UNIVERSITE D’

ECOLE NORMALE SUPERIEURE

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Département de Formation Initiale Littéraire

Centre d’Etudes et de Recherche en

Langue et Lettres Françaises

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Mémoire en vue de l’obtention du

CERTIFICAT D’APTITUDE PEDAGOGIQUE DE L’ECOLE NORMALE

CAPEN

L’EXIL

A TRAVERS CHANTS POUR ABEONE,

SYLVES ET VOLUMES

de Jean-Joseph RABEARIVELO

Présenté par : RENIMAMPIAINA Mbolatiana Coroni

Date de soutenance : 09 Décembre 2015

UNIVERSITE D’ANTANANARIVO

ECOLE NORMALE SUPERIEURE

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Département de Formation Initiale Littéraire

Centre d’Etudes et de Recherche en

Langue et Lettres Françaises

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Mémoire en vue de l’obtention du

CERTIFICAT D’APTITUDE PEDAGOGIQUE DE L’ECOLE NORMALE

CAPEN

L’EXIL

A TRAVERS CHANTS POUR ABEONE, SYLVES ET VOLUMES de

Jean-Joseph RABEARIVELO

Présenté par : RENIMAMPIAINA Mbolatiana Coroni

Président du jury : Mme RAMAROSOA Liliane, Professeur titulaire Jury : M. RANOELISON Rivo, Maître de conférences Rapporteur : Mme RANAIVOZANANY Sahondra, Maître de conférences

Année 2015 Date de soutenance : 09 Décembre 2015

DEDICACES

A

DIEU, le Seul à qui je dois tout ! Pour sa bonté infini !

Ionel, ma source d’inspiration !

REMERCIEMENTS

L’aboutissement de cette recherche est le fruit des efforts soutenus par plusieurs personnes que je tiens sincèrement à remercier ici :

 Mme Ranaivozanany Sahondra, directeur de ce mémoire, pour sa grande disponibilité, son soutien inestimable et sa gentillesse.

 Mme RAMAROSOA Liliane, président du jury, pour ses précieux conseils, ses critiques constructives et son aide.

 M. RANOELISON Rivo, jury, pour son aide, ses critiques constructives et son encouragement.

 M. RAKOTOMANGA Brice, pour sa collaboration dans la consultation des archives de JJR, autres documents clés et son encouragement.

 Toute l’équipe pédagogique de l’ENS, particulièrement les professeurs du CER-Langue et Lettres Françaises qui m’ont fourni les outils nécessaires à la réussite de mes études universitaires.

Qu’il me soit permis de remercier également :

 Ma famille, pour son soutien intemporel.

 Mes collègues de la promotion SELEENA

Et tous ceux qui ont contribué de près ou de loin à l’élaboration de ce mémoire, mes profondes reconnaissances ! SOMMAIRE

Introduction générale ………………………………………………………………………………………………1

PARTIE 1 – LE CONTEXTE D’ECRITURE RABEARIVELIENNE DE CHANTS POUR ABEONE, SYLVES ET VOLUMES

I. LE MILIEU LITTERAIRE ENTRE 1915 ET 1930 ……………………………………………………….3 A- LE DEBUT DE LA LITTERATURE MALGACHE…………………………………………………………..3 B- Le VVS, LES « AINES »ET LEUR EXIL ………………………………………………………………………4 C- L’EFFERVESCENCE CULTURELLE DU TEMPS DES CADETS …………………………………….5 D- LE MOUVEMENT « MITADY NY VERY» …………………………………………………………………8

II. LE ROLE ET LA PLACE DE JJR DANS CE MILIEU LITTERAIRE…………………………………..9 A- PREMIER POETE MALGACHE A ECRIRE EN FRANÇAIS…………………………………………10 B- CHEF DE FILE POUR LA LITTERATURE MALGACHE ….………………………………………….10 C- LE VA-T-VIENT ENTRE LA LITTERATURE MALGACHE ET FRANCAISE…………………….12

PARTIE 2- LA FORTE PRESENCE DE L’EXIL

I. LA PRESENCE DIRECTE DE L’EXIL…………………………………………….………………………….15 A- DEFINITIONS…………………………………………………………………………….………………………….16 B- LES POEMES QUI EXPRIMENT L’EXIL AU PREMIER DEGRE……………………………………16

II. LES DIFFERENTES CONNOTATIONS DE L’EXIL…………………………….………………………19 A- DANS LES TITRES DES RECUEILS………………………………………………….………………………19 B- DANS LES MOTS ET EXPRESSIONS RENVOYANT A L’EXIL ……………….…………………..23 C- DANS LES THEMES TRAITES…………………………………………………………………….……………29

PARTIE 3- LES SENTIMENTS D’EXIL

I- LA NOSTALGIE……………………………………………………………………………………………………42 A- LE REGRET DU PASSE……………………………………………………………………………………….…45 B- LE DEGOUT DU PRESENT……………………………………………………………………………………50

II- L’ESPOIR ET L’ANGOISSE DU DEPART……………………………………………………………….55 A- L’ESPOIR……………………………………………………………………………………………………………56 B- L’ANGOISSE DU DEPART ………………………………………………………………………………….63

III- LA FRUSTRATION ET LE DESENCHANTEMENT…………………………………………………..66 A- LA FRUSTRATION ………………………………………………………………………………………………66 B- LA DESILLUSION/LE DESENCHANTEMENT……………………………………………………………71 C- LE DERACINEMENT…………………………………………………………….………………………………76

PARTIE 4- LE SENS PROFOND DE L’EXIL

I- RELATIONS AMBIVALENTES AVEC L’OCCIDENT…………………………………………………81 A- PASSION DE LA LANGUE ET DE LA CULTURE FRANCAISES ……………………………….…81 B- SES MOTIVATIONS INTIMES…………………………………………….…………………………………91 C- LE REVE D’ECRIRE MALGACHE EN FRANÇAIS………………………………………………………97

II- L’ATTACHEMENT A LA TERRE NATALE………………………………………………………….100 A- LA GLORIFICATION DU PASSE ET DE LA CULTURE…………………………………………….100 B- L’EXALTATION DE LA DOUCEUR DU PAYS NATAL……………………………………………..105 C- LE RETOUR AUX SOURCES ET L’ENRACINEMENT…………………………………………..….108

Conclusion générale…………..………………………………………….………………………………………119 Liste des tableaux …………………………………………………………………………………………………121 Bibliographie …………………………………………………………………………………………………………122

INTRODUCTION GENERALE

La figure de l’exilé hante la littérature depuis ses origines : Ulysse, Adam et Eve, Moïse sont chacun à leur manière des exilés. Contraints de partir hors de leur terre d’origine, ce voyage sans retour devient le cœur de leur histoire. L’exil touche aussi bien sûr des écrivains, de Socrate et Ovide à Hugo et Zweig jusqu’à Jean-Joseph RABEARIVELO ?

Sachant qu’il n’a jamais quitté le sol natal, comment Rabearivelo peut-il être exilé ?

« Tout poète est un exilé au paradis perdu de son enfance. C’est dans la nature de l’homme de se sentir exilé. Car il rêve d’un modèle qui n’est pas celui qui l’entoure. C’est un sentiment assez poétique.» disait l’écrivain FX-MAHAH1

Le présent mémoire intitulé : l’ « Exil à travers Chants pour Abéone, Sylves et Volumes » tentera alors d’apporter une contribution pour une meilleure compréhension/connaissance du poète et de ses œuvres car beaucoup de questions restent en suspens encore sur « cet inconnu ».

« L’exil est quelquefois, pour les caractères vifs et sensibles, un supplice beaucoup plus cruel que la mort2» écrit l’exilée Mme de Staël3. L’était-ce aussi pour notre poète ? L’Exil est-il le sentiment le plus profond que Rabearivelo ait vécu ? Telle est la problématique à laquelle nous essaierons de répondre dans ce mémoire.

Pour cela, notre corpus est composé de trois recueils de poème: - Sylves, en 1927 - Volumes, en 1928 - Chants pour Abéone, en 1936

1 François-Xavier Razafimahatratra, « De l’exil à la nostalgie au travers de la littérature malgache », Études Océan indien [En ligne], 40-41 | 2008, mis en ligne le 29 septembre 2011, consulté le 13 mars 2015. URL : http://oceanindien.revues.org/1398 ; DOI : 10.4000/oceanindien.1398 2 Citation extraite de l’article “exil » du dictionnaire de Français Littré sur le web : www. Dicocitations.com 3 Anne Staël-Holstein, in Corinne, XIV, 3 1 Ces trois œuvres de Jean Joseph Rabearivelo qui nous intéressent ici ont été écrites entre 1925 et 1928, pendant la période coloniale. C’était dans les débuts même de la littérature malgache.

Mais s’éloigner, est-ce se taire ? En d’autres mots, l’exil tarit-il une œuvre, comme celle de l’exilé Rimbaud, ou au contraire la nourrit-il ? De quelle expérience singulière l’exilé est-il le porteur ? Et l’inspiration que provoque la solitude ne permet-elle pas d’étendre à toute forme d’aliénation la notion d’exil, de voir en tout écrivain un exilé ?

Pour justifier le choix de notre sujet, grâce à une approche déductive et des analyses sémantico-lexical du corpus, nous vérifierons d’abord la présence du thème de l’exil dans un premier temps. Ensuite, nous examinerons les sentiments et états d’âme qui animent le poète selon des temporalités distinctes (pré-exil, exil, post-exil). Enfin, on pourra déduire le sens profond de son exil sachant que JJR n’a jamais quitté l’île.

Mais avant cela, comme « toute œuvre est empreinte du vécu/imaginaire de son auteur » nous-ont toujours enseigné nos professeurs de littérature à l’ENS, il convient d’apporter quelques précisions sur les contextes d’écriture des recueils en question ainsi qu’un bref résumé de la vie de Rabearivelo.

2 PARTIE 1 – LE CONTEXTE D’ECRITURE RABEARIVELIENNE DE CHANTS POUR ABEONE, SYLVES ET VOLUMES

Comme toute écriture s’inscrit dans un contexte qui influence l’auteur et donc son œuvre, il est important que nous commencions par des rappels historiques, littéraires et socioculturels de l’écriture Rabearivelienne, ainsi qu’un bref résumé de la vie de l’auteur et de son parcours intellectuel. Ce sont là des réalités à tenir en compte pour avoir une vue d’ensemble sur les événements autour desquels s’est effectué la création littéraire de J.-J. Rabearivelo, et ceci en rapport avec nos recherches.

I. LE MILIEU LITTERAIRE ENTRE 1915 ET 1930

Dans quel environnement et milieu littéraires Rabearivelo a-t-il baigné depuis sa naissance et pendant l’élaboration des trois œuvres qui nous intéressent ? Telles sont les questions auxquelles nous aimerions répondre dans cette première partie. Pour cela, nous allons en premier lieu résumer les points essentiels du début de la littérature malgache. Ensuite, nous nous concentrerons sur les années 1915 à 1930, ce qui correspond au mouvement nationaliste VVS (Vy, Vato, Sakelika), aux écrivains dits « les Ainés », à l’effervescence culturelle du temps des cadets et au mouvement « Mitady ny very ».

A- LE DEBUT DE LA LITTERATURE MALGACHE

La littérature malgache existait déjà bien avant que l’imprimerie ne soit introduite à avec l’arrivée des missionnaires européens au tout début du XIXème siècle. Elle était d’abord une littérature orale, et la poésie orale jouait un rôle majeur. Les poèmes traditionnels malgaches sont alors représentés par de multiples genres, entre autres, en Imerina, par les formes du hain-teny et de la chanson ou kalo, appelées chansons traditionnelles. Cette poésie

3 traditionnelle n’est pas rimée, mais elle obéit à un exigeant système d’accents.4... La littérature écrite ne s’est imposée qu’au début du XIXème siècle quand le Roi Radama 1er fit mettre au point un alphabet en caractère latins destinés à noter la langue du royaume en voie d’unification. Dès que les outils linguistiques furent élaborés, les premiers textes malgaches imprimés furent des traductions bibliques. Puis il y avait les cantiques et livres de prières traduites du français qui ont progressivement mis les auteurs malgaches sur la voie de l’imitation, c’était surtout des poèmes profanes. On date généralement de 1875 la première poésie profane en langue malgache. Les missionnaires étrangers proposent successivement plusieurs codifications de la poésie malgache, en référence à des modèles européens. Ainsi paraît dans l’Antananarivo Annual de 1876 une étude des missionnaires protestants Hardley, Richardson et Dalhe, qui suggère d’adapter la versification européenne à la langue malgache5.

B- Le VVS, LES « AINES »ET LEUR EXIL

La théorisation opérée par les missionnaires ouvre la voie à de nouvelles propositions théoriques, qui sont le fait, cette fois, de poètes malgaches, praticiens avant d’être théoriciens. Parmi ces poètes malgaches des années 1900 1915, ceux qu’on appellera ensuite Ny Mpanoratra zokiny (Les Aînésr), il y a : , Alfred Ramandiamanana, Auguste Rajon, Ramaholimihaso, Jasmina Ratsimiseta... Certains utilisent des pseudonymes pour avoir davantage d’aisance dans l’expression ; c’est ainsi que Stella est le prête-nom d’Édouard Andrianjafitrimo, Jupiter celui de Justin Rainizanabololona, ou encore Eli-Sephon celui d’Alphonse Ravoajanahary. Ils publient dans les journaux de la capitale, dont ils sont souvent les rédacteurs en chef : les Vaovao frantsay-

4 RIFFARD Claire, « Les débuts de la poésie écrite en langue malgache », Études océan Indien [En ligne], 40-41 | 2008, mis en ligne le 19 mars 2013, consulté le 03 novembre 2015. URL : http://oceanindien.revues.org/1391 ; DOI :10.4000/oceanindien.1391 5 RIFFARD Claire, « Les débuts de la poésie écrite en langue malgache », Études océan Indien [En ligne], 40-41 | 2008, mis en ligne le 19 mars 2013, consulté le 03 novembre 2015. URL : http://oceanindien.revues.org/1391 ; DOI :10.4000/oceanindien.1391 6 Désignation de la génération d’écrivains pionnière des années 1906 4 malagasy (Nouvelles franco-malgaches), Ny Basivava (Le Bavard), Mifoha i Madagasikara (Madagascar se réveille), ou Ny Lakolosy volamena (La Cloche en or). Le contenu des poèmes est souvent à double sens, dans un contexte de montée du mouvement nationaliste malgache. Il s’agit dans la plupart, de poésie dite classique, de poèmes engagés qui ne déplorent pas seulement la perte d’un coin de terre, mais celle du pays entier, la terre des ancêtres, avec quelquefois un appel à rejoindre le mouvement nationaliste du VVS La grande majorité des écrivains malgaches avaient participé à ce mouvement nationaliste clandestin pour réagir contre les colonisateurs français. C’est ainsi que lors de la violente répression de 1915, beaucoup d’entre eux avaient été déportés, ou étaient au mieux réduits au silence depuis cette époque.

C’était seulement en 1922 que les Aînés reviennent de leur exil et vont ainsi former les nouvelles générations de poètes apparus pendant la décennie 1920 : Ny Mpanoratra Zandriny (« les Cadets7 »). Ces derniers avaient commencé prudemment par écrire une poésie lyrique. Ils étaient hermétiques à l’engagement politique.

C- L’EFFERVESCENCE CULTURELLE DU TEMPS DES CADETS

Les années 1920-1930 sont effectivement marquées par une effervescence culturelle sans précédent à Madagascar. Cela a consolidé les assises de la littérature ainsi que de la peinture contemporaines.8 Une nouvelle génération d’auteurs, appelés les « Cadets », s’est formée autour de Rabearivelo, Samuel Ratany, Charles Rajoelisolo, mais aussi Jean Narivony, Rafanoharana, Jean-Honoré Rabekoto9, Raharolahy...

De nouveaux journaux sont alors fondés, comme le Tsara Hafatra, « le bon message », ou bien Ny Mpandinika « le Penseur », Tanamasoandro « le

7 La critique littéraire malgache désigne par les « Cadets » (Zandriny) la génération d’écrivains qui a investi l’arène littéraire en 1922, au retour des exilés de la VVS. 8MEITINGER Serge, RAMAROSOA Liliane, INK Laurence et RIFFARD Claire: Jean-Joseph RABEARIVELO, Œuvres complètes Tome II. Le poète-Le narrateur-Le dramaturge-Le critique-Le passeur de langues-L’historien. CNRS Editions, Paris, 2012, page 1254 9 Ou Lys-Ber 5 rayon de soleil », Ranovelona « Eau vive », Sakafon-tsaina « Nourritures de l’esprit »...

« Pour JJR et sa génération, 1922 est sans conteste l’année de tous les possibles »10. Les condamnés de l’affaire VVS rentrent d’exil et l’interdiction qui réduit en silence la presse pendant sept longues années est levée. Les journaux et revues fleurissent ainsi de nouveau. Cette reprise de l’activité journalistique est d’autant plus déterminante que la presse, faute d’autre alternative et pour des raisons historiques, constituait alors le circuit de production et de légitimation le plus performant. A l’époque de JJR, en effet, « les revues ont su anticiper, accompagner et exprimer les mouvements de création et de critique littéraires les plus novateurs avec un remarquable pouvoir de fécondation et de diffusion»11. C’est dans ce contexte propice que la vie littéraire reprend de l’activité après une longue interruption. Les sanctions à l’issue du procès de la VVS ont en effet brutalement interrompu l’essor de l’institution littéraire malgache, initié en 1906 avec l’apparition des premières revues littéraires hors tutelle du circuit de production des Missions chrétiennes : Basivava12 (Le Bavard), Lakolosy volamena13 (La Cloche d’Or), Masoandro 14 (Le Soleil), la Tribune de Madagascar et Dépendances15, journal de la société coloniale. Vaovao frantsay malagasy, fondé par l’administration en 1897, va aussi accueillir les premières tentatives de littérature contemporaine en malgache. Ces revues ont non seulement servi de tremplin à une abondante production littéraire mais ont aussi joué le rôle de « forum » de réflexion sur la littérature contemporaine. Basivava consacre en 1911 plusieurs numéros aux débats passionnés d’un groupe d’écrivains sur la poésie16. En 1914, J. Rainizanabololona en a fixé les

10 MEITINGER Serge, RAMAROSOA Liliane, INK Laurence et RIFFARD Claire: Jean-Joseph RABEARIVELO, Œuvres complètes Tome2. Le poète-Le narrateur-Le dramaturge-Le critique-Le passeur de langues-L’historien. CNRS Editions, Paris, 2012, page 1254 11 Olivier Corpet, « Revues littéraires », in Encyclopædia universalis, http://www.universalisedu.com. 12 Paru à partir du 7 septembre 1906, sous la direction d’Edouard Andrianjafitrimo (nom de plume Stella), sous la gérance de Millard, puis de Hubner. 13 Paru à partir de 1910, sous la direction de J. Rainizanabolona. 14 Paru à partir de 1910, rédacteur en chef Eli-Sephon. 15 Paru à partir de 1906. 16 Basivava, n° 60, 19 mai 1911 et n° 70, 28 juillet 1911. Voahangy Andriamanantena et Honoré Rakotoandrianoelina rapportent le fait dans « Rabearivelo mpahaitsikera » (« Rabearivelo critique littéraire »), communication inédite. 6 principes dans Lesona tsotsotra momba ny fianarana poezy amin’ny teny malagasy (Petit traité de versification pour la poésie en langue malgache). Cette période héroïque a été marquée par l’appropriation enthousiaste des techniques littéraires occidentales (versification, prosodie, techniques narratives), ce qui fut d’ailleurs le cas de toutes les jeunes littératures du sud, à leurs débuts. Pour le cas des écrivains formés au sein de l’institution littéraire sous tutelle des Missions, les productions seront en outre fortement assujetties aux modèles de représentation littéraire « évangéliques ». En 1923, le circuit de production littéraire coloniale marque également un tournant. De hauts fonctionnaires de l’administration coloniale et hommes de lettres – dont, en particulier, Pierre Camo et Robert Boudry – ont été les mécènes actifs de revues littéraires, de cénacles, fréquentés par des colons férus de littérature et, pour la première fois, par « les indigènes qui s’abreuvent de latinité également17.

Madagascar bénéficie par ailleurs de l’accessibilité relative « des différents fonds des principaux éditeurs de Paris , lesquels sont presque tous diffusés à Tananarive », et l’engouement est tel qu’ « on ne s’étonne plus guère si pour avoir tardé, l’on ne retrouve point chez son libraire les dernières nouveautés qu’on a vues la veilles, à la devanture »18 Ce vent de renouveau se propage très vite par la force d’entraînement des « confréries » soudées autour d’une véritable communauté d’esprit et de cœur : soit dans le cadre d’associations comme la « Phalange Rabearivelo » (à partir de 1922) 19 ; soit par affinités personnelles comme celles qui liaient JJR et Esther Razanadrasoa, à l’origine de la revue Tsarahafatra (1927-1931); soit autour de mouvements littéraires, comme celui de Hitady ny very20. Bref, auprès de la génération des « cadets », soucieuse de dépoussiérer l’esthétique littéraire des « aînés » et souhaitant rénover en profondeur le paysage littéraire malgache, les

17 RAMAROSOA Liliane: « Le critique » in Jean-Joseph RABEARIVELO, Œuvres complètes Tome II. CNRS Editions, Paris, 2012, 1255-1256 18 RAMAROSOA Liliane: « Le critique » in Jean-Joseph RABEARIVELO, Œuvres complètes Tome II. CNRS Editions, Paris, 2012, page 1256 19 La Phalange Rabearivelo est un groupe d’amis de JJR qui, sous sa direction, mène des activités de promotion de la littérature. Parmi les membres fondateurs : Lys-Ber (Joseph Honoré Rabekoto), Harioley (Raharolahy), James Raoely, Samuel Ratany 20 Ou « A la recherche des valeurs perdues », mouvement littéraire de 1931-1934 7 conditions de reprise de la vie culturelle et littéraire en 1922-1923 éveillent tous les espoirs.21

D- LE MOUVEMENT « MITADY NY VERY »

Le mouvement « Mitady ny very » ou « à la recherche de ce qui est perdu » est né au du début du XXème siècle, une période capitale pour l’histoire de la littérature malgache. Elle s’avère être une période de Renaissance littéraire et culturelle du pays.

La démarche et les expérimentations littéraires de ce mouvement ont eu une influence décisive sur la poésie malgache du XXe siècle. La singularité et la force d’innovation du mouvement Mitady ny very se posent en rupture face aux renoncements et aux compromissions de la littérature dominante de l’époque.22

Les recherches du groupe se répartissent entre plusieurs pôles. Charles Rajoelisolo propose par exemple une redécouverte de la poésie traditionnelle, la poésie ntaolo, des ancêtres, dans une série d’articles. D’autre part, les fondateurs du mouvement tiennent à mettre en valeur la littérature contemporaine ; par exemple dans un article intitulé : « Olomanga sy masoandro vao misondrotra hiarahaba », «La fine fleur et les soleils levants vous saluent », article qui présente les poètes Rajaonah Tselatra, Daondavitra, Ny Avana, J.J. Rabearivelo, Tanicus, Mandiavato, Farahalo, Robert Ratsimbazafy...

Le mouvement « Mitady ny very » entend alors préserver le patrimoine culturel national (« vakodrazana malagasy »), tout en l’enrichissant des expériences étrangères. Sa conception va privilégier :

- La prépondérance de la langue nationale, par la mise en place de concours de kabary, la diffusion de directives précises concernant la traduction, et d’études sur la langue malgache dans les journaux ...

21 RAMAROSOA Liliane: « Le critique » in Jean-Joseph RABEARIVELO, Œuvres complètes Tome II. CNRS Editions, Paris, 2012, page 1256 22 RIFFARD Claire, « Les débuts de la poésie écrite en langue malgache », Études océan Indien [En ligne], 40-41 | 2008, mis en ligne le 19 mars 2013, consulté le 03 novembre 2015. URL : http://oceanindien.revues.org/1391 ; DOI :10.4000/oceanindien.1391 8 - L’utilisation du genre romanesque pour former les lecteurs, en exigeant de sortir de l’écriture de « romans de quat’sous » (« bokin-draimbilanja »). Charles Rajoelisolo publie dans les Sakaizan’ny tanora de mai 1930 à novembre 1931 des conseils aux jeunes romanciers.

- La reprise du substrat traditionnel de la poésie et l’ouverture aux apports étrangers.

Pour cela, le trio de jeunes poètes ouvre trois chantiers poétiques. Ny Avana tente d’initier une nouvelle génération poétique qui se détacherait de la rime, Rajoelisolo exhume et met en valeur les genres traditionnels de la poésie malgache, notamment par le biais d’articles dans le Fandrosoam-baovao (notamment entre janvier et avril 1932). Et JJR ? Nous en parlerons en détails dans la partie suivante.

II. LE ROLE ET LA PLACE DE JJR DANS CE MILIEU LITTERAIRE

Dans ce bouillonnement littéraire dans lequel Rabearivelo a baigné, des questions se posent : Quel rôle joue-t-il ? Quelle est sa place ? Y a-t-il contribué et comment se distingue-t-il des autres ?

A- PREMIER POETE MALGACHE A ECRIRE EN FRANÇAIS

Pour la plupart, les auteurs de ces années 1920 et 1930, gardaient leur langue maternelle comme langue d’écriture, mais certains dont Jean-Joseph Rabearivelo ont choisi d’écrire à la fois dans leur langue maternelle et dans la langue des colons. Rabearivelo fut alors l’un des premiers (si ce n’est le premier) écrivains à écrire et à publier des œuvres en français.

En effet, Pierre Camo introduisit JJR dans les milieux littéraires français dès leur rencontre en 1921 et lui ouvre largement les colonnes de sa revue 18°

Latitude Sud23. Rabearivelo se détachait ainsi du lot en collaborant avec cette revue dès 1923 (1ère série : 1923-1924 ; 2ème série : 1926-1927) avec, entre autres, des traductions en français de poèmes malgaches. 9

Bien des gens pensent que la première publication de Rabearivelo date de 1924 avec son premier recueil écrit en français : La Coupe de cendres. Mais au faite il y a déjà eu une publication antérieure datant du 24 mai 1921 d’un poème intitulé : « Le Couchant » in La Tribune de Madagascar et Dépendances, Tananarive, seulement Rabearivelo avait pris le pseudonyme de Jean Osmé. Au fait, entre 1920 et 1921, JJR a publié quelques textes critiques épars dans de petites publications comme Vakio ity et Mpijinja. D’autres publications moins connues apparaissent ensuite entre 1923 et 1924. Il publie régulièrement des poèmes et des textes critiques dans Le Journal de Madagascar franco-malgache, un bi-hebdomadaire en français. En mars 1923, par exemple, il publie: « Nouveau soir malgache » (poème), puis en avril de la même année : « Stances ». Les écrits s’enchaînent et ils sont tous en français : Sylves (1927), Chants pour Abéone (écrit en 1926 et 1927, publié en 1936), Volumes (1928), puis deux romans historiques qui attendront, pour des raisons politiques, plus de cinquante ans pour être édités : L’Aube rouge (1924, éd. 1998), L’Interférence (1928, éd. 1988). Puis les deux célèbres recueils Presque songes (1934) et Traduit de la nuit(1935). Bref, ses publications en français sont nombreuses, riches, variées et aucun autre auteur de son époque ne possédait une telle liste d’œuvres en langue française. On le surnommait d’ailleurs : « Prince des poètes malgaches » selon le mot de Léopold Sédar Senghor.

B- CHEF DE FILE POUR LA LITTERATURE MALGACHE

Grace à ses écrits, Rabearivelo est très présent et actif sur la scène intellectuelle et culturelle de son pays comme journaliste, comme écrivain, poète,

23 Un périodique mensuel sur la littérature et l’art, dirigée par Pierre Camo , de 1923- 1924 et 1926-1927 10 romancier, dramaturge, essayiste, critique d’art, traducteur (Baudelaire, Verlaine, Valéry, Rilke, Whitman, Gôngora... !)

 L’éclaireur présent partout L’exercice critique de JJR fournit en premier lieu des éclairages d’ordre esthétique sur la littérature et sur l’art, nourris de l’actualité artistique et littéraire tananarivienne, de ses lectures et de sa correspondance entretenue avec une véritable boulimie. Sa curiosité insatiable et le sens aigu qu’il avait de son statut « d’intellectuel colonisé » l’ont également incité à s’exprimer sur les événements politiques qui ont défrayé la chronique dans les années 30. L’œuvre critique de JJR constitue de ce fait un témoignage de première main sur toute une génération littéraire et sur toute une époque24. Que ce soit dans les groupes et associations, dans les cercles littéraires, Rabearivelo était présent, non en tant que simple membre ou spectateur mais en tant qu’acteur principal.

 Reconnu par ses pairs Dès 1922, JJR est reconnu par ses pairs comme le « chef de file » de l’avant-garde culturelle et littéraire de leur génération. Sous sa direction, un groupe de ses amis constituaient : « La Phalange Rabearivelo » qui mène des activités de promotion de la littérature. Il y avait : Lys-Ber (Joseph Honoré Rabekoto), Harioley (Raharolahy), James Raoely et Samuel Ratany. Ils se sont lancés dans l’aventure éditoriale et collaborent à la revue Mpanoro-lalana (Le Guide) et tentent même de créer un journal littéraire bilingue sous le titre de Takariva volafotsy (Soirée d’Argent). Ils ont aussi coutume de se retrouver pour déclamer Baudelaire, leur maître à tous et pour se soumettre leurs dernières créations. Le rôle de JJR était alors de faire connaître ces créations. Par exemple, il annonce à Karl Kjersmeier25 le 2 juin 1925 : « Je dois vous dire que j’ai été le promoteur à Tananarive d’un

24 RAMAROSOA Liliane: « Le critique » in Jean-Joseph RABEARIVELO, Œuvres complètes Tome II. CNRS Editions, Paris, 2012, page 1259 25 Carl Kjersmeier est un écrivain danois et collectionneur d’art africain à qui JJR a proposé sa collaboration. 11 groupe de cinq poètes malgaches d’expression française. Je vous envoie aussi quelques poèmes de certains d’entre eux »26

 Chef de file à travers les revues JJR joue aussi pleinement son rôle de « chef de file » à travers les revues au sein desquelles il assume une fonction de mentor. Les débuts des années 20 voient l’émergence d’une multitude de revues aux moyens précaires, aussi éphémères que confidentielles, mais dont la rédaction est assaillie par une foule d’amateurs, désireux de forcer les portes de la carrière littéraire. JJR s’est attaché à canaliser ces « candidatures spontanées », en multipliant les articles – dans les colonnes de Vakio ity (Lisez ceci) et du Journal de Madagascar franco-malgache, entre autres – et en exhortant les apprentis écrivains à travailler la qualité de leurs textes ! D’un autre côté, il s’engage avec fièvre dans la quête de nouveaux talents prometteurs, susceptibles d’assurer la relève27.

C- LE VA-ET-VIENT ENTRE LA LITTERATURE MALGACHE ET FRANCAISE Mise à part cet engouement pour la langue française, Rabearivelo n’a pas cessé d’écrire en malgache. On lui attribue d’ailleurs le qualificatif : «Passeur de langue ». En effet Rabearivelo s’est révélé parfaitement bilingue et subtil passeur entre les deux univers culturels et linguistiques européen et malgache.

 Du malgache au français et vice-versa

Ce sont surtout ses traductions littéraires qui marquent le va-et-vient du poète entre les deux langues. En effet, il va beaucoup traduire, du malgache au français : des « Vieux poèmes malgaches d’auteurs inconnus », des contes traditionnels, les kabary, discours de cérémonies rituels, et surtout les fameux hain-teny si caractéristiques de la culture malgache et dont il se fait – mi-poète mi-ethnologue − le porte-parole fidèle et inspiré dans son recueil Vieilles

26 RAMAROSOA Liliane:« L’épistolier», in « JJR, oeuvres completes tome I, p. 1093 27 RAMAROSOA Liliane: « Le critique » in Jean-Joseph RABEARIVELO, Œuvres complètes Tome II. CNRS Editions, Paris, 2012, page 1259 12 chansons des pays d’Imerina. Il traduit aussi ses contemporains et ses amis Esther Razanadrasoa, Ny Avana Ramanantoanina, Lys-Ber (pseudonyme de Joseph Honoré Rabekoto).28

Il traduit non seulement du malgache au français mais inversement. JJR s’attache à développer les relations entre le monde poétique malgache et l’extérieur, par des traductions de Verlaine, Rimbaud, Whitman, Rilke, Tagore, Laforgue...

Mais Rabearivelo tenta davantage qu’une poétique de la traduction. Il s’aventura, comme quelques rares autres, dans l’exercice le plus périlleux du bilinguisme d’écriture, celui de l’auto traduction.

 Interférence des deux cultures

L’interférence des deux cultures dans les œuvres de Rabearivelo est due au fait qu’il s’en trouve doublement amoureux. La plupart des œuvres de Rabearivelo sont empreints des cultures malgaches et françaises en même temps.

L’édition bilingue de ses deux œuvres majeures «Presque-Songes » et « Traduits de la nuit » démontre déjà cette interférence. Elles sont écrites et éditées dans les deux langues malgache et française en même temps.

D’un côté, fasciné par l’Europe, il lit beaucoup, écrit presque quotidiennement et apprend très vite, il sera proche des milieux coloniaux, lié à quelques hauts fonctionnaires, il tissera même de vraies amitiés avec Pierre Camo29 ou Robert Boudry30. Il se passionne pour la littérature française et correspond avec des écrivains du monde entier : Gide, Paul Valéry31, Jean Amrouche32.

28 SABATIER Arnaud, « Jean-Joseph Rabearivelo », mai 2007. In www.Le blog de Madagascar

29 Magistrat en poste à Madagascar, écrivain et fondateur de la revue 18° Latitude Sud qui publiera des textes de lui 30 Directeur du contrôle financier de la colonie, qui écrira le premier livre sur le poète Jean-Joseph Rabearivelo et la mort en 1958 31 Paul Valéry, de l’Académie Française, a écrit à Rabearivelo, dans une lettre datée du 23 octobre 1930 : « Je vous remercie d’avoir traduit en langue malgache l’un de mes poèmes. Mais surtout je vous félicite de fonder à Madagascar un foyer de culture littéraire française et indigène. La méditation, la rêverie des 13 Mais en même temps, il est aussi un fin connaisseur et un usager subtil de la langue malgache et dès les années 1930, il participe au renouveau de la culture malgachophone. En août 1931, il fonde le journal Ny Fandrosoam-baovao (le Nouveau Progrès), avec Charles Rajoelisolo et Ny Avana Ramanantoanina afin de faire entendre et promouvoir la poésie de son peuple. Il s’agit d’une véritable Défense et illustration de la langue malgache qui marquera la période 1931 à 1939, avec le mouvement littéraire Mitady ny Very, « à la recherche des valeurs perdues » dont on a parlé dans les pages précédentes.

Bref, JJR s’engage avec ardeur et passion au cœur de ce fécond bouillonnement artistique et culturel. La nature des rapports à entretenir avec les modèles occidentaux, la question de l’originalité et de « l’identité» à sauvegarder tout en s’enrichissant de ces nouveaux modes d’expression, tels étaient ses préoccupations33. "Maintenant qu'il n'est plus, nous saisirons plus que jamais sa valeur et nous comprenons quelle place il a occupé parmi nous", dira sur sa tombe le 24 juin 1937 à Ambatofotsy.

Ainsi, on peut dire que Chants pour Abéone, Sylves et Volumes ont été écrits à une époque où le poète et ses compatriotes vivaient encore sous l’emprise des colons. Cela affectait le poète. Il va de soi que ses œuvres portent des traces relatives à la colonisation en plus de son amour pour la langue et la culture occidentale. Cet exil que Rabearivelo a ressenti et vécu est d’ailleurs fortement présent dans les trois œuvres qui nous intéressent. Pour mieux analyser ce thème de l’exil, voyons d’abord à quel point ce thème de l’exil est présent dans le corpus.

hommes. C’est peut-être dans ces îlots de poésie que se conserveront des choses très précieuses dont l’Europe semble se désintéresser aujourd’hui. Je fais des vœux pour l’heureux succès de votre effort et vous prie de croire à mes sentiments d’estime et de grande sympathie. Paul Valéry » 32 Poète algérien qui animait à Tunis « Les Cahiers de Barbarie » où fut publié en 1935, Traduit de la nuit) 33 RAMAROSOA Liliane: « Le critique » in Jean-Joseph RABEARIVELO, Œuvres complètes Tome II. CNRS Editions, Paris, 2012, page 1258

14 PARTIE 2- LA FORTE PRESENCE DE L’EXIL

Ainsi, nous avons pu voir comment et dans quel contexte Rabearivelo a écrit CPA, Sylves et Volumes. A présent, nous allons analyser ces œuvres dans le but de montrer la présence du thème de l’exil. Mais avant cela, voyons quelques explications et définitions nécessaires à la compréhension de ce mémoire.

I. LA PRESENCE DIRECTE DE L’EXIL

Dans cette partie, après quelques définitions, nous allons étudier la présence directe du thème de l’exil dans les trois recueils. Nous entendons par là, l’utilisation des termes renvoyant à l’exil. Pour cela, nous aurons recours à une analyse lexicale et une attention particulière aux répétitions.

A- DEFINITIONS Le terme « exil » est le mot clef de cette étude. Selon le dictionnaire, Larousse 9ème édition, il peut avoir deux sens : 1er sens : C’est l’expulsion de quelqu’un hors de sa patrie, lieu de résidence de cette personne, avec défense d’y entrer. C’est aussi la situation de la personne ainsi expulsée. Il est alors synonyme de bannissement, de déportation, de déracinement, l’éloignement, l’expatriation, l’ expulsion, la proscription, la séparation.

2ème sens : C’est une obligation de séjour hors d’un lieu, loin des personnes qu’on regrette. Dans ce cas, il est alors synonyme d’éloignement, de séparation.

L’exil peut alors être forcé ou volontaire. Il se dit, par extension, de tout séjour dans un lieu qui n'est pas celui où l'on voudrait être, de tout éloignement qui prive de certains agréments qu'on regrette.

15 L’exil de soi est alors compris comme une restriction de ses besoins, de sa manière de voir le monde pour s'adapter aux exigences hostiles des autres (de la rue pour le sans-abri, du public pour l'écrivain...) qui accaparent la plus grande part de l'énergie de la personne34.

Bref, l’exil se révèle au premier degré, géographique et violent : le rejet d'une communauté envers un individu35 ou la nécessité vitale de fuir.

Mais il peut aussi relever d'un choix résultant de diverses causes : celles où la politique se mêle à une attraction intellectuelle ou d'autres, consécutives à la colonisation et/ou à des contraintes économiques ou encore d'aléas professionnels. Une autre forme d'exil résulte d'une volonté pleine et entière d'élire une nouvelle terre d'accueil ou encore du sentiment de la perte irréparable d'un moment privilégié.

Sans plus tarder, voyons comment apparait l’exil dans ses œuvres.

B- LES POEMES QUI EXPRIMENT L’EXIL AU PREMIER DEGRE

Maintenant que les termes de la problématique ont été définis, nous allons étudier dans cette partie, la présence directe de l’exil dans les 3 recueils. Nous entendons ici par présence directe, la présence des termes techniques à savoir exil et exilé(e)s.

Voici un tableau qui résume la fréquence des poèmes entiers et passages évoquant directement la notion d’EXIL en valeur absolue et valeur relative dans les trois œuvres qui nous intéressent :

La fréquence des poèmes contenant les mots « exil » et « exilé(s) » (Tableau 1)

34 Extrait du livre de l’écrivain Lionel Thelen : « L’exil de soi : Sans-abri d’ici et d’ailleurs» publication des Facultés universitaires St Louis, 2006 35 Exemple : Ovide exilé en Thrace et Soljenitsyne déporté en Sibérie ou Lévi de Fossoli à Auschwitz 16

Corpus Chants pour Sylves Volumes Total

Abéone

Fréquence des 5 8 9 22 poèmes Nombre total des poèmes 21 55 55 131

Pourcentage 23, 80% 14,55% 16,36% 16, 80%

Les termes utilisés sont soit « exil » soit « exilé(s) »

Ainsi, 22 poèmes sur 131, c'est-à-dire 16,80% des poèmes écrits par J.J.Rabearivelo dans ces recueils évoquent directement la notion d’exil. C’est une valeur assez importante dans la mesure où ce terme n’est pas un sujet sur lequel tout le monde a toujours quelque chose à dire ni auquel on fait référence gratuitement.

Dans Volumes par exemple, le terme apparaît dès le second poème intitulé « Méditations »

« Est-ce pour mieux jouir de l’amour absolu, Est-ce la peur de voir votre rêve exilé ? » Méditations In VOLUMES,

Puis dans les passages dédiés à ses amis dont : A G. HENRI DE BRUGADA « Pourtant, son inutile exil lui propose l'essor des vols qui n'ont pas fui » VOLUMES.

17 A J.-H. RABEKOTO « De mon coeur qu'ont dépossédé de ses biens l'exil ou la mort » Volumes

Le terme apparaît également dans les deux autres œuvres qui constituent notre corpus.

Dans Chants pour Abéone par exemple :

« Il formera le voeu que le plus tôt finissent son exil, son voyage au multiple tourment ! » Chants, in CPA Ou encore :

« C'est toi ! Tu me devances sur la route de l'exil ! » Les chants continuent, CPA, Et également dans Sylves :

« Exil au sol natal, ô pur exil! » Sonnets et poèmes d’Iarive in Sylves

« et quelle floraison charmera la langueur où, rois découronnés, nous sommes exilés ? » Postlude in Sylves L’exil fait même comme l’objet d’un culte dans Volumes et Sylves. En effet, c’est dans ces deux recueils que le terme « exil » est le plus fréquent. On y trouve des passages où J.J.RABEARIVELO est amené à le traiter dans des poèmes en entier et consécutifs comme dans « Filao, Zahana et Aviavy. » Si on regarde la mise en pages de ces poèmes, on peut alors remarquer que le terme « exil » revient toutes les 2 pages en moyenne dans Sylves. On retrouve

18 ce terme aux pages : 6, 8, 13, 15, 17, 18, 20 et 22, du moins dans les éditions de l’Imprimerie de l’Imerina en 1927.

Par ailleurs, même s’ils ne sont pas très nombreux, on peut également signaler la présence des autres termes appartenant au champ lexical de l’exil dans le corpus, à savoir :

 Egaré (ou égarement) =>3 fois  Isolé, seul => 35fois  Solitude => 6fois  Errer, errant => 6 fois  Importé => 2fois  Etrange(r)s => 15fois

Ce recensement des termes techniques nous a ainsi permis de vérifier combien le thème de l’exil est présent dans CPA, Sylves et Volumes. D’ailleurs, le thème est également évoqué par différents procédés.

II. LES DIFFERENTES CONNOTATIONS DE L’EXIL

Outre le fait que les poèmes abordent directement le thème de l’exil, nombreux poèmes y font également référence de manière indirecte et sous- entendue. Certains mots, expressions et images contenus dans les poèmes renvoient effectivement à la notion d’exil. Nous allons les voir un à un : d’abord dans les titres des recueils, puis dans les mots et expressions dans les sujets.

A- DANS LES TITRES DES RECUEILS

Au commencement d’une lecture, le plus déterminant est le titre. Il est le point d’entrée de la lecture et aide à la compréhension générale de l’œuvre

19 Le titre permet aussi au lecteur d’émettre une hypothèse et donne des informations sur le contenu. Il permet également de deviner dès le début les intentions de l’auteur.

Ici, nous allons analyser les titres des œuvres constituant le corpus afin de relever et démontrer la présence du thème de l’exil.

1- Dans Sylves

Effectivement dans ce titre, il y a la présence de l’exil. Quand on approfondit, on remarque que le choix de ce titre n’est nullement un hasard, c’est un repère, un indice. Il y a une relation étroite entre les significations et connotations de ce titre et le contenu des poèmes dans le recueil ainsi que les sentiments éprouvés par le poète et son état moral pendant l’écriture.

Au fait, les Sylves sont des personnes issues d’un ancien peuple dont voici les principales caractéristiques36 en rapport à notre sujet :

 Un peuple exilé

Les Sylves sont un peuple au physique ressemblant à celui des Atlantes, c'est-à- dire très grands. Ils vivent en communion avec la nature dans la Forêt de la Péninsule. Un lieu où ils se sont exilés volontairement pour fuir l’expansionnisme Atlante.

 Leur vision de la mort

Les Sylves ont une relation très particulière vis-à-vis de la mort. C'est pour eux un honneur de mourir, surtout de mourir au combat pour une cause juste. Ils ne craignent pas la mort, juste la souffrance. Cependant tuer en dehors de la guerre est un crime grave. Les Sylves ne s'autorisent pas à tuer un voleur.

 La renaissance

36 Source : http://www.terresdhormia.com/wiki/index.php?title=Sylves 20 Ce peuple accorde beaucoup d’importance aux arbres. Un arbre ancestral qui finit par mourir signifie pour lui que l'âme souhaite revenir sur terre et se réincarner. Si un arbre ancestral est déraciné, brûlé ou violenté et qu'il meurt, alors l'âme de l'arbre se réincarnera pour venir se venger de son agresseur.

 Le mal-être

Le peuple sylve, une fois sur la terre d’exil c'est-à-dire dans la forêt de péninsule, ne trouve toujours pas de sens à la vie. Leur état mêle colère et frustration permanentes qu’ils ne s’expliquent même pas.

En effet, ces Sylves appelés vengeurs (terme temporaire) ressentent en eux dès l'enfance une haine viscérale qu’ils ne comprennent pas. Ils ne savent d'abord pas contre qui la diriger et sentent qu'ils ne trouveront pas le sens de leur vie dans la Forêt de la Péninsule. Ils finissent donc par la quitter et suivent leur instinct afin de trouver la source de leur mal être - car leur état n'est pas enviable, mêlant colère et frustration permanentes. À force de rencontrer différents peuples et personnalités, ils se font une idée de plus en plus précise basée sur leur instinct de ce sur quoi doit s'abattre leur courroux, et l'accomplissement de la vengeance de l'arbre (mission dont ils ne prennent pas forcément conscience) prend généralement plusieurs années. Ils ne reviennent généralement pas chez eux avant d'avoir mené à bien leur mission.

Bref, ces quatre caractéristiques du peuple Sylves – à savoir : l’exil, la non peur de la mort, la renaissance ou la réincarnation et le mal-être - que nous venons de citer et de développer se retrouvent toutes dans l’œuvre de Rabearivelo portant ainsi le même nom « Sylves ».

Cela montre également combien Rabearivelo s’est documenté avec les littératures et cultures étrangères. En effet, une très fine minorité seulement des Malgaches de cette époque connaissait l’histoire de ce peuple Sylves.

21 2- Dans Chants pour Abéone

Le titre du second recueil reflète également la présence du thème de l’exil. Il s’agit de Chants pour Abéone. Pour qui sont ces chants ? Pourquoi avoir choisi « Abéone »?

Abéone est la déesse romaine du départ. Ce recueil est alors un hommage à cette déesse. Le choix de cette divinité n’est pas un hasard car il connote l’idée de départ, du voyage du poète vers la terre d’exil. Il demande alors la bénédiction de cette déesse pour que le voyage se déroule sans difficultés. C’est d’ailleurs ainsi que l’ensemble du recueil forme le récit d’un périple, une aspiration pour le voyage vers la terre d’exil, une terre inconnue et lointaine.

J.-J.R y dépeint alors l’appel du voyage pour l’inconnu et en même temps son attachement à la terre natale. Remarquons aussi que « Le poème du départ et du regret37 » en était le titre initial. Ce qui confirme encore l’idée d’exil suggérée par le départ et le regret de la terre d’origine. Tout le mouvement du livre est d’ailleurs un battement presque immobile entre l’élan du désir qui ouvre à l’inconnu et ce qui le retient sur le rivage, sur le bord même de l’océan avant tout embarquement.

On peut conclure que ces deux titres de recueils composant notre corpus évoquent tous les deux l’idée d’exil par le sens même des termes utilisés et/ou par leurs connotations. Cela accentue fortement la présence de ce thème et mérite notre attention.

En approfondissant nos recherches sur le contenu du corpus, nous avons ressenti également l’idée d’exil dans le choix des vocabulaires utilisés dans les vers ainsi que par l’utilisation de certaines expressions.

37 RIFFARD Claire in Introduction générale de Jean-Joseph RABEARIVELO, Œuvres complètes Tome 2. CNRS Editions, Paris, 2012 22 B- LES MOTS ET EXPRESSIONS RENVOYANT A LEXIL

La présence de certains mots et expressions attestent la présence de l’exil dans le corpus. Nous allons d’abord examiner les termes puis les expressions.

1- Les vocabulaires de l’exil

Une étude lexicale du corpus nous a permis d‘identifier la présence de l’exil grâce à des termes qui le connotent. L’utilisation de plusieurs termes relatifs à ‘idée d’exil dans les poèmes accentue alors la présence de ce thème dans les trois recueils. On peut relever des noms, des adjectifs ainsi que des verbes.

Certains termes indiquent le lieu d’exil, d’autres font allusion au déroulement du voyage vers la terre d’exil tandis que d’autres encore qualifient le voyage ou révèlent les causes du départ.

a- L’idée d’ « ailleurs », d’ « inconnu », de « nouveau »

On remarque qu’il n’y a pas d’indication précise de lieu de la terre d’exil, juste de vagues descriptions. Elle est définie et caractérisée avec des termes plus ou moins évasifs. Le poète en parle avec des adjectifs tels que « lointains, ailleurs, inconnues... » dont voici la fréquence :

Tableau de fréquences des termes connotant l’exil (Tableau 2)

Recueil Termes CPA Sylves Volumes Sous- Total

Ailleurs 3 0 1 4 Etrange(r)s 6 5 4 15 Nouveau(x) 6 3 6 15 Inconnu(e)s 11 3 1 15 Loin(tains) 10 7 7 24 Total 36 18 19 73

23 Ce tableau ci-dessus nous a ainsi permis de découvrir le caractère le plus dominant de la terre d’exil et c’est « lointain ». Il s’agit alors d’un pays lointain aussi nouveau qu’étrange et inconnu.

Rabearivelo parle par exemple de :

« D'un pays lointain et maritime » (in Filao, Volumes)

Et de : « lointain paysage » (in Dixains, Sylves)

b- L’idée de départ, de voyage vers la terre d’exil

On peut observer dans les recueils une autre série de mots qui connotent l’idée d’exil. Cette idée est suggérée par des termes qui indiquent les causes du départ du poète ainsi que le déroulement du voyage effectué pour la terre d’exil.

La notion de départ est ici importante car il s’agit de la première étape d’un déplacement, d’un voyage. Le voyage coïncidant lui-même avec l’exil.

Le tableau suivant nous indiquera la fréquence de ces mots dans les trois recueils :

Tableau de fréquence des mots connotant l’exil par le voyage (tableau 3)

Recueil CPA Sylves Volumes Sous-Total Termes LE DEPART Départ 8 3 1 12 Partir 5 1 2 8 Quitter 3 0 0 3

LA TRAVERSEE Aventure 4 0 3 7

24 Recueil CPA Sylves Volumes Sous-Total

Evasion 1 0 0 1 Exode 0 0 1 1 Fuir, fuite 7 2 5 14 Voyage(r), voyageur 7 1 2 10 Voguer 0 0 2 2 L’ABOUTISSEMENT Atteindre 2 0 3 5 Naufrage 5 1 2 8 Retour 1 3 3 7 TOTAL 78

Nous avons ainsi recensé 78 fois la récurrence des termes qui renvoient au voyage et connotent ainsi l’exil. On peut observer à travers le tableau ci-dessus que la notion de départ tient la seconde place en nombre de répétition ; elle est donc très présente. Mais pourquoi, dans quel but le poète souhaite-t-il partir ? La forte fréquence des termes « fuir » et « fuite » semble nous suggérer que Rabearivelo veut échapper à quelqu’un ou quelque chose, que son exil est plus ou moins volontaire. On analysera cela plus profondément dans les parties suivantes du mémoire.

2- Les expressions qui connotent l’exil

Si les mots qui connotent l’exil renvoient au départ et à la fuite, où nous mènera l’étude des expressions s’y rapportant ?

a- La terre d’exil

En imaginant le déroulement d’un processus d’exil, il faut remarquer l’obligation de déplacement d’un endroit à un autre. Ce qui suppose un lieu de départ et un lieu d’arrivée.

25 Lieu de départ ======E=X=I=L ======-> Lieu d’arrivée (Terre natale) (Terre d’exil)

On peut alors considérer l’utilisation de certaines expressions liées à la désignation de ces deux endroits comme preuves marquantes de la présence de l’exil. Ces expressions en question sont des groupes de mots indiquant que le poète se trouve dans un endroit autre que celui où il est né et où il a vécu ; Relevons-en la liste :

- « ce pays qui ne m’est pas natal » in Gloses musicales, CPA - « un nouvel hémisphère » in Préludes III, CPA - « ce ciel nouveau » in Préludes I, CPA - « rivage exotique » in Préludes III, CPA - « terra incognito » in Dixains, Sylves - « appel des ciels nouveaux » in, CPA - « une autre terre » in Préludes, CPA - « sous d’autres cieux ...au long des ports lointains », « Un rivage inconnu » in Préludes III, CPA - « terre étrangère » in Préludes I, CPA - «pays lointains aux sombres attirances » in CPA

Bref, les mots parlent d’eux-mêmes, le poète se trouve dans un endroit très différent de celui où il est né et a vécu avant l’écriture de ses poèmes. Il s’agit d’une autre terre, nouvelle, étrangère et inconnue. Il y a même toute une série d’opposition entre les deux endroits. En un mot, il désigne le lieu d’arrivée par « Ailleurs », tout le contraire d’ « ici ». Notre attention est d’ailleurs attirée par la typographie dans l’utilisation de ce terme. Le fait qu’à chaque fois, le début de ce mot est en majuscule connote déjà son importance.

Ce terme, plus ou moins explicite apparaît trois fois dans CPA : - « Soif brûlante d’Ailleurs », in Préludes II, CPA - « Au seuil lourd d’Ailleurs », in Préludes III, CPA - « Au cœur de l’Ailleurs », in Les chants continuent, CPA

26 Ce terme n’est pourtant n’est utilisé qu’une fois dans Volumes et nullement dans Sylves. Dans ces deux recueils, les indications de lieu sont un peu plus détaillées.

b- Les axes de voyage

Le voyage qu’entreprend le poète le mènera donc dans l’Ailleurs. Mais où exactement ? Dans quelle partie du globe ?

Toute une série d’oppositions entre les deux adverbes connotant l’ « ici » et l’ »Ailleurs » dans le corpus nous donnera plus de précisions sur cet endroit mystérieux:

1ère opposition : Ici vs Ailleurs

2ème opposition :

« Terre natale » vs « Terre étrangère » Sol natal « ce pays qui ne m’est pas natal »

Cette 2ème opposition apporte un élément caractéristique de l’Ailleurs mais qui n’est pas encore précis.

3ème opposition : « Iarive, Imerina, Imanga vs « Les tropiques, la mer Emyrne, Imernienne » les mers, l’Austral »

La 1ère colonne indique les différentes appellations du lieu de départ du poète. Elles font référence à un seul et même lieu qui est la ville où il a toujours vécu et qu’il n’a jamais quitté et c’est l’Antananarivo d’antan. Le lieu d’atterrissage commence cependant à être explicite. C’est un endroit tropical, au bord de la mer où il fait beau et chaud.

27 4ème opposition :

Orient

Inde

Ici Mauresque

Polynésie

5ème opposition :

Occident (2 fois)

Europe (2 fois)

Ici France (2fois)

Elseneur 38(1fois)

Floride (1 fois)

Cette dernière opposition apporte des éléments complémentaires au lieu de destination du poète pour son exil. Il s’agit de l’Occident, l’Europe et la France. Mais si on observe la manière dont le poète évoque ces endroits là, on peut constater l’utilisation de la préposition « vers » en parlant d’un seul endroit et c’est l’Occident :

Vers l' Occident j'ai fait voguer mon âme ardente et nostalgique ainsi que mon coeur fatigué d'entendre ta musique

Volumes.

La place de cette préposition « vers » juste devant le nom « Occident » prouve qu’il s’agit ici d’endroit vers lequel on va se diriger et non une simple description.

38 Elseneur est une ville danoise (du Danemark) située à la pointe nord-est de l’île de Zélande. 28 Ainsi, nombreux termes et expressions font allusions à l’exil dans le corpus. Ces allusions se réfèrent dans la majorité au déplacement, au voyage vers la terre d’exil et plus particulièrement à la désignation de cette terre et aux oppositions entre le lieu de départ et le lieu d’arrivée.

C- DANS LES THEMES TRAITES

Nous avons vu comme le thème de l’exil est présent dans les titres des recueils ; Nous continuerons cette démonstration mais cette fois, dans les thèmes traités par l’auteur dans ses vers.

Les allusions au thème de l’exil sont très nombreuses dans notre corpus. Une analyse thématique de chaque poème contenu dans les trois recueils nous a permis de vérifier qu’à part la référence directe à l’exil, plusieurs autres poèmes y font allusions grâce aux sujets qu’ils traitent.

En effet, l’exil du poète revêt plusieurs aspects, à savoir : les causes de l’exil, l’aspiration vers l’Inconnu, le départ (les sentiments d’angoisse avant le grand départ et l’embarquement), le déroulement du voyage, l’aboutissement du voyage, la description de la terre d’exil, les conséquences néfastes de l’exil (les souffrances morales : la nostalgie, l’amertume, l’anéantissement...) l’attachement à la terre et le retour aux sources. On peut alors regrouper un très grand nombre de poèmes contenus dans le corpus autour..

Si on fait le décompte, en supposant qu’à un poème correspond un sujet unique, voici les détails :

Tableau de fréquence des sujets en rapport avec le thème d’exil (tableau 4)

CPA Sylves Volumes Sous-total

Nombre de poèmes 21 55 55 131

29

Nombre de poèmes dont le thème est en rapport 20 42 46 108 avec l’exil

Pourcentage 95 ,24% 73,36% 83,63% 82,44%

On peut ainsi conclure que 82,44% des poèmes contenus dans les trois recueils traitent d’un thème qui fait allusion à l’exil. L’importance matérielle de notre thème s’avère ainsi incontestable.

Sur les trois recueils, Chants pour Abéone possède le plus grand pourcentage de poème qui traitent de l’exil puisque le taux s’élève à 95, 24%.

En analysant de plus près, on s’aperçoit aussi que quatre principaux sujets se dégagent du lot par leur importance numérique et leurs significations. Ce sont : l’arbre, les rois et reines découronnés, le tombeau et le voyage.

1- L’arbre

Le premier thème qui nous intéresse ici, en rapport avec l’exil est celui de l’ « arbre ». Mais pourquoi l’arbre ? Quels rapports y a-t-il entre l’arbre et le poète et à quel point ce thème est présent dans notre corpus ?

a- Pourquoi l’arbre ?

La présence de l’arbre nous intéresse ici car il connote l’exil. En effet, l’arbre symbolise l’exil de part sa forme : il y a la partie enfoncée dans la terre par ses racines et celle que l’on voit, qui s’élève vers le ciel. C’est cette partie visible, aérienne de l’arbre qui se sent exilée car elle se trouve hors de la terre où elle est plantée39.

39 Selon le Dictionnaire des symboles et des thèmes littéraires, Aziza, 30 Nathan, 1978 Le poète s’identifie d’ailleurs à ses arbres auxquels il est lié de fraternité. Et il le dit clairement :

« Filao, filao, frère de ma tristesse » Filao, in Volumes

En plus de ce lien de fraternité entre le poète et l’arbre, nous devons signaler la façon dont l’auteur en parle. La plupart du temps où J-J.R parle des arbres, il les personnifie. Ce procédé de la personnification met en évidence et accentue leur lien.

b- L’importante fréquence de l’arbre

Après avoir justifié l’intérêt de l’arbre dans cette étude, voyons à présent à quel point l’arbre est présent dans le corpus.

Effectivement, c’est un sujet qui apparaît plusieurs fois dans le corpus, tout particulièrement dans « Volumes ».

Tableau des fréquences du terme « arbre » (Tableau 5)

Corpus Chants pour Sylves Volumes Total

Fréquence Abéone

Du mot

« arbre(s) » 3 3 21 27

Le terme « arbre » revient donc 27 fois dans notre corpus. Et ce n’est pas tout, il y a même un poème dédié spécialement aux arbres et qui porte le même nom : « Aux arbres », dans Volumes LXIII

En chiffre, voici leur fréquence dans Volumes:

31 Tableau des fréquences des noms d’arbre (Tableau 6)

Volumes

Fréquence des poèmes 12 poèmes

Sur 55 poèmes

Total 21, 82 %

En somme, sur 55 poèmes contenus dans Volumes, 21, 82 % traitent du thème de l’arbre. Ce qui représente un pourcentage important vu la diversité des thèmes traités.

On peut également relever des poèmes dont les titres sont des noms d’arbres et on en compte onze(11). Ce sont: Aviavy, Zahana, Hasina, Bougainvilléa, Manguier, Oranger, Lilas, Grenadier, Filao, Laurier et Amontana.

Ces arbres sont d’ailleurs classés par le poète en deux types dont celui des arbres exilés et celui des arbres aborigènes.

c- L’arbre exilé et l’arbre aborigène

 Les arbres exilés

JJR distingue parmi les arbres exilés : le Grenadier, le Filao, le Laurier, le Palmier, le Hasina et le Zahana.

Ces arbres exilés sont dans notre corpus, ces plantes qui sont arrachées à leur sol natal, sont replantées sur d’autres terres et subissent ainsi l’hostilité de la terre d’accueil.

32 « Mais, exilés des lieux d’où nous sommes natifs, Tu n’as plus dans nos champs que des jets maladifs Qu’une terre inclémente et stérile harasse ! »

Zahana, Volumes.

Et contrairement à ces arbres exilés, il y a de l’autre coté ceux qui sont toujours restés sur leur sol natal quelque soit les conditions dans lesquelles ils vivent et grandissent. Ce sont les arbres aborigènes.

 Les arbres aborigènes

Il s’agit ici de ces arbres qui vivent en harmonie avec la terre où ils sont plantés. Ils sont vieux et n’ont jamais quitté le sol natal où ils sont « nés ». Ils sont donc l’opposé des arbres exilés. Le poète compte parmi les arbres aborigènes : l’Aviavy, l’Amontana, la Bougainvilléa et le Manguier...

Ainsi, l’arbre qu’il soit exilé ou aborigène symbolise l’exil du poète par les images qu’il véhicule, par sa forme, son statut, ses conditions d’existence et aussi par les significations liées aux différents noms d’arbres cités dans les recueils. Un deuxième sujet s’ajoute à celui des arbres pour évoquer l’exil, il s’agit des « rois et reines découronnés »

2- Les rois et reines découronnés

Le second sujet des poèmes qui nous intéresse en rapport avec est celui des rois et reines découronnés.

a- Pourquoi les rois et reines découronnés ?

Cette présence est significative car elle symbolise l’exil dans la mesure où un roi est censé vivre dans son pays et surtout sur son trône jusqu’à ce qu’il meurt. Ailleurs qu’à cet endroit là, il n’aura pas sa place. Un roi qui perd sa couronne est

33 alors un roi de nulle part, un être perdu, exilé. Voilà pourquoi le statut des rois coïncide avec celui du poète exilé.

« Je sais à quelle nostalgie est à jamais vouée Ta pauvre âme de roi déchu et de prince sans trône, Elle dont une destinée atroce s’est jouée, Au printemps de ta vie où bruissait déjà l’automne » « Tombeau de Radama II » in Sylves

Cette métaphore du roi découronné est assez récurrente dans le corpus. La métaphore est, rappelons le, une comparaison sans terme comparatif. C'est-à-dire l’utilisation d’un mot qui désigne un référent A pour désigner un référent B en raison d’une ressemblance. Il y a la métaphore lexicalisée, codée et non codée ou libre.

Une des métaphores les plus frappantes dans notre corpus est alors celle du roi découronné dont l’archétype est Radama II, le fils de Ranavalona 1ère, assassiné en 1863.

Le poète compare alors sa situation à celle du roi déchu qui a perdu son royaume car il se trouve dépouillé de la civilisation malgache, à ce moment là disloquée par la modernité coloniale.

b- L’importante fréquence des rois et reines

Pour apprécier la récurrence de ces notions dans notre corpus, voici en chiffres la présence de ce thème dans les 3 recueils :

Tableau des fréquences des termes « rois » et « reines » (tableau7)

Corpus CPA Sylves Volumes Sous-total Fréquence du mot Roi(s) 1 5 4 10

34 Reine(s) 0 1 2 3 TOTAL 13

Les termes apparaissent donc 13 fois dans le corpus. Mais on peut constater par ce tableau que c’est dans Sylves et Volumes qu’ils sont les plus fréquents sans parler de la présence des autres adjectifs et substantifs appartenant au champ sémantique de la royauté comme :

- royal(e) ou royauté (10 fois) - royaume (4fois) - trône (4fois)...

Cette connotation de l’exil par l’image des « rois et reines découronnés » est alors confirmée. Mais une autre image tout aussi significative vient confirmer cette présence de l’exil dans le corpus : le voyage.

3- Le voyage

En quoi le voyage imaginaire du poète peut-il bien renvoyer à l”idée d’exil ? Où va-t-il, comment ?

a- Pourquoi le voyage ?

Voyage est habituellement synonyme de promenade, balade, virée, expédition, pèlerinage, croisière, vacances...Un déplacement plus ou moins organisé auquel aspire bon nombre de gens. Mais il ne se déroule pas toujours comme on le souhaite, et dans le cas où il se déroule mal, il peut signifier naufrage, périple et exil.

Le poète le confirme dans Chants pour Abéone :

« De sa ville natale où attendent les siens ! ... Il formera le vœu que le plus tôt finissent son exil, son voyage au multiple tourment » Chants, CPA

35 Grâce au procédé de métaphore, la comparaison entre le voyage et l’exil est assez explicite dans ce dernier vers où les deux sont mis côte à côte séparés d’une virgule. Dans cette phrase, nous pouvons constater que le poète compare alors « son exil » à « un voyage au multiple tourment ». Ce qui fait que voyage coïncide avec exil.

La notion de voyage ainsi que tous les aspects de sa réalisation dans notre corpus renvoient donc à l’idée d’exil. Il faut comprendre par les structures cycliques du voyage : le départ, la traversée (les moyens de transport, les passagers...), et le retour.

Schéma du voyage

Départ . ======> Traversée = ------= ==== > . Arrivée Terre natale ou déplacement Terre d’exil

Retour

Le voyage dont parle le poète part d’un point de départ qui est la terre natale, traverse le trajet et s’achève sur un point d’arrivée qui est la terre d’exil pour ensuite revenir au point de départ.

b- L’importante présence du voyage

Le thème du voyage est important car premièrement, il est présent dans le titre de l’un des recueils : Chants pour Abéone. Rappelons-le, Abéone est une déesse romaine du départ. Le recueil est alors un hommage à cette déesse. Rien que son nom connote déjà l’idée de voyage et donc d’exil...

36 En plus, le terme de voyage lui-même est fréquent dans le corpus :

- 7 fois dans CPA - 1 fois dans Sylves - 2 fois dans Volumes

En tout, on peut relever 10 fois la répétition de ce terme et c’est dans Chants pour Abéone qu’il est le plus fréquent ; ce qui n’est pas une surprise.

D’un autre côté, on peut relever dans le corpus, la présence de plusieurs termes appartenant au champ sémantique du voyage. Nous les avons classés selon l’étape du voyage auquel il s’accorde :

Tableau de fréquences des verbes renvoyant au voyage (Tableau 8)

Etape du Lexique Fréquence Illustration voyage

« au vrai bonheur ; dis-lui de fuir la Fuir 12 solitude » in Sylves

« Les craintes de partir, nous ne les sentons Partir 5 plus » in CPA Le départ Pourtant le jour approche où je vous Quitter 3 quitterai » in CPA

« Embarquez-moi puisqu'il faut, Embarquer 2 m'embarquer ! »in CPA

« je viens vous suivre des yeux, au calme chemin » in CPA Venir La provenance Venir de 30 « Venir si loin, et sans défenseur ! » in Volumes

37 Etape du Lexique Fréquence Illustration voyage

« battant l’océan d'un nouvel Battre 3 hémisphère »in CPA

« Nous n’avons nul vaisseau, mais vous y suppléez Passer / 8 pour passer l’océan de notre lassitude » in dépasser Volumes

C'est toi ! tu me devances sur la route de Devancer 1 l'exil ! in CPA

La traversée Bientôt il connaîtra le long frémissement qui du port boréal parcourt le firmament » in Parcourir 2 CPA

Et je vois, vers le golfe ... des pirogues voguer, souples comme le Voguer 2 vent. »in Volumes

A quel but atteindra ma vie aventureuse ; Atteindre 1 le fond des mers ou le rivage ?

« puisque mon coeur meurtri mais résigné Etre éloigné de 2 devant tout l’Inconnu vous sera éloigné »in L’aboutisse CPA

ment « Mais doublons la cloison qui nous tient séparés, Etre séparé de objet de mon bonheur sinon de mes 3 regrets » in Volumes

« et chargés sur la barque qui cingle Revenir 6 pour le port d'où rien ne revient plus » in Sylves

Le retour « Et je reverrai ma patrie, fort comme celui-là que chanta Du Bellay » Revoir 6 in CPA

Total 86

38 Nous avons recensé au total 86 fois l’utilisation de ces verbes qui connotent l’exil par le voyage. Ce qui est significatif puisque le verbe étant grammaticalement le noyau d’une phrase. Le verbe le plus usité recensé étant « venir de » car il revient 30 fois dans le corpus.

c- Les autres termes qui renvoient au voyage

Comme on l’a dit précédemment, le voyage du poète coïncide avec, l’exil, ce qui implique que allusions à chaque étape du voyage équivaut également à une allusion à l’exil.

En parlant de voyage, on peut remarquer dans le corpus quelques poèmes dont le titre fait référence explicitement aux étapes du voyage. On a :

Dans CPA :

- Puisque je partirai - Les craintes de partir

Dans Sylves :

- Angoisse du départ - Nous arrivons devant

Ces titres annoncent le départ du poète pour l’Ailleurs, un départ qui semble déjà l’angoisser. Alors partira-t-il quand même ? Et où ira-t-il ? Les autres titres semblent confirmer son départ puisqu’ils donnent une idée sur la direction : « Vers le bonheur » dans Volumes tandis que d’autres font allusion au moyen de déplacement du poète : « Ta barque ! » dans CPA. Et en parlant de moyens de déplacement, on en trouve toute une liste dans le contenu des poèmes comme dans ces extraits : « J’aurais déjà pris ma place dans la barque qui mène au delà des fleuves et des mers »

in Trois préludes, CPA Et « N’importe ! Qu’un plus beau steamer

39 parte parmi l’or du matin ! » in Volumes

Au total, nous avons recensé 5 moyens de locomotion dans le corpus dont voici les détails : - Barque (7 fois) - Vaisseau (3 fois) - Voilier/voiles (7 fois) - Navire (4 fois) - Steamer (2 fois)

Nous pouvons constater avec cette liste qu’il s’agit de moyens de transport maritime, ce qui nous incite à conclure que le trajet pour la terre d’exil se fera par la mer. D’autres groupes de mots et d’expressions rejoignent cette hypothèse. En effet, un voyage par la mer implique un certain nombre d’équipage et d’équipements comme les matelots qui revient 2 fois dans les recueils. Voici un extrait: « et ni le rythme ardent des chants des matelots » in CPA Un poème entier illustre d’ailleurs ce déplacement par la mer : « O barque aventureuse aujourd’hui bien vétuste et de qui l’océan a rongé la carène, où sont tes matelots séduits par la Sirène tandis qu’ils s’adonnaient au jeu de la flibuste ? » Herpes, in Volumes

Ce poème contient tout un champ sémantique du déplacement maritime : barque, océan, matelots, carène et sirène.

Bref, que ce soit avec des termes explicites, par des expressions ou des images, l’analyse lexico-sémantique du corpus nous a permis de vérifier combien le thème de l’exil y est présent voir dominant. L’exil, coïncidant d’ailleurs avec le thème du voyage imaginaire de Rabearivelo vers l’Ailleurs, s’avère manifeste. Ce déplacement, nous l’avons remarqué semble se dérouler sur la mer. La forte récurrence des verbes renvoyant au déplacement confirment l’exil géographique

40 du poète. Le déplacement rejoint d’ailleurs la notion de voyage qui est l’un des thèmes principaux traités par l’auteur.

Par ailleurs, le thème de l’exil apparaît également à travers deux autres thèmes principaux qui sont l’arbre et les rois découronnés. Ces thèmes sont ici importants par leur forte présence et leur sens se rapportant à la notion d’exil du poète.

Maintenant que la présence du thème de l’exil est incontestablement confirmée, des questions se posent : comment le poète vit-il cela ? S’y résout-il ? Se plaît-il dans son nouvel espace ? Pour le découvrir, nous allons analyser les sentiments et états d’âme qui animent le poète dans les trois recueils.

PARTIE 3- LES SENTIMENTS D’EXIL

Par quels sentiments singuliers Rabearivelo est il animé pendant son exil? L’exil étant fortement présent dans les trois recueils constituant notre corpus crée en Jean-Joseph Rabearivelo divers sentiments qui se révèleront pour la plupart désastreux. Plusieurs sensations l’animent dès la naissance même de l’idée de départ pour l’Ailleurs40. Ses états d’âmes sont le résultat d’un sentiment très profond coïncidant avec son exil. Tantôt il regrette le passé et se sent nostalgique, tantôt il éprouve de la tristesse, de l’angoisse et parfois il se trouve émerveillé par l’autre et se laisse aller à tel point que bon nombre de poèmes célèbre le départ et le voyage. Toute une série de sentiments ambivalents se forme alors, tant son regard sur le paysage est influencé d’un côté par la terre natale et de l’autre par une terre inconnue. Trois sentiments essentiels se dégagent alors : la nostalgie puis l’espoir et l’angoisse du départ et enfin la frustration et le désenchantement.

40 Désignation de l’endroit où le poète va s’exiler

41 I- LA NOSTALGIE

L’écriture Rabearivelienne de CPA, Sylves et Volumes nous dévoile un poète à l’état d’âme nostalgique. Même si Jean-Joseph Rabearivelo n’a jamais quitté l’île, les conditions dans lesquelles il vivait ont poussé son esprit à ressentir cette envie de revenir à une certaine époque qui semble lui manquer. Il s’agit de la période de la royauté à Madagascar que le poète paraît idéaliser d’un côté et de l’autre, de sa jeunesse.

Le terme « nostalgie » apparaît d’ailleurs 10 fois en totalité dans le corpus. Cette occurrence n’est pas des plus élevés mais elle est significative lorsqu’on regarde de près la manière dont le poète introduit ce mot. Prenons par exemple cet extrait du poème dédié à Philippe Chabaneix :

« J'ai négligé nos nuits d'étoiles irisées, ... de nos fleuves ; nos soirs, rois trahis par les ombres, qui, de leur palais d'or, gisent sous les décombres tandis qu'ascend au ciel, vibrant de nostalgie, le cœur auquel l'Amour a donné sa magie des filles d'Iarive au front couleur de sable ... » A Philippe Chabaneix, in Volumes

Le poète confirme son état d’âme nostalgique, un état qui semble si intense au point d’en vibrer. Cet extrait illustre par la même occasion la référence du poète à ses souvenirs de l’époque royale désormais abolie, à Iarive d’autrefois.

Il est d’ailleurs remarquable comment les trois notions : exil, nostalgie et roi découronné se retrouvent dans la plupart des cas dans le même poème, voire dans le même vers comme témoignent les extraits suivants :

« Exil au sol natal, ô pur exil!

42 Mais ces palmiers aussi, dont le front ténébreux ... dans le calme ambiant, taisent leur nostalgie, rappelez à mon cœur le culte que je dois à cette terre où sont les tombeaux de mes Rois » Influences, Sylves et « Je sais à quel nostalgie est à jamais vouée ta pauvre âme de roi déchu et de prince sans trône, ... et les ombres sont pour jamais tristes et désolés pour savoir qu'en ce coin par les éperviers seuls troublé et leurs ébats tumultueux, elles sont exilées ! » Tombeau de Radama II, Sylves

Et ce n’est pas seulement dans le recueil Sylves mais également dans Volumes

« ta tristesse de reine exilée, clair de lune qui mon front inondes, enchantera de quelles musiques sa nostalgie et ses sourdes peines, soeurs en l'ennui, soeurs adultérines de mes insidieuses fatigues ? » Clair de Lune, Volumes

C’est ainsi que la nostalgie le gagne et il en vient même à partir en sanglots en repensant au passé comme le montre cet extrait :

« Le Rondeau du Départ chante faux aujourd’hui pour nous, et ses sanglots nostalgiques ont fui tellement, que nos cœurs n'ont plus d'autres tortures que celles de rester en la même nature ! » Les chants continuent, CPA

43 Déjà la nostalgie tourmente le poète et là elle est aggravée par une douleur à la fois physique et morale par « les sanglots » qui étreignent son cœur.

Par ailleurs, la référence à un instrument de musique particulier accentue cet état d’âme nostalgique ; il s’agit du « valiha ». Ce dernier est effectivement le symbole de la nostalgie chez les malgaches41 selon certains chercheurs. C’est l’instrument de prédilection même du nostalgique. Cet instrument ainsi que son chant est célébré dans un poème qui porte le même nom dans le recueil Sylves.

D’ailleurs, la valiha connote également l’exil dans la mesure où « Arraché à sa forêt natale, le bambou échoue au cœur de la cité des hommes après avoir subi de multiples transformations par les soins de l’artiste : évidé de sa moelle par le feu, lacéré pour prélever à même l’écorce les cordes tendues par des morceaux de calebasse, ficelé solidement aux deux bouts par des laines. 42»

« Unissons nos douleurs, homme las de la vie dont la pensée est par quelque amour désolée ! Mon sombre son dira mon âme inassouvie au fond des sylves exilée » Valiha, Sylves

Mais pourquoi un tel sentiment le gagne-t-il? Il s’avère que l’élément déclencheur de ce sentiment n’est autre que l’environnement dans lequel il vit ; le poète est dégouté par son présent ; Cela explique par la même occasion son envie de retourner à une certaine période de sa vie.

41 François-Xavier Razafimahatratra, « De l’exil à la nostalgie au travers de la littérature malgache », Études Océan indien [En ligne], 40-41 | 2008, mis en ligne le 29 septembre 2011, consulté le 13 mars 2015. URL : http://oceanindien.revues.org/1398 ; DOI : 10.4000/oceanindien.1398 42 Liliane Ramarosoa, in « L’expérience originale de l’interférence des langues et des cultures de Rabearivelo », in Christian Lagarde, ed., Ecrire en situation bilingue, p.3, Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, 2004

44 A- LE REGRET DU PASSE

La nostalgie du poète pendant son exil se manifeste essentiellement par le sentiment de regret et l’objet de son regret appartient au passé ; Il s’agit de ses origines et de sa jeunesse.

1- Nostalgie des origines

Les origines du poète qui nous intéressent ici sont son ascendance royale et les origines même du peuple malgache.

a- Descendance lointaine « Des ancêtres de l’Archipel natal43 » dira JJR dans Volumes ? Oui, les toponymes utilisés dans les recueils nous évoquent effectivement chez Rabearivelo une certaine nostalgie des origines du peuple malgache. En effet, il fait référence d’un côté à la « Malaisie » et à l’ « Archipel de la Polynésie » et de l’autre, à l’ « Inde, l’Afrique et l’Asie ».

En effet, La Malaisie est, avec l’Inde et la Polynésie, l’une des contrées plus ou moins mythiques dont seraient originaires les Malgaches. Depuis 300 ans on avait déjà aperçu des ressemblances frappantes entre le malais et le malgache. Mais la science de la philologie comparée ayant fait de grands progrès depuis un siècle, les savants ont constaté que le malgache était apparenté, non seulement au malais, mais encore aux langues parlées dans toute la Malaisie, et même aux langues polynésiennes et mélanésiennes. La revue Antananarivo Annual a publié plusieurs études sur le sujet, dont celles de Cousins (vol. I, 1875 ; vol. II, 1876 ; vol. IV,1878), au sujet des points communs entre malgache et langues malayo- polynésiennes, en particulier le malais. En revanche, dans un article44 cité par Ferrand, Felix Gautier souligne que si les Hova (dont le poète descend)

43 JJR, Dzorah, in Volumes

45 appartiennent indéniablement à la branche malayo-polynésienne, ils seraient plutôt à rattacher aux Mélanésiens.

Cependant, JJR désavoue la nostalgie qui s’attacherait trop à ces lointaines origines pour demander que les Malgaches et les Merina se centrent surtout sur le culte dû aux tombeaux :

« Rappelez à mon cœur le culte que je dois à cette terre où sont les tombeaux de mes Rois, et non à quelque obscure et vaine Malaisie ! » Sonnets et poèmes d’Iarive, Sylves

b- De lignée royale Hova

Le sentiment de nostalgie qui anime ainsi le poète est plus évident dans Sylves et Volumes où l’exil sentimental se trouve approfondi grâce essentiellement au thème des rois et reines découronnés. En effet, les dates d’écriture de ces deux recueils se situant dans la plupart entre 1924 et 192845, coïncident avec les débuts de la colonisation française à Madagascar. Ce qui signifie qu’il ne vivait plus au temps de la monarchie. Il va de soi que toute référence à cette époque abolie ne relève que de sa nostalgie et de ses souvenirs. Cette référence46 est pourtant significative d’autant plus que le poète tient à rappeler son appartenance à la famille royale : JJR étant, par sa mère, issue d’une lignée royale de l’Imerina, écartée du trône à la fin du XVIIIème siècle : les Zanadralambo, descendants du Roi Ralambo. Il le rappelle :

« Quant à moi, fils des Rois d'une époque abolie, reposant au rebord d'un tombeau qu'on oublie »

in Hasina, Volumes

45 Selon des notes de bas de pages dans les manuscrits, vues dans Jean-Joseph RABEARIVELO, Œuvres complètes Tome II. Serge Meitinger, Liliane Ramarosoa, Laurence Ink et Claire Riffard-CNRS Editions, Paris, 2012 46 12fois en total dans Sylves et Volumes en plus d’un large champ conceptuel de la royauté 46 Un passage du Postlude dans Sylves témoigne de la nostalgie de cette belle époque regrettée, idéalisée par le poète :

« Souvenir, souvenir, automne de mon coeur quel oiseau chantera dans nos bois désolés, et quelle floraison charmera la langueur où, rois découronnés, nous sommes exilés ? Nos oiseaux les plus beaux, hélas ! S’en sont allés » In postlude, Sylves

Dans les premiers vers de ce sonnet, nous pouvons constater l’importance accordée au « Souvenir » placés en début de strophe et accentués par la répétition du mot côte à côte. Les souvenirs, rappelons-le sont liés principalement à la nostalgie, à sa jeunesse auprès des siens. Et l’utilisation de l’interjection « hélas » intensifie le sentiment de regret lié au passé. Son envie de retourner dans le passé est alors immense.

La présence d’un large champ conceptuel de la royauté dans les recueils appuie cette idée de nostalgie du poète :

- rois (10fois), - prince (3 fois), - reines (3fois), - princesse (1 fois), - royaume (2 fois), - royauté (1 fois), - royale (8 fois), - palais (6 fois)... - trône (4fois), La nostalgie devient ainsi une sorte de maladie pour le poète. Et à ce degré, elle peut conduire à la mélancolie, voire au suicide47. Chose qu’on peut vérifier dans les trois recueils où le terme mélancolie apparaît trois fois dans CPA, deux fois dans Sylves et deux fois dans Volumes et qui sera confirmé par quelques passages :

« Je pourrais à loisir, sur ta rare verdure,

47 Selon un article du psychanalyste français Régine Waintrater: « Exil et nostalgie, un lien consubstantiel » 47 enchanter et ma peine et ma mélancolie » Cimetière oublié, Sylves

« Et quelle âpre mélancolie étreint mon âme en y pensant ! En vain je chercherai l'Absent, et son ombre même abolie » Les chants continuent, CPA

Par l’usage du déterminant possessif « ma », le poète reconnaît qu’il éprouve un sentiment de mélancolie dans le premier extrait ; Cela est confirmé dans le second extrait où son état d’âme mélancolique se trouve qualifié par l’adjectif péjoratif « âpre ». Cela atteint son âme par ses caractères pénétrant, cruel et violent.

Le poète se trouve ainsi nostalgique, jusqu’à en devenir maladif : « Sous quel vertige lourd et mélancolique tombe mon âme ?» se questionne-t-il dans CPA. Au fait, ce sont ses sentiments qui lui donnent le vertige et le rend ivre comme dans le passage suivant :

« A l'horizon se promène une âme sentimentale une âme ivre de tristesse, une âme mélancolique, qui veut boire la fraîcheur de la brise matinale » Paroles d’hiver, Sylves

Un autre aspect de sa nostalgie sur la terre d’exil est le regret d’une période insouciante de sa vie : la jeunesse.

2- Regret de la jeunesse

A ces regrets du temps de la monarchie s’ajoute celui de la jeunesse. L’évocation de la jeunesse dans les trois recueils se fait souvent sur un ton nostalgique et plein de regret. Les dates inscrites en bas des poèmes dans leurs

48 manuscrits nous indiquent que Rabearivelo avait à peu près entre 23 et 26 ans quand il les avait composés. Cela nous fait conclure que la jeunesse dont il parle se rapproche de son adolescence. Et malgré cet âge, le poète se voit déjà dépossédé des richesses exubérantes du jeune âge ; Il se sent ainsi entrer dans une maturité inquiétante en raison de l’incertitude qui plane sur le temps qu’il lui reste à cause de l’exil. Et c’est essentiellement dans Sylves que le poète traite ce thème d’ « adieu, parfois grinçant à la jeunesse »48.

L’évocation de la jeunesse est alors à chaque fois une manifestation des sentiments de regrets du poète et de son état d’esprit nostalgique. Ce thème est d’ailleurs très présent dans les trois recueils.

Tableau de fréquence du terme « jeunesse » (Tableau 9)

Recueil Chants Sylves Volumes Total

pour Mot Abéone L

Jeunesse 22 13 14 49

La fréquence du mot « jeunesse » dans les recueils parle d’elle-même. C’est dans les Chants pour Abéone que le terme est le plus répété. Le poète y accorde une certaine importance et cette évocation appuie l’idée de regret :

« Pourtant le jour approche où je vous quitterai, ô mon enfance, ô ma jeunesse, ô mon amour ; je vivrai sous le signe aride du Regret »

48 MEITINGER Serge, RAMAROSOA Liliane, INK Laurence et RIFFARD Claire : Jean-Joseph RABEARIVELO, Œuvres complètes Tome II. Le poète-Le narrateur-Le dramaturge-Le critique-Le passeur de langues - L’historien. CNRS Editions, Paris, 2012, page 203

49 Postlude, CPA Devant la souffrance causée par l’exil, Rabearivelo regrette tant sa jeunesse riche et insouciante ; Il sait déjà qu’une fois exilée, il ne pourra que vivre dans le regret comme il le souligne dans l’extrait suivant :

« Et, gonflant de l’azur l’outre avide, des brises donner une saveur de bonheur et d'oubli à ma coupe où fondait le regret de l’exil

Les chants continuent, CPA

Mais tant de regrets ne viennent pas seuls, si J.-J. R en arrive là c’est parce qu’il il souffre de sa situation d’exilé. En d’autres termes, son présent le dégoûte.

B- LE DEGOUT DU PRESENT

Le dégoût du poète pour son présent se traduit par le sentiment de solitude, d’ennui, de lassitude et de mépris. Tous ces sentiments négatifs s’entremêlent en faisant du poète un exilé intérieur.

1- La solitude

Le sentiment de solitude est l’un des aspects les plus révélateurs de l’exil de Rabearivelo, du moins dans notre corpus. Cette solitude revêt plusieurs formes.

Sa solitude, vécue comme un isolement physique est d’abord annoncée par des termes explicites :

« C'est cette fille têtue, impure, cependant chaste et qui, seule, a le pouvoir de changer ma solitude » Paroles d’hiver, in Sylves

Le poète avoue qu’il a le sentiment d’être seul grâce à l’utilisation du pronom possessif « ma » pour s’approprier la « solitude »

50 Un champ lexical de la solitude s’avère d’ailleurs signifiant par sa répétition : Tableau de fréquence des mots appartenant au champ lexical de la solitude (tableau 10):

Recueil CPA Sylves Volumes Sous-

Termes Total Seul 12 6 17 35

Isolé 0 0 1 1 Solitude 3 2 1 6 Total 15 8 19 42

Au total, c’est dans Volumes que la solitude se révèle être le plus manifeste. D’ailleurs, cette sensation de solitude est dégagée par l’utilisation abondante du pronom personnel sujet : « je » par rapport aux autres pronoms. Soit 41 fois dans CPA, 51 fois dans Sylves et 38 fois dans Volumes. Bref, 130 fois au total tandis que l’occurrence du pronom personnel sujet « tu » est de 68.

Toutefois, le sentiment de solitude du poète se trouve à son paroxysme à un moment donné, à la veille de son départ pour l’exil, où il s’adresse d’ailleurs à un de ses amis Lys-Ber49, qui lui-même fut exilé. Et il dit : « Et je suis seul à boire, LYS-BER, dans le Déplaisir, en attendant que sonne pour moi la belle minute du départ! Et me trouble qui sait quelle solitude et m’émeut ce silence qui m’entoure le grand coeur, et fait trembler mes fibres le souvenir d’être seul, et de mon cœur l’automne, cette aquarelle d’angoisse » Fuite éperdue, in CPA

49 En fait, J.-H. Rabekoto, dit Lys-Ber, partait en janvier 1926 prendre un poste de me´decin dans la brousse de la côte Est – est mort en 1932 à 30 ans et désormais le voyage évoqué est aussi celui de l’au-delà, seul véritable ailleurs à garder son entier mystère. 51 Ce passage, tiré de Chants pour Abéone démontre le caractère notoire de la solitude. L’ambiance est plus que triste, aggravé par l’usage des noms (déplaisir, angoisse) et verbes péjoratifs (trembler) ; et le sentiment de solitude est accentué par le « silence » qui règne.

Cette impression de silence que le poète éprouve peut s’expliquer par le sentiment d’absence :

« Au rythme de la mer seul a chanté pour moi le sentiment amer de l’absence. Mon cœur, à la joie éphémère »

Raconte-lui Jeunesse, in CPA

Puis, solitude, mélancolie, silence, absence ...tous ces sentiments négatifs qui animent le poète, petit à petit, créent en lui un sentiment d’ennuie, tellement qu’il préfère tenter d’autres horizons, d’autres hémisphères. L’ennuie qu’il éprouve se transforme même en lassitude.

2- L’ennui, la lassitude La nostalgie du poète se traduit par des sensations d’ennui et de lassitude qu’il éprouve à cause de son exil. Et il s’agit à la fois d’une lassitude physique et morale comme on peut le constater dans cet extrait : « Je deviens fruit selon les lois inexorables que les arbres ont vécu depuis la Genèse !» A Sahondra, in Sylves

Ce passage connote la fatigue du poète, comme si le poète ne faisait que subir, comme s’il n’avait plus aucun choix dans sa vie présente. Il devient fruit, fruit qui va pourrir alors qu’il s’identifiait volontairement aux arbres aux vivaces racines. L’utilisation d’une série d’adjectifs à connotations négatives

52 (âme étrangère, saveur étrange, parfums amers, pulpe inconnue, suc nouveau) dans ce même poème appuie d’ailleurs l’idée que le présent est pour Rabearivelo à la fois nouvelle, étrange et amère à son sens.

La terre, le paysage, tout ce qui l’entoure déclenche en lui un sentiment d’ennui :

« et je cueillerai chaque jour quelque grappe chargée et lourde d'amertume, de souvenirs, d'ennuis et de mélancolie »

Le Chant inconnu de Childe-Harold, in CPA

Plus le temps passe et plus il se désole, livré à l’abattement. Le temps devient presque son ennemi dans cet isolement. Même la vue du paysage l’accable alors qu’il n’a pas encore quitté le sol natal. Seulement cette terre natale lui procure des sentiments ambivalents. Tantôt il s’y accroche tantôt il veut la fuir.

« Las de voir le même paysage fait de ficus et de lilas, et de touffes sauvages » La guirlande d’amitié, Volumes

Le ficus fait partie intégrante du paysage imerinien ; c’est un de ses éléments permanents tout comme les monts et les grands soleils de feu. Mais tout cela lasse le poète :

« Le Rondeau du Départ chante faux aujourd’hui pour nous, et ses sanglots nostalgiques ont fui tellement, que nos cœurs n'ont plus d'autres tortures que celles de rester en la même nature ! »

Les chants continuent, CPA

Cet extrait nous confirme le sentiment d’ennui et de lassitude du poète. Il ne veut plus vivre dans ce monde là. Il ressent un énorme besoin de partir Ailleurs

53 pour vivre. Le poète désigne déjà par « Ailleurs » l’endroit où il veut aller pour fuir.

3- Le mépris

Un sentiment encore plus fort et plus négatif que les précédents gagne Jean-Joseph Rabearivelo pendant son exil : le mépris. Un sentiment qui selon lui devrait susciter l’admiration par sa dignité et qu’il qualifie de « noble » tel dans le sous titre de la première série de poème du recueil « Sylves » : « Nobles dédains »

Un passage de cette série en dit beaucoup sur ce sentiment de mépris :

« Hélas ! qu’en reste-t-il ? Mais n’est-ce plus rien, plus rien que mon coeur lourd de tant de vide, lourd de dédain et de mépris »

Nobles dédains, Sylves

Ces vers sont explicites par les termes utilisés (dédain, mépris) et aussi par l’émotion qu’ils suscitent : le gémissement accompagné de dégoût ! L’utilisation de l’interjection « hélas » additionné à une double interrogation renforce ainsi l’idée de mépris. Un autre extrait du même recueil illustre ce sentiment :

« Dédain. Dédaigne tout qui n'apprenne la mort, ou le ferme défi, à ce quotidien effroi d'être asservi à la prose irritante du Sort » Fleurs mêlées, Sylves

Le terme « dédain » n’est pas des plus remarquables si on tient compte de son occurrence dans le corpus car il ne revient que 8 fois. Ce qui marque son importance réside dans la manière dont le poète en parle et montre ce sentiment. Le plus souvent, il utilise le procédé de l’antithèse pour le mettre en évidence. Prenons par exemple cet extrait :

54 « Vainement pour ton fier dédain, la splendeur inouïe qui brille dans les yeux des filles de la nuit mourra pour n 'avoir pas enchanté ton ennui » Chants, in CPA

Le poète utilise les adjectifs mélioratifs « fier » et « noble » pour qualifier le nom « dédain » ce qui surprend forcément car il s’agit d’entités normalement opposées dans leurs sens.

Ainsi, la nostalgie du poète, dû à son exil loin de tout ce qu’il aime n’est pas une vaine contemplation d’un ailleurs ni seulement d’un passé révolu, elle est plutôt l’expression d’une contestation de la situation présente50. Ce n’est pas tant qu’il cherche à retourner et revivre son passé, il veut surtout exprimer sa tristesse, sa déception par rapport au présent.

II- L’ESPOIR ET L’ANGOISSE DU DEPART

« Pierre CAMO, combien me sont plus chers vos livres depuis qu’au fond de moi je sens des rêves ivres de répondre à l’appel des terres inconnues ! » Prélude, CPA

« Une soif d’inconnu nous brûle et nous possède, et, déjà, nous poursuit, nous hante, et nous obsède l'appel des ciels nouveaux et des visages étrangers » Les chants continuent, CPA

50 RAZAFIMAHATRATRA François-Xavier, « De l’exil à la nostalgie au travers de la littérature malgache », Études Océan indien [En ligne], 40-41 | 2008, mis en ligne le 29 septembre 2011, consulté le 13 mars 2015. URL : http://oceanindien.revues.org/1398 ; DOI : 10.4000/oceanindien.1398

55 Ces vers sont formels : J.-J.R éprouve un sentiment d’attirance pour des « terres inconnues » ; Il est séduit par un endroit, une culture qui ne sont pas les siens ni ceux de ses ancêtres. Cet extrait affiche pour Rabearivelo, l’éveil de l’appel des terres inconnues, des ciels nouveaux, des visages étrangers. C’est un sentiment réel au fond de lui, qui va grandir jusqu’à devenir une obsession. C’est pourquoi le thème de l’exil coïncidant avec le voyage et le départ est omniprésent dans les trois recueils comme nous l’avons démontré précédemment. Mais comment se manifeste cette attirance ? L’attrait de l’ailleurs chez Rabearivelo apparaît sous deux principaux aspects : L’espoir et la célébration du départ.

A- L’ESPOIR

Le fait que le poète se sente attiré par l’Ailleurs se traduit par un sentiment d’espoir. Ce monde nouveau et inconnu représente pour lui l’assurance d’une vie meilleure. Il en est intimement convaincu. A ses yeux, seul l’Ailleurs peut le sauver du monde de solitude, d’ennui et de lassitude dans lequel il est plongé. C’est ainsi que le pays où il veut atterrir prend des valeurs élogieuses surtout dans Chants pour Abéone.

1- Espoir de richesse

Le sentiment d’espoir de richesse du poète repose sur son émerveillement devant la nature surprenante et parfaite de l’Ailleurs. Il se trouve émerveillé devant le charme de ce pays de rêve où il veut aller, un pays qui ressemble de près au paradis, par sa pureté, sa clarté, son parfum et sa richesse. Pour décrire cet endroit, il parle par exemple de :

« Quelle, parmi le flot de la clarté diffuse au coeur d'une nature encore inviolée » Trois préludes, in CPA

56 La nature de l’Ailleurs est une nature originelle, telle qu’elle a été créée, non encore détruite par l’homme, c’est ce qui caractérise sa pureté. Tout y est encore parfait.

Cette description féérique de l’Ailleurs continue par l’ajout d’une deuxième caractéristique : la clarté. Dans ce pays, le soleil signe toujours présent pour apporter lumière, chaleur et clarté:

«Viendront les Océanides danser sur les plages chaudes, qui le front paré de palmes fraîches ou de fleurs de pourpre qui les seins frais peins de charmes comme un fruit double qui s'ouvre aux caresses du soleil »

Trois préludes, CPA

Chaleur, fraîcheur, charme et tendresse, sont des caractéristiques positives qui se dégagent de cette image dessinée par l’auteur dans ce passage.

Qui plus est, cet astre du jour représente le symbole même de l’espoir selon le poète.

« ô soleil anadyomène ! O pur symbole de l'espoir » Au soleil estival, Volumes A cette clarté s’ajoute le sentiment de réussite et de bonheur symbolisé par les « palmes » sans parler de toute la connotation de douceur et de sérénité véhiculée par les fleurs.

D’ailleurs, les fleurs sont très présentes dans notre corpus :

Tableau de fréquence des fleurs (tableau 11) :

57 Corpus CPA Sylves Volumes Fréquen- ce du mot

Fleur(s) 16 22 33

TOTAL 71fois

Nous avons ainsi recensé 71 fois la présence des « fleurs » grâce aux termes fleur (s) ou fleuri(s). Sans parler des noms de fleurs comme le Lys, les Thyrses...

Cette plante symbolise en effet la beauté. Elle connote aussi l’allégresse, la félicité, le bonheur et la sérénité. La beauté des fleurs est ainsi la seule chose qui le réjouit sur la terre d’exil où il souffre.

Et il dit :

« Salut, – qui sait ? adieu ! – front que le crépuscule révèle dans son songe ardent à ma pensée, lauré de fleurs en panicule pour enchanter l’ennui de mon âme lassée ! » D’un soir, Volumes

Les fleurs connotent également la jeunesse. Une époque de la vie du poète qui semble lui manquer et qui le rend triste. L’ailleurs lui donne cependant l’espoir comme s’il allait retrouver cette jeunesse perdue. En effet, pour une plante, la plus belle époque est celle où elle fleurit, où elle est jeune :

« Mes sœurs au front paré de beaux thyrses en fleur disent le chant de leur jeunesse impérissable

58 et dispersent leurs charmes frustes sur le sable gorgé de soleil rouge. " »

Destinée, Sylves Et il ajoute encore :

« Je me suis vu devant un golfe plus fleuri, et chantant qu'un jardin où fleurit tout Avril »

Gloses musicales, CPA

Bref, fleurs, clarté, parfum, tous ces éléments rendent le monde de l’Ailleurs exotique et paradisiaque. Cela procure au poète une sensation de bien être qu’il ne trouve plus sur la terre natale.

Soulignons en passant qu’il s’agit d’une terre au climat parfait où il semble fleurir toute l’année, même en Avril comme on a pu vérifier dans le passage précédent. Le climat y est à la fois douce et chaude. A la différence du climat de l’Imerina où le soleil brûle : « nos soleils de feu »51 , là-bas le soleil est une bénédiction toute l’année : « aux caresses du soleil »52

Outre ce tableau magnifique de l’Ailleurs, le poète ajoute une caractéristique importante dans sa description spatiale: une étendue vaste et libre.

2- Espoir de liberté et de bonheur

L’espace où J.-J.R veut atterrir est un espace de liberté spatio-temporelle. Si « Ici » il se sent enfermé dans un espace monotone et clos, l’ailleurs lui permet de s’évader :

« Oiseaux migrateurs, nomades de l'azur et du calme vert des forêts tropicales,

51« Soleils de feu qui dévorent les grenades » in Sylves 52 Préludes, CPA 59 ... Cependant, vainqueurs du vent et de l’espace » Trois préludes, CPA

Les oiseaux migrateurs symbolisent la liberté dans le mouvement et dans le temps. Le ciel leur appartient à tout moment.

« Pourtant l'évasion vers la mer nous enivre » Chants, CPA

L’évasion est une facette de l’espoir que représente le voyage pour Rabearivelo. Il s’agit d’un voyage qui s’effectue par la mer et qui mène sur un paysage, une nature splendide :

« Qui purifie autant que le vent de la mer ? Quel plus calme bonheur pour l'esprit que l’éther, que la lumière et que l’azur ? Un vaste paysage, une riche nature attendent. Calme ton visage »

Préludes, CPA

Ce passage nous résume à la fois le comment et le pourquoi de ce voyage qu’il souhaite tant accomplir. Sur la route vers la terre d’accueil, on bénéficie déjà de la purification par le vent de la mer et de son calme en même temps. Cette strophe dévoile d’ailleurs tout l’espoir du poète qui repose sur l’usage du verbe « attendre ». Ce verbe connote qu’il lui suffit d’arriver « là-bas » pour bénéficier de toute la richesse et les avantages de cette terre.

« Mon rêve aurait fait quels somptueux butins »53 ajoute-t-il pour appuyer le caractère luxuriant de cette vaste terre d’évasion.

Comment alors résister à un monde aussi parfait ? Le poète ne le peut pas. Et même qu’il a hâte de partir, tellement qu’il en devient fiévreux. Il ne tient plus sur place, il lui tarde de s’en aller pour l’ « aventure », le grand départ. C’est ainsi que le poète en vient à célébrer son départ dans ses vers.

53 JJR in Préludes, CPA 60 3- La célébration du départ ou la joie de partir

L’idée de départ va de paire avec l’idée de voyage. Et le voyage, nous le savons, coïncide avec l’exil du poète. On a déjà pu vérifier combien le thème du voyage est présent dans le corpus, par des termes explicites et aussi par des images et d’autres allusions. Nombreux termes utilisés indiquent le lieu d’exil (71 fois), d’autres font allusion au déroulement du voyage vers la terre d’exil tandis que d’autres encore qualifient le voyage ou révèlent les causes du départ... Au total, on en compte 78 mais c’est surtout les notions de départ et de fuite qui prédominent.

C’est essentiellement dans Chants pour Abéone que le poète célèbre le départ, tout le recueil est d’ailleurs le récit d’un vrai voyage imaginaire. L’endroit où il veut atterrir reste d’abord très vague (autres cieux, rivages exotiques, terres inconnues, autres terres...) puis se précise un petit peu (Là-bas, Ailleurs) en passant par « les tropiques, la mer, l’Austral » pour enfin avouer qu’il veut voguer vers l’ « Occident »54

Les deux autres recueils y font également allusion. Dans Sylves par exemple, on peut relever un poème dont le titre même annonce son mal de partir : « Livré au tourment » et dont voici un extrait :

« Livrée au tourment des grands départs comme la palme à celui des mers » Dixains, Sylves

Au fait, le départ suscite chez le poète des sentiments ambivalents. D’un côté il éprouve une immense joie à l’idée de partir, de rejoindre son pays de rêve et de l’autre côté, ce départ l’angoisse.

Il ne s’agit pas d’un départ comme un autre mais d’un « grand départ55 » si ce n’est « Le Départ56» de sa vie. La manière dont il en parle dévoile d’ailleurs son

54 « vers l'Occident j'ai fait voguer mon âme ardente et nostalgique » in Volumes 55 JJR in Chants, CPA 56 Départ=voyage vers l’au-delà, départ qui connote la mort

61 enthousiasme et son empressement : « La belle minute du départ57 » ou « fabuleux départs58 ».

Mais pour aller où ? Il y a deux perspectives : soit vers l’Occident tant rêvé, soit vers l’au-delà. En effet lorsqu’on parle de grand départ, c’est souvent pour quitter la terre et aller dans l’autre monde. Cela signifie, en passant par la mort car le poète y aspire également. C’est d’ailleurs une explication logique à son évocation du voyage sans retour :

« Sachant que le départ n'aura pas de retour » A Pierre Camo, Sylves

Mais dans les deux cas, il a hâte de partir.

« Vers le bonheur » confirme le poète dans un sous-titre du recueil Volumes. Sa destination lui procurera le bonheur qu’il recherche tant mais ne trouve plus « ici ».

« Bonheur d'une heure au cœur du voyageur éclos ! Le mol balancement de la mer et des flots m’invite à t’oublier, cher ennui qui m’irrite : grand départ sans retard ! Pages graves écrites au livre de ma vie ivre ! Ainsi, délivrés »

Gloses musicales, CPA

Le sentiment d’ennui que le poète ressentait est désormais remplacé par la joie de partir pour ce grand départ. L’importance de ce départ est ici soulignée par le terme « grave » et l’expression « sans retard ». Ce voyage constitue l’Histoire de sa vie.

Rabearivelo en vient jusqu’à invoquer ses ancêtres pour leur demander bénédiction tellement ce voyage lui est important.

« O mes morts, me voici ! Daignez m’entretenir !

7 JJR in Les chants continuent, CPA 58 JJR In Destinée, Sylves 62 Que votre âme, un instant, revienne pour bénir mon grand départ ! » Chants, CPA

Au fond de lui, il aimerait que le voyage se déroule bien, mais il n’est pas rassuré quand au déroulement du voyage, s’il va arriver à bon port, atteindre son but ou pas. Un sentiment d’angoisse commence alors à l’envahir.

B- L’ANGOISSE DU DEPART

Parallèlement à la joie de partir au large, le poète ressent de l’angoisse. Pourquoi un tel sentiment le gagne-t-il alors qu’il ne rêvait que de partir ? Ce sentiment peut s’expliquer d’un côté par le caractère inconnu de l’Ailleurs et de l’autre par la peur de ne pas pouvoir retourner chez lui et de trahir son peuple. . Il s’inquiète pour le déroulement du voyage ; vais-je arriver à bon port ? Comment me recevra-t-on ?... Beaucoup de questions le tortillent.

On peut relever dans le corpus des expressions explicites qui évoquent ce sentiment d’angoisse telles que : « les craintes de partir » ou « Angoisse du départ

Rappelons que l’angoisse selon le dictionnaire59, est une manifestation profonde d’inquiétude. Effectivement, les inquiétudes par rapport à ce grand voyage sont la source de l’angoisse du poète. Principalement la peur de l’inconnu et la peur du non retour.

a- La peur de l’inconnu

Si JJR désigne son voyage par « aventure60 », c’est justement parce qu’il n’est pas rassuré. Qui plus est, en parlant du pays rêvé, il use 15 fois de l’adjectif qualificatif « Inconnues », ce qui présente une connotation négative dans la mesure un objet inconnu est la première source de l’angoisse. Freud le confirme d’ailleurs : « L’angoisse est l’appréhension d’un danger inconnu »

59 Vue sur le web de santé-médecine : commentcamache.net 60 Le terme « aventure »revient 7 fois dans le corpus. 63 Comme nous l’avons déjà annoncé, le pays d’accueil présente certaines qualités telles que la richesse, l’exotisme, la fertilité, la fraîcheur et la chaleur. Cela exalte Rabearivelo. Cependant, ce pays détient aussi quelques mystères qui échappent au poète et il en est conscient :

« Demain, c'est la ténèbre épaisse et le mystère; demain, c'est au départ le douloureux poème »

Postlude, CPA

Dans ce passage, « demain » correspond au jour de son départ et donc au voyage. Il s’agit d’un voyage qui s’effectue par la mer et la mer elle-même est mystérieuse selon le poète :

« L'opalescence de la mer, la pureté de l'onde où couve un mystérieux monde » Chants, CPA

b- La peur du non retour

« A quel but atteindra ma vie aventureuse ; le fond des mers ou le rivage ? »

Postlude, CPA

« Est-ce un beau jour d'avril ou de mai commençant, ô printemps de mon coeur, que te viendra l'automne marin, et que, cueillant des fleurs pour Abéone, tu les parfumeras avec ton propre sang ? »

Angoisse du départ, Volumes

Le poète n’est pas rassuré s’il arrivera à bon port ou pas ni même s’il pourra un jour retourner chez lui. Dans le second extrait, le voyage est évoqué par la présence de la déesse Abéone qui préside au départ. Ce qui nous intéresse de près, c’est l’image associée à cette déesse à qui le poète donnera des fleurs

64 imprégnées de son propre sang. Cela connote l’idée de sacrifice attribué à ce départ. Ce qui implique que le voyage n’aura pas de retour.

Malgré cela, le poète ne renonce pas à son rêve de partir ; il repousse ses limites. Ce qu’il redoute par dessus tout, par contre, c’est de ne pas pouvoir rejoindre ses ancêtres dans leurs tombeaux, d’être sans sépulture comme en témoigne son premier Chant:

« Veillez sur votre enfant durant son aventure, lui qui ne craint rien, sauf d'être sans sépulture ou d'offrir ses derniers restes — sa chair, ses os et sa jeunesse verte — à la faim des oiseaux »

Chants, CPA

Le sentiment d’angoisse du poète est aussi la conséquence de sa peur de ne pas arriver à bon port. Il redoute que son « voyage au multiple tourment61» n’échoue, n’atteigne pas le but. C’est pourquoi Rabearivelo parle de : « Jeunesse agonisante au seuil du rivage exotique ». Cela connote l’idée que son voyage ne l’aura mené que sur le rivage, pas plus loin. Sur un ton inquiet, son voyage semble de mauvaise augure. Il présage le danger, le naufrage :

« Ah ! j'ai tant de fois envié votre sort pourtant menacé de chute et de naufrage »

In Trois préludes, CPA

Il y a des moments où la peur du poète prend alors le dessus, des pensées négatives le submergent tellement qu’il demande de l’aide : « Je crierai de frayeur afin qu’on me délivre ainsi qu'un taureau pris dans un buisson de ronces » Postlude, CPA

« Et j ai besoin, ce soir, mère, de votre front

61 In Chants, CPA 65 tranquil, de vos bras et de votre regard : seuls miroirs apaisants où point ne s 'offriront les mirages déjà suscités du Départ ! »

Gloses musicales, CPA

Bref, la terre d’exil provoque chez Rabearivelo des sentiments ambivalents ; Tantôt il est irrésistiblement attiré par ce pays, tantôt il en est dégoûté et le repousse. Son angoisse est ainsi déclenché par la peur de l’inconnu, caractéristique principal de l’Ailleurs ainsi que par le doute de pouvoir retourner un jour sur la terre natale.

Le sentiment d’angoisse empêche alors Rabearivelo de s’épanouir physiquement et spirituellement. Il est ainsi prévisible qu'il se sente déçu surtout quand on sait combien son désir d’embrasser l’horizon est immense. De fil en aiguille, cela déclenche de la frustration, du désenchantement et du déracinement.

III- LA FRUSTRATION ET LE DESENCHANTEMENT

La terre d’exil ou l’ « Ailleurs » revêt un double face aux yeux du poète. Nous avons vu comme il est émerveillé par cet inconnu. L’Ailleurs est beau, ensoleillé et attrayant, mais s’avère inaccessible au poète. Il en rêve mais il sait quelque part au fond de lui que cela restera un rêve. La sensation d’échec se fait lourde, lui pèse et provoque un sentiment de frustration.

A- LA FRUSTRATION

« Que n'ouvres-tu mon coeur pour en savoir les peines et voir comme il est pauvre et triste sous ses fleurs ! Que n'ouvres-tu mon coeur pour en savoir les peines » Paroles de l’hiver, Sylves

66 La frustration de Rabearivelo se traduit par le sentiment d’impuissance d’un côté et la sensation d’échec de l’autre.

a- Le sentiment d’impuissance

Le sentiment de frustration de Rabearivelo vient du fait qu’il soit soumis au destin. Il se sent impuissant pour décider du déroulement de son voyage : « Où me mènerez-vous, mains brutales du Sort, et sur quel paisible gazon ou sur quelle herbe amère à la fleur vénéneuse m étendrez-vous un jour à la fin du voyage ? A quel but atteindra ma vie aventureuse ; le fond des mers ou le rivage ? » Postlude, CPA

Nous pouvons remarquer dans ce passage tout une série de pronoms interrogatifs révélant son angoisse et son incertitude devant le départ antérieurement euphorique.

Le poète est conscient du danger que représente son projet, mais il sait en même temps qu’il n’aura pas le dernier mot, que son destin repose sur le « Sort ». Il personnifie d’ailleurs ce dernier grâce au majuscule alors qu’il s’agit grammaticalement d’un nom commun abstrait. Ce procédé métaphorique souligne ainsi l’importante du sort dans le déroulement de son voyage. Son caractère « brutale » ne permet d’ailleurs pas au poète de riposter quoi qu’il arrive car en fait, l’Ailleurs tant rêvé possède une double facette :

Tableau de la double facette de l’Ailleurs (tableau 12):

AILLEURS Facettes positives Facettes négatives - Paisible gazon - Herbes amères à la fleur vénéneuse - Le rivage - Le fond des mers

67 Naufrage ou rivage ? Les deux sont possibles mais ne relève pas du bon vouloir du poète.

Par ailleurs, la référence aux déesses latines : « les Parques62 » nous fait déjà penser que le voyage ne se déroulera pas comme le poète le souhaite. En effet, « la Parque » ou les « Parques », en littérature, désignent tantôt le destin, tantôt symbolisent la Mort63. Elles tiennent entre leurs mains le destin de chaque humain car il leur appartient de couper le fil d’existence de chaque homme une fois que le sablier mesurant le temps imparti est vide.

Le poète soupçonne cependant ces « ténébreuses Parques 64» de trahison car malgré les « butins » et multiples richesses qui l’attendent, il sent que la mort est proche, que la « perfide parque65 » ne le laissera pas en profiter. Il se sent trahi. Il voit réduire ses espoirs réduits à néant dès le départ même.

Le sentiment de frustration du poète vient donc essentiellement du fait qu’il ne peut pas mener à bien sa quête. Il est lucide de son impuissance face au destin. Beaucoup d’obstacles s’opposent à son succès.

A part les Parques, on peut également relever la présence des Sirènes sur le trajet du poète :

« ô cœur d'enfant qui veut défier la Sirène afin de t'affranchir des liens de la terre »

Trois préludes, CPA

« Mais pourquoi craindre déjà l’appel de la Sirène Jeunesse ? A son danger oppose une âme sereine!»

Chants, CPA

62 Clotho, Lachésis et Atropos ou Nona, Decima et Morta ; appartenant à la mythologie romaine ; appelées aussi « la triade féminine immortelle » 63 Selon le dictionnaire Larousse en ligne (www.larousse.fr:encyclopedie/divers/les_Parques/182785) 64 In Horloge, Volumes 65 In Jeunesse agonisante, Chants, CPA 68 Les verbes « défier » et « craindre » suggère le caractère offensif des Sirènes, mais c’est le nom : « danger » dans le second extrait qui le confirme. Ce danger est d’ailleurs appuyé par le passage suivant :

« Afin que mon âme ne défaille à la voix perfide des sirènes ! » Nobles dédains, Sylves

Au fait, les Sirènes sont aussi fourbes que les Parques. Elles s’opposent au bon déroulement du voyage de Rabearivelo. Et dans le cas où notre âme ne résiste pas à l’appel de la Sirène, c’est la mort qui nous attend, comme ce qui est arrivé à ces marins qui ont cédé à leur charme :

« O barque aventureuse aujourd'hui bien vétuste et de qui l'océan a rongé la carène, où sont tes matelots séduits par la Sirène

tandis qu'ils s'adonnaient au jeu de la flibuste ? » Herpes, Volumes

Le poète se bat ainsi pour ne pas tomber dans leurs pièges, quoi que son sort ne lui appartient pas. Son rêve d’évasion, de bonheur se réalisera-t-il quand même ? Ce n’est pas évident !

b- La sensation d’échec

« Coeur las de rêve inachevé et las de rêve non rêvé, ô cœur avide de bonheur Débris épars et vain de palme le seul butin de l’aventure ! » Vers le bonheur, Volumes

69 Ce qui nous intéresse dans ce passage, c’est d’un côté l’image du rêve inachevé et rêve non rêvé qui évoquent le désespoir du poète. Il se sent dépossédé et fatigué avec sa « soif que rien ne désaltère 66» désormais.

De l’autre côté, nous avons ce recours au procédé de l’antithèse avec l’expression « vain de palme ». La palme symbolise la réussite, la victoire. Ici, elle est cependant associée à l’adjectif « vain » au lieu du nom « vin » comme on a coutume d’entendre dans « vin de palmes67 ». Cette image renvoie alors à une victoire insignifiante. Ce qui accentue encore le sentiment de frustration de Rabearivelo.

En outre, la fréquence de l’utilisation de l’adjectif «vain » est assez remarquable dans le corpus, voici les détails :

Tableau de fréquence du terme « vain »(tableau 13)

Corpus CPA Sylves Volumes Total

Fréquence Du mot

« vain (e)ment» 19 20 17 56

Nous avons ainsi recensé 56 fois l’utilisation du terme « vain ». Cette forte récurrence est liée à l’idée d’échec et source principale de la déception du poète.

« Vainement je tairai les sanglots de mon âme 68» dira-t-il. Tellement sa déception le dépasse qu’il ne peut pas la calmer.

Même la nature, représentée par le vent et les flots, semble vouloir sa défaite :

66JJR in Trois préludes, CPA 67 Une boisson alcoolisée naturelle obtenue par fermentation de la sève du palmier. 68 In Stances Luminaires, Sylves

70 « Ainsi, ne fréquentant que l'azur et la cime, — comme toi, maintenant, dans mon état premier — je ne redouterais que le vent et son crime, car quelle vie encore te serait destinée après ma chute et le désarroi des ramiers, mon âme, ma pauvre âme aujourd'hui fortunée ? Métempsycose, Sylves « Souffle astucieux et perfide des flots » Livres, Volumes

Le premier passage résume l’aboutissement malheureux du voyage du poète. En effet, il ne verra de son objectif que l’ « azur et la cime ». Il ne touchera son but qu’avec les yeux, il ne pourra pas profiter des avantages du pays tant rêvé. Son échec est ici accentué par le champ lexical de la perdition : « chute, désarroi, pauvre âme ». D’ailleurs, c’est dans le recueil Sylves que le sentiment de perte et de décadence est le plus accentué.

On peut ainsi conclure que c’est surtout cette fin malheureuse, l’échec du voyage qui attriste et déçoit profondément J.-J.R.

B- LA DESILLUSION/LE DESENCHANTEMENT

L’exil de Rabearivelo, correspondant au voyage comme on a eu l’occasion de le vérifier dans la deuxième partie, s’achève donc par un échec. Il n’a pas pu être mené à bien même si la terre d’accueil possède tant de richesses, de biens, de charme...C’est ce qui crée en lui le sentiment de désenchantement car finalement les terres inconnues, l’Ailleurs tant rêvé, il n’y mettra pas les pieds. Son rêve ne se réalisera jamais. Désormais, son rêve demeurera du monde de l’imaginaire : « O ma mère, je sors d'un rêve musical dont m'ont charmé l'ardeur et la tonalité ;

71 pourtant de ce pays qui ne m'est pas natal, je vous reviens avec un cœur désenchanté ! » Gloses musicales, CPA

a- Le mensonge

Une prise de conscience douloureuse s’opère chez Rabearivelo, découvrant qu’au fait ce pays qui l’émerveillait tant n’est pas ce qu’il croyait. Il en parle alors comme d’un « pays trompeur69 » aux « parfums amers70 ». Malgré l’irrésistibilité de l’appel de l’inconnu, le poète reconnaît tout le piège qui l’accompagne. L’extrait suivant l’illustre :

« Détournons-nous des sombres attraits dont leurs appels pervers sont emplis » Nobles dédains, Sylves

« Sombres attraits », « appels pervers », voilà les caractéristiques réelles de ce pays où il rêvait de vivre. Cette réalité le déchante et le rend bien malheureux. D’ailleurs, l’Occident, plus précisément l’Europe où il veut aller connaît des aspects plutôt repoussants :

« Europe froide » Cœur et ciel d’Iarive, Volumes « Penser pervers et sombre de l’Europe maladive » La guirlande de l’amitié, Sylves Ces vers nous présentent déjà quatre aspects négatifs du pays d’exil : froide (malgré le soleil), au penser pervers, sombre et maladive. D’ailleurs, la nature elle- même semble encore trahir le poète avec leur mensonge, il parle par exemple de : « soleil virtuel, leurre cruel71 », « vents déments », « flots en rage »,

69 In Au Soleil estival, Volumes 70 In A Sahondra, Sylves 71 In Matin malade, Volumes 72 « océan perfide72 ». A croire que tout est tromperie dans ce pays car ce n’est pas seulement le soleil et la mer, la terre aussi les rejoint pour rendre infernale la vie du poète.

b- La fuite du temps

La désillusion de Rabearivelo s’exprime particulièrement aussi par la fuite du temps. Le fait que son bonheur sur la terre d’accueil n’est qu’éphémère.

Cette désillusion est mise en relief par la nature de l’Ailleurs qui préalablement décrite comme étant riche, fleurie et parfumée, d’un coup se transforme en un paysage désertique aux yeux du poète :

« Le bois est dépeuplé de ses plus beaux oiseaux ! Ma jeunesse s'effeuille, et les fruits ont un goût de cendres que je cueille !

Destinée, Sylves

La désillusion du poète dans ce passage apparaît sous deux formes. D’un côté, elle est symbolisée par l’immigration des oiseaux. Ces animaux quittent leurs lieux d’habitations naturels. D’un autre côté, il y a la fuite du temps représentée par la jeunesse qui s’effeuille, qui perd ainsi sa beauté, sa vigueur et vieillit. Dans le cycle de la vie humaine, la vieillesse est le stade le plus proche de la mort. Le dernier vers possède ici une double connotation dont le goût amer de la vieillesse et aussi la mort par l’usage du terme « cendres » qui symbolise le terme de la vie des mortels.

Cela nous renvoie au troisième aspect de la désillusion du poète qui est l’évocation de la mort.

c- Présage de mort imminente

Si le voyage était d’abord promesse de vie et de richesses pour le poète, il simule des caractéristiques obscures dont la plus marquante est la mort :

72 In Deuil des palmes, Sylves 73 « Tout parle de naufrage et tout parle de mort, le signe rouge marque et couvre l'horizon. . . » Le Chant inconnu de Childe-Harold, CPA

«Alors, je me croirai, au terme du voyage, revenu : ces odeurs de mort et de naufrage parfumeront le front ridé de ma jeunesse »

En vain je chante, CPA

Ces vers signalent la présence de la mort liée au naufrage qui est l’issu fatal du voyage de Rabearivelo. L’utilisation répétée de l’adjectif « tout » suggère l’exhaustivité et l’étendue du domaine couvert par la mort. Ce qui indique qu’il n’y a pas d’échappatoire possible au poète. La forte réitération de la « mort » dans les trois recueils appuie largement cette idée de lugubre, de macabre et ténébreux.

Tableau de fréquence des termes explicites renvoyant à la mort (tableau 14)

Recueil CPA Sylves Volumes Sous-

Termes Total

Mort (s), Mortel(le)s 11 30 42 83

Mourir 3 2 7 12 TOTAL 14 32 49 95

Cette omniprésence du thème de la mort dans les trois recueils renvoie au fait à deux sentiments opposés. L’un représente le culte des ancêtres (le pays natal) et l’autre fait référence au monde morbide qui l’attend (l’Ailleurs). Mais c’est cette deuxième option qui nous intéresse d’abord dans ce chapitre.

74 Rabearivelo aime la vie, il veut vivre. Il avoue même être « ivre d’éternité73 ». D’un côté, rien que l’idée de mourir le terrifie :

« A qui viendra demain le tour sans qu’on s’en épouvante ? » Destinée, Sylves

En d’autres termes, le désir de vivre du poète est ferme, il veut survivre de son voyage/naufrage : « Astres ! je ne veux pas mourir ! J’ai du génie ! » Destinée, Sylves

Remarquons que là encore, cette idée de la mort stimule en J.-J.R des sentiments ambivalents. En effet, malgré cette ferme envie de vivre, il se révèle attiré par la mort. D’abord, on dirait qu’il se résigne devant le fait qu’il va périr à l’issue de son exil : « Accueille donc, accueille, en souriant, le Sort. si le front de la vie est marqué par la mort, tout est contre l'espoir vaine calamité ! » La sagesse des morts, Volumes

Il se fait à l’idée de mourir car telle est le destin de tout homme. Puis ses sentiments évoluent et le voilà séduit par la mort, hanté même : « Comme j'aimerais vivre au commerce des morts et, ne pensant à rien comme dans le sommeil, m'étendre sur ton lit inconnu du soleil, ô vétusté tombeau, sans regret ni remord » Vers dorés, Sylves

Ces vers évoquent le désir du poète de rejoindre ceux qui ont déjà fait le voyage vers l’au-delà comme Lys-Ber et Thomas Robinson, ses « devanciers en

73 JJR In Destinée, Sylves 75 l’Aventure 74». On peut aussi noter le procédé de gradation dans l’évocation de la mort grâce aux termes : « sommeil » d’abord qui renvoie à moitié à l’état de mort car la mort dit-on est un long sommeil ? Ensuite nous avons le nom « lit » qui renvoie au « lit de mort » puisqu’il est inconnu du soleil ; Enfin, nous avons un terme plus qu’explicite qui est « tombeau », l’endroit où les morts reposent.

On peut dire que son envie de mourir s’explique par le désir d’échapper à la souffrance qui l’accable durant l’exil. Mais si le poète semble vouloir mourir, ce n’est nullement dans le but de périr à jamais ou de devenir cendres comme le commun des mortels mais pour renaître, se réincarner, comme l’illustre l’extrait suivant :

« Nulle mort n'est, d'ailleurs, le terme de la vie : en sa métamorphose est rénové le sang ; et la force qu'elle offre à son adolescent est plus inassouvie ! A Pierre Camo, Volumes

A travers ce passage, on dirait que le poète en vient même à sublimer la mort, que c’est préférable à ce qu’on vit car tout n’est qu’illusoire ici, ses espoirs sont vains malgré les efforts du poète, son voyage imaginaire est un échec. , ces mensonges qui déçoivent amèrement Rabearivelo contribuent à créer en lui un sentiment encore plus profond et dangereux : le déracinement.

C- LE DERACINEMENT

L’exil implique toujours une forme de déracinement a-t-on entendu dire. Des sentiments concurrents d’attachement et de déracinement aigus animent effectivement Rabearivelo à travers les trois recueils. Dans Chants pour Abéone, nous avons pu constater que le poète aspire à un vrai départ vers l’Ailleurs. L’analyse de ses sentiments par rapport à cet endroit a tout de même permis de

74 JJR In CPA 76 découvrir des sentiments ambivalents vis-à-vis du large. Il en est pareil pour sa terre natale : il s’y sent à la fois attaché et déraciné.

Ce déracinement du poète est symbolisé et développé à travers l'image de l'arbre qui s’avère être un thème prégnant. Ces arbres, dont nous avons déjà parlé dans la partie précédente sont en faite des plantes en exil. Exil, déracinement, on peut dire que cela va de paire dans la mesure où la personne ne s’adapte pas à son nouvel environnement.

Pour Rabearivelo, cela se manifeste par le sentiment de malaise.

1- Le malaise Le sentiment de malaise du poète est exprimé à travers le sentiment de gêne de la nature, plus exactement de l’arbre. Ce sentiment de malaise est dû au déracinement de l’arbre pour être replanté dans un lieu étranger. C’est cette re- transplantation hors de territoire d’origine de l’arbre qui provoque le malaise.

On peut voir cela essentiellement, dans la série de poèmes intitulée Arbres dans Volumes où il compare son sort de poète au cœur déplanté, arraché au terreau originel, à celui d'arbres transplantés d'une région à une autre comme le « Filao », arbre maritime mal acclimaté aux plateaux de l'Imerina où l'homme l'a contraint de pousser :

« Filao, filao, frère de ma tristesse, qui nous vient d'un pays lointain et maritime, le sol imérinien a-t-il pour ta sveltesse l'élément favorable à ta nature intime ? Maintenant que l'exil fait craquer ton écorce, l'élan de tes rejets défaillants et sans force ne dédie aux oiseaux qu'un reposoir sans ombre» Filao, Volumes L’abondance d’expressions connotant l’impuissance : « reposoir sans ombre », « craquer ton écorce », « rejets défaillants »et « sans force » suggère ici

77 le déracinement du poète qui se comparant aux arbres, perd sa force et sa vigueur n’étant plus dans son milieu natal. Cette sensation d’exil et de déracinement est renforcé dans Sylves grâce à la référence aux « palmiers :

« Exil au sol natal, ô pur exil! Mais ces palmiers aussi, dont le front ténébreux Se jouit dans l'azur fluide et vaporeux, Sont-ils de ce pays où s'éternise Avril ? Palmiers, ô bruissants et triomphants palmiers importés autrefois d'un rivage lointain, quand votre sombre coeur est offert le matin aux ébats amoureux des couples de ramiers, et que vos beaux rejets, s'enivrant de soleils et délivrés du gouffre étanche du sommeil dans le calme ambiant, taisent leur nostalgie » Sonnets et poèmes d’Iarive, Sylves

Les expressions : « rivage lointain, importés autrefois, exil » renforcent ici l’idée d’exil vécue par le poète. L’exil des palmiers est dû au déracinement pour être replanté en milieu complètement étranger et non plus d’une région à l‘autre. Nous pouvons également remarquer cette impression de lugubrité suggérée par la présence d’un champ sémantique de l’obscurité : « gouffre, sombre cœur, front ténébreux ». Malgré ces souffrances, le palmier se tait, mais cela ne fait qu’aggraver le sentiment de frustration et de déracinement. Cette idée de déracinement est également traitée à travers le sentiment de gêne d’un autre arbre : le « Hasina » dont voici un extrait :

« La terre qui nourrit tes vivaces racines, les ramiers dont l'amour élit ta touffe sombre, ni l'air bu ne sont pas ceux de tes origines, et ta présence ici n'est que celle d'une ombre ! » Hasina, Volumes

78 Une sensation de gêne est ici évoquée par la succession de phrases négatives : « ni », « ne sont pas », « n’est que ». Cet emploi répétitif de marques de la négation connote l’idée de privation ressenti par le poète. L’objet de privation n’est autre que ses racines, la source même de son souffle de vie.

2- Le rejet de la société/la terre

Si Rabearivelo éprouve un sentiment de rejet, c’est par rapport aux deux terres (ici et ailleurs) en même temps. Nous avons vu comme JJR comparait sa situation à celle des arbres, arrachés à leur sol natal et replantés en terre étrangère. Tout comme le poète, ces végétaux déracinés ne produisent plus selon leur essence native et sont proprement dénaturés puisque le milieu où il atterrit ne lui convient pas d”un côté, la terre est hostile :

« Mais, exilés des lieux d’où nous sommes natifs, Tu n’as plus dans nos champs que des jets maladifs Qu’une terre inclémente et stérile harasse ! Comme le mien ton front n’offre plus au matin Que les dernières fleurs d’un arbre qui s’éteint » Zahana, Volumes

Comme le « Zahana », le poète se sent déraciné et rejeté par la société, représentée ici par la terre. Ce n’est même pas de l’Ailleurs dont il s’agit ici mais de la terre natale même qui rejette le poète. La similitude entre l’exil de l’arbre et celui de Rabearivelo se trouve alors dans cette idée de mise à l’écart de la société. D’un côté la terre natale semble rejeter le Zahana, la terre où elle est implantée refuse de l’adopter et de l’autre les compatriotes de JJR le rejettent pour trahison? L’hostilité de la terre est alors suggéré par : « inclémente », « jets maladifs » et « stérile ». Le poète ne se sent donc plus chez lui sur sa propre terre à tel point qu’il se sent vidé :

« De mon cœur qu'ont dépossédé de ses biens l'exil ou la mort »

79 A J.H Rabekoto, Volumes

Involontairement, le voyage du poète se transforme en un chapelet de souffrances : le chagrin, l’angoisse, la peur, la nostalgie, la mélancolie... L’utilisation fréquente de vocables abstraits (ombre75, âme76, rêve77) dans chacun des recueils attestent d’ailleurs du sentiment de désarroi, de trouble et de confusion du poète. L'Ailleurs a beau avoir du charme, de l’espace...elle paraîtra toujours hostile à qui s’y sent en exil et c’est bien le cas de Rabearivelo.

Avant même d’être parti pour le voyage imaginaire, il s’inquiète déjà du retour. La période passée au loin est vécue sans plaisir et teintée de nostalgie.

Le sentiment d’impuissance face au sort qui l’attend arrive à le frustrer que son esprit est désormais envahi par les idées de naufrage et de mort. Il n’ y a pas de bonheur possible, tout est éphémère, même la nature le trahit. Il compare alors son état à celui de l’arbre exilé et se sent rejeté par le milieu où il est implanté et dépérit.

PARTIE 4- LE SENS PROFOND DE L’EXIL

« Comment pouvait-on être Malgache, et qui plus est poète malgache, en cette période des années 1920-1930 où l'Occident toujours conquérant ne doutait pas encore qu'il représentait l'unique modèle de civilisation78? » se demandait Serge Meitinger sur Rabearivelo.

Effectivement, nombreuses questions restent encore en suspens. Dans cette dernière partie, nous analyserons ce que signifie vraiment l’exil dans le cas

75 55 répétitions en total dans les trois recueils 76 65 répétitions en total dans les trois recueils 77 36 répétitions en total dans les trois recueils 78MEITINGER Serge. in « Jean-Joseph Rabearivelo, poète de l'enracinement et de la nuit » [Métissage et exil intérieur]. In: Littérature N°83, 1991. Lettres croisées. pp. 74-88.

80 de Rabearivelo dans CPA, Sylves et Volumes. Quels sont les tenants et aboutissants de ses sentiments d’exil ?

Nous savons que Rabearivelo n’a jamais quitté la terre natale, il n’a jamais quitté son île. Il n’a même vu la mer que deux ou trois fois dans sa vie et n’a vu qu’un Madagascar colonisé. Pourtant une étude lexico-thématique des trois recueils nous a permis de vérifier la forte présence du thème de l’exil. La chaîne des sentiments de déception, de dégoût, de solitude qu’il éprouve attestent d’ailleurs de son état d’exil au sol natal. A quoi cela rime ? Notre hypothèse était que l’Occident, autant que la terre natale sont sources de sentiments ambivalents chez Rabearivelo.

I- LES RELATIONS AMBIVALENTES AVEC L’OCCIDENT

Si les trois recueils de notre corpus sont écrits en langue française, ce n’est pas un hasard. A l’époque de la composition de son contenu, entre 1925 et 1929, Rabearivelo immergeait complètement dans l’émerveillement devant non seulement cette langue mais toute la littérature française Il ressent sans cesse en lui l’appel du large, qu’il s’agisse de l’Europe et de la France vers lesquelles JJR rêve de voguer un jour ou du retour vers les sources ancestrales, la Polynésie des origines. L’attrait de l’Occident se manifeste alors par son penchant pour la langue et la culture françaises.

A- PASSION DE LA LANGUE ET DE LA CULTURE FRANCAISES

L'intérêt de Rabearivelo pour la Langue française est né au moment où il découvre en lui le don de l’expression. Cela fut tout de suite associé à l’amour des Lettres et de la langue française79 !

79 Serge Meitinger in Introduction générale aux Œuvres complètes de JJR, tome 2 81 Il a appris cette langue en autodidacte, comme la plupart de ses connaissances acquises, vu qu’il a très tôt quitté l’école. Mais pourquoi avoir choisi la langue française ? Comment se manifeste cet intérêt dans les trois recueils ? C’est dans le terrain des colonisateurs même que JJR montrera sa maîtrise de la langue en mettant tout son génie dans la forme et le contenu de ses poèmes. En effet, son penchant pour la langue et la culture française apparait d’abord dans la forme de ses poèmes : le rythme, le ton, la rime...

« Tel mon chant ...né selon un rythme étranger et son nombre » Filao, Volumes

1- La forme

La forme que JJR a choisi d’adopter pour ses poèmes révèle effectivement son penchant pour la langue française. Cela se repère dans son style d’écriture calqué sur des modèles appartenant à la littérature française comme le sonnet, l’alexandrin, la contre rime ...

a- Sonnet à profusion

On peut effectivement constater que la majorité de ses poèmes adhèrent à la structure du «sonnet » qui est un modèle classique français apparu vers le XVème siècle. C'est-à-dire composé de quatorze vers dont deux quatrains roulant sur deux rimes et deux tercés. D’ailleurs ceux qui ont été écrits en décembre 1925 sont imprégnés de l’influence baudelairienne et mallarméenne.

Dans Sylves par exemple, nous avons une série de 17 poèmes que le poète a intitulée : « Sonnets et poèmes d’Iarive ». Mais l’ensemble le plus homogène et le plus classique est représenté par les onze sonnets de la série « Arbres » dans le recueil Volumes. D’ailleurs, hormis les poèmes liminaires80, quatre des sections y sont aussi des suites de sonnets : «Vers le bonheur », « Interlude rythmique », « Arbres » et « Au Soleil estival ».

80 Qui sert de préface à un livre, à un prologue, à une épitre 82 b- Prédominance de l’alexandrin

Ensuite, du point de vue de la métrique, les trois recueils sont dominés par l’alexandrin81 qui est la forme fixe du sonnet. Ce qui témoigne encore de la préférence du poète pour la langue française.

 Dans Chants pour Abéone

Le recueil Chants pour Abéone est effectivement dominé par l’alexandrin qui est un vers de 12 syllabes. Rabearivelo l’a cependant assoupli et rendu plus musical par une syntaxe délibérément enjambant qui fait attendre un certain temps le complément d’objet ou même le verbe principal. Plusieurs fois aussi le poète élargit l’alexandrin jusqu’à 14 syllabes82 ; Dans « Jeunesse agonisante au seuil du rivage exotique » par exemple, JJR fait alterner alexandrins et vers de 14 syllabes. Nous trouvons aussi les jeux traditionnels de l’alternance alexandrins/octosyllabes ou alexandrins/hexasyllabes, un poème en octosyllabes83. Outre l’alexandrin, remarquons en passant une exception dans ce recueil qui accentue encore l’adhésion de JJR aux belles lettres françaises : il s’agit de l’utilisation de « contre rime» à la Toulet84, faisant tout du long rimer un octosyllabe avec un hexasyllabe. « De ma jeunesse le tombeau... », le dernier poème de la série « Les Chants » illustre bien cette contre rime.

 Dans Sylves

81 Un vers de deux hémistiches de six syllabes chacun 82 Les exemples les plus remarquables sont le huitième poème de la partie « Chants », « Mais pourquoi craindre déjà l’appel de la Sirène », qui commence par deux vers de 13 syllabes, poursuit en alexandrins et intercale quelques vers de 14 syllabes. 83 L’avant-dernier du livre dédié à Thomas Robinson), 84 Jean Paul Toulet (1867-1920) : poète français qui composait des contrerimes , une forme rigoureuse qui marque le retour aux exigences du classicisme. 83 Dans ce second recueil, l’alexandrin prédomine encore. Le « postlude » est en alexandrins rimés tandis que la section « Fleurs mêlées » montre un respect plutôt scrupuleux de la rime et la moitié85 de ses dix poèmes est fondée sur la rythmique de l’alexandrin. Pour le reste, elle contient trois poèmes proposant l’alternance octosyllabe/hexasyllabe avec l’effet de « contrerime» emprunté à Toulet. Sinon, toutes les pièces impaires des « Dixains », qui représentent douze poèmes, respectant le schéma de la rime classique, sont aussi en alexandrins. Enfin, l’ultime série est de loin la plus classique: toutes les pièces y sont en alexandrins normalement rimés (dont onze sonnets), mis à part le sonnet « Deuil des palmes » – en vers de neuf syllabes –, ainsi que «Tombeau de Radama II » et le « Finale », tous deux en vers de quatorze syllabes, comme si les pièces les plus solennelles avaient exigé un mètre d’un plus fort calibre !

 Dans Volumes

Dans Volumes, l’alexandrin prédomine également. Les huit86 sonnets de l’ensemble « Au Soleil estival », par exemple sont en alexandrins et de structure rimique classique. Le premier groupe, «Vers le bonheur », outre son poème liminaire de forme libre et en octosyllabes, privilégie, lui aussi, le sonnet en alexandrins (excepté le numéro 4, « Fétiche » en vers de neuf syllabes). Dans « La Guirlande a` l’Amitié´», l’alexandrin alterne volontiers avec des vers de huit et de six syllabes ; seuls deux poèmes sont fondés sur l’octosyllabe. Les rimes restent classiques. Toutes les pièces des « Sept quatrains » sont aussi en alexandrins et normalement rimées. Enfin, l’ultime section, la plus ambitieuse, « Coeur et ciel d’Iarive », use également de l’alexandrin avec une certaine solennité. Deux poèmes seulement (sur douze) divergent87 .

85 Les numéros 2, 3, 4, 6 et 9 86 Sauf le numéro 6 qui est en octosyllabes 87 Le numéro six : « matin malade » présentant une alternance de huit et neuf syllabes selon le schéma 9/8/9/9 pour les quatrains, 9/8/9 pour les tercets ; et le numéro 7, « rêve devant l’âtre », dédié à Ramilijaona, fait alterner sur quatre strophes des vers de sept et de huit syllabes selon le schéma 8/7/8/8

84 Bref, la forme que JJR a choisie pour ses poèmes dévoile son attrait pour le monde occidental, particulièrement la France. La majorité des poèmes dans ces trois recueils suit des modèles copiés sur la littérature française que ce soit en rime, en métrique ou en rythme. Rabearivelo le reconnaît et l’avoue d’ailleurs en disant explicitement que son chant est :

« Bien que naissant parmi des rythmes étrangers...» Aviavy, Volumes

Ainsi, l’adoption de formes historiques comme le sonnet, le dizain ou le quatrain ainsi que l’usage des rimes, autant d’aspects phoniques inexistants dans la versification malgache, confirment son exil dans cette culture occidentale et par la même occasion, la mise à distance du « parler ancestral ». Même si JJR connaît d’autres formes d’expressions poétiques, d’autres modèles, il a choisi dans la plupart de ses poèmes de calquer sur des modèles classiquement français. Et encore une fois, ce n’est pas un hasard, c’est le reflet de son attrait pour la langue et lettres françaises. Cet envoûtement contribue d’ailleurs à faire de JJR un poète exilé dans une culture qui n’est pas sienne. Ce n’est cependant pas l’unique manifestation de son intérêt ; il y a surtout le contenu, c’est à dire les mots eux-mêmes ainsi que les expressions qu’il utilise.

2- Les vocables

Le choix des mots et expressions témoignent aussi du penchant de Rabearivelo pour la littérature française et par la même occasion de son exil.

Nous avons premièrement, la présence des référents culturels appartenant à une autre terre, une autre culture. Dans cette catégorie, on peut citer les renvois à des écrivains occidentaux. a- Les épigraphes d’auteurs étrangers

Les épigraphes notées en début des poèmes démontrent l’attachement du poète à la littérature française et évoque ainsi l’exil culturel du poète. Plus il plonge dans cette culture qui n’est pas la sienne, plus il s’éloigne de la culture malgache.

Les épigraphes renvoient effectivement à différents auteurs français et américains. On peut citer parmi eux :

- Edgar Poe88 (Anywhere out of the world) - Charles Baudelaire89 (Loin !loin! ici la boue est faite de nos pleurs !) - Stéphane Mallarmé90 (Fuir ! la`-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres/D’être parmi l’écume inconnue...) - Jean de Mirmont91 (Vaisseaux, nous vous aurons aime´s en pure perte) - Marcel Ormoy92 (Le vent vous gonfle en vain, voiliers de nul voyage.) - Pierre Camo93 (Pierre CAMO, combien me sont plus chers vos livres) - Robert-Edward Hart94 (HART, je pense à vos chants ainsi qu’à leur sagesse...)

88 (N’importe où hors du monde ) JJR attribue à Edgar Poe une citation de Thomas Hood, extraite du « Bridge of Sighs » (« Le Pont des Soupirs »), traduit en avril 1865 par Baudelaire. Il en reproduit la graphie fautive en deux mots dont Baudelaire fait le titre du no XLVIII de ses Petits poèmes en prose 89Allusion à « Emporte-moi, wagon ! enlève-moi frégate ! / Loin ! loin ! ici la boue est faite de nos pleurs ! », Baudelaire, « Moesta et errabunda », in Les Fleurs du Mal, LXII, vv. 11-12, OEuvres complètes,tome I, p. 63. 90 Les vers de son épigraphe sont extraits de « Brise marine » de Stephane Mallarmé, vv. 2-3, in Œuvres complètes, édition de B. Marchal, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1998, tome I, tome I, p. 15. 91 Jean de la Ville de Mirmont (1886-1914) dans le cycle de mélodies du même nom. Le tempérament et le rapport au départ mis en évidence par ce poème répondent trait pour trait à ceux de JJR dans ses Chants. 92 Marcel Ormoy« En votre essor tenu vers l’azur qui vous fuit / D’une fuite insensible a` votre noble ennui, / Levent vous gonfle en vain, voiliers de nul voyage. / Palmes, le sort obscur vous attache au rivage », Marcel Ormoy, « Gorgona » (début d’un poème de 62 vers). L’allitération en /v/ et en /l/ est notable dans le vers retenu. L’attachement au rivage caractérise aussi la façon qu’a JJR de ressentir l’appel du large. 93 Pierre Camo (1877-1974), magistrat et mentor de JJR, est en congé en métropole en 1925. C’est aussi un poète d’une certaine notoriété dans le monde poétique français, qui l’aide à corriger les premiers vers français intitulés « Le Couchant », qu’il publie le 24 mai 1921 dans La Tribune de Madagascar et dépendances sous le pseudonyme de Jean Osmé (sans doute parce que c’était le nom même qu’il avait utilisé pour entrer en contact avec le magistrat-poète)

8586 - Philippe Chabaneix95 - G. Henri de Brugada96 - Jean Lebrau97 On retrouve ces noms éparpillés et parfois répétés dans les trois recueils. Ils sont regroupés dans la section « La Guirlande à l’amitié » dans Volumes, puis en dédicaces éparpillés dans Sylves. L’introduction des épigraphes des auteurs étrangers pour préluder dans CPA, prouve ainsi l’aspiration de JJR pour l’Ailleurs, l’Occident.

b- Les autres noms et allusions

Mis à part ces noms cités dans les épigraphes, on peut relever divers autres noms qui font allusions à la langue et la culture françaises. Ils témoignent également de l’appel du large et donc de l’exil.

Voici une liste non exhaustive de ces allusions à des éléments de la littérature française :

 Nane98 : L’évocation de ce nom dans le tout premier poème de Sylves est un renvoi à « Mon ami Nane » de Paul-Jean Toulet, qui est un roman écrit à la première personne et empreint d’érotisme, d’humour et de mélancolie.

Nane y est une demi-mondaine qui fascine le narrateur.94 Robert-Edward Hart

1891-1954 Poète mauricien inspiré des civilisations et cultures de Madagascar. Ami de JJR.

95 CHABANEIX, Philippe (1898-1982). Poète français, tenant de l’Ecole fantaisiste avec Paul-Jean Toulet, Francis Carco ou encore Tristan Derème. Né en mer, il passe, comme Carco, sa petite enfance en Nouvelle Calédonie. C’est un correspondant de JJR, qui lui dédie des poèmes. 96 Gérard-Henri de BRUGADA. Né à Curepipe (Ile Maurice) en 1904, il arrive à Madagascar en 1925, Année où il fonde, avec R.-E. Hart, l’éphémère revue Zodiaque qui paraît à Maurice. Il sera vice-consul britannique à Tananarive de 1938 a` 1943, puis président de la section locale de l’Alliance française de 1946 jusqu’en 1952. 97 LEBRAU, Jean (1891-1983). Poète et écrivain français. Inspiré par sa rencontre avec Francis Jammes, Joé Bousquet et François-Paul Alibert, il devient le chantre du vin, de la vigne, du terroir des Corbières. Auteur de Couleur de Vigne et d’Olivier (1929), Béarn (1931), Quand la Grappe murit (1932), D’une Amère Flore 1936)... 98 Dixains I, in Sylves

87  Amalthée99 : il s’agit du nom de la chèvre qui nourrit et éleva le jeune Zeus-Jupiter soustrait par sa mère à la volonté destructrice de son père Chronos-Saturne.

 Floryse100, dans le même vers que Nane est, dans les Contrerimes (pièce VII) et les Coples (pièce LXIX) de Toulet, une créole mauricienne, interpellée par le poète.

 Almaïde101 : ou Almaïde d’Etremont ou l’histoire d’une jeune fille passionnée est le titre d’un roman de Francis Jammes interpellée dans le vers précédent.

 Childe-Harold102 : Personnage principal du poème en quatre chants « Le pèlerinage de Childe-Harold » de Lord Byron (1788-1824)

 Laforgue103 : Jules LAFORGUE est un poète français considéré comme appartenant au mouvement décadent ; Cité deux fois dans la section Destinée, cette dernière devient un hommage appuyé et élégiaque à Laforgue surtout que JJR fait allusion à l’avant-dernier vers du poème «Eclair de gouffre » de Jules Laforgue, et repris dans Poèmes posthumes divers.

 Ovide104 (43 av. J.-C.-17 ap. J.-C.) : poète latin, contemporain du règne d’Auguste, qui meurt en exil sur les bords du Pont-Euxin (aujourd’hui la mer Noire). Il laisse comme témoignage poétique et élégiaque de sa douleur d’exilé les Tristes et les Pontiques. Son interpellation connote directement l’exil et en même temps l’amour de la culture occidentale.

99 Au soleil estival, in Volumes 100 Dixains I, in Sylves 101 Dixains II, in Sylves 102Chant, in CPA 103 Destinée, in Sylves 104 En vain je saurai, in CPA 88  « D’amertume vêtue et de lune, tu joues, ce soir de nonchaloir, l’Adieu du Divin Sourd; et vers moi quel émoi long à la fois et court vient ! Le vent de la mer ! Il vibre sur mes joues... » Gloses musicales, CPA

Ce qui nous intéresse dans cette strophe c’est l’ « Adieu du Divin sourd » car il s’agit d’une allusion au Sonate numéro 26 de Beethoven : « Les adieux », inspirée des guerres napoléoniennes et, plus précisément, comme l’indiqua Beethoven, lui-même : « L’adieu, Vienne, 4 mai 1809 pour le départ de Sa Majesté Impériale, l’Honoré Archiduc Rodolphe ».

 Alliciante105 : il s’agit d’un terme latinisant et recherché, emprunté à Verlaine, et qui signifie « attirante (comme l’aimant), séduisante »  Moesta errabunda106 : JJR fait allusion à : « Emporte-moi, wagon ! enlève-moi frégate ! / Loin ! loin ! ici la boue est faite de nos pleurs ! », de Baudelaire, in Les Fleurs du Mal, LXII, vv. 11-12, Œuvres complètes, tome I, p. 63. Cette référence évoque des images de bonheur appartenant au passé, que seul le rêve et l’écriture peuvent reconstruire.  Anadyomène107 : c’est le surnom d’Aphrodite-Vénus qui signifie « celle qui sort du sein des flots », thème illustré en peinture par Apelle dans l’Antiquité et par Botticelli à la Renaissance. Le surnom s’applique fort bien également au soleil, surtout à Madagascar où il sort à l’est de l’océan Indien.  Schubert108 Franz (1797-1828) est un compositeur autrichien de renom international.

105 Fuite éperdue, CPA 106 Les craintes de partir, in CPA. Signifie : Triste et vagabonde 107 Au soleil estival, in Volumes 108 Franz Schubert, Gloses musicales, in CPA 89 Encore une fois, il ne s’agit pas d’une liste exhaustive des allusions à des éléments de la littérature française mais une sélection de référents culturels pour montrer la richesse et la variété des connaissances que JJR a mis dans ces œuvres. En effet, nous pouvons remarquer que les domaines de référence cités sont larges avec un éventail de termes recherchés. La langue française n’a plus de secret pour Rabearivelo, il est à fond dans cette culture qui l’émerveille bien qu’appartenant à l’autre. Cette variété de références, cette recherche attestent un travail relativement colossal que le poète a effectué avant et pendant la composition de ces poèmes. Ces éléments appartiennent à la musique, à la littérature ancienne, à la mythologie gréco- latine et bien d’autres domaines encore. Ils témoignent de la profonde aspiration de Rabearivelo pour la culture/civilisation occidentale. Cette dernière demeure à ses yeux l’image d’une culture/civilisation modèle par son abondance, sa richesse et sa variété. De toutes les manières, Sylves et Volumes sont les deux ensembles les plus proches du ton hérité de ses amis et maîtres français et les plus tributaires des deux Ecoles poétiques dont se réclament Pierre Camo et ses amis : l’Ecole romane109 et l’Ecole fantaisiste110.

« Du signe de vieillir, du signe de la mort, est-il marqué, ce livre où j'ai mis ma jeunesse ? Et le son qu'il rendra, sera-t-il d'allégresse, sera-t-il de remord ? » A Pierre Camo, Volumes

Le fait que JJR ait mis sa jeunesse dans ses livres marque son investissement démesuré pour réussir. Cet investissement à la fois physique et moral témoigne ainsi de son intérêt illimité pour la littérature française et de son

109Créée en 1891, se veut une réaction tempérée et humaniste aux excès du symbolisme : il s’agit de retrouver une inspiration à la fois bien française, méditerranéenne et néo-classique qui s’oppose à l’hermétisme comme aux frénésies névrotiques du mouvement décadent 110 L’Ecole fantaisiste est le nom donné à partir de 1912 à un groupe de poètes dont le plus notoire demeure Paul-Jean Toulet et qui répudient tous les grands courants intellectuels et littéraires du siècle précédent – romantisme, réalisme, symbolisme, naturalisme et positivisme – pour réhabiliter une manière de burlesque qui permette un juste équilibre entre sentimentalité, humour et mélancolie. 90 exil culturel. Il aime d'amour la langue française et en a fait sa seconde patrie, qu’il appelle aussi « patrie intellectuelle ». Bref, la langue française est devenue son territoire d’exil linguistique.

Mais y a-t-il d’autres explications, d’autres motivations à cet amour abyssal de l’autre culture ? De l’autre langue ?

Effectivement, ce profond désir renferme des objectifs plus intimes.

B- SES MOTIVATIONS INTIMES

« La volonté d’être reconnu, lu, ou simplement publié explique bien évidemment en grande partie le choix d’une expression littéraire francophone. Cependant, au-delà de ces rapports de nécessité et de pouvoir, communs à toutes les anciennes colonies, le choix du français semble reposer sur des fondements plus complexes, liés à la nécessité de se forger une nouvelle identité, mais également à l’espace insulaire lui-même.111 » disait Bertrand MARQUER. Cela est en partie vrai dans le cas de Rabearivelo ; En effet, son penchant pour la langue française est un choix parmi d’autres. Il pouvait rester dans sa langue maternelle pour s’exprimer, certes, mais notons aussi que la littérature malgache traversait une période difficile à l’époque de la colonisation à cause de la censure. Il y avait cette oppression qui empêchait les écrivains malgaches de s’épanouir alors que de l’autre côté, la littérature française connaissait son apogée.

1- Recherche d’épanouissement personnel

a- Langue et liberté

Avec les conditions imposées par les colons (contraintes éditoriales, économiques, politiques, qui pesaient sur lui) Rabearivelo s’est senti dans

111 Bertrand MARQUER In « Les littératures francophones de l’Océan Indien : Problématiques et enjeux » 91 l’obligation de choisir le français pour s’exprimer plus librement et ainsi s’épanouir intellectuellement. La langue française était pour lui :

« Cette langue qui parle à l’âme/tandis que la nôtre murmure au cœur112 ».

Cet extrait reflète déjà le statut élevé que le poète accorde à la langue française par le fait qu’elle soit en mesure de s’adresser ouvertement à l’âme humaine tandis que la langue malgache est contrainte de murmurer. Il est évident que Rabearivelo ait choisi la langue qui lui permet de s’exprimer librement.

Terre natale Occident

║ ║ Langue maternelle ======EXIL=====> -- Langue adoptive

║ ║ Contraintes # Liberté

L’exil du poète en Occident, dans l’espace culturel francophone se transforme en espace de la suprême liberté. Si le présent ressemblait à une prison pour le poète, l’écriture, fruit de son rêve, devient son terrain de liberté. La liberté étant une condition sine qua none à la plénitude morale de Rabearivelo, à son élan spirituel.

Comme on l’a déjà vu précédemment, la plupart des poèmes de ces recueils ont été composé en 1925. Cette année, Rabearivelo connut une forte productivité en langue française. Et on peut constater que cette étonnante créativité ne se contente pas d’exploiter les modèles en vigueur, que la maîtrise déjà acquise de la langue française ne signifie pas soumission intellectuelle et morale au conquérant. En faite, cette langue venue d’ailleurs, imposée d’abord par la force des armes est passionnément aimée par le poète.

112 Lambe, Presque-songes, in Œuvres complètes de JJR Tome 2

92 b- Langue et passion

En effet, malgré les risques et contraintes de cette langue étrangère, Rabearivelo se dévoue et s’acharne car elle le passionne.

« La grâce flexueuse et fragile de l'eau, l'éclat évanescent des éclairs dans la nuit, et ce que pour charmer insinue un sanglot musical, mal d'amour en fleur épanouir c'est le jeu de mon âme en vous offrant ce livre » A G. HENRI DE BRUGADA , Volumes

Ce passage nous révèle tout l’amour/passion du poète pour la langue française. C’est un amour profond puisqu’il atteint son âme et lui joue même des tours. Cet amour est ici évoqué par des déclarations explicites comme : « mal d’amour » mais aussi appuyé par le champ lexical de la tendresse : « grâce, évanescent, musical » qui suppose la douceur de son sentiment. Cette langue représente aussi son espoir car il sait que rien ne lui est d’avance acquis, tout relève de son effort et de son génie, de son entregent et de sa ténacité.

c- Langue et satisfaction

Produire, s’exprimer en français devient pour JJR un régal, et lui procure de la réjouissance :

« Afin d'honorer mieux cette langue étrangère qui sait tant à mon âme intuitive plaire et que j'adopte sans éprouver nul remords » Sonnets et poèmes d’Iarive, Sylves

« En vain je lirai Lavaud, Camo, Toulet, Hart »

93 Trois préludes, CPA

« ô livres de partout sur ma table échoués » Livres, CPA

Son épanouissement personnel passe alors par la satisfaction de sa soif livresque et de sa passion pour la littérature française. Au tout début des années vingt, par exemple, où il est aide-bibliothécaire au Cercle de l’Union à Tananarive, il en dévore littéralement le fonds. Tant d’acharnement n’est que le fruit de sa passion.

La langue française permet ainsi à Rabearivelo de vivre pleinement son rôle de poète. Il tend même à faire du type mythique créé par les romantiques et prolongé par Baudelaire ou Verlaine l'idéal qui régit chacun de ses actes, chacun de ses instants. Cette fixation sur un modèle étranger est alors le fruit d'une acculturation volontaire113, entreprise avec enthousiasme dès 1920 : déjà poète dans sa langue maternelle, Rabearivelo se tourne vers la langue et la culture des colonisateurs pour les faire siennes, avec une prodigieuse boulimie. En choisissant consciemment le français comme langue d’expression, il satisfait ses ambitions personnelles d’artiste et sa soif intellectuelle de défier les colons sur leur propre terrain. En effet, l’appel de l’étranger est puissant et porte à rêver tout autant qu’à penser : il ouvre au créateur et à l’intellectuel une dimension nécessaire à son épanouissement. Le poète se trouve alors de nombreux frères parmi les poètes occidentaux (Poe, Baudelaire, Mallarmé et Rimbaud pour les plus notoires114). Remarquons cependant qu’à l’époque, les compagnons de Rabearivelo sont plutôt des écrivains en langue malgache comme Lys- Ber (Joseph-Honoré Rabekoto), Harioley (Raharolahy),James Raoely, Razafitsifera et quelques autres ;

113 Serge MEITINGER, “Deux poètes du retour au natal et du décentrement : Jean-Joseph Rabearivelo et Boris Gamaleya”, Sur la route des Indes Orientales, Aspects de la francophonie dans l’Océan Indien, tome II, XXe siècle, sous la direction de Paolo Carile, Université de Ferrare, p. 219-231, 2002. 114 Op cit Introduction générale aux Œuvres complètes de JJR, Tome 2 94 JJR de son côté a déjà une vision mondiale des choses, et tentera, résolument et à ses risques et péril, le passage des langues et des cultures. Cette vision mondiale des choses se traduit par une quête de succès et d’universalité.

3- Quête de succès, d’universalité

Pour Rabearivelo, le choix du français est également une question de stratégie. C’est la garantie d’un lectorat beaucoup plus large ou la simple garantie d’une édition. Cela rejoint la volonté d’être lu et reconnu.

Sans même sortir du monde du livre, le doute a sa place et le jeune poète, soucieux d’une diffusion comme d’une réception judicieuse de son œuvre, médite et organise soigneusement les envois qu’il fait de ses recueils.

Dans notre corpus, sa quête de succès se traduit alors essentiellement par cette inquiétude par rapport à la réception de son livre.

 Soif d’un public plus large

Effectivement, Rabearivelo, pendant la composition de ses poèmes, s’inquiétait de la réussite de son œuvre auprès du public: « De mon cœur qu'ont dépossédé de ses biens l'exil ou la mort, et qui, trésor dilapidé, s'épuise au gré mouvant du Sort, éclos par le Rythme et le Nombre, jaillit ce chant dont le postlude dit, en l'honneur d'un peuple d'ombres, mon calme et mon inquiétude. Ah ! Puisse-t-il avoir, là-bas, dans ton val sombre et désolé, les accents qui ne meurent pas »

95 A J.-H. RABEKOTO, Volumes

« Ce livre comment imprimé Renferme-t-il quelques poèmes que vous puissiez en France aimer, cher poète Derème ?

A Tristant Derème, Volumes

De son exil, Rabearivelo n’est pas rassuré par rapport à la réception de son œuvre, il espère au fond de lui qu’avec la langue française, ce sera différent, qu’il aura plus de succès Ailleurs (là-bas). L’expression « les accents qui ne meurent pas » symbolise ici la perpétuelle réussite, la survie voir la pérennité car telle est l’aspiration du poète pour son œuvre.

Ces vers confirment également l'idée que la destination de son livre est étendue, représentée ici par la France. Le poète veut être connu, reconnu universellement.

Et même si le tirage de ses recueils demeure très modeste, Rabearivelo veille soigneusement à leur diffusion et vise à élargir sans cesse son lectorat du côté des gens qui comptent dans le champ littéraire français et francophone115.

Ainsi, JJR, au génie protéiforme, a l’ambition de continuer à étendre son influence sur le monde littéraire à sa portée et dans toutes les directions. L’ambition est grande et la maîtrise du jeune poète remarquable, sa virtuosité métrique, sa finesse thématique et psychologique, son inventivité mythologique n’ont jamais été aussi grandes116 car c’est dans Sylves et Volumes que le poète confirme qu’il veut d’abord s’imposer comme un maître dans l’art des Muses de France. Bref, la langue française permet à Rabearivelo de franchir les barrières linguistiques et de se rapprocher de son but d’universalité. Mais par ce chemin, on

115 MEITINGER Serge in Introduction générale aux œuvres complètes de Jean-Joseph RABEARIVELO, Tome 1, page 24 116 MEITINGER Serge in Introduction générales aux Œuvres complètes de JJR, Tome 2, p.26 96 observe chez lui une mutation confirmée par les propos du psychanalyste de renom Freud : « Habiter une langue signifie faire le deuil de la langue maternelle idéale117 ». JJR en arrive –t-il jusqu’à faire le deuil de sa langue maternelle et de toute la culture qui l’accompagne ?

C- LE REVE D’ECRIRE MALGACHE EN FRANÇAIS

Non, Rabearivelo n’a jamais oublié ses origines, ni sa culture. Bien au contraire. S’il a décidé d’écrire en français, c’est en grande partie parce qu’il rêve d’écrire malgache en français. Il ambitionne de promouvoir le malgache par le biais de cette langue universelle, « cette langue que j’ai choisie pour préserver mon nom de l’oubli118 » confirme Rabearivelo lui-même. En dépit de cet engouement pour la langue et la culture françaises, on retrouve dans les œuvres de Rabearivelo une certaine répugnance vis-à vis de l’Occident : « La réelle sagesse est de se détourner du bonheur que propose une haleine de songes, et de découronner le front du sort fleuri d’obscurs et purs mensonges» Fleurs mêlées, Sylves

Le poète souffre atrocement de ces mensonges (haleines de songes) de l’Ailleurs et ressent inéluctablement de la répulsion :

« Refuse le parfum, embûche de la fleur qui cherche à t’enchanter de son astuce vaine »

Fleurs mêlées, Sylves

Le verbe « refuser » au monde indicatif suggère ici la fermeté de sa décision de ne plus se laisser charmer par les attirances « sombres » de l’Ailleurs.

117 ROULET E. In Langue maternelle et langues secondes vers une pédagogie intégrée, Hatier,CREDIF,1980 p.76 118 JJR in Lambe, Presque-songes 97 Désormais, malgré son penchant pour l’Occident, JJR préfère écouter son cœur qui ne bat plus que pour le natal.

Malgré son amour pour l’Ailleurs, JJR ne verra jamais la France. Il est d’abord sélectionné avec d’autres pour aller à l’Exposition universelle de Paris, en mai 1937, un mois avant son suicide. Mais son nom ne sera finalement pas retenu. Pour lui, c’est une humiliation de plus. Sans doute l’une des plus cruelles.

Cette ambivalence des sentiments : amour et répugnance pour un même objet accentue alors son sentiment d’exil. Il ressent les mêmes sentiments face à sa terre natale qu’il a d’abord voulu quitter mais qu’en faite, il ne le peut pas. Son exil se traduit donc par une dualité culturelle qui est en lui tel qu’il le chante :

« Tel mon chant qui serait une œuvre folle et vaine si, né selon un rythme étranger et son nombre, il ne vivait du sang qui coule dans mes veines !

Filao, in Volumes

Cependant, ces refus, ne sont en faite que le reflet de ce que Rabearivelo vécut à l’époque de la composition de ces vers : il se débattait, depuis des années, au milieu d’insurmontables difficultés matérielles, et l’administration française, sollicitée, ne fit jamais rien pour lui venir en aide. Français par l’esprit, il voulait voir sa partie spirituelle mais l’administration française lui refusa par deux fois un refus méprisant. L’occident le rejette.

Nous avons vu qu’il se servait du français pour atteindre son but d’universalité, pour être lu et franchir les barrières linguistiques à Madagascar à son époque. Au fait, JJR rêve surtout d’interférence ente les deux langues, il voulait écrire malgache en français afin de promouvoir la langue et la culture malgaches.

Rabearivelo est bien conscient des risques, du péril qui l’attendent dans cette aventure si jamais il oublie ses origines. Effectivement, la nature des rapports à entretenir avec les modèles occidentaux, la question de l’originalité et

98 de « l’identité» à sauvegarder tout en s’enrichissant de ces nouveaux modes d’expression, tels étaient les préoccupations de Rabearivelo119. D’ailleurs, « JJR a été, et il demeure, l’un des seuls écrivains qui se soient installés au point de passage d’une langue a` l’autre. Il ne renie ni ses ancêtres, ni son héritage culturel, mais il veut passionnément utiliser toutes les possibilités offertes par le français120 ». Cela explique en grande partie la référence à des thèmes relevant de la culture malgache dans notre corpus. Prenons les exemples suivants :

« Salut terre royale où mes aieux reposent... Salut, village rouge aux tuiles primitives... Je vous salue aussi, montagnes éternelles » Iarive, Sylves

« Mon chant est imprégné de ta lumière vive et son âme a subi, dès longtemps, l'influence de la mobilité du son et des nuances de ton horizon bleu, vaste ciel d'Iarive !

Influences, Sylves

Ces passages illustrent comment le poète s’attache à faire connaître sa terre natale via la langue française. Il fait en quelque sorte le portrait d’Iarive, sa ville natale. Par l’utilisation du terme « âme », ajoutés au « son » et « nuances », JJR confirme l’influence et la présence du malgache via l’Iarive dans ses poèmes.

Rabearivelo ne s’en tient pas à cette introduction des thèmes culturels malgaches dans ses poèmes, d’autres éléments s’y ajoutent et démontrent par la même occasion combien il est attaché à son pays, à sa terre natale. Le rejet de l’occident est le premier aspect de l’attachement du poète à la terre natale. Effectivement, malgré le « rythme étranger » qui constitue sa langue d’adoption

119 RAMAROSOA Liliane: « Le critique » in Jean-Joseph RABEARIVELO, Œuvres complètes Tome II. CNRS Editions, Paris, 2012, page 1258 120 RICARD Alain , vue dans « Le passeur de langue », in JJR, œuvres complètes tome 2, p.1445

99 pour satisfaire volontairement sa quête, en dépit de sa passion et son amour pour l’autre, il en vient à le rejeter car son cœur est toujours attaché à la terre natale. Nous en parlerons en détails dans la partie ci-dessous.

II- L’ATTACHEMENT A LA TERRE NATALE

« Et puis, voiliers partant, au rythme de l'esprit, pour le pays de l'âme et par le cœur fleuri, j'ai peur d'abandonner une part de moi-même »

Livres, Volumes

« Demain, c'est au départ le douloureux poème que puisse dire une âme attachée à la terre »

Postlude, CPA

Malgré l’acharnement de Rabearivelo pour accéder à la gloire au moyen de cette langue qui le passionne, au fait il ne se résout pas à partir ni à faire le deuil de sa matrie. Son âme est encore attachée à son pays, à sa terre natale.

Cet attachement, cet amour pour la terre natale se manifeste d’abord par la glorification du passé et de la culture malgache, par l’exaltation de la douceur du pays natal et enfin par le retour aux sources accentué par l’enracinement.

A. LA GLORIFICATION DU PASSE ET DE LA CULTURE

1- L’idéalisation de l’ancienne monarchie

Pour le poète, l’époque idéale n’est pas le présent (la colonisation). Le sentiment de dégoût du présent121 qu’il éprouve porte à croire qu’il aurait préféré vivre à l’époque de la monarchie ou celle des ancêtres. Cela explique

121 Voire dans la seconde partie 100

toute la tristesse qu’il ressent et son regret du passé correspondant à l’époque royale, désormais abolie. Nous avons d’ailleurs déjà pu vérifier comme le thème du roi découronné est important122 dans le corpus essentiellement dans Sylves et Volumes.

Si le poète éprouve de la nostalgie par rapport à cette époque, c’est par amour pour ses ancêtres, il éprouve de l’attachement pour eux.

Si l’idée de partir l’angoissait par crainte de ce qui peut l’attendre sur l’autre terre, au fond, « la piété filiale et la terre natale lui interdisent tout départ serein »123, tout départ réel pour une autre terre. Le poète se retrouve alors exilé sur le sol natal même.

Cela explique en partie les sentiments de nostalgie, de mélancolie que le poète éprouve sur la terre d’exil. D’un autre côté, il redoute de laisser derrière lui les tombeaux des ancêtres et craint de mourir à l’étranger où il risque d’être privé de la sépulture traditionnelle. Mais au fond, on sait maintenant que son cœur est encore attaché à ses origines, à sa terre natale. Qui plus est, il accorde une importance particulière aux cultes des ancêtres.

2- Le culte des ancêtres

On peut effectivement constater dans le corpus une certaine obsession du poète pour les ancêtres (des fois symbolisés par les morts/aïeux) et les tombeaux. Les deux notions renvoient directement à la terre natale, là où reposent ses aïeux. Au faite, la terre natale est ici associée aux ancêtres, aux aïeux, aux tombeaux, et aussi à la notion de « race ».

Ces termes sont d’ailleurs très répétitifs dans les recueils.

La présence des termes renvoyant à la terre natale (tableau 15)

122 31 répétitions au total 123 Liliane Ramarosoa, in JJR Oeuvres Complètes tome 2 101 Recueil CPA Sylves Volumes Sous-

Termes Total Aïeux 4 6 6 16 Tombeau(x) 7 8 13 28 Race(s) 4 1 13 18 TOTAL 15 15 32 62

La forte présence de ces termes nous intéresse car elle évoque le pays natal. L’utilisation du vocable « aïeux » marque d’autant plus la profondeur de sa nature malgache car attribue une dimension sacrée aux ancêtres. Culturellement, les malgaches accordent effectivement un rang important aux ancêtres et leur vouent des cultes. Rabearivelo s’y met aussi dans ses poèmes.

a- Attachement aux rituels de la terre natale

Même si le poète semble hanté par les tombeaux, qui présentent la répétition la plus élevée (28 fois), il ne s’agit pas uniquement d’évoquer les morts qui y reposent, mais ceux qui sont devenus des ancêtres. Au faite, il consent surtout à leur demander aide et protection :

« Et j ai besoin, ce soir, mère, de votre front tranquille, de vos bras et de votre regard»

Gloses musicales, CPA

« O mes morts, me voici ! Daignez m’entretenir ! Que votre âme, un instant, revienne pour bénir mon grand départ ! »

Chants, CPA

102 «O morts, ...veillez sur votre enfant durant son aventure » Chants, CPA « Mère » dans le premier extrait renvoie au pays natal même car Rabearivelo considère ce dernier comme sa « matrie124 » tandis que l’Occident est revendiqué comme sa « patrie intellectuelle »

Rabearivelo demande de l’aide aux morts et souhaite avoir leur bénédiction comme il est de coutume aux Malgaches avant les événements125 importants de la vie. Cet acte symbolise ainsi la reconnaissance/attachement aux croyances et aux valeurs ancestrales.

b- Idée de purification sur le sol natal

L’attachement du poète à sa terre natale se traduit également par son désir de se purifier sur la terre natale. Effectivement, sur une terre autre que celle là, il se sent Sali. La terre natale représente pour lui la pureté.

En effet, JJR a l’ultime conviction que son départ pour l’Ailleurs n’est pas acceptable vis-à-vis de ses compatriotes, de sa race. Un sentiment de culpabilité l’envahit, c’est pourquoi il tient à se purifier pour retrouver sa force :

« Mais, si le sentiment, l’image et l’eurythmie t’en déçoivent, s’ils portent le signe d’avoir trahi de notre race éteinte le génie : de ta voix souterraine, ami, daigne émouvoir la promesse de chants dont vibre encor ma vie et ce qui peut rester de ferveur en mon cœur ! Qu’aux tombeaux des aïeux ma voix se purifie pour y puiser une autre et nouvelle vigueur !

Pour une ombre, Volumes

Ainsi, l’enfant du pays, tributaire des coutumes de sa race, ne saurait déroger au culte ancestral et à ses obligations sacrées.

124 Puisque, pour un Malgache, le pays ne saurait être qu'une terre-mère (firenena) 125 Famadihana ou retournement des morts, enterrement, circoncision... 103 « Fixe ton choix sur l'une ou l'autre de ces terres, bien que toutes, dis-tu, gardent tes origines ! O mon coeur amoureux, Volumes

Encore une fois rejaillit la fidélité aux origines et aux conceptions traditionnelles du poète.

Nous ne sommes pas en train de faire une liste des symboles de son attachement, nous donnes seulement des références, des éléments qui prouvent que le malgache en lui est toujours là, qu’il ne s’en cache pas et qu’il en est fier. Un dernier élément caractéristique de cette glorification de la culture malgache est l’honneur au « Lamba ».

3- Honneur au « Lamba »

Un autre symbole de la culture malgache s’introduit dans les vers de Rabearivelo : le « Lambe »

« Pour parvenir jusqu’aux amants qui s entretiennent sur un lambe étendu près de l’âtre où flambe un feu de sauges parfumant, — ces charmes frais de notre race que de ton art tu animas »

Les chants continuent, CPA

Ce tissu de forme rectangulaire que les amants utilisent dans ce passage est en faite un des éléments caractéristiques de la culture traditionnelle malgache. Il est indispensable au costume traditionnel malgache, entre étole (conférant un caractère presque sacré à celui qui le porte) et écharpe (variante élégante et profane).

104 Pour les malgaches, le « Lambe », de tissus divers, peut servir de vêtement pour les hommes autant que pour les femmes et peut être aussi comme une toge dans laquelle se draper. Ce terme finit par désigner toute pièce de tissu enveloppant. L’ancrage dans les traditions malgaches est d’ailleurs accentué par la référence du poète au linceul, dit alors lambamena (lamba rouge) comme Rabearivelo le souligne dans l’extrait suivant :

« Vous reverrai-je, revenu des vivants oublieux ? ET, dans mon lambe rouge, nu, m'habituerai-je, sans geste répulsif et sans crainte, peuple d'ombres, à votre ivre et silencieuse étreinte ? »

Finale, Sylves

« Lambe rouge » est ici le tissu dans lequel les malgaches enveloppent les morts avant de les déposer dans le tombeau familial.

Ainsi, la référence au lambe, qu’il s’agisse du vêtement ou du linceul confirme une fois de plus l’attachement de Rabearivelo aux coutumes de sa race et à son pays natal. Cela certifie par la même occasion son respect des valeurs ancestrales. En plus de cette fierté du pays, Rabearivelo nous confirme son attachement à la terre natale par la sensation de douceur qui se dégage de la description qu’il en fait.

B - L’EXALTATION DE LA DOUCEUR DU PAYS NATAL

« Ah ! nos désirs sont fous, vaines nos espérances d’amuser et charmer notre vie inégale en des pays lointains aux sombres attirances : rien ne vaut la douceur de la terre natale ! » Chants CPA

105 Le dernier vers de ce passage est sans équivoque, « rien » n’est plus important, plus valeureux aux yeux du poète que son pays natal et sa douceur. En effet, bien que JJR n’ait pas pu effectuer le fameux voyage, son imagination grâce à l’écriture des trois recueils a fait de lui un « exilé intérieur ». Inventée au XXème siècle, la notion d’« exil intérieur », signifie en outre que le déplacement physique de l’ « exilé » n’est pas une condition sine qua non de sa mort politique et sociale. Néanmoins, sa mise à distance de la culture malgache durant son exaltation pour l’Ailleurs lui a permis par la suite de retrouver ses racines. Il a fallu qu’il se déracine pour ressentir à nouveau la douceur de son pays natal. Cette douceur se manifeste par la référence à Virgile et au son du Valiha.

1- Douceur virgilienne « Ah ! pour mieux savourer la paix de cet asile et susciter en moi le grand cœur de Virgile, j’écouterai ce soir la voix de mes aïeux mêlée aux chants naïfs de quelques paysannes » Sonnets et poèmes d’Iarive, Sylves

La référence au poète Virgile126 connote déjà la notion de douceur du pays natal car cet écrivain est célèbre pour avoir traité du même thème dans son œuvre : « les Bucoliques et les Géorgiques ». En effet, il y célébra les douceurs et le charme de son pays natal en transportant dans ses tableaux le plus d'imitations qu'il y put faire entrer et ceci avec une « puissante douceur127». L’idée de douceur est d’ailleurs accentué par les mots « paix » et « chants » qui suggèrent le calme et la quiétude

Cela est confirmé dans la deuxième référence à cet auteur avec l’expression « grâces virgiliennes » qui réitère doublement la sensation de douceur du pays natal dans l’extrait suivant :

126 70 av. J.-C. –19 ap. J.-C. 127 Virgile-Les Bucoliques-Notice sur Virgile par Sainte-Beuve, vue sur le web

106 « Plus fortes que les lianes aux vieux tombeaux enlacées, les grâces virgiliennes de la terre de ma race, de la terre de mes morts »

Trois préludes, CPA

Ici, JJR attribue à son pays (terre de ma race, terre de mes morts) les qualités gracieuses de Virgile. Il lui vouait d’ailleurs une grande admiration128.

2- Retour à l’âme native par le Valiha

Nous avons déjà vu comme cet instrument musical symbolisait la nostalgie du poète ; Mais il est également symbole de douceur grâce essentiellement au son qu’il produit. JJR en vient à célébrer cette cithare sur tuyau malgache grâce à un poème portant son nom dans Sylves. Cet instrument de musique est comme le symbole même de l’âme merina et JJR l’évoque dès la reprise qu’il fait de poèmes traditionnels dans «Vieilles chansons d’Emyrne129 » I, II et III, qui étaient accompagnés à la valiha justement. De plus, la valiha, sous sa forme aboutie d’instrument de musique garde intact le souvenir de son lieu d’origine 130». L’attachement du poète se traduit donc ici par un retour à son âme native, restée « au fond des sylves » de la tradition.

« Voici, des portes de l’aurore natale, notre âme première : inondons-nous de sa lumière où notre entité s’élabore. »

128 JJR témoigne à plusieurs reprises dans les CB du plaisir de relire Virgile à travers les « transcriptions de Magallon et Fagus ». Il en parle d’ailleurs énormément dans le recueil « Traduit de la nuit » 129 18 Latitude Sud,2e série, Cahier V, Tananarive, 1927 130 Liliane Ramarosoa, in « L’expérience originale de l’interférence des langues et des cultures de Rabearivelo », in Christian Lagarde, Ecrire en situation bilingue, p.3, Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, 2004 107 Vers le bonheur, Volumes

Non seulement Rabearivelo tient à ses origines, mais il aspire à revenir sur ses pas, au point de départ et donc de revenir aux sources. Il se révèle même enraciné dans le sol natal.

C- LE RETOUR AUX SOURCES ET L’ENRACINEMENT

« La sagesse des morts, l'esprit imérinien, source fraîche où mon coeur vient se désaltérer » Au soleil estival, Volumes

Suite à l’exil de Rabearivelo dans cette langue et culture occidentales, comment peut-on parler de retour aux sources chez lui à travers CPA, Sylves et Volumes alors que ces recueils sont écrits en français ? Ce n’est effectivement pas évident. Mais des études un peu plus approfondis nous ont permis de vérifier le fondement de cette hypothèse. Non seulement JJR souhaite un rapatriement aux sources mais il se révèle bien enraciné au sol malgache.

Notons que ce retour aux sources, plus connu par les malgaches par l’expression « Mitady ny very »131 est un mouvement littéraire dont Rabearivelo était un des fondateurs. L’objectif était alors de retrouver l’âme malgache ainsi que les valeurs perdues, ce qui n’inclut pas forcément l’obligation de s’exprimer uniquement en malgache comme faisait les autres écrivains de l’époque (Dox). Plus clairement, ce mouvement entend préserver le patrimoine culturel national (« vakodrazana malagasy »), tout en l’enrichissant des expériences étrangères132. Sa

131 Cf première partie du mémoire 132 RIFFARD Claire : Le mouvement littéraire « MItady ny very » à la recherche des perdus) : une ressource fondamentale pour la poésie malgache contemporaine. Claire RIFFARD CENEL, Université PARIS 13 108 conception va ainsi privilégier - entre autres - la reprise du substrat traditionnel de la poésie et l’ouverture aux apports étrangers133.

Au delà de cette langue étrangère que Rabearivelo a utilisée pour s’exprimer, on peut constater un réel désir de retourner aux sources. Cela se manifeste essentiellement par le choix des toponymes utilisés dans les recueils et par le fait qu’il soit enraciné au sol natal.

1- Retour au natal par les toponymes

Les toponymes constituent en quelque sorte un mode d’insertion du malgache dans les recueils. Cette introduction signale son désir de retourner au point de départ puisque malgré l’usage de la langue française, on trouve dans le fond des toponymes délimitant un espace antithétique malgache, quoique limité à la région des hauts-plateaux.

a- Retour à l’Imerina

L’Imerina est incontestablement le centre de gravité de la géographie Rabearivelienne134. Nous constatons en effet chez Rabearivelo cet ethnocentrisme qui tend à limiter la nation, le monde, au strict territoire imernien.

Nous avons effectivement deux types d’appellation de l’Imerina:

 L’Imerina d’antan : 135 « Imanga » qui est le diminutif d’Analamanga, ancien nom d’Antananarivo du temps des rois Vazimba 136 « Six Imernes » : dénomination de l’Imerina sous le règne d’, qui effectivement avait agrandi jusqu’aux six régions le royaume d’Imerina, limité à quatre du temps de son prédécesseur.

133 Op cit 97 134 L’océan indien dans les littératures francophones : pays réels, pays rêvés... (http://books.google.mg) 135 Au soleil estival 3, in Volumes 136 JJR : Cœur et Ciel d’Iarive , in Volumes

109  L’Imerina d’aujourd’hui : « Iarivo137 », « Iarive » : diminutif d’Antananarivo, forgé et

mis à l’honneur vers les années 1920 par les poètes et compositeurs malgaches. « Emyrne138 » : nom francisé de l’Imerina, qui avait cours à

l’époque dans le milieu colonial.

Notre hypothèse est que ces noms aient été introduits dans les vers pour des raisons d’attachement au pays natal.

26 poèmes regroupés en deux sections dans les recueils évoquent d’ailleurs explicitement le pays natal par « Iarive », ce sont:

- « Cœur et ciel d’Iarive » contenant 9 poèmes dans Volumes - « Sonnets et poèmes d’Iarive » contenant 17 poèmes dans Sylves

Cela appuie l’idée de retour aux sources dans ces recueils et confirme son réel attachement.

b- Retour parmi les douze collines

A part ces toponymes, nous avons également quelques expressions intéressantes comme l'évocation des « douze collines139 » royales et sacrées de l'Imerina, nous renvoyant aux célèbres sept collines : « En vain, parmi le jour qui nait sur la terrasse couronnée autrefois de gerbes corallines, je te cherche au milieu de nos douze collines ; en vain, et dans l’espoir de retrouver en elles les meilleures de tes grâces simples et belles » Iarive, Volumes

De la sorte, Rabearivelo se fait le Du Bellay des hauts-plateaux malgaches.

137 Revient neuf fois dans Volumes 138 Revient six fois dans Volumes 139 larive, in Volumes 110 Mais le retour aux sources ne se limite pas à ces toponymes, les souvenirs/attachement du poète le pousse à introduire d’autres éléments originaux et à décrire un paysage typiquement malgache, plus précisément imerinien.

2- Enracinement à l’image de l’arbre

Nous avons déjà vu dans la troisième partie de ce mémoire, comme Rabearivelo pouvait éprouver un sentiment de déracinement suite aux conditions de son exil. Ce sentiment soulève en faite une problématique qui est la recherche d’identité à la fois ethnique, culturelle et linguistique. Et cela se déploie essentiellement à travers la métaphore du déracinement/enracinement. C’est d’ailleurs ce dilemme dû à l’exil qui le déchirera intérieurement car toute sa souffrance est en faite due au refus d’abandonner la terre natale.

a- Arbres enracinés

Cette métaphore du déracinement/enracinement est surtout développée à travers l’image de l’arbre dans le recueil Volumes. Cette section célèbre les arbres, soit pour rappeler leur statut d’exilé, soit pour souligner leur enracinement dans la terre des morts. C’est cette deuxième facette qui nous intéresse particulièrement dans ce chapitre. Nous avons par exemple cet extrait de l’ « Aviavy » : « Arbre qui prends racine aux pierres des tombeaux et dont la sève vive est peut-être le sang de ceux qui furent les flambeaux de mon Emyrne et de son esprit finissant » Aviavy, Volumes

« L’arbre, en effet, touche aux tombeaux des aïeux par ses racines, mais c’est pour croître et s’en fortifier, et renouveler les rites de la race, et non pour

111 une lamentation funèbre140 ». Le premier est explicite avec l’image de l’arbre dont les racines souterraines s’allongent jusqu’aux tombeaux. La vision est un peu macabre car s’enracinant dans les pierres des tombeaux, les arbres boivent le sang des morts et en nourrissent leur sève : de la même façon, le poète nourrit sa voix de la parole des ancêtres. « J’écouterai ce soir la voix de mes aïeux »141dira-t-il.

Outre cet enracinement, on peut aussi remarquer dans les recueils une certaine jalousie du poète concernant l’identité culturelle malgache. L’« Aviavy » et le « Bougainvilléa » illustrent et confirment cela en se révélant être de fervents défenseurs de cette identité culturelle : « Et tu nous dis, bel arbre isolé, de rester nous-mêmes et d'avoir la suprême fierté d'épouser nos seuls paysages » Aviavy, Volumes L’arbre ici nous invite à rester fidèles, bien ancrés dans nos origines. L’expression « nos seuls paysages » symbolise le pays dont il faut être fier. Quand on aime notre pays, il est essentiel d’avoir l’orgueil de ne jamais la quitter pour d’autres paysages. L’enracinement serait-il alors le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine142 ? Au fait, bien que les poèmes soient écrits tous en français dans ces trois recueils, les thèmes et les idées sont empreints de la culture malgache. Certains éléments de la nature introduits dans les trois recueils témoignent du désir de retour du poète à sa terre natale. En effet, à côté du beau tableau exotique d’un paysage vaste et parfumé de l’Ailleurs survit un paysage bien différent. Malgré la beauté de l’autre terre, Rabearivelo aspire intimement à un retour dans son pays natal, rien n’apaise ses souvenirs aux côtés des siens. Ses souvenirs sont liés à la jeunesse mais aussi à la description du paysage. Un des premiers éléments caractéristiques de ce paysage est l’arbre.

140 « L’arbre au cœur de la nuit », in Le Journal des poètes, n°2, Bruxelles 1982 141 JJR : Influences in Sylves 142 Simone WEIL : « L’enracinement » 112 b- Arbres Imeriniens

Ce qui nous intéresse ici, n’est pas l’image de l’arbre exilé mais celui qui symbolise le paysage imerinien et il coïncide avec les arbres aborigènes. Ce sont : le Manguier, l’Aviavy, l’Amontana et le Bougainvilléa. La présence/célébration de ces arbres justifie le regret du poète d’avoir quitté son pays natal. Le poète leur consacre d’ailleurs tout un poème à chacun de ces arbres dans le recueil Volumes.

 L’aviavy L’aviavy est le premier arbre qui symbolise et représente la terre natale dans notre corpus. Du nom scientifique Ficus trichopoda, il est décrit comme un arbre des tombeaux et symbolise l’attachement du poète exilé à ses origines, et donc le retour au pays. Notons qu’il s’agit ici d’un arbre qui pousse particulièrement autour des lieux sacrés de l’Imerina selon P. Valette143.

« Arbre qui prends racine aux pierres des tombeaux et dont la sève vive est peut-être le sang de ceux qui furent les flambeaux de mon Emyrne et de son esprit finissant, tu dresses dans l'azur ton palais ténébreux qui ne fait retentir dans le front du matin que les appels silencieux de nos morts contre les astuces du Destin ! Et tu nous dis, bel arbre isolé, de rester nous-mêmes et d'avoir la suprême fierté d'épouser nos seuls paysages. Ah ! qu'à te voir, ficus aux feuillages légers bien que naissant parmi des rythmes étrangers,

143 VALETTE : JJRabearivelo, Textes commentés, Nathan, Paris, 1967

113 mon chant s'inspire de nos sages ! » Aviavy, Volumes

A travers cet arbre, JJR défend son amour pour sa patrie et sa culture. Il ne faut pas avoir honte de nos origines, le poète invite ainsi à « Rester nous même », d’« épouser nos seuls paysages » et cela avec fierté.

 L’ Amontana

Le second arbre que le poète introduit dans ses poèmes est l’Amontana ou Ficus lutea. Ce grand arbre fait partie de l’histoire de Madagascar depuis très longtemps. Les anciens et les enfants de la vieille école se rappellent d’ailleurs de cette vieille récitation malgache pour apprendre à compter :

« Isa ny amontana, Roa ny aviavy, Telo fangady Efa-drofia Dimy emboka Eni-mangamanga Fito paraky Valo tantananana Sivy paraky

Folo fanolehana.»

On peut dire l’Amontana et l’Aviavy font partie intégrale de l’histoire et de la culture des malgaches et symbolisent ainsi le pays natal. D’ailleurs, ils sont

114 communément appelés figuiers, et appartenant au genre Ficus de la famille Moracea, sont parmi les premières plantes citées dans l’histoire de l’humanité144.

Et dans la royauté merina, le figuier a été toujours associé à la noblesse. Au palais d’Ambohimanga où Amontana et aviavy sont présents, le roi Andrianampoinimerina appréciait particulièrement les fruits de cette dernière au goût sauvage et doux-amer qui symbolise sa royauté et la vie en générale.

 Le Bougainvilléa

Il y a aussi le Bougainvilléa, qui fait aussi partie de ces arbres indigènes selon Rabearivelo. Dans Volumes, il le décrit comme un arbre tenace et invincible :

« Je te vois au tourment de l'azur bleu livrée, liane arborescente, ardente Bougainvilléa ... Tu résistes au temps : l'ardeur de la froidure ni celle des soleils ne tarit ton essence, et les ans successifs rencontrent ta puissance où la sève perdure. » Volumes

Le poète fait des éloges aux arbres qui résistent au temps et donc à la tentation.

 Le manguier

Enfin, il y a le manguier, cet arbre qui pousse un peu partout dans l’île avec différents types de mangues. Le manguier est alors un arbre dont presque tous les malgaches connaissent au moins le fruit, surtout les enfants de la campagne. Il est désigné par le poète d’ « arbre ancestral » tel dans l’extrait suivant :

144 C’était avec une feuille de figuier qu’Adam et Eve cachèrent leur nudité. Rappelons en passant aussi que dans la tradition juive, le fruit défendu est représenté par une figue tandis que le coran désigne le figuier et l’olivier comme utiles à l’homme. En Inde, il symbolise l'éternité: Bouddha a trouvé un abri sous ses branches où il a passé de longues années, en profonde méditation 115 « ô gardien du village ancestral, dis, oh ! dis, beau manguier, qu'en tes rameaux puissants, il est d'autres attraits que tes fruits mûrissants ou que l'ombre où vibre la lumière ! Entr'ouvre-les parmi les pâleurs de l'azur et que se montre aux yeux le mausolée obscur sous lequel dort la race première ! Manguier, Volumes Ainsi l’arbre aborigène symbolise le désir de retour du poète à ses origines, à la terre natale par ses conditions d’existence et par les significations liées aux différents noms d’arbres cités dans les recueils. Un autre symbole s’ajoute à cette image de l’arbre, celui d’un arbre riche en significations et faisant partie du paysage malgache : le flamboyant.

3- Symbole du flamboyant

« Leur cœur bleu fait jaillir un bassin d'eau lustrale où vient mourir le bruit de la Ville royale

parmi les flamboyants et leurs vivantes flammes » Influences, Sylves

La présence du flamboyant peut être considérée comme signe à part entière de l’attachement de Rabearivelo au pays natal. En effet, il est aussi symbolique que le Ravinala et le baobab l’est pour notre pays car il s’agit d’une espèce d’arbre rare et endémique à Madagascar. Cet arbre à grandes fleurs écarlates rouges ou jaunes, appelé « alamboronala 145» en malgache et plus connu sous le nom de « flamboyant royal » est un arbre ornemental originaire de Madagascar justement, de la famille des Delonix regia, découvert au XIXème siècle146.

145 Dictionnaire encylopédie malgache vue sur le web : www.mondemalgache.org 146 Source : www.merveilleusechiang-mai.com 116 Les habitants de la capitale ont surement déjà remarqué cet arbre parmi le paysage par leurs magnifiques fleurs écloses au mois d’août. Mais un petit paradoxe en passant, cette espèce est en train de proliférer dans le monde entier tandis qu’elle est entrain de s’éteindre dans les forêts malgaches où elle est née. Encore une fois, nous ne sommes pas en train de faire une liste exhaustive des symboles de son retour, nous donnons seulement des références à des éléments qui marquent la présence/retour du malgache.

Bref, il est indéniable que Rabearivelo éprouve de la passion pour la langue et la culture française ; cela se reflète par la structure de ses poèmes et également dans le contenu. Mais nous avons également pu remarquer que Rabearivelo entretient une relation ambivalente avec l’Occident. Sa passion pour cette langue étrangère n’est pas son unique motivation, car au fond, JJR cherche à s’épanouir à travers cette langue qui lui procure liberté, satisfaction et peut être le succès ? Contrairement à la langue malgache, qui en cette période coloniale, était soumis à plusieurs contraintes. En dépit de tout l’amour qu’il éprouve pour la littérature française, on a pu constater qu’il reste et se veut malgache dans ses thèmes en développant des arbres symboliques de Madagascar comme le Flamboyant, l’Aviavy et l’Amontana. Il n’a pas omis d’insérer dans ses vers des éléments appartenant à la tradition malgache comme le « lamba » ainsi que certains cultes comme celui des tombeaux et du rite de demande de bénédiction aux ancêtres. La culture malgache reste ancrée en Rabearivelo, il y est attaché. Son attachement au natal est alors mis en évidence principalement par l’idéalisation de l’ancienne monarchie qui est celui des ancêtres, le culte des ancêtres et passe surtout par l’exaltation de la douceur natale. Nous avons vu comme le sol natal lui paraissait d’abord ennuyeux, mais après un détour nécessaire, JJR a fini par voir les choses d’un autre angle, « rien ne vaut la douceur du pays natal » confirme –t-il clairement. Ses souvenirs de la terre natale, qu’il veut désormais retrouver sont alors imprimés de douceur notamment à l’image de Virgile et du son de la Valiha. Cet attachement le pousse ainsi à retourner là d’où il vient et donc de revenir aux sources. Des images d’enracinement symbolisé par les arbres puisant dans la terre et reliés aux ancêtres ainsi qu’aux défunts rois illustrent alors son

117 ancrage au sol natal. Il retrouve par la même occasion les valeurs de la terre ancestrale en faisant honneur à sa culture, et en se référant à des arbres symboliques de Madagascar tel que le flamboyant.

118 CONCLUSION

« La poésie sert de miroir pour voir ce que contient le cœur et ce que cache l’âme. » disait Rabearivelo. L’analyse sémantico-lexical de Chants pour Abéone, Sylves et Volumes, nous a assurément permis de vérifier la forte présence de l’exil, les sentiments désastreux qu’il suscite ainsi que le sens profond de cet exil dans l’esprit et l’âme du poète.

Le thème de l’exil est ainsi fortement présent dans le corpus, déjà dans les titres mêmes des recueils ainsi qu’avec les expressions usités mais aussi grâce essentiellement aux thèmes de l’arbre, des rois déchus et du voyage.

Que ce soit dans le choix des mots, dans les thèmes ou dans les diverses références, Rabearivelo jumelle entre deux cultures : Malgache et française. Cela favorise son exil culturel tandis que son exil géographique est accentué par les toponymes antinomiques évoquant l’existence de deux espaces totalement différentes et le thème du voyage. Le plus prégnant reste cependant son exil intérieur favorisé par les sentiments contradictoires qui animent le poète : l’attrait de l’Occident et l’attachement à la terre natale. Le sentiment d’exil intérieur qui en découle se trouve accentué, jusqu’au malaise parfois, en raison du moule formel et métaphorique dans lequel ils se trouvent enfermés. Principalement par l’utilisation à profusion du sonnet et de l’alexandrin comme on a pu vérifier dans la dernière partie. Par ailleurs, l’insistance placée sur quelques arbres en exil, comme le lilas, le grenadier, le laurier et même le filao, ou sur des arbres qui dégénèrent, comme le Zahana, donne aussi l’impression d’une poésie également en exil, qui, elle aussi, cherche parfois désespérément son terreau. L’endroit qui fait notre bonheur, là où on est heureux, c’est notre « chez soi ». Rabearivelo par contre n’était heureux ni sur sa terre natale car il s’y ennuie, se sent emprisonné et rejeté ni Ailleurs car il s’y sent abandonné, seul, angoissé, déraciné et nostalgique. Il ne peut donc être qu’un exilé, errant, partagé entre deux appartenances et divisé par un double amour. Dans les trois recueils, JJR a

119 voulu évoquer le pays natal et les ancêtres en satisfaisant à une poétique étrangère. Nous avons alors constaté que les deux terres suscitaient chez le poète des sentiments contradictoires. Tantôt animé par un sentiment d’attraction et tantôt par un sentiment de répulsion face à l’attirance de l’inconnu, son exil est accentué par un choix inconfortable, une double attirance, un double amour. Le choix délibéré de la langue française se paie alors de la désillusion de chant « d’un accent emprunté»( A Pierre Camo, in Volumes), additionné à la mélancolie, à la déception et au regret, tout contribue pour faire du poète un exilé, un errant.

Chants pour Abéone, Sylves et Volumes constituent ainsi un ensemble articulé sur le thème de l’exil intérieur. Rabearivelo se sent ainsi exilé dans la mesure où il veut maintenir tout ce qui est malgache, or il est influencé par la vie/culture/langue occidentales.

Malgré l’acharnement de Rabearivelo pour accéder à la gloire au moyen de cette langue qui le passionne, il ne se résout pas à partir. Nous avons vu comme l’idée de partir l’angoissait par crainte de ce qui peut l’attendre sur l’autre terre. Mais, la piété filiale et la terre natale lui interdisent en fait tout départ serein, tout départ réel pour une autre terre. En d’autres termes, il est toujours attaché à la terre natale et souhaite revenir sur ses pas. Le poète se retrouve alors exilé sur le sol natal même.

Si on tient compte des sentiments éprouvés par le JJR, de son déchirement, de ses angoisses, de ses aspirations, on peut ainsi dire, pour répondre à notre problématique, que l’exil est le sentiment le plus redoutable et le plus profond que Rabearivelo ait vécu. Il a senti l’exil comme un châtiment cruel qu’il ne méritait pas, additionné à tous les soucis qu’il avait à l’époque, la mort lui paraissait plus douce.

120 LISTE DES TABLEAUX

TABLEAU TITRE DU TABLEAU 1 La fréquence des poèmes contenant les mots « exil » et « exilé(s) » 2 Tableau de fréquences des termes connotant l’exil 3 Tableau de fréquence des mots connotant l’exil par le voyage 4 Tableau de fréquence des sujets en rapport avec le thème d’exil 5 Tableau des fréquences du terme « arbre » 6 Tableau des fréquences des noms d’arbre 7 Tableau des fréquences des termes « rois » et « reines » 8 Tableau de fréquences des verbes renvoyant au voyage 9 Tableau de fréquence du terme « jeunesse » 10 Tableau de fréquence des mots appartenant au champ lexical de la solitude 11 Tableau de fréquence des fleurs 12 Tableau de la double facette de l’Ailleurs 13 Tableau de fréquence du terme « vain » 14 Tableau de fréquence des termes explicites renvoyant à la mort 15 Tableau de présence des termes renvoyant à la terre natale

121 BIBLIOGRAPHIE

CORPUS :  Chants pour Abéone. Tananarive: Éditions Henri Vidalie, 1936.  Sylves. Tananarive: Imprimerie de l'Imerina, 1927.  Volumes. Tananarive: Imprimerie de l'Imerina, 1928.

ŒUVRES CHOISIES DE RABEARIVELO :

 La Coupe de cendres. Tananarive: G. Pitot de la Beaujardière, 1924.  Traduit de la nuit. Tunis: Éditions de Mirage, 1935; Paris: Éditions Orphée La Différence, 1991; Paris: Éditions Sépia / Tananarive: Tsipika, 2007.  Poèmes (Presque-songes, Traduit de la nuit). Tananarive: Imprimerie officielle, 1960. Vieilles chansons des pays d'Imerina. Tananarive: Éditions Madprint, 1967.  L'Interférence, suivi de Un conte de la nuit. Paris: Hatier, 1988.

DICTIONNAIRES SPECIFIQUES

 AZIZA Claude, OLIVIERI Cl aude, STRICK Robert : Dictionnaire des symboles et des thèmes littéraires, Nathan, 1978  CHAVALIER (J) et alii : Dictionnaire des symboles. Paris 1996  COUTY et BEAUMARCHAIS, Dictionnaire des Œuvres des littératures de langue française), Paris, Bordas, 1994  LORENZI : Dictionnaire des synonymes, Hachette, Baratin, , 1996  ROBERT Paul : Le petit Robert, Dictionnaire de la langue française, Paris 2000

CRITIQUES : OUVRAGES, ARTICLES ET MAGAZINES SPECIFIQUES :

 BENAC Henri : Guide de la recherche des idées dans les dissertations et les études littéraires. Librairie Hachette, 1961  COLLECTIF, Jean-Joseph Rabearivelo, cet inconnu ? Actes du colloque international de l’université de Madagascar, Marseille : Editions Sud, 1989.

122  MARQUER Bertrand: « J.J Rabearivelo, un poète malgache en exil sur le sol natal », in Mythe et mondialisation. L’exil dans les littératures francophones, Editura Universitatii Suceava, 2006, p. 237-248.  MEITINGER Serge, RAMAROSOA Liliane, INK Laurence et RIFFARD Claire: Jean-Joseph RABEARIVELO, Œuvres complètes Tome II. Le poète-Le narrateur-Le dramaturge-Le critique-Le passeur de langues-L’historien. CNRS Editions, Paris, 2012  MEITINGER Serge : « Deux poètes du retour au natal et du décentrement : Jean- Joseph Rabearivelo et Boris Gamaleya”, Sur la route des Indes Orientales, Aspects de la francophonie dans l’Océan Indien, tome II, XXe siècle, sous la direction de Paolo Carile, Université de Ferrare, p. 219-231, 2002.)  MEITINGER Serge : « Métissage ou interférence ? Le cas de J.-J. Rabearivelo », Actes du colloque « Métissages »,avril 1990, université de La Réunion, Paris : L’Harmattan, 1991, p. 293-302  RAJEMISA RAOELISON : Les poètes malgaches d’expression française. Imprimerie Catholique d’Antananarivo, 1983  RIFFARD Claire : « Ecrire en deux langues : Le cas de Rabearivelo », in Etudes Littéraires Africaines n°23, 2007  RIFFARD Claire : « Rabearivelo et Rabemananjara, le choix des langues », in Interculturel Francophonies n°11, Alliance Française de Lecce, juin-juillet 2007, pp153- 177.  RIFFARD Claire : « Le mouvement littéraire Mitady ny very : une ressource fondamentale pour la poésie malgache contemporaine», in L’ici et l’ailleurs, Postcolonial Literatures of the Francophone Indian Ocean. CENEL, Université PARIS 13  SENGHOR Léopold Sédar, Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, Paris : PUF, 1948 (pages179 à 190)  VALETTE : J J Rabearivelo, Textes commentés, Nathan, Paris, 1967

123 OUVRAGES GENERIQUES

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 RAMAROSOA Liliane, Anthologie de la littérature malgache d’expression française des années 80, préface de J. Rabemanajara, Paris : L’Harmattan, 1994.  RICARD Alain, Littératures d’Afrique Noire, Paris : CNRS – Karthala, 1995.  NIRINA, Esther, Mivolana an-tsoratra/ Le dire par écrit/ Dire par écrit, Saint-Denis de La Réunion : Grand Océan, 2004.

MEMOIRES ET THESES

 DJAOMANORO David : Le thème de l’arbre dans l’œuvre de JJR mémoire de CAPEN ENS 1988  RAHARINIRINA Sahondra : L’écriture Rabearivelienne de la mort à travers Sylves, Volumes et Chants pour Abéone. , Mémoire de CAPEN ENS 2002  RAHOLISON Soloandrianina : JJR et le voyage, étude thématique de Chants pour Abéone, et Volumes. Mémoire de CAPEN ENS 1989  RAKOTONDRADANY Josette, L’Univers de Jean-Joseph Rabearivelo, mémoire de CAPEN ENS 1987.  RANDRIAMIHARISOA J. Emile : JJR sy ny nofinofiny manokana, Mémoire de CAPEN ENS, 1987  RAZAFINDRAMBOA Andrianantenaina : La terre dans trois recueils de JJR, Mémoire de CAPEN ENS 1990  RIFFARD Claire : « Mouvements d’une écriture : la poésie « bilangue » de Presque- Songes et Traduit de la nuit de Jean-Joseph Rabearivelo, thèse de doctorat, université Paris-XIII, 2006.

124 WEBOGRAPHIE :  Elèves du Lycée St Exupéry à Marseille dans le cadre du cycle de réflexions : « Figures de l’exil » => « L’homme en son exi l » ; le 30 Avril 2013 URL : http://Pjdesser.free.fr/humain/exil.html  JOUBERT Jean Louis : « Poésie et traduction à Madagascar » in Ethiopiques n°34 et 35 http://ethiopiques.refer.sn  MACE Marielle, « Représentations de l’exil », http://www.fabula.org/actualites/representations-de-l-exil_31443.php  MEITINGER Serge : « Jean-Joseph Rabearivelo : L’adolescent fluet » in La Revue n°5, 2010-2011 Supplément Océan Indien URL : www.lrdb.fr  OMAR Eduardo « la nostalgie : une maladie de l’exil » URL : Voixdexils.ch/2014/07/14la-nostalgie-une-maladie-de-lexil  RIFFARD Claire, « Les débuts de la poésie écrite en langue malgache », Etudes océan indien (en ligne) , 40-41/ 2008, mis en ligne le 19 mars 2013, consulté le 03 novembre 2015  URL : http://oceanindien.revues.org/1391

DICTIONNAIRES :  http://definition.ptidico.com  http://www.dicoplus.org  http://www.linternaute.com/dictionnaire  http://littre.reverso.net/dictionnaire-francais  http://www.mediadico.com/dictionnaire  http://synonymo.fr  http://synonymes.net

125126

Nom : RENIMAMPIAINA

Prénoms : Mbolatiana Coroni

Titre : L’EXIL à travers Chants pour Abéone, Sylves et Volumes de Jean-Joseph RABEARIVELO

Pagination : 125 pages

Tableaux : 15 tableaux

Résumé :

La présente recherche se propose comme objectif d’aboutir à une meilleure compréhension de l’exil, un thème omniprésent dans les recueils de poèmes : Chants pour Abéone, Sylves et Volumes de Jean-Joseph Rabearivelo.

Une analyse lexico-sémantique du corpus nous a ainsi permis de vérifier la forte présence de l’exil surtout dans les titres, dans les expressions et les thèmes traités. Le thème de l’arbre exilé est prégnant autant que celui du roi découronné qui se trouve exilé. Des sentiments ambivalents se font alors sentir à travers la lecture de ses vers, tantôt Rabearivelo est attiré par l’Occident, tantôt il en éprouve du dégoût. La piété filiale et la terre natale lui interdisent tout départ serein. Le poète se retrouve alors exilé sur le sol natal. L’exil devient ainsi le sentiment le plus redoutable et le plus profond que Rabearivelo ait vécu. Il a senti cet exil comme un châtiment cruel qu’il ne méritait pas.

Mots clés : exil, déracinement, pays natal, arbre exilé, ailleurs, retour aux sources.

Directeur de mémoire : Mme RANAIVOZANANY Sahondra, maître de conférences