compte parmi les initiatives

23Ceux-ci ne peuvent pas être énumérés de façon exhaustive dans ce projet de recherche. 24Tandis qu’en observant uniquement dans les communautés, un taux de près de 100% des membres parlent leur langue maternelle qui est l’atikamekw (Conseil de la nation atikamekw, 2009). Ceci, considérant le fait que certains d’entre eux demeure en milieu urbain. 25« Les objectifs de ce travail de collaboration, que nous situons dans une optique de décolonisation de la recherche (Smith 1999), consistent notamment à appuyer les efforts et les démarches de chercheurs autodidactes et d’experts atikamekw dans la documentation de leur tradition orale et de leurs savoirs; dans la réappropriation de leur histoire et la légitimation de leurs voix et de la parole de leurs aînés; et enfin, dans la valorisation et la transmission de cette tradition et de ces savoirs auprès des jeunes générations.» (Poirier, Jérôme et Société d’histoire atikamekw, 2014: 3). « À son rythme et avec des moyens financiers limités, mais forte d’une grande expertise locale, elle mène ses propres recherches sur plusieurs thématiques, dont la langue atikamekw, la tradition orale et les récits, les toponymes et les pictogrammes » (Société d’histoire atikamekw et Jérôme 2009: 6).

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importantes de la Nation et « s’inscrit d’emblée dans les processus des peuples autochtones, au Canada comme ailleurs dans le monde, d’affirmation identitaire, politique et culturelle» (Poirier, et al.,2014: 6). Ce type d’initiative est nécessaire, considérant la place indissociable de la langue et de l’histoire atikamekw à l’identité de cette Nation.

C’est, d’ailleurs, peu de temps suivant l’inauguration du Conseil de la nation Atikamekw, en 1982, que plusieurs initiatives linguistiques ont commencé à être mises de l’avant et développées dans les communautés, dont celle de Manawan. Quoique plusieurs ’autres démarches avaient toutefois été réalisées auparavant par ces acteurs. Ainsi, dès 1973, au travers d’un cours allant de 30 à 60 minutes par semaine, la langue atikamekw était enseignée dans les écoles primaires des communautés Atikamekw Nehirowisiwok. Tandis qu’antérieurement (environ entre 1955 et à la fin des années 70), au travers des institutions des pensionnats, l’instruction était offerte en langue française (Niquay, 2004). Parmi les autres initiatives, on dénote le programme d’enseignement bilingue :

[À Manawan, c]’est à compter de 1990 que le programme d’enseignement bilingue a commencé à être instauré pour les Atikamekw Nehirowisiwok du niveau primaire (offert de façon optionnelle, à partir de la 1re année du primaire). C’est-à-dire que la langue française a commencé à être offerte comme langue seconde dans le cursus scolaire, en plus de la langue atikamekw comme langue première (Services éducatifs de Manawan, 2012: 21).

Alors que nous parlions de l’importance de parler à la fois la langue atikamekw et ou la langue française, l’interlocutrice 11 expliquait sa conception sur l’importance de l’apprentissage du français, entre autres, au travers du programme bilingue:

Mes enfants parlent l’atikamekw. Je leur ai montré les deux langues (atikamekw et français). Les deux, je trouve que c’est important de les avoir, pour quand ils vont partir (en ville) pour aller étudier. J’en ai déjà un (enfant) qui est parti pour les études et maintenant il travaille. Mais il y en a qui se bloquent de partir faire des études à cause de ça (méconnaissance de la langue française): « ahhh... Je ne parle pas bien le français ». Ça s’apprend. On s’adapte. On est fait comme ça. Nehirowisw, ça veut dire quelqu’un qui est capable de s’adapter (Manawan, été 2019). Le fait d’apprendre le français, qui est facilité sur le plan local, grâce au programme bilingue, est généralement considéré comme essentiel par des membres de la communauté. Particulièrement puisque cette stratégie aide les Atikamekw Nehirowisiwok souhaitant se

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rendre en milieu urbain pour une quelconque raison, par exemple, pour poursuivre leurs études, de ne pas se buter à la barrière linguistique (alors que le français est la langue majoritaire du Québec). Sur un autre plan, et comme déjà mis de l’avant, la connaissance de la langue française est comprise comme indispensable par des jeunes adultes de Manawan pour permettre aux leaders politiques de pouvoir bien saisir les dialogues qui ont lieu et qui les concernent avec l’État majoritaire et d’être en mesure de conserver une certaine position de pouvoir dans cette relation. Néanmoins, ces considérations face à la maîtrise du français n’enlèvent rien à l’importance de maintenir vivante la langue atikamew, un défi de tous les jours autant dans les familles et les relations intergénérationnelles que dans les communautés, les écoles et sur le territoire. Nous y reviendrons au chapitre 4.

1.2.4 La Communauté de Manawan: bref historique et portrait actuel Tout en se reconnaissant une appartenance commune au sein de la Nation atikamekw nehirowisiw, chacune des trois communautés n’en conserve pas moins des éléments linguistiques, culturels, historiques et identitaires spécifiques (Poirier et al. 2014: 4).

La communauté de Manawan (« lieu où l'on cueille des œufs ») a été instaurée en 1906. Or, tel que mentionné déjà, ce n’est que vers la fin des années 1950 que les familles nehirowisiwok associées à cette bande ont réellement commencé à s’y installer durablement (Bousquet et Morissette, 2008). Manawan est située en plein coeur de la forêt boréale et aux abords d’un immense plan d’eau qui donne accès à un vaste réseau hydrographique que les Nehirowisiok peuvent emprunter en toutes saisons afin de se rendre à leurs territoires. Plusieurs territoires familiaux se trouvent sur le Nitaskinan et ceux-ci sont « subdivisé [s] en cinq, correspondant aux quatre groupes familiaux : le « clan » Nehapiskak au nord-ouest, le « clan » Mazana au sud-ouest, le « clan » Aconahinik au sud-est, le « clan » Mantonokok au nord-est et le territoire communautaire » (Éthier 2011: 11). Chacun des territoires familiaux est associé à des chefs de territoires qui sont collectivement reconnus. « Les chefs de « clan » détiennent une autorité territoriale et les familles les reconnaissent comme tels selon leur expérience en forêt (aptitudes) et leurs façons d'être (attitude). Ils ne sont pas élus démocratiquement par voie de scrutin, mais reconnus par consensus » (Éthier 2011: 12).

La communauté à proprement parler (et non l’ensemble du Nitaskinan) présente une

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superficie totale de 7.73 km2 et est située à 86 kilomètres de la municipalité de Saint-Michel- Des-Saints et est accessible via un chemin forestier. Alors que la collectivité comptait 50 membres, en 1896, elle en comptait 258, en 1951, au moment où a commencé à s’observer la fin graduelle d’un mode de vie semi-nomade (Ottawa, s.d). En 2017, la communauté comptait 2900 membres. Parmi eux, 39% étaient âgées de moins de 15 ans et 70% étaient âgées de moins de 35 ans. En moyenne 7.1 personnes résident dans chacune des habitations.

Les institutions de Manawan

Manawan est aujourd’hui composée de plusieurs institutions. D’abord, il y a le Conseil de bande, un système imposé par la Loi sur les Indiens dès la création des réserves. Le conseil de bande (ou « centre administratif ») de Manawan est responsable de la majorité des établissements de Manawan. C’est le cas des deux écoles: l’école primaire Simon Pinecic- Ottawa et l’école secondaire Otapi (dont la construction s’est achevée en 1996). Ces établissements ont été fondés suite au processus graduel de prise en charge de l’éducation des Atikamekw Nehirowisiwok dans les communautés, au cours des années 1980 (voir Charest 1992).

Sur le plan de la communication, on y retrouve la radio communautaire Manawan Kitotakan. Depuis son inauguration, en avril 1980, celle-ci a déménagée à 5 endroits différents dans la communauté. À sa création, elle était située au sous-sol de la maison du défunt Gilles Ottawa, l’un des cofondateurs de la radio. Elle est maintenant située sur la rue Mahikan, dans une habitation qui lui est exclusivement réservée. La radio Manawan Kitotakan représente un des vecteurs d’informations importants au sein de la communauté, et elle est présente dans toutes les maisons à toutes heures du jour; elle diffuse surtout en langue atikamekw, mais aussi en français. Plus récemment, ce sont ajoutés les réseaux sociaux.

En 1876, le premier magasin de Manawan26 est fondé, soit la Compagnie de la Baie d’Hudson (Dubé, 2014; Obomsawin, 2009). C’est plus d’une centaine d’années plus tard que sera inauguré le Marché Tradition où les membres de la communauté peuvent faire leur épicerie. Ensuite, Manawan compte le Centre de la petite enfance (CPE) Kokom Tcitcatci et le Centre

26Un membre de la communauté m’expliquait au sujet de l’évolution des magasins de la communauté: « Un certain Wisiketcak (Joseph- Étienne Ottawa) en avait un, chez lui, dans les années 70 et Arthur Newashish dans ma jeunesse!! Et avant le Marché Tradition, il y a eu le dépanneur Bianka qui a appartenu à Donat Flamand ».

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Mère-Enfant. Toutefois, à l’automne 2019, le centre Mihawoso (centre de pédiatrie sociale) a été inauguré et a pris la place du Centre Mère-enfant. Enfin, parmi les autres institutions qu’on y retrouve: une maison des jeunes (qui n’est active que sporadiquement et que très rarement), le poste de police, les services sociaux, le centre de santé Masko-siwin, le Centre Mantokasowin (projet qui vise l’insertion sociale et professionnelle des membres de la communauté), le bureau de Tourisme Manawan et le bureau de poste (dans le même établissement) et l’auberge de Manawan.

Quelques éléments de la situation socioéconomique contemporaine

Avec un revenu médian de 16 416$, en 2015 (Statistique Canada, 2016), Statistique Canada (2016) avait identifié un taux de chômage entourant les 24% 27, à Manawan. Katherine Labrecque (2015: 70) évoquait que le Conseil de bande de Manawan était, effectivement, le principal employeur de la communauté28, avec approximativement 260 employés (Conseil de la Nation Atikamekw, 2014: 7). Les autres employeurs de la Communauté sont : l’industrie forestière (Labrecque, 2015: 70), les deux restaurants (restaurant Wikan et cantine Bello) et le marché d’alimentation Tradition, par exemple. Le Conseil de la Nation Atikamekw emploie également des membres de la communauté parmi l’équipe des services sociaux de Manawan. S’ajoute à cela comme autres sources de revenus, l’ensemble des activités traditionnelles, dont l’art, l’artisanat, la cueillette de bleuets et les activités de chasse et de pêche...

La communauté atikamekw de Manawan a des besoins urgents en matière de développement socio-économique. En effet, Manawan présente un état de sous-développement assez important : manque de scolarisation chez les jeunes, pauvreté, chômage élevé, forte dépendance de l’économie locale à l’égard des injections gouvernementales et enfin, faiblesse du développement de l’entrepreneuriat privé au sein de la communauté (La Nation Atikamekw de Manawan, s.d.).

27Ce qui ne signifie pas que la population soit inactive puisque cette statistique ne représente que le taux d’activité économique produit par un emploi rémunéré, selon les critères du marché de l’emploi. 28Le conseil emploie notamment: « les conseillers/conseillères et les secrétaires, ainsi que les enseignants des écoles primaire et secondaire, le Centre mère-enfant et la garderie, les responsables du Service des loisirs, le Centre de reprographie, l’entretien du village, le Centre de télécommunications Atikamekw-Manawan, et quelques autres » (Labrecque, 2015: 70). S’ajoute aussi à cela les profits réalisés par l’ethno tourisme, notamment, par le biais de Tourisme Manawan. Voir Basile, 1998 au sujet du tourisme de Manawan.

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Paul Émile Ottawa, le chef actuel de la communauté et qui a été réélu à quelques reprises depuis le début des années 2000, met de l’avant l’insertion difficile actuelle des membres sur le plan social et économique au reste de la société majoritaire (Ottawa, 2012). Ce qui s’expliquerait majoritairement par leur dépendance économique envers l’État, causée notamment par la Loi sur les Indiens et par l’absence de droits réels reconnus sur l’ensemble du Nitaskinan. Ainsi, le plus grand défi de la communauté de Manawan serait de « pouvoir se développer en tant que communauté » (Ottawa, 2012: 2).

Bien que Manawan dépend majoritairement des subsides du gouvernement fédéral, plusieurs initiatives économiques sont mises de l’avant, tantôt par les membres du Conseil de bande et du CNA (Conseil de la Nation Atikamekw), mais aussi par plusieurs membres de la communauté. En voici quelques exemples: les revenus obtenus via le magasin communautaire (épicerie), la cueillette de bleuets en août, la fabrication et la vente d’artisanat (paniers d’écorce, canots d’écorce, boucles d’oreilles, mocassins, etc.) ou Tourisme Manawan, pour n’en nommer ici que quelques-uns. Effectivement, depuis le début des années 90, la communauté de Manawan a développé et mis en place une structure ethno- touristique. Cette dimension sera abordée ultérieurement (section 4.3 Stratégies communautaires de valorisation et de transmission des savoirs). En toutes saisons, plusieurs familles de la communauté continuent aussi de pratiquer les activités en territoire telles que la pêche et la chasse, des sources de nourriture non négligeables, ainsi que des activités de cueillette. Ceci même si leurs territoires de chasse se sont vus réduits, au fil des décennies, suite aux activités forestières et à l’implantation de pourvoiries, de ZEC ou encore de baux de villégiature par les non-Autochtones.

Malgré les réorganisations sociales et politiques causées par le cantonnement des Atikamekw Nehirowisiwok en terres réservées (selon la Loi sur les Indiens), les membres de la communauté travaillent encore à ce jour à façonner les composantes et les modes d’organisation de leur communauté, en fonction de leurs valeurs et de leurs aspirations. De nos jours, le chef de bande, compris comme « leader moral » (Morissette, 2007: 131) continue d’assurer une place essentielle au sein de la communauté. Morissette (2007: 133) avance, concernant le rôle du chef de la bande, que cette: « position confère un pouvoir d’action considérable pouvant influencer de façon capitale sur le devenir ou le non-devenir

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communautaire ».

1.3 Objectifs et questions de recherche Notre cadre théorique et conceptuel, élaboré dans la première partie du chapitre 1, et la présentation du contexte actuel de la nation Atikamekw Nehirowisiw et de la communauté de Manawan, nous conduisent maintenant à présenter nos objectifs et notre question de recherche. Ce mémoire se penche sur les dynamiques et les enjeux identitaires des adultes de Manawan, avec un accent sur les jeunes adultes (18-35 ans). La visée principale étant de tenter de mieux saisir la façon dont ceux-ci appréhendent le devenir de leur identité et de leur communauté.

Il propose aussi de tenter de dégager les enjeux et stratégies identitaires privilégiés par les acteurs participants à la recherche, ceci afin de mieux comprendre leur vision du monde et leurs projets de vie. Enfin, il suggère de tenter d’observer les manières dont s’articulent les relations intergénérationnelles et familiales, dans la co-construction et la transmission de l’identité Nehirowisiw, au sein de la communauté de Manawan.

Question de recherche principale: Comment les jeunes adultes Nehirowisiwok (18-35 ans) de Manawan conçoivent-ils le Bien Vivre et le devenir de l’identité Nehirowisiw (Atikamekw)?

Les sous-questions de recherche se lisent comme suit :

-De quelles manières s’articulent les relations intergénérationnelles et familiales dans la co- construction et la transmission de l’identité Nehirowisiw à Manawan?

-Comment les jeunes adultes Nehirowisiwok de Manawan définissent-ils leur identité face à la société majoritaire et face aux nations autochtones voisines?

-Quels sont leurs défis, enjeux et stratégies identitaires?

Le chapitre suivant présente les considérations d’ordre méthodologique au cœur de ce projet de recherche.

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Chapitre 2. Cadre épistémologique et méthodologique : Les défis et les enjeux d’un terrain en milieu autochtone

Ce chapitre présente, dans un premier temps, les considérations d’ordre épistémologique, incluant la démarche réflexive, valorisées dans le cadre du présent projet de recherche. Dans un deuxième temps, je présente mon cadre méthodologique et le déroulement de mon séjour de recherche et de mes expériences à Manawan. Dans mon cas, il s’agit d’un séjour de recherche qui a été conduit durant l’été 2019 dans la communauté de Manawan. Le terrain s’est déroulé sur une période de sept semaines29, soit du 15 juillet au 29 août 2019. Or, je dois spécifier ici que j’avais une connaissance de cette communauté pour y avoir déjà travaillé. Effectivement, de 2016 à 2018, j’ai travaillé auprès de la nation Atikamekw comme travailleuse sociale, à Manawan et pour le CNA. Ce travail et cette expérience préalables m’avaient permis de me familiariser avec la communauté de Manawan et certains des codes locaux, et de tisser des liens avec plusieurs personnes, hommes et femmes, de différentes générations. Ces acquis ont été d’une aide précieuse pour le terrain. Bien que j’aie ainsi accumulé des expériences personnelles et professionnelles, c’est avec un autre regard et une autre posture que j’ai réalisé un séjour à Manawan pour un terrain ethnographique.

2.1 Réflexivité et processus ethnographique en contexte autochtone Sensible à l’importance d’un processus de recherche adapté au contexte de décolonisation de la recherche (dimension qui sera abordée davantage dans la sous-section 2.1.2), cette section ne peut toutefois outrepasser l’importance d’une remise en question de la démarche ethnographique et de la manière d’effectuer de la recherche en milieu autochtone, d’autant plus que l’anthropologue n’échappe pas aux nombreuses particularités locales qu’elle apprendra à connaître sur le terrain. Il est en de même quant aux défis associés à son insertion dans la structure sociale du groupe avec lequel elle travaille.

Le fait de retourner à Manawan dans la posture d’anthropologue m’a permis une implication que je qualifierais de plus « complète » que celle en tant que travailleuse sociale. Ceci dans le sens où cette Jessica arrivait quand même avec le rôle d’étudiante graduée, de chercheure

29Par contre, considérant les délais d’obtention de la certification éthique de l’Université Laval pour ma recherche, les deux premières semaines sur le terrain ont été exclusivement exploratoires, la recherche proprement dite n’ayant début qu’au début du moins d’août 2019.

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en formation et d’ethnographe. Cette position m’a permis « d’avoir le temps » de m’impliquer et d’entrer en relation. En tant que travailleuse sociale, je devais intervenir dans des moments difficiles pour les membres de la communauté comme, par exemple, lors de crises psychosociales. Alors que le fait de retourner à Manawan en tant qu’anthropologue (même en formation) m’a permis de ressentir une plus grande flexibilité dans mes relations sociales, en plus de me permettre d’acquérir de nouveaux apprentissages.

Ethnographie et intersubjectivité

L’ethnographie est originellement présentée comme une « méthode inductive visant la description culturelle » (Saint-Denis et al. 2015: 2). Alors que Malinowski a posé les bases de la recherche ethnographique et de l’observation participante en anthropologie dans son ouvrage Les Argonautes du Pacifique (1922), son approche a depuis été largement repensée afin de favoriser une démarche plus critique et réflexive du chercheur de terrain (Leservoisier, 2005).

Dans les efforts de réciprocité entre l’anthropologue et les communautés impliquées, on convient désormais que ce premier n’agit pas seulement à titre d’observateur. Plutôt, celui- ci: « intervient nécessairement sur la réalité dans laquelle il est participant actif » (Jérôme, 2008b: 182). Comme l’évoque également Vidal (2005), le travail ethnographique peut être appréhendé comme un processus d’interprétation où la subjectivation est à l’œuvre. La notion d’intersubjectivité implique, quant à elle, la rencontre et le dialogue entre le chercheur et ses interlocuteurs, comme sujets positionnés. Chaque anthropologue porte avec lui ses significations du monde (Evans-Pritchard, 1951; Hervé, 2010). La subjectivité est enracinée en chacun des acteurs impliqués dans la recherche, à un point tel que l’on peut se demander à l’instar d’Evans-Pritchard (1951: 83): « si les mêmes résultats auraient été obtenus par une autre personne qui aurait réalisé la recherche ».

Claude Lévi-Strauss (2000) soulève un des risques que peut encourir toute personne, non seulement dans les relations quotidiennes de la vie, mais aussi lors du travail ethnographique. Il réfère à la probabilité: « qu’on se mette insidieusement à penser à la place de ceux qu’on croit comprendre et qu’on leur prête plus ou moins autre chose que ce qu’ils pensent » (Lévi- Strauss, 2000: 720). Autrement dit, de prétendre au moment de l’interaction sociale « que

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nous sommes l’un pour l’autre des subjectivités capables d’exprimer et de comprendre nos intentions et nos actions, selon leurs significations subjectives » (Goulet, 2011: 109). Ainsi, une recherche de type qualitatif adoptera la perspective d’analyse « émique » (Olivier de Sardan, 1998: 151), ce qui permet de mettre l’emphase sur les « discours ou propos », les « représentations », les « codes » ou les « structures cognitives » des acteurs impliqués dans la démarche (Olivier de Sardan, 1998: 157-158). Il n’en reste pas moins à l’anthropologue le difficile et délicat travail d’interprétation et de « traduction ».

En s’appuyant sur l’anthropologue français Marc Augé (2001), Jean-Guy Goulet (2011) met l’ethnographie participante de l’avant pour évoquer la façon d’être de l’ethnologue qui cherche à entrer en conversation avec les personnes impliquées dans un projet. Cette conception réfère à l’importance de savoir assurer une bonne transmission et un bon ajustement entre les codes sociaux des agents en présence, soit l’ethnographe et ses hôtes. Autrement dit, de s’adapter constamment et de savoir communiquer adéquatement avec les personnes impliquées dans le projet. Il faut également être en mesure, en tant qu’ethnographe, à la fois d’interroger, d’observer et de comprendre les positionnements sociaux de nos interlocuteurs, ainsi que les structures sociales et familiales dans lesquelles ils sont inscrits (Hervé, 2010).

L’ethnographie n’est pas en soi porteuse d’objectivité, mais constitue plutôt un mode d’objectivation ou un « mode intersubjectif d’objectivation » (Hastrup, 1992). Les auteurs consultés soutiennent que plusieurs dimensions doivent se conjuguer pour influencer la qualité des données relevées sur le terrain. Parmi elles, notons la durée d’intégration de l’anthropologue dans la société à laquelle il s’intéresse et la place qu’il accorde à la démarche itérative (voir aussi Vidal 2005). Au final, c’est par la rencontre entre ces diverses dimensions que les chercheurs sont ultimement en mesure de rehausser « la connaissance du phénomène étudié » (Leservosier, 2005: 19).

Plusieurs autres dimensions doivent être considérées durant le processus ethnographique. Parmi celles-ci, il est essentiel pour l’ethnographe de ne pas perdre de vue l’histoire coloniale, les relations difficiles entre Autochtones et non-Autochtones, ainsi que les processus actuels de revendications et de réaffirmations politiques, identitaires et culturelles. Il va alors de soi qu’une démarche réflexive soit nécessaire comme ethnologue, tout au long de notre insertion.

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Leservosier (2005: 23) appréhende la réflexivité comme un « instrument d'investigation, un moyen de recoupement, ainsi qu'une démarche permettant de marquer les limites de l'enquête. Marier l'humilité, ainsi que la rigueur » (Leservosier, 2005: 7). Ce qui implique, ajoute-t-il, de s’intéresser au contexte dans lequel s’exerce la recherche.

L’anthropologie réflexive implique ainsi et entre autres de prendre conscience des influences que ma seule présence allait inévitablement exercer sur l’ensemble des acteurs rencontrés, durant le processus ethnographique. Elle implique aussi de prendre conscience des hiérarchies qui allaient exister sur le terrain et du fait que je m’inscris dans un monde culturel portant avec lui d’autres valeurs, codes et manières d’être au monde (conduisant à des biais). Sur le terrain, j’ai vite compris que je devais aller au-delà des perceptions que j’avais acquises de la communauté alors que j’y travaillais en tant qu’intervenante. Avec ma nouvelle position, il m’était possible de voir les choses « autrement ». C’est du moins ce que j’ai tenté de faire et cela a impliqué aussi un travail d’introspection et de réflexivité sur ma propre manière d’être.

Enfin, je suis consciente que mon terrain à l’été 2019 a été de courte durée. Il va sans dire que mon implication antérieure comme travailleuse sociale auprès des Atikamekw Nehirowisowok, et particulièrement ceux de Manawan, a été un atout fondamental/impératif. Non seulement au niveau de certains codes culturels avec lesquels j’étais déjà familière, mais également au niveau des relations et des liens de confiance que j’avais déjà tissés avec des femmes et des hommes de Manawan de différents groupes d’âge. Le terrain aura permis certes d’approfondir les uns et les autres.

Réflexions sur la décolonisation de la recherche en contexte autochtone et sur le risque d’autorité ethnographique

« Research is probably one of the dirtiest words in the indigenous world’s » (Smith, 1999: 1), affirmait la chercheure maorie Tuhiwai Smith, en introduction de son livre Decolonizing Methodologies: Research and Indigenous Peoples. Ce qui est éloquent à plusieurs niveaux, notamment, sur la place même de la recherche dans les sociétés autochtones. Et également sur la force et la place de la langue locale dans les significations que les acteurs autochtones peuvent tirer du monde dans lequel ils sont insérés. Il faut également prendre conscience du

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fait que le chercheur est majoritairement amené à user de concepts ou notions qui transportent avec eux des significations proprement européennes (Bouillon, Fresia et Tallion, 2005). Voyons d’abord une brève revue sur la façon dont les recherches ont pu et peuvent encore contribuer à la mystification et à la dévaluation de l’Autre. Ensuite, examinons la façon dont les chercheurs travaillent désormais pour tenter d’adopter une façon de faire décolonisatrice.

« Le projet de décolonisation vise à réimaginer et à réarticuler le pouvoir, le changement et la connaissance par le biais d’une multiplicité d’épistémologies, d’ontologies et d’axiologies » (Sium, Desai et Ritskes, 2012: III) [notre traduction]. De nos jours, les chercheurs allochtones sont confrontés à des contestations locales sur les façons dont ils interprètent et transcrivent les significations et observations cueillies sur le terrain. Afin de tenter de ne pas reproduire l’« impérialisme cognitif » dont parle Battiste (2000: 193), il est, notamment, primordial de savoir mettre de l’avant l’oralité et les récits autochtones dans la construction des savoirs anthropologiques. Comme le signale Poirier (2014), le système de savoirs occidental tend à discréditer les connaissances autochtones. Afin d’être conséquente avec la décolonisation de la recherche qui favorise la démarche participative, il est important que: « les épistémologies autochtones soient considérées sur un pied d’égalité avec l’épistémologie occidentale (et scientifique) et que les autochtones soient partie prenante dans tout le processus de la recherche » (Poirier, 2014: 74).

Dans l’optique d’amorcer un processus de décolonisation de la recherche, Poirier (2014) met de l’avant plusieurs principes devant guider la recherche. D’emblée, elle atteste que les chercheurs qui travaillent avec les nations autochtones doivent questionner et apporter des changements significatifs à leurs façons de faire. Gagné (2008) ajoute la nécessité de remettre en question la façon de diffuser les significations autochtones. Cette posture implique ensuite la place primordiale qui doit être accordée à l’expression des significations autochtones, la sensibilité au rythme (et à la temporalité) et aux silences particuliers, aux relations de pouvoir, ainsi qu’aux politiques et structures sociales et locales. Hervé (2010) soutient l’importance que le chercheur s’engage et travaille à s’intégrer à la communauté à laquelle il s’intéresse, autant sur le plan des relations sociales qu’au sein des activités locales.

Jérôme (2008b) explique la façon dont il a été perçu par des acteurs Nehirowisiwok, malgré ses démarches et efforts pour s’intégrer et s’imbiber des significations locales. L’étiquette de

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l’« anthropologue voleur de culture » (Jérôme, 2008b: 182) s’était accolée à lui, au regard de certains, en sus de sa position d’Emitcikociwic («blanc»). C’est à partir d’un tel obstacle et de ses multiples expériences qu’il a pu tirer certaines conclusions, outre la primordialité d’assurer une communication continue avec les interlocuteurs sur le terrain. Il souligne la primauté d’agir de concert avec les principes éthiques et les protocoles entourant la recherche.

La réalité hiérarchique fait surface « à toutes les étapes de l’enquête » (Leservoisier, 2005: 21). La dimension de l’intersubjectivité est inscrite dans de tels rapports et l’anthropologue n’est pas neutre dans ce processus. Une réflexion s’impose donc, quant à la place du chercheur dans une telle structure dans laquelle il s’insère, mais aussi dans tout le processus d’écriture qui suivra le terrain ethnographique (Piron 1997; Jérôme 2008b).

Une de mes visées centrales pour tenter de me montrer la plus cohérente possible avec la démarche de décolonisation de la recherche était de m’assurer autant que possible de donner la place aux voix des personnes au centre du projet. Ce qui nécessitait chez moi une certaine ouverture à la critique et une capacité de remise en cause de mes propres « vérités » subjectives et momentanées. Aptitudes que j’ai l’impression d’avoir acquises, mais qui se travaillent également en continu. Cela se fait, notamment, par des rappels personnels de ce qui se trouve au centre de ma démarche: mettre de l’avant les significations et postures des acteurs au centre de ce projet de recherche, soit les jeunes adultes Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan. Durant le terrain de recherche, il était impératif de m’intégrer à la communauté. Je cherchais donc les occasions d’implications, autant au niveau des événements et activités sociales que dans les initiatives où je pouvais me rendre utile bénévolement.

Au cours de l’écriture ethnographique, j’ai eu l’idée de réaliser des « vignettes30 » pour rendre accessibles à un plus grand nombre d’acteurs de la communauté des significations qui auront été partagées par les interlocuteurs (voir annexe 2). Pour valider la démarche et obtenir des avis à ce sujet, j’ai donc fait appel à trois membres de la communauté impliqués dans ce projet de recherche. Ceux-ci se sont montrés favorables à la démarche. J’ai par la suite fait parvenir ces vignettes à des membres de la communauté, en plus d’en faire circuler quelques-

30 Les vignettes ont été acheminées à un Atikamekw Nehirowisiw de Manawan qui s’engageait à les faire circuler auprès de membres de la communauté, via les réseaux sociaux.

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unes sur les réseaux sociaux (après validation de la démarche auprès des intéressés).

Aspects éthiques et déontologiques

En avril 2019, une lettre visant à obtenir le consentement des membres du Conseil de bande de Manawan leur a été acheminée. J’avais préalablement rencontré le chef de Manawan, au cours de l’automne 2018, afin de lui exposer les grandes lignes de mon projet. Il avait alors répondu favorablement à mon projet. En mai 2019, et après avoir reçu l’aval du conseil de bande, une demande d’approbation éthique a été déposée au Comité d’éthique de la recherche de l’Université Laval (CÉRUL)31. Pour des raisons hors de mon contrôle, le CÉRUL a tardé à émettre le certificat. En attente de l’obtention de ce certificat, je me suis quand même rendue à Manawan, afin de m’y installer et de faire des premiers contacts.

Le processus de décolonisation de la recherche en milieu autochtone exige de la part des chercheurs une démarche qui se veut sensible à l’égard des collectivités impliquées. De ce fait, plusieurs dimensions éthiques sont à considérer, dont la reconnaissance et la mise à l’avant de leurs voix. Compte également l’importance du respect, de la collaboration, de l’ouverture, de la confiance et de l’adaptation. Tout au long de la recherche, j’ai non seulement impliqué des membres de la communauté de Manawan, j’ai régulièrement demandé leur avis sur le déroulement de la recherche et les démarches entreprises. À divers moments, soit en personne, par téléphone ou via les réseaux sociaux, j’ai rencontré et contacté, entre autres, Paul Émile Ottawa, chef de la communauté, ainsi que d’autres membres de la collectivité, afin de leur présenter un bilan de l’avancée du projet de recherche et de recueillir leurs suggestions pour la suite des choses. Au terme de l’écriture du mémoire, je me rendrai à Manawan afin de présenter les conclusions de ce projet de recherche. De la même façon, je prévois faire parvenir une copie du mémoire aux membres de la communauté qui en feront la demande.

2.2 Séjour de recherche à Manawan

2.2.1 De quelques connaissances et expériences préalables Tel que mentionné déjà, de 2016 à 2018, j’ai œuvré comme travailleuse sociale auprès de la

31Le numéro d’approbation éthique de ce projet de recherche est le: 2019-135/23-07-2019.

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nation Atikamekw Nehirowisiw et plus particulièrement à Manawan. Cette expérience m’a évidemment permis de me familiariser avec la communauté. C’est aussi cette expérience qui m’a décidé à m’inscrire à une maîtrise en anthropologie. Dès mon entrée à la maîtrise, j’avais la volonté de traiter dans mon projet de recherche de la question identitaire des Atikamekw Nehirowisiwok et de leurs relations avec la société occidentale. Au cours de la session d’automne 2018, en plus d’avoir complété la propédeutique32 préalable à l’admission à la maîtrise en anthropologie, j’ai réalisé une revue de la littérature (Synthèse des écrits - ANT- 6013). Plusieurs dimensions ont ainsi pu être explorées. Toujours au cours de l’automne 2018, j’ai pu participer, à titre d’auditrice, au Forum sur la gouvernance et le droit atikamekw (Atikamekw Nehirowisiw Otoperitamowina wir Tapirowe kitci mihitisotc) qui s’est tenu à Manawan (Voir annexe 11). Ce qui m’a donné l’occasion d’en apprendre davantage sur les stratégies identitaires des membres de la nation Atikamekw Nehirowisiw. Ce court séjour à Manawan m’a donné l’occasion de participer aux discussions, de renouer avec certains de mes contacts dans la communauté et de rencontrer Paul Émile Ottawa, chef de la communauté, afin de lui exposer les grandes lignes de mon projet de recherche. Le Projet de recherche proprement dit a été complété et déposé au printemps 2019.

2.2.2 « Trouver ma place » à Manawan La dimension temporelle, notamment au niveau des délais et de la disponibilité des interlocuteurs, représente un autre enjeu important auquel j’ai eu à faire face et à m’adapter, au cours de l’été 2019. En effet, l’étudiante à la maîtrise doit coordonner son projet de recherche avec d’autres temporalités, celles, par exemple, du Conseil de bande, du milieu de travail de nos interlocuteurs, ou encore du CÉRUL (Comités d'éthique de la recherche avec des êtres humains de l'Université Laval). Devant ces délais restreints pour effectuer le terrain, ma connaissance antérieure de Manawan a été particulièrement utile puisque j’étais déjà familière avec la communauté et j’y connaissais plusieurs personnes. Cette connaissance préalable a en quelque sorte servie de « pré-terrain ». Également, les réseaux sociaux, les contacts et les relations, tant ceux que j’avais antérieurement que ceux qui sont nés dans le courant de l’été, ont été tout autant essentiels à cette démarche de recherche.

32ANT-2321: Approche anthropologique de la situation coloniale et ANT-3003: Débats contemporains en anthropologie.

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S’il y a une chose qui me semble évidente, c’est bien le fait qu’il m’aurait été impossible de réaliser ce que j’ai accompli durant mon terrain à Manawan sans mes expériences antérieures auprès de la communauté. En effet, j’ai vite réalisé qu’un terrain de deux mois, sans connaissance préalable de la communauté, aurait été nettement plus difficile et moins concluant. Cela est dû aussi, bien entendu, à la générosité et à la disponibilité des personnes de Manawan qui ont accepté de m’accompagner dans ce processus.

Arrivée à Manawan

Je suis arrivée à Manawan au début du mois de juillet 2019. En attendant le certificat de l’approbation éthique, je me suis quand même installée et j’ai commencée à « explorer le terrain ». Avec l’aide généreuse d’une personne de la communauté, j’ai pu m’installer dans un des appartements de l’immeuble à logements dédié aux personnes travaillant dans le secteur de l’éducation33. Appartement que j’ai fini par partager avec sa locataire principale, une enseignante de Manawan, en août. Dans la mesure où la communauté fait face à un problème de pénurie de logements et qu’ils sont souvent plusieurs familles à demeurer dans la même habitation, il m’était difficile d’envisager de loger avec une famille pour la durée de mon séjour.

Dès mon arrivée, et une fois réglée la question du logement, je me suis mise à chercher des occasions d’implication auprès de la communauté. Un de mes objectifs, du moins auprès des personnes qui me connaissaient déjà, était de me faire connaître sous un autre jour, soit quelqu’un qui soit en mesure de s’impliquer dans différentes activités et dans la dynamique d’ensemble de la communauté, et non plus circonscrite à son rôle d’intervenante.

Pour de multiples raisons, le réseau social Facebook est hautement valorisé et utilisé à Manawan. Ce média a ainsi été un outil très utile dans mes démarches pour joindre et dialoguer avec les membres de la Nation, autant de Manawan que des autres communautés, mais aussi pour rester informée des activités et des opportunités d’implication et de participation.

À mon arrivée, et grâce à mon réseau social déjà existant, j’ai été informée du déroulement

33En effet, le personnel de l’éducation étant absent pour l’été, leurs logements peuvent être prêtés ou loués à des visiteurs.

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de la Journée annuelle de la famille, soit le 17 juillet 2019. Journée durant laquelle sont prévues plusieurs activités, tant pour les enfants que pour les parents. J’ai donc participé à certaines activités, sportives notamment, et je me suis impliquée en distribuant des breuvages aux familles présentes. Cela m’a aussi permis de rencontrer et d’échanger avec plusieurs personnes. Dans les jours suivants, via Facebook, j’ai contacté la responsable de l’expédition Tapiskwan Sipi34 pour lui offrir mon aide (voir chapitre 4 pour une description de ce projet qui implique les trois communautés). Elle a accepté. J’ai ainsi contribué aux démarches de préparation d’un des diners des canotiers. Ce dîner était offert par une femme de Manawan sur son territoire familial accessible par bateau, à environ 15 kilomètres de Manawan. Mon implication, même mineure, aux préparatifs du projet Tapiskwan Sipi m’a aussi donné l’occasion de rencontrer et d’échanger avec des Atikamekw Nehirowisiwok des trois communautés (Manawan, Wemotaci et Opitciwan), hommes et femmes de différents groupes d’âge. Le 9 août 2019, j’ai assisté à l’arrivée des canots sur le lac Metapeckeka aux abords de Manawan. Un moment rempli d’émotion et de fierté et auquel participait presque toute la communauté.

Le coordonnateur de Tourisme Manawan, Patrick Moar35, que je connaissais au préalable, m’a offert plusieurs occasions de rencontres et de participation à diverses activités organisées par Tourisme Manawan, tant avec des Atikamekw Nehirowisiwok qu’avec des non- Autochtones, majoritairement des touristes français. Tout au long du terrain, Patrick et moi nous offrions mutuellement de l’aide, selon les besoins, les contextes et nos possibilités respectives. Il m’a ainsi permis de visiter, à quelques reprises, le site Matakan (traditionnellement reconnu et identifié en atikamekw comme le « lieu de rassemblement » communautaire), principal lieu où se déroulent les activités de Tourisme Manawan, et où j’ai rencontré les personnes impliquées dans ce projet. Situé sur le Nitaskinan, Matakan est à une vingtaine de kilomètres de la communauté, et accessible en voiture ou en bateau.

Lors d’une visite au bureau des services sociaux pour revoir mes anciens collègues de travail et les informer des raisons de ma présence, j’ai discuté avec Richard Moar, nouvellement coordonnateur au Programme de justice communautaire atikamekw. Nous avons pris un

34Tapiskwan Sipi est le mot atikamekw pour désigner la rivière Saint-Maurice. 35Qui a accepté d’être identifié nommément.

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assez long moment pour discuter de la marche Motetan mamo dont il est l’instigateur. C’est suite à cette discussion, quelques jours avant le début de l’événement, que j’ai décidé de sauter le pas et d’y prendre part (voir section 5.2 sur la Marche Motetan mamo).

Il m’arrivait aussi régulièrement d’aller simplement me promener dans la communauté. Un jour, assise au bord du quai situé derrière le magasin général, j’ai fait la connaissance d’un groupe d’amis proches âgés entre quarante et soixante ans, dont certains qui étaient, à ce moment, « sans abri ». Au fil des jours, j’ai longuement discuté avec eux, assis derrière le magasin général, et découvert des personnes d’une grande résilience qui accordent beaucoup d’importance aux valeurs d’entraide. Cela transparaissait tant dans leurs récits de vie respectifs que dans leurs actions où ils se partageaient leurs bières, par exemple. J’ai également perçu chez ces personnes une volonté mutuelle de protection à mon égard, dès lors qu’ils sentaient que je pouvais être exposée à un quelconque risque. Ils m’ont aussi questionnée sur la raison de ma présence à Manawan. Après leur avoir répondu, l’une d’elle a exprimé sa volonté d’être entendue par le biais d’un entretien informel (à l’extérieur, à leur QG -quartier général-, comme ils s’amusaient à le nommer).

À une autre occasion, j’ai été invitée par une amie et son mari à me rendre avec eux et des membres de leur famille à leur campement familial sur le Nitaskinan (celui des Ottawa et dont le ka nikaniwitc36 (chef de territoire) est Jo Ottawa). Comme relevé par Éthier et Poirier (2018: 108): « Chacun des territoires de chasse familiaux (atoske aski, natoho aski), au sein de Nitaskinan, est ainsi sujet à des modes et des pratiques de répartition et de transmission, lesquels s’appuient sur un code coutumier qui a su faire preuve de flexibilité face aux nouvelles contraintes, mais qui n’en est pas moins effectif au sein de la Nation ».

À plusieurs reprises, et de manière informelle, j’ai échangé avec des membres de la communauté de tous âges, que ce soit dans les domiciles où je me rendais, dans les cours arrière des maisons, dans les bureaux de différents organismes, les campements sur les territoires familiaux, etc. Il s’agit ici d’un portrait très succinct des divers espaces où j’ai eu la chance de partager le quotidien des Atikamekw Nehirowisiwok, d’interagir et d’échanger

36Chacun des ka nikaniwitcik est une source d’ «autorité qui accompagne aussi un ensemble de droits et de responsabilités que les ka nikaniwitcik ont hérité des ancêtres pour assurer leur existence et celle de leurs descendants (Éthier et Poirier, 2018: 110). Il s’agit de « chasseurs accomplis qui fréquentent régulièrement et connaissent le mieux le territoire » (Éthier et Poirier, 2018: 110).

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avec des personnes de la communauté. Ce qui m’a permis, entre autres, d’observer les manières dont se manifestent les relations et les dynamiques sociales et de m’aider à mieux comprendre le tissu social de Manawan, sans négliger l’impact de ma présence dans ces relations.

2.2.3 Recrutement et échantillonnage Entretiens semi-dirigés

Initialement, dans le projet de recherche, je prévoyais faire appel, de manière plus approfondie, aux savoirs et témoignages d’environ une quinzaine d’interlocuteurs. Au terme de la recherche, 9 ocikonikiok (jeunes adultes)37 Atikamekw Nehirowisiwok âgés de 20 à 35 ans (5 iriniwok (hommes) et 4 iskwewok (femmes)) et 4 adultes Atikamekw Nehirowisiwok (3 iriniwok (hommes) et 1 iskwew (femme)) âgés entre 35 et 60 ans, tous de Manawan, ont accepté de participer à un entretien semi-dirigé (voir annexe 4, Profil des interlocuteurs). Au niveau de l’emploi, leur profil est varié : personnes avec un emploi, permanent ou occasionnel, dans divers secteurs de la communauté (éducation, tourisme, services sociaux, conseil de bande, etc.), ou des personnes sans emploi. Chacune de ces personnes s’inscrit aussi dans un réseau de parenté élargie. Toutefois, je n’ai pas porté une attention particulière aux liens de parenté, bien que ceux-ci soient importants dans une communauté comme Manawan. La durée des entretiens a varié entre 50 minutes et une heure quinze. À partir d’une grille d’entretien (voir annexe 3), plusieurs thèmes ont été mis de l’avant: les relations sociales et intergénérationnelles, la dimension de la langue et des activités traditionnelles, la transmission des savoirs et le devenir de la nation et de l’identité atikamekw. Les entretiens ont été enregistrés avec le consentement préalable des interlocuteurs (voir annexes 5 et 6), avant d’être retranscrits et enregistrés de façon confidentielle dans mon ordinateur muni d’un mot de passe.

Plusieurs méthodes d’échantillonnage ont été mises de l’avant, au cours du processus de recherche. D’abord, un échantillonnage volontaire. J’ai ainsi sollicité des personnes de mon réseau social pour le recrutement des participants (voir annexe 7). Ce qui pouvait se faire par

37En retenant que ces catégories sont arbitraires et ne veulent en aucun cas imposer une catégorie sociale liée au groupe d’âge, dans le cadre de ce projet de recherche, les catégories d’âges suivantes ont été retenues; les jeunes adultes (entre 20 et 35 ans); les adultes (entre 35 et 60 ans) et les aînés (en haut de 60 ans).

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des mises en contact direct, par des transmissions de coordonnées, ou par des rencontres, lors de soirées avec des amis de la communauté.

Après coup, un échantillonnage par réseau (boule de neige/de bouches à oreilles) a été mis de l’avant. Ma connaissance préalable de la communauté a créé des occasions où j’ai pu m’impliquer comme bénévole, tel qu’énoncé déjà. Par exemple, lors de la Journée de la famille, lors de l’expédition Tapiskwan sipi ou en aidant ponctuellement avec des travaux d’entretien du site communautaire Matakan. Ces instants de participation aux activités et aux discussions n’étaient généralement pas planifiés.

À plusieurs reprises, il est arrivé que des personnes me questionnent sur les motifs de ma présence dans la communauté. Cela m’a permis de mieux faire accepter et mettre de l’avant mon projet de recherche, tout en me rendant utile à la communauté. À un certain moment, une personne que je ne connaissais pas encore et qui travaillait à la SOCAM (Société de communication Atikamekw - Montagnais) situé dans la ville du Québec m’a contactée, via Facebook, pour m’offrir l’occasion de présenter mon projet de recherche à la radio SOCAM qui est diffusée sur l’ensemble du réseau radiophonique des communautés Atikamekw et Innues (Montagnaises). N’ayant pas accès alors à un téléphone et ne pouvant me rendre à Québec, celui-ci m’a généreusement proposé de faire l’annonce de mon projet de recherche à ma place sur les ondes de la SOCAM, après que je lui aie exposé le projet et les motifs pour lesquels je l’avais amorcé. Il a donc procédé en deux temps. Durant notre échange écrit sur Facebook, je faisais appel au meilleur de ma connaissance à la langue atikamekw (comme je le fais généralement avec ce médium). Après qu’il ait présenté mon projet, il m’a informée avoir dit en ondes aux auditeurs atikamekw avoir été surpris que je sache « parler » la langue atikamekw.

Enfin, parmi les modes d’échantillonnage, il y avait également l’utilisation d’un échantillonnage par choix raisonné. L’objectif était de m’assurer le plus possible que le recrutement vise des personnes de la génération des 18-35 ans, autant d’hommes que de femmes, et que ceux-ci puissent présenter des caractéristiques socioéconomiques diverses. Je dois noter que certains interlocuteurs étaient un peu plus âgés que l’âge maximal visé et qu’il m’a été plus difficile de solliciter des femmes, au départ.

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En plus des divers contextes informels où j’ai pu effectivement interagir avec des membres de générations plus âgées de la communauté, considérant l’importance des relations intergénérationnelles, j’ai fait appel à deux Kice iriniwok (hommes aînés) et à une Kokominac (femme aînée), plus spécifiquement en vue du souper-discussion (voir ci-dessous) (voir annexe 8).

2.2.4 Entretiens semi-dirigés et souper-discussion Entretiens semi-dirigés

C’est au moment du processus ethnographique que nous sommes en mesure de constater la faisabilité ou non de certaines démarches préalablement anticipées. Dès l’étape du recrutement, je ressentais un certain malaise à solliciter les personnes pour prendre part au projet de recherche. J’avais l’impression de leur demander: « puis-je t’utiliser ? ». En discutant avec une amie de la communauté à ce sujet, elle m’a assurée que je n’avais pas à me sentir mal d’inviter les gens à participer. Elle mettait de l’avant le fait que j’étais là pour les aider, pour m’impliquer auprès d’eux. Ce qui m’a beaucoup aidée dans mon cheminement et qui m’a conduite à opter pour la transparence dans le dialogue que j’allais avoir avec les personnes, au cours du recrutement. À chacune d’entre elles, j’ai exposé les raisons pour lesquelles j’ai décidé de débuter cette maîtrise, soit comprendre davantage cette nation au sein de laquelle j’avais été impliquée en tant que travailleuse sociale et, autant que possible, acquérir des outils pour les aider, du moins autant que possible, dans leurs multiples démarches identitaires et sur le plan de leur bien-être.

Durant les semaines à Manawan, j’ai pu rencontrer et discuter avec des membres de la communauté, hommes, femmes, jeunes, adultes et aînés, dans des contextes informels, semi- formels, mais aussi dans le cadre d’un souper-discussion (davantage semi-formel). Comme déjà évoqué, j’ai réalisé des entretiens semi-dirigés et de manière informelle avec 5 femmes et 8 hommes âgés entre 20 et 60 ans. Parmi les questions abordées: « Avez-vous l’impression qu’il y a des différences entre votre génération et celles de tes aînés? -Si oui, quelles sont- elles? »; « Quelles sont les dimensions agréables et plus difficiles de vivre à Manawan? »; « Qu’est-ce que devrait contenir « l’héritage Atikamekw », selon vous? Qu’est-ce qui ne devrait pas faire partie de cet héritage, selon vous? » « Selon votre vécu, qu’est-ce que ça veut dire être un « Atikamekw Nehirowisiw ».

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Les rencontres pour les entretiens semi-dirigés se sont déroulées à divers endroits de la communauté, selon les possibilités et le désir des interlocuteurs: dans leur domicile, dans leur espace de travail, dans l’appartement où je logeais (nous étions seuls), en forêt ou dans une cour extérieure, entre autres.

Au début de chacune des rencontres, je remettais une copie de la grille d’entretien préalablement rédigée à chacun des participants. Ceci pour m’assurer qu’ils puissent être en mesure de poursuivre leur réflexion sur les sujets abordés, suite aux rencontres, s’ils le souhaitaient. Je trouvais aussi primordial de clarifier avec les interlocuteurs qu’ils n’avaient aucunement à se mettre de la pression pour « être ce qu’ils ne sont pas ». Sensible et consciente que la question identitaire, particulièrement en contexte autochtone, peut être source d’oppressions pour eux, je considérais important de les rassurer à ce sujet et de me montrer la plus honnête et transparente avec eux. Je leur suggérais aussi de me poser des questions à tout moment de l’entretien, au besoin. Autant au cours des entretiens individuels que durant le souper-discussion, j’ai pu valider le consentement des membres de la communauté impliqués à enregistrer (audio) les échanges. J’ai ensuite complété la transcription de ces entretiens, en vue de l’analyse et de l’écriture du mémoire.

Dans ce projet de recherche, j’indiquais mon intention de demander aux participants des rencontres individuelles afin de réaliser une image, un texte ou un récit, une photo, un dessin, ou toute autre forme d’expression de leur choix qui saurait exprimer leur compréhension de l’identité Nehirowisiw. Par contre, dès la première rencontre, j’ai pu constater que cette démarche semblait être davantage une source de stress pour les interlocuteurs qu’une stratégie facilitant l’expression. J’ai donc décidé de laisser tomber cette étape. Je me suis plutôt centrée sur le dialogue avec les interlocuteurs.

Souper-discussion

Tel que mentionné déjà, vers la fin de mon séjour de terrain, j’avais prévu d’organiser un souper-discussion. Cette activité a pu être réalisée, au terme des entretiens individuels, grâce à la participation active de sept adultes ayant été impliqués dans les entretiens semi-dirigés (quatre iriniwok et trois iskwewok âgés entre 25 et 42 ans), ainsi que celle de trois aînés de la communauté (une Kokominac et deux Kice iriniwok).

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Le souper-discussion poursuivait certains buts. D’une part, celui de remercier les personnes impliquées dans le projet de recherche de leur générosité et de leur confiance envers moi. D’autre part, il visait à offrir aux membres de la communauté un espace et un moment d’échange intergénérationnel afin de leur permettre de maintenir leurs efforts d’implication et de réflexion, en lien avec les défis et les stratégies identitaires et en ce qui concerne leur conception du Bien Vivre (« Miro pimatisiwin 38»), en tant qu’Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan.

Il n’a pas été facile de trouver un local pour tenir ce souper-discussion, étant donné la pénurie de logements et d’établissements dans la communauté qui permettent le déroulement de telles activités39. Heureusement, comme je connaissais le chef de service des services sociaux de la communauté, ce dernier a volontairement accepté que je puisse tenir le déroulement de l’activité dans l’établissement, en dehors des heures de bureau (pour des raisons de confidentialité, dans un premier temps, puis pour le côté pratique de la chose, en second plan). Sans ce contact préalable, je doute que l’activité du souper-discussion ait pu avoir lieu.

Comme je souhaitais dans mes actions refléter, autant que possible, les façons de faire des Nehirowisiwok, pour le souper-discussion, j’ai demandé à des amis de m’aider dans les démarches permettant d’offrir du doré (poisson) pour le souper. Ce poisson est particulièrement disponible dans le lac aux abords de Manawan. J’ai ainsi accompagné un ami atikamekw et participé à toutes les étapes depuis la pose des filets, la récolte et jusqu’à la cuisson des dorés. Je considère que mon implication dans toutes les étapes de préparation du repas m’a aidée d’une certaine manière à obtenir le respect des aînés présents au souper- discussion.

Tout au long du souper, j’avais un rôle informel de « monitrice de discussions » (en alimentant les réflexions sur certaines questions entourant la problématique de ce projet de recherche). Devant eux, j’inscrivais sur un grand tableau de papier les savoirs et les idées mis de l’avant par chacun des participants. Cette stratégie m’aidait à traduire et à confirmer ma

38Qui, rappelons-le, est un concept atikamekw utilisé pour aborder la « bonne existence », « qui a une vie équilibrée » ou « art de bien vivre » (Éthier, 2017: 279; 294). 39C’est la raison pour laquelle une grande majorité des activités qui sont organisées dans la communauté se déroulent dans le gymnase de l’école secondaire Simon Pinecic.- Ottawa. Voir chapitre 3 à ce sujet.

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compréhension des idées qu’ils mettaient de l’avant. De plus, cela permettait de transcrire et documenter rapidement les idées échangées, en vue de leur transmettre par la suite40. Le soir même et le lendemain de l’événement, j’ai bénéficié de rétroactions des personnes présentes. Parmi ces rétroactions, un homme dans la vingtaine qui œuvre dans le domaine de la santé et des services sociaux s’est exprimé comme suit :

Interlocuteur: ça m'a beaucoup turlupiné les sujets hier... tellement qu'on était loin du but mais j'me suis dit qu'au moins il y'a des actions pour le recouvrement de la culture.

JB: déjà votre présence était tellement énorme! Je ne m'attendais pas à ce qu'il y ait autant de personnes!!! J'étais vraiment contente des échanges.... Cette prise de conscience (et communautaire) est la base, à mon avis, de votre cheminement.

Interlocuteur: Oui vraiment et c'est rare de se retrouver pour en discuter autre que les Assemblées mais c'est plus les administrateurs qui dirigent la discussion que la population.

2.2.5 Discussions informelles et observation participante Un terrain de recherche s’effectue à plusieurs niveaux, dont celui de la participation quotidienne du chercheur avec les membres de la communauté. Pour ma part, j’ajouterai aussi un souci du maintien de relations égalitaires entre le chercheur et ses interlocuteurs. Ainsi, durant l’été 2019, j’ai réalisé de l’observation participante dans divers contextes et de diverses manières, aux côtés d’hommes et de femmes de toutes les générations. Que ce soit par des soirées avec des familles sur des territoires familiaux41, par une implication au sein de la marche Motetan mamo (voir section 5.2), par le biais d’activités culturelles (expédition Tapiskwan sipi, site communautaire Matakan, par exemple, voir chapitre 4), par des activités en bateau42, comme aller à la pêche ou prendre part/assister à des courses de canots, par des échanges informels au sein du domicile des membres de la communauté, pour n’en nommer que quelques-unes. Afin de m’aider à cibler les éléments à retenir, j’avais préalablement

40Dès le lendemain du souper-discussion, j’avais déjà pu acheminer un document synthèse relatant les points saillants mis de l’avant durant l’activité aux personnes qui y avaient participé, ainsi qu’au chef de la bande de Manawan. 41À une reprise, sur le territoire des Ottawa dont Jo Ottawa est le chef du territoire. Nous pouvions nous y rendre en camion, comme nous devions passer par des chemins forestiers. Ce site se trouve à environ 35 kilomètres de Manawan. À un autre moment, sur le territoire de la famille Moar, accessible par bateau, à environ 20 kilomètres de Manawan. Puis sur un territoire occupé par la famille de Shirley Flamand et ses enfants, aussi accessible par bateau, à environ 15 kilomètres de Manawan. 42La commuauté de Manawan est située tout juste aux abords d’un grand plan d’eau sur lequel les gens se déplacent en toutes saisons pour se rendre sur leur territoire familial, notamment.

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réalisé une grille d’observation (voir annexe 9).

À divers moments, lors des discussions, j’ai pu remettre en perspective les visées de mon projet de recherche, face à la réalité sur le terrain. Du même coup, j’ai été amenée à faire preuve de davantage d’humilité. Ceci comme lors d’un échange avec un interlocuteur de 29 ans qui s’identifie comme un militant nehirowisiw. Alors que nous discutions des privilèges de la ville, face à ceux de la communauté de Manawan, celui-ci soutenait:

Il y a certaines choses que tu ne comprendras jamais dans les communautés autochtones. Même si tu fais une maitrise... Un doctorat ou que tu travailles dans une communauté. Être dans une communauté autochtone, c’est de vivre leur vie. Il faut que tu comprennes leur histoire. Des fois, moi aussi je me pose des questions « pourquoi il y a ceci », « pourquoi il y a cela » puis il faut que je réfléchisse (Manawan, été 2019).

D’autres affirmations ont été tout autant importantes:

T’as des situations économiques qui varient d’une famille à l’autre, oui. Mais ce que tu ne vois pas, c’est là qu’elle est cette pauvreté-là. Il y a beaucoup de gens qui ne peuvent pas se permettre de penser à ces questions-là [en lien avec mes questions sur l’identité nehirowisiw]. Parce qu’ils sont en état de survie et de désœuvrement (interlocuteur 8, Manawan, été 2019).

De la même façon, le fait de favoriser l’observation participante m’a permis d’avoir accès aux significations de membres de la communauté vivant dans une plus grande précarité économique. Ce qui ne les rend pas pour autant moins accessibles. Mais il faut faire l’effort de chercher à les rejoindre et de les considérer également. Tel que mentionné déjà, j’ai eu l’opportunité d’échanger avec un groupe d’hommes âgés entre quarante et soixante ans, dont certains qui s’identifiaient comme « sans-abri ». L’un me racontait comment il avait fugué deux fois du pensionnat « indien » ou encore comment il avait été intercepté par la police à quelques reprises. Dans tous les cas, il refusait tout lien avec ces institutions.

Avec ces personnes momentanément « sans-abri », nous avons pu discuter de la dimension de la précarité économique et de la pénurie de logements à Manawan. Un jour que nous étions tous assis sur le quai, nous avons vu une personne entrer dans le magasin général avec un sac rempli de canettes vides (à échanger contre de la monnaie). Un des hommes du groupe a alors regretté de ne pas être allé lui-même sur les lieux où s’était déroulé la fête afin d’y ramasser

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les canettes vides. Ces moments partagés avec ces hommes qui m’ont, du moins jusqu’à un certain point, accordé leur confiance, ont été pour moi chargés d’émotion, à la fois de colère et de tristesse. Et pourtant, j’ai aussi été touchée par la bonne humeur et la résilience de ces personnes.

Tous ces moments d’échanges informels et d’observation participante m’ont offert le privilège que certaines personnes m’ouvrent leur porte et se confient de manière sincère. Ils ont aussi permis d’enrichir mes réflexions sur les questions identitaires au centre de ce projet de recherche et d’observer les dynamiques relationnelles entre les membres de la communauté.

2.2.6 Le journal de bord et les notes de terrain Tout au long du terrain, je m’assurais de consigner les données relatives à l’observation participante dans un journal de bord et à l’aide d’une application cellulaire de notes (protégées, via un mot de passe). Le choix d’usage de l’une ou de l’autre de ces méthodes dépendait des contextes dans lesquels je me trouvais. Par exemple, lorsque j’étais amenée à me déplacer, il était plus facile et pratique de faire usage de mon téléphone pour y consigner des données.

En règle générale, ces notes de terrain étaient prises le soir venu, alors que je me retrouvais seule et que les idées et observations étaient encore fraîches (Emerson et al. 2011: 50) . Avec le consentement direct ou implicite des interlocuteurs, il m’arrivait également de prendre des notes en leur présence, lorsqu’il s’agissait de données et savoirs particuliers. Par exemple, au cours de la marche Motetan mamo (voir section 5.2), il m’est arrivé d’inscrire des données, durant la journée de marche, alors que des Atikamekw Nehirowisiwok me transmettaient des savoirs relatifs à la langue ou à l’espace forestier . Au départ, je prenais le temps de retranscrire les notes de terrain directement dans ma grille d’observation sur l’ordinateur. J’ai par la suite rapidement laissé tomber cette façon de faire, la retranscription manuscrite m’étant apparue plus rapide.

2.2.7 De quelques enjeux méthodologiques Enjeux de la traduction

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Dans chacun des cas, durant le recrutement, je prenais le temps d’expliquer le projet, ainsi que l’importance d’accepter d’y prendre part de façon libre et éclairée. Pour arriver à un tel dialogue, il est nécessaire de partager des codes de communication communs, dont celui de la langue. Or, ma langue maternelle est le français, alors que la langue maternelle de la majorité des personnes rencontrées est l’atikamekw. En ce sens, il m’était nécessaire de réaliser de multiples vérifications auprès de chacun des interlocuteurs. En premier lieu, pour valider leur compréhension et leur aisance avec la langue française. Autrement, nous devions faire appel à un interprète. À une reprise, dans le cadre des rencontres individuelles, nous avons sollicité un interprète. Nous (interlocuteur et moi) avions convenu ensemble d’une personne de confiance à solliciter pour jouer le rôle d’interprète (voir formulaire d’engagement à la confidentialité en annexe 5). En faisant appel ou non à un interprète, la dimension de la traduction n’en demeure pas moins un enjeu important. Comme toutes les langues, la langue atikamekw (Notcimi Arimowewin) induit un certain rapport au monde qui n’est pas celui de la langue française. Donc, bien que je connaisse des termes en langue atikamekw, je suis très loin de maîtriser la langue. Je suis consciente aussi que la traduction en langue française ne permettra jamais une transmission exacte de ce qui a été partagé.

Lors de rencontres informelles avec des aînés ou membres de toute autre génération (principalement alors que nous étions assis, dans la cour arrière des domiciles ou en territoire) et que nous faisions mutuellement face à la barrière de la langue, j’avais parfois l’occasion de bénéficier de la présence de tierces personnes qui s’auto-octroyaient le titre officieux d’interprètes. Par intérêt personnel et dans un souci d’en apprendre davantage sur la langue, je trouvais intéressant et pertinent de questionner les personnes avec lesquelles j’interagissais sur la langue (traductions atikamekw-français et questionnement sur l’étymologie de certains mots atikamekw). Dans le cadre du souper-discussion, j’avais prévu qu’une personne puisse prendre part à ce souper, afin d’assurer un rôle d’interprète. Je souhaitais sincèrement permettre à toutes les personnes présentes, et notamment aux quelques aînés, de dialoguer dans leur langue maternelle. Malheureusement, des limites de temps ont joué défavorablement contre ma volonté de procéder en ce sens. En effet, l’organisation de cet événement s’est déroulée très rapidement et il n’a pas été possible de trouver une personne disponible qui aurait pu agir comme interprète. Cependant, ceux présents ont traduit, lorsque nécessaire, les propos de ceux et celles qui préféraient s’exprimer en atikamekw.

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Enjeux liés au « double rôle »

Tel que déjà mentionné, j’ai été travailleuse sociale aux Services sociaux de Manawan de juillet 2016 à septembre 2018. Durant mon travail de recherche sur le terrain, il m’est arrivé à une occasion d’être directement confrontée à un « double rôle ». Une personne auprès de laquelle j’étais antérieurement intervenue pour une situation particulièrement délicate est venue vers moi pendant cette recherche, alors qu’elle vivait une situation d’urgence. Je n’ai pu refuser sa demande d’aide. Je l’ai écoutée et je l’ai laissée ventiler, avant de lui suggérer qu’elle contacte le service d’urgence sociale de la communauté (étant donné qu’il s’agissait bel et bien d’une situation d’urgence). Je l’ai accompagnée et l’ai remerciée de sa confiance.

Ce double rôle, de travailleuse sociale et étudiante-chercheuse, m’a aussi confrontée à une embûche sur le plan de la confidentialité. Alors que j’étais travailleuse sociale et que j’œuvrais auprès de la nation Atikamekw Nehirowisiw, je faisais partie d’un Ordre professionnel particulier (celui des travailleurs sociaux), et je devais répondre à nombre de situations délicates. Il était ainsi impératif de préserver la confidentialité des situations et des personnes face auxquelles je devais intervenir (d’autant plus qu’il s’agit de petites communautés où presque tous les membres se connaissent). Ceci était possible grâce à des efforts de décontextualisation des situations rapportées (lorsque je devais aborder ces situations avec des collègues, par exemple). Or, dans le processus ethnographique, la situation est en quelque sorte inverse. En effet, il importe de contextualiser les informations recueillies lors de notre terrain de recherche. Cela, afin de rehausser au mieux la compréhension des significations et des situations dans lesquelles nous sommes insérés et pour, au final, tenter de répondre dans la mesure du possible à nos questionnements de recherche. Il s’agit donc d’un point sur lequel je dois actuellement porter une attention particulière, afin de mettre de l’avant le plus d’observations possible. Pour m’aider, par exemple, je valide deux fois plutôt qu’une le consentement des personnes avant de mettre de l’avant des propos ou informations les concernant (notamment, en messages privés, via Facebook).

Enfin, un autre enjeu à ce double rôle se manifeste aussi actuellement, dans l’écriture ethnographique (et dans l’expression écrite). Ce présent retour sur les bancs d’école se déroule quelques années après avoir été insérée sur le marché du travail et dans une toute

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autre discipline. Les manières dont je devais m’y prendre, en tant qu’intervenante, pour communiquer les idées par écrit (dans le fond et la forme) et le type de langage utilisé étaient bien différents. C’est pourquoi, en plus de l’aide particulièrement appréciée de ma directrice de recherche, je dois également faire appel à l’aide de membres de mon réseau ayant les compétences à ce niveau, pour rendre le tout dans une forme adéquate.

Conclusion

Le sentiment de reconnaissance envers les personnes impliquées dans ce projet de recherche en est un qui m’a grandement habitée tout au long du terrain. Ceci particulièrement dans la mesure où j’étais sensible à ce que je pouvais représenter, soit une jeune non-autochtone arrivant dans le cadre d’un processus de recherche, et donc dans une posture de « professionnelle », ce qui n’est aucunement le cas, selon moi. De la même façon que je l’appréhendais dans mon rôle de travailleuse sociale, les personnes que nous rencontrons sont au centre de ce que nous faisons. Loin d’être une « professionnelle », je considère plutôt être porteuse d’un contexte de réflexions, tant pour moi que pour des acteurs de Manawan. De plus, je m’inscris, tant sur le terrain que dans le processus d’analyse et d’écriture, dans une volonté de contribuer à la démarche de décolonisation. Or, et tel qu’évoqué déjà, je suis consciente que je ne serai jamais en mesure de saisir pleinement et intrinsèquement ce que ces personnes vivent et acceptaient de me partager, puisque leur réalité est différente de la mienne. C’est dire que l’écriture de ce terrain de recherche est réalisée du point de vue d’une femme non-autochtone avec son propre parcours et ses propres rencontres et expériences auprès des personnes ayant contribué à la recherche.

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Chapitre 3. De quelques défis et enjeux de la communauté de Manawan

Alors que je l’interpellais en 2019 sur la question de son identité culturelle, Éva Ottawa, ex- Grande chef du Conseil de la Nation Atikamekw (2006 à 2013), mettait de l’avant entre autres que: « Aujourd'hui, je vois tout ce que le processus de colonisation nous a enlevé, notamment avec les pensionnats où il y a eu une rupture des générations. Beaucoup de grands-parents n'ont pas pu transmettre tous leurs savoirs ». Effectivement, dans cette affirmation, celle-ci met de l’avant plusieurs manières dont le colonialisme s’est répercuté et continue d’engendrer de nombreux impacts sur les membres de la communauté. Que ce soit par une rupture relationnelle et de la transmission des savoirs entre les générations ou par la transmission intergénérationnelle de souffrances vécues par des générations antérieures. Mais également par le maintien de mesures coloniales comme celle contribuant significativement à leur situation de précarité économique ou à celle de pénurie de logements et de surpopulation. Ce sont de telles dimensions qui seront vues dans ce chapitre.

3.1 Héritage des pensionnats sur les relations intergénérationnelles Dans son mémoire de maîtrise sur le processus de guérison à Manawan, Sarah Clément (2007) a souligné les impacts des pensionnats sur les jeunes générations actuelles et comment ils sont encore source de souffrance au sein de la communauté. Celle qu’il est maintenant convenu d’appeler la « génération des pensionnats » (mais qui est maintenant identifiée comme celle des aînés)43 aura occasionné une rupture dans les relations intergénérationnelles et dans la transmission des savoirs. Cette dure réalité coloniale a non seulement profondément affecté la culture, l’éducation traditionnelle, la langue et la spiritualité de la collectivité Atikamekw Nehirowisiw, mais également les manières dont s’articulaient et continuent de s’articuler leurs relations intergénérationnelles et familiales. Comme le soulignait Éva Ottawa et une interlocutrice de Clément (2007), les efforts de colonisation ont profondément contribué à perturber le processus de transmission des savoirs ancestraux,

43En 2001, l’anthropologue Sylvie Poirier qui travaille depuis plusieurs années avec la Nation Atikamekw Nehirowisiw distinguait les générations suivantes, parmi la collectivité : « les aînés qui sont nés en forêt et qui ont connu le mode de vie semi-nomade; la génération actuelle des adultes qui ont fréquenté les pensionnats; et enfin, leurs enfants et petits-enfants qui ont été élevés et instruits dans les communautés » (Poirier 2001 : 114, notre traduction). Comme elle l’expliquait toutefois, la génération des aînés est maintenant caractérisée par la génération qui a fréquenté les pensionnats.

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territoriaux et linguistiques :

Là où est-ce qu'on a été blessé, c'est qu'on a attenté à notre culture, on a voulu nous imposer une autre culture. Tout ça dans le but qu'on exploite toutes les richesses du territoire [...] Pour commencer, ils ont tué l'éducation traditionnelle. L'éducation traditionnelle, c'est la pierre angulaire de toute culture; si tu n'as pas ton éducation traditionnelle, tout le reste tombe parce que tu ne peux pas apprendre ta langue, tu ne peux pas connaître ton territoire, tu ne peux pas connaître ton histoire, ta spiritualité, tout cela vient de l'éducation (Clément, 2007: 79). Au sein des collectivités autochtones du Canada, plusieurs stratégies et efforts de réaffirmation identitaire et culturelle ont été déployés, depuis les années 1980, dans le cadre d’un mouvement de guérison communautaire. Ceci a permis d’instaurer un processus de guérison pour les torts causés par les mesures de colonisations, dont celle des pensionnats, et de redonner une pleine place aux composantes identitaires propre à chaque collectivité autochtone affectée, dont celle de Manawan (Clément, 2007). Soulignons que, dans la réalité, un tel processus de réaffirmation et de guérison ne soit pas évident à articuler en raison de la coupure exercée au niveau de la transmission intergénérationnelle: « Notre processus de guérison est comme une thérapie de décolonisation et de lutte contre l'oppression. Notre histoire est celle d'une communauté, d'une nation, d'un peuple opprimé qui essaie de se guérir des conséquences d'une acculturation forcée » (Fondation autochtone de guérison 2000 : 16).

Mais force est de constater que cette dynamique de souffrance continue vraisemblablement aujourd’hui d’imprégner les relations familiales et collectives à Manawan, une souffrance qui prend plusieurs formes (Clément, 2007: 12).

Transmission intergénérationnelle des souffrances

Les répercussions découlant de l’imposition des pensionnats au sein de l’ensemble de la collectivité Atikamekw Nehirowisiw continuent de s’exprimer au travers de plusieurs dimensions dont celle des relations intergénérationnelles. C’est ce que soutiennent de nombreuses recherches et publications, comme celles, entre autres, de Françoise Ducottet- Delorme (1970) et de Marie-Pierre Bousquet (2018). Sur ce sujet, l’interlocutrice 11, une mère dans la trentaine, s’exprime ainsi: « Tout ce qui est arrivé à nos ancêtres, dans les pensionnats, ça se transmet même dans les gênes! Ils l’ont transmis à leurs enfants qui eux les transmettent à leurs enfants. Donc ça a été transmis de façon intergénérationnelle »

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(Manawan, été 2019).

Elle exprime ici la manière dont les souffrances coloniales ont été si profondes qu’elles sont maintenant transmises de façon génétique, donc d’une génération à l’autre. Ce qui se manifeste, pour elle, au niveau relationnel, mais surtout sur le plan conjugal. Elle soutient néanmoins faire partie, à son avis, « de la première génération où ça commence à briser, le cycle de transmission des répercussions des pensionnats ». La spiritualité étant une sphère lui ayant « permis de rester solide » (interlocutrice 11), au travers de tout cela et de travailler sur elle. Tout en exprimant l’importance44, pour elle, de savoir investir dans ses blessures individuelles, pour rehausser la qualité et l’expérience de ses relations sociales, familiales et communautaires.

Elle est loin d’être la seule à éprouver de telles souffrances qui ont été héritées du passage de leurs parents dans les pensionnats. Interrogés à savoir: « qu’est-ce que tu trouves le plus difficile ou désagréable, dans le fait de vivre à Manawan? », une grande majorité des jeunes adultes rencontrés exprimaient les souffrances individuelles et collectives qui sont toujours actuelles dans le tissu social de la communauté et qui relèveraient principalement du processus de sédentarisation 45 et du passage de leurs parents dans les pensionnats. Le sociologue Kai Erikson (1994), dont les intérêts de recherche et d'enseignement incluent les catastrophes humaines et les conflits ethno-nationaux, expliquait: « By collective trauma, [...] I mean a blow to the basic tissues of social life that damages the bonds attaching people together and impairs the prevailing sense of communality » (Erikson 1994, cité dans Abadian 1999: 202).

Parmi les témoignages sur les plus grandes difficultés de la vie à Manawan, voici celui de l’interlocuteur 10: « Je dirais les blessures dues aux pensionnats. Il y a des personnes qui ont survécu aux pensionnats et qui ont sombré dans l’alcool ou dans la drogue. Et on entend de plus en plus souvent parler des gens qui ont vécu des agressions sexuelles dans les pensionnats. Il y a un gros travail à faire avec ça. C’est vraiment ce que je trouve le plus

44Questionnée à savoir: « s’il ne te restait qu’une chose à communiquer aux membres de ta Nation: ce serait quoi? Ça peut être un mot, une phrase, une image »? L’interlocutrice 11 a répondu: « Prends soin de toi. De prendre soin de soi, c’est tellement important. Moi, c’est ça ma vision. Il faut prendre soin de soi. Si tu veux prendre soin de ta famille, il faut que tu sois bien ». 45Quelqu’un m’a fait remarquer que sa Nation n’était pas faite pour vivre de façon sédentaire. D’autant plus, considérant les conditions des habitations surpeuplées.

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difficile à Manawan » (Manawan, été 2019).

Lors du souper-discussion, des adultes, hommes et femmes, ont mis de l’avant leurs conceptions selon lesquelles les violences physiques, morales et sexuelles aient pu avoir été légitimées chez les membres de la communauté de Manawan qui ont fréquenté les pensionnats, au travers des modèles parentaux que les religieux ont représentés pour eux. Une fois parents, ils ont ainsi reproduit ces mêmes comportements auprès de leurs enfants. Toutefois, il importe de garder à l’esprit que les expériences dans les pensionnats ont varié d’une personne à l’autre et que les histoires mises de l’avant au sujet des pensionnats ne font pas état uniquement de situations de souffrances et encore moins de passivité, quoiqu’il nous faille reconnaitre que les enfants autochtones se trouvaient passablement démunis face aux abus des autorités religieuses. Ceci étant dit et en dépit des souffrances, les membres de la génération des pensionnats ont fait partie de la première génération d’Atikamekw Nehirowisiwok à maitriser les outils valorisés par les non-Autochtones, comme la lecture et l’écriture, en plus de les utiliser dans leurs stratégies pour s’engager dans le processus de revendication et d’affirmation. D’ailleurs, et comme l’ont bien exprimé plusieurs interlocuteurs, tant ceux impliqués dans le présent projet de recherche que dans celui de Clément (2007), pareilles blessures résultant des mesures coloniales ne peuvent pas disparaître au terme d’efforts d’une seule génération.

Dans la vie de tous les jours au sein de la communauté, bien-vivre et souffrance co-habitent. Comme le souligne l’interlocuteur 8, un homme dans la quarantaine, au sujet de son expérience de vie dans sa communauté : « Moi, ce que je pourrais te dire, la personne qui a le mieux résumé ça, c’est Serge Bouchard, en parlant d’Opitciwan dans un article, il disait: « une réserve, c’est où le paradis coexiste avec l’enfer » » (Manawan, été 2019).

Tensions et ruptures dans les relations et la communication intergénérationnelles et familiales

Comme l’expliquait Clément (2007: 8), le passage d’une génération dans les pensionnats « Indiens »: « contribua à la déstructuration de nombreuses familles et eu des répercussions sur l'ensemble des communautés autochtones du pays, de même que sur les générations qui suivirent (impacts intergénérationnels) ». Ces legs relationnels peuvent désormais être ressentis et s’exprimer de diverses manières dans la vie de tous les jours. Passant du sentiment

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d’impuissance46, à la frustration et l’incompréhension47, à la colère, à la tension48 ou au ressentiment envers leurs proches ou membres de la famille, à des troubles affectifs et relationnels entre les générations ou à l’usage de pratiques problématiques comme la consommation de jeux, d’alcool ou de drogues par les membres qui ont directement ou indirectement subi les pensionnats.

Selon quelques témoignages, le mutisme de certaines personnes qui ont connu les pensionnats sur les événements qui ont pu leur causer des souffrances semble contribuer à l’incompréhension, à la frustration ou à l’impuissance d’Atikamekw Nehirowisiwok des générations plus jeunes. Ainsi, l’interlocutrice 6, une mère dans la vingtaine, partageait sa difficulté à prendre au sérieux les dires de ses parents sur les souffrances relevant des pensionnats, en raison de leur mutisme sur celles-ci:

Ils n’en parlent pas beaucoup à leurs enfants [ce qu’ils ont subi dans les pensionnats]. Ils ne racontent pas ce qui s’est passé. Ils ne racontent pas non plus qu’est-ce qu’ils ont vécu. Ils disent plutôt qu’est-ce qu’ils ont appris. Comme le tricot, la discipline, les règlements, l’intégration dans les pensionnats, comment ça s’était passé avec leurs amis. (...) je ne peux pas dire qu’ils ont été blessés physiquement ou psychologiquement, parce qu’ils ne veulent pas raconter cette partie de leur vie (Manawan, été 2019). Comme l’a souligné Clément (2007: 82), dans nombre de collectivités autochtones, la prise de parole est impérative au processus de guérison et « vise à éveiller les gens aux problèmes qu'ils vivent, à leur faire prendre conscience d'une situation devenue intolérable et qui doit être transformée ». Or, ce n’est que depuis quelques années que certains des membres de la génération des pensionnats « Indiens » ont commencé à s’ouvrir sur leurs expériences difficiles ou à faire des sorties médiatiques pour dénoncer les sévices subis dans les pensionnats. Toutefois, ceci peut être perçu de différentes manières par les membres de la

46L’interlocuteur 1, un père âgé de 36 ans et qui travaille à temps partiel dans le domaine de la restauration, me partageait que, pour lui, le fait de devoir témoigner de façon presque impuissante des souffrances de ceux qui ont survécu aux pensionnats, dont son propre père, était pour lui une grande source de souffrance (entretien, Manawan été 2019). 47Cette frustration peut autant être ressentie par les personnes de la génération des pensionnats que par d’autres générations. Questionnée sur les distinctions intergénérationnelles, une personne s’exprimait ainsi: « Celle avant moi, je vois un genre d’attitude de victimisation, moi je trouve. Parce que chez mes parents, ça vient tout le temps avec les pensionnats, pour justifier des choses » (Manawan, été 2019). 48L’interlocutrice 6 s’exprimait ainsi : On dirait que maintenant ils se disent on a fini avec le rôle de parents: « on a fini d’élever nos enfants, fait qu’on [parents qui ont été dans les pensionnats] est comme en vacances ». Et, maintenant, ils s’impliquent avec leurs petits- enfants, mais n’ont pas été présents comme cela avec leurs propres enfants [jeunes adultes d’aujourd’hui]. C’est comme s’ils avaient un rôle de grands-parents cool, maintenant. C’est poche « (Manawan, été 2019). Ce qu’avait aussi consigné Laurent Jérôme (2010a: 267), lorsque deux interlocuteurs de Wemotaci mettaient de l’avant comment pouvaient se manifester, entre autres, les tensions entre les membres de deux générations distinctes: « Alex me faisait remarquer : « Quoi que l'on fasse, ce ne sera jamais aussi bien que ce qu'ils ont fait », pendant que Mary me disait « On ne se parle pas, je ne parviens pas à leur parler, ils ne viennent pas vers nous, il faut qu'ils comprennent ce qu'on peut leur apporter ».

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communauté. Un homme ayant fait une première sortie publique dans les médias, au printemps 2019, me partageait comment des membres de son entourage avaient été sous le choc d’apprendre ce qu’il avait subi et comment certains ont perçu négativement cette sortie dans les médias. Cette sortie qui représentait pour lui une manière de reprendre du pouvoir face à ce qu’il avait subi n’avait donc pas été une expérience facile pour lui, en raison de la réponse communautaire à celle-ci. Mais un membre de la famille de ce dernier me racontait à quel point il l’avait trouvé courageux d’avoir procédé ainsi, évoquant au passage la fierté qu’il éprouvait envers lui.

Le creux qui se manifeste sur le plan de la communication entre les générations de cette Nation à tradition orale illustre un autre des enjeux actuels importants dans la communauté. Le passage de certains membres de la communauté dans les pensionnats a contribué négativement aux manières dont s’articulent aujourd’hui les échanges entre les membres de la communauté, même si, bien entendu, les relations intergénérationnelles entre les Atikamekw Nehirowisiwok varient d’une famille à l’autre. Comme l’exprime l’interlocuteur 4:

Interlocuteur 4: je peux dire qu’il y a maintenant un manque de communication entre les aînés, ceux qui sont allés dans les pensionnats, les jeunes adultes et les jeunes. JB: OK. Est-ce que ça veut dire que tu considères qu’il y avait cette communication avant les pensionnats et qu’elle manquerait maintenant? Interlocuteur 4: Avant les pensionnats, les parents, dans ce temps-là, avaient un lien avec leurs enfants et ils pouvaient transmettre directement leurs connaissances, mais depuis les pensionnats il y a eu un clash. Également, l’interlocuteur 8 soutenait, sur le plan des écarts, dont celui communicationnel, entre les générations:

Il y a des codes que je ne comprends plus aujourd’hui [tant ceux de la génération des jeunes adultes que celles les précédant]. C’est sûr que lui a beaucoup moins eu accès aux aînés. Pour lui, les aînés, c’est ceux qui ont vécu les pensionnats. C’est pas ceux qui ont vécu dans le bois et qui dormaient en-dessous de la tente. Quand ils [jeunes générations] vont dans le bois, ce n’est pas la même chose. Ce n’est pas pour des longs séjours. C’est quasiment des excursions, nous, qu’on faisait, dans le temps. C’est pas sous la tente, aujourd’hui, c’est dans un chalet. T’as l’école et à l’école ils ont internet, les jeux, ça va vite (Manawan, été 2019).

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Malgré l’effritement de certains liens entre les jeunes adultes de Manawan et leurs parents (« ex-pensionnaires »), de nombreux acteurs de la génération des pensionnats sont arrivés à maintenir des contacts avec leurs propres enfants et/ou avec leurs petits-enfants, leur permettant ainsi de travailler pour refaçonner les liens familiaux et la transmission des savoirs traditionnels entre les générations.

En tenant compte du contexte actuel selon lequel des membres de la Nation Atikamekw Nehirowisiw continuent de se mobiliser sur le plan des revendications territoriales globales, de telles situations de ruptures intergénérationnelles contribuent également à réaffirmer la nécessité de favoriser le déroulement de pratiques culturelles telles que les activités et les rassemblements sur le Nitaskinan (voir chapitre 4). Ceux-ci permettent d’instaurer des contextes de dialogue « entre les différentes générations puisque de nombreux récits y sont racontés tant par les aînés que par les plus jeunes » (Jérôme, 2010a: 105).

Dans tous les cas, l’épisode des pensionnats et les ruptures qui en ont découlées ont affecté le processus local de transmission des savoirs entre les générations. Sur ce sujet spécifique, l’interlocutrice 6 affirmait: « Mes parents ont grandi dans des familles qui travaillent l’écorce. Donc leurs connaissances sont plus liées à, par exemple, quand on va dans le bois, qu’est-ce qu’il faut prendre... Les arbres, les racines... À partir du bois... Dans le bois, ils peuvent construire beaucoup de choses. Nous [elle et les membres de sa fratrie] on ne nous a pas appris ça. Parce que mon père, on dirait qu’il en voulait à ses parents ». Tel que souligné dans ces propos, chaque famille de la communauté est porteuse d’un type de savoir qui lui est propre49.

Rupture dans la transmission intergénérationnelle des savoirs50 traditionnels

La période coloniale et son héritage, l’abandon graduel d’un mode de vie semi- nomade et autonome basé sur la chasse, la pêche et la cueillette, et sur une relation étroite avec l’univers forestier, la sédentarisation forcée à partir des années 1950 ou encore la rupture intergénérationnelle occasionnée par les écoles résidentielles sont autant de réalités relativement récentes qui ont contribué à perturber les

49Parmi les avoirs transmis et mis en pratique à Manawan, dont il a été question durant mon terrain, notons l’artisanat (perlage, travail d'écorce, tikinakan (porte-bébé), travail du cuir), la cuisine traditionnelle, la chasse, la pêche, la trappe/collet, le canot, le sucre d'érable. 50Selon Poirier : « Le concept de « savoir » faisait référence tout autant au savoir-faire qu’au savoir-être ; le terme atikamekw générique pour « savoirs », kiskeritamowina, évoque d’ailleurs l’un et l’autre. Ainsi, les connaissances, les pratiques et les manières de faire sont partagées et mises en actes au sein de réseaux sociaux ; elles sont aussi nécessairement portées et signifiées par des énoncés cosmologiques, des valeurs et des codes d’éthique, des principes épistémologiques et ontologiques locaux » (Poirier, 2014: 77).

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processus traditionnels d’acquisition et de transmission des savoirs locaux (Poirier, 2014: 76). En rencontre, l’interlocuteur 4 a mis de l’avant comment, en plus de la communication et des liens affectifs, les liens culturels avaient aussi été rompus ou fragilisés au sein des familles, suite aux politiques coloniales dont le processus de sédentarisation et l’instauration des pensionnats « Indiens ». Selon lui, les ex-pensionnaires « n’ont pas nécessairement pu transmettre ces savoirs-là à leurs enfants ». Mais aussi comment, de ce fait, « les ex- pensionnaires n’ont pas nécessairement les mêmes connaissances et pratiques culturelles que leurs parents et leurs grands-parents » (Manawan, été 2019). Or, la question de la transmission des savoirs traditionnels aux plus jeunes générations figure aujourd’hui parmi les préoccupations fondamentales de la Nation Atikamekw Nehirowisiw, à l’instar d’ailleurs des autres Nations autochtones (Poirier, 2009).

De son côté, une mère de 35 ans me racontait se souvenir, alors qu’elle était une enfant dans les années 1990, que la majorité des familles passait beaucoup de temps à l’extérieur de leur domicile à parler ensemble et à réaliser certaines pratiques culturelles, comme travailler la peau d’orignal, par exemple. Désormais, elle constate que plusieurs demeurent majoritairement à l’intérieur de leur maison, passant beaucoup de temps sur leurs appareils électroniques et les réseaux sociaux. Ce qui est d’ailleurs son cas, avoue-t-elle. Toutefois, la pratique de ces activités dans l’enceinte de la communauté n’a pas complétement disparu. Il m’est arrivé d’observer un aîné de la famille Echaquan sur son balcon, en train de travailler le bois ou des familles travaillant les peaux d’orignaux sur le terrain de leur maison.

De retour dans la communauté après le pensionnat, des ex-pensionnaires m’ont confié ne pas avoir été « attentifs » aux savoirs et aux pratiques traditionnels qui les entouraient. Aujourd’hui, c’est au tour de la génération des jeunes adultes, soit celle suivant la génération des pensionnats, d’exprimer une situation similaire. C’est le cas de l’interlocuteur 8 qui m’expliquait avoir omis d’être attentif aux savoirs de ses grands-parents:

Il y a des choses que je ne portais pas attention ou que je ne comprenais pas que c’était des enseignements avec beaucoup de valeur. Il y a très peu de ce que j’ai eu la chance de voir le mode de vie de mes grands-parents. C’est aussi une malchance, parce que je sais ce que je ne le vivrai pas [le mode de vie de ses grands-parents]. Eux autres ont toujours parlé en atikamekw. Eux autres, oublie ça. Juste la manière qu’ils parlaient, quand ils racontaient des histoires. Ils m’en

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ont raconté des histoires, mais j’en ai oublié beaucoup. Je n’ai pas pu concilier ça. Puis de mon grand-père, j’aurais pu en apprendre beaucoup, mais je ne l’ai pas assez observé (Manawan, été 2019). Le mode d’apprentissage privilégié dans les pensionnats est venu interférer avec le mode d’apprentissage antérieurement valorisé par les Atikamekw Nehirowisiwok. Sur cette dimension, Benoit Éthier fait remarquer que lors de leur retour à Manawan « les jeunes pouvaient avoir de la difficulté à interagir avec les générations antérieures étant donné les différences au niveau des expériences et du bagage culturel » (Éthier 2011 : 27).

3.2 Sur la pression « d’être » Atikamekw Nehirowisiw Plus d’un Atikamekw Nehirowisiw avec lesquels j’ai pu discuter ont mentionné les pressions identitaires qu’ils subissent. De façon générale, des auteurs comme Mona Belleau, issue d’une union entre une mère Inuk et un père québécois, sont d’avis que les jeunes autochtones d’aujourd’hui sont confrontés à des « dualités quotidiennes » (Belleau 2009, 9). Ceci dans la mesure où ils sont déchirés entre la culture transmise par leurs ancêtres et celle de la société mondialisée, encourageant l’ambition, la réussite scolaire, et favorisant l’obtention d’un « bon » emploi et d’un « bon » revenu (Belleau, 2009: 9). Les jeunes générations se sentent ainsi souvent prises entre « deux mondes » (voir aussi Gagné et Jérôme, 2009).

À Manawan, les jeunes interlocuteurs ont fait part des pressions provenant des attentes de la collectivité face à leur génération et à leur plus grande implication dans les activités culturelles. Alors que les jeunes adultes d’aujourd’hui se situent à mi-chemin entre deux mondes, certains me disaient avoir l’impression de « devoir être trop culturel » (interlocuteurs 5 et 13), par rapport à ce qu’ils font ou aimeraient faire. Cette forme de pression locale peut aussi s’exprimer au travers de la « violence latérale », comme l’identifiait l’interlocuteur 4. Par violence latérale, il faisait référence aux discriminations et désapprobations qu’il subit de la part de certains membres de la collectivité du fait qu’il réalise actuellement des études postsecondaires. Une situation qu’il trouve difficile à vivre. D’autant plus qu’il est très impliqué dans la vie de sa communauté et participe régulièrement, en tant que danseur, au Pow-wow de Manawan.

Un des défis actuels, toutes générations confondues, est celui d’apprendre à vivre au sein d’une communauté sédentaire, et d’y développer un sentiment d’appartenance, tout en

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continuant à tirer une grande fierté du mode de vie nomade des générations antérieures. Ainsi, interrogée sur ce qui la rendait le plus fière, l’interlocutrice 9, une mère dans la trentaine, s’exprimait ainsi: « que ma mère ait fait partie des dernières familles à ne pas habiter dans des maisons. Ma mère a déjà habité sous la tente, il y a 50 ans, et je suis fière de ça! ». Pour d’autres jeunes, toutefois, cet écart entre le mode de vie de leurs grands-parents (et arrière- grands-parents) et le leur est vécu avec un certain malaise.

C’est le cas de l’interlocuteur 12, un jeune homme de 20 ans, qui parle ici des générations plus âgées:

Interlocuteur: Comment je pourrais dire... Quand tu veux faire quelque chose avec eux autres, ils veulent que ce soit fait comme dans le temps. Et c’est comme ça que ça doit être fait, selon eux. Au lieu d’évoluer. Ils sont beaucoup plus culturels.

JB: Comment tu vis ça? Interlocuteur: C’est difficile, parce que c’est pas ça la vie, aujourd’hui. J’accepte l’évolution. J’accepte d’être chez nous. J’accepte d’aller travailler pour gagner des sous, quand je peux. Mais, eux autres, c’est complètement une autre mentalité aussi (Manawan, été 2019). Ce même interlocuteur éprouvait un malaise à l’idée de prendre part au souper-discussion, en raison de la présence d’aînés. En effet, il appréhendait d’être « jugé » par les aînés, une pression de devoir « être » (sur le plan de son identité culturelle) ce qu’il n’était pas, aux yeux de ceux-ci. Il a donc préféré ne pas participer. Sur cette dimension, Poirier (2009: 30) soulignait comment cette intégration des conceptions occidentales de « tradition » et de « modernité » au sein des communautés autochtones « peut effectivement devenir un piège et une source de confusions, de tensions et de conflits entre justement ceux qui valorisent la « tradition » (les « traditionnalistes ») et ceux qui valorisent la « modernité » (les progressistes) »51.

Au fil des générations, l’identité Atikamekw Nehirowisiw est ainsi en constante transformation et redéfinition. Le fait de ne plus réaliser les mêmes pratiques et activités culturelles que celles des générations antérieures, ou du moins à un autre rythme, ne signifie

51C’est pourquoi la chercheure (2000) préfère plutôt la notion de « contemporanéités autochtones » pour appréhender cette réalité « des univers sociaux, culturels et identitaires en constant devenir » (Poirier, 2009: 30; Poirier, 2000: 139), plutôt que les concepts souvent mis comme antagonistes de « tradition » et « modernité », pour saisir la réalité culturelle d’aujourd’hui.

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en aucun cas ne plus « être Atikamekw Nehirowisiw ». L’interlocuteur 8 expliquait l’importance, pour lui, de s’assurer sur le plan de la transmission identitaire:

d’encourager les jeunes générations dans la façon qu’ils sont, maintenant. On ne peut pas décider de ce qu’ils vont en penser [des enseignements et savoirs traditionnels]. La culture atikamekw, c’est eux autres qui vont la renouveler. Il faut les encourager à être fiers de qui ils sont et les encourager dans ce qu’ils feront. De leur dire que peu importe l’endroit où ils mettront les pieds sur terre, qu’ils ne doivent pas oublier d’où ils viennent. Même s’ils vont en Australie, en Afrique, en France, peu importe. C’est eux qui construisent leur identité. C’est quelque chose qu’on ne peut pas circonscrire pour eux. C’est beaucoup d’imagination, hein?! C’est notre esprit qui construit les choses. Avec notre esprit, nos sentiments. Et, l’identité, c’est partagé entre certaines personnes. La langue, ça permet de partager ça, d’ailleurs. Avec cette langue-là, on écrit et on ressent le monde. Et avec ça on comprend ce que les autres ressentent quand on la communique. Fait que c’est un peu ça l’identité. Si on veut qu’ils se sentent bien entre eux, je pense qu’il faut qu’on encourage les gens à se réaliser. À oser être Atikamekw... Être fiers de l’être, si on peut dire. Mais de ne pas avoir peur de la réinventer [l’identité] (Manawan, été 2019). Lors du souper-discussion, j’avais, dans un premier temps52, invité les jeunes adultes à mettre de l’avant leurs conceptions de l’identité Atikamekw Nehirowisiw. À ce moment, j’ai pu constater un long silence, suivi d’une absence de prise de parole. Bien entendu, plusieurs facteurs peuvent être considérés afin d’expliquer cette situation. La plus probante me semble être le fait que j’ai demandé aux plus jeunes de s’exprimer en premier, alors que la norme atikamekw veut que ce soit les aînés qui prennent la parole en premier. Il est également possible que certains puissent avoir éprouvé un malaise53 à exprimer leur point de vue, surtout en la présence des trois aînés, comme ça avait été le cas pour l’interlocuteur 12. Devant le silence, j’ai donc plutôt invité les aînés à ouvrir le dialogue sur les questions identitaires. Par exemple, à savoir ce que signifiait pour eux « être Atikamekw Nehirowisiw », aujourd’hui. Ce qui a permis d’ouvrir la discussion.

Un des éléments qui ressort de cet espace de discussion est le fait que l’identité Atikamekw Nehirowisiw est présentement en pleine redéfinition et donc très difficile pour eux à circonscrire. Par définition, toute identité est en constante redéfinition, les acteurs sociaux étant inscrits dans des contextes en constante transformation sur lesquels ils agissent, et

52Après avoir permis aux membres présents à se présenter lors d’un tour de table afin de « briser la glace ». 53C’est ce que m’a confié une personne à la fin du souper.

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engagés dans un ensemble de relations sociales, familiales et intergénérationnelles qui les influencent et qu’ils influencent.

Lors des entretiens, certains interlocuteurs m’avaient transmis, globalement, dans un premier temps, la définition de ce qu’est un « Atikamekw Nehirowisiw », telle que proposée par Cécile Mattawa 54 , par exemple. Mais lorsqu’ils étaient après coup interrogés sur leur compréhension de leur identité culturelle, dans le contexte actuel, plusieurs présentaient une certaine incertitude sur cette question délicate. En règle générale, la majorité s’entendait à reconnaître que cette identité, aujourd’hui, est une question de manière « d’être » et de valeurs55, soit celles de partage, de solidarité, d’entraide et de l’importance de la famille.

Chacune des dimensions identifiées comme essentielles à la survie de l’identité et au Miro pimatisiwin (Bien Vivre) des membres de la communauté impliquait aussi la présence et les mises en actes de ces valeurs, à travers notamment les relations entre les membres de la communauté, toutes générations confondues, mais également avec le territoire. Ceci est d’autant plus important dans le contexte actuel de précarité économique. Face à celle-ci, des solutions alternatives ont été proposées, comme celle de la mise en place d’un transport communautaire afin de favoriser la fréquentation du territoire par les membres de Manawan.

Dans la section suivante, nous nous pencherons sur la dimension de la précarité au niveau de l’emploi, du logement, mais aussi de l’éducation.

3.3 Précarité au niveau du logement, de l’éducation et de l’emploi La communauté de Manawan bénéficie d’une école primaire et secondaire, d’un aréna, d’un établissement de santé et des services sociaux et bientôt d’une maison des aînés. Malgré cela, plusieurs conditions s’additionnent pour aboutir à une problématique de manque d’espaces et de pénurie de logements. Parmi ces conditions, notons l’augmentation démographique, et ce surtout depuis l’imposition du mode de vie sédentaire et le fait que la communauté de

54Nehirowisiw : celui qui vient du bois. Son alimentation y est également décrite, ses outils et équipements, le fait et la manière d'utiliser des ressources. C'est un être indépendant de tous (wir tipirowe ou autonome). Son identité englobe aussi ses croyances, son territoire, son mode de vie (onehirowatcihiwin), son droit inné en tant qu’ « indien » ou en tant que Nehirowisiw, les ressources et éléments qu’il adapte à sa vie (par exemple : un « indien » ne peut rapporter ou raconter les bienfaits d'une plante médicinale que si cette plante pousse sur son territoire). (Société d’histoire atikamekw et Jérôme, 2009: 24) Des interlocuteurs comme l’interlocutrice 7 évoquaient à ce questionnement ce qu’impliquait leur identité culturelle: «En même temps, dans chaque famille et dans chaque nation c’est différent. De ce que j’ai vu jusqu’à date, la plus grande différence, c’est au niveau des valeurs » (interlocutrice 7).

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Manawan est toujours limitée à un espace restreint, une « réserve » selon les critères de la Loi sur les Indiens. N’ayant pas de droits reconnus sur leur territoire ancestral, le Nitaskinan, il leur est impossible de s’y établir. À ces conditions s’ajoutent la faible enveloppe budgétaire accordée par le gouvernement fédéral au Conseil de bande laquelle ne tient pas compte de l’augmentation de la population. Ainsi, l’enveloppe destinée aux logements est loin d’être suffisante56. Nous avons choisi de traiter de ces problématiques dans la mesure où elles influent sur la conception atikamekw du bien-vivre et sur leur dynamique identitaire.

Logements et population

Tel que souligné dans les travaux d’Annie Morissette (2004) et de Katherine Labrecque (2015), qui ont toutes deux conduit des recherches à Manawan, les membres de la communauté de Manawan font face à une problématique de pénurie de logements.

Il est courant de voir trois générations sous un même toit et à l’occasion des cousines et des cousins ou d’autres parents. Les jeunes femmes que j’ai rencontrées ont manifesté leur intérêt d’avoir un logis à elles à Manawan. Les maisons et les logements sont distribués par le Conseil et la liste d’attente est longue; il peut donc être long avant que celui-ci soit apte à fournir une maison ou un logement à une famille (Labrecque, 2014: 103). Les délais d’attente entourant les demandes de logements se situent souvent autour de deux ans, voire davantage57. Encore faut-il figurer sur la liste d’attente! De plus, les employés du Conseil de bande œuvrant à la maintenance des maisons et bâtiments n’arrivent pas à répondre à l’ensemble des demandes. D’où le fait qu’il y ait des habitations qui soient condamnées. Une réalité qui a été soulignée par plusieurs de mes interlocuteurs et lors du souper-discussion. Comme la situation ne semble pas aller en s’améliorant, il est difficile d’imaginer ce qui arrivera dans quelques années, alors que la démographie continue de croître.

Cette embûche majeure est une source non seulement de frustration et de mécontentement, mais aussi de souffrances pour plusieurs personnes et familles. Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette situation. Parmi ceux-ci, notons un haut taux de natalité, le manque de financement des communautés autochtones pour bâtir de nouvelles habitations, la superficie

56Voir Annie Morissette, 2004, pour plus d’informations à ce sujet. 57Information que j’ai validée avec un membre du Conseil de bande.

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réduite des territoires identifiés comme communautés autochtones (soit les « réserves », selon la Loi sur les Indiens), le fait que les familles plus jeunes ne sont pas toujours disposées à vivre dans des maisons multigénérationnelles, et enfin le gonflement du coût des matériaux et de leur livraison par les fournisseurs externes 58 . Cette problématique de pénurie de logements dans les collectivités autochtones s’inscrit parmi d’autres mesures étatiques dites coloniales.

Plusieurs interlocuteurs m’ont fait part du désarroi engendré par cette problématique, allant même, pour certains, à se retrouver sans domicile. Les situations varient, bien entendu, d’une famille à l’autre et d’une situation économique à l’autre. Voici les propos de deux interlocutrices sur le sujet :

L’interlocutrice 6: Selon moi, le plus difficile à Manawan, c’est la cohabitation et la surpopulation [8 personnes qui demeurent dans une habitation avec 5 chambres, dans son cas]. C’est difficile parce qu’il y a souvent des conflits. Par exemple sur la manière qu’on se complète dans la maison. Pour la surpopulation dans la communauté, il faudrait vraiment avoir plus de maisons. Il y a beaucoup trop de gens pour la grandeur des domiciles. Il pourrait même avoir des logements sociaux (comme des HLM). C’est aussi difficile, parce que certains logements sont priorisés pour professeurs, employés du conseil, ceux qui travaillent, le personnel du centre de santé, des services sociaux, etc. Parce qu’ils travaillent et qu’ils payent. Qu’est-ce qui reste pour les personnes dans le besoin qui ont besoin d’un logement... (Manawan, été 2019). L’interlocutrice 9: Il y avait ma nièce qui est partie de Manawan. Elle trouvait qu’il y avait trop de proximité et qu’il n’y avait pas assez d’intimité avec sa petite famille à elle.

JB: Parce qu’il y avait plusieurs familles dans la même maison? Interlocutrice: Oui. C’est pour ça qu’elle est partie, parce qu’elle était tannée que tout le monde se chiale dessus (Manawan, été 2019). C’est ainsi que plusieurs se voient dans l’obligation de s’exiler en milieu urbain, par exemple, à Joliette, Trois-Rivières, La Tuque ou Québec. Ils risquent alors de ne pas être en mesure de baigner dans un milieu leur permettant, par exemple, de parler atikamekw avec leurs enfants

58Interrogé à savoir qu’est-ce qui explique cette situation, l’interlocuteur 13 mettait de l’avant le point du gonflement des prix: « C’est parce que certaines communautés comme Saint-Michel nous prennent pour des vaches à lait. Les matériaux sont plus chers que d’habitude. Ils (commerçants de Saint-Michel) montent les prix quand c’est des autochtones qui achètent. C’est pour ça que ça coûte cher bâtir des maisons ici. C’est ça que j’avais découvert en faisant une recherche: pour une maison qui coûte en moyenne 125 000$ à bâtir, ça va coûter 200 000$, ici... Fait qu’eux montent les prix et nous prennent pour des vaches à lait. S’ils veulent qu’on développe notre autonomie, il va falloir que les autres [municipalités voisines] embarquent eux autres aussi (Manawan, été 2019).

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ou de ne pas pouvoir se rendre en territoires familiaux. En devant s’exiler en milieu urbain, leurs enfants ne grandiront ainsi plus au sein d’un environnement atikamekw où la langue atikamekw est parlée au quotidien, ils ne grandiront pas entourés de leur famille élargie au quotidien, côtoyant des enfants atikamekw. Cette problématique, subie directement ou indirectement par l’ensemble des membres de la communauté et de la nation, illustre également une embûche au niveau de la reproduction du sentiment identitaire.

Les personnes ayant une maison ou un logement à leur nom à Manawan et qui doivent s’exiler en milieu urbain, pour diverses raisons et pour une période indéterminée, s’exposent au risque de perdre leur domicile et, ainsi, de ne plus être en mesure de retrouver leur habitation, une fois de retour dans leur communauté, en raison des modalités de la Loi sur les Indiens. Une situation dont j’ai été témoin lorsque j’y œuvrais comme travailleuse sociale. Par ailleurs, les familles qui s’exilent en ville, par choix ou par nécessité, tentent, dans la mesure du possible et par le biais de visites fréquentes, de maintenir des liens avec les membres de leur famille restés à la communauté. Il n’est pas rare que les parents vivant en ville laissent leurs enfants d’âge préscolaire à la grand-mère ou à un parent habitant la communauté.

Durant l’été 2019, un conseiller politique m’informait de l’éventuelle tenue d’un référendum, dont l’objectif serait d’entendre les membres de la collectivité sur la possibilité de permettre à ceux ayant les moyens financiers d’investir pour se faire bâtir une maison dont ils deviendraient officiellement propriétaires. Il s’agit d’une solution à la pénurie de logements, du moins pour les membres qui en ont les moyens financiers.

Espaces communautaires

Dans ce contexte d’espace restreint, on remarque aussi un manque d’espaces communautaires favorisant les relations entre les jeunes (par exemple, via une maison des jeunes), la pratique des sports59, la transmission culturelle et le dialogue entre les membres de la communauté de façon générale, et ce dans l’enceinte même de la communauté de Manawan. Le besoin d’avoir un espace consacré au partage et à la transmission des savoirs directement dans la communauté, autant pour les relations communautaires que familiales, a

59La dimension du sport était mise de l’avant par certains comme nécessaire au bien-être des membres, autant pour l’esprit que pour le corps. Ceci d’autant plus dans un contexte où le processus de sédentarisation est relativement récent et avec lui un nouveau mode d’alimentation.

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été mentionné à maintes reprises. Selon l’interlocuteur 10, un jeune homme dans la vingtaine: « Un centre culturel ou une maison de la culture où ils peuvent dialoguer avec des aînés et des personnes ressources »; une maison de la culture: un lieu où on peut se rassembler et montrer aux jeunes comment dépecer un animal, préparer des poissons, montrer comment faire un tikinakan » (Manawan, été 2019).

Alors que le territoire demeure un lieu fondamental pour la transmission des savoirs, dans le contexte d’une communauté sédentaire avec certains défis dont celui de la précarité économique qui peut faire entrave à la fréquentation du territoire, le fait de mettre en place un tel lieu directement à Manawan pourrait certes offrir un espace alternatif rehaussant les occasions de transmission des savoirs ancestraux et de la mémoire des ancêtres. Ceci considérant la place essentielle de cette transmission intergénérationnelle, comme l’avait documenté l’anthropologue Laurent Jérôme (2010: 45): « [D]ans la relation entre les générations : pour les Atikamekw comme pour la plupart des groupes autochtones, la mémoire (nehiro kinokewin en atikamekw) et la transmission des savoirs par l'expérience sont perçues comme des dynamiques essentielles à la continuité sociale ».

Or, selon les interlocuteurs interrogés, l’établissement de ces mesures qui sont vues comme favorables au Miro pimatisiwin (Bien Vivre) des Atikamekw Nehirowisiwok n’est actuellement pas possible, à cause du maintien des politiques néocoloniales qui minent certaines stratégies visant leur pleine autodétermination et leur autonomie. Ceci malgré le fait qu’ils travaillent constamment à trouver des alternatives à ces embûches, afin de concrétiser leur propre vision du monde, via des projets de vie.

Quelques défis sur le plan de l’éducation et de l’instruction

Dans la foulée des stratégies mises en branle par les Atikamekw Nehirowisiwok, on compte également celle valorisant la réalisation des études postsecondaires. Les études étant grandement valorisées par la société majoritaire, ceux-ci ont dû s’y accommoder (voir annexe 10). Cette nouvelle conciliation les expose à devoir se situer entre l’éducation traditionnelle et l’instruction scolaire occidentale, tandis que plusieurs d’entre eux ont de plus en plus d’obligations provenant à la fois du monde occidental et de celui des Atikamekw Nehirowisiwok. Ceci dans la mesure où les connaissances ancestrales et les connaissances

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occidentales sont deux choses distinctes. Selon l’interlocuteur 13 :

Moi, j’ai compris deux choses: il y a le monde occidental... Où il y a connaissance occidentale et la connaissance autochtone. Celle où il y a la connaissance traditionnelle: tout ce qui est en rapport avec la nature. Moi, j’ai réussi à aller à l’école (en ville), mais pour ce qui est du côté autochtone... C’est pour ça que je disais que je me sentais pauvre. Il me manque beaucoup de celle-là [enseignement culturel traditionnel] (Manawan, été 2019). Plusieurs interlocuteurs considéraient que l’idéal sur le plan éducatif serait de trouver une manière de marier les connaissances traditionnelles et occidentales.

JB: Toi, est-ce que tu t’es fait transmettre des savoirs traditionnels par tes parents ou d’autres personnes? Interlocutrice 6: Non. Pas vraiment. À part faire de la bannique et la cuisine avec ma mère. Et pour mon père ce qui était important c’était d’aller travailler pour subvenir aux besoins de sa famille. Mais au niveau traditionnel/culturel, pas vraiment.

JB: Est-ce que tu aurais aimé ça ou pas nécessairement? Interlocutrice 6: J’aurais bien aimé ça. Les connaissances traditionnelles complèteraient les autres connaissances pour le marché du travail. Je pense que ça aurait été un atout. Une des choses que j’ai plus aimé chez mon chum c’est les connaissances traditionnelles qu’il a. C’est plus la mère à mon chum qui m’a transmis des connaissances traditionnelles. C’est avec la famille de mon chum que j’ai mangé pour la première fois du lapin. Mais non mes parents ne m’ont pas vraiment transmis ces connaissances (Manawan, été 2019). Comme évoqué par l’interlocuteur 13, le fait de survaloriser l’acquisition de connaissances occidentales, via les institutions scolaires, présente certains risques sur le plan des connaissances ancestrales. Tandis qu’il débute des études universitaires, entre le fait de se trouver loin de sa communauté et de devoir s’adapter à certains impératifs occidentaux, l’interlocuteur 2 nous partageait cette grande difficulté à réaliser des pratiques culturelles ou à se rendre en territoire. Ceci malgré le fait qu’il ait accès à un territoire familial. Interrogé à savoir « ça t’arrives-tu d’aller dans le bois, des fois? », celui-ci expliquait:

Oui. Je vais dans le bois quand c’est la semaine culturelle. À l’automne, mais pas pour celle de mars. Mais ces dernières années, je ne suis pas allé dans le bois. C’est rare que je vais dans le bois, parce que je suis aux études. C’est dur de trouver du temps pour aller dans le bois. Quand j’ai le temps et l’opportunité d’y aller, j’y vais. J’ai remarqué que quand j’étais au collège, en ville, je n’allais pas du tout dans le bois. Fait que ça fait 4 ans que j’y vais moins souvent. Mais quand

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j’étais au secondaire, ici, à Manawan, j’y allais plus souvent (Manawan, été 2019). Pour sa part, alors que nous discutions de la transmission des savoirs traditionnels, l’interlocutrice 7 me disait:

Quand j’étais rendue au secondaire, à l’extérieur, ma grand-mère maternelle s’est mise à en fabriquer [de l’artisanat avec l’écorce], mais je n’étais pas là. Mes cousins et cousines ont pu vivre la même chose. Aller dans le bois, se promener, aider, par exemple, en ramassant du bois. Il y a aussi la chasse aux perdrix et aux lièvres. On ne chassait pas. C’était mon grand-père. Mais ma grand-mère dépeçait et cuisinait la perdrix. Elle nous montrait comment elle faisait ça. Donc c’est plus au niveau de la cuisine qu’elle m’a appris. Mais de façon large, pas juste de la cuisine traditionnelle (Manawan, été 2019). Tandis que certains membres valorisent la poursuite des études postsecondaires en milieu urbain, certaines familles valorisent aussi la réalisation des études secondaires en milieu urbain, considérant que l’éducation y est meilleure que dans la communauté. Ce choix peut être facilité par la présence de membres de la famille élargie en milieu urbain afin d’héberger les étudiants. De plus, cela leur assure un moins grand sentiment d’isolement social. Ce fut le cas de deux interlocuteurs avec lesquels j’ai discuté. L’interlocutrice 7 m’expliquait avoir trouvé difficile le fait d’avoir dû réaliser ses études secondaires en ville, loin de sa famille et de sa communauté, et également les motifs pour lesquels un tel déchirement culturel et familial peut s’avérer positif, au final. Ceci, puisque l’instruction en milieu urbain aurait rehaussé, selon elle, les probabilités d’une meilleure situation financière, accompagnée d’un emploi dit « spécialisé ».

Interlocutrice: Au début, dès que j’ai déménagé en ville pour faire mon secondaire, je pensais que ma mère voulait se débarrasser de moi. Avant que je réalise que ma mère voulait que j’aille un meilleur avenir. C’est vers l’âge de 15 ans que je me suis rendu compte du pourquoi, en voyant mes amis qui étaient ici... J’ai vu que sur 90 personnes qui étaient au secondaire, il n’y avait que 2 finissants. Fait que je voyais ce que ma famille ne voulait pas que je subisse.

JB: Ce que ta famille ne voulait pas que tu subisses? Interlocutrice: Oui, parce qu’il y avait une crainte qu’elle [sa mère] avait: c’était que je finisse par décrocher. En même temps, il y en a partout, du décrochage scolaire. En même temps, il y avait aussi comme crainte que je subisse les mauvaises influences de la communauté... Que je finisse par décrocher, tomber dans l’alcool et tout ça. En bout de ligne, j’ai remercié ma mère de me pousser à aller plus loin, pour que je puisse mieux vivre et, je dirais, plus librement,

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financièrement (Manawan, été 2019). Son cheminement lui a aussi permis des occasions positives de dialogue avec les non- Autochtones (voir chapitre 5). Après avoir discuté avec la mère de cette interlocutrice, j’ai mieux saisi son déchirement d’avoir envoyé sa fille en milieu urbain. Il s’agissait effectivement d’un déchirement pour elle, puisque sa fille ne pouvait durant cette situation, bénéficier des savoirs familiaux et allait devoir se retrouver éloignée sur une longue période de temps de sa communauté. D’ailleurs, comme le souligne Labrecque : « Il existe diverses difficultés associées à leur arrivée à la ville, dont le manque d’intégration et d’accès aux ressources, de l’angoisse liée à « l’inconnu », la difficulté de trouver un logement, les problèmes financiers, l’isolement, le racisme et ainsi de suite (Labrecque, 2015: 54; Wapikoni Mobile, La vie en ville, 2006). C’est pourquoi certaines institutions comme les Centres d’amitié autochtones (CAA)60 sont tout à fait pertinentes, dans des contextes où des acteurs autochtones doivent faire face à certaines coupures culturelles, notamment lorsqu’ils se rendent à l’extérieur de leur communauté pour les études.

Quelques conceptions des études postsecondaires

Plusieurs raisons mènent ainsi les jeunes adultes de la communauté de Manawan à vouloir réaliser des études postsecondaires. Ceci leur permettra éventuellement d’accéder à un emploi et à un revenu afin de répondre à leurs besoins et à ceux de leur famille, par exemple pour l’achat d’un véhicule pour se rendre en territoire ou en ville. Plusieurs d’entre eux souhaitent ainsi accéder à des postes à Manawan, là où ils veulent vivre auprès des leurs (voir aussi Labrecque 2015). Ce désir de vivre dans la communauté témoigne aussi d’un désir de participer au développement de celle-ci. L’interlocuteur 10, un jeune homme dans la vingtaine, s’exprimait ainsi: « Là, j’ai arrêté [les études] pour le travail, mais j’ai l’intention d’y retourner. C’est des sacrifices à faire. À Manawan on a besoin de gens qui font des études supérieures pour revenir travailler dans la communauté. Parce qu’avec les négociations du CNA avec les deux gouvernements pour l’autonomie, on en a besoin » (Manawan, été 2019).

En d’autres mots, la réalisation des études postsecondaires devient un projet de vie. En plus

60Les CAA, dont celui de Joliette, représentent, aujourd’hui, des partenaires clés de nombreux événements et initiatives pour les Autochtones. « Situés principalement dans les zones urbaines, les centres d'amitié sont généralement de petite taille et suffisamment intimes pour offrir un environnement social accueillant » (Pedersen et Gadacz, 2017) et, ainsi, assurer une continuité culturelle dans leurs pratiques et sur le plan linguistique.

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de souhaiter inspirer positivement d’autres membres de la collectivité dans les démarches scolaires.L’interlocutrice 11 expliquait la raison de réaliser des études et d’être insérée sur le marché du travail à Manawan:

Pour moi, ça m’aide à vivre aisément. Mais il n’y a pas que ça. Je suis revenue dans la communauté, après mes études. Et c’était mon but: «je vais partir pour aller à l’école et je vais revenir pour ma communauté ». J’étais fière de venir habiter à Manawan, après. Je voulais aider les gens à avoir des prises de conscience [au travers de son travail]. Les aider. Parce que le besoin est très grand à Manawan. C’est aussi comme ça dans toutes les communautés. D’amener un bien-être. De montrer que tu peux partir pour l’école et revenir dans la communauté (Manawan, été 2019). Tandis qu’une jeune femme expliquait à Labrecque (2015: 118): « Oui, je veux revenir travailler parce que j’ai toujours voulu être une personne dans ma communauté et aider les gens, être présente pour eux. […] Puis j’aimerais ça que quand je vais revenir, j’aimerais ça avoir une maison ou un appartement parce que… c’est vraiment important pour moi de revenir dans ma communauté » (Entretien N° 5).

Il n’est effectivement pas certain que ceux-ci puissent être en mesure de faire ce retour convoité. La communauté de Manawan peine actuellement à offrir suffisamment d’emplois pour combler ce besoin chez ceux et celles qui souhaitent travailler. En effet, en sus de la pénurie de logement, il y a une pénurie d’emploi. C’est pourquoi certaines personnes se tournent vers l’aide sociale, alors que d’autres décident de s’installer en milieu urbain, pas tant par choix que par nécessité. Pour d’autres, une fois qu’ils ont goûté au mode de vie urbain décident de s’installer en ville durablement. C’est le cas d’une jeune interlocutrice rencontrée par Labrecque (2015 :124) : « Je me sentais un peu trop bien, t’sais quand tu es proche du cinéma, des bars puis des… t’sais on veut tout faire en même temps… parce qu’on est dans une communauté assez isolée puis c’est comme si on mettait un enfant au milieu de tout plein de cadeaux » (Entretien N° 1).

Or, choisir d’aller en ville ne se fait pas nécessairement sans déchirement. Questionnée à savoir si elle a déjà pensé s’installer en ville, l’interlocutrice 5, une mère dans la trentaine, m’expliquait la possibilité de quitter Manawan pour un milieu urbain, afin de palier à la difficulté de pénurie de logements. Cette éventualité lui faisait éprouver une certaine culpabilité et l’impression d’abandonner sa communauté:

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Interlocutrice : J’y pense constamment de partir d’ici. Parce que je ne pourrais pas vivre ici comme je le voudrais avec mes enfants. Ma mère a une maison à Trois-Rivières. Quand on va en ville, on va là-bas. Donc j’y ai pensé d’y aller pour y vivre. Mais ça me rendrait triste de laisser mon monde. Il faudrait vraiment qu’il y ait plus de maisons et plus de possibilités pour se développer comme humains dans diverses activités. Il y a beaucoup de souffrances à cause de la surpopulation.

JB: Ça te ferait quoi de partir de Manawan? Interlocutrice: Ça me donnerait l’impression de ne pas vouloir aider ma nation. Mais je veux aussi vivre une belle vie. Ce serait aussi un deuil de ne pas pouvoir partir au lac quand on le veut ou d’aller se promener dans le bois en hiver. Si je partais d’ici, c’est comme si on me couperait mes ailes ou qu’on me couperait une jambe, parce que je ne pourrais pas partir comme ça... (Manawan, été 2019).

Précarité économique et manque d’emplois à Manawan

Dans l’optique de favoriser une prise en charge de la communauté par ses membres et, ultimement, se diriger vers l’autodétermination comme Nation, des personnes ont fait valoir, durant le souper-discussion, l’importance de miser sur l’instruction et sur la transmission des savoirs entre les générations, puis de s’assurer que les parents d’aujourd’hui affichent un portrait positif pour leurs enfants et s’impliquent pour eux. Labrecque (2015) ajoute à cela la nécessité que Manawan, au travers du Conseil de bande, puisse être en mesure d’offrir des emplois aux membres qui se rendent en ville pour poursuivre des études postsecondaires : « Cette création d’emplois pour les futures diplômées devra se faire idéalement dans un contexte d’autogestion de la communauté, où celle-ci crée et gère ses propres infrastructures en matière d’emploi, d’économie, de territoire, d’éducation et de santé » (Labrecque, 2015: 118). Ce qui n’est pas simple dans le contexte néocolonial actuel et où les communautés autochtones sont maintenues dans un état de dépendance face au gouvernement fédéral. Cela, malgré les efforts de ces Nations, incluant la Nation atikamekw nehirowisiw, pour cheminer vers leur pleine autonomie61.

L’interlocuteur 13, après avoir affirmé que la plus grande distinction entre le milieu urbain et sa communauté était le contexte économique défavorable pour la collectivité de Manawan, soutenait que « la loi sur les Indiens nous maintient dans une situation économique difficile

61Après plusieurs années d’efforts et de négociation avec le gouvernement du Québec le Conseil de la Nation Atikamekw a enfin obtenu, en 2018, sa pleine autonomie en matière de protection de l’enfance et la mise en œuvre du Système d’intervention d’autorité Atikamekw (SIAA).

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». Un des principaux enjeux de la collectivité de Manawan est celui de la précarité économique. De plus en plus, on voit aussi apparaitre des inégalités économiques entre les familles. Interrogé sur les similarités qu’il entrevoyait entre le milieu urbain et sa communauté, l’interlocuteur 12 soulignait un parallèle entre le processus de ghettoïsation de certains quartiers de Montréal et une réalité maintenant présente à Manawan: « Ici (à Manawan), il y a beaucoup de familles qui ont besoin d’aide financièrement. Qui ont beaucoup de besoins... Comme dans des quartiers qu’ils ont créés pour les gens qui avaient moins d’argent, en ville. C’est un peu pareil, ici » (Manawan, été 2019).

Cette situation de précarité économique est soulignée, entre autres, par Karine Awashish, elle-même issue de la Nation Atikamekw Nehirowisiw (Opitciwan) et présentée comme l’un des facteurs contribuant à faire entrave à l’épanouissement des membres de la communauté. Elle écrit: « Les problématiques de logement, d'éloignement géographique, de pauvreté et du taux peu élevé de scolarité de la population contraignent énormément le développement social, culturel et économique des communautés » (Awashish, 2013:199). Une telle situation est une source d’incertitude et d’anxiété. Elle influe aussi sur le processus de transmission en rendant les personnes moins disposées à recevoir, à transmettre et à mettre en pratiques leurs savoirs traditionnels.

L’interlocutrice 11 et l’interlocutrice 7 faisaient un lien entre l’isolement social62, parfois causé par le fait de se trouver dans une situation de précarité économique ou le sentiment de gêne, et le fait de ne pas s’impliquer physiquement dans les activités ou rencontres communautaires qui sont organisées. Ce qui peut être une des dimensions hautement désagréables du fait de demeurer à Manawan, pour certains. De plus, le faible taux de participation des membres de la communauté contribue souvent à décourager les personnes qui se mobilisent et organisent des activités communautaires. Interrogée à savoir « quelles sont les choses les plus désagréables ou négatives d’être à Manawan? », l’interlocutrice 7 répondait:

Je te dirais l’isolement. Oui, tu peux faire des activités en forêt et c’est à ta portée [puisque la forêt encercle directement la communauté]. Mais si tu n’as pas envie de faire ça ou que tu n’as pas les moyens [économiques] d’aller dans le bois. Tu

62Isolement qui contribue à rehausser l’usage des réseaux sociaux de certaines personnes. Comme l’avait aussi relevé Labrecque (2015: 109).

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restes chez vous. (...) Il y a des programmes qui mettent des activités en place dans la communauté, mais même à ça, les personnes qui sont plus isolées sont comme gênées et ils ne participent pas. Quand il n’y a pas de participation, il n’y a plus d’activités (Manawan, été 2019). L’interlocuteur 8 expliquait l’importance, selon lui, d’agir sur cette problématique pour permettre aux membres de sa communauté de se trouver dans un état leur permettant de pouvoir se réaliser et de se sentir bien.

Pour agir sur la souffrance, je pense que ça revient toujours aux besoins primaires. D’avoir accès à un logement décent, à un revenu minimal, à des conditions de vie décentes. Juste le fait qu’on pourrait rendre les salaires équitables, ici... D’avoir accès à ce que les Québécois ont, comme leur facilité d’accès à des emplois, pour des demandes de crédits63, à des salaires. Déjà là, ça aiderait. Il faut savoir que... Dans une communauté, on ne paye pas d’impôts, mais les gens ici sont sous-payés (Manawan, été 2019). L’interlocuteur 1 clame, quant à lui, la nécessité d’avoir plus de possibilités d’emplois dans la communauté, afin d’être en mesure d’assurer une réponse positive aux besoins de ses enfants (par exemple, de se nourrir, de se vêtir, leurs besoins sur le plan de la santé, considérant, notamment, les besoins particuliers d’un de ses enfants), et pour transmettre un héritage à ses enfants, afin d’être moins stressé des impératifs économiques, et davantage disposé à être présent pour eux. Ceci, selon lui, considérant la place importante de l’institution de la famille dans la survie et la transmission de l’héritage Atikamekw Nehirowisiw pour les générations futures.

Lors des entretiens semi-dirigés, des rencontres informelles et du souper-discussion, plusieurs personnes ont évoqué la manière dont le stress de la vie contemporaine, autant pour celles qui ont un emploi que pour les sans-emploi, fait effectivement embûche à la survie et à la transmission de leurs savoirs et pratiques culturelles. Le travail salarié laisse moins de temps pour les activités en territoire, mais offre par ailleurs aux salariés les moyens financiers d’accéder à celui-ci. D’un autre côté, les prestataires de l’aide sociale ont plus de temps pour se rendre sur le territoire, mais n’ont pas toujours les moyens financiers pour l’achat des véhicules (véhicule tout-terrain, bateau ou motoneige) et de l’essence pour s’y rendre. Sur

63« Les biens d’un Indien dans une réserve n’étant pas saisissables, l’accès au crédit à la consommation et l’obtention même d’une carte de crédit s’avère souvent impossible et ce, quels que soient son revenu et sa solvabilité » (Lepage, 2019: 46). Dans le cas de l’interlocutrice 11, celle-ci avait été dans l’impossibilité de compléter sa formation pour devenir policière, puisque: « comme l’école nationale de police ne donne pas de contributions, on doit payer le plein montant. Qui est environ de 25 000$. Le conseil, à ce moment-là, n’avait pas les sous pour me subventionner et je ne voulais et pouvais pas emprunter pour avoir un prêt. Ça prend un endosseur » (Manawan, été 2019).

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cette question, l’interlocutrice 6, une mère dans la vingtaine, s’exprimait ainsi :

La plupart des assistés sociaux vont dans le bois. Eux autres ont comme une stabilité en n’ayant pas à aller travailler. Ils vont dans le bois et ils savent qu’ils vont avoir leur chèque (aide sociale) à chaque mois. Tandis que les personnes qui sont sur le marché du travail: on se lève chaque matin, on finit à une telle heure et après on va chez nous. Nous, aller dans le bois, ce n’est pas dans nos premiers plans. Donc avec le marché du travail ça rend tout cela difficile. C’est peut-être pour ça qu’ils restent dans le BS [aide sociale]. Pour pouvoir plus aller dans le bois. Je ne sais pas, je viens juste de penser à ça. C’est peut-être pour ça, parce qu’ils sont déjà habitués à ça. Il y a du monde qui chasse, fait qu’il peut nourrir sa famille. Au lieu d’aller acheter sa viande à l’épicerie (Manawan, été 2019). L’interlocuteur 8, un homme dans la quarantaine, a quant à lui exprimé un autre point de vue sur la précarité économique et le manque d’emplois et comment ces réalités agissent négativement sur le sentiment de fierté identitaire :

De ce que je comprends, moi, là, pour qu’une personne se réalise, ça prend de la fierté. Mais dans une communauté comme la nôtre, il y a beaucoup de désœuvrement. Il y a beaucoup de pauvreté. T’as des situations économiques qui varient d’une famille à l’autre, oui. Mais ce que tu ne vois pas, c’est là qu’elle est cette pauvreté-là. Tu vas voir des gens parler ensemble et d'autres que tu ne vas pas voir souvent. Il y a beaucoup de gens qui ne peuvent pas se permettre de penser à ces questions-là. Parce qu’ils sont en état de survie et de désœuvrement. Qu’ils ne peuvent pas s’extirper de leur situation économique. Quand une personne est comme ça, après 10-15 ans de temps, parce qu’elle n’a pas pu avoir de logement décent, parce qu’elle a lâché l’école tôt, parce qu’elle ne pouvait pas avoir accès à des activités de loisirs pour l’aider à se réaliser, parce qu’il n’y avait pas de ressources à l’école, parce qu’il manque de ressources dans les services sociaux (...). Au bout de 15-20 ans à être dans cette situation, le monde, tu ne vas pas les regarder dans les yeux. Tu vas les voir regarder à terre et tu vas voir tes souliers maganés. Et tu ne vas pas vouloir relever la face. Ce serait important de permettre à ces gens-là de pouvoir relever la face (Manawan, 2019). Ainsi, en plus d’avoir examiné certains éléments favorisant le sentiment de Miro pimatisiwin (Bien Vivre) dans leur communauté, nous avons aussi vu comment ceux-ci doivent s’accommoder à plusieurs embûches contribuant à l’affecter défavorablement. Les pratiques culturelles et les relations intergénérationnelles se voient tout autant affectées par ces difficultés, dont plusieurs causées par leur maintien dans un contexte néocolonial. Au même moment, les membres de la génération des ainés, souvent les plus grands détenteurs des savoirs ancestraux, continuent de vieillir et tous doivent également s’adapter à un nouveau contexte social leur offrant de nouvelles technologies comme celle de l’internet et des réseaux

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sociaux.

Sans négliger les dimensions qui ont été abordées dans ce chapitre telles que la pénurie de logements et la précarité économique, j’ai, par ailleurs, pu constater à quel point la question de la fierté identitaire était régulièrement mise de l’avant par mes interlocuteurs. Celle-ci, comme nous allons le voir dans le prochain chapitre, est étroitement liée, entre autres, à la dimension de l’histoire, de la culture, de la langue des Atikamekw Nehirowisiwok et de leurs relations au territoire, sans oublier la place centrale des réseaux familiaux et des pratiques culturelles communautaires.

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Chapitre 4. Réseaux familiaux, activités communautaires et relations au territoire

Les relations familiales et communautaires occupent une place significative au sein du tissu social de Manawan et représentent des espaces importants de mise en actes des pratiques et valeurs culturelles des membres de la communauté. Les relations au territoire jouent aussi un rôle majeur dans le maintien des pratiques et valeurs culturelles. L’interlocuteur 4 expliquait qu’être un Atikamekw Nehirowisiw, aujourd’hui impliquait, selon lui, plusieurs dimensions relationnelles, dont les relations entre les membres de la collectivité ainsi que leurs relations avec leur environnement physique et spirituel :

« Être Atikamekw Nehirowisiw, c’est être en harmonie avec son environnement, aujourd’hui. Concrètement, ça veut dire reconnaitre le territoire, son environnement physique et spirituel. Et de savoir comment faire pour vivre à la fois comme personne, mais aussi comme membre d’une communauté sur le territoire » (Manawan, été 2019).

Parmi les critères identitaires mentionnés par les interlocuteurs de ce projet de recherche, toutes générations confondues, figurent effectivement l’importance des liens familiaux, les valeurs de partage, d’entraide et de solidarité, la langue atikamekw et les relations au territoire. C’est pourquoi il est essentiel d’aborder ces thèmes dans ce chapitre.

4.1 Les liens familiaux et la transmission des valeurs et des savoirs De façon globale, la dimension relationnelle, et surtout familiale, continue d’occuper une place fondamentale dans la vie des gens de Manawan. En dépit des problématiques énoncées au chapitre précédent, cette dimension favorise, à plusieurs égards, la continuité des savoirs, pratiques et valeurs culturels, par exemple, en permettant aux jeunes d’être en relation avec leurs grands-parents et les aînés de leur famille. Ceci contribue à assurer la survie et la transmission de leur identité culturelle, alors même que celle-ci se redéfinit au fil des générations.

Questionnée sur les liens familiaux à Manawan, l’interlocutrice 11 s’exprimait ainsi :

JB: C’est quoi les différences que tu remarques entre les manières dont les gens interagissent entre eux en ville et les manières dont les gens interagissent à

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Manawan? Interlocutrice: Je te dirais qu’ici tout le monde est proche. C’est la proximité des gens qui ont des liens. Ici, les cousins et cousines, ce sont des frères et sœurs. De la même façon, mes enfants, les enfants de ma sœur, ce sont leurs frères et leurs sœurs. C’est ça que je trouve beau, ici. C’est très familial. La valeur de la famille, c’est très important.

JB: En ville, c’est comment? Interlocutrice: En ville, dans comment je l’ai vu, ce n’était pas autant... Il n’y a pas autant de proximité entre les gens. C’était comme: bon, il y a un frère et une sœur. Ils grandissent et ont leur vie et se voient une fois par année ou quelque chose comme ça. Quand tu es ici dans la communauté, ce n’est vraiment pas ça (Manawan, été 2019). Mon expérience à Manawan, à la fois en tant que travailleuse sociale et ethnographe en devenir, concorde avec celle de Labrecque (2015: 100) qui constate que « la solidarité familiale et interfamiliale, demeure essentielle chez les familles de Manawan ». Effectivement, les membres de la collectivité de Manawan sont constamment à prioriser le bien-être des membres de leur famille et de leur communauté. Cette solidarité peut s’observer dans différents contextes et situations. Lorsque quelqu’un est hospitalisé en milieu urbain, par exemple, les membres de sa famille trouveront, coûte que coûte, les moyens de se rendre en ville afin d’être présents et d’accompagner la personne malade. Dans les moments difficiles, personne ne doit être laissé seul. Les deuils, pour donner un autre exemple, ne sont pas seulement une affaire familiale, ils engagent la communauté, voire la Nation, toute entière. La famille est au cœur de la transmission des savoirs et des pratiques culturelles.

Lors du souper-discussion, des membres ont soulevé la pertinence de prévoir des rassemblements et des camps en territoire, spécifiquement afin de permettre la transmission des savoirs parentaux par les membres de générations plus âgées (transmission des savoirs des aînés d’aujourd’hui aux jeunes adultes). Selon ces personnes, le fait de mettre en place une telle responsabilisation parentale favoriserait la création d’emplois et encouragerait la transmission des savoirs et les relations familiales entre les membres de Manawan. Dans ce processus, les grands-parents jouent souvent un rôle-clé, comme en témoigne l’interlocuteur 8 :

Je l’ai observé un peu. Il [grand-père] m’étonnait, dans ce qu’il faisait. Et ma grand-mère du côté de ma mère. Aujourd’hui, je me rappelle que, moi, tout jeune,

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pour moi, ce qu’elle faisait, j’étais juste bien avec ça. Avec elle. On avait tanné une peau d’orignal. Elle me montrait comment faire, quand j’avais cet âge-là. Je connais le processus, j’avais 5 ans. Elle me disait de faire comme elle. Elle me racontait des histoires en même temps et me demandait de l’aider: «amène-moi de l’eau». Déjà là, c’était des choses qu’elle m’enseignait, mais je n’ai pas encore fait ça. Ou juste mon père, des fois, quand j’avais 21 ans, et quand je me promenais il me disait «amène-moi cette plante-là». Il me disait: ton grand-père, il en sait des choses, là. Quand tu vas te promener, amène un peu d’herbes, ramasse une branche et montre-le à ton grand-père, il sait c’est quoi. Et le peu de fois que je l’ai fait, c’était le fun parce qu’on finissait toujours par en parler. Il le regardait, il me disait: «ça, c’est ça». Probablement que tu l’as cueilli là. Son savoir était très impressionnant. Ça se faisait avec ses sens. Par le toucher. Il l’examinait en le sentant, en le goûtant, des fois (Manawan, été 2019). Or, tous les enfants ne sont pas nécessairement exposés aux savoirs traditionnels au sein de leur famille. Les raisons sont diverses: le manque de moyens financiers de la famille, ou un non-intérêt des membres adultes de la famille vis-à-vis les pratiques sur le territoire. C’est d’ailleurs afin de palier à cette situation, comme nous le verrons plus loin dans ce chapitre, que le Conseil de bande et les écoles organisent, depuis quelques décennies déjà, des activités et séjours en territoire pour les enfants et les adolescents. Ceci afin que tous puissent être exposés et initiés, même minimalement, à la vie en territoire.

L’interlocutrice 6 m’expliquait que le lieu des réunions organisées par sa famille avait récemment été revu, en raison de la précarité financière de certains membres de sa famille. Sa famille avait l’habitude d’organiser ces rencontres environ deux fois par année en milieu urbain, généralement à Joliette, dans des restaurants. Plan de match nécessitant à la fois de l’argent pour le transport et pour le paiement du repas. Or, en 2019, pour la première fois, la réunion familiale s’est tenue en territoire. Ainsi, après avoir partagé sa déception à l’idée de n’avoir pu participer à celle-ci, étant donné qu’elle devait travailler, elle m’expliquait:

On a commencé ça [réunions familiales en territoire] cette année, parce qu’avant on faisait ça en ville. Mais ce n’est pas tout le monde qui est du genre à vouloir aller en ville. Il y en a qui aime mieux faire ça dans le bois. En plus, ce n’est pas tout le monde qui a les moyens d’aller en ville ou qui a une auto... Ou même qui ont les moyens de faire un souper dans un restaurant, surtout s’ils ont des enfants avec eux. Et, là, que ma tante disait: « si on fait ça dans le bois, tout le monde amène de quoi. Donc tout le monde sort de là gagnant ». Donc, comme c’est la première année, j’aurais aimé ça y aller (Manawan, été 2019). Initiative qui implique, notamment, à la fois l’entraide de la famille, en plus de valoriser

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l’occupation territoriale favorisant la transmission des savoirs et l’usage de la langue atikamekw.

4.2 L’esprit communautaire à Manawan À Manawan se manifeste un esprit communautaire significatif. Ce qui peut s’observer de diverses manières. La distribution alimentaire mensuelle aux plus démunis en est un bon exemple64. Un autre exemple est la tenue des mokocana dans l’enceinte de la communauté ou en territoire. Le mokocan peut être compris comme un « festin communautaire » / un « buffet communautaire » / un « repas de fête », selon les termes de mes interlocuteurs. Comme plusieurs l’ont souligné, dont l’interlocuteur 1, le mokocan est une pratique culturelle qui valorise la mise en actes des valeurs de partage, de solidarité et d’entraide, par le biais de rassemblements communautaires ou familiaux. Celui-ci se déroule lors d’événements importants tout au long de l’année, lors des semaines culturelles et souvent aussi durant les périodes de la chasse. Les membres sont alors invités à participer à la préparation de la nourriture et à manger ensemble, par exemple, un orignal qui aura été tué. Les mokocana mettent à l’honneur presqu’exclusivement les produits de la forêt, ceux de la chasse, de la pêche et de la cueillette.

Comme on me l’a souvent expliqué, les Atikamekw Nehirowisiwok ne vendent jamais les produits qu’ils tirent des activités de la chasse, de la pêche et de la cueillette (sauf les bleuets), comme l’original et le doré. En effet, ces produits sont toujours partagés, généralement entre les membres de la famille, mais aussi avec les amis, ou alors de manière communautaire comme lors des mokacana. D’ailleurs, alors que j’étais travailleuse sociale, au terme d’un processus d’intervention avec un membre de la communauté, j’ai eu le privilège de me faire offrir du doré qui venait d’avoir été pêché et préparé le matin même par la personne auprès de laquelle j’étais intervenue.

Toutefois et tandis que plusieurs interlocuteurs m’informaient de la priorité accordée à la place de la famille à Manawan, des jeunes adultes, dont l’interlocuteur 3, indiquaient observer une diminution de l’esprit communautaire à Manawan. Cela comparativement à ce

64Un employé des services sociaux de la communauté est arrivé à créer un partenariat avec Moisson de la région de Lanaudière, afin de faire bénéficier des dons alimentaires des membres de la communauté dans le besoin. En moyenne, plus d’une quarantaine de familles bénéficient de cette distribution alimentaire mensuelle.

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que leurs parents et grands-parents avaient vécu. Ainsi le partage et l’entraide, qui figurent parmi les principales valeurs, se manifestent aujourd’hui différemment. D’ailleurs selon un des aînés rencontrés, l’entraide figure parmi les trois valeurs fondamentales de l’identité Atikamekw Nehirowiwisiw, avec le respect et l’amour. L’interlocuteur 3 s’exprimait ainsi: « Selon moi, c’est important de savoir tout partager, d’avoir de l’entraide réciproque, même si c’est le dernier truc que tu as. Mais j’ai l’impression que ça se perd petit à petit, maintenant » (Manawan, été 2019). Selon mes interlocuteurs, la solidarité et l’entraide communautaire se manifestent désormais de manière plus ponctuelle, lors des situations de crise où des membres de la communauté font face, entre autres, à des embûches ou à des drames majeurs. C’est le cas lors des mortalités.

4.3 Stratégies communautaires de valorisation et de transmission des savoirs Afin de pallier au manque d’intérêt de certains jeunes face aux savoirs et pratiques traditionnels, des instances et des acteurs de la communauté, notamment les deux écoles et le conseil de bande, ont mis en place, depuis plusieurs années déjà, différentes initiatives afin de promouvoir la transmission. Or, cela demande un engagement et un investissement en temps, en énergie, en ressources humaines et financières considérable pour des communautés de petites tailles comme Manawan. Mais d’année et année, ils ne baissent pas les bras! Les institutions scolaires de la communauté paraissent pour certains être des institutions de choix avec lesquelles mettre en place un enchevêtrement entre l’éducation traditionnelle et l’instruction scolaire.

« Quand je travaillais au Conseil des jeunes65, on s’est demandé, par exemple, ce qui pourrait motiver les jeunes à poursuivre les études et à s’intéresser à la culture. On a donc travaillé pour impliquer davantage la culture atikamekw dans les écoles (primaire et secondaire). Pour que les jeunes soient plus fiers de leurs origines et n’aient pas peur de le montrer », m’expliquait l’interlocuteur 10. Celui-ci me partageait également la nécessité pour lui de connaître son histoire et ses origines pour ultimement être en mesure de se sentir plus à l’aise et fiers en tant qu’Atikamekw Nehirowisiw, notamment dans ses relations avec les non- Autochtones. La connaissance de son histoire et des dimensions qui la composent est conçue

65Conseil des jeunes qui n’est désormais que sporadiquement en service. Et dans un local ayant la présence de moisissure.

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comme une condition permettant le rehaussement de son sentiment de fierté identitaire. Or, la mise en place et le déroulement de ces activités sont, bien entendu, hautement facilités par l’accès à des ressources financières. L’interlocutrice 7 m’expliquait qu’elle et ses collègues de l’école primaire avaient instauré, depuis deux ans, grâce à des fonds « surprises », des activités culturelles durant lesquelles elles invitent des artisans de Manawan :

Comme nous voulions faire quelque chose pour la culture [atikamekw nehirowisiw] notre directeur avait suggéré: « pourquoi vous n’invitez pas des artisans?». Fait qu’on a invité des artisans. On a aussi invité un monsieur qui fait de la peinture et une madame qui fait de la cuisine traditionnelle. Chaque semaine, c’était une personne qui pratiquait quelque chose de différent. Non seulement j’ai trouvé ça intéressant et enrichissant pour les enfants, mais aussi pour les employés et pour moi. Parce que les personnes qui sont venues c’était des artisans qui faisaient de l’artisanat directement avec les enfants (Manawan, été 2019). Les deux écoles de Manawan organisent aussi à l’occasion des activités où elles invitent des aînés à transmettre aux plus jeunes certains savoirs locaux. Ceux-ci incluent, entre autres, le tannage de la peau d’orignal, le travail de l’écorce, le perlage, la cuisine traditionnelle, la cueillette des bleuets, la pâte de bleuets, la peinture, ou encore le sucre d’érable, qui est, selon l’interlocuteur 12, la « spécialité des Atikamekw ». Plusieurs stratégies sont donc identifiées comme très pertinentes pour tenter d’intéresser les jeunes générations aux pratiques culturelles et pour favoriser leur transmission et leurs mises en actes. Selon certains interlocuteurs, cela en conduit même quelques-uns à « décrocher de leurs jeux vidéo ». Ces activités ne se limitent pas qu’aux pratiques en tant que telles, mais incluent aussi des apprentissages sur le plan relationnel et familial, comme me l’expliquait l’interlocutrice 7 :

En même temps, ils [artisans] faisaient de l’éducation avec les jeunes. Ils disaient: « OK. Dis-moi c’est quoi le nom de ta kokom », puis après il lui nommait le lien de parenté de cette personne. Il lui expliquait l’arbre généalogique et les liens entre elle et les autres personnes dans la communauté. Je suis restée surprise. La semaine d’après, c’était la kokom [grand-mère] qui montrait comment cuisiner. Elle montrait comment on cueille les bleuets, comment on chasse le lièvre... C’était toutes des expériences enrichissantes (Manawan, été 2019). Parmi les autres initiatives, on compte également le Projet Matakan qui se déroule sur deux semaines, durant la saison estivale, à raison d’un groupe de jeunes par semaine et qui implique les membres de diverses générations. Mis en place il y a trois ans, il s’agit d’« un projet de transmission et de mise en valeur du patrimoine atikamekw. Un partenariat entre

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Tourisme Manawan, le Conseil des atikamekw de Manawan et l'UQAM, avec l'appui du Conseil de la Nation Atikamekw et du CRSH », peut-on lire sur la page Facebook du projet. Selon l’interlocuteur 10 :

Pour permettre aux plus jeunes de s’intéresser aux pratiques culturelles, les vidéos promotionnelles, ça aiderait vraiment, je pense. Par exemple, Benoit Ottawa en a fait un pour le projet Matakan (durant l’été 2019). Je pense que ça a attiré beaucoup de jeunes. Je pense que le projet Matakan est vraiment bien, même pour faire décrocher les plus jeunes de leurs jeux vidéo. Ça leur fait découvrir autre chose et diversifie ce qu’ils font, de l’artisanat, du travail d’écorce... (Manawan, été 2019). L’ensemble de ces initiatives parait, dès lors et encore une fois, plus que pertinent, notamment pour assurer une continuité culturelle et relationnelle entre les générations, et comme démarche permettant le rehaussement du sentiment de fierté identitaire.

L’instauration des semaines culturelles biannuelles (une à l’automne et l’autre au printemps, au moment de la chasse aux oiseaux migrateurs), et ce dès les années 1980, compte aussi parmi les nombreuses initiatives et stratégies visant à offrir des espaces privilégiés pour les pratiques culturelles, l’occupation territoriale et la transmission des savoirs (Poirier, 2014: 76). Tous les bureaux de la communauté sont alors fermés. Afin de favoriser la participation aux semaines culturelles de ceux qui ont un emploi rémunéré à la communauté, des mesures ont été mises en place afin qu’ils reçoivent leur salaire durant leur absence. Cette mesure s’applique uniquement à ceux qui vont en territoire et non à ceux qui choisiraient, comme c’est le cas ces dernières années, d’aller dans le Sud (en référence aux « destinations soleil ») 66 . Durant les semaines culturelles, les familles s’installent sur leurs territoires respectifs, dans des camps temporaires ou permanents, et s’adonnent aux activités de chasse, de pêche et de cueillette. Les gens se visitent aussi beaucoup entre eux.

Au fil des ans, certains ont constaté une diminution dans la participation aux semaines culturelles. Ceux qui en ont les moyens voyagent dans le sud, alors que d’autres en profitent pour visiter les membres de leur famille installés en ville. Il est difficile de dire si ce phénomène est temporaire ou permanent. En référence aux semaines culturelles, une interlocutrice a même utilisé, avec humour, l’expression des « semaines tropicales ». Or, la

66Il était alors suggéré à ces personnes de s’octroyer une semaine sans solde ou d’utiliser leurs semaines de vacances.

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même interlocutrice a aussi observé un possible regain de l’engouement envers les semaines culturelles dans la communauté: « Puis, depuis l’année dernière, je te dirais qu’il y a de plus en plus certaines familles qui se disent: « je vais prendre mes vacances dans le sud plus tard. Je vais aller dans le bois » » [durant la semaine culturelle] (Manawan, été 2019).

4.4 Transmission de la langue Toutes les personnes rencontrées considèrent que la langue atikamekw demeure un des principaux vecteurs identitaires. De nombreux interlocuteurs mettaient de l’avant la manière dont la dimension linguistique leur permettait de se distinguer sur le plan identitaire, non seulement auprès des non-Autochtones, mais également avec les autres collectivités autochtones67. Interrogés sur l’importance de parler leur langue maternelle, dans le contexte actuel, l’interlocuteur 8 s’exprimait ainsi:

Les grands-parents, eux, voulaient qu’on ne perde pas la langue. Ils nous disaient que c’est important [de parler la langue], parce que la mémoire est là. Que leur [ancêtres] esprit était là [dans la langue]. Que la langue était belle, parce qu’elle parlait de la forêt. Que la forêt, pour nous, était vivante et qu’elle nous aime. C’est en ce sens que c’est important de parler la langue atikamekw. Ceci dit, on est conscients qu’elle part vite et qu’elle a beaucoup changé. Il y a une certaine fierté [de la langue], mais elle est fragile. Surtout avec les interconnections qu’on a aujourd’hui avec les moyens technologiques comme internet68 et sur lesquels on est tous interreliés sur la planète. Ça nous touche, nous aussi. Fait que c’est comme si on était à côté d’eux. Alors que l’atikamekw, à la base, ça vient vraiment d’une manière d’être, d’une manière de vivre en forêt sur les territoires ici. Aujourd’hui, notre langue s’est transformée (Manawan, été 2019). À l’instar d’autres nations autochtones, la nation atikamekw nehirowisiw est consciente de la fragilité de la pérennité de sa langue. Tel que nous l’avons mentionné déjà, la langue atikamekw demeure, dans les communautés, la langue maternelle et elle est donc parlée par la grande majorité de la population. Cette réalité représente une grande fierté pour les Atikamekw Nehirowisiwok au niveau de la force de leur identité et de leur spécificité.

67Par exemple, lors de la marche Motetan mamo (5.2), un Atikamekw Nehirowisiw m’apprenait que la atikamekw nehiromowin était la seule nehiromowin (langue autochtone) comprenant la lettre «r» dans son dialecte. 68D’ailleurs, à ce sujet, une mère native de la communauté de Manawan âgée dans la quarantaine soulignait: « Avec l’arrivée d’internet et des influences anglophones et francophones, je remarque que certaines initiatives s’en inspirent. Par exemple, le groupe des Black Bear [groupe de joueurs de tambours de Manawan, reconnu internationalement]: plutôt que de porter un nom atikamekw et d’afficher vraiment leur identité culturelle, ils font usage de la langue anglaise ».

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Comme toutes les langues, la leur se transforme au fil des générations et face à un monde qui change. Ainsi, la langue atikamekw parlée par les aînés d’aujourd’hui diffère de celle des générations d’avant la sédentarisation. Cet écart culturel entre les générations avait déjà commencé à être observé au moment du retour des enfants des pensionnats (Clément, 2007: 48). Lors du souper-discussion, on expliquait qu’il arrivait même parfois que les aînés et les jeunes d’aujourd’hui se parlent en français, pour arriver à se comprendre.

On ne peut négliger le fait non plus que le français est très présent dans la communauté, à la fois à l’école69 mais aussi au travail. Selon des interlocuteurs, dont l’interlocuteur 4, le monde du travail encourage effectivement les membres à valoriser la langue française dans le cadre de leur travail. Un père de 27 ans œuvrant au niveau de la santé et des services sociaux constatait « que souvent les aînés ont de la difficulté à s’exprimer en français quand ils vont au centre de santé » (entretien 10, Manawan, été 2019) et il n’y a pas toujours quelqu’un sur place pour agir comme interprète. En effet, faute d’Atikamekw Nehirowisiwok ayant les qualifications demandées pour certains types de postes, la communauté doit régulièrement faire appel à des non-Atikamekw qui ne maîtrisent pas la langue locale.

Bien que la langue atikamekw soit encore très vivante et parlée par la majorité de la population, il n’empêche que les Atikamekw Nehirowisiwok sont très conscients de sa fragilité et surtout de sa transformation rapide auprès des jeunes générations, et d’une moindre maitrise de leur langue par celles-ci. Selon l’interlocuteur 8 :

Interlocuteur: Des fois, il y a des mots [en atikamekw] que je ne veux pas prononcer, parce que je ne veux pas les dire croches. Donc j’essaie le plus possible [de parler la langue]. JB: donc parfois quand tu ne sais pas comment se prononcent certains mots, tu vas le dire en français, pour ne pas risquer de déformer le mot? Interlocuteur: oui. Ou bien je vais tenter de dire mon histoire en moins de mots ou trouver d’autres mots pour dire ce que j’ai à dire (Manawan, été 2019). Afin d’assurer la survie, la connaissance et la vitalité de la langue, le Conseil de la Nation Atikamekw a fondé, en 1986, l’Institut linguistique atikamekw qui œuvre « à protéger, valoriser et développer la langue atikamekw comme outil d'éducation et d'expression de la

69Bien que la langue d’enseignement au premier cycle du primaire soit l’atikamekw, le jeune fera la majorité de son cursus scolaire en français.

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nation atikamekw »70. C’est ainsi que plusieurs techno-linguistes au CNA et dans chacune des trois communautés travaillent à la traduction de documents oraux et écrits en langue atikamekw et assistent les écoles des communautés dans la production de matériel pédagogique en atikamekw. Ils sont des spécialistes de la langue, travaillent étroitement avec les aînés afin de consigner les mots, les expressions et leur étymologie. Ce sont eux qui travaillent depuis plusieurs années à la création d’un dictionnaire atikamekw.

Plus récemment, différentes initiatives ont permis de rendre la langue atikamekw plus accessible sur Internet. C’est le cas du Manuel d’initiation à la langue atikamekw, mis en ligne en 2020, et créé grâce à une collaboration entre les techno-linguistes atikamekw et le Cercle Kisis. Sur le site Wikiversité, on trouve aussi une Introduction à la langue atikamekw: Vocabulaire de base. Le Centre d’amitié autochtone du Saguenay a mis en ligne des Fiches grammaticales atikamekw, là aussi grâce au travail de l’Institut linguistique atikamekw et des techno-linguistes atikamekw. Plusieurs de ces initiatives ont été subventionnés par le gouvernement du Canada. Enfin, la Nation atikamekw, en collaboration avec des chercheurs, ont créé, via la plateforme de Wikipédia, le site Wikipetcia71. Mentionnons aussi le site web Atikamekw Kinokewin qui met en valeur la langue et les savoirs atikamekw (Voir Poirier 2014 et Jérôme et Veilleux 2014).

La Loi canadienne sur les langues autochtones, votée en 2019, bien qu’elle arrive un peu tard pour la sauvegarde de la majorité des langues autochtones du pays, offre néanmoins aux communautés des ressources financières auxquelles elles n’avaient pas accès avant. En tant que langue minoritaire, dans un monde globalisé, la langue atikamekw ne pourra jamais jouir de la même visibilité qu’une langue comme l’anglais. De cela, les Atikamekw en sont très conscients, comme l’exprime l’interlocuteur 8 :

En tant qu’Atikamekw, on est 7000, environ. On ne pourra pas vraiment investir dans des émissions en atikamekw sur Netflix, mettons. Oublie ça, ça ne se fera jamais. En français, vous essayez, en anglais, ça peut se faire. Mais en atikamekw, si on veut faire une initiative du genre, est-ce que ce serait possible d’avoir les ressources pour la compléter? On va toujours être limité. Fait que ce

70 Pour plus d’information au sujet de l’institut linguistique atikamekw, voir https://www.atikamekwsipi.com/fr/services/services- educatifs-linguistiques-et-culturels/ila 71Ayant vu le jour au printemps 2013, celle-ci fait suite à «un projet pédagogique organisé au sein des communautés atikamekw du Québec». Ce projet «a pour but d'initier la population atikamekw à la contribution sur Wikipetcia en commençant avec les élèves des écoles secondaires. Wikipetcia est un excellent moyen de publiciser la langue sur Internet auquel tous les locuteurs peuvent librement participer» (Wikipetcia, s.d.).

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qu’il nous reste à faire c’est de la parler (...). Il faut se les approprier [stratégies linguistiques comme la plate-forme Netflix], mais on ne pourra pas générer un environnement où ce serait 100% atikamekw dans ce qu’on consomme dans des vidéos et tout. (...) si tu veux vivre dans l’atikamekw, en ce moment, tu dois parler l’atikamekw, écouter la musique [en atikamekw] ou écouter la radio SOCAM. C’est tout (Manawan, été 2019). En sus de la nécessité de telles initiatives et bien que le territoire demeure un des principaux lieux pour favoriser la survie et la transmission de la langue atikamekw, le domicile familial se démarque aussi comme un lieu majeur de transmission de la langue. Cela est évident pour l’interlocutrice 11: « Moi, c’est sûr qu’à la maison c’est primordial de parler notre langue, parce que c’est notre identité. C’est nous autres. Il y a des nations qui ont perdu leur langue et ils perdent une partie de leur identité en subissant ça. Primordialement, c’est à la maison qu’il faut la parler » (Manawan, été 2019).

4.5 Les relations au Nitaskinan Le Nitaskinan, le territoire ancestral atikamekw, et la manière dont les Atikamekw Nehirowisiwok entrent en relation avec celui-ci ont déjà fait l’objet de plusieurs travaux (Voir les travaux de Poirier, Jérôme et Éthier72, parmi de nombreux autres). Encore aujourd’hui, le Nitaskinan est un élément fondamental qui contribue à leur distinction face aux non- Autochtones, de façon générale, mais aussi à l’égard des membres des autres Nations autochtones. Voici un extrait d’un échange avec l’interlocuteur 10:

JB: C’est quoi les différences entre les Atikamekw Nehirowisiwok et ceux des autres nations autochtones? Qu’est-ce qui vous distingue comme Nation autochtone? Interlocuteur: Je dirais peut-être qu’on est vraiment très axés sur le territoire. Le territoire, c’est notre identité. C’est de là que venait notre manger, notre façon de s’habiller, de s’héberger... C’est de là aussi que vient notre médecine. Notre identité part du territoire. Le fondement de qui on est aujourd’hui... Parce qu’on s’y est adapté graduellement. Notre langue vient de là, aussi. Nos mots, notre langue ont été développés à partir du territoire et de comment on s’organisait face au territoire.

JB: Tu as beaucoup de savoirs, je trouve. Interlocuteur: C’est à force d’aller dans le bois. Je rencontre et parle avec des

72Parmi ces publications, voir Poirier, Jérôme et La Société d’histoire atikamekw (Nehirowisiw Kitci Atisokan), 2014; Poirier, 2000; Poirier, 2001; Éthier et Poirier, 2018 ou Éthier, 2017.

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aînés. Je pose des questions quand je me demande des choses. JB: Donc la proximité avec la nature, votre relation avec la forêt, c’est une des choses qui vous distinguent des autres nations autochtones?

Interlocuteur: Oui. Et notre manière de vivre en harmonie avec la nature.

JB: Comment est-ce que ça se définit, vivre en harmonie avec la nature? Interlocuteur: Je ne sais pas comment te répondre à ça. C’est difficile de répondre, parce que c’est dans notre manière d’être et ça se vit au jour le jour (Manawan, été 2019). Les membres de toutes les générations et de plusieurs familles ainsi que les institutions de la communauté travaillent à s’adapter à la réalité actuelle, tout en tentant de préserver la place fondamentale du territoire dans leur vie. Avec ce que cela comporte de défis, de difficultés, mais aussi de réussites. C’est sur la base d’une relation étroite et intime avec leur territoire et ce qu’il a à offrir que les Atikamekw Nehirowisiwok ont depuis toujours développé leur langue, leurs savoirs, leurs pratiques et leurs valeurs. Dans le contexte actuel, le territoire est un lieu de transformations, de transmission entre les générations, de subsistance, de guérison et de ressourcement, d’affirmation et de fierté, et aussi de revendications. Ce sont de ces dimensions dont il sera question ici.

4.5.1 Le Nitaskinan et les revendications « À l’instar d’autres Premières Nations, les Atikamekw Nehirowisiwok sont engagés, depuis les dernières décennies, dans des revendications d’autodétermination visant à faire reconnaître à la fois leurs droits et leurs propres pratiques politiques et de gestion territoriale » (Éthier, 2017: iii).

L’ensemble de ces démarches et de ces initiatives de revendication s’articule autour de « projets de vie autochtones fondés sur des rapports particuliers aux territoires et aux non- humains, sur des mémoires, des attentes et des désirs » (Éthier, 2017: iii). Projets de vie qui reposent, ainsi, sur leurs conceptions du monde à l’égard du nitaskinan. Comme l’indique Jérôme (2010a: 61): « Les Atikamekw ont dû et doivent encore aujourd'hui négocier et penser au quotidien leur relation au territoire sur le territoire même, à travers la relation qu'ils entretiennent avec les non-Autochtones, les blancs ou « emitcikocic » ». Ce qui nous amène à discuter de la problématique avec laquelle des entreprises s’enrichissent, depuis plusieurs

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décennies, par le biais de l’exploitation des ressources du nitaskinan, sans payer de redevances73, notamment, aux acteurs de la communauté de Manawan.

Benoit Éthier explique ainsi la situation :

Le gouvernement québécois - ayant le pouvoir de légiférer et recevant des redevances de l'exploitation des ressources forestières et minières - refuse catégoriquement de léguer ses responsabilités et ses intérêts sur une partie du territoire forestier dont il a juridiction. Jamais, dans le cadre des négociations, le gouvernement québécois ou canadien n'a été prêt à remettre en question leur souveraineté et leur intégrité territoriale. De leur point de vue, il s'agit d'un droit acquis, légitime et irrévocable. D'un point de vue autochtone, ces manipulations juridiques sur lesquelles s'établissent, par exemple, les juridictions provinciales sur les ressources du territoire, les frontières provinciales ou nationales et la souveraineté de l'État canadien sont loin d'être légitimes (Éthier, 2011: 108). Cette situation engendre de nombreux impacts dans la vie des Atikamekw Nehirowisiwok au quotidien. Que ce soit par le fait de les maintenir dans une situation de grande précarité économique réduisant ou minant à plusieurs niveaux leurs démarches de mises en actes de leurs pratiques culturelles. Ou encore, d’un point de vue plus large, en les maintenant, à de nombreux égards, en position de subalternes devant dépendre de l’État et de la société non- autochtone. Les politiques coloniales qui perdurent encore aujourd’hui les empêchent effectivement de faire valoir leur pleine autonomie sur le nitaskinan. Un partage plus équitable des ressources relevant du nitaskinan est exprimé par l’interlocuteur 8, lorsqu’interrogé sur ce qu’il souhaiterait voir être mis en place, dans un monde idéal: « Il faudrait qu’on partage les ressources qu’on a ici autour, au lieu que ce soit des grosses compagnies qui viennent acheter des actions et qui amènent la machinerie et que ce soit le pétrole qui soit mis de l’avant. Ce serait des communautés d’ici qui développeraient ensemble le territoire sous le principe des droits collectifs qu’on a et de nos devoirs » (Manawan, été 2019).

Cependant, la dépossession territoriale, sur le plan politique et économique, n’a jamais empêché les Atikamekw Nehirowisiwok de fréquenter leur territoire et de transmettre la

73Un article de Radio-Canada (Espaces Autochtones) (2020) portant le titre «Les Atikamekw, spectateurs de l’exploitation de leur territoire» exprimait aussi bel et bien cette situation où des compagnies forestières s’enrichissent au détriment des Atikamekw. Alors que, comme l’affirme Mario Ottawa de Manawan, un des chefs de territoire: «Ce qu’on souhaite là-dedans, c’est que ce soit gagnant-gagnant». À la sortie de l’article, en février 2020, il avait été possible de voir un grand nombre d’Atikamekw Nehirowisiwok partager et commenter cet article avec émotions sur Facebook.

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responsabilité des territoires familiaux aux générations montantes.

4.5.2 Le Nitaskinan et l’affirmation culturelle Le Nitaskinan demeure le lieu privilégié pour la transmission des savoirs et l’affirmation de l’identité atikamekw, comme en témoignent d’ailleurs les travaux de Poirier (2001; 2014), Jérôme (2008a; 2010a) et Éthier (2011; Éthier et Poirier, 2018), pour ne nommer que ceux- là. Toutefois, dans le contexte actuel, nombreux sont les obstacles et les défis pour maintenir la relation au territoire et favoriser ainsi la transmission des savoir-faire et ses savoir-être atikamekw. Parmi ces obstacles à l’accès et à la fréquentation des territoires familiaux figurent le manque de moyens financiers pour plusieurs familles (l’achat d’un véhicule, bateau ou motoneige, et de l’essence, etc.). C’est le cas de l’interlocutrice 9 :

Interlocutrice: J’ai un chalet ici, mais ça fait longtemps que je n’y vais plus, parce que c’est très loin à pied et je n’ai pas de voiture moi-même ou les moyens d’en acheter une. Il faudrait que je prenne un canot pour y arriver et ce serait beaucoup trop long. C’est ce que je me dis à chaque année, c’est que c’est dur de me déplacer pour aller à mon chalet à moi. (...)

JB: Qu’est-ce qui ferait en sorte que tu puisses y aller?

Interlocutrice: Avoir accès à un moyen de transport. JB: Donc ça aiderait de rendre accessible un moyen de transport aux gens qui n’y ont pas accès ($), pour qu’ils se rendent à leur territoire/leur chalet? Interlocutrice: Oui. Moi, vu que le territoire où je suis c’est celui de mon arrière- grand-père, c’est là que ma grand-mère était née et ils ont mis le chalet là. Ça prendrait entre 1 heure et 2 heures pour y aller en canot et marcher environ 3-4 kilomètres (Manawan, été 2019). Lors du souper-discussion, une personne suggérait la possibilité de solliciter les membres de la communauté ayant les moyens de se procurer des équipements pour se rendre en territoire pour partager avec ceux moins économiquement pourvus. L’entraide et la solidarité sont en effet souvent mises de l’avant dans les stratégies et les solutions visant à faire front aux embûches. En outre, le fait d’être devenus sédentaires ne conduit pas les membres de la Nation à vivre une rupture avec leurs origines comme peuple semi-nomade issu du Nitaskinan. Comme l’exprimait l’interlocutrice 9: « Moi, ma mère a fait partie des dernières familles à ne pas habiter dans des maisons fixes. Ma mère a déjà habité sous la tente, il y a 50 ans, et je suis fière de ça! De faire partie des derniers nomades. Comme ça, je vois d’où

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je viens ».

La majorité des personnes rencontrées ont convenu que la famille a une responsabilité première dans la mise en place des tactiques visant à favoriser et valoriser l’occupation du territoire. C’est ce qu’ont exprimé les interlocutrices 5 et 6, alors que nous discutions des embûches inhérentes à la transmission des savoirs culturels et à la fréquentation du territoire:

« Des choses ont déjà été tentées. Par exemple, de faire envoyer des jeunes dans le bois pendant quelques jours. Mais je pense que ça doit venir de la famille, avant tout, pour éveiller l’intérêt » (Manawan, été 2019). « Il faudrait qu’on [parents] transmette ces connaissances-là à nos enfants. Il y a déjà eu des activités pour aller dans le bois et tout. Les kokom le font eux-mêmes leur bannique. Elles ne donneront pas l’initiative aux enfants, par exemple à ma fille, de le faire. Oui elle peut gaffer, mais c’est avec nos erreurs qu’on apprend » (Manawan, été 2019).

Cependant, en dépit des obstacles et embuches, et comme j’ai pu l’observer durant mes séjours à Manawan et auprès de certains de mes interlocuteurs dont de jeunes hommes adultes, le territoire continue d’être fréquenté et beaucoup de savoirs sont maintenus et transmis entre les diverses générations et mis en application. Alors que nous nous rendions au filet de pêche pour aller chercher la « récolte » de poissons, en vue du souper-discussion, j’ai beaucoup appris de cette simple sortie en bateau, grâce aux observations de l’interlocuteur 2. Il a ainsi commenté le niveau d’eau du lac Metapeckeka et fait quelques remarques sur les changements et les impacts sur la faune du lac. Cet interlocuteur fréquente le territoire sur une base régulière, il se promène dans le bois, fait du canot, pratique la chasse et la pêche au filet, etc. Ceci pour dire que les savoirs traditionnels sont toujours transmis et pratiqués. Comme l’indique Poirier (2009 :31), il n’y a pas eu une rupture dans la transmission des savoirs liés au territoire, mais plutôt un décalage dans le processus de transmission où les jeunes apprennent souvent une fois devenus adultes.

L’expédition Tapiskwan sipi compte parmi les initiatives et les activités valorisant autant la relation au territoire, l’apprentissage et la transmission des savoirs et de l’autonomie en territoire, que les relations familiales, intergénérationnelles et communautaires. L’entraide et la solidarité se matérialisent au travers de cet événement, notamment par le fait que

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l’ensemble des membres de la collectivité peuvent s’impliquer à divers niveaux et étapes. Initiée en 2014, Tapiskwan sipi est une expédition en canot qui part d’Opitciwan et descend la rivière Saint-Maurice (Tapiskwan Sipi) et ses tributaires jusqu’à Manawan. L’expédition s’adresse surtout aux Atikamekw Nehirowisiwok, garçons et filles, âgés entre 15 et 25 ans provenant des trois communautés (Manawan, Wemotaci et Opitciwan). Ils sont accompagnés d’adultes, hommes et femmes, aussi des trois communautés. Les ainés quant à eux, auront aidé à l’identification de l’itinéraire et des territoires familiaux traversés. À l’été 2019, il y avait 56 participants (incluant les accompagnateurs et les participants). Ils ont débuté le 29 juillet à Opitciwan, sont passés par Wemotaci et sont arrivés à Manawan, le 9 août.

Figure 1 : Participants de l’expédition Tapiskwan Sipi de 2019. Photo de l’auteure

4.5.3 Le territoire comme lieu de guérison Face à l’ensemble des changements générationnels évoqué tout au long de ce mémoire, il ne faut pas oublier que les jeunes générations d’adultes et celles qui les suivent n’ont pu avoir

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les relations privilégiées qu’ont vécues les membres de la génération des pensionnats (la génération des aînés d’aujourd’hui) avec leurs parents, du moins avant l’imposition des pensionnats. Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, plusieurs formes de souffrances se sont interposées entre ces générations. Le processus de guérison et de réconciliation qui a présentement cours entre les générations est ainsi également fondamental sur le plan de la transmission identitaire et culturelle, alors que les savoirs portés par les aînés comptent parmi les composantes identitaires des Atikamekw Nehirowisiwok d’aujourd’hui. Un aspect dont sont très conscients la majorité des membres de la collectivité, dont l’interlocutrice 7, une jeune femme dans la vingtaine:

Ce qui arrive, c’est que plus on avance dans le temps, plus ça s’efface. Mais en même temps, pour ceux de ma génération, il y en a certains pour qui ça ressort plus que d’autres. Même si la génération de mes parents expérimentait. Et je les trouve vraiment chanceuses les familles qui font vivre ça à leurs enfants. J’aimerais ça qu’il y en aille plus. Oui, c’est sûr qu’il faut avancer dans le temps et qu’on soit plus moderne. Mais il ne faut quand même pas qu’on oublie ce que les aînés ont vécu. Encore là, notre identité part de là (Manawan, été 2019). Malgré la place indéniable de la famille sur cette dimension de la relation avec le nitaskinan, toutes les familles ne sont vraisemblablement pas en mesure d’offrir ces occasions pour procéder et, souvent bien malgré elles. Afin de pallier à cette difficulté à laquelle plus d’une famille de Manawan fait face présentement, des institutions de la communauté ont mis de l’avant plusieurs initiatives et programmes favorisant la relation au nitaskinan, comme nous l’avons vu plus tôt dans ce chapitre. Plusieurs interlocuteurs ont exprimé la nécessité de telles initiatives, à la fois dans des objectifs de transmission mais aussi de guérison, et afin donc de favoriser l’intérêt des plus jeunes générations sur le plan de la territorialité 74 et pour encourager la mise en pratique directe de cette fréquentation territoriale afin de renouer avec leur identité.

Depuis quelques décennies déjà, plusieurs programmes et activités afin de renouer avec le territoire sont mis de l’avant par le Conseil de la nation atikamekw et les services sociaux des trois communautés afin de favoriser la guérison75. Parmi ces stratégies, relevant du

74«Ce concept permet de rendre compte non seulement des modes de tenure foncière et de gestion des ressources, mais aussi des savoirs, des valeurs, des principes épistémologiques et ontologiques, ainsi que des formes d’autorité et de responsabilité qui fondent et orientent les relations autochtones aux territoires» (Éthier et Poirier 2018: 107). 75Dans les années 2000 et jusqu’en 2015 environ, plusieurs de ceux-ci ont été subventionnés par la Fondation autochtone de guérison (Gouvernement du Canada).

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Conseil de la Nation Atikamekw, on compte le camp Atisokan qui a lieu sur l’un des territoires familiaux du Nitaskinan. Lors de ces camps, des aînés des trois communautés sont invités à venir transmettre les savoirs au sujet des atisokana (récits traditionnels) et des pratiques ancestrales. Selon l’un des organisateurs actuels, ces rassemblements ont eu en tout « 4 éditions ». Les trois premières éditions76 ont eu lieu en mars 2002, à l’été 2002 et une autre à l’été 2005. La dernière a eu lieu en septembre 2019 à Witiko matawak (français : embouchure de la rivière Windigo). Selon cet organisateur :

Lors de la dernière édition, c’est-à-dire, celle de 2019, le but principal était de valider certains éléments des recherches que nous sommes en train de faire sur l’histoire atikamekw, notamment sur la présence des Atikamekw au bord du Saint-Laurent dans les années 1600 et 1700 (en plus de recueillir d’autres atisokana). Malheureusement, cette édition n’a pas eu le succès escompté, il n’y a pas eu une grosse participation, ni des aînés ni de la population en générale. Au fil des années, l’équipe des Services éducatifs, linguistiques et culturels du CNA a organisé d’autres événements qui rejoignaient les mêmes buts que les rassemblements « Camps Atisokan ». Par exemple, la Conférence des Aînés Atikamekw et le rassemblement spirituel atikamekw. Pendant ces rassemblements, qui ont été tous enregistrés, nous avons recueilli d’autres atisokana (Manawan, été 2020). Les services sociaux des trois communautés organisent aussi le déroulement d’activités d’interventions par le biais de séjours familiaux de ressourcement en territoire. C’est ainsi que plusieurs camps familiaux ont été organisés sur le territoire dans un objectif de guérison des blessures intergénérationnelles et suite aux ruptures provoquées par les pensionnats. Cependant le manque de ressources financières et humaines fait néanmoins entrave à la fréquence de l’offre de ces activités.

Le Centre de santé de Manawan développe et met en place aussi des projets axés sur la guérison en valorisant la relation et la fréquentation du territoire. C’est le cas du programme Miremowin qui s’adresse surtout aux membres de la communauté qui ont des problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie. Au sein de ce programme, on trouve le projet Mirokin auquel l’interlocuteur 13 a déjà participé. Il s’agit d’un projet d’une durée de 6 mois durant lesquels

76Selon cet organisateur : « Le but des trois premières éditions était de recueillir des atisokana (des récits, nous préférons utiliser ce mot que contes ou légendes, ça fait moins « conte de fées »). Ces récits inclus des récits traditionnels, des récits de vie, des anecdotes, etc., qui sont actuellement conservés dans les bureaux du CNA, à La Tuque. Même si au départ, ces rassemblements étaient des rencontres de travail, nous avons donné l’opportunité à la population atikamekw en générale de venir rencontrer et écouter les aînés, surtout pour les éditions de l’été 2002 et l’été 2005. C’était en même temps le souhait de nos Kokominook et Kimocominook » (employé du CNA).

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lui et les autres jeunes hommes âgés entre 14 et 25 ans ont été initiés aux pratiques culturelles en territoire afin d’approfondir leurs connaissances et renouer en quelque sorte avec le mode de vie de leurs ancêtres, et ainsi mieux comprendre d’où ils viennent et qui ils sont.

Figure 2 : Programmation du projet Mirokin 3

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Il m’expliquait que le fait d’avoir vécu cette expérience l’avait conduit, aujourd’hui, à se sentir plus en phase avec le mode d’être atikamekw nehirowisiw tel qu’il le comprend et de rehausser son sentiment d’appartenance à sa communauté et au territoire. Voici un extrait de nos échanges :

Interlocuteur: Depuis que j’ai participé au programme Mirokin. C’est ça 6 mois dans le bois... Aujourd’hui, quand je vais en ville, je me sens pas bien. Je ne me sens pas chez nous. Pas parce que j’ai peur du jugement. Parce que ce n’est pas

77Source: page Facebook du programme Miremorin.

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comme ça que j’aime vivre. C’est sûr que j’aime ça pouvoir commander dans un resto (rires), mais ce mode de vie là, ça rend encore plus malade, je trouve, maintenant (Manawan, été 2019). Porteurs du lien étroit entre le territoire et l’identité Atikamekw Nehirowisiw, les aînés d’aujourd’hui ont un rôle clé quant à la manière de voir le monde, « d’être » nehirowisiw et dans la transmission des savoirs traditionnels qui peuvent éventuellement être observés et être mis en actes par les membres de générations plus jeunes. Qu’ils se soient ou non guéris de leurs blessures, les aînés ressentent et vivent le Nitaskinan d’une manière qui ne peut être saisie autrement que par le fait de le vivre. Selon une iskwew native de la communauté de Manawan, une mère dans la quarantaine oeuvrant au niveau de la santé et des services sociaux:

Avec la colonisation, ils sont venus, à quelque part, détruire une partie de ma culture, mais je dirai que ma culture vit dans mes gênes. Quand je retourne dans le bois, la nature, ma culture revient. Ma culture vit à travers ma langue (...) Je cherche à comprendre d’où je viens. Pour m’aider, je vais voir les ainés. Mais je réalise qu’eux aussi ont été détruits. Et j’ai fini par comprendre pourquoi ils nous racontent sans cesse leurs histoires... C’est pour ne pas oublier d’où nous venons: le bois, la vie en forêt. La sagesse qu’on finit par avoir arrive de nos ainées, quand on prend le temps de les écouter. Mais tu ne peux recevoir, tant que tu n’as pas débroussaillé ta vie teinte de violence vécue des pensionnats, par exemple, des agressions sexuelles. C'est possible de guérir et de retrouver le plein sens de ma culture, car je le vis en ce moment. Le bonheur d'écouter le tambour, de sentir mon coeur battre, être dans le bois et ne faire qu’un avec la nature! Nehirowisiw est très fort: c’est un sage guerrier. Un être candide.

4.6 L’impact des réseaux sociaux à Manawan En rencontre, l’interlocutrice 11 me racontait la manière dont circulaient les informations à Manawan, tout juste avant l’émergence des réseaux sociaux:

JB: Avant [l’émergence des réseaux sociaux], comment les informations étaient- elles transmises, dans la communauté? Interlocutrice: De bouche-à-oreille, par téléphone et à la radio78. Tout le monde écoutait la radio. Aussi, il y a eu les walkies-talkies. Avant l’arrivée d’internet, tout le monde en avait un et se mettait sur le même poste et parlait ensemble.

JB: T’as connu ça, toi [usage des walkie talkies]? C’était quand?

78En référence à la radio Manawan Kitotakan qui a vu le jour en avril 1980 et est très écoutée au quotidien dans toutes les maisons et bureaux de la communauté.

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Interlocutrice: Oui. À peu près en 1996, 1997 (Manawan, été 2019). Depuis l’introduction des nouvelles technologies de l’information, incluant Internet, dans la communauté, approximativement vers 2002, les Atikamekw Nehirowisiwok constatent que les appareils électroniques (jeux vidéo, cellulaires, ordinateurs) et les réseaux sociaux, comme Facebook, occupent désormais une place prépondérante dans le quotidien des membres de la communauté. Cela de manière encore plus marquée chez les jeunes générations79.

Facebook est utilisé à la fois pour transmettre des informations à l’ensemble de la population, comme mode de divertissement ou comme vecteur de dialogue entre les personnes (Labrecque, 2015: 56). Ces échanges et dialogues sur Facebook peuvent se dérouler entre les membres de la collectivité de Manawan, avec ceux des deux autres communautés (Wemotaci et Opitciwan), ceux vivant en milieu urbain, mais aussi avec des non-Autochtones ou des membres d’autres Nations autochtones. Cette plateforme leur permet également la création de profils et d’identité (s) « numérique (s) ». Au niveau social, l’impact d’Internet et des réseaux sociaux auprès des Atikamekw ne diffèrent pas de ce qui est observé ailleurs, soit la possibilité d’être en tout temps connecté au reste du monde, tout en s’isolant de plus en plus.

Questionnés sur les distinctions observées depuis l’arrivée d’Internet dans la communauté, plusieurs dénotaient un plus grand isolement des personnes. C’est le cas de l’interlocutrice 11: « Moi, je trouve qu’il y a beaucoup de dépendance à ça. Tu le vois, quand il y a des pannes de courant, il y a pleins d’enfants qui sortent pour jouer dehors. Parce qu’ils n’ont plus accès à internet » (Manawan, été 2019).

L’interlocutrice 9 faisait remarquer: « On dirait que tout le monde est isolé maintenant. Qu’ils jouent avec leurs machines [électroniques] et tout ça. Et on ne voit plus personne dehors. Moi, quand j’étais jeune, 14-17 ans on se promenait beaucoup le soir. On ne voit plus vraiment de ça, on dirait, ou pas autant » (Manawan, été 2019). Quant à l’interlocuteur 2, il s’exprimait de la façon suivante :

J’ai remarqué que les jeunes d’aujourd’hui sont moins souvent à l’extérieur [de leur domicile] ou directement en relations, mettons avec leurs amis ou de la famille. Donc ceux de ma génération à moi [21-25 ans]. Moi, par exemple, je suis

79Il n’est pas rare, par exemple, d’observer des enfants avec des tablettes électroniques dans les mains.

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trop souvent connecté avec mon cellulaire et à mon ordinateur. Comme mes amis sont aussi trop connectés avec leur console de Xbox. Alors que je dirais que la génération de mon grand-père, ils étaient plus souvent regroupés ensemble. La génération à mon père, je dirais qu’ils faisaient plus de sport. Dans ce qu’il me racontait aussi. Quand mon père me raconte des histoires de sports, mettons avec le volley-ball, on dirait que c’était vraiment différent, par rapport à la génération d’aujourd’hui, parce qu’aujourd’hui il y a vraiment moins de personnes actives comme ça80 (Manawan, été 2019). Labrecque, qui s’est intéressée spécifiquement aux jeunes femmes de Manawan, a relevé le fait que certaines de celles-ci se tournaient vers Facebook comme stratégie à leur sentiment d’isolement. Elle écrit « Certaines de ces femmes au foyer m’ont dit qu’elles trouvaient parfois difficile d’être seules à la maison et qu’elles éprouvaient un sentiment d’isolement. Pour remédier à cet isolement, elles passent beaucoup de temps sur le réseau social Facebook, là où elles communiquent avec les amies et la famille » (2015: 109).

Interrogé à savoir s’il considère que des choses sont en train de disparaitre dans la culture atikamekw, l’interlocuteur 2 indiquait constater une certaine diminution dans la fréquentation du territoire pour les gens de sa génération. Selon lui: « La majorité des autres jeunes, je dirais qu’ils ne sauraient pas quoi faire s’ils étaient dans le bois. Parce qu’ils sont trop connectés à leurs technologies ».

La majorité des personnes rencontrées sont conscientes que la trop grande utilisation des jeux vidéo ou de Facebook nuit au contact et aux relations entre les personnes au sein de la communauté, mais aussi à la fréquentation du territoire. Questionnées à savoir s’il leur arrivait d’aller dans le bois, les interlocutrices 7 et 11 se sont exprimées de la façon suivante :

Pas régulièrement. Pas beaucoup, quand il y a beaucoup de mouches. Oui, je l’ai fait un petit peu quand j’étais enfant: mes grands-parents m’amenaient souvent en forêt. Donc j’ai vécu un petit peu ça. (...) À part si tu me dis « on va aller dormir dans un chalet », je ne vais pas vraiment y aller. Et, là, en ce moment, ma mère et son mari et son oncle sont en train de se construire un chalet. Fait que là ça sera plus envisageable pour moi d’aller dans le bois. Puis, en même temps, ce que j’ai découvert, c’est qu’en allant dans le bois, t’es vraiment coupé du monde. Pas de réseaux sociaux, rien, t’es avec le monde. Tu vis vraiment le moment présent (Manawan, été 2019). On devrait faire plus de rassemblements en territoire. Ça permet de se

80Au sujet des distinctions entre les générations et en lien avec cette plus grande sédentarité, l’interlocutrice 11 disait observer que: « dans les années 1980 et 1990, de l’obésité, il n’y en avait pas. Aujourd’hui, il y en a vraiment beaucoup ».

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déconnecter d’internet. Je pense que ce serait une bonne solution. Parce qu’on ne peut pas déconnecter l’internet. C’est là et on doit s’y faire. Et il n’y a pas que du mauvais à l’internet » (Manawan, été 2019). Ces témoignages rejoignent ceux recueillis par Labrecque (2015: 136) auprès de jeunes femmes de Manawan :

« Elles m’ont dit qu’il est important d’y aller dans le but de s’y ressourcer, pour évacuer leur stress et leurs préoccupations et décrocher de la technologie ».

Personnellement, je m’en vais dans le bois pour me ressourcer, me reposer, aller réfléchir à tout plein d’affaires qui me stressent, c’est comme si je m’en allais tout jeter ça dans le bois. C’est plus aussi pour voir le territoire de mes ancêtres. Des fois je me dis, quand je me retrouve, je me dis ils ont vécu ici pendant un certain temps… j’aime ça aller voir les territoires (Entretien N°5). C’est plus la tranquillité, s’éloigner du village un peu, c’est quand même le fun, pas avoir de télé (Entretien N°2). Durant le souper-discussion, des personnes suggéraient une corrélation entre la place grandissante des technologies dans la communauté (téléphones cellulaires, internet, jeux vidéo) et le rehaussement de ce qu’ils identifiaient comme de l’individualisme, et avec ce dernier l’abaissement du niveau d’entraide communautaire et de certaines pratiques culturelles (comme lors des semaines culturelles). Il ne faut toutefois pas se méprendre: l’entraide, notamment celle intrafamiliale et interfamiliale, demeure bel et bien une force majeure des membres de la collectivité dans la vie de tous les jours.

Sur les plans culturel et collectif, l’accès et l’usage de Facebook comportent des aspects à la fois positifs et négatifs. Comme l’indiquait l’interlocutrice 7: «Facebook... Il y a des bons côtés, mais en même temps il y a des mauvais côtés. Ça fait que tu ne veux pas sortir de chez vous, que tu veux plus te coucher. Mais en même temps, pour quand tu veux informer le monde des activités, tu le publies sur Facebook. Ça permet ça ». L’interlocuteur 2 considère pour sa part que les réseaux sociaux lui offrent un espace dans lequel il était plus à l’aise de s’exprimer avec d’autres, tant les Atikamekw que les non-Atikamekw.

Il n’empêche que la totalité des personnes interrogées sur l’usage de Facebook à Manawan dénonçait l’impact négatif qui ressort souvent des publications ou des échanges entre les membres sur Facebook, ainsi que son trop grand usage, parfois au détriment des contacts «

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réels » plutôt que virtuels.

Lors du souper-discussion et dans le cadre des entretiens, des membres de la communauté faisaient valoir l’importance de mettre en place des stratégies pour «ré-humaniser» le contact entre les personnes, considérant qu’un grand nombre tend à s’isoler dans leur domicile, priorisant la socialisation via Facebook.

Jérôme, Biroté et Coocoo (2018) expliquent comment les réseaux Facebook permettent aussi l’expression de l’empathie, de la générosité et de la compassion entre les membres de la Nation, voire au-delà, comme par exemple lors d’un décès.

Cette omniprésence des réseaux sociaux et des échanges qu’ont les Atikamekw Nehirowisiwok avec des acteurs culturels de partout dans le monde contribue également à la transformation de la langue atikamekw. En effet, le fait de dialoguer avec des personnes qui parlent d’autres langues, comme le français ou l’anglais, les obligent à faire un choix quant à la langue à utiliser. Pour certains, il est plus simple et plus rapide d’utiliser le français que l’atikamekw lors des échanges écrits, compte tenu de la longueur des mots atikamekw. À ce propos, interrogé à savoir quelle langue il utilise sur Facebook, l’interlocuteur 10 qui maitrise l’Atikamekw, le français et l’anglais, expliquait:

Je communique souvent en français. J’ai des amis allochtones et quand ça les concerne je parle plus le français. Quand ça concerne plus ma famille, mes amis ou la communauté, j’utilise l’atikamekw. J’ai des amis aussi comme ma belle- sœur qui est anglophone. Donc j’utilise aussi l’anglais parfois. Maintenant, il y a l’onglet « traduction » sur Facebook. Donc ça aide (Manawan, été 2019). La majorité des usagers atikamekw de Facebook s’expriment autant en français qu’en atikamekw sur le réseau, selon les contextes :

JB: « Dans quels contextes utilises-tu le français et dans quels autres contextes utilises-tu plus l’atikamekw? »

Interlocutrice 7 [qui communique en atikamekw et en français, sur Facebook]: Par exemple, quand je dois contacter les parents [dans le contexte de son travail], dans un groupe Facebook du service de garde, parce qu’il n’y a pas juste des Atikamekw, qu’il y a aussi des Québécois, c’est plus facile de juste parler en français. Et certaines personnes [Atikamekw] comprennent plus [à l’écrit] quand c’est en français que si c’était en atikamekw. Des personnes comprennent plus le français que l’atikamekw, parce que des fois ça peut prendre genre 5 minutes lire

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un mot [en atikamekw]. Puis quand j’utilise l’atikamekw, c’est plus quand je parle de trucs qui sont liés à mes émotions. Mais la plupart du temps, c’est plus en français que j’écris [sur Facebook]. Même quand je parle avec mes amis sur Messenger des fois [en français]. Des fois, c’est en atikamekw, mais des fois en français. C’est parce que c’est moins long écrire en français. Ce qui est en train de tomber, c’est l’écrit [atikamekw écrit]. Des fois, avec mes amis, on regarde les publications des plus jeunes, environ entre 15 et 20 ans, et on voit vraiment qu’ils scrappent déjà la langue par l’écrit. Des jeunes sont vraiment en train de scrapper l’écriture. Ils écrivent comme ils parlent. Mais en même temps, ça ressemble vraiment à ceux qui parlent «franglais» [amalgame entre la langue anglaise et française, mais en référence à l’amalgame entre le français et l’atikamekw]. Ils transforment des mots atikamekw pour les mettre en français [à l’écrit]. Fait que si l’enfant veut apprendre le français, il peut le faire, mais il faut maintenir l’atikamekw oral à la maison, selon moi (Manawan, été 2019).

Cet amalgame qui s’observe de plus en plus entre les langues atikamekw et française est favorisé par les distinctions dans les manières de prononcer les lettres entre ces deux langues. L’alphabet atikamekw est distinctif81, ainsi que les manières de nommer et de saisir les mots et leur étymologie82.

Le dernier chapitre présente certaines stratégies mises en place par les Atikamekw Nehirowisiwok, pour favoriser le dialogue et le rapprochement avec les non-Atikamekw.

81Sur l’alphabet atikamekw, voir https://www.atikamekwsipi.com/fr/services/services-educatifs-linguistiques-et-culturels/alphabet? 82Une Atikamekw iskwew m’expliquait l’étymologie du mot «fraise» en atikamekw: Fraise= Otehiminan. «Otehi», qui signifie «un coeur», parce que la fraise ressemble à un coeur, et «minan» qui est la terminaison générale pour fruit avec des pépins.

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Chapitre 5 Les initiatives de rapprochements avec les non-Atikamekw

Le Rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (2005, volume 6: 3) aborde la démarche de « réconciliation »83 entre les collectivités autochtones et non- autochtones comme une démarche où:

Il s’agit de réparer les erreurs du passé d’une manière qui vient à bout des conflits et établit une relation saine et respectueuse entre les peuples, et pour l’avenir. C’est dans ce contexte que la Commission de vérité et réconciliation du Canada a abordé la question de la réconciliation. Pour la Commission, la « réconciliation » consiste à établir et à maintenir une relation de respect réciproque entre les peuples autochtones et non autochtones dans ce pays. Pour y arriver, il faut prendre conscience du passé, reconnaître les torts qui ont été causés, expier les causes et agir pour changer les comportements. Nous n’y sommes pas encore. La relation entre les peuples autochtones et les peuples non autochtones n’est pas une relation de respect mutuel. Ainsi, dans le contexte actuel, malgré l’amorce relativement récente de ces dits processus de « réconciliation » entre les collectivités autochtones et l’État canadien, dans les années 1990, la relation entre ceux-ci peine souvent à en être une de respect mutuel et de réciprocité. En effet, les legs coloniaux continuent de colorer les relations entre les membres de la communauté de Manawan, l’État et les non-Atikamekw.

C’est pourquoi, d’un côté comme de l’autre, il demeure actuellement essentiel de maintenir les efforts de rapprochements entre les peuples. Ces démarches se situent dans une visée de coexistence respectueuse entre les Atikamekw Nehirowisiwok et les membres de la société majoritaire. La nation atikamekw met ainsi de l’avant diverses démarches et initiatives afin de favoriser un tel rapprochement et un dialogue entre les peuples. Ce chapitre présente quelques-unes de ces initiatives.

5.1 Stratégies politiques et éducatives de rapprochements Vaincre les stéréotypes, les préjugés et la méconnaissance

83Sarah Clément (2007: 79) relevait que « Chez les Autochtones du monde entier, le mouvement et l'amorce de processus de guérison et de réconciliation sont associés au mouvement de commémoration des faits historiques, de la nécessité de briser la loi du silence et le cycle intergénérationnel de l'oppression et des abus, de dénoncer collectivement les abus de toutes formes ainsi que de réaffirmer leurs cultures et identités propres ».

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Les relations entre les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan et les non-autochtones influencent de plusieurs façons la manière dont se (re)définit l’identité culturelle des premiers. Ainsi, alors que nous échangions sur sa conception de son identité culturelle, l’interlocutrice 6 établissait un lien entre celle-ci et la perception des non-Atikamekw à son égard:

« OK. C’est un Autochtone qui vient d’une réserve. Ahhh ok elle vient d’une communauté. Elle doit venir d’une place de pauvre ». En tous cas, c’est ce que je pense que les personnes pensent de moi, quand je me présente comme Atikamekw. Mais on n’est pas que ça. On est un peuple qui s’unit, qui se respecte. On a des connaissances particulières au sujet des traditions. Dans le bois on a des connaissances qui nous permettent de survivre. Si, mettons, on est perdus sur une île on saura se débrouiller. On ne fera pas que pleurer sur notre sort. Il y a de l’espoir, parce que les connaissances traditionnelles nous permettent de nous débrouiller. On est un peuple résilient (Manawan, été 2019). La reconnaissance de ces particularités par les non-Autochtones a souvent été soulignée par mes interlocuteurs comme manière de se sentir reconnu pour ce qu’ils sont et non sur ce que les non-autochtones pensent qu’ils sont. Certains interlocuteurs ont souligné le manque de connaissance des non-Autochtones à l’égard des réalités autochtones. Ainsi, lors du souper- discussion, alors que nous discutions des rapports entre les Atikamekw Nehirowisiwok et les non-Autochtones, une des personnes suggérait l’importance, pour lui, que les non- Autochtones soient informés sur le nombre de Nations autochtones distinctes au Québec. Il déplorait qu’ils soient tous englobés sous l’étiquette « d’autochtones » (ou même « d’Indiens84 »), sans distinction des Nations spécifiques, ou encore qu’ils soient perçus soit de manière romantique, soit avec des regards teintés de préjugés.

Plusieurs interlocuteurs ont affirmé leur souhait que soient déboulonnés plusieurs préjugés et stéréotypes les concernant. Les représentations à leur égard oscillent entre deux extrêmes : une image romancée et « traditionaliste », inspirée des pow-wow (voir section 5.3) ou alors celle d’une « collectivité à problèmes ». Des interlocuteurs ont exprimé le poids d’un autre stéréotype, celui voulant que les membres des Premières nations vivent dans le luxe soi- disant parce qu’ils sont exempts de taxes et d’impôt. Face à toutes ces méconnaissances,

84À quelques moments, j’ai entendu des membres de Manawan de la génération des pensionnats s’auto-identifier eux-mêmes comme « Indiens », lorsqu’ils discutaient de leurs relations avec les non-Autochtones.

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stéréotypes et préjugés, ils souhaiteraient être davantage entendus et surtout pris plus au sérieux.

Initiatives d’éducation des non-Autochtones

Cette méconnaissance des non-Autochtones à l’égard des Autochtones est particulièrement bien exposée dans le témoignage suivant de l’interlocutrice 7 qui a fait ses études secondaires en milieu urbain. Or, souligne-t-elle, pour arriver à une meilleure compréhension mutuelle, il faut se montrer ouvert à l’Autre (voir aussi Jullien, 2008, 2009, section 1.1.6) :

À un moment donné, alors que j’étais en secondaire 4 (en milieu urbain), on avait des cours d’histoire et on voyait l’histoire du Canada. Le prof est venu me voir, à un moment donné. Il m’a dit: « toi, tu n’as pas l’air d’une Québécoise. Est-ce que je peux savoir ta nationalité? ». Je lui ai dit que j’étais autochtone. Fait qu’il m’a dit: « OK. On va avoir une discussion, tantôt, puis je vais te demander de ne rien dire pour le moment. Je vais te laisser un droit de parole, à la fin ». C’était la journée où il parlait des Autochtones. Fait qu’il a laissé parler les autres élèves dans la classe. Il voyait les mythes et les réalités. Il voulait voir ce que les autres savaient sur le sujet, versus ce qui en était avec moi. Il y en avait une qui disait: « les Autochtones ne payent pas de taxes ». Tu sais, elle nommait des stéréotypes (au sujet des collectivités autochtones). Et c’est ce qu’ils ont ressorti pas mal (des stéréotypes). Mais à un moment donné, le prof a dit: «si je vous dis qu’il y en a une (autochtone) dans la classe: qu’est-ce que vous allez faire? ». Il a dit qu’il y en avait une dans la classe et il m’a demandé de me lever et de me présenter. Fait que ça a parti de même. Et la personne du cours qui n’arrêtait pas de présenter des préjugés est revenue me voir, après pour que l’on continue la discussion, parce qu’elle voulait en savoir plus en profondeur (sur sa réalité). Aujourd’hui, bien que des gens se disent être victimes de racisme, je te dirais ne pas l’avoir vécu, ça. Parce que mon ouverture d’esprit était là. Je voulais aussi en savoir plus sur eux (allochtones), comment est-ce qu’ils (non-Autochtones) vivent à la maison versus comment moi je vis à la maison (communauté autochtone). On était des jeunes du secondaire, mais on voulait en apprendre plus mutuellement sur l’autre (Manawan, été 2019). Afin de palier à ce manque de compréhension et de connaissance des non-Autochtones, l’UQTR (Université du Québec à Trois-Rivières) a créé, en 2019, en collaboration avec Christian Coocoo, Coordonnateur des Services culturel au Conseil de la Nation Atikamekw, le cours Culture, langue et littératie en contexte autochtone. Ouverts à tous, ce cours propose d’initier aux cultures et aux réalités autochtones, avec un accent sur la Nation Atikamekw Nehirowisiw. Tout au fil de la session, des invités autochtones viennent partager et discuter des enjeux autochtones actuels.

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C’est aussi dans l’optique d’éduquer les non-Autochtones aux réalités autochtones qu’a vu le jour l’ouvrage Mythes et réalités sur les peuples autochtones de Pierre Lepage (dont la première édition a été publiée en 2002 et qui est maintenant rendu à sa 3e version). Provenant d’une collaboration entre la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJ) et l’Institut Tshakapesh: « l’idée du livre a germé suite à la crise d’Oka de 1990. « Il y a eu une coupure entre les Québécois et les Premières Nations. Il y a eu une montée de racisme dans la population en général. Des mythes et des préjugés se sont propagés et un fossé s’est créé », expliquait la directrice générale de l’Institut Tshakapesh85 » (Le Nord-Côtier, 2019). Parmi les facteurs contribuant aux écarts qui peuvent s’observer, dans le dialogue entre les cultures (autochtone et non-autochtone, dans ce cas-ci), Jullien (2008) dénotait celui de la langue, considérant entre autres leur pluralité et les nombreuses conceptions qu’elles portent avec elle. La connaissance de la langue nehiromowin par les non-Atikamekw représenterait bien entendu un atout considérable aux rapprochements entre les peuples, en contribuant à favoriser une compréhension mutuelle des codes linguistiques et à la légitimation de la langue atikamekw par la société majoritaire. Nous sommes encore loin de cet objectif. L’interlocuteur 12 rappelait comment au siècle dernier leur langue était qualifiée par les missionnaires comme « langue du diable ».

Alors que nous échangions sur ses expériences en milieux urbains, l’interlocutrice 9 me disait qu’elle adopte souvent un profil bas afin de ne pas trop se faire remarquer et ne pas attirer l’attention. Elle préfère d’ailleurs parler en français à ses enfants lorsqu’ils sont en ville :

Interlocutrice: Quand je vais en ville, je me dépêche à faire mes affaires. Je ne suis pas du genre à jaser avec quelqu’un juste de même. Mais quand on me pose des questions, je peux répondre. Mais il y a toujours un peu de méfiance par rapport aux choses qu’on pourrait se faire dire [par les non-autochtones, en ville]. Même quand on se déplace avec mes enfants. Je leur dis qu’il faut rester tranquille. De faire comme si c’était la première fois qu’ils [non-autochtones] voyaient des Indiens. JB: Donc, comme je le comprends, est-ce que c’est comme si tu sentais une pression pour ne pas alimenter des préjugés concernant les autochtones... Donc que vous deviez avoir des comportements qui ne dérangent pas quand vous allez en ville? Interlocutrice: Oui, c’est ça! Et même j’ai plus tendance à parler en français avec

85https://lenord-cotier.com/mythes-et-realites-sur-les-peuples-autochtones-prend-du-coffre/

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mes enfants quand je vais en ville. Juste pour pas que les gens soient mal à l’aise. JB: Donc tu as l’impression que de parler ta langue devant les Québécois ça va les rendre mal à l’aise? Interlocutrice: Oui. Je me suis toujours sentie comme ça. Je ne sais pas pourquoi (Manawan, été 2019). Interrogée sur comment remédier à cette situation, cette même interlocutrice d’ajouter: « Ça serait le fun que les Québécois puissent apprendre à parler en atikamekw. Ou au moins que les Québécois apprennent la langue des nations qui sont proches d’eux. Je suis toujours étonnée de voir plein de gens essayer d’apprendre à parler l’atikamekw » (Manawan, été 2019). Quelques outils papiers et électroniques, dont un Manuel de conversation atikamekw et des fiches grammaticales atikamekw ont effectivement été développés au fil des années par les Services linguistiques du Conseil de la Nation atikamekw pour faciliter l’apprentissage de cette langue pour les non-Atikamekw, dont plusieurs que j’ai moi-même utilisés et qui m’ont été très utile dès mon arrivée à Manawan comme travailleuse sociale et lors de mon séjour à l’été 2019. 86 Les efforts pour développer de tels outils linguistiques se poursuivent. Ils s’adressent aux travailleurs non-Autochtones qui œuvrent au sein des communautés autochtones (à l’éducation, la santé ou autres), à ceux intéressés aux langues autochtones, mais aussi aux Atikamekw nehirowisiwok qui maîtrisent mal leur langue.

Officiellement lancé à la fin de juin 2020 et accessible sur le site web https://www.cerclekisis.com/, le Manuel d’initiation à la langue atikamekw, fruit d’une collaboration entre le Cercle Kisis87 et des locuteurs atikamekw est un autre outil visant à faciliter l’apprentissage de cette langue aux non-initiés. Une autre initiative est celle des cours d’initiation à la langue atikamekw offerts depuis peu en milieux urbains. Destinés au grand public, ainsi qu’aux Atikamekw Nehirowisiwok vivant en milieu urbain, de tels cours sont offerts à Québec et à La Tuque. Or, le développement et l’offre de tels programmes et outils nécessitent des ressources économiques ou humaines qui ne sont pas toujours au rendez-

86En octobre 2018, lors du forum sur la gouvernance et le droit Atikamekw (Atikamekw Nehirowisiw Otoperitamowina wir Tapirowe kitci mihitisotc) auquel j’ai pu assister, une des stratégies valorisées par les organisateurs pour permettre à l’ensemble des participants présents, Atikamekw Nehirowisiwok et non-Atikamekw de saisir les idées partagées, a été d’assurer la présence d’un service de traduction simultanée bilingue (voir annexe 11). 87Grâce à une initiative du Cercle Kisis, « un organisme à but non lucratif qui a pour mission d’œuvrer au rapprochement entre les peuples et au rayonnement des cultures autochtones. Ses objectifs principaux sont de promouvoir la richesse culturelle des Premiers Peuples, de susciter la rencontre, le partage et le rapprochement ainsi que de favoriser le respect de la diversité culturelle et une plus grande connaissance mutuelle » (https://www.cerclekisis.com).

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vous.

D’autres initiatives de dialogues et de rapprochements prennent aussi la forme de conférences ou forums réunissant des Atikamekw Nehirowisiwok et des non-Atikamekw. Au fil des ans, plusieurs de ceux-ci ont été organisés par les Services culturels du Conseil de la Nation Atikamekw (CNA), mais aussi de manière autodidacte par divers acteurs de Manawan. Par exemple, à la fin de juin 2020, j’ai été invitée à participer à une conférence/forum en ligne sur comment penser une éducation qui soit plus spécifiquement Atikamekw Nehirowisiw88. L’événement est organisé par une personne de Manawan qui travaille à l’école secondaire. Le contexte de la pandémie justifie leur choix de tenir l’évènement en ligne.

Au sujet de la structure de l’événement, l’organisateur a spécifié:

J'ai pensé faire une formule de 8 jours, pour permettre aux gens des autres communautés atikamekw (Wemotaci et Opitciwan) également de réfléchir sur les questions qui seront traitées. Et, qu'ensemble, en ligne, nous commençions une réflexion sur un premier jet de programme à valoriser (sur le plan de l'éducation de la langue et culture, mais également pour l'histoire des Atikamekw). D’ailleurs, le mode de vie nomade ancestral des Atikamekw impliquant les allers et venues y sont pour quelque chose dans cette formule. La formule 8 jours, également considérant la place du cercle dans la culture. 2 journées pour compléter un quart de cercle. Dans un contexte, souligne-t-il « où les Atikamekw Nehirowisiwok souhaitent conserver et valoriser leur identité et leur culture », il a choisi de m’inviter à participer à ce forum afin de ne pas perdre de vue l’importance de ce dialogue et de ce rapprochement avec les non- Atikamekw. Les deux autres sous-sections sont consacrées à d’autres stratégies mises de l’avant par des Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan qui visent à ouvrir ce dialogue avec les non-Atikamekw.

5.2 La Marche Motetan mamo La marche Motetan mamo (Marchons ensemble), à laquelle j’ai participé au cours de l’été 2019, en était à sa 7e édition et s’est tenue du 27 juillet au 3 août. Cette marche, qui sert aussi de collecte de fonds par le biais des frais d’inscription que doivent défrayer les marcheurs, vise, entre autres, à favoriser le rapprochement entre les peuples (autochtones et non-

88L’événement a toutefois été reporté à une date ultérieure.

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autochtones), à contrer ou à réduire le phénomène du racisme, ainsi qu’à sensibiliser la société québécoise aux nombreux embûches et problèmes d’accès aux services de santé en milieu urbain que rencontrent les nations autochtones en général, et plus spécifiquement la nation Atikamekw Nehirowisiw de Manawan. La marche Motetan mamo représente également un espace d’engagement supplémentaire pour les marcheurs par le fait de solliciter des fonds auprès des passants, et ce tout au cours de la marche, afin d’aider financièrement les membres de la communauté nécessitant des soins, notamment de dialyse, et donc de l’hébergement de longue durée en milieu urbain. En effet, le diabète non contrôlé représente la principale cause d’insuffisance rénale pouvant nécessiter des traitements de dialyse et donc un séjour en milieu urbain, le centre de santé de Manawan n’étant pas équipé pour ce genre de soins89.

Selon la défunte France Robertson 90 , ex-directrice du Centre d’amitié autochtone de Lanaudière (CAAL) et impliquée auprès de la communauté de Manawan et ainsi que dans la Marche Motetan mamo: « Les fonds recueillis durant la marche permettent de soutenir les malades et leur famille qui vivent à la fois un déracinement de leur communauté d’appartenance et les répercussions d’un diagnostic. Nous défrayons des coûts ponctuels liés à des frais de médicaments, de transport, d’hébergement et d’équipement médical non remboursés ». Au moment de m’inscrire à l’événement, Richard Moar91, l’instigateur de la marche, me confiait en ces termes :

Ce que je veux déplorer le plus dans ce que vivent ces personnes en traitement de dialyse, c’est qu’ils sont bafoués au niveau de leur identité et de ce fait n’ont plus le droit au financement pour leurs loyers et allocation alimentaire ou autres dépenses. Au début ces personnes sont hébergées dans des foyers pour autochtones pendant trois mois et après trois mois, elles doivent se prendre un appartement en ville, selon Santé Canada. Une fois qu’elles sont en appartement en ville, leur statut change de hors réserves à citoyens, ayant une adresse permanente dans cette ville. De ce fait, Santé Canada ne débourse plus le loyer et les allocations alimentaires de ces personnes. Et pourtant ces personnes ont

89La population de Manawan présente à tous les âges, mais particulièrement chez les plus jeunes, des taux de diabète supérieurs à ceux de Lanaudière et du Québec (Agence de la santé et des services sociaux de Lanaudière, 2010 : 10). 90D’ailleurs, l’édition 2019 de la marche Motetan mamo était dédiée à France Robertson. 91Richard Moar a accepté d’être identifié nommément dans ce mémoire. L’idée de mettre en place une telle marche vient de celui-ci, âgé de 63 ans et natif de la communauté de Manawan. En 2011, Richard Moar a lui-même subi certaines discriminations alors qu’il accompagnait sa femme, aujourd’hui défunte, qui devait recevoir des traitements de santé en milieu urbain. Inspiré de la situation impliquant sa femme, il a pris les devants pour demander une collaboration avec des intervenants du CAAL pour instaurer une marche visant à sensibiliser les non-Autochtones à cette discrimination. Ceux-ci ont accueilli positivement l’idée. Antérieurement policier, Richard est maintenant coordonnateur du programme de justice communautaire Atikamekw, à Manawan.

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quitté leurs communautés pour cause de maladie, puisqu’il n’y a aucun service de traitement de dialyse dans les communautés. Cette marche répond en cela à divers impératifs, que ce soit sur le plan identitaire et culturel, des relations entre nations, social et politique, ainsi que sur le plan de la santé physique et de l’intégrité humaine et culturelle.

Composition du groupe (marcheurs et bénévoles) et motivations des marcheurs

Pour l’édition 2019, la Marche a débuté le 27 juillet du Centre d’amitié autochtone de Lanaudière situé à Joliette pour se terminer le 3 août par une grande entrée sur le site du pow- wow de Manawan. La marche de sept jours consiste à parcourir près de 190 kilomètres sur une route passante asphaltée, entre Joliette, Sainte-Mélanie, Saint-Jean-De-Matha, Sainte- Émilie-De-l’Énergie, Saint-Zénon et Saint-Michel-Des-Saints, ainsi que près de 90 kilomètres sur un chemin de gravier (chemin forestier route M-650), entre Saint-Michel-Des- Saints et Manawan.

Lors de la première édition, en 2013, il y avait dix marcheurs (dont deux Allochtones, sans compter ceux qui se joignaient au groupe pour quelques kilomètres seulement). Initialement, la marche s’amorçait à Manawan et se terminait à Joliette et avait lieu vers la mi-juin. Or, afin de souligner l’arrivée des marcheurs durant le pow-wow de Manawan au mois d’août, le moment du départ et l’itinéraire ont été modifiés.

Pour l’édition 2019, 26 femmes et 9 hommes ont pris part à l’une ou l’autre ou l’ensemble des étapes de la marche. Cela, sans compter l’ensemble des bénévoles, majoritairement des Atikamekw Nehirowisiwok, pleinement impliqués et ayant tout autant contribué au déroulement de l’événement. Parmi les marcheurs, 18 d’entre eux étaient de la nation Atikamekw Nehirowisiw. Ces derniers provenaient de Manawan, de Joliette et de Wemotaci. Cette édition comptabilisait également 17 marcheurs non-autochtones provenant de diverses régions du Québec (Montréal, Lanaudière, Québec...) et de la France. Les âges des marcheurs variaient de 11 ans à 70 ans. Du côté des marcheurs non-autochtones, certains étaient inscrits en famille, en couple ou sur une base individuelle. Concernant les Atikamekw Nehirowisiwok, certains étaient de la même famille élargie, alors que d’autres participaient sur une base individuelle.

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Les profils des participants, tant Atikamekw Nehirowisiwok que non-Autochtones, ainsi que les motivations de participation à la marche étaient variées. Tous avaient la volonté d’offrir leur support à la cause ou à ouvrir le dialogue entre les nations. Certains en étaient à leur première participation, d’autres avaient déjà réalisé l’expérience au cours des années antérieures. Par exemple, une famille de trois marcheurs non-autochtones (deux adultes et une adolescente) était d’origine française et avait décidé, pour la seconde fois, de consacrer une semaine de leurs vacances au Québec en réalisant cette marche. Ils avaient pris connaissance de la Nation atikamekw et de la marche via un moteur de recherche, et sur la base d’un intérêt préalable envers les collectivités autochtones.

Interrogées sur leurs motivations à prendre part à la marche Motetan mamo, deux participantes non-autochtones expliquaient: « Moi, Jessica, c’est à la télévision sur la chaîne APTN que j’ai été sensibilisée sur les causes de la marche. Comme j’avais un intérêt respectueux pour les Premières Nations j’ai fait des recherches pour retrouver les organisateurs et pour faire les démarches pour y prendre part... Il y a maintenant 3 ans » (femme non-autochtone dans la cinquantaine, accompagnée de son conjoint).

« Pour moi, j’ai réagi à la lecture de « Mythes et réalités des peuples autochtones »92 que j’avais découvert dans la bibliographie d’un cours universitaire. J’ai écrit une publication sur la page d’un réseau enseignants et une amie d’une autre participante m’a contactée et a proposé de me mettre en contact avec cette autre participante qui m’a parlé de la marche » (femme non-autochtone dans la quarantaine).

Une iskwew (femme) de la nation Atikamekw Nehirowisiw âgée d’environ quarante ans qui participait seule me confiait que cette première participation à la marche représentait pour elle, et de concert avec d’autres changements dans sa vie, un défi personnel et une manière d’inscrire un renouveau dans sa vie. Cela, par le fait d’avoir un espace d’introspection et de dépassement de ses limites personnelles. Une autre marcheuse atikamekw de la communauté de Manawan était motivée quant à elle par le fait de parcourir le même chemin que ses ancêtres. D’ailleurs, après avoir été informés de ma participation à cette marche via les réseaux sociaux, des Atikamekw Nehirowisiwok m’ont exprimé de manière très positive le

92Lepage, 2019, Mythes et réalités sur les peuples autochtones.

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fait que j’aie parcouru le territoire de leurs ancêtres (Nitaskinan).

Un non-Autochtone dans la cinquantaine qui s’identifie comme missionnaire-pasteur des églises évangéliques et qui est impliqué depuis plusieurs années à diverses étapes de la marche (en accompagnant ou en aidant, soit lors du départ ou de l’arrivée des marcheurs), en était à sa première participation à part entière. C’est par le biais de son implication comme missionnaire-pasteur qu’il a été informé de l’existence de la marche Motetan mamo. Il m’expliquait:

Mon désir avec cette marche est d'apprendre comment vivre ensemble, aujourd'hui, dans le respect et dans l'accueil de nos différences. L'histoire nous révèle les horreurs des pensionnats. Aujourd'hui, il y a encore des conséquences de cela, mais il y a aussi de l'espoir. Apprendre à se connaître, à rire, à pleurer, à se découvrir. Selon moi, la marche est un moyen de nous rapprocher, pour mieux se découvrir les uns les autres, pour être « ambassadeur » de nations à nations, pour être un acteur de changement dans les mentalités. Durant la marche, nous vivons un échange où chacun enrichit l'autre. Je suis blanc, donc je refuse d'être leur « guide » leur pasteur mais un ami, un frère qui marche à leur côté. Un non-Autochtone d’une cinquantaine d’années avait été informé de l’existence de la marche par l’intermédiaire de sa conjointe qui suit des traitements de dialyse dans la région de Lanaudière. C’est ainsi que, déjà sensibilisé à la situation des personnes nécessitant des traitements de dialyse, il a rencontré Richard Moar, instigateur de la marche.

Description de la marche (logistique)

Sur le plan logistique, chacun des participants devait s’équiper d’une tente (individuelle, de couple ou de groupe), d’un sac de couchage et de l’ensemble des effets pour se vêtir et pour assurer son hygiène. Le matin, chaque marcheur démontait sa tente et rangeait tous ses effets dans la remorque, transportée par les bénévoles atikamekw. Ces derniers s’assuraient, tout au long de la marche, de mettre à notre disposition des points de ravitaillement (eau, collations et/ou diner, selon les distances à parcourir). Nous n’avions pas accès à l’électricité, outre via un générateur portable qui permettait aux bénévoles de préparer le déjeuner et le souper. Plusieurs d’entre nous profitions de cette source d’électricité pour recharger nos téléphones cellulaires utilisés, par exemple, pour la transmission des informations concernant la marche ou pour la prise de photos.

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Les conditions météorologiques n’empêchaient pas le déroulement de la marche. Nous marchions, peu importe la météo : pluie, chaleur, vent... Chacun devait s’adapter et adapter ses équipements et son habillement en conséquence. Il en allait de même sur les 90 kilomètres de chemin de gravier entre Saint-Michel-des-Saints et Manawan. Au moment du passage des voitures et des camions forestiers, nous devions nous adapter et nous protéger de la poussière et du gravier. En marchant dans ces conditions, je réalisais mieux les relations avec le milieu ambiant et comment celles-ci sont mises en actes, en engageant la personne toute entière.

Sur le plan davantage politique et citoyen, il faut également souligner que des « ententes de solidarité » ont été convenues, notamment, dans le cadre de la marche Motetan mamo, entre la communauté de Manawan et les municipalités avoisinantes. Depuis la première édition de 2013, les municipalités de Saint-Michel-Des-Saints, de Saint-Zénon, de Sainte-Mélanie, de Joliette et de Repentigny sont partenaires de la marche. On pourrait parler ici en quelque sorte d’un projet de vie (Blaser 2004, voir aussi la section 1.1.4). Soulignons, parmi de telles ententes, la Déclaration de solidarité - entente de relation de nation à nation (signée le 21 juin 2014, la Journée nationale des Autochtones), entre le chef de la communauté de Manawan de l’époque, Jean-Rock Ottawa, le maire de Joliette ainsi que le président du Centre d’amitié autochtone de Lanaudière (CAAL, s.d: 5). Durant la marche, ces ententes de solidarité se manifestaient, par exemple, par l’accès à certains espaces publics des municipalités ou par l’offre de repas aux marcheurs par des commerçants ou restaurants de ces municipalités. Comme ce fut le cas pour le maire de la municipalité de Saint-Michel- Des-Saints, les représentants municipaux peuvent aussi profiter de ces occasions pour échanger avec les membres de la communauté de Manawan. Le chef de la bande de Manawan s’était également joint aux marcheurs, à certains moments, en fin de journée, en guise de support.

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Figure 3: Les marcheurs, bénévoles et organisateurs, membres politiques locaux et fédéraux, peu de temps avant l’entrée des marcheurs sur le site du pow-wow de Manawan. Photo de l’auteure, Marche Motetan mamo, été 2019

Déroulement d’une journée de marche

Durant une journée typique, les marcheurs se levaient à l’aube, approximativement entre 4h30 et 7h30, après une nuit sous leur tente, installée par eux-mêmes ou par les bénévoles. Après le déjeuner communautaire préparé par les bénévoles, et sans indications claires sur l’heure de départ (entre 9h00 et 10h30, environ), nous rangions chacun nos effets dans la remorque. Au coup de sifflet de Richard Moar, l’instigateur principal de la marche et guide/leader spirituel93 de l’événement, nous nous regroupions en cercle. De façon assez ritualisée, Richard sortait alors son tambour 94 pour en jouer, tout en nous transmettant quelques paroles et chansons95. Le chant et la musique, au travers du tambour, sont valorisés chez les Atikamekw nehirowisiwok, notamment en contexte cérémoniel (voir Jérôme, 2010 a et b). Ensuite, Richard faisait le tour des marcheurs dans le cercle: « miro mote » (bonne marche), nous disait-il, en nous regardant droit dans les yeux96, avant que nous transmettions,

93Identifié ainsi par certains participants à la marche, majoritairement par des Atikamekw Nehirowisiwok, mais aussi par certains non- Autochtones, étant donné que celui-ci symbolisait une source de référence par excellence pour nous guider sur le déroulement de la marche. 94À propos du tambour, Jérôme écrit : « Alors que le tambour a sans doute été la cible la plus visible des politiques d'éradication missionnaires partout au Canada, il est aujourd'hui revendiqué comme un symbole de résistance et brandi comme une manifestation supplémentaire de la continuité des traditions atikamekw dans le contexte actuel » (Jérôme, 2010a: 222). 95Questionné à ce sujet, un interlocuteur atikamekw m’expliquait que les chansons (rythmes et paroles) apparaissaient souvent à l’esprit de ceux qui les partagent comme des visions ou révélations, par exemple, au travers des rêves. 96Si une personne portait des lunettes de soleil, par exemple, elle devait les retirer, à ce moment, pour permettre un contact direct avec les yeux. C’est ce qu’une personne Atikamekw a rapidement pris le temps de m’expliquer, alors que je portais une paire de lunettes et que mon tour approchait.

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chacun notre tour et de la même façon, ces souhaits à notre famille de marcheurs.

À chacune des étapes franchies, généralement vers les fins de journée, les marcheurs recevaient une plume qu’ils pouvaient transporter avec eux sur leur bâton de marche. Lors de la dernière étape, chacun a reçu un sac de médecine. On m’expliquait que celui-ci portait une symbolique sacrée, soit celle de guider et de protéger celui qui le reçoit ou le porte.

À la fin de chaque journée, des gens de Manawan, toutes générations confondues, venaient se joindre aux marcheurs pour des soupers communautaires, en guise de support et d’encouragement. Par ailleurs, plus nous nous approchions de Manawan, plus ceux-ci étaient nombreux à se joindre à nous, avant de repartir en fin de soirée. Dans ces moments, les relations entre Autochtones et non-Autochtones variaient, selon les contextes, les liens préétablis et les personnes impliquées. Certains non-Autochtones se joignaient aux familles, d’autres préféraient s’en abstenir. Quant aux enfants Atikamekw, ils se joignaient rapidement et facilement aux non-Autochtones.

Relations entre les marcheurs

Chez les marcheurs, c’est le processus qui est valorisé et mis au cœur de l’activité, plutôt que l’esprit de compétitivité. Ainsi, aux termes de la journée de marche, chacun recevait des encouragements, qu’il soit le « premier » ou le « dernier », qu’il ait marché ou non la totalité de la distance.

Les balises temporelles valorisées par la société occidentale, soit celles structurées en heures, étaient mises de côté, durant la marche, pour faire place à des repères temporels en termes de « distances ». Nous ne nous transmettions pas d’indications en fonction des heures, mais des distances: « dans 18 kilomètres, nous pourrons manger ». Il nous était ainsi plus facile et propice d’appréhender le temps et la distance parcourue. Il va sans dire que les journées de marche de plusieurs heures étaient des moments propices pour échanger et discuter. À chacun des moments de la journée, plusieurs formes d’échanges avaient lieu entre les participants autochtones et non-autochtones. De plus, outre les intérêts mutuels entre les marcheurs, les relations et les interactions entre ceux-ci dépendaient grandement des points de rencontre et de leur cadence. De ce fait, à certains moments, des marcheurs atikamekw ou non- autochtones marchaient en solo, à d’autres moments, les groupes étaient formés uniquement

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d’Atikamekw ou uniquement de non-Autochtones et à d’autres occasions, il s’agissait de groupes mixtes (Autochtones et non-Autochtones). Les sujets de conversation étaient certes variés. Les moments passés avec les Atikamekw ont permis aux non-Autochtones (dont je fais partie) d’en apprendre davantage sur différents sujets les concernant ou encore sur la langue. Pour ma part, ayant déjà une connaissance de base de la langue, j’ai pu enrichir mes connaissances.

L’entrée sur le Nitaskinan

Le matin du départ de Saint-Michel-des-Saints alors que nous franchissions le chemin forestier de Manawan, soit l’entrée sur le Nitaskinan (territoire Atikamekw Nehirowisiw), on nous a demandé de prendre une poignée de tabac que nous devions répandre au sol. Chez les Autochtones, le tabac, lorsque dispersé ou brûlé, porte une dimension sacrée et un lien fort avec les ancêtres. Concernant d’ailleurs ce lien avec les ancêtres, plusieurs Atikamekw portaient avec eux, que ce soit attaché sur leur bâton de marche ou sur leur sac, des photos de leurs proches décédés. Tous les marcheurs avaient aussi reçu une photo de la défunte France Robertson afin qu’elle nous accompagne tout au long de la marche. Chez les Atikamekw, comme ailleurs, « le deuil passe par une matérialisation de l’absence » (Jérôme et al. 2018: 74).

Dès notre entrée sur le Nitaskinan, soit quelques kilomètres après notre départ de Saint- Michel-Des-Saints, il était possible d’entendre, sous forme d’humour, des manifestations de réaffirmation à l’égard des non-Autochtones que nous nous trouvions dorénavant sur le territoire Atikamekw Nehirowisiw: « Hé, toi, mêle-toi de tes choses, nous sommes sur notre territoire, ici », en réponse à d’autres taquineries. Sur une base régulière d’ailleurs, j’ai constaté plusieurs manifestations d’humour, d’entraide et de partage entre les marcheurs: partage de la nourriture et de breuvages, prêts d’équipements pour ceux qui en manquaient et accueil à des camps permanents établis sur le territoire familial. Des familles de Manawan nous ont chaleureusement accueillis sur leur territoire, ont pris de leur temps et de leur nourriture pour nous permettre de manger ou d’y dormir (dans nos tentes).

Durant la marche, certains Atikamekw Nehirowisiwok ont pris le temps de partager avec moi leurs savoirs sur la nature et notamment sur les propriétés médicinales de certains arbres et

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plantes. On m’a aussi sensibilisée à l’importance et à la légitimité, souvent effacées ou dénigrées par la société occidentale, du non-humain et/ou de l’invisible. On m’a expliqué la place et le rôle de certains esprits; ceux par exemple qui avaient des bienfaits pour le foie, ou d’autres pour le cœur. De façon parallèle, quelques semaines plus tard, j’ai eu une discussion avec un Atikamekw sur l’importance des esprits et du non-humain. Il soulignait : « moi, j’y crois ». Pour lui, il est donc important de faire attention à ce que nous disions et pensions des autres et de ne pas avoir l’esprit de vengeance dans la mesure où cela pourrait avoir des effets néfastes réels sur les autres. Durant la marche, les occasions d’échange ont ainsi permis de mettre de l’avant certaines différences ontologiques dans la façon d’appréhender, de vivre et d’entrer en relation avec les non-humains (voir, par exemple, Poirier, 2016 et Kohn 2015). Ceci particulièrement alors que nous nous trouvions sur le chemin forestier et le Nitaskinan.

Une fois le soir venu, les relations entre Autochtones et non-Autochtones variaient selon les circonstances et les personnes présentes. Parmi les marcheurs non-autochtones, certains étaient peu familiers avec la nation Atikamekw Nehirowisiw. Ce qui en conduisait certains, dont une dame âgée dans la cinquantaine, à se mettre en retrait afin d’adopter davantage une posture d’observatrice. Mais, en règle générale, même lorsque des membres des familles élargies se joignaient à notre groupe pour la soirée, les relations entre les Autochtones et les non-Autochtones étaient très conviviales. Un soir, des Atikamekw Nehirowisiwok ont montré à des non-Autochtones certains savoirs relatifs au sapinage, tout en les aidant à en déposer à l’entrée de leur tente. On m’avait expliqué déjà tous les bienfaits du sapinage: sa bonne odeur, le fait que les branches de sapin demeurent intactes et utilisables, en toute saison, et enfin, le sapinage est calorifique et isolant et un soulagement pour les poumons.

Plus nous approchions de Manawan, davantage d’Atikamekw se joignaient à notre groupe de marcheurs. Lors de l’avant-dernière journée de marche, au kilomètre 60 du chemin forestier de Manawan, alors tous réunis en cercle, plusieurs non-Autochtones ont partagé de façon très émotive ce que cette marche leur avait offert. Parmi les partages, beaucoup ont fait part de la beauté perçue chez les Atikamekw Nehirowisiwok. Durant cette même rencontre matinale, un marcheur non-autochtone ayant transporté avec lui les cendres de son défunt père avait demandé aux marcheurs Atikamekw Nehirowisiwok la permission de répandre les cendres dans l’un des cours d’eau du Nitaskinan. Nous avons tous été touchés par cette demande.

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Aucun des Atikamekw présents n’a affirmé directement à cet homme: « oui, nous consentons à ce que tu le fasses ». Ce dernier a alors insisté : « Est-ce que je peux? Est-ce que vous me donnez l’autorisation »? L’un des marcheurs atikamekw a alors dit: « Nos sourires étaient les réponses à ton questionnement. Oui, tu peux ». Ainsi, après plusieurs kilomètres de marche, une fois rendus au petit pont où il avait été convenu qu’il procède, les marcheurs ont tous attendu qu’il arrive, en guise de support et de solidarité. Richard Moar a alors fait remarquer que de mettre les cendres de cet ancêtre dans l’eau permettait au défunt un retour à la « grande source [de la vie]». Suite à ces paroles, et à ce qui est devenu une cérémonie improvisée habitée par le chant de Richard97, la marche a pu permettre ce rapprochement très symbolique entre la nation Atikamekw et la société non-autochtone.

Figure 4: Moment où le marcheur non-Atikamekw a répandu les cendres de son père sur le Nitaskinan. Photo de l’auteure

97Le même chant que celui de nos regroupements matinaux, mais sans être accompagné d’un tambour.

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La veille de notre arrivée à Manawan, une fois la journée de marche complétée et tous les marcheurs réunis en cercle sur le territoire de la famille atikamekw qui nous avait ouvert la porte de leur chalet (camp permanent établi sur le territoire familial), nous avons fait un rituel traditionnel98 en l’honneur de la défunte France Robertson. Ceci a pris la forme d’un rituel communautaire et public qui consistait à offrir aux « voyageurs » (personnes défuntes) un dernier repas (voir aussi Jérôme et al. 2018). Celui-ci consistait à ce que chacune des personnes présentes offre un morceau de nourriture de son repas (de chacun des aliments consommés et préparés par les membres de la communauté), pour constituer une assiette (et breuvage) pour la défunte. Ensuite, des personnes ont été invitées à déposer un morceau de nourriture dans le feu et à dire quelques mots. Une Kokominac (femme aînée) a été invitée à verser le breuvage dans le feu, une fois le repas transmis à France, via le feu.

Jérôme et Poirier (2018: 3) soulignent que dans les « mondes autochtones (...) la mort et les rites funéraires ont toujours été publics et collectifs ». Ceci, en termes d’accompagnements et de responsabilités à l’égard des défunts vers un autre monde. Cette même soirée, Richard Moar a aussi offert à chacun des marcheurs une purification des items portés avec eux et leur ayant permis de réaliser chacune des étapes de la marche.

Comme à de nombreux autres moments de la marche, l’humour s’était, une fois de plus, invité à cet instant. Lorsqu’une des marcheuses a pigé un morceau de salade dans l’assiette destinée à France, la défunte, Richard qui animait la cérémonie s’est exclamé : « France n’aimait pas la salade ». Ce qui a déclenché l’hilarité du groupe. En s’appuyant sur d’autres anthropologues (comme Beaulieu, 1990; ou Clastres, 1974), Jérôme (2010a) a d’ailleurs mis de l’avant cette importance accordée au rire chez les Atikamekw Nehirowisiw, à la fois dans les contextes rituels et comme stratégie de résistance. L’humour, écrit-il à propos des groupes autochtones en général, remplit « certaines fonctions de régulation de l’ordre social, permettant ainsi, l’évacuation d’épisodes de stress, de traumatismes, de conflits ou de tensions (Jérôme, 2010a: 33). À certains moments, ces instants de drôlerie pouvaient prendre la forme d’autodérisions, d’anecdotes amusantes, d’échanges parsemés d’éléments de surprises, de taquineries s’appuyant sur des stéréotypes, soit concernant les Autochtones ou

98Laurent Jérôme (2010b: 91) retient que « par rituel traditionnel, il faut entendre les pratiques et les savoirs, habituellement reconnus aux groupes algonquiens du subarctique, qui permettent d’exprimer et d’entretenir des relations sociales particulières avec les entités humaines et non-humaines qui peuplent l’environnement ».

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les non-Autochtones.

Après ce moment en l’honneur de France Robertson, tous réunis en cercle autour d’un feu, chacun des marcheurs a été invité à partager quelques mots, quelques heures avant la fin de la marche. Encore une fois, plusieurs ont partagé avec émotion l’immense rapprochement que cette démarche leur avait permis. À cette occasion, les Atikamekw Nehirowisiwok, généralement assez réservés, se sont exprimés ouvertement et avec émotion. La fin de ce parcours partagé où brillaient la solidarité et l’entraide approchait.

Durant la marche, l’imagination et les jeux de rôles ont régulièrement animé les interactions entre les marcheurs. Notre dernière soirée en est un bon exemple. Rassemblés en cercle, Richard Moar est entré au centre du cercle « armé » d’une pompe électrique pour matelas de camping qui ressemblait drôlement à une vieille caméra. Il a donc amorcé ce moment de jeu, comme s’il portait avec lui une caméra pour nous filmer. Il a alors fait le tour du cercle et « filmer » chacune des personnes présente. Nous avons tous, avec humour, joué le jeu et réalisé un film imaginaire de salutations à transmettre à des tiers imaginaires.

Au dernier matin, alors que nous franchissions les cinq derniers kilomètres sur le chemin de gravier, en direction de Manawan pour la grande entrée99 sur le site du pow-wow (voir section suivante), les femmes du groupe devaient impérativement porter une jupe, alors que les hommes devaient porter des pantalons. Juste avant l’entrée sur le site du pow-wow, un marcheur de Manawan nous a fait prendre, à nouveau, une poignée de tabac à relâcher sur le site du pow-wow. Ce moment permettait de célébrer et de mettre en valeur le processus de la marche, au sein même de la communauté.

Ainsi, la marche Motetan mamo a conduit l’ensemble des personnes impliquées à bénéficier à plusieurs niveaux de ces types de relations entre nations. Pour les non-Autochtones qui sont moins familiers ou qui ne sont jamais entrés en relation avec des Autochtones, la marche leur a offert une expérience inédite de rapprochement. Beaucoup d’échanges ont eu lieu, au fil des jours et des kilomètres. La marche offre aussi un espace durant lequel nous établissons un nouveau rapport avec le temps; c’est une expérience où le temps n’est pas compté, où le

99La grande entrée du pow-wow représente l'ouverture officielle de l’événement, durant laquelle se déroule un défilé, notamment avec les head dancers, le chef de Manawan et d’autres membres particuliers qui transportent avec eux des drapeaux significatifs pour la communauté (drapeau de Manawan, drapeau du centre d’amitié autochtone de Lanaudière, etc.).

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temps est autre, loin des « impératifs » de la productivité. Les conditions de cette expérience sont propices à faire appel à la solidarité et à l’entraide les uns des autres. Sans oublier la touche omniprésente d’humour. Je terminerai en soulignant qu’une telle expérience nous offre, du moins pour les personnes vivant en milieu urbain comme moi, l’occasion de faire appel davantage à notre autonomie. Pour les non-Autochtones, l’expérience leur a fait réaliser certains des privilèges et des facilités dont ils jouissent en milieu urbain, comparativement à ceux dans une communauté autochtone comme Manawan.

5.3 Le Pow-wow de Manawan En 2006 a eu lieu le premier Pow-wow de Manawan100, soit dix ans après celui de Wemotaci qui a débuté en 1996 (Giroux, 2015). Comme me l’ont expliqué des interlocuteurs nehirowisiwok, il s’agissait, en 2006, d’un moment clé pour souligner le 100e anniversaire de la communauté de Manawan, créée en 1906. L’idée provenait d’une femme de la communauté qui réfléchissait à des stratégies pour faire face à divers problèmes sociaux de Manawan, dont celui de la consommation abusive d’alcool et de drogues, selon le conjoint de cette dame avec qui j’ai discuté et comme aussi relevé par Dalie Giroux (2015), professeure en sciences politiques à l’Université d’Ottawa.

Le Pow-wow s’inscrit comme « une forme majeure d’affirmation de la culture et de la spiritualité autochtone, mais aussi comme une pratique de solidarité entre les nations autochtones qu’elle réunit » (Giroux 2015: 2). D’ailleurs, dans l’ensemble du Québec, du Canada et incluant plusieurs états américains, entre les mois de mai et de septembre de chaque année, se déroule La route des Pow-wow qui consiste en un parcours impliquant plusieurs communautés autochtones (pour le circuit au Québec, voir le site de Tourisme autochtone Québec, https://www.tourismeautochtone.com/edito-vivez-les-pow-wow/).

Les Pow-wow visent, entre autres, à favoriser les rencontres entre les nations autochtones et avec la société majoritaire. Il est pertinent de discuter du Pow-wow de Manawan dans ce mémoire, puisqu’il s’agit d’un moment et d’un évènement qui favorisent et valorisent, d’une part, les relations intergénérationnelles puisque chaque groupe d’âge y trouve sa place.

100« Outre l’influence centrale du pow-wow de Wemotaci et des powwows haudenosaune, les organisateurs du powwow de Manawan ont également visité en guise d’inspiration la communauté algonquine de Golden Lake, tenue pour « très spirituelle » par ceux-ci » (Giroux, 2015). Il est à noter que le pow-wow de Manawan se déroule généralement à l’extérieur, en été, sur un terrain entouré d’arbres sur ce qui est appelé « le site du pow-wow ».

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D’autre part, le Pow-wow est aussi une invitation aux non-Autochtones, une occasion de rapprochement entre les peuples. Les Pow-wow sont une initiative spécifiquement autochtone qui a pris naissance aux États-Unis et dans l’Ouest canadien, avant de se déplacer vers l’Est. La nature et la structure des Pow wow contemporains sont donc originaires de nations autochtones étasuniennes (Hoffman, 1997). Des études comme celles de Jérôme (2010a) et de Kathleen Buddie (2004) ont permis de relever « tout le pouvoir de communication politique et identitaire que représentent les powwow contemporains par la diffusion d'images de soi qui dépassent le simple cadre des chants et des danses » (Jérôme 2010a : 268-269).

Il existe deux types de Pow wow, de compétition et traditionnel. Un esprit différent habite chacune de ces deux grandes catégories de Pow-wow. Comme son nom l’indique, le Pow- wow de compétition valorise l’esprit de compétition (voir Tulk, 2006; Desjarlait, 1997). Le Pow-wow traditionnel, comme celui qui se déroule à Manawan, est « centré sur les concepts de cohésion sociale et de mieux-être » (Jérôme, 2010a: 271). Bien qu’intertribal et interculturel, le Pow-wow traditionnel n’en valorise pas moins les couleurs de la nation organisant l’événement (Desjarlait, 1997 : 116). Des demandes spéciales visant à honorer un défunt ou à aider un malade y sont souvent formulées par les familles (Jérôme, 2010a: 271).

Description du Pow-wow de Manawan (logistique)

Comme dans le cadre d’autres types d’activités, les organisateurs du Pow-wow de Manawan utilisent le réseau social Facebook pour faire la promotion de l’événement101. La quatorzième édition, soit celle de 2019, proposait la programmation suivante:

101Depuis 2009, une page Facebook au nom de Pow-Wow Manawan a été créée et est utilisée pour y partager, notamment, les photos et informations générales au sujet de l’événement. La page Facebook du Conseil des Atikamekw de Manawan, ainsi que celle de la radio communautaire Manawan Kitotakan font également la promotion de l’événement. L’image de la programmation de 2019 provient, d’ailleurs, de cette page Facebook.

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Figure 5 : Programmation du Pow-wow de Manawan de 2019

Alors que le Pow-wow de 2018 avait pour thème « Les enfants disparus », celui de 2019 avait pour thématique « Hommage aux jeunes sportifs, entraîneurs et accompagnateurs102 ». C’est pourquoi des jeunes sportifs de la communauté et les marcheurs de Motetan Mamo ont compté parmi ceux et celles qui ont fait partie de la cérémonie de la Grande entrée du Pow- wow.

La Grande entrée qui signe l’ouverture de l’événement a généralement lieu le samedi vers 13h00 et le dimanche vers midi, sur un site spécifiquement dédié au Pow-wow, dans la

102La communauté valorise grandement ses sportifs, particulièrement ceux qui jouent au hockey, ceux qui font de la course ou les marcheurs de Motetan mamo.

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communauté de Manawan. Cette cérémonie d’ouverture se déroule sous le chant d’honneur des head drummers, selon un même ordre et une même structure. À ce sujet, Jérôme (2010a: 272) explique que les head drummers « sont suivis par les porteurs des différents drapeaux, au rythme d'un chant du drapeau (flag song) : drapeau du Canada (si le Pow-wow est organisé sur le territoire canadien), drapeau de la nation et de la communauté hôte, drapeaux spéciaux (comme dans le drapeau des warriors mohawk). Ces drapeaux sont généralement portés par des responsables politiques locaux, (…) des aînés ou des personnes que le comité d'organisation veut honorer. Se succèdent ensuite les différentes catégories de danseurs adultes (...). Les enfants suivent les adultes, dans un ordre identique. Dans chaque catégorie, les plus âgés entrent avant les plus jeunes ». C’est dire que dès l’ouverture, toutes les générations sont mises à l’honneur.

Figure 6: Pow-wow de Manawan, été 2019. Photo prise par Sonia Périllat (avec autorisation de celle-ci)

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Comme dans nombre d’autres Pow-wow, celui de Manawan met de l’avant un « host drum103 » et un « co-host drum »104, ainsi que deux head dancers (« meneurs de danse »), un homme et une femme. Ce sont les membres du comité d’organisation du Pow-wow qui procèdent à la sélection des head dancers. Pour ce faire, ils se basent sur des critères comme la manière dont les danseurs de tête s’impliquent sur le plan communautaire, pour leurs qualités en tant que danseurs, ainsi que pour « leur respect des valeurs du powwow dans leur vie quotidienne » (Jérôme, 2010a: 272). Ces danseurs de tête ont le mandat d’être des guides et des modèles pour les autres danseurs (Gelo, 1999: 41). C’est ainsi sur le rythme des meneurs de danse que se feront, nous seulement la grande entrée du Pow-wow, mais également l’ensemble des danses105.

Anna Hoefnagels (2016 (2018)), ethnomusicologue spécialisée dans la musique autochtone, relève dans ses travaux la relation indissociable entre la musicalité des head drummers et les danses qui sont performées durant l’événement; le tambour et les chants conduisent ici à des types de danses particuliers. De plus, comme le souligne Jérôme (2010a: 273), durant le Pow- wow, « les danseurs font valoir leur qualité physique, mais aussi l'esthétique de leurs habits (regalia) sur le rythme des chants de tambour ».

À l’instar d’autres sphères de la vie et du tissu social de Manawan, les valeurs de respect, d’égalité, d’entraide et de partage trouvent leur place au Pow-wow. Elles y occupent d’ailleurs une place centrale à la fois dans ce qui est attendu des danseurs et des relations entre ceux-ci. Hommes et femmes, jeunes et aînés y ont leur place et sont considérés de manière égale et avec respect. Comme c’est souvent le cas dans les Pow-wow (Jérôme, 2010a), l’édition 2019 du Pow-wow traditionnel de Manawan fut l’occasion d’une collecte de fonds pour une famille endeuillée. L’argent ainsi recueilli pourra servir, entre autres, à offrir au défunt (ou à la défunte) une pierre tombale de qualité106.

103Comme l’indique Jérôme (2010a: 242): « Le terme hôte renvoie à la responsabilité qui incombe au tambour principal d'accueillir les esprits présents lors du rassemblement et de diffuser ces esprits parmi tous les participants, que ceux-ci soient danseurs, chanteurs ou spectateurs ». 104 Ce terme « désigne à la fois l’instrument, le tambour, et le groupe qui en joue et chante. Le groupe est constitué d’un nombre variable de musiciens et peut être mixte » (Contant-Joannin, 2019 : ix). 105Il existe plusieurs catégories de danses : « traditional men, grass dancers (hommes), fancy dancers (hommes), traditional women, jingle dress dancers et fancy shawl dancers» (Jérôme, 2010a: 279). 106Le cimetière de Manawan vaut une visite, ne serait-ce que par la manière dont les familles entretiennent et décorent les tombes de leurs défunts.

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Le Pow-wow de Manawan comme espace de dialogue

Hoefnagels (2001) met en lumière l’aspect relationnel multidimensionnel mis en acte durant les Pow-wow, en référence au dialogue qui s’établit entre les danseurs, les drummers, les spectateurs et le lieu même où se déroule le Pow-wow. À cela, il faut aussi ajouter la présence des chiens107 tout au long du Pow-wow, autour des estrades et sur le terrain de la danse. L’interlocuteur 4 m’expliquait que « les chiens sont interdits sur la piste de danse. Ce site est purifié en signe de respect des esprits. Les chiens qui vont alors sur le site dérangent les relations spirituelles ».

Durant le Pow-wow de 2019, où il y avait environ quelques centaines de spectateurs, on pouvait y observer approximativement autant de membres de la communauté de Manawan que de non-membres, soit des Autochtones d’autres communautés et des non-Autochtones. Tout au long de l’événement, le maître de cérémonie108 (« MC ») assure également un rôle de communication et de traduction, en français et en anglais (considérant que plusieurs groupes de danseurs et de drummers sont anglophones, en provenance du Canada et des États-Unis).

Pour Manawan et les autres communautés atikamekw, le Pow-wow est un événement fondamentalement familial, toutes générations confondues. D’ailleurs, hommes et femmes travailleront parfois une année entière à la préparation de leurs régalias, leurs costumes de danseurs en vue du Pow-wow annuel. Les mères et les grands-mères prennent un grand plaisir à fabriquer ceux de leurs enfants et petits-enfants, garçons et filles. Durant le Pow-wow, les différentes familles et générations participent aux danses.

En sus des danses spécifiques réalisées par les danseurs en régalia, d’autres danses peuvent être effectuées par l’ensemble des personnes présentes au Pow-wow. Il s’agit des danses intertribales. Autochtones et non-Autochtones rejoignent alors l’arène centrale et tournent en cercle en dansant au son des tambours. Lors de l’une de ces danses ouvertes à l’ensemble des visiteurs, j’ai discuté avec l’un des danseurs inscrits provenant d’une autre communauté

107Tel que mentionné déjà, les chiens sont nombreux et omniprésents dans la communauté. J’avoue que je m’explique mal leur tolérance envers les chiens – même si certaines personnes ont parfois signifié leur désagrément face à leur nombre et leur présence. 108« Le maître de cérémonie est la voix des powwow. Il est donc choisi d'abord parce qu'il le désire, ensuite pour ses bonnes connaissances du déroulement des powwow et enfin pour ses excellentes capacités d'expression et de communication » (Jérôme, 2010a: 273).

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autochtone, un homme dans la trentaine. Interrogé sur les motivations l’ayant conduit à danser dans les Pow-wow et à faire le circuit des Pow-wow, il a expliqué avoir commencé à prendre part à ces événements comme une thérapie et une pratique de guérison pour mettre fin à sa consommation de produits psychoactifs. À Manawan, à l’instar d’autres communautés autochtones, le Pow-wow a d’ailleurs été initialement pensé comme une stratégie pour contrer les problèmes sociaux vécus par les membres de la communauté de Manawan (Giroux, 2015). De plus, le Pow-wow de Manawan représente un espace privilégié permettant les enseignements et la transmission culturels et intergénérationnels.

La place des enseignements et de la transmission culturelle

Alors que nous discutions du Pow-wow, l’interlocuteur 10 soulignait la dimension des relations et des enseignements intergénérationnels et sociaux qui est bien ancrée dans chaque Pow-wow, pour ceux qui y prennent part:

Interlocuteur: On est là [Pow-wow] pour se rencontrer. Avoir du fun. Et puis il y a un aspect d’enseignement, aussi, dans chaque Pow-wow.

JB: D’enseignement?

Interlocuteur: Oui, il y a des enseignements, dans chaque Pow-wow.

JB: En apprendre sur les autres nations autochtones? Interlocuteur: Oui. Même entre nous autres [Atikamekw Nehirowisiwok]. On rencontre aussi du monde de la communauté. Ça ne fait pas si longtemps que je me suis rendu compte que mettons quand un homme danseur traditionnel, quand une plume d’aigle tombe... Ça ne fait pas si longtemps que j’ai compris pourquoi il dansait autour.

JB: Kaie kwan tca (pourquoi), il danse autour? Interlocuteur: Comme je te dis, ça ne fait pas si longtemps que j’ai commencé à comprendre, fait que je vais m’abstenir de tenter de l’expliquer, dans la peur d’être hors de la route. JB: Pour les personnes qui sont justement incertaines sur les savoirs Atikamekw Nehirowisiwok, qu’est-ce qu’il faudrait faire pour vérifier ces choses-là? Pour s’assurer d’avoir ces savoirs-là, qu’est-ce qu’ils devraient faire? Interlocuteur: Bin faudrait aller voir directement ces personnes-là qui connaissent ça [ces savoirs]. Il y en a quand même beaucoup qui connaissent ça les Pow- wow. Il s’agirait juste d’aller leur poser la question (Manawan, été 2019).

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Au sujet de cette danse cérémonielle, une interlocutrice m’expliquait effectivement que lorsque la plume d’aigle d’un des head dancers tombe au sol, une danse particulière doit être réalisée par ce danseur. L’interlocuteur 4 m’expliquait que « lorsqu’une plume d’aigle tombe, c’est comme si un guerrier tombait. Alors quatre danseurs hommes traditionnels sont alors invités par le directeur d’aréna pour faire une cérémonie en signe de respect ». De la même façon, il est totalement interdit à quiconque de ramasser les items de la régalia des danseurs qui tombent au sol. Et, au cours de cette danse cérémonielle, la prise de photographies est proscrite « et les gens [spectateurs] doivent se tenir debout et également faire leur invocation [une forme de prière] » (interlocuteur 4, Manawan, été 2019). J’ai d’ailleurs observé une atikamekw iskwew aller à la rencontre d’une non-Autochtone prenant une photo d’un des danseurs, alors qu’il venait d’échapper son sifflet d’aigle. Elle lui a expliqué sur un ton calme l’interdiction de prise de photos, à ce moment précis, et lui a suggéré de se référer au directeur d’aréna/d’arène109 pour savoir à quel moment reprendre la prise de photos (voir aussi Jérôme, 2010a). L’enseignement, souvent via le dialogue, se fait ainsi autant entre les Atikamekw, qu’entre les Atikamekw et les non-Atikamekw.

Durant le Pow-wow, les Atikamekw de Manawan vont aussi pratiquer certains rites auxquels sont conviés tous ceux présents au pow-wow. C’est le cas, par exemple, de la cérémonie des premiers pas (« Orowitahawsowin »), un « rituel social » que les Atikamekw se sont réapproprié et ont recommencé à mettre en pratique, alors qu’il avait été interdit, comme tous les autres rituels traditionnels, par les missionnaires au siècle dernier110. Une autre cérémonie est celle du lever du soleil. Cette dernière, à laquelle j’ai participé, vise à célébrer la renaissance et le lever du jour. Conséquemment, celle-ci a lieu sur le site du pow-wow, lors du lever du soleil, vers 5h00 AM. Roger Echaquan, reconnu comme guérisseur traditionnel et homme-médecine atikamekw, est celui qui a assuré le déroulement de la cérémonie, aidé d’un assistant. Au commencement de la cérémonie, et à part les deux officiants, nous étions six non-Atikamekw. Ce n’est que vers la fin du rituel que se sont joints à nous cinq membres de la communauté âgés dans la cinquantaine/soixantaine. À l’instar d’autres cérémonies, il s’agit d’observer et de participer, car aucun enseignement ou explication n’est offert par les officiants. À l’instar d’autres cérémonies autochtones, le tabac occupe une place essentielle

109Le directeur d’aréna a le rôle de voir à ce que les codes et la structure du Pow-wow soient respectés par tous ceux présents. 110Voir Jérôme (2010 a et b) pour une analyse approfondie du sujet.

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tout au long de la cérémonie pour ses qualités purificatrices et pour maintenir le lien avec les ancêtres. En lien avec le tabac, l’interlocuteur 1 me confiait l’importance qu’il accordait au tabac pour le lien avec les ancêtres et comme source de Miro pimatisiwin (Bien Vivre). Voici un extrait de notre échange à ce sujet :

Interlocuteur: À cause de la tradition, on utilise le tabac pour transmettre quelque chose à nos ancêtres. JB: avec la fumée du tabac, on se purifie, puis après ça, ça remonte, jusqu’aux ancêtres?

Interlocuteur: « Hum hum » (affirmation). Tout ce que t’as de mauvais part. JB: Tu purifies ce que tu as de mauvais. Ce que tu as purifié, est-ce que ça reste dans la boucane ou ça fait juste disparaître?

Interlocuteur: C’est supposé tout amener avec la fumée.

JB: Puis, après ça, les ancêtres, eux, reçoivent? Interlocuteur: C’est comme si eux autres étaient l’antidote au mal (Manawan, été 2019). Alors que nous parlions du racisme que vivent les gens de Manawan, à l’extérieur de la communauté, l’interlocuteur 4, qui prend lui-même part annuellement au pow-wow en tant que danseur (Grass dance), était d’avis que le Pow-wow représentait l’une des stratégies significatives des membres de sa collectivité pour entrer en dialogue avec les non- Autochtones : « Les Pow-wow, ça permet de créer des échanges. Des partages. Mais qu’est- ce qui se passe après? Les gens retournent et peuvent continuer de dire des choses sur nous. (...) Ce qu’il faudrait faire, c’est d’aller chercher ces gens-là et de leur faire comprendre notre réalité. Oui, c’est beau dans un Pow-wow parce qu’il y a beaucoup de couleurs. Mais ils ne voient pas la réalité des gens. Le vécu des gens » (Manawan, été 2019).

Ainsi, comme il vient de l’être démontré dans cette sous-section, le Pow-wow se présente bel et bien comme une stratégie de dialogue et de rencontre entre les Autochtones et les non- Autochtones, ceci même si l’évènement est aussi porteur d’une conception parfois quelque peu « romantique » de la réalité des Autochtones. À Manawan, les perceptions varient vis-à- vis le Pow-wow. Ainsi, une amie Atikamekw âgée dans la quarantaine a, quant à elle, mit de l’avant ce qu’elle considère comme une non-concordance entre les pratiques culturelles valorisées dans le Pow-wow de sa communauté et celles qui seraient vraiment ancrées dans

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son identité culturelle:

Le Pow-wow de ma communauté est basé sur ce qui se fait à l’extérieur par d’autres nations autochtones. Je ne comprends pas pourquoi les danses font partie du Pow-wow de ma communauté... Moi, pour que je me retrouve vraiment comme Nehirowisiw dans un Pow-wow, je verrais ça avec des compétitions d’endurance et de vitesse, entre autres, avec des courses de canot. Aussi, avec des partages de repas, des concours de confection de bannique, avec la performance de chansonniers et de musiciens, des compétitions de montage de tentes avec du sapinage... (Manawan, été 2019). Ainsi, le Pow-wow de Manawan illustre un espace significatif permettant, à la fois l'expression de certaines facettes identitaires des membres de la communauté de Manawan, en plus de favoriser les relations entre les Atikamekw Nehirowisiwok de diverses générations de cette communauté, ceux des deux autres communautés et celles avec les autres Nations Autochtones, en plus de favoriser le rapprochement entre les peuples. Rapprochement entre les Nations qui colore plusieurs des stratégies des membres de la communauté et de la Nation, de façon générale. Dans le cadre du Pow-wow, cela peut s'observer, entre autres, par le biais des danses intertribales, par les espaces réservés aux enseignements ou par les espaces accordés à certains rituels propres à la Nation.

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Conclusion

Dans ce mémoire, j’ai cherché à saisir comment des jeunes adultes de Manawan conçoivent leur identité culturelle. Je me suis penché sur certaines des embûches rencontrées aujourd’hui par ces jeunes adultes, ainsi que sur les stratégies élaborées par la Nation et la communauté afin de maintenir, d’affirmer et de transmettre une identité culturelle qui leur soit propre. Comme toute identité, celle des Atikamekw Nehirowisiwok est dynamique, multiple et changeante au fil des générations puisqu’inscrite dans des mondes et des contextes en constante transformation. S’agissant d’un mémoire de maîtrise, à partir d’un court séjour à la communauté, il va sans dire que les données et l’analyse restent partielles. S’ajoute à cela le fait que j’ai cherché à comprendre et à traduire les témoignages reçus et mes observations au travers de ma subjectivité de non-Atikamekw.

En m’appuyant sur les concepts d’agencéité, de résistance et d’affirmation identitaires dans un contexte autochtone, j’ai tenté de mieux saisir les défis et les enjeux de la dynamique identitaire actuelle des Atikamekw Nehirowisiwok et cela en tenant compte du legs des politiques coloniales et surtout de l’impact des pensionnats sur plusieurs générations. La présence de nombreux préjugés défavorables encore bien présents au sujet des collectivités autochtones du Canada, l’oppression que vivent les Atikamekw Nehirowisiwok sur le plan politique et les précarités qu’ils rencontrent au niveau économique sont autant d’éléments qui contribuent aux difficultés quotidiennes. Cela ne les empêche pas toutefois de maintenir une identité forte et comme j’ai tenté de le démontrer de mettre en place diverses initiatives et stratégies pour l’affirmation identitaire, le maintien de la langue et de valeurs sociales et culturelles spécifiques, la transmission des savoirs traditionnels et l’amélioration des relations avec les non-Autochtones. Donc, loin d’être passifs, ils déploient leur capacité d’agencéité, comme ils l’ont toujours fait afin de maintenir, de reproduire et de transformer leur monde et s’inscrire dans la contemporanéité.

Au travers de ces initiatives et stratégies, déjà existantes ou en projet, nous avons vu comment le dialogue autant entre les membres de la communauté qu’avec les non-Atikamekw est conçu comme fondamental. C’est ce qui explique, par exemple, des démarches pour la réalisation d’outils linguistiques pour introduire les non-Autochtones à la langue atikamekw,

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ou encore des initiatives comme la marche Motetan mamo et le Powwow annuel. Cependant, plusieurs projets ne peuvent être réalisés faute de ressources économiques et humaines.

Le territoire demeure un important vecteur identitaire pour les Atikamekw Nehirowisiwok. Source du Bien vivre, de la langue et des savoirs, ils sont conscients qu’il est fondamental de continuer à le vivre et de maintenir les relations avec Nitaskinan. La famille, les liens familiaux et la solidarité communautaire sont tout aussi importants. L’école, les services sociaux, le Conseil de la Nation Atikamekw, le Conseil de bande et le dispensaire de la communauté sont autant d’institutions locales qui s’impliquent à bonifier la vie en communauté et à promouvoir l’identité atikamekw. Leurs actions et initiatives engendrent aussi des retombées favorables sur le plan de la reproduction identitaire et sur le sentiment de bien vivre des Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan.

Cette recherche m’a également permis de mieux comprendre ce que peut impliquer « être Atikamekw Nehirowisiw » aujourd’hui, avec un accent sur le point de vue des jeunes adultes de Manawan. Cette recherche aura permis d’identifier les nombreuses composantes de leur identité qui leur permettent de se distinguer des autres Nations autochtones et des non- Autochtones. Parmi celles-ci, notons la langue, l’appartenance à la Nation, l’occupation et la relation au territoire, de nombreux savoirs ancestraux et pratiques culturelles, une manière « d’être » particulière (manière « d’être Atikamekw Nehirowisiw »), des nombreuses valeurs, dont l’entraide, la solidarité, le partage, l’importance de l’autonomie et la famille. Les relations intergénérationnelles et communautaires occupent une place importante dans le tissu social de Manawan comme vecteur d’une reproduction identitaire dynamique. De la même façon, les jeunes adultes d’aujourd’hui deviendront à leur tour des agents de transmission. Comme nous l’avons vu, cette transmission s’articule aujourd’hui de plusieurs manières, dont la fréquentation du territoire, par le biais des activités familiales et de projets culturels communautaires comme le camp Atisokan, Tapiskwan sipi ou le projet Matakan. Alors que les idées et les initiatives visant à assurer la fréquentation du territoire et la transmission des savoirs et de la langue ne manquent pas, un des enjeux réside plutôt dans l’éveil de l’intérêt des prochaines générations face aux pratiques culturelles, et doit provenir avant tout de la famille et de meilleures conditions économiques

L’identité Atikamekw Nehirowisiw de Manawan implique aussi une capacité à répondre aux

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nombreux et nouveaux impératifs de la société majoritaire néocoloniale et néolibérale, dans un contexte de globalisation. Ainsi, nous avons vu brièvement comment l’arrivée d’Internet, des jeux vidéo et des réseaux sociaux, dont Facebook, dans la communauté comportent autant d’aspects positifs que négatifs. En ce qui concerne Facebook, les avantages s’observent en termes de la facilité dans la transmission et la circulation des informations et des échanges presqu’ininterrompus entre les membres des familles et les amis. Par ailleurs, un excès dans l’usage de ces nouvelles technologies tend à isoler les gens. De plus, les souffrances qui découlent de l’épisode des pensionnats sont encore présentes aujourd’hui puisque s’est produit la transmission intergénérationnelle des traumatismes et du mutisme. Manawan, à l’instar d’autres communautés autochtones, mais aussi non-autochtones, n’est certes pas exemptes des problèmes de surconsommation d’alcool et de drogues et de différentes formes de violence comme les violences conjugales et les agressions sexuelles. Autant de réalités dont j’ai été témoin alors que je travaillais comme travailleuse sociale au sein de la communauté. D’autres embûches aux sentiments identitaires et du bien vivre ont été relevées. Parmi celles-ci, notons la précarité économique hautement induite par le maintien de la Loi sur les Indiens, celle de la surpopulation et de la pénurie de logements, le manque d’espaces communautaires favorisant les relations entre les membres de la communauté, la non- reconnaissance des droits de la Nation Atikamekw Nehirowisiw sur Nitaskinan, etc. Quelques interlocuteurs ont aussi exprimé leur malaise à devoir, dans certains contextes, « être trop culturel », comme s’il leur fallait « jouer » à l’Autochtone et présenter une manière d’être dans laquelle ils ne se reconnaissent pas.

Malgré les difficultés, passées et présentes, l’espoir demeure bien présent chez ces agents sociaux. Notamment, par le fait de connaître et de mettre en pratique certains savoirs culturels, comme le soulevait l’interlocutrice 6: « Il y a de l’espoir, parce que les connaissances traditionnelles nous permettent de nous débrouiller. On est un peuple résilient ». Connaissances multiples et valeurs qui peuvent demeurer en vie par le fait de les mettre en pratique et de les transmettre aux générations montantes. Un souhait et un espoir que tous les interlocuteurs ont fortement souligné. En terminant, je souhaite laisser la parole à mes interlocuteurs sur leurs conceptions de ce que les générations actuelles devraient s’assurer de maintenir en vie et de transmettre sur le plan de l’identité Atikamekw Nehirowisiw, pour les générations futures:

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« L’importance de l’union »; « La reconnexion avec la philosophie, la manière « d’être » Atikamekw Nehirowisiw »; « Je dirais la fratrie et l’importance de la famille »; « Un canot en écorce »; « La priorité, ce serait de marier les savoirs traditionnels avec l’éducation [occidentale]. L’importance de l’éducation [coexistence entre savoirs occidentaux et atikamekw]. Puis réussir à faire le débat de société pour discuter et faire en sorte que l’atikamekw soit la seule langue plus longtemps [jusqu’en 5e année, environ] »; « L’histoire [Atikamekw Nehirowisiw]. Pour savoir où aller, il faut savoir d’où on vient »; « La famille, l’entraide et le respect »; « Sakihewin » [l'amour]; « Ma langue » ; « Essentiellement, pour moi, la manière d’être [un Nehirowisiw] »; « Le partage » ; « Qu’est-ce qu’il faudrait préserver: ça prend le territoire, la langue, puis l’énergie pour t’investir dans un travail que tu veux faire »; « Du tabac. À cause de la tradition, on utilise le tabac pour transmettre quelque chose à nos ancêtres Tout ce que t’as de mauvais part. C’est comme si eux autres étaient l’antidote au mal » (extraits d’entretiens, Manawan, été 2019).

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Annexes

Annexe 1 Déclaration de souveraineté Atikamekw

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Annexe 2 vignettes pour rendre accessibles à un plus grand nombre d’acteurs de la communauté des significations qui auront été partagées par les interlocuteurs

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Annexe 3 Grille d’entretien (questions/thèmes/points à aborder) Profil général de la personne -Âge et genre ressenti? -Lieu d’habitation et liens de cohabitation? -Enfant (s)? -Liens familiaux dans la communauté ou d’autres communautés et/ou nations? -Avez-vous déjà habité en ville? -Langues parlées et langue majoritairement utilisée? Activités scolaires/professionnelles -Fréquentez-vous l’école? -Jusqu’à quel niveau de scolarité? -Quelle est votre signification de la scolarité? -Avez-vous un emploi? -Votre signification du marché de l’emploi? Langue et activités traditionnelles -Pour vous, est-ce important de parler la langue Atikamekw? -Si oui, selon vous, y a-t-il des endroits où c’est davantage important de parler l’Atikamekw? -Allez-vous parfois en forêt (Notcimik)? -Si oui, avec d’autres personnes ou seul? -Parlez- moi de ces moments (comment les vivez-vous)? -Fréquentez-vous le territoire familial? -Pratiquez-vous des activités traditionnelles? -Si oui, est-ce important pour vous? Relations sociales -Avez-vous fréquemment de relations/interactions avec les autres membres de votre famille? -Avez-vous beaucoup de relations/interactions avec les membres de la communauté? -Avez- vous des attentes, face à ces relations?-Parlez-moi de ces relations (comment vous les vivez)? -Avez-vous l’impression qu’il y a des différences entre votre génération et celles de tes aînés? -Si oui, quelles sont-elles? -Et comment vivez-vous ces différences? -Comment faites-vous pour vous y sentir bien? -Allez-vous parfois dans d’autres communautés? -Sinon, le souhaiteriez-vous? -Si oui, comment se déroulent ces relations? -Comment vous y sentez-vous? -Qu’aimez-vous le plus de ces relations avec les autres communautés? -Qu’aimez-vous le moins de ces relations avec les autres communautés? -Comment faites-vous pour vous y sentir bien/en harmonie? -Avez-vous l’impression qu’il y a des différences entre la façon d’être et de faire Nehirowisiw et celle des autres nations? -Si oui, en quoi êtes-vous différents? -Allez-vous parfois en ville? -Comment vivez-vous ces contacts? -Y a-t-il des différences entre les villes dans ces relations avec la société québécoise? -Si oui, comment se manifestent ces différences (dans la façon de vous, vous y intégrez)? -Comment faites-vous pour vous y

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sentir bien/en harmonie? -Avez-vous l’impression qu’il y a des différences entre la façon de faire Nehirowisiw et celle des Québécois? -En quoi êtes-vous différents/semblables? -Comment définissez-vous la vie en communauté et la vie en ville? -Quelles sont les dimensions agréables et plus difficiles d’être en communauté? -Quelles sont les dimensions les plus agréables et plus difficiles d’être en ville? -Quel est la place et le rôle des médias sociaux dans votre quotidien et vos relations avec vos proches et vos amis? Vous exprimez-vous surtout en langue atikamekw dans les médias sociaux? Transmission et devenir -Quelles sont vos motivations à être impliqué.e dans le présent projet? -Quelles sont les méthodes qui vous permettent d’être plus à l’aise pour vous exprimer dans vos échanges avec les autres personnes (oralité, écrit, en personne, via les médias sociaux, etc.)? -Quels sont les espaces qui vous permettent d’être plus confortables de vous exprimer? - Quels sont les espaces qui vous font sentir moins confortables de vous exprimer? -Lorsque vous avez des choses à transmettre aux personnes qui vous entourent, comment vous y prenez-vous? -Comment ça se déroule, à ces moments? -Si vous pouviez dire une chose (phrase, mot (s), image(s)...) à votre nation, ce serait quoi? - Aux nations voisines? À la société québécoise? -Qu’est-ce que devrait contenir «l’héritage Atikamekw», à vos yeux? -Qu’est-ce qui ne devrait pas faire partie de cet héritage, selon vous? -Selon vous, quelles sont les façons de faire qui pourrait permettre cet héritage? -Qui peut s’impliquer pour y arriver? -Avez-vous des réflexions et/ou appréhensions non abordées et qui vous viennent à l’esprit, suite à ces interrogations?

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Annexe 4 Profils des interlocuteurs du projet de recherche Interlocuteurs tous originaires de la communauté Atikamekw Nehirowisiw de Manawan # Interlocuteur Groupe Genre Certains rôles Éducation/ d’âge dans la implication / communauté d’emploi

Interlocuteur 1 36-40 Masculin Père de quatre Restauration, études enfants secondaires non terminées Interlocuteur 2 21-25 Masculin Modèle pour Éducation physique d’autres jeunes et implication (sports) auprès des jeunes, études universitaires en cours Interlocuteur 3 26-30 Masculin Père d’un enfant Emplois sporadiques, études secondaires non terminées Interlocuteur 4 26-30 Masculin Transmission des Militantisme savoirs (dans des atikamekw activités Nehirowisiw, études culturelles, universitaire en comme le Pow- cours wow), artiste (perlage, notamment) Interlocuteur 5 36-40 Féminin Mère de deux Éducation, enfants formation collégiale complétée Interlocuteur 6 26-30 Féminin Mère de deux Tourisme Manawan, enfants formation collégiale complétée Interlocuteur 7 26-30 Féminin Impliquée auprès des enfants, formation collégiale complétée Interlocuteur 8 41-45 Masculin Transmission des Tourisme Manawan, savoirs culturels, formation collégiale père d’un enfant amorcée, mais non complétée

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Interlocuteur 9 31-35 Féminin Artiste (cuisine Emplois sur appel et atikamekw, domaine musical, chant), mère de formation collégiale deux enfants complétée Interlocuteur 10 26-30 Masculin Transmission des Santé et services savoirs (activités sociaux, formation culturelle comme collégiale terminée la chasse ou la pêche), père d’un enfant Interlocuteur11 31-35 Féminin Mère de trois Implication auprès enfants, de l’ensemble des implication dans membres de la certaines activités communauté culturelles, («saines habitudes comme de vie» et sports), Tapiskwan sipi santé et services sociaux, formation collégiale amorcée, mais non complétée Interlocuteur 12 18-20 Masculin Emplois sporadiques, études secondaires non terminés Interlocuteur 13 51-55 Masculin Père d’un enfant Emplois sporadiques, secondaire terminé

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Annexe 5 Formulaire d’engagement à la confidentialité: Les enjeux et stratégies identitaires des jeunes adultes Nehirowisiwok de Manawan

Cette recherche est réalisée dans le cadre d’un projet de maîtrise du département d’anthropologie de l’Université Laval de Jessica Béland, sous la supervision de Sylvie Poirier.

Il m’a été expliqué que :  Cette recherche entend se pencher sur les questions identitaires des jeunes adultes de Manawan (18-35 ans) et tenter de mieux saisir la façon dont ceux-ci conçoivent l’identité Nehirowisiw ainsi que le devenir de leur communauté et de leur nation.  Par la signature d’un formulaire de consentement écrit, l’interprète s’engage auprès des participants à assurer la confidentialité des données recueillies.  Dans l’exercice de mes fonctions d’interprète, j’aurai accès à des données qui sont confidentielles. En signant ce formulaire, je reconnais avoir pris connaissance du formulaire de consentement écrit signé avec les participants et je m’engage à : - assurer la confidentialité des données recueillies, soit à ne pas divulguer l’identité des participants ou toute autre donnée permettant d’identifier un participant, un organisme ou des intervenants des organismes collaborateurs; - assurer la sécurité physique et informatique des données recueillies; - ne pas conserver de copie des documents contenant des données confidentielles.

Je, soussigné.e, ______, m’engage à assurer la confidentialité des données auxquelles j’aurai accès.

______Date : ______Interprète

______Date : ______Étudiante-Chercheuse

Numéro d'approbation du Comité d’éthique à la recherche de l’Université Laval : Ce projet fait l’étude d’une demande d’approbation au Comité d’éthique de recherche de l’Université Laval (CÉRUL), (numéro d’approbation) le: ______

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Annexe 6 Formulaire de consentement: Les enjeux et stratégies identitaires des jeunes adultes Nehirowisiwok de Manawan Présentation de l’étudiante-chercheuse Nin ia Jessica Béland nin. Cette recherche est réalisée dans le cadre d’un projet de maîtrise du département d’anthropologie de l’Université Laval, sous la supervision de Sylvie Poirier. Nature du projet Ce projet entend se pencher sur les questions identitaires des jeunes adultes de Manawan (18- 35 ans) et tenter de mieux saisir la façon dont ceux-ci conçoivent l’identité Nehirowisiw ainsi que le devenir de leur communauté et de leur nation. Avant de consentir ou d’amorcer votre participation à ce projet, il est important de bien saisir ce qu’il implique. Tout au long de la démarche, si vous ne comprenez pas certaines informations ou avez des questionnements, il sera primordial d’en informer l’étudiante- chercheuse. Elle pourra s’assurer de votre compréhension, dans le respect. Il sera également important de la prévenir à l’avance du choix de la langue, afin qu’elle puisse faire appel à un membre de la communauté, comme interprète. L’interprète sera engagé à assurer la confidentialité des significations transmises, dans chacun des espaces d’expression. Ce qui est attendu des participants: Dans un premier temps, votre participation implique une à deux rencontres individuelles de type entretien semi-dirigé. Ces entretiens permettront de discuter de thématiques comme ceux de la langue et des activités traditionnelles, des relations sociales avec les membres de votre communauté, ceux d’autres nations et les non-autochtones ou de la transmission et du devenir de l’identité Nehirowisiw Atikamekw. Une copie de la grille d’entretien sera remise à chacun des participants, au début de la rencontre. Durant ces rencontres, vous serez invités à exprimer vos significations par des mots, dessins, collages ou photos vos significations de l’identité Nehirowisiw et de son devenir. Ce que vous serez invités à expliquer, après coup, sans jugement et en toute confidentialité. Bien que la durée sera ajustée au déroulement de l’échange, cette activité qui aura lieu à l’endroit de votre choix devrait durer approximativement 60 minutes pour une rencontre. Si nécessaire, selon vos disponibilités, une deuxième rencontre de trente minutes pourrait avoir lieu. Dans un deuxième temps, au terme des entretiens semi-dirigés, votre participation engagera aussi une rencontre de discussion de groupe (en deux groupes distincts d’environ sept personnes). Le lieu d’échange sera déterminé, selon vos suggestions et d’une durée d’environ

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90 minutes pour une rencontre. Chacun des interlocuteurs sera invité à transmettre ses réflexions associées à la thématique de l’identité Nehirowisiw Atikamekw et du devenir de leur nation Nehirowisiw Atikamekw. Vous pouvez participer aux deux activités ou à l’une ou l’autre des deux activités. Si les participants y consentent, les groupes de discussion seront enregistrés. Avantages et désavantages de votre participation: Du côté des avantages, votre participation pourrait être bénéfique, non seulement pour vous dans votre propre cheminement réflexif et identitaire, mais aussi pour celui de l'ensemble de votre nation. Ce qui peut contribuer à rehausser votre niveau d'empowerment communautaire. Ceci, à une époque où nombre d'entre vous êtes engagés dans un processus de réaffirmation et de réappropriation de votre identité collective. Quant aux désavantages, il nous apparaît possible que cette démarche puisse être exigeante pour vous, en plus de nécessiter de votre temps. De plus, votre participation au projet pourrait éveiller certaines émotions. Participation, droit de refus ou de se retirer «La participation à ce projet de recherche est volontaire et le/ la participant(e) pourra se retirer à n’importe quel moment, sans avoir à fournir de raison ni à subir de préjudice quelconque». Par ailleurs, en situation où le participant choisirait de se retirer du projet, celui-ci pourra choisir et valider s’il souhaite ou non que les données le concernant soient détruites ou conservées par le chercheur pour les fins du projet. Confidentialité et utilisation des renseignements personnels: Dans un premier temps, la confidentialité de la participation ne peut être assurée aux participants des groupes de discussion, ainsi qu’à ceux qui prendront part au souper communautaire. La collaboration de tous les participants à l’activité de groupe est nécessaire pour assurer la confidentialité des données recueillies durant. Par ailleurs, l’identité de chacun des interlocuteurs impliqués dans les entretiens individuels et des groupes de discussion demeurera confidentielle et les noms ne seront pas divulgués sans le consentement préalable et volontaire des participants. Pour assurer la confidentialité des données partagées durant les entretiens individuels, les formulaires de consentement signés et les retranscriptions d’entrevues seront gardés sous clés dans mon bureau, puis conservés dans mon ordinateur personnel qui lui est muni d’un mot de passe. Au terme de la recherche, les données seront conservées, durant deux ans après le dépôt final du mémoire, puis seront

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détruites. Les résultats feront l’objet de publications scientifiques. Remerciements: votre implication et participation à cette recherche sont primordiales! Sans elles, ce projet ne serait aucunement possible, puisqu’il se centre sur VOS significations. C’est pour souligner ceci que nous prévoyons l’organisation d’un souper communautaire. Micta mikwetc!

Je soussigné(e) ______(nom en lettre moulée), j’ai pris connaissance du présent formulaire et j’ai compris l’objectif, la nature, les avantages, risques et inconvénients du présent projet de recherche. Je suis satisfait.e des explications, précisions et réponses offertes par l’étudiante-chercheuse. Je consens librement à participer à la recherche intitulée : « Les enjeux et stratégies identitaires des jeunes adultes Nehirowisiwok de Manawan ». Signature du (de la) participant.e date:______

J’ai expliqué le but, la nature, les avantages, risques et inconvénients du présent projet de recherche au participant. J’ai tenté de répondre au meilleur de ma connaissance à ses interrogations et j’ai validé la compréhension du participant. Signature de la chercheuse et date:______

Attestation verbale du consentement Avez-vous bien compris le projet et les implications de votre participation? Acceptez-vous de confirmer, sur cet enregistrement audio, que vous consentez à y participer? Acceptez-vous que cette entrevue soit enregistrée également?

Nom du (de la) participant.e date:______Signature de la chercheuse et date:______

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Si vous en faites la demande, un résumé ou la totalité de la recherche pourrait vous être envoyée. Veuillez indiquer votre adresse (courriel ou postale) complète ci-dessous. Pour tout changement relatif à vos coordonnées, vous pouvez le communiquer avec la chercheuse.

Adresse où j’aimerais recevoir le résumé ou la totalité de la recherche: Courriel:______OU Postale: ______

Ce projet fait l’étude d’une demande d’approbation au Comité d’éthique de recherche de l’Université Laval (CÉRUL),(numéro d’approbation) le: ______

Toutes questions supplémentaires concernant le projet de recherche pourront être adressées à la chercheuse en personne ou via ses coordonnées. Plaintes et critiques : si vous avez des plaintes, critiques ou suggestions à faire concernant ce projet, vous pouvez communiquer en toute confidentialité le Bureau de l'ombudsman de l’Université Laval. Coordonnées: Pavillon Alphonse-Desjardins, Université Laval, 2325, rue de l'Université, local 3320, Québec (Québec), G1V 0A6. Téléphone: 418 656-3081, Ligne sans frais : 1 866 323-2271, Courriel: [email protected]

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Annexe 7 Informations qui seront transmises (verbalement ou par écrit), aux personnes, durant le processus de recrutement Titre provisoire du projet: Les enjeux et stratégies identitaires des jeunes adultes Nehirowisiwok de Manawan Nin ia Jessica Béland nin. Ce projet de recherche qui aura lieu durant l’été 2019, à Manawan, est supervisé par Sylvie Poirier, du département d’anthropologie de l’Université Laval. Celui-ci entend se pencher sur les questions identitaires des jeunes adultes de Manawan (18- 35 ans) et tenter de mieux saisir la façon dont ceux-ci conçoivent l’identité Nehirowisiw ainsi que le devenir de leur communauté et de leur nation. Il cherche à de répondre à la question principale de recherche qui est: «Comment les jeunes adultes Nehirowisiwok (18-35 ans) de Manawan conçoivent-ils le Bien Vivre et le devenir de l’identité Nehirowisiw (Atikamekw)?»

Votre participation volontaire 111est essentielle à la réalisation de ce projet. Cette implication peut inclure l’une et/ou l’autre des activités suivantes, durant lesquelles vos réflexions seront mises de l’avant. Dans un premier temps, une participation aux entretiens individuels de type semi-dirigé d’une durée d’environ 60 minutes pour une rencontre. Si nécessaire, selon vos disponibilités, une deuxième rencontre de trente minutes pourrait avoir lieu. Ces entretiens permettront de discuter de thématiques comme ceux de la langue et des activités traditionnelles, des relations sociales avec les membres de votre communauté, ceux d’autres nations et les non-autochtones ou de la transmission et du devenir de l’identité Nehirowisiw Atikamekw. Ensuite, elle peut inclure une participation à un groupe de discussion d’environ 90 minutes pour une rencontre. Chacun des interlocuteurs sera invité à transmettre ses réflexions associées à la thématique de l’identité Nehirowisiw Atikamekw et du devenir de leur nation Nehirowisiw Atikamekw. Enfin, elle peut impliquer l’activité de l’observation participante. Cette dernière activité implique qu’avec votre consentement préalable et en toute confidentialité, je pourrai prendre des notes lors de certaines situations. Votre consentement verbal est suffisant pour votre implication à l’activité de l’observation participante. Comme il est essentiel que vous consentiez de façon libre et éclairée, je demeure disponible pour répondre à vos interrogations.

111Si vous acceptez de prendre part à ce projet, vous serez appelés à transmettre votre consentement écrit ou verbal (enregistré).

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Avantages et désavantages de votre participation: Du côté des avantages, votre participation pourrait être bénéfique, non seulement pour vous dans votre propre cheminement réflexif et identitaire, mais aussi pour celui de l'ensemble de votre nation. Ce qui peut contribuer à rehausser votre niveau d'empowerment communautaire. Ceci, à une époque où nombre d'entre vous êtes engagés dans un processus de réaffirmation et de réappropriation de votre identité collective. Quant aux désavantages, il nous apparaît possible que cette démarche puisse être exigeante pour vous, en plus de nécessiter de votre temps. De plus, votre participation au projet pourrait éveiller certaines émotions. Ci-dessous une liste de services de la communauté.

Compensation: Au terme du projet, un souper sera organisé et chacun des membres qui aura été impliqué (qu’il ait mis fin ou non à sa participation avant la fin du projet). Le moment et l’endroit seront déterminés de façon consensuelle avec les participants et selon les possibilités du moment. Les participants sont également invités à nous faire part de leurs allergies ou intolérances, s’il y a lieu.

Remerciements: votre implication et participation à cette recherche sont primordiales! Sans elles, ce projet ne serait aucunement possible, puisqu’il se centre sur VOS significations. C’est pour souligner ceci que nous prévoyons l’organisation d’un souper communautaire. Micta mikwetc!

JESSICA BÉLAND, organisation du projet (sous la supervision de Sylvie Poirier) Pour nous faire part de votre décision de participer ou non à ce projet de recherche, veuillez me joindre via mes coordonnées: Courriel: [email protected]

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Annexe 8 Guide d’animation du souper-discussion

-Arrivée et accueil des participants (15 minutes, environs): biscuits et jus sur place, puis selon l’endroit (intérieur ou extérieur): allumage d’un feu ou d’une chandelle, pour que nous (personnes présentes) nous installions en cercle autour; -Début de la rencontre -Explication de notre rôle, durant la rencontre (animation, mais laissons les participants au centre pour s’exprimer) -Explication du but de la recherche et remerciement, de l’importance de leur implication, validation du consentement des participants et remise des formulaires de consentement verbal ou oral, pour confirmation des consentements libres et éclairés. Invitation à présenter leurs questionnements, s’ils (participants) en ont. -Présentations (chacune des personnes présentes) -Invitation aux participants à dire quelques mots, avant de débuter, si l’un d’eux le souhaite Début des échanges: * Motivation à être impliqués dans ce groupe de discussion; *Réflexions et échanges autour de ce que représente l’identité Nehirowisiw Atikamekw, aujourd’hui, pour eux (qu’est-ce que cette identité implique? Ce qui permet de se reconnaître comme Nehirowisiw Atikamekw? Comment est-ce que ceci se manifeste dans la vie de tous les jours? Défi, aujourd’hui, liés à cette identité?, etc.) *Réflexions et échanges sur la façon dont ils appréhendent le devenir de l’identité de leur nation. Fin de la rencontre: Au terme de la rencontre, valider leur expérience du groupe de discussion/demande de rétroactions, s’ils en ont. Remerciements et rappel du souper communautaire à venir (voir suggestions du repas et sur l’endroit où il pourrait avoir lieu).

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Annexe 9 Grille d’observation

Dimensions à observer, durant l’observation participante Contexte (s) (lieu? Moment de la journée? Fréquence? Etc.):

But (s) de l’interaction:

Personnes présentes et liens entre elles:

Lien (s):

Que se passe-t-il:

Langue (s) d’usage:

Affect (s) perçu (s):

Autre (s) observation (s):

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Annexe 10 Comparaison entre les systèmes d’éducation atikamekw et québécois 112

112AUDY, Nicole, 2015, Les services éducatifs, linguistiques et culturels du Conseil de la Nation atikamekw. Rétrospective 1982-2015. La Tuque : Conseil de la Nation atikamekw.

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Annexe 11 Programmation du forum sur la gouvernance et le droit Atikamekw (Atikamekw Nehirowisiw Otoperitamowina wir Tapirowe kitci mihitisotc)

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Annexe 12 COORDONNÉES à joindre par les interlocuteurs, au besoin

SERVICES SOCIAUX Téléphone (jour): 819-971-1417 Urgence sociale (24/7): 819-971-1919

CENTRE DE SANTÉ MANAWAN/MIREMOWIN Téléphone : 819-971-8846

SÉCURITÉ PUBLIQUE

Téléphone (poste):819-971-1714 Téléphone (patrouilleur): 819-971-8861

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