« JOSEPH INTERPRÉTANT LES SONGES » (ATTRIBUÉ A CLAUDE MELLAN) « VANITAS >>, PAR BIGOT Des pionniers du « réalisme », inspirés de qui ?

De Manfredi, de Saraceni ou de Honthorst. précision presque « hyperréaliste », ces EXPOSITION Autour de Saraceni le Vénitien se re- fruits sur la table, cette carafe et ses reflets, groupent Guy François du Puy (« Sainte ce fromage à l'étagère; on pense au jeune Cécile et l'Ange »), Jean Leclerc de Nancy Vélasquez. Un merveilleux tableau, oui, (« •Concert nocturne »), l'anonyme auteur mais qu'a-t-il de français ? Un •bon tiers du « Marchand de poulets à barbe fleu- des rares oeuvres attribuées au « Cecco » Un siècle rie. De Honthorst le Néerlandais, italianisé viennent d'Espagne ; le peintre n'en vien- en e Gherardo della notte », procède l'éton- drait-il aussi, ou d'une région en étroite re- nant « maître à la chandelle », ce « Trufa- lation avec elle, comme les Deux-Siciles ? bouillonnant mondo » qui est l'Arlésien Trophime (ou , , comme Théophile) Bigot. Devant son « Saint Sébas- leur jeunesse romaine est attachante ! « Ca- tien soigné par Irène » ou son « Couron- ravagesques », ils ne le sont guère, si ce Les « caravagesques » nement d'épines », quel visiteur ne songe à n'est à l'occasion, presque par citation (l'un La Tour ? On a supposé une influence du dans sa « Diseuse de bonne aventure », du XVII' ne connaissaient Lorrain sur le Provençal ; mais si c'était l'autre dans •son « Martyre de saint Mat- pas le Caravage l'inverse ? thieu »). Applaudi dès ses quatorze ans, Autour de Manfredi, voici le « maître » passé par Londres, Constantinople et Ve- du « Jugement de Salomon », à la gravité nise, Vouet fait à Rome figure de maître. VALENTIN ET LES toute classique ; , qui de- Ses portraits sont d'un virtuose. Sa « Nais- CARAVAGESQUES FRANÇAIS viendra grand peintre à Toulouse mais, à sance de la Vierge » ose recourir aux Grand-Palais. Rome, reste un peu effacé, de par sa fac- contre-plongées de Michel-Ange. Les deux ture neutre, ses compositions trop nourries tableaux de saint François sont pro- digieux, celui surtout où l'ascète meurtrit Qui ne se souvient de l'exposition d'emprunts ; surtout : ? Eh bien, le Valentin l'Amoureux (« Innamorato »), sa chair dans les cendres et les braises, Grand-Palais mérite le succès qu'eut mort tout jeune comme Watteau, et qui pour ne pas céder aux invites de la courti- l'Orangerie.• Sur deux étages sont réunis, lui ressemble par sa note de nostalgie. sane, sous l'éclairage d'un cierge devenu pour la première fois au monde, les jeunes Quand il risque une « Allégorie de Rome », phallique — voilà bien le sujet le plus luxu- peintres qui, autour de 1620, à Rome, ont la déesse prend un minois de fille des rieux qu'ait accepté une église ! pris part à cette aventure internationale rues, le fleuve Tibre en impose peu par Vignon, désinvolte, touche-à-tout, reprend le « réalisme » caravagesque. Le catalogue, sa bedaine et sa poitrine velue. Mais le au Caravage le fastueux débraillé et le pa- d'une sûre érudition, est présenté par « Sacrifice d'Abraham » atteint une violence nache d'un « Jeune Chanteur » mais le Jacques Thuilier, excellent comme à son or- « populiste », les « Quatre Ages » ou le traite avec un brio, une liberté d'allure, une dinaire L'exposition a les deux vertus e Jean-Baptiste » une sobre grandeur. Tel justesse de touche dignes de Frans Hals ! qu'on en devait attendre : montrer de très enfant mort, dans le « Jugement de Salo- Autour de Vouet et de Vignon s'entrevoit belles ceuvres et poser plus de problèmes mon » (vers 1628), a même force sculp- un tourbillon d'idées, de talents : Claude qu'elle n'en résout. turale et même tragique coloris blafard que Mellan le graveur, Traivoel et son portrait, dans la « Peste d'Asdod », du Poussin, l'auteur •de la puissante « Libération de En quel sens existait-il à Rome, vers qui est plus tardive (1631). saint Pierre » ; jeunes artistes qui, à l'occa- 1620, une e avant-garde caravagesque » ? sion, savaient regarder le Caravage, comme Le Caravage, mort en 1610, ne laissait Presque 'hyperréaliste » à d'autres le Guide, ou les Hollandais, mais guère, dans la ville qu'il avait dû précipi- qu'il est bien excessif d'appeler « carava- tamment fuir, en 1606, pour son odeur de Plusieurs de ces « Français » sont en fait roussi, que quatre grands tableaux d'autel, gesques ». ou lorrains ou flamands. Notamment En somme, ces quatorze peintres, que outre le cycle de Saint-Louis-des-Français, dans l'entourage de Saraceni. Quant à Ni- mal déchiffrable dans la pénombre. Quand présente le Grand-Palais, ce sont ou des colas Régnier, né à Maubeuge (cité des Français qui ne sont pas tous « carava- on songe aux milliers de tableaux qui Pays-Bas), formé à Anvers et mort à ornent les centaines d'églises romaines, •la gesques », ou des « caravagesques » qui Venise, on voit mal de quel droit il est ne sont pas tous français. N'importe, pour- liste est brève. Faut-il supposer que les accueilli dans l'exposition, lui qui pourrait admirateurs aient fait le pèlerinage de vu qu'un point d'intersection les unisse n'avoir jamais mis les pieds en France, la Rome des années 1610-1630. Ce milieu Malte, Syracuse, Messine et Naples ? Non ; quand un Louis Finson en est écarté, mal- mais alors ? international était bouillonnant d'inventions, gré sa carrière provençale. « Cecco del les tableaux sont de très haut vol, et cela De qui s'inspiraient les e caravagesques » reste une énigme. Son fait une exposition de rare qualité. français », qui, très vraisemblablement, ne « Joueur de flûte » s'impose par sa franche connaissaient pas Pceuvre du Caravage ? découpe de lumières et d'ombres, par sa BERNARD TEYSSEDRE Le Nouvel Observateur 79