Études océan Indien

40-41 | 2008 De l’éclosion à l’épanouissement de la littérature malgache Variations littéraires

Solotiana Nirhy-Lanto Ramamonjisoa (dir.)

Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/oceanindien/62 DOI : 10.4000/oceanindien.62 ISSN : 2260-7730

Éditeur INALCO

Édition imprimée Date de publication : 1 janvier 2008 ISBN : 978-2-85831-167-5 ISSN : 0246-0092

Référence électronique Solotiana Nirhy-Lanto Ramamonjisoa (dir.), Études océan Indien, 40-41 | 2008, « De l’éclosion à l’épanouissement de la littérature malgache » [En ligne], mis en ligne le 29 septembre 2011, consulté le 30 juin 2021. URL : https://journals.openedition.org/oceanindien/62 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ oceanindien.62

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Études océan Indien est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International. 1

Maroa fara, maroa dimby, « ayez une nombreuse descendance, de nombreux successeurs », tel est le souhait adressé aux nouveaux mariés à , plus précisément en Imerina. Se rassurer de la pérennité de la lignée se trouve au centre de ces vœux. Il y a un peu plus de 150 ans, la bénédiction a porté ses fruits au couple Littérature-Écriture. Depuis leur union au XIXe siècle, les premiers-nés sont venus au monde sous le règne de Ranavalona Ire (1828-1861) avec la composition des cantiques et la traduction de la Bible en malgache. Néanmoins, la réaction de la reine face à l’introduction des civilisations étrangères, en l’occurrence la religion chrétienne, n’a pas rendu facile l’accouchement. Le présent numéro regroupe une bonne partie des communications présentées lors de la journée d’études du Ceroi sur les 150 ans de la littérature malgache, qui s’est tenue le 14 mai 2004 à l’Inalco, ainsi que des résultats de recherches littéraires entreprises par des étudiants en master et en doctorat.

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SOMMAIRE

Éditorial

Éditorial Solotiana Nirhy-Lanto Ramamonjisoa

Dossier

Remarques sur le mécanisme des traditions historiques malgaches Malanjaona Rakotomalala

Handicapped heroes, Sambilo the bull, and the treacherous terrain of polygynous relations in southern Madagascar Sarah Fee

Vako-drazana, revue littéraire betsileo Clarisse Rasoamampionona

Les débuts de la poésie écrite en langue malgache Claire Riffard

Les fleurs de Tselatra Symbolique des fleurs et condition humaine chez un poète malgache du début du XXe siècle Gabriel Lefèvre, Marie-Laurent Randrihasipara et Velonandro

Gabriel Rajonah (1895-1972), homme de lettres, essayiste à la croisée de plusieurs cultures Marguerite Razarihelisoa

De l’exil à la nostalgie au travers de la littérature malgache François-Xavier Razafimahatratra

Dox, poète et traducteur ? Le Cid, tragi-comédie de Corneille Nirina Razaimiandrisoa

Un écrivain francophone méconnu : Ramambason Solotiana Nirhy-Lanto Ramamonjisoa

Charles Renel : une vie, une époque, une œuvre Éléments de biographie Jackie Roubeau-Raharisoa

Représentations et fonctions de la bande dessinée à Madagascar Nathalie Ravelontsalama

Notes

Quelques écrivains betsileo méconnus Adolphe Rahamefy

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Comptes rendus

FUMA Sudel & MANJAKAHERY Barthélémy (dir.), Pharmacopée traditionnelle dans les îles du Sud-Ouest de l’océan Indien Gabriel Lefèvre

ROBIVELO Adrienne Rodolphe, Le christianisme et l’usage des plantes médicinales à Madagascar : relecture, réconciliation, réhabilitation Gabriel Lefèvre

ATHENOR Christine & TRANNOY Marion, « Ody, talismans malgaches, liens de mémoire », Cahiers Scientifiques Gabriel Lefèvre

RAHAMEFY Adolphe, Sectes et crises religieuses à Madagascar Lanto Andrianjafitrimo

DUPOIZAT Marie- & HARKANTININGSIH Naniek, Catalogue of the Chinese Style Ceramics of Majapahit. Tentative Inventory Claude Allibert

LEFÈVRE Gabriel, Médecines hybrides dans le sud et le sud-ouest de Madagascar. Les mots-plantes à Toliara Gabriel Lefèvre

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Éditorial

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Éditorial

Solotiana Nirhy-Lanto Ramamonjisoa

1 Maroa fara, maroa dimby, « ayez une nombreuse descendance, de nombreux successeurs », tel est le souhait adressé aux nouveaux mariés à Madagascar, plus précisément en Imerina. Se rassurer de la pérennité de la lignée se trouve au centre de ces vœux. Il y a un peu plus de 150 ans, la bénédiction a porté ses fruits au couple Littérature-Écriture. Depuis leur union au XIXe siècle, les premiers-nés sont venus au monde sous le règne de Ranavalona Ire (1828-1861) avec la composition des cantiques et la traduction de la Bible en malgache. Néanmoins, la réaction de la reine face à l’introduction des civilisations étrangères, en l’occurrence la religion chrétienne, n’a pas rendu facile l’accouchement.

2 Il est vrai que les Malgaches avaient connu l’écriture depuis longtemps déjà sous la forme des sorabe, manuscrits malgaches écrits en caractères arabes destinés à conserver des généalogies, des textes magico-religieux. Parfois, des ohabolana (proverbes) ou des angano (contes) s’y glissaient, mais les véritables tentatives littéraires écrites en langue malgache ne pouvaient être séparées de l’époque de christianisation de l’île.

3 Avant la colonisation (1896), une presse de langue malgache, publiée par les différentes missions venues s’installer à Madagascar à partir de 1861, existait. Toutefois, le début indéniable d’une production littéraire moderne écrite se situa au début du siècle dernier. Depuis lors, la « famille Littérature » ne cessa de s’agrandir avec les naissances de tous les genres universellement reconnus, comme la poésie, les nouvelles, les romans, le théâtre, etc. L’on repérait vite une triple tradition littéraire : d’un côté, l’oralité populaire, dans les diverses variantes dialectales, qui existait depuis la nuit des temps ; de l’autre, la littérature contemporaine, écrite en langue malgache, comprenant celle en langue officielle, les tentatives en langues régionales, les œuvres étrangères traduites en malgache ; enfin, la littérature de langue française, composée de productions francophones, de traduction d’œuvres malgaches en français et de productions coloniales.

4 Le présent numéro regroupe une bonne partie des communications présentées lors de la journée d’études du Ceroi sur les 150 ans de la littérature malgache, qui s’est tenue le

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14 mai 2004 à l’Inalco, ainsi que des résultats de recherches littéraires entreprises par des étudiants en master et en doctorat.

5 Malanjaona Rakotomalala attire notre attention sur « la conduite à tenir » devant un récit, écrit ou oral — mais il aborde surtout l’oral —, même s’il s’agit d’un témoignage oculaire. Aucun récit n’est gratuit, rappelle-t-il.

6 Dans l’univers de l’oralité populaire, Sarah Fee donne différentes versions du conte d’Isambilo, très populaire dans le sud de Madagascar. Dans son analyse, elle prend en compte la méthode suivie actuellement par les ethnologues pour la bonne lecture du conte.

7 L’article de Clarisse Rasoamampionona se propose d’analyser les textes littéraires de la revue Vako-drazana, qui paraissait de 1967 à 1976 et s’intéressait particulièrement à la littérature traditionnelle betsileo. La richesse de l’univers littéraire betsileo ne peut que confirmer l’ambition des coéditeurs, Jean-Marie Ratongavao et Toussaint Rabenala, de faire de la revue une source de documentation littéraire.

8 Dans le domaine de la littérature moderne contemporaine, Claire Riffard s’intéresse aux « Débuts de la poésie écrite en langue malgache ». Elle ne fait aucune économie sur l’itinéraire de cette littérature émergente.

9 L’article de Gabriel Lefèvre, Marie-Laurent Randrihasipara et Velonandro se propose de voir de près la position de la culture malgache vis-à-vis des fleurs, à partir d’un article de Rajaonah Tselatra (1863-1931), Voninkazo 50, publié en 1912 dans le journal Vaovao frantsay-malagasy. La question est pertinente dans la mesure où les références aux fleurs, sur le plan culturel, sont loin d’être universelles. Que la littérature soit culte du Beau ou production sociale, l’association littérature/fleur est légendaire bien qu’elle suscite une véritable méfiance chez des spécialistes de la rhétorique, comme Jean Paulhan dans Les fleurs de Tarbes ou la Terreur dans les Lettres (1941).

10 Marguerite Razarihelisoa, quant à elle, expose la vision de Gabriel Rajonah sur l’homme et la société de l’entre-deux-guerres en s’appuyant sur les nombreux essais de l’auteur, publiés dans plusieurs périodiques confessionnels. L’auteur, qui appartient au cercle des écrivains de la première génération, fut d’ailleurs un grand essayiste de son époque.

11 Le thème de l’exil et de la nostalgie tel qu’il apparaît au travers de la littérature malgache retient l’attention de François-Xavier Razafimahatratra. Il a pu déceler que, chez l’écrivain, ces deux notions sont loin d’être faciles à explorer.

12 En examinant la traduction en malgache par de la tragi-comédie Le Cid de Corneille, Nirina Razaimiandrisoa tente de mettre au clair le statut de Dox écrivain. Est-il à la fois poète et traducteur ?

13 Nirhy-Lanto Ramamonjisoa présente un écrivain francophone méconnu, Ramambason. Cet article s’inscrit dans son projet de toujours, celui de faire connaître au public les auteurs oubliés. Elle insiste sur le fait que le mérite d’un poète ne devrait pas dépendre de ses activités politiques.

14 Jackie Roubeau-Raharisoa nous fait entrer dans l’univers de la littérature coloniale en choisissant Charles Renel. À l’encontre de certains écrivains de la mouvance du roman colonial, ce directeur de l’enseignement à Madagascar au début du siècle dernier ne cherche pas à légitimer la domination coloniale dans ses œuvres. Il porte plutôt un vif intérêt à la connaissance de l’île, de ses habitants et de leur culture.

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15 Signalons que vers la fin du XXe siècle, la visée s’est déplacée de la soif de connaître à la mise en valeur. Les choses de la Grande Île, auparavant méconnues, sont devenues chez beaucoup de poètes source de l’Émotion. Je pense, par exemple, à Louis-Jean Loÿe qui, dès les premiers vers de son poème « Eaux courantes », évoque la beauté et les charmes de la Betsiboka, fleuve du nord-ouest de la Grande Île, du canal des Pangalanes sur le littoral est, des rivières de l’Imerina au même titre que ceux des fleuves, rivières et cascades des « autres cieux lointaines » (sic), du Gange au Mississipi, de la Seine au Danube1…

16 La littérature n’est pas un ensemble clos et figé. Elle s’enrichit au fur et à mesure de textes ou de genres nouveaux. C’est la raison pour laquelle Nathalie Ravelontsalama s’attache à la bande dessinée pour ses mémoires de master I et II. Dans son article intitulé « Représentations et fonctions de la bande dessinée à Madagascar », elle contribue à l’intégration en cours de la BD dans le monde de la littérature.

17 Le lecteur constatera à partir de ces contributions que l’évolution de la littérature malgache n’est pas sans rappeler les stades d’éclosion et d’épanouissement d’une fleur au cours desquels se préparent les rejetons.

NOTES

1. Dans : Obsécration (Tananarive, Impr. adventiste, 1982, p. 15-17). Je remercie le docteur Paul Édouard Badre du Centre hospitalier intercommunal de la Haute Saône de m’avoir offert le recueil.

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Dossier

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Remarques sur le mécanisme des traditions historiques malgaches

Malanjaona Rakotomalala

NOTE DE L’ÉDITEUR

Version remaniée d’une communication présentée au Colloque sur les traditions populaires, organisé par l’Association des universités d’expression française à Tananarive, en septembre 2005.

1 Une des maladresses fréquentes de ceux qui s’intéressent à l’histoire, écrite ou orale, est de suivre à la lettre ce que rapportent les auteurs ou les narrateurs. Mais on peut avoir aussi la réaction contraire : désorientés par les anachronismes et l’aspect merveilleux de certaines traditions historiques qui apparentent celles-ci aux contes, des étudiants font abstraction plus ou moins totale de certains documents oraux parce que, disent-ils, « le narrateur raconte n’importe quoi ». Le but de cette intervention, à teneur pédagogique, n’est pas de proposer une méthodologie pour l’exploitation des récits oraux, ni de revenir sur la relation entre mémoire et histoire, sujet déjà débattu depuis une vingtaine d’années par des spécialistes issus de différentes disciplines1. Je voudrais montrer simplement qu’il existe un ensemble de règles qui donne sens aux récits, notamment oraux. J’aborderai ici trois de leurs caractéristiques tels qu’ils se racontent en particulier sur les hautes terres centrales de Madagascar, en Imerina, région d’origine des Merina, globalement la région d’Antananarivo2.

L’empreinte du narrateur

2 Tout d’abord, involontairement ou volontairement, le narrateur se sert de son récit comme moyen pour revendiquer des droits et privilèges, mais aussi, en même temps, quelquefois, pour discréditer ceux des autres ou encore soutenir ou, au contraire,

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remettre en cause une idée… Les fondements d’un récit peuvent donc être multiples. Cette remarque est valable même s’il s’agit de témoignages oculaires.

3 L’expérience la plus simple que j’ai faite fut de demander à un mécanicien, à une mère de famille et à un jeune homme de raconter un accident de voiture qui coûta la vie à un enfant dans une rue de Tananarive. Tous les trois avaient été témoins de l’accident, mais les versions étaient différentes : le mécanicien insista sur le fait que le frein de la voiture avait lâché, la mère de famille s’étendit sur l’irresponsabilité de la femme qui n’avait pas tenu l’enfant par la main, tandis que le jeune homme, apparemment un de ces jeunes gens issus de familles aisées qui faisaient des « pointes » (courses de vitesse) dans certains quartiers de la ville, la nuit, à chaque fin de semaine, critiqua la manière dont le conducteur avait négocié un virage (le véhicule roulait vite)… Qui des trois croire ? Aucun ne ment, personne ne rajoute, chacun croit en ce qu’il dit. Des recoupements sont ici possibles. On voit bien à partir de cet exemple que le récit porte les empreintes sociales respectives des narrateurs. La première question que l’on doit se poser est donc la suivante : qui raconte. Tous les éléments biographiques du narrateur ainsi que son curriculum vitae, ses déplacements, peuvent influencer son récit.

4 Le père Callet (1908) a certainement saisi ce problème : dans son recueil de traditions historiques et culturelles Tantara ny eto Madagascar (Histoire des rois à Madagascar) — titre abrégé par les malgachisants en Tantara (Histoire) —, élaboré dans la seconde moitié du XIXe siècle, lorsque les versions à propos d’un sujet sont multiples, il introduit chacune d’elles par la proposition Ary hoy Ranona (Et untel raconte) ou encore Ary hoy kosa Ranona (Tandis qu’untel raconte)…

5 Par ailleurs, souvent, le narrateur essaie d’impliquer dans son récit celui qui l’écoute. Deux situations contraires peuvent se produire : • le narrateur se montre peu loquace, tait certaines choses ou, au contraire, il est bavard et finit par attaquer plus ou moins directement son interlocuteur, par exemple, quand celui-ci entretient une relation assez étroite avec un groupe ou une personne envers qui il évite certains sujets (l’ami de mon adversaire est aussi mon adversaire). Certains traditionnistes évitent tout bonnement le chercheur3. Les Merina effectuant des enquêtes auprès des groupes dominés autrefois par la royauté merina ou encore dans des régions où leur groupe « ethnique » occupe une place relativement importante, notamment sur le plan économique ou administratif4, rencontrent quelquefois ce genre de problème. Mais l’attaque est également fréquente lors des enquêtes sur les croyances religieuses quand le narrateur « sent »que son interlocuteur n’a pas la même conviction que lui. En réactualisant le passé, il utilise alors le récit comme un moyen de sensibilisation mais aussi de défoulement, comme si son interlocuteur était le représentant d’un camp adverse ; • le narrateur peut se taire aussi en fonction de ceux qui assistent à la conversation, ou faire des confidences à son interlocuteur lorsque l’occasion le permet, confidences qui auraient pu choquer, mettre mal à l’aise les autres assistants. En réalité, les traditions historiques sont aussi un domaine privilégié des non-dits : il s’y opère un filtrage. Ce comportement se produit lorsqu’il s’agit, par exemple, de parler de groupe statutaire (« caste »), de problème foncier, de sorcellerie, de sexualité, de mésalliance… Il ne faudrait donc pas non plus négliger l’identité des assistants.

6 Dans les deux cas, le but du narrateur n’est pas seulement de reproduire un récit mais aussi de convaincre. Il est vrai que, quelquefois, le chercheur ne se laisse pas entraîner par sa stratégie à l’occasion du récit, mais son implication peut se manifester lors de l’exploitation qu’il en fait. Il n’est pas rare, par exemple, que son analyse mette en

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avant un seul groupe statutaire (celui du narrateur ou le sien) comme si celui-ci était le seul à avoir fait l’histoire, les autres n’ayant fait que la subir. Ce problème apparaît surtout lorsque le chercheur appartient au groupe du narrateur : il ne lui est pas facile d’observer une distance par rapport à ses pairs, qui, eux, défendent en même temps ses droits et privilèges. Il va alors se mettre à sublimer son propre groupe5. Une autre question à poser est donc la suivante : qui raconte à qui.

7 En outre, il faut savoir qu’il existe deux genres de traditionistes : les « bons »et les « mauvais ». Il ne s’agit pas ici de caractère mais de degré de proximité par rapport au sujet abordé. Ainsi, il est beaucoup plus passionnant d’écouter une personne qui n’a pas beaucoup voyagé, un traditionniste illettré plutôt qu’un narrateur lettré... En effet, il y a de forte chance d’obtenir un amalgame d’éléments d’informations d’origines diverses d’une personne qui a fait des déplacements à l’extérieur, tandis que certains lettrés ne font que réciter ce qu’ils ont lu et ont tendance à dénigrer les autres versions orales, et ce, bien que la version qu’ils transmettent soit à l’origine orale. Chez ces derniers, tout se passe comme si seules les versions écrites étaient officielles.

8 Ainsi, de même, à Madagascar, les connaissances des femmes en matière d’histoires lignagères sont généralement assez limitées, car, en principe, on ne transmet l’histoire du groupe qu’aux hommes ; par contre, on ne se lasse pas d’écouter leurs contes. En effet, certains récits sont l’apanage d’un seul sexe, voire d’un groupe social. L’autre élément à identifier est donc le genre, lequel peut avoir ses caractéristiques propres. Dans une certaine mesure, la vulgarisation d’un genre peut s’inscrire dans le processus de l’évolution sociale : elle peut être le fruit d’une récupération par un groupe déterminé. Dans ce cas, il est alors bon de savoir également si quelqu’un d’autre connaît l’histoire.

9 Une chose est sûre : plus un événement est éloigné dans le temps, plus la réalité événementielle est délicate à saisir. À un certain moment de la chaîne de transmission du récit, certains narrateurs rajoutent ou éliminent des détails, à tel point qu’on peut se rapprocher de plus en plus d’un conte ou d’un mythe. Un adage malgache ne dit-il pas que « les rumeurs inventent ce qui n’existe pas, rajoutent à ce qui existe » ?

10 Pour être bref, un récit est conditionné par plusieurs paramètres que je ne peux développer tous ici. Il suffit de relire les manuels d’histoire de France ou de Madagascar. Ceux-ci rapportent l’histoire dite officielle, la version du pouvoir. Selon l’époque, ils présentent des différences notoires. Je doute qu’il s’agisse là d’un progrès des recherches historiennes : il n’y a pas de bons ou de mauvais historiens, on est tout simplement dans des contextes différents ; ici, une des fonctions de l’enseignement de l’histoire est claire : cette discipline sert à former de bons citoyens tels que le pouvoir le souhaite. En tout cas, toute polémique ayant rapport avec l’histoire peut se manifester par une multiplicité de versions et, évidemment, de lectures.

11 Il n’est donc pas étonnant si les Tantara, dont les principaux narrateurs étaient issus du clan qui a soutenu le roi (ca 1787-1810), commencent à être contestés par d’autres groupes6. Ce recueil, un des plus importants travaux produits par les missionnaires, non seulement de par son volume mais aussi par son contenu, a été longtemps considéré comme l’histoire officielle des Merina avant leur contact effectif avec les Européens (1820). Il a fallu attendre plus d’un siècle pour que l’on ose enfin le remettre en cause. Mais l’historien et l’anthropologue attendent en vain de nouvelles versions plus « rationnelles », débarrassées, par exemple, de l’aspect merveilleux des

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contes. En effet, ces nouvelles versions se conforment aux mêmes règles que les précédentes, respectant le même mécanisme.

12 Une chose est alors certaine : à certains moments de l’histoire, les récits ne sont plus seulement l’apanage du groupe dominant, détenteur de l’idéologie dominante ; d’autres tiennent à manifester qu’ils ont fait également l’histoire. Ceci est actuellement assez manifeste dans les récits concernant l’esclavage, non pas ceux rapportés par les descendants des anciens maîtres mais par les descendants d’anciens esclaves.

13 De tous les récits cependant, la généalogie est le genre où apparaît nettement le souci de self-défense des narrateurs. Généralement, le système de parenté malgache est cognatique avec un certain accent souvent patrilinéaire, mais il peut être aussi patrilinéaire avec inflexion cognatique7. Lorsque le récitant est reconnu à la fois par son père et sa mère, la question qu’il pose quelquefois à l’anthropologue est la suivante : « Vous voulez savoir ma généalogie du côté paternel ou du côté maternel ? »8. Théoriquement donc, il a le choix entre une affiliation paternelle ou maternelle ou bilatérale. Mais il arrive aussi que, quand l’anthropologue ne précise pas le côté, son interlocuteur se mette tout de suite à réciter sa généalogie du côté avec lequel il s’entretient le plus ou qui lui est le plus favorable : question de prestige (groupe statutaire, lien de parenté avec des notables, etc.), justification de titre ou d’héritage, c’est-à-dire jouissance de droits... Dans ce type de figure, il n’est pas rare que le récit se limite à trois générations : grands-parents / parents / interlocuteur, les grands-parents étant ceux qui ont transmis le titre et l’héritage aux parents, ceux dont jouit l’interlocuteur. Peut-être s’agit-il là de déficience de la mémoire ou encore de non- transmission de la chaîne par les ascendants. En tout cas, la citation des grands-parents et des parents suffit souvent pour justifier droits et privilèges.

14 Par contre, chez les Merina d’ascendance princière actuels ou ceux dont les ancêtres furent « anoblis » (andriana), la généalogie peut être relativement profonde9. Le phénomène est dû à la recherche d’une bonne souche10, avec, de préférence, comme référence principale, un personnage royal ou princier. Le récit élimine alors les parents qui risquent d’apporter un déshonneur (ceux qui ont fait des mésalliances, voire parents de conditions modestes, etc.). Cette fois, le filtrage est dû à l’existence d’épisodes ou éléments qui pourraient porter préjudice au groupe, mais aussi, éventuellement, avantager les autres. Ne sont donc cités que les éléments qui soutiennent les intérêts du récitant et de son groupe : n’est raconté que ce qui mérite d’être raconté. Finalement, dans une certaine mesure, l’histoire est une construction sociale, répondant aux besoins du groupe du narrateur.

Le rythme événementiel

15 Le récitant se réfère généralement, disions-nous, à trois générations quand il s’agit de généalogie. L’on se demande si ces trois temps ne s’inscrivent pas dans une logique discursive ou événementielle, un rythme presque institutionnalisé dans les récits oraux malgaches.

16 Les récits familiaux des Malgaches du nord revendiquant une origine tsimihety mais qui n’habitent pas à Mandritsara11, par exemple, rapportent souvent des migrations par bonds, en trois étapes : première étape, leurs ancêtres sont partis de la région de Mananara (dans le nord-est) ; deuxième étape, ils sont allés à Mandritsara ; et troisième étape, ils se sont installés finalement dans leur région ou leur localité actuelle. Un de

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mes interlocuteurs résume : « Quelqu’un qui n’a pas d’attache avec Mandritsara n’est pas un Tsimihety pur ». Cette localité reste donc une référence identitaire pour le groupe.

17 Ailleurs, on rencontre le même rythme à trois temps. Ainsi, les histoires familiales malgaches commencent généralement par : « Notre véritable origine est [localité ou région] » ; puis, deux localités sont citées après cette « véritable origine »12.

18 Revenons aux Tantara. A première lecture, ce recueil présente des récits épars. Mais lorsqu’on considère l’ensemble, il adopte comme références de l’histoire de l’Imerina trois personnages royaux : Ralambo, Andriamasinavalona et Andrianampoinimerina, leurs successeurs respectifs n’ayant fait que pérenniser l’idéologie ou les œuvres de l’un de ces rois, ne manquant pas, selon les circonstances, de justifier leur droit au trône par l’un d’eux.

19 Pourquoi ces références ? On ne peut avoir la réponse qu’après avoir achevé totalement la lecture des deux volumes : • une certaine conception évolutionniste se dégage de l’ensemble du recueil : l’Imerina a évolué de la « primitivité » (époque des autochtones, les Vazimba) à la « civilisation », mise en forme par Andrianampoinimerina ; du coup, les narrateurs justifient le refoulement des autochtones, des « primitifs », dit-on, par les envahisseurs, les Merina ; • ce ne sont pas les armes mais l’idéologie qui fait la force de la royauté merina ; cette idéologie repose sur une volonté de « modernisation » et d’unité nationale par l’adoption d’un seul roi ou reine. Le choix de ces trois personnages royaux se trouve donc justifié : on attribue à chacun d’eux des institutions qui ont fait la force de la royauté : • c’est Ralambo qui découvrit, dit-on, le zébu ; on pouvait alors en consommer désormais la viande13. En fait, l’animal allait jouer un grand rôle dans la définition du pouvoir et du personnage royal. Chaque fois qu’un sujet abattait un zébu, il devait offrir l’arrière-train au roi, comme si c’était une taxe d’abattage. Usage économique du zébu peut-être. En tout cas, ce geste est une marque d’allégeance faisant un usage politique de cet animal censé être le seul digne des rois et reines14.

20 On raconte aussi que c’est Ralambo qui institua le rite annuel du bain royal fandroana (Cousins 1963). En fait, ce rite servait à renforcer la reconnaissance du personnage royal et donc de son pouvoir, et donc aussi de la particularité de son hasina (caractère sacré). Le personnage devint en effet un « personnage unique », « qui n’a pas son pareil », selon des expressions qu’on retrouve aussi dans le sud de l’île. À son image, il détenait un pouvoir, qui, comme lui, était unique, sacré. Il se trouvait alors hors des institutions populaires. Par conséquent, il pouvait, entre autres, se marier et avoir une relation sexuelle avec qui il voulait ; • on attribue à Andriamasinavalona l’unification de l’Imerina, son organisation administrative, la constitution des groupes territoriaux ainsi que la structure sociale en groupes statutaires hiérarchiques ou « castes » ; • Andrianampoinimerina a mené à terme les œuvres « civilisatrices », en modernisant les institutions dont ont hérité jusqu’à maintenant les Merina.

21 Un des traits de génie de ce roi, selon les interlocuteurs de Callet, est le fait qu’il se considérait comme quelqu’un n’ayant pas de parents ; c’est juste avant sa mort qu’il présenta son successeur, son fils Radama, au peuple en disant : « Toi seul es mon seul parent, Radama ». Dire qu’on n’avait pas de parents, n’était-ce donc pas un moyen de

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préserver le pouvoir de l’intrusion d’un parent qui pourrait revendiquer un droit au trône ?

22 Il faut savoir cependant que ce roi n’était pas si particulier. La stratégie politique des grands rois et reines malgaches n’est qu’une à Madagascar : dans le sud, on dit aussi d’eux qu’ils sont des ondaty tsy manan-dongo (des gens qui n’ont pas de parents). Les affaires de l’État ne sont donc pas des affaires de famille. Belle leçon pour ceux qui font du népotisme une technique de « bonne gouvernance » !

23 Il est vrai que les Tantara sont des versions émanant du clan qui a soutenu Andrianampoinimerina. Mais une idée récurrente de l’histoire du monde « moderne », contemporain, apparaît ici : l’histoire d’un régime va de pair avec celle de ses institutions. Remarquons qu’on n’est donc pas du tout loin de l’histoire de la Révolution française.

L’anachronisme

24 J’aborde ici le chapitre qui déroute le plus : le doute sur la crédibilité de certains récits à cause de leur aspect jugé irrationnel. J’ai entendu, par exemple, une mère malgache raconter à son fils de quatre ou cinq ans que la petite héroïne Sohitika était facilement rattrapée par Trimobe, l’ogre malgache, car ce dernier roulait dans « une voiture qui allait vite comme celle de papa » ! Puis, elle continua : « Mais le bon Jésus sauva Sohitika ». On est en pleine éducation religieuse !

25 Cette déclinaison du passé au présent est une des techniques de l’écriture et de la lecture de l’histoire, qu’elle soit orale ou écrite. En effet, les récits historiques utilisent des éléments contemporains pour expliquer, justifier ou rejeter une idée. Mais ils peuvent aussi fonctionner en sens inverse : puiser dans le passé pour interpréter le présent. Dans les deux cas, tout se passe comme s’il n’y avait pas de rupture dans le temps : les événements apparaissent comme a-temporels.

26 Les narrateurs introduisent dans leurs récits ce qu’ils ont lu dans les documents écrits ou ce qu’ils vivent. Ainsi, en Imerina, pour délimiter leur « district » historique (toko), beaucoup se réfèrent à la division administrative actuelle, laquelle ne correspond pas du tout à l’ancienne.

27 Du coup, les récits sont malléables. L’exemple le plus parlant est la confusion qu’une femme possédée fit entre la fille du roi Andrianamasinavalona (XVIIIe siècle), la princesse Ranavalontsimitovy, dont le nom est écourté éventuellement en Ranavalona, et la reine Ranavalona Ire (1828-1861) (Rakotomalala et al. 2001). Il est vrai que le risque de confusion est grand à cause de la similitude des deux noms. Ainsi, lorsqu’elle nous décrivit le physique de la princesse, telle qu’elle lui apparaît dans ses rêves ou en vision, elle ne fit que reconstituer fidèlement le célèbre tableau, élaboré par un Malgache au début de l’époque coloniale, représentant la reine Ranavalona Ire, reproduit sous forme de carte postale : « Ranavalontsimitovy, dit-elle, est de teint clair, habillée d’une belle robe longue, tenant un mouchoir blanc » (photo dans Deschamps 1965 : 193).

28 La confusion est davantage lourde lorsqu’elle dit que la princesse Ranavalontsimitovy était auparavant anti-chrétienne, mais, plus tard, qu’elle s’est convertie au christianisme, alors que la reine Ranavalona Ire, celle qui persécuta les chrétiens, ne se convertit jamais. Et cela d’autant plus que l’on sait que les œuvres d’évangélisation de

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l’Imerina ne débutèrent que dans les années 1820, c’est-à-dire bien après l’époque de Ranavalontsimitovy. En fait, la christianisation du personnage correspondait à l’air du temps quand nous avons fait notre collecte. En effet, à l’époque, la Confédération des églises du Christ, devenue une véritable force parapolitique, a joué un rôle important dans la gestion étatique : on assistait à une alliance entre le pouvoir et les églises. La narratrice inscrit le personnage de Ranavalontsimitovy, détentrice du pouvoir et aussi du savoir, dans cette alliance15. Il s’agit donc là d’une réactualisation de l’ancêtre, objet de culte public. L’enfermer dans un passé lointain risquerait de la « démoder », de limiter son rôle à celui d’une simple actrice de l’histoire dépassée par le temps. C’est de cette manière qu’un mythe peut devenir histoire.

29 On a exactement le même phénomène avec Rakotomaditra, un autre ancêtre auquel on rend des cultes en Imerina. Ce personnage, qui vécut bien avant l’avènement de la royauté merina, est représenté par les narrateurs à la fois comme un gendarme et un bureaucrate, spécialiste du bakchich, dont l’esprit est invoqué par des hommes d’affaires et des officiers. L’anachronisme s’explique par le fait qu’à l’époque de la collecte, d’une part, la promotion de certains officiers était jugé relativement rapide — une manière pour les dirigeants de l’époque de gagner leur sympathie ! —, et, d’autre part, le contexte de marasme économique amenait les gens à parler souvent affaires, la plupart pour survivre par la débrouillardise, quelques-uns pour s’enrichir. Il n’est donc pas étonnant que le culte de Rakotomaditra allait connaître des adeptes dans d’autres régions de Madagascar, à cause de la paupérisation, alors que dans les années 1980, il se limitait encore à la région de Tananarive.

30 Les anachronismes peuvent donc porter un sens symbolique fort. Dans certains cas, la symbolique se manifeste à travers le merveilleux. Ainsi, les descendants de Rabezavana, un des chefs du mouvement anticolonialiste dénommé Menalamba (« Ceux-aux-toges- rouges », fin XIXe – début du XX e siècle), racontent que leur ancêtre, racheté par le pouvoir révolutionnaire de la Deuxième République (1975-1993) et donc dont la mémoire avait été réactualisée, n’était pas seulement un prestigieux nationaliste mais aussi un grand détenteur du savoir magique : il donna un coup de poing sur le versant d’une colline pour en faire jaillir une source. Le récit justifie alors en même temps leur droit au sol : ils se sont installés là où leur ancêtre leur a laissé une source (dans le nord de l’Imerina) ; ils en sont les héritiers. Avis donc aux propriétaires terriens qui voudraient les déloger de là !

31 Cette réactualisation ou transposition dans le temps peut trouver son parallèle dans les rituels religieux. Une des bases de toutes les religions du monde, qu’elles soient révélées ou « naturelles », avait déjà été jetée par Aristote : « Puisque les hommes ont un chef, il faut que les dieux aient un chef » ; l’image de l’au-delà se construit à partir de ce qu’on vit et voit ici-bas16. Il n’y a donc pas de frontière catégorique entre les deux espaces. Le parallèle ou, plus précisément, l’analogie entre le monde des esprits et celui des vivants peut être évoqué aussi dans les traditions historiques. C’est là un des rôles importants des mythes étiologiques en rapport avec les rites : ceux-ci ne sont, une fois de plus, qu’une réactualisation, une reproduction théâtrale de ceux-là, avec, comme soubassement, une structure diachronique, c’est-à-dire une structure qui se maintient dans le temps, plus concrètement une reproduction de scénarios anciens17. Une des meilleures illustrations de cette relation entre traditions historiques et rites nous est donnée par le recueil de récits bara (centre sud de Madagascar), collectés par Faublée (1947), récits dont l’objet est la pérennisation des institutions ancestrales : ils

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expliquent la raison d’être de celles-ci, contribuant ainsi à la définition de l’identité bara.

32 Le débat sur la non-gratuité des récits n’est pas nouveau : il avait déjà été soulevé notamment par Halbwachs (1952, 1968). Doit-on alors conclure qu’il vaut mieux considérer les récits plus ou moins fantastiques comme du simple folklore, relevant de l’imaginaire populaire ?

33 Il est vrai que certaines versions peuvent apporter un éclairage, entre autres, aux archéologues. Je ne crois pas cependant qu’on puisse y rechercher la réalité événementielle, car, généralement, ils évoquent plutôt la vérité de leur narrateur ; or la vérité est plurielle. Par conséquent, ils permettent de comprendre le comportement d’un groupe bien défini, dans la mesure où les gens ne se comportent pas en fonction de la réalité historique mais en fonction de leur interprétation de cette réalité, c’est-à-dire par rapport à leur vérité. Notre tâche consiste alors à ce moment-là à réinterpréter leur interprétation, leur compréhension de l’histoire.

BIBLIOGRAPHIE

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DESCHAMPS, H., 1965, Histoire de Madagascar, Paris, Berger-Levrault.

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HALBWACHS, M., 1952, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, PUF.

HALBWACHS, M., 1968, La mémoire collective, 2e éd. rev. et augm. (1re éd. 1951), Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? ».

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RAKOTOMALALA, M., BLANCHY, S. & RAISON-JOURDE F., 2001, Madagascar. Les ancêtres au quotidien. Usages sociaux du religieux sur les Hautes Terres malgaches, Paris, L’Harmattan.

RICOEUR, P., 2000, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil.

NOTES

1. 1. On peut citer, entre autres auteurs, Le Goff (1988), Candau (1996), Ricœur (2000)… 2. Le choix de l’Imerina est dû au fait que c’est la région que je connais le plus. Toujours est-il que les enquêtes transversales que j’ai faites ici et là à travers l’île mais aussi en France m’ont permis

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de constater plusieurs techniques narratives communes aux traditions orales, notamment historiques. 3. Le problème relationnel peut provenir, bien évidemment, du manque d’intégration du chercheur. En outre, je fais abstraction des règles de transmission : certaines personnes refusent de raconter parce qu’il existe des règles plus ou moins rigides concernant les récits, d’autres acceptent de le faire. Il peut exister en effet au sein d’une même communauté une tendance qui essaie de respecter scrupuleusement les coutumes et une autre qui en fait plus ou moins abstraction ; cette coexistence peut être un signe de mutation sociale. 4. Les Merina sont le groupe le plus mobile à Madagascar : on les rencontre partout sur l’île. 5. Il n’est donc pas tellement recommandé d’étudier son propre groupe ou les œuvres ou la biographie d’un parent, malgré la facilité relative d’accès aux données. 6. Ce recueil comprend deux volumes, le second est consacré exclusivement à Andrianampoinimerina. 7. Il semble que ce système fasse suite au système dit parallèle, en voie de disparition, considéré actuellement en Imerina, au Betsileo (région voisine du sud de l’Imerina) et dans le sud-est de Madagascar comme celui des ancêtres. Celui-ci repose sur la relation père-fils, mère-fille (par exemple, le nom du fils provient du côté paternel, celui de la fille du côté maternel). 8. La question ne se pose pas lorsque le système est patrilinéaire ou à forte prédominance patrilinéaire : l’interlocuteur se range du côté paternel. 9. Ce phénomène est récent : il ne date que de l’époque de la résurgence de ce groupe statutaire au début des années 1980. Avant, leurs récits se limitaient, en général, également à trois générations 10. Mba ho tsara fototra ou mba ho fototr’olla (« pour que l’on soit de bonne souche »), dit-on en Imerina. 11. Bourgs principaux : Mandritsara, Befandriana, Antsohihy et Mampikony, dans le nord. 12. Ne peut-on pas inscrire également dans ce rythme les épreuves souvent au nombre de trois que doivent subir les héros des contes malgaches ? Et les trois actes des pièces de théâtre malgache ? Ou encore la technique presque généralisée des étudiants malgaches qui consiste à diviser en trois parties (thèse, antithèse, synthèse) leurs dissertations, voire leurs mémoires et leurs thèses ? Et les trois répétitions des conteurs malgaches du type : dia nandeha, dia nandeha, dia nandeha… (litt. « puis, ils s’en étaient allés, puis, ils s’en étaient allés, puis, ils s’en étaient allés… ») ? La conteuse tandroy de Sarah Fee reprend trois fois la même chanson dans son conte : « Mitreña mitrmitreña rehe, Sambilo… » (Bellow, oh bellow, Sambilo) (voir sa contribution dans ce numéro)… 13. Ce qui est, on le sait désormais, contesté par les découvertes archéologiques : on a déjà consommé la viande de cet animal bien avant l’avènement de Ralambo (XVIIe siècle). 14. Lors des grandes occasions rituelles communautaires, on sacrifie un zébu pour les esprits royaux et princiers, mais des coqs pour les esprits chtoniens et telluriens. 15. On invoque son esprit, entre autres raisons, pour lui demander des conseils concernant l’avenir de Madagascar. 16. Les Malgaches croient que les ancêtres peuvent avoir froid, se mettre en colère… ; pour d’autres, un personnage à longue barbe est posté devant la porte du Paradis, tenant une clé, et pour d’autres encore, des vierges les y attendent… 17. Chez les chrétiens, par exemple, la cène est une reproduction de la commensalité à laquelle participaient Jésus et ses disciples.

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Handicapped heroes, Sambilo the bull, and the treacherous terrain of polygynous relations in southern Madagascar

Sarah Fee

NOTE DE L’AUTEUR

I would like to express my deep gratitude to Noël Gueunier for his careful reading and comments on this text, and to Philippe Beaujard, Sambo Clement and Jean Bertin Irénée Ramamonjisoa for assistance with several terminological questions. I remain responsible for all the final interpretations as expressed here.

1 Twenty years ago in this same journal, folklorist Lee Haring (1987) expanded on his earlier lament (1982) that social scientists in their analyses of Malagasy tales tended to focus solely on the context (social and historic) to the exclusion of the text (internal narrative). He judiciously advised scholars that before they plum a tale for empiric detail or symbolic meaning they need first consider its narrative qualities and whether a motif (such as the tree planted as a life token) is not in fact international in origin or stylistic in nature. Tales the world over combine and recombine elements of the fantastic, the historic, the foreign and the local, and their form and intent are, in part, aimed at “aesthetic satisfaction”. As a major contribution to this analytic and comparative end, Haring (1982) published the monumental Malagasy Tale Index, based on D. Paulme’s model, which assigns a narrative to one of seven categories based on its plot “structure”, rather than its surface “theme”, and identifies tale types and motifs with international equivalents.

2 While Haring suggested that anthropologists apply their trade only after such internal analysis is established, a number of these scholars (Beaujard, Gueunier, Fanony, etc.) have since revealed that ethnographic knowledge is vital to that very process. Here, my

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modest aim is to directly demonstrate this through a reconsideration of three Bara and Sakalava narratives which the Index assigns to two separate types (1.7.27 and 4.08) and structures (ascending and spiral). It can be shown that they are in fact variations of a single tale type, which might be named Handicapped hero victorious over treacherous brothers in forest quest.

3 Its normalform runs thus: a boy with a handicap is spurned by his brothers. Upon the suggestion of the father (uncle, stepmother), the boys undertake a quest into the forest to procure (dangerous) animals. The cowardly brothers fail, while the resourceful, brave hero succeeds. Jealous, the brothers seize the prize and/or attempt to do away with him. Ultimately, the hero is triumphant and the brothers are punished.

4 The key to perceiving the similarities in motifs and plot resides in appreciating southern Malagasy institutions of polygyny and father respect, and their associated practices and concepts. The affinities between the three tales become even clearer when we take into account several Tandroy versions which postdate the Index, two of which are presented and translated at the end of this article.

Sambilo the Bull and Treacherous Brothers

5 Most of tale versions examined here employ the motif of the pursuit of a wild, ferocious bull named “Furious”, Sambilo1 (var. Lesambilo, Ilahisambilo, Resambilo). This mythical beast is especially popular in southwest Malagasy lore, notably tales and expressions used to frighten children and women fetching water2. By far the longest and most complex tale featuring this animal, entitled Tsimamangafalahy was collected by Cyprien Mandihitsy (Velonandro, Mandihitsy et coll. 1986) in the Masikoro village of Belavenoke.

6 The pregnant senior wife of a king craves the meat of dangerous wild animals. To satisfy her, the king and his people seek a series of beasts and eventually lose their lives to Lesambilo, a ferocious bull belonging to a rival king. When the woman’s son is born, he shows superhuman precociousness and strength but suffers from the stigma of being fatherless; when grown, he leaves to find and avenge his father, encountering many trials en route. He ultimately slays Sambilo and the rival king.

7 While containing many motifs of the other tales to be discussed here, its plot is substantially different and thus forms a separate type3. Our true point of departure is a different tale featuring Sambilo, recorded by Dahle in 1876 from a Merina narrator who attributed it a Sakalava origin4. In this instance, the rival is not the father’s slayer, but the protagonist’s brothers.

8 The hero “Split-Man” (Isilakolona) is half-flesh and half-wood. His three brothers have their father, the king, cast out and disinherit him. With his mother, the boy sets up a home in the forest and raises dogs. Restless, the three brothers decide to undertake a quest in search of “things that are difficult to catch”. The father suggests they fetch: 1- white guinea fowl, 2-vicious red bees, 3- the wild bull Ilahisambilo, 4- monsters with tails and women’s heads. For each pursuit, they pass through the forest and invite Split-Man to join them. He goes, having his mother plant a banana tree and listen for his dogs’ howling as life tokens. Each time, Split-Man successfully captures the prize (through virtues and/or magical formula) but the others outnumber him, seize the item, and present it to the father as their own. On the third task, to catch the bull

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Ilahisambilo, treachery develops: the brothers leave the hero to confront the beast alone, but he successfully tames it by climbing a tree, jumping on its back and dabbing foam from its mouth on its head. The final, fourth, task ends in a transformation flight with the hero producing a series of magical obstacles to impede the pursuing monsters. Back in the village, Split-Man proves to his father it was he who accomplished all the tasks; the father turns his brothers into slaves and the hero becomes his only son.

9 Competing brothers appear frequently in tales around the world, Madagascar included5. Usually, the brothers set about the same tasks, with a single brother succeeding and all the others failing. In most instances, the boy, as with heroes more generally, begins the tale as an underdog who suffers from one or more types of the following disadvantages or handicaps: • physical deformity. The hero brother may suffer a physical handicap (international motif “L112.3 Deformed child as hero”) which may take the form of an extreme deformity, e.g. the boy having only a head (cf. Haring 1.7.18 ) or a gourd for a body (cf. Haring 1.7.19), or the hero is half-flesh and half-wood (T551.4 Boy born with body half iron). It may take more benign forms, the hero being simply ugly or physically weak; • age. The hero is nearly always the youngest brother, a common international motif designated “H1242 Youngest brother alone succeeds”. In the many Malagasy tales where he appears, his position is spelled out in the initial situation and/or through his name Faralahy, “Last Son”or the like. As economic and political advantages lie generally with the firstborn, this filial position doubly confers an underdog status; • outnumbered. In rare instances, only two brothers are involved. In most tales, a single brother finds himself pitted against numerous brothers. Both internationally and in Madagascar, the rival brothers often number three or seven. In Tandroy tales, as we shall see, the hero tends to be pitted against eight half-brothers, a number which is not arbitrary; • disliked by family member(s). It is usually specified in the opening scene that the hero is disliked by his other brothers, his father and/or the entire family. This too may be indicated in his name, such as “detested by the father”Halandrae (Beaujard 1991). Occasionally, the mother remains loyal, following and aiding him when he is cast out.

10 All these initial disadvantages apply to the hero in the foregoing tale of “Split-Man”, which the Index classifies as the unique example of type “4.08 Deformed hero victorious”, thus a spiral structure. Meanwhile, it assigns two Bara tales, both collected by Faublée in the 1940s, to another structure (ascending) and type, “1.7.27 Exposed by treacherous brothers”. Let us consider these two more closely.

11 In the longer of the two versions (1.7.27 A), a man has one son, named Renaly, by one wife, and seven sons by another wife. The father falls ill and requests the boys go to the forest in search of wild guinea fowl. Taking his dogs, Renaly succeeds. The seven force the goods from him and present them as their own. The father suspects treachery, admonishes the seven and sends them to fetch wild tubers in the forest. While there, they play at carving logs into canoes. The treacherous brothers trap Renaly in one of the vessels which they cover, seal and throw in the ocean. The mother tries to call it to shore, but the father succeeds by sending men in canoes to fetch it. The father puts the seven to death.

12 Version B is very laconic and schematic, but the plot residue is nonetheless visible: after their mothers argue, seven brothers lure their halfbrother into the forest and try to stab him but are caught and admonished by the father; next, they lure him back into

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the forest to view a coffin, in which they trap him, then throw in the ocean. When the hero emerges, his speech stresses that he was all alone but succeeded.

13 Table 1 breaks down the motifs and plot of these three tales and reveals their similarity. While much simplified, the Bara tales nonetheless contain the same core structure (plot) and motifs: quest in the forest for (dangerous) goods to please the father, initial success of the hero, subsequent treachery of his brothers, ultimate punishment of treacherous brothers and triumph of the lone hero. The expected variations are minor: the far shorter and less accomplished Bara versions contain fewer tasks and lack the motifs of the Life tokens (E761.7.5) and Transformation flight (D672), the latter being replaced by Victim tricked into box (K714.2) and Exposure in boat (S141). The only significant difference would appear to be the starting point or initial situation: the Sakalava hero alone suffers a lack in the form of a physical handicap. However, if we look more closely at the Bara tales, we see that, in fact, their heroes also suffer an initial lack. Rather than a fantastic physical deformity, however, it is social in nature, stemming from a disadvantageous position in a polygynous household: in both Bara versions, the narrator carefully establishes at the opening that the hero is the only son of a junior wife and, what’s more, her co-wife has numerous sons. To appreciate how this poses a lack requires an understanding of the concepts and practices related to polygyny and father respect in southern Madagascar.

14 The account that follows is based on my research over several years in rural Androy.

Polygyny and the creation of strong sons

15 Polygyny (fampirafe, fampirafesañe) is to this day frequently practiced in southern Madagascar. It is a deeply rooted custom that structures multiple aspects of thought, economic and social life. At any point in time, there may be few polygynous unions in a given village. However, as marriage is brittle and people may divorce and remarry six or more times in their lives, nearly all people — men and women — will, at some point, be partners in a polygynous union6.

16 Contrary to Western stereotypes, men do not seek additional wives for sexual gratification. “You don’t just take a woman because she has long [pretty] hair” or “just because you like her”, men stressed. Instead, discussants mention a range of practical, social and cultural considerations that would prompt a man to take a second (or third or fourth) wife.

17 First, polygyny allows a man to overcome the problem of barrenness. Rates of female sterility are quite high in rural Androy and adoption is not practiced, leaving a man with two choices. He can simply repudiate his barren spouse, a strategy adopted by some men. Or, if he still loves her (mbe tea’e) — often said to be the case —, he can take a second or third wife to give him children7. Surprisingly, few people located the motivation for polygyny in the prestige or “fame”it brings to a man: only a wealthy man can undertake the great cost of contracting a second marriage and then supporting plural wives and families. Third, having multiple wives ensures that there is always a woman to cook and care for the man when the wife, as is frequently the case, has to absent herself. In a related point, a few people held that polygyny can “break”a bad wife: with the competition of a cowife, a lazy or indifferent wife would be forced to compete for the husband’s affections. Finally, if the current wife has many children of a young age (ampela savereñe), she has little time or energy to devote to the care of her

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husband. Often, her cooking and housework are indifferent. A man in this situation tends to seek out a barren or post-menarchal woman as a second wife to attend to his comfort.

18 However, the overarching ideological motivation for polygyny stressed by both men and women concerns not the man’s fame, comfort or convenience, but its roles in producing “strong sons”. For religious and practical reasons, it is not merely enough to have numerous male offspring. A man needs to have strong sons to serve as worthy substitutes for him (Middleton 1988:93, 97). And I learned it is in producing sons by “many mothers” (maro rene) — that is, by successive wives — that one is believed to have a better chance of achieving this. Two factors underpin this reasoning. First, even if a wife has numerous sons, there is still the chance that they will all be worthless (votro), that her people and the “land they come from” (niboahañe) are bad. The case that was often brought to my attention was that of a woman who had born five sons, each of whom was either mentally deficient, a thief or a general good-for-nothing. If a man has sons by several women, however, chances are that at least one set will be successful: “For even if the children of some of the wives are good-fornothings, those of one of the wives are sure to be wealthy”; “If you take a wife from the South, maybe they [the children] won’t be successful but if you take from the West, too, maybe they will be”(Fa lehe rarake ty ana ty ila’e, ho mpañarivo ty ana ty raike). But nature alone is not enough to ensure that one set will be strong; the competitiveness entailed in polygyny helps this along.

19 Like their mothers, sons by different wives are two different people, “two bodies or “divided into two stomachs. These matricentric units act as a single entity for inheritance and rituals (Ottino 1998, Fee 2000). The expectation is that half-brothers will compete with and rival one another, and thus attain greater personal fortitude and wealth than they might otherwise: “[The sons of co-wives] fight each other. They fight for their mothers. Each tries to “light the fire of the father”, that’s what makes having children by co-wives good. ”Father resect, referred to as “lighting the fire”, is a central tenet of Tandroy religious thought: a person’s fortunes turn on receiving the blessing of his father which he accords in return for acts of fidelity and homage (Middelton1988). His curse, meanwhile, is believed to have the power to destroy a person and his descendants. Although less culturally elaborated, demonstrating respect to mothers is likewise practiced and glossed in terms of “lighting the fire”; should the father die, the brothers transfer many of their acts of homage to her. By having competing sets of sons, parents are more likely to receive care, acts of homage and a glorious burial: “The sons of the senior wife (anam-baly bey) and sons of the junior wife (anam-baly masay), each have their own corral. Each has livestock to sell when you are sick or old, and to offer you goods in homage (mibanabana).”

20 In the creation and competition of strong sons, mothers do not take passive roles. As elsewhere in Madagascar, the term for co-wife in Androy is “enemy” (rafe) and animosity is the expected behavior. As both a woman of different ancestry and a competitor for the husband’s affections and resources, the co-wife is the quintessential, de facto rival (rahambañe). The rivalry is anticipated — even encouraged — in the polygynous marriage ceremony itself. In most areas, the elders of the village sacrifice a goat and have the new co-wives swear an oath (titike), known as oselahimavo (“yellow billy goat”) not to practice witchcraft on each other or the husband8. Up until the 1950’s, it was an institutionalized part of the polygynous marriage ceremony that as soon as the wife saw her husband’s new bride, she would leap up and throw mats at the

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newcomer, or whatever else came to hand, sometimes having hidden rocks nearby for that purpose. To this day, a woman must sit between the pair during the wedding ceremony to serve as a buffer. Following the ceremony, strict rules known as alo govern the husband’s allocation of time and resources (Elli 1993, Fee forthcoming), dividing them generally in equal portions, although several economic advantages and honorific privileges belong to the senior wife. While helping to minimize conflict, the rites and rules do not stop it. Hostility, slander, gossip, and icy silence are not uncommon and physical fighting and accusations of witchcraft may occur as well. An oft-repeated saying runs: “She laughs night and day, the woman whose co-wife has died.”

21 Over time, the women’s rivalry and fighting tend to become focused on their children. Co-wives work to ensure the success of their own sons. They jealously protect (miambeñe) their share of the inheritance in livestock, land, plows, carts, kettles, dishes, down to the last spoon. More nefariously, they try to cast aside children by other wives. Strictly speaking, it is not just children of contemporaneous co-wives who are in competition, but the children from all the husband’s past marriages: in the event of divorce, the father has sole custody of children; if the ex-wife chooses to quit the village, her children become the charges of her husband’s current wife, i.e. a stepmother. This stepmother also has a role to play in creating strong sons. It is openly recognized that stepmothers may abuse the children of other wives, working them like “little slaves” (kondevondevo), denying them food, and perhaps even beating them. Fittingly, stepmothers are known as “Lady Red” (Ramena): the color red is associated with intensity, heat, destructive forces (lightening, fire) and destructive emotions (envy, avarice). If privately criticized, the “Lady Red” is on another level valorized, for she, too, makes strong sons: when grown, the mistreated boys will strive to exact revenge through their success.

22 Although sons of all wives inherit cattle and land, the children of the senior wife (anam- baly bey) have several economic and political advantages. It is they who inherit the best fields, while the herd (or money for education) may be depleted by the time the sons of the youngest wives come of age. They inherit the authority of the father and will eventually rule the village. For these reasons, children of junior wives usually leave the father’s village to establish new settlements. Should a co-wife bear only a single son, he tends to face additional challenges. Referred to as “only man” (tokandahy), he has no natural political or economic allies and consequently may be muscled out of property. However, again, these adverse conditions may in fact motivate him to strive harder than he might otherwise.

Lack, Deterioration and New Improvement

23 Returning to the two Bara tales, we can now detect a spiral plot. In its synopsis of “Lone Man” A, the Index neglects to notice the all-important position of the hero as born to a junior wife. In “Lone Man” B, it recognizes this initial situation but incorrectly labels it as a motif of “unusual conception”. However, the foregoing discussion has shown that being born into a polygynous household is commonplace, rather than unusual. Rather, in carefully specifying that the hero is the only son of the junior wife, and what’s more, disliked by elders and his half-brothers, the narrator is establishing an initial situation of a lack or handicap. From this initial disadvantaged starting point, the Bara hero’s situation improves when he succeeds at the tasks in the forest and/or earns his father’s

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protection; he suffers setbacks/deterioration at the hands of treacherous brothers (stepmother, uncle) before he is triumphant and they are punished.

24 In version B, the initial improvement, reward and punishment may not be obvious to the outsider, for they are telegraphic and implied: suspecting the treachery of the seven brothers, the father curses them by declaring: “You will not bury me”. This pronouncement forbids the sons from carrying out the greatest act of father respect: performing the animal sacrifices and rites necessary at the father’s death to ensure his passage to the afterlife and recreation as an ancestor. This curse effectively condemns the offending individual and all his descendants to eternal punishment. The hero’s reward is implicit but also understood: he alone will now perform these tasks and be the blessed, and only, heir.

25 Thus the Bara tales demonstrate the classic ingredients of a spiral plot as defined by Haring: lack, deterioration and new improvement.

“The Lone Man”(Tokandahy)

26 The links between the Bara and Sakalava stories become even clearer when we examine three more recently recorded Tandroy tales which should also be considered versions of 4.08. One appears in Francois Benolo’s (1992)9 collection of Tandroy tales and I have collected two, “Lone Man” A and B — recounted by two girls aged about 13 — which are presented below with an English translation. Longer than the Bara versions, they include many more of the same motifs and incidents as the Sakalava, notably the capture of Sambilo the bull. However, their tone and themes are ultimately closer to the Bara tales: the hero is likewise the only son of a cowife, and the narratives turn on the many and varied frictions of polygynous relationships.

27 In “Lone Man” A, the boy is the only son of a co-wife and disliked by his father “because he is only one”who meanwhile favors his eight sons born to another wife. In preparation for his sandratse healing ceremony, the father sends the eight alone to gather honey and then capture the wild bull Sambilo as sacrifice. Thus, he denies the hero the chance to participate in these tasks (and so receive his blessing). The hero goes anyway and, with practical advice from his mother, he succeeds while the others fail from stupidity or cowardice. The father then praises the hero. Jealous, the eight lure him into the forest under the pretext of making a coffin for the father. They trap him inside, seal it and throw it in a body of water. The mother rescues it and the eight are killed.

28 In “Lone Man” B, the adult adversary is not the father, but the stepmother. The hero is the son of a woman disliked by the village elders who is subsequently repudiated. His father then takes another wife who bears eight sons. Despising Lone Man, “she cooked up a plot to kill him” (le namboare’e afera himateza’e). She feigns pregnancy cravings and sends him in search of dangerous animals (pup of a ferocious dog, large snake, wild bull Sambilo). In the meantime, she sends her own eight sons on the safe task of fetching prickly pear. The hero’s grandmother gives him advice for catching the animals which includes climbing a tree and throwing vines to lure Sambilo, then jumping on his back. The hero then rides into the village on the bull, commanding it to eat everyone in sight, sparing only his grandmother.

29 The version recorded by Benolo (1992) from another area of Androy shows some minor variations on the central pattern. The hero is called “Doesn’t-leave-for-he’s-a-man”

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(Tsimamangafalahy), and the boys are the sons of two brothers, patrilateral parallel cousins, rather than half-brothers; however, coming from different maternal lines and competitors for inheritance, this places them in the same structural position as sons of cowives. Identified as “rich and strong”, the hero is nonetheless disadvantaged in that his own father has died and his uncle is villainous: he advises his eight sons to do away with the hero so they may prosper (litt. “find a path”, ahazoañe lalañe). He feigns illness and has the boys hunt the wild bull Sambilo for him to eat as a cure. The eight hide while the hero climbs the tree and shoots the beast. The man next sends them to make a coffin. The eight trap the hero inside and cast it into the water. The mother and king’s wife bring it to shore. In the meantime, the eight have taken the hero’s property and wives, except one who refuses. The hero returns to the village and kills everyone, sparing the one loyal wife.

30 In these Tandroy versions, the hero’s marginal status is made manifest in several ways: • through the characters’ names. The hero is either “Lone Man”(Tokandahy) (“one Man” A & B) or “Doesn’t-Leave-For-He’s-a-Man” (Tsimamangafalahy) (Benolo): he stays and fights rather than go elsewhere in search of fortune. Meanwhile, the favored eight half-brothers may be named “ords-the-Eight” (Ravalolahy); • the number of treacherous brothers: in Androy, the number eight is a symbol of wholeness, a full or discrete unit, as well as propiciousness; it is against this strong unit that the lone hero must do battle; • the hero is described as being disliked by the father or patrilineal elders (“one Man” A & B, Benolo), and/or lacking his father (Benolo) or mother (“one Man” B). The protagonist of the Benolo version (and Faublée A) may, at first sight, appear anomalous: he is identified in the initial situation as “rich and strong” However, given the dynamics of a polygynous family, this inversion does not lesson his lack or “handicap”: it incites the jealousy of others, in this case the treacherous uncle. Underscoring the disequilibrium, in this version, the eight are named “The-Eight-Worthless-Men” (Valolahitembo).

31 A table shows the similarity in motifs and structure of the Tandroy stories with the other versions discussed earlier (see below). They include some of the distinctive Sakalava incidents related to the forest quest absent from the Bara tales, notably the pursuit and dramatic capture of the wild bull Sambilo by climbing a tree. However, in theme and tone, the Tandroy tales have more affinity with the Bara versions: their plots turn on, and perhaps ultimately become a meditation on, the benefits and frictions of “having many mothers”and the creation of strong sons. If properly managed, producing heirs through several wives can benefit all concerned; but if not, if favoritism and rivalry is exaggerated or unchecked, it leads to the destruction of not only rivals, but also elders and the entire village. The motifs of the Sakalava tale are transformed accordingly. In the Bara and Tandroy versions, the quest in the forest and related tasks are modified from a search for the extraordinary to acts of father or mother respect: the fabulous white guinea fowl of the Sakalava tale becomes an ordinary guinea fowl which an ill father craves (Faublée A); instead of dangerous bees, it is their honey that is sought to present as homage to the father at his healing ceremony (“Lone Man” A). The wild bull Sambilo is hunted not merely because it is dangerous, but in order to serve as a sacrifice for the father’s ceremony (“Lone Man” A) or for an ill father or (step) mother to eat (Benolo, “Lone Man” B). Or, the animals sought (dog, snake) are not only dangerous, but also impure, unfit for human consumption, underscoring the a-social potential of the stepmother (“Lone Man” B). In

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the Bara and Tandroy tales, the final venture into the forest does not involve monsters and magical escape, but the ultimate act of father respect: “burying”him by carving his coffin (Benolo, “Lone Man” A). One finds expressed, too, perhaps, the anxieties attached to the great burden of fulfilling father/mother respect and its apogee in the grandiose burial: the parent’s demands are insatiable and ever-increasing, the protagonist nearly perishing in his efforts to satisfy them, literally trapped in the father’s coffin and cast afloat. Such weighty topics are relieved in one instance by the use of an obscene motif: in “Lone Man” A, to reach the coffin floating on the pond, the owner of the water plugs his rectum and drinks it up, thus allowing the hero to come safely to dry land10.

32 While in the imaginary worlds of southern Madagascar, it is the “Lone Man”who triumphs, an adage from our own insists that “no man is an island”. Hopefully, before another twenty years lapses, anthropologists and students of oral literature will come together to update the Malagasy Index Tale and create as well a motif index.

Comparison of motifs and structure

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Tokandahy A11 Lone Man A Lehe teo ty ondaty. Raike niterake, nampirafe. Nampirafe amizay, le niterake ty valy raike toy, niterake Ravalolahy. Niterake ty raike, niterake Tokandahy. Heje amizay ty tokañe toy, fa tokañe. Fa tea i rae’e ey amizay ty Valolahy. Le hisandratse amizay i rae’e ey. “Ie zao”, sata an-dRavalolahy fa heje ty Tokandahy, “angalao tantele”. Ninday gorogoro naho sihoa hangalake tantele ty Ravalolahy. Ie re niavy ao nandeha avao tsy ninday afo. Ie re niavy ao amizay le hañohe tantele le nivoroavoroa tantele le nilay. Le tsy nahazo le nigoragora avao hirike ao. Ie re niavy ao ka amizay nandeha avao ka ty Tokandahy. Nandeha avao ty Tokandahy ndra te ie tsy iraheñe. “Atao akore ene ty alake i tantele ey?” “Alao”, hoe ty rene’e, “itondrao afo, atohofo amizay le tiofo.” Ninday finga bey naho sihoa amizay ty Tokandahy. Le nañohe le nahazo finga bey raike naho sihoa raike ty Tokandahy. Le nandese’e amizay re nandese’e. Ie re niavy ao amizay ty Tokandahy nifanariha’e an-dRavalolahy tomboke ho vonoe. Le narova ondaty maro oy amizay Le nampagalaene an-dResambilo ty Ravalolahy hanandratañe an -drae’e ey. Nandeha amizay iareo nangalakean-dRasambilo. Nisenge hamaro amizay iareo le hitsepake an- dRasambilo le nikofiakofiahe’e, le nilay, le nihereñe avao lahatañe. Le nandeha ty Tokandahy le nañontane an-drene’e: “Atao akore, ene, ty amitahañe an-dry Sambilo?” “Manganiha rehe ambone hatae añe araradraràfo ty taho. Naho fa mihinane i tahoñe ey amizay re le ambotraho ami trafo’e ey.” Le niambotraha’e amizay re… Le nandeha, nandeha, nandeha. Le nanganike ambone hatae bey amizay re le narara’e taho le narara’e taho. Le nihininañe amizay i raha ay le niambovoa’e amizay re le nitsepaha’e amy trafo’e ey amizay. Le nitongoa’e ambone amizay le nandese’e nandese’e. Mitreña mitreña rehe Sambilo Mitreña mitreña rehe Sambilo — Mmm. Mmm. Nandeha, nandeha le… Mitreña mitreña rehe Sambilo

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Mitreña mitreña rehe Sambilo Ho reim-bahoake — Mmm. Mmm. “Intike Tokandahy nahazo andResambilo!”. Nivoalaboalatse iareo Valolahy hitomboke Tokandahy, fa nahazo Resambilo. Le nijebañe añivo iareo amizay ty rae’e tsy hahavoañ tomboke Tokandahy. “Aleo izaho ho tomboheñe toe izay Tokandahy”, ty sata’e an- dRavalolahy tsy hitomboke Tokandahy. Le tsy tinombo’iareo. amizay. Le nanandratse iareo nasandratse ty rae’iareo. Le finiran-dRavalolahy amizay hazo añ’ala añe. Finira’iareo, finira’iareo, finira’iareo. Ie re nivita fira’iareo amizay nandeha iareo noly an-tana añe. “Ndao Tokandahy”, hoe iareo amizay, “hamira hazo fa efa raty ty raentika, hamira hazo ho an-draentika.” Le nandeha amizay iareo, lenandeha le nandeha. Le zoe’iareoamizay i hazo oy te fa intia.“Mmnnh, oharo amizay rikiahe tetandre an-draentika.” Le nañohatsealoha he ty raike amy iareo. “He! Letsy tandre, he! le tsy tandre. Ehe,oharo ao Tokandahy te tandre.”Nañohatse amizay ty Tokandahy, lenagobo’iareo amizay ty Tokandahy.Finehe’iareo taly amizay, lenajo’iareo añate ty rano ey. Lenandeha amizay iareo noly. Ie re niavy ao “Aia”, hoa re, “ty Tokandahy?” “Niengae’ay afara ao re,mamatsipatsike raha afara ao.” Eo, eo, eo avao iareo. Le eo avao ty rene’e. Ie re an-kela añe amizay tsy avy ty Tokandahy nandeha ty rene’e nipay aze. Nandeha, nandeha. Ie reke niavy amy sihanke ey amizay le nibeko, nibeko ana’e ey añate rano ey. Le nibeko avao reke. Le nanoeñe amizay i ana’e ey. Le nandeha amizay re nangalake tompo rano. Le nanoeñe amizay re le linite lahivozake ty fori’e ey i tompo rano y. Le trinini’e amizay rano oy. Le nimaike amizay. Le zoe’iareo amizay le nanoe’iareo amizay taly iy. Le nandese amizay i ana’e ey. Le nandese’a an-tanañe añe amizay. Ie re niavy an-tanañe ao tinombo’iareo amizay ka le tsy nitra’iareo. Ie zay. Tsy taliliko, fa talily taloha. Ze tsy manoy ho zay, kovo-doha. And so there once were some people. One gave birth, and then [the husband] took a second wife. He took two wives and one of them gave birth to Lords-the-Eight-Men, and one gave birth to Lone-Man. Lone-Man was disliked because he was all alone. The father preferred the Eight-Men. And then the father decided to hold a healing ceremony. “Listen”, he said addressing the Eight-Men and not Lone-Man, whom he didn’t like, “go and get some honey”. So Lords-the-Eight-Men took a pail and a bucket to get some honey. And they left without taking a firebrand [to smoke the bees]. And when they got to the beehives, the bees swarmed at them and they ran off. And so they got nothing and had to return home empty handed. And then Lone-Man took off in his turn. Lone-Man just went on his own even if he hadn’t been sent on the errand. “Mother, How does one fetch honey?” “Take a firebrand with you”, said the mother, “advance it forward and blow on it.” So Lone-Man set off with a big dish and a bucket. And he opened the hives and filled the big dish and the bucket with honey. And he carried and carried it back home. But when Lone-Man arrived, the Eight jumped on him to spear him but the gathered crowd protected him. And then the Lords-the-Eight-Men were sent to fetch Sambilo [the ferocious bull] to serve as a sacrifice at their father’s healing ceremony. And they went off to get Sambilo, feeling proud and clever because they were many. But when they made to grab Sambilo, the beast demolished them and they ran off, they ran straight back home with nothing. And so Lone-Man went to ask his mother: “How can one trick Sambilo, Mother?” “Climb on top of a tree and throw down some branches. And when he’s eating the branches, then jump and land on to his hump.” And so he jumped on top of him12…

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So he walked and walked and walked. And he climbed on top of a tall tree and he scattered branches all around. And so the creature began to eat and he seized his hump. Then he climbed on top and rode him forward and onward. Bellow, oh bellow, Sambilo Bellow, oh bellow, Sambilo — Mmm. Mmm [narrator makes sound of bull bellow]. They rode on and on… Bellow, oh bellow, Sambilo Bellow, oh bellow, Sambilo So all the people will hear — Mmm. Mmm [narrator makes sound of bull bellow]. “Look, it’s Lone-Man, he got Resambilo!”And the Eight-Men leaped up in surprise and tried to spear Lone-Man because he got Resambilo. But the father put himself in the middle between them so Lone-Man would not be killed. “I would rather that you kill me than Lone-Man”, he said so they wouldn’t spear Lone-Man. So he wasn’t speared. And the healing ceremony took place, they held the ceremony for their father. Then Lords-the-Eight-Men went to the forest to make a coffin [for their father]13. And they chopped and chopped the tree trunk to make the coffin. And when it was done they went back to the village. “Let’s go Lone-Man and make a coffin for our father because he’s sick and probably won’t make it. Let’s make a coffin for our father.” So they all went off and walked and walked. And they came upon the coffin that they had already built. “Hmmm, let’s measure the coffin to see if it’s the right size for our father.”And one of the eight sons got in and tried it out. “Oh! He doesn’t fit! Oh! he doesn’t fit. Hey, Lone-Man, you try to see if it fits you.” So Lone-Man got in to try it out and theyslammed on the lid with Lone-Man inside. They tied a rope all around it and then they plunged it into [a body of] water. And then they went home. After some time had passed: “Where is Lone-Man?” “We left him behind, he stayed behind working on something with his ax.” And the eight sons went about their business. And the mother went about hers. And when after a lot of time had passed and Lone-Man still had not returned, his mother went off to find him. She walked and walked. And when she got to the pond she sang out, she sang out to her child in the water. And she sung to her child. And then she went to get the owner of the pond. And he took action, the owner of the water plugged his anus with a sticky clump of vines plugged his anus with a sticky clump of vines14. And he slurped up all the water in the pond until it was dry. And they found the coffin and undid the ropes. And she took her child back home, she took him back to the village. And when they got there, they speared [the Eight-Men] until there was nothing left of them. That’s so. It’s not my tale, but a tale from the people of old. Whover cannot tell one in turn is an ugly bald head. Tokondahy B15 Lone Man B Tonga teo amizay ty Zatovo le eo, eo... Nangala-baly amizay re. Ty valy halae’e toy hejehejen-droae’e. Nalae’e avao amizay. Eo, eo, eo. Sita niavy eo amizay i ampela ay, le niterake amizay, niterake lahy. “Ie zao”, ho i rae’e ey, “le i Tokandahy ty añara o ana’o, korahe.” “On”, hoe ty Zatovo. Ie nibey amizay, naria’e amizay i rene i Tokandahy, le nangatake valy amizao re, ty tea i rae’e ey amizay. Le eo i ampela ay le niterake, niterake. Valo lahy amizao ty ana’e. Niheje’o ampela ao amizay arè ty Tokandahy, le namboarae’e afera amizao himateza’e. “Milaolao amboasirasira raho”, hoe reke, “Akia areke.”

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Nandeha ty Ravalolahy hipay ty raketa ho hane’e. “Akia rehe, Tokandahy. “Le mandeha ka reke mañambara an-draza’e añe. “Nao, ene”, hoa re “ty raha añirahañe ahy.” “Ino?”hoe ty raza’e. “Amboasirasira”, hoa re. “Andeso taolan-kena ao”, hoe ty rene’e. “Atoraho amy o amboa ao eo i taolan-kena ay.” Nandeha amizay re, nandeha, nandeha. Nizoe’e amizay i rene’e ey te miroro. Nindese amizay i ana’e ey koainkoaiñe amizao i ana’e ey. Sita niangitrifa’e amizay i ajaja ay natora’e mbeo amizay i taolan-kena ay. Nihane eo, le nandeha re. “Intoañe ie”, hoe re. Le naria’e ka tsy nihane’e. Sita niavy eo ka nandeha amizay amà... Mandeha ka reke naho niavy eo. “kia”, hoe reke, “te-hihinañe, te hiteleñe menarañe raho”, hoe reke. Le nandeha amizay le nirahe i ampela ay amizay re. “Nay, ene”, hoe re, “ty raha añirahañe ahy.” “Ino?”hoe ty raza’e. “Menaraño”, hoe re. “Andeso taho”, hoe ty raza’e amizay. Nindese’e amizay i taho oy boak’añe, le niavy eo. Sita niavy eo amizay amà, le natora’e ama eo amizay le nihane’e amizay. Le andeha ka reke le niavy eo amizay le… “Intoy ie”, hoe re. Le tsy nihinañe ka re. “Nay”, hoe re, “ty raha te ohane’e vata’e. Akia Ravalolahy”, hoe re. Le nandeha ka ty Ravalolahy le nipay raketa ho hane’e. “Akia rehe, Tokandahy angalao] i Sambilo”, hoe re. “Nay, ene”, hoe re, “ty raha añirahañe ahy”. “Ino?”hoe ty raza’e. “Sambilo”, hoe re. “Andeso taho”, hoe re. “Ie taho naho avy añe rehe”, hoe re, “manganiha ambone añe rehe”, hoe re, “le toraho hatae”, hoe re. “Hañentea’e aze heke fa naho mañente azo reke le atoraho omba eo i taho oy.” “En!”hoe re. Le nandeha i ajaja ay. Ie niavy eo amizay i taho oy le natora’e aze amizay le mitongoa an- trafo I añombe ey reke. Mitreña, mitreña rehe Sambilo Mitreña, mitreña rehe Sambilo Ampangalaeñe ahy, zoke… Noly amizay iereo. Mitreña, mitreña rehe Sambilo Mitreña, mitreña rehe Sambilo Ampangalaeñe ahy, zoke, ty atoly menarañe le nalaeko, Ampangalaeñe ahy ty amboasirasira le nalaeko. Mitreña, mitreña rehe Sambilo Mitreña, mitreña rehe Sambilo. “En, en! Nay i biby”, hoe ty Ravalolahy. “Biby vao iereo tsy liñisako eo ty hihavia iareo?” Nandeha amizay iereo, nandeha. Mitreña, mitreña rehe Sambilo Mitreña, mitreña rehe Sambilo ampangalaeñe ahy, zoke, ty atoly menarañe le nalaeko, Ampangalaeñe ahy ty amboa sirasira le nalaeko. Mitreña, mitreña rehe Sambilo Mitreña, mitreña. “Nay i biby, nene.” “Biby vao”, hoe ty Tokandahy, “fa tsy raha mahazo anareo?” Eo sita le niavy eo amizay le nandeha. Mitreña, mitreña rehe Sambilo Mitreña, mitreña rehe Sambilo

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Ampangalaeñe ahy, zoke, menarañe le nalaeko, Ampangalaeñe ahy ty amboa sirasira le nalaeko. Mitreña, mitreña rehe Sambilo Mitreña, mitreña. Ie niavy eo amizao, latsake añate traño ao amizay ty Zatovo, iareo fokoa’e. “ e fara’e ty tsy haneñe”, hoe reke, “i razako zay fa hamonoako añombe rehe.”Le namonoa’e añombe amizay ty Sambilo solon-draza’e amizay le nihane’e. Le nandeha amizay re añ’ala añe. Ie zay, Sarah. Tsy taliliko fa talily ty taloha. Zatovo came along and time went by and by. Then he took a wife. The woman he wanted as a bride was disliked by his father’s kin. But he took her anyway. Time went by. Barely had the new wife arrived then she gave birth, she gave birth to a boy. “Listen”, Zatovo’s father told him, “Lone-Man will be the name of your child.” “OK”, Zatovo answered. When the child was bigger, Zatovo repudiated Lone-Man’s mother and he took a new wife, this time a woman approved by his father’s kin. And the woman lived there and gave birth repeatedly. She gave birth to the Eight-Men. She didn’t like Lone-man and cooked up a plot to kill him. “I have a [pregnancy] craving for the [ferocious] white dog16”, said the woman. “Go and fetch one.” Meanwhile the Eight-Men set off to find prickly pear, food that she would really eat. “Get going, Lone-Man.” So he went to tell his grandmother [father’s mother]. “Oh, mother”, he said, “there’s something I need help with.” “What’s that?”the grandmother asked. “The [ferocious] White Dog.” “Take meat bones with you”,” said the [grand]mother. “Throw the bones to the dog”, she said. And so he went, he walked and he walked. He came upon the mother [dog] sleeping. He took the pup and it began to whine. Just at the moment when the mother dog was about to jump on the boy, he threw the meat bones. The dog ate them and he got away. “Here it is”, [he said to his stepmother]. But she threw it away and didn’t eat it. And she quickly sent him on another errand. “Go”, she said, “I want to eat, I want to swallow a menara snake”, she said. And he went then to do the errand the woman had given him. “Oh, [grand]mother”, he said. “There’s something I need help with.” “What’s that?” the grandmother asked. “A menara snake”, he said. “Take branches”, she said17. So he took branches with him from the village and he arrived there. And just as soon as he got there, well, he threw the branches and it ate them up. And so he went back and returned to the village and… “Here it [the snake] is”, he said. But she didn’t eat it. “Listen”, she said. “Here is what I really, truly want to eat. Go Eight-Men”. And they went to look for prickly pear for her to eat. “You, Lone-Man, go and get me Sambilo [the wild bull]”, she said. “Oh, mothe”, he said [to his grandmother]. “There’s something I need help with.” “What’s that?” the grandmother asked. “Sambilo”, he said. “Take branches”, she said. “And when you get there, climb on top and throw a stick to get him to look at you for a minute and when he looks at you, throw the branches towards him.”

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“OK” he said. And so the boy went. And when he got there he threw the branches and jumped on the hump of the bull and rode him. Oh, bellow and bellow, Sambilo Oh, bellow and bellow, Sambilo Oh, brother, I was sent to fetch… And they went back to the village. Oh, bellow and bellow, Sambilo Oh, bellow and bellow, Sambilo Oh, brother, I was sent to fetch the egg of the menara snake and I got it Oh, brother, I was sent to fetch the White Dog and I got it Oh, bellow and bellow, Sambilo Oh, bellow and bellow, Sambilo “Listen! There’s a monster coming!” said the Lords-the-Eight-Men. “Is it a monster, or me who’s waiting there for you to arrive?” And they walked on and on. Oh, bellow and bellow, Sambilo Oh, bellow and bellow, Sambilo Oh, brother, I was sent to fetch the egg of the menara snake and I got it Oh, brother, I was sent to fetch the White Dog and I got it Oh, bellow and bellow, Sambilo Oh, bellow and bellow, Sambilo “Listen, there’s a monster out there, Mommy!”[said the Lords, the Eight Men]. “Is it a monster, or is it something coming to get you?” said Lone-Man. And just as soon they continued on. Oh, bellow and bellow, Sambilo Oh, bellow and bellow, Sambilo Oh, brother, I was sent to fetch the egg of the menara snake and I got it Oh, brother, I was sent to fetch the White Dog and I got it Oh, bellow and bellow, Sambilo Oh, bellow and bellow, Sambilo And as soon as they got there, he dropped into the middle of the house, into the middle of the family. “The only one you should spare”, he said, “is my grandmother and I will kill a cow [for you to eat in her stead].” And so a cow was to eat in her stead]. “And so a cow was slaughtered for Sambilo as a substitute for the grandmother and the beast ate it. Then he went back to the woods.” That’s so, Sarah. It’s not my tale, but a tale from the people of old.

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VELONANDRO, MANDIHITSY, C., et coll., 1995, Tsimamanga, et autres contes malgaches en dialecte masikoro, textes recueillis et transcrits par F. Q. Andrianirinarivo, C. Mandihitsy, A. Odon, C. et M.- C. Paes et Velonandro, trad. et prés. Velonandro, Antananarivo, Foi et Justice.

NOTES

1. Noël Gueunier’s forthcoming dictionary on the southwest dialects of Madagascar defines Lesambilo as “Furious, the name of a ferocious bull in tales”and indicates that the sense of the name Sambilo derives from the root term which has the meaning of “being carried away, to make off with suddenly”. 2. In the North of the island, Lesamiblo is the name of a one-horned bull (Gueunier forthcoming), while in the highlands, it is a horse-like creature named Songomby that is used to frighten children. Among the Tanala of the Southeast, meanwhile, as well as the Betsileo, sambilo is the term for a bamboo knife used for cutting the umbilical cord of boys (Dubois 1917 ; Gaudebout & Molet 1967). 3. Its multiple setbacks and triumphs would qualify it as a “Type 7, Complex plot”, in Haring’s classification. Another tale including Lahisambilo, Le jeune homme qui tua le serpent à sept têtes, recorded from the Sakalava by Birkeli (1922-23 :220-224), represents yet another type, similar in some respects to the foregoing Tsimamangafalahy. In the Birkeli version, it is a seven-headed serpent who has killed the hero’s father before his birth and with whom he eventually does

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battle; Lahisambilo makes only a cameo appearance, blamed for causing the old woman helper to break her water jar. 4. Jeanne de Longchamps also included a version of Isilakolona from northern Madagascar in her 1955 collection of folktales. I follow the Index in considering it to be a copy of the Anganon’ny Ntaolo version. Not a single motif or detail is altered in Longchamps’ Antankarana version. 5. For a psychoanalytical analysis of competing brothers in Malagasy tales, see Beaujard 1991. 6. For example, during my fieldwork in a Tandroy village from 1992-1994, during conditions of famine, no man had more than one wife, yet 80% of all adults aged fifty or higher had, at some point in their past, been in such a union. In 1999, when economic conditions improved, three of the ten village men had two wives. Having more than two wives concurrently is extremely rare. 7. Often, it is the parents — either the father or mother — who bring pressure to bear on a son to give up a barren wife or to take a second wife. 8. A goat is speared and — with the senior wife holding the head and the junior wife touching the tail — the co-wives promise not to practice witchcraft on each other, or on the husband in the form of love charms. God is made witness to the act and invited to kill them if they do. 9. Another tale in Benolo’s 1992 collection, Soavita, features the motif of seven sons pitted against a half-brother. However, the plot is substantially different, with the brothers wrestling a ghost (lolo). The seven exhibit only cowardice, not treachery. 10. See Gueunier (2001) on the use of obscene motifs in Malagasy tales. 11. Told by a girl aged about 13, village of Añalamahery, commune Andalatanosy. 12. The narrator makes a mistake here, getting ahead of herself in the telling. 13. The Tandroy often acquire coffins before death, especially if the person is very ill or old. 14. This same substance is used to plug holes in calabash water containers: the vine is beaten with a stick to produce a sticky mass which is pressed into the hole. 15. Told by a girl aged about 13, village of Befatike, commune Sihanamaro. 16. Benolo (1989: 90) defines the amboantsirasira as a “dog with white fur. Perhaps because its fur is thought to resemble salty land that it is called so.”Several areas in Androy have wide salt flats or lakes. Thus my translation as “White Dog.” 17. Here, the narrator, a young girl, seems to have botched the motif of the snake on two counts. First, she has Tokandahy feed tree branches to the snake, thus accidentally introducing too early this type of feed which belongs with the next incident, the capture of Sambilo : cattle in arid southern Madagascar are habitually given cut tree branches in order to consume the leaves. It is milk, rather than tree branches, that should be offered to snakes (Noël Gueunier, personal communication). Later, in the sung refrain, the narrator states that it was the egg of the snake that Tokandahy had been sent to fetch, not the snake itself. This seems to be the more likely target as it parallels stealing the young of the White Dog. I thank Noël Gueunier for pointing out these discrepancies.

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Vako-drazana, revue littéraire betsileo

Clarisse Rasoamampionona

1 Depuis plus d’un siècle et demi, le malgache entre dans la grande famille des langues écrites. Dès 1823 en effet, les caractères latins sont agréés pour la transcription du malgache. L’essentiel des textes est en langue régionale merina (région d’Antananarivo), homologuée comme langue officielle. Les Malgaches ont, d’ailleurs considéré celle-ci, qui doit beaucoup au malgache biblique, comme la langue par excellence, les expressions orales des autres régions étant qualifiées de dialectes. Toutefois, un sursaut de sentiment national s’est manifesté vers les années 80, avec la volonté d’intégrer le dialectal dans la construction du malgache commun, en utilisant des vocables des tenim-paritra (langues régionales).

2 La plupart des chercheurs minimisaient l’apport des autres régions hors de l’Imerina du point de vue culture, car il fut un temps où les préoccupations portaient essentiellement sur des thèmes concernant les Malgaches en général. En vérité, les chercheurs amalgamaient dans leur raisonnement les Merina et les Malgaches. Plus tard, des efforts furent fournis par certains pour prouver que les régions constituent des sources culturelles spécifiques, originales, bien que souvent non écrites. Des natifs betsileo1 ont cherché à promouvoir l’expression orale betsileo en la couchant par écrit. Ainsi, le pasteur Rainihifina a été parmi les plus éminents à faire cette tentative dans les trois tomes de son principal ouvrage Lovantsaina (Héritage de l’esprit), réparti comme suit : 1 - Tantara betsileo (Histoire betsileo) ; 2 - Fomba betsileo (Coutumes betsileo) ; 3 - Literatiora betsileo (Littérature betsileo).

3 Avant lui, le révérend père Dubois, dans sa Monographie du Betsileo (1938), a transcrit, lui aussi, des textes culturellement importants. La tentative va être reprise par Ratongavao et Rabenala qui, de janvier 1967 à février 1976, écrivirent et éditèrent une revue intitulée Vako-drazana. Cette revue permettra de dissiper l’ombre qui, naguère, couvrait le patrimoine betsileo et montrera les voies à suivre quant aux études ultérieures sur la langue et la culture de ce groupe. En effet, c’est une revue qui veut faire vivre et revivre

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la culture betsileo à travers des écrits comme les contes, histoires, kabary (discours ou joutes oratoires), poèmes et ohabolana (proverbes).

La revue Vako-drazana et ses auteurs

4 La revue est une coproduction de Jean-Marie Ratongavao et de Toussaint Rabenala.

5 Ratongavao (1908-1983) est né à Marovovotany (, Fianarantsoa) et enterré dans la même localité, son village natal. Ayant poursuivi toutes ses études dans les écoles catholiques, il enseigna durant sa vie active au sein de ces établissements confessionnels. Il exerça à Anjanamalaza (-), à Berangotra, à Andrainarivo (), à et à Talata Ampano. À sa retraite, il ouvrit à Marovovotany une école privée à laquelle il donna un nom significatif : Soava dia (Bon voyage).

6 Ratongavao, dès sa jeunesse, fut attiré par la littérature traditionnelle betsileo qu’il affectionnait et dont il pratiquait déjà l’art. Il devint rédacteur en chef du journal Fanilo (Flambeau) du père Job Rajaobelina, en même temps qu’il travaillait à Andranovorivato et à Talata Ampano. En 1967, il créa le journal Vako-drazana dont il fut le copropriétaire avec Rabenala.

7 Le coauteur du journal-revue Vako-drazana, Rabenala, quant à lui, originaire d’Andranovorivato, vit le jour le 5 décembre 1937 à Ambalavao. Il fit ses études dans les écoles catholiques d’Andranovorivato de Fianarantsoa et d’Antananarivo. Il enseigna dans des établissements catholiques de 1959 à 1964. Ensuite, jusqu’en 1968, il devait s’occuper du journal Vako-drazana, dont il fut le rédacteur en chef. Il entra dans l’enseignement public, à la Direction provinciale de l’enseignement à Fianarantsoa.

8 Rabenala est intéressé par l’histoire, et c’est cet amour de jeunesse, d’une part, et l’influence de la forte personnalité de Ratongavao, qui est à la fois son ami et son beau- père, d’autre part qui lui firent prendre la décision de consacrer une partie de sa jeunesse à l’élaboration du journal.

9 Leur parfaite collaboration est sensible dans toute l’œuvre qu’ils ont entreprise ensemble. Rabenala stipule d’ailleurs que leur technique d’approche, pour toutes les catégories d’articles à publier, part du principe que toute information doit provenir d’une source sûre. C’est, effectivement, une des raisons qui poussèrent les coauteurs à entreprendre des enquêtes et des recherches sur le terrain même. Leurs terrains de recherches privilégiés se situent dans la zone de et de Tsieniparihy, leur région d’origine, laquelle a fait l’objet d’une publication par les deux auteurs (Vako- drazana, 1969, p. 26).

Présentation de la revue2

10 Vako-drazana paraît pour la première fois en janvier 1967. La date du 13 janvier 1967, marquée sur la première page du premier numéro, est doublée de celle de sa sortie officielle du 6 février 1967, date de dépôt légal de celui-ci. La dernière parution est enregistrée sous dépôt légal en date du 9 février 1976. Elle accuse donc neuf années d’existence mouvementée.

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11 Durant cette période, 82 numéros ont été publiés, soit une revue en moyenne par mois. Mais ce rythme n’est pas très rigoureux pour diverses raisons que nous évoquerons plus loin. Citons par exemple la sortie du no 23, paru un mois et demi après le no 22 (no 22 sous dépôt légal en date du 30 septembre 1968, et le no 23 sous dépôt légal en date du 14 novembre 1968) ou encore les no 37 et 38 respectivement sous dépôt légal le 25 mars 1970 et le 24 juin 1970, soit deux mois d’écart dans la publication.

12 On remarque aussi la régression des fréquences, durant la cinquième année de parution. En 1971, 7 numéros ont pu être publiés d’une façon très apériodique : 11 janvier, 26 février, 26 mars, 17 juin, 5 juillet, 3 septembre, 22 octobre et 29 février 1972.

13 Du no 1 au no 14, la revue tirait à 500 exemplaires par numéro, mais ce tirage allait augmenter à 600 exemplaires par numéro jusqu’à la neuvième année.

14 Toutes les revues sont sur papier duplicateur 21 x 27 cm, tirées en machine-ronéo, en recto-verso, et constituées de 20 pages de textes dactylographiés, à l’exception des no 66 au no 82, qui ne contiennent que 10 pages.

15 La revue, mensuelle, coûtait 100 FMG, sauf le no 66 qui était à 50 FMG, et fut déclarée bihebdomadaire, fréquence qui n’a pas pu être respectée par la suite.

16 Cependant, malgré la mauvaise impression des tirages, on ne peut que louer les efforts des auteurs qui adjoignirent quelques croquis aux textes afin de donner plus de prestance à la revue (no 39, 41, 68, 72,78, 81).

17 L’édition du journal a présenté des difficultés qu’il convient de noter, vu les résultats considérables acquis sur le plan journalistique, mais surtout sur le plan littéraire.

18 D’abord, l’atmosphère politique de l’époque était très tendue, et Vakodrazana était considéré comme une revue antigouvernementale, à cause de ses critiques à l’encontre des dirigeants au pouvoir. En outre, Ratongavao était membre du groupement politique d’opposition Tsimialonjafy. Cette situation se répercutait à la censure sur la présentation des revues à publier. Le service refusait la publication de certains articles jugés trop virulents. Depuis 1968, Rabenala, qui a intégré l’enseignement public, dut freiner les attaques politiques de peur de représailles. Plusieurs articles étaient d’ailleurs écrits sous des pseudonymes, tels que Tsimidretsa, Mamadikota... pour Ratongavao, et Beleheela, Sambany... pour Rabenala.

19 Après les mouvements qui secouèrent la vie nationale en 1972, les ennuis politiques prirent fin, mais d’autres problèmes surgirent, notamment celui du matériel d’édition introuvable ou hors de prix. Ceci aboutit à la réduction des tirages d’abord, puis à la complète disparition du journal en 1976.

20 En dehors des coauteurs et coproducteurs du journal, il n’est pas permis de passer sous silence les autres personnes qui, par leurs articles, ont contribué au devenir de cette revue betsileo et ont participé à renforcer la réelle présence de la revue comme œuvre de diffusion.

Essai d’analyse des genres littéraires

21 Cette partie aura pour objet d’analyser les articles et textes littéraires qui foisonnent dans la revue. Les autres centres d’intérêt, qui sont tout aussi importants, comme l’histoire, seront pour le moment laissés de côté.

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Les collections

22 Le dépouillement de la revue met en relief, numéro par numéro, les articles et thèmes traités dans chaque revue. Cet « effeuillement » facilite le travail d’analyse, mais aussi permet de compulser facilement les pages. 82 numéros ont été inventoriés et répartis en catégories d’articles et genres ainsi que le langage utilisé. Les articles traités peuvent être répartis à leur tour selon plusieurs centres d’intérêt : • rubrique journalistique : un magma d’articles variés qui mélangent la publicité, les faits divers, les commentaires sur les affaires politiques, les recettes de cuisine, en passant par les études de textes bibliques et les conseils prodigués par le ray aman-dreny (père et mère) Ratongavao ; • rubrique historique : articles se rapportant à l’histoire du pays ou du peuple betsileo, études des noms de localités betsileo, histoire des rois et reines merina, tels Andrianampoinimerina, Radama ou Ranavalona ; • et rubrique littéraire : articles et textes relatifs à la littérature sont des poèmes et proses, et présentent des aspects littéraires typiquement betsileo (isa, kianakisa, kabary...). C’est cette dernière catégorie qui nous intéresse particulièrement. Son analyse nous permet de mieux cerner la littérature betsileo.

23 La répartition en catégories nous précise la langue utilisée dans les divers articles proposés au lecteur (parler merina dit officiel ou dialecte betsileo), dans la proportion de 337 articles en malgache officiel contre 162 en langue betsileo. Mais ces nombres avancés ne rendent pas compte de la proposition d’utilisation du parler utilisé, vu la brièveté de certains articles écrits en langue officielle, alors que les textes écrits en dialecte betsileo sont pour la plupart assez longs (3, 4 voire 5 pages pour certains).

24 Il apparaît que l’option des auteurs voulant utiliser la revue Vakodrazana comme source de documentation littéraire est respectée.

Nomenclature

25 Pour mieux comprendre l’analyse des genres littéraires contenus dans Vako-drazana, une classification s’avère nécessaire.

26 Ranaivozanany, dans la revue Ny elan’ny Nosy (Les temps reculés de l’Île, 1958), faisait une énumération des genres connus, ainsi que Rainihifina dans Lovantsaina (tome III), et Dubois, qui a défini plusieurs genres littéraires dans son ouvrage Monographie du Betsileo. Mais aucune de ces énumérations ne détermine clairement la classe d’appartenance de chaque genre, étant donné que les auteurs se contentent soit de faire une analogie avec les genres littéraires malgaches ou universels (Ranaivozanany), soit d’établir une énumération qui n’est pas un classement à proprement parler (Dubois).

27 La classification faite par Andrianarahinjaka (1986), la plus récente, nous paraît plus rationnelle et plus claire, car elle part du principe que les genres spécifiques au Betsileo doivent être classés en tant que genres spécifiques du Betsileo, que le peuple betsileo lui-même peut reconnaître et identifier objectivement, et non pas à classer à partir du

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malgache officiel ou de la littérature malgache en général. Cette identification reconnaît les principes mêmes qui permettent le classement : • les modalités vocales qui se divisent en deux catégories : chantés (exemple : isa), non chantés (rythmés, déclamés, non déclamés) ; • les données du contexte qui, suivant les convenances et usages, permettent aux usagers et auditeurs de reconnaître les genres qu’ils écoutent et auxquels ils s’attendent : rituel (utilisé dans un contexte précis), non rituel (sans contexte bien défini) ; • le comportement fonctionnel de chaque genre : genres auxiliaires, c’est-à-dire qui ne peuvent s’employer isolément, mais doivent être intégrés dans une composition donnée ; genres majeurs, dont les « productions »se suffisent à elles-mêmes, mais qui, selon le cas, peuvent aussi intégrer des éléments de genres intermédiaires et genres auxiliaires ; genres intermédiaires, qui peuvent constituer en eux-mêmes des oeuvres autonomes, ou intégrer des oeuvres de productions auxiliaires, ou s’intégrer eux-mêmes dans des genres de productions majeures.

28 Nous reproduisons ici le tableau sur la classification des genres (voir page suivante).

29 Ce tableau nous montre les trois genres cités plus haut, avec les productions passibles d’être rencontrées pour chaque genre. Il englobe tous les genres chantés dans le terme très général isa.

30 Andrianarahinjaka explicite le mot isa en le mettant en équivalence avec le mot hira (chant) du malgache classique. Les tonon’isa sont donc des « paroles de chant ». Mais le mot isa n’est pas seulement « chant », mais aussi « jeu », car il n’est pas impossible que le chant isa soit considéré comme jeu isa, donc jeux chantés.

31 La classification des genres isa n’est pas aussi stricte qu’on pourrait le croire, car, d’une part, les divers genres s’interpénètrent, et d’autre part, l’influence de la vie moderne entraîne un relâchement progressif des principes d’exécution des divers genres.

Classification des genres

32 Néanmoins, la classification donnée par Andrianarahinjaka (1986 : 222), pour incomplète et provisoire qu’elle soit, reste un point d’attache pour l’étude des isa.

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Essai d’analyse

33 Le tableau de genre reproduit plus haut amène tout de suite à délimiter deux genres bien distincts : les genres isa, chantés et les genres non isa, non chantés.

Les isa, genres chantés

34 Le dépouillement de la revue Vako-drazana a permis de répertorier les genres contenus dans la grande famille des isa. Les auteurs ont appelé chaque texte rencontré par son nom de genre, ce qui a facilité leur classification et leur analyse.

Kianakisa

35 Les kianakisa constituent une sous-catégorie des isa. Ils sont exécutés par des enfants.Trois genres sont relevés par Andrianarahinjaka : • le fitataovola, qui se présente sous forme de dialogue ; • le kitaridaolao, qui correspond aux rondes enfantines, mais chanté par les jeunes filles ; • et le kitolé, genre rythmé avec modulations de la voix ; les paroles proviennent d’une improvisation. Il s’exécute entre deux « adversaires ».

36 Vako-drazana nous fournit trois textes de kianakisa : Endre ô ! (n ° 3, p. 16), Ho aia ! (no°13, p. 4) et Ikalamainty (no 23, p. 7).

37 Apparemment, les deux premiers exemples appartiennent au genre fitataovola puisque des enfants s’adressent à leur père ou à leur mère (respect de la forme dialogique) avec des mots simples. Exemple : — Endre ô ! (Ô mère ?) — Ina ra ? (Qu’y a t-il donc ?) ou : Anareo aba ho aia ? (Père, où allez-vous donc ?)

38 Les textes évoqués sont rythmés, sans aucune rime, et pourtant, on sent l’inexorabilité de la modulation. Prenons le premier chant : — Endre ô ! Endre (Ô mère !) — Ina e ra (Qu’y a t-il ?) — Teraka i Fara (Fara a accouché) — Ia ro nilaza (Qui l’a dit ?)

39 Le troisième texte, reporté en annexe, intitulé Ikalamainty, pourrait être un kitaridaolao, car le thème se rapporte plutôt à des jeunes filles : Hono Rakalamainty Aho ve andevon-drika Ro ampanototoan-drika vare Ampatsakain-drika ran Dis donc, Rakalamainty Suis-je donc ton esclave Pour piler ton riz Et aller puiser ton eau

40 Tous les textes ont des sens imprévisibles dès le premier abord. Très vite, pourtant, le sens caché des jeux de mots se perçoit, car chaque kianakisa, comme tout isa, est un jeu de mots ou d’expressions.

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41 Les kianakisa ont une vocation éducative et pédagogique bien précise, mais le but escompté dépend de chaque sujet traité. Dans Ho aia ?, à la 7e ligne, une remarque anodine nous frappe : « Ratsara aba ko vahiny »(Ratsara est un étranger, père). Associé aux deux vers précédents : Itondray ana-boatavo Hatoraka an’i Lihimena Rapporte-moi de petits cailloux Que je jetterai sur Lihimena

42 L’ensemble sous-entend : « Lançons des pierres à Lihimena qui appartient à Ratsara, l’étranger ».

43 Ces textes nous montrent aussi qu’un vers ou plusieurs vers qui, apparemment, n’ont aucun lien avec les phrases précédentes peuvent être les « nœuds »des jeux de mots cités plus haut. À cet effet, toujours dans Ho aia ?, les vers 9-13 : Jefotsy rangomena Naterina an’Ilañanindro Natao tokom-boamena Voamena lañy haliña Ny sikajy lañy sahiandro Rabane à bordure rouge Remis à Ilananindro Pour être remplacé par des sous Les voamena sont épuisés hier soir Les sikajy le furent ce matin3

44 peuvent vouloir dire que les richesses (voamena, sikajy) sont perdues, probablement à cause de l’étranger. La finalité serait de mettre en évidence la présence de l’étranger qui accapare toutes les richesses.

45 Notons que ces textes sont cités par Dubois (1938 : 1415-1416), Andrianarahinjaka (1986 : 357) et par Rainihifina (1961 : 234, 239).

Ombeolahy

46 Un seul texte d’ombeolahy est présenté par Vako-drazana. Andrianarahinjaka parle de l’ombeolahy comme d’un genre spécialisé à vocation structuro-littéraire. C’est un fampiononana comme le dit Rainihifina ou isa de condoléances. Il cite, d’ailleurs, le texte reproduit dans la revue comme texte de référence, « exécuté dans le dessein de consoler ceux qui sont frappés par le malheur ».

47 L’ombeolahy, présenté en vers, sans rimes, peut-être exécuté en genre intermédiaire ou auxiliaire, car il sert de sasy (entrée en matière) à une manifestation littéraire. Mais il est facultatif dans les isa réservés aux veillées mortuaires (isam-piandravana).

48 Vako-drazana nous présente l’univers des chanteurs, en donnant des précisions sur leur attitude lors de l’exécution de l’ombeolahy4. En outre, des précisions sont apportées sur les catégories sociales au sein desquelles se pratique l’ombeolahy : lors des veillées pour l’anankandriana ou l’andevohova5. Ce qui expliquerait, en partie, la rareté des textes rencontrés aujourd’hui. En fait, l’ombeolahy est un isa en voie de disparition, sinon en voie d’intégration dans d’autres genres.

49 Le texte Kisamosamon’ny adalo, le seul ombeolahy cité par la revue, est reproduit par Andrianarahinjaka (1986 : 376-377). La classification faite par ce dernier distingue, à

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part les « isa spécialisés à vocation littéraire » (ombeolahy), les « isa spécialisés à vocation rituelle »et les « isa non spécialisés à vocation rituelle », appelés isabe.

50 Plusieurs tonon’isa (paroles de chants) publiés par Vako-drazana méritent d’être classés : Tonon’isa momba an-dRaone, Rakalamavo tany Ambodivariona et Ikalamavo (Tsiafakiniosa) peuvent être qualifiés de isa funèbres, donc à vocation rituelle ; Ry olo iroy miagn’aia ? et Andrazo andrazo6 sont des isabe, donc, classés dans les genres non spécialisés.

51 Les isa spécialisés à vocation rituelle se répartissent en plusieurs catégories : balahazo, ndinaka, diamboko, manda rary. Le classement de certains textes de la revue qui fait apparaître les isa funèbres nous conduit à nous intéresser aux genres diamboko et manda.

Diamboko

52 Le diamboko, véritable isa funèbre, chante la mort, en faisant état d’une complaisance assez particulière, car le chanteur se plaît à évoquer les dégâts causés par la mort et exprime, le cas échéant, son regret en ce qu’elle soit si peu prodige en cruauté. Ce genre est bâti suivant deux principes : • un motif événementiel initial (exemple : éboulement de tranchées comme dans Ikalamavo (Tsiafakiniosa), ou mort subite comme dans Raone...) ; • des thèses secondaires associées à l’identité des victimes, leur nombre, la présentation de leur mort…

53 Le Tonon’isa momba an-dRaone, reporté aussi dans Andrianarahinjaka et dans Rainihifina (cités par Ranaivozanany 1958 : 246), est un récit de la mort du prince Raone lors d’une expédition guerrière. Rakalamavo tany Ambodivariona raconte la mort subite d’une jeune fille, ensevelie dans une tranchée. En fait, ce texte est un extrait d’un isa funèbre intitulé Tsiafakiniosa, à quelques variantes près (Rainihifina 1961 : 224-225). Ces deux textes sont construits sur des événements qui entraînent la mort dont la description constitue la majeure partie de chaque tonon’isa.

54 L’exemple de Raone paraît un vrai diamboko. Pour ce qui est du motif de la mort, Raone est désigné à guerroyer en forêt. Il va en mourir. La mort, lors d’une expédition guerrière, est une éventualité à laquelle aucun soldat ne peut se soustraire. Le diamboko, ici, l’évoque comme un événement important, vu la nature de Raone, prince, célibataire, jeune, dont le retour est attendu vainement par sa mère : Tsa manam-bady ko mirandrana Mpitovo ko mamaha volo Lehe tsy rene ko tsy handrandrana Tsinomany ny Andriambave Un célibataire qui se tresse les cheveux Un homme sans épouse qui se dénoue les cheveux Sa mère seule peut lui tresser les cheveux La princesse pleura

55 Ce phénomène de la mort, en temps de guerre, pour un soldat, devient symbolique de par la culture traditionnelle malgache qui se plie au destin. En effet, le fait de faire apparaître Ramanaoromalaka (« Celui-qui-crée-etqui-prend ») ainsi que Ramalakirahina (« Celui-qu’on-dépêche-rapidement »), dans le texte, a pour objectif de montrer que Raone a rencontré son destin dans la forêt. C’est le lahatsa (destin) qui a guidé ses pas vers la mort.

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56 La dernière partie de ce isa de Raone met en exergue le choix exprimé par ce dernier quant à son enterrement à , dans la région d’Isandra : Lehe mate endre aho Fairo mivalana any Isandra Si jamais je meurs, mère, emmène-moi Vers l’aval d’Isandra

57 Ce passage, rencontré dans plusieurs isa, semblerait être l’œuvre d’une certaine Ramainty, une mpisa (faiseur de isa) célèbre d’Andoharanomaintso (Andrianarahinjaka 1986 : 251). Plus tard, il est repris par tous les mpisa pour exprimer la volonté d’être enterré en terre natale (l’expression du retour à la source). Toutefois, cette reprise, dénote soit la volonté de s’attacher à une formule quasiment classique dans le cadre de la littérature betsileo, soit la carence de conception nouvelle.

58 Dans l’interprétation des genres faite par Andrianarahinjaka, ce passage appartiendrait au genre dit manda. Cependant, il est difficile de se prononcer puisque aucun principe de délimitation n’a été établi par les auteurs qui en ont parlé (Ranaivoazanany, Andrianarahinjaka). Néanmoins, c’est le morceau formellement reconnu comme genre intermédiaire ou auxiliaire dépendant d’un isa funèbre que l’on désigne par manda.

59 Il est à noter que Rakalamavo, de la catégorie du diamboko, isa funèbre cité ci-dessus, ne comporte pas de vers relatant le choix du lieu d’enterrement. Ce qui implique qu’un diamboko n’exige pas nécessairement la présence du genre auxiliaire manda (ibid.).

60 La classification des isa distingue les isabe, des isa non spécialisés, avons-nous dit, dont les divers composants sont les kalamainty, les rija, les tse, les tsimaliva… Mais notons que la revue Vako-drazana a offert au lecteur un texte intitulé tout simplement Kalamainty.

Kalamainty

61 Vako-drazana publie le texte isam-behivavy, le seul modèle du genre auquel on peut avoir accès. Andrianarahinjaka ibid.), pour sa part, l’a reporté comme exemple unique de kalamainty, et Ranaivozanany (1958 : 35) l’a déjà intégré dans son ouvrage auparavant.

62 Ranaivozanany, comme Andrianarahinjaka, n’en donne aucune description particulière. La seule remarque avancée est que ce kalamainty fut identifié comme un rija. Par contre, Rabenala, le coauteur de Vakodrazana, le considère comme un genre utilisé pour débuter un isa. D’après lui, on se sert d’un kalamainty pour « éveiller »l’attention de l’auditoire. Toutefois, le kalamainty n’est pas chanté, mais déclamé.

63 Le kalamainty, isam-behivavy, parle des relations entre une jeune fille, qui s’appelle Kalamainty (« Celle-qui-a-la-peau-noire »), et un garçon fainéant7. Il serait intéressant de savoir si le choix du nom propre Kalamainty provient du genre exécuté ou du contenu du texte. L’étude d’approche de ce texte serait alors à faire comme s’il s’agissait d’un rija.

64 Dans ce cas, il devient genre chanté.

Rija

65 Le rija, genre isa, non spécialisé, donc sans caractère rituel (Andrianarahinjaka 1986 : 265), est chanté, de préférence par des jeunes gens, en groupe ou seul, et dont le thème tourne autour de l’amour et des joutes amoureuses.

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66 Vako-drazana a donné deux textes de Rija qui nous montrent les particularités de ce genre : Andrazo, andrazo (Attends, attends) et Kitrakitraka tsy ady Heurt sans être bataille). Rien que par ces titres, la souplesse du genre rija, lequel s’adapte à toutes les circonstances de jeux et peut traiter de thèmes divers suivant l’inspiration du compositeur ou du chanteur, se perçoit. Ceci peut amener à penser que le rija doit sa survie et sa force de présence actuelle à son pouvoir d’adaptation aux manifestations socio-littéraires de toutes sortes.

Les genres non isa, non chantés

67 Le dépouillement du Vako-drazana a révélé plusieurs genres non isa : kipotsaka, kalita, kalambalala, fandiambolaña.

Kipotsaka

68 Le kipotsaka, comme le kalita ou le kapolita sont des genres « peu sérieux »et relèvent de ce qu’Andrianarahinjaka appelle « littérature de la parole ».

69 L’identification de ce qu’est un vrai kipotsaka pose un problème terminologique. En effet, la classification d’Andrianarahinjaka propose une nette différence des genres kipotsaka et kalita en spécifiant le kipotsaka selon sa structure formée de deux propositions (principale et subordonnée) présentées en verset non rimé. Le kalita, quant à lui, est également spécifié dans un verset, mais sa particularité réside dans la sonorité rimée à césures médianes et finales. De ce fait, les passages rapportés par Vako- drazana comme kipotsaka seraient des kalita pour la plupart. En voici un exemple : « Vary madio ako ro mahadongadonga, ko intelo homana anie ny kilonga Le riz propre rend dodu, les enfants mangent trois fois par jour).

70 La définition du kipotsaka donnée par Rainihifina (1961 : 195) est plus acceptable quand il dit que les kipotsaka ou kilalaon-teny (jeux de mots) sont « des expressions à homophonie sans idée de base . Mais cette définition pourrait être également la définition d’un kalita.

71 Néanmoins, l’analyse du kipotsaka se concevrait dans la formulation des idées contenues dans ce genre. Cet exemple tiré de Vako-drazana se rapproche de sa définition : « Tsilevo aho ko katrakatrak’orana. Hilatsaka an’atetin’i Manody, handem-bolo ny ombimanga, hanoza maso ny aomby haolo (Que n’étais-je des gouttes de pluie. Pour tomber sur les collines de Manody, pour mouiller la peau des bœufs sauvages, et faire changer de couleur les yeux des bœufs isolés). Mais le doute persiste. Sommes-nous vraiment en face d’un kipotsaka ? Il semblerait qu’il se rapproche plutôt du genre parlé kalambalala.

72 Cet autre exemple de kipotsaka, selon la revue, pourrait mieux répondre à notre souci d’identification : « Raozimaria tsa mba ratsy fa anarana nataon’ny vazaha, ka ny aombe mahia tsa mba mate, lehe mba tohofana vodi-kajaha (Rosemarie n’est pas un mauvais nom, car c’est français, les boeufs maigres ne mourraient pas si on leur donnait des pousses de manioc). La phrase constitue une « unité vocale »qui frappe l’oreille, sans suite logique aucune dans la compréhension de la phrase. En se basant sur la définiton de Rainihifina, elle pourrait être un . Les idées insolites ou nettement facétieuses qu’elle véhicule sont à noter.

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Kalita

73 Le genre kalita, classé par Andrianarahinjaka comme genre auxiliaire tout comme le kipotsaka, se caractérise par sa structure formelle. Il est présenté sous forme versifiée à deux séquences associées rimées. Voici, pour illustrer, un des kalita les plus célèbres et qui est intégré dans plusieurs rija connus : Lalan’ny Ihosy ro mamolakolaka Apela te-ho roso ro mamolapolaka La route d’Ihosy est sinueuse L’épouse qui veut partir fait la difficile

74 Cet exemple qui représente la forme nomenclaturelle du kalita a deux vers rimés dont l’unité de consonance se joue sur les césures médiane et finale comme suit : Ihosy…. …. Manolakolaka Roso …. …. Mamolapolaka

75 La remarque générale que l’on puisse faire est que les kalita traités de « calembours »par Andrianarahinjaka (1986 : 234) se rapportent presque tous à des thèmes d’amour : relations amoureuses, réflexions sur des amours contrariées... Rabenala précise que seuls les jeunes gens exécutent des kalita et que c’est une honte pour les gens âges d’en faire.

Ohabolaña

76 Vako-drazana donne une liste assez respectable d’ohabolaña proverbes). Outre les ohabolaña isolés, la revue offre aussi des recueils thématiques comme : Ohabolaña momba ny valala (Proverbes sur les sauterelles), Ohabolaña momba ny aombe (Proverbes sur les bœufs), Ohabolaña nalaina avy amin’ny vato (Proverbes tirés des roches).

77 Si l’on répertorie les articles spécifiques à chaque genre relevé dans Vako-, le genre ohabolaña est le plus fourni. Ce qui nous conduit à dire que, d’une part, les auteurs de la revue connaissent bien ce genre et, d’autre part, qu’il constitue le genre oral betsileo le mieux connu et le plus utilisé. En fait, les ohabolaña appartiennent au domaine de l’expression orale courante.

78 La présentation du ohabolaña en verset simple ou en forme plus élargie démontre et montre qu’il a un sens complet. Les parties constituant le verset ont, en effet, un sens intercomplémentaire, c’est-à-dire que la deuxième partie de la phrase explique la première partie qui sert habituellement de sujet. Exemple : « Aombe namin-kova lamba, mitoetsa leke tsa tamana » (Bœuf que le prince échange contre un morceau de tissu doit rester où il est contre son gré).

79 La différence est facilement ressentie par rapport à un kalita ou un kipotsa, lesquels sont formulés également en verset, mais sans suite dans la conception des idées comme le montre ce kalita publié par la revue : Akondro sambaika ro masaka an-dovia Eko i Mongo mahalaitsa mba ho avy an’ovia? (Le manioc coupé cuit est disposé sur l’assiette, quand donc viendra Imongo qui me fait passer du bon temps ?)

80 Quelquefois aussi, l’Ohabolaña se réduit à une forme d’expression la plus simple : « Manaova fizera mampasiaka aombe (Frappe de manière à rendre furieux un bœuf). Le fait de frapper sous-entend la présence d’une personne qui réalise le geste, comme si on frappait un bœuf. Le rôle principal d’un ohabolaña est ressenti ici : il sert de temps

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d’exemple. D’ailleurs, le terme lui-même permet de préciser son rôle dans l’expression littéraire. C’est un mot composé de ohatsa (exemple) et de volana (parole), facilement utilisé par chacun au quotidien.

81 L’ohabolaña pourtant appartient au domaine classique, car, comme genre auxiliaire, il est intégré dans les diverses productions littéraires et rituelles betsileo. A cet effet, Andrianarahinjaka parle de « formulation inactualisée », dont Vako-drazana donne des exemples dans les kabary (discours ou joutes oratoires) ou isa. Toutefois, les recueils ohabolaña présentés par la revue sont en dehors de tout contexte rituel ou littéraire8.

Fampariahitsa

82 Vako-drazana ne cite que trois exemples de fampariahitsa. D’après Andrianarahinjaka (1986 : 339), ce genre est « une formulation d’idées qui essaient de toucher plus profondément le coeur des gens. En fait, il s’agit de forme « imagée » qui anime un seul sujet donné. Exemple : « Jà mba ampiana koa izay, fa tehaka tsa mirakaraka kidodo lake tsa midoboka »

83 (N’en ajoutez plus, car ce sont des applaudissements, même s’ils ne font pas beaucoup de bruits, des kidodo même s’ils ne grondent pas). Au lieu de dire simplement « arrêtez », on joue sur les mots qui font sentir la subtilité des idées que l’on veut exprimer.

84 En outre, la forme du fampariahitsa, pour assez courte qu’elle soit, — Andrianarahinjaka l’appelle « modèle uni séquentiel à base vers » — permet un développement logique de la pensée. Il peut donc être comparé à un autre genre, le kalita , par exemple, car il est une formulation d’idées, alors que le kalita est une formulation de sons.

85 Sa forme de base en vers prend l’aspect d’une phrase instituée en couple distique, mais limitée quantitativement : « Sokonane hoe izay fitea nitanila fa lehe nahari-tena ko nanala aina » (Heureusement que c’était un amour qui penchait de côté, car s’il avait réussi à se tenir debout, il aurait enlevé la vie).

86 C’est un genre non auxiliaire puisque sur le plan nomenclaturel, le fampariahitsa peut s’énoncer sans contexte bien défini, lors d’une simple conversation, tout en gardant sa valeur initiale.

Kalambalala

87 Le kalambalala dans sa forme structurelle est très proche du fampariahitsa (Andrianarahinjaka 1986 : 339), bien qu’il soit, en général, d’une étendue plus grande que celui-ci. En prenant comme exemple Songom-bary añivo farihy... (Ce qui pousse au milieu de la rizière…), tiré de Vako-drazana9 , l’on voit qu’il est constitué de deux paragraphes de plusieurs lignes chacun, mais sa construction ne varie guère de celle d’un fampariahitsa . Il évoque la souffrance d’un enfant unique. Ainsi, la pensée logique de ce kalambalala insiste sur le côté négatif d’une telle situation, comme le montre cet extrait : Ny miaraka telo misy ho añ’ivo, ny miaraka roa misy ho aloha fa ny miaraka irery tsa mba mana-namana mienga tapitsa añ’andrin-driña, ko miditsa tapitsa añ’andrano; voke tsa mana-kotolorana komahare tsa misy mañotane Être à trois, c’est pour qu’il y ait un au milieu, être à deux, c’est pour que l’un soit devant, mais être seul, c’est ne pas avoir d’amis. Quand il sort, il n’y a que lui, quand il rentre, il l’est aussi. Quand il est rassasié, il n’a personne à qui donner ce qui reste. S’il est au courant de quelque chose, personne ne lui pose de questions.

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88 En se référant aux passages tirés de Vako-drazana, on en arrive à stipuler que la forme de base du kalambalala n’est pas rigoureuse : seule la formulation de plusieurs idées pour en expliciter une seule reste obligatoire.

89 Andrianarahinjaka le classe dans le genre intermédiaire, car il peut être intégré dans une production majeure ou intermédiaire.

Fandiambolaña

90 Le terme fandiambolaña est composé de fandia (rad. dia, « marcher sur ») et de volaña (parole). De là, les auteurs, dont Andrianarahinjaka, s’inspire pour la définition de ce genre, adoptent une attitude conséquente et concluent qu’il s’agit de « réplique » qui sert à « piétiner » quelqu’un. Andrianarahinjaka met le fandiambolana en relation avec volamandiadia, un autre genre de même catégorie, qui a presque le même sens, mais qui est utilisé de façon péjorative.

91 En fait, le fandiambolana, genre non auxiliaire à formulation prosodique, représente une littérature d’idées et non de sonorité.

92 À l’encontre d’un kalita ou d’un kipotsaka qui pourraient présenter la même formulation, le fandiambolana est un genre qui sert à faire sentir aux auditeurs une observation verbale, ce qui pourrait être, en fait, une façon élégante de se disputer.

93 Rabenala considère que ce genre, exécuté lors des circonstances joyeuses ou malheureuses, est fait pour susciter du plaisir à l’auditoire, qui, d’une façon ou d’une autre, montre son approbation par des rires ou, au contraire, par la colère.

94 Vako-drazana cite trois recueils de fandiambolana dont nous en choisirons un pour analyser ce genre assez spécial : « Fandiambolaña betsileo fanao amin’ny lañonana na hafa Fandiambolaña betsileo à pratiquer lors des festivités ou autres).

95 Ce texte est exécuté lors de la venue d’un vazaha (ici, chef et non Blanc), et l’on voit clairement qu’il actualise le contexte social et y apporte des précisions. La suite du propos est une suite de phrases qu’on peut dénommer sasy ou entrée en matière, suivant la classification d’Andrianarahinjaka. En effet, l’on assiste à une autoprésentation de l’orateur, qui paraît « assez sûr de lui »si l’on se réfère aux termes qu’il utilise10 : Lake hitototsa ny toloho ka naneno ny kakafo-dahy, orokoroho ny sofina fa hihaino eko, alao ny mote fa hizaha raha, fa mpañarakandro ro hitaroña, eko kilonga ro hilaza azy. Même si le toloho se cache et que le kakafotra mâle chante, curez vos oreilles pour écouter, lavez vos yeux pour voir, car un gardien de bœuf va prendre la parole, et un enfant va parler.

96 Il s’agit d’une manière de se présenter qui se veut être sûr de soi, mais où transparaît l’angoisse de ne pas pouvoir bien faire (gardien de bœufs, un enfant). C’est pourquoi, plus bas, le fandiambolana précise : « Fa nge ifandiadiana sy tonga eko ifanitsakitsahana sy avy » (Pour que l’on ne puisse après se « piétiner »et « se marcher sur les pieds »).

97 Par la suite, comme la plupart des genres oratoires, le fandiambolana introduit des genres auxiliaires, des ohabolana , mais surtout des kalita et des kipotsaka. Cela suppose que le fandiambolana est exécuté plus couramment par des jeunes gens qui s’initient aux joutes oratoires plutôt que par les grandes personnes qui, d’après Rabenala, préfèrent utiliser les genres plus sérieux comme les ohabolana.

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Fampatoñona

98 Ce genre est identifié en malgache officiel comme ankamantatra (devinette). Rabenala en parle comme d’une forme éducative très ancienne, de la même époque que les angano (contes). Mais il est à la fois un divertissement social encore très répandu de nos jours, puisque l’auditoire est invité à participer à l’échange intellectuel dont il fait l’objet. Ce qui n’est pas le cas de certaines productions littéraires et rituelles au cours desquelles le rôle du public se limite à celui de récepteur passif.

99 Aucune forme structurelle précise n’est exigée. Toutefois, au point de vue sémantique, la question, explicite ou non, est contenue dans une phrase descriptive. Exemple : « Boribory izy sady lavalava no fisapisaka, loaka fa tsy trobaka. Valiny : saoka » (Il est rond et long et aplati, creux sans être troué. Réponse : louche).

100 Vako-drazana présente de nombreux fampatoñona à formulation thématique traditionnelle, mais aussi résolument moderne (Andrianarahinjaka 1986 : 272-273).

Kabary

101 Appartenant aux genres non isa, le kabary (discours, joute oratoire) doit être analysé en fonction de sa situation structuro-littéraire et rituelle. En outre, il faut également tenir compte du rôle qu’il remplit en tant que genre majeur qui intègre plusieurs genres associés. Genre non chanté, mais déclamé, le kabary est rituel et se prononce dans des contextes sociaux précis, où il s’épanouit comme expression valorisant le contexte donné, l’événement ou le moment de son exécution.

102 Le genre kabary explicité par Andrianarahinjaka, défini en forme littéraire, se déploie sous différentes thématiques. En effet, les divers exemples cités dans Vako-drazana en font état : kabary am-pandevenana, kabary fanoronam-bary, kabary tokim-ponenana...

103 Le fait qu’un orateur prenne la parole et que son interlocuteur lui réponde représente une des caractéristiques du kabary : le demandeur expose les demandes, son interlocuteur reprend point par point pour répondre.

104 Le kabary est ouvert par le genre sasy ou sasin-teny (préambule). Dans son kabary, le locuteur utilise des genres auxiliaires comme les ohabolana : « Tsa malaky tomboka tompon’ny dia, tsa malaky vava tompon’ny taroña » (je ne suis pas un bon marcheur, propriétaire de la marche, ni un grand orateur, propriétaire de la parole).

105 L’utilisation de genre adjuvant est présente du début jusqu’à la fin de l’échange oratoire. L’on y rencontre des kalambalala et d’autres productions intermédiaires ou auxiliaires. Un autre genre intermédiaire cependant mérite d’être souligné, le ohatsa (exemple), genre le plus souvent introduit dans les kabary : « Tsa akoholahy vositsa, tsa angady mainty, tsa aondrilahy be hofaka, fa ny somy ro hamiriña » (Ce n’est ni un chapon, ni une belle bêche, ni un mouton bien gras, mais des lèvres pour porter la parole). Le ohatsa sert à appuyer le kabary, car « un orateur qui ne raconte pas d’ohatsa, c’est comme si on consommait de la patate douce » (Andrianarahinjaka 1986 : 287).

106 En résumé, le kabary, genre à structure dialogique, reste une des formes traditionnelles les plus respectées, même si des considérations de modernisation des productions font évoluer les divers genres betsileo.

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Poezia

107 35 poèmes sont relevés dans le Vako-drazana, dont un petit nombre écrit en malgache officiel. Rabenala est le principal auteur de ces poèmes : il les signe sous le nom de Beleheela.

108 La revue Vako-drazana contribue sans conteste à la préservation de la culture betsileo, à une époque où la vie moderne empiète de plus en plus sur la tradition. Son ambition, en outre, est d’être une source de documentation littéraire. Le résultat dépasse les espérances de ses auteurs. D’autre part, l’approche des genres littéraires qui constituent des éléments spécifiques de la littérature traditionnelle betsileo ouvre de larges horizons d’études et de réflexions.

109 La littérature est l’expression des sentiments de toute société humaine. La personnalité betsileo, comme pour toute société, s’exprime par la présence d’une tradition, d’autant que le Betsileo est une région à essence traditionnelle. Les problèmes inhérents à l’étude d’une forme littéraire sont loin d’être négligeables, car l’approche du phénomène littéraire oral doit, pour passer à l’écrit, obéir à une systématisation et une classification rationnelle qui permettent d’orienter et de faciliter les recherches et analyses ultérieures. Cependant, cette méthode pourrait mettre en cause la valeur « purement traditionnelle »du phénomène.

110 En outre, l’étendue de la littérature orale betsileo se trouve limitée dans sa transcription écrite par des données matérielles (problèmes de pagination, longueur des productions littéraires orales...).

111 Tous ces problèmes ont été surmontés par Vako-drazana dans la mesure où la revue remplit son rôle de diffusion tout en respectant la valeur de chaque forme expressive orale.

112 Cette étude s’est beaucoup inspirée de la classification effectuée par Andrianarahinjaka, choix qui s’explique par le fait que les principaux auteurs betsileo, pour la plupart, se contentent de citer les genres connus. Cela pourrait paraître subjectif, certes, mais le souci de travailler à partir d’une classification rationnelle s’est imposé. Il est d’ailleurs à noter l’aspect assez mouvant des entités littéraires et leur répartition qui varie suivant les sources et les régions dans tous les numéros de la revue Vako-drazana et dans les ouvrages de référence. Quant à l’analyse proprement dite, il ne faut y voir aucune prétention novatrice, mais plutôt la volonté de confirmer, selon des données nouvelles, l’existence et la persistance des genres littéraires traditionnels betsileo. D’autre part, l’extrême richesse de la revue, du point de vue littéraire, oblige à faire un tri dans les textes et articles commentés, reportés en annexes.

113 Vako-drazana, véritable œuvre littéraire, n’est pas seulement une contribution à l’enrichissement du patrimoine betsileo mais encore à celui de la culture malgache en général. En effet, la vivacité de la tradition dans les régions assure la pérennité de la tradition malgache, laquelle s’enracine dans la synthèse culturelle transrégionale. Ainsi, Vako-drazana , par essence, est une revue à portée nationale dont l’importance est d’autant plus considérable, vu la rareté des œuvres littéraires écrites betsileo. Elle assure, de ce fait, la survie des traditions littéraires de cette région, et contribue

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également à la résolution du problème de plus en plus crucial de la tradition confrontée à la « nouvelle » culture malgache d’inspiration de plus en plus moderne.

BIBLIOGRAPHIE

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DUBOIS, H., 1938, Monographie du Betsileo, Paris, Institut d’ethnologie.

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RAHARINJANAHARY, S., & RASAMOELINA, H. (éds.), 2006, Raki-pikarohana. Études offertes en hommage et à la mémoire du professeur Lucien Xavier Michel Andrianarahinjaka, Faculté des lettres et sciences humaines, Université d’Antananarivo et Université de Fianarantsoa.

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RAJAONA, S., 1963, « Aspects de la psychologie malgache vus à travers certains traits de “kabary” et quelques faits de la langue », Annales malgaches, Lettres, p. 23-38.

RANAIVOZANANY, J., 1965, Ny elan’ny Nosy, 2 tomes, Ambositra, Impr. Fandrosoana.

RASOAMAMPIONONA, C., 2004, Les mpitantara locaux dans le sud betsileo, Madagascar. Approche ethnographique de la philosophie et de la pratique des gardiens de la tradition, Thèse de doctorat.

ANNEXES

Documents annexes : textes choisis Kianakisa Iny hariva maty masoandro iny no ahitana ny ankizy mifaly havanja ka mihira hoe : Endre ô ! — Ino e ra ? Teraka i Fara — Ia ro nilaza? ke Ingahy Raoto Raoto farango Farangan’akoho Vonoy i Mainty Hihinanako ny atiny Voky aho izay. Atsipy ny taolany Ambavan’amboa

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Velaro ny tsihy Handreako aho irery. Le soir au coucher du soleil, les enfants s’amusent et chantent ainsi : O ! Mère ! — Qu’y a-t-il ? Fara a accouché — Qui l’a dit ? C’est Monsieur Raoto Raoto l’ergot Ergot de poulet Tuez la poule Noire Pour que je puisse manger le foie Et je serai rassasié(e). Ses os seront lancés Dans la bouche du chien Etendez la natte Pour que j’y dorme seul(e) Vako-drazana , no 3, p. 16. Añareo aba ho aia? Añay aba ho eto Itondray ana-boatavo Hatoraka an’i Lihimena Lihimena ny an’ia? Lihimena an-dRatsara Ratsara aba ko vahiny Vahiny tsa mihinan-tsisa Jefotsy rangomena Naterina an’Ilañanindro Natao tokom-boamena Voamena lañy haliña Ny sikajy lañy sahiandro. Où allez-vous donc, père ? Nous venons ici Rapporte-moi de petits cailloux Que je puisse les jeter sur Lihimena Lihimena, à qui appartient-il ? Lihimena appartient à Ratsara Ratsara, père, est un étranger Un étranger qui ne mange pas les restes Rabane à bordure rouge Apporté à Ilañanindro Pour être remplacé par des voamena Les voamena furent épuisés hier soir Les sikajy le furent ce matin. Vako-drazana, no 13, p. 4.

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Hono Rakalamainty Aho ve andevon-drika vare Ampatsakain-drika rano? Aho izay dia roso Roso añy morika añy Hanao lalam-bivy Ny vivy maty vady Ny gisa maty rahalahy Ny voay maty raibe Ny hitsikitsika mpizeny Ny vorona mivoadity Ny toñon-tsakon-drampandalo ê Nohanin-dramparakandro Dis donc Rakalamainty Suis-je ton esclave Pour aller puiser ton eau ? Me voilà parti(e) Au bord de l’eau Sur la route des sarcelles La sarcelle est veuve L’oie perd son frère Le crocodile perd son grand-père Les hirondelles planent en dansant Les oiseaux font le beau Les maïs grillés de l’étranger Sont mangés par les bouviers Vako-drazana , no 23, p. 27. Ombeolahy Ny Ombeolahy dia tonon’isa fanaon’ny Ntaolo rehefa miandravana (miandry faty amin’ny alina). Lehilahy mikatrakatraka daholo no manao azy, ary misaron-damba, milombon-damba fa ny tandrifin’ny maso ihany no mivoha. « KILOMBON-KELIHOAKA »no fiantso ny toy izany. Ny tonom-peon’ny Ombeolahy dia nampangorakoraka, ary ireo fiteny ireo dia matetika atao sasin-teny mialoha ny kabary am-paty. Lava ihany ny teny fanao amin’ny Ombeolahy, nefa izao no tonony re matetika amin’ny fandevenana ny Anakandriana sy Andevohova : Kisamosamon’ny Adalo Tohy bajon’ny Somony Mikiky ny tsa zoane Mihehe ny tsa zoan-draha Fa haha volo ro migeboña Ko tañana am-pify ro mitsetaka Mandré ve ny manaña ny mate? Mandre ve ny zoan’ny manjo? Tory taia ro ho tory Fa tory tapaka an’andrindrina Sakafo aia ro ho sakafo Fa ny rora nilentika an’am-peo

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Tsare maso tsa ombe tory Tsare tahezan-tsa omby tsihy Mangina... Mangina ny manana ny maty Mahereza ny zoan’ny manjo Fa ny tañinareo ro tañinay Ombeolahy est un tonon’isa prononcé par les Anciens lors des veillées mortuaires. Des hommes bien bâtis l’exécutent, drapés dans de lamba, la tête couverte, seuls les yeux apparaissent. C’est ce qu’on appelle KILOMBON-KELIHOAKA [se couvrir en ne laissant qu’une toute petite ouverture]. Les paroles de l’Ombeolahy sont tristes et elles servent souvent de préambule aux discours mortuaires. L’Ombeolahy est un texte assez long, mais ce qui va suivre est la partie couramment utilisée lors des funérailles d’un anakandriana ou d’un andevohova : Boucles d’oreilles d’Adalo Un collier de perles multicolores de Somony Rigolent ceux qui ne sont pas frappés par le malheur Rient ceux qui ne subissent pas le deuil Car voici qu’on dénoue les cheveux Et voilà qu’on se met les mains contre les joues Les parents du défunt entendent-ils ? Ceux frappés par le deuil entendent-ils ? Quel sommeil pourrait être sommeil Car le sommeil est resté hors de la maison Quel repas pourrait être repas Car la salive a sombré dans la gorge Ce n’est pas que nos yeux refusent le sommeil Ce n’est pas que nos flancs refusent la couche Que s’apaisent, s’apaisent les parents du défunt Que prennent courage ceux qu’a frappés le deuil Car ce sont vos pleurs que nous pleurons Andrianarahinjaka 1986 : 376-377. Diamboko Raone Trotratrotra ny aloka añ’Isandra Mamaritse koa ny any Fanjakana Raone tsa mandre Raone tsa matory Raone tendre hanafika añ’anala Tsy manambady ko mirandraña Mpitovo ko mañaha volo Zaza mivahavahan-kova Tsy ho Hova ko tsy ho Ramanga Tsy ho fady ko tsy tanan-doha Lehe tsy rene ko tsy handrandraña Lehe tsy nama tsy hanisy solika Si-nimpody ny olo tañ’anala Ko nanotany ny zanak’Isandra Mba hitanareo ve Raonibenitane?

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Tsa namaly ny zazavave telo Fa nitsongotsongo lehe lalaña Nanapatapaka ny kitsoa-bero Dia nahalala ny zanak’Isandra Fa Raone nivela añ’anala Tsinomane ny Andriambave Fa mate Raone zaza tokaña Tongon-dRamanaoromalake Finai-dRamalakirahina Finainy any Kiavelovato Nataony añy Getrakinaña Lehe mate endre aho Fairo mivalana añy Isandra Hisafotsa ny lamba valo vona Hilofo ny omby valo tandroka Hilevina am-pasam-balozoro Le lehe mate añelañelan-tañe Ko mate tsa mana-mpitany Lake Sandra Sandra Andoharanomaints L’ombre descend sur l’Isandra Et recouvre aussi Fanjakana Raone n’entend pas, Raony ne dort pas Raone est désigné pour guerroyer dans la forêt Un célibataire qui se tresse les cheveux Un homme sans épouse qui se dénoue les cheveux Un jeune homme à stature de prince Sans qu’on puisse savoir si c’est un prince ou un esclave Ce n’est pas un interdit, mais on ne lui touche pas la tête Sa mère seule peut lui tresser les cheveux Seules ses amies peuvent lui mettre de l’huile Lorsque revinrent les gens partis vers la forêt Les enfants d’Isandra demandèrent Avez-vous vu Raonibenitany ? Trois jeunes filles ne répondirent pas Mais arrachèrent seulement les herbes de la route Coupèrent les tiges de roseaux Et les enfants d’Isandra surent Que Raony était resté dans la forêt La princesse pleura Car Raony le fils unique est décédé Pris par « Celui-qui-fait-et-qui-prend » Enlevé par « Celui-qui-est-rapide-à-envoyer » Emmené à la Pierre-aux-fantômes Emporté à Getrakinaña (Dépotoir-auxtourtes-de-ricin) Si jamais je meurs, mère, emmène-moi Vers l’aval d’Isandra Pour que je sois couvert par du tissu à huit-nœuds

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Pour qu’on sacrifie en ma mémoire un boeuf à huit cornes Et que je sois enseveli dans un tombeau aux huit coins Car celui qui meurt en cours de route Meurt sans que personne ne pleure Si Sandra est Sandra Andoharanomaintso l’est encore plus Ikalamavo Say maty i Zanakinivola Ikalamavo an-dRazafitsiefajato Eko lake tsa hilofo koa Ko ataovo am-pasan-dRainilofo Mandehana ny ho amin’ny angady Mirosoa ny ho amin’ny langela Ko alao añ’Ampasampotsiloha Ohazo any Tsiafakiniosa Say avy ny andro tolak’andro Ko ny fasana tomenatena Nitarona ny olon-tan-kady Fa mitoratora-boatavo Fa mitete vovo-tane Hoy Razafitsiefajato Izao no fomba ny fasana laliña Nandray Ramasimbanona Say nitaroña koa nanao hoe Ivinañimase lale soasoa Itsiafatampo dika han’itoy Fa toy ro raha sora-draha Mananiha atoy iha Mahadidy Fa iha eñe ko handavo kenan’io Sy afa-tao ny an-dRamasimbanona Trany tao ny olo fito lahy. À la mort de Zanakinivola Ikalamavo de Razafitsiefajato Si vous ne voulez pas sacrifier [des boeufs] Mettez-la dans la tombe de « Ceux-qui-ont-[sacrifié » Allez, qui avec des bêches Avancez, qui avec des pelles Cherchez la tombe-à-tête-blanche Creusez « Belle-que-les-faibles-n’atteignent-pas » Quand vint l’après-midi Le tombeau fut ouvert Ceux dans le trou dirent Qu’il pleuve des cailloux Qu’il tombe des poussières Razafitsiefajato dit : Les tombes profondes sont ainsi Ramasimbanona prit la parole

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Et parla en ces termes : Ivinañimase est encore plus profonde Itsiafatampo l’est encore plus Mais en voici un de phénoménal Remonte donc Mahadidy Sinon tu vas être enseveli là Quand celui de Ramasimbanona est sorti Sept hommes y sont restés. Vako-drazana, no 41, p. 17. Kalamainty Isam-behivavy Isa pour les femmes) Ikalamainty ny añ’Itenina Amboalambon’Ambohimasoa Kalamainty soa traño Arara soa tanimbary Zazavavy tsa mino anatra Kilongampela tsa mandray toro hevitra Io ny amboalambo tsa nivoaka Io ny arara tsa nifindra vala Fa foto-kazo sy vorona re Ko izay manina manato Ikalamainty du village d’Itenina Un fainéant d’Ambohimasoa Kalamainty a une belle maison Le farceur a de belles rizières Les jeunes filles ne veulent rien croire Les jeunes femmes refusent d’écouter les conseils Voilà le fainéant qui ne sort pas de chez lui Voilà le farceur qui ne change pas de villages Comme le pied d’un arbre et un oiseau Que celui qui regrette revienne sur ses pas. Vako-drazana, no 54, p. 7. Rija Andrazo, andrazo (Attends, attends) Andrazo, andrazo mba hiaraka aminao Raha soa ny miara-dia lake tsa malaky Aho ateronao añ’antañy nanalana Mba hijery ny tañe nialana Hamangy ny havana tsa foe Hitsidika ny sakaiza tsa hadino Añ’ aminay misy raha soa F’ao ro misy valala mampinono Ny tondro mitsidika mpifana

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Ny Renialia mitafy vakilandy Ny tiana mamangy rafozana Ny toho manenga vady vao Ny pirina manao hira gasy Ny patsa manao dihy tañana Ny kanakana manao zipo Ny gisa manao pataloha Ry voanato ro mitapa-bolo Ty ny androngo ro mijery fitaratra Ny amalona ro zendan-draha ho avy Eko anay ro manahy ny hiaviane Attends, attends-moi, car je veux m’en aller avec toi Il est bon d’être ensemble même si on neva pas vite Accompagne-moi au pays où tu es venu me chercher Pour revoir le pays que j’ai quitté Rendre visite aux parents chéris Rendre visite aux amis inoubliables Chez nous, il y a plein de bonnes choses Là, les sauterelles allaitent Les poissons rendent visite aux accouchées La mère Araignée se couvre de soie Celui qui aime rendre visite à ses beaux-parents Les thons prennent de nouveaux époux Les alevins font du hira gasy11 Les petites crevettes dansent des mains Les canards portent des jupes Les oies mettent des pantalons Les voanoto se coupent les cheveux Même les lézards se regardent dans le miroir Ce sont les anguilles qui s’étonnent de l’avenir Mais nous, nous appréhendons sa venue. Vako-drazana, no 39, p. 19. Kitrakitra tsy ady tolona mpinama Ny antsika tsa mba miady fa resaka mpinama Fa lehe anao tsa mandrebodreboña Aho ako tsa hanindritsindroña Lehe añao tsa mitora-bato Aho koa tsa mba hañipikipy Lehe añao manafosafo ahy Aho ako hañaotsaotsa anao Eko lehe añao hitsidika tsa tapaka Aho ako hamangy tsa mieñina Fa ny saoka ro mampihinan-draha manitsa Eko misaotsa ho tahin’Andriamanitsa Heurts sans être bataille est un combat entre amis Nous ne nous disputons pas, nous nous parlons amicalement Car si tu ne piques pas

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Je ne te pincerai pas non plus Si tu ne me jettes pas des pierres Je ne te lancerai pas des bâtons Si tu me caresses Je te regretterai Si tu me rends visite sans arrêt Je n’aurai de cesse de venir chez toi La louche permet de servir de bons mets Alors merci, que Dieu te bénisse. Vako-drazana, no 20, p. 14. Kipotsaka Ny aloalo vadin’ny fasana, vazimba vadin’ny tranomena ; Aza mialoñaloña ny vadin’ny sasany, fa misimba ny vady mifanome. Les aloalo12 sont les époux des tombes, les Vazimba13 sont les époux des tranomena ; Ne sois pas jaloux des époux des autres, car les époux qui se respectent en seront affectés. Andriamboalambo tompon’i Manampy; lehe dozorom-boae tokony halake. Andriamboalambo (« Le-prince-à-la-couleur-de-crocodile ») est le propriétaire de Manampy ; s’il est poursuivi par le crocodile, il doit être rapide. Andranolozoka ro andohan’i Sirao, lehe manala lozoka ny loha ro firao. Andranolozoka est en amont de Sirao, s’il ouvre le verrou, coupez-lui la tête. Vary madio ako ro mahandongandonga, ko intelo homaña ako ny kilonga. Le riz propre rend dodu, les enfants mangent trois fois par jour. Vako-drazana, no 20, p. 19. Raozimaria tsa mba ratsy fa anarana nataon’ny Vazaha, ko ny ombe mahia tsa mba mate, lehe notohofana kajaha. Rosemarie n’est pas un mauvais nom, étant un prénom français, les bœufs maigres ne meurent pas si on leur donne sans arrêt des pousses de manioc. Vohipary ro an’an-dohan’Akondro, ko lehe mandoa-bary koa asio ny longoko. Vohipary est en amont d’Akondro, si vous servez du riz, donnez en à ma famille. Avomalaza ro Ambatomena, ka aza milazalaza, mba tomera soa. Avolamalaza est Ambatomena, ne sois pas bavard, reste tranquille. Vako-drazana, no 51, p. 7. Tsy levo aho ko katrakatrak’orana, hilatsaka añ’atetin’i Manody handem-bolo ny ombimanga, hanoza ny aomby haolo. Que n’étais-je des gouttes de pluie, pour tomber sur les collines de Manody, pour mouiller la peau des bœufs sauvages et changer de couleur les yeux des bœufs isolés. Tsa ataoko indroa ny manan-kavana añ’andafy ; fa ny eny manao lakana ny maso, ny atoy manao fivoy ny vetsevetse. Lehe ny rano safomorona ko ny hanina ro latsaka ao am-po; lehe ny rano migetraka anelanelam-bato, ny hanina manetseka añ’anati-taolana any. Je ne referai pas deux fois d’avoir des parents au-delà des mers ; eux se servent de leurs yeux comme d’une pirogue, ceux d’ici utilisent les pensées comme des pagaies. Quand l’eau monte jusqu’au bord, les pensées nostalgiques descendent dans le cœur ; quand la pluie tombe au creux des rochers, la nostalgie fait frissonner jusqu’aux os. Kalita

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Lalan’añy Ihosy ro mañolakolaka Apela te-ho roso ko mamolapolaka. La route d’Ihosy est sinueuse L’épouse qui veut s’en aller fait la difficile. Tsiritsirin-drotsa ny any Manandreana Mitsinjitsinjo ny roso ko mihalangeana Des pousses de rotra sont à Manandriana. Regarder ceux qui partent pour ne pas se sentir seul. Akondro sambaika ro masaka an-dovia Eko Mongo mahalaitsa mba ho avy an’ovia? La banane cuite à l’eau est prête dans l’assiette Quand donc viendra Mongo qui tiendra compagnie ? Lehe lany ny kitay hazo ko manome toky ny kifafa ko lehe lany ny fitea tamin’azy ko manome toky koa ny hafa. Si les morceaux de bois sont épuisés, les herbes sont prêtes à être utilisées Si son amour est épuisé, d’autres viendront… Ny trano volo ro trañon-dRatanala, ny pe-tany ro tranom-Betsileo Tsa mivony ny taron’ompinama, fa raha tiany tsa havelany eo. La maison en bambou est celle des Tanala, la maison en terre est celle de Betsileo Les propos des amis sont facilement discernables, car ils n’abandonneront pas les choses qu’ils affectionnent. Aja rarana lehe ho añ’anala fa raha tsa hitondra titele hatañe Eko aja rarana añay lehe mana-tiana fa raha tsa hitondra fitea ho añ’antane. Ne refusez pas à quelqu’un d’aller dans la forêt, car il rapportera du miel Ne nous refusez pas d’aimer quelqu’un, car personne n’emportera son amour sous terre. Ny kafe raha tsa ho vita, ny siramamy ene tsa ho lany ka ano hihinan-goavy koa; Ny fitea raha tsa ho ritsa, ny finamana ene tsa ho lany ko ano mba hanambady koa. Le café ne sera pas épuisé, ainsi que le sucre, alors mangeons des goyaves ; L’amour ne sera pas tari, ainsi que l’amitié, donc marions-nous. Tañàna aminay ro tañà-anivo rano ko lehe manina anay misotroa rano. Notre village est au milieu du fleuve Si nous te manquons, bois de l’eau. Vako-drazana, no 51 p. 8. Amboleo ny taretsa, ko amboleo ny kajaha Ary aja miretareta f’ange tra-draha. Plante les agaves ainsi que le manioc Et ne traîne pas sinon quelque chose adviendra. Ina ko ro trotraka noho anao miherikerika Fa tsa isiana aloha ny troka, voho ao mieritseritsa. Qu’est-ce qui est tombé que tu recherches ainsi Remplis d’abord ton ventre, après tu réfléchis. Vako-drazana, no 59, p. 8. Ohabolana Katsa-daty tsa madiña, ary ny aombe tsa manamy atoandro foana fa ao antony. Un épi de maïs n’est pas vide pour rien, et les bœufs ne rentrent tôt au village sans

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raison. Ela ny malaka ny dretsa, ko faty hilevina amim-pioka. Ceux qui vont chercher la musique prennent trop de temps, qu’on finit par enterrer le mort en sifflant. Raha ianao andriana avo, izaho mba avoñ’aomby. Si tu es grand prince, moi, je le suis par mes bœufs. Fy ny toho, fy ny amalona, fa ny lela tsa hatao jono. Le thon est succulent, l’anguille l’est aussi, mais ne te sers pas de ta langue comme appât. Tsa ho totoi-bato hita, tsa ho latsaka an-kady hita handro. Que tu ne heurtes pas un caillou que tu as vu, et que tu ne tombes pas dans un trou visible de jour. Ny fitian’Ikala an-dRamanjary ro mahatra-tafika an’i . L’amour d’Ikala pour Ramanjary entraîne la chute de Mangidy. Azafady aminao aho Ra-kisiny, tsa manenda fa mandray am-bozona ; azafady aminao aho Rakelimalaza, fa ny atiny tsa mba kisoa. Je vous prie de m’excuser, Madame-la-Cruche, je ne vous étrangle pas, mais je vous tiens par le cou ; je vous prie de m’excuser Madame-la-Petite-Célèbre, car le foie n’est pas de la viande de porc. Ny ela maha-fatra-draha ary ny ela mandrava raha fantatsa. La durée embellit les choses et le temps détruit les valeurs acquises. Manao fiseasean-dravin’ovy, ka mandroatsa indraika dia tofoka. Faire comme l’odeur des feuilles de patates douces (lors de la cuisson) qui s’estompe à la première ébullition. Ataovy tsara laza amin’ny aba amin’ny endriko any ro aho, fa sivy amby sivy folo ro tsa nahazato ny ombiko. Dites-bien à mon père et à ma mère qu’il me manque quatre-vingt-dix-neuf bœufs pour en avoir cent. Hitety rahona aia leky maina, eko hivadi-bohitsa aia leke tea ? Même si tu regrettes quelqu’un, peux-tu marcher sur les nuages et même si tu aimes, peux-tu dépasser les collines ? Mitomany ny nifin’akoho tsa haniry, nitakatsa ny avo tsa ho takatsa fa volana ro itomaniana. Tu pleures les dents de poulet qui ne pousseront pas, tu essaies d’atteindre les hauteurs inaccessibles, parce que tu pleures la lune. Aleo kely antim-panahy toy izay lehibe tanora saina. Il vaut mieux être jeune et avoir l’esprit vieux, que d’être vieux à l’esprit jeune. Raha lavitra any Imerina any. Comme c’est loin l’Imerina. Ny raha ho avy tsa mba hienina. Ce qui doit arriver ne tardera jamais à venir. Ny fanjaitsa raha kely mandraky ny ela. L’aiguille a toujours été petite, depuis toujours. Tany tondroina tsa mba onenana, ny lavaka amboarina tsa omenan’orana. L’on ne vit pas dans les endroits que l’on désigne du doigt, l’on ne donne pas aux écrevisses les trous que l’on a creusés. Dakan’Ambohimanarina, ko voatsipaka mbamin’ny mpitan-damba. Coup de pied d’Ambohimanarina, même celui qui tient le lamba en prend sa part. Na hiovakovako ho ratsy aza, tsa havelan’ny akondro tsa ho voany.

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Même s’il mue en écorce sèche, le bananier fera toujours des fruits. Izay mahalala mamono am-betsivetsy, izay tsy mahalala miandraza hamonoana. Ceux qui savent tuent dans leur coeur, mais ceux qui ignorent attendent d’être tués. Manotany raha hita dia koa mpanalak’afo. Demander des choses visibles comme les demandeurs de feu. Ny amboa hafa ro mangalatsa, ko Ikamena ro voakipikipy. Ce sont d’autres chiens qui ont volé et c’est Ikamena qui reçoit des coups de bâton. Itsaraitso ro mifàna, koa Andriampila ro maimbo an’Iketaka. C’est Itsaraitso qui garde le lit après son accouchement, et c’est Andriampila qui sent l’odeur de la petite Iketaka. Ifaralahy ro mitetika anana, ko Ibaomena ro tapa-tanana. C’est Ifaralahy qui coupe les brèdes, et c’est Ibaomena qui a les doigts coupés. Raha tonga ny amalom-bosira, tsa manana havana afa-tsy ny mate, fa sy tonga ny asa-vadi- drano, havana aby ny ivelany sy ny anatiny. Devant les anguilles bien salées, on n’a de parents que les morts, mais quand viennent les travaux qui nécessitent l’entraide, ceux de l’extérieur et de l’intérieur font tous partie de la famille. Kalambalala Songom-bary añivo farihy ka sa fantatsa na ho lango na ho vary a ho tsako na ho lanim-pody. Ny miaraka telo misy ho añivo, ny miaraka roa misy ho aloha, fa ny miaraka irery tsa mba mananamana, mienga tapitsa an’andrindrina, ko miditrsa tapitsa an’andraño, voky tsa manakotolorana, ko mahare tsa misy manotane. Lehe mate atero añ’ampasankilevenana. Lehe mba hilofo aomby mba hilofo ny mason’ny Vahoaka. Ataovy am-bata valozoro mahafono sy ny lamba valovoñe, lanjaon-dRaborizany valo tomboka ko aleveno an’ampasa-mahatsinjo fa leke tsa ho avy ane koa ko mba mitsinjo ny tany nahavelomana. Comme ce qui repousse au milieu de la rizière, après la récolte de riz, l’on ne sait s’il y aura du son, du riz, du maïs ou s’il sera mangé par les cardinaux. Etre à trois, c’est pour qu’il y ait un au milieu, être à deux, c’est pour que l’un soit devant, mais être seul, c’est ne pas avoir d’amis. Quand il sort, il n’y a que lui, quand il rentre, il l’est aussi. Quand il est rassasié, il n’a personne à qui donner ce qui reste. S’il est au courant de quelque chose, personne ne lui pose de questions. S’il meurt ramenez-le à son caveau. Si on va lui sacrifier un boeuf, au moins que ce soit devant la foule. Mettez-le dans un grand tombeau, où il peut se reposer et enveloppé dans du linceul à huit noeuds, que quatre hommes le portent, et ensevelissez-le dans un tombeau situé à un endroit d’où l’on peut tout voir, car s’il n’y est plus, au moins puisse-t-il voir le lieu où il a vécu. Vako-drazana, no 57, p. 19. Aho tsa mitsangam-pe lava, na mitarom-peo matsindrana... tokoa moa iny ataon’ny olo hoe, anarana mampibokoboko ny hoe Anakandriana, ary mampitsangan-tsy mahay ny anao ro eto... fa mpisolo vava ny antsiva aho leke tsa mitovy amin’azy. Zanak’olo voatavo ny dononina no maneno ko vavaina ro misy vavane... Tsa Ntaolo aho fa zanak’antitsa, tsa olon’ela fa mahatadidy! Kiombe taniditsa antanan’olo aho... ko ampitroarina no misembo fa lehe avela mipetrapotsy…

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Je ne me lève pas parce que j’ai les cuisses longues, ni ne parle parce que j’ai une voix portante... ce que les gens disent est vrai, ainsi l’appelation Anakandriana vous relève comme un grand, et ici je me lève même si je ne sais pas parler... Car je remplace la conque, même si je ne lui ressemble pas. Si je parle, c’est comme si je suis un melon sur lequel on frappe, et je suis bavard, parce que j’ai une bouche pour parler... Je ne suis pas un Ancien, mais je suis fils de vieux ; je ne suis pas des temps révolus, mais je m’en souviens ! Je suis un boeuf d’argile aux mains des hommes... l’on me fait mugir et je saute, mais si on me laisse, je reste à terre... Vako-drazana, no 70, p. 4-5. Fampariahitsa Tandrify aba aho lehe hahalolo ny dian’i Tsimiasa (anaran’omby) any Vatovaky, efa finai- dRaombasy ve ko tsa hahita ny tetin’i Afo. Il est normal si j’arrive à suivre les pas de Tsimiasa (nom d’une variété de boeufs) à Vatovaky, car ayant été emmené par Raombasamy auparavant, je pus voir les collines de Afo. Ja mba ampiana koa izay tehaka lake tsa mirakaraka, kidodo lake tsamidoboka. Ne renforcez pas les applaudissements, même s’ils ne sont pas intenses, les tambours, même si les sons ne battent pas forts. Sokonany hoe izay fitea nitanila, fa lehe nahary tena ko nanala aina. Heureusement, dit-on, que c’est un amour qui n’est pas réciproque, car s’il était partagé, il aurait enlevé la vie. Vako-drazana, no 54, p. 7. Fandiambolaña Ny vato tapaka tsa mitohy ko ny hazo maiña tsa mitsiry. Ny Ambaniandro tsa misy Rampisamo ko ny Tanala mody tsa miakandrefaña. Vivy nanatody ambony zamaña, nahafoy tamin’ny volamaka ko mitsiatsiaka lake anaty tanàna, maneno lake voasambotsa, dia arahaba ny tane mitotongana, veloma ny fanenjanan-dava, fa izay mahatamana onenana. Les pierres cassées ne se recollent plus, et les bois secs ne repoussent pas. Aucun Ambaniandro [Merina] ne s’appelle Rampiso, et le Tanala qui rentre chez lui ne se dirige pas à l’ouest. La sarcelle ayant pondu dans les près, éclos ses oeufs au moment du [mois du] volamaka, est triste, même s’il est au village, chante, même s’il est prisonnier ; salut à la terre retournée, adieu au grand espace, car on vit là où l’on se sent bien. Vako-drazana, no 22, p. 6. Tonga ny vazaha lehibe tany Ifanadiana eko notsienaina tañ’Andohanatady eko avy ny fotoan- dehibe notsinadia eko izao ro ikambanantsika mianakaby. Orokoroka ny sofina fa hitaino eko alao ny mote fa hizaha raha, fa mpanarakandro ro hitarona eko kilonga ro hilaza azy. Ny lavitsa marea manatona eko ny mariny mitainoa soa fa hilaza ny raha hita maso aho ka hitantara ny raha ren’ny sofina... Fa nge ifanadiadiana sy tonga eko ifanitsakitsahana sy avy. Eko mamerovero ny kindakoka, eko manotany ny kinaoly hoe: ia ra izay nitarona izay. Izao ro Ranona ambanin’ny lalana ambony, lake ny dian-trano ro tsa tsinjo koa ny tafo tsa mba tsy kisarisary. Zaza tsonomoatsa tamin-dRangahy ko nipetraka tamin-dRoandranobe, nilaozan-ko voky fa asa ny tsa haharisaina.

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Fa ny sora manody ro valovone eko ny etsetra fanalan’ny ratsy; ny tarona hoe voa-damba, ny mahay manaratsaka, ny tsy mahay manao bodofotsy, kivolombolon’ny añ’Ankafina ko randranin’ny Ambatofinandrahana, eko laky raika ro mivona ko ataoko soa hafa koa. Les grands chefs venus d’Ifanadiana ont été reçus à Andohanatady, et cet événement tant attendu est une occasion pour nous de nous rencontrer. Curez vos oreilles pour écouter et lavez vos yeux pour bien voir, car un bouvier va prendre la parole, ainsi c’est un enfant qui va parler. Vous qui êtes loin, approchez-vous, et vous qui êtes proches, écoutez bien, car je vais parler de ce qui a été vu et raconter ce qui a déjà été entendu par vous tous… Car on pourrait s’en prendre aux uns et aux autres après. Le parfum des kindakoka embaume, et les kinaoly demandent : qui est cet orateur ? C’est moi, Untel, de la rue en contrebas, même si on n’aperçoit pas la base de la maison, le toit est bien visible. Un enfant qui a vécu auprès de Rangahy et qui était près de Roandranobe, qu’il avait quitté après lui avoir donné à manger jusqu’à rassasiement, mais l’on ne sait rien de son intelligence. Ce sont les hérissons qui ont huit couleurs, et tout ce qui s’ensuit sert à conjurer le mal ; la parole, dit-on, est comme le tissage, ceux qui en ont la compétence démêlent le fil, ceux qui n’en ont pas fabriquent la couverture ainsi, des fils d’Ankafina, mais tissés par Ambatofinandrahana, même si je n’avais qu’un noeud, je pourrais en faire mieux. Vako-drazana, no 37, p. 2. Fampatonoña Mpanjaka iray nalaza teto Betsileo nanana pipa iray. Mba hampisehoany ny fahefany anefa dia nataony lavabe ny pipan’io mpanjaka io: olo hafa no mandrehitra ny afo ary hafa koa ny manohana azy tsy hikasika tany. Iza io mpanjaka io? Aiza no nanjakany? Inona no anaran’ilay pipa?Firy metatra ny halavany? Ary izay fomba fiteny amin’izao fotoana mikasika io pipa io. Valiny: Rajaokarivony, tany Fanjakana; pipa : Fitarihana; 13 metatra; « Maka lavitra sahala amin’ny pipan-dRajaoka. » Un célèbre roi du Betsileo avait une pipe. Pour marquer son autorité, il l’avait voulue très longue : une personne l’allumait et une autre la tenait pour qu’elle ne touche pas le sol. Qui est ce roi ? À quel endroit a-t-il régné ? Quel est le nom de la pipe ? Combien mesure-t-elle ? Quelle est actuellement l’expression courante relative à la pipe ? Réponse : Rajaokarivony, à Fanjakana ; [le nom de la pipe est] « Celle-qui-guide » ; 13 mètres. [L’expression courante :] « Qui cherche loin comme la pipe de Rajaokarivony. » Vako-drazana, no 4, p. 11.

NOTES

1. Région située sur les Hautes Terres centrales malgaches, limitée au sud par le massif d’Andringitra, à l’est par la falaise du pays tanala, à l’ouest par les pénéplaines du Moyen-Ouest.

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2. Tous les renseignements cités ici proviennent de Rabenala lui-même, qui habite toujours à Antsororokavo, Fianarantsoa. 3. Voamena et sikajy : anciennes sommes valant respectivement la huitième et la vingt-quatrième partie d’une pisatre (NDLR). 4. Voir doc. annexe : « Ombeolahy ». 5. Anakandriana , « prince » ; andevohova, « conseiller du roi » (NDLR). 6. Voir doc. annexe : « Tonon’isa ». 7. Voir doc. annexe : « Kalamainty ». 8. Voir doc. annexe : « Ohabolaña ». 9. Voir doc. annexe : « Kalambalala ». 10. Voir doc. annexe : « Fandiambolaña ». 11. Genre d’opéra du peuple des Hautes Terres centrales (NDLR). 12. Superstructure du tombeau constituée d’un amas de pierres sèches quadrangulaires. En pays mahafaly (sud-sud-ouest), aloalo désigne les poteaux funéraires dressés sur les tombeaux (NDLR). 13. Nom des premiers occupants du sol sur les Hautes Terres centrales, dont les tombeaux sont encore vénérés aujourd’hui ; esprits chtoniens (NDLR).

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Les débuts de la poésie écrite en langue malgache

Claire Riffard

1 Cette contribution n’a aucune prétention à vouloir renouveler l’étude de la poésie en langue malgache. Amplement nourrie des travaux de recherches du Centre d’études et de recherches sur l’océan Indien occidental (Ceroi-Inalco), et plus particulièrement des enseignements de littérature malgache de Mme Nirhy-Lanto, étayée de la lecture des études menées à l’université d’Antananarivo au sein du département des Lettres malgaches1, elle n’a d’autre ambition que de proposer, très sommairement, quelques pistes pour une approche littéraire des débuts de la poésie écrite à Madagascar.

2 Il faut souligner dès l’abord la spécificité du cas malgache dans le champ littéraire africain. En effet, le passage de l’oralité à l’écriture en langue malgache2, en relation avec l’arrivée des missionnaires européens à Madagascar au tout début du XIXe siècle, s’est opéré de façon précoce par rapport aux pays d’Afrique continentale. Dès leur arrivée, les envoyés de la London Missionary Society (LMS) appliquent à Madagascar une stratégie d’évangélisation des masses reposant sur trois principes : l’apprentissage de la langue indigène, la conception d’outils d’apprentissage et la traduction. Séduit par leurs arguments linguistiques et par la technique de l’imprimerie que les missionnaires apportent avec eux, le roi Radama Ier décide en 1823 d’adopter l’alphabet latin pour la transcription du malgache, en lieu et place des caractères arabes. Cette histoire singulière de la langue malgache fera dire à Senghor : « Votre chance, c’est que vous êtes une nation à reconstruire, dont l’unité linguistique et culturelle n’est plus à faire »3. Les bases de la poésie écrite malgache étaient posées.

3 Bien entendu, il n’est pas question ici de passer sous silence le rôle majeur joué à cette époque et jusqu’à aujourd’hui par la poésie orale. Les poèmes traditionnels malgaches sont représentés par de multiples genres, entre autres, en Imerina, par les formes du hain-teny4 et de la chanson ou kalo. Cette poésie traditionnelle n’est pas rimée, mais elle obéit à un exigeant système d’accents. Nous évoquerons (trop) succinctement son impact sur les débuts de la poésie écrite en langue malgache.

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4 Mais il convient avant tout de déterminer les conditions d’émergence de cette première poésie écrite, en distinguant plusieurs étapes qui, bien que schématiques, pourront nous permettre d’en suivre la progressive élaboration. Nous examinerons donc deux temps distincts : celui de l’imitation de la poésie étrangère, puis celui de l’innovation créatrice. Ces deux époques ne sont pas clairement séparables et se juxtaposent souvent jusqu’à aujourd’hui, mais nous nous appuyons tout de même sur ce découpage approximatif pour mieux guider la démonstration.

La voie de l’imitation

5 L’évolution de la poésie malgache suit les péripéties de l’histoire du pays, qui fut largement façonnée par les interventions et les « interférences »5 extérieures. Le débarquement de missionnaires européens dès 1818 à Toamasina va déterminer la première voie suivie par la poésie malgache écrite : celle de l’imitation, qui fut, il convient de le préciser d’entrée, davantage subie que choisie.

6 Les missionnaires sont rapidement introduits à Tananarive, à la cour du roi Radama Ier ; le révérend David Jones, de la LMS, ouvre une première école au Palais de la Reine le 8 décembre 1820. Les missionnaires étudient la langue malgache et commencent à traduire la Bible, aidés en cela par des professeurs malgaches nouvellement formés à l’école de Jones. La traduction du Nouveau Testament sera achevée en 1828, celle de l’Ancien Testament en 1835. Sous l’influence des nouveaux venus, Radama Ier adopte officiellement l’alphabet latin pour la transcription du malgache en mars 1823.

7 Nous avons un témoignage de leur activité grâce à l’article du révérend Richardson paru dans l’Antananarivo Annual de 1876 : « Malagasy tononkira and hymnology », qui recèle beaucoup d’informations très précieuses pour la compréhension de leur démarche. Il écrit, parlant des premiers missionnaires : They committed the language to writing; they taught the people some of the most useful arts and manufactures; they made and printed two dictionaries, one of 307 and the other of 42 pages; they translated and printed the whole Bible from Genesis to Revelation, beside many other books … …

8 Dès leur arrivée, les missionnaires accordent une attention particulière à la littérature malgache. Richardson rapporte leurs propos sur les chansons traditionnelles en y mêlant ses commentaires (Antananarivo Annual, 1876, pp. 151 et 153) : The Malagasy as a nation are passionately fond of music and singing and some of their songs, as has been remarked by most travellers, are extremely plaintive. And yet, a most surprising thing, the purely native language contains no rhythmical compositions. The first missionaries, who resided here from 1820 to 1835, followed by Mr. Ellis, and laterly by Dr. Mullens, noticed the plaintiveness of their native songs … … The native songs are sung to a kind of chant, one or two voices leading in the song, and the others joining in as a chorus at the end of each stanza.

9 Les premiers missionnaires sont donc sensibles à l’existence de chansons traditionnelles et s’appuieront sur l’engouement populaire qu’elles suscitent pour répandre les cantiques protestants. Richardson indique qu’une Grammar of the , grammaire publiée en 1854 par l’un de ces missionnaires, M. Griffiths, comporte, par exemple, un chapitre sur la prosodie, recensant plusieurs types de mètres, suivis d’exemples, comme ci-dessous : The long metre: 1

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Tàvim-bilàny ny àina, Tsy hìta izày havakìan’; Fòfo-nahàndro ny àina, Tsy híta izay halevònan’. 2 Ny fétry ny maty tsy híta; Hàzo amóron-tèvana, Tsy hìta izay hianjeràn, Na ho àndro na ho àlina. 3 Tsy mpiry no ho tanóra, Indray mitórak’hiàny, Ny fàty mpanàzakàzaka; Zanahary, Tómpony ny àin’. The short metre: Avelào isìka Izày te-ho tìa Ny mpanàvotra antsìka Hanàrak’Azy.

10 Selon les informations de Richardson, les premiers missionnaires auraient composé plus de deux cents cantiques sur ce modèle6, s’aidant des airs religieux anglais. Il commente ce travail : Yet these hymns were looked upon as treasures during the dark days of persecution: they proved a solace to many a weary and distressed disciple; and when the missionaries again landed in 1862, these hymns were still remembered with singular pleasure by those who had passed through the fires.

11 Selon ses dires, ce sont les missionnaires de la LMS qui ont les premiers imprimés un recueil de cantiques : « The first malagasy hymn and tune book (Tonic Sol-Fa) was published by the L.M.S. missionaries »7. Richardson regrette cependant que les vieux cantiques des premiers missionnaires soient irréguliers. Il en recomposera d’ailleurs certains pour les faire correspondre au rythme 8-7.

12 C’est donc dans ce cadre missionnaire motivé par un prosélytisme religieux affirmé que s’élaborent les premiers recueils en langue malgache. La chercheuse nigériane Moradewum Adejunmobi a pu ainsi affirmer que les premiers auteurs à écrire en langue malgache furent les missionnaires (1998 : 24).

Les premiers auteurs malgaches

13 À cette première ouverture, très brève, succède ce que les chrétiens appellent le temps des persécutions (1835-1861), une époque de fermeture des frontières et de rejet de la présence étrangère, sous le règne de la reine Ranavalona Ire. La religion chrétienne est interdite et ses fidèles condamnés à la clandestinité. C’est à cette époque que débute de manière significative l’écriture de cantiques par des auteurs malgaches eux-mêmes — bien qu’on sache que Josoa Ramanisa en ait déjà écrit dès 1828 —, des cantiques qui témoignent d’un vécu inédit, d’une situation nouvelle des chrétiens de l’île. Leurs jeunes auteurs prennent la plume moins pour dénoncer leurs conditions de vie et la haine dont ils font l’objet de la part du pouvoir royal que pour célébrer leur foi en la vie éternelle et maintenir vivant l’espoir du salut. Si ces premiers textes appelés mainty molaly8 sont souvent anonymes, quelques-uns sont signés. Nous donnons ici la traduction de deux d’entre eux, écrits par Josoa Ramanisa9 et Rainisoa Ratsimandisa. On

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notera au plan formel la régularité du modèle strophique et l’isosyllabie des vers10, l’unité musicale (la mesure) devant être d’égale durée pour pouvoir être facilement chantée. Misaora an’i Jehovah (Remercie Jehovah) Misaora an’i Jehovah Miantsoa ny anarany Mitoria ny asany Amin’ny olombelona Ambarao ny fiantrany Lazao ny famindram-pony Fa mahagaga antsika Ny fitiavany antsika. Mpanota tsy naringana Very manam-panavotra Maty ka nomeny aina Ho velona mandrakizay. Ry Andriamanitray o! Ry Jesosy Mpamonjy o ! Ry Fanahy Masina o ! Vonjeo ny olona ory. Fa zohy no itoeranay Lava-bato no ierenay Fa indrafo no ifalian’ Ny mpivahiny mandalo. Remercie Jehovah Invoque son nom Célèbre ses œuvres Parmi les hommes Témoigne de sa charité Loue sa compassion Car nous sommes émerveillés De son amour Les pécheurs ne sont pas anéantis Réduits en esclavage, ils ont un racheteur Morts, il les ressuscite Et ils auront la vie éternelle O Notre Dieu ! O Jésus Sauveur ! O Esprit Saint ! Sauve les misérables. Car nous demeurons dans des cavernes Nous nous cachons dans des grottes Mais la miséricorde réconforte Le pèlerin sur sa route. Josoa Ramanisa (vers 1840) Tsy haharitra ela (Cela ne va pas durer) Tsy haharitra ela Ny tafiotr’alina Tsy ho andro maro Hitondrany ory Atsy ny fipoak’andro Fa akaiky ny finaritra. Hisava ny rahona

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Ho afa-maizina Hefainy ny tany Tsy mety ho diso Fa ho hita tsy ho ela Ny tany tsara onenana. Elle ne va pas durer La tempête de nuit Ils vont bientôt finir Les jours de souffrance Le soleil radieux est tout près Et le bonheur est proche. Les nuages se dissiperont L’obscurité se retirera Il bâtira La terre sans péché Et bientôt nous verrons La terre où il fait bon vivre. Rainisoa Ratsimandisa

14 L’année 1861 marque la fin des persécutions et le retour des missionnaires européens, anglais, mais aussi norvégiens ou français. De nombreuses écoles confessionnelles ouvrent dans les principaux centres urbains. La diffusion des cantiques en langue malgache est une priorité pour les missions, qui éditent plusieurs anthologies. En 1864, la mission anglicane publie un livre de prières traduites, les chants malgaches étant jugés indignes d’être prononcés pendant la liturgie. L’année 1870 voit la réédition du recueil protestant, tandis qu’en 1875 l’Église luthérienne édite le sien, et en 1876, catholiques et anglicans sortent chacun un opus de textes religieux.

15 Qu’en est-il de la production poétique des auteurs malgaches ? Elle reste modelée par l’influence des écoles missionnaires. Les premiers poètes sont, comme Josefa Andrianaivoravelona ou Rabary par exemple, des pasteurs formés par la LMS. D’autres noms restent célèbres jusqu’à aujourd’hui, ceux notamment de Razafimahefa, Ramahandry Rainijohnson ou Rainizafimanga, celui également de Rajaonary dont voici un extrait de poème (cité par C. Rajoelisolo 1958 : 336) : Mafy ny alon-drano izao Sady maria no manindao ; Nefa ny Tompo momba anao : Moa ho kivy va ? Les vagues sont fortes, Le courant est rapide ; Mais le Seigneur est avec toi, Perdrais-tu courage ?

Les premiers poèmes profanes

16 Parallèlement à cette poésie religieuse, commence à se répandre une nouvelle manière poétique, liée à l’essor des journaux qui contribue beaucoup à sa diffusion. On date généralement de 1875 la première poésie profane en langue malgache, signée R. B : « Midira ato an-tranoko, ry lalitra malala » (Entre chez moi, mouche chérie). On a la référence de sa publication : elle paraît dans le journal protestant Teny Soa (Bonnes paroles), mais le texte en est actuellement introuvable. Le problème est le même pour le célèbre poème de Rajaonary publié en 1880 dans le journal N y sakaizan’ny tanora (L’ami des jeunes) : « Ny Abidin’ny toaka » (l’ABC de l’alcool). Des fragments de ce long

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poème sont encore connus de mémoire dans les milieux lettrés de la capitale malgache. On en trouvera l’intégralité en annexe de cet article. Nous en citons ici l’extrait le plus connu, dans une traduction de l’écrivain Charles Rajoelisolo (ibid.) : Adala ny olon’izay doro-dava, Agebok’ireny ny vola ka lany, Ataony ao am-body barika, ka rava : Areti-mandoza no vokatr’izany. Est fou celui qui s’enivre tout le temps et de son argent ne fait qu’une bouchée, qui met ses avoirs au fond d’une barrique : il récolte des maladies dangereuses.

17 Suite à ces premières tentatives poétiques fortement contraintes par le contexte de production et de diffusion, quelques propositions théoriques destinées à cadrer la création naissent dans les cercles missionnaires. C’est la deuxième étape de la constitution d’une poésie écrite en langue malgache, le temps de l’élaboration théorique.

Le temps de l’élaboration théorique

18 Dans un premier temps, cette théorisation est le fait des missionnaires étrangers ; ils proposent successivement plusieurs codifications de la poésie malgache, en référence à des modèles européens. Ainsi paraît dans l’Antananarivo Annual de 1876 une étude des missionnaires protestants Hardley, Richardson et Dalhe, qui suggère d’adapter la versification européenne à la langue malgache. En effet, selon eux, les mots malgaches, ayant une musicalité naturelle et un accent majeur, se prêtent à former des vers rythmés. Les mots malgaches utilisent des suffixes dans leur terminologie, ce qui permet d’introduire la rime dans les vers (Rakotoandrianoela 1992) et de fournir des exemples à l’appui ; ainsi le missionnaire Hardley propose un exemple de cantique en langue malgache rimé et cadencé : Jeso Mpamonjy Mpiandry tokoa Ampivereno hanaraka Anao ; ndry mania manary ny soa Aza avela hiala aminao.

19 À l’appui de cette théorie sur l’adaptation de la poésie malgache aux canons européens, le révérend J. Sewell, de la Friend’s Foreign Missionary Association (FFMA) publie cette même année 1876 un petit ouvrage intitulé : Poema sy fihirana anglisy (Poèmes et cantiques anglais)11, où il expose en détail et en malgache les règles de la versification anglaise.

20 Parallèlement à ces tentatives de théorisation, l’enseignement missionnaire favorise l’entreprise de traduction. Des fables d’Ésope sont traduites en malgache, sous le titre Angano (Contes), tandis qu’en 1889 le prêtre catholique Basilide Rahidy traduit les Fables de La Fontaine sous le titre Fanoharana. À l’inverse, le missionnaire norvégien Lars Dahle opère des transcriptions du malgache, et le pasteur Rainitovo produit une collecte de fables et de hain-teny.

21 La théorisation opérée par les missionnaires ouvre la voie à de nouvelles propositions théoriques, qui sont le fait, cette fois, de poètes malgaches, praticiens avant d’être théoriciens. Qui sont ces poètes malgaches du début du siècle, des années 1900-1915, ceux qu’on appellera ensuite N y Mpanoratra zokiny (Les Aînés),12 ? Ils appartiennent à

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l’aristocratie merina et ont nom , Alfred Ramandiamanana, Auguste Rajon, Ramaholimihaso, Jasmina Ratsimiseta… Certains utilisent des pseudonymes pour avoir davantage d’aisance dans l’expression ; c’est ainsi que Stella est le prête-nom d’Édouard Andrianjafitrimo, Jupiter celui de Justin Rainizanabololona, ou encore Eli-Sephon celui d’Alphonse Ravoajanahary. Ils publient dans les journaux de la capitale, dont ils sont souvent les rédacteurs en chef : les Vaovao frantsay-malagasy (Nouvelles franco-malgaches), Ny Basivava (Le Bavard), Mifoha i Madagasikara (Madagascar se réveille), ou Ny Lakolosy volamena (La Cloche en or).

22 Le contenu des poèmes est souvent à double sens, dans un contexte de montée du mouvement nationaliste malgache. Voici, avec ce texte de Lala (pseudonyme), Ny tanindrazako, publié dans Ny Basivava (no 24, 22 février 1907), un exemple de cette poésie que l’on dira ensuite « classique ». C’est un poème engagé, qui ne déplore pas seulement la perte d’un coin de terre, (tany), mais celle du pays entier (le tanindrazana, la terre des ancêtres), avec peut-être un appel à rejoindre le mouvement nationaliste du VVS (Vy, Vato, Sakelika) dans la quatrième strophe : Ny tanindrazako La terre de mes ancêtres) Mba mamiko toy ny tantely Izay tanindrazako izay, Fa toa fonenan’anjely Tsaroako mandrakizay Mba reko fa misy ny tany ‘zay tsara dia tsara tokoa ny ahy tsy latsak’izany fa tany mba be zava-tsoa. Ny rivotra izay mba mitsoka, Mampody ny aiko tokoa Ny volana tsy mba misoka, Iriko ho endriny koa. Ny vorona raha mihira, Manaitra ny saina sy fo Ny hazony miantso : “midira” Fa eto no mahafa-po. Ny taolan’Idada malala, Mitana ny aiko ho ao, Ny saiko dia toy ny adala, Tsy miala fa ao aminao. Mitana hiorina mafy Ny tenan’Ineny tsy foy, Aleoko ho olo-mihafy Fa izy tsy azo nafoy Fonenan’ny olo-malala, Fonenan-tsy tiana ho lao, Ny tiana tsy manan-tsahala Tsy hita tsy ao aminao. Ny kintana tena mazava Mazava malefaka koa Ny volana no mampisava Ny aizina tsy mahasoa. Ry tany malalako loatra, Ny foko dia manina anao, Na lavitra aza hihoatra, Fa tsy tody raha tsy ao aminao.

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Misento mahalana ihany Ny foko raha lavitra anao Ny hehiko zary tomany, Ny tsiky tsy azo natao. Elle m’est douce comme le miel Cette terre de mes ancêtres, Pareille à la demeure des anges, Je m’en souviendrai à jamais. Pourtant on m’a dit qu’il existe Des pays magnifiques Le mien ne leur cède en rien Lui aussi est merveilleux. Le bon air qui souffle Me vivifie La lune jamais ne se cache Je souhaite que ma terre lui ressemble. Les oiseaux quand ils chantent, Éveillent l’âme et le cœur Leur forêt nous fait signe : « entrez » Car ici on ne manque de rien. Les os de mon Père aimé, Retiennent là ma vie, Mon esprit est comme fou Il ne peut te quitter. Elle me retient profondément enraciné Ma Mère que je ne peux abandonner Je préfère endurer la souffrance Mais je ne peux l’abandonner. Demeure des êtres chers, demeure que l’on n’aimerait pas voir [tomber en ruine, Ce qui est aimé sans égal Je ne peux le trouver qu’en toi. Les étoiles scintillent Claires et douces C’est la lune qui éclaircit L’obscurité menaçante. Ô terre que j’aime tant, Mon coeur a la nostalgie de toi Même si je suis loin je franchirai les distances Car mon seul refuge est en toi. Mon cœur soupire Lorsqu’il est loin de toi Mes rires deviennent des pleurs, Mon visage ne peut plus sourire.

23 Cette poésie est fidèle aux codifications proposées par les missionnaires, tout en adaptant progressivement les canons européens aux spécificités de la langue malgache. Parmi ces premiers théoriciens malgaches, Jupiter, autrement dit Justin Rainizanabololona, collaborateur de Stella pour Ny Basivava, puis créateur de Ny lakolosy volamena en 1910, est l’un des plus reconnus. Il codifie les règles poétiques dans un livre paru en 1914 : Lesona tsotsotra momba ny fianarana poezy amin’ny teny malagasy (Leçon élémentaire de prosodie malgache), qui s’appuie sur quelques principes de base : la structure strophique régulière, la rime plate, embrassée ou croisée, et la structure versifiée.

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24 Justin Rainizanabololona reprend les règles des missionnaires en matière de versification, mais en supprimant les mètres qui ne s’adaptaient pas en malgache : l’anapeste, le dactyle. Il préconise deux sortes de mètres : le tiky taky, « tic-tac » en deux temps (une syllabe accentuée, l’autre non) et le tsaikona, le « trot » (une syllabe accentuée, deux autres non). Il distingue en outre le système de diphtongues ai/ao des autres assemblages de voyelles (ae/oe/eo/ie/ia).

25 Ce rapide panorama de la production poétique et théorique des débuts du XXe siècle à Madagascar montre combien restent soumises à influence les pratiques de création comme les constructions théoriques. Les poètes malgaches écrivent une poésie rimée, isométrique, iso strophique, selon le schéma qui prévaut en Europe à cette époque, a fortiori dans la poésie religieuse, plus contrainte encore puisque destinée à être chantée. Mais la voie de l’imitation n’est qu’une des nombreuses pistes empruntées par la poésie malgache au XXe siècle, qui fait, par ailleurs, la part belle à une parole inventive et audacieuse.

La voie de l’innovation

26 C’est dans un contexte politique tout à fait singulier qu’il faut situer le virage opéré par la poésie malgache en 1922. La grande majorité des écrivains malgaches avaient dans la décennie précédente participé au mouvement nationaliste clandestin VVS, et, lors de la violente répression de 1915, beaucoup d’entre eux avaient été déportés ou étaient au mieux réduits au silence depuis cette époque. Or l’année 1922 correspond au retour d’exil de ces écrivains. Un mouvement se crée autour du militant Jean Ralaimongo pour réclamer la liberté d’expression pour les journaux écrits en malgache, le retour aux rites traditionnels et à l’étude de la langue malgache. Quelques années, plus tard, en 1929, la revendication de l’indépendance devient manifeste.

27 Dans ce cadre, les « Aînés »13 de retour d’exil vont former les nouvelles générations de poètes apparus pendant la décennie 1920 et qui avaient commencé prudemment par écrire une poésie lyrique, en apparence totalement hermétique à l’engagement politique. On appellera ensuite cette génération Ny Mpanoratra zandriny (les Cadets). Qui sont-ils ? Parmi les plus connus, citons Jean-Joseph Rabearivelo, Samuel Ratany, Charles Rajoelisolo, Jean Narivony, Rafanoharana, Jean-Honoré Rabekoto, Raharolahy… Les énergies se fédèrent, de nouveaux journaux sont fondés, comme le Tsara Hafatra (Bien recommandé ?), ou bien Ny Mpandinika (Le Penseur), Tanamasoandro (Rayon de soleil), Ranovelona (Eau vive), Sakafon-tsaina (Nourritures de l’esprit).

Le mouvement « mitady ny very »

28 De cette nouvelle dynamique poétique à l’oeuvre, un trio se détache, qui restera célèbre : celui formé par Jean-Joseph Rabearivelo, Ny Avana Ramanantoanina et Charles Rajoelisolo. Tous les trois fondent le 5 août 1931 le journal Ny Fandrosoam-baovao (Le Nouveau Progrès), qui s’attache à promouvoir la poésie et voudrait donner une nouvelle impulsion aux productions en langue malgache. Bientôt, ce mouvement de

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renaissance des valeurs traditionnelles malgaches se précise, jusqu’à ce que le 24 février 1932, J. J. Rabearivelo signe dans le no 28 du Fandrosoam-Baovao un article promis à la gloire, où il invite le lecteur à « aller à la recherche de ce qui est perdu », mitady ny very (cité et traduit par Solohery 1976 : 197-198) : Mbola tsy nahadini-tena na mbola tsy nandini-tena akory isika, raha ny poezia no heverina. Ao dia ao anefa ny tena “maha-isika” antsika, satria ao mihitsy ny fitaratra fijerena ny ao anatin’ny fo sy izay afenin’ny fanahy. Ny antony angamba dia satria isika mbola variana amin’ny ivelany fotsiny, ka tsy mitady afatsy fikaonam-peo, dia isika tsy mandroso tsy mihemotra, fa manao v o l a n - k a n k a f o t r a mandavan-taona. Taona efa am-polony maro izao no nampidirana filamatra aman-dalàna vahiny amin’ny tononki-rantsika. Noraisina avy hatrany ireny ary narahina be fahatany. Noho ny hamaikana hiova randrana dia tsy voadinika akory raha hifanaraka amin’ny mozikan’ny fitenintsika ny fomba vaovao, na tsy ho antonona azy, ary raha hahasoa azy na hanimba azy kosa. Dia navela ary dia nohadinoina mihitsy ny an-tena. Voabanty noho ny fahanterany, nokianina noho izy tranainy. Miova hatramin’ny fandrain’ny sofina, ka dia niova hatramin’ny fandrain’ny fo koa ; ny farany, dia fahaverezan’ny teny tsotra izay voasolo rediredy mirindra.

Filamatra aman-dalàna vahiny no inoanay (mbamin’Ny Avana sy Ch. Rajoelisolo) ho nahavery ny tena poezia. Hataonay vavahasy, fa ny poezia vahiny kosa no entinay mitady sy mamerina azy indray! Ho anao efa nanova sofina ka tsy mandre feo manga intsony raha vao tononkalo ntaolo no miredona, manainga anao izahay : velaro ny Baiboly, ka vakio Paoly sy ny Salamo ary ny Tononkira — ao ny tena poezia na dia tsy misy fiafaran-teny mitovy aza ny andàlana aminy. Afa-tsy izany dia manampikasana izahay handika sy hampiseho tara-tononkira voafidy amin’izay vita eran’izao tontolo izao. Tsy hataonay arakara-taona na arakara-pirenena ny famoahana azy, fa hampifamadibadihanay kely mba hahitana ny tarehy samihafa ananandRapoezia. Raha hiverina amin’ny toetrany marina ny sofinao dia ampoizinay fa hohitanao ao indray ilay efa very. Nous ne nous connaissons pas et nous n’avons pas encore réfléchi sur nous- mêmes14, en ce qui concerne la poésie. Pourtant, c’est en elle que réside notre personnalité ; car la poésie sert de miroir pour voir ce que contient le cœur et ce que cache l’âme. La raison vient peut-être du fait que nous sommes fascinés par ce qui est extérieur et que nous ne cherchons, dans la lecture des poèmes, que les sonorités ou les alliances de mots charmant l’oreille. De ce fait, les conséquences graves et malheureuses c’est que nous ne sommes ni en progrès ni à reculons, et nous ne faisons que répéter à longueur d’année. Depuis des dizaines d’années, nous avons intégré dans nos poèmes les modèles et les règles de l’étranger. Nous les avons aussitôt adoptés et appliqués à tout prix.

Dans notre empressement à vouloir changer de forme, comme on changerait de tresses des cheveux, nous n’avons même pas étudié si ces nouvelles mesures pourraient être en harmonie avec la musique de notre langue, si elles l’embelliraient ou la détruiraient. Et nous avons délaissé et même oublié ce qui fut nôtre. Brimé parce que vieux, blâmé parce que désuet. Il n’y a jusqu’à la perception de l’ouïe qui n’ait changé et de ce fait aussi celle du cœur ; à la fin, ce fut la perte des mots simples, changés en bavardages rimés.

Nous croyons (avec Ny Avana et Ch. Rajoelisolo) que ce sont les modèles et les règles de l’étranger qui conduisent à la perte de la vraie poésie. Nous serons francs

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et ce sera la poésie étrangère que nous utiliserons pour la quérir et la ramener à sa vraie place ! Pour toi dont l’ouïe ne perçoit plus la beauté de la voix quand clame un poème ntaolo [ancestral, ancien], nous te prions : ouvre ta Bible, lis Saint Paul, les Psaumes ou le Cantique des Cantiques — c’est là qu’est la vraie poésie même si elle n’a pas de rimes. D’autre part, nous avons l’intention de traduire et de publier des poèmes choisis parmi ceux du monde entier. Nous ne les publierons pas selon la chronologie ou le pays d’origine, mais dans un ordre varié afin de voir les différents visages de Dame Poésie. Si tu redonnes à la perception de tes oreilles ses facultés originelles, nous sommes certains que tu y retrouveras ce qui était perdu.

29 Cet appel de J J. Rabearivelo sera entendu, et un mouvement s’organise autour de ce manifeste, mouvement qui sera par la suite tout simplement appelé du titre de l’article : « Mitady ny very ». Ce mouvement entend préserver le patrimoine culturel national (vakodrazana malagasy), tout en l’enrichissant des expériences étrangères. Sa conception privilégie : • la prépondérance de la langue nationale, par la mise en place de concours de kabary (discours), la diffusion de directives précises concernant la traduction, et d’études sur la langue malgache dans les journaux… ; • l’utilisation du genre romanesque pour former les lecteurs, en exigeant de sortir de l’écriture de romans de quat’sous (bokin-draimbilanja). Charles Rajoelisolo publie dans les Sakaizan’ny tanora de mai 1930 à novembre 1931 des conseils aux jeunes romanciers ; • la reprise du substrat traditionnel de la poésie et l’ouverture aux apports étrangers.

30 Pour cela, le trio de jeunes poètes ouvre trois chantiers poétiques : Ny Avana tente d’initier une nouvelle génération poétique qui se détacherait de la rime ; Rajoelisolo exhume et met en valeur les genres traditionnels de la poésie malgache, notamment par le biais d’articles dans le Fandrosoambaovao (notamment entre janvier et avril 1932) ; quant à Rabearivelo, il s’attache à développer les relations entre le monde poétique malgache et l’extérieur, par des traductions de Verlaine, Rimbaud, W. Whitman, Rilke, Tagore, Laforgue, et de poésies malgaches en français.

31 Le 13 juin 1934, dans le Fandrosoam-baovao, J. J. Rabearivelo, Ny Avana et C. Rajoelisolo publient un article qui fait un premier bilan de leurs efforts, intitulé « Hita ny very » (Ce qui était perdu est retrouvé). Nous en proposons ici une traduction en français : Quand nous avons parlé de la poésie dans ce même Fandrosoambaovao, nous avons employé le mot de Mitady ny very. Il nous semblait que la vraie poésie était perdue à cause de l’arrivée de la versification occidentale qui a été diffusée ici. Aujourd’hui, pour nous, la poésie n’est plus perdue et déjà se montre le fonds de la vraie poésie : déjà la mélancolie du cœur remue chaque cœur, le chant de l’âme fait vibrer chaque âme. Cela fait déjà longtemps que nous ne nous sommes pas montrés. Nous avons semé l’idée et nous l’avons laissé germer un peu. Nous sommes heureux d’en voir à présent les bourgeons, car le chef de file de la versification, M. Justin Rainizanabololona, a annoncé publiquement que la rime sans poésie n’est pas la poésie. Il dit dans son journal Antananarivo : « Selon moi, il vaut bien mieux un poème riche de sens et qui fait vibrer le cœur, même s’il ne suit pas les règles, qu’un poème respectant les rimes, mais qui ne donne pas à penser, car on rentre les mains vides si l’on va puiser de l’eau dans un panier percé ». C’est exactement ce que nous pensons. C’est la poésie qui doit être le principal objet de la poétique. La beauté de la rime n’est que le lamba15 qui la recouvre. Nous avons

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commencé par plier le lamba qui l’enveloppait, pour qu’il ne dupe pas l’esprit des gens… … Nous avons déjà touché les vrais poètes, c’est-à-dire les hommes qui ont l’esprit et l’âme du poète, suivant nos idées. Et nous sommes heureux de montrer au lecteur les fruits de ce travail… ...

32 Quelles sont de fait les innovations formelles du mouvement mitady ny very ?

33 Les propositions faites par ce groupe d’écrivains sont le fruit d’une analyse et d’une pratique de la poésie de leurs prédécesseurs. Ils déplorent les contraintes qui déparent la poésie malgache écrite, notamment la volonté d’imiter la versification européenne. Rabearivelo a ainsi pu écrire, dans un document demeuré inédit16 : Il n’a fallu que les innovations de J. Rainizanabololona pour que la Poésie hova [merina], reniant ses formes traditionnelles eût l’allure de ses soeurs occidentales, c’est-à-dire syllabique et métrique (sic). Bien que fort sévère et allant jusqu’à condamner tout poème qui, même en un seul vers, enfreignît les règles, je dois reconnaître que cette forte discipline eut son temps d’utilité. Temps nécessairement limité, il est vrai, et qui ne peut sans peine de paraître ridicule, prétendre au droit d’être éternel ! Je suis très heureux de voir que la jeunesse littéraire hova y pense depuis quelques années et s’efforce, non de briser les lois prosodiques établies, mais de les assouplir en les agrémentant des plus belles « trouvailles » de nos vieilles chansons. Celles-ci n’avaient ni la construction, ni forme définies. Elles ne voulaient être que ce que doit être la Poésie = une âme s’abandonnant au charme du seul rythme. Toutes les pièces de la deuxième partie de ce livre ont été écrites dans ce sens et leurs auteurs se seraient volontiers… … n’était leur amour d’indépendance, sous ce nom de vers libristes.

34 Rabearivelo et ses amis ne s’en tiennent pas à cette condamnation de la discipline et des règles héritées de l’extérieur, mais proposent une autre voie, qui permettrait de retrouver les formes traditionnelles de la poésie malgache. Ils préconisent la disparition de la structure strophique régulière, l’effacement de l’isométrie ou bien encore le choix de l’assonance et de la rime intérieure plutôt que de continuer à utiliser la rime (Ramiandrasoa 1992). Leur chantier poétique produira quelques-unes des plus belles réussites de la poésie malgache du XXe siècle, tant en français qu’en malgache.

35 Ce retour sur les débuts d’une poésie écrite en langue malgache laisse, bien sûr, un sentiment d’insatisfaction, d’incomplétude. Ceci pour plusieurs raisons. La principale est, bien entendu, liée à notre manque de maîtrise de la langue malgache. Une autre étant que nous ne possédons pas ou plus certains textes pourtant fondamentaux pour décrire précisément l’évolution des pratiques et des théories poétiques.

36 Ensuite, nous n’avons évoqué, faute de place, ni l’héritage laissé par ces premières générations poétiques sur les suivantes, ni les multiples expériences et innovations poétiques des générations nées à partir de 1910, celles de Dox, de Charles Ratsaraoelina, puis Randza Zanamihoatra… et des générations suivantes. Nous noterons au passage le dynamisme actuel des associations de poètes comme le groupe des Sandratra (« Promotion ») ou l’Havatsa-UPEM (Union des poètes et écrivains malgaches)…

37 Enfin, et pour conclure provisoirement, nous devions poser avec sans doute plus de force et d’exigence la question de fond : quelle imitation ? Quelle innovation ? Car, en

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effet, quelles sont les sources d’imitation pour les poètes ? Sont-ils seulement influencés par la poésie occidentale ou ont-ils toujours eu plusieurs modèles ? Il semble que la poésie malgache traditionnelle ait constamment exercé une influence considérable sur la poésie écrite. D’abord, par le biais de la chanson — le mot malgache tononkira, poème, est construit sur un jeu d’alliance entre les deux termes « paroles » et « chant »] —. Poème et chant ont toujours été intimement liés, et de nombreux poèmes seront repris en chanson, comme le poème Tafasiry de Norbert Ranaivo chanté par Barijaona dans les années 60. On pense aussi aux poèmes mis en chanson de Régis Rajemisa-Raolison. La poésie traditionnelle exerce aussi une constante influence par le biais des rythmes. Ainsi lorsqu’il travaille à sa codification, Justin Rainizanabololona ajoute aux mètres européens des mètres malgaches comme le taralila (l’« accordéon » des poésies traditionnelles). Par la suite, Ny Avana ajoutera, lui aussi, un mètre traditionnel, le kidaombarambita des tononkalo (chansons, poèmes), un rythme de tamtam invitant à la danse. Enfin, les poètes ont toujours utilisé des proverbes et des images traditionnelles ; dès les premiers cantiques écrits par des auteurs malgaches, Rainisoa Ratsimandisa fait allusion au hain-teny : Tavim-bilany ny aina, Tsy hita izay hahavakiany ; Fofo-nahandro ny aina, Tsy hita izay hahalevonany. La vie est pareille à une poterie : Qui prévoit le jour où elle se brisera ? La vie est comme de la vapeur sortant de la cuisson : Qui se rend compte de sa disparition ?

38 Plus tard, les poètes de la première génération, les « Aînés », s’inspireront eux aussi des hain-teny comme le suggèrent ces bribes de textes : « Voahirana an-drano maria ny tiana, / takarin-tsy azo, afoy mahaliana » (Jupiter), ou bien « Homba anareo tsy haditra ‘ty ‘zaho / Ka aza ilaozana moa fa andraso »(Stella)...

39 D’autres pistes sont à creuser, et des analyses se font plus que jamais nécessaires, concernant, par exemple, le thème de l’alcoolisme, très prégnant dans les premiers poèmes, ou encore l’origine sociale des poètes, très souvent issus de l’aristocratie merina. On ne pourra omettre de s’interroger également sur le public de cette poésie, et sur le versant francophone de la poésie malgache.

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ANNEXES

ABIDIN’NY TOAKA A Adala ny olona izay tia toaka Adabok’ireny ny vola ka lany Ataony ambody barika avy hatrany Areti-mandoza no vokatr’izany B Bedain’ny sasany ilay tia toaka Babon’ny Satana ny fony rehetra Barika mandeha toa manjoretra Baikoan’ny vola tsy misy fetra D Doran’ny sain’ilay tia toaka Daka diamanga ireo mampijaly azy Difotra ny ainy tsy vazivazy Daroka sisa no mananatra azy E Efitrin’ny helo no fiainan’lay tia toaka Eso, latsa no ravakin’ny androny Efa lefy matroka izato masoandrony Esorin’ny Satana ny kely manome ny heriny F Fasana no miandry an’ilay tia toaka Fongana avokoa izay hany fananany Fandrika miandry ny lalan-kalehany Fonja manjohy ka mitady ny tenany G Godraka ny tenan’ilay tia toaka Gaga ny olona mijery ny toetrany Gidragidra lava no androm-piainany Gaigy sy romotra no fomba fijeriny H Hetahatan’adala ny an’ilay tia toaka Hevitra taingina no avoakan’ny vavany Henatra baraka no mameno ny tenany Hosoka halatra no fihetsiketsehany I Iza no mba havan’ilay tia taoka Ireo mpidoroka, mpanamaoly no mba sakaizany

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Ilaozan’ny maro fa kely ny sainy Izy mety manam-pahaizana fa ny heviny ambany J Janga no lalan’ilay tia toaka Jereny ny marina toa fahavalony Jesoa halany ka tsy ankasitrahany Jonon’ny Satana izy fa tena rembiny K Kilemaina, vatana, saina ilay tia toaka Kamboty velona ireto taranany Kitraitraina ny vady aman-janany Kamo be tenda no tena talentany L Lova ratsy no anjaran’ilay tia toaka Lany ny harena noho ity fahadalany Levona ny fanahy fa tsy ampy ny heriny Lalan’ny helo no indro izorany M Mangozohozo ny tenan’ilay tia toaka Mikainkona ny voa vokatr’izany Matimaty foana ny vady aman-janany Mijaly maloka no fiafaran’ny fiainany N Nahoana no manjombona ilay tia toaka Nanafina ny tava noho izato ditrany Natahotra sao hijinja ny vokany Ny antson’i Jesoa tsy nasiany dikany O Ozona no miandry an’ilay tia toaka Olona meloka ireto taranany Ory misento ny androm-piainany Omby mahia tsy lelafin’ny namany P Potika ny androm-piainan’ilay tia toaka Potraka faona ka hopitaly no tranony Pentina sisa no mamantatra ny tenany Peratra sarotavohangy no hany ravany R Rovitra akanjo no anjaran’ilay tia toaka Ratsy fitafy izato vady aman-janany Raiki-tahotra raha mahita ny tavany Ratra, rangotra no valim-pananarany S Sempotra lava ilay tia toaka

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Sady bila fandeha no mena ny masony Safotra miakatra ambony ny tosidrany Sahirana lava ka makanimakany T Taranaka mijaly ny an’ilay tia taoka Tenany very ary koa izato hajany Tapitra sy velona ny fahasambarany Tranomaizina no toa mba anjarany V Voa mikainkona sisa ny an’ilay tia toaka Vavaka adino ka toa tsy asiany dikany Very haja ny tenany fa lany izato harenany Vitsika mandady avy toa tsy matiny Z Zara raha velona ity tia toaka Zovy no manana fo mifora sabora Zovy no mpangataka voa korakora Zatovo naditra iny fony Tanora Sampana Vokovoko Manga FJKM Fitiavana Antsirabe

NOTES

1. Notamment telles que présentées dans la revue Notre Librairie, no 109, avril-juin 1992. 2. Nous n’évoquerons pas ici les problématiques spécifiques liées à l’écriture sorabe, en caractères arabes, plus ancienne encore. 3. Discours officiel prononcé à Antananarivo en 1966 sur le projet de communauté francophone. 4. L’une des formes de la poésie traditionnelle malgache. C’est une forme dialoguée pratiquée lors de joutes oratoires où deux récitants improvisent des répons sur le canevas du dialogue amoureux. Ce type de discours obéit, lui aussi, à des lois précises : le hain-teny réussi saura user avec à-propos de références proverbiales, d’images adéquates, de formules qui font mouche, d’humour aussi. 5. Pour reprendre le titre d’un roman de J. J. Rabearivelo (Hatier, 1987) qui traite de cette rencontre douloureuse entre deux mondes. 6. “And, most singular to relate, all the hymns, nearly two hundred in number, that were written by the old missionaries and their converts are of this caracter” (Antananarivo Annual, p. 151). 7. Ibid., p. 156. Il précise qu’une nouvelle édition en sera publiée en 1869 (8°, 20 000), ainsi qu’en 1875, un complément au « hymn and tune book » (Tonic Sol-Fa), suivi d’un nouveau supplément en 1876. 8. Dont une traduction littérale maladroite pourrait être « noirci par la suie »et dont le dictionnaire des pères Abinal et Malzac donne le sens figuré de « les vétérans, les anciens ; ancienne possession, héritage, trésor qui date de loin ». 9. Persécuté et en fuite vers l’Île Maurice, Josoa Ramanisa aurait été capturé et sa tête tranchée le 9 juillet 1840 à Ambohipotsy, avec neuf de ses amis.

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10. Ceci au contraire des hain-teny dont les vers ne se comptent pas en terme de syllabes, mais d’accents forts ou faibles. 11. Disponible à la bibliothèque des missions protestantes (FJKM) à Faravohitra, Antananarivo. 12. L’expression est du professeur Charles Ravoajanahary (1964). 13. Ny Avana Ramanantoanina, Radium Rhosalis, Étoile du berger, J. Ratsimiseta, Kodac Ramandiamanana, Lucide, Ari-Star… 14. Le début de ce texte rappelle le poème de Presque-Songes intitulé Ny asanao / Ton Œuvre (PS 15), écrit le 28 juin 1931 : « Tu n’as fait qu’écouter des chants / et tu n’as fait toi-même que chanter ; / tu n’as pas écouté parler les hommes, / et tu n’as pas parlé toi-même. » 15. Étoffe, tissu, étole, toge, couverture (NDLR). 16. Archives familiales.

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Les fleurs de Tselatra Symbolique des fleurs et condition humaine chez un poète malgache du début du XXe siècle

Gabriel Lefèvre, Marie-Laurent Randrihasipara et Velonandro

1 En 1912, Rajaonah Tselatra publie dans le journal Vaovao frantsaymalagasy (Les Nouvelles franco-malgaches) des méditations sur les fleurs, Voninkazo 50 (50 Fleurs)1. Écrivain prolifique, parfois critiqué pour son style jugé trop emphatique, il montre à travers ces dix textes, sortes de poèmes en prose, sa capacité à synthétiser l’esprit de plusieurs genres littéraires : le hainteny (joute poétique), le kabary (discours coutumier), le sermon, la poésie romantique, la prose morale du symbolisme floral, chrétien comme laïque. Nous verrons même qu’à l’occasion de ces pensées sur les fleurs, notre poète retrouve une logique du pouvoir des mots, qui est celle qu’on voit en œuvre dans les rituels ancestraux et dans les incantations des devins-guérisseurs malgaches — et qui est aussi celle des récits bibliques de l’origine.

2 Quelle est la position de la culture malgache vis-à-vis des fleurs ? Dans son célèbre essai sur La culture des fleurs, Goody (1994) avait relevé le contraste saisissant entre les références foisonnantes aux fleurs dans les civilisations de l’Asie et de l’Europe et l’absence quasi totale de ce trait culturel en Afrique. Ainsi on s’apercevait que l’attachement aux fleurs n’est pas universel.

3 Dans la tradition malgache en tout cas, on ne peut pas dire que la figure poétique des fleurs soit absente. Mais l’intérêt porté aux fleurs n’est pas, comme c’est en général le cas en Europe, principalement visuel ; la fleur n’est pas considérée d’abord comme décorative. Il arrive bien que les expressions traditionnelles représentent la fleur2, mais c’est souvent en tant que préfiguration du fruit ou parce qu’elle est le signe et l’annonce des saisons. Ainsi, dans le hainteny (Paulhan 1913, rééd. 1991 : VI-15, p. 154)3 : Ny akoholahy aza aty ambany aty Mahalala ny masoandro ho vaky Ary ny ambiaty an-tanety Mahalala ny ao am-pon’ny lanitra … … Le coq même qui est ici en bas Sait quand le soleil se lèvera Et l’ambiaty qui est sur la colline Sait quelles sont les intentions du ciel … ….

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4 la floraison de l’ambiaty (Vernonia appendiculata Less., Asteraceae) est évoquée parce qu’elle annonce le moment de faire les semailles du riz de printemps : comme le coq donne le signal du jour, l’ambiaty donne celui de l’an ou de la saison ; un autre hainteny dit de lui qu’il peut dompter, contraindre à l’obéissance l’année ou les saisons, mahafolaka am-bozona ny taona (Dahle 1877 : no 70, p. 22 ; rééd. Sims et Dahle 1962 : 234). On voit que ce qui intéresse ici la poésie traditionnelle, c’est, non la plante ou l’oiseau en eux-mêmes, mais leur mode de vie, leur inscription dans un ordre du monde, ce que le biologiste appelle leur écologie.

5 D’autre part, on remarquera que la fleur peut occuper une place dans la question des senteurs, si importante à Madagascar4, comme on le voit, par exemple, dans le proverbe (Rickenbacher 1987 : no 7485)5 : Voninkazo manitra anaty ahitra Hosihosena vao mamerovero Fleur parfumée perdue dans l’herbe C’est piétinée qu’elle embaume.

6 On verra que Rajaonah Tselatra joue dans ses textes sur le vocabulaire du parfum et des odeurs, au point d’ailleurs que la traduction en français en devient parfois difficile : nous avons rendu hanitra par « parfum, fragrance, senteur » (dans l’évocation du sahamborozano, du telovoninahitra, du vahia et du datura), fofony par « odeur », mais fofony mandraraka par « effluves odoriférants » (pour le vahia), famerovero par « effluves » (pour le datura), mais fehiloha mamerovero par « couronne odorante » (pour le vahia encore).

7 Cependant, on aurait tort de croire que le parfum est, comme c’est souvent le cas en Europe, relié surtout à l’idée de fleur. Le mot même de manitra, « parfumé, embaumé », s’applique dans les expressions ancestrales généralement à la bonne odeur des fruits ou à celle du riz qui finit de cuire en attachant au fond de la marmite, et surtout au fumet de la viande boucanée ou grillée, comme on le voit dans le proverbe (Rickenbacher 1987 : no 5812a ; Cousins et Parrett 1871 ; Domenichini-Ramiaramanana 1971, n° 2342) : Sabora raiki-molaly Na manitra aza mangidy Gras de bœuf recouvert de suie, Bien sûr il embaume, mais il est amer.

8 On se souvient que le linguiste Dahl (1992), expliquant le nom divin Andriamanitra, littéralement « Prince-parfumé » y reconnaît le sens étymologique de la bonne odeur de la viande brûlée des sacrifices, qui monte jusqu’à Dieu.

9 Dans l’usage traditionnel qui est fait des plantes, les senteurs sont souvent celles des fruits, des feuilles, des racines, des bois, des écorces, des résines, autant et plus que des fleurs. Cela se retrouve dans les figures de la poésie orale, comme dans le hainteny (Paulhan 1913, rééd. 1991 : VII-13, p. 178) : Razoky va no manitra voan-kazo ? Sa Razandry no manitra ravin-kazo ? No dia manitra Andriana ny trano — Tsy Razoky no manitra voan-kazo Tsy Razandry no manitra ravin-kazo Fa ny fitia havana no be Ka ny trano no tonga manitra Andriana Est-ce Frère-aîné qui a un parfum de fruit Ou bien Jeune-frère qui a un parfum de feuille Que la maison ait le parfum du Roi ?

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— Frère-aîné n’a pas un parfum de fruit Jeune-frère n’a pas un parfum de feuille Mais l’amour pour le parent est grand Et la maison a eu le parfum du Roi.

10 Aussi, quand Rajaonah Tselatra insiste sur l’odeur du vahia, c’est en mettant sur le même plan « le parfum de ses feuilles [qui] franchit les caps, et la senteur de ses fleurs [qui] saisit ceux qui se tiennent de l’autre côté de l’eau ». Et de fait, l’observateur botaniste relève que ce sont « les feuilles et les fleurs flétries » de cette plante qui « exhalent une douce odeur [et donnent une infusion théiforme très agréable] » (Humbert 1923, citant Perrier de la Bâthie).

11 S’il est vrai que la perception malgache des fleurs et des plantes transparaît dans les textes de Rajaonah Tselatra, il n’en reste pas moins que c’est la tradition littéraire européenne du XIXe et du début du XXe siècle qui lui a fourni le patron de ses méditations. Le titre de la série, le principe de consacrer un texte séparé à chaque plante, et de lui attribuer une signification ou une idée morale font penser au célèbre recueil Le langage des fleurs de Charlotte de La Tour (1819), qui a connu un grand succès, a été traduit dans plusieurs langues et a inspiré toute une littérature sur la symbolique des fleurs, en particulier en France et en Angleterre. D’abord diffusés dans des ouvrages destinés à un public cultivé, ces thèmes sont ensuite passés dans la littérature des revues populaires et des almanachs. Les significations que Madame de La Tour attribue aux fleurs sont souvent de l’ordre de la galanterie : le réséda, par exemple, veut dire « Vos qualités surpassent vos charmes »… C’est en tout cas ce qu’on en a retenu le plus souvent : Seaton (1985 : 73) écrit que ce langage des fleurs est un vocabulaire qui donne des mots et des phrases utiles pour le déroulement d’une fréquentation (love affair). C’est certainement vrai — et en un sens cela rappelle les hainteny merina, qui avaient aussi cette fonction galante. Mais les plantes de Madame de La Tour pouvaient aussi renvoyer à des significations moralisantes, qui rappellent parfois de manière frappante ce que nous lirons chez Rajaonah Tselatra. Ainsi, sur la Guimauve, emblème de la Bienfaisance, nous lisons chez la femme de lettres française de l’âge romantique (de La Tour, s.d. : 64-65) : La guimauve est l’amie du pauvre. Elle croît naturellement le long du ruisseau qui le désaltère, et autour de la cabane qu’il habite ; mais elle se prête à la culture, et on voit quelquefois ses tiges modestes se mêler aux fleurs de nos jardins. Elle n’a ni amertume ni rudesse, son aspect est agréable et doux … … Cette tendre mère [la nature] a souvent caché, dans les plantes comme dans les hommes, les plus grandes vertus sous la plus modeste apparence.

12 Quant au Cornouiller sauvage, si sa signification est la Durée, c’est parce que « le cornouiller ne s’élève guère qu’à la hauteur de dix-huit ou vingt pieds : il vit des siècles ; mais il est très lent à croître ; on le voit fleurir au printemps, cependant il ne cède qu’à l’hiver ses fruits d’un rouge éclatant » (ibid., p. 117).

13 Nous retrouverons à plusieurs reprises chez le poète malgache cette attention à la vie de la plante, à son port, qui symbolise les attitudes, humbles ou superbes, de l’homme.

14 Le thème des fleurs est d’ailleurs fréquent chez les écrivains malgaches contemporains de Rajaonah Tselatra. On trouve en 1910 chez un poète qui signait Radium Rhosalis une composition Ny hafatry ny Voninkazo, « Le message des Fleurs », qui énumère dix-sept espèces, pour la plupart des fleurs des jardins avec des noms en français, images convenues du sentiment amoureux (dans : Nirhy-Lanto Ramamonjisoa 1996 : 233-236). Dondavitra écrit en 1909 un Lisy tapaka, « Lis coupé », auquel fait écho en 1911 Ny Lisy

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tapaka de Jupiter (Justin Rainizanabololona de son vrai nom) ; ces poèmes expriment une nostalgie amoureuse, qui peut être aussi la nostalgie d’un royaume brisé (ibid., 430 et 441-442, commentaire 51-52 et 453). Un exemple caractéristique est le poème du même Jupiter, Ny Pikako (« Mon Oeillet »), que Nirhy-Lanto Ramamonjisoa interprète en montrant qu’il renferme un symbolisme caché : l’oeillet, la plus belle des fleurs, préférée à la verveine, au lis, au dahlia, au ne-m’oubliez-pas, à la violette et à la rose, est l’image de celle qu’on ne voit point santionan’ilay tsy hita, la souveraine éloignée, qui est la femme préférée, mais aussi allusion très discrète à la reine de Madagascar, envoyée en exil par les Français (dans : Nirhy-Lanto Ramamonjisoa (2001 : 74-77, discussion pp. 26-29).

15 La thématique des fleurs continue à courir chez les poètes plus récents, par exemple chez Dox (1913-1978). Dans son sonnet Nitady, « J’ai cherché », il reprend la figure de l’aimée qui est la fleur la plus belle, en y joignant le motif de la modestie, car sa fleur à lui est l’avoko (Vigna angivensis Baker, Fabaceae), plante qui pousse eny an-tsefatsefa-bato, dans les fissures des rochers : Voninkazo kely tsotra, tena teraky ny taniko ! (Petite fleur simple, vraie fille de mon pays !) (dans : Rasendra 1994 : 153).

16 On remarque que Dox a choisi ici non plus une fleur des jardins, introduite, comme l’étaient le lis ou l’œillet, mais une plante de la nature malgache, mentionnée dans les proverbes et les hainteny, pour son tubercule comestible, mais aussi pour sa fleur rouge (Rickenbacher 1987 : no 369b ; trad. Domenichini-Ramiaramanana 1971, no 1038) : Androngo nilanja vonin’avoko Ny mihinana tsy toy inona Fa ny mielo mena no tsy tanty ! Un lézard gris porte une fleur d’orobe Manger n’est rien Mais porter ombrelle rouge !

17 Pour Dox, le choix d’une telle plante représente évidemment une revendication d’authenticité : la belle est le rejeton de taniko mon pays, ma terre, on peut comprendre : ma patrie.

18 Ce qui devait devenir explicite chez un Dox est sans doute déjà présent, plus discrètement, chez Rajaonah Tselatra. Le choix des fleurs dans lesquelles il cherche ses symboles contraste grandement avec les choix des poètes des années 1910 que nous venons de mentionner. Sur dix fleurs, sept sont des plantes endémiques à Madagascar ou naturalisées, l’une est un arbre fruitier commun, une autre est une mauvaise herbe, et une seule est une fleur des jardins6 : dans l’ensemble, on voit que les plantes qui évoquent l’association avec les étrangers Vazaha ont été évitées. On peut en particulier noter qu’aucune orchidée n’apparaît dans cette liste. Il y a là un paradoxe, qui n’est que d’apparence : on trouve pourtant à Madagascar de nombreuses orchidées endémiques, dont les fleurs spectaculaires ont passionné les amateurs européens7. D’ailleurs, Radium Rhosalis, l’imitateur malgache de la poésie française sur les fleurs que nous avons cité un peu plus haut, ne manque pas, quant à lui, de parler de l’orchidée, la nommant, en français, à côté de la marguerite, de l’héliotrope, etc. L’orchidée qui est, pour l’amateur européen, typique de l’originalité de la flore malgache, pour les poètes malgaches est une fleur vazaha. C’est sans doute pour cela que Rajaonah Tselatra ne s’y intéresse pas.

19 Mais l’originalité de Rajaonah Tselatra est plus frappante encore dans la volonté de rompre avec une littérature d’imitation servile pour renouer avec le style et les manières de penser de la tradition ancestrale. Il a certes, comme nous l’avons vu,

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emprunté à des modèles européens l’idée d’une littérature florale, idée qui traverse plusieurs de ses compositions notamment les Tenin’ny voninkazo, « Propos des fleurs », l’un des textes de la série intitulée Tenin’izao tontolo izao, « Paroles, ou propos du monde entier » (I, pp. 99-100)8. Mais le dessein qui l’anime est bien différent de celui des poètes qui voient dans le langage des fleurs une simple convention esthétique et sentimentale. Ce qu’il cherche est de transmettre un message moral. Nous verrons que l’image de la fleur est souvent plutôt un prétexte, qui sert d’ouverture à des développements sur les vertus et les vices de l’homme. En cela il retrouve la tradition de la littérature des anatra, « conseils et remontrances », mise par écrit au XIXe siècle, dont un exemple a été publié récemment (M. Rajaona 1997).

20 Cette veine moralisante fait penser aussi aux sermons des évangélistes malgaches, qui, dans la période suivant la conversion de la Reine (1869), s’attachaient plus à développer des pensées morales qu’à prêcher le salut en Christ, à l’étonnement et au scandale des missionnaires britanniques. Raison-Jourde relève des témoignages d’une lecture de la Bible privilégiant les genres sapientiaux. Plusieurs passages du livre des Proverbes pouvaient en effet rappeler les expressions de la sagesse malgache, comme « L’œil qui se moque d’un père et qui dédaigne l’obéissance envers une mère, les corbeaux du torrent le perceront, et les petits aigles le mangeront » (pr. 30, 17), ou : « Celui qui trouble sa maison héritera du vent, et l’insensé sera l’esclave de l’homme sage » (pr. 11, 29), et bien d’autres. Sewell note ainsi à son grand mécontentement qu’un prédicateur ait pu proposer de prendre comme texte pour son sermon pr. 30, 33 : « Car en pressant le lait on extrait le beurre, en pressant le nez on extrait le sang, en pressant la colère on extrait la querelle » ! Ce qui indigne ici Sewell, c’est que le prédicateur certes possédait une Bible et savait la lire, mais qu’il « était dans un état d’ignorance complète de ce qu’elle contenait » et qu’il « ne faisait jamais que la feuilleter, lisant un verset ici, un autre là » ; il reconnaît pourtant que « les Proverbes étaient probablement pour lui la partie la plus intéressante à lire de cette façon »9. On verra que le livre des Proverbes a pu être une source d’inspiration pour Rajaonah Tselatra. On entrevoit ainsi dans la méditation sur le vahia un écho du célèbre éloge de la « femme forte », ou de la femme vertueuse (pr. 31, 10-31). On trouve d’ailleurs à plusieurs endroits dans les Proverbes, et ailleurs dans la Bible, des références au thème, si fréquent chez Rajaonah Tselatra, de la couronne en tant que récompense ou distinction morale. Les expressions du poète sur ce thème sont celles de la traduction malgache de la Bible, par exemple en 4, 9 : Dia hasiany fehiloha mahafinaritra ny lohanao; Eny, satro-boninahitra tsara tarehy no homeny anao. Et elle mettra une couronne merveilleuse sur ta tête ; Oui, c’est une couronne de gloire magnifique qu’elle te donnera. ou en 14, 24 : Satro-boninahitry ny hendry ny hareny ; Fa ny fahadalan’ny adala dia fahadalana ihany. Leurs richesses sont une couronne de gloire pour les sages ; Mais la folie des fous, c’est toujours folie10.

21 Les missionnaires britanniques ont tenté de lutter contre ce style de prédication, parce qu’ils y voyaient des joutes oratoires menées par des individus doués pour convaincre, mais qui ne servaient pas l’annonce de la Bonne nouvelle. Les formes sont assez proches de celles du kabary malgache, pour preuve ce passage de la revue missionnaire Teny Soa, « Bonnes Paroles » (juin 1874, p. 92 ; cité par Raison-Jourde 1997, p. 566) : Dès qu’un prédicateur a décidé de prêcher à la campagne, il cherche de belles paroles et des paraboles qui font frémir. Quand il prêche et qu’il voit que les gens

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commencent à frétiller de joie, il lance ses fameuses comparaisons et tout l’auditoire se met à hurler comme dans un combat de taureaux.

22 Rajaonah Tselatra n’est pas très éloigné de ces prédicateurs. Lui qui montait des spectacles musicaux dont le but était de promouvoir Noël en tant que fête morale (Raison-Jourde 1997 : 561) avait conscience de ce que la manière de convaincre voulue par les missionnaires britanniques ne soulevait guère l’enthousiasme des foules. Il pouvait retrouver dans le livre des Proverbes et dans le langage biblique en général, comme dans la musique pieuse, une résonance avec les expressions de la poésie et de l’art oratoire malgaches. Dans les « Cinquante Fleurs », les allusions bibliques sont fréquentes. Elles sont parfois croisées avec des références aux proverbes malgaches. Ainsi, pour ne citer qu’un seul exemple, quand Rajaonah Tselatra parle dans la méditation sur le datura de ceux qui « voient l’égratignure sur le front de celui qui est devant eux » tandis que « ceux qui sont derrière eux voient la plaie qui est sur leur nuque », on pense évidemment au verset de la paille « Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’oeil de ton frère et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? » (Matthieu 7, 3). Mais ici, à l’image de la paille et de la poutre est venue se substituer une image qui renvoie à l’un des proverbes malgaches les plus souvent cités : Miharihary hoatra ny vay an-kandrina, « Bien en vue, comme la plaie sur le front » (Rickenbacher 1987 : no 3412 ; Domenichini- Ramiaramanana 1971 : n° 569).

23 Ces allusions ne vont pourtant jamais jusqu’à la citation explicite. Il est même remarquable que les textes semblent éviter de mentionner Dieu et en général de parler de religion. Si on sait que l’auteur avait été un excellent élève des écoles missionnaires, et qu’il devait finir sa vie comme pasteur, cette absence ne peut être un hasard : probablement l’anticléricalisme de l’administration coloniale de cette époque imposait- il cette discrétion au poète publiant dans le très officiel Vaovao frantsay-malagasy. Ceci est d’autant plus probable que dans son opuscule de sentences morales Teny Volamena (« Paroles d’Or »), publié à compte d’auteur dans la même année 1912, les références à Dieu, au Christ, à l’Évangile sont très nombreuses.

24 Quoi qu’il en soit, en dégageant ces dix textes de toute référence explicite à la religion, Rajaonah Tselatra leur confère une atmosphère particulière, qui rappelle les courants littéraires romantiques mystiques allemands et français. C’est l’idée que dans la nature, tout est harmonie et que le savoir privilégié du poète sur la vie des plantes lui confère un statut de poète-prophète (Knigt 1986 : 19-21). « Il faut, pour connaître la nature, devenir un avec elle. Une vie poétique et recueillie, une âme sainte et religieuse, toute la force et toute la fleur de l’existence humaine, sont nécessaire pour la comprendre, et le véritable observateur est celui qui sait découvrir l’analogie de cette nature avec l’homme, et celle de l’homme avec le ciel », écrit Madame de Staël dans De l’Allemagne (citée par Knight, p. 41).

25 Ainsi, dès le premier poème de Rajaonah Tselatra, dans les mots « La différence de l’homme, c’est sa lumière qui se sépare des ténèbres, une huile qui surnage à la surface de l’eau, car l’homme est corps possédant raison et âme », on retrouve des thèmes familiers au lecteur de la Bible. Nous sommes renvoyés à la Genèse : « Il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme et l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux » (Genèse 1, 2), mais aussi au Nouveau Testament avec la phrase de Paul qui dessine une tripartition de l’être humain : « Que tout votre être, l’esprit, l’âme et le corps soient conservés irréprochable lors l’avènement de Notre Seigneur Jésus-Christ » (1Timothée 5, 23). De même, dans sa méditation la fleur de vonenina, où l’on voit un homme se demander comment garder au mieux sa vie : « Si je travaille avec excès, mon corps sera épuisé… Si je m’amuse trop je

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causerai la perte de mes affaires… », on entend comme un écho de la parabole du Riche insensé du chapitre 12 de Luc : « Il raisonnait en lui-même, disant : Que ferai-je… Voici ce que je ferai : j’abattrai mes greniers… » Mais dans l’Évangile, c’est Dieu qui répond pour montrer la vanité des questions de l’homme, tandis que chez Rajaonah Tselatra, c’est l’auteur qui répond, prêchant une leçon morale, la tempérance.

26 Mais au-delà des réminiscences bibliques, nous voyons la position de Rajaonah Tselatra se rapprocher de celle des poètes romantiques et préromantiques, chez qui les fleurs sont les figures d’une eschatologie d’origine chrétienne et théosophique réalisée : « Nous tresserons des guirlandes de fleurs, de fleurs immortelles », écrivait le poète orphique Ballanche (Knight 1986 : 21). Si l’on veut bien suivre l’enchaînement de ses textes, tout au long desquels il prend littéralement le lecteur par la main, l’amenant à cueillir des fleurs morales afin de les disposer en couronne, enjoignant son lecteur, devenu disciple, à le suivre étape par étape, nous découvrons un programme.

27 Dès le premier des textes, il pose les fondations de ce qui le guidera dans les dix poèmes qui suivront ; c’est la connaissance de soi : « La toute première gloire de l’homme c’est la connaissance de soi, par laquelle il sait se distinguer de l’animal ainsi que du minéral et du végétal » (Méditation 1, sur le seva). Puis il donne une clé pour l’accès à cette connaissance et annonce un effort, véritable acte d’abnégation : « Il a entre ses mains la clé de l’ouverture des connaissances ardues, et de l’effort qui tirera le bonheur jusqu’à ses contemporains » (Méditation 2, sur le vahindrano). Il ordonne ensuite à chacun le réveil, autrement dit le retour à la réalité à laquelle il a pu avoir accès : « Il te faut donc te réveiller dès aujourd’hui » (ibid.). Il donne alors le principe qui dirige le poète et que chacun doit faire sien : la traduction du langage de la nature : « Cette fleur si aimable désire se placer sur ta tête, et tu peux la saisir au moment où tu en déchiffres le message » (Méditation 5, sur le vahimarefo). Il explique comment atteindre l’autonomie : « Mieux vaut être le sage qui se réprimande lui-même que d’être puni par les autres » (Méditation 9, sur le datiora). Pour finir, nous arrivons à la consécration, qui est la tempérance, une coupe emplie juste comme il le faut, le chemin à suivre pour une vie accomplie : « La tempérance est une coupe qui aujourd’hui n’est pas pleine à moitié, mais qui à l’avenir ne sera pas un fond de verre. Celui qui sait poursuivre ce but est un sage, et il peut traverser cette vie comme il convient » (Méditation 10, sur le vonenina).

28 On peut penser à l’attitude des poètes-prophètes, comme Arthur Rimbaud, qui déjà croyait que « La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ». Mais, pour Rimbaud, « il s’agit de faire l’âme monstrueuse ». Pour lui, certes, le poète « se fait voyant », mais c’est « par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens »11 ; c’est dire que l’idéal de Rimbaud dans sa démesure est bien l’inverse de la tempérance et de la modération que prône Rajaonah Tselatra.

29 Ainsi, le poète malgache ne revendique pas la posture révolutionnaire du prophète. Cela n’empêche qu’il se reconnaît un pouvoir sur le monde, celui d’amener par la parole les hommes à être meilleurs. Il corrige en quelque sorte le monde, et retrouve par là la liberté d’action du devin-guérisseur de la tradition malgache en face du Créateur, telle que la décrivent les textes recueillis par Sambo (1993 : 20-21) : Ovàko Zañahary zay tsy natônao soa sy tsy natônao tsara, « Dieu, je change ce que tu n’as pas bien fait, ce que tu n’as pas fait excellent ». Or nous savons que cette capacité des devinsguérisseurs à agir sur le monde repose pour une grande part sur une manipulation des mots, sur des relations métaphoriques ou métonymiques, des rimes et des assonances, autant et plus que sur les caractères des végétaux qui servent de remèdes. Dans le sud-ouest de

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Madagascar, par exemple, une femme peut employer comme charme pour s’attacher un homme le bois du mamiaho, le « je-suis-doux », ou le « je-suis-chéri » (Scoparia dulcis L., Scrophulariaceae) ; et, pour écarter des maux redoutés comme l’horrible chancre du kialo, on peut recourir à la plante voafaria (Cardiospermum halicacabum L., Sapindaceae) dont le nom semble vouloir dire « pris-et-rejeté »… Il arrive même parfois que le nom populaire de la plante ne soit pas assez évocateur pour se prêter à l’usage qu’on doit en faire dans le rituel ; elle est alors connue par les devins-guérisseurs sous un autre nom, qui en explicite le pouvoir, comme quand le tamarinier, kily, est appelé hazomahavelo, hazomanahy, « bois de guérison, bois de protection ». Une incantation peut commencer par la récitation des nombres, un, deux, etc., jusqu’à six, enina, qui est aussi eni-noro, enin-kavelomana, « comblé de bonheur, comblé de vie ». Ou bien les effets attendus du sacrifice d’une tête de bétail peuvent s’exprimer sous la forme d’une série de jeux de mots avec les noms des morceaux de la bête qu’on découpera pour la cuisine rituelle12. Nous savons que ces « jeux de mots » ne sont pas des jeux, mais des arguments, des paroles vraies et efficaces. On les retrouve dans d’autres traditions, aussi bien dans le rituel13 que dans le mythe (dans les récits bibliques de la Genèse, les étymologies populaires sont convoquées non comme des ornements rhétoriques, mais comme appui à la révélation).

30 Le « langage des fleurs » de la littérature européenne du XIXe siècle avait hérité d’un procédé d’expression introduit de Turquie au XVIIIe siècle au moment de la mode orientalisante, le sélam, un art de composer des messages raffinés, plus ou moins secrets, à l’aide d’une association d’objets symboliques qui pouvaient souvent être des fleurs. Le code en était compréhensible grâce à des figures portant sur les noms de ces objets. Les historiens de la littérature qui ont étudié ce courant affirment qu’il n’y a là aucun symbolisme, justement parce que la clé se trouve dans des jeux de mots. Pour Seaton, « la signification des objets n’est pas symbolique, mais se rapporte à des mots qui riment avec le nom de l’objet » ; et un peu plus loin : « La nature du langage du sélam n’est pas symbolique, elle se rapporte à des expressions bien connues qui riment avec le nom des objets. La poire (armoude) n’est pas étudiée pour telles idées qu’elle pourrait suggérer, mais bien pour d’autres mots qui riment avec son nom, comme omoude (espoir) » (Seaton 1995 : 61, 62). La portée de ce code serait donc réduite à de simples moyens mnémotechniques, « une façon de mémoriser des vers qui riment avec le nom de ces objets » (Wuyts 1996 : 311). L’anthropologue quant à lui verra dans de telles phrases une définition singulièrement étroite du symbolisme : il sait que ces rimes et ces assonances ne sont pas de simples jeux. Il est vrai que dans la littérature florale du XIXe siècle, avec Madame de La Tour et ses imitateurs, la portée symbolique de ces rapprochements avait disparu, pour laisser place à un amusement bourgeois. Mais quand Rajaonah Tselatra rapproche — dans la plus classique tradition malgache — la fleur du vonenina, la pervenche, qui est chez lui la tempérance, du mot enina, « pourvu, suffisant, juste ce qu’il en faut », et qu’il l’oppose à nenina, « le regret », il redonne force et efficacité aux mots.

31 Il crée ainsi une synthèse, qui n’est pas faite pour troubler l’ordre du monde, mais bien pour en perpétuer les valeurs et les normes. Il se fait finalement le prédicateur d’une morale bien établie, identifiant dans la Bible et dans la littérature des fleurs ce qui correspondait le mieux à la sagesse ancestrale malgache, celle qui prône la modération, l’harmonie des relations, le juste équilibre comme moyens de réussite et d’élévation dans la société. Dia tsy misy teny lava Ary tsy zato tsy arivo

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Ary tsy vitsy tsy mahalana Tsy maro tsy matevina Je ne vous dirai pas de longues paroles, Elles ne seront ni cent ni mille, Ni peu nombreuses, ni espacées, Ni nombreuses, ni épaisses14.

Cinquante fleurs, tressées en couronne de gloire pour l’homme

Traduction du texte et commentaires

Première fleur : le vonin-tseva. La Connaissance de soi

La toute première gloire de l’homme c’est la connaissance de soi, par laquelle il sait se distinguer de l’animal ainsi que du minéral et du végétal. La différence de l’homme, c’est sa lumière qui se sépare des ténèbres, une huile qui surnage à la surface de l’eau, car l’homme est corps possédant raison et âme, et ainsi avec les insensés et les morts, ensemble ils ne peuvent être drapés. Telle la fleur du seva qui se détourne de la poussière pour envoyer sa grappe orangée prendre souffle dans l’azur du firmament — telle est la tête de l’homme qui s’élève, en sorte que les singes n’atteignent point la hauteur de ses talons. L’homme respire dans la noblesse de son être. La plante de ses pieds touche la terre, mais sa dignité réside dans les hauteurs. L’homme de mérite connaît sa supériorité, aussi ne peut-il se prosterner devant des gris-gris de bois, ni dépenser l’huile à oindre des pierres. Toutes les créatures, loin de le dominer, sont ses servantes. La tempête et le tonnerre travaillent pour lui, la terre ferme et les océans le portent à dos, les bestiaux et les volailles ne sont que les ustensiles de son ménage et les animaux sauvages son gibier. Jamais celui qui a la connaissance de soi ne sera semblable aux êtres de la terre : son corps n’est pas recouvert de feuilles, son souffle n’est pas entraîné par des ailes, son esprit n’est pas logé dans des écailles, et son cœur n’est pas enveloppé dans un corps de quadrupède. Dans l’écart qui demeure entre eux, il y a place pour la masse des hommes sauvages [p. 200]. Ils sont des monstres, ceux qui ont des jambes d’homme, mais dont la tête est semblable à celle de l’âne, ceux qui se parent le corps, mais qui partagent le nid du dort-le-jour, et enfin ceux dont les lèvres parlent d’amour, mais dont les mains ont les serres de l’aigle pour griffer leur prochain. L’homme sans mérite est un bel oiseau ou bien un tronc d’arbre recouvert de chair. L’homme véritable se connaît lui-même, il sait garder sa gloire, et son caractère ainsi que ses œuvres qui se lèveront comme mille témoins pour en attester. Vaovao Frantsay-Malagasy, 788, 16 févr. 1912, p. 3336.

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Pl. 1. La fleur de Seva. Curtis’s Botanical Magazine (conducted by Samuel Curtis, The descriptions by Sir William Jackson Hooker), 55, (2824), 1828 : Buddlea madagascariensis, Madagascar Buddlea.

Fonds documentaires de botanique, Muséum national d’histoire naturelle

Commentaire

32 Le seva est Buddleja madagascariensis Lam., Loganiaceae. (L’autre seva ou sevabe, qui est une plante très commune, Solanum auriculatum Aiton, Solanaceae, ne convient ici ni par ses caractères ni par sa réputation : c’est une plante plutôt méprisée, qui sert à différents usages de nettoyage.) Les caractères que retient la description de Rajaonah Tselatra sont le port et la position de sa fleur. Celle-ci est en effet souvent plus haute que l’homme puisque le seva est un arbuste pouvant atteindre de 2 à 4 mètres, voire 8 mètres lorsque son port est lianescent. Ses inflorescences en grappes (le botaniste parle de thyrses ou panicules) jaune foncé, orange ou saumon, sont disposées à l’extrémité des rameaux et souvent dressées vers le ciel.

33 On reconnaît des allusions bibliques, avec l’opposition entre lumière et ténèbres, la tripartition de l’homme en corps, raison et âme, dont nous avons déjà parlé. Le paganisme ancestral malgache est évoqué en des termes qui font penser aux sermons, quand il est question de vénération des gris-gris de bois et des pierres.

34 Le « dort-le-jour » est un oiseau, l’engoulevent malgache, Caprimulgus madagascariensis, qui dort la journée et se montre actif le matin et le soir. Mais on peut entendre aussi ici un écho d’expressions bibliques : « Ceux qui dorment dorment la nuit et ceux qui s’enivrent s’énivrent la nuit… » (1Timothée 5, 7).

Deuxième fleur : le vahindrano. La connaissance

Elle est une liane qui a longtemps rampé, se ramifiant sans qu’on en trouve les extrémités : son sommet pointe les étoiles ; son corps tapisse le sol sûr ; ses feuilles

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surplombent les petites îles ; ses racines s’enfoncent dépassant les semences de mille ans, et encore rampant à la poursuite du soleil. Je vois les fruits — qui me font saliver — au-dessus des livres empilés sur les étagères, mais ce sont ses fleurs que recherchent mes yeux. Cependant, quand je commence à regarder devant moi les hommes de mérite, je vois sur leurs têtes les fleurs blanches tirant sur le rouge de la vahindrano, qui sont cette connaissance glorieuse, que les forêts de la terre ne sauraient cacher. C’est là l’une des splendeurs de l’homme. Sa raison n’est point comme de la vase se décantant dans sa tête, mais comme un héros porté par son rêve à explorer le monde — il a entre ses mains la clé de l’ouverture des connaissances ardues, et de l’effort qui tirera le bonheur jusqu’à ses contemporains. C’est parce qu’existe la connaissance qu’on peut savoir qu’il y a vraiment des hommes sur la terre. Celui qui ne l’a pas n’est qu’un corps chargé d’une effigie humaine. Le crâne seul ne vaudrait pas un sou, mais la connaissance qu’il contient, tout l’or du monde ne pourrait l’acheter. La cervelle sans la connaissance, on ne pourrait même pas en faire une soupe, mais celle où siège la connaissance, ce qu’elle contient peut donner le progrès et le bonheur. La connaissance se tient loin au-dessus de la beauté et des parures. Ceux qui ne la possèdent pas deviennent esclaves de ces choses, tandis que ceux qui la possèdent en sont les maîtres. Nulle gloire à devenir le frère de l’argent, qui n’est que le serviteur de ceux qui ont le savoir [p. 201]. La tête de celui qui a la connaissance est un livre : chaque circonstance assemble les caractères d’imprimerie dans les pages de son cerveau. C’est lui qui est le père du travail de raison, et aussi la mère du travail corporel qui l’a mis au monde. Celui qui a la connaissance est le vrai maître du monde — il n’a pas eu à emprunter la terre : il l’a travaillée et en a recueilli l’essence. Tant qu’il est vivant, il est la fierté de sa lignée, et une fois mort, il couronne de gloire sa descendance. Il te faut donc te réveiller dès aujourd’hui — examine ta tête : la folie n’y serait-elle pas ? Prends les fleurs de vahindrano pour t’en faire une couronne : aie la connaissance — recherche-la jusque sur les bancs de l’école, extrais-la du coeur des livres, et saisis-la dans les objets qui sont à la portée de ta raison. Et ne déshonore pas ton oeil qui se ferme sur cette terre, pour que les vivants ne tournent pas en dérision ce crâne vide qui sera inhumé dans le tombeau. Vaovao Frantsay-Malagasy, 789, 23 févr. 1912, p. 3339. Commentaire

35 L’identification botanique de cette fleur est incertaine. Le nom de vahindrano, qui signifie littéralement « liane d’eau », ne figure pas dans les dictionnaires ni dans les inventaires. Mais Abinal et Malzac connaissent un vahirano « plante grimpante, esp. d’Asclépiade », définition qui vient en fait du dictionnaire de Richardson (1885), mais qui ne semble pas bien correspondre avec ce que Rajaonah Tselatra dit des fruits de cette plante. Le poète l’avait aussi citée dans l’un de ses hainteny, l’appelant vahindrano miantsampy ala, « la liane d’eau qui enjambe la forêt » (Hainteny 5, I, p. 17).

36 On note qu’ici, comme pour la première fleur, le port de la plante est l’un des traits retenus comme les plus importants. Nous verrons que c’est très souvent le cas.

Troisième fleur : le telovoninahitra. Le savoir-faire

Le telovoninahitra ne cherche pas à nous éblouir par une couleur éclatante, ni à nous séduire par des tiges élancées : il a une couleur sang-de-taureau et son charme demande du temps pour l’apprécier ; sa fleur est emplie d’un parfum qui donne aux vents leur honneur et qui fait chavirer le nez qui se penche sur elle. Elle est elle-

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même son propre honneur. Les jeunes gens ont avoué leur admiration en lui donnant un nom qui fait d’elle un haut dignitaire. Cependant, si tu veux connaître sa véritable beauté, vois qu’elle est l’une des splendeurs de la couronne des hommes de mérite, et qu’elle revêt le nom nouveau de : savoir-faire. Toutes choses sur la terre ont capitulé depuis longtemps pour se plier à la volonté de l’homme : elles se partagent entre produits et outils du travail, elles se sont bousculées pour s’agenouiller devant la tête sage, et elles lui offrent leur trésor précieux, qui est le savoir-faire. Voici le bois et le cuivre, le bambou et même le boyau de mouton, ils acceptent de s’unir pour que les doigts de l’homme en jouent. Ils émettent des sons d’une douceur que les petits oiseaux ne sauraient imiter, pour bercer les oreilles des milliers qui les écoutent et caresser les cœurs dans les poitrines qu’ils atteignent. Partout à travers le monde, toutes les industries apparaissent : menuiserie, charpente et maçonnerie, forge, orfèvrerie et peinture s’élancent entre les bras des hommes. La couture, les arts décoratifs, le tissage et la vannerie filent entre les doigts des femmes [p. 202]. Ceux qui savent toucher d’un instrument sont dénoncés par la voix de ces objets inertes, mais qui pourtant résonnent. Ceux qui savent construire sont signalés par l’élégance du bois et de la pierre. Le forgeron et l’orfèvre sont célébrés par leur habileté rendue visible dans le fer et dans l’or. La brosse et les couleurs louent la grandeur du peintre. Le fil à coudre et les tissus proclament la maîtrise de la couturière. Enfin, le textile et les fibres qui font de la femme leur fierté glorifient la tisserande et la vanneuse. Ces savoirs et les autres semblables sont l’échelle qui conduit à l’estrade de la gloire, et les degrés d’argent qui montent vers la renommée. Mais cela ne s’arrête pas là, car le savoir est le sac qui contient la fortune ; il est la clé de la richesse, et la chambre où doit entrer celui qui cherche le bonheur. Il est anneau d’or, broche d’or, diadème d’or, il est joyau et gloire et en même temps lingot forgé. Garde-le sur la tête. Couvre-toi comme d’un chapeau des talents qui correspondent à ton tour de tête. Le plus misérable, c’est celui qui vit, mais dont les bras et les jambes sont de pierre, et qui n’a jamais rien su par quoi on le puisse reconnaître pour un homme ! Vaovao Frantsay-Malagasy, 791, 8 mars 1912, p. 3348. Commentaire

37 Le telovoninahitra pose un curieux problème d’identification : le dictionnaire malgache de Richardson (1885) donne ce nom et le traduit « the flower of the red chrysanthemum », tandis que celui d’Abinal et Malzac (1888) traduit par « violette » : deux plantes vraiment très différentes ! Mais dans la réédition de 1899, le Malzac se rallie à la traduction de Richardson « chrysanthème », et cette correction est maintenue dans les éditions suivantes, et se retrouve aussi dans les listes de Dandouau (1909).

38 Le dictionnaire des noms des végétaux de Boiteau (1999) ajoute des détails intéressants : « D’après Grandidier et Malzac ce nom fut donné à une variété de chrysanthème rouge importée et qui connut alors un grand succès. On comparait la fleur du chrysanthème au plumet de sergent ; d’où le nom malgache. »Et on voit dans les Tantara ny Andriana qu’en effet les « trois honneurs » (telo voninahitra) étaient bien le grade correspondant au sergent (sahazany) dans l’organisation de l’armée malgache de Radama (Callet 1908 : 1076). Malheureusement, Boiteau ne précise pas la référence de ces renseignements, qu’il attribue à Grandidier et Malzac.

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39 Les éléments de description que donne Rajaonah Tselatra font plutôt penser à la violette. La couleur qu’il indique prête à discussion : mivolondranombalahy, litt. « couleur-de-sang-de-taureau ». Abinal et Malzac traduisent « rouge vif », mais pour nous, ce serait plutôt un rouge sombre qui peut tirer jusqu’au violet. Nous avons tenté une petite enquête auprès de personnes âgées dans les environs d’Antananarivo, mais sans succès : nos témoins se souviennent en effet que telovoninahitra était le nom d’une fleur, mais ils ont oublié à quoi exactement elle ressemblait.

40 Nous avons rencontré un problème de traduction avec le paragraphe où l’auteur parle de « toutes les industries ». Il énumère quatre métiers masculins. Mais, en français, cette énumération doit passer à six termes, puisque rafitra renvoie aussi bien au travail du charpentier qu’à celui du menuisier, et que tefy correspond à la fois à la forge (tefy vy, litt. « forge du fer ») et à l’orfèvrerie (tefy volamena, litt. « forge de l’or »).

Quatrième fleur : le songosongomaitso. La douceur

Le songosongomaitso n’est pas inférieur, il est humble. Sa supériorité ne frappe pas l’œil, elle est dans son utilité. Il fait les haies des plantations vivrières, et les bordures fleuries qui ornent les sentiers. On ne le voit pas décorer les tables, mais il règne aux palissades de ses résidences royales, protégé par les mille fers de lance de ses tiges. La couronne de gloire resterait inachevée sans ce songosongomaitso, qui est la douceur. La méchanceté est foudre pour le monde ; l’orgueil est glaive ; les mots durs et la malveillance sont sagaies, tandis que la douceur est la brise des champs pleine de senteurs qui ravivent l’être, musique émouvante des firmaments pour le repos de la pensée, et fil d’or qui coud ensemble les cœurs de ceux d’une même nation et d’une même cité, ceux d’une famille et d’un foyer. La douceur est le fragile qui vainc les durs, le vulnérable qui fait trembler les audacieux, le souple en paroles qui peut conquérir le cœur des humains, elle a l’air du candide, mais possède la sagesse. Elle est l’âme de l’amour, que la tombe ne peut engloutir, et quand meurt celui qui la possédait, son souvenir n’en est que plus vivant. Les doux respectent la dignité de l’homme, et ils rabaissent l’argent et les autres choses matérielles, pour les remettre à leur vraie place. C’est dans la bienfaisance qu’ils mettent la valeur, et non dans l’amour de soi. Le sais-tu ? Malheur à toi, si tu es la coupe de poison — l’homme de belle apparence, respectable, riche, bien vêtu, mais de qui sortent les tourments pour autrui et l’affliction pour le prochain. À chaque minute, garde en tête que ceux qui demeurent dans ton entourage, ceux qui dépendent de toi, ta femme et tes enfants, et jusqu’aux domestiques et aux mendiants, tous ensemble te prient de prendre cette fleur de la douceur. Prends-la donc pour t’en coiffer, puisqu’elle est la gloire que t’offrent mille cœurs. Vaovao Frantsay-Malagasy, 792, 15 mars 1912, pp. 3351-52. Commentaire

41 Le songosongo est pour le botaniste Euphorbia bojeri Hook., Euphorbiaceae. Il est ici qualifié de maitso, « vert », peut-être une forme plus verdoyante de la plante. C’est une plante épineuse, originaire de Madagascar. Ses petites fleurs rouges éclatantes en ont fait une plante décorative qui a été largement diffusée dans le monde.

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42 On la retrouve dans les hainteny de notre poète : songosongo mamony mena, « le songosongo aux fleurs rouges », opposé à sahondravato mamony vony, « l’aloés des rochers aux fleurs jaunes » (Hainteny 5, I, p. 17).

43 Le thème illustré par le songosongomaitso est étrange. Son rôle qui est de constituer une haie défensive par ses épines « fers de lance de ses tiges » n’empêche nullement Rajaonah Tselatra de développer l’idée paradoxale de la douceur du songosongomaitso, qu’il oppose — ce qui rend l’idée moins compréhensible encore — aux glaives et sagaies que sont, selon lui, les paroles dures et la malveillance. Il enjoint le maître de maison, qui a tout pouvoir sur sa femme, ses enfants et ses domestiques, de ne pas faire montre de méchanceté, d’orgueil ou de malveillance, et de prendre pour modèle le songosongomaitso, emblème de la douceur. Il se pourrait cependant que, sans l’expliciter, son intention soit d’aiguiller le mari potentiellement violent sur un exemple à suivre : une plante épineuse, porteuse de sagaies, qui ne les use que pour défendre sa famille ! Si telle est son intention, alors, les méditations sont fabriquées avec l’idée de changer son lecteur. Comprenne qui peut ! L’auteur donne des pistes, il oriente, pour faire « déchiffrer le message » de chaque fleur, principe qu’il livrera à la fin du poème suivant.

Cinquième fleur : le vahimarefo. La prudence

Le vahimarefo ne rampe pas sur le sol comme le chiendent, mais il ne s’exalte pas lui-même comme ces plantes qui croissent sur les branches des arbres ; au contraire, il dispose sa végétation dans les vallées chaudes et il couvre ses petites fleurs sous l’ombre de ses feuilles. Il est fragile, mais il sait se protéger, il est frêle, mais il est prudent, et c’est par ce caractère supérieur qu’il scintille dans la couronne de l’homme. La prudence c’est la sagesse qu’on peut voir rayonner sur la tête ; elle désigne celui qui la possède comme ayant un flambeau au plus haut de son front. Le prudent dispose son existence en degrés ascendants, il ordonne ses affaires comme des vagues qui se succèdent, il organise son cerveau en rayons semblables à des tiroirs rangés. Il ne se précipite jamais, mais il sait prendre soin de se tenir hors de portée des regrets. Il ne s’alarme pas vite, ni ne s’émeut facilement, mais il examine les choses bien en détail, comme s’il voulait distinguer une mouche sur la lune. Voici comment procède le prudent : à toute chose il donne sa place, à tout travail il donne son heure, à toute parole il donne son sens, à toute pensée il donne sa justesse. C’est pourquoi les malheurs s’enfuient hors de ses murs, et seuls le frappent ceux qu’on ne peut prévoir. C’est pourquoi les maladies se tiennent à l’écart de son corps, et seules l’atteignent celles qu’on ne peut apercevoir. C’est pourquoi le désordre s’éloigne de sa porte : on ne voit ni marmites cassées, ni tabac à chiquer craché sur la tête, et même l’endroit où sont rangées les épingles manifeste son esprit. Celui qui veut voir l’esprit de l’homme le visitera quand il s’ouvre à la prudence. L’esprit prudent n’engendre jamais le tumulte. Il prépare à l’avenir et même à l’imprévisible la place qui leur convient. Cette fleur si aimable désire se placer sur ta tête, et tu peux la saisir au moment où tu en déchiffres le message. Vaovao Frantsay-Malagasy, 795, 5 avril 1912, pp. 3363-64. Commentaire

44 Le vahimarefo est Celastrus madagascariensis Loes., Celastraceae. Il porte bien son nom qui se traduit littéralement « liane fragile, délicate », puisque le botaniste Perrier de la

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Bâthie (1946) décrit l’aspect grêle de ses rameaux supérieurs et la petitesse de son inflorescence en panicule terminale.

45 C’est aussi ce caractère qui a marqué Rajaonah Tselatra et l’a inspiré pour le portrait moral de cette fleur. Comme le devin-guérisseur composant ses charmes, le poète joue ici à la fois sur le nom et sur les traits typiques d’une plante pour en déterminer les vertus.

Sixième fleur : le tsiafakomby jaune. Le savoir-être

Les fleurs du tsiafakomby se tiennent au sommet de rameaux tout garnis de piquants, car la plante entière en est sept fois couverte — même les bœufs ne peuvent y passer. Elle est fleurs et même gerbe de fleurs, son allure lui donne le droit de se vanter, et même les bourdons la reconnaissent, eux qui chantent sans s’arrêter en venant puiser son eau sucrée. Malgré tout, c’est encore pour elle une gloire de plus que d’accepter son rôle — qui est de servir son suzerain en faisant l’enceinte de la cité, en devenant le rempart orné à l’intérieur des fossés. Elle mérite par-dessus tout l’éclat de la couronne de gloire de l’homme. La force de l’homme est dans sa vigueur et dans son esprit, mais c’est une force dont la vie s’écarte ou une bûche près du foyer, s’il n’a pas la possibilité de produire des fleurs. Ce n’est pas la force qui fait la gloire, mais les œuvres qu’engendre la force, ce n’est pas de savoir faire le fier, mais de savoir obéir. Obéir aux pères et mères, obéir à l’instituteur, obéir au mari, obéir à ceux qui sont au-dessus de soi et aux gouvernants — c’est en agissant ainsi qu’on appartient à la classe où l’on voit les justes, les sages, et les fidèles. Aucune tête ne s’inclinera sauf celle qui les reconnaît pour sensés, et dans la gloire, on n’aperçoit que ceux qui en ont gravi les échelons. Je sais pourtant que dans la solidarité entre les hommes, il y a des mouvements ascendants et descendants : la docilité et l’obéissance sont ascendantes, tandis que la bienfaisance et la charité sont descendantes. Et dans tout cela, l’honneur revient au supérieur, mais son cœur, qui est le plus précieux, s’en va aux inférieurs. C’est aussi sur l’obéissance que reposent les activités et l’ordre sur la terre. La désobéissance ne produit rien sauf le désordre ; et le bonheur est anéanti dans le pays et dans la famille qui ne font pas de l’obéissance l’âme de leurs relations mutuelles. Celui qui ne veut pas obéir cherche à chevaucher les nuages, et au contraire, il est redescendu dans la tête des bêtes sauvages, qui sont les plus stupides des bêtes — et cela démontre que le lot des insensés, c’est de ne pas savoir obéir. Toi, en revanche, puisses-tu être sage. Saisis, pour qu’elle scintille sur ton front, cette jaune tiare qui porte à son sommet l’obéissance. Vaovao Frantsay-Malagasy, 800, 10 mai 1912, p. 3386. Commentaire

46 Le tsiafakomby jaune est Caesalpinia bonduc (L.) Roxb., Fabaceae. Il s’agit, comme pour le songosongomaitso, d’une plante que ses épines font servir de haie défensive. Rajaonah Tselatra emploie pour le décrire l’expression feno hery, « tout garni de piquants », qui pourrait aussi vouloir dire « plein de force ». Mais on sait que hery était anciennement le mot propre pour les épines dont on fait les clôtures, puisque Webber (1853) donne rova hery pour « haie d’épines, mur hérissé de pointes ». C’est aussi le nom de certaines plantes épineuses (en particulier Solanum erythracanthum Bojer ex Dunal, Solanaceae), et pour les lecteurs de la Bible malgache, il évoque le verset : voaozona ny tany noho izay nataonao […] Ary haniry tsilo sy hery ho anao izy, « le sol sera maudit à cause de toi […] il te produira des épines et des ronces » (Genèse 3, 18).

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47 On notera que dans le deuxième et le troisième paragraphe, « obéir » est manoa, le mot qui désigne la reconnaissance que les sujets doivent au Souverain, garant de l’équilibre cosmique.

Septième fleur : le sahamborozano blanc. La maîtrise des désirs

La fleur du sahamborozano se tient sur une tige élevée. Elle s’étire à des mètres du sol pour gagner sa place, et il lui faut monter quatre degrés depuis sa racine pour qu’elle trouve les extrémités des rameaux où elle met sa parure. Sa figure est d’un blanc éclatant, qui éclaircit l’ombre de ses feuilles ; on dirait qu’elle est fille de la lune, et elle resplendit au milieu des arbres par milliers. À l’intérieur de sa fleur, les filaments s’éparpillent comme de petits rayons de soleil, et font des rameaux tels la huppe de l’oiseau-veuve — on dirait qu’ils veulent se disperser au gré des vents, mais ils sont retenus à leur base par un mince filet. Son parfum, elle le garde en elle, et elle ne l’offre qu’au nez qui s’approche d’elle. Son nectar, elle le resserre fort, et elle ne le laisse sourdre que pour les abeilles qui viennent le prendre sur sa bouche. C’est là l’une des fleurs de la couronne de gloire de l’homme. La place du désir est tout en haut sur la tête, il hausse son honneur au sommet de la personne. Il est éclatant, il a la même teinte que la domination de la terre, et il resplendit parce qu’il a la même figure que le bonheur. Le désir est plus grand que le monde — il cherche même à exister là où il n’y a rien. Il veut tout avoir, il veut parcourir tout ce qui lui donne du contentement, et il veut faire tout à son plaisir —. C’est vouloir s’éparpiller, et se diviser en cent rameaux, mais le sage le retient par une seule attache, qui est de n’agir que pour ce qui est profitable. C’est ce que fait le sage, parce qu’il sait que laisser folâtrer ses désirs, c’est abandonner sa pirogue pour qu’elle soit battue par les flots de l’océan, ou abandonner son agneau pour qu’il erre dans les déserts. Alors la pirogue se briserait contre les rochers, et son agneau serait précipité dans les ravins. Pour le sage, le désir a son gouvernail qui le redresse, et sa crèche qui l’abrite. La bonne odeur de ses désirs ou le soin de son honneur, ainsi que sa douceur ou la faculté de faire ce qui est juste, voilà les vertus qu’il tient fermement pour qu’elles deviennent la gloire qui ennoblit sa tête. Puissent tous les hommes savoir aussi que maîtriser les désirs, ce n’est pas faire acte d’abnégation, c’est savoir se préserver. Ce n’est pas par abnégation que les gens ne mangent pas un boisseau de riz en un seul repas, ce n’est pas par abnégation qu’on se jette pas dans les flammes ou qu’on ne prétend pas attraper les étoiles. Celui qu’on laisserait faire à sa guise en ces sortes de choses serait un fou et n’obtiendrait que la mort comme fruit de ses désirs. Se modérer, veiller sur sa propre personne, et savoir se tenir à sa place — voilà le vrai contentement, le vrai bonheur ; dépasser cela, c’est la souffrance. Il est difficile en effet de retenir ses désirs. Se vaincre soi seul est plus difficile que de vaincre mille ennemis. Un seul retient, tandis qu’il y a en cent qui poussent. Mais c’est dans cette difficulté précisément qu’apparaissent le vrai sage et celui dont l’esprit est capable de se gouverner. Aussi, n’accepte pas de t’abaisser. Maîtrise le désir — il t’appartient, et non aux autres. Gouverne-le, n’accepte pas d’être son esclave. Le désir ne sera jamais satisfait même s’il devait avaler la tombe. Crains-le, parce qu’il a coutume de faire de l’homme un roi aujourd’hui, et d’en faire demain le dernier des misérables. Vaovao Frantsay-Malagasy, 795, 5 avril 1912, pp. 3363-64.

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Pl. 2. La f leur de Sahamboro zano. Curtis‘s Botanical Magazine, 4 1-42, (1696), 1815 : Eugenia Jambos , Narrow- leaved Eugenia.

Fonds documenta ires de botanique, Muséum national d’histoire naturelle

Commentaire

48 Le sahamborozano ou zahamborizano est un arbre fruitier introduit, le jamrose ou jambrosade, Eugenia jambos L., Myrtaceae. Son nom malgache, tiré du nom français, comporte une réinterprétation qui semble y faire apparaître le mot Borizano qui désignait les « bourjanes », porteurs de bagages, et qui est devenu dans plusieurs régions de Madagascar un terme péjoratif pour appeler les Merina. Certains pensent donc que le nom de cet arbre signifie qu’il a été introduit par les Merina.

49 On notera que, la description du sahamborozano blanc est, de toutes les fleurs de Rajaonah Tselatra, la plus précise, la plus proche de celle qu’aurait pu faire un botaniste : ici, le poète a porté attention à un caractère précis de la fleur : les « filaments [qui] s’éparpillent comme de petits rayons de soleil »sont les étamines qui se dispersent en aigrette.

Huitième fleur : le vahia. L’amour du métier

C’est à la lisière de la forêt qu’on aperçoit le vahia. Ce qui frappe en lui, ce n’est pas son port élancé, mais ses effluves odoriférants qui impressionnent les narines. Le parfum de ses feuilles franchit les caps et la senteur de ses fleurs saisit ceux qui se tiennent de l’autre côté de l’eau. Quelquefois, on le trouve sur la rive des fleuves, montrant fièrement son reflet à la surface de l’onde ; quelquefois aussi, il est dans les bois touffus, se voilant sous l’ombrage, mais alors sa fragrance portée par les vents donnera sa vertu à l’atmosphère. C’est là encore l’une des gloires de l’homme : cette odeur se compare à l’amour du métier sur cette terre. L’homme doit faire en sorte de rester en vie, et pour cela, il

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doit se donner de l’activité. Il est obligé de travailler, ou sinon il est obligé de mendier ou de voler. Mais travailler, ce n’est pas seulement gagner sa subsistance, c’est aussi s’élever : c’est à cela qu’il emploie ses acquisitions et c’est pour cela qu’il rassemble ses trésors intérieurs. C’est ainsi que, petit à petit, il se détache de sa situation inférieure pour se rapprocher du progrès. C’est le moteur qui entretient sa santé, le ferment qui fait lever la richesse, et les ailes qui le soulèvent vers le bonheur. Pendant ce temps, les autres sont conduits par leur paresse à s’enfoncer dans le malheur ou dans le crime et la prison, jusqu’à être réduits à la plus vile misère. Ce n’est pas à de tels paresseux qu’est destinée cette couronne si odorante — sans doute celle qu’ils méritent, c’est une couronne de liane puante. Et même, elle n’est pas offerte à tous ceux qui travaillent, mais bien à ceux qui ont l’amour du métier. Il n’y a pas de gloire à faire son métier parce qu’on y est forcé. Celui qui attend d’être forcé par ses parents ou par sa femme ou par la communauté dégrade sa dignité humaine. L’homme véritable est celui qui est capable d’activité. Celui qui trouve sa vie dans le recours aux autres — puisqu’il ne peut agir par lui-même, c’est qu’il est mort ou privé de sens. Il en va de même de ceux qui sont dirigés seulement par leur ventre — eux-mêmes savent bien à qui ils ressemblent. Ceux-là mêmes qui ne travaillent que pour gagner de l’argent n’obtiennent pas encore la gloire, car c’est parmi eux qu’on peut trouver ceux qui trompent leur patron, qui font semblant d’être malades, qui ne travaillent pas bien si on ne les regarde pas, qui sont imprudents, qui font des fraudes, qui ne se soucient pas du progrès de leur affaire. Mais ceux qui resplendissent dans leur travail sont ceux qui font comme le soleil quand il illumine le jour, ou la lune quand elle éclaire la nuit, ou le diamant quand il découpe le verre. Ce sont ceux qui travaillent par amour du métier. Ce sont eux qui possèdent ce qu’on a dit de la femme malgache accomplie : « Elle ne peut attendre le lever du soleil au matin, elle abandonne avant l’aube sa couche qui reste toute triste. On la voit traverser le froid de l’hiver, et on voit l’empreinte de ses pas sur le sol mouillé de la saison des orages. Le soleil se couche, mais elle, elle veille encore à la lueur des étoiles. Elle ne ferme pas l’œil avant que la lampe aussi ait clos sa paupière. » C’est là le caractère de celui qui aime son métier, car le travail est doux quand on le fait avec amour, et en lui se réunissent esprit et force d’âme. Alors, les difficultés paraissent des jeux, et la fatigue, les sueurs sont comme la pierre à aiguiser du travail. Le sage considère son métier comme un sac empli de perfectionnements et de progrès, et il n’hésite pas à y plonger la main pour en retirer ce qu’il y a dedans. Voilà une gloire qui n’est pas donnée à tous, mais tu peux la saisir aujourd’hui même pour la poser sur ta tête. Vaovao Frantsay-Malagasy, 802, 24 mai 1912, p. 3393. Commentaire

50 Le vahia est Mikania scandens (L.) Willd., Asteraceae. C’est une espèce cosmopolite sous les tropiques, largement répandue dans toute l’île, qu’on trouve en particulier dans les forêts et les buissons, sur les berges des rivières (Humbert 1923). Les botanistes, aussi bien que les auteurs des dictionnaires, retiennent qu’il s’agit d’une plante odoriférante, trait qui a aussi frappé le poète.

Neuvième fleur : le datura. La réflexion sur soi et sur ses œuvres

Le datura s’élève bien haut au-dessus de sa racine, il laisse sous ses aisselles le dahlia et le vonimpilera, et il laisse le songosongo et le telovoninahitra au niveau de son pied. Il a des fleurs d’un blanc éclatant, qui sont comme des lanternes suspendues à travers son feuillage ou des étoiles éparpillées dans le ciel bleu de la soirée.

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Si le fuchsia prend la forme des boucles d’oreilles, et si le sahondra se donne des airs d’épaulettes, si la fleur de massette défie les nuages blancs, le datura quant à lui fait naître doucement de l’extrémité de ses rameaux ses fleurs, qui ont mérité de prendre la forme de gobelets d’argent. Mais il n’a pas seulement l’apparence. Il ne se contente pas de briller comme les eaux qui suintent sur les rochers, mais qui déçoivent la soif de celui qui s’approche. Il ne fait pas que vendre sa mine comme le taikakoho qui se met à sentir mauvais quand on le cueille. Il a à la fois l’apparence et la senteur. Au sein de sa pureté, il a une senteur qui parfume la brise et qui offre son amour à tous ceux qui penchent vers elle leur narine. Dès que le soleil se couche, il ôte les bouchons de ses flacons pour en humecter le mouchoir jaune du soir. Le clair de lune limpide est le champ où se jouent ses effluves — il folâtre dans la clarté du firmament et lance le bonheur sur tous ceux qui suivent les chemins de crêtes. Considérons-le cependant : il n’est pas léger pour prendre des airs affectés, ni élancé pour montrer de l’arrogance, ses fleurs ont du poids et se déploient largement, si bien qu’elles s’inclinent pour méditer sur elles-mêmes. Ainsi, le sphinx n’a pas à fléchir la tête, ni le papillon à incliner la trompe, mais tous ceux qui veulent puiser chez lui le nectar doivent se tourner vers le haut, et aspirer un suc ruisselant. Ce datura est par excellence l’une des fleurs de la couronne de gloire. Celui qui a l’esprit se tient sur la hauteur, et il déserte les naïvetés par lesquelles il est passé. Ses fleurs sont blanches et on les voit se détacher au milieu de tous les nigauds. Il répand son parfum sur sa nation et sa cité, sur sa famille et son foyer. Celui qui met son espoir en lui n’est pas déçu, et celui qui lui fait confiance n’est pas trahi. Si tu le considères, il ne se vante pas comme les têtes légères, ni ne fait le hautain comme ceux qui se replient sur ce qu’ils possèdent, mais il s’humilie et s’incline pour méditer sur sa conduite et sur ses œuvres. Tout le monde regarde les autres. Comme les yeux sont placés sur la face, ils doivent regarder devant eux. Ainsi, ils voient vite la supériorité des autres et ils la jalousent. La beauté qui n’est pas pour eux, ils la moquent. Et les fautes des autres qui sont apparentes, ils les attaquent par-derrière. Ces sortes de gens oublient que s’ils regardent les autres, les autres aussi les regardent. Ils voient l’égratignure sur le front de celui qui est devant eux, mais ceux qui sont derrière eux voient la plaie qui est sur leur nuque. Personne n’est sans péché, mais la plus haute sagesse de l’homme est, au lieu de considérer son prochain, de garder les yeux grands ouverts sur soi-même. Si c’est avec une lampe que tu éclaires ton prochain, c’est à la lumière du soleil que tu devrais te regarder toi-même. Observe les autres avec des lunettes noires — puisse l’amour du prochain en noircir les verres, mais examine-toi toi-même à l’aide du microscope, qui te permettra de te purifier et de te guérir. Mieux vaut être le sage qui se réprimande lui-même que d’être puni par les autres. Et pour accomplir cela, il te faut chaque jour enquêter sur ta conduite, et t’ériger en juge de tes œuvres — condamne le mal et fais progresser sans relâche la vertu. Alors on verra toujours comme un ornement sur ta tête cette fleur de gloire, dont la place est dans les hauteurs, mais qui sait s’incliner pour se pencher sur elle-même. Vaovao Frantsay-Malagasy, 806, 21 juin 1912, pp. 3409-3410.

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Pl. 3. La f leur de Dat iora. Curtis’s Botanical Magazine , 3 5-36, (1440), 1812 : Datura Metel, Downy Tho n-Apple.

Fonds documentaires de botanique, Muséum national d’histoire naturelle

Commentaire

51 Le nom du datiora est la malgachisation du nom scientifique et français de cette plante très commune : Datura stramonium L., Solanaceae. Elle a pourtant aussi un nom malgache, ramiary, sous lequel elle est généralement connue aujourd’hui, et qui existait déjà du temps de Rajaonah Tselatra, puisqu’il figure dans le dictionnaire d’Abinal et Malzac.

52 Comme pour plusieurs autres fleurs, c’est surtout son port et sa taille qui sont retenus : elle est comparée à toute une série de plantes, le dahlia (qui porte en malgache son nom international dalià, Dahlia sp. Cav., Asteraceae), le vonimpilera au nom formant pléonasme puisqu’il est constitué du malgache vony et de sa traduction française filera (« fleur ») ; avec une petite variante, il est identifié par Richardson et par Abinal et Malzac comme le nom d’une fleur décorative naturalisée, la belle-de-nuit, Mirabilis jalapa L. Nyctaginaceae. Suivent deux plantes que nous connaissons déjà, le songosongo et le telovoninahitra, puis deux belles fleurs, l’une introduite, le fuchsia (en malgache foksia), l’autre indigène, le sahondra ou Aloe capitata Baker, Liliaceae.

53 Nous avons déjà remarqué dans ce texte une allusion biblique (« la paille dans l’œil de ton frère, et la poutre dans le tien », Matthieu 7,3) ; au paragraphe suivant, on entend un écho d’un autre verset célèbre (« l’oeil qui est la lampe du corps », Matthieu 6, 22).

54 Le datura est la seule des fleurs de Rajaonah Tselatra qui se trouve aussi dans le Langage des fleurs de Charlotte de La Tour (s.d., p. 81), mais avec des jugements bien différents : Datura. « Charmes trompeurs ». Souvent arrêtée par la mollesse, une indolente beauté languit tout le jour et se cache aux rayons du soleil. La nuit, brillante de coquetterie, elle se montre à ses

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amants. La lumière incertaine des bougies, complice de ses artifices, lui prête un éclat trompeur ; elle séduit, elle enchante. Cependant son cœur ne connaît plus l’amour, il lui faut des esclaves, des victimes. Jeune homme imprudent, fuyez à l’approche de cette enchanteresse ; pour aimer et pour plaire, la nature suffit, l’art est inutile. Celle qui l’emploie est toujours perfide et dangereuse. Les fleurs du datura, semblables à ces beautés nocturnes, languissent sous un feuillage sombre et fané, tant que le soleil nous éclaire. Mais, à l’entrée de la nuit, elles se raniment, déploient leurs charmes et étalent ces cloches immenses que la nature a revêtues de pourpre doublée d’ivoire, et auxquelles elle a confié un parfum qui attire, qui enivre, mais qui est si dangereux, qu’il asphyxie, même en plein air, ceux qui le respirent.

Dixième fleur : le vonenina. La tempérance

Le vonenina pousse de-ci de-là sur les vastes étendues, et on l’aperçoit comme des fumées qui montent par-ci par-là dans le désert. Sa petite taille le laisse sous la plante des pieds du vero, il croît sous le genou du horona, et il n’y a que l’avoko pour être du même rang que lui. Il lui faut s’appuyer sur d’autres pour s’élever de trois empans au-dessus de la terre. Cependant il est peu répandu, mais remarquable, il est de petite stature, mais fameux. C’est de lui que viennent les motifs de fleurs de la broderie et de la passementerie, qui fournissent leurs jeux aux doigts des jeunes filles, ainsi que leurs petites rentrées d’argent. Ses fleurs se dressent au-dessus de son feuillage, elles sont le refrain de celles qui aiment les parures. Le nombre de leurs corolles manifeste leur tempérance, qui leur donne une place à part parmi les fleurs des collines, ni trop rares pour qu’il en manque, ni trop nombreuses pour qu’elles soient serrées, mais juste ce qu’il en faut et bellement alignées, tenant chacune sa place, si bien qu’on a envie d’en prendre modèle pour les disposer sur les cotonnades et les mousselines. C’est cela la tempérance, et elle mérite d’être la couronne de gloire de l’homme. En dessous de la tempérance, il y a l’insuffisance, et au-dessus d’elle, l’excès. Et elle sait se glisser dans l’entre-deux qui est la bonne position. Elle ne cherche pas à se hausser jusqu’aux cimes des montagnes, ni à s’enfoncer dans les creux des vallées. Elle ne porte pas à la main un grain de sable pour en faire la pierre du gué, elle ne prend pas dans ses bras un rocher pour en faire la pierre du seuil, elle agit avec tempérance — comme il est juste et convenable. On peut ici avec raison rapporter les paroles d’un homme : « Si je travaille avec excès, mon corps sera épuisé, cela abrégera les jours où je travaillerai ; mais si je travaille trop peu, je perdrai une part de mon temps et la valeur de ma vie sur cette terre en sera diminuée. Si je m’amuse trop, je causerai la perte de mes affaires, et le malheur prendra la relève de mes plaisirs ; mais si je ne m’amuse pas du tout, je vivrai dans le chagrin, et ce sera comme si je demeurais au pied du mur de la prison. Si je dépense trop d’argent, voilà le regret qui m’attend dans les jours de maladie et de vieillesse ; mais si je suis trop avare, je souffrirai autant que les plus misérables. Si je donne trop d’importance à ma personne, je deviendrai un égoïste, un orgueilleux et un envieux ; mais si je ne considère pas du tout ma personne, je serai celui qui se détruit lui-même, et qui ne sait accomplir ses devoirs à l’égard du monde. » Ces exemples suffisent à fournir une leçon pratique — puisses-tu évaluer à leur lumière ta façon de vivre. Il est pénible de trouver la bonne mesure — certes, mais la bonne mesure existe, et il est plus pénible encore de se trouver des excuses. S’il est possible d’être tempérant dans le boire, et s’il est possible d’être tempérant dans le manger, pourquoi ne serait-il pas possible de vivre dans la tempérance ? La vérité, c’est que la tempérance n’est à la portée que de celui qui la désire. Fais donc tous tes efforts pour éviter l’insuffisance comme l’excès, et tu obtiendras la couronne de vonenina qui évite tout regret. La tempérance est une coupe qui

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aujourd’hui n’est pas pleine à moitié, mais qui à l’avenir ne sera pas un fond de verre. Celui qui sait poursuivre ce but est un sage, et il peut traverser cette vie comme il convient. Vaovao Frantsay-Malagasy, 806, 27 sept. 1912, p. 3466. Commentaire

55 Le vonenina, connu aussi comme pervenche de Madagascar, est Catharantus lanceus (Bojer ex A. DC.) Pichon, Apocynaceae.

56 Le caractère qui a frappé Rajaonah Tselatra est que la pervenche se retrouve dispersée dans de vastes étendues, pareille à de la fumée de-ci de-là. Il est intéressant de noter qu’elle doit cette répartition si remarquable à un trait relevé par le botaniste : sa capacité à résister aux incendies par ses racines protectrices, et donc à réapparaître de cette manière, contrairement aux autres plantes.

57 Comme pour le datiora, elle est comparée à des plantes par la taille ; mais ici, sa taille est inférieure à celle du vero (Andropogon hirtus L., Poaceae), du horona (une autre Poaceae, peut-être Loudetia sp. Hochst. ex Steud.), mais elle est de même hauteur que l’avoko (Vigna angivensis Baker, Fabaceae).

Espèces végétales mentionnées

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NOTES

1. Malgré ce titre, la série s’interrompt après la parution de dix méditations. Nous avons travaillé sur la réédition, très soigneuse, des oeuvres de Rajaonah Tselatra, procurée par les éditions Baingan’Ambozontany (1994 : I, 199-211). 2. On le voit déjà au niveau du vocabulaire. Plusieurs mots malgaches peuvent traduire la notion de « fleur », et les distinctions sont nettement visuelles. Dans les dialectes du sud-ouest, des verbes différents peuvent être appliqués, par exemple, - à la floraison du manguier, du lamoty (Flacourtia ramontchii) et du sakoa (Sclerocarya caffra) : mamoñe, « faire des voñe, des fleurs plutôt petites et ternes » ; - à celle de l’oranger et de l’antake (Dolichos labalab) : mandriaky, « s’étoiler de fleurettes » ; - à celle du cotonnier (mamolera, « faire des folera, des fleurs éclatantes ») ou à celle de la canne à sucre (vaky barara, « éclater en plumets »), etc.

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3. Traduit par nous (la traduction de Paulhan était : « Les coqs, ici, en bas / Savent que le soleil va se lever. / L’ambiaty, sur la colline, / Connaît l’intention du ciel. » 4. On notera ici le contraste avec l’idée de Goody quand il évoque la place peu importante des senteurs dans l’Afrique traditionnelle. Dans la tradition bouddhiste, c’est au contraire l’odeur qui frappe d’abord : « Toute une section du Dhammapâda … … est pavoisée de ces fleurs rhétoriques, dont le parfum surtout est pénétrant ; leurs couleurs déçoivent toujours notre attente » (Goody 1994 : 29, 384). 5. Le proverbe appartient au recueil de Cousins et Parrett (1871). Nous citons ici la traduction de Domenichini-Ramiaramanana (1971 : no 1021). Rajaonah Tselatra transpose ce proverbe dans l’une de ses Teny volamena (« Sentences d’or ») : Ny mpanetritena dia voninkazo manitra, ka raha polesina vao mainka hamoaka ny fameroverony, « L’humble est une fleur parfumée, quand on la froisse entre les doigts elle embaumera plus ncore »(1994 : I, 331). 6. Nos identifications ne peuvent pas prétendre à une totale certitude. Nous sommes partis des noms vernaculaires et des descriptions — souvent imprécises pour le botaniste — que donne le poète. Les outils les plus utiles sont les dictionnaires d’Abinal et Malzac (1888) et surtout de Richardson (1885), puis le grand Dictionnaire des noms malgaches de végétaux de Boiteau. Les noms scientifiques ont été recoupés à l’aide des bases informatiques botaniques Sonnerat du Muséum national d’histoire naturelle et Tropicos du Missouri Botanical Garden. 7. Au XIXe siècle, la Compagnie continentale d’horticulture, spécialisée dans la collecte de plantes rares, commissionne des botanistes considérés comme de véritables aventuriers par l’Occident. Jean Linden, appelé parfois père des orchidées, est l’un d’eux. Après de nombreuses expéditions, il devient auteur-éditeur d’ouvrages d’horticulture illustrés de planches en couleurs. La Pescatorea en 1854 est un précurseur dans le genre, et en 1885 la préface du Lindenia illustre le climat fiévreux de ces moments : « À l’époque où fut publiée la Pescatorea, il y a de cela un quart de siècle, on ne comptait pour tout le continent qu’une douzaine de véritables amateurs d’Orchidées. Aujourd’hui le nombre en est devenu légion et, fait digne de remarque, la Fleur d’Orchidée a détrôné la Rose dans la confection des bouquets et des corbeilles fleuries. » 8. Dans ses hainteny (composés à la manière de l’ancienne poésie orale), il emploie aussi des figures florales, bien plus nombreuses que celles qu’on trouve dans les hainteny des recueils traditionnels. 9. Incident tiré des rapports de la Friends’ Foreign Mission Association, 1873, cité par Raison-Jourde (1997 : 565) 10. Nous citons la Bible malgache dans la traduction protestante. Notre texte français traduit la version malgache. Cf. pour ces passages la version de Segond : Pr. 4, 9 : « Elle mettra sur ta tête une couronne de grâce, Elle t’ornera d’un magnifique diadème. » Pr. 14, 24 : « La richesse est une couronne pour les sages ; La folie des insensés est toujours de la folie. 11. A. Rimbaud, Lettre à Paul Demeny, 15 mai 1871 (éd. 1972, p. 251). C’est nous qui soulignons à chaque fois. 12. Un bel exemple se trouve dans l’article, bref, mais très éclairant, de J.-P. Domenichini (1980). 13. Nous pensons à la fabrication des charmes des Luba du Kasai, analysée dans l’article classique de L. de Heusch (1971). 14. Hainteny recueilli par Paulhan (1913), rééd. 1991, p. 16-19.

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Gabriel Rajonah (1895-1972), homme de lettres, essayiste à la croisée de plusieurs cultures

Marguerite Razarihelisoa

1 L’itinéraire de F. Gabriel Rajonah peut s’inscrire sur deux grands tableaux : chaque tableau est la superposition de deux visions ; la toile de fond du premier tableau est l’exploration de la civilisation occidentale à travers les silhouettes de ses philosophes, de ses écrivains et de ses savants.

2 Par sa double vocation, pasteur et enseignant, Rajonah a connu les différentes catégories de la société malgache. C’est la peinture de l’homme et de la société entre les deux grandes guerres mondiales qui domine ses travaux, de 1920 à 1945. Et c’est donc la vision de cette société qui occupe le devant du premier tableau et dont la présentation fait l’objet du présent exposé.

Le parcours

3 Enseignant dans les écoles et les collèges, il a côtoyé les jeunes tous les jours. Prédicateur et conférencier, il s’est adressé souvent aux adultes, hommes et femmes. Son public a été soit les paroissiens des grandes églises de la capitale (Ambohitantely, Faravohitra), soit ceux des autres grandes villes de province (Tamatave, Antsirabe, Fianarantsoa), ou bien des fidèles des communautés villageoises (Ilavarano, Amoronkay, Tampina). Le contact avec cette population lui a permis d’enrichir sa connaissance des comportements de ses contemporains. Il a également connu les impacts d’une guerre mondiale sur la population des colonies lorsqu’il était étudiant à l’United Theological College à Ambohipotsy (Antananarivo).

4 Au cours de cette période, l’oeuvre coloniale à Madagascar était tangible dans tous les domaines. Sur le plan social, la santé de la population était entre les mains des militaires et des civils : l’Assistance médicale indigène était gratuite. L’Institut Pasteur travaillait pour la lutte contre les maladies tropicales (paludisme, peste, choléra),

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organisant des campagnes de sensibilisation et de vaccination. De grands travaux d’aménagements (agriculture, routes, chemins de fer) étaient réalisés. Les programmes scolaires étaient théoriquement identiques à ceux des écoles primaires en métropole, pratiquement adaptés au contexte local. Les différents organismes missionnaires, protestants ou catholiques, bien implantés, avaient participé, à leur manière, au progrès de la population.

5 Pour ses études et sa formation, Gabriel Rajonah a connu un parcours assez atypique, à la croisée de plusieurs cultures. Il naquit le 27 décembre 1895 au bord de l’océan Indien, sur la côte sud-est de Madagascar où Rajonah, son père, était gouverneur de Farafangana. Sa mère, Razarinia, était enseignante successivement à Antananarivo, à Farafangana, à Ambohimandroso, à et, plus tard, à Antananarivo. À l’âge de 12 ans, il a poursuivi sa scolarité à l’École Benjamin Escande à Ambositra, puis à Antananarivo, des écoles dirigées par la Mission protestante française. Jusqu’à cet âge, c’est le couple missionnaire de la London Missionary Society, collègues de sa mère, qui s’est occupé de son instruction et de son éducation. Son père, n’a survécu que quelques années après la fin de la guerre franco-malgache.

6 À l’école d’Ambositra, trois personnalités de grande valeur, Gagnaire, Andrianaivoravelona et Filipo Rajohanesa, ont fortement marqué le jeune Gabriel. De cette période datent les premiers poèmes et l’éveil à l’écriture et à la littérature. Nanti de ses deux diplômes officiels (certificat d’études du second. degré et certificat d’aptitude à l’enseignement) obtenus en une même année, son retour à Ambohimahasoa fut très attendu.

7 Jeune enseignant très dynamique, animateur de diverses manifestations festives, organisées pour les écoles ou pour les églises, entre autres, il aimait les chants et la musique. Il a composé des sketchs et des saynètes, joués par les élèves, inspirés de récits bibliques dont quelques-uns ont été publiés dans la revue Ny Sakaizan’ny tanora (L’Ami des jeunes).

8 « Savoir un peu plus, aller plus loin dans les études » n’a cessé de le hanter. Il passait de nombreuses heures dans la bibliothèque des missionnaires, un lieu qu’il connaissait depuis toujours, surtout jusqu’à l’âge de 12 ans. Il a écrit dans son journal : « Je dois lire quelque chose de nouveau tous les jours. »

9 Trois années passèrent au cours desquelles il a entendu de nombreuses fois un écho lui disant « qu’il doit travailler davantage dans les jardins du Seigneur », appel qu’il a considéré comme la vocation à travailler dans des champs plus vastes d’évangélisation et d’enseignement. Il fallait donc faire des études plus poussées. Le missionnaire, son conseiller, lui disait alors : « La théologie est la reine des sciences. »

10 La période la plus importante pour sa formation fut son séjour à l’United Theological College à Ambohipotsy (1914-1917), qui lui a ouvert un vaste horizon du savoir, quatre années particulièrement bénéfiques, couronnées de brillants résultats : premier de la classe à la fin de chaque année et au terme du cursus, ayant obtenu le premier prix pour un essay remarquable, il fut promu lauréat de sa promotion.

11 Les enseignements de l’histoire, de la philosophie et de la psychologie, dispensés par le Dr Standing, le Dr Sharman, le Rév. Dennis, entre autres, l’ont particulièrement sensibilisé. Le Dr Standing était membre de l’Académie malgache ; comme Lamberton, il était connu pour sa contribution à la promotion des collections paléontologiques du musée de l’Académie. Madame et le Rév. Dennis, au cours de cette période, travaillaient

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sur les Konkordansa ny Baiboly malagasy (Concordances de la Bible malgache). Rajonah, accueilli chez eux à Ambohidratrimo pendant les vacances, avait pu suivre de près la réalisation de cet important ouvrage : premier apprentissage et passion pour les travaux de lexicographie. Cette passion s’est confirmée lorsqu’il a été appelé à collaborer avec l’équipe du Rév. Evans et du Pasteur Randzavola pour le Diksionery ny Baiboly malagasy (Dictionnaire de la Bible malgache), un autre ouvrage monumental.

12 Il a mis en œuvre ses nombreux acquis, sa compétence et toute sa passion au cours de la réalisation du Firaketana ny fiteny sy ny zavatra malagasy (Dictionnaire encyclopédique malgache) dont il était cofondateur avec le Pasteur Ravelojaona.

13 Selon le Dr Radaody Ralarosy, président de l’Académie malgache, Gabriel Rajonah était « le pilier de l’entreprise ». Il était, en effet, coéditeur de ce grand dictionnaire monolingue malgache-malgache, rédacteur en chef depuis sa fondation en 1937 jusqu’à sa mort en 1972, s’intéressant à la documentation écrite et s’impliquant dans des visites de tous ordres, non seulement dans la capitale, mais également par de nombreux déplacements à travers l’île (laboratoires, services spécialisés, musées, réserves naturelles, sites historiques). Auteur de la plupart des articles les plus importants, telles que la biographie d’Andrianampoinimerina, de Radama Ier, du Général Gallieni, d’Alfred et Guillaume Grandidier, etc., il contrôle les articles venant des correspondants, et, de 1956 à 1972, il était directeur des publications, assumant ainsi la plupart des responsabilités (cf. Bulletin de l’Académie malgache, mars 1973). Le Firaketana, en fait, est la vitrine de son vaste savoir et de son savoir-faire.

14 Mais tout au long de sa carrière, Gabriel Rajonah s’est intéressé à la connaissance de la culture occidentale, il n’a cessé de suivre plus particulièrement l’évolution des pensées philosophiques en Europe par des contacts personnels, par des correspondances très suivies avec des institutions ou des personnalités et par l’acquisition d’ouvrages nouveaux. Parallèlement à ce parcours, il a préparé et a été reçu au concours de professorat.

15 La règle de sa conduite était : instruire et s’instruire.

Les travaux

Contexte historique

16 Dans son Dictionnaire historique et géographique de Madagascar, Rajemisa Raolison commence la biographie de Gabriel Rajonah par cette phrase : « Rajonah, personnalité intellectuelle faisant preuve d’une vaste culture et d’une activité intense… … ». L’ensemble des travaux de Gabriel Rajonah au cours de la période 1920-1945 représente plusieurs centaines d’essais, fruit de ses observations et recherches, se référant surtout à la conception de « l’homme » qui, selon les principes de la philosophie « classique », englobe trois entités : le corps (vatana), l’intelligence (saina) et l’âme (fanahy). Les thèmes abordés sont des plus divers : d’ordre philosophique, psychologique, pédagogique, scientifique, culturel, social.

17 Plus d’une centaine d’articles ont été publiés dans différents périodiques de la capitale : Ny Sakaizan’ny Tanora, Teny Soa (Bonnes paroles), Ny Mpanolo-tsaina (Le Conseiller), Ny Mpandinika (L’Observateur), Ny Fiainana (La Vie), Ny Firaisana Kristiana (L’Unité des chrétiens), Ny Fandrosoam-baovao (Les Nouveaux progrès), Ny Fanasina (Le Sel). D’autres

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traités relatifs à des problèmes de société (éducation, rôle de la femme, etc.) ont fait l’objet d’exposés donnés à de nombreuses conférences. Un certain nombre, sur l’histoire, ont été intégrés dans le Boky firaketana ny fiteny sy ny zavatra malagasy (Dictionnaire encyclopédique malgache).

18 Entre les deux grandes guerres mondiales, la préoccupation majeure de la jeunesse intellectuelle malgache était la recherche de sa voie : elle s’interrogeait sur son identité. Mais ce fait paraît paradoxal, car Madagascar était largement ouverte sur le monde occidental, et l’attirance pour la culture française était très forte. Pour les Malgaches, c’était la période des grandes aventures à l’exploration de la civilisation occidentale. À Madagascar, on s’intéressait à tous les domaines du savoir : littérature (poésie, théâtre), philosophie, sciences, etc. L’approvisionnement des librairies et des bibliothèques locales était assez rapide et bien fourni : celles-ci donnaient assez bien les reflets des productions et des ouvrages publiés en métropole.

19 Au sein de cette génération, trois tendances se faisaient jour : • pour les uns, il est temps de faire le « grand voyage », quoique le déplacement géographique reste toujours un rêve. En attendant, on voulait « être civilisé » (mahalala ny sivilizasiona) : parler la langue, adopter le mode de vie, s’adapter au mode de pensée, au mode de s’exprimer et de communiquer ; • pour les autres, il faut revisiter la culture malgache ancienne « rechercher ce qui a été perdu » (mitady ny very) ; • pour d’autres enfin, « la langue malgache qui nous appartient mérite les honneurs royaux, mais il y a aussi d’énormes avantages à faire usage de deux ou plusieurs langues »1.

20 Les responsables du Firaketana étaient à l’origine de cette formule. Il s’agit, à la fois, de faire honneur à la Langue malgache, retenir tout ce qu’il y avait de meilleur dans la culture traditionnelle, et parallèlement, maîtriser l’usage du français et d’autres langues éventuellement.

Sources : les deux visions sur le tableau

21 On a vu combien Gabriel Rajonah était particulièrement attaché à l’évolution des idées philosophiques en Europe. Pour lui, l’essentiel, dans un premier temps, était de découvrir ou redécouvrir et de posséder une connaissance approfondie de ce qui fait les valeurs de la culture occidentale et d’être au courant des événements majeurs qui se passaient dans le monde. C’est la toile de fond du premier tableau.

22 Son but était d’éclairer les esprits par le transfert de ces connaissances au plus grand nombre, au profit de toutes les couches de la population, celles des grandes villes comme celles de la brousse la plus reculée qu’il a connues au cours des campagnes d’évangélisation dans les villages ou les banlieues, au cours des conférences antialcooliques, au cours des missions dans les provinces côtières et dans le grand sud.

23 Intéresser les jeunes à la connaissance de ces valeurs, trouver une formule appropriée ou une méthode pédagogique adéquate pour faire passer les messages et utiliser un langage du niveau de tout le monde dans les articles de vulgarisation, tels étaient ses principaux atouts.

24 Mais parallèlement, il s’efforçait surtout, chez les différentes catégories de la population, à analyser leurs comportements dans la vie au quotidien, à étudier leurs

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réactions face aux événements, et à chaque occasion, se référant aux divers aspects psychologiques de l’homme, c’est-à-dire à l’étude de l’âme.

25 Des thèmes tels que la conscience, les habitudes, la discipline de l’intelligence ont servi de centres d’intérêt pour cette analyse des comportements face aux contacts de la civilisation occidentale et de la culture judéo-chrétienne. C’est donc la peinture de ces personnages placés au premier plan du tableau qui constitue la deuxième vision.

26 Par ailleurs, si, pour G. Rajonah, l’objet de son étude est d’abord celui de l’âme humaine, il s’est également attaché à celle de l’environnement social. Il a pris conscience des changements dans l’ordre social. Il a constaté que dans la vie de tous les jours, il y a des heurts dans les habitudes et dans les mentalités ; les plus vulnérables étaient les femmes et les jeunes. Comment comprendre ce que pensent et croient les gens dans les différentes catégories de la société ? Comment réagissent-ils aux événements ? Comment réfléchir aux réponses afin de faire face à cette évolution ? G. Rajonah a-t-il essayé d’être le porte-parole de cette société, de leur soif d’améliorer leurs conditions de vie, de pouvoir exprimer leurs aspirations et éveiller leur amour propre ? Toujours est-il qu’il a essayé d’aborder ces problèmes par l’étude des mentalités, par le biais de la psychologie.

27 Dans Hommes et destins de Madagascar (1979), le Pr Rakoto Ratsimamanga, ayant particulièrement senti l’importance de sa démarche, a écrit : « … … Il n’a cessé de maintenir la pensée, la philosophie et la pérennité de l’âme malgache… … »

Les essais

28 Comment établir une classification satisfaisante des traités écrits par G. Rajonah dont les thèmes sont si divers ? Tout au plus, on peut tenter de donner un aperçu des titres des essais relatifs à la philosophie, au sens large. Ils seront groupés autour des trois entités qui englobent la personnalité de l’Homme, le corps, l’intelligence et l’esprit, et sa vision de la société malgache.

29 Par ailleurs, comme les écrivains de sa génération, il a beaucoup œuvré pour la promotion de l’outil destiné au transfert du savoir. Les résultats des recherches sont résumés dans des articles importants sur la langue malgache. Rajonah a été membre titulaire de l’Académie malgache et vice-président de la section langue, littérature et arts ; il a été aussi membre de plusieurs commissions pour la malgachisation des termes techniques (justice, agriculture, etc.). Approfondissement de la connaissance de la langue malgache, une émission qu’il a animée pendant plus de dix ans sur les ondes de la Radiodiffusion de Madagascar, a été très suivie dans toute l’île.

30 Voici quelques titres des essais. En ce qui concerne l’individu : • sur le corps et la santé : ◦ « Des aliments et des boissons utiles à Madagascar », Ny Mpanolotsaina, 1928 (discours antialcoolique) ; ◦ « Changements dans le fonctionnement de l’opération mentale causés par l’alcoolisme », Ny Mpanolo-tsaina, 1938 ; ◦ « Les églises et le sport chez les jeunes », Ny Fiainana, 1942 ; ◦ « Il a supporté nos maux » (message adressé aux malades), Ny Fiainana, 1943 ; • sur l’intelligence : ◦ « Des pierres précieuses, des trésors cachés », Ny Sakaizan’ny tanora, 1923 ; ◦ « De la manière de discipliner l’intelligence », Ny Mpanolo-Tsaina, 1921 ;

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◦ « De l’intelligence et de l’esprit », Ny Mpanolo-tsaina, 1925, ◦ « De la structure de la conscience psychologique », N y Fandrosoam-baovao, 1933 ; ◦ « De l’amour de la culture artistique chez les chrétiens », Ny Fiainana, 1957 ; ◦ « Le rôle des habitudes chez l’homme », Ny Mpanolo-tsaina, 1930 ; ◦ « Initiation à la philosophie », Ny Fiainana, 1930 ; • sur l’âme et la religion : ◦ « Les empreintes de mon père » (hymne à la Création), N y Mpanolo-tsaina, 1927 ; ◦ « Des valeurs de l’homme : valeur absolue ou valeur personnelle et valeur relative ou valeur sociale », Ny Mpanolo-Tsaina, 1927 ; ◦ « De la conscience morale », Ny Mpanolo-tsaina, 1932 ; ◦ La religion protestante dans la vie de la société malgache, Ny Fiainana, 1952 ; ◦ « Sur la prière », Teny Soa, 19XX ; • concernant la société, la vie quotidienne : ◦ « L’imprimerie », Ny Mpanolo-tsaina, 1922 ; ◦ « L’observatoire d’Ambohidempona », Ny Mpanolo-tsaina, 1937 ; ◦ « Responsabilités des femmes devant la nation », Ny Fiainana, 1956 ; ◦ « L’administration à Madagascar », Ny Fiainana, 1957. • concernant la langue malgache ◦ « Sur la malgachisation des termes étrangers », Ny Fiainana, 1957 ; ◦ « Sur l’utilisation des vocabulaires techniques », Ny Fiainana 1958.

31 Ainsi la plupart de ces essais publiés pendant la période 1920-1950 correspondent-ils au premier tableau. Les titres sont assez éloquents : ils traduisent la démarche de l’auteur et soulignent la superposition de ses deux visions.

32 Ici, la toile de fond représente l’exploration de la civilisation occidentale, une sorte de voyage intellectuel s’intéressant plus particulièrement à la philosophie et à la psychologie, disciplines faisant l’objet de ses recherches personnelles, englobant la philosophie depuis l’Antiquité, l’évolution des idées philosophiques en Europe, au moyen-âge, au XVIe siècle, à la Renaissance, aux Siècles des lumières jusqu’au XXe siècle.

33 Curieusement, sur cette grande fresque se profilent aussi les figures non seulement des grands philosophes, mais également celles des savants de tous ordres qui ont contribué à enrichir par leurs idées ou leurs découvertes les valeurs de cette civilisation. On voit alors les profils d’un Socrate, d’un Aristote, d’un Montaigne, d’un Descartes, d’un Pascal, d’un Darwin, d’un Newton, d’un . La facilité avec laquelle Rajonah utilise les citations ou les références à ces personnages atteste combien il était à l’aise dans cette culture.

34 Parfois, les noms de ces personnages sont cités ; parfois, seules leurs doctrines ou leurs pensées sont évoquées ; parfois aussi, on trouve des citations plus ou moins complètes avec les titres des ouvrages et dans ces cas les pages, de référence.

35 Ainsi, l’ensemble des essais, publié dans divers périodiques en malgache, constitue-t-il un ouvrage en prose pouvant traiter des sujets d’intérêt général, sans prétendre toutefois l’épuiser ni arriver à des conclusions fermes ou définitives et rassemblant ses réflexions diverses. Il s’agit aussi de recueils d’anecdotes qui parlent de l’homme, de « soi », mais ce n’est ni mémoire, ni journal, ni autobiographie : c’est une forme de réflexions, une méthode de la connaissance de soi. S’essayer, expérimenter une attitude, une pensée, une sensation dans un état provisoire permanent.

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36 L’essai, libre, inconstant et divers, comme le « moi », est aussi, semble-t-il, une forme privilégiée de peinture, sinon la méthode obligée quasi nécessaire de la connaissance de soi.

37 Au gré des circonstances, G. Rajonah va faire la peinture de la société malgache de l’époque, de l’homme, de la société, étudiant ses réactions, analysant ses comportements. L’ouvrage conserve l’écho et la trace de toutes les circonstances à un moment ou à un autre de cette période. Il écrit des projets successifs ou simultanés. Les essais sont alors le prolongement de ses nombreuses réflexions enrichies de toutes les circonstances qui se présentèrent à lui, sans être tout à fait un traité de morale politique. En fait, l’auteur en abordant l’explication des thèmes psychologiques se réfère aux idées, aux doctrines, aux pensées des philosophes occidentaux. Parallèlement, il essaye d’analyser les comportements de l’individu ou de la société malgache par rapport à ces thèmes : il envisage comment tel ou tel facteur est vécu par l’individu ou par cette société et comment se manifestent les réactions face à tel ou tel problème.

38 En somme, l’étude de l’âme est abordée par la connaissance de la psychologie du Malgache, une analyse du comportement par le biais des facteurs psychologiques. Le devant du premier tableau représente ainsi la peinture de cette deuxième vision.

Aperçu sur un essai

39 La première lecture de la liste des traités, par ordre chronologique, donne l’impression de discours à bâtons rompus. Lorsque l’on se réfère aux titres des essais signalés plus haut, on peut constater que dans les articles concernant les problèmes de santé, d’hygiène et de maladies, l’interférence entre le corps, le mental et le comportement est toujours mise en évidence.

40 Les articles sur l’intelligence sont plus nombreux. L’un des premiers articles, publié dans Mpanolo-tsaina en 1921, intitulé « Fomba fitondrantsaina » peut se traduire par « De la manière de discipliner l’intelligence », les processus cognitifs, mais qui peut aussi recevoir diverses interprétations, telles que méthode pour la conduite de la raison, règles pour la direction de l’esprit, préceptes pour le développement des facultés intellectuelles, directives pour l’utilisation des capacités mentales, discipline pour la conduite de la raison, etc.

41 L’auteur commence son exposé par une interrogation historique : « Qu’est-ce que la vérité ? ». Ce sont les mots que Ponce Pilate adressa à Jésus lorsque les Juifs ont amené ce dernier devant ce gouverneur romain pour le juger et le faire condamner. Depuis l’Antiquité, en effet, l’humanité était toujours à la recherche de la vérité : vérité historique, vérité scientifique, vérité morale, vérité religieuse.

42 L’auteur met en garde ses lecteurs afin de ne pas suivre un mauvais chemin ou se laisser guider par une mauvaise discipline de l’intelligence qui est les écueils qui entravent cette recherche de la vérité. Afin d’éviter à chacun ces écueils, l’auteur va exposer douze préceptes pouvant aider à acquérir des méthodes efficaces pour le développement de ses propres facultés intellectuelles : • la première règle concerne le « moi » : se connaître, mesurer ses aptitudes et ses possibilités (référence à Socrate) : surestimer ses capacités peut conduire à l’orgueil, sous-estimer ses aptitudes peut induire au découragement et à la paresse ;

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• choisir des études dans le but de pouvoir exercer une profession ou un métier, faire d’autres études pour améliorer sa situation et acquérir des connaissances pour développer le caractère et la volonté ; • se concentrer, ne pas laisser l’esprit se disperser, mais la fatigue peut vite arriver ; • face à un sujet, essayer de dégager les éléments essentiels, avoir des idées claires et précises, faire passer les détails au second plan ; • habituer la pensée à juger les arguments avancés par les interlocuteurs pour défendre leurs idées ; • s’habituer à faire des investigations (vestiges), à poser des questions permettant d’avancer pour trouver la vérité : c’est l’avantage d’avoir l’esprit indépendant ; • faire d’abord un effort personnel avant de demander l’aide de quelqu’un d’autre ou le secours d’un livre ou d’un document ; • accepter les critiques, éviter de penser que l’on a toujours raison, la lumière et la vérité peuvent venir de sources multiples : « Ny hevitry ny maro mahataka-davitra » (les idées venant d’un grand nombre peuvent faire avancer loin), mieux vaut rester dans le doute ; • établir une bonne organisation et adopter de bonnes méthodes de travail, éviter de faire trop de choses à la fois : économie de temps, économie d’énergie ; le choix qui a été fait doit être considéré comme sacré ; • les mauvaises habitudes peuvent détériorer les capacités intellectuelles : savoir s’arrêter lorsque l’on se sent fatigué, varier les activités, prendre du repos ; pendant le repos, ne pas penser au travail, s’occuper à autre chose ; • retenir quelques théories ou quelques principes d’ordre général et orienter les recherches autour de ces doctrines, par exemple relatives au domaine scientifique : principe de la gravitation universelle (Newton), l’évolution des êtres vivants (Darwin) ; dans les relations humaines : avant de prendre une décision, observer les deux faces du problème ; « ne pas faire à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te le fasse » ; • bien assimiler et pouvoir, à son tour, expliquer clairement et de façon ordonnée ce que l’on a appris ; le nouveau savoir acquis à fond doit être exprimé de façon claire avec son propre langage « ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement ».

43 L’apôtre Paul a dit : « Réfléchir à ce qui est beau, à ce qui est juste, à ce qui est glorieux ». Le plus important est de penser ; on finit par aimer ce que l’on a toujours à l’esprit, bien ou mal. On met volontiers en pratique ce que l’on aime. La pratique devient habitude. L’habitude devient nature.

44 Une fois encore, la culture occidentale et judéo-chrétienne a inspiré l’œuvre de G. Rajonah, d’abord sur les idées, les pensées, la conception même de la philosophie, sur les méthodes d’approche et la manière d’appréhender les sujets. Mais sa personnalité apparaît sur la façon d’expliquer les idées, c’est-à-dire, la construction du discours.

45 Si l’image et la pensée d’un Socrate, d’un Descartes, d’un Montaigne, d’un Pascal, apparaissent en filigrane derrière chaque précepte, les formulations en malgache peuvent s’apparenter parfois à des paraphrases, parfois à des commentaires, parfois à un développement. Et l’on peut toujours reconnaître des pensées, telles que : « Qui suis- je », « connais-toi », « je pense, donc je suis », « dans le doute, abstiens-toi », « ce que l’on conçoit bien, s’énonce clairement », etc. Et dans différents essais, on relève aussi les noms de Saint Augustin, de Rousseau, de Shakespeare, de Chateaubriand, de Victor Hugo, comme celui de Bergson, d’Auguste Comte, de Freud, de Teilhard de Chardin et bien d’autres.

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46 Par ailleurs, on peut être déconcerté par la facilité avec laquelle Rajonah utilise certaines citations, telles que les paroles de Jésus ou de l’apôtre Paul, des citations de source biblique. Ici en effet, c’est le théologien qui parle.

47 Et doit-on être surpris de rencontrer des proverbes et des dictons malgaches intégrés dans le contexte de ses essais, attestant d’une culture polyvalente ?

48 En somme, les pensées et les préceptes dans les essais trouvent leur application aux problèmes contemporains de la vie au quotidien : vie personnelle et vie sociale ou communautaire, vie dans les églises du monde malgache. Ainsi, les exemples cités et analysés par l’auteur afin d’illustrer ses propos, et qui complètent le tableau sont bien des reflets de cette société, attestant sa connaissance de la psychologie de ce peuple.

D’autres essais

49 Dans « Vatosoa sarobidy, harena miafina » (Pierres précieuses, trésors cachés), publié dans Ny Sakaizan’ny tanora en 1926, Gabriel Rajonah s’adresse aux jeunes. Il évoque l’image des pierres précieuses que recèlent le sous-sol de Madagascar, trésor caché, et, pour les posséder, il faut se donner la peine de les exploiter. Par ailleurs, la parole de Jésus a affirmé : « Le royaume des cieux est en vous » : force, santé, intelligence, courage, gentillesse, talents et connaissances divers, amour du prochain. Ainsi donc à chacun de reconnaître en lui-même l’existence de ces richesses cachées, de les exploiter, de les mettre en valeur, les transformer en bijoux, afin qu’elles puissent servir à quelque chose et surtout à les mettre au service de Dieu.

50 Ici, Rajonah veut faire passer un message : sensibiliser les jeunes à une idée philosophique importante, une application de la pensée « connais-toi », adaptée à la mentalité et au langage des jeunes, avec une mise en garde très forte : « Ne jetez pas aux cochons les pierres précieuses… »Le texte est simple et court, l’image est claire, facile à retenir.

51 « Fitiavam-pahalalana » (Initiation à la philosophie), publié dans Ny Fiainana en 1930, est un exposé dense, abondamment documenté, un traité de philosophie à lui seul, traduction du grec philo (fitiavana), sophia (fahalalana, fahendrena).

52 Autrefois, la philosophie englobait tous les domaines du savoir depuis la théologie jusqu’à la chimie. Les recherches ont fait évoluer les idées et le domaine de la philosophie s’est rétréci, les autres domaines étant devenus adultes. Une classification globale des branches du savoir est donnée, tenant compte des méthodes d’approche pour leur étude : par la pensée (théologie et philosophie), par des expériences (sciences), par la recherche du beau (beaux arts).

53 Les caractéristiques des différentes disciplines accompagnent le tableau proposé par l’auteur. Il s’est particulièrement attaché à trois domaines : sciences, philosophie, théologie : Il expose dans les détails la relation entre sciences et philosophie, les apports réciproques entre sciences et théologie, ce qu’elles ont en commun, ce qui les différencie, et sont définis les territoires qui font le passage entre les différentes entités.

54 Dans ses réflexions personnelles, l’auteur souligne la nécessité de développer et d’entretenir l’esprit scientifique chez les théologiens et chez les philosophes.

55 « Ny anjaran’ny fahazarana ao amin’ny fiainan’ny olona » (Le rôle des habitudes chez l’homme), publié dans Ny Mpanolo-Tsaina, en 1930 : une maison en construction est

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l’image évoquée par l’auteur pour expliquer le rôle des habitudes chez l’homme. Leur rôle est comparable à celui du mortier destiné à maintenir la cohésion des matériaux : « Fit fabricando faber » en est le mot clé.

56 Des habitudes s’observent partout, même chez les objets inanimés, encore plus chez les êtres vivants (plante ou animal) et surtout chez l’homme. Nées avec la naissance, elles se développent par des gestes répétitifs. Elles ont leurs lois ; elles peuvent être passives, arriver toutes seules, ou actives et qu’il faut acquérir.

57 L’influence des habitudes chez l’homme peut concerner tout le « moi », le corps, l’intelligence, les sentiments, la volonté.

58 Certaines habitudes ont des avantages (facilitant l’attention, enrichissant l’acquisition : elles sont les fondements du progrès. Certaines causent des désavantages, deviennent ennemies du progrès ou faire tomber dans la routine.

59 Les conseils relatifs aux habitudes consistent à faire le choix entre les bonnes et les mauvaises, à diversifier les idées et les occupations, à accomplir des gestes répétitifs pour les acquérir. Les bonnes habitudes constituent une grande force, les mauvaises sont comme des chaînes difficiles à rompre, à couper. Et pour ne pas tomber dans le désespoir, il faut demander l’aide de Dieu : « Habituer les enfants à suivre le bon chemin, car devenus vieux, ils ne s’en écarteront pas » (Prov. 22 : 6).

60 On a retrouvé dans ce texte : • des références à la culture occidentale : une citation latine, des noms de philosophes ou de savants qui ont étudié le problème (Bichat, Maine de Biran, Ravaisson, Hamilton, Albert Lemoine) ; • des citations bibliques : « Reseo amin’ny soa ny ratsy » (Combats le mal par le bien) ; • des proverbes ou dictons malgaches : « Tsy misy mafy tsy laitry ny zoto »(Le courage peut combattre les pires difficultés).

61 L’auteur invite ses contemporains à observer leur propre comportement et celui de leur entourage, et à se conformer à une bonne conduite morale.

62 « Ny fieritreretana » (La conscience morale) a été publié dans N y Mpanolo-tsaina en 1931. Le traité sur la conscience psychologique a été publié dans Ny Fandrosoam-baovao. Ce traité comporte sept chapitres.

63 L’auteur donne les éléments de définition et les grandes divisions de la conscience avant d’aborder sa genèse chez l’homme. La genèse de la conscience morale est basée sur quatre hypothèses : • elle se forme chez l’homme d’après ses propres expériences ; • dans la vie en société ; • par l’éducation et par l’enseignement ; • elle est une manifestation de la raison, un degré supérieur du sens moral.

64 L’apôtre Paul a dit : « Leur conscience est leur propre témoin. » Kant : « La conscience est née avec l’homme. ». Le fonctionnement de la conscience concerne les trois parties du « moi » : l’intelligence qui permet de distinguer le bien du mal, les sentiments ou les émotions qui apprécient ou qui condamnent l’acte – la volonté d’accomplir ou de ne pas exécuter l’acte.

65 La conscience comporte différents niveaux : • la conscience floue ou obscure : par ignorance, par mensonges, par conduite immorale, par injustice, par mauvaise foi, par irrespect pour les autres ;

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• la conscience dans le doute (Descartes) ; • la conscience dans l’erreur : conscience de soi (Saül, l’apôtre Paul, qui a persécuté les chrétiens) ; • la conscience endormie ou émoussée parce qu’on ne l’a pas écoutée ; • la conscience parfaite : claire, juste, forte, capable de mener une vie équilibrée, source de vie paisible et agréable.

66 La conscience a une autorité sur l’individu du fait que ses directives sont conformes à la raison ou à la volonté de Dieu (pour les chrétiens). Elle a ses valeurs propres, supérieures à la santé, aux valeurs intellectuelles, aux richesses, au travail, aux pratiques religieuses.

67 L’auteur rappelle que chacun a un devoir vis-à-vis de sa conscience. Il s’interroge : comment les Malgaches respectent-ils la voix de la conscience ? Quelle est la portée des fady, des tsiny et du tody ? Dans le passé, quel a été le respect de la parole donnée et des promesses verbales dans les contrats divers (mariage, problèmes financiers, etc.), contrats sans signatures, ni témoins ? Autre question : comment a-t-on respecté les biens d’autrui ?

68 L’auteur cite les dictons et les proverbes malgaches rappelant le rôle de la conscience. Il donne ses réflexions sur l’éducation des jeunes afin qu’ils respectent leur conscience. Il rappelle que Dieu porte son jugement sur la conscience de l’homme.

69 Sous différentes formulations, il aborde dans ce texte les fondements de la philosophie : la connaissance de soi, le rôle du doute (« que sais-je ; dans le doute, abstiens-toi » (Descartes dans le Discours de la méthode). Il cherche une application de ces pensées ou principes sur lesquels elle se fonde aux problèmes contemporains.

70 « Ny dian-tanan’ny raiko » (Les empreintes de mon père). Cet article peut s’intituler « Hymne à la Création ». Il a été publié en 1926 dans N y Mpanolo-tsaina. Il est question du père et du Père : • les empreintes de son père (il était encore très jeune lorsqu’il l’a perdu) : dans un premier temps, l’auteur évoque sa propre histoire, son existence sur cette terre prouvée par son nom et son identification : les traits physiques, l’entourage (mobilier), la famille. Il évoque ensuite le souvenir de ce qu’il a pu recueillir sur les activités de son père d’après les témoignages des personnes qui l’ont connu, d’après les récits dans les écoles, les collèges ou les églises qu’il a fréquentés ; • les traces du Père, le Créateur : ◦ sur l’homme : sa ressemblance avec le Créateur ; ◦ sur la Création, la nature : les éléments qui la composent, l’ordre remarquable et les lois qui les régissent (témoignages de H. Fabre dans Les souvenirs entomologiques, de Auguste de la Rive, professeur à l’Université de Genève, du Dr Oswald Herr dans Le monde primitif de la Suisse ; le grand Linné dans le Système de la nature reconnaît la gloire, la sagesse, la force, le pouvoir de Celui qui les maintient) ; la finalité de leur existence ; leur participation pour son bien, y compris celle des êtres les plus insignifiants (mouche, abeille qui secrète de l’acide formique, avec son aiguillon, pour protéger le miel) ; ◦ sur l’histoire du monde : observée sur une courte durée, ce sont les événements tragiques qui nous frappent ; sur la longue durée, l’histoire de l’humanité révèle les traces du Père ◦ sur sa vie personnelle, son témoignage : le secours que peut apporter la Bible (cf. le livre de Curel), ce que Jésus peut faire pour nous comme il a fait en Palestine (citations), évocation de sa relation personnelle avec le Père dans les différents moments de son existence.

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71 En terminant, il évoque une chanson en malgache qui peut être interprétée soit comme une question, soit comme une affirmation sur le sens à donner à l’expression : Fitondran’Andriamanitra (Providence).

72 Rajonah apporte ici un autre visage des essais. Les références à des thèmes philosophiques ne sont pas explicites. En revanche, une connaissance assez approfondie des études sur la nature et sur l’homme est manifeste, tandis que l’histoire de l’humanité, y compris sa propre histoire, est abordée par une approche biblique.

73 En fait, l’exploration de la culture occidentale et des progrès de l’époque entreprise par G. Rajonah s’étend aussi sur les domaines des sciences de la nature et sur l’histoire de l’humanité. Et voilà que sur la toile de fond de notre premier tableau, les profils d’un H. Fabre ou d’un Linné apparaissent aux côtés des silhouettes d’un Socrate ou d’un Descartes.

Le choix des périodiques

74 Pour publier ses travaux, Rajonah avait le choix entre plusieurs périodiques, ce qui lui a permis d’aborder et de traiter des thèmes les plus divers et d’adapter les discours selon les tendances des lecteurs.

75 Les essais sur l’intelligence et la vie intellectuelle, tels que « N y Diantanan’ny raiko », « Ny Fitondran-tsaina », « Ny anjaran’ny fahazarana », « Ny Fieritreretana » et beaucoup d’autres, sont parmi les thèmes qui intéressent les lecteurs de Ny Mpanolo-Tsaina, représentant de l’intelligentsia protestante, semble-t-il. Depuis 1930, Rajonah était rédacteur dans ce périodique.

76 Les articles sur la prière, concernant la vie dans les églises, ont été publiés dans Teny Soa, le premier périodique protestant sorti en 1868.

77 « Fitiavam-pahalalana », « Andraikitry ny vehivavy eo amin’ny firenena », des réflexions ou bien des informations sur la vie dans la société, ont trouvé leur place dans Fiainana. Gazety ho an’ny mpiasan’Andriamanitra (Vie. Journal destiné aux serviteurs des églises, c’est-à-dire pasteurs, évangélistes, instituteurs, institutrices, diacres, catéchistes) et dont il était le rédacteur en chef depuis 1927.

78 « Vatosoa sarobidy » est tout à fait dans les lignes de conduite du Sakaizan’ny tanora, l’ami de ses jeunes années.

79 Son but était de favoriser une ouverture d’esprit plus large à tous.

Contexte social et culturel

80 L’oeuvre de G. Rajonah entre 1920 et 1950 s’inscrit dans le vaste mouvement intellectuel de la jeunesse malgache à l’exploration de la culture occidentale, s’intéressant à tous les domaines du savoir qui a marqué la période entre les deux grandes guerres. En fait, il n’était pas le seul pour cette aventure. S’il figure parmi ceux qui ont exploré les disciplines de la philosophie, d’autres écrivains ont été attirés par la littérature, la poésie, le théâtre, les romans, les nouvelles et même le journalisme.

81 Ainsi, ce mouvement aurait pris plusieurs directions, marqué par l’abondance exceptionnelle des productions littéraires et des créations artistiques, un véritable

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bouillonnement intellectuel, particulièrement à partir des années 1924-1926. Quelques noms émergent de la liste.

82 En littérature, Dox, de son vrai nom Jean Verdi Salomon Razakandrainy, représente un cas intéressant. Il est connu en tant que grand poète malgache. Mais on connaît aussi un autre aspect de son talent. Il a fait une traduction en malgache et en poésie du Cid de Corneille. La façon d’exprimer en malgache les idées les plus diverses, les tournures les plus élaborées, les subtilités les plus fines de la langue attestent d’une bonne compréhension des textes et d’une connaissance de la langue française. Et il semble que l’école Paul Minault, premier établissement secondaire confessionnel à Antananarivo, qui l’a formé, fut pour cette génération une pépinière ayant favorisé l’épanouissement de cette double tendance, face au contact entre deux courants de civilisation, occidentale et malgache, car on commence à admettre qu’il existe bel et bien une civilisation malgache.

83 La personnalité la plus marquante de cette tendance est celle de Jean-Joseph Rabearivelo, à qui Jean Paulhan a consacré plusieurs études pour l’interprétation de ses travaux. Écrivain malgache de langue française, il a puisé la source de ses poèmes dans les paysages malgaches, dans la peinture de l’homme malgache, dans la littérature malgache ancienne, mais qu’il a exprimée en français avec la sensibilité d’une âme malgache. Il a aussi écrit des poèmes en malgache, des pièces de théâtre inspirées du folklore ou des mythes malgaches telles que Imaitsoanala.

84 À ce mouvement et à ces belles aventures, souvent et curieusement chez la même personne, s’est opérée parallèlement l’évolution de la conscience pour une meilleure connaissance de ce qui est particulier à Madagascar et aux Malgaches. Cette tendance à la recherche de l’identité s’est concrétisée avec le temps. Rajonah représente une figure assez emblématique dans cette démarche.

85 Dans un discours-débat, autre essai, qui fit date, « Fifindrana lehibe » (Grandes migrations) (1944), Rajonah évoque les grandes théories, connues à l’époque, sur l’origine du peuplement de Madagascar, soutenues par Grandidier, Ferrand, Malzac, J.- B. Razafintsalama, Dubois, Rakoto Ratsimamanga. Il avance ses vues personnelles sur le sujet et ses critiques étayées par différentes preuves : historique, géographique, anthropologique, linguistique et philologique, ethnographique et sociologique, philosophique et théologique. Il expose les résultats de ses propres recherches relatives aux affinités éventuelles entre la religion traditionnelle malgache et le bouddhisme ainsi que d’autres religions du Sud-est asiatique.

86 L’étude des termes sanscrits concernant la religion et Dieu l’a conduit à considérer que les termes en malgache sont plus proches d’un sanscrit primitif plutôt que du sanscrit utilisé dans la littérature et la philosophie du bouddhisme évolué et structuré. L’opinion sur la présence d’un bouddhisme malgache a été défendue par Dama-Ntsoha (J.-B. Razafintsalama) et ses collaborateurs. Mais la non-implantation concrète du bouddhisme à Madagascar, marquée par l’absence de vestiges de temples ou de pagodes, est un autre argument avancé par G. Rajonah pour rechercher la période du départ des premiers immigrants du Sud-est asiatique et de leur arrivée sur l’île pour la situer à une époque bien antérieure au développement du bouddhisme en Asie. Aujourd’hui, il semble que cet avis soit en partie pris en considération.

87 « Fifindrana lehibe », article publié dans le journal Iarivo en décembre 1946, amorce la deuxième étape de l’itinéraire de G. Rajonah.

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88 Mais il convient d’admettre que la littérature malgache, la culture malgache sous tous ses aspects, doivent beaucoup à cette génération qui, ayant vécu à une période charnière de l’histoire de la Grande Ile, a contribué à enrichir le patrimoine culturel.

89 Notons que cet aspect culturel et social de l’histoire de Madagascar peut contribuer à étoffer le mode d’appréciation que nous avons fait plus haut du contexte historique et politique de cette période entre les deux grandes guerres.

Le langage

90 On ne reviendra pas sur la façon dont G. Rajonah organise son discours. Elle est illustrée par les plans des essais que nous avons donnés dans les exemples cités plus haut. En revanche, son langage retient davantage notre attention.

91 « Vatosoa sarobidy », dans Ny Sakaizan’ny tanora, nous a montré un exemple du niveau de langage utilisé par G. Rajonah pour faire passer aux jeunes ce message important : « se connaître ». Anecdote et métaphore sont courts, faciles à retenir. Le style est simple, mais empreint d’une certaine élégance. On note cependant quelques redondances dans les explications. S’agit-il de paraphrase, de commentaire ou de développement des idées ? Ou simplement c’est le langage d’un enseignant qui a l’habitude de transmettre quelque chose de nouveau à ses jeunes élèves, un maître qui, pour la première fois, va révéler quelque chose encore mal connu jusque-là.

92 D’un tout autre niveau est le langage du Mpanolotsaina, discours émaillé de métaphores et d’images. La construction des phrases est très élaborée, les vocabulaires bien choisis. Rajonah a surtout essayé de fixer l’usage d’un grand nombre de termes ou de locutions qui trouvent un sens précis dans le domaine de la philosophie ou de la psychologie, mettant en œuvre divers procédés linguistiques, dans le but de forger une langue philosophique en malgache, capable d’exprimer des notions, des idées, des connaissances de portée universelle et ouvrir ainsi un domaine spécialisé de la littérature malgache : dompter la langue malgache pour qu’elle puisse mériter une place d’honneur. L’effort est d’autant plus louable à divers titres, car, à l’époque, le français était la langue d’enseignement dans les écoles et les collèges. Un peu plus tard, le malgache pourra être choisi comme deuxième langue vivante après l’anglais aux épreuves du baccalauréat.

93 Sur le plan lexical, on note un effort particulier pour le choix des vocabulaires : recours à la traduction ou à la création de termes nouveaux ou bien utilisation des termes connus, mais en leur donnant un sens précis (un langage spécialisé) : kofehim- pahatsiarovana pour le nerf, fahatsiarovana pour sensibilité, fanaovana pour activité, fomban-tsaina pour faculté, vavahadin-tsaina pour organes des sens, saina pour intelligence, fihetsehampo pour sentiments, émotions, sitrapo, safidy pour volonté, fihandrinantsaina ou fanatrehan-tsaina pour attention, fitadidiana pour mémoire, fahazaram-poana pour routine, fanatsarana sy fisondrotana pour perfectionnement, ny Izahon’ny olombelona pour « le moi ». Il emploie aussi des expressions imagées telles que : tanimbolin’ny fiainana, zohin-kevidratsy, araben-dainga.

94 Parfois, on constate que l’utilisation des emprunts ou l’usage du calque a été bien maîtrisé, méthode obligée dans ce domaine ; mais, parfois, redécouverte d’expressions anciennes : « sady mahatsanga no àry ».

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95 On note un effort permanent à utiliser un discours clair par le soin des articulations et des charnières et le choix des tournures de phrases.

96 Sur le plan sémantique, les images et les métaphores sont choisies pour être à la portée de ses lecteurs ou dans le cadre du monde malgache : zanakazon’ny fahazarana, ny tonga ho azy pour passif, iniana harina pour acquis, actif, fahatsiarovana fotsiny pour sensation, fahatsiarovana ombampahalalana pour perception.

97 Quant à la structure des énoncés, divers procédés ont été utilisés, tels que la transposition, la restriction des sens, la métonymie, le néologisme sémantique.

98 Évoquons en un mot le deuxième tableau pour lequel sera consacré un développement plus important. À partir des années 45-50, G. Rajonah va orienter le projecteur sur la société malgache ancienne. Sur la toile de fond se profilent alors les silhouettes des personnages malgaches historiques ou mythiques. L’analyse du fonctionnement de cette société a fait ressortir les idées-forces caractéristiques de ce qu’il a défini comme étant la filozofia malagasy, la vision malgache du monde, ses affinités avec la civilisation orientale (Asie du Sud-est).

99 Ses investigations font l’objet de documents non publiés, ayant servi de supports aux enseignements qu’il a dispensés, à partir de 1957, aux collèges théologiques à Antananarivo (Ambohipotsy et Ivato), puis à l’École Nationale d’Administration malgache (Université de Madagascar) et au Centre de formation administrative à Androhibe.

100 Bien qu’ayant fait preuve d’une culture polyvalente, G. Rajonah, semble-t-il, n’est pas tombé dans le piège du syncrétisme.

101 Au cours de cette première étape de son parcours, le grand mérite de Rajonah a été d’abord sa contribution à mieux faire connaître au plus grand nombre les grands domaines de la philosophie et les valeurs universelles dans la culture occidentale, et, parallèlement, sa participation à forger et à fixer l’usage d’une langue spécialisée, en l’occurrence, une langue philosophique malgache, capable d’exprimer des idées et des notions de portée universelle, mettant en oeuvre divers procédés linguistiques.

102 Gabriel Rajonah disait souvent : « Il est vrai que j’ai beaucoup donné à la jeunesse, mais je reconnais aussi qu’elle m’a beaucoup apporté quant à la connaissance du comportement de l’homme, de l’homme malgache. » Et c’est cela, semble-t-il, l’un des objectifs de ses recherches.

BIBLIOGRAPHIE

Archives, périodiques et correspondances

Archives de famille, Diary & Journal Razarinia & Gabriel Rajonah. Bibliothèque personnelle de Gabriel Rajonah.

Périodiques divers : Gazety Malagasy, Antananarivo, 1885 ; Ny Sakaizan’ny tanora (L’Ami des jeunes) ; Teny soa (Bonnes

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paroles) ; Ny Mpanolo-tsaina (Le Conseiller) ; Ny Mpamafy (Le Semeur) ; Ny Mpandinika (L’Observateur) ; Midi Madagascar, 1996 ; Firaisana kristiana (l’Unité chrétienne) ; Fiainana (Vie) ; Hehy (Rires) ; Iarivo (Antananarivo) ; Ny Fandrosoam-baovao (Les Nouveaux progrès).

Correspondances et témoignages divers : Célestin Andriamanantena, 1972 ; Joseph Andrianaivoravelona, 1957 (jubilé) ; Jacques Dez, 1970 ; Dox, 1973 ; Jacques Faublée, 1962 ; Guillaume Grandidier, 1952 ; J.T. Hardyman, 1965 ; J.L. Rajoelisolo, 1973 ; Rambelosoa, 1973 ; Rakotobe Andriamaro. ; Armand Rakotovao, 1987 ; Ravelojaona, 1945 ; Raymond Razafimbelo, 1987 ; Marc Spindler.

Ouvrages et articles

MAMPITOVY, A., 1974, Tantaran-drazana Zafisoro, Antananarivo, FOFIPA.

RADAODY RALAROSY, Dr, 1973-74, « Eloge de Gabriel Rajonah », Bulletin de l’Académie malgache, n s, t. LI-I, pp. XV-XVII.

RAJEMISA-RAOLISON, R., 1966, Dictionnaire historique et géographique de Madagascar, Fianarantsoa, Libr. Ambozontany.

RAJONAH, M., & JONAH, G., 1987, Heurs et malheurs de l’Église malgache au XIXe siècle, des origines jusqu’en 1895, Antananarivo, Impr. Imarivolanitra.

RAKOTO-RATSIMAMANGA, A., 1979, « Gabriel Rajonah », Hommes et destins de Madagascar, Académie des sciences d’outre-mer, Paris.

RAONDIMALALA, E., 1994, F. Gabriel Rajonah : l’homme et l’oeuvre, mémoire de diplôme de recherche et d’études appliquées (DREA), Paris, Inalco.

RAVELOJAONA & RAJONAH, G., 1937-72, Boky firaketana ny fiteny sy ny zavatra malagasy (Dictionnaire encyclopédique malgache), 274 fascicules, Antananarivo, Impr. spéciale Fiainana & Firaketana.

RAVOAJANAHARY, A., 1967, Tao anatin’ny sarotra, Tananarive, Impr. Nationale.

RAZARIHELISOA RAJONAH, 2005, Ministère féminin dans les Églises malgaches : Ramatoa Razarinia (1867-1946), Antananarivo, Impr. Luthérienne.

Anonyme 1932 “Ramatoa Razarinia, the first Malagasy woman evangelist on the south east coast of Madagascar”, The Chronicle, Londres, London Missionary Society.

Anonyme 1938 Atsangano ny fanilo, faha-50 taonan’ny Misiona Loterana tao Madagasikara, Antananarivo, Impr. Loterana.

NOTES

1. « An’ny tena ny fiteny malagasy ka tsara andrianina, fa tena mahasoa tokoa ny mampiasa fiteny roa na maro. »

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De l’exil à la nostalgie au travers de la littérature malgache

François-Xavier Razafimahatratra

NOTE DE L’ÉDITEUR

François-Xavier Razafimahatratra est président de l'UREM-HAVATSA France : Union des poètes et écrivains malgaches, branche France. (NDLR)

L’exil dans la littérature malgache

Ho tsara mandroso, ho tsara miverina (« Faites bon voyage et revenez-nous bien »)

1 Ce souhait prodigué à quelqu’un qui va voyager exprime bien l’idée que le Malgache se fait de l’exil. Nous avons écrit ailleurs que le Malgache est un homme de groupe et n’apprécie pleinement son existence qu’au milieu des siens et sur sa terre natale. Il est si enraciné à sa terre, à sa famille et à ses amis qu’avant même d’être parti, il s’inquiète déjà du retour. La période passée au loin est vécue sans plaisir et teintée de nostalgie. Il n’est donc pas étonnant de rencontrer dans la littérature malgache, non seulement dans la poésie, mais aussi dans les romans, le thème de l’exil. Toutefois, il convient de dissocier l’exil imaginé de l’exil vécu. Nous constatons ce distinguo surtout dans le cadre de la poésie. Dans le premier cas, que nous pouvons appeler exil sans déplacement hors du territoire, le poète n’est pas dans une situation d’exil physique : il est toujours parmi les siens, il est toujours sur sa terre, mais certaines conditions le tiennent à l’écart de la vie sociale du groupe, le privent de sa liberté. Dans le deuxième cas, il y a exil effectif, une séparation de corps, une distanciation.

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L’exil imaginé

2 Dans cette catégorie, nous avons retenu trois cas : l’influence de la Bible, l’emprisonnement pour des raisons diverses de certains poètes et écrivains pendant la période coloniale et la dévalorisation, voire l’interdiction d’user la langue maternelle.

L’influence de la Bible

3 Du recensement des écrivains de la première génération, c’est-à-dire de ceux nés au commencement de la colonisation, il apparaît que la plupart d’entre eux ont été formés par les écoles confessionnelles surtout protestantes. L’influence de la Bible paraît donc indéniable à travers l’enseignement professé par les missionnaires. Beaucoup d’expressions opposent la vie terrestre éphémère à la vie céleste éternelle. Nous ne retiendrons que la notion « vallée de larmes » avec ses épreuves opposées à « maison de mon Père »où l’on goûtera à un bonheur infini. Ainsi, quand nous lisons certains poèmes de cette époque, nous ne manquons pas de constater une similarité avec les cantiques traduits ou composés par les missionnaires. Mais, même quand la poésie s’était plus ou moins démarquée de l’influence de la religion chrétienne pour traiter des thèmes profanes, elle a toujours gardé certains thèmes comme celui qui nous intéresse ici, l’exil. L’homme n’est qu’un passant sur terre, sa vraie patrie est ailleurs, auprès de son Créateur. Ce qui va en quelque sorte à l’encontre de la pensée du Malgache qui croit qu’un double du monde terrestre l’attend à sa mort, où il sera accueilli par ceux qui l’avaient précédé, les ancêtres.

4 L’homme sur terre est donc en condition d’exil. Ainsi, Dox (1913-1978), nom de plume de Jean Verdi Salomon Razakandrainy, dans son poème intitulé « Izaho » (Moi)1, se demande : « Nahoana aho no voafantsika eto antany tsy ho taniko ? »(Pourquoi suis-je cloué à ce monde qui n’est pas le mien ?). Et il répond dans un autre poème, « Sambo ho aiza ?… ” (Où va ce navire ?…)2 : Misy angamba any tany Ho fonenan’ny vinany… Ho tany hafa voninkazo Sy hafa vorona mivazo ! Quelque part, peut-être, une terre Où s’abritent les songes… Une terre avec des fleurs inconnues Et d’autres chants d’oiseaux !

5 Pour terminer, nous pouvons citer ces deux extraits de poèmes. Le premier de Ny Avana Ramanantoanina (1891-1940)3 : Toa sompatra, ho’aho, itony vintana Nametraka antsika eto an-tany! Nahoana raha teny amin’ny kintana ? Izay sambatra hihoatra an’izany ? Nahoana raha teny amin’ny rahona ? Que le destin est cruel De nous avoir installés sur cette terre ! Pourquoi pas sur une étoile ? Nul bonheur n’en serait comparable Pourquoi par sur un nuage ? Et le second du poète Samuel Ratany (1901-1926)4 :

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Fa any no misy an’ilay Paradisa, Ary tsy misy mahory na sento Miesora e ! ry hany minitrako sisa, Fa ny any toerana solon’ny eto. Là-bas est le Paradis, Là-bas ne sont connus ni les souffrances ni les pleurs Passez ô mes ultimes minutes, Là-bas remplacera ce qui est ici

6 Mais cette forme d’exil, comme nous l’avons dit, n’est pas réelle. Elle n’est que le fruit de l’imagination ou de la conviction philosophico-religieuse de l’homme, car elle n’empêche pas l’homme de vivre sa vie dans sa quotidienneté. Pour certains poètes, l’exil imaginé n’est que la transcription de l’eschatologie décrite par la Bible. Ainsi, ils souscrivent volontiers à l’idée que l’homme n’est qu’un étranger sur terre, un passant, et que la vraie Patrie est ailleurs.

L’emprisonnement

7 L’emprisonnement nous offre un autre aspect de l’exil imaginé. Lorsque le poète (1914-2005) (Taurand 1999) fut arrêté à la suite de l’affaire de 19475, il fut d’abord enfermé à la prison d’Antanimora à Tananarive, où il composa son célèbre poème « Antsa », avant d’être transféré à la maison de force de Nosy-Lava puis en métropole. Le poète était coupé de ses racines, isolé de ses compatriotes. L’exil, pour le Malgache, est d’être séparé de son groupe, quelle que soit la distance. On interprète « Antsa » comme le testament politique de Jacques Rabemananjara, mais il est avant tout, à notre avis, le cri de détresse de l’exilé qui veut à tout prix maintenir le contact avec sa terre bien-aimée. L’exil est solitude et, dans « Antsa », tout évoque la solitude : « le cercle étroit de la prison », « les murs et toutes les barrières et toutes les consignes », « la vaine étreinte des horizons », « les confins des tourments » ; « Et sur la piste des savanes, / Nul, nul pâtre à l’œil du voyant / ne vous mènera boire / à la fontaine de mille ans. »

8 Nous ne nous étendrons pas sur ce cas, car d’autres poètes comme lui ont fait par la suite l’expérience de l’emprisonnement pour diverses raisons. À titre d’exemple, Rado (1923), de son vrai nom Georges Andriamanantena, parce qu’il a osé, avec son frère Célestin Andriamanantena, par le biais de leur journal Hehy (Rire), tenir tête à l’administration et, avant lui, le poète et journaliste Ralaiarijaona, auteur du recueil intitulé Kalo-tany (Chants de là-bas), c’est-à-dire de la prison d’Antanimora où il fut incarcéré en 1953.

9 Dans ces différents cas, il n’y a donc pas d’exil physique parce que les intéressés étaient toujours sur leur sol natal ; pourtant, les poètes vivaient ces isolements comme un véritable exil.

10 Mais dans l’emprisonnement, il existe aussi un exil effectif comme le cas de Ny Avana Ramanantoanina. En 1913, il adhéra à la société fondée par des intellectuels, la VVS6, et fut arrêté avec d’autres écrivains, comme Ratsimiseta, Ramangamalefaka et Rodlish, et exilé à Mayotte puis aux Comores. L’exil imaginé de Rabemananjara qui a donné lieu à l’écriture de « Antsa » et d’un autre poème « Antidote » devint exil effectif par son transfert au bagne de Nosilava et dans la prison des Baumettes à Marseille. Quant à Ny Avana, son séjour à Mayotte lui a inspiré des poèmes d’une sensibilité presque inégalée dans la littérature malgache.

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L’exil dans la langue

11 D’une certaine manière, l’obligation d’adopter une autre langue, en l’occurrence le français pour le cas malgache, dans l’expression de ses désirs, de ses pensées et de ses sentiments, est perçue comme une façon d’écarter l’homme de sa terre, de rompre le lien qui l’y attache, en créant une distance. Et le fait d’en user contre les interdictions apparaît comme l’expression d’une révolte en imposant son identité. La langue est la seule « chose » que la colonisation n’a pu aliéner. Dans son poème, dont le titre est déjà suffisamment explicite, « Vahiny » (Étranger), Rado écrit7 : F’eto an-tanindrazako aho, nefa tenin’olon-kafa no takina mba ho haiko vao mahazo anjara asa hamelomako ankohonana … … Je suis au pays de mes ancêtres et pourtant on exige de moi, si je veux trouver un emploi pour subvenir aux besoins de ma famille, de connaître la langue d’autrui… …

12 Certains écrivains optent pourtant pour la langue française au motif, entre autres, que cette langue leur permette de s’épancher et d’exprimer ce qui n’est pas possible en malgache. Or, les oeuvres de grands poètes et écrivains malgaches prouvent le contraire : elles témoignent de la capacité de la langue malgache à exprimer même ce que d’aucuns considèrent comme « inexprimable ». En ce qui concerne les romans, les oeuvres d’Emilson Daniel Andriamalala (1918-1979) ou de Maurice Rasamuel (1886-1954) ne peuvent que confirmer cet état de fait.

13 Sur ce dernier point, le débat reste ouvert. Il y a beaucoup plus de subjectivité que de raisons vraiment fondées.

L’exil vécu

14 À côté de cet exil imaginé existe un exil vécu. La raison en est multiple. Nous nous contenterons ici d’en survoler deux : la quête de subsistance et de savoir et la fuite.

Le cas des valovotaka

15 Si dans la littérature en général, on parle d’exil quand un homme quitte son pays d’origine pour s’installer ailleurs, le sentiment d’exil étreint le Malgache même quand il ne se rend que dans une autre région plus ou moins éloignée de la sienne. Ainsi, un Merina qui est obligé de s’installer hors de sa région, et quelle que soit la douceur du pays qui l’accueille, est sujet à la nostalgie de sa terre natale.

16 Les romans nous font rencontrer ces Merina qui, pour des raisons liées à la recherche de subsistance (dans la plupart des œuvres du romancier Emilson D. Andriamalala), ont quitté leur Imerina natale pour s’installer définitivement dans les contrées lointaines. Après quelques années, ils sont alors appelés valovotaka. Mais où qu’ils se trouvent, ils gardent toujours leurs traditions et leur parler.

Fuir les adversités

17 Dans le roman d’Alphonse Ravoajanahary, Andraozikely (Au-petit-rosier)8, Ravoninjatovo, ne supportant pas de ne pas pouvoir se marier avec celle qu’il aime, décide de tout quitter, son village et ses parents. De même, dans un autre roman du

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même auteur, Tao anatin’ny sarotra (Au cœur de l’adversité)9, Rafakatro, originaire de l’Imerina, condamné pour un délit dont il n’était pas coupable, décida de se retirer aux confins de la région tanala. Le père de Rivo, dans Taolambalo (Huit os) de Emilson D. Andriamalala10, opta pour l’exil afin de sauvegarder l’existence de son fils et de sa femme. Enfin, dans le roman de Jean-Joseph Rabearivelo, L’Interférence, c’est un conflit politique qui a été la cause de l’exil d’Andriantsitoha11.

18 Mais, voulu ou non, l’exil s’accompagne toujours d’un fond de regret comme l’exprime ce dernier personnage : — Que n’ai-je pu emporter jusqu’au tombeau de mes parents et jusqu’à la maison qu’ils m’ont laissée ! Ces liens, en laissant leur bout, m’attachent encore à cette terre !

19 La fuite n’est pas toujours une solution au problème qui se pose. L’appel du pays natal reste vivace dans le cœur de chaque exilé. Certains finissent par réintégrer leur pays d’origine, d’autres pas. Le souhait des parents et amis ne se réalise pas toujours, l’exilé peut mourir au cours de son voyage. S’ils ne sont pas en mesure de faire le chemin du retour, la famille s’évertue à les rapatrier afin de les inhumer dans la tombe ancestrale. C’est le thème principal de Taolambalo d’Emilson D. Andriamalala, mais nous voyons aussi transparaître, dans la description faite d’une cérémonie d’exhumation dans Zazavavindrano (La naïade), du même auteur12, la volonté qu’ont les Malgaches de ramener dans son pays natal un parent mort au loin. Dans Andraozikely, c’est le père de Ravoninjatovo qui fait le voyage afin de ramener les corps de son fils et de la fiancée de ce dernier.

Conséquence de l’exil

20 En guise de conclusion à ce court propos, il convient de souligner que l’exil en tant que tel n’est pas ouvertement décrit par le poète. Il s’attache surtout à en exprimer les effets, les sentiments qu’il ressent au moment précis où il est assailli par les souvenirs. Un « rien » suffit à éveiller en lui la nostalgie : la couleur du temps, un vol d’oiseaux, un voyageur de passage… Tout s’efface alors devant lui, il se remémore son village, sa famille et ses amis. Il se lamente ou égrène un collier de questions auxquelles pourtant il n’attend pas de réponses. Comme ce sublime questionnement de l’exilé dans ces vers de Jacques Rabemananjara : « Quel temps fait-il là-bas en amont de l’Ivoundre où j’ai planté des flamboyants Et de quel gazouillis bercent-elles le soir les bergers du Kamour, Les sarcelles des mois votifs ! »

21 où il se lance dans une évocation qui, parfois, ne correspond plus à la réalité sur place comme, du même poète, dans Lyre à sept cordes : Là-bas, c’est le soleil ! C’est le bel été, caressant et tropique ! ………………………………………………………………… Tu t’émerveilleras de voir des oiseaux blancs, plus blancs que neige et nacre, escorter, vigilants, des berges de l’Alaotre aux rives de l’Ikoupe, la génisse nomade aux yeux de pleine lune aussi beaux qu’une coupe. Et vois-tu le long des buissons, les fiers taureaux aux lentes marches graves comme des rois vénérés comme des patriarches ! …………………………………………………………..……….. »

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22 L’exil peut être bénéfique à la création comme, il peut, vécu longtemps, couper l’écrivain de ses racines. Ses œuvres, dans ce dernier cas, n’ont plus ces particularités qui les identifient au pays d’origine. Le ressourcement est donc une nécessité pour un écrivain qui veut être le porte-parole de sa Patrie.

La nostalgie dans la poésie malgache

23 L’étude thématique des œuvres poétiques d’un pays permet de mettre en évidence les problèmes spécifiques à son type de société ainsi que la façon dont ils sont appréhendés ou vécus, de tracer une esquisse de l’identité non seulement des poètes qui produisent ces œuvres, mais aussi du peuple auxquels ils appartiennent.

24 Nostalgie signifie en malgache embona et/ou hanina. Synonymes, ces termes sont utilisés séparément ou liés sous forme de métabole. Bien qu’il n’y ait pas de gradation, ils ont la même valeur notamment dans le domaine poétique. Toutefois, les poètes malgaches se servent plus souvent du mot hanina comme titre de leurs poèmes. À cette notion de nostalgie vient se confondre parfois celle du souvenir (fahatsiarovana, tsiaro ou tsiahy). Les poèmes intitulés « Tsiahy » ou « Tsiaro » sont relatifs aux embona et hanina, et inversement. En effet, dans la nostalgie, il y a au départ ou quelque part le souvenir et la réminiscence.

Fondement historique de la nostalgie malgache

25 Le peuple malgache est un peuple, dans sa grande majorité, venu d’ailleurs. L’historien et linguiste Dama-Ntsoha (1885-1963), dans son article intitulé « Signification de l’histoire malgache » (1962), écrit : « Les ancêtres des Malgaches actuels ne rencontrèrent pas dans l’Ile une opposition d’autochtones, l’Ile leur a été donnée comme une Terre promise. »De son côté, le poète Jean-Joseph Rabearivelo écrit dans un de ses premiers recueils, Volumes13 : Une légende obscure est vaine nous rallie Race éteinte d’Emyrne au bois découronné A l’archipel lointain de la Polynésie.

26 Au lieu de reprendre les éléments de l’histoire du peuplement de l’île, nous nous contenterons de citer un poème de Jacques Rabemananjara intitulé « Paysage »14 : Alors, ô paysage aride d’Iarive, Un transport nostalgique attise mes ardeurs ; Je sens m’envelopper le charme d’une rive Où les oiseaux marins, poursuivants des splendeurs, Élèvent leur essor pour des îles de rêve Et laissant derrière eux comme des souvenirs Tomber des sables blancs que leurs pieds sur la grève Ont cueillis le matin avant de partir… Des brises de chez nous mon âme en feu s’imprègne, Les multiples regrets des féeriques tableaux, Des couchants solennels, qui dans l’onde se baignent, Réveillent dans mon coeur le mirage des flots… Je réentends les chants d’adieu sur les carènes, Les vains bruits des mouchoirs agités sur les ports, L’espace frémissant de sanglots des sirènes Et les derniers baisers que l’on échange au bord…

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27 Bien actuel ce poème. Pourtant, les mêmes sentiments avaient, sans aucun doute, remué ceux qui, partis des côtes de l’Indonésie, de Malaisie, de l’Inde ou d’une rive inconnue d’Asie, foulèrent un jour lointain le sol malgache. Nous ne pouvons pas dire exactement à quelle époque les Protomalgaches ont mis les pieds sur l’île, mais nous pouvons ressentir les sentiments divers qui les avaient certainement secoués en arrivant : ce qu’ils laissaient derrière eux, un pays qu’ils ne retrouveront plus, les êtres chers, un passé définitivement révolu, une partie d’eux-mêmes. Mais ils étaient encore là-bas bien que leur coeur se fût déjà attaché à la beauté sauvage du nouveau rivage foulé par leurs pieds. Le professeur Prosper Rajaobelina (1913-1975), dans son article sur « La nostalgie dans la poésie malgache » (1948), écrivait : « Les Malgaches sont des déracinés ; leurs ancêtres ont quitté la Malaisie il y a des siècles et l’âme malgache en peine se souvient de ces terres lointaines qui avaient jadis nourri ses aspirations et ses aspirations. »Dédoublés, tiraillés entre les souvenirs de ce qu’ils ont laissé et ce qui les appelle, nous imaginons que, malgré tout, c’est la nostalgie qui, pendant longtemps, va les habiter, un mélange doux amer de regret et de contentement. C’est ce paradoxe qui a donné naissance à ce que nous appelons actuellement la nostalgie, à travers les notions aussi abstraites que any ho any (aux confins, ailleurs, quelque part), any am- pitan-dranomasina any (par-delà la mer), any ambadika any (loin là-bas, de l’autre côté), c’est la mémoire qui s’emballe.

28 La nostalgie pourrait donc être considérée, au départ, comme l’expression d’un attachement à un pays perdu — irrémédiablement perdu —, mais non effacé de la mémoire, idéalisé, devenu un pays des souvenirs, des rêves, et, par voie de conséquence, un pays mythique. C’est ce pays, dorénavant situé loin dans l’espace et dans le temps, qui fera l’objet de cet attachement, de l’expression de l’exil, volontairement ou non. Toutefois, très peu de poèmes parlent de cette époque. Les seules références poétiques que nous pouvons évoquer sont dans la tragédie de Jacques Rabemananjara, Les boutriers de l’aurore, qui retrace l’arrivée des boutriers à Madagascar venant du Sud-Est asiatique, peut-être des côtes indiennes. Du même poète, nous lisons dans son recueil Lamba les vers suivants15 : La voile de mon boutre hanté par le regret des lointaines genèses… O pirogue toi-même et chargée à craquer au milieu de la baie, porteuse du trésor péremptoire des dieux qu’on embarqua jadis d’un atoll antarctique ma cargaison d’amour glacé d’encens et de gingembre sidéral fleurant l’odeur du pôle et des algues étranges, toute une somme de richesse inconnue encore des mortels !

29 Bien que « le regret des lointaines genèses », du « boutre obsédé du retour aux pays d’origine » soit atténué, la nostalgie d’un ailleurs s’est accrochée à l’âme malgache, mais orientée vers d’autres lieux devenus plus ou moins mythiques : Ankaratra16, Andringitra17, Ambohimanga18, Tritriva19, par les légendes qui s’y rattachent ou par leurs histoires.

30 Les hain-teny nous en donnent déjà de multiples exemples : Midona ny orana any Ankaratra aky tsipelana ny any Anjafy Tomanitomany Razanaboromanga Mitokaka Ratsimatahotody Raha todim-paty koa aza manody Fa raha todim-pitia manodiava Fendrofendron’antitra : Ankaratra ihany ; Sentosenton’ny manina : Ankaratra ihany !

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(Tononkiran’ny Ntaolo) Il tonne dans l’Ankaratra L’orchidée fleurit à Anjafy Pleure, pleure le petit de l’oiseau bleu Ricane qui ne craint le châtiment Châtiment de mort qu’il en soit épargné Châtiment d’amour qu’il soit exécuté Complainte de l’ancien : c’est Ankaratra Soupirs du nostalgique : c’est Ankaratra (Chanson des Anciens)

31 Dans la plupart des hain-teny, Andringitra est associé à Ankaratra. Nous pouvons y trouver le symbole du pays lointain abandonné et du pays habité, séparés par l’océan (ici le vaste marais de Betsimihafa) qui empêche tout rapprochement (Dahle 1962 : 288) : Ô ! Andringitra ô ! Andringitra anie ka saro-javatra, Tsy Andringitra re no saro-javatra, Fa hianao no tia katsakatsaka. Raha ampanga diso an’Andringitra, Herintaona manakana hianao, Ka tovi-tanana ihany ! Ny ranomason’Andringitra, Sy ny ranomason’Ankaratra, Malahelo mba te hihaona, Kanjo eferan’i Betsimihafa. Voatsiary ilaiko aminao izany ; Mananasy tsy mihoatra an’Andringitra. O ! Andringitra, Andringitra est redoutable, Ce n’est point Andringitra qui est redoutable, C’est toi qui est trop curieux. Une fougère égarée loin d’Andringitra, Une année entière tu te battras, Les larmes d’Andringitra, Et les pleurs d’Ankaratra, Tristes ils veulent se rencontrer, Mais sont empêchés par Betsimihafa. Ce sont là des graines qui n’existent pas que je cherche auprès de toi ; Un ananas ne dépasse pas Andringitra.

32 Ce désir d’Andringitra et d’Ankaratra de se rencontrer contient l’essentiel de la nostalgie malgache. Sans doute parce que ces deux massifs limitent la vue et éveillent le désir de voir ce qu’il y a au-delà. Mais il est évident que ce n’est pas la seule cause. Dans la mesure où la nostalgie est un sentiment universel, comment peut-elle être affublée de l’adjectif malgache ? Ou, tout au moins, quelle est sa spécificité à travers l’âme malgache ? C’est la question à laquelle il faut répondre. La difficulté réside dans le fait que la nostalgie se définit, d’une manière générale, à travers ses manifestations, ses expressions. Dans son anthologie Takelaka notsongaina (Pages choisies), le professeur Siméon Rajaona nous présente une étude assez complète du embona et du hanina en tant que thèmes récurrents de la poésie malgache. Toutefois, il n’en donne pas une définition précise. Est-ce à dire que la nostalgie est indéfinissable ?

33 Dans son livre Mythologie de la saudade (1997), Eduardo Lourenço écrit : « Les Portugais sont tellement habités par le sentiment de la saudade qu’ils ont renoncé à la définir ». Cette

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constatation peut aussi s’appliquer au rapport qu’ont les Malgaches avec le embona et le hanina. Le professeur Pierre Vérin (1990) a fait, à juste titre, un rapprochement des deux formes de nostalgie, mais il aurait été tout aussi possible de rapprocher la nostalgie malgache du blues noir américain ou de la sehnsucht (nostalgie en allemand) que Jacques Taurand (1997 : 25), dans son livre sur Michel Manoll, traduit par « désir de revoir ». Les analogies sont dans la forme, dans l’expression de ce frémissement de l’âme. Elles sont distinctes quand on en recherche les origines, lorsque l’on tente de capter les teneurs respectives des nostalgies, ainsi que leur enracinement dans le vécu historique des peuples concernés.

34 Sur le plan historique, la nostalgie malgache se nourrit des événements qui ont brutalement marqué l’histoire de la Grande Ile : les expéditions merina à travers l’île, le choc de l’annexion française en 1896 et les changements imposés par la colonisation, la répression de 1915 dans l’affaire de la VVS, les massacres lors de l’insurrection de 1947, les périodes de grandes épidémies comme la peste, la fièvre jaune, etc. La plupart de ces événements avaient entraîné la séparation des êtres : déportations, exils, fuites, quarantaines, décès et éloignement de la terre natale et de la tombe des ancêtres.

35 La nostalgie peut donc être perçue comme une réaction à ces événements, comme une manière de supporter la fatalité, l’inexorable, l’irréversible. L’un des plus anciens chants sur la nostalgie est sans doute celui dédié à Ratsida. Ratsida était un soldat qui avait participé à l’annexion de l’Ikongo sous le règne du roi Radama I (1810-1828) ou de la reine Ranavalona Ire (1828-1861). Ces deux monarques avaient essayé vainement de conquérir le village de l’Ikongo. Ratsida y avait péri. Son corps ne fut pas retrouvé. Une chanson populaire a été composée en sa mémoire et une stèle dressée à Isoanierana, comme dit la chanson, au sud d’Itsimbazaza. Ce qui est inconcevable pour un Malgache n’est pas de mourir, mais de ne pas intégrer la tombe familiale. La tombe, dans cette chanson, est classée parmi les êtres attachés à Ratsida, comme sa famille, ses amis, ses terres : Manao ahoana ny fasany? Ny fasan-dRasida Very fanantenana. Tsy nidiran’ny efa sahirana ………………………………. Comment est sa tombe ? La tombe de Ratsida A perdu tout espoir De voir entrer celui qui avait sué eau et sang Pour la bâtir. ……………………………….

36 La plupart des poètes ont chanté, à un moment ou à un autre, l’emprise de la nostalgie. Les situations historiques permettent parfois d’expliquer certains poèmes qui n’avouent pas ouvertement l’objet précis de la nostalgie. Le poète Ny Avana Ramanantoanina peut être considéré comme le chef de file de ceux qui ont manifesté avec beaucoup de passion et de conviction l’attachement au pays des ancêtres. Il a su donner à la nostalgie une valeur de contestation, en y intégrant des messages d’espoir, et en faire un chant d’action. La langue malgache se prête d’ailleurs admirablement à l’expression des sens cachés : double sens, faux sens, contre sens ou mots codés. D’autres poètes excellent dans l’exploration des sources où s’abreuve la nostalgie et pour exprimer le frémissement de l’âme du nostalgique.

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37 Comme dans ce poème de Ny Avana intitulé : « Midona moramora » (Il tonne doucement) : Midona moramora Ny any Ankaratra any ; Manembona isan’ora Izay mandre izany. Manombana ho avy Ny any Ambohimanoa; Ny ranomasoko avy No indray mirotsa-droa. Maneri-takariva Ny eny Andringitra eny; Ka dia « Mahatsiahiva » No voalohan-teny. Tataovan-draho-manga iarivo indraindray; Ireny miampanga Fa manina izahay Il tonne doucement dans l’Ankaratra ; soupire à chaque instant celui qui l’entend. Il menace de pleuvoir là-bas à Ambohimanoa ; mes larmes sans le vouloir coulent de mes yeux. Il bruine dans le soir là-haut dans l’Andringitra ; « Souviens-toi » est le premier cri d’émoi. Des nuages bleus planent sur Iarive parfois ce qui révèle que nous sommes nostalgiques. Ou encore, plus récent, ce poème d’Andrianarahinjaka, « Nostalgie »20 : Nostalgie ! Nostalgie ma demeure et mon voyage. Nostalgie, mon voyage, mon beau voyage triste, ma randonnée sans fin vers la contrée d’enfance. C’est le royaume enchanté par où rôdent nos songes, pris au renom d’un bonheur toujours à portée de rêve. Nostalgie, mon beau navire, ma nef toute flamme, mon long courrier tout feu croisant sur la route du Destin. Nostalgie, mon repaysement, mon voyage merveilleux jamais achevé. Nostalgie mon mal à l’âme.

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38 Sur le plan psychosociologique, l’enracinement de la nostalgie dans l’âme malgache peut être étudié à partir de la conception malgache de l’attachement à la terre des ancêtres, à la famille et au groupe, ainsi que de la notion de la mort et de l’au-delà.

La terre ancestrale et le tombeau familial

39 L’homme malgache est un sédentaire dans l’âme, par atavisme, un homme fixé sur la terre qui lui a été promise. Le lien existant entre cette terre et la tombe familiale est mémorisé par l’importance de la généalogie. Chaque enfant devrait connaître le lien qui l’attache à ses ascendants, d’où l’obligation pour chacun de revenir sur la terre des ancêtres, où que le hasard l’ait conduit et les impératifs de l’existence, pour se ressourcer. Quand on demande à un Malgache d’où il vient, il donne automatiquement le nom du lieu où se trouve le tombeau de ses ancêtres (Molet 1979). La connaissance de l’emplacement du tombeau permet de situer socialement l’interlocuteur à qui l’on a affaire et de savoir comment se comporter vis-à-vis de lui. Le tombeau est considéré comme une seconde résidence où l’on passera l’éternité. Ne pas avoir une maison est supportable, ne pas avoir une tombe est inimaginable. Il n’y a pas de confusion possible entre la terre des ancêtres et la terre natale, il y a une dizaine d’années encore. Nous pouvons étudier ce problème notamment sur la situation de certaines grandes familles aristocratiques malgaches. Le lieu où s’était installé l’ancêtre devient, au fur et à mesure, que se développe la famille, un village composé de personnes issues de la même souche ancestrale. La tombe des ancêtres est située au milieu du village, comme un centre autour duquel tout doit tourner. Tous les membres de la famille essaient autant que possible de ne pas s’en éloigner. Une famille au moins devrait y rester pour la garder et l’entretenir, afin qu’elle ne devienne comme celle de Ratsida, abandonnée et couverte d’herbes folles : Manao ahoana ny taniny ? Ny tanindrazan-dRatsida Lava vero amana ahitra, Ary foana olom-pivory, Fa izy maty nanafika re ! Comment sont ses terres ? Les terres des ancêtres de Ratsida Sont couvertes d’herbes folles Personne ne s’y rassemble, Car il est mort au combat !

40 Comme la tombe, la terre a une sensibilité qui l’attache à l’homme. Une jeune romancière21 a donné comme sous-titre de son premier roman Ile en plainte, et pour l’écrivain Andry Andraina, un titre significatif : Mitaraina ny tany (La terre se plaint)22. La terre souffre autant que l’homme de la séparation et des mauvais traitements qui lui sont infligés. La terre est vivante et c’est en tant que telle qu’elle peut susciter la nostalgie. Une réciprocité de sentiments s’impose dans la nostalgie. Il y a dans cette référence à la terre une corrélation avec ce que Lacan appelle « matrice symbolique ». La terre mère, la seule et l’unique, bien qu’on ait suggéré aux Malgaches comme aux autres peuples colonisés de considérer la France comme la mère bien-aimée (reny malala). Esprit de Du Bellay récupéré par la politique.

41 Durant l’époque coloniale, cet attachement à la terre natale s’exaltait à travers l’idéalisation de l’ancienne monarchie ou, pour être plus juste, du temps des ancêtres.

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C’est le sentiment de se sentir étranger dans son propre pays qui nourrit la nostalgie du poète malgache. Rien ne prouve que le passé est meilleur par rapport au présent, mais ce qui a été enlevé par la force prend une valeur particulière. Le fait est que le présent imposé n’est pas satisfaisant, car, comme dit l’adage : « Le lait qu’on emprunte n’est jamais assez crémeux ». Le pays est bien là sans être là, car on y vit d’une manière différente de celle qu’on aurait voulu. On doit se conformer à des règles nouvelles. L’autochtone se sent étranger dans son propre pays. Le poète Rado, dans son poème intitulé « Vahiny » (Etranger) cité plus haut, l’exprime clairement. Bien que maîtrisant le français, comme tous ceux de son époque, Rado n’écrit que des poèmes dans sa langue natale. Ainsi, comme le pense Ny Avana, la nostalgie n’est pas une vaine contemplation d’un ailleurs, d’un passé révolu, elle est l’expression d’une contestation de la situation présente.

Le passé dans la nostalgie

42 Que représente effectivement ce passé ? Nous devons distinguer le sentiment individuel du sentiment collectif. Dans le premier cas, l’homme ressent la nostalgie de son enfance, du bonheur vécu auprès des siens (grands-parents, parents et amis, etc.), de la vie sans tracas. Les moments parfaits comme le chante Rabearivelo : Nankaiza hianao, ry lasa, nankaiza no antsoina nefa ako iray malemy no sisa mba mamaly sy manoina ?… — Manoina sy mitondra ny hiranay omaly efa zary sentosento, mifangaro ranomaso. ………………………………………………… O ry lasa, ô ry lasa, ô ry lasa mba andraso : Henoy ny manjo ! O ! ny hiranay fahiny, sambo feno voninkazo, nampamerovero saina, nanamanitra ny dia… Dia halazo ? Hery feno namakiana ny onjan-drano izay maria, toky sady niankinana ary koa mba nantenaina fa hampita hatraminao, ry helo-dranom-pifaliana… Où tu es, ô passé, où tu es, je t’appelle et seul un faible écho me répond et me revient ? — Me revient en rapportant notre chant d’hier devenu soupir, mouillé de larmes ! …………………………………… Ô passé, ô passé, ô passé, attends Comprends ma peine. Oh ! notre chant d’autrefois, un navire orné de fleurs, parfumant l’âme, embaumant le chemin… Va-t-il se faner ? Force intacte après une longue traversée, assurance et soutien, mais sur qui on espérait mener jusqu’à toi, ô baie de bonheur.

43 Ce qui importe le plus c’est que ce passé avait vu tous les membres de la famille encore présents, épargnés par les décès successifs et les départs. Et c’est l’écrivain Rodlish qui nous le rappelle :

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Tsarovana manko ny andro fahiny, niaraha-nifaly sy feno korana …………………………………. Je me souviens des jours anciens Quand ensemble nous partagions joies et bonheurs. vers auxquels répond le poète Eliza Freda dans « Vetsovetso takariva » (Méditations du soir) : O ! ry Kintana, ombay manatrika aho, mila tsy ho very dia, ka iresaho! hianareo no solon-kava-mahatratra hilazako ‘zay mba zavatra mihatra. Ô Étoiles, accompagnez-moi J’ai du mal à me distraire, parlez-moi Vous remplacez les parents À qui je racontais mes tourments.

44 Ce dernier vers nous rappelle que ce ne sont pas uniquement les jours heureux qui sont source de nostalgie, mais même les malheurs, les souffrances, rendent douce la nostalgie. La nostalgie de la maisonnée qui réunissait tous les membres de la famille et qui n’est plus que ruine ou abandonnée : Le village où l’on s’était réjoui Est las et silencieux. Les bruits des charrettes Seuls quelque part… S’entendent dans le silence.

45 Et avec les années viennent aussi les tracas, les malheurs, les séparations. Le poète se penche sur son passé pour y trouver un semblant de réconfort, y puiser l’énergie nécessaire pour faire face aux problèmes du quotidien. Rien ne ramène plus à ces moments bénis. La nostalgie est le fruit de cette désespérance.

46 Sur un plan plus général, après 60 ans de colonisation, l’homme malgache se réveille et se retrouve dans un monde différent auquel il a du mal à s’adapter, ayant été obligé de porter des vêtements qui ne lui seyaient pas et dont il a pourtant du mal à se défaire. Sur ce point, la nostalgie malgache est plus temporelle que spatiale.

47 Les 60 ans de colonisation semblent être un intermède qui n’a pas vraiment coupé la société nouvelle de l’ancienne. Le retour des exilés de l’affaire de la VVS de Comores, le retour des cendres de la dernière reine Ranavalona III, le 31 octobre 1938, le retour des parlementaires inculpés à la suite de l’insurrection anticoloniale de 1947, libérés en 1960, pour ne citer que ces quelques dates, ont, à chaque fois, réveillé les souvenirs des anciens temps. La notion de retour revient bien souvent dans l’histoire de Madagascar comme des blessures qui incitent à remémorer le passé. Tout change : le mode de vie, les modèles ; la société s’organise autrement, mais le sentiment d’appartenance au monde du passé reste intact.

48 Pendant cette période, l’homme malgache avait caressé l’espoir d’un avenir meilleur, mais la réalité a coupé court à cet espoir. Il doute sur ce que sera son avenir, et, sans avenir, on se raccroche aux souvenirs de son passé. Cet attachement du malgache au passé sera récupéré par les hommes politiques d’une manière ou d’une autre.

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Nostalgie et organisation sociale

49 L’organisation de la société malgache est telle que l’individu n’existe vraiment qu’à travers le groupe. Il est avant tout homme de groupe. Tout ce qu’il entreprend confirme sa place au sein de la société, mais peut aussi l’en exclure ou nuire à la communauté. La nostalgie comme la mélancolie coupe l’individu de cette réalité. Plusieurs expressions synonymes sont utilisées par les Malgache pour désigner le nostalgique : lasam-borona, lasa ambiroa, lasa eritreritra, lasa vinany, (avoir le coeur et l’esprit au loin). Hors du cadre de la société, le Malgache se sent perdu et nostalgique, et éprouve le besoin de retourner auprès des siens ou de revoir son pays. Il lui est difficile de sortir du cercle archétypiquement clos de la famille, du village où se trouve le tombeau familial et, pour certains, de la nation, de l’île dans sa totalité. L’étendue du domaine dans lequel agit la nostalgie est équivalente à la capacité de l’homme à tendre vers l’universel. Pourtant, certains, même avec les contacts qu’ils ont réussi à établir avec le monde extérieur, restent prisonniers de la limite de la terre natale. Nous constatons, par exemple, chez Rabearivelo cet ethnocentrisme qui tend à limiter la nation, le monde, au strict territoire imernien et ne considérer dans ce cadre que ceux qui sont du même groupe statutaire que lui. Même son ami très proche Jacques Rabemananjara est contraint de le reconnaître23 : C’est que dans sa ferveur régionaliste, Rabearivelo a pris soin de ne jamais tomber dans le borné ni l’étriqué du folklorisme : si sa passion de la terre merina enferme quelque peu ses créations et les situe dans des frontières précises, il a toujours su, par-delà les barrières, enrichir sa quête d’une chaleur humaine qui traverse et rompt les digues pour s’apparenter au rythme chaud des énergies cosmiques.

50 Les critiques s’adressent à l’homme universel et non à l’individu. Car l’attitude de Rabearivelo vis-à-vis de son groupe statutaire d’origine est celle de la plupart des Malgaches. Quel que soit le sentiment qui le porte à l’universel, de par son éducation et son ouverture d’esprit, il n’en reste pas moins que ce qui importe avant tout pour le Malgache, c’est ce lien qui l’attache, dans le fihavanana (parenté), non seulement aux vivants, mais aussi et surtout aux ancêtres. Sous cet angle, la nostalgie est une expression plus ou moins négative du fihavanana : l’impression d’être tenu à l’écart pour une raison ou une autre.

La nostalgie des origines

51 Dans son livre Le sacré et le profane, Mircea Eliade écrit : La nostalgie des origines est donc une nostalgie religieuse. L’homme désire retrouver la présence active des dieux, il désire également vivre dans le Monde frais, pur et “fort”, tel qu’il sortit des mains du Créateur… … C’est la nostalgie de la perfection des commencements.

52 Chez le Malgache, ce qui nous semble le plus important dans cette nostalgie des origines, ce n’est pas tellement de retrouver le Créateur, mais de rejoindre les ancêtres, de devenir un « saint » ou plutôt un « sage » parmi ceux qui l’ont précédé dans l’au- delà. Pour le Malgache, il y a une âme qui reste sur terre.

53 Le roi Andrianampoinimerina avait dit avant de mourir : « C’est ma chair qui va être ensevelie, mais mon âme et mon esprit resteront auprès de vous et de Damalahy » (son fils). De quelle âme s’agit-il ici ? Soulignons que le Malgache distingue trois sortes d’âmes, celle qui s’attache à l’être vivant, celle qui est liée directement au mort (ancien ou récent) et,

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enfin, celle qui s’est libérée du corps et est devenue un être divin. Dans l’expression d’Andrianampoinimerina, nous opterons pour cette dernière définition. Les premiers missionnaires chargés de la traduction de la Bible avaient d’ailleurs eu quelques difficultés à choisir le terme exact qui exprimerait l’âme dans le sens biblique du terme. En effet, comme le Français, le Malgache dispose d’un lexique très étendu pour désigner ces éléments immatériels qui s’attachent à l’être humain. C’est vers cette âme que tend la nostalgie. Le mot « âme » se rencontre souvent dans la poésie malgache ; elle établit ou rétablit le lien avec les ancêtres. Dans son poème dédié à son amie et poétesse Esther Razanadrasoa, Rabearivelo écrit : Dors-tu, ou parles-tu avec nos amis qui t’avaient devancée dans l’Inconnu ? Que divine a dû être votre nouvelle rencontre Au bord du fleuve que nous n’avons pas encore passé !…

54 La nostalgie des origines est plus flagrante chez Rabearivelo bien qu’on la rencontre aussi chez beaucoup de poètes malgaches. Il s’agit d’affirmer la filiation, de perpétuer le souvenir des ancêtres.

55 Les origines ne vont pas plus loin que le temps des ancêtres, au-delà elles plongent dans les mythes.

La nostalgie et la mort

56 Il ne s’agit pas dans la nostalgie d’évoquer la mort comme la destruction du corps, la limite de l’être, mais comme destruction de l’ordre social établi par le manque ou la fêlure qu’elle crée au sein de la société ou chez l’individu. Le poète exprime, en communion avec les autres membres de la société (parents ou amis), le regret du défunt. L’on peut citer, par conséquent, de nombreux poèmes en souvenir des décédés, comme celui de Rabearivelo, « Thrènes », ou de Ny Avana Ramanantoanina, « Ilay fasantsakaiza tiana » (La tombe d’un ami cher), jusqu’aux poètes contemporains comme Rado ou Dox. Voici de Dox un exemple de recueillement sur la tombe des êtres chers24 : Misy takariva miavaka Noho ny alahelo aminy… Mampanainga tonom-bavaka, Vetsovetso tsy hita laniny… Izay jinery amin’iny Malava ny fisainana… Mahatsiaro ho mpivahiny Ny fo lanaky ny fiainana. Toa satry hahay miteny Mbamin’ireny bainga ireny Hitafana alahelo… Mandalo fasana ianao : Ny maro tahaka anao ao, Nody vovoka sy avelo… Il est d’étranges soirs Par leur mélancolie… Invitant aux prières, À de longues rêveries… Ce qu’on voit à ces instants Éveille des pensées infinies… Le cœur las de la vie Se prend pour un passant.

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On souhaite que sachent parler Jusqu’à ces mottes de terre Pour échanger les tristesses… Parmi les tombes tu erres : Là sont nombre de tes frères, Devenus ombres et poussières…

57 Même ceux qui n’attachent plus beaucoup d’importance aux rites du famadihana (exhumation, traduit littéralement en français par « retournement des morts ») semblent être encore liés aux traditions. Dans le roman Taolambalo, cité plus haut, E. D. Andriamalala fait dire à son héros (pp. 126-127) : Nankahala ny famadihan’ny razana aho, sady sorena tamin’ireny !… Ary dia nanafatrafatra ny fianakaviana, mba hamela ahy hatory amim-piadanana eo amin’izay toerana hahalavoako, fa tsy hovilavilaina atsy, hasitrika aroa… Kanjo, nony maty Idada, tsy haiko ny hamela azy hitsingidina tao anatu fasika nianjerany, ary dia nanjary hetaheta zary filàna tato anatiko ny hitondra ny taolambalony ho ao am-pasandrazana. Fifohazan’ny razambe mandry tsy lavo loha ato amiko nandritra ny arivo taona ve ? Fipoiran’ny maha- Malagasy sisa tsy matin’ny “fandrosoana” tandrefana va ?… Asa !… fa nampiraisiko lamba izysy Itompokovavy Ineny, ary teo, ryJoely no nahatsapako fa IRAY Idada sy Ineny. Iray teo amin’ny Fitiavana izy. Iray teo amin’ny fahavelomany. Iray hatramin’ny fahafatesana!… Ary ho iray mandrakizay… Fahendrena kidaladala nipoitra tamin’ny tanintsika, tahaka ny nipoiran’ny zava-maniry eo aminy izany, ka izay hafa rehetra mifanohitra aminy, ampidirina ankeriny na an-kafetsena, dia voaozonko faty, na ho ela na ho haingana ! Je détestais le retournement des morts pratiqué par nos ancêtres, ça m’exaspérait… Aussi, j’ai bien recommandé à ma famille de me laisser dormir en paix là où je m’écroulerai, et ne pas me trimbaler à gauche et à droite pour m’enfouir ailleurs… Cependant, quand mon père mourut, je ne pouvais pas m’imaginer le laisser rouler dans le sable où il était tombé, et c’est devenu une soif, une obsession pour moi que de vouloir ramener ses os dans la tombe familiale. Est-ce le réveil de l’ancêtre qui sommeillait depuis des milliers d’années en moi ? Résurgence de ce qui fait de moi un Malgache et que le progrès n’a pas effacé ?… Je ne le sais !… En tout cas, je l’ai enveloppé dans le même linceul que feue ma mère, et c’est là, mon cher Joël, que j’ai pris conscience que Père et Mère ne font qu’UN. Un, dans leur Amour. Un dans leur existence. Un jusqu’à la mort !… Et seront Un à jamais… C’est une sagesse un peu folle qui a surgi de notre terre, comme les plantes qu’elle recèle, et qui fait que tout ce qu’on impose par la force ou par la ruse, est destiné à disparaître, tôt ou tard !

58 Cette « sagesse » n’est donc pas foncièrement fondée sur des principes raisonnés, mais est en l’homme, sans qu’il ait le pouvoir de la renier. Une tendresse indéfectible relie les vivants aux morts, à tous les morts, récents et anciens, précise Rabearivelo dans l’un de ses poèmes.

59 Il ne s’agit pas uniquement d’évoquer les morts, ceux qui sont devenus des ancêtres, mais aussi de leur demander aide et protection. Vus sous cet angle, les poètes sont par- devers eux des possédés, c’est-à-dire ceux qui peuvent s’adresser directement aux ancêtres et rapporter leurs paroles. Mais une différence est à souligner. Les possédés des cultes ancestraux ne sont que les porte-parole des esprits et, de ce fait, ne s’engagent pas dans ce que dit l’esprit. Ils précisent souvent « hoy izy » (dit-il ou dit- elle), tandis que dans la poésie malgache, on rencontre souvent la formule « hoy aho, ho’aho » (dis-je). Il y a donc une reconnaissance pour soi de ce qui est « dit » ou « écrit ». le possédant ou la possédante (la déesse de la Poésie ou du chant, comme le désigne le

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poète Randza Zanamihoatra) se confond avec le possédé, le poète. Le présent du poète se confond avec le passé de l’esprit qui l’inspire.

La nostalgie de l’au-delà

60 La notion de paradis est arrivée avec le christianisme. Il ne s’agit pas ici du paradis perdu, mais d’un paradis dont nul n’a encore goûté la perfection et qui existerait. À force d’en entendre parler, l’homme malgache a fini par y croire et créer pour soi une représentation plus vraie que la réalité, que le monde ici-bas. Ainsi deux au-delà se superposent ou se confondent souvent dans la poésie malgache : l’au-delà « païen » et l’au-delà éclairé par la lecture de la Bible et des livres religieux. Ce dernier semble avoir supplanté le premier, sauf dans des cas rares comme chez Rabearivelo qui écoute l’appel du Néant, de l’Inconnu. La nostalgie émaille même les cantiques religieux et plus précisément ceux qui sont écrits pendant la persécution des chrétiens, entre 1836 et 1861, sous la reine Ranavalona I. La plupart des poètes, en parlant pourtant de l’au-delà, ne font pas forcément référence au paradis des chrétiens. Ils évoquent l’inconnu au- delà des nuages.

61 Ny Avana donne une dimension cosmique à la nostalgie par un dépassement de soi, pour l’intégrer dans le tout et par la divinisation ou, pour être dans la conceptualisation malgache, dans l’ancestralisation de l’être.

62 Vue sous cet angle, la nostalgie est dans l’essence même de l’homme malgache. Elle ne peut donc se définir qu’à partir de l’expérience de l’homme. À partir du moment où il s’est rendu compte que la vie après la mort est plus importante (car étant plus longue) que la vie sur terre, il trouve normal que le lieu où se passera cette autre vie future soit le plus confortable

63 possible et pouvant réunir la famille dans l’au-delà. La nostalgie procède donc de la peur de ne pas trouver sa place auprès des siens après la mort, dans l’au-delà et du questionnement sur place de l’homme dans l’univers, comme dans le poème « Izaho » de Dox déjà cité : Inona eto an-tany aho, avy aiza no niaviako? ………………………………………………… Inona eto an-tany aho? Nofo fotsiny miaina Ka ny fifalian’ny nofo no hazaina dia hazaina ? Kanefa raha ho lo ny nofo, inona no sisa ho amiko ? Moa tsy mahalala aho fa ny nofoko hiraraka… Izaho Nofo… Izaho Fanahy : roa loha tsy mahay misaraka Nahoana aho no voafantsika eto an-tany tsy ho taniko? Que suis-je sur cette terre, et d’où je suis venu ? …………………………………………………. Que suis-je sur cette terre ? Un simple corps qui vit N’aspirant qu’à la seule satisfaction de la chair ? Mais quand le corps viendrait à pourrir, que restera-t-il de moi ? Ne sais-je que le corps va tomber en poussière… Moi en tant que Corps… Moi en tant qu’Âme : deux entités inséparables Pourquoi suis-je cloué à ce monde qui n’est pas le mien ?

64 Cet ailleurs peut donc s’imaginer comme un autre monde, celui que le même poète définit dans le poème « Sambo ho aiza », cité plus haut.

65 Pour terminer, parlons des symboles de la nostalgie chez les Malgaches. L’importance donnée à la nostalgie se manifeste dans la multiplicité des symboles y afférant. Le plus

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courant, le valiha, une sorte de cithare tubulaire, fabriqué à partir d’un morceau de bambou, est l’instrument de prédilection du nostalgique. L’écrivain Flavien Ranaivo (1914-1999) le dit si bien dans le poème « Vêpres imeriniennes » : Dans l’ombre s’élèvent Les accords magiques D’un valiha qui s’épanche Nostalgique.

66 Par extension, le bambou d’où est extrait le valiha devient symbole. Rabearivelo le signale par le biais de son poème intitulé « Valiha » : « Ces bambous ne seront plus que des choses chantantes entre les mains des amoureux. »

67 Mais d’autres arbres, propres à la terre malgache sont parfois pris en considération et utilisés par les poètes pour symboliser leur nostalgie. Par exemple, l’arbre voara (figuier), chanté par F.-M. Razanakoto dont la « vue inspire, aux rares passants / de ce lieu plein de mélancolie, / le regret d’une époque abolie. »De même que le ravinala, connu sous le nom évocateur d’« arbre de voyageur »… Aux arbres cités, nous pouvons ajouter certaines plantes qui, par leur discrétion dans la nature, leur fragilité, sont attachées à la nostalgie.

68 De par leur capacité à se déplacer, des animaux entrent dans le bestiaire de la nostalgie, comme les ombimanga (zébus sauvages) : « Zébu perdu loin de la forêt je suis / J’ai la nostalgie des êtres aimés et je soupire. »

69 Il en va de même pour l’arosy (oie de la côte de Coromandel), l’akanga (pintade) et le tsiriry. Ce dernier désigne à la fois une herbe et un petit oiseau (sarcelle), mais, dans les deux cas, il symbolise la nostalgie, comme dans ces vers de Eliza Freda, extraits du poème « Vetsovetso takariva » (Méditations du soir) : Singan’olona toa very izany izaho, Ravin-kazo tafasaraka aman-taho, Tapak’ahitra entin-drano ka indrisy ! ‘Zay mba toeran-kitodiana toa tsy hisy! Zana-borona manintsana elatra aho, Raiki-tahotry ny oram-be mitraho, Tsy mba zatry ny fanalan-keniheny, Ka maniry ny hombomban’ny ela-dreny ! Solitaire et perdu je suis Une feuille séparée de la branche Un brin d’herbe emporté par le courant Nul endroit où aborder. Oisillon perdant ses plumes je suis Effrayé par l’orage qui gronde Pas du tout habitué aux froids des marais Je rêve d’être à l’abri sous les ailes de ma mère.

70 Par ailleurs, nous retrouvons l’expression de la nostalgie à travers la toponymie. La plupart des lieux ayant des noms y faisant référence sont hauts situés, c’est-à-dire à un endroit qui permet de voir une dernière fois l’endroit qu’on quitte et qui fait apprécier le chemin restant à parcourir, comme Manerinerina (qui incite à revenir, à retourner d’où l’on était parti), Ankaratra, Andringitra ou Ambatomiantendro (Au-pic), etc.

71 Enfin, certaines saisons ou heures de la journée éveillent, comme partout ailleurs, chez les poètes malgaches, la nostalgie.

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72 Nous nous demandons, pour conclure, comment un peuple englué dans le présent comme le peuple malgache, peut encore trouver le temps de penser au passé ou à l’avenir quand sa principale préoccupation est de survivre ? La misère, au lieu de couper l’homme de la nostalgie, l’incite au contraire à penser à des moments plus heureux, à s’évader dans le temps ou dans l’espace à travers le rêve. La misère est donc un moteur à la nostalgie. Une personne qui n’a pas de problème ne rêve que de l’avenir. Si la jeune génération de poètes malgaches n’aborde pas de la même manière que ses aînés le thème de la nostalgie, cela ne signifie pas qu’elle s’en désintéresse. La nostalgie est parfois dans les thèmes de la misère et de l’insatisfaction. Il y a donc un déplacement du cadre et une non-absence.

73 Par ailleurs, il est courant d’entendre dire que le Malgache est un nostalgique. Cette constatation subjective ne permet pas d’inclure la nostalgie dans la particularité de l’homme malgache. La malgachitude est plutôt dans la nature de la nostalgie.

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NOTES

1. Dox, Folihala, Antananarivo, Tranom-printim-pirenena, 1968, p. 194. 2. Ibid., p. 193. 3. Extrait du poème de Ny Avana Ramanantoanina intitulé « Eritreritra » (Méditations), publié dans le journal Ny Lakolosy Volamena, no 89, 8 déc. 1911. 4. Extrait du poème « Izay ho feoko eo am-pialana aina » (Ce que sera ma voix au moment de l’agonie), de Samuel Ratany, publié dans le journal Tsarahafatra, no 28, 26 avril 1927. 5. Il s’agit de l’insurrection anticoloniale qui a éclaté dans la nuit du 29 au 30 mars 1947. Pour l’administration, les trois députés malgaches, les docteurs Raseta et Ravoahangy et justement le poète Jacques Rabemananjara, en furent les premiers responsables. 6. La société secrète VVS ou Vy, Vato, Sakelika, (Fer, Pierre, Ramification) se proposait de préparer l’esprit des Malgaches à la restauration de leur dignité. Les membres de ce groupe d’intellectuels, dont des étudiants en médecine, des écrivains, des hommes d’Église, furent sévèrement condamnés. 7. Dans Dinitra (Sueurs), Antananarivo, Impr. Spéciale Hehy, 1973, p. 143. 8. Paru en feuilleton dans le journal officiel Vaovao Frantsay-Malagasy, à partir du 30 novembre 1906. Andraozikely est l’un des deux romans qui inaugurent la naissance de ce genre à Madagascar au début du siècle dernier. 9. Tananarive, Bibliothèque nationale, 1967. 10. Antananarivo, Libr. Mixte, 1972. 11. Écrit en 1928, le roman L’Interférence est publié par Hatier, lors de la commémoration du cinquantenaire de la mort du poète en 1987. 12. Antananarivo, Libr. Mixte, 1972. 13. Tananarive, Impr. de l’Imerina, 1928. 14. Extrait du poème, sélectionné par Régis Rajemisa-Raolison et Flavien Ranaivo (1948 : 14-15). 15. Paris, Présence africaine, 1956, p. 74-75. 16. Massif central dominant l’Imerina à 60 km au sud-ouest de Tananarive. Dans la littérature, les Malgaches, frappés par la majesté du massif, y font souvent allusion ; aussi dans plus d’un de leurs hain-teny (poésie traditionnelle malgache), expriment-ils le sentiment que leur inspire sa vue imposante, et la mélancolie que font naître au coeur les répercussions des coups de tonnerre qui semblent s’en détacher : « Midona ny orana any Ankaratra, vaky tsipelana ny any Anjafy ; tomanitomany Razanaboromanga » (Le tonnerre gronde du haut de l’Ankaratra et du coup, éclatent les bourgeons là-bas à Anjafy et Le-petit-de-l’oiseau-bleu pleure, pleure) (Rajemisa-Raolison 1966 : 67). 17. Massif du sud de Fianarantsoa, le second sommet de l’île après le Tsaratanàna, dont le point culminant, le Boby, se situe à près de 2660 m. 18. Grand village à 20 km au nord de Tananarive, célèbre pour avoir été, depuis le règne du roi Andrianampoinimerina (1787-1810), la ville sacrée des rois de l’Imerina (Rajemisa-Raolison 1966 : 29). 19. Lac pittoresque à 18 km à l’ouest d’Antsirabe, constitué par un ancien cratère de volcan. C’est un lac aux parois abruptes, presque verticales, et dont les eaux vertes et glauques, d’une

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profondeur insondable, inspirent au milieu d’un silence de mort, un sentiment à la fois grandiose et funèbre. Le lac Tritriva est popularisé par une légende touchante — ayant eu fond véridique — qu’on se raconte encore de nos jours, à propos d’un arbre singulier de sa rive. Du temps d’Andrianampoinimerina, deux fiancés, Rabeniomby et Ravolahanta, à qui leurs parents avaient défendu de se marier, s’y seraient, dit-on, jetés après s’être enroulés dans leur lamba (toge, étole). À partir de cet instant, un arbre singulier aurait poussé au bord des eaux du Tritriva, affectant la forme de deux corps enlacés et dont l’écorce, simplement pincée à l’ongle, laisse couler du sang. 20. Dans : Terre promise, Antananarivo, éd. Revue de l’océan Indien, 1988, p. 87-88. 21. Sylvia Hanitra Andriamampianina, Miangaly ou l’Ile en plainte, Tananarive, Foi et Justice, 1994. 22. Tananarive, Libr. Mixte, 1999. 23. Extrait de la préface du recueil de poèmes Presque songes, par Jacques Rabemananjara (Tananarive, Impr. Officielle, 1960, p. 16). 24. « Misy… », Folihala, Antananarivo, Tranom-printim-pirenena, 1968, p. 187.

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Dox, poète et traducteur ? Le Cid, tragi-comédie de Corneille

Nirina Razaimiandrisoa

1 Aborder les oeuvres littéraires de Dox n’est pas explorer un terrain vierge, car la popularité de Dox en tant que poète d’inspiration romantique et dramatique malgache n’est plus à prouver. Ses oeuvres sont prisées par le public. En effet, à Madagascar, dès leur jeune âge, à l’école primaire, les élèves malgaches apprennent à réciter ses poèmes. Par ailleurs, le poète semble être aussi sollicité pour écrire ou traduire des pièces de théâtre pour des associations. Par exemple, dans les années 60, nous avons pu assister aux représentations artistiques de certaines de ses pièces, notamment Estera (Esther) et Rainandriamampandry. Elles ont été jouées par les Associations des jeunes chrétiens d’Ambohitrimanjaka et d’Anosimanjaka (Fikambanan’ny kristiana tanora Ambohitrimanjaka sy Anosimanjaka).

2 Dox, de son vrai nom Jean Verdi Salomon Razakandrainy (1913-1978), fut un poète populaire d’inspiration romantique (sensibilité, rêverie, exaltation...) et dramaturge. Il appartenait à une famille aisée chrétienne et de souche aristocratique. Son père était médecin, donc toujours en déplacement à cause des différentes mutations. C’était pourquoi, de santé fragile, il restait à Antsirabe avec sa mère. Son grand-père maternel, à la fois instituteur et agriculteur lui inculqua dès son jeune âge, par les contes relatant l’origine de leur clan princier dans la vallée d’Anjanapara, dans la région du Vakinankaratra (Imerina du Sud), l’amour de la terre et des coutumes ancestrales ainsi que la beauté du paysage. On retrouvera ces thèmes dans ses poèmes.

3 Il fit ses études secondaires aux collèges protestants d’Ambohijatovo Nord et de Paul Minault. Son père le destinait pour être médecin. Mais l’influence de son grand-père et la formation qu’il a eue au collège Paul Minault l’avaient prédisposé à se tourner vers la littérature1.

4 Il avait publié des recueils de poèmes. Il excella dans les pièces théâtrales dramatiques inspirées de l’histoire nationale ou de la Bible : Amina Batsola, I Mavo handray fanjakana (Mavo se saisira du pouvoir, 1958). Il a traduit des tragédies du XVIIe siècle en alexandrins malgaches (Le Cid 1961, Horace 1962, Andromaque 1964) qui furent jouées avec succès au Centre culturel Albert Camus, à Tananarive.

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5 Bon nombre de chercheurs et d’universitaires se penchent également sur ses créations littéraires. Un passage de l’article de Vérin et Rajaonarimanana le confirme (Dictionnaire universel des littératures 1994) : On l’a appelé le « Verlaine » ou « le Baudelaire » de Madagascar...... Dox se complaît dans les thèmes romantiques du Embona sy Hanina (Nostalgie) de la mort et de la nature, en accord avec les états d’âme du poète. La maîtrise de la langue, sa simplicité d’expression en même temps que ses trouvailles lexicales où n’intervient jamais le pathos font de Dox un poète assez aisé. Son goût pour la versification française lui a fait adopter fréquemment le sonnet.

6 Pour notre part, nous voulons surtout attirer l’attention sur Dox poète et traducteur. Il a traduit en vers alexandrins malgaches la tragi-comédie de Corneille, Le Cid.

7 Cette tragi-comédie2, écrite en 1637, connut un succès mondial et fut traduite dans beaucoup de langues, même du vivant de Corneille, comme le montre ce passage de Fontenelle, neveu de Corneille (Stegmann 1963) : Jamais pièce de théâtre n’eut un si grand succès. Je me souviens d’avoir vu en ma vie un homme de guerre et un mathématicien qui, de toutes les comédies du monde, ne connaissaient que Le Cid...... Corneille avait dans son cabinet cette pièce traduite en toutes les langues de l’Europe, hors l’esclavone3 et la turque : elle était en allemand, en anglais, en flamand ; et, par une exactitude flamande, on l’avait rendue vers pour vers. Elle était en italien, et ce qui est plus étonnant, en espagnol : les Espagnols avaient bien voulu copier eux-mêmes une pièce dont l’original leur appartenait...... M. Pellison, dans son Histoire de l’Académie dit qu’en plusieurs provinces de France, il était passé en proverbe de dire : « Cela est beau comme Le Cid .

8 Le genre auquel appartient la pièce de Corneille est nouveau pour les auteurs malgaches, qui, en général, se livrent à la peinture du quotidien : l’amour, la haine, le désespoir... des thèmes qui ne sont pas toujours traités ensemble. En outre, le genre tragi-comédie s’avère même inconnu de l’écrivain malgache. Le Cid foisonne, par contre, d’événements « complexes et spectaculaires » (Couprie 1989) : « Complexe» et « spectaculaire », l’action du Cid l’est à souhait. Le ressort des amours contrariées, la querelle des pères, le défi, la bataille contre les Maures, le duel judiciaire entre Rodrigue et don Sanche, la fausse mort du héros et les malentendus qu’elle suscite appartenaient aux procédés les plus éprouvés de la tragi-comédie et relevaient de la même volonté baroque...... de frapper l’imagination de spectateurs avides de péripéties multiples et d’émotions fortes.

9 Ces genres d’intrigues étaient tout à fait nouveaux pour le public de la Grande Île, à l’époque où Le Cid fut traduit en malgache.

La traduction du Cid

10 Nous avons pu découvrir la première édition de la traduction du Cid à la bibliothèque du Service protestant de mission (Defap, bd Arago, Paris), un exemplaire, don du professeur J. Dez. Elle constitue la première partie d’une anthologie intitulée Telomiova.

11 Le mot Telomiova, titre de l’ouvrage désigne un arbuste (brunfelsia, four o’clock plant) dont les fleurs ont trois couleurs différentes, dans un même temps, blanche, rose et violette. Et précisément, l’ouvrage que Dox présente comporte trois genres poétiques différents.

12 Sur la page de couverture, nous lisons cette épigraphe de l’auteur :

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Satriko aza fahendrena, Hira latsaka ao anaty Lova ho an’ny Firenena No omeko, tsy ho faty… … Nomeko, izay tratry ny aiko. Na mpindrana aza aho, Ao ny fo, fanahy sy saiko : TELOMIOVA iray sampaho. Je voudrais bien la sagesse Des chants qui passionnent Patrimoine pour la Nation Que je donne, éternel… … J’ai donné tout ce que j’ai pu Même si je n’ai fait qu’un emprunt Mon coeur, mon âme, mon esprit s’y reflètent TELOMIOVA (trois fleurs) en une grappe.

13 Ainsi, l’auteur souligne que pour les trois genres poétiques présentés, il n’était qu’un simple dépositaire et il avait tiré son inspiration soit de la littérature universelle, soit de la littérature orale de son pays. Il les a classés comme suit : I. Le Cid, vita tononkira malagasy (Le Cid en vers en malgache) II. Hira Hainteny (Chants Joutes poétiques) III. Tononkira voafantina (Chants choisis)

14 Les termes tononkira et tononkalo sont chargés d’une signification spécifique dans la langue malgache. Nirhy-Lanto Ramamonjisoa (1996 : I, 33) précise que « poésie et chant se confondent dans l’univers poétique malgache. Tononkalo et tononkira sont les mots malgaches pour désigner le poème. Ces paroles composées de tonony “paroles” et de kalo/hira “chants” reflètent la conception malgache de la poésie. »

15 Le livre, 96 pages, a été imprimé par la Nouvelle Imprimerie des Arts Graphiques à Antananarivo, en 1960. Dox n’avait pas manqué d’indiquer dans sa note préliminaire que l’ouvrage a vu le jour grâce à la subvention de la commune d’Antananarivo. Après avoir présenté les personnages, il tenait à mentionner que la pièce avait été déjà jouée deux fois au théâtre de verdure de la ville d’Antananarivo, Antsahamanitra, en octobre 1958.

16 Plus tard, en 1965, Ilay Andrianina (L’Honorable), titre malgache donné par le traducteur, a été publié par la Librairie mixte, dans la collection Rakitry ny ela (Trésor de la nuit des temps) et réimprimé par l’imprimerie Masoandro (Soleil), à Antananarivo en 2 000 exemplaires.

17 En comparant la traduction de Dox et la version dans Corneille, œuvres complètes de Stegmann (1963), et celle dans le Classique Larousse4, l’on constate des divergences ou des omissions et bien d’autres particularités à relever, telles que réécritures, adaptations, modulations, condensations. Mais nous allons nous limiter aux apports personnels de Dox sur la rénovation et l’enrichissement de la langue malgache. À cet effet, sa contribution à l’élaboration des manuels pédagogiques, ainsi que la transmission d’un fonds culturel à travers ses techniques personnelles de traduction, seront mises en exergue.

18 Auparavant, un bref historique de la politique linguistique au temps de la colonisation et une succincte histoire de la littérature malgache s’imposent.

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19 Dox n’était pas le seul à se soucier du développement de la langue malgache, au temps de la colonisation. Rappelons-nous que le gouverneur général Gallieni (1849-1915), pour diverses raisons, avait valorisé la langue malgache. L’enseignement du malgache était sanctionné par un brevet de troisième degré (Galdi & Rochefort 1960 : 498, 499, 505).

20 Pour que le malgache ne soit pas une langue morte, les programmes étaient conçus de façon à pousser l’enseignement de la langue malgache « afin qu’elle ne s’abâtardisse pas, qu’elle ne devienne pas un jargon » (ibid., 496-497). Ainsi, Gallieni avait encouragé même les Européens à étudier le malgache pour avoir accès aux richesses de la culture malgache (ibid.) : La nation souveraine devrait encourager l’étude par les Européens de la langue malgache et en assurer la conservation dans toute sa pureté en raison tant de la richesse incontestable de cet idiome que de l’intérêt des investigations qui s’y rattachent, traditions, légendes, coutumes, organisations sociales.

21 À cette même époque, les élèves de l’école Le Myre de Villers, la seule à former des auxiliaires pour l’administration coloniale, avaient demandé (requête en malgache) la réalisation des cours en français (ibid.). Ne pourrait-on pas y voir déjà une façon de reconnaître que la maîtrise du français était la clé de la réussite ?

22 Rasoloniaina (1987) cite les réflexions de différents chercheurs sur le rôle u français et du malgache au sein de la société malgache. Rôle que résument ces propos de Faranirina Esoavelomandroso (1985) : « [Le français était] critère et facteur de promotion sociale dans la société coloniale ». La langue française restera prééminente pendant longtemps à Madagascar (Rambelo cité par Rasoloniaina 1987) : Le malgache se trouve en position de faiblesse par rapport au français dont la maîtrise reste la clé de la promotion sociale dans la mesure où cette langue est encore profondément ancrée dans l’administration, dans le monde des affaires et dans l’enseignement.

23 Après l’accession de la Grande Île à l’indépendance (1960), cet état de fait perdurait. Les postes élevés et bien rémunérés paraissaient être réservés à ceux qui avaient une parfaite maîtrise de la langue française.

24 Dans son poème intitulé Vahiny (Étranger), Rado, en 1971, onze ans après l’indépendance, s’indignait contre ce qu’il estimait comme une injustice sociale : l’obligation de maîtriser la langue française pour trouver du travail dans son propre pays (1973 : 143) : Mahagaga F’eto an-tanindrazako aho, nefa tenin’olon-kafa No takina mba ho haiko vao mahazo anjara asa Hamelomana ankohonana... … Étonnant, Je suis dans mon pays, mais l’on exige de moi la maîtrise De la langue de l’autre afin d’obtenir du travail Pour nourrir ma famille… …

25 Les écrivains malgaches ont de tout temps œuvré pour que la langue malgache garde une place prépondérante dans la vie sociale économique et politique du pays.

26 Pour parler brièvement de la littérature écrite malgache, elle a commencé à s’émanciper au lendemain de la colonisation de l’île par la France. La période 1906-1938 recouvre quatre étapes.

27 La première étape (1906-1914), celle du miana-mamindra (apprendre à marcher), vit les écrivains faire leurs premiers pas. Ils commencèrent à composer des poèmes, à créer

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des romans et des nouvelles selon le modèle européen. Le contexte politique de l’époque, notamment la séparation de l’Église et de l’État qui s’amorçait bien en métropole, les divisait en deux groupes : d’un côté, ceux qui s’inspirèrent des thèmes chrétiens, les mpino, « croyants », et de l’autre, les tsy mpino, « non-croyants », dont les créations littéraires ne furent pas engagées idéologiquement, mais relevèrent de la littérature d’imagination. Entre 1915 et 1922, un vide littéraire s’installa suite à la découverte par l’administration coloniale de la VVS (Vy, Vato, Sakelika, « Fer, Pierre, Ramification »), une société secrète à but patriotique.

28 La seconde étape (1922-1929) se vit imbue de embona sy hanina (nostalgie). La troisième fut dominée par le thème de ny lasa (le retour aux sources). Puis, la quatrième (1932) lança un appel significatif à tous les écrivains de l’époque : mitady ny very (à la recherche de ce qui est perdu). Il est clair, de par ces étapes vécues par la littérature malgache, que les auteurs voulaient retourner aux sources ; ils avaient conscience d’avoir perdu leur identité nationale et ils essayaient de retrouver le passé perdu. Ils concluaient en 1934 : hita ny very (ce qui a été perdu est retrouvé).

29 Le professeur Charles Ravoajanahary distinguait deux groupes d’écrivains pour cette période 1906-1938 : d’une part, les mpanoratra zokiny (écrivains aînés), nés au temps de la monarchie et, d’autre part, les mpanoratra zandriny (écrivains cadets), nés à l’aube de la colonisation. Dox se situe dans la lignée de ces derniers, les « cadets », qui s’étaient donnés pour vocation de retrouver le passé d’avant l’époque coloniale. Son anthologie, un livre assez fourni, procurait des matériaux scolaires à un moment où l’étude du malgache était programmée dans les écoles secondaires publiques et sanctionnée par un examen final.

30 La traduction du Cid fut achevée en 1958, à la veille de l’indépendance. Le français était encore la langue d’enseignement et de culture dans les écoles secondaires, mais les élèves pouvaient opter pour le malgache comme langue vivante 2, à la place de l’allemand ou de l’espagnol. La matière n’était pas obligatoire dans les lycées publics. La plupart des élèves ne choisissaient le malgache qu’en dernier recours ; les nouveaux élèves venant d’autres établissements étaient obligés de prendre le malgache. Tout le monde voulait saisir la chance de parler d’autres langues pour sa promotion sociale. Seules les écoles confessionnelles protestantes, comme les collèges Ambohijatovo Nord et Paul Minault, privilégiaient l’enseignement du malgache (Ratrema 1987 : 9). Le Cid était au programme de français en classe de quatrième et était tout simplement transposé en malgache. Un nombre important de lycéens de l’époque déclaraient ignorer la version malgache du Cid, puisqu’ils avaient déjà eu, pour leur part, l’occasion de travailler sur l’original.

31 Dox a effectué de nombreuses traductions littéraires, étant convaincu qu’elles présentent un réel intérêt pour la littérature malgache. Comme il l’a lui-même avoué, elles font partie du patrimoine littéraire national. Le professeur Siméon Rajaona (1972 : 7-9) partage clairement cette conviction quand il dit que traduire est un moyen d’approfondir la langue malgache, de forger la langue cible pour exprimer les idées et les sentiments universels. Certes, Dox n’était que le traducteur, l’ouvrage original ne lui appartenant pas, mais il avait donné le meilleur de lui-même pour ce travail. Son être entier s’y reflétait. Dans Ilay Andrianina, il y a des passages assez proches de l’original, mais de temps en temps, on retrouvera des indices de Dox poète créateur. C’est ce qui explique la présence des divergences mentionnées plus haut.

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Dox et le travail de la langue

32 La transmission d’un fonds culturel à travers ses techniques personnelles de traduction ne laisse aucun doute.

33 Le Cid mit en scène une légende espagnole, mais il n’en était pas moins l’écho des préoccupations françaises contemporaines de sa création d’après les nombreux critiques du Cid (Couprie 1989, Stegmann 1963…). En effet, le climat militaire du Cid n’était pas sans rappeler celui de la France du XVIIe siècle, car elle était en lutte depuis 1635 contre l’Espagne, l’Autriche. Le Cid reflétait également les luttes nationales. Les nobles, à l’époque, réglaient leurs différends par les duels sans passer par la justice royale. Cela entraîna de fâcheuses conséquences démographiques, car « rien qu’à Paris quatre mille gentilshommes trouvèrent ainsi la mort dans les dix dernières années du règne d’Henri IV » (Couprie 1989 : 15), et le pays était en guerre.

La page de présentation des personnages

34 Pour garder la couleur locale, espagnole, Dox avait retenu les noms propres de personnes tels qu’ils étaient en français. Ainsi, les noms de Don Fernand, le roi de Castille et Doña Urraque, restaient intacts. Il en va de même pour Don Diègue, père de Don Rodrigue, Don Gomès, Comte de Gormas, père de Chimène, Don Rodrigue, amant de Chimène, Don Sanche, amoureux de Chimène, Don Arias et Don Alonse, gentilshommes castillans, Chimène, fille de Don Gomès, Léonor, gouvernante de l’Infante, Elvire, gouvernante de Chimène. Seule L’Infante subissait une légère modification pour devenir Ny Infante (traduction de L’ par l’article malgache Ny).

35 Pour présenter les personnages, Dox a traduit le mot « page » par deka [dék]. C’est un mot d’emprunt dérivé du français « aide de camp », amputé de son initiale ai- et de sa terminaison –mp, puis accentué selon la règle d’accentuation malgache, c’est-à-dire à l’avant-dernière syllabe. Selon le dictionnaire Robert, « page » désigne « un jeune garçon noble, placé auprès d’un grand seigneur, ou d’une grande dame, pour apprendre le métier des armes, faire le service d’honneur ». Ainsi, le sens de deka s’éloigne relativement de celui de « page ». Dox a eu raison dans sa traduction puisqu’il s’agit d’un soldat pour aider généralement un officier, mais jamais une dame. Du reste, qui dit « aide de camp » dit, en principe, officier attaché à la personne d’un général ou d’autres personnalités militaires ou civiles. Deka appartenait au répertoire lexical du passé, sous la monarchie merina, comme le prouve l’expression dekan’ny Praiminisitra (aide de camp du Premier ministre).

36 Pour ce qui est de la traduction du mot « gentilshommes », tandapa a été choisi. Composé du préfixe tan- et du radical lapa, il signifie « ceux qui viennent du palais ». Il désignait, dans le contexte d’alors, les gens qui côtoyaient quotidiennement le roi ou bien ceux qui travaillaient à la cour du roi ou ceux qui y habitaient. Ils n’appartenaient pas obligatoirement à la « noblesse », tout homme libre pouvait y accéder. Or, par définition, les gentilshommes sont des « nobles » (selon Larousse, autrefois, homme noble de naissance). La traduction adoptée par Dox semble ainsi être inadéquate. Mais une traduction ne pouvait s’opérer sans perte ; le facteur commun entre tandapa et gentilshommes, c’est qu’ils étaient tous les deux des courtisans.

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37 À l’instar de la traduction de « page » par deka, Dox a ressuscité ici un vocabulaire qu’on peut qualifier d’archaïque. Ceci relève du souci du traducteur de trouver les mots et les expressions justes tout en voulant préserver l’atmosphère espagnole de l’œuvre. Les titres de courtoisie, Don et Doña, en usage devant le prénom espagnol, retenus par Dox, l’attestent.

38 Pour les noms de villes, dans la page de présentation, deux attitudes furent adoptées. D’une part, « Castille » phonétiquement malgachisée devint Kastily dans « mpanjakan’i Kastily voalohany » (le premier roi de Castille), et, d’autre part, « Séville » connut une légère modification par l’absence de l’accent sur le « é » dans : « Ny sehatra dia ao Seville » (la scène se déroule à Séville). Ces deux noms de villes se terminent tous les deux par « -ille » en français et la forme attendue pour le second serait également « Sevily », selon la règle de malgachisation du français. Et pourtant, quelques lignes seulement séparent ces noms de villes. En fait, nous nous trouvons ici en face d’une contradiction : l’effort pour malgachiser et le quotidien qui apparaît. Dox fut l’homme de son époque. En effet, dans les conversations ordinaires, des mots français sont souvent insérés instinctivement dans les phrases malgaches. C’est comme un fait relevant de l’automatisme pur, mais qui, finalement, est né d’un comportement linguistique délibérément adopté à l’époque coloniale. L’habitude est une seconde nature ! Cependant, ailleurs, comme dans l’acte II, scène VI, les noms de villes furent tous malgachisés phonétiquement : Andalousie en Andalozia (v. 614), Séville en Sevily (v. 617) et Castille en Kastily (v. 618).

À propos du titre

39 Le Cid fut un personnage historique qui avait vécu au XIe siècle. L’histoire rapporte que Rodrigo Diaz fut né vers 1043 dans le village de Bivar, à deux lieues (huit kilomètres) environ au nord de Burgos, en vieille Castille. Il fit une carrière brillante à la cour de Don Sanche II, roi de Castille, puis d’Alphonse VI, qui le maria à Chimène, en récompense de services rendus (Couprie 1989 : 13). Il fut surnommé Le Cid en 1082, après avoir mis en déroute les troupes chrétiennes de Barcelone, qui l’assiégeaient dans le château d’Almenar. Mais, auparavant, victime d’intrigue, il avait été exilé en 1081 ; il était passé dans le camp adverse et avait combattu pour les Maures.

40 L’histoire fut reprise par les écrivains espagnols qui en firent une légende. Parmi eux figurait Guillén de Castro (1569-1631), l’auteur de Las mocedades del Cid (Les enfances du Cid). Corneille ne niait pas que l’œuvre espagnole fut la source de sa pièce. Dans l’avertissement de l’édition de 1648, il avait écrit : « Voilà ce qu’a prêté l’histoire à D. Guillén de Castro, qui a mis ce fameux événement sur le théâtre avant moi » (Stegmann 1963 : 216).

41 Pour le titre de son oeuvre, Corneille a gardé le mot Cid, qui vient de l’arabe Sidi (Seigneur). À la première ligne de la page 5 du Telomiova, Dox a gardé le titre français Le Cid, mais à la ligne suivante, il l’a traduit par Ilay Andrianina. Donc, à la différence de Corneille, il n’a pas juste précédé le mot espagnol Cid du démonstratif ilay, mais a tenu à rendre en malgache le titre original. Le mot Andrianina est composé du nom andriana et du suffixe –ina ; il pourrait vouloir dire « Celui que l’on considère comme seigneur », ou « Celui qui a été anobli » (litt. « Celui-qui-a-été-rendu-seigneur »). À la place du mot Cid, Dox a employé un verbe qui est devenu un substantif par la présence du démonstratif ilay.

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42 Le radical sidi n’est pas inconnu du répertoire des noms propres malgaches : Rasidy, ministre de l’Information de la Première République (1960-1972), Berthin Sidy, directeur général de la Direction générale de l’information et de la documentation (DGID) sous la Troisième République, Rasidimanana… Reste à savoir s’il détient le sens de « seigneur » : c’est une autre question.

43 Quoi qu’il en soit, le fait de ne pas avoir gardé une trace du son Cid dans le titre malgache Ilay Andrianina ne traduirait-il pas chez Dox une certaine volonté de procéder à des réécritures, pour passer du contexte original au contexte culturel malgache ? Il avait déjà montré qu’il maniait bien la langue malgache en exhumant de l’oubli les mots comme deka ou tandapa. Selon son gré, il avait opéré une traduction, une réécriture, une malgachisation, ou laissé un mot tel qu’il avait été dans l’œuvre originale. Inciter le lecteur à rechercher les informations contenues dans chaque choix de mots, à essayer de déceler les motivations du traducteur pour chaque opération choisie, constitue déjà une action pédagogique de sa part.

Répertoire lexical

44 Le répertoire lexical de Dox reflète sa personnalité et donne en même temps un aperçu de son état d’esprit au cours de son travail de traducteur. De ce fait, chaque traduction retenue est significative, mais il faut se rendre à l’évidence et accepter les difficultés qu’implique l’étude en totalité du répertoire lexical de l’auteur. Seuls les termes typiques seront relevés et annotés.

45 À l’époque du Cid, aucun affront n’est laissé impuni, car cela ne concerne pas uniquement l’individu, mais la lignée entière. C’est la raison pour laquelle le châtiment en est souvent mortel. Selon le cas, Dox utilise des termes différents pour traduire le concept contenu autour du mot mort : • V. 227-228 : Achève et prends ma vie, après un tel affront, Le premier dont ma race ait vu rougir son front. Tapero ka alao ny aiko fa nalan’ialahy vintana, Vao izay tamin’ny razako nisy izay baraka ahintsana.

46 Le choix de tapero pour rendre « achève », suivi de alao pour « prends » est d’usage courant. Devant les parents qui frappent leurs enfants sans merci, on entend souvent ces remontrances : « Tapero eo ny ainy e ! »(Achève donc sa vie !). L’alliance tapero/alao exprime parfaitement bien l’idée contenue dans la phrase française. Dox a su rendre le vocabulaire précieux de Corneille avec des mots de tous les jours. L’emploi de la conjonction de coordination à valeur conclusive ka, en outre, donne une allure bien malgache à la proposition. D’autres termes comme mandatsaka aina ou nalatsaka aina seront utilisés pour la notion de tuer, d’être tué ou encore de rechercher la mort de quelqu’un : • V. 932 : Je me dois, par ta mort, montrer digne de toi Mandatsaka aina anao koa no hahamendrehako aminao !

47 Les sons /ts/ et /k/ rendent le bruit d’un couteau qui tranche. Tandis que, pour traduire « ta mort », une expression verbale avec le verbe actif mandatsaka et deux expansions aina anao est choisie par Dox. La traduction courante attendue serait ny fahafatesanao (ta mort), mais il a préféré apparemment donner plus de renseignements

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en précisant la façon de le faire mourir : mandatsaka aina anao (faire tomber ta vie). Dox ne serait-il pas tombé dans le piège des Belles Infidèles ?

48 Siméon Rajaona a précisé que le traducteur ne doit pas embellir, mais il se doit d’être fidèle au texte. Cependant, l’idée de devoir contenue dans « je me dois » est modulée dans mandatsaka aina anao. La longueur de la proposition en français est à peu près équivalente en malgache. Dans l’hémistiche « montrer digne de toi », l’infinitif « montrer »et son expansion « digne »sont regroupés dans le circonstanciel hahamendrehako. La conjonction de coordination koa coordonne la phrase, et en retraduisant la phrase malgache, on obtient : « Achever ta vie, c’est aussi la façon par laquelle je me rends digne de toi ». • V. 1387 : On a tué ton père, il était l’agresseur Maty rainao ka izy no nandatsaka ny ainy

49 « Il était l’agresseur »/ nandatsaka ny ainy : la mort de Don Gomès fut la conséquence même de ses actes. Mais l’expression malgache prête à confusion, puisqu’on pourrait penser que le Comte s’est suicidé. En effet, l’expression chrétienne nandatsaka ny rany (il a versé son sang) signifie que le Christ a accepté librement de mourir. Dans les cantiques protestants, nous rencontrons aussi l’expression nalatsaka aina pour désigner la mise à mort des martyrs ou mandatsaka aina (mettre à mort). La mort qui y est annoncée n’est pas souvent naturelle. Elle peut survenir à la suite d’un acte malveillant ou d’une exécution après condamnation : • cantique n° 645 du FFPM5 : Indreo, ny maritiora soa (Voici les bons martyrs) Nalatsaka aina avokoa (Qu’on a tous mis à mort) • cantique n° 640 du FFPM : Ka mikendry hanangoly (Qui cherche à séduire) Sy handatsaka aina koa (Et aussi à mettre à mort)

50 Il s’agit ici du diable qui voulait attenter à la vie des chrétiens.

51 Le choix de mandatsaka aina anao est pertinent, car Chimène désirait la mort de Rodrigue par condamnation. Dox, qui avait connu le milieu rural malgache, friand d’histoires de sorcières fut sûrement au courant que ce mot mandatsaka aina est utilisé par la population paysanne pour indiquer les agissements des sorcières. Vouloir la mort de quelqu’un, c’est se comporter comme ces dernières et avoir leur mentalité. En utilisant cette expression, le traducteur rejoint le monde où il avait été élevé et, pour ce milieu, le prix à payer pour un meurtre n’est pas nécessairement la condamnation à mort, tandis qu’au temps du Cid, même un soufflet pouvait entraîner la mort.

52 Toutefois, l’expression mandatsaka aina est un terme actuel, mais presque inconnu de la population urbaine lorsqu’il désigne les manœuvres des sorcières. D’après la croyance malgache, celles-ci entreprennent de mettre fin au jour d’une personne gravement malade. Andrianjafy (1977 : 55-56) nous rapporte un extrait de ses récits de sorcières : — Mino izahay fa tena zanakao marina ity ! hoy ireto mpiambina... Tena reniny marina ianao. Tsy hihazona azy tsy akory izahay. Kanefa lazao izay marina, eto anatrehan’ireto tapim-pokonolona ireto : nahoana izy ity no nariana tetsy anaty posiposy tetsy ? Taiza ianao ? Ary avy aiza ? Lazao izay marina ? Aza mandainga. — Zavatra efa natao ve, tompoko, hahamenatra? Hatao ahoana moa fa nentin’izay vintan- dratsy! Araka ny fahafantaranay dia tsy isam-bahoaka ety amin’ity faritany ity ianao. Ka olona avy aiza moa ianao?…

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— Avy any An... aho, tompoko (114 km) ary vao afak’omaly aho no tonga teto. Etsy amin-dR... etsy no famantanako isaky ny mankaty fa rafozan’ilay zokiko izy. — Ary inona no tena anton-dia niakaranao aty ? — Araka ny fandaharanay mantsy dia anjarako ny mandatsaka aina tetsy F... androany. — Ka avy any A... ianao no niezaka nankaty ? Iza no miantoka ny dianao amin’izany ? — Izaho ihany ... Fanendrena tsy azo lavina koah... Ry mpamaky malala, tantara marina anie no tsahiviko aminao ê ! Ireto no mahagaga : Marary ety F... ka dia fantatr’izy any An..., nefa elanelan-tany mihoatra ny zato kilometatra ! Tsy mahalavi-tany hay ny mandatsaka aina. Ary “fanendrena tsy azo lavina”, hono. — Nous sommes certains que ce bébé est vraiment votre fille ! disent les veilleurs de nuit... Vous êtes effectivement sa mère. Nous n’allons pas la garder. Cependant, dites la vérité devant ces quelques membres du fokonolon6. Pourquoi l’avez-vous abandonnée là-bas, dans ce pousse-pousse ? Où étiez-vous ? Et d’où venezvous. Dites la vérité. Ne mentez pas. — Pourquoi avoir honte des faits accomplis, Messieurs ? Que faire ? Je suis victime de ma destinée. — À notre connaissance, vous ne faites pas partie de la population de cette localité. De quelle région êtes-vous ? … — Je viens d’An..., Messieurs (114 km) et je suis arrivée ici seulement avant-hier. Je loge chez Ra... chaque fois que je viens, car il est le beau-père de mon frère (?) aîné. — Et quelle est la véritable raison de votre venue ici ? — Suivant notre organisation interne, il m’incombe d’achever une vie par sorcellerie aujourd’hui à F... — Et c’est de A... que vous vous êtes empressée de venir ici ? Qui a payé votre voyage ? — Moi-même!... Vous savez, c’est une charge qu’on ne peut pas refuser. Chers lecteurs, c’est une histoire vraie que je vous rapporte là ! Voici ce qui est étonnant : une personne est malade à F... et les sorcières d’An... sont au courant..., à une distance de plus de 100 km. Eh bien, l’éloignement ne compte pas quand il s’agit d’achever une vie ! Et c’est une charge qu’on ne peut pas refuser, semble-t-il.

53 Dans cet ouvrage d’Andrianjafy, l’expression mandatsaka aina est mentionnée à plusieurs reprises. À la page 63, une sorcière plus âgée conseille à la plus jeune de renoncer à la tâche qui lui est assignée, car, pour achever une vie, mandatsaka aina, on doit s’aventurer dans la cour même des personnes concernées. Mais, vu qu’elle est novice, elle ne saura pas s’esquiver, en cas de poursuite. • V. 893-894 : Je te le dis encore, et quoique j’en soupire Jusqu’au dernier soupir je veux bien le redire Koa averiko aminao, na dia hisentoako aza, Ary mandra-pahatapitro, tsy hitsahatra aho hilaza

54 L’on est en présence d’une traduction calque. Koa et na dia (v. 893), offrent une tournure malgache au vers, mais mandra-pahatapitro (litt. « jusqu’à ce que je sois fini ») du vers suivant rend le lecteur un peu perplexe. L’expression paraît inachevée sinon incorrecte en malgache. Habituellement, il faut une expansion comme dans ces phrases couramment rencontrées : mandra-pahatapitry ny resaka (jusqu’à la fin de la conversation) ou bien mandra-pahatapitry ny androko (jusqu’à la fin de mes jours). Les expressions telles que tapitra aho ou tapitra izy pour dire « mon dernier soupir » ou « son dernier soupir » n’existent pas. En vérité, le mot tapitra (fini, achevé) nécessite une expansion qui ajoute un peu plus de clarté au sens de la phrase : tapitra ny aiko (ma vie est achevée), tapitra ny ainy (sa vie est achevée). Pour fournir la traduction calque, Dox s’est permis de réaliser un écart par rapport à la langue cible, ce qui a rendu la phrase

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malgache maladroite et presque incompréhensible. Ainsi, la traductionclassique attendue serait : hatramin’ny fara fofonaiko (jusqu’à mon dernier souffle, jusqu à mon dernier soupir) ou sa variante mandra-pialampofonaiko (litt. « jusqu’à ce que mon dernier souffle s’en aille »).

55 Par ailleurs, Dox manifestait la volonté de rester le plus près possible du texte de départ : • V. 894 : Jus / qu’au / der / nier / sou / pir 1 / 2 / 3 / 4 / 5 / 6 est rendu par : Man / dra / paha / ta / pi / tro 1 / 2 / 3 / 4 / 5 / 6 On peut proposer la traduction suivante : Man / dra / pia / la / po / fo / nai / na 1 / 2 / 3 / 4 / 5 / 6 / 7 / 8 ou : Ha / tra / min’ny / fara / fo / fo / nai / ko 1 / 2 / 3 / 4 / 5 / 6 / 7 / 8

56 Il savait bien manier la langue malgache. Mais, sans aucun doute, il voulait garder le même nombre de pieds qu’en français. Pour ce projet, il sacrifia délibérément le fond à la forme. Il modula mandra-pahatapitry ny androko ou mandra-pahatapitry ny aiko en mandra-pahatapitro, qui signifie implicitement « jusqu’à ma fin ou ma mort ».

57 Aux vers 893 et 894, le radical « soupir » revient deux fois : dans « j’en soupire » et « dernier soupir », une polyptote pour souligner le désespoir de Rodrigue. Et pourtant, le procédé n’apparaît pas en version malgache.

58 Pour bien saisir le sens de fofonaina suggéré dans la traduction de « jusqu’au dernier soupir », se référer à la Bible paraît utile, étant donné qu’elle s’avère un des premiers monuments littéraires malgaches. La polysémie de ce terme y est mise en évidence. Selon le contexte, il désigne la vie, l’esprit, le souffle ou encore la respiration. • Ezéchiel 37.8 : Ary hitako fa, indro, naniry ny ozatra sy ny nofo, ary nisarona hoditra izy, nefa mbola tsy nisy fofonaina tao aminy / Je constatais qu’il y avait des nerfs sur eux. La chair se mit à pousser, et la peau les recouvrit par-dessus, mais il n’y avait point en eux d’esprit7. • Esaïe 11.4c : Ary ny fofonain’ny molony no hamonoany ny ratsy fanahy / Et du souffle de ses lèvres il fera mourir le méchant. • Actes 17.25b: Izy ihany no manome izao rehetra izao aina sy fofonaina ary ny zavatra rehetra / Lui qui donne, à tous, la vie, la respiration, et toutes les choses8.

59 À propos du mot maty, Chimène annonça au roi le meurtre de son père par Rodrigue (v. 652) : « Il a tué mon père ». La phrase dénote une action délibérée, voulue. En malgache, « matiny ny raiko, tompoko », le pronom personnel sujet « il » est devenu un complément -ny. Le vers pourtant est ambigu, il suggère une mort accidentelle. En retraduisant littéralement, on aurait : « mon père a été tué par lui » (matiny ny raiko), sans précision aucune sur l’intention du tueur. Rajemisa (1985) classe le mot maty parmi les adjectifs et les adverbes ; le dictionnaire malgache-français des pères Abinal et Malzac (1888) établit une liste de synonymes du mot maty en français : « mort », « tué », « crevé ». Le mot maty est le terme générique pour désigner la mort : maty ny

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voninkazo (la fleur meurt), maty ilay biby (un animal meurt), maty ilay olona (une personne meurt). Le traducteur doit respecter le lecteur, il doit garder le style et les idées de l’auteur. Or, maty, qui déjà n’appartient pas à la même classe distributionnelle que « tuer », ne rend pas fidèlement les idées véhiculées par le vers de Corneille. Le verbe mamono est l’équivalent parfait de « tuer » dans ce contexte. Le passif novonoiny (litt. « être-tué-par-lui »), qui en dérive, dénote bien l’action délibérée de Rodrigue de tuer le Comte pour venger son propre père : novonoiny ny raiko.

60 En outre, matin’ny se retrouve dans plusieurs expressions signifiant « vaincu par quelque chose », telles que matin-kambo, orgueilleux (litt. « vaincu par l’orgueil »), matim-pitia, très amoureux (litt. « vaincu par l’amour »), matin’ny tendany, gourmand (litt. « vaincu par sa gourmandise »). Et même dans le quotidien, pour annoncer la défaite d’une équipe sportive, on entend matin’ny Saint-Michel i Ambatomena (l’équipe de Saint-Michel a battu celle d’Ambatomena)…

61 Chimène, en déclarant « il a tué mon père », voudrait souligner le meurtre de son père par Rodrigue et non la défaite de son père devant Rodrigue. Seulement, en tenant compte des expressions ci-dessus, la phrase de Chimène pourrait aussi mettre en relief la victoire de Rodrigue après une partie de duel. Dox a ajouté la formule de politesse tompoko (Seigneur), qui, dans ce vers, se révèle de moindre utilité, sinon de rallonger le vers de quatre pieds : Il / a / tué / mon / père 1 / 2 / 3 / 4 / 5 Ma / ti / ny / ny / rai / ko / tom /po / ko 1 / 2 / 3 / 4 / 5 / 6 / 7 / 8 / 9 • V. 1196 : J’irai sous mes cyprès accabler ses lauriers. Ny fisaonako tsy hamela ny voninahiny hitraka

62 Le mot « cyprès » a une certaine connotation en français. En général, les cyprès ornent les cimetières. Pour exprimer son deuil, Chimène a employé ce mot. Dox, avec toute sa culture, reçut le message, mais il l’a traduit directement par fisaonako (mon deuil). Ce mot ne renvoie pas à un cimetière comme cyprès, mais plutôt à une manière spéciale de s’habiller, de se coiffer ou de se comporter pendant la période de deuil. À la mort d’un souverain merina, Cousins (1963 : 77) rapporte que les sujets devaient se raser la tête. Rahamefy (1997) évoque toutes les dispositions prises pendant le deuil de Rajaokarivony II, roi de l’Isandra, en ces termes : Les hommes doivent serrer leurs vêtements autour des reins, tandis que les femmes auront les leurs serrés autour de la poitrine »… … il est interdit de porter un couvre-chef pour les hommes, tandis que toutes les femmes doivent avoir la chevelure dénouée.

63 Le choix du mot fisaonako est significatif pour Dox. En tant que Malgache, il respecte le tombeau, mais la façon dont les hommes se comportent durant le deuil est encore plus importante pour les Malgaches. Même si les deux mots « fisaonako » et « cyprès » évoquent la mort, ils le font différemment selon leur propre monde. Le mot « cyprès » évoque le cimetière, le marbre froid, tandis que « fisaonako » une sorte de dernier hommage rendu par la famille au défunt.

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La littéralité de Dox

64 Par les vers 727-729, Don Diègue demande au roi de mourir à la place de son fils. Dox les a traduits littéralement, certes, mais avec élégance : Immolez donc ce chef que les ans vont ravir, Et conservez pour vous le bras qui peut servir. Ataovy sorona ity loha efa hojinjain’ny taona Fa tsimbino ilay sandry mbola hanao fanompoana.

65 La signification des verbes français « ravir » et malgache « hojinjaina » (faucher, moissonner) convergent : l’un et l’autre tendent vers un seul et même but. Ce « chef »modulé en loha (tête) n’échappera pas à la mort. Le traducteur a su trouver les mots justes pour « immolez » avec ataovy sorona. Il a lui-même déclaré, dans sa note aux lecteurs, qu’il est difficile de trouver un mot concis en malgache, d’où le choix d’un groupe de mots, composé de l’impératif ataovy (faites) et du nom sorona (sacrifice). Soulignons également le mot « bras », en malgache, sandry, qui suggère la force et que l’on retrouve dans l’expression didin’ny be sandry, (la loi du plus fort). Ces deux vers résument parfaitement la réalité de l’époque : le vieux chef, Don Diègue, s’offre en sacrifice, conscient de sa vieillesse et de sa faiblesse conséquente. Il sait pertinemment qu’il ne sera plus en mesure ni de défendre l’État ni de se battre. Il en conclut qu’il ne présente plus aucun intérêt pour le peuple, tandis que Rodrigue mérite la considération, étant donné sa force de jeunesse ; d’ailleurs, il a déjà fait ses preuves, en étant vainqueur du Comte. C’est à cet égard que l’impératif tsimbino renvoie. Il invite le roi à prendre soin de Rodrigue et à le préserver. • V. 993-994 : Adieu : je vais traîner une mourante vie, Tant que, par ta poursuite, elle me soit ravie. Veloma ary fa ny tenako hitarika aina ambavahoana Mandra-pahefanao ny fanenjehanao foana !

66 En malgache, aussi bien pour prendre congé que pour se séparer définitivement, il n’existe que le mot « veloma » (sois vivant) et qui ne spécifie ni les possibilités de rencontres prochaines comme « au revoir » en français, ni l’absence certaine de contact pendant un temps assez long, comme dans « adieu ». Dox préfère s’en tenir là au lieu de rallonger le vers en ajoutant un adjectif comme mandrakizay (éternel) : veloma mandrakizay, qui pourrait mieux rendre le sens de « adieu ».

67 Les verbes « traîner » et « mitarika » dans les locutions « traîner une mourante vie » et « hitarika aina ambavahoana » servent à marquer la durée d’un événement ; ici, il s’agit de celle de la vie mourante. Or, « mitarika aina » n’est pas d’usage courant. Mitarika s’allie généralement avec un nom concret : mitari-bady tsy lasam-bodiondry (se montrer tout le temps avec une femme sans avoir remis le vodiondry9 à ses parents), mitari-bato (traîner, tirer une dalle). « Mitarika aina ambavahoana » est une traduction littérale, mais qui ne peut que donner à la traduction une véritable élégance dans la mesure où elle confère à cette vie sur le point de s’éteindre (aina ambavahoana) une certaine consistance. • V. 377-378 : Que toute sa grandeur s’arme pour mon supplice, Tout l’État périra, s’il faut que je périsse Aoka kely hiantraika ny hangezany hozahana, Raha izaho no afefika, fefika ny fanjakana.

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68 Dans ces vers, le Comte fait fi de l’autorité du roi. Le vocable calque « grandeur » est utilisé pour traduire hangezany (v. 377). Effectivement, ngeza et ngezabe signifient « gros » et « grand ». Les termes halehibe et fahalehibeazana peuvent se substituer en paradigme à ngeza et ngezabe, mais s’emploient le plus généralement au sens figuré pour énoncer la grandeur d’âme. L’expression « aoka kely … … hozahana » en malgache est non seulement ironique, mais chargée de défi. Elle exprime donc l’importance moindre que le Comte accorde au pouvoir du roi. Par hozahana (on va voir / on verra), l’autorité royale est considérée d’emblée par le Comte comme inefficace. Il est loin d’appréhender la sanction qu’il peut infliger. Par ailleurs, le choix de ce terme a également une valeur stylistique, car il rime avec fanjakana.

69 Le verbe « périr », employé deux fois par l’auteur dans « l’État périra », et « s’il faut que je périsse », a son équivalent fefika, qui revient aussi deux fois, dans « Raha izaho no afefika, fefika ny fanjakana » (v. 378). Ces vers mettent en évidence la conception que le Comte s’est faite de sa grandeur personnelle. Sa perte entraînera la perte de l’État. Dans le texte original, la construction de la phrase met en avant le sort qui attend l’État : « Tout l’État périra ». Alors que dans la version malgache, elle place en tête izaho (le Comte) : « Raha izaho no afefika », ce qui traduit une mentalité arrogante. Fizahozahoana et mizahozaho (litt. « dire moi je, moi je ») font partie des termes quotidiens manifestant cet état d’esprit. Cette attitude se reflète encore dans la métaphore « sa grandeur s’arme » et celle de sa traduction : « hiantraika ny hangezany ».

70 L’alliance des mots dans « sa grandeur s’arme » se retrouve dans la construction de « hiantraika ny hangezany » (litt. « sa grandeur tombera lourdement »). « La grandeur qui tombe lourdement » répond à « la grandeur qui s’arme », et la contradiction entre « grandeur » et le verbe « s’arme » se reproduit entre hangezany et hiantraika.

71 Hianjera (tomber) est un autre terme qui sert à désigner la même action que hiantraika, mais ce dernier est pertinent, car il s’emploie généralement pour marquer la gravité de la chute.

72 Dans ces vers, le génie créateur de Dox poète ne laisse aucun doute. Par les mots choisis, il retrace les véritables sentiments qui animent le Comte. • V. 1176 : Rodrigue maintenant est notre unique appui Tokana iankinantsika Rodrigue ankehitriny

73 Le vers en malgache est presque l’équivalent littéral du vers de Corneille, avec une phrase affirmative non marquée. Leur différence se situe au niveau des expressions « notre unique appui » et « tokana iankinantsika ». L’adjectif « tokana » traduisant « unique » possède une certaine connotation affective. Les locutions ry tokan’ny aiko, ry hany tokako sont utilisées pour exprimer l’intensité d’un amour unique en son genre. En employant le mot « tokana », Dox transmet le message émis par L’Infante, Rodrigue est adulé par le peuple de Castille. « Unique appui » diffère de « tokana iankinantsika » par l’emploi du mot s’y alliant. Le mot français « appui » est un substantif, tandis que le malgache iankinantsika (« au moyen duquel nous nous appuyons ») est un verbe circonstanciel à l’indicatif, dénotant une durée. Ce qui démontre l’importance de Rodrigue pour le peuple.

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Les omissions

74 Des divergences sont flagrantes en comparant la traduction de Dox et la version dans les œuvres complètes de Corneille (ed. du Seuil, 1963) et dans le Classique Larousse (présentée et expliquée par E. Amon). L’écart pris par Dox se concrétise par la pratique de modulation, de condensation, d’interprétation…, mais les omissions étaient les plus fréquentes et concernent parfois de longs passages. En voici quelques exemples : • V. 229 et 230 : Le Comte Et que penses-tu faire avec tant de faiblesse ? Don Diègue Dieu ! ma force usée, en ce besoin me laisse ! • V. 447 : Et tu n’as rien perdu pour le voir différer • V. 497 : Et que j’empêche ainsi l’effet de son courage • V. 683-696 : Que les plus valeureux, avec impunité, Soient exposés aux coups de la témérité ; Qu’un jeune audacieux triomphe de leur gloire, Se baigne dans leur sang, et brave leur mémoire. Un si vaillant guerrier qu’on vient de vous ravir Éteint, s’il n’est vengé, l’ardeur de vous servir. Enfin, mon père est mort, j’en demande vengeance Plus pour votre intérêt que pour mon allégeance. Vous perdez en la mort d’un homme de son rang : Vengez-la par une autre, et le sang par le sang. Immolez, non à moi, mais à votre couronne, Mais à votre grandeur, mais à votre personne ; Immolez, dis-je, Sire, au bien de tout l’État Tout ce qu’enorgueillit un si haut attentat. • V. 1093 et 1094 : Porte-la plus avant : force par ta vaillance Ce monarque au pardon, et Chimène au silence • V. 1096 : C’est l’unique moyen de regagner son cœur • V. 1665 Et toi puissant moteur du destin qui m’outrage

75 Les vers omis par Dox, surtout les vers 683 à 696, traduisent l’atmosphère de luttes nationales de l’époque de Corneille. Les nobles ignoraient volontairement la justice du roi, car ils réglaient eux-mêmes leurs différends, à l’instar de Don Diègue qui avait chargé son fils Rodrigue de le venger. De même, au vers 229, le Comte méprisait la vieillesse et la faiblesse de Don Diègue. Couprie (1989 : 33) évoque ce monde de violence où la valeur physique primait tout : « Vaut ce qui sait se battre. Qui ne le peut plus ou ne le peut pas encore ne présente aucun intérêt ». La justice que Chimène demanda au roi dans ce long passage omis semblait être une autre forme de vengeance. Elle souhaitait la mort de Rodrigue.

76 Quelles pourraient être les raisons de ces omissions de la part de Dox ? Serait-ce un simple oubli après s’être adonné à l’alcool ? Ou bien dénotent-elles sa conviction personnelle due à son éducation à la fois chrétienne et traditionnelle ? Le christianisme préconise la patience, le refus de la violence et de la vengeance. En malgache, un

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assemblage de versets bibliques comme « aza mamaly ratsy ny ratsy », « ne rendez à personne le mal pour le mal » (Romains 12.17) avec « raha misy mamely tahamaina ny takolakao ankavanana, atolory azy koa ny anankiray » « si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre » (Matthieu 5.39) était devenu pendant un certain temps presque un proverbe pour inciter les gens à ne pas s’abandonner à leur esprit vindicatif. Et beaucoup de proverbes malgaches prêchent la même chose, tel que : « Ny tsihy no fola-mandefitra fa ny olona tsy fola-mandefitra » (la natte se casse en se pliant, mais jamais l’homme), c’est-à-dire que l’humilité est recommandée (Houlder 1960 : prov. 390, p. 31).

77 Élevé par ses grands-parents, dans l’amour de la nature et de la langue malgache (Dox 1968b : 11), Dox faisait partie certainement de ceux qui veillaient de près aux valeurs ancestrales malgaches. L’influence d’une telle éducation aurait pu pousser Dox, traducteur, à supprimer le vers 229 : « Et que penses-tu faire avec tant de faiblesse ? » En effet, le Comte y exprime son réel irrespect pour Don Diègue, vieux et faible. Or, dans la culture malgache, les personnes âgées, désignées honorablement sous l’appellation ela nihetezana (« ceux qui se sont fait couper les cheveux il y a longtemps ») sont des ray aman-dreny (pères et mères). Elles méritent le respect et l’honneur dus aux parents. Un proverbe explicite cette conception : « Izay ela nihetezana, lava volo » (ceux qui se sont fait couper les cheveux, il y a longtemps, les auront longs). Les cheveux longs témoignent alors des expériences et surtout de la sagesse des gens en âge avancé. La rigueur de la hiérarchie sociale traditionnelle est mise en évidence par ces propos de Rajaona (1969 : 429-430) : … … Mifono finoana latsa-paka mikasika ny laharan’ny tsirairay avy eo amin’ny mpiara- belona, sy ny loza mety hitranga raha tsy manaraka na manaja izany fepetran-daharana efa voalamina izany [ny fialan-tsiny] : ny Manjaka no fandrian’ny tany sy ny fanjakana, ny zandry olona mpanala olan’entana, ary ny ela nihetezana fandrian’ny fitene-nana. Fandaminana efa voafetra izany ka tsy azo korontanina, ka izay mandika izany dia miantso fahavoazana ho an’ny tenany. … … [Présenter des excuses] renferme une solide croyance en la place de chaque individu dans la société, et au danger encouru au cas où on ne respecterait pas cet ordre préétabli : c’est au souverain de faire régner la paix dans le royaume, aux cadets de porter les lourds fardeaux et aux personnes âgées de prendre la parole [en public]. C’est une disposition déjà prise qu’on ne peut plus bouleverser, et ceux qui la transgressent s’attirent la calamité.

78 Avant de terminer, on ne peut pas faire l’impasse, d’une part, sur l’habileté dont fait preuve Dox en sortant de l’oubli beaucoup d’archaïsmes. Un procédé qui contribue à la revalorisation de la langue malgache en cette période où le pays réhabilite son identité, à l’issue de la colonisation. D’autre part, Dox, poète créateur, apparaît, concrétisant sa volonté de forger la langue malgache afin d’exprimer les sentiments universels. • V. 908 : Je ne t’accuse point, je pleure mes malheurs. Tsy miampanga anao aho, fahoriana no itaniako.

79 Le radical tany (pleurs) de la forme « itaniako » ne se retrouve plus que dans l’expression « kalon’antitra ka tany no iafarany » (chants des vieux se terminent en pleurs).

80 À la page de présentation des personnages, l’expression vaky tady pour traduire la promptitude de l’action, ou le mot mpitaiza désignant les mpitaiza andriana, « ceux qui avaient soin du souverain, qui s’occupaient de sa cuisine » (Abinal & Malzac 1888 : 649) ou encore ifodio (retournez) figurent parmi le lexique ignoré des jeunes d’aujourd’hui.

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81 Le traducteur a également créé des néologies, ou alors par l’alliance des mots, il a donné une nuance particulière ou un sens spécifique à certains mots ou expressions. • V. 261 : Rodrigue, as-tu du coeur ? Mitepo hambo i Rodrigue ?

82 L’expression mitepo hambo (inusité) du type mitepo fitiavana (avoir des sentiments intimes) diffère de manan-kambo (avoir de l’orgueil), locution habituellement rencontrée. Le sens du vers, par cette nouvelle création s’est modifié (litt. « L’orgueil vit-il continuellement en Rodrigue ? »).

83 De même pour tora-tahotra (foudroyé de terreurs, v. 628), la construction pour rendre l’effet désiré est nouvellement trouvée. L’élément raikitra, souvent utilisé pour donner l’expression courante raiki-tahotra, est remplacé par torana qui sert généralement à désigner une personne « saisie par une forte impression de joie ou de tristesse. Cette permutation sert à souligner l’intensité des sentiments » ((Abinal & Malzac 1888 : 731).

84 Par ailleurs, les idiomes ou les proverbes arrivent à bon escient dans les vers. • V. 471-472 : La haine que les cœurs conservent au-dedans Nourrit des feux cachés, mais d’autant plus ardents. Ny lolompo ifanaovana, otrik’afo anaty fo Ka vao mainka hivaivay, mora tsofina hifoha. • Et le célèbre vers 888 : Qu’un homme sans honneur ne te méritait pas Tsy mendrika hotiavina aho raha tsy sahy ho lehilahy

85 Le vers de Corneille ressemble à une maxime. Dox a su trouver l’équivalent, une sorte de maxime aussi en employant la locution « tsy mendrika ... … raha tsy sahy ho lehilahy » (litt. « Je ne mérite pas… ... si je n’ose pas me montrer homme »).

86 Pour les propositions juxtaposées en français, le traducteur les rend coordonnées en malgache. Preuve qu’il maîtrise bien sa langue. • V. 1127 : On le vante, on le loue, et mon coeur y consent. Dokafana izy ka deraina, hanaiky izany ve ny foko ?

87 Il se soucie aussi de la pureté de la langue. « Capitaine » (v. 177) est rendu par mpitari- tafika (chef de l’armée), alors que le lexique militaire possède le terme kapiteny, malgachisé à partir du français « capitaine », que l’on retrouve dans les cantiques protestants : Jesosy kapiteninay (« Jésus, notre capitaine », cantique n° 645) ou dans la Bible : « Ary nisy kapiteny anankiray nankao aminy (« Un centenier l’aborda », Matthieu 8.5).

88 Au vers 179, Corneille précise : « Dans le métier de Mars », circonlocution qui signifie le métier des armes, car Mars est le dieu de la guerre chez les Romains. Selon le dictionnaire Robert, il est parallèlement le dieu de la végétation, celui du printemps, parce que les activités guerrières commencent à la fin de l’hiver, et le dieu de la jeunesse, étant donné que celle-ci est la première à être impliquée dans les combats. Dox l’a rendu par mpiantafika, le préfixe mp- servant à former les noms agents. Mpiantafika est celui qui a pour métier de s’enrôler dans les armées. Le sens est intact, mais la culture romaine que Corneille a laissé entrevoir n’est pas transmise. Là, le dicton « traduire, c’est trahir »se trouve vérifié, car il est clair que, pour Dox, se faire

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comprendre par le public malgache s’avère plus important que transmettre le patrimoine laissé par Corneille, c’est-à-dire la peinture de la société de l’époque.

89 Le génie de Dox en tant que poète se révèle par la traduction en vers alexandrins malgaches de cette tragi-comédie. Eu égard à la beauté de la traduction offerte au public, il est permis de dire qu’elle constitue un véritable patrimoine littéraire, d’autant que chaque mot retenu renvoie à un arrière-plan culturel. Toutefois, il n’est pas facile de réaliser une traduction littéraire et la tâche de Dox était de grande envergure, car il avait 1840 vers à traduire. Outre les pertes, les omissions, les condensations ou les déviations, certains vers ont été changés de place, afin de respecter la rime ou pour sa commodité personnelle. Cependant, le traducteur doit pouvoir se maîtriser pour ne pas dire ce qu’il veut et rester fidèle au texte et trouver l’équivalent en malgache (1972 : 10). De plus, une traduction littéraire n’est pas tout simplement une traduction des idées. Etiemble (cité par Etkind 1990 : X) déplore la traduction des idées : « Quelle médiocrité la plupart des poèmes disponibles en librairie… … Les universitaires ne voient dans la poésie que des objets d’étude, des prétextes à érudition plus que des oeuvres d’art ».

90 L’oeuvre de Dox, dans l’ensemble, paraît ne pas faire fi de ces règles et bien de passages ont été parfaitement rendus en malgache. En écoutant et en lisant Ilay Andrianina, la musique des mots, les rimes procurent un intense plaisir. L’auteur a déclaré lui-même que rendre les états d’âme et les sentiments des personnages était son principal objectif. En faisant abstraction de la version originale de Corneille, l’oeuvre de Dox pourrait être une oeuvre à part entière. Ainsi, elle fait plutôt apparaître Dox poète que Dox traducteur.

91 D’aucuns peuvent se demander l’intérêt que pourrait représenter la traduction du Cid en malgache. Un tel souci ne serait-il pas tout simplement réduire les critères de valeur de la littérature malgache aux critères de valeur de la littérature occidentale ? Certains anthropologues avancent que rendre hommage aux œuvres littéraires de Dox équivaut à se mettre sous le joug de l’impérialisme culturel. Ils sont convaincus, à tort et à travers, que la véritable littérature malgache ne se retrouve que dans les formes variées de la littérature traditionnelle orale.

92 Dox n’a pas nié dans l’épigraphe, en première page de couverture du Telomiova, qu’il avait tiré son inspiration à la fois, de la littérature universelle et de la littérature orale de son pays. Mais il n’avait fait qu’un emprunt de la forme extérieure du poème (sonnet ou traduction). Pour le fond, il rejoint sans aucun doute le mouvement de rénovation littéraire : mitady ny very.

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NOTES

1. Étude personnelle sur les grands auteurs universels, suivi de débats avec des professeurs comme Ravelojaona, Radley, Radley, initiation à l’art d’être écrivain et journaliste... Dox était responsable du journal scolaire de l’école. Le pasteur Ravelojaona (1879-1956), connu surtout comme homme de lettres et homme politique, dirigea de nombreux journaux confessionnels ; il fut le premier à diriger le Firaketana ny fiteny sy ny zavatra malagasy (Encyclopédie des mots et choses malgaches). Radley (1864-1935), lui, était missionnaire, un professeur érudit, ami et formateur de jeunes. 2. « Le genre de la tragi-comédie se caractérisait, selon la définition qu’en propose R. Guichemerre, par une action souvent complexe, volontiers spectaculaire, parfois détendue par des intermèdes plaisants, où des personnages de rang princier ou nobiliaire voient leur amour ou leur raison de vivre mis en péril par des obstacles qui disparaîtront heureusement au dénouement »(cité par Couprie 1986 : 6). 3. Actuellement, la Slavonie, région de l’Est de la Croatie, entre la Save et Drave. 4. Édition présentée et expliquée par Évelyne Amon. 5. FFPM : Fiombonan’ny fiangonana protestanta eto Madagasikara (Union des églises protestantes à Madagascar), 4e éd., Antananarivo, Trano printy loterana, 1987. 6. Les habitants d’une commune ou d’un village. 7. La Sainte Bible, nouvelle version Segond revisée, Alliance biblique universelle, 1992. 8. La Bible de Segond, éd. de Genève, 1979. 9. Cadeau, en général en numéraire qu’on donne aux futurs beaux-parents.

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Un écrivain francophone méconnu : Ramambason

Solotiana Nirhy-Lanto Ramamonjisoa

1 À Madagascar, la poésie est le genre littéraire qui, le premier, a pris le chemin de la francophonie, dans les années 20, avec le poète Jean-Joseph Rabearivelo (1901-1937), poète bien connu aussi bien à Madagascar qu’à l’extérieur, puisqu’il a écrit en malgache et en français avec un égal talent. Quelques années plus tard, d’autres noms se sont fait connaître également dans cet univers francophone comme ceux de Jacques Rabemananjara (1914-2005), Flavien Ranaivo (1914-1999) ou Régis-Rajemisa Raolison (1913-1990). Ils sont tous nés au cours du premier quart du XXe siècle. Mais un nom, parmi cette même génération, reste totalement méconnu, celui de Ramambason.

L’homme

2 Originaire de Mandridrano1 par son père, le pasteur Ramambazafy, le petit Ramambason est né à Tsaravinany, en banlieue tananarivienne, le 9 octobre 1909. Issu d’une famille chrétienne, il fit ses études dans des écoles confessionnelles de la capitale, pour finir à l’École normale protestante2, en 1925. Son premier poste fut celui d’instituteur missionnaire. Il travaillait, avec ce titre, d’abord au collège protestant de Tsiafahy, non loin de la capitale et, ensuite à Ambohijatovo Nord, un des grands collèges protestants de la capitale, jusqu’en 1930. À partir de là, il fut affecté à Majunga, comme instituteur à la Mission protestante française, où il fit la connaissance d’une jeune collègue française, Jeanne Blanchard, qui devint sa femme civilement le 31 mai 1934 à Tananarive, et religieusement le 10 juin de la même année. Ce mariage fut un grand événement pour le tout Tanà, me racontait-il3, non sans fierté, car il y avait eu un cortège de 60 voitures, des demoiselles et garçons d’honneur4, chose inconnue, sinon très rare à Madagascar jusque-là. En outre, il ajoutait que leur union inaugurait le mariage mixte francomalgache dans la Grande Ile, en pleine période coloniale. Il précisait que les cérémonies nuptiales des autres couples mixtes qui vivaient à Madagascar à l’époque ne s’étaient pas déroulées sur place. Ainsi, citait-il le nom de Claude Ranarivelo, le célèbre opticien de la capitale, comme étant le premier Malgache

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à épouser une Française, mais qu’il avait ramenée de Marseille, et le deuxième, Ratiavera, un instituteur dans le sud de l’ile, à Fort-Dauphin, qui avait épousé, une missionnaire américaine, avant de venir s’installer à Madagascar — le nom de Ratiavera, américanisé par la suite, serait devenu Rateaver.

3 Les missionnaires protestants n’approuvèrent pas son mariage, par pur racisme, selon sa conviction personnelle. D’ailleurs, il ne pouvait pas oublier, après un peu moins de soixante ans plus tard, une petite phrase, fortement significative, lancée à son encontre pour cette occasion précise : « Vous n’aurez pas l’église d’Andohalo »5. Depuis, les attitudes de « ses » amis religieux vis-à-vis de lui changeaient. Aussi qualifia-t-il de disciplinaire son affectation à Mahereza, un coin perdu compris dans la province de Tananarive. Étant nouveaux venus au sein de l’établissement, les missionnaires responsables n’avaient même pas daigné le présenter à ses collègues. L’atmosphère était lourde, ce qui le poussait à prendre la décision de quitter les écoles confessionnelles.

4 Revenus à Tananarive avec sa femme, ils ouvrirent, à leur compte, une école privée d’enseignement secondaire, le Cours Jeanne Blanchard, qui se trouvait à Faravohitra de 1934 à 1936, et à Antaninandro, en face du commissariat de police, sur l’avenue Dalmond, de 1937 à 1947. Ramambason était le directeur tout en assurant des cours. Le démarrage n’était pas facile. Les cours étaient, pour la plupart, assurés par des parents d’élèves. Sur ce point, il n’avait fait que suivre l’exemple de son frère aîné, Lucien Rakoto Ramambason qui, également instituteur privé, était parmi les premiers promoteurs des établissements d’enseignement libre, non confessionnels, de Tananarive.

5 Contrairement à ce frère, décédé à la suite d’une noyade, Ramambason n’avait pas de prénom. Cependant, certaines de ses toutes premières œuvres, celles des années 30, furent signées D.R ou carrément Ramambason Daniel. C’est un prénom de baptême, avait-il expliqué, dont il avait par la suite abandonné le port. Père de quatre enfants, Ramambason, quand je l’ai rencontré, avait dix petits-enfants, dont cinq garçons et cinq filles.

6 Pour des raisons politiques, avec sa petite famille, il dut quitter Madagascar pour s’installer en France, au début de l’année 1949.

7 En l’interviewant en 1992, Ramambason révéla une légende ancestrale relative à ses origines. Ses amis le surnommaient Voltaire, parce qu’il descendait de « Ingahy Mamba maniry volotara » (Monsieur le Crocodile au dos où poussent des roseaux), de Mandridrano. C’est le mot malgache volotara (roseaux) qui est donc transformé en Voltaire. J’ai pu deviner à l’expression de ses traits que le surnom ne lui déplaisait pas du tout. Il voyait probablement à travers ce philosophe, poète et à la fois ennemi du groupe régnant, son propre parcours d’écrivain et de militant. Les écrits satiriques contre le Régent ou les propos malencontreux envers le Chevalier de Rohan, n’avaient- ils pas valu à Voltaire plus d’un séjour à la Bastille ou plus d’un exil, souvent à l’extérieur de son pays ?

8 Par ailleurs, le crocodile a une double image, négative et positive, dans la croyance populaire malgache. Les contes l’évoquent souvent comme un personnage fourbe et impitoyable. Dans certaines régions, il est sacré parce qu’il représente le grand ancêtre. C’est le cas de la famille de Ramambason. Être descendant de Ingahy Mamba maniry volotara est non seulement une fierté, mais aussi un honneur dans la mesure où la présence des roseaux indique la grande vieillesse et surtout la force de l’esprit du

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crocodile. Ce grand ancêtre est censé avoir transmis à ses descendants la sagesse et les expériences acquises durant cette longue vie. Ce qui leur accorde une certaine notoriété.

9 Quand il fut admis à la retraite en 1974, il occupait un poste dans les services du Premier ministre, rue Oudinot, depuis 1964. Auparavant, à partir du mois de juin 1949, il fut recruté comme rédacteur contractuel en service à la Délégation de Madagascar. Promu au grade d’administrateur adjoint de la France d’outre-mer, pour compter du 1er janvier 1958, à la suite de la politique d’africanisation des cadres, il obtint un poste à l’ambassade de Madagascar, sise au Boulevard Suchet, à partir de 1961, tout en étant toujours en service à la Délégation. Remis à la disposition de la France, à la suite de son nouveau statut de citoyen français, après le recouvrement de l’indépendance de Madagascar en 1960, il dut intégrer l’administration française.

L’homme politique

10 Ramambason est surtout connu du milieu politique malgache par le biais de ses activités politiques à partir de l’année 1946. Son nom figurait souvent dans les journaux locaux, en particulier dans la presse nationaliste. En fait, bénéficiant de l’ambiance libérale, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, les Malgaches pouvaient participer aux affaires politiques du pays, par suite de l’acquisition de la liberté de presse, de l’instauration de la liberté d’association et de réunion, comme dans toutes les autres colonies françaises. Deux grands partis se créaient alors, le Parti des déshérités de Madagascar (PADESM) qui vit le jour au mois de juillet de l’année 1946 (Randriamaro 1997). Ramambason en fut le secrétaire général et également le directeur du journal Voromahery (Faucon), l’organe de son parti.

11 En cette période de l’après-guerre où les colonies se préparaient à revendiquer leurs indépendances, le PADESM réclamait le statu quo colonial pour des raisons socio- politiques. À en croire son secrétaire général, cette position concordait parfaitement avec le motif de création du parti. Il expliquait la naissance du parti par rapport à un projet qui circulait à Madagascar, celui de rétablir la monarchie. Et, d’après le bruit qui courait, le retour du gouverneur général Marcel de Coppet dans la Grande Île, au mois de mars 1946, y était même pour quelque chose. La conclusion fut vite tirée : créer un parti pour défendre les intérêts des plus faibles, les « déshérités », de l’époque précoloniale et leurs descendants, se révélait être de toute urgence. Plusieurs lectures peuvent être faites de cette explication.

12 Déjà, ce qu’il entend par « rétablir la monarchie » ne serait pas sans lien avec la fondation au mois de février 1946 du Mouvement démocratique de rénovation malgache (MDRM), le deuxième grand parti du moment avec le PADESM. En effet, contrairement au parti de Ramambason, ce mouvement, considéré comme hostile aux « déshérités » et privilégiant les Merina, les originaires de la région de Tananarive, revendiquait l’indépendance. Or, une telle éventualité favoriserait une nouvelle fois, comme au temps des rois, les originaires des Hautes Terres centrales, selon la thèse PADESM. Les deux camps s’affrontaient alors par le biais de leurs journaux porte-parole respectifs, ce qui projetait Ramambason sur le devant de la scène politique.

13 L’explication, sous un autre angle, résume parfaitement le vécu ambigu du PADESM. En fait, dès sa naissance, il fut proclamé apolitique, ne s’occupant que d’action sociale et économique, comme il était stipulé dans l’article premier de son statut, et qui était

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repris plusieurs fois dans le journal Voromahery. Et pourtant, même en ne nous référant que sur ce qui est dit sur De Coppet plus haut, il mène un combat politique en ouvrant l’œil sur le supposé programme du pouvoir. De même, le sous-titre en français qui figurait sur le journal, « Organe central de défense du Parti des déshérités de Madagascar », suivi de sa traduction en malgache, « Gazetin’ny firaisan’ny Maintienindreny sy ny karazany ary ny Tanindrana rehetra eto Madagascar », s’appuyait sur le mot firaisana (union), pour prouver qu’il ne s’agissait nullement d’un parti politique, mais d’une association. Sur la carte de membre, aucune traduction en malgache n’était faite : « PARTI DES DÉSHÉRITÉS DE MADAGASCAR (PADESM) – Côtiers, Maintienindreny & Assimilés »6. Le terme « parti » en malgache n’a qu’une seule traduction « antoko (pôlitika) ». Par le biais de son journal, après plusieurs mois d’ambiguïté, Ramambason finit par admettre les activités politiques du parti.

14 Dernière lecture, par ces propos explicatifs, le secrétaire général du parti tient toujours le même langage quant à l’inexistence d’une éventuelle participation du pouvoir colonial dans la création et le financement du PADESM. Il a été créé dans le but d’aider les plus démunis sans l’ombre d’un quelconque pacte de collaboration, comme beaucoup le prétendaient !

15 Parallèlement, rappelons-nous l’ambiance chrétienne dans laquelle a vécu Ramambason au milieu de sa famille. Le métier de pasteur du père influençait beaucoup la vie des enfants, car Ramambason fut, lui aussi, un prédicateur, tout comme son frère aîné. Il dactylographiait presque tous ses sermons qui comptaient près d’une cinquantaine. Eu égard à son enthousiasme, on pourrait croire qu’il se battait, par ses activités au sein de l’Église, pour la justice recommandée dans la Bible. De plus, il entreprit, en 1933, la traduction en malgache de l’œuvre du pasteur Charles Wagner (1852-1918), intitulée Vaillance, qui prône, entre autres, la justice au sein de l’humanité. Ainsi, mises à part les considérations politiques, on ne peut pas ignorer l’effet de cette philosophie religieuse au moment de la conception du PADESM. Le groupe statutaire mainty, entendu au sens de descendants d’esclaves des particuliers, auquel il appartient, de surcroît, l’a aidé à bien comprendre le sort réservé à cette couche7. Nulle part, ce groupe ne fut désigné clairement dans la définition des « déshérités », certes, mais, il s’insérait parmi ce que le parti définit par « Assimilés ». Si le PADESM n’était donc pas favorable à la revendication de l’indépendance immédiate, c’est parce qu’il était convaincu que l’injustice sociale, qui continuait subrepticement à sous-tendre le rapport déshérités / non déshérités entre les Malgaches, se transformera sans conteste en injustice politique. Mais cet amour de la justice, par la voie duquel il pensait pouvoir rattraper les handicaps historiques, était parfois manipulé par l’administration.

16 Ramambason n’avait rien oublié des problèmes politiques qu’il avait vécus un peu moins d’un demi-siècle auparavant ! Il me confia, non sans amertume, qu’il n’avait plus revu « sa » Grande Île, depuis son départ en 1949. Ce sera pour lui un « exil »pour toute la vie. À l’entendre, en cette année 1992, ses seuls souvenirs du pays se résumaient à des ennuis politiques.

17 La concrétisation du départ en France ne fut pas sans difficulté. Paradoxalement, la disparition du MDRM, accusé d’être le grand instigateur de la révolte armée déclenchée dans la nuit du 29 au 30 mars 1947, ne fut pas à l’avantage du PADESM. Le pouvoir colonial, dont ce dernier fut le principal et le seul allié parmi les partis locaux8, le lâchait visiblement. Était-il alors contraint de partir à cause de la politique de rétablissement de la confiance à travers l’île préconisée par le nouveau Haut-

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Commissaire Pierre de Chevigné, arrivé à Tananarive en janvier 1948 : rétablir non seulement la confiance franco-malgache, mais aussi malgacho-malgache ? Si c’était le cas, il serait donc « invité » à partir, et il ne devrait pas se charger tout seul des dépenses y afférentes. Dans le cas contraire, le départ aurait été décidé par le comité central du parti, car, parallèlement à la situation politique locale, des contradictions internes sérieuses secouèrent le parti. Entre autres raisons, la légitimité de dirigeant fut contestée à Ramambason par certains membres de par son origine non côtière.

18 Quoi qu’il en soit, une chose est certaine : le voyage se trouvait déjà au centre des préoccupations des personnalités PADESM, à en croire une correspondance privée, datée du 20 mai 1948, entre l’intéressé et Antoine Zafimahova9, président de la section de Farafangana (sud-est de l’île) et secrétaire général adjoint du parti. Il y était évoqué clairement que le départ du secrétaire général fut à l’initiative du parti, et que M. Zafimahova en trouvera coûte que coûte les moyens financiers nécessaires. La question sera à l’ordre du jour, avait-il conclu, de la réunion du conseil d’administration de juillet. Finalement, l’administration locale de Madagascar lui avait payé le voyage en février 1949.

19 Mais il ne faut pas se leurrer, car cela ne veut pas dire que son installation en France, avec sa petite famille, sera facile. Il dut attendre des mois avant d’être logé à la Maison de Madagascar, sise au boulevard Arago, dans le 13e arrondissement, et d’être recruté par la Délégation de Madagascar.

L’homme de lettres

20 Contrairement à son état d’homme politique, on connaît très peu de choses sur Ramambason écrivain. À l’exception de ceux qui lisaient le journal Voromahery, que beaucoup de Malgaches réprouvaient10, personne n’avait connaissance de son talent de poète. Il ne diffère pas en cela de ses pairs qui ne disposait que de la presse comme moyen de diffusion de leurs œuvres. Mais, en ce qui le concerne particulièrement, son choix d’écrire en français ne jouait pas en sa faveur. En effet, quand les premières anthologies de littérature parurent aux premières lueurs de l’indépendance, grâce aux professeurs Prosper Rajaobelina (1958) et Siméon Rajaona (1961), les œuvres de Ramambason, comme toutes celles d’expression française, n’avaient aucune chance d’y figurer. Nées à l’issue d’un long travail de dépouillement de milliers de journaux locaux, elles ne s’intéressaient qu’aux productions en langue malgache. L’urgence à ce moment précis fut la réhabilitation de la personnalité nationale. Néanmoins, il est à remarquer que même, plus tard, aucun chercheur travaillant sur la littérature malgache francophone ne mentionnait son nom. La raison pourrait être liée au fait que l’accès aux journaux, au fil des ans, est devenu très difficile, son support matériel étant fragile.

21 Quoi qu’il en soit, je pense que l’œuvre de ce poète mérite d’être intégrée dans notre littérature nationale. Il n’est pas juste de passer sous silence des créations dont les qualités littéraires sont incontestables. Si on les ignorait délibérément à cause des anciennes activités politiques de l’auteur, ce serait le pire des choses ; c’est comme si, en France, on devait brûler les œuvres de Céline ou de Drieu La Rochelle parce qu’ils étaient des collaborateurs.

22 Il prit sa plume pour les poèmes à partir de 1945. Il me confia de vive voix que la poésie était son riz quotidien, mais afin de bien maîtriser son talent d’écrivain francophone, il

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devait avoir recours au Traité de l’art des vers d’Auguste Dorchain (1857-1930). Il a laissé un recueil tapuscrit inédit d’une quarantaine de poèmes, intitulé Rythmes et Synthèses, signé Jean Blanchard (version masculine du nom de son épouse). Il avait beaucoup de projets en ce qui concerne la littérature. Pour cela, un essai de versification, en malgache, a été élaboré et un dictionnaire des rimes confectionné. Par ailleurs, il avait l’intention de publier dans une collection qu’il créerait lui-même, « Ny soa fianatra, ny tsara faka tahaka » (ce qui est bien est à retenir, ce qui est bon est à imiter), les sept œuvres majeures de Charles Wagner.

23 Malheureusement, il n’arrivait à publier aucun de ses travaux, mis à part les quelques poèmes parus dans le journal Voromahery.

24 Avant d’être poète, Ramambason fut un prédicateur, comme je le disais plus haut. Sa conviction religieuse va se refléter non seulement dans sa décision de traduire les oeuvres du pasteur Wagner, mais encore à travers ses poèmes. En réalité, ses poèmes sont visiblement le fruit d’une longue méditation et d’une sérieuse documentation historique et biblique. La poésie « ramambasonienne », de ce fait, est forcément réfléchie et philosophique. Constatons ce choix d’écriture par cet extrait de Ecce homo11 : « Voici l’homme énergique et droit qui sut rester Invaincu jusqu’au bout. Reniant la défaite, Visionnaire lucide doublé d’un prophète, Épris du feu sacré d’Honneur, de Liberté, Ce héros obstiné, contre cette conquête Humiliante et dure, lutte seul et fort, Arrêtant cet affreux désarroi qui, alors Ravageait. De sa voix, malgré vents et tempêtes, Leva-t-il de partout, pour venger tous nos morts, Et traquer l’ennemi, une armée innombrable : Soldats sans uniforme, mais que rien n’accable, Digne du Chef génial les guidant du dehors ! … …

25 Les références tirées de l’Évangile et de l’histoire de France pour composer ce poème, en hommage au général de Gaulle, sont minutieusement étudiées. Le titre, Ecce homo, comme nous le savons, reprend les mots prononcés par Ponce Pilate en présentant Jésus, couronné d’épines, aux Juifs. Plus parlant encore est le pouvoir de la « voix », pour ne citer que deux exemples : une similitude entre les paroles de Jésus quand il était avec ses disciples afin d’apaiser la mer (s. 2, v. 4 : « … … malgré vents et tempêtes ») et l’appel du général aux Français à partir de l’Angleterre (s. 3, v. 4 : « … … les guidant du dehors »). Par ailleurs, la philosophie du bon guerrier et celle de la fraternité à l’échelle planétaire sont expressément recherchées à travers l’œuvre.

26 À y bien réfléchir, on peut affirmer sans ambages que Ramambason mettait son art au service d’une cause. Malgré son amour de la poésie, le grand débat relatif à la notion de poésie pure dans l’univers des lettres en France, au début des années 20 jusqu’au moment de la Résistance, semblait ne pas l’atteindre du tout. Or, il se tenait constamment au courant de la vie littéraire française, mais il préférait se situer à l’opposé du mouvement surréaliste, défenseur de la poésie pure et dont les idées étaient encore présentes à son époque. Ainsi, à l’encontre de Tristan Tzara, la poésie, pour lui, est plutôt un « moyen d’expression » qu’une « activité de l’esprit ». Eu égard à la définition courante du terme « engagement » dans le monde des lettres, il est permis d’avancer que Ramambason est un poète engagé. Il produirait, dans ce cas, de la poésie engagée, c’est-à-dire de la poésie qui prend position sur les événements politiques ou

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sociaux. Cette notion a fait sa véritable entrée dans l’univers littéraire à la fin de la Première Guerre mondiale, au moment où Ramambason se lança dans l’écriture de poèmes. L’usage en a réduit, certes, le champ sémantique à la seule connotation politique, mais apparemment, il ne s’y est pas laissé entraîner. Sa position se confondrait avec celle qui est adoptée pour la création du PADESM, laquelle est de revendiquer « la part de soleil qui revient aux déshérités ». Une cause humanitaire ! Donc, il ne s’agit nullement d’une poésie dirigée puisqu’en aucun moment elle ne prend la défense d’une cause du point de vue politique. En outre, la lutte qu’il mène est loin d’être limitée dans le temps et dans l’espace, elle est valable à tout moment et s’étend à tous les opprimés, tous les malheureux de la planète : … … Car ce monde aveugle est injuste, et l’Innocent, S’il est pauvre, y pâtit, quoique pur et honnête : Tout lui est refusé du ton le plus cassant ! Sauras-tu, Malheureux, jusqu’au bout, tenir tête Au terrible ouragan qui sur toi s’abattra Déchaîné ? Tu es pauvre, et qui donc t’aidera ?12

27 L’engagement de Ramambason n’est pas sans rappeler la définition qu’en donnent André Billy et Jean-Paul Sartre (1945) et que ce dernier résumait déjà en ces termes lors de la présentation du premier numéro de la revue littéraire Les Temps modernes13 : « … … [La revue] prendra position dans chaque cas, à propos des événements politiques et sociaux, mais… … elle ne le fera pas politiquement, c’est-à-dire qu’elle ne servira aucun parti » (dans Gaucheron 1991 : 241).

28 En lisant le poème In memoriam14, au bas duquel furent gravés ces mots : « A la mémoire de tous mes camarades du PADESM massacrés par le MDRM pendant la rébellion déclenchée le 29 mars 1947 », l’on s’attendrait à un texte virulent, plein de haine, mais il n’en fut rien. L’auteur relatait, certes, des actes atroces et barbares sans nommer les acteurs, mais fidèle à sa quête d’amour, de fraternité et de justice entre les hommes, la dernière strophe rejetait littéralement d’éventuels sentiments rancuniers envers l’adversaire : … … Sans rancune, pourtant ! (Ce serait une tache à cette piété qui permet le pardon !) Sans rancune et sans haine, apprenons, ô Malgaches, À vénérer ces morts ! À compléter leur don Par la fidélité : Tâchons que leur mémoire Unisse tous nos cœurs et reste dans l’Histoire !

29 Le ton déchiré et parfois emporté perçu à travers le poème n’aboutit pas jusqu’à la violence. Pour preuve, l’extrait ci-dessus ne témoigne-t-il pas plutôt d’un certain lyrisme poétique ?

À propos du recueil Rythmes et Synthèses

30 Ce florilège, signé Jean Blanchard, comporte exactement quarante poèmes, en se référant aux titres relevés sur la table des matières. Les poèmes qui y figurent sont écrits entre les années 1945 et 1946. Mais quelques poèmes composés entre 1948 et 1958, signés Ramambason, n’y apparaissent pas bien que l’auteur ait inscrit le nom du recueil au bas de chaque texte. Il avait certainement l’intention de les intégrer dans Rythmes et Synthèses, mais le travail malheureusement était resté inachevé, faute de temps, de disponibilité ou d’autres raisons. Il vivait déjà en France à l’époque.

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31 Le recueil est divisé en sept parties, de longueurs inégales, selon le thème traité : I. Gratitude (4 poèmes) II. Autour de la victoire (5 poèmes) III. Credo (15 poèmes) IV. Angoisse (8 poèmes) V. Contemplations (5 poèmes) VI. Le poète (6 poèmes) VII. Au lecteur (1 poème)

32 Le nombre de poèmes si limité pour la première et la dernière parties peut s’expliquer selon une certaine organisation technique adoptée par l’auteur. Il n’a prévu ni un préliminaire ni un texte conclusif pour son ouvrage. En revanche, les quatre poèmes sous la rubrique Gratitude pourraient bien jouer le rôle de textes de remerciements et d’introduction. Le premier, intitulé « Dédicace », était conçu à l’allure d’un message personnel de témoignage de reconnaissance. Le poète y rendait hommage, effectivement, à tous ceux qui l’avaient formé intellectuellement, spirituellement et moralement. Dans les trois autres, fut énoncé le motif de la conception du recueil. Il y était dit expressément qu’avec la foi et la bonté de Dieu, les injustices de toutes sortes pourraient être éradiquées sur terre. L’on se croirait en face de la problématique posée par la philosophie du Mal. Les cinq parties suivantes (II à VI) se concevraient conséquemment comme le développement de cet objet d’études. La lecture des poèmes les composant, en effet, fait apparaître une subdivision extraordinaire en trois groupes. Les principes et les causes du Mal sont décrits dans le premier groupe rassemblant les parties II et III (Autour de la victoire ; Credo). Ils découlent, selon la théorie avancée par l’auteur, de la perversité humaine, comme la guerre, l’appât du gain, l’égoïsme, etc. Mais, la partie IV (Angoisse), qui forme la deuxième subdivision, soutient que l’ordre établi est à l’origine du problème du Mal dans le monde. Si c’était le cas, la misère de l’homme serait inhérente à l’existence : elle serait éternelle. L’homme serait voué à vivre dans un univers injuste : Mais que pourras-tu donc, dis-moi, que pourras-tu Contre les privilèges acquis que consacre L’ordre établi, cet ordre qui s’opiniâtre À ne favoriser que les mêmes ? Battu….15 … …

33 Le moyen d’y remédier est offert dans le dernier groupe, les parties V et VI (Contemplations ; Le Poète). Le bonheur sur terre dépend de soi-même, c’est-à-dire qu’il faut prendre son mal avec philosophie et savoir relativiser voire positiver les coups du sort. En outre, à l’instar du poète, espérer est la règle à suivre. En s’appuyant sur la magie du verbe, il transforme ses rêves en réalité, ses sanglots en chants d’espoir.

34 Eu égard à la présentation de l’œuvre, l’idée de Ramambason pour ce recueil n’était pas simplement d’offrir des morceaux choisis de poésie. Il défendait une cause selon la méthode de raisonnement scientifique reposant sur les trois parties classiques que sont la thèse, l’antithèse et la synthèse. Pour clore son travail, la conclusion fut concrétisée par un seul poème, au même intitulé que la rubrique sous laquelle il fut inséré : « Au lecteur ». Il y fait appel à la compassion du lecteur en l’invitant à ne pas perdre de vue la vérité sur le monde, ce lieu où « voisinent les anges et les démons16 ». À partir de là, chaque lecteur peut interpréter à sa façon le sens du titre Rythmes et Synthèses retenu par l’auteur.

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35 Très souvent, sous la plume du poète engagé malgache, le thème de l’amour amoureux et celui de l’engagement s’entremêlent. Procédé qui n’est pas étranger aux autres poètes résistants d’ailleurs. Ainsi, l’absence totale de poèmes d’amour dans l’ouvrage de Ramambason le place à l’opposé des poètes engagés francophones de sa génération. C’est que l’orientation de leur engagement visiblement ne va pas dans la même direction.

36 Jacques Rabemananjara peut être considéré comme le chef de file de la poésie malgache engagée francophone. Élu député, soutenu par le MDRM, aux élections législatives de 1946, ses oeuvres ne peuvent s’inscrire que dans la mouvance anticolonialiste. Naturellement, le patriotisme se trouve en amont de son engagement. Animés par les mêmes sentiments patriotiques que les poètes de la Négritude, ensemble ils évoquèrent la patrie en la comparant à la femme aimée. Écrire des poèmes d’amour était, pour eux, la meilleure façon d’extérioriser leur attachement à leurs pays respectifs. Or, à l’encontre des productions poétiques de ces écrivains, contestataires quant à la présence coloniale, Rythmes et Synthèses se distinguent par l’inexistence de toute exaltation patriotique. En fait, le contraire s’avère incompatible avec la position politique de son auteur, puisque d’une part, la revendication de l’indépendance est jugée encore inopportune pour l’heure ; d’autre part, il faut d’abord résoudre le problème de déséquilibre régional qui favoriserait la population des Hautes Terres centrales. Cependant, il ne pouvait pas non plus mettre en vers sa reconnaissance à l’égard de la colonisation, bien qu’elle soit vécue par le parti comme étant la puissance libératrice des « déshérités » à Madagascar. Le sentiment national de Ramambason ne le lui permettrait pas. Ce qui explique l’universalité de la poésie « ramambasonienne ». Écrite ou lue sous d’autres cieux, elle devient un cri de lutte au nom de tous les opprimés du monde. C’est sa manière de manifester son patriotisme, il faut l’avouer, même si sa vision du monde est différente de la nôtre.

Le choix de langue

37 Je n’ai pas posé explicitement à l’auteur de Rythmes et synthèses la question relative à son choix de langue. Mais composer en français paraît être un des points caractéristiques des écrivains dirigeants du PADESM. Quelques oeuvres publiées dans Voromahery signées J. Rainimanga ou Jean Bedel sont en langue malgache. Elles sont politiquement plus engagées et plus directes dans leurs discours discriminants entre la population merina et celle des régions côtières.

38 De toutes les créations, celles de Ramambason restent les plus intéressantes. En tenant compte du contexte, la décision du secrétaire général du parti de réaliser ce recueil en français relèverait d’abord de sa position politique. On pourrait même aller plus loin et penser à un refus délibéré d’utiliser la langue malgache qui, depuis la colonisation, se confond avec la langue régionale merina. On peut donc l’interpréter comme un refus de cautionner cette position coloniale. Son choix, du reste, est loin d’entrer en contradiction avec sa volonté de donner aux « déshérités » la place qui leur revient au sein de la grande famille de la nation, volonté qui ne revendique que la justice.

39 Toutefois, l’utilisation du français comme langue d’expression poétique n’est pas l’apanage des seuls « alliés » du pouvoir. Bien qu’il connaisse parfaitement des poésies orales de la côte est de Madagascar, les jijy ou les sôva, Jacques Rabemananjara n’a produit que dans la langue de Molière17. Il faut remarquer que ces deux poètes n’ont pas

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été formés par le même cadre éducationnel. Ramambason a été forgé par des écoles confessionnelles protestantes, lesquelles accordaient une place significative à l’enseignement du malgache. Rabemananjara, par contre, a été dans des établissements catholiques, qui, comme on le sait, privilégiaient le français. Définir de façon stricte le choix de langue d’un écrivain n’est donc pas évident.

Illustrations poétiques

40 Je voudrais terminer par des illustrations poétiques, qui pourraient nous aider à mieux faire connaissance avec cet écrivain francophone méconnu aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Grande Île.

41 Pour les amoureux de la langue de Shakespeare, il a traduit en anglais une de ses œuvres : Oh ! nuit muette. Preuve de sa culture générale, mais surtout de l’influence de la mission protestante anglaise : Oh ! nuit muette… ! Oh ! nuit muette et morne, Pourquoi donc ton silence ? N’entends-tu pas ces cris S’élevant de partout Et cette angoisse immense Qui sur l’homme s’abat Et l’étreint et l’étouffe ? Ne vois-tu pas, ô ! nuit, — Qui scintilles pourtant De mille et mille feux Lointains et inconnus, — Ne vois-tu pas ce monde Si immonde et si bas Que ton voile pudique N’enveloppe qu’à moitié ? Car d’ici et de là, Du levant au couchant, La misère au visage, au visage Atroce et dur, Ricane et bafoue, Écrasant, fouaillant L’homme étonné Et impuissant ! Oh ! nuit ! Car d’ici et de là, Fouaillant, écrasant, Jusqu’au sang, jusqu’aux os, Impassible et superbe, L’égoïsme imbécile Et féroce, oh ! combien, — Se repaît des tourments De l’humanité maudite. Du levant au couchant, L’hydre aux cent têtes, L’ignorance tenace … Se refuse à céder Du terrain et règne et règne Encore et toujours,

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En dépit des efforts Du Sisyphe éternel Qui se leurre : il s’acharne, Se dépense et s’efforce, Mais, toujours et toujours, Il échoue et demeure Incapable d’atteindre Jamais la lumière Entrevue dans son rêve Éternel ! Oh ! nuit ! Car de-ci et delà, Le vois-tu ? il échoue ! Du levant au couchant, L’entends-tu ? il échoue ! Des échecs lamentables Le guettent au tournant Des sentiers prometteurs Où s’engagent ses pas Les plus hardis : échecs Décevants et fréquents ! Oh ! nuit de silence, Étouffante et si morne ! Pourquoi donc te tais-tu ? Pourquoi donc, oui pourquoi ? Oh ! Silence ! Oh ! Mystère ! New Delhi, 27.XI.56 Ramambason (Rythmes et Synthèses) Oh! silent night! Oh! silent and gloomy night! Why keepest thou dumb? Doest thou not hear those screams Arising from everywhere And this immense pang Hiting upon mankind Grasping and stifling it? Doest thou not see, ô! night! Which still twinklest Lights by the thousands Remote and unknown, Does thou not notice world So filthy and so vile That thy decency veil Cannot hide thoroughly? For here and there, From East to West, Poverty, with his face Frightful and hard, Sneering and scoffing at, Crushes and whips Man astound, so powerless! Oh! night! For here and there, Whipping and crushing, Untill blood, to the bone, Unmoved and haughty,

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Mad selfishness, — So wild, so wildly! Is fading on torments Of mankind doomed! From East to West, This hundred headed monster, The obstinate ignorance, … Refusing to give way, Rules and rules Ever and ever, Spite all endeavours Of everlasting Sisyphus Who is luring himself: He persists, spending, striving, ut for ever and ever He fails and pauses Unable to reach Never the light, Dreams so vague, So eternal! Oh! night! For here and there, Doest thou note? He is failing! From East to West, Doest thou hear? He is failing! À woeful failure Watches at the turn where His steps boldly Mark the path: Failure so deceiving And so repeating! Oh! night of silence, So stifling and so gloomy Why keepest thou dumb? Why? Why indeed? Oh! Silence! Oh! Mystery New Delhi, 27.XI.56 (Translated from French) Ramambason (Rythmes et Synthèses)

42 Le poème qui va suivre ne figure ni sur la table des matières ni dans le recueil. En 1956, Ramambason assistait à la 19e Conférence générale de l’UNESCO, à New Delhi, à la place de Léopold Sédar Senghor, représentant officiel de l’Afrique et de Madagascar. À l’issue de ce voyage, il a rendu hommage, deux ans après, au patriote hindou Mahatma Gandhi (1869-1948), qui lutta en faveur de l’indépendance de son pays. La philosophie de la non-violence que ce dernier affectionnait lui convenait bien. Ce qui explique le titre choisi pour cette poésie qui lui est dédiée : « A un ami disparu », mais qu’il a remplacé plus tard par : « Sur la tombe de Gandhi »18 : Philosophe éprouvé, pénétré du devoir Et de l’immensité de la tâche du jour, Il n’est plus rien, hélas, Que poussière Noire ! Le Néant,

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Dont un temps il nargua La puissance aveugle et inouïe, L’a repris pour le mettre où Dieu sait : Dans l’oubli ! Oh ! misère du destin d’ici-bas ! Oh ! chimère éphémère De la vie D’homme ! Ramambason (Rythmes et Synthèses) Paris, 29.01.58

43 Mettre le recueil à la disposition du lecteur à l’heure actuelle demande encore beaucoup de travail et de temps. Aussi, n’est-il pas superflu de donner ici un ou deux textes représentatifs, selon le cas, pour chacune des sept parties qui le composent.

Gratitude

Hommage aux Missionnaires Il est des hommes sur la terre Qui s’en vont loin, Mais que le prurit des affaires Ne touche point : Nul appétit vorace De gain ne les tracasse. Ils vont, abandonnant repos, Mère et patrie, Vers des pays où des drapeaux D’idolâtrie Tenaces sont hissés Sur des morts entassés. Il est des hommes dans le monde Qui vont là-bas Au loin. L’ombre immense est profonde, Mais jamais las, Chantant, ils lui résistent Dans ces pays si tristes. Ils vont et luttent chaque jour, Et la souffrance Ayant régné tout alentour, Et l’ignorance, Toujours s’affaiblissant Sous leur effort puissant, Et les fléaux de toutes sortes, Tremblent de peur En pressentant que ce que portent En eux ces cœurs Vaillants mettra en pièces Leurs noires forteresses. Nul ne sait, nul ne peut entendre Tout ce qu’ils ont Au fond du coeur, ou bien comprendre Pourquoi ils vont, Si l’on est sans connaître Ce que l’homme peut être. L’homme est-il un simple robot ? Est-il sans âme ?

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N’y a-t-il pour lui rien de plus beau Que l’or, la femme, Le vin ou le pouvoir ? N’a-t-il pas des devoirs Impérieux, sacrés et nobles ? Et c’est pourquoi, Dans les bouges les plus ignobles, Vivant de Foi, Prêchant l’Amour céleste, Ces hommes vont et… restent. Ils restent, s’usant à la tâche, Pour le païen ; Ils s’usent faisant d’un Malgache Un bon chrétien ; Le terme de leur vie Est bien digne d’envie. Ils sont les hommes clairvoyants Dont les richesses Ne sont que pour les seuls croyants, Et ce qu’ils laissent Ne saurait s’acheter : Amour, Éternité. 24.04.45

44 « Que sont-ils venus faire ici ? » est d’abord le titre choisi par l’auteur avant de devenir « Hommage aux Missionnaires ». L’emprise du christianisme sur l’auteur ne laisse aucun doute. Il ne devrait exister que des peuples chrétiens sur terre, d’après le poème. Toute religion en dehors du christianisme est considérée comme un fléau. La vision de monde du poète est très tendancieuse jusqu’à affirmer que seule la foi chrétienne peut conduire l’humanité au bonheur. Ses idées épousent parfaitement celles des missionnaires qui ne croient à la réussite de l’évangélisation qu’en passant par la scolarisation. En outre, il bannit, de toute évidence, la culture traditionnelle reposant sur le culte des ancêtres.

Autour de la victoire

Vogue en ton arche, Humanité ! Vogue en ton arche, Humanité ! Vogue, sublime vanité ! Ah ! Vogue toujours vers ces rives Peut-être lointaines où vivent Cependant, hors de ces flots noirs, Nos messagers, les grands espoirs. Du Mal ayant régné en maître Sur toute chose et sur tout être, Du Mal qui a tout torturé, Le déluge ne sut durer Et ne couvrira plus la terre D’effroi, de sang et de misère. Il va, confus, se retirant Devant le Bien tout triomphant. Voici que les cimes émergent : La Liberté aux lignes vierges, Le début d’une juste paix, Le Droit souverain à jamais. Bientôt l’Esprit au souffle immense Balaiera toute résistance

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Du Mal (qui baisse de niveau), Au développement nouveau De la félicité de l’homme. Bientôt renaîtra, de Sodome Punie et détruite, l’Éden Retrouvé. Un beau spécimen Nouveau de l’arbre de la vie Y fleurira loin de l’envie. Bientôt tout va renaître encor, Bientôt reviendra l’âge d’or. Vogue, génération nouvelle, Vers ces rives que te révèle Ta foi dans le Bien absolu. Vogue d’un élan résolu Vers le Beau, et de ton refuge, Du Mal, vois finir le déluge. 22.04.45

45 Ramambason, dans ce poème, définit le monde, la vie sur terre, à l’image de Sodome telle que la Bible la relate. Les principes et les causes du Mal se laissent ainsi deviner facilement : la luxure et la corruption. La thèse soutenue par l’auteur qui pose l’homme lui-même à la source de toutes ses infortunes s’y profile. Elle sera encore beaucoup plus précisée dans le texte qui suit :

Credo

Sus à la bêtise Comme le monde est laid, quand on s’y penche un peu ! Que la mesquinerie et la bêtise y règnent, En dehors de la clique enrichie on ne peut Rien avoir dans des lieux aux brillantes enseignes ! Autre part, pour pouvoir pénétrer dans l’endroit Où l’on prêche la grâce à toute âme altérée, On se trompe, combien lourdement ! si l’on croit Se passer quelquefois d’une carte d’entrée ! C’est le droit des plus forts, des maîtres de l’Argent ; Ces repus satisfaits s’amusent, outrageant Le mérite impuissant du pauvre intelligent ! Et combien, combien donc d’ineptes calomnies Vont ici séparant des familles unies. Et certains, combien donc essuient-ils d’avanies ? Ainsi s’en va la vie en notre monde humain ! Or, notre seul salut serait dans ce chemin : « Tous frères ! Tous égaux ! Tous, la main dans la main ». 25.05.45

Angoisse

46 Cette partie s’ouvre avec un poème dont le titre : « Pourquoi ? » détruit la thèse soutenue précédemment. Elle constitue l’antithèse, puisqu’elle avance une proposition radicalement opposée quant à l’origine du Mal. L’auteur pose d’abord la question avant de donner la réponse, dans un autre poème, dans lequel il accuse l’Ordre établi (« Lutter c’est être », poème déjà cité plus haut) : Pourquoi

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Pourquoi pleut-il souvent, pourquoi donc, dans nos cœurs ? Pourquoi, souvent, pleut-il à verse dans nos âmes Où la mélancolie aux sinistres nuages Est l’horizon blafard zébré de nos douleurs, De nos regrets, soucis, angoisses et langueurs, Qui semblent, zigzaguant, y fulgurer en flammes Horribles de terreur ? Pourquoi donc de sauvages Tempêtes soufflent-elles à grands coups de pleurs, Arrachant nos sanglots comme de pauvres feuilles, Et brisant tous nos rêves, ces chétifs roseaux Qui nous berçaient si doux ? Pourquoi, pourquoi s’écaillent Et tombent nos projets si hardis et si beaux, Sous des grêlons haineux et lâches ? Et l’orage, Pourquoi donc souffle-t-il si souvent avec rage ? 06.01.46 La réponse : Lutter, c’est être ! Mais que pourras-tu donc, dis-moi, que pourras-tu Contre les privilèges acquis que consacre L’Ordre établi, cet ordre qui s’opiniâtre À ne favoriser que les mêmes ? battu Des grands flots incessants de ces efforts têtus Mais vains de tous ceux-là que broie et que massacre Une injuste Misère, bien loin de s’abattre, Il trône idolâtré, hautain : Que pourras-tu ? Je pourrais, me dis-tu, continuer ma lutte, Supporter mon fardeau, relever de mes chutes, De mes nombreux déboires ; de mes illusions Me guérir ; je pourrais, avant de disparaître, Me griser de l’espoir de vaincre et de l’action… — mais n’aurais- tu pas tort ? — Non, car lutter c’est être ! 13.12.45

47 Ce texte qui est censé être une réplique à l’interrogation ci-dessus a été écrit trois semaines auparavant. C’est la preuve que le classement des poèmes à l’intérieur de chaque partie a été fait suivant l’objectif que s’est fixé l’auteur pour son recueil.

Contemplations

Voici le jour Voici le jour : tout se réveille, C’est le moment où la merveille S’étend partout, neuve et merveille. À l’orient tout de satin, Tout rutile et des feux superbes De diamants, parmi les herbes, Montent de la rosée en gerbes Couleur d’iris : C’est le matin. Quelle éblouissante magie ! Quel mystère et quelle harmonie ! Le concert de l’âme ravie De la nature, doux concert Au chant des anges comparable, S’élève alors et de l’étable Et du gîte et du nid, du sable, e l’eau, de chaque point de l’air.

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Les roses et toutes les plantes, Heureuses, toutes en chœur chantent Aussi de leurs voix odorantes. La gloire du jour radieux Sorti des ténèbres confuses Se célèbre en senteurs profuses, Suaves et douces, qui fusent De toutes parts à qui mieux mieux. Et l’homme trouvant sa demeure Plus belle, désire que meure En lui aussi, à la même heure, Ainsi que l’ombre de la nuit, Toute idée ou triste ou mauvaise, Tout souci comme tout malaise. Il veut que le matin apaise En lui tout trace d’ennui. 07.04.45

48 Exhorter l’homme à accepter le monde tel qu’il est, avec beaucoup de philosophie, est sans aucun doute le message poétique véhiculé ici. Cependant, c’est une position idéaliste. Ramambason lui-même l’avoue, mais elle a le mérite de faire naître dans le cœur l’espoir, comme le recommande « Le Poète », ci-dessous.

Le Poète

Chantons toujours ! Chantons toujours, allons amis, courage ! Chantons gaîment, chantons encor ! Un chant joyeux, des peines nous soulage, Un joyeux chant est un trésor. Que tous les jours un chant nouveau jaillisse De notre coeur d’espoir gonflé, Tout sera beau, tout nous sera propice, Si nous chantons sans nous lasser. Chantons ce qui fait le prix de la vie, Chantons le Bien, le Beau, le Vrai. L’idéal est seul ce qui nous délie, Nous élève et nous satisfait. 18.01.45

Au lecteur

Au lecteur J’ai voulu du monde inconnu Traduire à nouveau le langage : Ce monde si beau, mais si laid, Où vont voisinant et des anges Et de vrais démons. J’ai voulu surtout, à ton âme D’homme secourable parler, Te parler de ceux qu’on ignore Dans leur triste sort, des maudits Qui vivent d’alarmes. J’ai voulu, pour toi, recueillir Les échos nombreux qui déferlent En vagues sonores jusqu’à moi,

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Ébranlant ces cordes qui vibrent Dans mon pauvre cœur. J’ai voulu souvent, de mon âme Te parler aussi simplement : De tous mes soucis, de mes luttes, De mes chers grands rêves tombés, Des échecs sans nombre. Gauchement, parfois, j’essayais De fixer ici de fugaces Contours entrevus, de camper Des géants, héros admirables Au geste imposant. J’ai voulu verser mon obole, Apporter mon œuvre et ma part Au labeur de tous. Grain de sable A quand même aussi son emploi, Quoique minuscule. Et du fond du cœur, cher lecteur, Je te dis merci, pour ta peine Et ton temps à moi consacrés : J’ai voulu, toujours, vers la cime Grimper, m’élever avec toi. Antaninandro, 11.02.46

49 Telle est la conclusion de Ramambason sur l’étude de l’origine du Mal, développée poétiquement dans le recueil Rythmes et Synthèses. Elle se présente sous forme de propos à l’attention de tous les lecteurs. Des Propos de solidarité et de réhabilitation à l’égard « des maudits » dans ce « monde si beau, mais si laid ».

BIBLIOGRAPHIE

Sources • Recueil de cinquante sermons en malgache (doc. dactylogr. inéd.) de Ramambason. • Rythmes et synthèses (recueil inédit de quarante poèmes) de Ramambason. • Correspondances personnelles et documents d’archives administratives de Ramambason. • Entretiens avec Ramambason (1992-1993) Ouvrages cités

GAUCHERON, J., 1991, La Poésie. La Résistance, Paris, Messidor.

NIRHY-LANTO RAMAMONJISOA, S., 2001, Anthologie bilingue de littérature malgache. Jupiter, Bruno Rahaingo, Ny Malodohasa, Paris, L’Harmattan.

RAJAOBELINA, P., 1958, Lahatsoratra voafantina [Textes choisis], Tananarive, Impr. Luthérienne.

RAJAONA, S., 1961-63, Takelaka notsongaina [Pages choisies], 2 vol., I. Tononkalo (Poésie), Tananarive, Impr. Nationale ; II. Lahatsoratra tsotra (Textes en prose), Fianarantsoa, Ambozontany.

RANDRIAMARO, J.- R., 1997, PADESM et luttes politiques à Madagascar, Paris, Karthala.

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NOTES

1. Partie occidentale de l’Imerina, du côté de Soavinandriana Itasy, dans la région de l’Imamo. 2. L’ancêtre de cette école normale n’est autre que la Normal School fondée par le soin de la London Missionary Society (LMS), à l’initiative du missionnaire Richardson, en 1872. Elle fut aussi très connue sous le nom de Efapololahy (Quarante jeunes gens) puisque l’idée, au départ, était de limiter le nombre des étudiants à une quarantaine de jeunes gens séléctionnée sur concours dans tout l’Imerina. 3. J’ai eu l’occasion d’interviewer M. Rambason, dans le cadre de la préparation de ma thèse, à plusieurs reprises, tout au long de l’année 1992. 4. M. Ramambason a tenu à donner des noms, ceux de Jeanine Rahoerason et de David Ramanetaka, celui qui s’occupe du Fanorona (jeu de société traditionnel) à Tananarive depuis 1968, a-t-il ajouté. 5. Il pourrait s’agir de l’église Avaratrandohalo – souvent abrégée en Andohalo par beaucoup de gens – qui fait partie des neuf importantes églises protestantes appelées renifiangonana (églises- mères), dont les fidèles, en majorité, étaient et sont issus des milieux « privilégiés » de la capitale. Son prestige vient du fait qu’elle a été édifiée en souvenir de la maison implantée à Ambodinandohalo par la Mission de Londres, sous le règne de Radama I, afin de servir à la fois de lieu de culte et d’école. Mais l’hypothèse du Temple français protestant d’Andohalo, sous la période coloniale, avec à la tête un pasteur missionnaire protestant, n’est pas non plus à écarter. 6. Maintienindreny ou Mainty : dernier groupe statutaire dans l’ancienne hiérarchie sociale merina. 7. En fait, sous la colonisation, depuis la chute de la monarchie merina, la tendance générale fut de confondre sous une même appellation de Mainty ou Maintienindreny, les prestigieux serviteurs royaux, et les descendants d’esclaves de particuliers (andevo). C’est ce qui explique l’emploi de l’expression « Maintienindreny sy ny karazany »dans le sous-titre en malgache du journal et la traduction « Maintienindreny & Assimilés » sur la carte de membre du parti. 8. Les différentes correspondances (archives Ramambason) entre le pouvoir et les dirigeants du PADESM, même après la dissolution de celui-ci, montrent bien que les deux parties entretenaient une relation d’« alliés ». 9. Ramambason m’a confié généreusement une bonne partie de ses archives personnelles, lors de nos rencontres en 1992. 10. Le Parti des déshérités de Madagascar est considéré comme l’unique parti loyaliste au pouvoir colonial, pour reprendre le terme fort usité à l’époque. Rappelons qu’il ne refusait pas l’idée de l’indépendance en faveur de la colonisation, mais jugeait le moment encore inopportun. 11. Rythmes et Synthèses, inédit. 12. « Tu es pauvre, vois-tu ? » (Rythmes et Synthèses). 13. Cette revue de Charlie Chaplin paraît en 1936. Jean-Paul Sartre la met en étroite relation avec la littérature en cette période où les événements politiques en France (la crise de l’après-guerre, l’avènement du Front populaire, la guerre d’Espagne, etc.) affectent de plus en plus la vie intellectuelle et posent le problème de responsabilité de l’écrivain et de l’intellectuel dans le domaine social et politique. 14. Ce poème ne figure pas sur la liste de la table des matières de Rythmes et Synthèses. 15. « Lutter, c’est être », Rythmes et Synthèses. 16. « Au lecteur », Rythmes et Synthèses. 17. Pierre Vérin l’a fait si bien remarqué dans la préface de l’ouvrage Anthologie bilingue de littérature malgache… (Nirhy-Lanto Ramamonjisoa 2001). 18. Ce poème ne figure pas dans le recueil.

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Charles Renel : une vie, une époque, une œuvre Éléments de biographie

Jackie Roubeau-Raharisoa

1 On prétend souvent que la connaissance de la vie d’un auteur n’est indispensable ni à la compréhension de son ouvrage ni encore moins à l’analyse de ce dernier. Cette conception de la biographie n’est pas entièrement fausse. Peut-être est-elle même défendable. Effectivement, il n’est pas rare que l’on perçoive le sens profond d’un livre sans pour autant connaître le parcours personnel de celui qui l’a écrit.

2 À notre avis, l’histoire de la personnalité d’une œuvre ne peut néanmoins être dissociée totalement de la vie propre de son auteur. On doit pour cela considérer tout ce qui peut caractériser les données de la vie d’un homme : naissance, situation familiale, activités sociales, itinéraire professionnel et même plages de loisir. Ces éléments biographiques constituent alors un appui précieux, car ils sont sources de nombreux renseignements. D’une manière certaine, ils contribuent à une interprétation judicieuse et originale de l’écrivain.

3 Ainsi donc, il s’établit un équilibre et une complémentarité entre l’homme et l’œuvre. S’ébauche entre eux une sorte de diptyque : l’un devient tributaire de l’autre. Soutenir la thèse qu’il est des auteurs dont les écrits sont intimement liés à la biographie ne nous paraît pas fantaisiste.

4 Renel et son œuvre en constituent un bon exemple.

L’enfance et l’adolescence en Alsace-Lorraine

5 1866 : dans le département du Bas-Rhin, à Strasbourg, au n° 6 de la rue de l’Église, le 6 mai, nait Charles Ulysse Renel, d’Émile Louis Étienne Renel, exerçant la profession d’inspecteur du matériel des chemins de fer de l’État, et d’Uranie Charlotte Henriette Lafite.

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6 Fils unique, l’enfant grandit au sein d’une famille bourgeoise. C’est son grand-père maternel, Abraham Jean Lafite, professeur à la faculté des Lettres de Strasbourg qui, probablement, lui inculque de bonne heure l’amour de la littérature et des livres. Sans doute, faut-il voir là le point de départ d’une vocation pour l’enseignement.

7 Après la guerre franco-prussienne de 1870, le petit Charles quitte Strasbourg, car son père est muté à Épinal dans les Vosges. Sa mère décède quand il a douze ans. Désormais, c’est dans cette partie de la France propice aux rêveries qu’il évolue. Pendant ses vacances et ses jours de congé, le futur écrivain aime passer de longs moments dans les forêts et sous-bois vosgiens. Il y développe un sentiment à la fois pur et fort de la nature dont il s’imprègne déjà des symboles et des mystères : « Il avait senti vivement le charme des vallons de Lorraine avec leurs hêtraies aux sous-bois traversés de lumière, des clairières bretonnes fleuries de genêts et de bruyères, des montagnes alpestres hérissées de sapins » (Renel 1923 : 116).

8 Installé à Épinal, le jeune Renel poursuit ses études au collège de la ville. De son passage dans cet établissement, il va garder de très bons souvenirs de ses maîtres, en particulier de M. Melchior à qui il voue une gratitude sincère et témoigne un profond respect1.

9 Au collège, Renel a comme condisciples Louis Lapicque, Paul Gauckler qui va se retrouver plus tard avec lui à l’École normale supérieure dans la même promotion2. C’est également au cours de sa scolarité à Épinal qu’il fait la rencontre de Maurice Pottecher, le futur fondateur du Théâtre du Peuple de Bussang3. Avec ce dernier, Renel se lie d’amitié, amitié solide et fidèle qui va résister à l’épreuve du temps et de la distance. En témoignent les échanges de correspondance entre les deux hommes pendant le séjour de Renel à Madagascar4.

L’étudiant à Paris

Le khâgneux

10 Songeant à une carrière dans l’enseignement, Charles Renel monte s’installer à Paris en 1884. Étudiant brillant et appliqué, il fréquente le lycée Louis-le-Grand5. Il y prépare le concours de l’École normale supérieure.

11 Pendant son séjour dans ce lycée parisien, le jeune Renel va croiser de nombreux futurs écrivains de renom. Parmi tant d’autres, on peut citer le nom de Paul Claudel et celui de Romain Rolland6.

12 D’un naturel curieux et, de surcroît, défenseur de l’éclectisme, le jeune homme s’inscrit également aux cours de la Sorbonne et il est bien probable, même si l’on ne peut l’affirmer, qu’il y commence les études de sanskrit.

Le normalien

13 1886 : l’année de ses vingt ans. Charles Renel réussit son entrée à l’École normale supérieure. C’est sans doute en intégrant cette prestigieuse institution que le jeune homme commence à affirmer ses convictions d’homme de gauche.

14 Rue d’Ulm, le futur professeur Renel fait la connaissance d’un certain nombre de camarades de talent. C’est l’occasion pour lui d’assouvir sa soif spirituelle. Lectures du

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jour, critiques, réflexions communes, tels sont les sujets de causeries de ces normaliens, comme le confirme la notice de Georges Dumas, un camarade de promotion.

15 Ces différents échanges entre des jeunes gens plus intelligents et plus cultivés les uns que les autres sont bénéfiques pour la formation à l’enseignement. En effet, c’est là une source d’érudition étonnante, et des écrits utopiques comme 20267 et 20728, qui n’ont apparemment pas abouti, pourraient être rattachés aux utopies anglaises de H. G. Wells.

16 Parmi les condisciples de Renel de cette époque figurent Paul Gauckler, son camarade d’enfance d’Épinal9. Les deux Vosgiens vont avoir un destin similaire : ils partiront travailler à l’étranger, en tant que directeur de l’enseignement à Tananarive pour l’un, et comme directeur du service beylical des antiquités et des arts à Tunis pour l’autre. Louis Bertrand, romancier, essayiste, historien, autre ami, sera élu membre de l’Académie française en 1925. Henri Lorin, en plus de sa fonction de professeur de géographie coloniale, siègera à l’Assemblée nationale. Romain Rolland, humaniste, écrivain, prix Nobel de littérature en 1915, sera du nombre, ainsi que Georges Dalmeyda, grand spécialiste de langue et littérature grecques, et Suarès (Isaac André), homme de lettres. Il y a également Georges Dumas de l’Académie nationale de médecine qui écrira la notice traçant l’itinéraire de Renel lors de la disparition de ce dernier.

17 Tout en marquant un vif intérêt pour l’histoire des religions, mais surtout passionné de linguistique, Charles Renel choisit de préparer son agrégation dans la section de grammaire. Comme il s’y applique avec constance, les résultats qu’il obtient sont pleinement satisfaisants.

18 Malgré des emplois du temps très chargés à l’École normale, intelligent et persévérant, Renel continue à suivre des leçons d’éminents professeurs au-dehors. Il assiste aux cours de Linguistique de de Saussure et de Bréal10.

19 Quant aux cours de Philologie et histoire des religions de Renan, Renel, qui les suit régulièrement, ne manque jamais d’en faire l’éloge.

20 L’atmosphère intellectuelle et amicale qui règne au sein de l’École normale favorise l’épanouissement de la maturité de Charles Renel. C’est probablement l’époque où l’homme commence à clamer sa préférence pour la République et à ancrer ses convictions politiques dans le socialisme.

21 Après trois années d’études, Charles Renel obtient son agrégation de grammaire le 26 août 188911.

L’enseignant

22 Le professeur de lycée en mal de chaire universitaire

23 À sa sortie de l’École normale supérieure en 1889, Renel est nommé à Roanne. Un nouveau poste de professeur est créé au lycée de la ville. C’est donc en tant que professeur de lettres classiques, en classe de quatrième, que Renel y débute sa carrière d’enseignant. Malgré son jeune âge et son manque d’expérience, le professeur Renel, de l’avis de ses supérieurs et collaborateurs, est doté de qualités nécessaires à l’enseignement au lycée12.

24 Néanmoins, ambitieux et ayant en vue un poste de professeur d’université, Renel souhaite vivement préparer une thèse de doctorat. Pour cela, il désire une place dans

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un lycée parisien ou lyonnais, à proximité de grandes universités hébergeant des professeurs, convenant à sa recherche.

25 En 1890, Renel reçoit sa mutation pour le lycée Lalande de Bourg-en-Bresse. Dans cet établissement comme à Roanne, il exerce sa profession en s’investissant pleinement, car le proviseur le déclare que Renel est « bon professeur par vocation »13.

26 Mais, songeant de plus en plus à une carrière universitaire, Renel commence à rassembler des éléments pour l’élaboration d’une thèse. Son intérêt particulier et toujours croissant pour le sanskrit14 et les mythologies de l’Inde l’incite tout naturellement à choisir comme sujet d’étude l’univers védique. Après mûre réflexion, Renel prend la décision d’intituler sa thèse : L’évolution d’un mythe. Açvins et Dioscures. Pour le diriger et l’assister dans son travail, il fait appel à l’éminent professeur Regnaud de Lyon.

27 En conséquence, bien déterminé à mener son projet à terme, Renel cherche à se rapprocher de la ville de Lyon. Son souhait d’intégrer un poste dans un lycée de l’agglomération lyonnaise ou de la périphérie devient alors de plus en plus pressant. Afin d’y parvenir, le jeune agrégé n’hésite pas à adresser des requêtes auprès des autorités compétentes, voire à son ministre de tutelle15. Mais en dépit de tant d’efforts déployés, ses appels demeurent vains. Charles Renel est maintenu sur son poste à Bourg-en-Bresse jusqu’en 1894. Il est alors affecté à Caen au lycée Malherbe en 1895. Il y enseigne la grammaire, le latin et le grec. Cependant, la préparation de sa thèse l’absorbe et reste sa préoccupation première.

28 Durant son séjour à Caen, alors âgé de vingt-neuf ans, Renel va connaître un grand changement dans sa vie. Il rencontre une jeune fille et en tombe amoureux. Il s’agit de Marthe Eugénie Anne Pitaud, la fille d’une personnalité du corps enseignant de la ville, le professeur Benoît Pitaud.

29 Leur mariage est célébré le 1er juin 189516.

30 L’année 1896 est celle qui marque un tournant décisif dans la carrière du futur universitaire. En effet, le 24 juin de cette année-là, Charles Renel soutient sa thèse de doctorat : l’évolution d’un mythe. Açvins et Dioscures17.

31 Désormais, son but est d’accéder à un poste d’enseignant à l’université, car son admission au grade de docteur avec la plus haute mention18 comble ses vœux. En 1897, on confie à Renel la charge de conférences à la faculté des Lettres de Caen. Toutefois, il est toujours professeur au lycée Malherbe.

32 Cette situation demeure inchangée jusqu’en mars 1898. Renel reste un bon professeur bien qu’un rapport d’inspection fasse apparaître certaines maladresses dans son enseignement19.

Le maître de conférences

33 Mars 1898 : après tant de temps passé à attendre, Charles Renel est enfin nommé maître de conférences à la faculté des Lettres de Besançon. Son enseignement se concentre sur les lettres classiques. Comme c’est un passionné de philologie, le poste qu’il occupe est pour lui un champ d’investigations à explorer. Il lui permet d’orienter ses recherches d’alors.

34 Au mois de novembre de cette même année, une place est vacante à la faculté des Lettres de Lyon, car le professeur Durand, titulaire du poste, est appelé à occuper

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d’autres fonctions. Pour son remplacement, le rectorat désigne Charles Renel. On ne saurait donc imaginer l’immense plaisir de ce dernier à l’annonce de sa nouvelle nomination. Non seulement on lui attribue un poste clé qu’il a toujours convoité, mais de surcroît, Lyon est une ville qu’il affectionne particulièrement20.

35 Son installation terminée, le professeur Renel se met aussitôt au travail.

36 Nul n’ignore, depuis son passage au lycée Louis-le-Grand et surtout son séjour rue d’Ulm, sa prédilection pour l’histoire des religions. À l’instar de son maître et modèle Renan, les civilisations mortes et les religions disparues trouvent une place privilégiée dans ses recherches.

37 Sa thèse l’évolution d’un mythe. Açvins et Dioscures de 1896 reflète nettement cette inclination. Tout en s’évertuant à établir les points communs entre les Açvins védiques et les Dioscures grecs, Renel nous entraîne dans l’univers complexe, mais ô combien fascinant de la mythologie indienne et grecque.

38 Dans son ouvrage de 1903 Les enseignes. Cultes militaires de Rome, l’auteur ne quitte pas le cadre des civilisations et des religions anciennes.

39 C’est vers la Rome antique que Renel nous emmène. Il nous donne quelques notions sur les différentes sortes d’enseignes dans l’armée romaine, décrit leurs rôles pendant les batailles et les solennités militaires, et, avec beaucoup d’application, relate le culte et la déification de ces signa. Enfin, ses contacts avec Salomon Reinach (1858-1932), directeur du musée des Antiquités nationales et co-directeur de la Revue d’archéologie, dont les principaux ouvrages sont Manuel de philologie classique (1880) et Répertoire de la statuaire grecque et romaine (1897-1924), allaient se préciser21.

40 Quelques années plus tard, en 1906, comme on pouvait s’y attendre, Renel nous fait découvrir l’ancienne Gaule : il publie Les religions de la Gaule avant le christianisme. Dressant un tableau aussi exact que possible des croyances sur le sol gaulois, cet ouvrage rapporte dans les moindres détails les cultes par lesquels ces croyances se manifestent. Indépendamment de leur valeur intrinsèque reconnue par les spécialistes des religions anciennes et mythologiques, ces travaux constitueront le galop d’entraînement préparatoire à l’analyse de la religion malgache, de ses pratiques, de sa mythologie, en un mot de l’anthropologie de la Grande Île.

41 Outre l’enseignement de la philologie à la faculté des Lettres, Renel fait aussi un cours public au grand amphithéâtre du palais Saint-Pierre de Lyon22.

42 C’est un cours d’histoire des religions. À chaque intervention, il fait salle comble. Son auditoire est très hétérogène, toutes les couches sociales y sont représentées.

43 Toujours à la faculté des Lettres de Lyon, en 1900, Renel accède au grade de professeur adjoint. Désormais, il semble mener une vie heureuse à Lyon.

44 Durant l’année universitaire 1903-1904, le recteur fait en effet la remarque23 suivante : « M. Renel a pris une assez bonne situation à la faculté et en ville », sous-entendant peut-être que les relations d’Augagneur et de Renel se précisent.

45 Cependant, l’année 1906 marque la confluence de ses deux carrières : le professeur d’université et l’administrateur colonial. Le 22 novembre 1906, Renel apprend sa nomination à Madagascar. Sans doute, l’effet de sa demande, car n’ayant pas obtenu le poste de professeur titulaire qu’il escomptait tant, Madagascar apparaît comme une promotion pour sa carrière. L’opération est facilitée par son appartenance à la famille maçonnique24.

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Le franc-maçon

46 La laïcité apparaît en France au XIXe siècle. C’est un courant de pensée qui préconise une séparation stricte entre l’État d’une part, et l’Église et la religion d’autre part. Comme on peut s’en douter, un certain nombre de jeunes intellectuels de l’époque approuve sans ambages ce mouvement d’idée. Renel est de ceux-là. Pour assurer cet attachement à un idéal laïque et libéral et, ainsi, manifester clairement ses idées républicaines et socialistes, Charles Renel avait ressenti la nécessité d’un soutien. La franc-maçonnerie lui tend les bras. Tout en correspondant à ses vues philosophiques, elle représente sans doute aussi un marchepied pour sa carrière. C’est, en effet, une communauté ésotérique et initiatique à caractère philosophique et progressiste qui se consacre à la recherche de la vérité, à l’amélioration de l’homme et de la société, et ses intérêts pour les sciences de la religion y trouvent un écho. Cette dynamique fraternelle aux forts accents d’humanisme séduit grandement Renel. Il décide de rejoindre la grande famille des frères maçons et sera initié à la vénérable loge Tolérance et cordialité (rite écossais) à Lyon en 1892.

47 Après son initiation, Renel devient apprenti en 1893. C’est le premier niveau dans l’échelle hiérarchique maçonnique. Il va écouter et regarder pour mieux s’imprégner des usages de la société initiatique dans laquelle il vient d’être admis.

48 Il est incontestable que Renel trouve une certaine tranquillité d’âme parmi la communauté maçonne. Néanmoins, la préparation de sa thèse, ses diverses préoccupations de carrière et autres problèmes d’affectations ont sans doute contribué à l’éloigner pendant un certain temps de ses frères maçons. Ainsi, jusqu’en 1913, date à laquelle il demande son inscription25 à la vénérable loge France australe de Tananarive, Renel demeure inactif26 au sein de la franc-maçonnerie Il va de soi qu’en 1906, si la loge France australe ne désigne pas nominalement Renel lors de sa requête auprès du gouverneur général de Madagascar, le descriptif « agrégé de l’Université, sincèrement laïque et appartenant autant que possible à la famille maçonnique » s’applique à lui.

49 Il semble bien qu’il s’agisse d’un poste ciblé et fait sur mesure.

50 Pendant son séjour en France (congé administratif de six mois), Renel demande également son inscription à la loge France et colonies le 4 mai 191427. Une fois réintégré dans la société initiatique, Charles Renel gravit normalement les grades de la hiérarchie maçonnique28. Apprenti en 1893, c’est seulement au cours de l’année 1915 qu’il deviendra compagnon. Deux années plus tard, le 9 novembre 1917, s’impliquant un peu plus dans la mission de la franc-maçonnerie, il accèdera au rang de maître. Désormais éligible aux diverses fonctions de la loge, il posera sa candidature en 1923 pour devenir vénérable le 13 novembre 1924, jour de l’élection, élu par ses pairs, le « frère » Renel deviendra le dix-huitième vénérable de la loge France Australe de Tananarive29. Jusqu’en 1925, année de sa mort, Charles Renel restera franc-maçon au titre de vénérable en chaire, c’est-à-dire, en exercice.

L’administrateur à Madagascar

51 Songeant à une carrière universitaire, Charles Renel est confortablement installé à Lyon comme maître de conférences. Sa vocation semble donc définitivement orientée puisqu’en 1900, on lui confie même un poste de professeur adjoint à la faculté des

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Lettres de cette ville. Pourtant, le 1er décembre 1906, son appartenance à l’administration coloniale est notifiée.

52 Le jour de Noël de cette même année, Charles Renel quitte la France pour Madagascar. Avec son épouse, il embarque à Marseille à destination de Tamatave. Après trois semaines de traversée, le couple foule le sol malgache le 16 janvier 190730. La carrière de l’administrateur colonial Renel est en marche.

53 Dans la colonie, c’est Victor Augagneur qui est le gouverneur général de l’île. Ce haut dignitaire colonial est l’ancien maire de Lyon. Il était chargé de l’administration de cette ville de 1900 à 1905, année de son départ pour Madagascar.

54 En politique, Augagneur est un homme épris de liberté, il donne volontiers sa préférence à la République. C’est un socialiste convaincu, défenseur zélé de la libre- pensée, anticlérical farouche. En France, il s’est montré particulièrement virulent lors de la bataille pour l’obtention de la loi de séparation entre l’Église et l’État en 1905. Persuadé que les idées qu’il défend contribuent à l’épanouissement et au bien-être du peuple, le gouverneur général entend conduire le pays malgache selon ses théories.

55 Nous connaissons déjà les convictions politiques que Renel affiche depuis son passage rue d’Ulm. Elles ressemblent étrangement à celles d’Augagneur. Nous savons aussi que ces hommes sont tous deux membres de la grande famille de la franc-maçonnerie, bien qu’ils n’appartiennent pas à la même loge31.

56 Quand Augagneur débarque à Madagascar, il constate l’insuffisance évidente de l’enseignement public. Les missionnaires catholiques et protestants détiennent le monopole du secteur éducatif. C’est pour contrecarrer cette influence jugée trop envahissante que le gouverneur général, anticlérical implacable, fait appel à un véritable laïque et libre penseur tel que Renel. Quels que soient les fondements et les explications de sa nomination, Charles Renel se rallie donc à l’équipe de l’homme qui tient les rênes du pouvoir de l’île malgache en 1907. On lui confie alors la direction de l’enseignement de la jeune colonie32.

Le directeur de l’enseignement

57 L’administrateur Renel va déployer d’énormes efforts pour combattre la suprématie de différentes écoles confessionnelles. Pour enrayer ou, tout au moins, affaiblir l’emprise des missionnaires toute obédience confondue sur la jeunesse malgache, il préconise des mesures dont la rigueur est à la hauteur de son intention.

58 Afin de mener à bien son entreprise de réorganisation de l’enseignement laïque, Renel met strictement en application les arrêtés déjà effectifs à l’encontre des écoles privées. Il s’agit « de cesser toutes les subventions gouvernementales aux écoles tant protestantes que catholiques, et de dénoncer des contrats passés avec des congrégations religieuses » (Hübsch dir. 1993 : 345). Selon le souhait de l’administration coloniale, le nouveau directeur de l’enseignement va également demander l’interdiction de dispenser des cours dans de nombreux édifices religieux. Cette disposition réduit considérablement le nombre d’élèves des institutions religieuses, car elle entraîne la fermeture d’un grand nombre d’écoles dirigées par les missionnaires.

59 Cependant, le principal cheval de bataille de Renel demeure l’instauration de l’Éducation nationale laïque à Madagascar, à l’instar de celle existant en métropole. D’abord, il entreprend la formation d’instituteurs publics qu’il recrute parmi les jeunes

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du pays. En reconnaissance de leur ralliement aux côtés des autorités en place, l’administration coloniale décerne à ces partisans de la laïcité le statut de fonctionnaire. Parmi les intéressés, nombreux sont ceux qui considèrent ce geste du pouvoir comme une faveur, une promotion sociale. Ensuite, Renel va s’efforcer de mettre en place de nouvelles structures tout en multipliant le nombre des écoles publiques, dites écoles officielles. Désormais, aucune instruction religieuse n’est tolérée dans ces écoles et le programme appliqué est celui dicté par le pouvoir en place.

Le créateur de différents types d’école

60 Dès sa nomination au poste de directeur de l’enseignement, l’administrateur Renel est conscient des besoins de la toute jeune colonie.

61 Par conséquent, son souci premier est le développement de l’instruction dans toute l’île. En effet, dans un pays où l’on constate la jeunesse de la population, la diffusion de l’enseignement du premier degré devient une priorité. Dans les villes, les villages, jusque dans la brousse la plus reculée,

62 Renel s’évertue à établir l’école publique laïque, gratuite et ouverte à tous les enfants.

63 Tout aussi indispensable est l’enseignement du second degré. Même si les établissements de ce type d’enseignement ne sont pas encore nombreux, Renel ne cesse d’améliorer leur développement. Nul n’ignore que leur existence est capitale, car ils sont les formateurs des ouvriers spécialisés dont le pays a tant besoin.

64 Concernant cette tâche de création d’écoles à Madagascar à laquelle Renel s’est attelé, son ami Georges Dumas, très élogieux, déclare dans sa notice consacrée aux archives de la vénérable institution de la rue d’Ulm : Il a fondé 800 écoles du premier degré, où 100 000 Malgaches apprennent les éléments du français, et 20 écoles du second degré où 2 000 élèves reçoivent une culture plus étendue. Dans toutes ces écoles, l’enseignement théorique se double d’un enseignement pratique. Il n’est pas de si modeste école du premier degré qui ne possède des terrains de culture où les enfants sont initiés de bonne heure aux méthodes tropicales ainsi qu’aux méthodes européennes qui peuvent leur être associées. Les écoles du 2e degré forment surtout des apprentis du bois et du fer, et préparent pour la colonisation une main-d’oeuvre exercée.

65 La formation des élites issues du pays est également une des préoccupations majeures de Renel. Pour cela, il entreprend la création d’écoles dans différentes branches : administrative, sociale, industrielle. À ce sujet, toujours admiratif de son ami Renel, Georges Dumas poursuit : Ce furent l’École de Médecine d’où sortent chaque année 40 médecins malgaches, l’École Maternelle, d’où sortent annuellement 20 sages-femmes et les Écoles normale, administrative, industrielle qui forment tous les ans 60 instituteurs, 30 écrivains interprètes et commis d’administration, 30 commis des travaux publics, topographes, postiers et télégraphistes et 40 contremaîtres.

66 Dans son programme d’implantation d’écoles, les jeunes filles ne sont pas négligées par Renel. Pour elles, des écoles sont spécialement conçues dans quelques villes.

67 Le directeur de l’enseignement n’oublie pas non plus les Européens, particulièrement les Français séjournant dans l’île, dans ce grand chantier que représente l’organisation de l’Éducation nationale laïque. Et Georges Dumas de souligner : Charles Renel fonda pour eux un lycée de garçons, un lycée de jeunes filles, une école primaire supérieure et quinze écoles élémentaires. Les Malgaches sont admis

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dans ces lycées et ces écoles à la seule condition de faire preuve des aptitudes nécessaires pour en suivre les cours.

68 Grâce à sa capacité et à sa persévérance, le secteur public de l’enseignement semble connaître un épanouissement sans précédent sous le directeur Renel. Sur ce chapitre, il n’est pas inutile de rappeler la position du gouverneur général Hubert Garbit, polytechnicien qui est à même d’apprécier les compétences d’un normalien. En août 1915, satisfait des services rendus par l’administrateur Charles Renel, le chef du gouvernement colonial formule l’observation suivante à son égard : M. Renel, ancien élève de l’École Normale Supérieure, ancien professeur de faculté, depuis huit années dans la colonie, s’est intéressé à la population malgache qu’il a étudiée à fond dans ses coutumes et sa mentalité, ce qui lui assure une compétence toute spéciale pour ce qui touche à l’enseignement indigène. Dirige avec autorité et distinction toutes les branches de son service, se recommandant à la fois par ses titres, sa science et son initiative. Assure un développement méthodique de l’enseignement primaire malgache en même temps que l’enseignement secondaire européen. Vient d’organiser un collège de jeunes filles qui, dès le début, fonctionne brillamment. Chef de service précieux, à conserver le plus longtemps possible dans la colonie33.

L’auteur d’ouvrages pédagogiques

69 Lorsque le gouverneur général Victor Augagneur confie à Renel la lourde tâche de réorganiser l’enseignement à Madagascar, les manuels scolaires de conception laïque sont denrées rares dans toute la Grande Ile. Généralement, les livres utilisés par les écoliers malgaches sont ceux élaborés par les missionnaires chrétiens. Selon l’obédience, catholique ou protestante, ces ouvrages sont d’inspiration française pour les uns et anglaise pour les autres.

70 Pour remédier à cette situation, Renel va solliciter la coopération de quelques inspecteurs de son équipe. Ensemble, ils vont produire quelques manuels. Tout d’abord, le directeur de l’enseignement constate l’originalité de la situation pédagogique à Madagascar, originalité qui réside en l’existence d’une langue nationale unique. Malgré des variantes régionales, c’est une langue qui est comprise dans tout le pays.

71 Renel saisit cette opportunité pour élaborer, en collaboration avec Meuhest, inspecteur primaire, un syllabaire franco-malgache en 1909, manuel en usage dans les écoles officielles indigènes de Madagascar. En 1910, il produit avec le concours de Meheust et Devaux, un autre inspecteur primaire, un livre de lecture des écoles primaires indigènes de Madagascar.

72 Le livre de récitation Morceaux de récitation pour les écoliers malgaches conçu par Renel en collaboration avec Rabaté, professeur au lycée de Tananarive, voit le jour en 1918. Puis, en 1922, Renel publie les Principes de pédagogie indigène à l’usage des Européens34.

73 Reconnaissant le sérieux et la compétence des assistants natifs du pays, Renel fait appel à Rajaona et Razafindralambo, deux inspecteurs indigènes de l’enseignement. Collectivement, ils vont s’adonner à la préparation d’un petit dictionnaire malgache- français35.

74 Désormais, l’universitaire devenu administrateur colonial semble bien à l’aise dans sa nouvelle fonction qui lui tient à coeur. Et, malgré quelques voix qui s’élèvent pour critiquer l’homme36, d’une manière générale, le rôle utile de Renel dans la réorganisation de l’enseignement public à Madagascar apparaît évident.

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L’anthropologue

75 Lorsque Renel arrive à Madagascar en 1907, il découvre que certains Malgaches ont embrassé le christianisme depuis plusieurs décennies.

76 Néanmoins, il constate que ces convertis à la foi chrétienne gardent une vie profondément marquée par la culture traditionnelle. Leur façon de vivre et de penser reste immuable, celle de leurs ancêtres transmise de génération en génération, ce qui ne peut que fasciner l’anthropologue Renel adonné depuis Ulm à l’étude des religions.

L’amateur de contes et légendes

77 En succédant à Pierre Deschamps à la tête de l’enseignement public à Madagascar, Renel s’aperçoit que celui-ci, par l’intermédiaire des instituteurs disséminés à travers toute l’Île, a entrepris la collecte des contes et légendes de Madagascar37. Toujours intéressé par l’étude des phénomènes culturels d’un peuple et sachant que la mythologie joue un rôle capital dans son environnement social, Renel salue et approuve pleinement cette initiative. Il décide donc de poursuivre le travail commencé par son prédécesseur, car, prétend-il, « les mythes d’autrefois sont encore regardés comme une forme vivante de la pensée. À chaque instant on les traduit ou on les assimile ; ils constituent une sorte de langue poétique qui n’a guère changé depuis les siècles lointains, où l’homme commençait à la balbutier. On adapte donc les primitives images à l’expression des idées actuelles comme on fait avec de vieilles étoffes une robe à la mode d’aujourd’hui » (Renel 1896 : 13).

78 Renel rassemble par catégories les contes récoltés par les instituteurs.

79 Après traduction38, en 1910, il publie deux recueils de contes provenant de différentes régions de Madagascar : recueil I, Contes merveilleux ; recueil II, Fables et fabliaux.

80 Subjugué par la richesse du folklore de cette région du monde tout son séjour durant, Renel persévère dans la collecte des contes, soit avec l’aide des instituteurs des quatre coins de l’île, soit en allant sur le terrain interroger directement la population locale. Cependant, le dernier recueil de contes, recueil III, Contes populaires. Contes de Madagascar, n’est publié qu’en 1930, sans doute à l’instigation de son épouse, à titre posthume, puisque Renel meurt en 1925.

81 S’agissant de la traduction des documents et récits récoltés auprès des Malgaches, bien entendu, le directeur de l’enseignement demande l’intervention de ses collaborateurs malgaches. Mais très rapidement, Renel se met au malgache qu’il apprend avec ardeur39. Il faut en convenir, c’est un atout majeur pour un dignitaire de son acabit.

L’auteur d’ouvrages scientifiques

82 Bien avant sa mission administrative à Madagascar, au temps où il fréquentait l’illustre institution de la rue d’Ulm, Renel mettait déjà une pensée appliquée, sérieuse et objective au service des croyances et traditions populaires. À ce propos, il déclare (Renel 1906 : 10) : « Le cerveau de l’homme a gardé aussi fidèlement que le sol même, et pendant des milliers d’années, les traces de certains rites. De nombreuses survivances dans les traditions populaires sont encore, parmi les générations actuelles, comme les témoins des

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générations disparues, et les dieux morts viennent errer parfois, ainsi qu’en un temple, dans la pensée obscure des fils de leurs adorateurs anciens. »

83 Les écrits scientifiques qu’il a publiés avant son séjour à Madagascar confirment ce point de vue. Il n’est donc pas surprenant qu’en vivant sur le sol malgache, Renel soit vite captivé par le peuple, la langue, les traditions et croyances de ce pays du bout du monde.

84 Concernant ce vif intérêt, Renel a consacré deux ouvrages scientifiques qui demeurent jusqu’à nos jours des références sérieuses pour quiconque a le désir d’avoir des informations sur Madagascar. Ainsi, Les amulettes malgaches. Ody et sampy (1915) et Ancêtres et dieux. Anciennes religions de Madagascar (1923) occuperont probablement de longues heures et viendront en soutien à ses romans et leur serviront de toile de fond.

Le romancier

85 À Madagascar, tout en exerçant sa fonction de directeur de l’enseignement public, Renel a également écrit des œuvres littéraires, notamment un recueil de nouvelles malgaches : La race inconnue, publiée en 191040. Entre 1920 et 1925, Renel commet quatre romans : La coutume des ancêtres (1920), Le décivilisé (1923), La fille de l’Ile Rouge (1925) et L’oncle d’Afrique (1926), une publication posthume.

86 Au moment de sa mort, en 1925, Renel avait en préparation un roman, La forêt bleue41, dont on ignore le contenu, même si le titre fait écho au malgache « Analamanga ». Il laisse aussi deux projets d’utopie : 2026 et 207242.

Une disparition inattendue

87 En février 1924, Renel rentre en France pour congé administratif. Son séjour en métropole va durer presque un an puisqu’on lui accorde une prolongation pour convalescence jusqu’en décembre 192443.

88 Il retourne à Madagascar en janvier1925 et reprend normalement sa fonction de directeur de l’enseignement public. Alors que rien ne laissait présager une fin si proche, Charles Renel meurt subitement à Tananarive le 9 septembre 1925 à l’âge de 59 ans. On prétend qu’il aurait projeté de demander sa mutation sur un poste en Indochine, mutation qui lui aurait été refusée, ce qui aurait pu causer sa mort44. Nos propres recherches nous ont, au contraire, apporté la preuve que Renel avait sollicité un prolongement de séjour de cinq ans à Madagascar45.

89 Il est probable que Renel fut enterré à Madagascar46. Toutefois, une recherche opérée au cimetière vazaha (européen) d’Anjanahary, aussi bien dans les registres au bureau d’enregistrement des sépultures que dans les allées du cimetière, n’en ont apporté la preuve. Il est bien douteux également qu’il ait été enterré à St-Genis-Laval (Rhône) où son épouse s’était retirée47.

90 On retiendra de Charles Renel qu’il fut un grand commis de l’État qui ne se contenta pas d’être au service de la nation française, mais également de Madagascar. Son action pour élargir l’enseignement à tous les enfants malgaches doit être prise en compte, que l’on adhère à son esprit laïque ou non.

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91 Il s’impliqua également dans la vie malgache en rejoignant très vite les membres de l’Académie malgache où il fut élu dès son arrivée en 1907. Les Vazaha ne furent pas les seuls à reconnaître son action, le professeur Rakoto-Ratsimamanga qui l’a bien connu déclare (1979 : 460) : On peut dire qu’il était un des rares Français du début de la colonisation à comprendre les Malgaches… ... Charles Renel, Membre de l’Académie malgache, ce pionnier est un de ceux qui ont oeuvré en vue de faire de Madagascar, une future nation moderne.

92 Si son action d’administrateur nous est de mieux en mieux connue, il n’en va pas de même de sa vie privée. On a pu dire qu’il avait eu un double foyer, l’un vazaha et l’autre malgache (Ranaivoson 2004 : 150)48. Du second, il aurait eu une descendance. Ce n’est pas ici le lieu de s’attarder sur ses problèmes personnels, d’autant plus que si c’est le cas, personne n’en revendique ouvertement la filiation.

93 Renel fut, de toute évidence, un fonctionnaire à l’action efficace, un intellectuel de grande culture. Il fut également pour son époque un anthropologue avisé même si, de nos jours, quelques restrictions sont émises sur son interprétation de la religion malgache, qu’il rattache plus volontiers au polythéisme qu’au monothéisme (Lupo 2006 : 36-39). Mais cette lecture de Renel s’accorde bien avec la lecture polythéiste qu’il avait mise en place dans ses premiers travaux.

94 Son approche anthropologique fut associée aux publications des contes et légendes malgaches, qui ne pouvaient déboucher que sur un traitement romancé de l’anthropologie, pour glisser ensuite de proche en proche jusqu’au roman authentique.

95 Nous dirons que Renel ne fut certainement pas un écrivain pouvant se hisser au niveau des plus grands de son époque. Écrivain au style indiscutablement élégant et raffiné, mais certainement trop ampoulé pour qu’il nous livre son authenticité profonde, il apparaît comme un auteur de stature moyenne qui renseigne sur une époque et sur deux cultures qui se rencontrent. Pour cette raison, il peut être vu comme un bon informateur du premier quart du XXe siècle de la colonisation française de Madagascar.

96 En d’autres termes et pour toutes ces raisons, on ne peut l’écarter de cette époque et du monde malgache.

BIBLIOGRAPHIE

Archives

Archives des Anciens d’Ulm, recueil 1927.

Archives du Grand Orient de France, loge France australe de Tananarive, carton 1905-1909 et 1909-1921. Archives nationales, dossier de carrière de C. Renel, F 17/ 26 796.

Centre des archives d’outre-mer (CAOM), Aix-en-Provence, fonds privé Renel, 51 APC/2/23 ; dossier Renel 51 APC c.2d.18.

Ouvrages

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BAUDOIN, B., 1998, Dictionnaire de la franc-maçonnerie, Paris, de Vecchi.

COMBES, A., 2006, Histoire de la franc-maçonnerie à Lyon des origines à nos jours, Lyon, Eds. des Traboules.

HÜBSCH, B., (dir.), 1993 Madagascar et le christianisme, Paris/Fianarantsoa, Ambozontany/ Karthala.

HUXLEY, A., 1932, Brave New World, London, Chatto & Windus.

LUPO, P., 2006, Dieu dans la tradition malgache, Paris/Fianarantsoa, Ambozontany/Karthala.

RAKOTO-RATSIMAMANGA, A., 1979, « Charles Renel », dans : Hommes et destins, pub. Académie des sciences d’outre-mer, tome 3, p. 460.

RANAIVOSON, D., 2004, Iza moa ?, Antananarivo, Tsipika.

RENEL, C., 1896, L’évolution d’un mythe, Açvins et Dioscures, Paris, Masson & Cie.

RENEL, C., 1903, Les enseignes. Cultes militaires de Rome, Lyon, Rey, 336 p.

RENEL, C., 1906, Les religions de la Gaule avant le christianisme, E. Leroux, Paris.

RENEL, C., 1923, Le décivilisé, Paris, Flammarion (rééd. 1998).

NOTES

1. G. Dumas, Notice sur Renel, arch. des Anciens d’Ulm, recueil 1927, p. 65-68 2. Ibid. 3. À retenir l’incidence populaire de ce théâtre qui implique sans doute des relations philosophiques et probablement maçonniques entre les deux hommes. 4. Centre des Archives d’outre-mer (CAOM), Aix-en-Provence, fonds privé Renel, 51 APC/2/23. 5. Ibid, « Lettres de Renel en 1884 à son père ». 6. Le recoupement avec la biographie de P. Claudel et celle de R. Rolland confirme cette coïncidence. 7. CAOM, fonds privé Renel 51 APC/2/23 (chemise malheureusement vidée de son contenu). 8. Ibid. Bien que le traitement réduit que Renel nous donne dans la chemise conservée à Aix le rattacherait nettement plus à Huxley et à Brave New World (1932) pourtant rédigé longtemps après la mort de Renel. En effet, le traitement de l’amour sans sentiment et uniquement physique est identique à celui qu’on trouve dans Brave New World. 9. Voir tableau chronologique des promotions à l’École normale supérieure, section lettres, année 1886. 10. Michel Bréal, linguiste français (1832-1915). On lui doit la traduction d’allemand en français de l’ouvrage de Bopp : Grammaire comparée des langues sanskrite, grecque, latine, lituanienne slave ancienne et allemande (dictionnaire Larousse, 3 vol., tome I, 1970, p. 425). 11. Renel est classé 9e de sa promotion. M.Corrot, président du jury, conclut sa remarque ainsi : « Peut faire un professeur estimable » (Arch. nationales, dossier de carrière de C. Renel, F 17/26 796). 12. Arch. nationales, dossier de carrière de C. Renel, F 17/ 26 796. 13. Ibid. 14. Il ne nous a pas été possible de déterminer avec certitude quand et où Renel s’initia à cette langue, mais il est fort probable que ce fut à la Sorbonne en 1885. 15. Arch. nationales, dossier de carrière de C. Renel, F 17/26 796. 16. Copie de l’acte de mariage délivré par la mairie de Caen faisant apparaître que les publications ont été faites à Caen et à Bourg-en-Bresse.

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17. Thèse publiée dès 1896, l’année même de sa soutenance, dans les Annales de l’Université de Lyon. 18. Conclusion du jury de thèse de Renel : « M. Renel a montré dans le développement de ses idées, des ressources dialectiques remarquables qu’il met au service d’une érudition étendue et d’un esprit très cultivé. Sa parole est élégante et chaude et sa pensée lucide dans les questions les plus obscures. C’est là un début plein de promesses. Aussi le jury n’a-t-il pas hésité à lui décerner la mention la plus élevée dont il disposait » (Arch. nationales, dossier de carrière Renel, F/ 17/26796). 19. Le 4 juin 1897, l’inspecteur de l’enseignement rapporte : « M. Renel en même temps qu’il est un professeur très consciencieux et très dévoué, est un jeune savant que sa thèse de doctorat a fait connaître comme “sanscritiste” distingué. Peut-être l’enseignement qu’il donne en 4e est-il un peu au-dessus de l’intelligence et des besoins de ses élèves, et son érudition à la fois spéciale et variée, se fait-elle jour dans son explication plus qu’il ne serait nécessaire (comme lorsqu’il s’étendait, devant nous, sur les sources indiennes de la fable la laitière et le pot au lait), mais il intéresse sa classe nombreuse et très attentive. Il sait plus de grec que beaucoup de professeurs, et il explique les règles avec une grande clarté… … ». (Arch. nationales, dossier de carrière de C. Renel, F/17/26796). 20. Parce que c’est le lieu où il a soutenu sa thèse. Cette ville est à proximité de Roanne où il a séjourné en tant que professeur et où, vraisemblablement, il est entré en contact avec Déchelette (1862-1914), conservateur du musée des beaux arts et d’archéologie de Roanne. L’ouvrage de cet archéologue Manuel d’archéologie préhistorique, celtique et gallo-romaine (1908) montre que les deux hommes partageaient les mêmes intérêts. 21. Nous rappelons l’existence d’une lettre de S. Reinach adressée à Renel au CAOM d’Aix-en- Provence, Fonds privé C. Renel 51 APC/2/23. 22. G. Dumas, op. cit. 23. Cf. les renseignements confidentiels du ministère de l’Instruction publique de l’académie de Lyon (Arch. nationales, dossier de carrière de Renel F/17/26796). 24. Les archives de la franc-maçonnerie montrent l’existence d’un courrier signé du vénérable Paquet dont voici un extrait : « La loge France Australe émet le voeu : 1° Que M. le Gouverneur général de Madagascar veuille bien proposer d’urgence à M. le Ministre des Colonies, la remise à disposition du ministre de l’Instruction publique, d’office, et pour convenances de service, de M. Deschamps, Chef du Service de l’Instruction publique à Madagascar d’un agrégé de l’Université, sincèrement laïque et appartenant autant que possible à la famille maçonnique. 2° Que les démarches actives soient faites par le Grand Orient de France pour appuyer, auprès du Gouvernement métropolitain les démarches exposées dans le paragraphe précédent. Et décide que le présent tracé sera établi en deux exemplaires destinés : l’un au Grand Orient de France, l’autre au Gouverneur général de Madagascar et Dépendances » (Arch. du Grand Orient de France, loge France australe deTananarive, 2 cartons, 1905-1909 et 1909-1921). Autant dire une demande de poste sur mesure pour Renel. 25. Arch. du Grand Orient de France, loge France australe de Tananarive, carton 1905-1909. 26. Combes (2006 : 338) nous apprend que Renel est resté « longtemps peu assidu » au sein de la loge Tolérance et cordialité. 27. Lettre de Renel adressée au vénérable de la loge France et colonies, arch. du Grand Orient de France, loge France australe de Tananarive, carton 1909-1921. 28. Pour une précision concernant les grades maçonniques (apprenti, compagnon, maître et vénérable), on se reportera à l’ouvrage de B. Baudouin (1998). 29. Extrait du procès-verbal de la séance du 13 novembre 1924 : élection du vénérable - scrutin secret - bulletin uninominal. 30. Arch. nationales, dossier de carrière de C. Renel F/17 26 796.

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31. Les Amis de la vérité pour Augagneur, Tolérance et cordialité pour Renel (Combes 2006 : 338, 367). 32. Nommé par le général Gallieni, Pierre Deschamps précède Renel au poste de directeur de l’enseignement laïque à Madagascar : « Il est titularisé dans ce poste le 22 décembre 1901… ... Pierre Deschamps est le créateur de l’enseignement laïque à Madagascar longtemps appelé “l’École Officielle”. (Hommes et destins, Publ. de l’Académie des sciences d’outre-mer, 1979, p. 168) - Notice rédigée par Hubert Deschamps qui, par ailleurs, n’a pas de lien de parenté avec son homonyme (cf. entretien avec Alain Deschamps, fils d’Hubert Deschamps). 33. Arch. nationales, dossier de carrière de C. Renel, F 17/ 26 796. 34. Ibid 35. Ibid. 36. Parmi ceux qui désapprouvaient Renel dans sa mission de réorganisation de l’enseignement public à Madagascar, on peut citer le gouverneur général A. Picquié. En août 1913, il fait l’observation suivante à l’égard de Renel : « … …. C’est un fonctionnaire très intelligent, mais sans volonté et qui me paraît peu apte à diriger un service aussi important que celui de l’instruction Publique à Madagascar » (ibid.). 37. Contrairement à l’opinion qui court, l’instigateur de la collecte des contes et légendes de Madagascar est Pierre Deschamps et non Charles Renel. La circulaire du 12 septembre 1905, date à laquelle Deschamps ordonne que les contes soient collectés par les instituteurs, confirme cette remarque. Par ailleurs, nous attirons l’attention sur le fait que Renel n’arrive à Madagascar qu’en janvier 1907. Or, dès la fin de l’année 1905, des contes collectés parviennent déjà au service de l’enseignement (CAOM, Aix-en-Provence, dossier Renel 51 APC c.2d.18). 38. On regrettera toutefois que les contes ne soient pas donnés également en langue vernaculaire, dont certains existent aux archives d’Aix-en-Provence. 39. Lettre de Renel à son ami Pottecher en 1907 : « … … Tous les documents m’arrivent en malgache, je les fais traduire et du reste, je commence à les traduire moi-même, car je me suis mis au malgache avec ardeur » (CAOM, fonds privé Renel, 51 APC/2/23). 40. La race inconnue apparaît plus comme un galop d’entraînement pour un futur romancier. 41. Arch. nationales, dossier de carrière de C. Renel, F 17/ 26 796. 42. CAOM, fonds privé Renel, 51 APC/2/23. 43. Arch. nationales, dossier de carrière de C. Renel, F 17/ 26 796. 44. Nécrologie de B. de Belleval dans le journal La Parole de septembre 1925 : « Renel avait brigué cette année la direction de l’enseignement en Indochine ; on la lui refusa et ce lui fut un coup très dur, qui ne peut-être pas étranger à sa mort. » 45. Arch. nationales, dossier de carrière de C. Renel, F 17/ 26 796. 46. Extrait du discours de Devaux, représentant le service de l’enseignement lors des obsèques de Renel : « Nous nous inclinons devant la tombe du Maître … .... et nous adressons à la veuve cruellement frappée par le sort, nos condoléances respectueuses et émues » (journal de Madagascar et dépendances, L’Indépendant, 15 septembre 1925, no 539). 47. Le service des décès et sépultures de cette mairie déclare ne pas connaître de tombe Renel. En fait, les registres d’avant 1950 n’existent pas. 48. Voir aussi préface de L’oncle d’Afrique ou la métisse de C. Renel (rééd. 2005, annoté et commenté par C. Bavoux, p. 15).

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Représentations et fonctions de la bande dessinée à Madagascar

Nathalie Ravelontsalama

1 De façon générale, la bande dessinée est un art narratif et visuel permettant par une succession de dessins et de textes de relater une action dont le déroulement temporel s’effectue par bonds d’une image à une autre, sans que s’interrompe la continuité. Appelée par son acronyme BD ou bédé, elle représente un art littéraire et graphique. L’auteur théoricien de BD Scott McCloud (1999) définit la BD comme « des images picturales et autres, volontairement juxtaposées en séquences, destinées à transmettre des informations et/ou à provoquer une réaction esthétique chez le lecteur ». Sa définition ne fait pas l’amalgame entre le fond et la forme : elle est celle de l’art séquentiel, c’est-à-dire que l’auteur de BD traite le message qu’il veut faire passer de façon séquentielle ; l’essence de la BD réside dans l’espace qui existe entre deux cases, et qui demande un travail de reconstruction (notamment temporelle) au lecteur.

2 Certains auteurs contredisent le principe qui voudrait qu’une BD soit forcément encombrée de texte. En effet, il y a eu des BD muettes comme Le petit roi d’Otto Soglow, par exemple. Enfin, d’autres qualifient la BD de « genre » ou encore de « média de masse ». Autrement dit, elle possède plusieurs définitions croisées qui ne se recoupent pas forcément.

3 Les bandes dessinées ont beaucoup de succès, car elles se lisent facilement et sont accessibles à tous les âges. Le genre reste pourtant le parent pauvre de la critique littéraire, de même le statut des artistes : les plus grands sont au pinacle, mais les plus jeunes ont du mal à faire leur percée sur les étals, vu le nombre des publications. Heureusement, son univers se retrouve sur des sites Internet en ligne, qui vendent des bandes dessinées ; des forums où l’on parle de la BD ainsi que des sites d’échanges de BD entre internautes existent également. Il y a aussi beaucoup de passionnés et de collectionneurs de BD. Enfin, elles ont leur Festival annuel1, leurs manifestations, leurs expositions... Elles influencent tous les domaines de la création et de la communication, de la presse à la publicité, en passant par la peinture, le cinéma...

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4 Aujourd’hui, ce genre se trouve partagé entre le monde artistique et littéraire. La BD : un art ou un genre littéraire ? Il nous paraît intéressant de brosser son historique, de définir ses caractéristiques et sa place dans la littérature. Notre travail s’orientera plus particulièrement sur le cadre africain et sur le cas de Madagascar, qui sont les régions concernées par notre corpus.

La BD dans le monde

5 La BD a une longue histoire : nous pouvons lui donner comme ancêtres certains documents iconographiques de l’Égypte pharaonique, les frises de temples grecs, la tapisserie de Bayeux ou encore des exemples de narration imagée comme les vitraux des cathédrales, voire plus loin encore, il y a 40 000 ans, les traces laissées par les hommes préhistoriques sur les parois des cavernes… Telle que nous la voyons actuellement, elle aborde des sujets différents : science-fiction, aventure, western, humour, fantastique, érotique, pornographique, histoire…

6 Depuis le XIXe siècle, la BD est considérée comme le Neuvième art. Celle dite « classique », composée d’une séquence de dessins avec bulles ou phylactères dans lesquelles sont contenus des textes, est relativement récente. La première BD que l’on connaisse s’appelle The Yellow Kid, élaborée par R. F. Outcault. Cette oeuvre a été publiée dans le New York World en 1896 et en 1897. La première BD française est Zig et Puce, arrivée en 1925, réalisée par Alain Saint-Ogan. Comme aïeux de la BD « classique », on peut aussi parler des séries de caricatures de William Hogarth au XVIIIe siècle, des Amours de M. Vieux-Bois du Suisse Rodolf Toepfer, publiés en 1830, de La famille Fenouillard de Christophe (de son vrai nom Georges Collomb), édité à Paris en 1889. Ces albums comportaient, au lieu de bulles, de brèves légendes explicatives qui n’étaient pas forcément des dialogues. La BD Les Pieds nickelés de Louis Forton parut en 1908. Cette BD fut innovation dans la mesure où les bulles y sont quelquefois utilisées. C’est en 1934 que va naître la première BD française, qui va paraître quotidiennement : Professeur Nimbus, réalisé par André Daix. Le livre de BD, ou, comme l’appellent les Américains, comic-book, tel que nous le connaissons aujourd’hui, tire son origine de la presse quotidienne américaine : imprimés sur les mêmes presses et sur le même papier, il a acquis son format en 1933 (22 cm x 28 cm).

7 À ce jour, c’est le Suisse Rodolf Toepfer (1799-1846) qui est considéré comme le créateur de la BD. Il importe de signaler qu’il a aussi inventé la critique de la BD ou la réflexion sur la BD. Mis à part les oeuvres de M. Vieux-Bois, il a dessiné également Dr Festus (1829), Mr Cryptogame (1830), Mr Jabot (1831), des récits de voyage ainsi que des essais. Son style était burlesque, avec des esquisses à la limite de la caricature.

8 Depuis, la BD a été représentée comme un art de l’instant. La désignation diffère selon les pays2, bien que les oeuvres soient élaborées sur les mêmes bases, D’abord, il faut un auteur, qui peut être dessinateur en même temps que narrateur. Puis, il faut connaître le langage spécifique de la BD (planche, image, texte, mouvement, son, couleurs, lettrage…). Le public étant friand d’évasion, de rêves, d’images, les auteurs ont vu évoluer leurs publications, leurs productions et leurs styles à travers le monde.

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Brève historique de la bande dessinée en Afrique

9 Cette évolution notée en Occident n’a pas été la même en Afrique. La BD y est née plus tardivement, pour des raisons économiques et politiques. Mais cette lente évolution est due aussi à divers enfermements préjudiciables à sa perception locale. La BD africaine peut paraître plus jeune : la presse écrite, les revues, les magazines et les maisons d’édition ont grandement contribué à son essor. Ils ont servi d’espace de publication ou de prépublication à bon nombre de dessinateurs, car la découverte de la BD est liée à l’intérêt que la presse locale lui a accordé : 1970 en Côte d’Ivoire et à Madagascar, 1976 au Gabon, 1980 au Burkina Faso...

10 Mais certaines productions africaines n’ont pas débuté dans la presse locale. Le cas de la BD centrafricaine est notoire : elle est apparue grâce aux revues spécialisées, en l’occurrence Tatara (1983) et Balao (1985). Le trimestriel publiait, outre la BD, des jeux et des dossiers thématiques. La Côte d’Ivoire et le Gabon sont, eux, passés par des magazines : Afrikara a été lancé au Gabon par Laurent Levigot et a connu une brève existence, qui a permis la création de la maison d’édition Achka. Malgré l’engouement général, faute de moyens financiers et de soutiens, ces revues africaines ont fini par se raréfier dans les points de vente et disparaître. Le constat est le même ou presque dans plusieurs pays d’Afrique, chacun gardant cependant ses caractéristiques : le Sénégal, Madagascar, le Mali, le Tchad, le Bénin...

11 D’autres instances ont contribué à la promotion de la BD africaine. Ce sont les revues scientifiques, ces espaces où se développe une réflexion scientifique sur la BD du Sud : L’année de la BD (Paris), Notre librairie (Paris), Défis Sud (Bruxelles), L’abc de la BD (Québec)... Ces revues consacrent des pages entières sur le champ africain de la BD et ses problèmes, de multiples informations sur le Neuvième art en Afrique.

12 Outre ces revues, nous pouvons aussi parler des travaux déjà réalisés sur la BD africaine comme les thèses de doctorat, les mémoires de licence3.

13 Enfin, nous pouvons aussi souligner la contribution de manifestations ou rencontres internationales où la présence africaine reste effective : à Angoulême (1986, 1988, 2001), à Grenoble (1990), à Durbuy (1992)...

14 La presse a joué un rôle prépondérant dans l’essor de la BD en Afrique, mais n’oublions pas le rôle non moins important des éditeurs dans le processus d’institutionnalisation de la BD du Sud. Le problème de l’édition se pose de la même façon : il n’existe pas d’éditions spécialisées dans la BD ou bien elles se sont implantées ailleurs : L’Harmattan, Segedo, Nouvelles éditions africaines, Médiaspaul, etc. Ces maisons ont, d’une manière ou d’une autre, contribué à la diffusion de la BD africaine. Malgré beaucoup d’efforts, nous constatons que les difficultés financières, la mauvaise diffusion, le manque de soutien politique et culturel font fuir la plupart des talents africains ou les font sombrer dans l’anonymat.

15 L’ensemble de ces problèmes explique que la BD du Sud ne connaisse pas son véritable essor. D’ailleurs, y a-t-il réellement une BD africaine, la BD en Afrique étant souvent le fruit d’une coopération Nord/Sud (aide de l’Agence de la Francophonie, de l’UNESCO, de la Communauté française de Belgique...) ? En tous cas, la BD en Afrique est une réalité : elle est vivante, se vend et se lit bien. Pour rester dans le champ mondial, elle devrait non seulement figurer comme de l’art ou de la littérature, mais sortir de cette image en s’exportant davantage, en étant plus compétitive.

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La place de la bande dessinée à Madagascar

16 Qu’il s’agisse de la création proprement dite comme des divers styles graphiques qui s’y expriment, une chose est sûre : la BD est en mouvement dans les pays du Sud. Les évolutions constatées sont complexes, comme c’est le cas de Madagascar. Comme la plupart des pays d’Afrique, sa BD est liée à ses aînées belge et française. Nous expliquons cela par le fait que les différentes communautés religieuses à Madagascar ont utilisé la BD comme vecteur de formation et d’éducation morale ou civique, mais aussi par la place accordée à la BD par divers centres culturels français ainsi que par leurs responsables.

17 Tout n’est pas rose sous le ciel malgache, mais l’humour et la revendication sociale y ont tous leurs droits : hommes, femmes, enfants confondus ont droit à la parole, la BD sert d’arbre à palabres entre les générations ; tous les sujets sont abordés (sexualité, éducation, sciences...), il est rare d’être dans le non-dit. À Madagascar, le graphisme se montre souvent caricatural afin de rendre la pilule moins amère aux lecteurs. En effet, nous pouvons dire que dans la BD malgache, il y a une forte incitation à la critique : elle représente le miroir des crises sociales et culturelles contemporaines du pays. Les auteurs de BD tentent de pousser la population à vouloir s’exprimer, motivant les jeunes à joindre leurs associations. Ils préfèrent alors le support comic-book à l’américaine (fascicule d’environ 60 pages, format 14/21, couverture couleurs et intérieur en noir et blanc) au support à l’européenne, à savoir l’album, car ce choix est plus accessible (pouvoir d’achat) pour les classes populaires.

18 Que ce soit les comics malgaches, les revues de BD, le journal de la BD, la presse, en général, les ouvrages ciblent toute la famille malgache et un public jeune quand il s’agit de BD en langue malgache, et visent une audience internationale quand ils sont publiés en français. Localement, nous pouvons trouver des bandes dessinées dans les bibliothèques importantes (zone urbaine), les centres culturels (Centre culturel Albert Camus et Centre germano-malgache à Antananarivo, par exemple), les Alliances françaises (à Mahajanga, Antananarivo, Antsiranana...), des centres de documentation (à l’instar du Centre d’échanges, de documentation et d’information interinstitutionnelles ou CEDII de Fianarantsoa), les associations (MADA BD kolontsaina, Artista Miray ou AMI, Association des bédéistes malagasy ou ABEDEMA...), mais aussi dans la presse et dans les kiosques.

19 Malgré cette présence, la BD malgache n’est pas réellement valorisée. Pourtant, Madagascar est considéré comme le premier pays africain à avoir été représenté au Salon international de la BD d’Angoulême.

Chronologie

20 Comme la BD est l’art de la narration figurative, à Madagascar, nous l’appelons tantara an-tsary, « récits en images ». Cela implique la maîtrise d’un mécanisme de représentations faisant étroitement appel au texte et à l’image ou simplement à des images « parlantes ». De ce fait, nous pourrions dire que l’ancêtre de la BD à Madagascar est, dans une certaine mesure, l’aloalo.

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21 Dans l’art traditionnel malgache, l’aloalo représente la pièce maîtresse du monument funéraire chez les Mahafaly, groupe « ethnique » du sud-ouest de l’île. Il s’agit d’une pièce de bois précieux, dressée sur le tombeau et sculptée de dessins illustrant des scènes de la vie quotidienne du défunt. Ainsi, les poteaux funéraires retracent la personnalité, les passions, les événements qui ont marqué la vie du mort. Ils expriment depuis toujours la narrativité de l’image dans la société malgache traditionnelle.

Poteau funéraire aloalo

(D’après une photo de Courtesy Ray Hughes)

22 Mais la première BD malgache « sur papier » fut d’inspiration historique. Il s’agit du fascicule illustré de Jean Ramamonjisoa intitulé Ny Ombalahibemaso, « Le taureau-aux- grands-yeux », d’après le scénario du père Rahajarizafy. Elle date d’octobre 1961, un peu plus d’un an après le retour de l’Indépendance. Elle raconte la vie du grand roi Andrianampoinimerina, qui a marqué la seconde moitié du XVIIIe et la première décennie du XIXe siècle malgache. L’oeuvre relate le parcours du roi, de sa vaillante jeunesse aux grandes étapes de son règne. Cette BD avait connu un remarquable succès bien que présentant des lacunes sur la documentation vestimentaire et les coiffures de l’époque.

23 Il faut attendre les années 1970 pour découvrir dans le quotidien Madagascar Matin des BD malgaches comme Fongory ny ratsy, « Éliminez le mal », de Raminosos (nom figuré de Raminondrina), ou encore la signature de Michel Faure avec Beandriaka tantsambo, « Beandriaka le matelot ». En 1973, paraît Doda sous la plume de NRI (Victor Rasolomanana et Richard-Michel Rabesandratana), suivi de Valosa, puis Besorongola, dessiné par Xhi (seul dessinateur malgache à avoir été publié dans Charlie Hebdo) et Ma4.

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24 Dans les années 80, Fararano, le premier magazine apparaît : il retrace l’origine du peuplement malgache par Rakotomalala ; il sera suivi en 1982 d’un autre magazine intitulé tout simplement He, qui rassemble quelques-uns des meilleurs dessinateurs de l’époque. Le succès est immédiat. De là naît une ribambelle de fanzines : Toky, Radanza et Kobra d’Arthur Rakotoniain5, Benandro et Tsimaniva de Richard Rabesandratana6, Avotra de Christian Razafindrakoro, Bobel de Gilbert Rakotosolofo7... Cette décennie est la période dorée de la BD malgache. Nous y voyons d’ores et déjà les influences de la BD européenne, et aussi celle de la BD japonaise (manga). La BD possédait encore le parfum magique du « jamais vu ». Ainsi, en 1983, était organisée la première conférence sur la BD de l’Afrique francophone à Antananarivo et le premier festival BD s’est tenu au centre culturel français de Nairobi (Kenya) la même année ; le premier prix fut remis au caricaturiste malgache Anselme Ramiandrisoa.

25 Au même moment, après une longue absence d’une vingtaine d’années, reparut le roman-photo malgache, dont Jacky Razafiniaina était l’une des héroïnes. Le roman photo fut très apprécié en ce temps-là, suivant l’essor du même genre en Europe (Nous deux en France, Grand hôtel en Italie...), le succès venant principalement de sa forte connotation sentimentale.

26 Après un passage éblouissant au Festival d’Angoulême en 1986 (présence malgache au stand « Afrique et océan Indien »), il semble que peu à peu, cette ardeur « bande dessinesque » se soit émoussée. Dès 1989, les kiosques voient les ventes se tasser. En effet, les difficultés financières étant, les lecteurs se laissent séduire par la location de bandes dessinées au détriment des créateurs. Les problèmes politiques, économiques existants expliquent le pouvoir d’achat très bas et, donc, cette chute de la production de BD dans les années 1990. Seules quelques oeuvres soutenues par la coopération française ou francophone sortent de temps à autre (Les jeux sont faits, Liza ou Les fables de La Fontaine) et permettent à leurs auteurs d’exprimer leur talent. De toute évidence, ces problèmes contextuels ne découragent pas les auteurs malgaches qui continuent de créer du travail de qualité. Le journal réunionnais Le cri du margouillat publiait régulièrement des auteurs malgaches, dont Anselme et Roddy jusqu’en 2000.

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27 La BD malgache se relance alors grâce à l’association Mada BD qui réalise, avec l’appui du Centre culturel Albert Camus, deux albums collectifs : Sary gasy, « Dessins malgaches », et Ny lasa no miantoka ny ho avy, « C’est le passé qui assure l’avenir », présentés à la Deuxième journée africaine de la BD à Libreville en 1999 et au 27e Salon international de la BD d’Angoulême en 2000, suivis en 2003 par Dahalo. Le bédéiste Didier Randriamanantena, alias Didier Mada BD, publie dans le quotidien L’express, deux histoires, Anosy fahagola, « Anosy naguère », et surtout Nampoina (nom écourté du roi Andrianampoinimerina), repris, plus tard, en album. Puis, Randriamanantena signe le premier album solo malgache édité en Europe : Imboa (2005).

28 Outre les difficultés politiques et économiques, la mauvaise distribution existante, des questions se posent sur le choix de langue (BD en français ou en malgache ?), la nouvelle orientation de la BD (BD pédagogique ou ludique ?) et l’avenir de la BD malgache.

29 Actuellement, la BD malgache survit à travers quelques revues, humoristiques pour la plupart, comme Gazety Soimanga, Saringotra, Ngah8, Manala Azy ou Sketch, parmi les plus connues.

L’image et la fonction de la BD

30 La BD malgache est vue comme une BD réaliste : elle est un fixateur de la société malgache qu’elle met en scène. La nécessaire précision de ses décors et de ses dialogues aboutit à de véritables documents sociologiques. Elle fournit des renseignements précieux sur les vêtements, les objets usuels, les machines, les habitations, les paysages, les langages et les mentalités malgaches ; bref, elle nous informe sur l’identité malgache. Elle est également source de richesses iconographiques et textuelles sur la vie quotidienne et les thèmes imaginaires d’un moment donné. En fait, elle n’a pas

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seulement un aspect documentaire, mais est également l’instrument de représentation totale du réel, comme un miroir social.

Caricature à l’endroit du régime de Marc Ravalomanana, président de la République de Madagascar

(Madagascar on line, no 5478, 5 février 2007)

31 À Madagascar, les auteurs dessinent pour la presse, les ONG ou bien encore pour les entreprises privées... La BD est donc vue comme instrument de communication : elle informe, enseigne, explique, séduit, dédramatise... Nous notons son importance, entre autres, dans les domaines comme la santé où la BD est utilisée afin d’expliquer la prévention de maladies (comme le sida ou le paludisme) ou encore l’intérêt d’une bonne méthode de contraception. Elle est également présente dans l’enseignement (manuels pédagogiques), les milieux religieux (petits illustrés de textes bibliques), toutes sortes de campagnes préventives relatives au développement du pays (environnement : sensibilisation sur la déforestation ; politique : comment voter ; social : pourquoi envoyer ses enfants à l’école...).

32 Il nous apparaît donc important de souligner que la BD malgache peut être employée comme support didactique, scientifique à des fins multiples. Elle est, par conséquent, l’outil de communication le plus intéressant de nos jours, son avenir reposant sur la puissance du souffle créateur collectif.

33 Les messages de la BD sont visuels et linguistiques. C’est la raison pour laquelle nous pouvons la considérer comme un art total et vivant. Les entreprises ou autres institutions voient en elle des pouvoirs inattendus : ceux de communiquer, de juger, d’informer et d’entraîner l’adhésion dans l’instant. Le plaisir apporté à sa lecture est

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différent du plaisir que nous procure un roman ou un film au cinéma. Il s’agit d’un plaisir mélangé entre la dialectique du discours verbal et le discours iconique. Cela lui donne une force insoupçonnée. De ce fait, la BD ne devrait pas être marginalisée des autres genres littéraires.

34 Cette étude sur l’histoire de la BD de ses origines à nos jours nous a permis de retracer l’évolution de ce genre que certains qualifient maintenant de « paralittéraire ». Nous avons rendu hommage aux pionniers du genre en Europe et en Afrique, en discutant particulièrement du cas malgache. Madagascar est reconnu comme le premier pays africain à s’être présenté au Festival international d’Angoulême et à avoir fait ses preuves. Malgré des débuts prometteurs, la BD malgache connaît des difficultés comme la plupart des pays du continent africain : embûches éditoriales, situation politique et économique désastreuse menant à une baisse des ventes... Aidée par des organismes francophones ou des associations et centres culturels locaux, elle se démène pour rester sur le marché national et international.

35 Nous rajouterons que les Malgaches attendent de la BD qu’elle rende l’image de leur société dans un langage intelligible. Ainsi, bien dessiner et présenter un bon scénario, c’est mieux communiquer un message. Être mieux compris signifie alors un élargissement considérable de l’audience. La BD peut véhiculer très efficacement des messages sur la santé, l’éducation, et servir d’outil de sensibilisation au développement comme d’outil de promotion culturelle.

36 Enfin, la BD malgache peut servir d’accroche aux non-Malgaches ou aux apprenants malgaches de la langue : découverte de la langue, éveil à sa pratique et ouverture sur la culture. Nous pensons qu’elle permet de toucher un large public, y compris la population analphabète. Ne serait-il donc pas judicieux d’innover les thèmes de la BD à Madagascar ? Les auteurs n’ont-ils que du malaise social à offrir au public ? La satire, les provocations, les critiques dans la presse ou les revues n’ont-elles pas fini par lasser les bédéphiles ? L’approche pédagogique pourrait, semble-t-il, développer la BD malgache et en diversifier les propos, tout en restant attractive sur les images, les scénarios et les prix.

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NOTES

1. La 34e édition a eu lieu en janvier 2007 à Angoulême. 2. Comics aux États-Unis, historietas ou tebeos en Espagne, fumetti en Italie... 3. Par exemple, La religion des bulles. Analyse du discours religieux dans la BD africaine d’expression française, Louvain-la-Neuve, Université catholique de Louvain, 1996. 4. Doda, Valosa et Besorongola sont des noms propres de personnes. Besorongola, célèbre personnage des contes malgaches, est un jeune vaurien sympathique, mais reste l’image de la brebis galeuse qui ennuie ses proches par sa paresse et son insolence. 5. Aussi auteur de Belamota, décédé en 2002. 6. Rabesandratana, auteur aussi de Ibonia, a crée les éditions Horaka (1982). 7. Aussi auteur de Paingotra et Koditra, deux BD d’épouvante comme Bobel. 8. Ngah, en malgache, arrive à vendre à peu près 20 000 exemplaires par semaine, d’après le dessinateur Ra-Lery qui a travaillé dans ce journal.

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Notes

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Quelques écrivains betsileo méconnus

Adolphe Rahamefy

1 Dès qu’il est question des Hautes Terres centrales de Madagascar, le Betsileo est souvent inclus dans l’Imerina, alors qu’il possède une identité qui lui est personnelle, et sa littérature est un élément, parmi tant d’autres, qui permet son identification.

2 Délimitons le Betsileo. Pour cela nous emprunterons, dans les paroles attribuées traditionnellement à Andriamanalina, les « limites » de la région du Betsileo, alors qu’il s’adressa à un exilé, et qui furent rapportées par Andrianarahinjaka (1987 : 517) : … … Si vous souhaitez aller vers le nord, Allez traverser le fleuve Mania ; Et si vous vous dirigez vers le sud, Passez au-delà d’Ivohibe ; Mais si vous préférez aller vers l’ouest, Ralliez donc Ifitampito ; Enfin, si l’est vous tente, Plongez dans l’Ikongo.

3 En effet, le Betsileo est entouré au-delà du fleuve Mania, au nord, par la région merina ; au sud par les Bara ; à l’ouest les Sakalava le côtoient et à l’est, nous avons les Tanala.

4 Cette région, celle des Betsileo en fait, a été le terrain de prédilection de plusieurs générations de chercheurs. Citons, parmi les plus connus, les H. Dubois ou encore J. Sibree, puis H. Randzavola, auxquels s’ajoutent J. Rainihifina, puis J. Ranaivozanany, F. Andrianasolo et N. Rajaonarimanana, sans oublier L. X. M. Andrianarahinjaka. Seulement, mis à part les dernières thèses portant soit sur la linguistique, soit sur l’ethnologie, l’aspect littéraire a été quelque peu délaissé après L. X. M. Andrianarahinjaka. Il est vrai qu’après l’importante contribution de Dubois, par sa Monographie des Betsileo, dans laquelle un livre entier, le troisième, a été consacré à la littérature, puis avec la thèse de doctorat d’État d’Andrianarahinjaka sur Le système littéraire betsileo, le sujet semble avoir été épuisé.

5 Pourtant, il reste quelques aspects restés dans l’ombre qui méritent d’être mis en lumière : il est ainsi de certains auteurs, annoncés comme informateurs. Tel fut le cas

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de Maurice Michel Rajoharson, plus connu par les habitués du marché d’ sous le nom de Ramisely, qui, chaque vendredi, étalait au marché ses oeuvres à côté de tant d’autres. Dès les années 50, il s’était déjà inquiété de l’indifférence de ses concitoyens, quant à la culture betsileo. Aussi s’était-il écrié : Mis à part le dictionnaire de H. Dubois, je n’ai pas vu de livre écrit en dialecte betsileo … … Pourtant nous adressons nos remerciements à l’égard de nos cadets qui ont pu sauvegarder nos coutumes, si bien que nous pourrions nous tirer d’affaire, à propos des us concernant les échanges verbaux.

6 Rajoharson était un descendant direct de la lignée des anciens « princes régnants » de l’ancien royaume de l’Isandra, la région réputée pour avoir connu l’unique roi qui aurait contribué à l’unification de tout le Betsileo, Andriamanalimbetany.

7 Cet auteur avait à son actif une histoire de l’Isandra et, particulièrement, celle de Ramavo, dernière reine de l’Isandra avant la colonisation ; de plus, il a publié des livrets sur la littérature betsileo (Literatiora betsileo), où il entremêlait tous les genres. Le premier livret, d’une dizaine de pages, a été édité par l’Imprimerie Takariva, à Tananarive en 1958 : il y aura dix-sept rééditions ! Les autres ne connaîtront pas tous un tel succès. Toujours est-il qu’ils mériteront un peu plus d’attention : ils ont l’avantage d’avoir été collectés par un Betsileo auprès de leurs « acteurs », tous natifs de la région.

8 De plus, cette littérature était écrite dans le dialecte local, recueillie par un natif soucieux de l’authenticité de sa langue. À preuve, il figurera parmi les informateurs d’Andrianarahinjaka.

9 Mais avant Dubois, d’autres missionnaires de la London Missionary Society, comme J. Sibree ou encore T. C. Price, se sont déjà intéressés au Folk-lore and folk-tales of Madagascar, avec en sous-titre Selections from traditionary lore of the Malagasy people (in the native language), en 1877.

10 Dans les recueils, collectés par des natifs betsileo, nous trouverons aussi bien des kabary que des proverbes en betsileo, relatant les relations entre les natifs et leurs voisins merina.

11 Andrianarahinjaka ne fut pas qu’enseignant-chercheur : il était aussi poète, surtout dans sa jeunesse, et a publié, en 1988, un recueil de poèmes, Terre promise, qui prend source dans son pays natal qu’est le Betsileo. Il est vrai qu’un compte rendu en a été fait par Radodoarivelo Rakotoarivelo, en 1992, dans la Revue de Madagascar (p. 119-120), mais il est des éléments qui méritent d’être vus sous d’autres angles. Ainsi quand il parle de l’intensité de la violence de la passion qui l’anime, dans son poème intitulé “Femme”, il évoque l’image du feu troa, des feux volontaires, immenses, ayant tout détruit lors de l’affrontement entre deux clans parents, celui des partisans de Troa face à ceux de Mbala, tous les deux susceptibles d’accéder au pouvoir, étant des cousins germains, et nous voyons que ses poèmes prennent racine dans la tradition betsileo. Le silence ainsi que la solitude sont le leitmotiv de son inspiration, mais la violence de ses sentiments ne peut être évaluée que si l’on plonge dans la tradition betsileo. Ainsi le feu de troa détruira-t-il le Betsileo d’antan, autant que les feux de son amour consumeront le poète avec sa passion.

12 Un grand inconnu, pourtant célèbre sous la Première République du Président Tsiranana pour avoir soutenu, en 1967, les paysans contre les propriétaires terriens dans le , est René Andrianilàna. Ce fut un ancien instituteur reconverti en agriculteur à Mananjary, plus exactement à Kianjavato, qui deviendra par la suite

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conseiller rural et se passionnera pour la politique ainsi que pour la civilisation et la culture de ses ancêtres betsileo à Antsiobe. Il avait collecté et couché sur un manuscrit toute une richesse culturelle du Betsileo. Malheureusement, il l’avait prêté pour le perdre. En 1980, j’ai eu le privilège de pouvoir en recueillir quelques bribes pendant mes enquêtes portant sur les mythes betsileo, et j’espère pouvoir les publier pour les mettre à la disposition du public intéressé.

13 On oublie souvent aussi Joseph Ranaivozanany, un pasteur protestant de Fanjakana, un village de l’Isandra, dont les écrits rapportent et ravivent les traditions du pays dans ses volumes intitulés Elan’ny Nosy, et tant d’autres comme Andriamampihantona, celui qui, en 1970, proposa sur les antennes de la Radio Uuniversité les kabary betsileo, dont il fera des livres par la suite.

14 Ma liste ne saurait pourtant prétendre en aucune manière à être exhaustive. Je voudrais seulement mettre en exergue l’importance d’un domaine qui ne mérite pas d’être délaissé et reste, de fait, un immense champ d’investigation.

15 Aussi, terminerai-je par des suggestions qui, éventuellement, pourront contribuer au développement de la recherche littéraire en pays betsileo. Si les livres de M. Rajoharson avaient pu être réédités plus d’une dizaine de fois, les raisons en sont simples : écrits en langue régionale, ils étaient publiés dans un format de poche très pratique. De plus, ils étaient faciles à lire car ils ne comportaient qu’une dizaine de pages. Enfin, leur prix était modique, à la portée de toutes les bourses. D’ailleurs, ce genre d’édition populaire a déjà fait ses preuves en Imerina avec les petits livres de quatre sous, dénommés bokin- draimbilanja. L’écrivain Paul Rapatsalahy excellait dans ce genre.

16 Le but à atteindre est assez simple : dans une société où, en plus d’un pouvoir d’achat restreint, les médias, par l’intermédiaire de la télévision et de la vidéo, ont poussé les lecteurs potentiels dans la facilité, il faut trouver le moyen de redonner goût pour la lecture. Et, dans une seconde étape, il faut aller à la rencontre des auteurs réels ou potentiels et essayer de leur prêter main forte ; il est de notoriété publique qu’à Madagascar, le métier d’écrivain ne nourrit pas son homme. Dès lors, bien que des ONG ainsi que d’autres entités, tels les centres culturels, soient prêts à leur servir de mécènes, encore faudrait-il dénicher les talents. Je pense qu’une bibliothèque ambulante associée à une troupe folklorique réveilleront et susciteront des talents cachés, puisque les « êtres littéraires », selon Andrianarahinjaka, doivent évoluer dans leur environnement naturel.

BIBLIOGRAPHIE

ANDRIAMAMPIHANTONA, 1977, Kabary betsileo fanao amin’ny famadihana, Tananarive, Impr. Takariva.

ANDRIANARAHINJAKA, L. X. M., 1987, Le système littéraire betsileo, Fianarantsoa, Ambozontany.

DUBOIS, H., 1938, Monographie du Betsileo, Paris, Institut d’ethnologie.

RAINIHIFINA, J., 1961 Lovan-tsaina betsileo III, Fianarantsoa, Impr. catholique.

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RAJOHARISON, M. M., 1958 Literatiora betsileo, Tananarive, Impr. Takariva. s.d. Ramavo mpanjaka, Tananarive, Impr. Takariva.

RANAIVOZANANY, J., 1958 Ny elan’ny Nosy, Tananarive, Industrie des arts graphiques.

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Comptes rendus

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FUMA Sudel & MANJAKAHERY Barthélémy (dir.), Pharmacopée traditionnelle dans les îles du Sud- Ouest de l’océan Indien

Gabriel Lefèvre

RÉFÉRENCE

FUMA Sudel & MANJAKAHERY Barthélémy (dir.), Pharmacopée traditionnelle dans les îles du Sud-Ouest de l’océan Indien (Actes du colloque international, 10-13 déc. 2005, Tuléar), Saint-Denis, Université de La Réunion, 2006, 254 p. ISBN : 2-916533-09-5

1 Les actes du colloque tenu à Toliara en 2005 proposent un ensemble de travaux de chercheurs en sciences humaines, historiens pour la plupart. Le résultat est un large éventail de thèmes abordés en dix-huit articles répartis entre histoire, religion, contes et légendes, thérapie et anthropologie. Trois contributions portent sur la Réunion, deux sur l’île Maurice, et treize sur Madagascar. On regrette l’absence à cette réunion de spécialistes des Comores, des Seychelles et des îles swahilies, en particulier de Zanzibar. Les organisateurs signalent dans la préface qu’ils avaient invité au colloque un tradipraticien malgache, qui « a bien voulu apporter son témoignage, écouté avec intérêt par l’ensemble des participants ». Mais on regrette que rien de ce qu’a dit ce guérisseur (anonyme) n’apparaisse dans la publication.

2 L’article de Martine Balard entame l’ouvrage par un aperçu sur la pharmacopée et le système colonial en 1942. S’appuyant sur des archives coloniales, elle montre que pouvaient cohabiter dans l’administration attrait pour ce qui était identifié comme relevant de la culture traditionnelle malgache et rejet de cette même culture. Ces vues antinomiques avaient leurs représentants respectifs, par exemple, chez Raymond Decary, administrateur en chef et responsable de la recherche scientifique, qui encourageait toute investigation ethnographique, alors que pour un Philippe Rozier,

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sous-gouverneur, l’intérêt était quasi-inexistant et ne relevait finalement que de la curiosité. Martine Balard souligne qu’il faut attendre le lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour que les végétaux soient finalement véritablement envisagés dans une perspective anthropologique, et non pas uniquement pour leurs applications potentielles.

3 On relève quelques erreurs sur les noms malgaches des plantes citées en exemple ; ainsi il faut lire Tamenaka au lieu de Tamonaha pour le nom du vermifuge bien connu Combretum sp. (p. 11), et Lombiro au lieu de Iombiro pour la liane toxique Cryptostegia madagascariensis Boj. (p. 12), faute de copie, ou erreurs de lecture des manuscrits, sans grande importance pour la cohérence de l’article.

4 « Nommer, herboriser, désherber » : par ce jeu de mots, Jean-François Géraud traduit le désir de la France et de l’Europe coloniales dans leur logique d’organisation du monde appliquée au domaine des plantes médicinales de Madagascar. L’auteur cite le Docteur Heckel, dont le programme était (dans ses travaux de 1903 et 1910) de valider les savoirs traditionnels en ne retenant que les plantes médicinales dont « l’expérience aura démontré l’utilité réelle » et en rejetant celles dont « l’emploi est inspiré par des idées extrascientifiques ». Ce programme est prôné également par Dandrieu qui s’inquiète du nombre de plantes qui seront « conservées par l’usage médicinal, quand elles auront été soumises à l’examen scientifique des chercheurs », car conformément à l’idée la plus répandue dans le personnel d’administration des colonies, elles ont été, selon lui, sélectionnées par « l’empirisme le plus grossier et la superstition la plus folle ». Mais ce programme, comme le fait remarquer J.- F. Géraud, « en passant au crible les simples, passe inévitablement au crible des pratiques culturelles fondamentales ». Cet article dénonce donc finalement la logique de la colonisation dans laquelle « le rationalisme est un dispositif d’agression, facteur de domination et d’asservissement, qui fonctionne comme un principe de négation, prononçant ici l’exclusion d’une culture ».

5 Ce point historique appelle déjà un autre travail, car si J.- F. Géraud arrête son étude à 1910, l’idée coloniale de validation des savoirs traditionnels par la science occidentale pour une épuration culturelle est toujours bien ancrée ; on pourrait même dire qu’elle constitue encore aujourd’hui le fond de la démarche de certaines O.N.G. en action à Madagascar.

6 Sudel Fuma et Jean Poirier proposent un aperçu sur « La pharmacopée créole dans la mémoire orale des Réunionnais de la période coloniale et postcoloniale », aperçu qui a l’intelligence de s’effacer pour faire entrer en scène les acteurs de la médecine traditionnelle. En effet, après une rapide présentation du contexte de l’étude, la parole est laissée aux « anciens qui expriment merveilleusement la richesse de la pharmacopée créole de La Réunion lontan ». Les auteurs évitent de se restreindre à des listes de plantes avec leurs « indications ». Comment mettre en grille sans les rendre stériles les explications de pratiques thérapeutiques, avec leurs ambiguïtés, leurs sous- entendus ? Un témoin rapporte : « Pour lutter efficacement contre la fièvre infantile, on faisait des bains d’herbes dans lesquels on trempait l’enfant ; on lui mettait aussi une compresse sur la tête. On pouvait aussi casser un oeuf cru sur la tête de celui-ci ; il cuisait avec la température ! »

7 Jean Bertin I. Ramamonjisoa, qui enseigne à l’Université de Toliara, s’attache à démontrer que « Point de forêt, point de devin-guérisseur ». Et pour y arriver, il déploie, à la suite de son travail de thèse, devenu référence, mais malheureusement toujours inédit, une argumentation s’appuyant sur une ethnographie très précise de

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l’activité des ombiasa dans leur relation avec le milieu forestier. Pour montrer que la forêt est l’habitat de forces mystérieuses, maîtresses des plantes médicinales et sources de l’efficacité des guérisseurs, il fait appel à plusieurs entretiens. Ainsi Rehaja (à Toliara, 20 septembre 2005) explique la manière dont on doit se procurer les espèces végétales servant de remèdes, les volohazo, dont J. B. I. Ramamonjisoa traduit le nom par « figures de bois » : En vérité, les plantes d’essences magiques des bois ne devraient pas être achetées au marché, elles devraient être collectées dans la forêt. La raison c’est qu’il existe des rituels qu’il faut réaliser avant la coupe… … Si un devin va prendre des “figures de bois”, il va dans la forêt, il amène ce qu’il peut amener soit des perles, de l’argent, soit un poulet, soit une chèvre, soit un mouton. Il les amène dans la forêt, il les y immole pour prier les lutins… … : » Je vais prendre telle figure de bois et alors sanctifiez les figures des bois que je vais emmener ».

8 Gérard Fanchin rend hommage à Louis Bouton, « Un Blanc, vulgarisateur de la médecine traditionnelle des Noirs », auteur d’un ouvrage sur les plantes médicinales poussant à ou cultivées à l’île Maurice, publié en 1857. Le travail de ce Louis Bouton était remarquable dans sa détermination à collecter des informations auprès des « Noirs dans une île Maurice imbue de préjugés racistes ». Bouton fait des références constantes à l’œuvre de Joseph-François Charpentier de Cossigny qui diffusait les pharmacopées de l’océan Indien. L’article renvoie donc à celui de Claude Wanquet, de l’Université de la Réunion, qui décrit cette activité de Charpentier de Cossigny. Pour Wanquet, de Cossigny était un représentant du Siècle des Lumières, un propagandiste cherchant à acclimater certaines plantes, en particulier médicinales, et à diffuser des informations pour le progrès de l’humanité.

9 L’article de Jean-Robert Rakotomalala, « Sémiolinguistique et thérapeutique traditionnelle », attire l’attention sur l’intérêt d’analyser les noms de plantes en termes linguistiques et sémiotiques. Il le fait en citant quelques exemples, mais sans pousser plus loin l’analyse et appelle par là un approfondissement de la question.

10 Lucien David donne un rapide aperçu sur le kily ou tamarinier (Tamarindus indica L., Fabaceae), et une liste importante de noms de villages contenant le terme kily, avec leur signification et leur localisation. Il finit son article sur un appel à l’arrêt de la déforestation résultant des besoins en charbon de bois des grandes agglomérations et des feux de brousses. Il rappelle que les kily sont aussi parfois abattus au nom de Jésus- Christ par les propagandistes de mouvements chrétiens qui y voient le refuge des démons.

11 L’article sur la boxe traditionnelle moraingy qui clôt l’ouvrage, fruit de la collaboration entre Ernest Ratsimbazafy, doctorant à l’Université de la Réunion, et Évelyne Combeau- Mari, enseignante à la même université, est riche d’informations obtenues dans un secteur qui « cultive le mystère et conserve secrètement ses “recettes” ». Surtout, le moraingy constitue un nœud de pouvoirs dans la région du Menabe, comme le montre la place indispensable des devins-guérisseurs dans ces manifestations, ainsi que la variété des fanafody gasy (« remèdes malgaches » ; les auteurs disent « pharmacopée et médecine traditionnelle malgache ») qu’utilisent les combattants.

12 Les éditeurs de la publication reconnaissent dans leur préface que les travaux produits à l’occasion de ce colloque appellent une suite qui suppose un renforcement des échanges entre sciences sociales et « sciences dures ». En effet, l’approche de l’étude des pharmacopées telle qu’elle est menée dans cet ouvrage, et plus particulièrement dans l’article de S. Fuma et J. Poirier, enrichira le point de vue habituellement limité

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des travaux des ethnobotanistes, mais on doit souhaiter que la jonction soit établie avec la botanique systématique : détermination précise des plantes, constitution d’un herbier de référence.

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ROBIVELO Adrienne Rodolphe, Le christianisme et l’usage des plantes médicinales à Madagascar : relecture, réconciliation, réhabilitation

Gabriel Lefèvre

RÉFÉRENCE

ROBIVELO Adrienne Rodolphe, Le christianisme et l’usage des plantes médicinales à Madagascar : relecture, réconciliation, réhabilitation, Thèse en théologie protestante, Strasbourg, Université Marc-Bloch, 2005 (directeur : J.-F. Collange. 346 p.). Num national de thèse : 2005STR20068

1 La thèse en théologie protestante d’Adrienne R. Robivelo donne un éclairage sur la place des plantes médicinales pour une chrétienne malgache décidée à défendre leur usage. Le point de vue est d’autant plus intéressant qu’il s’agit du témoignage de l’auteure elle-même, à la fois convaincue du rôle que peuvent jouer les plantes médicinales dans l’économie de son pays, certaine de leur potentiel thérapeutique, et décidée à démontrer que recours à la médecine traditionnelle et pratique de la foi chrétienne ne sont pas incompatibles.

2 Pour Adrienne Robivelo, le rejet dont la médecine traditionnelle a été l’objet de la part des chrétiens malgaches est la conséquence d’un enchaînement de malentendus et d’erreurs. D’une part, elle identifie des raisons politiques et économiques. En particulier seraient responsables de cette situation l’implantation européenne rejetant à ses débuts toute forme culturelle rappelant la typicité malgache par idéologie politique, de même que l’adhésion sans restriction à ce modèle imposé par un effet d’illusion qui confond étranger et panacée. D’autre part, elle recourt à plusieurs arguments théologiques. Elle reprend l’idée proposée par plusieurs auteurs selon laquelle la religion malgache des ancêtres n’est pas un polythéisme, mais bien un

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monothéisme, et doit donc être envisagée comme respectable par le chrétien. L’usage des plantes médicinales ne peut donc plus être rejeté sous le motif de son association au paganisme. Elle identifie ensuite dans les versions malgaches de la Bible l’argument d’une erreur de traduction sur les termes hébreux et grecs signifiant médicament et médecin, erreur qui aurait conduit les chrétiens malgaches à rejeter plantes médicinales et guérisseurs.

3 Cela conduit l’auteure à une discussion sur les traductions de ces termes dans la première version protestante (1835), dans la version reçue de 1908-1909, toujours en usage dans les églises protestantes, et dans les traductions catholiques (1938) et œcuméniques (DIEM, 1991 pour le Nouveau Testament, 2003 pour la Bible entière). Après un examen soigneux, elle conclut que le terme pour médecin mpanao fanafody (litt. « faiseur de remèdes ») avait à l’origine un sens positif, puisque le mot fanafody, qui traduit « remède », a lui-même un sens positif, ce qui est confirmé par le fait qu’en un cas, la version catholique de 1938 rend la même notion par fanasitranana tsara (litt. « bon remède »), montrant ainsi qu’il s’agit d’un élément bénéfique, fait pour soigner. Pourtant, l’expression mpanao fanafody a aujourd’hui une connotation nettement péjorative, du fait qu’on sous-entend fanafody gasy (« remèdes malgaches », c’est-à-dire remèdes indigènes, remèdes locaux), équivalent de mpanompo sampy (« ceux qui servent les idoles »). Car « Jésus se compare lui-même, selon la version de 1908, à un mpanao fanafody »dans des versets de l’Évangile, par exemple en Marc 2,17. Pour l’auteure, la « condamnation des mpanao fanafody » provient alors d’une « erreur grave » de traduction, qui remonte à la version de 1835, dans laquelle les médecins désignés par ce terme peuvent être confondus avec les mpanao ody, mot qui désigne « ceux qui pratiquent la sorcellerie et le charme, fortement condamnés ».

4 Même si on n’adhère pas au détail de l’interprétation proposée par A. Robivelo — il est probable que dans le contexte de 1835, mpanao fanafody, mais aussi bien mpanao ody, désignait le soignant ou le guérisseur sans nuance particulière de condamnation —, les tableaux qu’elle présente ont un grand intérêt. Là où la version de 1835 hésitait entre mpanao ody et mpanao fanafody, on voit celle de 1908 généraliser la seconde expression, et introduire dans de rares passages le mot d’emprunt dokotera. La version catholique (1938) garde quelques occurrences de mpanao fanafody, mais emploie le plus souvent dokotera, et une fois mpitsabo (« soignant »), tandis que la DIEM généralise dokotera partout, sauf en un passage où elle emploie mpitsabo. Ces traductions successives montreraient donc plutôt la transformation du sens des mots, et, par conséquent, de l’appréciation par la société malgache des pratiques de soins.

5 La chercheuse identifie ensuite dans la Bible des éléments qui lui permettent de soutenir que l’utilisation des plantes médicinales fait partie du message chrétien. Son objectif étant de « revaloriser des produits de la nature », elle voit dans l’action du Christ même des signes allant dans ce sens. Par exemple, lorsque Jésus utilise salive et boue, techniques thérapeutiques de guérisseurs déjà pratiquées par ses contemporains, c’est d’après elle « pour revaloriser et réhabiliter les produits de la nature dénigrés et rejetés du fait qu’ils sont utilisés dans la thérapie païenne » (p. 211). De cette idée, elle déduit un raisonnement similaire au sujet des plantes médicinales malgaches qui, quoique associées parfois à des rituels de guérison faisant appel à des pratiques magiques, doivent être envisagées comme des créations divines que le chrétien doit apprendre à exploiter.

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ATHENOR Christine & TRANNOY Marion, « Ody, talismans malgaches, liens de mémoire », Cahiers Scientifiques

Gabriel Lefèvre

RÉFÉRENCE

ATHENOR Christine & TRANNOY Marion, « Ody, talismans malgaches, liens de mémoire », Cahiers Scientifiques (Lyon, Muséum, Département du Rhône), no 11, 2006, p. 5-69, bibl., phot.

1 L’article de C. Athénor et M. Trannoy qui occupe pratiquement tout le fascicule 11 des Cahiers scientifiques d’un Muséum de Lyon, vivant et dynamique, développe un concept muséologique original : celui de « donner du sens » à des objets muséographiques par l’écoute de la parole des populations dont ces objets sont issus. Le travail présente, avec de nombreuses photographies, le catalogue d’une collection de talismans malgaches, ody, « remèdes, charmes », ou mohara, « cornes étuis à talismans », provenant pour la plupart de Charles Renel, ethnographe et romancier, directeur de l’enseignement à Madagascar de 1906 à 1925.

2 Un voyage à Madagascar a permis de recueillir les commentaires de quelques témoins malgaches sur les photographies de ces objets, qui n’étaient plus connus pratiquement que par eux-mêmes, et étaient en quelque sorte devenus « anonymes et silencieux ». Les photographies ont constitué alors le « déclencheur d’un discours qui permet d’approcher différents éléments de la société malgache et des objets similaires contemporains ». Les résultats sont présentés sous forme de fiches, un genre très figé qui se trouve ainsi renouvelé. Cependant, les auteures ne s’affranchissent pas complètement de ce mode de présentation. Car si les images se sont effectivement révélées des déclencheurs de paroles, l’espace laissé à ces voix, des sélections de

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courtes phrases sans la version malgache, aurait pu être élargi : des précisions sur les discussions et commentaires, même les plus anodins aux yeux des muséographes, auraient enrichi notre compréhension de ces objets.

3 D’ailleurs, les ody sont véritablement entourés de mystère à Madagascar, et il n’est pas étonnant que les auteures soient déçues du peu de loquacité des personnes interrogées. Il est vrai que ces objets sont certainement moins bien connus aujourd’hui qu’au moment de leur collecte, et aussi que n’en présenter qu’une photographie a sans doute restreint la discussion. Mais montrer ces objets eux-mêmes aurait été extrêmement délicat, car ils occupent une position centrale dans le système magico-religieux, et possèdent une force évocatrice intense pour nombre de personnes. Ils sont craints ; parler de tels objets avec des inconnus, en particulier avec des Européens que la croyance populaire peut soupçonner de sorcellerie, serait une expérience inquiétante.

4 En bref, et même si C. Athénor et M. Trannoy ont le sentiment que, dans le jeu de miroir auquel elles se sont livrées, « les réponses apportées ne sont pas celles attendues ou escomptées », on se réjouira des perspectives ouvertes par une muséographie sensible au contexte social des objets autant et plus qu’à leur seul aspect esthétique pour le public européen.

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RAHAMEFY Adolphe, Sectes et crises religieuses à Madagascar

Lanto Andrianjafitrimo

RÉFÉRENCE

RAHAMEFY Adolphe, Sectes et crises religieuses à Madagascar, Paris, Karthala, Coll. « Tropiques », 2007, 183 p. ISBN : 978-2-84586-1.

1 Adolphe Rahamefy, en s’intéressant lors d’une précédente étude à la situation politique du Betsileo à la fin du XIXe siècle1, s’est trouvé confronté à une situation de conflits politiques dus aux rapports entre l’ancienne culture malgache et les apports religieux et politiques venus de l’Occident. De cette étude et des enseignements qu’il en a tirés, l’auteur a par la suite souhaité étendre sa réflexion aux rapports actuels du christianisme et de la religion des ancêtres. Il nous livre ici le résultat de sa nouvelle étude dans un ouvrage constitué de huit chapitres dont nous dégagerons pour chacun les idées essentielles.

2 En suivant une chronologie historique, il décrit les éléments significatifs qui, à ses yeux, ont façonné l’évolution du culte à Madagascar. L’auteur, dans le premier chapitre, précise ce que l’on entend par religion des ancêtres à travers les observations des premiers arrivants occidentaux sur l’île et les recherches qui en ont découlé. Dans cette démarche, deux obstacles vont se présenter : • d’une part, il existe sur l’île une multiplicité de pratiques qui ne semblent pas participer à un même système religieux bien que l’on retrouve l’unicité du terme razana pour désigner les ancêtres. Ainsi, l’auteur a choisi « culte » des ancêtres plutôt que « religion » qui aurait été approprié en présence d’un système unique, ce qui n’est pas le cas à Madagascar ; • d’autre part, les premiers arrivants occidentaux se trouvent confrontés à l’absence de signes et symboles de culte à l’européenne, tels que les temples, autels, dévotion, ce qui les aura déstabilisés dans la compréhension et l’interprétation des pratiques qu’ils découvriront. En exemple, le débat sur l’unicité ou la multiplicité de la divinité malgache (Zanahary) ne trouvera jamais de réponse satisfaisante et définitive.

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3 Des paradoxes issus du razanisme (culte des ancêtres) aux yeux des Occidentaux, plusieurs chercheurs tenteront de remonter à son origine en faisant des rapprochements avec d’autres systèmes extérieurs, qu’ils soient religieux, philosophique, lexicologique ou social, semblant présenter des similitudes à leurs yeux. Ainsi, certains voudront y voir un lien particulier avec le sanscrit et des dialectes africains pour la langue, d’autres avec la religion juive pour certains rites, et le bouddhisme en rapport avec l’esprit de sagesse particulier qui anime la population de l’île.

4 Rahamefy finit par dégager deux aspects centraux au razanisme : « La religion ancienne réglemente l’ordre familial, social et politique » (p. 12) ; dans la religion traditionnelle, on maintient le contact avec un monde qui nous a précédés, et Zanahary est invité à venir chez les vivants, alors que, chez les chrétiens, on s’élève vers les cieux par la prière (p. 12). Ainsi, après avoir fait un recensement des différentes opinions rapportées par les chercheurs occidentaux à la découverte du culte des ancêtres, l’auteur dans son deuxième chapitre revisite les mythes d’origine du culte des ancêtres pour en dégager les différents symbolismes, approfondir la conception traditionnelle de Dieu (Zanahary) et étudier le rapport des vivants aux morts, élément central du culte.

5 On peut souligner que le culte des ancêtres est d’abord utilitaire et doit pouvoir s’inscrire idéalement dans chaque événement de la vie quotidienne du fidèle qui cherche principalement à capter, à travers les rites appropriés, le hasina, considéré comme pouvoir de bénédiction pour les vivants. Les razana — aïeux, rois, Vazimba (premiers habitants des lieux), dieux, Zanahary — sont traditionnellement les détenteurs de ce pouvoir sacré hasina, qui, de l’autre côté de la vie profane et visible, sont supposés continuer à agir dans le quotidien des Malgaches, et avec qui les vivants doivent composer pour réussir à mener une vie en règle avec ce qui doit être correctement observé et accompli dans la vie sociale traditionnelle. Celle-ci se structure autour du fihavanana, concept intraduisible que l’on peut cependant rapprocher de la notion de solidarité. Tandis que l’Occidental doit tisser son réseau humain tout au long de sa vie, le Malgache, lui, dispose du sien donné par avance et son effort consistera principalement à maintenir intacte sa participation au fihavanana. Une mention particulière est faite à propos de l’importance de la dynamique d’association ancêtres/vivants, celle-ci étant basée sur le respect des valeurs fondamentales, en vue d’un monde d’harmonie (lahatra).

6 Notons l’importance qu’ont eue les rituels d’intercession des souverains auprès des Vazimba (supposés premiers ancêtres) en vue de capter le hasina, considéré ici comme pouvoir spirituel de légitimation amené à fonder l’histoire politique, religieuse et sociale de l’Imerina.

7 Dans le troisième chapitre, Rahamefy procède à une analyse de certains rites traditionnels faisant appel soit à un objet sacré (sampy, ody) ou à un individu lors de rites de possession (tromba). Dans ce dernier cas, l’intervention supposée d’ancêtres ou de rois illustres continue à guider le quotidien des participants. Ainsi, les souverains, après leur mort, continuent à maintenir leur emprise sur les vivants, instaurant un nouveau type de contrôle social.

8 S’ensuit un éclairage sur la signification de certains concepts-clés de l’organisation sociale traditionnelle malgache et du culte traditionnel. Il introduit, d’un côté, les notions importantes telles que aina (flux vital), vintana (destin propre) et, de l’autre, les

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éléments du culte traditionnel, tels que le tromba (rite de possession), ody (talisman), saha (médium investi par l’esprit), sampy (palladium), tso-drano (bénédiction), famadihana (secondes funérailles).

9 À l’aide de ces différentes notions, la situation de l’homme malgache peut être décrite de la façon suivante : il vient à la naissance avec son vintana, est soumis aux règles d’interdit social (fady) et de prohibitions familiales (sandrana) dans le cadre général du fihavanana. Il cheminera de son vivant en respectant ces règles, mais, en cas de transgression volontaire (ota) ou involontaire (tsiny), il devra nécessairement racheter ses fautes par des rites appropriés. Tout nouveau projet entrepris au cours de sa vie devra ainsi tenir compte de ce vécu, résultante des actes passés (tody).

10 Dans le quatrième chapitre est abordée l’arrivée des premiers chrétiens à Madagascar à partir du XVIe siècle. Ils rencontrent plusieurs obstacles, tels que la pratique généralisée des talismans par les autochtones, les guerres entre tribus dans le Menabe, la présence de communautés musulmanes au nord-ouest (Boeny), la polygamie dans la baie de Nosy-Be (p. 77-78). Cette période marque le début de profonds bouleversements philosophiques et sociaux.

11 On notera une grande percée au XVIIe siècle avec l’établissement en dialecte tanosy du premier dictionnaire et la traduction des prières chrétiennes (p. 80).

12 L’auteur consacre une partie importante à la mission de la LMS (London Missionary Society), introduite en Imerina au début du XIXe siècle à l’invitation de Radama I pour « pouvoir instruire mon peuple dans la religion chrétienne et dans ces différents métiers tels que tisserands, charpentier, botanistes » (p. 81).

13 Par la suite, l’avènement de Ranavalona I correspond à une période de persécution des chrétiens, car le christianisme, prônant l’égalité et la même origine des hommes, est totalement incompatible avec la conception royale. À sa mort Radama II, qui lui succède, invitera les catholiques et les protestants à rouvrir leurs missions.

14 D’une visée initialement commerciale, la présence des Occidentaux va aboutir à la fin du XIXe siècle à une situation de colonisation avec la nécessité de transmettre les valeurs occidentales pour lesquelles le christianisme sera un fer de lance.

15 Dans le cinquième chapitre, l’auteur introduit la reconnaissance officielle du christianisme, suite à la conversion du couple Ranavalona II Rainilaiarivony au protestantisme. Il met par la suite en évidence l’influence des confessions chrétiennes sur la population : protestant en Imerina, luthérien sur la côte ouest, anglican sur la côte est, catholique chez les Betsileo et norvégien à Antsirabe. Il rapporte par ailleurs le fait que les personnes en brousse restent très attachées à leurs anciennes croyances malgré les efforts appuyés d’évangélisation et les conversions de façade. De leur côté, les autorités administratives coloniales opposent la laïcité et la libre pensée aux efforts d’évangélisation, favorisant ainsi le terreau du razanisme.

16 Rahamefy nous fait découvrir ensuite les formes successives de coexistence qu’ont pris le razanisme et le christianisme : d’abord, dans leur opposition frontale, puis, en cohabitation et, pour finir, dans leur compréhension mutuelle, voire l’intégration réciproque de valeurs afin d’assurer une bonne entente sur le sol malgache. Ainsi au milieu du XXe siècle, les structures chrétiennes appuyèrent la volonté d’indépendance des Malgaches et devinrent une force politique officieuse, exemple frappant s’il en est de la nécessité de s’associer pour le bien commun.

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17 Les fidèles chrétiens observent aujourd’hui un certain respect envers les tenants du razanisme et vice-versa, ne serait-ce que pour faire passer une revendication ou un message commun aux autorités : les défis à surmonter pour sortir la société de la situation actuelle sont si aigus qu’il est nécessaire de faire appel à toutes les bonnes volontés, celles des fidèles en l’occurrence ; des fidèles qui, souvent, gardent un pied dans chaque camp afin d’adopter des croyances bien « arrangeantes » pour leur quotidien. Dans le sixième chapitre, Rahamefy recense des lieux significatifs de culte (doany), passés ou présents, où furent effectués des rites traditionnels d’invocation : sur la colline d’Alasora, à Andriambodilova sur la colline d’Ambohimanarina, Andranoro, Ankazomalazo pour lesquels il effectue une analyse des cérémonies afin de mieux les appréhender. Le phénomène encore très actuel du tromba (rite de possession) y est examiné ainsi que l’opposition du christianisme à sa pratique. Là où se déroule une négociation ancestrale pour les traditionalistes, les mouvements chrétiens y voient un combat antidémoniaque à mener, bien que des pratiquants des cultes traditionnels se disent en même temps chrétiens. Il est indéniable cependant que la possession demeure le moteur commun des rites de l’ancienne religion et des néocultes qui apparaissent sur les Hautes Terres.

18 L’auteur aborde dans le septième chapitre l’évolution des églises, notamment les scissions des églises protestantes (en partie dues à la réinterprétation des textes bibliques) conduisant à l’émergence de sectes et néocultes. D’autres facteurs viendront favoriser cela : l’intérêt pour la guérison biblique comme base à l’émergence de nouveaux mouvements, la mauvaise intégration de nouveaux paroissiens arrivant en ville, les problèmes ethniques en province « où le christianisme est perçu comme une foi étrangère apportée par les fonctionnaires et les pasteurs merina » (p. 136).

19 Deux mouvements sont étudiés en détail : Jesosy Mamonjy (Jésus sauve), fondé après l’indépendance par le prédicateur Daoud, qui prône une vie de pauvreté, l’imposition des mains et les guérisons par la prière ; ainsi que le Fifohazana, un mouvement revivaliste basé sur la fraternité humaine et la guérison par la prière. L’objectif des Fifohazana n’est plus d’apprivoiser les ancêtres issus des rites traditionalistes, mais d’exorciser les démons.

20 Dans son huitième et dernier chapitre, Rahamefy fait le constat de la paupérisation avancée de la population, résultat de la déshérence de l’État qu’il explique par l’aveuglement idéologique et les voies hasardeuses empruntées. Il insiste sur l’influence dévastatrice que cela a eu dans la société : dans la désagrégation du tissu social, de l’idéal et des valeurs issus du christianisme comme celles de la religion traditionnelle. Les repères se sont estompés pour les fidèles, pressés comme ils étaient par la nécessité de survie personnelle et familiale au quotidien. En conséquence, de multiples mouvements sectaires et néochrétiens (Fifohazana, Jesosy Mamonjy, Pentecôtistes), faisant le lit de cette situation, réussirent à émerger en se substituant aux structures traditionnelles étatiques et chrétiennes, car elles surent apporter des réponses concrètes aux besoins vitaux et matériels des fidèles.

21 L’auteur met ensuite en avant certains éléments qui, à ses yeux, sont décisifs dans l’évolution de culte à Madagascar : • l’adhésion au christianisme correspond à une aspiration à la modernité et constitue un élément positif d’ascension sociale, qui assure en retour le succès de l’évangélisation ; • d’une certaine manière, les deux religions ne s’adressent pas aux mêmes destinataires : le culte traditionnel allant des ancêtres vers les hommes, le christianisme prenant le chemin

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inverse des hommes vers Dieu ou Jésus ; il ne peut y avoir au final de conflit frontal, mais plutôt une coexistence, voire une compatibilité ; • à la mort, le chrétien trouve son salut éternel en Dieu ou Jésus, tandis que les razanistes, en ayant respecté de leur vivant les rites, entrent dans la communauté des ancêtres ; • le christianisme va s’enculturer et tolère la continuité de pratique de certains rites ancestraux par ses fidèles, mais il oppose un refus catégorique au culte des idoles et au tromba ; • les sectes et mouvements néochrétiens représentent aujourd’hui un contre-pouvoir à l’État chrétien qui a « failli », comme en son temps le razanisme vis-à-vis de l’État colonialiste (p. 163-164, affaire du mouvement nationaliste Menalamba et transfert des dépouilles royales d’Ambohimanga vers le Rova, palais royal de Tananarive).

22 Rahamefy terminera avec une interrogation personnelle sur l’avenir de la situation cultuelle à Madagascar pour laquelle il n’arrive pas à dégager d’issue claire ; il émet au final le souhait qu’un équilibre soit trouvé entre christianisme et religion traditionnelle, en faisant l’hypothèse que cela se fera par l’émergence d’une personne providentielle qui, ayant fait en elle-même la synthèse, montrera le chemin. C’est-à- dire qu’elle sera fermement ancrée dans la foi chrétienne et, n’ayant pas oublié d’où elle vient, elle sera enrichie de l’histoire de son passé et des traditions.

23 Cet ouvrage nous a semblé riche et dense dans son approche multidisciplinaire (sociologique, politique, religieuse, historique) en vue de la compréhension du sujet. Il s’appuie par ailleurs sur une bibliographie complète. L’auteur a su rapprocher des données éparses en vue de fournir au lecteur une compréhension d’ensemble du phénomène religieux à Madagascar qu’il a su ici parfaitement expliciter à travers ses formes et conceptions variées. Une des grandes qualités de l’ouvrage est aussi d’avoir fait l’étude et la critique en profondeur des principaux mouvements religieux qui ont compté tout au long de l’histoire de Madagascar.

24 Sans rien enlever à la grande valeur dont fait preuve la documentation, il aurait été aussi intéressant d’avoir un développement sur la religion musulmane en plein essor actuellement et peu abordée dans ses dimensions historique, sociale et politique. Un complément de recherches vis-à-vis des événements plus récents concernant, d’une part, l’arrivée en 2002 du président Ravalomanana à la tête d’un nouveau régime porteur d’espoir pour la population et, de surcroît, représentant de la FJKM ou Fiangonan’i Jesoa Kristy eto Madagasikara (Église de Jésus-Christ à Madagascar), et, d’autre part, l’ouverture de la société au phénomène de la mondialisation viendra avantageusement compléter cet ouvrage. Il n’est d’ailleurs pas inutile de souligner l’étendue et la complexité du sujet abordé. C’est pourquoi nous recommandons vivement au lecteur intéressé le présent ouvrage pour sa richesse et sa grande clarté.

NOTES

1. Le roi ne meurt pas, Paris, L’Harmattan, 1997.

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DUPOIZAT Marie-France & HARKANTININGSIH Naniek, Catalogue of the Chinese Style Ceramics of Majapahit. Tentative Inventory

Claude Allibert

RÉFÉRENCE

DUPOIZAT Marie-France & HARKANTININGSIH Naniek, Catalogue of the Chinese Style Ceramics of Majapahit. Tentative Inventory, Cahiers d’Archipel no 36, 2007, Paris, 111 p., 83 pl. en couleur, biblio. ISBN : 978-2-91051-351-1.

1 Les deux auteurs se livrent ici à un essai de synthèse des poteries chinoises que le site de Trowulan a livrées depuis plus de trente ans, comme l’annonçait déjà une publication des deux auteurs dans Archipel 671.

2 L’historique des diverses fouilles est fait et la présentation des poteries chinoises avec illustration et planches en couleur pour la période couvrant l’époque Majapahit (fin XIIIe - début XVIe siècles) sera pour tous les spécialistes des populations nousantariennes particulièrement utile.

3 On retiendra également deux compléments que nos collègues auront à juste titre apportés : une présentation des poteries thai et vietnamiennes associées à cette époque. En effet, celles-ci sont souvent mal connues par les chercheurs de l’océan Indien occidental qui ont une fréquentation plus soutenue des poteries chinoises. L’autre complément, qui, aux yeux des deux auteurs, constitue une sorte de rappel de l’époque antérieure est également très intéressant pour les secteurs du monde banto-swahili et comorien-malgache. En effet, cette période pré-majapahit de l’Asie du Sud-Est présente des poteries chinoises que nous retrouvons dans l’océan Indien occidental dans les sites

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nommés Dembeni d’après le site éponyme des Comores où elles sont associées à de la poterie islamique (sassano-islamique, sgraffiato).

4 À cet égard, il importe de remarquer l’identité totale des poteries trouvées à Dembeni et à Lobu Tua (Barus)2, apportant la preuve qu’aux IX-Xe siècles, la diffusion des poteries islamiques et chinoises, ainsi que des verres persans, était réalisée de part et d’autre de l’océan Indien, sans doute par les Arabopersans, mais probablement accompagnés de marins d’autres origines. C’est ici que se pose le rôle tenu par les Austronésiens dans cette navigation au contact de Madagascar.

5 Une telle correspondance entre les deux côtés de l’océan Indien, même si elle n’est constatée ici que dans les poteries d’importation, demanderait à ce que cette relation soit mieux étudiée par une association de chercheurs. L’étude des poteries locales associées à ces zones rendra peut-être possible la détermination du point de départ des proto-malgaches. Les sites offrant la plus grande chance devraient se situer dans un secteur délimité par Sumatra, Java, Bornéo, Sulawesi et les Philippines.

6 La poterie chinoise est également bien représentée dans le secteur de l’océan Indien occidental. Les planches de l’ouvrage montrent cependant moins de correspondances entre cette poterie trouvée pour Majapahit et Madagascar. Toutefois, le plat présentant deux poissons tête-bêche (XIII-XIVe siècle, p. 36, fig. 4) se trouve aussi à Vohemar (nord- est de Madagascar) et représente d’ailleurs la datation la plus ancienne pour l’ensemble de tombes de cette nécropole.

7 Les poteries chinoises trouvées à Madagascar et aux Comores, et souvent à la côte est- africaine, sont plus régulièrement des bleu et blanc ming. Les poteries chinoises de Majapahit aideront très certainement à opérer, à l’avenir, des déterminations plus précises dans l’ouest de l’océan Indien.

8 Une bibliographie de six pages constitue aussi un matériel de références qui sera apprécié.

9 Enfin, la présentation par Claude Guillot introduit bien Majapahit dans l’histoire de Java.

10 Pour conclure, on ne peut qu’être satisfait de voir ce catalogue être mis à la disposition de tous ceux qui ont besoin de points de repère excellemment illustrés pour opérer des comparaisons pertinentes concernant les typologies chinoises des IX au XVe siècles trouvées de chaque côté de l’océan Indien.

NOTES

1. M.- F. Dupoizat & N. Harkantiningsih, « Les plus anciennes céramiques chinoises du site de Trowulan », Archipel 67 (Sources et documents), 2004, p. 11-16. 2. Rappelons l’excellente publication faite par C. Guillot : Histoire de Barus. Le site de Lobu Tua, vol. I (1998), vol. II (2003) dans les mêmes cahiers d’Archipel (no 30).

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LEFÈVRE Gabriel, Médecines hybrides dans le sud et le sud-ouest de Madagascar. Les mots-plantes à Toliara

Gabriel Lefèvre

RÉFÉRENCE

LEFÈVRE Gabriel, Médecines hybrides dans le sud et le sud-ouest de Madagascar. Les mots- plantes à Toliara, Thèse de doctorat, Institut national des langues et civilisations orientales, Paris, 2007, 2 vol. , 471 p., bibl., ill., répertoire des plantes récoltées1. Num. national de thèse : 2007INAL0027.

1 L’expression « médecine traditionnelle », au mieux bien commode, ne décrit pas correctement la réalité des relations entre les devins-guérisseurs malgaches, ombiasa, et leurs clients. Il ne s’agit pas en effet d’une pratique qui s’opposerait à la biomédecine en ce qu’elle renverrait à une thérapeutique inchangée depuis des temps immémoriaux, mais plutôt d’un ensemble de pratiques répondant à une logique bien différente de celle de la biomédecine. Jeux sur les mots et analogies à valeur explicative y occupent une place prépondérante, tandis que la notion de maladie y a un sens beaucoup plus large, un sens social, voire cosmique.

2 Les pratiques thérapeutiques du Sud-ouest malgache montrent à la fois une grande stabilité et une transformation continuelle. On observe en fait que, s’il y a, d’une part, incorporation d’objets étrangers, tels que plantes nouvelles, termes médicaux ou même techniques thérapeutiques, d’autre part, une logique relativement stable continue à ordonner ces pratiques.

3 Il s’agit donc, plutôt que d’une « médecine traditionnelle », de pratiques qu’on ne saurait opposer terme à terme à la biomédecine, et pour lesquelles on peut motiver de plusieurs manières l’emploi de l’expression « médecines hybrides ».

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4 Cela correspond au sens couramment attaché aujourd’hui à la notion d’être hybride, association de deux éléments qui, par nature, ne devraient pas être réunis. Il y a hybridation quand les devins-guérisseurs empruntent certains éléments à la biomédecine (posologie, instruments, termes médicaux), ou encore quand ils envoient les malades chez le médecin — cas qui peut se présenter, par exemple, quand le guérisseur pense que le médecin confirmera un diagnostic de possession.

5 Mais il y a également hybridation lorsque, suivant les normes de l’OMS, les médecins ou les hôpitaux envoient certains malades consulter des devins-guérisseurs, par exemple, lorsque les maux sont bénins et qu’est encouragé l’usage de plantes médicinales ou de pratiques divinatoires considérées comme « ne pouvant pas faire de mal » au malade ; c’est également le cas pour des maladies que la biomédecine ne peut traiter (par exemple, paralysies ou cancers).

6 La rupture idéologique qui différencie la biomédecine des pratiques thérapeutiques traditionnelles est d’ordre moral. S’il est vrai que le devin-guérisseur est pris dans un jeu de relations sociales, il n’en reste pas moins vrai qu’il adhère à la cause de son patient, prenant sa défense dans une entreprise qu’on pourrait qualifier de « mercenaire ». Ainsi, il est prêt au besoin à porter tort à ceux qui veulent du mal à son client. D’autre part, il entretient avec son client une relation tournée vers le profit, bien différente de celle attendue des médecins qui ont prêté le serment d’Hippocrate. Et la rupture théorique entre médecine hippocratique et préhippocratique, entre une activité morale et une activité d’où la déontologie est absente, est applicable à une distinction de nature entre biomédecine et pratiques thérapeutiques traditionnelles. L’association de la biomédecine et des pratiques thérapeutiques traditionnelles conduit donc à un objet hybride.

7 On peut dire également qu’il y a hybridation en ce que cela renvoie à une idée de violence. Il y a en effet violence dans la prise de pouvoir de la société occidentale sur la société malgache ; cette prise de pouvoir passe par l’imposition de vérités occidentales (mission, colonisation, développement). Ces vérités influent sur les pratiques thérapeutiques traditionnelles. De ce point de vue, il y a bien une forme de violence dans la transformation de la médecine traditionnelle.

8 On peut voir là une référence à la vanité des hommes, à l’hybris d’Asclépios, le dieu de la médecine, qui redonne la vie. On sait que l’ombiasa a le pouvoir de rendre la vie à l’homme. Mais lorsque, selon une formule traditionnelle malgache, il change, il améliore « ce que Dieu a mal fait », c’est-à-dire le destin des hommes, ne commet-il pas l’hybris, cette vanité punie de némésis par les dieux grecs ? Ainsi, Asclépios est foudroyé, puni pour son hybris, avoir rendu la vie à des mortels. En ce sens, cette médecine traditionnelle du sud-ouest qui change les destins est une vanité, une hybris.

9 Cependant, les points communs entre médecine traditionnelle et hippocratique sont nombreux. Parler d’hybris de cette médecine, c’est poser la question de ce qui les unit. C’est aussi utiliser une forme hybride de référence, entre les étymologies grecques, familières au discours de la tradition savante européenne, et les étymologies populaires malgaches, qui sont l’un des ressorts de la connaissance des ombiasa. Toutes deux permettent, chacune dans leur registre propre, un ancrage dans le mythe.

10 La première partie de l’ouvrage présente le contexte historique dans lequel les représentations occidentales sur l’exotisme sont envisagées à partir d’un point de vue botanique. Pour envisager les transformations et résistances à l’œuvre dans la

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médecine traditionnelle, une présentation de ce que je propose d’appeler le « malentendu » végétal et humain est nécessaire. Il s’agit donc d’exposer la rencontre entre monde malgache et monde européen, avec pour toile de fond l’exploration botanique européenne à Madagascar, élément fondamental et moteur extrêmement puissant pour la mise en place de circuits commerciaux transcontinentaux. Je montre que les représentations qui sont à l’œuvre dans cette rencontre ont donné un héritage, vivant jusqu’à aujourd’hui et constamment réactualisé dans l’imaginaire occidental. En fait, dans cette représentation se superposent plusieurs regards ou strates, depuis la fascination antique pour l’exotisme en passant par la phase expansionniste européenne et les grands voyages d’exploration du monde jusqu’à la période coloniale et ses avatars contemporains (coopérations, développement et interventionnisme). Ces différentes visions allant dans le sens de la formation d’une illusion dans laquelle monde tropical et monde colonial sont deux concepts interchangeables, pris l’un pour l’autre. Je propose de parler de « tropicolonialisme végétal ».

11 Après cette mise au point, une statique de la médecine traditionnelle, inspirée d’une présentation synchronique, constitue la deuxième partie de ce travail. Cet instantané des pratiques thérapeutiques traditionnelles sert d’assise à une dynamique de cette médecine traditionnelle. Cette description constitue une manière de présentation diachronique avec la prétention de suggérer des pistes pour des mécanismes de transformation culturelle.

12 La statique permet de réévaluer la typologie des guérisseurs telle qu’on la trouve présentée dans la littérature ethnographique. Je montre que, dans le sud de Madagascar, le savoir des plantes est considéré comme un attribut du devin-guérisseur et faiseur de charmes capable d’agir sur le monde. Connaître les plantes ne va pas seul, mais implique la connaissance de l’ensemble des choses du monde2, pouvoir accordé par la divination géomantique et par les astres, et enseigné dans la relation avec des êtres invisibles des eaux et des forêts : « Ils peuvent donner à tout des explications et apporter aide à tout besoin ou danger »3. Les plantes sont un élément essentiel dans la composition des charmes, aoly, qui s’accompagne de rituels, d’invocations, de l’imposition d’interdits ou faly et, parfois, de sacrifices. Les plantes, les pierres, les animaux, l’eau, les rivières et tous les éléments et forces de la nature sont maîtrisés et utilisés par le devin.

13 Cependant, la connaissance des plantes médicinales n’est pas réservée aux seuls devins- guérisseurs. Les possédés, les rebouteux, les femmes accoucheuses, et quelques autres catégories de spécialistes y ont également recours. Et les plantes que l’on trouve sur les marchés reflètent les besoins des différents recours thérapeutiques ainsi identifiés. Je montre que les catégories de médecins traditionnels avancées parfois sont en fait assez fluctuantes. Mais tous, ils interagissent avec leurs consultants, malades, affligés ou envieux, dans une logique générale des besoins de la personne dans la société. Cette société n’est pas seulement celle des hommes-vivants, olombelo, puisque les ancêtres et les êtres invisibles y participent, dans un même système naturel organisé par les astres et, spécialement, les destins zodiacaux.

14 Revenons sur la rencontre entre le consultant et le devin-guérisseur. On pourrait avancer la proposition suivante : une personne bute sur un problème sur lequel elle n’a pas prise ; elle va à la rencontre d’un spécialiste qui se mettra à son service pour que cet obstacle soit levé. Les besoins présentés peuvent être d’une grande diversité. À côté du malade en quête d’un soignant, on trouvera l’homme qui veut fonder une maison ou un

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parc à bœufs en quête d’une protection durable, mais aussi le chercheur d’or ou de pierres précieuses, le politicien à la position chancelante en quête d’ascension sociale ou économique. On y trouvera aussi l’homme ou la femme en quête d’une assistance dans leurs entreprises amoureuses et matrimoniales, et, tout près de ce dernier cas, les jaloux et les méchants en quête d’un moyen d’envoyer le mal vers leurs ennemis. On voit que le métier du devin-guérisseur est bien loin de consister seulement à deviner et à guérir. En fait, son rôle est d’intervenir en quelque sorte sur commande pour tout problème personnel ou social qui lui est soumis. J’expose que le jugement moral sur les services qui lui sont commandés importe peu ou pas du tout. On pourrait dire qu’il s’agit d’un mercenaire qui se met sans états d’âme au service des buts de sa clientèle. Paradoxalement, cette pratique mercenaire des arts de guérison n’entre pas en contradiction avec la conception de l’idéal malgache, centré sur les valeurs de la parenté, fihavanana ; faire de la parenté le concept auquel la plus haute valeur morale est attachée (Bloch) revient à considérer tout ce qui est en dehors de la parenté comme un domaine sur lequel peut s’exercer la quête du profit, dont on peut donc profiter. S’il est dit qu’on ne doit au grand jamais mentir aux membres de sa parenté, cela autorise en quelque sorte à mentir aux autres, quand il s’agit de rechercher le bien, le profit des parents avec lesquels on est inscrit dans une solidarité de principe. Dès lors, on ne s’étonnera pas que les ombiasa soient identifiés comme des menteurs, certains diront des charlatans, non pas dans le sens où leur pouvoir serait illusion ou mystification, mais bien plutôt dans le sens où ce pouvoir d’envoyer le mal comme de le rejeter, très réel, est utilisé pour profiter des clients. Ainsi, la relation unissant le malade au devin- guérisseur est celle du commerce et de la peur. L’ombiasa est vu comme un technicien, qui manipule des forces qui, d’ailleurs, le dépassent, qui peuvent le faire tomber lui- même dans la maladie et le malheur. Mais dans cette manipulation, il se considère comme autorisé à agir pour les buts de son consultant, sans avoir à rechercher si ces buts sont justifiés.

15 Cette présentation synchronique du cadre de la médecine traditionnelle du sud de Madagascar permet de redessiner la logique des soins, mais permet également d’évaluer la pertinence du découpage souvent opéré par les anthropologues entre nature et surnature, et d’analyser le fonctionnement de la classification vernaculaire par le biais des connaissances botaniques des guérisseurs traditionnels.

16 À partir de cette statique de la médecine traditionnelle, présentation comme figée, hors du temps, j’amorce une perspective diachronique, mettant l’accent sur les éléments révélateurs de transformations, de mélanges, en quelque sorte une dynamique de la médecine traditionnelle. Ces transformations, ou pour user d’une figure physiologique, ces croisements, impliquent parfois une véritable violence, une hybris, ce qui nous autorise à parler de l’hybridation de la médecine traditionnelle.

17 Les facteurs externes de modification relèvent des institutions qui modèlent une société sur des normes importées. L’expression du pouvoir de la société européenne peut se résumer en plusieurs composantes : santé, économie, religion dans un cadre plus large d’illusion exotique ou « tropicoloniale ». Cette représentation du monde, prenant ses origines dans l’illusion antique de l’ailleurs lointain, et s’accélérant à partir du XVIe siècle avec les grandes explorations du monde a conduit à installer durablement cette logique où colonial et tropical sont deux termes qui peuvent être pris l’un pour l’autre. La tension vers l’imposition d’une vérité apportée de l’extérieur (mission, développement, préservation de la nature, santé publique) constitue l’expression de la

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volonté de pouvoir de la société européenne sur la société malgache. Ceci est particulièrement manifeste dans l’intégration des tradithérapeutes au système de santé officiel, dont on peut se demander s’il ne s’agit pas surtout d’un moyen de les contrôler et de prévenir des risques sanitaires liés à leurs activités. En amont de l’idée de progrès véhiculée dans la propagande européenne, on trouve finalement la volonté de normalisation des pratiques, c’est-à-dire de contrôle du système local par un autre qui lui est étranger.

18 Cela se traduit par une transformation de la place des ombiasa et autres spécialistes de la cure du mal dans la société malgache. Les institutions étrangères, en particulier missions chrétiennes et biomédecine, repoussent ces spécialistes traditionnels du côté obscur, caché, de l’efficacité sacrée, hasy, des forces qu’ils manipulent, leur volant la part reconnue de garant de l’ordre social qu’ils étaient seuls à assurer autrefois. Christianisme et biomédecine revendiquent pour eux seuls le volet public et lumineux du hasy, réduisant ainsi de moitié le domaine d’activité des devins-guérisseurs.

19 À ces logiques de transformation externes de la « médecine traditionnelle », je montre que sont associées des logiques internes, tant linguistiques que psychologiques ou sociales.

20 Je m’attache dans un premier temps à décrire les processus de transformation des mots qui peuvent être conscients ou inconscients, remotivations spontanées et remotivations intentionnelles. Je m’interroge ensuite sur un autre facteur potentiel de transformations, résumé dans la manière dont les devins-guérisseurs se qualifient parfois eux-mêmes : des menteurs. Je tente d’exposer les raisons pour lesquelles les devins-guérisseurs, d’une part, sont, selon un stéréotype général, accusés de mensonge, et pourquoi, d’autre part, ont autant de succès.

21 La capacité à être inspirés, à recevoir des informations par la divination et par les astres est un autre facteur potentiel de changement que je tente de préciser. En effet, les savoirs communs aux initiés s’accompagnent du pouvoir métaphysique sur la connaissance.

22 La possibilité qu’ont les devins-guérisseurs de changer les destins des hommes entre également en jeu. Mais je montre que, si, finalement, une grande liberté semble apparente pour la composition de charmes, leur constitution reste toutefois assujettie à de fortes contraintes. La connaissance des plantes apprise au cours de la formation de l’ombiasa en est l’exemple le plus frappant. Connaître les plantes, c’est également connaître le pouvoir que les plantes peuvent avoir sur le monde, et savoir le mettre à profit.

23 Le domaine d’action du devin-guérisseur, que ce soit par la connaissance des végétaux ou bien la divination géomantique, est par certains aspects bien différents de la biomédecine. Je le mets en parallèle avec l’assimilation d’éléments issus de la biomédecine dans les pratiques des devins-guérisseurs, comme, par exemple, l’influence sur les conceptions populaires des maladies. Je montre également que le système magico-religieux comporte une part de syncrétismes consistant en particulier à l’assimilation des figures du christianisme dans les pratiques thérapeutiques traditionnelles.

24 J’aborde pour finir la manière dont l’usage et le nom des plantes peuvent s’intégrer à la culture du sud et du sud-ouest de Madagascar.

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25 Le deuxième volume de l’ouvrage donne le répertoire des plantes récoltées, par noms malgaches et identifications botaniques, avec les indications recueillies sur le terrain, et un corpus (138 pages, textes malgaches et traductions françaises) constitué de récits mythiques, de descriptions de cures, d’histoires de vie de guérisseurs, etc., ainsi qu’une liste commentée de noms de maladies.

NOTES

1. Sous la direction de M. Noël Jacques Gueunier, soutenue le 7 décembre 2007 (mention très honorable, avec félicitations) ; jury de soutenance : MM. Philippe Beaujard (CNRS), Narivelo Rajaonarimanana (INALCO), Jean-Noël Labat (Muséum national d’histoire naturelle), Clément Sambo (Université de Toliara). 2. On pensera ici à Michael Lambek (Human Spirits, 1981 ; Knowledge and Practice, 1993), qui, décrivant les modes de connaissance dans la société des locuteurs de langue malgache de Mayotte, appelle le savoir des magiciens et devins une cosmologie. 3. L. Vig, Les conceptions religieuses…, [1892] 2001, p 123. Vig fait partie des missionnaires qui ont à la fois agi sur les pratiques religieuses ancestrales et ont recueilli une ethnographie fondamentale sur Madagascar.

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