NICANDRO E FILENO

opéra-pastorale de Paolo Lorenzani

Mercredi 19 Décembre 2001 - 21 h 00 Opéra royal du château de Versailles

une coproduction du Centre de Musique de Versailles et de l’Établissement public du musée et du domaine national de Versailles 5

PROGRAMME

NICANDRO E FILENO opéra-pastorale de Paolo Lorenzani (ca 1640 - 1713) Livret de Philippe-Julien Mancini, duc de Nevers œuvre éditée par le Centre de Musique baroque de Versailles CMBV 29 anthologies IV. 1

ANONYME Sinfonia

GUILLAUME DUMANOIR Courante (1615-1697) du Manuscrit de Kassel

ACTE I

ANONYME Allemande

LAZARIN Allemande (? - 1653) du Manuscrit de Kassel

ACTE II

ANONYME Allemande

ANONYME Amener du Manuscrit de Kassel

ACTE III 6

avec par ordre d’apparition

Nicandro (pasteur, pere de Filli) : Serge Goubioud, taille Fileno (pasteur, pere de Clori) : Philippe Roche, basse Filli (fille de Nicandro, amante de Lidio) : Catherine Padaut, dessus Eurillo (berger, amant de Clori) : Renaud Delaigue, basse Lidio (berger, amant volage) : Pierre Evreux, taille Clori (fille de Fileno, amante d'Eurillo) : Sandrine Rondot, dessus

et CAPRICIO STRAVAGANTE

Florian Deuter, Yannis Roger, violons Patricia Lavail, Julien Martin, flûtes Jay Bernfeld, Alix Verzier, basses de violes Jean-Christophe Marq, basse de violon Francoise Johannel, harpe Skip Sempé, Olivier Fortin, clavecin et orgue

direction : SKIP SEMPÉ et JAY BERNFELD 7

NICANDRO E FILENO

PAOLO LORENZANI (ca 1640-1713)

Né à vers 1640, Paolo Lorenzani reçu sa formation d’Orazio Benevolli, maître de musique de la , à la Basilique Saint-Pierre. Après un début de carrière dans sa ville natale, il passa trois ans à Messine, entre 1675 et 1678, au temps où le Maréchal de Vivonne était vice-roi de Sicile et offrait à la noblesse sicilienne nombreuses fêtes et spectacles pour lesquels Lorenzani composait la musique. En janvier 1678, Louis XIV remplaça Vivonne par le Maréchal de La Feuillade, ordonnant à ce dernier d’évacuer toutes les forces françaises de la Sicile. C’est à cette occasion que Lorenzani décida de poursuivre sa carrière en . Entrant au pays avec la flotte française, il mit pied à terre à Toulon le 7 avril 1678.

Arrivé à peu de temps après, Lorenzani fut accueilli aussitôt par le duc de Vivonne qui le présenta à la cour dès le mois d’août de cette année. Le motet qu’il fit chanter devant le Roi plût tellement à sa Majesté qu’elle lui donna une somme considérable, l’encouragea à demeurer en France et lui fournit une bonne partie des argents nécessaires pour acheter de Jean-Baptiste de Boësset la charge de maître de musique de la Reine. Après un voyage en Italie, de juin à décembre 1679, où le Roi l’avait envoyé chercher " les meilleurs musiciens " qu’il pourrait trouver, il prit char- ge de ses nouvelles fonctions le premier janvier 1680. Aussi, le 4 août 1680, dans l'église de la Sorbonne, il dirigea la musique du Roi au sacre de l'Abbé Colbert, fils du Ministre, à titre d'Archevêque de Carthage et Coadjuteur de l’archevêque de Rouen.

Tous ces succès ne pouvaient que troubler Lully qui en était assurément jaloux et lorsque les Ducs de Vivonne et de Nevers présentèrent au Roi l'opéra-pastorale Nicandro e Fileno, en 1681, Lully fit tout en son pouvoir pour les en empêcher mais en vain. L’année suivante, Lorenzani présenta à nouveau une œuvre dramatique devant le Roi à Fontainebleau, en collaboration cette fois avec le jeune Lalande. Mais son échec au concours de 1683 1 et la mort de la Reine Marie-Thérèse, le 30 juillet de cette même année, mirent fin à sa brève carrière à la cour.

Lorenzani continua de travailler à Paris, d’abord auprès du Théâtre italien ensuite chez les Théatins, et se fit une importante renommée surtout comme musicien d’église. Malgré le succès de son opéra Oronthée à Chantilly en 1688, il ne put obtenir une charge dans la musique du roi, même après lui avoir dédié ses motets imprimés par Ballard en 1693. Il repartit pour Rome en 1695 où la maîtrise de la Cappella Giulia lui était offerte et il y passa le reste de ses jours. Il mourut à Rome le 23 octobre 1713.

DATE ET CIRCONSTANCES DE LA CRÉATION

L’opéra-pastorale de Loranzani Nicandro e Fileno fut créé devant le roi Louis XIV et sa Cour, dans la Galerie des cerfs du Château de Fontainebleau, en septembre 1681. Ce spectacle fut préparé et pré- senté au Roi par le duc de Vivonne et le duc de Nevers qui en avait composé lui-même les paroles. Philippe-Julien Mancini (1639-1707), duc de Nevers, était le fils de Michele Lorenzo Mancini et de Hieronyma Mazarini, sœur du cardinal ; il avait épousé la nièce de Vivonne, Diane-Gabrielle de Thianges. Le duc de Vivonne était le frère de Mme de Montespan et de Mme de Thianges. 8

Les circonstances de la création de cette œuvre ont été préservées grâce à un reportage assez détaillé de l’événement dans le Mercure Galant de septembre 16812. Nous savons, par exemple, que le spectacle fut préparé en huit jours seulement et qu’il y a eu collaboration, assez rare d'ailleurs, entre la Comédie Française et la Comédie Italienne à cette occasion. Trois acteurs de la Comédie Française (Lagrange, Poisson et Rosimont) ainsi que trois comédiens italiens (Arlequin, Cinthio et Scaramouche) se partagèrent la scène et jouèrent ou improvisèrent à partir d’un canevas, un prologue, des "intermèdes" et un épilogue au cours de la présentation. Le Mercure précise en effet que le Roi “fut fort satisfait des Intermèdes. Il admira la propreté des Habits, des Musiciens & des Acteurs & dit qu’il n’avoit rien veu de si propre & de si noble que ce Spéctacle.” Il y eut sans doute plusieurs reprises puisque le Mercure dit que “Sa Majesté en a vû deux Représentations”3. Quant aux dates précises de la création et des représentations ultérieures, elles sont plus difficiles à établir de façon certaine. Une étude des registres de Lagrange et ceux de la Comédie française permet de préciser que les représentations ont eu lieu entre les 14 et 24 septembre 1681.

LE PROLOGUE ET LES INTERMÈDES

La représentation de Nicandro e Fileno, ce soir, est vraisemblablement la première depuis sa création en 1681. L’opéra est cependant présenté sous forme de "concert ", sans costumes ni mise en scène, sans comédiens pour improviser un prologue et des intermèdes. À la place, les musiciens présen- teront des pièces instrumentales choisies parmi les contemporains de Lorenzani. D’ailleurs on peut se demander si, à l’occasion de la création en septembre 1681, il y avait eu un prologue instrumen- tal avant la présentation de l’opéra, comme c’était la coutume, car il n'y a pas d'ouverture dans la source manuscrite de Nicandro e Fileno. Pourtant, le Mercure Galant dit bien que Lorenzani en avait fait "la Musique, qui fut admirée de toute la Cour, aussi bien que la Symphonie.” Lorenzani aurait- il écrit une ouverture qui est maintenant perdue ? Aussi, il est possible qu'en raison du prologue que donnèrent les comédiens, une ouverture n'eut pas été nécessaire. Quoi qu'il en soit, il est assez difficile d'imaginer de nos jours une musique de scène, même sous forme de concert, sans un prologue musical quelconque.

LES SOURCES

Le livret du duc de Nevers a été imprimé à l’occasion de la création en 1681 et une copie, unique semble-t-il, se trouve présentement au Département des Imprimés de la Bibliothèque nationale, à Paris. Le texte est présenté en italien avec, en revers à gauche, une traduction française “qui est fort fidelle” et qui “a été très estimée” précise le Mercure Galant4. En revanche, la partition est un manus- crit unique qui se trouve aujourd'hui au Département de la musique de la Bibliothèque nationale et qui fait partie de la collection Sébastien de Brossard. Selon Brossard, cette partition aurait été “toute escritte de la propre main dud. Sr Lorenzani.” En plus de cette partition, on trouve aussi à la Bibliothèque nationale des copies manuscrites de quelques extraits de l'opéra ainsi que deux extraits publiés par Ballard en 1695. 9

L’ARGUMENT

ACTE I

Nicandro et Fileno, deux pères assez âgés, dans un vain espoir de retrouver le bonheur, se proposent d'épouser chacun la fille de l'autre. Ainsi Nicandro épouserait Clori et Fileno, Filli. Mais les deux jeunes bergères refusent de suivre la volonté de leurs pères car elles aiment toutes les deux l'amant volage Lidio. Lorsque Nicandro annonce ce propos à sa fille Filli, elle refuse sous prétexte qu'elle a voué son cœur à Diane. Mais Nicandro, ainsi que Fileno, croient bien que leurs filles finiront par suivre la volonté de leur père et ils se réjouissent de cette heureuse affaire (Duo : Lasciaci dunque in pace). Filli, pour sa part, trouve ce mariage ridicule et demande à l'Amour de la guider (Air : Guidami pur Amor). Entre temps, Eurillo lui chante sans cesse des propos amoureux mais Filli lui dit qu'elle a un autre prétendant et elle le repousse (Duo : Vagha Ninfa de cori). Eurillo, malgré sa douleur, sent qu'il aimera toujours Filli et il crie vengeance contre celui qui le dérobe de l'objet de sa passion (Air : Vendetta si, si).

ACTE II

Lidio, amant frivole, admet que son cœur est volage et inconstant comme la lune changeante (Air : Nel mio cor amate). Soudain, lorsqu'il aperçoit Clori, il oublie aussitôt Filli. Clori, qui croit à l'Amour, chante son bonheur à l'insu de Lidio qui l'écoute (Air : Alma mia godi). Lidio se présente à elle et bientôt les deux se déclarent l'un l'autre un amour mutuel (Duo : Bellezze adorate). Filli, qui a tout entendu, se sent trahie par Lidio et, dans un air plaintif, demande au sommeil de venir soulager sa douleur et elle s'endort (Air du sommeil : Con inviti lusinghieri). Arrive Eurillo qui se plaint qu'il n'y a pas “plus cruelles douleurs” que celles qu'il souffre présentement (Air : Porto in seno un Mongibello). Soudain il entend Filli qui l'appelle. Elle murmure dans son sommeil que c'est lui, Eurillo, qu'elle aime et non pas Lidio. Ravi et plein de joie, Eurillo s'apprête à l'embrasser lorsque Filli se réveille et le repousse brusquement. Eurillo essaie de s'expliquer mais en vain. Filli, maintenant réveillée, le traite “de téméraire et d’impudent,” déclare qu’elle le hait et s'enfuit. Eurillo implore les cieux de lui expliquer par quelle loi une si grande cruauté peut être imposée aux hommes avec tant de tyrannie, car il ne comprend plus rien à son destin (Air : Cieli, che legge e questa ?).

ACTE III

Nicandro et Fileno se rendent compte à la fin qu'ils sont trop âgés pour se marier et ils acceptent le sort que leur impose le vieil âge (Duo : Ci vuol patienza). Pour sa part, Lidio avoue finalement que c'est bien Filli qu'il aime et qu'il ne faisait que s'amuser avec Clori (Air : Benche doppio stral mi punga). Clori, qui a entendu cet aveu, survient et l'accuse d’être un lâche et un traître, et elle exige qu'il s'explique. Arrive sur l'entrefaite Filli qui elle aussi demande à Lidio de justifier sa lâche conduite. Lidio n'a pas le choix que d'avouer candidement que c'est Filli qu'il aime et qu'il l'aimera toujours (Air : Luci belle, faci d’Amore). Filli succombe à cet aveu et les deux chantent leur bonheur (Duo : Gradito mio bene). Clori, meurtrie à son tour, supplie le Désespoir de lui enlever la vie 10

(Air : Lassa che far degg’io ?), mais elle revient à ses sens et songe plutôt à se venger, peut-être en aimant Eurillo, s'il le veut bien. Eurillo accepte ce propos (Air : A dolerti bellissima) et les deux chantent la promesse d’un bonheur parfait (Duo : Diletto perfetto). Lorsque Fileno arrive sur l'entrefaite, les deux amants lui expliquent comment leurs affections ont changé et qu'ils sont maintenant amoureux. Fileno déclare qu'en effet “l’amour naît souvent du dépit”. Dans une scène finale, où tous les personnages sont rassemblés, Lidio chante sa joie et tous invitent les bergers et les bergères à descendre de la montagne pour venir célébrer leur bonheur et chanter la gloire de l'Amour (Chœur : Dal monte, Pastori, olà, venite sù).

© CMBV - ALBERT LA FRANCE FACULTÉ SAINT-JEAN - UNIVERSITÉ DE L’ALBERTA (CANADA)

Albert La France a réalisé l’édition critique de Nicandro e Fileno au Centre de Musique Baroque de Versailles. Il prépare actuellement un catalogue des œuvres de Lorenzani.

1- Mercure Galant, septembre 1681, p. 369-379. 2- Mercure Galant, septembre 1681, p. 379. 3- Mercure Gallant, septembre 1681, p. 379. 4- Concours ordonné par le Roi, sous la suggestion de Lully, pour remplir les quatre charges de sous-maître de la Musique de la Chapelle qui venait d`être réorganisée après la retraite de Robert et Du Mont.