Le Débat Public Sur La Xénotransplantation Au Canada
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Annexe 2 Études de cas Moustapha Faye et Julie Hagan Sous la direction de Pierre Hamel Département de sociologie Université de Montréal 2010 - 1 - Le débat public sur la xénotransplantation au Canada Étude de cas Moustapha Faye Introduction Définir la xénotransplantation comme le « transfert de cellules, de tissus ou d‟organes vivants d‟origine animale à l‟être humain » (Leroux, 2005 : 21; Marquis, 2003 : iii, 1; Claprood, 2002 : i; Obadia, 2001 : 2) correspond toujours à l‟annonce d‟une volonté de limiter son propos aux risques pour la personne humaine de cette technologie. Sur le site internet de Santé Canada, il est mentionné que « par xénotransplantation, on entend le transfert de cellules, de tissus ou d‟organes vivants, d‟une espèces animale à une autre »2. Scientifiquement, cette définition est plus exacte, rien ne légitimant la non prise en compte des expérimentations de xénogreffes sur des espèces non humaines. Mais si on souscrit à la définition de Santé Canada, on doit constater que dans les faits la xénotransplantation est déjà pratiquée au Canada. En effet des « essais pré-cliniques ou expérimentaux » sur des animaux se pratiquent déjà (ACSP, 2001 : 1). Ces essais pré-cliniques, à différencier des essais cliniques qui eux sont censés porter sur des humains, n‟ont cependant jamais été l‟objet de controverses publiques3. À l‟évidence, 1 Thérèse Leroux précise que cette définition provient d‟un document intitulé Dossier xénotransplantation, de la Direction des produits biologiques et des thérapies génétiques de Santé Canada. En outre, on retrouve cette définition dans un document du Programme des Produits Thérapeutiques de Santé Canada : Enquête sur le don d’organes, 17 décembre 1999, disponible sur le site http://www.hc- sc.gc.ca/dhp-mps/brgtherap/activit/consultation/xenotransplant/xeno_survey-enquete-fra.php (consulté en août 2009). 2 http://www.hc-sc.gc.ca/dhp-mps/brgtherap/activit/fs-fi/xeno_fact-fait-fra.php (consulté le 15 juillet 2009). Cette même définition est reprise par le Groupe de consultation publique dans le rapport consacré à la consultation publique qu‟il a supervisée. Mais ce dernier a pris le soin de préciser que « dans le cadre de cette consultation, la xénotransplantation fait référence à la transplantation d‟un animal à un être humain (ACSP, 2001 : v). 3 Le Groupe de consultation publique note à ce sujet que : « ces essais pré-cliniques ou expérimentaux ne font pas intervenir d‟êtres humains et ne sont pas non plus réglementés par Santé Canada. Les xénogreffons sont considérés comme des produits thérapeutiques et ne peuvent être utilisés dans des essais cliniques [(c‟est nous qui soulignons)] qu‟avec l‟autorisation de Santé Canada » (ACSP, 2001 : 1). - 2 - l‟existence d‟un débat public mettant à jour les différentes perceptions de la technologie biomédicale de la xénotransplantation n‟est due qu‟aux espoirs et craintes des hommes et des femmes pour leur vie et leur bien-être4. Selon Thérèse Leroux, « la réalité de la xénotransplantation a été portée à la connaissance du public de façon particulièrement dramatique avec le cas de „„Baby Fae‟‟, un nouveau né de sexe féminin souffrant d‟une hyperplasie du cœur gauche qui reçut le cœur d‟un babouin nommé Goobers lors d‟une opération effectuée le 26 octobre 1984, au Loma Linda Medical Center en Californie » (Leroux, 2005 : 2). Entre 1995 et 20095, sur ce registre de la médiatisation de la xénotransplantation à travers des expériences humaines, on peut mentionner deux autres exemples rapportés dans les journaux écrits canadiens. Le premier est la transplantation, en 1995, aux États-Unis, de la moelle osseuse d‟un babouin sur Jeff Getty, un malade du sida de 38 ans (Lire, par exemple, PR.15.07.95; PR.24.12.95). Cette expérience s‟est finalement soldée par un échec puisque Jeff Getty finit par mourir de sa maladie le 9 octobre 2006, à l‟âge de 49 ans. Le second est l‟expérience, en 1994, de Mavis McArdle, une ancienne employée d‟air Canada âgée de 55 ans, qu‟un foie de porc a permis de survivre pendant 24 heures, le temps de trouver un foie humain dont la transplantation a été salvatrice. Cette expérience assimilée à une xénotransplantation réussie (Le Quotidien.20.07.98) n‟en a pas été une véritable, puisque l‟organe de porc, bien que relié à l‟organisme de la patiente pendant un temps bref, n‟a jamais été introduit à l‟intérieur de celui-ci (PR.03.02.1995). En dehors de ces exemples, ce sont des annonces d‟avancées scientifiques jugées fondamentales (l‟exemple du clonage réussi de six porcelets par une équipe américano- japonaise en mars 2000) et des rencontres scientifiques (congrès et colloques), qui ont fourni les principales opportunités de la publicisation médiatique de la xénotransplantation. Ainsi, sur la base des articles de presse publiés à partir de 1995, le premier évènement médiatisé au cours duquel il a été question de la 4 Pour une telle raison, à chaque fois qu‟il est mentionné dans ce texte, des données tirées des rapports de Santé Canada, de l‟Association canadienne de santé publique ou du Programme des produits thérapeutiques celles-ci ne portent que sur la transplantation de l‟animal à l‟humain. Aussi les expressions « débat public », « rencontre », « forum », « atelier », « procédure » ou « délibération » « sur la xénotransplantation », renvoient à la transplantation de l‟animal à l‟humain. 5 Le choix de ce travail a été de ne prendre en compte que les faits s‟étant déroulés entre 1995 et 2009. - 3 - xénotransplantation est le 17e congrès mondial de la Société de transplantation (The Transplantation Society). Ce congrès qui réunissait, en juillet 1998, 3500 spécialistes à Montréal, fut marqué par des controverses, rapportées dans plusieurs journaux, relatives d‟une part aux connaissances scientifiques insuffisantes pour prémunir les patients de divers « risques » et, d‟autre part, aux questions éthiques que pose la xénotransplantation. Toutefois, la médiatisation d‟événements ponctuels ne rime pas forcément avec l‟existence d‟un débat public. C‟est pour cette raison qu‟il n‟est possible d‟attester de l‟existence d‟un débat public sur la xénotransplantation au Canada qu‟en considération des rencontres universitaires ouvertes au public et surtout de la consultation de celui-ci voulue par Santé Canada et organisée par l‟Association canadienne de santé publique (ACSP). En effet, les seuls échanges publics sur la xénotransplantation qu‟il est possible de reconstituer et d‟analyser sur la base de documents écrits ont eu lieu dans le cadre des procédures institutionnelles que sont les rencontres universitaires et celles sous l‟initiative et/ou la supervision de Santé Canada. À supposer qu‟une dimension non institutionnalisée du débat public sur la xénotransplantation ait existé, on ne peut que constater l‟absence de sources permettant de la mettre en évidence. Pour une telle raison, cette étude de cas ne pouvait rendre compte d‟une dimension autre qu‟institutionnelle de ce débat public sur la xénotransplantation. Les principaux enjeux de celui-ci sont : - l‟espoir et la promesse servant de légitimation à la xénotransplantation d‟une disponibilité illimitée d‟organes, de tissus et de cellules pour tout malade en ayant besoin. Cette promesse contraste avec la situation prévalant partout d‟une pénurie d‟organes ; - les risques médicaux ou la menace que cette avancée technologique et scientifique fait peser sur la société toute entière; - le coût économique pour la société et la rentabilité pour les firmes pharmaceutiques du développement du marché de la transplantation; - 4 - - le vide juridique ou réglementaire concernant la xénotransplantation (constaté jusqu‟en 20016); - l‟incompatibilité supposée de cette technologie avec un « traitement humain des animaux » (ACSP, 2001 : 28). Différentes procédures de consultation publique, sous l‟initiative de Santé Canada, ont permis de débattre de ces enjeux et de connaître les avis dominants et minoritaires du public sur la xénotransplantation. Il est important de souligner qu‟à l‟origine, la démarche de Santé Canada était motivée par une volonté de mettre sur pied une réglementation spécifique à la transplantation de l‟animal à l‟humain. Le recueil des avis du public n‟a débuté qu‟après plusieurs rencontres d‟experts dont le but était la production de normes censées encadrer cette transplantation7. Au départ, la non-autorisation de la technologie permettant cette transplantation de l‟animal à l‟humain n‟était pas des scénarios envisagés par Santé Canada. Cette institution a dû cependant tenir compte de la volonté de certains représentants associatifs, invités à la préparation de la consultation du public canadien, de ne pas seulement donner leurs avis mais aussi d‟influencer les décisions à prendre et de permettre aux autres citoyens d‟en faire autant. Les différentes démarches de consultation publique par rapport auxquelles Santé Canada a joué un rôle primordial ont été : 1) l‟organisation d‟un forum national relatif « aux aspects cliniques, déontologiques et réglementaires » (6 et 7 novembre 1997; 2) la soumission au public d‟une « Proposition d’une norme canadienne pour la xénotransplantation », en juillet 1999 (http://www.hc-sc.gc.ca/dhp- mps/brgtherap/activit/fs-fi/xeno_fact-fait-fra.php; 3) le parrainage, en avril 2000, d‟un « atelier de planification » de la « consultation du public » (APCP). Cet APCP a été suivi du financement de « l‟Association canadienne de santé publique afin qu‟elle forme un groupe de consultation publique et qu‟elle dirige [ce] processus de consultation » 6 Ces « carences de la législation et de la réglementation » en matière de xénotransplantation sont notées dans le rapport de la vaste consultation, aboutissement du débat public initié par Santé Canada sur les transplantations des l‟animal à l‟humain (ACSP, 2001 : vi) 7 Cette volonté originelle de réglementer la xénotransplantation – ce qui consiste plus ou moins implicitement à son autorisation – est ce qui fait remarquer à un participant de l‟Atelier de planification de la consultation du public ce qui suit : « Il y aurait lieu d‟indiquer, à un moment donné, où en est Santé Canada.