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ASPECTS DE LA PRÉSENCE ITALIENNE DANS LA MUSIQUE FRANÇAISE DE LA FIN DU XVIIe SIÈCLE Jean DURON 1992 Retracer l’histoire de la musique à la Cour de France en omettant le phénomène italien déséquilibrerait la connaissance de l’évolution du goût à l’époque classique. L’art ultramontain servit tout à la fois de stimulant, de repoussoir, de ciment à l’œuvre nationale. MARCELLE BENOIT, Versailles et les musiciens du roi, Paris, Picard, 1971, p. 264. James R. Anthony, dans un article récent 1, souligne l’absence d’opéra italien en France après 1662 d’une part et l’entrée de ballet intitulée “Orfeo nell’inferni” dans Le Carnaval de Venise de 1699 d’autre part. Presque trente-sept années de silence donc, interrompues par le seul Nicandro e Fileno de Paolo Lorenzani en 1681, qui fut composé sur un livret du duc de Nevers. Lorenzani poursuivra du reste l’année suivante en partageant avec Lalande une Sérénade en forme d’opéra qui contenait des parties italiennes importantes, mais dont il ne reste aucune trace aujourd’hui. Hors le théâtre, en revanche, la musique ultramontaine continua d’être diffu- sée après le départ de la première vague d’Italiens en 1662 (Rossi, Cavalli…), départ qui correspond à la prise en main du pouvoir par le roi Louis XIV. Un Italien, Giambattista Lulli, s’imposa aussitôt au théâtre (Les Plaisirs de l’Isle enchantée, 1664) et à la Chapelle (Miserere, 1664). Henry Du Mont, Liégeois formé à l’école italienne et arrivé de fraîche date à Paris, accédait à la direction de la musique de la Chapelle royale en 1663. En semble pourtant, ces deux auteurs de culture italienne, définiront un goût français, une esthétique propre au cli mat, à l’opposé des manières qu’ils avaient apprises, en s’appropriant à la fois les tour- nures mélodiques et expressives de l’air de Cour et les formules rythmiques et structurelles de la noble danse. Leur langage tirera sa quin tessence des carac- tères spécifiques de la langue française, s’inspirera des ordonnancements de la tragédie parlée ou de l’architecture, du caractère de la peinture et de la poésie. Le grand motet à l’office, puis la tragédie en musique à l’opéra, formes françaises 1. James R. Anthony, “Air and Aria added to French Opera from the Death of Lully to 1720”, Revue de musicologie, 77 / 2 (1991), p. 201. 98 LE CONCERT DES MUSES totalement neuves – sans modèle préexistant, même si tous les éléments qui les constituent, pris à part, étaient préalablement connus –, furent donc le fait de maîtres de culture ultramontaine. On connaît la volonté politique du jeune roi Louis XIV et de son ministre Colbert, dans les premières années du règne, pour créer une image de l’art fran- çais forte qui véhiculerait en Europe l’image d’une monarchie forte en même temps que celle de la cohésion nationale. Les artistes ultramontains furent dès lors repoussés et notamment bien sûr le Bernin ; on relégua ainsi, au bout de la pièce d’eau des Suisses, la statue équestre représentant le roi ; les pro positions de cet artiste pour la façade du Louvre furent écartées de la même manière… Lulli échappa à ce destin, en apparaissant à juste titre comme le concepteur de la manière nouvelle. L’ascension de M. de Lully bien évidemment put paraître se faire au détriment de l’ensemble des compositeurs français, hormis ceux qui suivirent sa manière. Des moyens considérables lui furent octroyés et notam- ment le privilège d’une Académie royale de musique. Cette nouvelle esthétique s’installe en marge de l’art “officiel” du temps, en marge de l’air de Cour au sens large, le genre français par excellence, qui conti- nua à se développer au cours de cette période. Lully se lia du reste à l’un des plus brillants représentants de ce style, Michel Lambert dont il épousa la fille. Lully inséra, dans certaines de ces œuvres théâtrales, des doubles de Lambert ou des pièces écrites “à la manière de…” : voir par exemple dans La Grotte de Versailles, le second couplet de l’air d’Iris, “Dans ces déserts paisibles”. Dès le début des années 1670 toutefois, un contre-courant (une résistance) apparut au nouvel art officiel, grâce notamment à la personnalité de Marc-Antoine Charpentier, compositeur français qui aurait travaillé à Rome auprès de Carissimi. On ne signalera jamais assez la différence des concepts artistiques de ces deux hommes, con cernant notamment la conduite du temps musical dans la partition. Lully crée des formes (des “desseins” disait-on alors) et simplifie à l’extrême le contenu du langage, la grammaire ; Charpentier charge au contraire son harmonie, intensifie les effets contrapuntiques, mais il concède plus aux formes préexis- tantes, tout au moins jusqu’au début des années 1680 ; plusieurs œuvres en effet montrent après cette date quelques traits d’inspiration lulliste chez Charpentier, notamment dans l’histoire sacrée Mors Saülis et Jonathæ [H. 403], le Cantique de Zacharie [H. 345], David et Jonathas [H. 490]. Lully représente donc une sorte de modèle en développant dans les années 1664-1680 un concept d’avant-garde au moins du point de vue formel. Du Mont pour sa part, à la Chapelle royale, pratique un art d’inspiration très nettement ultramontaine dans ses petits motets. Il est vrai qu’en ce qui concerne J. DURON : ASPECTS DE LA PRÉSENCE ITALIENNE 99 le grand motet, il adopte également les nouveaux concepts, sans abandonner pour autant quelques-unes de ses manières antérieures et notamment l’écriture de l’orchestre avec deux dessus de violon indissociables, évoluant de concert, se croisant enlacés sans cesse l’un à l’autre. Pierre Robert, son contemporain beau- coup trop méconnu aujourd’hui et qui partageait avec Du Mont la charge de sous-maître de la Chapelle, pourrait représenter pour sa part la tradition gallicane des Moulinié et Boesset. C’est dans ce climat très particulier d’une Cour aux visages multiples et nuan- cés que se situe l’arrivée en France de Paolo Lorenzani en 1678, amené depuis Messine jusqu’à Paris. Sa réception l’année suivante, comme maître de musique de la reine Marie-Thérèse, marque d’une certaine manière le début d’un nouvel épisode dans les échanges entre musique italienne et musique française. PAOLO LORENZANI La biographie de ce compositeur figure parmi les plus intéressantes de cette époque : né à Rome vers 1640, il fut élevé parmi les enfants de chœur de la Cappella Giulia de 1651 à 1654. On sait qu’il composa quatre oratorios pour l’Arciconfraternità del Santissimo Crocifisso di San Mar cello, là où avaient été donnés également les oratorios de Carissimi. Formé dans ce cadre prestigieux, il quitta Rome. On le retrouve comme maître de chapelle de la cathédrale de Messine en Sicile en décembre 1676, au moment où la guerre navale entre la France et l’Espagne était au plus fort : la flotte espagnole avait été écrasée devant Palerme par Du quesne durant le mois de juin précédent. Le duc de Vi - vonne, général des galères, maréchal de France depuis 1675, et frère de Mme de Montespan 2, remarqua Lorenzani et, lors du retrait des troupes françaises en 1678, l’amena avec lui à Paris pour le présenter au roi Louis XIV. Le Mercure galant 3 de cette époque relate l’événement : — “Il a chanté un Motet de sa composition devant le Roi. Sa Majesté le trouva si beau, qu’elle se le fit chanter jusqu’à trois fois ; ordonna une somme considérable pour son Au theur, auquel elle a fait chanter ce mesme Motet deux autres fois depuis ce temps-là. Ainsi il a été entendu cinq fois, et toujours avec le mesme applaudissement des Connoisseurs. Il est certain que la manière italienne a quelque chose de particulier pour la Musique, qui la fait trouver toute agreable.” Il y aurait beaucoup à dire sur ces phrases du Mercure, car le style des motets français de Lorenzani, tout du moins dans ceux que nous connaissons, se démarque très nettement des pratiques ultramontaines, et montre au contraire la 2. Il s’agit de Louis-Victor de Rochechouart, qui mourra en 1688. 3. Mercure, août 1688, repris par Marcelle Benoit, Versailles et les musiciens du roi, Paris, Picard, 1971, p. 245-247. 100 LE CONCERT DES MUSES grande aptitude de ce compositeur à s’imprégner du style français et de ses manières. Le Mercure 4 explique du reste cette relation très particulière de Lorenzani avec la France : — “Son inclination pour les François, estoit accompagnée d’un génie propre à leur plaire dans ses compositions de Musique.” En un mot, il avait assimilé le goût français. L’effet Lorenzani fut toutefois significatif et le Mercure publia dans la même livraison un air italien de l’abbé de La Barre, organiste de la Chapelle royale et que “le Roi ne pouvoit se lasser d’en- tendre et qu’on luy a veu admirer toutes les fois qu’il l’a entendu”. Le chroni- queur note plus loin que cet air, attribué à tort à Rossi, est “assez beau pour faire vivre sa mémoire éternellement”. Louis XIV décida donc, en vertu des mérites de Lorenzani, de lui octroyer, dès 1679, la charge de maître de musique de la reine Marie-Thérèse à la place de Boësset, charge qu’il dut partager avec Nivers. Il côtoya, là, Henry Du Mont qui possédait celle d’organiste de la reine ; et il est fort probable que, avec ces deux compositeurs, la musique de Marie-Thérèse fut dès lors un foyer d’italia nisme assez actif, comme du reste la musique du Dauphin, avec Marc-Antoine Charpentier.