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Cahiers d’études africaines

192 | 2008 Varia

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/13612 DOI : 10.4000/etudesafricaines.13612 ISSN : 1777-5353

Éditeur Éditions de l’EHESS

Édition imprimée Date de publication : 9 décembre 2008 ISSN : 0008-0055

Référence électronique Cahiers d’études africaines, 192 | 2008 [En ligne], mis en ligne le 09 décembre 2008, consulté le 03 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/13612 ; DOI : https://doi.org/ 10.4000/etudesafricaines.13612

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© Cahiers d’Études africaines 1

NOTE DE LA RÉDACTION

Nous ne publions ici, en texte intégral et en libre accès, que les «Analyses et comptes rendus» du numéro 192. Les résumés des contributions sont proposés en libre accès sur Cairn, de même que leur texte intégral, disponible moyennant abonnement et accès payant.

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SOMMAIRE

études et essais

Le « roi est nu ». Les imaginaires du sacré dans la tourmente judiciaire Procès autour des regalia de la royauté sakalava du Boina, nord-ouest de Madagascar, 1957-2006 Marie Pierre Ballarin

Restaurer le futur. Sur la Route de l’Esclave à Ouidah (Bénin) Gaetano Ciarcia

Transnational Networks and Internal Divisions in Central Mozambique An Historical Perspective from the Colonial Period Malyn Newitt et Corrado Tornimbeni

Conflits fonciers. De l’ethnie à la nation Rapports interethniques et « ivoirité » dans le sud-ouest de la Côte-d’Ivoire Alfred Babo et Yvan Droz

Female Cleansing of the Community. The Momome Ritual of the Akan World Stefano Boni

Histoire d’une stigmatisation paradoxale, entre islam, colonisation et « auto-étiquetage ». Les Baay Faal du Sénégal Charlotte Pezeril

Pratiques du corps, ethnicité et métissages culturels dans le Rwanda colonial (1945-1952) Thomas Riot

notes et documents

Ethnicité et territorialité Deux modes du vécu identitaire chez les Teke du Congo-Brazzaville Jean-Pierre MISSIé

Analyses et comptes rendus

Bachirou, Mohamed. – Du côté des proverbes comoriens Vincent Hecquet

Battestini, Simon (dir.). – De l’écrit africain à l’oral, le phénomène graphique africain Cécile Canut

Bay, E. G. & Donham, D. L. (eds.). – States of Violence. Politics, Youth and Memory in Contemporary Africa Marie-Aude Fouéré

Bickford-Smith, Vivian & Mendelsohn, Richard (eds.). – Black and White in Colour. African History on Screen Marie-Aude Fouéré

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Boswell, Rosabelle. – Le malaise créole. Ethnic Identity in Mauritius Corinne Forest

Claudot-Hawad, Hélène (dir.). – Berbères ou arabes ? Le tango des spécialistes Stéphanie Pouessel

Cunin, Élizabeth (dir.). – La globalisation de l’ethnicité ? Sylvie Ayimpam

Delas, Daniel. – Léopold Sédar Senghor. Le maître de langue Abdoulaye GUEYE

Diouf, Sylviane A. – Dreams of Africa in Alabama. The Clotilda and the Story of the Last Africans Brought to America Sylvie KANDé

Kuyu, Camille. – Les Haïtiens au Congo Giulia Bonacci

Laude, Jean. – La peinture française et « l’art nègre » (1905-1914). Contribution à l’étude des sources du fauvisme et du cubisme Jean-Luc Aka-Evy

Leservoisier, Olivier (dir.). – Terrains ethnographiques et hiérarchies sociales. Retour réflexif sur la situation d’enquête Tarik Dahou

Nguema-Obam, Paulin. – Fang du Gabon. Les tambours de la tradition Maixant Mebiame Zomo

Padenou, Guy-Hermann & Barrué-Pastor, Monique. – Architecture, société et paysage bétammaribé au Togo. Contribution à l’anthropologie de l’habitat Barbara MOROVICH

Thioub, Ibrahima (dir.). – Patrimoine et sources historiques en Afrique Odile Goerg

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études et essais

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Le « roi est nu ». Les imaginaires du sacré dans la tourmente judiciaire Procès autour des regalia de la royauté sakalava du Boina, nord-ouest de Madagascar, 1957-2006

Marie Pierre Ballarin

1 Dans les royaumes du Menabe et du Boina de l’ouest malgache, la confection des reliques issues des corps des rois1, le culte qui leur est rendu à travers la cérémonie du bain, le fait que leur détention soit la condition primordiale du pouvoir contribuent à singulariser la dynastie et le roi, porteur du hasina2, force d’origine sacrée bénéfique mais potentiellement dangereuse. La fabrication de reliques à partir des corps des souverains est commune en Afrique, mais est devenue la règle au moment de la formation des grandes monarchies au XVIIIe siècle. Le pouvoir y a puisé son fondement idéologique3. Dans la ville de Majunga (région du Boina), les reliquaires royaux sont connus sous le nom « Andriamisara efa dahy »4. Ce sont des « raha sarotra » (« choses précieuses et dangereuses »), termes également utilisés pour la dépouille royale, qui font partie du monde des esprits. Ils sont liés, en cela, à la possession par les esprits royaux, institutionnalisée sous la forme de tromba avec des dignitaires accrédités dans ce rôle5. Les réceptacles des reliques sont ornés de perles de couleur correspondant aux destins, de pièces, de métal précieux (argent et or). Les piastres sont présentes dans et sur le reliquaire et font aussi partie, avec la terre clayeuse, tanimalandy, de la composition d’eau lustrale qui est utilisée pour accomplir les aspersions. À l’intérieur, on trouve des éléments végétaux (morceaux de bois, racines...) et du miel (substance essentielle du monde de la nature) ou de l’huile végétale (kiñana)6. La matière, la forme et l’ornementation des reliquaires sont ainsi étroitement liées au monde des talismans. Lorsque M. Rakotomalala (Blanchy, Rakotomalala et al. 2006 : 240) évoque les cultes des ancêtres et le pouvoir des charmes en Imerina sur les Hautes-Terres de Madagascar, il reprend la réunion des éléments symboliques tels que bouts de bois, perles, poignées de terre tout en spécifiant qu’ils sont choisis, dans ce cas précis, en fonction de leur appellation invoquant le mal. L’assiette dans laquelle ils tremperont contient de « l’eau enfermée » stagnante, inerte ou de l’eau prise dans un endroit habité par des esprits malfaisants7, contrairement au rituel du bain des reliques ou aux cérémonies de

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possession tromba pendant lesquelles l’eau utilisée est masina (sacrée). De fait, selon l’intention, nous glissons vers un usage « sorcier » et les reliquaires sont à la charnière des deux mondes, maléfique et bénéfique, de même que le roi évolue entre ces deux univers.

2 Au XVIIIe siècle, la protection reconnue aux reliques se transforme en légitimation politique du rôle de la dynastie. Désormais, l’obtention du pouvoir dépend de la possession des restes du corps du roi, préservés dans un reliquaire, le mitahy, et de la garde des clés du doany, lieu dans lequel ils sont conservés. Comme l’ont fait les gouverneurs de l’armée merina venus des Hautes-Terres de la grande île en 1820, les conquérants français au XXe siècle ont maintenu le culte des reliques puisqu’elles confèrent la légitimité à leur possesseur et incarnent « l’identité » sakalava. Tout en tolérant ce culte populaire, les administrateurs ont tenu sur la crédulité quasi « médiévale » des Sakalava, des propos sarcastiques et ont misé sur l’usure de la croyance, la lassitude des sujets envers leurs anciens gouvernants, la montée de nouvelles élites, redevables de leur savoir à l’école de la République, principalement hors lignages royaux. « À côté du mpanjaka, [le roi], quand il n’est pas sorcier lui-même, il y aussi le sorcier [on ne sait s’il s’agit ici du devin, ombiasy, ou bien d’un possédé royal], dont l’influence néfaste est souvent considérable : c’est un métier facile et lucratif, qui donne à ceux qui l’exercent une puissance occulte des plus redoutables. Nos populations primitives, très fétichistes, ont en leurs sortilèges une foi aveugle et leur action, maintes fois dirigée contre nous, a été cause de bien des désordres. Aussi, n’avons-nous pas hésité, chaque fois qu’une occasion favorable se présentait à sévir durement contre cette catégorie d’individus, et à réprimer publiquement leurs pratiques »8.

3 De fait, le pouvoir opérant fondamental des reliques nous conduit vers d’autres chemins à explorer. Avec l’Indépendance, elles cristallisent les turbulences de la nouvelle donne politique malgache, au moins du point de vue local, au travers d’un conflit dont l’enjeu est leur possession. Le contrôle du doany et des restes royaux entre dans le domaine du juridique et prendra figure publique, théâtrale, lors d’un interminable procès qui débute en 1957, qui s’est poursuivi sous différentes formes et au travers de plusieurs procédures, jusqu’à nos jours sans que jamais solution ne soit trouvée. Le débat réel se situe en deçà du discours formel juridique et de façon logique nous changeons de registre. Cet article se propose d’explorer, en trois temps, l’idée d’un déboîtement entre le droit et la réalité au travers des différentes procédures qui se sont suivies depuis la première plainte en justice en 1957. Car si le roi paraît nu, le culte atteint dans sa crédibilité, il n’en est sans doute rien au vu des derniers rebondissements de l’affaire et du énième refus d’admettre la décision juridique lors de la célébration du grand rituel royal de 2004. Nous pourrons ainsi nous demander sous quelle forme à l’heure actuelle ont perduré ces logiques profondes liées aux imaginaires du sacré.

Ester en justice autour des reliquaires royaux : entre droit et réalité

4 « C’est comme si on transposait une affaire médiévale de nos jours. L’avocat fait son métier, et le fait que cela paraisse contradictoire avec la coutume n’a aucune importance »9. C’est en ces termes que l’un des avocats européens qui ont suivi l’affaire

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se remémorait son contenu lors d’un entretien du printemps 1997. Le conflit oppose les deux branches dynastiques héritières de l’ancienne royauté du Boina, Bemihisatra et Bemazava, dans la région de Majunga, pour le contrôle du lieu sacré et la possession des reliquaires. Cependant, la division de la dynastie sakalava du Boina en deux branches remonte à la fin du XVIIIe siècle pour des questions de partage de territoire principalement. Au moment de la colonisation, l’administration française a confié les regalia aux Bemihisatra lesquels seront considérés comme des « collaborateurs » en opposition directe aux Bemazava proches des milieux nationalistes surtout à partir des années 1930. Les deux clans n’auront de cesse de se disputer la garde des reliques pendant toute la période coloniale, obligeant l’autorité française à intervenir. Le procès se situe dans la continuité de ces dissensions qui prennent une tournure formaliste avec leur renvoi devant la justice.

5 En 1951, la princesse bemazava Horavaka demande à l’administration d’être reconnue princesse régnante à Majunga. Par ailleurs, le gardien du lieu sacré, le manantany Solondrazana, proche de la branche bemihisatra, est accusé de détourner à son profit les fonds destinés au culte d’Andriamisara, thème récurrent et détonateur dans les procédures administratives qui ont précédé le dépôt en justice. Il est destitué en 1952 et rejoint le camp bemazava. Ce qui se passe à ce moment précis augure avec une similitude déconcertante le procès. En 1952, Horavaka, par l’intermédiaire de ses conseillers, s’adresse pour la première fois à Me Laforest10. Au début de l’année 1956, l’une des figures marquantes du PSD, futur parti présidentiel, promet les clés du doany11 aux partisans des Bemazava s’ils votent « oui » à la loi-cadre Deferre en faveur de l’autonomie. Les Bemihisatra craignant de perdre la garde du doany font appel à M e Lassalle et Vahoaka, reine des Bemihisatra, porte plainte contre « inconnus pour vol et violation de domicile avec constitution de partie civile » au tribunal de première instance de Majunga à la suite de la réinstallation officieuse de Solondrazana à la tête du doany. L’affaire prend donc une tournure judiciaire et se concentre sur la détention dite illégitime des clés par le gardien des lieux, Solondrazana. En août 1957, le « [...] fanompoana sakalava, prévu pour le mois de septembre, [a] peu de chances de succès en raison de l’abstention de la princesse Vahoaka. L’affaire est d’ailleurs au tribunal, introduite par Me Lassalle pour le compte de la princesse Vahoaka »12. En septembre, la princesse bemazava Horavaka décède. Le procès peut commencer et nous pouvons dire que l’affaire n’est pas résolue en 2006.

6 En premier lieu, le vol des clés du doany fait l’objet de plusieurs procédures de 1957 à 1961 opposant Vahoaka (princesse bemihisatra) à Solondrazana (gardien des reliquaires proche de la partie bemazava). L’affaire, portée en justice par les Bemihisatra forts de l’appui français, déchire le peuple sakalava et aboutit à la construction d’un second doany, symbole de la division entre les deux dynasties. Puis, en 1961, après la restitution du doany à Vahoaka, ce sont les reliquaires eux-mêmes qui sont en jeu jusqu’en 1971, date à laquelle la princesse décède et la procédure en cours est clôturée. Les dirigeants de la Première République ne trancheront pas officiellement sur la question, au grand dam des deux parties. Enfin, de 1972 à 1995, nouvelle instance, nouveaux acteurs dans le cadre du changement de régime politique détournant la querelle sur les reliquaires. En 1973, le gouvernement Ramanantsoa déplace de force deux des reliques au profit des Bemihisatra et en 1979, début de l’ère Ratsiraka, le doany bemazava est détruit. Après dix-huit années de vide juridique, les droits au doany sont consentis en 1994 par la Cour de cassation à la partie bemazava. En 2006, celle-ci n’était

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toujours pas en possession des reliques et une certaine résignation, voire « réconciliation » se percevait. À chaque phase du procès a donc correspondu un déplacement de l’objet et apparaîtra un niveau d’opposition conduisant la société sakalava et ses princes vers une désacralisation et du doany et de la personnalité royale. La trame de l’affaire ainsi définie, l’idée est de nous arrêter sur certains arguments de justice et auditions de témoins, d’appréhender les discours véhiculés au moment du procès, mais également de saisir les non-dits, les paroles difficilement saisissables telles que celles des possédés dont on connaît le poids dans l’orientation des sanctuaires, et les réinterprétations qui ont pu en être diffusées13. Les phases d’audition des témoins, qui ont duré de 1958 à 1961, ainsi que certains arguments de justice permettront de saisir quel niveau d’absurdité a pu atteindre la lutte pour la possession des reliquaires royaux du Boina et d’une légitimité politique.

7 À l’approche des fêtes du doany, en juin 1957, une tentative de consultation 14 pour un changement de gardien a lieu, vainement, à la suite de laquelle l’administrateur J. Boutang, chef du district de Majunga, se fait remettre les clés et les confie pour une durée de sept jours à Solondrazana dit Solo15, délai qui sera prorogé. Il conserve la clé du trésor16. Mais cette décision administrative n’est pas ratifiée par Vahoaka, et Solo se voit obligé de rendre les clés du doany à la princesse le 7 juillet 1957. Quelques jours plus tard, il est réinstallé énergiquement par les partisans de Horavaka à la tête du doany, ce qui provoque la plainte de Vahoaka contre « X pour vol et violation de domicile ». Plus tard, le Solo et ses complices sont inculpés pour détention illégitime des clés du doany. Ces derniers bénéficient d’une ordonnance de non-lieu le 9 juin 1958. Vahoaka fait appel devant la Chambre des mises en accusation de la Cour d’appel de Tananarive, laquelle confirme l’ordonnance et ordonne la restitution des clés à Solondrazana le 10 juillet 1958. Les Bemazava sont momentanément gagnants. La procédure pénale étant ainsi terminée, Vahoaka, par le biais de Me Lassalle, saisit le tribunal de premier degré de droit local d’une demande de restitution des clés du doany et relance ainsi la procédure. La question de la propriété des clés restant en suspens et à ses dépens, la princesse bemihisatra a recours à la justice de droit local, en matière civile, et utilise de ce fait, la possibilité de jouer sur la dualité du système judiciaire qui restera en vigueur jusqu’en 1962. L’affaire appelée en conciliation ne sera jugée que le 19 septembre 1959, soit un an après. Entre-temps dans la nuit du 23 au 24 juillet 1958, un mois après la passation de service entre Laza et Solondrazana, le doany de Majunga est incendié. Le doany de Marovoay part en fumée également à la même époque17. Le 19 septembre 1959 le tribunal de premier degré de droit local juge en faveur de Solondrazana. La procédure au niveau traditionnel suit son cours avec l’appel de Vahoaka devant le deuxième degré de droit local qui reconnaîtra ses droits. Reste à Solo à former un pourvoi devant la Chambre d’annulation de la Cour d’appel de Tananarive, ayant ici valeur de cassation, laquelle le déboutera définitivement de ses prétentions le 8 juin 1961. Cependant, l’exécution du jugement n’aura lieu que le 29 septembre 1961 devant le refus catégorique des partisans de Solondrazana de laisser pénétrer la princesse bemihisatra dans le doany. La première partie du procès concernant le doany s’achève provoquant la rupture définitive des deux branches dynastiques.

8 Quelques jours après l’exécution définitive du jugement, Vahoaka porte plainte contre Solo et les principaux responsables du doany pour vol. Les mitahy18 ont disparu ! À la fin de l’année 1961, la rupture entre les deux branches dynastiques est définitivement consommée avec la construction d’un second doany dit « doany nord » en opposition

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directe avec l’autre, dit « doany sud », dans lequel seront déposées des reliques. La suite de l’affaire aura pour objet le vol des reliques et le doute concernant leur authenticité. En 1961, Solo et consorts sont donc convoqués pour être interrogés sur la disparition des reliques. Ils affirment qu’elles ont été consumées entièrement lors de l’incendie de juillet 1958, raison pour laquelle Solo s’est rendu auprès de Pierre Kamamy19 dans le Menabe pour aller chercher de nouvelles reliques en mars 1959. L’autre partie, dont de nombreux témoins ont été auditionnés, affirme que les quatre reliques, n’ont pas « péri » lors de l’incendie, mais qu’elles ont subi pour deux d’entre elles des dommages importants. « Nous avons l’honneur de vous signaler que le samedi 17 mars 1962, il y avait les nommés : Tsimavady et le mari de la femme Anegnena, parti "Bemazava" qui avaient circulé à Mahabibo de faire connaître aux gens de Mahabibo que le vendredi 19 Mars 1962 à 9 heures, les quatre reliques sont déplacées au nouveau "Zomba" couvert du tôle20, ils ont abattu un bœuf et ayant donné 8 coups de fusil. Tous les assistants ont vu les quatre reliques supportées par Fety Thomas et trois hommes non indiquer leur nom, les assistants sont tellement étonnés de voir les quatre reliques non incendier et non camoufler au dos. Alors nous vous signalons que les quatre reliques volées se laissent voir au dedans du nouveau "Zomba" couvert en tôle »21 [sic].

9 À partir de cet instant, les cérémonies liées au culte des ancêtres se dérouleront en ce lieu. Les princes bemihisatra ont organisé eux-mêmes une veillée d’honneur autour des offrandes royales quelques jours avant le grand fanompoa à la résidence royale avec, entre autres, des rites de tromba évoquant alors le schisme (Estrade 1977 : 53-59). S’agit- il des mêmes reliques que celles qui ont été incendiées en 1958 ?

Que sont les reliques devenues ? Rumeurs, mensonges et fantasmes

10 Des témoignages que nous avons pu recueillir au cours de nos enquêtes auprès de fidèles bemazava, il ressort que les mitahy auraient disparu au moment de l’incendie. Solondrazana, à l’époque, serait allé dans le Menabe, plus au sud, voir le prince Kamamy Pierre afin de recueillir « des » restes d’Andriamisara et reconstituer de nouvelles reliques. Les archives consultées, notamment les auditions de témoins suite à la plainte de Vahoaka en 1961, montrent que nous sommes entrés là dans une phase où rumeur et fantasme foisonnent. Jusqu’à nos jours l’affaire y alimentera son déroulement.

11 Pour l’heure, les partisans de Solo affirment que les reliquaires ont été consumés entièrement lors de l’incendie ; Vahoaka et ses partisans prétendent que l’existence de ces biens a été constatée « de visu » par un certain nombre de témoins. Par ailleurs, ils estiment qu’il est matériellement impossible que les mitahy aient littéralement fondus, étant fabriqués à partir de métaux « lourds »22 [ sic]. Enfin, l’accusation de vol est complétée de témoignages mettant en cause Solo et ses consorts dans la soustraction d’objets (en plus des mitahy, les satrobola, sortes de couronnes d’argent, et le trésor, composé des dons des fidèles, auraient disparu) peu avant la réintégration de la princesse et de ses fidèles dans la possession du doany. En 1963, Me Lassalle écrit au juge d’instruction que Solo et consorts auraient de plus subtilisé une partie du trésor avant la remise des clés du doany à Vahoaka. Il affirme que l’inventaire réalisé en janvier 1958 faisait état de plusieurs pièces de 10 et 5 F, d’une petite boucle d’oreille et d’une tige

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d’or. Or, Solo n’aurait restitué qu’une pièce de 5 F et la tige. Cependant, l’avocat date cet inventaire d’après l’incendie, ce qui est une erreur puisqu’il a été effectué six mois auparavant. Arrêtons-nous un instant sur la correspondance des Bemihisatra avec Me Lassalle et l’audition des témoins lors de l’instruction, qui rendent compte de cette « course à l’échalote » pour les mitahy, selon l’expression de Me Ducaud, épisode tragi- comique de notre affaire.

12 Les regalia, transportés dans des soubiques (sorte de couffins), sont aperçus en 1961, après le jugement en faveur de Vahoaka chez Razanamalala, concubine de Fety, puis à Andriabe chez Ndramanitra23, en 1962 à Amaresely-Mangatsa chez un dénommé Ratelo, en 1964 à Besakoa, en 1967 chez les nommés Robia, Berazana, Anignena, Njarimanga. Lors d’un entretien avec Ibrahim, enseignant retraité et adjoint au maire vers 1961, les reliques auraient été récupérées par le prince bemazava Moanjy et cachées sous le plafond de la maison de sa femme. D’autres, comme un commissaire de police qui a enquêté, assurent les avoir vues. Elles n’auraient donc pas disparu dans l’incendie. Visiblement, à partir de l’instant où la justice donne raison à Vahoaka, les mitahy s’évaporent. Par ailleurs, en 1967, des tentatives seront faites à Mitsinjo afin de ravir certaines des reliques dépendant de ce doany. Moana Salimo, princesse de la région, proche de la partie bemihisatra, avertit Laza, et Me Ducaud, qui a pris la succession de Me Lassalle, écrit au sous-préfet de Mitsinjo afin qu’il intercepte toutes démarches en ce sens venant des fidèles bemazava24. Nous sommes en plein vaudeville.

13 En 1961, Solo et consorts sont convoqués pour être interrogés sur la disparition des mitahy. De nouvelles reliques seraient arrivées à Majunga en mars 1959. Le prince Kamamy du Menabe, auprès duquel Solo s’est rendu, en aurait apportées en octobre 196125. Par ailleurs, la princesse Soazara, du nord-ouest, aurait été mise à contribution afin de faire confectionner de nouveaux reliquaires en or et en argent26. De l’autre côté, les nombreux témoins auditionnés affirment qu’ils n’ont pas péri lors de l’incendie mais qu’ils ont subi pour deux d’entre eux des dommages importants, notamment les deux en or. « Lors de l’incendie qui a détruit le doany, est allé curieux. A vu objets, se trouvaient dissimulés sous un drap. Ne sais pas qui les a ramassés, mais seuls ont pu le faire ceux autorisés à voir toucher, nettoyer mitahy : Mamoribe, Solo, Fety et Didy. Lorsque local provisoire achevé a vu quatre assiettes recouvertes linge blanc, les deux premières contenaient objets plus élevés que ceux dans les autres assiettes, forme générale ronde chaque assiette prise par un homme et transporté au nouvel emplacement. C’était mitahy car quand ont été placés à endroit réservé, rideau tiré devant cette façon de faire n’est réservé qu’au mitahy. Quelques jours après, a demandé à Mamoribe ce qu’était devenu Mitahy. Lui a répondu deux parties endommagées, les deux autres touchées par le feu. Seuls ont pu prendre mitahy, personnes autorisées à toucher »27 [sic].

14 Ils révèlent que Solo et consorts auraient fait appel à un ou plusieurs bijoutiers indiens pour reconstituer les reliquaires et les nettoyer. Ils soutiennent également qu’ils seraient appuyés par l’administration : « Aujourd’hui, le 15 août 1962, nous entendons qu’à votre absence à Majunga, ils profiteront faire tous les nécessaires de finir l’affaire du mitahy ; ils disent que l’affaire du mitahy sera classée par l’administration »28 [sic]. Plausible... C’est dans ce climat de suspicion générale et de durcissement de la situation que, le 31 août 1962, un non-lieu est rendu en faveur de Solo. Vahoaka fait appel et l’arrêt rendu infirme cette décision. La Cour d’appel de Madagascar estime que

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l’information est incomplète et ordonne l’audition de témoins et l’examen des anciens dossiers afin de déterminer : la date précise de l’incendie ! la présence des mitahy après l’incendie ; si les mitahy existant avant l’incendie sont bien ceux recherchés alors ; la responsabilité des inculpés dans la garde du doany. De l’audition des différents protagonistes, dans une ambiance de règlement de compte, aucune conclusion ne peut être tirée. La disparition des mitahy reste mystérieuse, et les témoignages n’auront guère fait avancer l’enquête. Ce flou artistique mène Solo et consorts, le 14 mai 1964, après avoir bénéficié d’un non-lieu le 31 août 1962, infirmé par la Cour d’appel et soumis à une nouvelle information, à une condamnation de trente mois de prison pour Solo et à deux ans de prison pour ses complices devant le tribunal correctionnel de Majunga. En 1970, après plusieurs épisodes judicaires, Solo est relâché et déclaré insolvable. La princesse Vahoaka fait appel, mais le jugement qui a relaxé Solo sera confirmé. Le pourvoi en cassation de la princesse sera rejeté. Entre-temps, elle décède et son fils, le prince Randrianirina Désiré lui succède. Les reliquaires n’ont pas réapparu.

15 Une première constatation est que d’évidence les sources disponibles sont bien peu nombreuses. Celles dont nous disposons ont été recueillies à l’étude de Me Ducaud, en 1996 dans la ville de Majunga, avocat de la partie bemihisatra qui avait, par chance, gardé la quasi-totalité du dossier. Mais d’une part, le dossier était en mauvais état et complètement désorganisé, les arguments de certaines décisions juridiques manquent. D’autre part, nous ne disposons que « d’une version » ici, celle des Bemihisatra. L’entretien avec l’avocat de la partie bemazava s’est avéré bien peu fructueux, et d’une façon générale ce clan n’a pas bénéficié de la stabilité d’une étude comme celle de Me Ducaud à Majunga toujours existante en 2006. Enfin, de nombreux entretiens ont été menés en 1996, 1997 et 2006 auprès des différents témoins ou héritiers de l’affaire, mais les mémoires flanchent et les traces pour travailler sur les paroles proférées au moment de l’affaire sont, par essence, fragiles. Les auditions de témoins, les décisions de justice et même les résultats d’enquêtes orales, trente-cinq années après les faits, sont en eux-mêmes des informations bien parcellaires. Mais ces matériaux ne sont pas à négliger car, d’ordre différent de ceux véhiculés par les discours officiels, ils renvoient sans cesse aux analyses sur la rumeur, et permettent d’entrevoir les représentations communes du pouvoir politique et judiciaire mais également une certaine forme de culture populaire. Solo constate de lui-même au tout début de l’affaire « [...] que si nous avons enregistré dans les milieux sakalava, et dans les familles royales des décès et des malchances, c’est à cause de cette dissidence », un châtiment des ancêtres royaux, malmenés dans l’affaire29. Je ferai mienne ici la constatation, très juste, de C. Deslaurier (2005), dans son article sur la « rumeur du cachet » au Burundi entre 1960 et 1961 lorsqu’elle souligne que « [...] l’on ne perçoit qu’un écho assourdi de l’immense brouhaha déclenché par le débat politique dans les sphères populaires africaines, qui nous parvient au travers des témoignages oraux ». Me Ducaud a toujours proclamé que les séances au tribunal de Majunga dans les années 1960 attiraient une très grosse foule. « C’était une sorte de communauté de relations. C’est une affaire passionnante, une prise directe sur la vie »30. Et, l’on perçoit bien également combien la rumeur joue un rôle important, chacun s’y laissant prendre31. Les auditions témoignent des discours, des murmures et des tensions personnelles entre les différents témoins de l’affaire32 tel Limo, allié des Bemazava au premier abord et qui, le 29 novembre 1961, atteste : « J’affirme que les mitahy n’ont pas disparu dans l’incendie du 23.7.58, et qu’ils se trouvent en possession de Solo et consorts. » « [...] Le 9.11.60,

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vers 15 h Solo est venu le voir. Il lui a dit "mon enfant, nous avons perdu le procès et nous allons cacher les reliques." Je lui ai dit : "cela est bien possible." "Cela est bien possible" lui a répondu Solo. » La haine, les rancœurs et les envies cachées tues et jamais exprimées sont révélées ici. A. Adler (2006) y voit l’essence même de la sorcellerie. Le jeu des forces naturelles, en même temps que de l’imaginaire, se heurte de plein fouet à la rationalité d’une pensée bien occidentale héritée de la période coloniale et que les juges de l’Indépendance ont fait leur. Le spectre de la mort tombe sur ceux qui ont trempé dans cette affaire et révèle le caractère fondamentalement inviolable et dangereux des reliques. Dans le cadre de la poursuite du procès, des changements politiques et du passage de la Première République à la Deuxième, puis à la Troisième, nous irons à travers chaque argument, chaque décision de justice un peu plus loin dans cette volonté de rationalisation de cet héritage sacral. En fin de parcours, le roi est-il nu ? Le bilan semble très mitigé33.

Le roi est-il nu ?

16 En 1972, moment-clé de la chute du gouvernement Tsiranana et de la Première République, la partie bemihisatra fait donc appel au nouveau pouvoir en place pour faire exécuter un jugement datant du 14 mai 1964 ordonnant la restitution des reliquaires dans leur camp. Comme le prince bemazava, Moanjy, détenteur des clés du lieu dans lequel sont censés se trouver les reliquaires est absent, on force la porte du zomba, le coffre, et l’armoire contenant les reliquaires et les autres objets royaux. Seuls deux d’entre eux, en argent, contenant des reliques sont retrouvés. Ils seront transférés au doany sud de force, le 8 janvier 1973. Deux autres reliquaires, en or, sont présents mais vides. À son retour Moanjy assigne le prince Randrianirina Désiré en justice afin qu’il restitue les deux reliquaires pris au doany bemazava. Il affirme qu’il ne s’agit pas de ceux qui sont recherchés depuis 1961. Ceci sera la base de la nouvelle instance qui se terminera en cassation en 1994. S’en suit une multiplication de jugements rendus et de décisions prises complètement surréalistes et inopérants.

17 En premier lieu, le jugement rendu par la suite le 12 juin 1973 par le tribunal de première instance de Majunga dissocie les reliquaires (mitahy) des reliques. « Dit et juge que les deux reliquaires (mitahy) en argent appartiennent au prince Randrianirina Désiré Noël et au Doany sud ou Doany Miarinarivo ; Dit juge que les reliques y contenues appartiennent aux prince Kamamy Laguerre et au Doany nord et en ordonne la restitution entre leurs mains. Enfin, les demandes en dommages et intérêts des deux parties sont jugées non fondées, et l’imminence du fanompoa n’est pas une raison suffisante quant à une exécution provisoire. L’exécution de cette mesure de restitution laisse à pressentir des troubles graves de l’ordre public compte tenu des différends ayant existé depuis les débuts du litige. »

18 Il ordonne, de fait, la restitution des reliques à la partie bemazava et des mitahy aux Bemihisatra. Jugement inepte et inadapté, qui provoque la colère des protagonistes et celle de leurs avocats. Notons l’aspect irrationnel de cette décision qui va très loin dans un processus de désacralisation et rappelle la profanation des dépouilles souveraines françaises à Saint-Denis en 1793, de la même façon que la perquisition du zomba en 1972, évoquée auparavant, l’a fait. Les deux parties font appel. Le 6 mars 1974, l’arrêt civil avant-dire-droit de la Cour d’appel infirme le jugement et ordonne une expertise

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des reliquaires (mitahy) requise par M e Ducaud, avocat des Bemihisatra. Il renvoie l’affaire et les parties après l’expertise. « Ordonne une expertise des deux "mitahy" reliquaires litigieux aux fins de déterminer la date de leur confection, si cette date remonte au plus à 1961 ou à plus loin 100 ans ; Désigne à l’effet d’y procéder M. le Chef de service de laboratoire des mines ou son dévolutaire ; Dit que l’expert commis, serment préalablement prêté entre les mains de M. le président de la Cour d’appel, dressera de ses opérations et investigations un rapport détaillé qui sera déposé au greffe de la Cour dans le délai de trois mois à compter de notification du présent à la diligence des parties intéressées [...]. »

19 Celle-ci n’aura pas lieu. Pendant deux ans, plusieurs tentatives d’exécution échoueront du fait du refus du prince bemihisatra, Désiré. Aujourd’hui encore, il invoque le caractère tabou des jours choisis et le risque de troubles qu’aurait provoqué cette manipulation. « Lors du procès, Ducaud a demandé une expertise mais toucher les reliques c’est défendu. J’ai refusé et j’ai perdu le procès. C’est encore très vivant [...]. L’expertise dangereuse pour le fomba (la coutume) [...] »34.

20 Effectivement, son refus, ô combien rationnel dans la pensée sakalava, a conduit inévitablement, du point de vue juridique, à l’arrêt civil contradictoire de la Cour d’appel de Madagascar du 15 septembre 1976, ordonnant à Désiré, vu son rejet de l’expertise et le manque de preuves sur son droit de propriété des mitahy, de les restituer à la partie bemazava. Il fait appel en cassation, appel qui restera en suspend jusqu’en 1994, du fait de la nouvelle donne politique. Or, depuis 1975, Ratsiraka est au pouvoir35, soutenu par le prince Désiré, et le 10 octobre 1978 le doany bemazava est déclaré inexistant, n’abritant pas de reliques royales et, de ce fait, les activités menées dans son cadre sont considérées comme illégitimes. Les autorités provinciales ordonnent sa suppression. Le doany est détruit, « raclé par un tracteur » selon l’expression du prince Tsiaraso, bemazava originaire d’Ambanja (nord-ouest)36 Dezy, reconnu mpanjakabe à Majunga, sera le candidat officiel de l’AREMA37 à Ambato Boeni. Il introduit de nouvelles formes de rituels, tâchant d’organiser un doany « révolutionnaire »38. L’événement est traumatisant. Les confusions idéologiques qui caractérisaient la période 1972-1975 prennent fin en faveur d’une consolidation d’un régime autoritaire, à parti unique. De fait, les décisions prises lors du procès deviennent définitives, du moins provisoirement, dans toutes leurs contradictions. En 1992, A. Zafy, futur président de la Troisième République, invite les partisans des Bemazava à voter en faveur du référendum destiné à approuver la nouvelle constitution. En 1994, la Cour suprême rejette le pourvoi en cassation du prince Désiré au terme de dix-huit ans de procès. L’exécution de la décision n’a pas eu lieu. En 1995, la Cour d’appel de Tananarive a invité les parties ayant eu gain de cause à porter plainte contre leurs adversaires pour « refus d’exécution d’une décision judiciaire » devant le procureur de la République du tribunal de première instance de Majunga.

21 En 1995, un incident relativement important s’est déroulé de nouveau au doany, heurtant Bemazava et Bemihisatra. Les cérémonies ont été repoussées. La volonté affichée du prince Désiré de transformer la construction abritant les reliquaires en dur (et de renforcer un peu plus son contrôle) a provoqué la colère de la partie bemazava. Lorsque Désiré a annoncé ses intentions, il a été violemment pris à partie par un homme, soûl, mais soutenu par des partisans bemazava présents dans l’assistance. Le tromba d’Andriamandisoarivo, esprit du roi fondateur de la monarchie du Boina, est

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intervenu également indiquant quels types de remèdes prendre pour bien veiller à la sécurité du lieu. Inefficace, puisque dix jours après le doany a été attaqué par un groupe de Bemazava armés de couteaux. Quatre personnes furent hospitalisées. Mais, alors qu’en 1984, une première tentative de modification des lieux avait été rejetée par les tromba, en 1995 ils n’ont pu résister. Et deux ans après, chose est faite. Le 21 juillet 1997 a eu lieu l’inauguration du nouvel abri, désormais de pierre, contenant les reliquaires. Manifestation, sous l’égide des autorités nationales, qui s’est déroulée le jour du grand rituel, signifiant la volonté de Désiré de fortifier son emprise sur le doany. Les participants au culte se sont sentis dépossédés et beaucoup de frustration demeure encore aujourd’hui parmi les Bemazava mais également les tromba associés au doany.

22 En 2004, nouvelle rumeur concernant les reliquaires, « [...] des bruits ont couru comme quoi on allait déplacer les reliques ». Le descendant du prince bemazava Moanjy, Tefindraza, a dû faire un démenti « Dezy est notre père ! » a-t-il dit39. Effectivement, il y a eu une nouvelle tentative d’application du jugement de 1994, suite au dernier fanompoa mais aussi un nouvel échec 40. La presse s’en est fait écho et a repris les principales étapes de la bataille juridique évoquée auparavant. Le 2 août 2004 la translation en faveur du doany bemazava devait avoir lieu, mais rien n’a pu se faire. « Les reliques des "Andriamisara efadahy", qui étaient prévues quitter hier le "doany sud", site sacré de garde, pour rejoindre le "doany nord", n’ont pas bougé d’un iota. Les deux parties belligérantes campent sur leurs positions, empêchant le transfert selon un arrêt de la Cour suprême. La tension a monté d’un cran hier dans la capitale du Boina. Le transfert des reliques royales des "Andriamisara efa dahy" du "doany sud" au "doany nord" n’a pu avoir lieu comme prévu. Dans la matinée, une délégation du "doany nord" est venue au "doany sud" pour enlever, conformément à un arrêt de la Cour suprême, les reliques. Mais le "front" du sud s’y est opposé, sans que des affrontements aient cependant eu lieu. Une tentative avortée, par ailleurs, du fait de l’absence remarquée du prince Dezy, le "Ampanjakabe", sur les lieux, qui, selon les indiscrétions, serait parti à Ambato- Boeny. Un haut dignitaire de la famille royale du "doany nord" a déclaré que ce transfert est attendu par sa partie depuis longtemps, et que le temps est venu pour les restituer à qui de droit. Il a appuyé la décision du transfert par le fait que les reliques ne doivent pas être entreposées dans un site, celui du sud, qui fut (en 1956) la proie d’un incendie. Et qu’elles ne peuvent pas faire bon ménage avec les tombeaux présents aux alentours. Une réunion d’urgence a été organisée dans l’après-midi entre les belligérants à la Préfecture de région de Mahajanga, mais elle n’a abouti à aucun consensus. On attend dans les jours qui viennent la suite des événements » [sic]41.

23 En juillet 2006, lors du grand fanompoa, Désiré a célébré ses trente-cinq ans de règne et préparé sa succession (probablement assurée par son fils Anjary âgé d’environ trente- cinq ans, dont le nom signifie « destin »). Les reliques sont toujours conservées au doany Miarinarivo de Majunga, lequel est devenu une grande structure de béton, bien solide. Sans vouloir faire de prévision hasardeuse, on ne voit pas comment elles pourraient rejoindre le doany bemazava aujourd’hui. La partie bemihisatra est bien ancrée dans le monde politique. En 2006, les princes et partisans bemazava ont assisté au grand rituel. La situation semble être apaisée. Comme le fait remarquer Me Ducaud, les décisions de justice sont passées comme du vent. Aujourd’hui, nous en sommes à la solution du fait accompli42. Mais jusqu’à quand ?

24 *

25 Pour conclure, ce procès est un très bel exemple des contradictions issues de l’affrontement de logiques dont les principes s’excluent ou, du moins, sont

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radicalement étrangers l’un à l’autre. Pendant la période coloniale et jusqu’à la mise en œuvre du processus électoral au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il a été possible à la République française de conserver un réduit important de sacralité dans un espace relativement étanche, grâce à un système de relais de pouvoir. En tolérant le culte des reliques, le pouvoir étranger a cohabité avec le pouvoir autochtone. Un processus de désacralisation s’est engagé lorsque les nouvelles élites hors des lignages royaux sont entrées en compétition avec les héritiers du pouvoir monarchique. Le signe ou le symptôme majeur de ces changements est le procès, qui, de problème de nature politique devient une simple affaire d’héritage, une affaire de famille, gérée par des avocats étrangers aux Sakalava (merina et français). Lors du grand rituel de 2006, qui a eu lieu au doany de Majunga, de nombreuses échoppes se sont installées dans le quartier points de vente de diverses nourritures, boissons, gadgets et T-shirts à l’effigie du prince Desiré et du trente-cinquième anniversaire de son arrivée au pouvoir. Les officiels du doany se plaignent de cette incursion, en même temps ils en reçoivent bénéfice.

26 La demande d’expertise, en 1975, suivie de la dissociation des reliquaires de leur contenu, et enfin de la destruction du lieu sacré sont autant d’éléments corroborant l’idée de désacralisation de la royauté du Boina et sont d’une rare violence du point de vue symbolique. M. Lambek (2002) dans son ouvrage « The Weight of the Past » aboutit également à cette conclusion de l’érosion du caractère tabou du culte des reliques et des pratiques tromba lui afférant. « As mediums observed, the deliberate transgression of taboos at the shrine could only contribute to a loss of sanctity and power of the relics themselves. » De très belles citations de possédés suivent son propos, témoignages qui nous ont manqué pour saisir les paroles proférées par les grands tromba au moment des épisodes les plus marquants de l’affaire dans la première décennie qui a suivi la décolonisation : « You can’t tell something sacred a falsehood and get away with it. Sacred things (raha masina) can always distinguish the truth. In the past, the shrine was like a poison oracle (tangena) used to discern witches. If you drank liquid kaolin from the shrine while swearing falsely, you would die. If you stepped through the forbidden gateway, the red blood gate, without the right to do so, you would fall. But nowadays so many things once forbidden are done, so many rules of the shrines infringed, tant the sacred things can no longer always distinguish truth from falsehood. They are still sacred but no as strongly as before. [...] People are suffering because the sacred power (hasina) is used up. All the taboos are broken now ; everything is changing » (ibid. : 223).

27 Aujourd’hui, les reliques ne parlent plus, les possédés, leurs représentants ne disent rien de cette affaire. L’inefficacité des décisions juridiques prouverait que les reliques elles-mêmes ont perdu leur propre efficacité. Sont-elles encore des regalia et continuent-elles de donner la force au prince de combattre ses ennemis ?

28 Le procès se situe dans la continuité de ces préjugés coloniaux où le roi et le gardien du doany ont été considérés comme des sorciers par l’autorité coloniale sans pour autant qu’il y ait eu répression. On n’a pas supplicié comme on l’a fait pour les sorcières du Moyen-ge, mais l’on a combattu ces modes de pensées devant lesquels on s’est senti parfois dépourvu alors que dans le même temps, on adhérait et affirmait l’idée de rationalité de l’État. Il faut souligner que la justice a été rendue par des magistrats majoritairement venus d’Imerina, étrangers en terre sakalava et héritiers de la monarchie merina qui a toujours considéré les contrées éloignées, et notamment le pays sakalava, comme des pays à haute sorcellerie43. Les pratiques de sorcellerie n’ont

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pas fait en elles-mêmes l’objet du procès, mais la dimension magique du sacré s’est heurtée aux principes du droit, hérité du système français. La « sorcellerie », lorsqu’elle est évoquée dans le cadre des actes judiciaires, ne l’est que parce que contraire à la conception occidentale du droit et les juges semblent en jouer lors de certaines décisions de justice, mais la dimension sacrale est suffisamment prise au sérieux pour que le procès puisse exister. Même si le caractère inviolable et dangereux de la nature même des reliquaires et des lieux du sacré de l’ancienne royauté sakalava du Boina a été meurtri dans son essence, l’impression est donnée que les conceptions occidentales du droit ont été molestées de leur côté. Au final, bien peu de décisions de justice ont été appliquées. Cela montre comment, fondamentalement, ces pratiques sont toujours parties intégrantes du système social car, malgré tout, les Sakalava assistent aux rituels, viennent au doany, et ces cérémonies ont encore un sens. « Avec l’État moderne, pas plus qu’avec la chefferie ou la royauté, on ne sort du cercle enchanté de la sorcellerie » (Adler 2006 : 235).

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NOTES

1. Il s’agit des restes du corps du roi, extraits à la mort de celui-ci (des cheveux, une dent, un ongle, un fragment du frontal, la première vertèbre cervicale). Les reliques sont conservées dans une petite maison en bois, le zomba, elle-même située dans un enclos sacré, le doany. 2. Le hasina est une force d’origine mythique associée à la royauté, mais c’est aussi le pouvoir de bénir d’une façon générale, mais c’est une force qui peut être néfaste, hery, définissant des êtres dangereux. Sur cette notion de hasina, voir la thèse de F. RAISON- JOURDE (1991 : 84-85) et M. BLOCH (1986 : 41). 3. En Occident, le culte des reliques est au centre du christianisme. Soit restes d’un corps de saint, soit objets considérés comme sanctifiés à leur contact, leur étude est traditionnellement assignée à l’attention des historiens du Moyen-age européen (pèlerinages, vols de reliques, histoire des saints...). Cependant, O. VINCENT (2002) montre combien est encore actuelle l’exhibition des crânes-reliques de saints dans la région de Limoges renouvelée tous les sept ans depuis le XVIIe siècle. Ces fêtes

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ostensionnaires permettent de construire un lien étroit entre l’espace géographique et politique de vie (le terroir communal) et une entité transcendante à la fois divine et humaine (le saint), objectifiée, là aussi, dans une relique. En vénérant leurs saints, les participants revendiquent, symboliquement, aussi sur le mode politique une souveraineté sociale. 4. « Les quatre Andriamisara » du nom du devin et conseiller politique Andriamisara, frère de roi dans le Menabe, dont le fondateur du royaume du Boina a emporté des restes corporels pour légitimer son pouvoir sur ce nouveau territoire. La possession n’est pas non plus spécifique à Madagascar, mais elle y prend des formes très élaborées et surtout éminemment légitimantes dans l’exercice du pouvoir. D’un point de vue diachronique, la constitution du tromba comme moyen politique d’unification de populations hétérogènes autour d’un même corps de croyances daterait également du début du XVIIe siècle, rejoignant ainsi l’idée selon laquelle les cultes étatiques ont des esprits tutélaires, souvent historiques et royaux, P. OTTINO (1965). 5. Le terme de tromba désigne à la fois le rituel, l’esprit sollicité et le medium. 6. Pignon d’Inde, Jatropha curcas Euphorbiacées. 7. Cet ouvrage collectif permet de rendre compte de l’efficacité des cultes rendus aux ancêtres aujourd’hui encore à Madagascar. Un autre travail collectif (RAKOTOMALALA, BLANCHY & RAISON-JOURDE 2001) éclaire le rapport aux ancêtres dans le quotidien sur les Hautes-Terres de l’île. Voir aussi les travaux de P. BEAUJARD (1999). 8. Archives d’Outre-mer d’Aix-en-Provence, SS2D, Majunga. 10.03.1910. Rapport annuel de l’administrateur en chef de la colonie Astor à Gouverneur Général. 9. Témoignage de Me Lassalle, 25 avril 1997, Soustons. L’avocat de la première heure souligne que les jugements n’ont jamais été exécutés car l’administration a toujours fait pression pour des raisons politiques. 10. En matière civile, la réforme judiciaire de 1952, applicable au 1er janvier, conserve la dualité juridique (autochtone et française) à la différence que tous peuvent accéder désormais à la justice française et aux magistrats professionnels selon les degrés de juridiction, et se soustraire ainsi à la justice de l’administrateur. 11. Rappelons qu’il s’agit du lieu sacré dans lequel sont contenus les reliquaires. 12. Archives nationales d’Outre-mer d’Aix-en-Provence. Province de Majunga PM691. Rapport Politique et Militaire, août 1957. 13. Le procès a fait l’objet d’une autre publication (BALLARIN 2003) et j’y renvoie le lecteur pour en connaître les détails. Je suis, par ailleurs, redevable à Me Ducaud de m’avoir confié les dossiers contenant la quasi-totalité des documents juridiques. Cela représentait quarante années d’instance (1957 à 1995), qu’il a fallu reconstituer. 14. Procédé utilisé très fréquemment par l’administration afin d’éviter un conflit juridique direct, mais qui, généralement, n’aboutit pas. 15. Gardien provisoire désigné par l’assemblée des fidèles de Horavaka sous l’égide de l’administration et en opposition directe avec les partisans de la princesse Vahoaka. 16. Archives privées Procès. P. V. du 22 juin 1957, 17 h et P. V. du 29 juin 1957, 15 h. Trésor destiné à remplir les obligations cérémonielles et constitué des dons des fidèles. 17. Enquête, août 2006, au doany Tsinjoarivo de Marovoay à l’est de la ville de Majunga qui est le lieu consacré au culte Andriamisara. Il n’est fait aucune mention, dans les documents juridiques de ces années et il n’y a jamais eu non plus d’accusation

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d’incendie. Cela aurait certainement mené le procès trop loin en Cour criminelle, et il y eut certainement volonté politique de minimiser l’affaire. Par ailleurs, les auteurs des incendies n’étaient pas toujours poursuivis en raison des peines trop lourdes prévues par le code pénal, sauf s’il y avait mort d’hommes. La seule trace écrite concernant l’incendie a été trouvée dans les journaux locaux de la région de Majunga. L’Aurore No 916, samedi 26 juillet 1958. 18. Les mitahy représentant en fait les reliquaires contenant les restes des grands ancêtres. Afin d’éviter les confusions, et dans la mesure où cela aura de l’importance pour la suite du procès, nous avons choisi de conserver le terme de « reliques » lorsqu’il s’agit des restes royaux, et d’utiliser « mitahy » pour le reliquaire. La plupart du temps, dans les documents, la différence ne se fait pas, du moins jusqu’en 1972. 19. Pierre Kamamy, héritier de la royauté sakalava du Menabe, fut installé sur le trône par l’administration coloniale au début du XXe siècle. Son fils, Laguerre Kamamy, sera impliqué directement dans le procès à partir de 1972. 20. L’ancien était construit en bois. 21. Archives privées Procès. Bemihisatra à Lassalle, non daté, manuscrit [sic]. Nous avons fait le choix de reproduire l’orthographe et la syntaxe des extraits d’archives du procès. 22. Position qui est toujours celle du prince Dezy, successeur de Vahoaka actuellement. Entretiens mars 1996 et 2006. Le prince Désiré est décédé au printemps 2007 et des luttes pour sa succession sont apparues, comme il en a toujours été ainsi dans le Boina. Son nom d’ancêtre royal est Andrianahavitaniarivo ; son esprit apparaîtra certainement un jour de performance des tromba dans la région du Boina. 23. Selon le témoignage de Soramamy, maîtresse de Didy. Il faut noter que celles-ci sont fâchées au moment des auditions. Soramamy se positionne donc contre les éléments du clan bemazava. Reste à savoir si c’est par conviction ou par rancœur. L’affaire du doany est un révélateur, non seulement des tensions sociales, mais également des conflits de personnes. Les lieux mentionnés ici sont localisés dans le district de Majunga. 24. Archives privées Procès. Mitsinjo, 2 septembre 1967, lettre de Moana Salimo à Laza ; Majunga, 5 septembre 1967. Lettre de Ducaud au sous-préfet de Mitsinjo. 25. Archives privées Procès. Audition de Kamamy le 16 octobre 1961. Reliques que Vahoaka lui aurait rendues au moment de sa réintégration dans le doany. 26. Archives privées Procès. Une lettre de Solo adressée à Soazara, versée au dossier d’instruction datée du 26 novembre 1959, indique que l’endroit où les reliques seront déposées est « fait », il lui demande son aide en or, argent et bœufs pour la cérémonie « d’adoration ». Nous ne disposons pas de document, mais ce motif sera retenu dans la condamnation de Solo. Rien ne prouve que ces reliques soient celles recherchées. 27. Archives privées Procès. Firanga, audition, 25 octobre 1961. 28. Archives privées Procès. Majunga, 15 août 1962, Bemihisatra, doany Miarinarivo, à Lassalle [sic]. 29. Archives privées Procès. Solo, audition, 10 décembre 1957. 30. Entretien avec Me Ducaud, Juin 1997. 31. Le père J.-M. ESTRADE (1985 : 39), auteur d’un ouvrage sur le Tromba, sous-entend, d’après un entretien qu’il a eu avec Solondrazana, que celui-ci aurait bien volé les reliques après l’incendie de 1958.

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32. Lors de la première instruction et des difficultés du partage des clés entre les partisans des deux branches dynastiques, le chef de district J. Boutang affirme : « Au bout de 15 jrs, après de multiples pourparlers, entre Vahoaka et Horavaka, les clefs furent remises, en présence du chef de district par des éléments du clan Horavaka à la princesse Vahoaka qui, ne pouvant les toucher elle-même selon la coutume, les fit prendre par l’un de ses adeptes. Je précise que c’est Solo lui-même qui remit les clefs. J’ignore ce qui s’est passé ensuite, mais j’ai appris par la rumeur publique que ces clefs étaient passées des mains de Laza entre celles de Solondrazana, 26.12.57. » 33. J’emprunte l’expression « Le roi est nu » à Mme Françoise Raison-Jourde qui l’a judicieusement utilisée au sujet de ce procès (BALLARIN 2000, préface). 34. Archives privées Procès. Ambato Boeni, 20 février 1975, Randrianirina Désiré Noël à Me Ducaud. L’expertise ne peut se faire puisqu’il est interdit de pénétrer dans l’enceinte du doany le jour du dernier quartier de la lune. C’est une des raisons invoquée par Dezy, et évoquée dans le mémoire de Me Ducaud daté du 27 janvier 1975. En mars 1996, il nous dira à propos de l’expertise : « Ce n’est pas une pièce automobile Andriamisara. » La demande d’expertise de Me Ducaud est sa seule initiative. De plus, il était impossible qu’un agent de l’administration judiciaire, venu probablement des Hautes-Terres, accomplisse cette manœuvre. L’erreur des Bemazava, nous dit-on aujourd’hui, c’est qu’ils ont fait appel à des avocats merina, alors que les Bemihisatra ont été défendus par des Français. La réalité est qu’il n’y avait pas de magistrats ni d’avocats sakalava, et donc qu’ils n’ont pas eu le choix, surtout dans une ville de province. 35. Inaugurant un régime dit socialiste, le « centralisme démocratique », D. Ratsiraka instaure un pouvoir autoritaire et prédateur. La détérioration économique et sociale, les atteintes aux libertés individuelles engendrent sa chute en 1991, et provoquent l’arrivée au pouvoir en 1992 d’Albert Zafy, ancien ministre de la Santé sous le gouvernement du général Ramanantsoa en 1972. Cinq ans après la mise en place de ce nouveau régime, des perspectives économiques sombres et une instabilité politique flagrante (six gouvernements se sont succédé depuis 1992) déclenchent une nouvelle transition, et l’on aboutit à la destitution par voie constitutionnelle du président Zafy et la réélection de Didier Ratsiraka fin 1996. Depuis 2002, Marc Ravalomanana est à la tête du pouvoir après plusieurs mois de bataille avec le président sortant. Pour une analyse de la crise malgache, voir POLITIQUE AFRICAINE (2002). 36. Entretien de février 1996. Le lieu est toujours sacré et fréquenté par les Bemazava en 2006. 37. Parti de Didier Ratsiraka, créé en 1976, prônant un « socialisme révolutionnaire ». 38. Expression empruntée à S. Ramamonjisoa. Il a été envisagé, mais on a jamais réussi, de mettre en place une réelle organisation administrative au doany avec un président, un trésorier, etc. Entretien avec Fierena, manantany, juin 1997. 39. Enquête août 2006 au doany Tsinjoarivo, Marovoay, à l’est de la ville de Majunga, lieu consacré au culte Andriamisara. 40. Madagascar tribune, 22 juillet 2004. 41. L’Express de Madagascar, 3 août 2004, « Pleins feux sur le 2 août », Steve Maniry. 42. Entretien avec Me Ducaud, Majunga, juin 1997.

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43. Voir RAKOTOMALALA (2006 : 230). Dans sa contribution à l’ouvrage de S. Blanchy et al., cet auteur note combien est encore vivace la sorcellerie à Madagascar, et insiste sur le rôle de la rumeur et celui de la jalousie.

RÉSUMÉS

RéSUMé Dans les royaumes du Menabe et du Boina de l’ouest malgache, la confection des reliques issues des corps des rois, le culte qui leur est rendu à travers la cérémonie du bain, le fait que leur détention soit la condition primordiale du pouvoir contribuent à singulariser la dynastie et le roi, porteur du hasina, force d’origine sacrée bénéfique, mais potentiellement dangereuse. La fabrication de reliques à partir des corps des souverains est commune en Afrique, mais est devenue la règle au moment de la formation des grandes monarchies au XVIIIe siècle qui y ont trouvé leur fondement idéologique. Dans la ville de Majunga (région du Boina), les reliquaires royaux sont connus sous le nom « andriamisara efa dahy ». Ils ont représenté un enjeu de taille pour tous les régimes qui se sont succédé à la tête de l’île dans la mesure où l’obtention du pouvoir dépend de leur possession et de la garde des clés du doany, lieu dans lequel ils sont conservés. De fait, le pouvoir opérant fondamental des reliques nous conduit vers d’autres chemins à explorer. Avec l’Indépendance, elles cristallisent les turbulences de la nouvelle donne politique malgache, au moins du point de vue local, au travers d’un conflit dont l’enjeu est leur possession. Le contrôle du doany et des restes royaux entre dans le domaine du juridique et prendra figure publique, théâtrale, lors d’un interminable procès qui débute en 1957, qui s’est poursuivi sous différentes formes et au travers de plusieurs procédures, jusqu’à nos jours sans que jamais une solution ne soit trouvée. Le débat réel se situe en deçà du discours formel juridique et de façon logique nous changeons de registre. Cet article se propose d’explorer, en trois temps, l’idée d’un déboîtement entre le droit et la réalité au travers des différentes procédures qui se sont suivies depuis la première plainte en justice en 1957. Car, si le roi paraît nu, le culte atteint dans sa crédibilité, il n’en est sans doute rien au vu des derniers rebondissements de l’affaire et du énième refus d’admettre la décision juridique lors de la célébration du grand rituel royal de 2004. Nous pourrons ainsi nous demander sous quelle forme à l’heure actuelle ont perduré ces logiques profondes liées aux imaginaires du sacré.

"The Naked King": Perceptions of the Sacred in a Legal Battle. Trials Surrounding the Ragalia of the Sakalava Royalty, Boina, North-West Madagascar, 1957-2006. In the kingdoms of the Boina and Menabe in West Madagascar, the king was sacred and the universe revolved around him. The power of the king was symbolized by the remains of his ancestors, which were kept as relics in a sacred place and were used to exercise power over the Sakalava people. The preservation of these relics and the cult around them (the ritual of the bath and the practice of spirit possession) allowed the king to make the royalty sacred and to legitimate his power and his authority. This honouring of royal ancestors has been fundamental until today. Boina shrines, in Majunga town, hold the remains of four royal ancestors. They are called "Andriamisara efa dahy". After the 18th century, the possession of the relics and the control over the place where they are kept has represented a major stake for all the political

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regimes that succeeded one another. Since independence, the issue of the control of these relics has embodied the successive political changes of Malagasy society with a lawsuit which began in 1957 and is still not settled today. This paper will discuss how law has dealt with the sacred relics for 40 years. Nowadays, does it mean that the ancestors’ cult, the cornerstone of Sakalava identity, has lost its sacred aura and its magic power? Tensions still exist within royal families in Majunga (although they are less and less tolerated by the people), but we will see how the relics cult still seems to have a strong ideological impact.

INDEX

Mots-clés : Madagascar, Boina, hasina, regalia, reliquaire, royaume du Menabe, royauté sakalava Keywords : Madagascar, Boina, Hasina, Ragalia, Reliquary, Kingdom of the Menabe, Sakalava Kingdom

AUTEUR

MARIE PIERRE BALLARIN UR107 « Constructions identitaires et mondialisation », IRD, Bondy.

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Restaurer le futur. Sur la Route de l’Esclave à Ouidah (Bénin)

Gaetano Ciarcia

1 La thématique des rapports entre les usages mémoriaux du passé de l’esclavage et les reprises d’activités cultuelles s’est imposée lors de mes premières enquêtes de terrain à Ouidah, au Bénin, où j’ai pu observer une mise en relation entre les discours relatifs à l’histoire de la traite et les nouvelles formes de ritualisation de la religion perçue comme traditionnelle. Aujourd’hui, au Bénin, la prolifération d’initiatives visant le développement d’un tourisme culturel va avec la valorisation des sites sacrés et des manifestations qui expriment la vivacité et la légitimité, parfois retrouvées, des croyances et des cultes anciens. Ainsi, la question mémoriale de la traite négrière exerce son emprise sur les modalités de transmission et de représentation des pratiques vodun. L’institution des lieux de mémoire de la traite se présente comme une situation patrimoniale marquée par des ruptures entre les diverses restitutions collectives et religieuses de l’histoire des esclavages, transatlantique et locale. Ces espaces sont affectés par la précarité des structures censées devoir composer les identités du présent avec la mise en mémoire des faits du passé.

2 Les réalisations patrimoniales de valorisation de cette histoire ont impliqué l’interaction des mémoires locales avec l’interprétation érudite de la littérature orale et avec l’exposition muséale, architecturale et, parfois, théâtrale d’objets tangibles ou de phénomènes rituels publics. À une époque où les débats très vifs autour de plusieurs restitutions du passé de l’esclavage ont pris un tournant éminemment discursif et idéologique, une ethnographie de réalités concernées par ce passé pourrait permettre de repenser d’une manière critique les productions mémorielles en jeu.

La Route de l’Esclave à Ouidah

3 Au cours du mois de novembre 2005, pendant un entretien avec un notable de Ouidah, ville située dans le sud du Bénin à quarante kilomètres à l’ouest de la capitale économique Cotonou, une formule hermétique et apparemment paradoxale qu’il avait répétée au moins à deux reprises m’avait frappé : « L’oubli oui, le pardon non. » Cette

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affirmation était proférée par une personnalité d’origine yoruba, c’est-à-dire issue d’une communauté minoritaire à Ouidah dont une grande partie de ses membres sont des descendants d’anciens esclaves (non seulement d’esclaves déportés en Amérique, mais aussi d’esclaves employés sur place jusqu’au début du XXe siècle dans les maisons et dans les de palmiers à huile). Elle m’est apparue significative de la relation controversée entre des mémoires collectives formellement apaisées et les souvenirs, très partagés, selon les individus et les familles, concernant l’héritage contemporain d’un passé esclavagiste qui a affecté d’une manière cruciale l’histoire sociale de ce port négrier, le plus important d’Afrique, après celui de Luanda en Angola, en nombre d’esclaves y ayant transité ; soit un million d’après les estimations de l’historien Robin Law.

4 « L’oubli oui, le pardon non », ne saurait pas être une formule synthétique des sentiments, les plus antinomiques, suscités par le passé de l’esclavage chez d’autres membres de la communauté yoruba ou d’autres communautés connotées par la condition servile d’autrefois. Révélant un usage politique et identitaire de l’oubli, l’énoncé en question ne serait pas la manifestation de l’incapacité à pardonner mais celle de la réversibilité assumée du souvenir : son immanence dans les pratiques sociales qui participent à la fois de l’érosion des faits du passé et de leur mise en jachère. Si une telle assertion nous parle du fait que « l’affranchissement est un secret » (Meillassoux 1998 : 122), elle exprime également les flottements et les silences des mémoires impliquées ainsi qu’une opposition latente à la rhétorique officielle fondée sur la nécessité du souvenir et de la réconciliation qui ont marqué la mise en patrimoine de l’histoire de l’esclavage à Ouidah (Cafuri 2003). L’oubli devient le masque social de l’affranchissement dont le souvenir doit être aboli. La condition présente est censée oblitérer l’état servile d’autrefois. Comme l’a fait remarquer Claude Meillassoux, « les véritables affranchis, c’est-à-dire les esclaves ayant récupéré toutes les prérogatives et l’honneur des francs, on ne peut les nommer, ni même admettre qu’on les connaît comme tels, sans leur faire perdre aussitôt le bénéfice de la franchise dont l’objet est précisément d’effacer à jamais le stigmate originel de la capture ou de la naissance servile » (ibid.). Cette logique s’affronte implicitement avec les initiatives qui se sont concrétisées principalement lors de l’organisation du colloque/festival des arts et de la culture vodun1, et du lancement de l’itinéraire intercontinental de la Route de l’Esclave, en 1994. Sur la proposition d’Ha ïti et de plusieurs pays africains, la Conférence générale de l’Unesco a approuvé la réalisation de ce programme centré sur l’idée d’un « patrimoine commun immatériel » de la traite partagé par les peuples africains, amérindiens et européens. Soutenu par l’Organisation mondial du tourisme, ce projet a parmi ses objectifs principaux : l’identification, la restauration et la promotion des sites, des bâtiments et des lieux de mémoire relevant de l’histoire de l’esclavage afin de valoriser le développement économique et social à travers l’impulsion du tourisme culturel (Unesco 1993).

5 La partie ouidanaise de la Route est longue un peu plus de trois kilomètres ; menant du centre-ville à la plage, elle constitue le site choisi par l’Unesco pour commémorer la déportation des esclaves. Le parcours se compose en six étapes principales : la place de la Vente aux enchères — dite aussi place Chacha du surnom de Felix Francisco de Souza, le plus connu de tous les négriers d’Afrique, dont le pouvoir et les richesses en tant qu’allié du roi Gézo d’Abomey ont pris dans les mémoires locales une dimension légendaire2 — ; l’Arbre de l’oubli ; la Case zoma ï ; le mémorial dans le village de

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Zoungbodji ; l’Arbre du retour ; la Porte du non-retour. Conçus comme emblématiques de l’histoire de la traite à Ouidah, ces lieux sont reliés par 21 statues, aux styles différents, qui jalonnent le trajet. Un tel aménagement devrait rappeler à la fois : la souffrance des captifs ; la dimension sacrée des cultes vodun ; la représentation, à travers des figures et des objets « traditionnels », de la vie quotidienne du passé ; la puissance et le prestige de l’ancien royaume esclavagiste du Dahomey ayant dominé Ouidah, après l’avoir arrachée, en 1727, à la dynastie « autochtone » Huéda jusqu’à la colonisation française en 1892.

6 Mêlant les matériaux, les formes plastiques et les diverses images de la sujétion et du pouvoir, de la douleur, de la vie religieuse et profane, ces sculptures, réalisées par quatre artistes, mettent en scène une logique du souvenir caractérisée par un bricolage mémoriel et mémorial. En même temps, ces pièces inscrivent l’histoire locale dans la production d’un territoire destiné à devenir un espace de culture et un espace de tourisme. Ainsi, la commémoration de l’esclavage est imbriquée aux images de la domination des rois d’Abomey ayant précédé la colonisation française.

7 D’après la vulgate patrimoniale contemporaine, les six « stations » sont conçues pour représenter les séquences du « calvaire » des esclaves : après la vente sur la place aux enchères, leur transit autour de l’Arbre de l’oubli aurait constitué une sorte de passage rituel permettant l’effacement de tout souvenir de leur appartenance. Ce rituel aurait eu comme contrepoint, contradictoire à vrai dire, leurs circonvolutions de l’Arbre du retour qui auraient permis, après la mort, à leurs âmes de revenir à la terre des origines. Sur le lieu dit Zoma ï (là où le feu ne rentre pas), deux statues qui représentent deux hommes agenouillés, ligotés et muselés rappellent aux visiteurs le marquage au fer et le stockage des esclaves dans les cases où ils attendaient leur déportation. Adjacent à la case, le mémorial de Zoungbondji est édifié sur l’emplacement de la fosse commune où les esclaves décédés auraient été enterrés. Dans cet itinéraire, la Porte du non-retour, faisant face à la mer sur la plage, est le monument éminent qui a été inauguré, lors de la journée internationale de la Tolérance, le 30 novembre 1995 par le président de la République du Bénin de l’époque, Nicéphore Soglo, par le secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali et par le directeur général de l’Unesco, Federico Mayor.

8 La réalité historique et les interprétations actuelles de ces étapes ne sont pas attestées par les sources documentaires de l’époque. Robin Law, à travers un travail d’archives de longue durée, a émis l’hypothèse qu’il n’y aurait jamais eu une place aux enchères : les esclaves étaient vendus à l’entrée des maisons des divers négriers. En ce sens la place aux enchères est plutôt la place où se trouvait la maison du négrier de Souza et de ses descendants. L’existence d’un arbre de l’oubli, d’un arbre du retour, d’un lieu de détention et de marquage des esclaves et d’une fosse commune est aussi contestée (Law 2004), malgré leur élaboration récente dans les narrations locales que j’ai pu récolter à plusieurs reprises.

9 En ce sens, il apparaît possible de supposer qu’à partir de l’aménagement patrimonial de la Route, nous observons la transformation de certains sites, intégrant l’histoire orale de la ville, en lieux de mémoire affectés de significations nouvelles qui relèvent des usages actuels du passé de la traite. Par exemple, l’arbre autour duquel, d’après les chroniques du temps, se déroulaient des négociations entre les négriers européens et les autorités dahoméennes est devenu « l’Arbre de l’oubli » ; l’emplacement de l’arbre où Agadja, le premier roi aboméen de Ouidah, après sa conquête de la ville, aurait goûté

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pour la première fois du gin européen, est devenu le site de « l’Arbre du retour ». D’ailleurs, toute reconstruction se voulant historiquement véridique est confrontée au fait qu’à l’époque de la traite, les itinéraires et les modalités du commerce variaient selon les saisons, les époques, les destinations des captifs, l’efficacité des actions militaires anti-traite menées par la marine anglaise après l’abolition de la traite en 1807.

10 La présence des statues de revenants sur l’espace devant la Porte du non-retour est un autre exemple de l’attribution créative de significations historiques à des figures cultuelles. Comme un dignitaire du culte yoruba des egun-gun — dit couramment des « revenants » — me l’a fait observer, leur présence sur la plage est aberrante à cause de l’interdit de la mer qui caractérise le déroulement de leurs sorties rituelles. Mais, la scénographie muséale à l’œuvre sur le lieu de la Porte du non-retour suggère aux visiteurs la transformation des représentations des revenants en simulacres des âmes des esclaves morts de l’autre coté de l’océan, revenant, comme leurs descendants devenus des touristes, en Afrique. Dans le même registre, l’évocation du pouvoir esclavagiste dahoméen produit un malentendu interprétatif entre le substrat religieux (le vodun) et l’idéologie politique (le repentir) qui ont engendré la démarche patrimoniale inaugurée par Ouidah 92.

Les origines du patrimoine

11 Dans la synchronisation du passé dont la Route est un contexte significatif, le vodun semble se détacher comme un phénomène socioreligieux englobant les pratiques et les politiques du patrimoine. Avant de continuer à développer la question des mémoires de l’esclavage, la manière dont elles sont montrées, confondues, dissimulées, égarées et édifiées au long de la Route de l’Esclave, il apparaît opportun de reconstruire synthétiquement le processus de l’affirmation d’un renouveau de la tradition du vodun à Ouidah en la situant dans le cadre national béninois. Avant la fin, en 1991, du régime d’inspiration marxiste-léniniste dirigé par Mathieu Kérékou, qui par la suite a été élu démocratiquement en 1996 et a terminé son deuxième mandat en 2006, un groupe de notables et d’intellectuels de Ouidah faisant partie de l’UGDO (Union générale pour le développement de Ouidah) avait déjà tenté de se constituer en groupe de pression politique et économique. En misant entre autre sur la richesse du passé historique et du patrimoine immobilier de leur ville, l’action de l’UGDO comptait sur l’ouverture aux apports potentiels de la coopération internationale et du tourisme.

12 En 1985, l’organisation par l’UGDO du colloque Les voies de la renaissance de Ouidah représente l’ébauche d’une innovation dans le Bénin, dirigée par le dictateur Kérékou. Le régime avait montré, d’une façon ponctuelle et contradictoire, ses velléités, plus affichées que concrètes, d’éradiquer la sorcellerie dans le pays. Ces démarches s’étaient apparentées souvent à des gesticulations discursives qui n’avaient pas empêché des persécutions ad personam prenant pour cible les plus démunis (Joharifard 2005). De toute façon, jusqu’à la fin du régime, les pratiques rituelles « traditionnelles » n’étaient l’objet d’aucune politique de valorisation. En ce sens, l’organisation du colloque de 1985, ayant parmi ses objectifs principaux la redécouverte de la richesse du passé historique et religieux, peut être considérée — et elle est effectivement considérée encore aujourd’hui — comme un important moment précurseur d’un renouveau. En 1985, faisant preuve d’une prudente autonomie, l’élite de Ouidah tente de se constituer

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en lobby doté d’un pouvoir d’intervention sur la gestion économique de ce qui était en train de devenir leur héritage culturel moderne et de poser les bases d’une coopération internationale « décentralisée » à une époque où l’État n’avait pas encore rétrocédé aux communautés administratives locales les compétences en matière de valorisation du tourisme. Le jumelage avec la ville de Prichard en Alabama dont le maire de l’époque, John Smith, s’était identifié comme « fils » de Ouidah, c’est-à-dire descendant d’esclaves originaires de la région, a été le viatique financier qui a permis d’investir sur les premières retrouvailles avec des personnalités issues de la « diaspora » et par conséquent agençant l’amorce d’une réflexion collective sur le passé de l’esclavage dans cet ancien comptoir d’esclaves. Ainsi, à Ouidah, au milieu des années 1980, cette question commence à changer de repères mémoriaux et discursifs : de savoir généalogique concernant les rapports internes et extérieurs aux collectivités familiales elle se transforme graduellement en un terrain d’actions ayant un relief international et donc, changeant dialectiquement la perception historique et morale du phénomène. En même temps, et par les mêmes voies, le vodun commence à s’affirmer comme une religion internationale, étant donné son expansion dans les nouveaux mondes produits par l’histoire de la traite, et donc nécessitant une approche fondatrice de son autorité sur la culture locale. Pour s’affirmer, cette autorité doit bien se détacher de tout soupçon de proximité rituelle et/ou éthique avec la sorcellerie. D’après plusieurs de mes interlocuteurs, ce renouveau du vodun s’est affirmé aussi comme la recherche d’un dépassement des contraintes morales imposées par l’appartenance lignagère. Nous pouvons imaginer qu’à partir de ce moment, les voies de la renaissance de Ouidah sont investies par une revisitation des origines de la culture à laquelle les notables impliqués dans le champ religieux « traditionnel » tentent d’insuffler une portée politiquement correcte. Une telle mutation est aussi l’effet d’une renommée internationale croissante. Les intentions de cet engagement dans une nouvelle qualification de l’histoire de la ville ont pour objectifs prioritaires le développement économique à travers l’organisation du tourisme et de la coopération/jumelage avec des partenaires/ bailleurs de fonds étrangers. Pour ce faire, les diverses mémoires sociales de la ville sont mobilisées. Les apports culturels de familles d’origine brésilienne et portugaise descendantes de négriers ou des esclaves retornados — affranchis et revenus en Afrique — souvent, s’étant donnés par la suite eux-mêmes à la traite, sont mis en valeur comme des composantes de la richesse cosmopolite de la ville qui s’exprime surtout à travers l’architecture dite « afro-brésilienne ». En réalité, il s’agit de constructions postérieures au retour des anciens esclaves qui a commencé à partir du premier tiers du XIXe siècle. Mais, aujourd’hui, du point de vue des agents nationaux et internationaux du patrimoine, ces constructions au style tardif néo-baroque qui datent plutôt du premier tiers du XIXe siècle, donc de l’époque de la colonisation française, sont considérées représentatives des savoir-faire importés du Brésil et donc du legs, finalement assumé, d’une civilisation du métissage. À cet égard, l’École du Patrimoine africain (EPA) de Porto-Novo, la capitale administrative du pays, a lancé le programme Africa 2009 consacré à la conservation et à la gestion du patrimoine culturel immobilier en Afrique, dont un des volets est la réhabilitation du patrimoine architectural « afro- brésilien » au Bénin3.

13 Huit ans après le colloque de 1985, l’organisation du Festival des arts et de la culture vodun Ouidah 92, dans le Bénin démocratique présidé par Nicéphore Soglo, ancien haut fonctionnaire du FMI, sanctionne l’avènement d’une période marquée par la revitalisation de la tradition religieuse identifiée d’une manière générale au vodun et à

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sa connexion thématique avec l’histoire de la traite ainsi qu’à l’actualisation de son expérience mémoriale, dirigée par les plus hautes instances politiques du pays et par l’Unesco.

14 À cette occasion, pendant la durée du festival (dix jours), la « sortie » des vodun de la ville s’est faite en concomitance avec la rencontre entre les délégations des cultes traditionnels et leurs homologues venant du Brésil, d’Ha ïti, de Tobago. Au cours des représentations, beaucoup de Ouidanais ont pu découvrir des fragments cultuels et linguistiques de leur passé dans des rites mis en scène par ceux qui sont devenus les frères de la diaspora. Il s’est agit d’une expérience particulièrement intense que l’on évoque encore aujourd’hui à Ouidah comme un événement non seulement fondateur d’un renouveau mais aussi révélateur d’une histoire perdue et enfin retrouvée. Le souvenir de Ouidah 92 auprès des interlocuteurs rencontrés au cours de mes enquêtes sur le terrain m’est apparu comme un exemple intéressant d’édification d’un moment d’une l’histoire contemporaine très récente. Par exemple, de nos jours, des cassettes VHS de l’événement circulent à Ouidah, mémoire audiovisuelle de cette dizaine de jours pendant laquelle la ville, au niveau international, a été sacrée « berceau de la religion vodun ». Une autre cassette, un documentaire réalisé par la télévision nationale intitulé La mémoire de l’avenir, montre le déroulement du colloque de lancement de la Route de l’Esclave en 1994. Cet ancrage des souvenirs dans un passé immédiat, semble avoir agencé la canonisation d’une référence au temps présent comme fait historique mémorable faisant déjà autorité. Cette situation me semble relever de la quête d’une issue finaliste à la problématique des origines dont le passé de l’esclavage est porteur, surtout dans des lieux aux identités et au statut historique incertains comme Ouidah. Il s’agirait d’une sorte de restitution bonne et prête à penser d’une temporalité, enfouie ou perdue dans le dédale du métissage des identités, qui oblige ses nouveaux détenteurs ou héritiers à mettre à jour leurs perceptions du passé.

15 En 1994, le lancement de l’itinéraire de la Route de l’Esclave a parachevé cette tendance inaugurée par Ouidah 92 où la mise en patrimoine d’un passé, devenu immatériel, est associée au renouveau de la religion traditionnelle dont on a reconnu toute l’importance en 1997, en instituant une fête nationale du vodun célébrée chaque 10 janvier.

La Route en chantier

16 Aujourd’hui, la Route se présente dans un état de dégradation dû en partie à l’incurie de la part des institutions ; cette négligence est aussi le reflet d’un manque d’intérêt et de financements qui, après la fin du mandat du Président Soglo, a caractérisé les politiques nationales de valorisation du patrimoine. Deux organismes publics, la Maison de la Culture émanant de la mairie de Ouidah et la Maison de la Mémoire, ancienne Maison du Brésil, qui est un musée de l’État béninois, se disputent la gestion de l’itinéraire. D’ailleurs, les espoirs d’un développement d’un tourisme culturel suscités durant les années 1990 sont retombés par manque d’investissements de la part de l’Unesco et de l’État. En 2001, le Centre du patrimoine mondial a rejeté une première demande de classement de la Route sur la Liste des Biens culturels de l’humanité pour manque de visibilité et de lisibilité des sites qui apparaissent encombrés par des aménagements ne respectant pas « l’esprit des lieux » (Division du patrimoine culturel). Un deuxième projet est en préparation auprès de l’EPA de Porto-Novo, qui, d’après les

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recommandations reçues, propose la mise en œuvre de « zones tampons », de « centres d’interprétation » et de textes législatifs pouvant garantir la protection juridique de l’itinéraire (École du Patrimoine africain 2001). D’ailleurs, la situation n’est pas stagnante, au contraire, la Route est devenue une arène d’affrontements plus ou moins larvés entre plusieurs entrepreneurs privés, issus de la « société civile » qui, complices d’une juridiction défaillante en matière de protection du patrimoine national, ont occupé des lieux se trouvant sur ou adjacents à l’itinéraire. Leur but est la promotion d’activités commerciales qui passent aussi par un investissement sur des modalités particulières de revitalisation de la mémoire, parfois en opposition ou en contraste avec le projet initial, qui était, lui aussi, très hétéroclite. En ce sens, au cours de mon travail sur place, j’ai été confronté à un patrimoine en gestation, un chantier. D’autres lieux de mémoire occupent et « parasitent » en quelque sorte la tentative déjà désordonnée de donner à la Route une cohérence mémoriale. Le bâtiment Zoomachi (là où la flamme ne s’éteint pas), par exemple. Installé derrière le lieu dit Zoma ï (là où le feu ne rentre pas), cet édifice, encore en construction, représente une sorte de réponse morale, se voulant optimiste et lumineuse, à Zoma ï, espace des ténèbres et de la résignation. Les récits locaux présentent plusieurs versions de cette traduction ; l’image du « feu » peut être substituée par celle de la « flamme » ou de la « lumière ». Loin d’être anodines, ces variations semblent exprimer l’attribution de diverses significations métaphoriques ou symboliques au prétendu lieu d’enfermement des esclaves. Si le feu est lié au danger d’incendies ; la lumière fait contraste à l’obscurité dans laquelle les esclaves étaient gardés mais elle évoque aussi les vertus de l’espérance et de la raison ; la flamme rappelle le feu, mais aussi la mémoire et le souvenir. En ce sens, Zoomachi, polémiquement par rapport à Zoma ï, ne commémore pas l’obscurité comme lieu de l’effacement de l’identité mais la lumière toujours vivante et donc la reconnaissance des origines déchirées.

17 Zoomachi est destiné également à devenir à la fois un hôtel, l’Escale du Retour, et un centre de « conscientisation, de repentir et de retrouvailles avec la diaspora douloureuse » d’après l’inscription lisible sur un panneau situé à son entrée. Le concepteur et propriétaire, le sociologue Honorat Aguessy, fondateur à Ouidah de l’Institut de développement des échanges endogènes, est aussi le promoteur depuis 1998 d’une marche du repentir qui a lieu le troisième dimanche de janvier à partir de la place aux enchères. Au cours de cette procession, appelant à dépasser les divisions et les blessures du passé de l’esclavage, il est question pour la société civile d’assumer une partie de la « responsabilité morale » de cette histoire. Aguessy reprend cette formule du philosophe Karl Jaspers à propos de la responsabilité de tous les Allemands après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les bonnes intentions du projet vont avec l’objectif d’établir des liens solides avec la diaspora américaine issue des milieux pentecôtistes, prêchant la nécessité d’associer la réconciliation et le développement marquée par la devise, « A past forgiven, but not forgotten » (Bokossa 2000 : 59). Un tel propos contraste avec l’affirmation déjà citée : « L’oubli oui, le pardon non. » En fait, au contraire du « pardon », l’« oubli » ne peut pas être institué ; à Ouidah, le pacte touristique, qui est aussi un pacte de développement, peut être observé alors comme un miroir renversé où l’autrefois de la tragédie est devenu une valeur patrimoniale : la réconciliation avec la « diaspora » est devenue une promesse, vague certes, d’un avenir meilleur.

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18 La participation à la marche, en 1998, de l’ancien dictateur, devenu par la suite le président Kérékou, born-again après sa conversion à une église pentecôtiste, montre l’existence d’un soutien politique différent de celui que le premier président du Bénin démocratique Soglo avait offert aux cultes vodun lors de Ouidah 92. Ce changement de perspective éthique et religieuse a été couronné en quelque sorte par l’organisation en 1999 de la « Conférence des leaders pour la réconciliation et le développement » et par le lancement du Festival itinérant Gospel et Racines en 2002 (Bako-Arifari 2000 ; Mayrargue 2005 ; Strandsbjerg 2005 ; Tall 1995a, 1995b, 2003, 2005). Structurées par une relation entre pouvoir et sacré qui demeure substantiellement étanche à l’idée de repentance, les pratiques traditionnelles ont donc subi une partiale mise à l’écart de la part de ces initiatives de réconciliation et de coopération internationale concernant le passé de l’esclavage. Pourtant, l’implication d’Aguessy dans le mouvement du repentir soutenu par des représentants de milieux pentecôtistes, n’empêche pas au fondateur de Zoomachi d’être dans d’autres contextes un ardent défenseur de la tradition culturelle liée aux pratiques du vodun.

19 L’autre lieu de mémoire qui rend encore plus complexe la lecture et la visibilité patrimoniale de la Route est représenté par l’action de l’ONG ProMeTra « Promotion de la médecine traditionnelle » dont l’activité principale consiste dans la recherche et la diffusion de méthodes et remèdes thérapeutiques procédant de la pharmacopée populaire. Basée dans une dizaine de pays, parmi lesquels la France et les États-Unis, ProMeTra a fait construire, sur la plage, à une centaine de mètres de la Porte du non- retour, la Porte du retour avec son musée de la Diaspora. Là aussi, nous pouvons observer une entreprise commerciale de valorisation de la mémoire de la traite qui s’adresse aux visiteurs d’origine afro-américaine se focalisant sur le thème du retour à la « mère Afrique ». Tous les deux ans, au cours du mois de février, pendant une semaine un pèlerinage de plusieurs centaines de visiteurs venus d’Amérique devrait avoir lieu sur ce site intégrant un autre itinéraire inspiré par l’histoire de l’esclavage : La voie du souvenir et de la connexion spirituelle où la découverte du sol atavique devient aussi l’occasion de « retrouver » éventuellement ses propres racines à travers la géomancie administrée par les devins interrogeant l’oracle Fa. Dans ce cas, les idées- clés ne sont pas le repentir et la réconciliation, mais les retrouvailles avec une Afrique mythique mise en scène à travers des représentations édulcorées, voire des pantomimes de rituels et danses vodun. D’après les promoteurs de cette opération, Ouidah devient à la fois la destination d’un retour momentané des visiteurs afro- américains sur la terre matricielle et le point de départ pour une auscultation de la religion ancestrale leur permettant de connaître l’identité « clanique » perdue. Pour eux, il ne s’agit pas seulement de la tentative d’une appropriation éphémère de « coutumes » dont ils seraient les héritiers immémoriaux, mais surtout de l’accomplissement symbolique d’un processus désormais séculier : la conjonction avec l’identité d’hommes et de femmes libres. À cet égard, en reprenant les recherches d’Émile Benveniste, Claude Meillassoux (1998 : 23) a observé comment l’individu libre est celui qui est pourvu d’une appartenance sociale procédant de sa naissance et donc du fait de s’être développé parmi les « siens ». C’est cette liberté de l’identité, arrachée à leurs a ïeux, qui hante ceux qui font le voyage en Afrique en quête de leurs origines « tribales ».

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Une mythologie de la traite et l’utopie patrimoniale

20 Suite à l’observation sur la plage de Ouidah de la journée du 10 janvier 1997, lors de la première année de la célébration de la fête nationale du vodun au Bénin, Peter Sutherland (1999) a mis l’accent sur les différentes perceptions de l’histoire de l’esclavage des chefs de cultes et des visiteurs afro-américains qui y étaient présents. Au cours de cet événement, les dignitaires du vôdun, à travers leurs discours et leurs pratiques rituelles, ont représenté les esclaves comme des ancêtres sacrés. En ce sens, ils ont redéfini l’océan comme un espace mythologique façonné par la migration d’esprits et par le retour actuel des frères de la « diaspora ». Mais, d’après le témoignage de Sutherland, les visiteurs venus d’Amérique cherchaient en vain dans les actions et les paroles de leurs hôtes la conscience d’une purification des fautes relatives à l’implication des Africains dans la traite : « Analysis of the festival’s logic of remembering and forgetting reveals a problem unsuspected by its creators : the difference between representation of blackness on opposite sides of the Atlantic » (ibid. : 197-198). Aussi, la « géographie morale » (ibid. : 195) de la diaspora, faite de la quête de racines et de branches, s’est retrouvée altérée par la reconstruction du vodun comme « mythologie maritime » (ibid. : 207). Centrant son étude autour de la figure du Daagbo Hunon Huna, « chef suprême du vodun », Sutherland souligne comment cette personnalité charismatique « reimagine the history of as a "double deportation of African persons and gods across the Atlantic" » (ibid. : 196). À partir de ce mythe, les objets du contexte rituel en question participent d’une cosmogonie intégrant l’expérience de la traite. La mise en scène de la rencontre convertit l’expérience tragique de la traversée en une durée imaginaire et en une révélation structurant la relation à la fois économique et symbolique entre les détenteurs indigènes des cultes vodun et les descendants afro-américains des anciens esclaves. Sur la plage à Ouidah, la quête d’une purification de la part des « pèlerins » afro-américains rentre en collision avec les usages mythiques que les dignitaires des cultes vodun font du retour en Afrique de leurs « frères » de la diaspora qui sont aussi des touristes de mémoire. L’invention d’une cosmogonie de la traite apparaît être le produit de la « logique du cumul » (Augé 1988 : 130) d’objets mais aussi des faits de l’histoire. Cette force à l’œuvre dans les pratiques rituelles me semble correspondre à la logique de prise de pouvoir, transformatrice du réel, opérante dans le vodun que Suzan Preston Blier (1995 : 42) définit « changeability ». Comme l’a dit un de mes interlocuteurs, engagé dans le renouveau des cultes anciens, « le vodun balise le progrès ».

21 À Ouidah, la complexité des enjeux patrimoniaux retentit également dans les conflits relatifs à la gestion de la Forêt sacrée transformée après Ouidah 92 en un espace hybride à la fois touristique et secret, donc partiellement interdit aux visiteurs, à cause de l’installation d’un couvent vodun. Pareillement, le temple de Pythons fait l’objet de contrastes où les tentatives de gestion publique de ce lieu se frottent aux querelles affectant les équilibres, déjà instables, entre les diverses collectivités familiales qui se revendiquent en être les propriétaires. On pourrait faire une synthèse de ces situations en observant que la problématique patrimoniale est liée au fait qu’il s’agit parfois de sites privés investis par des aménagements publics ou parfois de lieux publics occupés par des aménagements privés. Cette opposition va bien au-delà des frictions cadastrales ; elle concerne de très près la question plus vaste relative à l’institution de mémoires collectives confrontées à des propriétés familiales ou claniques donc

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porteuses de valeurs et d’aspirations qui ne correspondent pas forcément aux intentions officielles visant la création de lieux d’une mémoire sociale et historique partagée. Au plan communautaire, l’origine indique la propriété de la tradition à patrimonialiser, elle est donc perçue moins comme une catégorie instituée mais plutôt comme une catégorie instituant sa valorisation patrimoniale.

22 D’après Zygmunt Bauman (1982), la mémoire historique des collectivités ne contient pas la vision d’une tradition bien construite que les acteurs sociaux s’approprieraient et à laquelle ils feraient recours consciemment ; le concept implique encore moins une version de l’historiographie du genre « plus ça change, plus c’est la même chose ». La mémoire historique fait plutôt référence au constat que dans la genèse de toute transformation diachronique nous pouvons observer une discordance entre les expectatives et les circonstances matérielles auxquelles les individus et les groupes sont confrontés. L’hybridation de plusieurs mémoires de l’esclavage semble produire des situations marquées par une crise entre l’utopie concernant les restitutions du passé et l’économie politique et symbolique à l’œuvre dans les mises en scène muséale et touristique. L’aspiration à devenir des lieux de mémoires est confrontée à l’inadéquation, qu’on pourrait considérer structurale, des cadres sociaux communautaires censés devoir accueillir la mise à jour de l’héritage transmettant les faits révolus de l’histoire aux identités culturelles et religieuses actuelles.

23 Le Festival Ouidah 92 a contribué à forger et légitimer la possibilité d’une imitation réciproque entre les usages savants et les sources/ressources populaires de ce renouveau. Aujourd’hui, les divers dignitaires des savoirs érudits et religieux ont recours au thème des origines retrouvées et restaurées en vue de l’affirmation d’identités individuelles et collectives. Ces démarches se caractérisent par la recherche constante des moyens politiques et économiques susceptibles de préparer le développement. Nous sommes confrontés à une dimension millénariste du traditionalisme en tant que processus construisant la continuité entre la dimension rituelle des pratiques et le patrimoine en tant qu’arène politique. C’est la perte durable du passé de l’esclavage qui devient le miroir, ou l’écran, de la paradoxale obsolescence d’une époque tragique muée en durée exotique par les initiatives de la patrimonialisation.

24 À Ouidah, on assiste à la naissance laborieuse et vacillante d’une tradition qui se présente comme construite à partir d’un vide et caractérisée par un « syncrétisme délibéré » (Guran 2000 : 234). Milton Guran utilise cette expression de « sincretismo deliberado » à propos des relations internes et extérieures caractérisant les communautés « afro-brésiliennes », mais elle me semble fournir une synthèse d’autres formes, d’ailleurs collatérales, d’appropriation identitaire du passé au Bénin. Ce mouvement de réappropriation discursive et rituelle représente davantage le vecteur masqué des divisions sociales que leur partage métissé. Des idiosyncrasies patentes peuvent apparaître lorsqu’on tente d’apercevoir une continuité de dispositions morales entre l’ethos concernant le rapport à l’esclavage des cultes africains et leurs réélaborations opérées en Amérique par les victimes de la traite. Toutefois, l’esclavage, n’étant pas bien entendu à l’origine du vodun, a été le moteur historique de son expansion et, donc, de l’expansion de ses origines et de leur ubiquité morale, mythique, politique, historique. D’ailleurs, de nos jours, la « tradition » est assumée ouvertement par les responsables des divers cultes moins comme un « terminus a quo » que comme un « terminus ad quem », d’après les termes utilisés par un de mes interlocuteurs « lettrés »4.

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Il s’agirait donc de la recherche dynamique de l’origine qui se réalise à travers la mise en actualité du passé. En ce sens, la conjonction et la compatibilité des mémoires de l’esclavage et de celles relatives aux pratiques de la religion traditionnelle apparaît être une construction contemporaine.

25 La proclamation en 1997, du 10 janvier comme jour de fête national du vodun, a signifié pour les intellectuels locaux, les guérisseurs, les dignitaires, les chefs d’importantes collectivités, la reconnaissance de leur prestige et, en quelque cas, de leur statut d’« hommes-ressources ». Si l’importance de leur condition peut être observée comme un phénomène relié aux logiques politiques et communautaires du terroir se ralliant à une rhétorique patrimoniale internationale (Bako-Arifari 1995), une analyse de ce renouvellement ne peut pas faire abstraction de la place de la croyance vécue et jouée. La scène rituelle est là pour fonctionner, donc elle est déjà une forme de distanciation en actes, mais cette fabrication contemporaine d’un collage de la tradition comme répétition avisée du passé semble produire un effet de réversibilité et de reproductibilité de séquences rituelles. Les moments les plus spectaculaires de la liturgie deviennent des fragments « muséaux » ayant désormais un relief plus métaphorique d’une tradition presque perdue à conserver, que métonymique d’un complexe mythico-rituel stable et cohérent. On est dans la recherche et l’affirmation du « déjà su » et du « déjà cru », pour paraphraser le titre du texte de Jean Pouillon (1993). Comme nous avons vu pour la relation à l’oubli (ibid. : 2), la possibilité de la croyance « endogène » est réactivée lorsque la participation au devenir implique un savoir sur le passé comme s’il était encore vécu ou plutôt comme si, dans une sorte de foyer antérieur, il n’avait jamais cessé de l’être. Ce qui apparaît presque perdu, tout en étant susceptible d’être encore durablement conservé, est remplacé par un usage de la reproductibilité des faits et des objets du rituel. Le spectacle n’est plus seulement celui de la croyance qui se donne à voir mais aussi celui relatif à la contrainte que la croyance soit vue, reconnue comme représentative d’un monde social qui a déjà changé. En fait, d’après certains de mes interlocuteurs se reconnaissant dans l’appartenance aux cultes vodun, la construction moderne de leur tradition nécessiterait une relation nécessaire entre le foyer « originel » de cet héritage — aujourd’hui en danger à cause de l’avènement moderne d’autres mouvements religieux (les églises pentecôtistes, par exemple) — et la valeur économique contemporaine d’une authenticité ressentie comme étant à la fois en perdition et en train de se renouveler. L’institutionnalisation d’un patrimoine, d’un héritage protégé et destiné à devenir une pédagogie du passé, est, d’après eux, la condition historique qui permettrait aujourd’hui de passer dialectiquement d’une époque révolue d’acculturation à une époque d’inculturation. Ces deux concepts montrent les changements internes aux perceptions locales de l’hégémonie : l’inculturation (l’appropriation de sa propre tradition de la part de celui qui se construit comme indigène, détenteur d’un héritage) ne devient qu’une forme dissimulée d’adéquation émique à l’influence d’une instance législative internationale comme l’Unesco. À cet égard, j’ai trouvé significative cette réflexion faite par un de mes interlocuteurs : « On ne peut pas revenir aux temps immémoriaux sans faire recours aux politiques. » Dans le contexte de l’énonciation, il était question d’investissements en matière de valorisation culturelle décidés par des élus, mais je l’ai perçue aussi comme une affirmation révélatrice du sens pratique présent dans l’appropriation vécue des mythologies.

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26 Si toute « tradition » semble avoir toujours associé une innovation graduelle à une dynamique de l’inclusion ou de l’exclusion subreptice de ses composantes « authentiques », à Ouidah, la sacralité des lieux est désormais associée à la tentative de valider leur rayonnement symbolique en composant plusieurs mémoires conflictuelles. À cet égard, l’organisation de Ouidah 92, festival des arts et de la culture vodun ; l’aménagement à la fois touristique et cultuel de la Forêt sacrée de Kpassé en 1993 ; le lancement du projet de la Route de l’Esclave, en 1994, ont été des événements fondateurs. Les références relatives à la religion vodun, à la déportation des esclaves et au non- retour, à la présence des « Afro-brésiliens » et des visiteurs-pèlerins se reconnaissant dans la diaspora noire, à la grandeur déchue du royaume esclavagiste du Dahomey mais aussi à sa rivalité avec le royaume « autochtone » Huéda, cohabitent dans une immanence qui se construit comme une synchronisation patrimoniale du passé. En même temps, constituant un cadre de repères très parcellisés, la Route de l’Esclave, lieu de mémoire en attente de classement et en chantier depuis plus de dix ans, entre la dégradation des monuments qui le jalonnent, l’antagonisme des différents promoteurs d’initiatives culturelles et commerciales, les promesses restauratrices de la valorisation et de la rénovation, est devenue un espace emblématique de conflits émanant d’intérêts variés, particuliers et collectifs.

27 Dans cet héritage culturel en gestation, le vodun et la mémoire de l’esclavage sont invoqués comme les composantes immatérielles. À partir de Ouidah 92 et du colloque de lancement de la Route de l’Esclave, la renaissance de la « tradition » a co ïncidé avec les premières années du renouveau démocratique du pays et avec le début d’une décentralisation administrative. L’ouverture politique a conféré des nouvelles qualités, sociales et publiques, aux pratiques cultuelles. L’éclatement des logiques lignagères a co ïncidé avec l’affirmation d’une valeur d’usage patrimonial et d’échange international des rites et des croyances comme matériaux symboliques du passé. L’identification historique et culturelle entre ce passé et la mémoire de la traite s’est faite aussi à travers la mise en scène de sa dimension esthétique. C’est le spectacle des danses, des chants, du public réuni et ravi, des retrouvailles rituelles avec la « diaspora », qui a contribué à la propulsion dans les mémoires de la valeur de ces événements devenus les lieux métaphoriques de l’avènement d’un vodun moderne et festif (tout en prétendant être aussi l’expression d’une mythologie de l’histoire de la traite) dans la « société civile » du Bénin contemporain.

28 Aujourd’hui, à Ouidah, la mémoire de l’esclavage est confrontée à une contradiction douloureuse : le « plus jamais ça » de l’expérience historique doit faire le constat que sur l’échelle du développement mondial, l’époque de l’assujettissement se confond avec celle de l’ouverture aux marchandises, aux technologies, aux savoir-faire, portés, par exemple, par les « Afro-brésiliens ». Face au poids écrasant de cette matérialité, correspondant à une suprématie visible et tangible, l’exportation et la diffusion du vodun au niveau mondial et son institutionnalisation contemporaine annoncée par Ouidah 92 et suivie par le choix officiel du 10 janvier comme jour de la fête nationale du vodun, semblent entériner et racheter, aux yeux de plusieurs interlocuteurs, un juste retour des « choses immatérielles » égarées ou perdues pendant la traite et la colonisation. Ce patrimoine, qui est ressenti comme spirituel au sens large, pourvu d’un pouvoir positif de contagion, du point de vue de la tolérance, en tant que forme noble, ou plutôt anoblie, de la « différence culturelle », est perçu comme ressource potentielle en vue du développement.

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29 La patrimonialisation de l’histoire de l’esclavage telle qu’elle est mise en scène au Bénin, s’inscrit dans un contexte anthropologique et religieux caractérisé par un brassage permanent. Il ne s’agit pas d’un métissage flou d’éléments recomposant sans cesse les pratiques « traditionnelles », mais au contraire, de l’accumulation et de l’appropriation d’objets, de pratiques, de lieux pourvus d’une fonction performative très concrète. Ainsi, une opposition renversant (et parfois brouillant) les visions des différents vaincus de l’histoire participe d’un héritage à la fois commun et divisé, où l’affirmation d’une puissance révolue, comme celle des royaumes esclavagistes qui ont précédé la colonisation française, peut être associée d’une manière paradoxale à la rhétorique politiquement correcte du repentir. D’ailleurs, à l’intérieur de chaque collectivité, les conflits hérités du passé sont là ; le caractère litigieux de beaucoup de terrains et de bâtiments montre comment l’appropriation et l’usage des biens fait l’objet d’une transmission légale très controversée. Sur les différentes propriétés foncières et immobilières semble, en effet, planer la dimension indicible des mémoires et de leurs symboles. Les divisions des groupes de différentes origines, maîtres et esclaves, portant souvent le même nom de famille mais non pas la même histoire, existent bel et bien à Ouidah, malgré l’affichage de la part de quelques notables d’une harmonie cosmopolite et « républicaine » représentant un trait distinctif de la ville. Entre les différentes versions de l’histoire contemporaine, il s’agit d’une dialectique à l’œuvre affirmant les supposées avancées de l’hybridation entre les chaînes de la traite et les liens culturels instaurés avec la diaspora transatlantique (Unesco 1998). Le passé revisité ne concerne pas seulement la relation mémoriale à l’esclavage (celui de la traite océanienne, mais aussi celui domestique et des plantations), mais, conjointement à cette question, il pèse aussi sur les questions domaniales et les droits coutumiers, très mouvants, et sur les revendications inspirées par le principe de l’autochtonie. D’ailleurs, l’appropriation contemporaine de la primauté conférée par la revendication de l’autochtonie, plus que s’y opposer radicalement, intègre d’une manière conflictuelle la rhétorique du métissage à l’œuvre dans l’institutionnalisation patrimoniale d’une mémoire historique et religieuse du passé de l’esclavage.

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NOTES

1. Ouidah 92, qui a eu lieu du 8 au 18 février 1993.

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2. Ce personnage a inspiré le roman de Bruce Chatwin, Le vice-roi de Ouidah, Paris, Grasset, 1982 [version originale 1980] ainsi que le film réalisé par Werner Herzog, Cobra verde (1987). 3. Instituée par l’Unesco à Porto-Novo, l’EPA a été créée en 1998, suite à une convention signée entre l’ICCROM (Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels) et l’Université nationale du Bénin. Un des objectifs de l’EPA, qui prend le relais du programme de préservation du patrimoine PREMA (Prévention dans les musées africains) lancé en 1986, est l’élargissement d’un réseau de professionnels africains capables d’assurer la conservation des collections des musées africains au sud du Sahara dans les aires francophones et lusophones. Aujourd’hui, l’EPA se pose comme une école supérieure et un centre spécialisé dans la conservation des biens culturels à la fois menacés de dégradation et susceptibles d’une valorisation. La perspective privilégiée est celle visant la création de musées ouverts au grand public qui devraient agir comme « miroir » d’un passé culturel presque perdu, mais aussi comme lieux pédagogiques destinés à un savoir et à une gestion modernes sur/de la tradition, opération synthétisée par la formule de « retour au futur » en vogue dans les documents émanant des organismes africains qui participent à la protection patrimoniale. 4. L’interlocuteur en question est Émile Ologoudou, sociologue, ancien directeur de la Radio et télévision nationales, homme de lettres et dignitaire du culte d’origine yoruba ôrô. Il reprend KARL-AUGUST (1985 : 4).

RÉSUMÉS

La thématique des rapports entre les usages mémoriaux du passé de l’esclavage et les reprises d’activités cultuelles s’est imposée à partir du début des années 1990 à Ouidah, au Bénin, où l’on peut observer une mise en relation entre les discours relatifs à l’histoire de la traite et les nouvelles formes de ritualisation de la religion perçue comme traditionnelle. Aujourd’hui, la prolifération d’initiatives visant le développement d’un tourisme culturel va avec la valorisation des sites sacrés et des manifestations qui expriment la vivacité et la légitimité, parfois retrouvées, des croyances et des cultes anciens. Ainsi, la question mémoriale de la traite négrière exerce son emprise sur les modalités de transmission et de représentation des pratiques dites vodun. L’institution des lieux de mémoire de la traite se présente comme une situation patrimoniale marquée par des ruptures entre les diverses restitutions collectives et religieuses de l’histoire des esclavages, transatlantique et locale. Ces espaces sont affectés par la précarité des structures censées devoir composer les identités du présent avec la mise en mémoire des faits du passé.

Restoring the Future: On the Slavery Road in Ouidah, Benin. The relationship between the uses of memory of slavery and the reappearance of cult activities became more prominent at the beginning of the 1990s in Ouidah, Benin, where a connection

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could be observed between discourses on the history of the slave trade and new forms of ritualization of "traditional" religion. Today, the proliferation of "cultural tourism" initiatives goes hand in hand with the promotion of sacred sites and various events that express the (sometimes rediscovered) vivacity and legitimacy of ancient beliefs and cults. Thus the question of the memory of the slave trade influences the modes of transmission and representation of so- called Voodoo practices. The institution of slave trade "memory places" appears to be marked by the various discrepancies between collective and religious restitutions of both transatlantic and local histories of slavery. These spaces are affected by the precariousness of the structures which are supposed to link the identities of the present with the memory of the past.

INDEX

Keywords : Benin, Ouidah, Voodoo, Memory of Slavery, Heritage, Slavery Road, Syncretism, Cultural Tourism Mots-clés : Bénin, Ouidah, vodun, mémoires de l’esclavage, patrimoine, Route de l’Esclave, syncrétisme, tourisme culturel

AUTEUR

GAETANO CIARCIA Centre d’études et de recherches comparatives en ethnologie, Université Paul-Valéry- Montpellier 3 et Laboratoire d’anthropologie et d’histoire de l’institution de la culture, CNRS/ EHESS/ministère de la Culture.

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Transnational Networks and Internal Divisions in Central Mozambique An Historical Perspective from the Colonial Period

Malyn Newitt et Corrado Tornimbeni

1 Following the Mozambique general election of December 2004, the new government presented itself as more rurally-oriented than the previous one, in an effort to remove some disparities which reflect well-known political and economic imbalances that modern Mozambique inherited from its recent and less recent history. The north, the centre, and the south of the country are still as disconnected from each other as they were during the first half of the twentieth century. On the other hand, the same areas are structurally and culturally linked to neighbouring territories, which form part of other states, through what are now called "transnational social networks". Adding to the complexity of this picture, the Mozambican state has also inherited smaller but equally significant internal divisions within each Province, if not within each District, of the country.

2 The differences between the various regions are, of course, the result of a huge variety of factors, not least the recent history of internal war and the ways in which the new development programmes were conceived and implemented. However, this paper will try to explain how the last phase of colonial rule developed or consolidated local differences in the political economy of the territory, and how this process was linked to the growth and consolidation of the international/"transnational" networks. This analysis, based on the study of labour migration in the 1940s and 1950s in the old District of Beira (corresponding now approximately to the Provinces of Manica and Sofala) will consider how three key factors contributed to, or reflected, the socio- economic differentiation of the territory: the formation of labour-reserve areas, the labour recruitment process and the working conditions in the colonial enterprises, and the structure of internal and outward migration.

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Regional Diversity in the History of Mozambique

3 The frontiers drawn by Portugal and Britain in east-central Africa in May 1891 created an intricate jigsaw which made the Portuguese colony of Mozambique, which thus took shape for the first time, inseparable from its neighbours. In the extreme south Delagoa Bay was situated on a small peninsula surrounded on three sides by the South African Republic (soon to become the British colony of Transvaal), Swaziland and the sea. Portuguese control of the Zambesi valley penetrated three hundred miles into British Africa while the southern portion of Nyasaland was a narrow salient thrust into Mozambique. The new frontiers sliced through regions, which were distinct geographically and which, over time, had acquired cultural, economic and political cohesion1.

4 Mozambique occupied a thousand miles of the eastern African seaboard, including the best natural harbour of southern Africa, and effectively made British Central Africa land-locked and dependent on its neighbour for access to the outside world. Moreover Mozambique included the lower reaches of all the major rivers of central and eastern Africa from the Rovuma in the north to the Zambesi, Sabi and Limpopo in the centre and south.

5 These rivers and ports had for centuries provided doorways to the outside world. The trade and cultural influences of the Indian Ocean had penetrated Central Africa along these routes and regional economies had evolved under the stimulus provided by the export of gold and ivory and the import of Indian textiles, beads, ceramics and metalwork. Each of the main coastal settlements the Ilhas do Cabo Delgado, Mozambique Island, Angoche, the Zambesi towns, Sofala, Chiloane, and Mambone at the mouth of the Sabi, had a hinterland with which it was linked by ties of kinship and on which it depended for trade, food supply, labour and security, and a foreland which attached it to the maritime networks of the Indian Ocean, stretching to Arabia, the Gulf, the west coast of India and beyond (Newitt 1995: chap. 1).

6 The low veldt regions, below the central African escarpment, did not see large-scale state formation. First, the economic life of the coastal port-towns did not require the control of large territories and populations but was focused on long distance trade. As a result, although the people who lived on the coast became Islamised, Islam did not spread far among the inland populations until the nineteenth century. Second, the disease environment of the low veldt did not allow the development of cattle-based economies and it was principally through the accumulation and distribution of cattle that states were formed and maintained on the southern African high veldt. On the low veldt, the population was organized in small kin-based chieftaincies, which depended economically on agriculture and fishing, and on servicing the long distance trade routes. Climatic instability, which meant that many of these communities were economically marginal, and the smallness of the political units made them vulnerable to sequences of banditry and "warlordism" in which strong men would gather round them groups of followers, acquire women through raiding, and establish new chieftaincies based loosely on tribute, trade, hunting and banditry—a pattern which was exploited by Portuguese adventurers and, in the nineteenth century, by Islamic slave traders (Beach 1980; Newitt 1995: chap. 2-3, 10-11; Rita-Ferreira 1999; Isaacman & Isaacman 2004).

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7 The low veldt people were periodically subject to conquest by the larger states of the high veldt. In the nineteenth century, for example, invasions of cattle-owning Ngoni led to the establishment of three new states—the most important of them being the Gaza kingdom which covered the whole territory of Mozambique from the Zambesi to the Limpopo and which included much of modern Zimbabwe as well.

8 The part of Africa, which in 1891 became Mozambique, had therefore a certain unity in that its physical geography was typical of the African low veldt and its economy was directly linked to Indian Ocean trading networks. However, the country was divided into distinct regions by its ports and river systems, which constituted corridors of trade and migration leading to the high veldt hinterland and along which cattle-owning invaders periodically descended to reduce the coastal peoples to the status of tribute paying vassals.

9 Portuguese settlement in eastern Africa had consisted of a series of trading ports each with its own hinterland linked to the long distance trade routes to the interior. The immediate hinterland of the ports usually included some land held by Portuguese or Afro-Portuguese families which produced food for the coastal towns. Africans settled under the protection of these towns or became clients of Portuguese or Afro- Portuguese traders and hunters, a process which led to the creation of distinct ethnic identities2. However, the only area of the coast where the respective hinterlands of the ports merged with one another to form a continuous belt of Portuguese-controlled territory was the region from Sofala through the Zambesi delta to the prazos north of Quelimane and up the Zambesi to its confluence with the Shire3.

10 The agreements with Britain for the suppression of the slave trade, the most important of which was the treaty of 1842, in effect recognized Portuguese control over the whole coast from Cape Delgado to Delagoa Bay, although sovereignty over the latter had ultimately to be resolved by arbitration in 1875. After 1842 the Portuguese brought the remaining independent Islamic coastal settlements under its control. If this did something to create a unified coastal administration subject to the governor on Mozambique Island, it did little or nothing to unify the interior. The governors of the different ports continued to follow their own local policies and separately developed customary relationships with the African states of the interior. For example, at the height of its power in the 1860s and 1870s, the Gaza kingdom had dealings with the Portuguese authorities in Sena, Sofala, Inhambane and Delagoa Bay and negotiated separately with each of them4.

11 The middle years of the nineteenth century saw the crystalisation of the interior of Mozambique into regions each with its own distinct character. In the far north the migrations of the Yao chiefs towards Lake Malawi promoted the spread inland of Islam. Lake Malawi and the Shire highlands became linked to the coast along caravan routes which not only brought ivory and slaves in exchange for firearms and textiles but promoted the trade in African peasant produce (Alpers 1972; Ishemo 1995). The same years saw the expansion of the Islamic sheikhdoms of the coast, especially those associated with the ruling families of Angoche (Bonate 2003). In the Zambesi valley the chicunda ivory hunters and slavers took the prazo regime of the Zambesi valley as far as the Kafue confluence, up the Luangwa and into the Manica highlands and the northern regions of Zimbabwe. Here once again was a region, defined by the valleys of the Zambesi and its tributaries but unified by the institution of the prazo and the social

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relations of the chicunda with their Afro-Portuguese chieftains (Isaacman & Isaacman 2004).

12 South of the Zambesi the Ngoni invasions, coinciding with the great drought of the 1820s, devastated the pre-existing African states but resulted after 1840 in the creation of a single Ngoni monarchy, the Gaza kingdom. Although the extent of the territory where the Gaza king could wield effective power fluctuated and the centre of the kingdom was moved twice, once northwards to Mossurize in the Chimanimani area and then in 1889 southwards to the Limpopo, the Gaza kingdom imposed a unity of political control over most of southern Mozambique.

13 By 1891, therefore, Mozambique was divided into five distinct cultural and political regions—a coastal zone more or less completely under Portuguese control, a northern region where the influence of Islamic chiefs, major participants in long distance trade, was dominant, the central region of the Zambesi valley and its tributaries, the Gaza kingdom, and finally Delagoa Bay with its unique relationship with the southern Ngoni and the Transvaal trekkers.

The Establishment of Colonial Rule

14 The drawing of the frontiers of Mozambique in 1891 might have been the moment when a single colonial administration would impose some kind of unity on the region. However, this was not to be the case. The pattern of administration that emerged, if anything, sharpened the separation of the country into regions, which had already been defined geographically and by the socio-cultural development of the past three centuries.

15 Faced with international demands that it establish effective occupation of its colonies, Portugal decided to create two charter companies to take over the task of pacifying and administering the northern and central sections of Mozambique. The northern sector included the coast north of the Lurio river and the part of the interior that was dominated by the Yao chiefs. The Niassa Company, which assumed responsibility for this area, had a charter, which was to last twenty-five years and which made it administratively independent of the rest of the colony. It had the power to police the territory, to collect taxes and customs dues and to grant land concessions (Neil- Tomlinson 1977; Pélissier 1984: chap. IV; História de Moçambique 1983: vol. 2). The Mozambique Company was established in 1891 with a concession that ran from the Zambesi to just south of the Sabi and included the northern part of the still unconquered Gaza kingdom. Through its concession ran the corridor of land between the high veldt and the sea that Cecil Rhodes was anxious to acquire for the British South Africa Company. The Mozambique Company had rights and duties similar to those of the Niassa Company and was also administratively independent of the rest of the colony (Neil-Tomlinson 1987).

16 Mozambique had, in effect, been divided between three administrations—the areas subject to the governor of Mozambique and those subject to the two charter companies. However, the fragmentation, went further than that. A commission had been appointed in 1888 to make recommendations about the future of the prazos of Zambesia. In 1890 this Commission reported and proposed that the prazos, of which there were more than one hundred, should be leased as separate concessions to individuals or companies who would be entrusted with the pacification and policing of

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their concessions and would be obliged to collect tax partly in the form of labour. When the prazo leases were auctioned, in 1892, most were taken up by commercial companies, which thus became miniature versions of the two large charter companies. Some of the prazos lay within the territory of the Mozambique Company and were thus insulated by two layers of concessionary rights from any direct interference by Portugal (Vail & White 1980).

17 The other areas of the colony were subject to the direct control of the Governor General, after 1902 based in Lourenço Marques, a city which was virtually an enclave in South Africa. The areas which were the direct responsibility of the government were separated from one another and remained under the military administration of the postos militares until 1907 when a system of civil administration was established which divided the country into concelhos and circunscrições.

Railways and Roads

18 With small and unimportant exceptions, Mozambique’s railways were built with foreign capital and were planned to link the British colonies to their nearest seaport. The railway from Delagoa Bay to the Transvaal ran only fifty miles through Mozambique’s territory to Ressano Garcia and to all intents and purposes was part of the South African rail network (Katzenellenbogen 1982). A second line was built in the 1950s from Rhodesia to Delagoa Bay. A railway from Southern Rhodesia to Beira in the Mozambique Company territory was opened in 1898. This created the famous "Beira corridor" and the line was later supplemented with a road and an oil pipeline. This railway helped to open up the Manica highlands but principally it served to create strong economic links between Rhodesia and Beira and to tie that port-city to the Rhodesian economy. In 1920 Libert Oury proposed a railway to connect Nyasaland to Beira. This was eventually built, with the famous Sena bridge across the Zambesi opening in 1935. A spur line was subsequently built to the Moatize coalfields in the Tete District. This was the only rail development which connected different areas of Mozambique with one another, thereby constituting the beginnings of an internal communications network. However, even here the main purpose of the railway was to join the British colony of Nyasaland with Beira, not to open up the interior of Mozambique itself. Apart from a small local railway serving the plantations north of Quelimane, there was no railway building in the north until a line was engineered from Nacala via Nampula to the Nyasaland border in the 1950s. Again this was an arterial railway from the coast to the British frontier and did little to create an internal network of communications for Mozambique itself5.

19 Road building remained the responsibility of the local authorities and no network was created to link different regions of the colony until the last decade of colonial rule. As late as 1960 there was no good road running from north to south. There was no road bridge crossing the Zambesi and the only practical route by road from the south of the colony to the north used the Tete ferry to cross the Zambesi and then ran through Nyasaland.

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A Divided Administration

20 By 1907 Mozambique had become a complicated jigsaw of concessions subject to different responsible authorities. Each of the concessionaires claimed a commercial monopoly and was able to set the conditions for markets and traders. There were differences of tax regime—in the prazos the mussoco, a head tax, partly paid in labour, was levied, elsewhere the prevalent form of tax was the palhota or hut tax. The cipais, or police, were raised, paid by, and were answerable to the local concessionaire not the government. Different customs regimes were in force and the chartered concession companies issued their own currency and postage stamps.

21 The different parts of the colony were also subject to different foreign influences. After the Anglo-German agreement of 1898, German influence had been paramount in the north and the Niassa Company itself was eventually taken over by German financial interests in 1913. The Mozambique Company, on the other hand, was taken over in 1910 by Libert Oury, a South African magnate of Belgian extraction, who worked closely with the British and turned the Mozambique Company into a British enclave. Another British enclave was Sena , which expanded its prazo holdings in the early part of the twentieth century until it controlled much of lower Zambesia on both banks of the river (Vail & White 1980)6.

22 However, it was in the area of labour relations that the administration of Mozambique was most diverse—partly because, for some years, labour was the most easily exploited asset. In 1908, fifteen years after it had been established, the Niassa Company was taken over by Lewis and Marks who used its territory as a recruiting ground for the South African mines. When the recruitment of Africans from "tropical" areas was outlawed in 1913, the Company was sold to German interests. Taken over by the British Union Castle company at the beginning of the First World War, the territory was invaded by the Germans in 1917 and 1918 and, those areas where the government was still able to exercise any form of control, were subject to martial law and enforced carrier recruitment.

23 The area immediately south of the Lurio river, under direct government administration, was subject to the 1899 labour laws which imposed an obligation on all Africans to work on pain of being forcibly contracted. In these areas chibalo ( for the government) could also be required and forced labour was also used as a punishment for breaches of the penal code. In 1923 the High Commissioner, Brito Camacho, signed an agreement with Sena Sugar to supply 3,000 labourers a year for the sugar plantations. Contracts were also made to supply labour to the cocoa roças of São Tomé. In the 1930s this was to become an area of forced production, with tracts of land and their inhabitants leased to cotton marketing companies. It was from this region that large-scale emigration took place into British Nyasaland where migrants were able to settle as labour tenants on the lands of Yao and Manganja chiefs (Boeder 1984; Isaacman 1996).

24 Zambesia and much of the Tete District was subject to the labour regime of the prazos, but even here the laws were differently applied. By the second decade of the twentieth century there were pockets of intensive cultivation—sugar in Marromeu, copra in Boror, tea in Gurue. Other areas, however, had become, in effect, labour reserves, like Angonia, which was leased by Sena Sugar solely for the recruitment of labour. The perennial need for labour on the plantations forced the companies to

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compete with the greater attractions of clandestine migration to the Rhodesian farms and South African mines. This competition gradually forced wages to rise and the most hated aspects of forced labour to disappear (Vail & White 1980; Newitt 1995: chap. 18).

25 The Tete and Báruè districts, which were directly administered by the government, were also treated as labour reserves. A contract was signed in 1906 with the Rhodesia Native Labour Bureau for the recruitment of labour for Rhodesian farms and it was from these regions of the middle Zambesi that clandestine migration took place to the Northern Rhodesian Copper Belt and to Southern Rhodesia, which became a transit route for Africans heading for South Africa. Portuguese attempts to apply strict labour controls were circumvented by everyone, white and black, and the Rhodesians even provided lorries, which cruised the roads picking up migrants making their journey laboriously on foot (Newitt 1995: chap. 18).

26 The Mozambique Company operated its own labour laws. It excluded formal recruitment by South Africa or Rhodesia and tried to retain its labour resources within its own territory. The Company did not require women to be contracted as labourers, but in other respects a pattern emerged similar to that in the Zambesi valley, with certain circunscriçoes being designated as labour reserves while the employment of labour was concentrated in the farms and mines of the Manica highlands, the sugar growing areas of the coast and the port-city of Beira.

27 South of the Sabi, the WNLA had recruitment rights. Up to 100,000 labourers a year were contracted from this region for the South African mines, in addition to which many made their own way to South Africa. As this was the part of the colony where the Portuguese capital was located, there was intense competition for labour. Chibalo and was extensively used to provide workers for building development in and around Lourenço Marques, while Portuguese entrepreneurs and the government remained at loggerheads over the desirability of foreign labour contracts (Harries 1994; Penvenne 1995).

28 The New State, which gradually emerged between the military coup of 1926 and the declaration of the new constitution and the Colonial Act in 1933, tried to bring about some kind of unified administration: the prazo contracts were ended in 1930 and the Zambesi area was brought under the same labour laws as the rest of the colony. The Niassa Company’s charter was not renewed in 1929 and the Mozambique Company lost its chartered status in 1941. A professional colonial service was introduced with a common system of supervision and reporting. Moreover the whole centre of the country was brought under the compulsory crop-growing regime, which produced rice and cotton. However, by this time the different administrative and labour regimes that had prevailed for forty years after 1891, had etched themselves deeply into Mozambique’s development. Certain areas remained, in effect, labour reserves while economic development was concentrated around the ports and on the plantations; the labour contracts with Rhodesia and South Africa continued and the patterns of clandestine and legal migration were relatively unchanged.

29 Above all, the various regions of Mozambique remained tied to their British neighbours by the railway and port corridors which became arteries of economic activity, by labour migration across the nearest frontiers and by the increasing networks of cross-border contacts created by people seeking education, employment, consumer purchases, land and the maintenance of traditional ties with kin groups.

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Forced Labour and Colonial Controls on African Migration in the District of Beira

30 Sofala, just to the south of the city of Beira, had been the most important port in the fifteenth century linking the coast to the gold fairs held in the interior. With the partition of Africa, this stretch of the Mozambique coast assumed a renewed importance and in 1898 a railway linking the high veldt to the coast led to the creation of Beira, which grew rapidly as the principal port serving the British South Africa Company territories.

31 The Beira District was formed in 1942 within the Province of Manica e Sofala, when the colonial state took on the government of this Province from the Mozambique Company. It covered the region bounded by the Sabi and Zambesi rivers, which was outside the areas traditionally granted for labour recruitment to South Africa (the provinces south of the 22nd parallel) and Southern Rhodesia (the Tete District).

32 The territory of the District was divided in circunscrições (see Map 1, p. 716), which were further divided in postos administrativos, the lowest level of colonial administrative organisation. Finally, the colonial architects tried to fit into this administrative picture an even smaller territorial unit, based on the Portuguese understanding of the traditional structure of the African society: regedorias were thus created under the control of traditional chiefs, now known as regulos or regedores.

33 With some exceptions, good ecological and environmental conditions favoured a variety of economic activities. In the circunscrição of Marromeu (in the northern part of the District) Sena Sugar Estates had large sugar plantations as had the Companhia Colonial do Búzi (CCB) in the circunscrição of Búzi. Also of economic importance were the port of Beira and the Beira Railways, which owned the line connecting Beira to Southern Rhodesia and which passed through Chimoio and Manica. In contrast to these enterprises, the Portuguese farmers of Chimoio remained fairly backward throughout the period and had to rely on the state for the bulk of their African labour- force.

34 Some companies enjoyed considerable powers in the territory where they operated, and significantly, some officials of the old Mozambique Company were engaged by some big employers to be in charge of the "native affairs". At times this caused friction with the more liberal colonial administrators, who wanted to maintain a check on their powers7. In general, however, the colonial administrators connived with the companies, particularly over the implementation of the forced-labour system. This was formally re-introduced in Mozambique by Circular818/D-7 issued in 1942 by the Governor General of the colony. Circular 818/D-7 envisaged that all Mozambican men, who could not prove that they were cultivating as prescribed by the local authorities or that they were working for an employer, could expect to be arrested by the administrators as vádios (vagrants), and to be forced to work for a colonial enterprise. In the following years, a number of other circulars, both at central and provincial level, specified the details of how and in what conditions Africans could be forced into contract work.

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MAP 1. — CIRCUNSCRIÇÕES OF BEIRA DISTRICT

35 However, it was less the formal colonial legislation than the effective practice of labour recruitment that shaped the system of forced labour. Contract labour meant that it was always possible that a recruiter or a colonial administrator might exercise coercion either directly or indirectly on an African worker. In practice, there was not any rigid separation between free and unfree labour8. The employer paid a recruiter; the recruiter went to the local administrator asking for a certain number of workers; the administrator sent African militia (the cipais) to report that number to the régulo, and the latter pressed the headmen to provide the workers. The workers were concentrated at the administrative headquarters and then selected by the employers. The colonial actors in this process easily exploited the ambiguity of the colonial legislation where this invited the administrative authorities to prepare a "favourable environment" for the recruiters’ activities.

36 Central to the implementation of forced labour were the restrictions on personal movement under the pass system. Circular 818/D-7, and other complementary regulations, reinforced the mechanisms of control over the identification of the African population, their labour and their mobility. In the same year Africans’ freedom of movement was restricted to their circunscrição of origin by the Regulamento de Identificação Indígena9. They needed an authorisation from their local administrator for any change of residence or movement beyond that territorial unit. A caderneta indígena —native identity card or pass-book—was imposed on all African men of productive age and on adult women in administrative centres or towns to control their mobility and register their work record. These provisions, coupled with the imposto indigena (native tax) provided colonial employers with cheap labour and the colonial administration with some revenue: a native found outside his/her circunscrição without proper authorisation could be considered a vagrant and thus conscripted for forced

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labour even if he may have been working for another employer. Apart from a short period between 1946 and 194810, freedom of movement in the rural areas of the entire District was formally resumed only in 195911.

37 Generally almost every kind of contract labour was considered to be chibalo—a term already treated at length in the existing literature on labour relations in the region12. The same literature has also described the various forms of resistance by the African population. In the Beira District during the 1940s and 1950s, the most effective forms were independent movement within the territory and, above all, clandestine migration to neighbouring countries.

38 Independent African emigration from central Mozambique was not merely a response to the harsh internal conditions. It also related to the people’s need to find the best opportunities for social advance for themselves and for their families, through better paid wage labour, better education facilities, or better social services13. Such population movements were considered by the colonial state as "clandestine emigration". Employment abroad was generally a temporary choice for the African workers, although their length of service started to increase in the 1940s14, and some of them established themselves as permanent workers in the urban areas or even in the labour reserves of the British colonies.

39 Beira District was also characterised by a measure of immigration from the other provinces of Mozambique, given the attraction exerted by its economic activity when compared with many other areas of the country. Finally, there was also the so-called "return immigration" of entire communities in consequence of the growing pressure on foreign Africans in Southern Rhodesia, which started in the late 1940s and grew significantly during the second half of the 1950s.

Internal Divisions and External Networks

The Labour Reserves

40 Local administrators had to reconcile competitive demands for labour by the employers in the territory. As a consequence, a regional division of labour within the District was renegotiated almost every year, and the institution from 1943 onwards of labour reserve areas made this explicit. The labour reserves system, which allowed for the development of centres of production and colonial activities that could rely on the labour reserves for the recruitment of their work-force, was one of the main factors that consolidated the disparities in the political-economy of the District already underway in the previous decades.

41 Initially, the rationale of the labour reserves tended to favour, first the public service and, second the rural activities of Chimoio. In 1944, the circunscrições lacking labour (like Chimoio, Búzi, and Cheringoma) could look to other areas reserved for recruitment15. Significantly, the administrators favouring the labour reserves system were those in charge of circunscrições in which the colonial rural activities lacked labour16. Others, in theory, advocated freedom of recruitment throughout the entire District17. The interests of the companies and of the private employers eventually prevailed, and the division of the region made in 1944 was repealed in 194718. In 1950, when international pressures against forced labour in the Portuguese colonies were mounting, the system of labour reserves was formally abolished. However, in general,

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the administrators continued to apportion the labour they could control in their territory to the employers they favoured, for example by denying the Africans the necessary authorisation to leave their circunscrição. For instance, the administrator of Chibabava ordered local régulos to avoid sending their people to the recruiting agent of the CCB, but to secure a number of them for other employers in the territory19. In practice, circunscrições like Mutarara, Angónia, Sofala, Bárue, Gorongosa and Mossurize remained at the periphery of the economic system of Mozambique, and were considered only as labour-supply areas. Colonial and post-colonial development plans and investments in market infrastructure systematically excluded these areas.

The Recruitment Process and Working Conditions

42 Significant disparities also characterised the degree of compulsion used against African workers in the various circunscrições. This varied according to a number of factors, including the local socio-economic conditions, the particular administrator’s own methods and ideology, and the degree to which African reaction influenced the implementation of policies. At one extreme, in Báruè, where the colonial (or state) control over the local population had been historically weak and there had been recurrent revolt, the only effective way of obtaining labour was by violently rounding up the population in the countryside with the help of gangs of cipais20. In other parts of the District, however, the administrators and recruiting agents employed less coercive means to attract workers. Some big employers, like the Sena Sugar Estates in Marromeu, even managed to offer significant incentives at the place of recruitment, like clothes or advances on the total wage covering the entire period of the contract21. Flexibility also characterised the implementation of the regulations on the movement of people, and some administrators turned a blind eye to the practice of regularising the position of people who had come from outside their area to work for a local employer without proper authorisation or documentation.

43 Territorial disparities in labour relations were also reflected by the differences in the treatment of workers in the workplace—practices compounded by different cultural constructs and social relations well rooted in the colonial and pre-colonial history of this territory. For example, it seems that the southern part of the District, coinciding roughly with the boundaries of the old kingdom of Gaza, was characterised by worse labour relations than the northern side, where some of the best colonial enterprises had been established22.

44 In the centre-south of the District, the CCB frequently commanded the attention of the colonial administrators23. Poor food, excessive hours, and generally bad working conditions, together with accusations of ill-treatment, were reported in the CCB as well as among the farmers of Chimoio. In Chimoio and Manica, a workplace that apparently enjoyed the approval of employees was the Beira Railways, especially for the wages paid, the food and the accommodation24. The railway linking Beira to Southern Rhodesia in practice divided the South of the District from the North, where it was easier to find employers like the Sena Sugar Estates in Marromeu or others in Cheringoma, who offered better conditions and the social benefits associated with wage labour. These enterprises were able to attract workers, to have fewer desertions, and to see workers returning after their first contract.

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45 The differences in economic and social conditions within the District, and between this District and the other areas of the country, were also reflected in the wages paid to the African workers. Although wages within the district varied, depending on the employer and on the size and labour strategies of the companies, the official minimum wages, which were pegged to the levels of taxation, clearly reveal these differences. In 1943, in the Beira District, the minimum wage for agricultural work was established at 60$ per month for work in the circunscrição where the contract was made, and 66$ for work outside; however, in Báruè, which bordered with Tete District, the two wage rates were 45$ and 50$25. In 1945 the Governor General established for Beira District wage rates of 72$ for agriculture and 100$ for industry, while workers from Tete employed in Beira were to receive at least 66$ and 90$26. In 1950, the minimum wages for Beira District increased to 100$ and 130$27, and it was specified that Africans working in regions with wages higher than those of the area of their origin had to receive the higher of the two28. In practice, once again, the workers who were paid less were those coming from the most disadvantaged areas like Mossurize.

46 These differences in the levels of wages helped to create, not physically but quite practically, social boundaries between people coming from different areas of the District or of the country. Workers employed in the same company for the same kind of job, could earn different wages, depending on the area from which they came. For example, the Sena Sugar Estates, which had plantations on both sides of the Zambezi, paid different wages according to whether the workers were coming from the Beira District’s circunscrição of Marromeu, or from the Province of Zambézia 29. This difference fostered a clandestine movement of Zambesian people to the south bank plantations, a dynamic similar to the movement of migrants abroad.

47 Differences between one area and another in the level of wages, as well as in the general labour and recruitment conditions, had consequences for the relations between African labourers working in colonial enterprises. It might mean that African workers from the same area had similar attitudes towards working conditions, or towards desertion, escape and migration. Or, it could happen that in a given workplace Africans received a different consideration and treatment from their employers according to the areas they were coming from.

People’s Movements and Migration Structures

48 The phenomenon of the migration of people from the Province of Zambézia to the District of Beira makes it clear that migrant movements both within and outside Beira District were very common. Internal circulation was always directed at finding a better place of employment but, apart the attraction exercised by the urban centre of Beira, the choices were very limited, and the preferred direction remained towards other colonies. Even so, the structures of outward labour migration were closely linked to the Mozambican internal context and internal movements (see Map 2, p. 723).

49 The degree of dispossession due to colonial settler schemes was not so widespread in Beira District, and the escape from forced labour and forced crop growing, together with the search for the best livelihood and social service opportunities, played the major role in determining the circulation of people within the district. A crucial role was also played by the traditional authorities. In general, their influence could determine the decision of an entire group of people regarding its movement from one

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place to another. In some cases, however, people moved in response to the behaviour of a régulo vis-à-vis the colonial directives. For example, in Búzi it was reported that a local chief, who did not exert proper pressure on his community, "an indigenous man without prestige", produced an influx of people into the territory. When he was substituted by a new one "that from the beginning started to implement colonial instructions on tax collection and on the suppression of vagrancy", people began to leave the area30.

50 In Beira District much of internal circulation of people was within a rural context and was "independent" ("clandestine", in the colonial lexicon). Colonial reports and statistics, although not completely reliable, can nevertheless indicate at least the main trends. A number of factors, such as geographical proximity, attractive social services and working opportunities in one or another of the British colonies, or the existence of migrant routes that had already developed before the establishment of effective Portuguese , helped to determine the preferences of Africans seeking to emigrate.

MAP 2. — MIGRANT ROUTES OF BEIRA DISTRICT

51 A distinction can be drawn between the areas south and north of the Punguè river, or the "corridor" linking Beira to Southern Rhodesia and passing through Chimoio and Manica. According to a famous study of the "traditional forces" conducted in 1967 by the colonial inspector Branquinho, south of this line people generally emigrated to South Africa, while to the north of it they would stop first in Southern Rhodesia. He explained how a religious sect coming from Southern Rhodesia was more diffused in the northern part of the District, while another one, coming from South Africa, was common in the southern areas31. Of course, there were more specific patterns. Emigration to South Africa was intensive from Mossurize, Búzi and Sofala. Chimoio,

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and Manica had mixed patterns. The territories along the Zambesi valley in the north were influenced primarily by emigration to Nyasaland, as a first step to South Africa.

52 However, even at the level of the single circunscrições, there were differences in the pattern of migration. In the north, migration dynamics in the circunscrição of Mutarara were among the most complex of the entire District, given that it was a labour reserve and given its peculiar geographical position. It was at the centre of a movement of African migrants from three countries, Mozambique, Nyasaland, and Southern Rhodesia, and these migrants would often exchange their identification documents to trick the local administrators32. Often, emigrants were helped by clandestine recruiters to reach the recruiting posts of Salima, inside Nyasaland, from where they would be directed by train directly to Southern Rhodesia or even to the Transvaal33.

53 In the circunscrição of Chemba the majority of people managed to remain and work in their territory, generally cultivating cotton, while a few hundred moved outside looking for work. Moreover, there were migrants from northern areas who entered Chemba crossing the Zambezi and moving south towards Gorongosa and Vila Pery, the urban centre of Chimoio, where they could take the main road or railway to Southern Rhodesia. Others followed the northern migrant routes through Báruè, which led to the region of Salisbury in Southern Rhodesia34.

54 In spite of living in a labour reserve, the people of Báruè also emigrated, almost entirely to Southern Rhodesia, while a good number also moved independently inside Beira District towards Cheringoma or Beira35. The migrants from Báruè had numerous possibilities to reach Southern Rhodesia: indeed, it was easier to cross the international frontier than to move inside their own District. This fact, combined with older migration structures and socio-cultural traditions, meant that in the 1940s and 1950s the preferences of migrants helped to differentiate this region from other parts of Mozambique. Africans from the centre and south of Báruè (Donde, Macossa) established connections mainly with the Southern Rhodesian region of Umtali: they would cross the river Punguè and pass through Manica, heading for the Southern Rhodesian locality of M’Potese. In the north of the circunscrição (Mungari and Mandié), people would be linked mainly with the region of Salisbury, or they would pass through Changara (Tete District) to reach Mtoko in Southern Rhodesia. The intersection between the circunscrição of Báruè, the District of Tete and Southern Rhodesia was a crucial point as far as the passage of migrant people was concerned. Significantly, a village located in that corner was known among the population with the English term of "the bridge"36.

55 Another typical labour-reserve area was the circunscrição of Mossurize, in the southern side of the Manica District, separated from the Province of Sul do Save by the river Sabi, and having a border with Southern Rhodesia. The internal conditions were so harsh, and the family and cultural links with the territories, at that time under British administration, were so rooted, that almost all the African male population of Mossurize emigrated abroad37. In spite of the proximity with Southern Rhodesia, emigration from Mossurize was directed mainly to South Africa. This was due to a number of factors. Some migrant routes and social networks with South Africa had certainly developed at the time of the population movements south following the retreat of the Gaza Kingdom led by Gungunhana. This is at least suggested by the reference to the "old and rooted traditions", the phrase that often appears in the

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Portuguese reports, where these were not more explicit regarding the role of Gungunhana38. In a report of 1949, the Administrator of Mossurize maintained that: "[The clandestine recruiters] worked to raise the migratory flow to the mines [...]. However, they didn’t make propaganda for ‘the John’, given that the success of the mines was already consolidated from Gungunhana’s times, when the Vandau headed for the Transvaal not only to enrich themselves, but also to avoid recruitment for the ‘impis’"39.

56 Equally important was the role of the clandestine recruiters who crossed the famous 22nd parallel (the northern limit of the concession for the recruitment to the Southern African mines) and operated illegally inside Mossurize throughout the first half of the twentieth century. The incidence of labour migration from Mossurize could also easily be deduced from the data about African tax payments, which were made in part in Escudos (the Portuguese currency), in part in South African currency, and in part in Southern Rhodesian pounds40.

57 Migration from Mossurize to South Africa followed many routes. People could choose to pass from Southern Rhodesia or from the other provinces of Mozambique south of the Sabi river. In the famous corner of Pafúri between Mozambique, Southern Rhodesia and South Africa, they were often recruited under the very general denomination of "tropicais", or as Africans coming from the Mozambican Province Sul do Save (Galha 1952: 226-227; Felgas 1955: 27).

58 Migration to Southern Rhodesia was particularly intense in the circunscrição of Manica, which had a very extended border with the British colony. People from Manica had easy access to employment on the farms, railways, or in the urban areas of Southern Rhodesia, or would trade their produce, buy cheaper goods, or attend the schools there. They did not need to follow any particular route: they simply crossed the border at many points, preferably in the neighbourhood of the rest camps or depots on the Southern Rhodesian side41. Often, movement across the colonial border was so common and the frontier so permeable that a number of people crossed the border on a daily basis. It may be that they did not interpret their movement exactly as migration42. It is significant also that in 1949 the colonial government allowed some groups of long established emigrants to live permanently in the Southern Rhodesian centres of Umtali, Penhalonga and Inyanga, while being registered as residents of Manica43.

59 The predominant pattern of migration for work in Southern Rhodesia did not preclude that, after some time spent earning an income there, these migrants would choose to move on to South Africa. The colonial documents and reports suggest that in Manica migration to South Africa was more intense in the southern and inland areas of Mavita and Dombe44.

60 The areas of the district where productive colonial activity was more developed had a mixed pattern of employment. In the north, the circunscrição of Marromeu had a labour force employed predominantly in the internal activities of Sena Sugar Estates, which attracted, or managed to contract, a lot of people from outside as well, while a couple of thousand people preferred to move outside the circunscrição for work45. Not far from there, in the circunscrição of Cheringoma, people employed by local enterprises were equally divided between workers from within the area and workers obtained from outside. A few hundred emigrated abroad or circulated in the district46. Similar patterns of employment were reported in the two centres of production south of the

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river Punguè, the circunscrições of Chimoio and Búzi. However, in both there was a higher incidence of people moving outside their area looking for work in other parts of the District, although part of the circunscrição of Búzi was characterised by a distinctive dynamic47. Emigration from Chimoio included a high number of Africans originating from other areas. Indeed, the European farmers of Chimoio experienced numerous desertions of workers from their farms, and in some cases it was proved that the Africans from other northern areas allowed themselves to be recruited by the farmers’ Grémio having planned in advance their escape to Southern Rhodesia or South Africa48. These people, as well as the locals who refused to work for the Portuguese, would simply make use of the transport available along the road or railway passing through Chimoio and leading to Southern Rhodesia49.

61 Inside Beira District, one of the major attractions for African workers was the urban centre of Beira, given the development of its port and railway, and the opportunities offered by domestic service. According to Schaedel, Beira remained until the end of the colonial period predominantly a city of migratory labour from the countryside, and it absorbed from the other circunscrições of the District some 35 per cent of all migrants, who came especially from the southern areas and also from the Zambezi valley. Toward the end of the 1960s, however, the majority came from the regions north of the Zambezi river (Schaedel 2001).

The Case of Machaze, Machanga, and Chibabava

62 That migration patterns created differentiation at the level of single circunscrições is particularly clear in the case of Mossurize, Búzi and Sofala. In all of them, old migrant routes, cultural and family links, and colonial labour policies, helped determine the migrants’ preferred destination abroad. Furthermore, while the transnational links between some communities and their destinations abroad were developed or consolidated, a corresponding division of the territory between villages and countryside was equally reinforced.

63 Sofala could be considered a circunscrição supplying labour to other areas, the majority working for private employers in other circunscrições, those from the coast in Beira and those from the internal areas, the so-called "old lands", in Búzi. A good number of people also emigrated abroad, especially towards South Africa and especially from the inland area of Machanga50. People from the main villages of Búzi either contracted for the local employers, the major one being the CCB, or emigrated abroad passing through Beira. Migration to South Africa was much more intense in the internal area Chibabava51. This pattern, setting apart the main villages and administrative centres where people in general either contracted for local activities or managed to go to Southern Rhodesia, from the more rural inland areas, where people migrated en masse to South Africa, was replicated in Mossurize and even in Manica. Machaze in the former, and, as has already been noted, Mavita and Dombe in the latter, represented points of departure for those going predominantly to South Africa52.

64 The inland areas of Búzi (Chibabava), Sofala (Machanga) and Mossurize (Machaze) formed a sort of homogeneous area where people, followed the old migrant routes leading to South Africa, which had developed before the establishment of Portuguese colonial rule, and which the latter may have consolidated. It was reported, for example, that people from these territories, working together in the CCB, after a while

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influenced each other to desert the Portuguese company and take to the road as migrants53. These rural areas represent roughly the borderlands reached by the political and territorial dominion of the old Gaza kingdom before the latter was defeated by the Portuguese in the 1890s54, and it seems that their population remained particularly hostile to the control of the colonial state55.

65 In the 1950s this big area generated sporadic uprisings against the labour recruitment campaigns, and in 1953 Machanga and Mambone were the theatre of a famous revolt that was later regarded as one of the early nationalist rebellions against the colonial empire56. In the following years, the colonial administration ordered a wholesale replacement of the traditional authorities. This caused the emigration abroad of a number of these chefes who took their communities with them 57. Clearly, the particularly hostile relationship between the state and the people in this area, as well as in Machaze and Chibabava, which had even before the effective penetration of the Portuguese colonialism, influenced the particularly high rate of emigration to South Africa recorded in these areas. Machaze, Chibabava and Machanga were often regarded in the 1940s and 1950s as a unique region, at times called "the old lands"58, and their inhabitants were known as "os do interior"—"those from the interior": "The interior was and it is still today for indigenous people the entire strip of land going from Alto Buzi to the margins of the river Save, and penetrating into Chibabava and Mossurize"59.

66 Foreign influences like Zionism were widely diffused there, and represented a peculiar characteristic differentiating these territories from their administrative centres60.

Bargaining Power Over Borders and People’s Movement

67 Another factor influenced the simultaneous consolidation of transnational networks and internal divisions: the degree to which colonial controls on migrants’ internal movements reinforced internal boundaries within the District. As suggested by the contrasting views expressed by those interviewed in Manica and Chimoio, colonial controls in Beira District were perceived by Africans as hard and cruel, but also as fragile, depending on occasion and location. At times, the internal boundaries between the circunscrições resembled the external boundaries with Southern Rhodesia, and they offered a relative freedom of movement to Africans61. In other contexts and at other times controls were applied with much more severity, and people recall being conscripted for contract labour because they had tried to move without proper authorization or documentation issued by their local administrator62. The crucial point is to decide how a boundary’s strength is measured: either as a physical barrier to people’s movement, or as a virtual separation between areas where life and labour relations were different.

68 If we consider the impact of borders on the labour relations and social life of the people who moved across them, it is clear that the international frontier between Mozambique and the British colonies separated two completely different traditions of socio- economic development, which in turn created two different traditions of labour relations. Although the treatment of workers and the enforcement of labour provisions were not uniform inside the Beira District, the regime of forced labour was a constant threat for Africans everywhere in the District. On the other hand, if the border is considered as a physical barrier to people’s movement, then it can be seen

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that Africans in Beira District never met major obstacles in their independent migrations across the frontier with Southern Rhodesia. This international boundary generated over time a real "cartographic anxiety" on the part of the European authorities on the two sides. Nonetheless, it remained extremely difficult to control. Moreover, in Southern Rhodesia, the authorities often favoured undocumented migrants entering the British colony, and regularised them when they signed a contract with a Rhodesian employer: their regularisation meant cheap labour for the Southern Rhodesian economy and taxes in valuable foreign currency for the Portuguese authorities63. That border represented the ideal conditions for what today would be called transnationalism64, and some communities, as has been argued, may not have interpreted their movement as migration.

69 From this point of view, the international border between Beira District and Southern Rhodesia was weaker than the internal boundaries that developed between the circunscrições and between the areas where the economic development was different. Along these internal borders, colonial controls were often more effective in capturing people for forced contract labour. There was a colonial rationale for this situation. People migrating abroad could earn foreign currency that the colonial state, through taxation, could transform into valuable revenue. By contrast, Africans circulating for work inside Beira District, when found in a circunscrição without a proper pass or authorization, were liable to be considered vagrants and then condemned to trabalho correccional or recruited for public or private employers, that is they could be forced to work for low wages or for nothing65. These two facts reinforced transnational migration and social networks on the one hand and the consolidation of the internal barriers on the other.

70 *

71 Salazar’s phase of colonial rule in the Beira District of Mozambique both consolidated and altered past trends regarding people’s relations with the state and the territory. The enforcement of the forced-labour regime was aided by limitations on people’s mobility and by the institution of labour reserves. The development of socio-economic distortions in labour relations between the majority of the African workforce and the colonial state was paralleled by a consolidation of the imbalances in the political- economy of the territory. People’s migration patterns and routes were a structural element of this picture: on the one side the internal divisions between the underdeveloped labour-reserves and the centres of production, separated by internal colonial boundaries which were used by the Portuguese authorities to enforce the forced labour provisions, and on the other the transnational connections established by migrants, mutually reinforced themselves over time.

72 In addition to the regional divisions characteristic of Mozambique as a whole, Districts like that of Beira were divided by structural differences which set apart the labour- reserve areas, like the circunscrições of Mossurize, Sofala, and Báruè, that remained on the periphery of the socio-economic system, and the centres of production, like Búzi, Chimoio, Cheringoma and Marromeu, which saw significant economic activity. These differences were reflected in the internal colonial division of labour between the different economic interests, in the different patterns of employment and treament of the African workers and in the different way Africans were contracted for labour in the colonial enterprises. In addition, this territorial differentiation corresponded to the different choice of migrant destinations and the transnational networks of African

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migrant workers. Even within the circunscrições there were divisions between those areas served by infrastructure like roads and shops, usually the main administrative centres, and areas more isolated in the countryside. In the first, people either contracted for local activities, or moved inside the District in search of better labour opportunities, or migrated abroad. In the second, people emigrated abroad in mass, predominantly to South Africa. This pattern was particularly clear in the southern circunscrições of Mossurize, Búzi and Sofala, where their more rural areas (Machaze, Chibabava and Machanga) were considered as areas from which people migrated to South Africa and foreign influences were uniformly spread, while people living in the administrative centres either remained working for a local employer, or emigrated toward Southern Rhodesia.

73 In the end, the mutual relationship between the transnational links of the people and the colonial policies on forced labour, shows how local differences depended on the interplay between the political economic strategies of the state and the people’s individual or collective responses.

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INTERVIEWS

— Mozambique, October and November 2001:

— Distrito de Gondola, Posto de Cafumpe.

— Distrito de Gondola, Posto de Zembe.

— Distrito de Gondola, Posto de Matsinho.

— Distrito de Sussundenga, Localidade de Monhinga.

— Distrito de Sussundenga, Sede.

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— Distrito de Manica, Vila de Manica.

ARCHIVES

— Arquivo Histórico de Moçambique (AHM), Maputo.

— Arquivo Histórico Ultramarino (AHU), Lisboa.

— Public Record Office (PRO), London.

NOTES

1. For the negotiations leading to the drawing of Mozambique’s frontiers, see AXELSON (1967). 2. The best known example are the Chikunda, see ISAACMAN & ISAACMAN (2004). 3. For the prazos, which were large tracts of land, with their resident population, held by Portuguese senhors on three-life leases from the Portuguese Crown, see ISAACMAN (1972), NEWITT (1973, 1995: chap. 10), CAPELA (1995). 4. For the Gaza state see the publications of Gerhard Liesegang, especially LIESEGANG (1967, 1983), HISTóRIA DE MOçAMBIQUE (1983). 5. For a summary of these developments see NEWITT (1995: 393-398). For the Nyasaland railway and the Sena bridge see VAIL (1975). 6. For forced cotton growing, see PITCHER (1993). 7. AHM. FGDB, Cx.660. "Relatório do Inspector-Inquiridor, A.S.F. de Castel-Branco, dum processo sobre a Companhia Colonial do Buzi. Beira, 3 de Novembro de 1951." 8. On this, see MURRAY (1995) for the case of the "Crooks’ Corner" between Mozambique, South Africa, and Southern Rhodesia. 9. Portaria N. 4950, 19 December 1942, art. 9. 10. Regulamento de Identificação Indígena: Portaria N. 6490, 15 June 1946, art. 8. 11. AHM. FGDB, Cx.683. "Direcção dos Serviços dos Negócios Indígenas. Informação Confidencial, No 82/A/54/9, Lourenço Marques, 27 de Agosto de 1959." 12. A few among the many examples are: FIRST (1983), HARRIES (1994), ISAACMAN (1996), O’LAUGHLIN (2000), VAN ONSELEN (1976), PENVENNE (1995). 13. For detailed examples related to emigration to Southern Rhodesia (and then Zimbabwe) from central Mozambique, see DAS NEVES TêMBE (1998). 14. PRO. DO 35/3710. "Dominion Office and Commonwealth Relations Office: Original Correspondence. Report of the Secretary for Native Affairs, Chief Native Commissioner, and Director of Native Development, for the Year 1948. Report of the Commissioner of Native Labour for the Year 1948." 15. AHM. FGDB, Cx.622. "Provincia de Manica e Sofala. Direcção Provincial de Administração Civil. Circular N 2651/B/9, Beira, 17 de Junho de 1944." 16. Over the years, the local authorities of the entire Province of Manica e Sofala were consulted by the provincial administration about the best way to foster voluntary labour and to push private employers towards a provision of better labour conditions.

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The labour reserves were a key element of the local administrators’ answers. See: AHM. FGDB, Cx.640. "Administração da Circunscrição de Chimoio. No 120/B/14, Vila Pery, 7 de Janeiro de 1947." 17. AHM. FGDB, Cx.640. "Administração da Circunscrição de Sofala. No 185/B/14, Nova Sofala, 8 de Fevereiro de 1947"; AHM. FGDB, Cx.640. "Administração da Circunscrição de Sena." No 145/B/14, "Vila Fontes, 1 de Fevereiro de 1947"; AHM. FGDB, Cx.640. "Administração da Circunscrição civil de Mossurize. No 113/B/14, Espungabera, 10 de Fevereiro de 1947"; AHM. FGDB, Cx.640. "Administração do Concelho de Manica. No 277/B/14, Vila de Manica, 5 de Fevereiro de 1947"; AHM. FGDB, Cx.640. "Administração da Circunscrição de Chemba. No 26/B/14, Chemba, 7 de Janeiro de 1947." 18. AHM. FGDB, Cx.639. "Direcção Provincial de Administração Civil de Manica e Sofala. Circular No 7876/B/14. Beira, 11 de Dezembro de 1947." 19. AHM. FGDB, Cx.660. "Relatório do Inspector-Inquiridor, A.S.F. de Castel-Branco, dum processo sobre a Companhia Colonial do Buzi. Beira, 3 de Novembro de 1951." 20. AHM. FGDB, Cx.630. "Circunscrição Administrativa do Báruè. Confidencial No 752/ A/42, Vila Gouveia, 13 de Abril de 1961." 21. AHM. FGDB, Cx.639. "Província de Manica e Sofala. Direcção Provincial de Administração Civil. Circular No 5598/B/14, Beira, 19 de Agosto de 1948." 22. However, a proper analysis on this point is out of the reach of this paper. 23. AHM. FGDB, Cx.659. "Província de Manica e Sofala. Direcção Provincial de Administração Civil. Informação, Beira, 20 de Junho de 1944"; AHM. FGDB, Cx.659. "Administração da Circunscrição do Búzi, N.1288/B/15/2, Nova Luzitânia, 7 de Outubro de 1947." 24. Interview 3/c: Biseque Saize. Distrito de Gondola, Posto de Matsinho, October 2001; AHM. FISANI, Cx.39. "João Mesquita, Relatório das Inspecções Ordinárias às Circunscrições de Chemba, Sena, Marromeu, Gorongosa, Manica e Mossurize, do Distrito da Beira, 1946"; AHM. FGDB, Cx.639. "Administração da Circunscrição de Chimoio, No 421/B/9, 6 de Março de 1947"; AHM. FGDB, Cx.627. "Província de Manica e Sofala. Direcção Provincial de Administração Civil. Informação No 51/B/15, Beira, 17 de Maio de 1952." 25. AHM. FGDB, Cx.658. "Govêrno da Província de Manica e Sofala. Ordem Geral No 2, Beira, 13 de Setembro de 1943." 26. AHM. FGDB, Cx.622. "Repartição Central dos Negócios Indígenas. N.2761/B/15/12, 8 de Outubro de 1945." 27. AHM. FGDB, Cx.608. "Repartição Central dos Negócios Indígenas. Circular N.929/B/ 15/12, 27 de Março 1950." 28. AHM. FGDB, Cx.658. "Repartição Central dos Negócios Indígenas. Circular No 1701/ B/15/12, Lourenço Marques, 16 de Maio de 1950." 29. AHM. FGDB, Cx.658. "Província de Manica e Sofala. Direcção Provincial da Administração Civil. Circular No 4343/B/15, Beira, 20 de Junho de 1950." 30. AHM. FGDB, Cx.618. "Administração da Circunscrição do Búzi. No 3591, Nova Lusitânia, 7 de Dezembro de 1960" (my translation from Portuguese).

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31. AHM. SE, "Branquinho José Alberto Gomes de Melo, Prospecção das forças tradicionais: Manica e Sofala, Relatório Secreto para os Serviços de Centralização e Coordenação de Informações, Província de Moçambique, Lourenço Marques, 1967". 32. AHM. FGDB, Cx.641. "Mapas das Disponiblidades de mão de obra indígena: Mutarara (1954)." 33. AHM. FGDB, Cx.639. "Administração da Circunscrição Civil de Mutarara, Confidencial, No 1140/B/17/1, Mutarara, 17 de Agosto de 1943." 34. AHM. FGDB, Cx.692. "Administração da Circunscrição Civil de Chemba. No 620/B/ 17/1, Chemba, 6 de Agôsto de 1947"; AHM. FGDB, Cx.617. "Administração da Circunscrição da Chemba. Confidencial No 308/B/10, Chemba, 21 de Fevereiro de 1955." 35. AHM. FGDB, Cx.641. "Mapas das Disponiblidades de mão de obra indígena: Báruè (1954-1957)." 36. AHM. FGDB, Cx.692. "Circunscrição do Báruè. Elementos colhidos em conformidade aom o determinado na nota no 96/1/I.S./H..., Vila Gouveia, 14 de Setembro de 1947"; AHM. FGDB, Cx.692. "Administração da Circunscrição do Báruè. Confidencial, No 555/B/17/1, Vila Gouveia, 18 de Abril de 1949"; AHM. FGDB, Cx.693. "Administração da Circunscrição do Báruè. No 579/B/17/1, Vila Gouveia, 8 de Maio de 1951"; AHM. FGDB, Cx.693. "Administração da Circunscrição do Báruè. No 512/B/1771, Vila Gouveia, 31 de Março de 1952"; AHM. FGDB, Cx.693. "Comissariado de Policia de Tete, Participação apresentada pelo subchefe de esquadra, Edmundo da Silva Pereira, Tete, 5 de Março de 1952." 37. AHM. FGDB, Cx.641. "Mapas das Disponiblidades de mão de obra indígena: Mossurize (1954-1957)." 38. AHM. FGDB, Cx.628. "Circunscrição de Mossurize, Resposta ao Questionário..., Espungabera, 14 de Agosto de 1954"; AHM. FGDB, Cx.692. "Concelho de Manica. Respostas ao questionário..., Vila de Manica, 5 de Setembro de 1947." 39. AHM. FGDB, Cx.692. "Administração da Circunscrição de Mossurize, Confidencial, No 372/B/17/1, Espungabera, 16 de Abril de 1949." 40. AHM. FISANI, Cx.54. "Inspector Administrativo António A.S. Borges, Relatório da Inspecção Ordinária à Circunscrição do Mossurize, 1968." 41. Interview 9/e: Amosse Missane Dangaisso. Distrito de Manica, Vila de Manica, November 2001; AHM. FGDB, Cx.692. "Concelho de Manica. Respostas ao questionário..., Vila de Manica, 5 de Setembro de 1947"; AHM. FGDB, Cx.683. "Administração do Concelho de Manica, No 1761/B/17, Vila de Manica, 24 de Setembro de 1948." 42. As admitted, for example, by a famous Portuguese colonial inspector: AHM. SE, "Branquinho José Alberto Gomes de Melo, Prospecção das forças tradicionais: Manica e Sofala, Relatório Secreto para os Serviços de Centralização e Coordenação de Informações, Província de Moçambique, Lourenço Marques, 1967". 43. AHM. FGDB, Cx.640. "Administração do Concelho de Manica, No 496/B/14, Vila de Manica, 28 de Fevereiro de 1949." 44. AHM. FGDB, Cx.692. "Concelho de Manica. Respostas ao questionário..., Vila de Manica, 5 de Setembro de 1947"; AHM. FGDB, Cx.692. "Administração do Conclho de Manica. Confidencial, No 1479/B/17/1, Vila de Manica, 28 de Junho de 1949." 45. AHM. FGDB, Cx.641. "Mapas das Disponiblidades de mão de obra indígena: Marromeu (1954-1958)."

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46. AHM. FGDB, Cx.641. "Mapas das Disponiblidades de mão de obra indígena: Cheringoma (1954-1957)." 47. AHM. FGDB, Cx.641. "Mapas das Disponiblidades de mão de obra indígena: Chimoio (1954-1956)"; AHM. FGDB, Cx.641. "Mapas das Disponiblidades de mão de obra indígena: Búzi (1954-1958)"; AHM. FGDB, Cx.626. "Administração da Circunscrição do Buzi. Confidencial, No 596/D/18, Nova Luzitânia, 29 de Março de 1948"; AHM. FGDB, Cx. 626. "Província de Manica e Sofala. Direcção Provincial de Administração Civil. Confidencial, No 2478/B/11, Beira, 8 de Abril de 1948." 48. AHM. FGDB, Cx.667. "Administração da Circunscrição de Chimoio. No 3732/B/15/2, Vila Pery, 4 de Dezembro de 1951." 49. AHM. FGDB, Cx.692. "Administração da Circunscrição de Chimoio. Relatório incluso à No 4171/B/17/1, Vila Pery, 11 de Setembro de 1947"; AHM. FGDB, Cx.693. "Administração da Circunscrição de Chimoio. No 1662/B/17/1, Vila Pery, 14 de Maio de 1954." 50. AHM. FGDB, Cx.641. "Mapas das Disponiblidades de mão de obra indígena: Sofala (1954-1958)"; AHM. FGDB, Cx.626. "Circunscrição de Sofala. No 1882/B/11, Nova Sofala, 6 de Novembro de 1943"; AHM. FGDB, Cx.622. "Circunscrição de Sofala. N.1902/B/9, Nova Sofala, 10 de Novembro de 1943"; AHM. FGDB, Cx.683. "Administração da Circunscrição de Sofala. No 1388/B/17, Nova Sofala, 21 de Agosto de 1946"; AHM. FGDB, Cx.692. "Administração da Circunscrição de Sofala. No 992/B/17/1, Nova Sofala, 17 de Junho de 1947." 51. AHM. FGDB, Cx.692. "Administração da Circunscrição do Buzi. No 1152/B/17/1, Nova Luzitânia, 4 de Setembro de 1947"; AHM. FGDB, Cx.641. "Mapas das Disponiblidades de mão de obra indígena: Búzi (1/1954, 11/1956, 4/1957, 7/1958)"; AHM. FGDB, Cx.627. "Circunscrição do Búzi, Exp./288/B/11, Ano de 1961." 52. AHM. SE, "Branquinho José Alberto Gomes de Melo, Prospecção das forças tradicionais: Manica e Sofala, Relatório Secreto para os Serviços de Centralização e Coordenação de Informações, Província de Moçambique, Lourenço Marques, 1967." 53. AHM. SE, "Branquinho José Alberto Gomes de Melo, Prospecção das forças tradicionais: Manica e Sofala, Relatório Secreto para os Serviços de Centralização e Coordenação de Informações, Província de Moçambique, Lourenço Marques, 1967"; AHM. FGDB, Cx. 692. "Administração da Circunscrição de Sofala. Elementos para base de trabalho de que anda incumbido o Excelentissimo Senhor Inspector Administrativo..., Nova Sofala, 19 de Setembro de 1947." 54. AHM. FGDB, Cx.692. "Administração da Circunscrição de Mossurize. Confidencial, No 372/B/17/1, Espungabera, 16 de Abril de 1949"; AHM. FGDB, Cx.692. "Concelho de Manica. Respostas ao questionário..., Vila de Manica, 5 de Setembro de 1947." 55. AHM. SE, "Branquinho José Alberto Gomes de Melo, Prospecção das forças tradicionais: Manica e Sofala, Relatório Secreto para os Serviços de Centralização e Coordenação de Informações, Província de Moçambique, Lourenço Marques, 1967." 56. AHM. FGDB, Cx.626. "Bispado da Beira, Confidencial, No 32, Beira, 7 de Fevereiro de 1951"; AHM. FGDB, Cx.626. "Administração da Circunscrição de Sofala, Confidencial, No 354/B/11, Nova Sofala, 9 de Março de 1951"; AHM. FGDB, Cx.618. "Sixpence Simango, Nucleo Negrófilo de Manica e Sofala, ao Administrador da Circunscrição de Sofala, Beira, 1 de Maio de 1953."

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57. Interview 1/b: Manuel Mbaimbai. Distrito de Gondola, Posto de Cafumpe, 26 de ottobre 2001; AHM. FGDB, Cx.617. "Administração do Concelho de Lourenço Marques, Confidencial No 3845/B/8, de 7 de Agosto de 1955." 58. AHM. FGDB, Cx.626. "Circunscrição de Sofala. No 1882/B/11, Nova Sofala, 6 de Novembro de 1943." 59. AHM. FGDB, Cx.692. "Administração da Circunscrição de Sofala, Elementos para base de trabalho de que anda incumbido o Excelentissimo Senhor Inspector Administrativo..., Nova Sofala, 19 de Setembro de 1947." 60. AHM. SE, "Branquinho José Alberto Gomes de Melo, Prospecção das forças tradicionais: Manica e Sofala, Relatório Secreto para os Serviços de Centralização e Coordenação de Informações, Província de Moçambique, Lourenço Marques, 1967." 61. For example: Interview 4/b: Fumo Lúis Seda. Distrito de Gondola, Posto de Matsinho, October 2001; Interview 6/b: Joami Chipoia. Distrito de Sussundenga, Sede, October 2001; Interview 7/d: Zacaria Sabonete Mutsica. Distrito de Sussundenga, Sede, October 2001. 62. For example: Interview 9/d: João Careca. Distrito de Manica, Vila de Manica, November 2001; Interview 6/c: Elias Chiposse. Distrito de Sussundenga, Sede, October 2001. 63. AHM. FGDB, Cx.692. "Repartição Central dos Negócios Indígenas. No 137/B/17/1, Lourenço Marques, 15 de Janeiro de 1948"; FDSNI, Cx.108. "Relatório da Curadoria dos Indígenas Portugueses na Rodésia do Sul, 1941-48"; AHM. FGDB, Cx.640. "Administração do Concelho de Manica. No 496/B/14, Vila de Manica, 28 de Fevereiro de 1949." 64. Interview 8/b: Silvestre Chabai. Distrito de Manica, Vila de Manica, November 2001; AHM. FGDB, Cx.628. "Circunscrição de Mossurize. Resposta ao Questionário anexo à Circular no 3885/B/11, de 20-VI-1947, da Direcção de Administração Civil de Manica e Sofala, Espungabera, 14 de Agosto de 1954"; AHM. SE, "Branquinho José Alberto Gomes de Melo, Prospecção das forças tradicionais: Manica e Sofala, Relatório Secreto para os Serviços de Centralização e Coordenação de Informações, Província de Moçambique, Lourenço Marques, 1967." 65. AHM. FGDB, Cx.692. "Administração do Concelho da Beira, Relação dos indígenas que foram encontrados na area deste Concelho sem autorização, Vila de Manica, 28 de Abril de 1948"; AHM. FGDB, Cx.692. "Provincia de Manica e Sofala, Direcção Provincial de Administração Civil, Informação No 22/B/17/1, Beira, 29 de Abril de 1948"; AHM. FGDB, Cx.683. "Direcção dos Serviços dos Negócios Indígenas. Informação Confidencial, No 82/A/54/9, Lourenço Marques, 27 de Agosto de 1959."

RÉSUMÉS

Réseaux transnationaux et divisions internes dans le centre du Mozambique. Perspective

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historique de la période coloniale. De 1890 aux années 1930, la colonie portugaise du Mozambique s’est développée comme un ensemble de régions institutionnellement et économiquement distinctes. Du fait de la domination des compagnies concessionnaires et des liens économiques tissés avec les colonies britanniques avoisinantes, les relations entre les régions au sein du pays étaient souvent non existantes. Après 1930, dans le district de Beira, le régime colonial est parvenu à consolider et modifier les liens entre la population d’une part et l’État et le territoire d’autre part. Au régime du travail forcé vinrent s’ajouter des restrictions de mouvement et la mise en place de réserves de main-d’œuvre accentuant à leur tour les déséquilibres dans l’économie politique et créant ainsi des « frontières intérieures » qui étaient souvent plus difficiles à franchir que celles rencontrées sur les parcours traditionnels de la main-d’œuvre migrante. Cette séparation était visible dans la division coloniale interne du travail entre les différents intérêts économiques, dans les types d’emplois réservés aux travailleurs africains, et enfin dans le statut différent des Africains dans les entreprises coloniales.

From 1890 to the 1930s the Portuguese colony of Mozambique developed as a number of institutionally and economically separate regions. The rule of concession companies and the economic ties that developed with neighbouring British colonies meant that internal relations between region and region were often non-existent. After 1930 colonial rule in the Beira District of Mozambique both consolidated and altered people’s relations with the state and the territory. The forced-labour regime was reinforced by limitations on people’s mobility and by the institution of labour reserves, which in turn consolidated the imbalances in the political- economy and created internal boundaries that were often more difficult to cross than those met with on the traditional labour migration routes. These differences were reflected in the internal colonial division of labour between the different economic interests, in the different patterns of employment and treatment of the African workers and in the different way Africans were contracted for labour in the colonial enterprises.

INDEX

Keywords : Mozambique, Beira District, Colonial Period, Concession Companies, Forced Labour, Internal Boundaries, Labour Reserves, Migration, Transnational Networks Mots-clés : Mozambique , district de Beira , période coloniale , compagnies concessionnaires , travail forcé , frontières intérieures , réserves de main-d’œuvre , migration , réseaux transnationaux

AUTEURS

MALYN NEWITT King’s College, London.

CORRADO TORNIMBENI Research Fellow: Department of Politics, Institutions, History, University of Bologna.

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Conflits fonciers. De l’ethnie à la nation Rapports interethniques et « ivoirité » dans le sud-ouest de la Côte- d’Ivoire

Alfred Babo et Yvan Droz

NOTE DE L'AUTEUR

Ce texte est publié à la suite du colloque Les frontières de la question foncière : enchâssement social des droits et politiques publiques, IRD, qui s’est tenu du 16 au 19 mai 2006 à Montpellier.

1 À partir des années 1990, la crise de l’État ivoirien a révélé les antagonismes fonciers longtemps cachés. Dès la période coloniale, la politique de l’État a encouragé des migrants à coloniser des terres dans les zones forestières. Cette politique, bien qu’elle ait parfois bénéficié aux migrants originaires des pays voisins (Mali, Haute-Volta), a favorisé l’accès à la terre des migrants nationaux, notamment les Baoulés (Bonnecase 2001). D’après Chauveau (2006 : 5), « the increased mobility following the abolition of Native Code led to another boom in perennial crops, but also the arrival of further migrants, specially Bawle ; this influx was encouraged by the RDA party and more particulary by its Bawle leader Houphouët-Boigny ». Étudiant l’immigration des Baoulés en pays bakwé (dans le sud-ouest), Vallat (1979) avait identifié trois facteurs « répulsifs » dans les zones d’origine. Il s’agissait de la pression démographique dont l’un des effets était le rétrécissement des surfaces cultivées, de la chute des rendements du café, et des conditions agroclimatiques défavorables pour les spéculations caféières et cacaoyères. Dans les années 1970, l’État a installé massivement des planteurs baoulés dans les régions peu peuplées du sud-ouest par l’entremise de l’ARSO1. Cette région était traditionnellement peuplée de communautés que l’on rattache au groupe krou. Ce sont notamment les Bakwé, les Neyo, les Godié, les Wè ou Guéré, les Bétés et les Kroumen. Ces communautés se sont installées dans la région entre le XVe et le XVIIIe siècle et sont considérées comme autochtones. Les Bétés se trouvent au nord et nord-

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est de la région du Bas-Sassandra à la frontière avec les régions du Fromager (Gagnoa) et du Haut-Sassandra (Daloa). Quant aux Wè, on les trouve au nord de la sous- préfecture de Grabo à la frontière de la région du Moyen-Cavally. À Tabou, dans l’extrême sud-ouest, au bord du fleuve Cavally, à la frontière du , les Kroumen représentent la majorité du peuplement.

2 Ces groupes ethniques vivaient essentiellement de la chasse, de la cueillette et de la pêche. Les Kroumen, qui vivent sur les côtes de l’Atlantique, sont des marins et étaient souvent engagés comme matelots sur les navires marchands : activité dont ils tirent leur nom (crewmen). Ils ne manifestaient que peu d’intérêt pour les activités agricoles. La terre était alors une ressource peu exploitée et on a observé d’importants déplacements individualisés vers cette région, outre les mouvements migratoires organisés par le gouvernement ivoirien. De fait, la proportion de migrants s’est accrue de 1970 à 1980, passant de 38 % à 46 % (Amoakon 1993). En 1998, l’essentiel des migrants nationaux de la région du Bas-Sassandra (sud-ouest) provenait du pays akan- baoulé (régions de la Vallée du Bandama [21,8 %] et du N’Zi-Comoé [20 %]). Le principe houphouetien de « la terre appartient à celui qui la met en valeur » présidait à cette colonisation pionnière (Otch-Akpa 1993). Il a permis aux migrants d’acquérir des droits fonciers grâce au tutorat avant l’épuisement des ressources foncières.

3 De plus, une intense migration internationale s’est développée. Dès les années 1970, un grand nombre de migrants ouest-africains (Maliens, Burkinabè, Ghanéens, et Guinéens) se sont installés dans le sud-ouest ivoirien (Soubré, Méagui, Tabou, Grabo, etc.). Le gouvernement ivoirien avait alors recours à la main-d’œuvre extérieure, tant pour la construction et l’exploitation du port de San-Pédro que pour les plantations industrielles de palmiers à huile et d’hévéas. Presque tous ces migrants ont accédé à la terre grâce à l’institution du « tutorat » (Chauveau 2006). Ainsi, cette zone peu peuplée est rapidement devenue un nouveau front pionnier agricole avec la création de plantations de café et surtout de cacao. Aujourd’hui, en plus de

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LES RéGIONS ADMINISTRATIVES DE LA CôTE-D’IVOIRE Source : d’après The World Gazetter, http:// www. world-gazetter. com/ s/ _ci. htm.

migrants économiques, des milliers de réfugiés libériens ont traversé la frontière pour fuir la guerre civile au Liberia faisant du Bas-Sassandra une des régions ayant une proportion élevée d’étrangers (42,8 %)2.

4 Or, la profonde crise économique que connaît la Côte-d’Ivoire depuis le milieu des années 1980 se traduit par une pression démographique sur le foncier conduisant à réinterpréter le processus de négociation des droits fonciers entre allogènes3 et autochtones. Cette crise se trouve à l’origine de conflits fonciers récurrents doublés d’attitudes xénophobes. Tant que des terres étaient disponibles et que le système politique procédait à une certaine redistribution des fruits de la croissance économique, un consensus politique et social évitait provisoirement l’explosion sociale (Konaté 2003). Ce « consensus politique et social » était soutenu par le système politico- administratif ivoirien. Toutefois, avec l’ouverture démocratique (début 1990), des questions occultées ont refait surface, en particulier celle des droits fonciers à la fois complexes et flous des zones forestières de l’ouest, peuplées par des planteurs issus de plusieurs groupes ethniques.

5 La fermeture progressive de la Frontière pionnière fragilise les accords fonciers antérieurs basés sur des interprétations divergentes du tutorat. On passe alors d’une situation de tensions latentes à des conflits ouverts. Du fait de l’affaiblissement du pouvoir politique akan, on pouvait craindre une aggravation des conflits entre planteurs baoulés « invités » et leurs tuteurs et propriétaires fonciers kroumen. Or, on a assisté à l’exacerbation des tensions entre Kroumen et migrants burkinabè. Comment est-on passé d’une crise foncière où pointaient des conflits interethniques à une crise opposant les Ivoiriens aux « étrangers » ? Deux hypothèses peuvent expliquer cette nouvelle situation.

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6 Premièrement, le contexte sociopolitique délétère né des stratégies nationalistes de lutte pour le pouvoir politique national. Après la mort d’Houphouët Boigny en 1993, le président Konan Bédié et son parti, le PDCI-RDA au pouvoir en Côte-d’Ivoire, ont cherché à écarter du pouvoir politique un potentiel candidat « étranger », Alassane Ouattara, en cristallisant les aspirations nationalistes. Ce nationalisme a focalisé les tensions foncières sur les exploitants agricoles étrangers en « oubliant » les planteurs baoulés. De plus, les réformes législatives introduites par la loi foncière en 1998 ont fragilisé les droits acquis par les descendants de migrants ouest-africains.

7 Deuxièmement, les conflits fonciers récurrents et la baisse des cours du café et du cacao diminuaient l’attrait financier que représentaient ces cultures de rente. Le manque de terres en Basse-Côte compliquait la création de plantations pour les nouveaux migrants baoulés. On assistait alors au retour des Baoulés vers leurs zones d’origine : phénomène qui inverse les stratégies migratoires traditionnelles.

Migration et tutorat en Afrique de l’Ouest

8 L’Afrique de l’Ouest présente de nombreux mouvements migratoires des populations. L’approche néo-classique (Prothero & Chapman 1985) de ces mouvements met l’accent sur la nécessité d’améliorer les conditions matérielles des migrants. Mais, le plus souvent, les populations ne se déplacent pas uniquement pour fuir des conditions naturelles austères, mais plutôt pour optimiser des stratégies de survie complexes (Parnwell 1993 ; Droz & Sottas 1997). Avant 1960, de nombreux Burkinabè et Maliens ont émigré massivement vers le Ghana. Ils abandonnaient les terres arides et désertiques du nord et fuyaient le travail forcé de l’administration coloniale française pour rejoindre les régions prospères du sud forestier. Plus tard, le Ghana, qui comptait avant l’indépendance 12 % de sa population totale d’origine étrangère (Burkinabè, Nigériens, Sierra-léonais et Libériens), a perdu son statut de principal pays d’immigration à la fin des années 1960 (Pitroipa 2003). Sous les effets conjugués d’une crise économique et de l’instabilité politique du Ghana, les migrants se sont tournés vers le Nigeria rendu attractif par le boom pétrolier des années 1970.

9 D’autres ont migré en Côte-d’Ivoire qui connaissait alors une longue période de croissance économique et de stabilité politique4. Au milieu des années 1960, la politique régionale du président Houphouët-Boigny a favorisé l’immigration. Se fondant sur l’idéologie panafricaniste concrétisée par la mise en place du Conseil de l’Entente5 au lendemain des indépendances, le président ivoirien aimait à dire que « la Côte-d’Ivoire est un pays de tradition hospitalière ». Il facilita l’accès des migrants à la terre en déclarant que la terre appartenait à celui qui la mettait en valeur. Cette politique induisit un fort flux migratoire en provenance principalement du Mali et du Burkina Faso.

10 Dans les années 1970, période du « miracle économique » de la Côte-d’Ivoire, les allogènes se sont établis durablement dans le sud-ouest forestier pour exploiter les vastes massifs forestiers de la région. En 1975, 22 % de la population ivoirienne était d’origine étrangère. Cette proportion a augmenté pour atteindre 28 % en 1988. Après une légère baisse en 1993 (25 %), la population étrangère était évaluée à 26 % en 1998 selon l’Institut national de la statistique (INS). En outre, on observa de nombreux mouvements migratoires internes lorsque les migrants cherchaient des terres propices à l’agriculture. En Côte-d’Ivoire, dans la région du Bas-Sassandra (départements de San-

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Pédro et Tabou), les migrations internes présentaient d’importants flux de migrants baoulés provenant des zones semi-arides du centre et centre-nord du pays. En 1998, 45 % de la population de cette région étaient des migrants ivoiriens en majorité issus du groupe akan (Baoulés et Agnis essentiellement). L’institution du « tutorat » leur permit de s’y installer, tout en jouissant de l’appui de l’État.

11 Pour Chauveau (2006), le tutorat correspond à une « convention agraire » caractéristique de l’« économie morale » des sociétés paysannes ouest-africaines. Son principe veut que tout bénéficiaire d’une délégation de droits fonciers contracte un devoir permanent de reconnaissance vis-à-vis de son « tuteur ». Dans le pays gban au centre-ouest de la Côte-d’Ivoire, la théorie locale du tutorat reposait sur une délégation de droits fonciers aux planteurs migrants. Ceux-ci étaient parfois alloués pour une durée indéterminée et fondés sur un « contrat moral » : « During the installation ceremony of a stranger on a piece of land the tuteur presents a symbolic gift (drinks, chickens) to the stranger and reminds him of the tuteur’s ancestors who had invested labor in this particular parcel. He thus emphasizes the legitimacy and perpetuation of his authority, which are not to be called into question. This stranger is not expected to reciprocate the gesture with a corresponding return gift, but only obliged to express his gratitude by giving a voluntary gift of food, agriculture products or portion of the earnings obtained after the sale of his coffee and cocoa » (ibid : 8).

12 Le tutorat est donc matérialisé par un ensemble de cérémonies (libations et incantations) effectuées par le propriétaire de la terre aux ancêtres auxquels il confie le travail de « son étranger ». Il lui cède une portion de terre aux contours flous, parfois sans limites précises. Les autochtones entendent conserver une certaine maîtrise foncière par ces rituels associés aux autels de la terre-mère. En effet, sans l’accord de la terre-mère, obtenu par l’intercession des tuteurs, les migrants ne peuvent cultiver la terre. S’ils le faisaient ils encourraient son courroux manifesté par une succession de maladies, d’accidents et de mauvaises récoltes. Cette cession d’un type de droit foncier enlève tout caractère marchand au transfert en s’inscrivant dans la logique du don. Le tuteur donne quelques présents symboliques au migrant, tout en n’exigeant aucun geste réciproque. Il affirme ainsi son autorité sur le migrant. Cette cession exige du bénéficiaire qu’il fasse preuve de reconnaissance, « contre-don » qui souligne le devoir moral qui scelle l’alliance entre autochtone et migrant. En guise de reconnaissance, le migrant réalise parfois des travaux dans la plantation de son tuteur. Ainsi, s’établissent des rapports entre le tuteur et ses dépendants qui s’expriment dans le langage de la parenté : le tuteur devient le « père » du migrant. L’allogène, parce qu’il occupe et exploite un patrimoine familial, se subordonne aux rites des ancêtres de son tuteur. Il est alors considéré comme un membre de sa famille. Progressivement, des mariages entre étrangers et autochtones renforcent ces relations de parenté rituelle en les transformant en parenté par alliance.

13 Le tutorat offre donc un cadre légal pour l’accueil des migrants ivoiriens ou étrangers. Il s’agit donc d’une convention destinée à régler les relations avec des « étrangers » en déléguant des droits d’usages ou d’occupation d’un terroir. Les premiers occupants ont obtenu leurs droits sur la terre par le défrichage et par l’alliance qu’ils ont nouée avec la terre-mère ; ils en délèguent une partie aux nouveaux arrivés : droit de s’établir sur le terroir, droit de culture vivrière ou pérenne, etc.

14 On connaît une situation semblable dans le pays d’origine des migrants. Par exemple, dans le pays gwendégué, à l’ouest du Burkina Faso, mais aussi en pays moose, au centre

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du Burkina Faso (Arnaldi di Balme 2005), les relations de dépendance sont fondées sur des obligations morales et d’assistance au maître territorial ou à son groupe (Jacob 2003). Durant la période coloniale, et même bien avant, les maîtres territoriaux ont accordé des droits complets aux premiers migrants : culture, cueillette, transmission aux premiers migrants contre leur vaillance à défendre leurs villages. Toutefois, les deuxième et troisième vagues de migrants n’ont bénéficié que du droit de « nourrir leur ventre » ; les maîtres de la terre ont alors refusé d’aliéner leurs droits sur le sol. Dans ce cas, les rapports de reconnaissance se manifestent soit par « la subordination rituelle » soit par la « subordination administrative » vis-à-vis du village tuteur (ibid. : 83). Ensuite, les migrants tentent progressivement d’acquérir des droits d’accès aux ressources naturelles (eau, palmiers, arbres spéciaux, etc.), le droit de planter des arbres, de commercialiser les produits de la récolte, de gestion, d’exclusion et d’héritage. Cette forme de relations permanentes entre autochtones et migrants a permis d’accroître la population et de développer de puissantes collectivités villageoises. Aujourd’hui, grâce aux nouveaux arrivants, ces villages obtiennent des biens d’équipement (magasins, boutiques), des infrastructures communautaires (centres de santé, écoles), bénéficient de services administratifs (scieries, érection en village centre ou en sous-préfecture, etc.).

15 Ce même type de relations à la terre s’est développé dans les villages de Tabou grâce au tutorat. Les Baoulés se sont très tôt impliqués dans l’économie de plantation (café puis cacao), notamment à Sakassou, Yamoussoukro et Béoumi (centre et centre-ouest). Ils furent attirés par les terres du sud-ouest, propices à ces cultures de rente. Dans ces régions, les Kroumen vivaient essentiellement des activités de cueillette et de chasse et ne valorisaient que peu le travail de la terre. Avec l’arrivée des colons et la création de wharfs et de comptoirs sur le littoral, ils se sont massivement engagés sur les bateaux pour de longues expéditions en mer. Le foncier était alors le lieu d’une agriculture de subsistance qui complétait une économie domestique tournée vers les activités maritimes. La cession de droits fonciers aux migrants qui la demandaient fut donc favorisée par l’institution du tutorat qui fournit le cadre juridique à cette pratique. Ainsi, une économie complexe vit le jour : emplois sur les navires, pêche, chasse et cueillette, agriculture de subsistance et finalement commerciale. Les autochtones vivaient alors dans un équilibre relatif avec les migrants.

Les jeux ambigus du tutorat dans le sud-ouest

16 À Tabou, le chef de terre délègue des droits fonciers sur une portion de terre au migrant après des cérémonies de bénédiction à la terre-mère. Il verse le sang d’une volaille en récitant des paroles rituelles et implore les faveurs de la terre nourricière pour celui qui la cultivera. Dans certains cas, le migrant fait immédiatement un cadeau en guise de remerciement. Il s’agit de boisson, de fusils de chasse et de tôles pour recouvrir les maisons de banco. Ces dons scellent les relations de tutorat qui se nouent entre les autochtones possédant en abondance des terres qu’ils exploitent peu et les migrants recherchant des espaces libres pour développer des cultures de rente. Mais, le devoir de reconnaissance qui échoit au migrant est laissé à son bon vouloir. En général, ce dernier fait don à son tuteur d’une partie des produits de sa récolte. Ces dons sont à la fois ouverts (biens de toutes natures) et illimités dans le temps : ils peuvent avoir lieu

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tout au long de l’année et pendant des décennies. En outre, les tuteurs sollicitent fréquemment les migrants pour faire face à diverses contraintes sociales urgentes.

17 Dans les villages kroumen tels Ouédjéré, Besséréké et Diéhié, les Burkinabè, les Maliens et les Ghanéens cohabitaient paisiblement avec les autochtones kroumen grâce à cette « économie morale » du tutorat. Pour les Kroumen, installer des étrangers sur le territoire du village était le signe de leur parfaite intégration et de leur adhésion aux règles de vie autochtones. En outre, ils renforçaient la renommée et la puissance du village grâce à leur poids démographique. En effet, nous étions alors dans la situation classique de la « Frontière pionnière » (Kopytoff 1987) qui prévalait : la richesse ne provenait ni de l’accumulation de biens matériels ni de la propriété de la terre, mais bien du pouvoir sur les hommes. Dans la région du Bas-Sassandra, la terre était encore abondante et l’accroissement démographique des groupes locaux était le moyen de garantir l’autonomie de leurs « cités ». Une véritable compétition s’est instaurée entre les autochtones pour attirer les migrants afin de gagner un ascendant démographique sur le voisin. Ainsi, le tutorat et le langage de la parenté — rituelle ou par alliance — ont permis d’insérer les migrants au sein de la Frontière pionnière que constituait alors le sud-ouest ivoirien. De nombreux migrants ont établi des relations de parenté rituelle avec les autochtones, puis ont poursuivi leur insertion sociale par le mariage. En outre, le partage quotidien d’un espace vécu établit une histoire et une mémoire commune qui soudent le nouveau groupe. Aujourd’hui, le souvenir du travail dans les unités agro- industrielles de palmiers à huile et d’hévéas, puis de l’arrivée des réfugiés libériens fuyant la guerre civile est la marque d’une mémoire que partagent aussi bien les autochtones kroumen que les migrants baoulés et étrangers.

18 Cependant, de nombreux Baoulés sont restés peu intégrés en raison de deux facteurs sociopolitiques. D’abord, ils se sont installés, dans les années 1970, avec l’appui du parti-État PDCI-RDA6. Certaines élites baoulés ont profité de leur position dominante au sein de l’appareil du PDCI-RDA pour obtenir des titres de propriété sur de vastes superficies de forêt. En rachetant le patrimoine de la Palmindustrie qui fit faillite en 1990 ou en obtenant l’autorisation d’exploiter certaines forêts classées (Monogaga, Haute-Dodo, Irobo, Okromodou), ils ont usé du droit de l’État contre le droit coutumier qu’ils ignoraient. En outre, c’est grâce aux pressions exercées par le parti sur les autorités locales et les collectivités villageoises que des milliers de petits planteurs baoulés, chassés par la mise en eau du barrage de Kossou, se sont installés dans l’ouest forestier.

19 Forts de ces soutiens, les Baoulés affirmaient leur indépendance en créant des campements loin des villages autochtones et en distribuant à de nouveaux migrants baoulés — en toute autonomie — les terres qu’ils cultivaient. Or, dans les règles coutumières du tutorat, le client devait informer son tuteur de l’arrivée temporaire d’un manœuvre ou d’un membre de sa famille. Il était dans l’obligation d’obtenir au préalable l’autorisation du tuteur pour que le nouvel arrivant s’installe durablement. Le tuteur assumait ensuite la responsabilité de l’ensemble de l’unité familiale de « ses » clients devant la communauté autochtone7.

20 Or, les Kroumen constataient souvent la présence de « nouveaux » planteurs baoulés sur des plantations parfois déjà en production. Sur la base du principe que « la terre appartient à celui qui la met en valeur », l’administration sous-préfectorale et les services du ministère de l’Agriculture tranchaient les litiges qui en découlaient, en faveur des migrants dès que la mise en valeur de la terre était constatée. Les premiers

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migrants — favorisés par leur éloignement du village de tutelle — ont développé un modèle de colonisation autonome des terres : ils ont ainsi joué sur les contradictions entre droits coutumier et administratif. D’après le chef du village de Ouédjéré, « ils n’avaient plus de considération pour leurs tuteurs »8.

21 De plus, l’organisation politique et sociale baoulé — fortement hiérarchisée — se distingue de celle des sociétés d’accueil. En effet, à la différence de la société baoulé, ou plus généralement akan, la société kroumen est fondée sur une organisation sociale acéphale et segmentaire favorisant l’autonomie des familles. Il n’y a donc pas de relations de dépendance hiérarchique entre les familles gérant chacune leur patrimoine foncier. L’idéal de la cité politique akan (Toungara 1990) a conduit les migrants baoulés à l’inscrire sur le territoire kroumen en cherchant à s’émanciper de l’ordre politique local. En effet, chez les Baoulés, le tutorat reste une convention foncière s’articulant à un système politique (la chefferie). Les liens de dépendances envers le tuteur n’excluent pas — chez les Baoulés — des liens de dépendances politiques envers le village où est déposé le « trésor » symbolisant le pouvoir politique du chef sur ses dépendants. Il en a résulté une cohabitation difficile entre autochtones et migrants baoulés.

Démocratisation du champ politique et conflits interethniques

22 Pour exprimer la crise de la ruralité (saturation foncière, pression démographique, re- interprétation des échanges fonciers, conflits fonciers) ou les contentieux électoraux, les Ivoiriens ont recours à l’ethnicité. Rappelons que celle-ci — système de classification sociale — repose sur la conscience que les individus ont de leur appartenance à des « communautés imaginées » différentes (Anderson 1996). Il s’agit d’un des registres identitaires à la disposition des agents sociaux. Avant la colonisation, les ethnies ou les tribus, ancrées dans les ensembles flous et mouvants que formaient les groupes locaux, n’étaient qu’une des caractéristiques — un des registres identitaires — définissant l’identité des individus ou des unités domestiques. Les rattachements identitaires faisaient feu de tout bois. Selon les circonstances et ses desseins, un individu pouvait jouer soit sur son affiliation à un clan, soit sur son appartenance lignagère, soit sur une parenté fictive, soit sur des relations commerciales ou sur des ensembles plus vastes rassemblant les groupes selon leur mode de vie, voire leur diète alimentaire. Cette instrumentalisation des appartenances identitaires, en l’occurrence de l’identité ethnique, permettait de gérer les relations intergroupes.

23 Le registre identitaire pose, sur un même plan, les diverses caractéristiques construisant une identité polymorphe et essentiellement enchâssée dans le contexte singulier des relations sociales. Le registre est à distinguer du marqueur identitaire. Ce dernier représente l’expression objective et singulière d’un des éléments constituant le registre. Ainsi, le marqueur identitaire actualise hic et nunc un registre identitaire selon les enjeux et les possibilités du moment (marques sur le corps, vêtements, pratiques alimentaires, hexis corporelle, langue, termes de parenté, etc.). Le fait de considérer l’ensemble des registres identitaires comme faisant partie du même niveau conceptuel permet d’éviter que l’un ou l’autre ne devienne dominant et s’arroge un caractère exclusif, voire « biologique ».

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24 Ainsi, la construction de l’identité — individuelle et sociale — s’effectuait alors au sein de groupes locaux se distinguant des groupes voisins. Le marqueur « ethnique », de concert avec l’appartenance clanique, générationnelle ou de classe d’âge des individus, n’était qu’un des éléments parmi d’autres (relations interpersonnelles, affinités, trajectoires de vie, etc.) déterminant les relations sociales. Aucun registre identitaire ne jouissait alors d’une position hégémonique dans la définition de l’identité, car les agents sociaux (se) jouaient des différents registres au gré des circonstances. En effet, ce processus de modification des identités ethniques ne s’arrêtait pas à la reproduction de la différence intergroupe ou intragroupe, il s’agissait aussi de faire face aux situations de crises majeures, aux catastrophes et aux cataclysmes. Dans des circonstances exceptionnelles, des individus, des unités domestiques, des familles, voire des lignages

CARTE POLITIQUE

complets, migraient, poussés par des défaites militaires, par des querelles intestines ou par des conditions écologiques défavorables. Dans ces situations tragiques, les groupes ou les individus adhéraient ou s’associaient à d’autres ensembles, épargnés par les fléaux qui motivaient leur déplacement.

25 En Côte-d’Ivoire, l’histoire de la carrière politique d’Houphouët-Boigny pendant la période coloniale illustre cette instrumentalisation des appartenances identitaires. Il s’est appuyé sur son groupe d’origine, les Akouè9, mais aussi sur ses alliances personnelles et celles de son groupe ethnique pour conduire son action politique. Il a avancé son statut de chef traditionnel10 des Akouè pour agir dans l’espace politique traditionnel et se rallier le patriarche charismatique des Sénoufo du nord ou les rois du pays agni à l’est (Zolberg 1964). Pour montrer son adhésion à la lutte syndicale des paysans dans les années 1940, il avait renoncé à une carrière professionnelle de médecin indigène pour se présenter comme planteur de café et chef traditionnel,

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renforçant ainsi ses liens avec les paysans de tous les groupes ethniques du pays. À l’exemple d’Houphouët, les individus jouaient sur les différents registres identitaires pour rallier une clientèle ou se distinguer d’un concurrent. Ces manipulations individuelles de l’appartenance ethnique ou autres s’inséraient donc au sein d’un ensemble de tactiques — conscientes ou non — pour gérer les relations sociales.

26 Dans un État multi-ethnique comme la Côte-d’Ivoire, la lutte pour le contrôle de l’État et de ses ressources est l’enjeu d’une féroce compétition entre élites. Celles qui furent dominées pendant le long règne du PDCI-RDA ont ouvert la boîte de Pandore d’une instrumentalisation des particularismes ethniques, transformant ainsi l’ethnicité morale du registre ethnique en tribalisme politique (Lonsdale 1992, 1996). Avec la démocratisation du champ politique ivoirien dans les années 1990, les questions longtemps refoulées par le parti unique émergent — parfois de façon violente. D’après Dembélé (2003 : 35), les leaders jouent sur une idéologie de l’ethnie et utilisent l’ensemble des instruments qu’offrent l’ouverture démocratique, les lois et les élections pour se valoriser, contrer ou réduire le poids de parties considérées comme adverses dans l’exercice du pouvoir politique et pour l’accès aux ressources. La lutte politique entre le principal parti d’opposition FPI11 — ancré dans la région forestière de l’ouest et du centre-ouest — et le PDCI-RDA, soutenu traditionnellement par les Baoulés, a suscité des affrontements entre migrants et autochtones. On assiste alors à des tentatives, parfois violentes, de reconquête des terres « cédées » dans le cadre du tutorat en remettant en cause des accords fonciers passés avec les exploitants « étrangers », c’est- à-dire appartenant à d’autres groupes ethniques (Akindès et al. 1998).

27 Depuis 1993, la crise politique s’est greffée sur les multiples conflits fonciers interethniques dans les campagnes. La politique de « l’ivoirité », développée par le président Bédié pour assurer son maintien au pouvoir, a exacerbé les revendications nationalistes. Il s’agissait notamment de répartir les principales ressources tant politique (pouvoir), sociale (emploi) qu’économique (terre, cours d’eau, forêts) aux seuls Ivoiriens. Ainsi, les revendications foncières vont progressivement se porter sur les terres exploitées par les étrangers maliens, guinéens ou burkinabè. En associant différend politique et gestion des relations foncières, le tribalisme politique s’est transformé en nationalisme exacerbé dont les populations non ivoiriennes subirent les conséquences. En octobre 1995, les tensions électorales entre le PDCI-RDA au pouvoir et l’opposition (FPI-RDR)12 ont débouché sur des affrontements entre Bétés et Baoulés à Gagnoa, Ouragahio, Guibéroua dans le centre-ouest. Ils se sont conclus par la fuite de 5 000 Baoulés. Ces conflits — d’abord liés à des contentieux électoraux — se sont mué rapidement en litiges fonciers. Aux élections de 1995, la candidature de l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara est éliminée en raison d’une nationalité ivoirienne « douteuse ». Cela a conduit au « boycott actif » des élections présidentielles par les partis d’opposition (FPI-RDR) : il s’agissait de ne pas aller voter et d’empêcher les migrants de le faire. Les partisans de l’opposition ont associé le droit de vote au territoire d’origine. En fait, les Baoulés — nombreux dans les campements à l’ouest et susceptibles de donner une victoire électorale au PDCI-RDA — ont été invités à exercer leur droit de vote dans leurs régions d’origine. Pour l’opposition, cette stratégie consistait à ne pas « fausser » les supposés équilibres géographique et ethnopolitique : les partis politiques reposant sur des groupes ethnolinguistiques particuliers. Le caractère peu démocratique de cette manœuvre a entraîné des conflits entre les militants des différents partis politiques.

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28 La stratégie de l’opposition « a réveillé » les frustrations des populations des zones forestières. Celles-ci considéraient avoir été spoliées par l’État au profit des Baoulés installés « de force » sur leur terre avec la complicité de l’administration civile. De plus, le chômage urbain et rural dû à la persistance de la crise économique dans les années 1990 a entraîné le retour des jeunes au village, ce qui a intensifié la pression sur les terres cultivables : cela a nourri les désaccords politiques. En 1997, des affrontements meurtriers ont opposé les autochtones guéré de Fengolo (Duékoué) à l’ouest aux Baoulés. Invoquant la profanation de leurs sites et masques sacrés, les Guéré ont exigé le départ des Baoulés. Dès 1998, les conflits fonciers se multiplient et s’enchaînent. En mai, un conflit éclate à Zoukougbeu (centre-ouest) entre Niaboua et Baoulés avant de se répandre à Irobo (sud-côtier) entre Dida et Baoulés, à Sa ïoua entre Bétés et Baoulés, à Oumé entre Gouro et Baoulés. À Tabou, les Kroumen n’ayant plus de terres13 nouvelles cherchent à récupérer les terres cédées aux migrants dans le cadre du tutorat. Une constante de ces conflits meurtriers est la revendication des terres exploitées par des allochtones en jouant sur le registre de l’autochtonie pour affirmer que les obligations du tutorat n’ont pas été respectées. En réalité, ces revendications s’inscrivaient dans le contexte de la crise politique qui se déroulait à l’échelon national.

29 En 1999, l’appel à « l’ivoirité » fait des ravages à Abidjan avec l’emprisonnement de la direction du RDR, parti suspecté d’être celui des étrangers. Le président Bédié définit lui-même l’ivoirité comme un concept culturel qui traduit son idéal de « l’Ivoirien nouveau » profondément enraciné dans les traditions et les valeurs ivoiriennes d’hospitalité, de paix et d’amour (Bédié 1999). Mais cette définition policée de l’ivoirité cachait bien de pernicieux ferments de division de la nation (Dozon 1997). Pour Jolivet (2003), les dérives ethnonationalistes liées aux prétentions des intellectuels du PDCI- RDA pour conceptualiser l’ivoirité et lui donner ainsi un verni scientifique avaient fait dévier ce concept vers une forme d’« akanité » comme idéologie politique dominante de la société ivoirienne. Ainsi, deux ans avant les élections de 2000, le gouvernement court-circuite le travail de clarification des droits fonciers entamé par le plan foncier rural (PFR), et fait voter une loi sur le domaine foncier rural fortement influencée par la nouvelle idéologie de « l’ivoirité ». Cette loi apparaît alors comme un exemple d’instrumentalisation de l’imaginaire national pour apaiser les conflits fonciers interethniques. Dans les campagnes, cette idéologie ethno-nationaliste s’est traduite par une réinterprétation de la loi sur le domaine foncier rural de 1998 conduisant à « exproprier » les étrangers. En son article premier, cette loi stipulait : « Seuls l’État, les collectivités publiques et personnes physiques ivoiriennes ont vocation à être propriétaires des terres. » Si le législateur visait une clarification de la situation foncière dans le domaine rural, la restitution de la terre « à ceux qui ne l’exploitent pas » (Bouquet 2005 : 31) aurait eut pour effet d’embraser les campagnes.

30 La tournée organisée par l’Assemblée nationale à l’occasion de l’élaboration et de l’adoption de la loi sur le domaine foncier rural a renforcé encore le sentiment nationaliste. Il s’agissait pour les députés de la neuvième législature de s’informer des droits coutumiers, mais surtout d’expliquer aux paysans le projet de loi en préparation. Ainsi, la sensibilisation permit de pacifier les rapports entre les différents groupes ethniques des régions forestières de l’ouest et du sud-ouest et les Baoulés. Dès lors, les revendications foncières deviennent nationalistes et se tournent contre les étrangers (Burkinabè, Maliens, Guinéens) qui cultivent la terre « nationale ». Dans la région de Tabou, en novembre 1999, la focalisation du conflit sur les « étrangers » épargne les

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planteurs baoulés qui entretenaient des rapports clientélistes avec les cadres du PDCI- RDA. À cette période, les principaux postes électifs de la région étaient occupés par des cadres autochtones du PDCI-RDA. Ils ont alors apaisé les velléités de leurs propres clients kroumen. Après le coup d’État survenu le 24 décembre 1999, une frange des élites politiques s’allia au général Guéi, alors chef de l’État. Attendant un appui du PDCI pour rester au pouvoir, ce dernier fit campagne pour une union des militants de ce parti, autour de sa personne. Cette manœuvre apaisa les rares actions de représailles constatées dans la région à l’encontre des cadres et des militants du PDCI-RDA ancré au sein de la population baoulé locale. Ainsi, bien que ce parti ait perdu le pouvoir d’État, l’accalmie entre Ivoiriens se perpétua en raison de la politique d’« houphouétisme » prônée par le nouveau pouvoir militaire.

31 On observa dans le même temps un changement de la géopolitique des conflits, les affrontements opposant principalement des Ivoiriens aux étrangers. Ce fut le cas à Sa ïoua en 1999 entre Bétés et Burkinabè. En novembre de la même année, de graves affrontements opposent les Kroumen aux Dagari, Lobi et Mossi, originaires du Burkina- Faso. Un conflit foncier à propos d’un bloc de forêt de cent vingt hectares exploité dans le village de Bésséréké de la tribu hompo à vingt-cinq kilomètres de Tabou est à l’origine de la crise. Les jeunes kroumen de ce village, après avoir « vendu » cette portion de terre aux Burkinabè, soutinrent leurs parents qui tentaient de la récupérer. De prime abord, il semble que la transaction se soit faite sans l’accord des propriétaires terriens du village comme cela arrive fréquemment lors de conflit intergénérationnel14. Pour reconquérir la parcelle litigieuse, les chefs kroumen soumirent les exploitants burkinabè à des pressions accompagnées de menaces voilées d’expropriation. Ces derniers auraient exigé le remboursement du prix d’achat de la parcelle ou l’acquisition d’une nouvelle portion de terre. Les positions se sont alors raidies pour déboucher sur des violences lorsque les Kroumen se sont heurtés au refus des Burkinabè de quitter la parcelle.

32 Suite aux conflits meurtriers opposant, en août 2000, Kroumen et Burkinabè dans les villages de Trahé et Héké (19 km environ de la sous-préfecture de Grand-Béréby dans le département de Tabou), les Kroumen, rappelant le statut d’étrangers des Burkinabè, décidèrent de les expulser de leur terroir. Ces rivalités suscitèrent le départ de près de 20 000 ressortissants burkinabè, principalement vers leur pays d’origine ou d’autres régions de Côte-d’Ivoire.

33 Les arguments avancés par les Kroumen pour justifier l’expulsion des Burkinabè se fondent sur leur statut d’autochtone, garant de leurs droits inaliénables sur la terre de leurs ancêtres. En outre, ils rappellent le statut d’étrangers « extra-national » des Burkinabè qui, selon la loi sur le foncier de 1998, ne peuvent prétendre à la propriété. En jouant sur le registre national et non plus ethnique ou tutoral, c’est-à-dire en définissant les migrants comme Burkinabè — et non plus comme dépendant de leur tuteur ou comme dagari dans le cadre du registre ethnique —, l’affrontement rassemble Baoulés et Kroumen contre les étrangers. En insistant sur la nationalité (« ce sont des Burkinabè »), que l’ethnicité (« ce sont des Lobi et des Dagari ») vient renforcer, les Kroumen cherchent à disqualifier les migrants de tout droit sur la terre. En rendant saillante la dimension nationaliste du conflit, ils « visent à redéfinir le clivage entre in- group et out-group » (Poutignat & Streiff-Fenart 1995 :188) sur la base d’oppositions catégorielles entre Ivoiriens et Burkinabè. Les tensions baissent entre Ivoiriens pour se cristalliser sur les étrangers. L’instrumentalisation du registre national renvoie — tout

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comme le tribalisme politique renvoie à l’ethnicité — à l’affirmation des « liens primordiaux » (Geertz 1963 : 109) de sang, de race, de langue, de région, de coutume. Le nationalisme — ce « nouveau » registre identitaire — guide les comportements, les discours et les représentations dans la (ré)organisation sociale des rapports à la terre. Dans la nouvelle opposition entre nationaux et non-nationaux, il fonde des stratégies de revendications d’autochtonie (Borntraeger 1999). Jusqu’alors, dans la crise du foncier en Côte-d’Ivoire, la référence à l’ethnicité, à la région, à la coutume présidait aux logiques d’appropriation, de gestion et d’exploitation des ressources foncières. Aujourd’hui, les Kroumen redéfinissent le langage de la parenté qui évolue d’une « fraternité ouest-africaine » vers une fraternité exclusivement ivoirienne, passant par les soubresauts d’une « fraternité ethnique ». Pour le chef du village de Ouédjéré, « dans notre tête, une chose est claire ; que tu sois du Nord, du Sud, de l’Est ou de l’Ouest, tu es Ivoirien. Mais quand tu fais partie de la CEDEAO15 et vivant avec nous, tu n’es plus notre frère, mais un étranger [...]. Nous ne traitons plus les autres communautés de la même manière que nos frères ivoiriens »16.

34 Toutefois, dans les relations avec leurs tuteurs, les Baoulés renvoient souvent à cet adage : « Quand la case du voisin brûle, il faut mouiller la sienne de peur que le feu ne la prenne. » En dépit de leur statut d’Ivoirien, le conflit avec les Burkinabè et leur expulsion rappellent aux Baoulés leur condition « d’étrangers » à la communauté kroumen. La démarche prudente des Baoulés s’explique par l’ethnicisation des conflits précédents qui avait poussé certains chefs traditionnels et élus locaux à exiger le départ de tous les étrangers, ivoiriens ou non.

Les nouvelles stratégies migratoires baoulés

35 En octobre 2000, le FPI accède au pouvoir et consacre la chute du PDCI-RDA. Les groupes akans perdent une partie des relations clientélistes qu’ils entretenaient avec l’administration et l’appareil d’État, ce qui incite les Baoulés à revoir leurs stratégies migratoires (Janin 2000). D’une part, ils occupent différemment l’espace géographique et, d’autre part, ils réorganisent les itinéraires de migration en modifiant leur organisation sociale. Depuis le déclenchement des conflits à Tabou en 1998, les Baoulés ont abandonné leurs campements pour s’installer dans les villages kroumen. Ce nouveau lieu de résidence leur évite ainsi de se faire attaquer par des Burkinabè qui, parfois, effectuent des expéditions punitives dans les forêts contre les personnes qui exploitent leurs plantations abandonnées. Les Baoulés affichent ainsi une solidarité nationaliste en soulignant qu’ils craignent les menaces et les agressions des planteurs migrants étrangers. Le retour dans les villages autochtones représente une perte de l’autonomie qu’offrait la vie au campement. À cela s’ajoute la perte de la protection administrative dont ils bénéficiaient sous l’ancien régime du PDCI-RDA, ce qui constitue pour les planteurs baoulés un bouleversement sociopolitique. En quittant les campements de forêts pour retourner dans le village-tuteur kroumen, les chefs de famille baoulés ont dû demander à leurs « cousins » de rentrer dans leurs villages d’origine en pays baoulé.

36 D’autre part, la réorganisation des itinéraires migratoires repose sur le choix d’autres destinations plus clémentes et sur la recomposition de la cellule familiale. L’exploitation familiale baoulé reposait majoritairement sur une main-d’œuvre temporaire et familiale : les jeunes « cousins » faisaient leur traditionnelle migration

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saisonnière, communément appelée « six-mois », au cours de laquelle ils se rendaient auprès de parents ou alliés en Basse-Côte pour gagner quelque argent en travaillant dans les plantations. Dès le milieu des années 1980, on constatait déjà un début de fermeture de la Frontière pionnière du sud-ouest. En effet, dans la région de Bocanda à l’ouest du pays baoulé, les hommes affirmaient que, contrairement à ce qui s’était passé dix ans plus tôt, il n’était plus possible de trouver au sud des terres disponibles pour migrer dans la logique traditionnelle du tutorat17. Toutefois, les jeunes continuaient de se rendre tous les ans chez leurs « oncles » pour gagner quelques sous et, surtout, participer au rituel des « six-mois ».

37 Depuis le milieu des années 1980, la baisse continue des revenus tirés du cacao a conduit ces jeunes migrants saisonniers à se concentrer sur l’extraction et la vente du vin de palme. Puis, au milieu des années 1990, les conflits entre autochtones et Baoulés dans les zones forestières ont ralenti cette migration circulaire. Dans les régions d’origine, à l’exemple de certains villages de Bouaké (centre-nord), des jeunes Baoulés affirmaient qu’ils n’ont « plus de motivation particulière pour la migration en Basse- Côte » (Babo 2003 : 97). Ainsi, depuis quelques années, les flux migratoires baoulés ont considérablement diminué : les « neveux » séjournent moins fréquemment chez leurs « oncles » du sud-ouest. Sur certaines exploitations, seuls restent le chef de famille et deux ou trois jeunes qui constituent la force de travail minimum pour continuer des activités agricoles au village et non plus au campement comme le voudrait la logique migratoire baoulé. Ainsi, le chef de l’unité domestique reste au village afin de préserver ses biens acquis parfois depuis plus de vingt ans. Pour sécuriser leurs droits fonciers, une stratégie des Baoulés consiste à renforcer leurs relations avec les autochtones kroumen. Ils participent activement aux activités et à la gestion des biens communautaires, tels que les cases de santé, le comité de gestion de l’école, etc. Or, par le passé, du fait de l’éloignement et du développement rapide de leurs campements, ils s’intéressaient peu aux activités du village tuteur.

38 En outre, le retour dans les villages kroumen implique une réorganisation sociale. Auparavant, bien que nombreux dans l’arrière-pays kroumen, les Baoulés restaient dispersés dans de petits campements qui parsemaient les forêts de Tabou. Cette dispersion, conforme à la logique migratoire baoulé, n’avait pas favorisé le développement du sentiment d’une communauté de groupe ou d’origine ethnique. Or, dans le contexte de crise permanente et de pertes de soutiens politiques et administratifs — locaux et nationaux — l’installation dans le village autochtone représente pour les Baoulés un moyen de renforcer leurs liens intracommunautaires : ils ont ainsi créé à Ouédjéré, par exemple, l’association socioculturelle baoulé « Eyo- Enian ». À la différence des associations des ressortissants d’un village d’origine, les nouvelles organisations se font à l’échelle des villages d’accueil18. Par ailleurs, ces associations constituent un interlocuteur légitime pour les Kroumen avec lesquels ils établissent de nouvelles relations de cohabitation. Ces tendances à une réorganisation sociale, observées dans les villages kroumen de Tabou, montrent les capacités des groupes baoulés à faire face à la situation de crise dans laquelle les conflits fonciers les ont plongés.

39 Une autre stratégie migratoire — souvent complémentaire — s’offre aux Baoulés. Il s’agit de retourner au village d’origine. Depuis une quinzaine d’années, les chiffres des retours progressifs des Baoulés dans leur village d’origine semblent attester cette stratégie. L’enquête EIMU19, réalisée en 1993 (Beauchemin 2004), constatait déjà une

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inversion des flux migratoires de la ville vers les campagnes. Contrairement à la proportion de migrants qui s’est accrue de 1970 à 1980, passant de 38 % à 46 % (Janin 2000), les retours au village ont connu, à partir de 1994, une accélération, avec 44 %, des migrants baoulés rentrant dans leurs villages d’origine. Dans les villages de Bouaké (centre-nord), par exemple, plus des deux tiers des individus interrogés dans les villages de Kouakro, Mandéké, Sahounty et Allokokro sont d’anciens migrants. Ils expliquent la faible durée moyenne de leur présence permanente au village (18 ans), par le fait que, depuis au moins 10 ans, ils reviennent s’installer définitivement dans leurs villages (Babo 2003). En effet, la mobilité inverse des populations se renforce lorsque les voies de la migration vers la Frontière pionnière se ferment. À Tabou, ces mouvements de retour ont été observés après les affrontements de 1999 et 2000 entre Kroumen et Burkinabè. Ce phénomène s’est accentué suite au déclenchement de la crise militaro-politique (rébellion) que vit encore la Côte-d’Ivoire depuis 2002.

40 *

41 Les conflits fonciers et la situation politique ivoirienne ont bouleversé les rapports entre les différents groupes dans le sud-ouest forestier. Ainsi, les relations entre migrants et autochtones, fondées sur le tutorat, ont d’abord subi les contrecoups de la politique du parti-État PDCI-RDA, puis ceux, plus pernicieux, de l’idéologie de l’ivoirité. Les migrants ivoiriens, burkinabè et maliens de la région de Tabou avaient reçu le soutien de l’État ivoirien pour s’installer dans la Frontière pionnière. Ils avaient construit leurs relations avec les autochtones kroumen grâce au tutorat bénéfique pour les uns — à la recherche de terres disponibles pour les cultures de rente — et pour les autres — en quête d’hommes pour assurer leur domination politique sur leurs voisins. Le tutorat a également structuré les relations entre Burkinabè ou Maliens et les Kroumen, soulignant une « égalité de traitement » envers les allogènes. Le tutorat reposait sur l’obtention de droits de culture d’une portion de terre contre la reconnaissance de l’autorité rituelle des maîtres de la terre kroumen. Les migrants chérissaient ces droits de culture, car ils étaient impliqués depuis des décennies dans l’économie de plantation, contrairement aux Kroumen qui se satisfaisaient de quelques prestations sociales ou économiques et surtout de la reconnaissance morale que leur devaient leurs clients. Cet accord est resté en vigueur tant que des terres étaient disponibles et que les différents acteurs développaient des activités socio-économiques complémentaires, tout en respectant le cadre ordinaire du contrat moral du tutorat, bien que les obligations morales du tutorat aient été parfois négligées par les Baoulés.

42 Or, avec les difficultés économiques qu’a connues la Côte-d’Ivoire, dès le milieu des années 1980, l’institution du tutorat est entrée en crise. Les autochtones kroumen, qui concevaient leurs relations avec les migrants dans le cadre d’une logique où la richesse se comptait en hommes — et non pas en argent — et exigeait donc l’accueil des migrants, ont réévalué l’estime qu’ils portaient à la propriété de la terre qui est devenue rapidement le fondement de la richesse. Cette transformation des termes de la richesse s’est traduite par l’apparition de conflits fonciers récurrents entre exploitants et propriétaires.

43 Dans le cadre des bouleversements politiques ivoiriens, ces conflits se sont d’abord exprimés dans le registre ethnique qui opposa les Baoulés aux autres groupes des zones forestières, exprimant au niveau local les rapports de forces entre partis politiques au niveau national. D’autre part, l’instrumentalisation du nationalisme de l’ivoirité donna une dimension internationale aux conflits fonciers, dissimulant ainsi le registre de

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l’ethnicité sous le couvert du registre national. Si les conflits entre migrants baoulés et autochtones kroumen avaient été nourris par l’« ignorance » des règles du tutorat par les premiers, le glissement des conflits fonciers, à l’encontre des Burkinabè et des Maliens révèle les effets de l’idéologie nationaliste de l’ivoirité. Aujourd’hui, la fermeture de la Frontière pionnière et la nouvelle conception de la richesse, qui passe du nombre de clients à la quantité de biens, fonciers ou monétaires, ont transformé le tutorat : la terre devient richesse et les hommes superflus. À cela s’ajoutent les effets pervers des usages politiques de l’ivoirité qui stigmatisent les étrangers au profit d’une supposée « nation » ivoirienne : les ressortissants étrangers deviennent ainsi les boucs émissaires de la réconciliation nationale.

44 Aujourd’hui, le cadre institutionnel du tutorat exclut progressivement les étrangers burkinabè ou maliens pour se limiter aux seuls Ivoiriens. Il est réinterprété dans le carcan du nationalisme ivoirien, donnant ainsi une seconde chance aux migrants baoulés. Toutefois, cette reformulation de l’institution du tutorat modifie les stratégies migratoires des Baoulés qui établissent de nouvelles relations plus respectueuses de leurs tuteurs autochtones. En retournant vivre dans les villages, en participant de façon plus active à leur développement, les migrants baoulés reconnaissent les obligations, structurant le tutorat, qu’ils avaient cherché à ignorer. Les conflits entre Burkinabè et Kroumen rétablissent le rôle de tuteur de ces derniers et incitent les migrants baoulés à respecter les coutumes locales. Aujourd’hui, les Kroumen affirment fréquemment que « celui qui ne veut pas respecter nos coutumes doit partir », envoyant ainsi un message discret aux migrants baoulés. L’invention de ces nouveaux rapports entre Kroumen et Baoulés, au détriment des « étrangers » burkinabè, montre que l’institution du tutorat se transforme en excluant certains migrants tout en en contraignant d’autres à respecter scrupuleusement leur tuteur.

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NOTES

1. Autorité de l’aménagement du sud-ouest. 2. Ce pourcentage s’élève à 54,3 % dans le département de Tabou selon le Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) 1998. 3. Les allogènes regroupent les migrants nationaux et internationaux. 4. Voir DEMBéLé (2002) pour l’histoire de la politique migratoire ivoirienne et l’évolution du statut de l’« étranger ». 5. Regroupement de cinq pays de l’Afrique de l’Ouest que sont le Bénin, la Côte-d’Ivoire, la Haute-Volta (actuel Burkina Faso), le Mali et le Togo. 6. Parti démocratique de Côte-d’Ivoire. 7. Lors d’une enquête de terrain dans la région de Bocanda (1988-1990), le tutorat a fourni le cadre institutionnel permettant à l’anthropologue de s’installer sur les lieux.

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Le tuteur a présenté ses nouveaux dépendants à ses propres tuteurs en leur demandant l’autorisation d’offrir l’hospitalité pour une longue période en se portant garant des faits et gestes de ses dépendants. 8. Propos recueillis lors des enquêtes menées en août, septembre et octobre 2005 par A. Babo. 9. Sous-groupe baoulé originaire de la région de Yamoussoukro. 10. En tant qu’unique héritier, il avait effectivement dû succéder à son oncle maternel, comme il est de coutume dans cette société matrilinéaire. 11. Front populaire ivoirien. 12. Rassemblement des républicains. 13. En 2001, le rapport annuel de la direction départementale de l’Agriculture de Tabou notait que les plantations agro-industrielles de palmiers à huile occupaient 11 014 hectares. Celles de cocotiers couvraient 1 214 hectares, celles d’hévéas, 1 041 hectares et les petites et moyennes entreprises agricoles occupaient une superficie de 7 563,88 hectares. 14. Ces situations ont été abondamment évoquées lors de l’atelier sur « les conflits fonciers et la cohésion sociale à Tabou » organisé par l’Université de Bouaké et l’Université d’Oxford, du 14 au 16 juillet 2005. 15. Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. 16. Entretiens à Tabou en août, septembre et octobre 2005, menés par A. Babo. 17. Entretiens entre 1988 et 1990 dans la région de Bocanda, menés par Y. Droz. 18. Il s’agit d’association de Baoulés des campements rattachés à un village de Tabou, et non plus d’une association de Baoulés de ressortissants des régions d’origine (Béoumi ou Sakassou). 19. EIMU : Enquête ivoirienne sur les migrations et l’urbanisation.

RÉSUMÉS

Avec l’ouverture démocratique au début des années 1990, la question des systèmes fonciers à la fois complexes et flous des zones forestières de l’ouest a refait surface. Les accords fonciers antérieurs sont alors remis en cause et l’on passe d’une situation de tensions latentes à des conflits fonciers entre autochtones et migrants nationaux (en majorité akans-baoulés) et non nationaux (burkinabè, maliens et guinéens). Cependant, du fait de l’affaiblissement du pouvoir politique akan, favorable aux migrants baoulés, on pouvait craindre une aggravation des conflits interethniques entre planteurs baoulés et propriétaires terriens kroumen. En réalité, on a assisté à l’exacerbation des tensions entre Kroumen et migrants burkinabè en 1999. Comment est-on passé d’une crise foncière où pointaient des conflits interethniques à une crise entre Ivoiriens et « étrangers » ? Nous analysons ici le processus par lequel les tensions foncières entre Ivoiriens, depuis l’instauration de la démocratie en 1990, se sont muées en conflits nationalistes opposants les Ivoiriens aux « étrangers ».

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Land Tenure Conflicts: From Moral Ethnicity to the Imagination of Nation: Interethnic Relationships and "Ivority" in South-West Ivory Coast. In the wake of the renewed democratic movement in Ivory Coast, questions about the troubled land tenure system emerged in the South-West. The relationships between the Bawle and the Krou worsened when the traditional land tenure system—tutorat—came to be disrespected. When the political leadership of the Akan group crumbled at the national level, one could have thought that the land tenure conflict would focus on the Bawle migrants. However, in 1999, a new conflict—concerning land tenure and the disregard of tutorat obligations—erupted between Krou on one side and Burkinabe or Malian on the other. This led to the expulsion of the immigrants from their settlements in the forest. Why did the interethnic conflicts evolve into an international clash? In this paper, we analyse how the invention of "Ivority" turned the tensions between Ivorians into a nationalist conflict between Ivorian and "foreigners".

INDEX

Mots-clés : Côte-d’Ivoire, Akan, Baoulé, Kroumen, conflit interethnique, ivoirité, migration, nation, système foncier Keywords : Ivory Coast, Akan, Bawle, Krou, Inter-Ethnic Conflict, Ivoirity, Migration, Nation

AUTEURS

ALFRED BABO Université de Bouaké, Côte-d’Ivoire

YVAN DROZ Institut des hautes études internationales et du développement, Genève

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Female Cleansing of the Community. The Momome Ritual of the Akan World

Stefano Boni

1 The purpose of this paper is threefold. The prime aim is to provide an account of a female ritual, known as momome1 in its Sefwi variant, and to discuss the meaning of the choreographic props used in the performance by positioning these within the wider cultural framework of the Akan world of West Africa. Second, the historical transformations of the ceremonial occurrence in the course of the twentieth century will be examined closely to show that even though the performance has—informants claim and pre-colonial sources confirm—not been altered significantly, the timing and motives have. Finally, the paper evaluates the ideological autonomy of the ritual— presented by some analysts as a "ritual of inversion"—from institutional politics, both "traditional" chieftaincy and "modern"—colonial and postcolonial—governments. The conclusion will be concerned with a brief outline of the influence of political institutions upon the various forms of supernatural protection sought in the course of the twentieth century.

2 The choreography of the momome is strongly female-dominated in terms of participation as well as in the cultural resources activated. The motive of the ritual is, in most instances, not gender-specific: the preservation of the community from external threats. Male-dominated rituals, mostly associated with the chiefly establishment, address the same existential preoccupations but are perceived as needing female support—and precisely the momome—in times of crisis. The momome can therefore be seen as the public recognition of female autonomy and importance or as a space of reversal of the established gender order. Colonial ethnographer Maurice Delafosse (1913: 267) provides a thorough description of the masculinisation of female behaviour during a ritual termed agya, a variant of the momome, performed further east: "One of the most interesting aspects of this ceremony of the agya is that, over the whole length of the performance, women should transform themselves in men.

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Each one should be called with the name of her husband, her brother or her son; the sticks they carry are adorned with the names of guns. When the dancers are tired, sit on the ground and converse as men, addressing each other with male greetings."

3 Delafosse’s short article is centred on alteration of gender conduct during what he terms "la comédie d’inversion sexuelle". He describes women taking up male characters, their mock invocation of military performances and of the masculine sexual pleasures resulting from the capture of female prisoners.

4 The theme of inversion pervades the performance of the momome and catches observers’ glaze. Eschlimann (1984: 19, 21-22) similarly points out that women "take the place of men", arm themselves, perform mimic battles and take over the control of the community. Sexual relations are prohibited, wives stop performing household chores and "adopt a masculine behaviour". Moreover, they "insult the male order, incapable of protecting from such a great drama [...]. Where the masculine order is unable to generate life and safeguard it from evil, society reverts, in the last instance, to the potency of the forces of life of which the sex of women is the locus and the symbol. This is the last barrier to the annihilation of social and individual life". Short discussions by Gilbert (1993: 8) who stresses "women’s dangerous creative power", and Cutolo (2004: 224) who associates the momome to the suspension of the social order, lead analyses in the same direction.

5 Similarly, Jones (1993: 553, 557) lengthy review of pre-colonial sources underlines reversal relating it to the work of Turner (1969): "War made it possible (or necessary?) to invert or reverse some of the etiquette which normally governed gender roles [...] in my view, the roots of this practice lay in the tension that existed between sexes: mmobomme offered women the opportunity to turn the tables." Jones (1993: 556) raises the issue of the historical transformations of the ritual and of the dynamic relation between its "form" and "function". The author, however, does not "consider a fieldwork project focused upon this question a viable proposition" because "even those scholars who have lived in the region for many years have not found out very much".

6 Here an attempt is made to address some of Jones’s concerns by examining oral narratives on twentieth-century performances. The concern with ceremonies held for reasons other than military confrontation—on which most of the literature is focused— enables to gain insights on the ritual’s rationale in the colonial and postcolonial settings and to reflect further on the characterisation of the ritual as one of gender inversion. The momome maintains a strong female presence in the management of the choreography but not in the capacity to decide what represents a threat and what crisis merit a ceremonial cleansing. Performances have been a ritual space of apparent female autonomy used to render women’s therapeutic resources manifest and to express their concerns but the pacing of the occurrences over the last century was largely dictated by "traditional" political institutions. This paper—after having outlined female specificity—examines the ritual’s rationale to provide insights on gender dynamics of ideological hegemony, even where discourses, dances, locations are monopolised by women (Boni 2003).

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Akan Communal Rituals and the Momome

7 As elsewhere, in the Akan area, covering most of Southern Ghana and of south-western Ivory Coast, political festivals were privileged loci of in depth anthropological and historical research. The principal communal festivals of most Akan states—the odwira of the Asante, Akim and Akuapem, the ahuba of the Fanti, the kundum of the Nzema and Ahanta, as the eluo of the Sefwi—are spectacular events held to call the ancestral blessing on the first fruits of yam (Rattray 1927: 122-143; Danquah 1928: 125-144; Akomiah 1992; McCaskie 1995: 144-242; Valsecchi 1999; Ofori 2005). These rituals are quite explicitly aimed at representing the yearly re-establishment of a cultural, spiritual and political order through what McCaskie (1995: 144) aptly termed "a cathartic communal or societal purification" (Gilbert 1994). The cleansing exercise is guaranteed by two potent unearthly forces: the abosoe2, normally termed in the academic literature "smaller gods", and the ancestors of prominent kin groups. The king is not only the administrator of the rituals but covers a central performative role as mediator between unearthly forces and the community of the living. The unfolding text of these rituals—covering numerous days—is highly complex, dynamic and grandiose. Less elaborate cleansing performances, consisting of the call on abosoe and ancestors for a private blessing of the stools, occur every three or six weeks according to the local calendar in most Akan states and share the same overall intent of the more ostensive annual ritual. Authors have normally focused on the official, grand festivals which occur at regular intervals and express the ordinary process of cleansing. The momome, while making ideological statements similar to those expressed by chiefs’ festivals, displays peculiar features in terms of choreography, organisation, gender participation and timing. The festival has been regarded as curious because it does not conform to the general pattern of Akan ritual performances, but of little relevance to the structuring of political ideology.

8 Performances similar to the Sefwi momome are documented—mostly in short papers or in hasty notes included in works concerned primarily with other topics—in several locations between the lower Bandama River (in the Ivory Coast) and the Volta (Ghana). The ritual was witnessed since the early seventeenth century on the Gold and Ivory coasts of the gulf of Guinea and in the nineteenth century by travellers heading inland (Delafosse 1913; Jones 1993; Perrot & van Dantzig 1994: 132, 186-187, 606). In pre-colonial Asante it was held often and known as mmumue, mmusu(o)yiedee, momome or mmobomme (McLeod 1981: 28-29; Arhin 1983: 96; McCaskie 1995: 295, 2000: 76-77). Recent ethnographies show regional variations—in both denomination and choreography—within patterned performances that appear throughout the western portion of the Akan world. The ritual is known as momome amongst the Aowin (Ebin 1982, 1989: 280); as mume, mumune or momone amongst the Anyi (Perrot 1982: 31-32; Eschlimann 1984; Duchesne 1996: 228-230); as adjanu amongst the Baule (Viti 2004: 143-145, 171-173); as aworabe amongst the Akwapim (Gilbert 1993: 8); as mumune or mume amongst the Anno of the Ivory Coast (Cutolo 2004: 224)3.

History, Rationale and Preparation

9 In Sefwi, as elsewhere, women perform the momome, to purify and protect themselves and their community: participants hold that the ceremony is aimed at chasing away

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danger when their settlement is threatened. Society periodically underwent and undergoes periods of crisis that are viewed as attacks of evil spirits, sunzum bɔne. Malign strikes are considered to be both spiritual and tangible: negative supernatural dispositions are seen as leading to concrete disasters and palpable threats are perceived as being the product of an attack by evil spirits. The performance consists of a mimic fight, the terrestrial visible expression of a spiritual clash between malignant forces and the supernatural allies defending the community. While mystical entities combat in the unearthly confrontation, women support protective spirits with an allegoric battle. The momome is a symbolic shield against outside dangers threatening the community and is aimed, as a long-term participant put it, at "pa mmusoe", wipe away the evil.

10 Contemporary witnesses, as well as oral sources and academic research, associate the pre-colonial occurrence of the ritual principally to the community’s participation in warfare (Delafosse 1913; Arhin 1983; Jones 1993; Perrot & van Dantzig 1994: 606; McCaskie 2000: 76-77; Viti 2004: 143-145). Akyeampong and Obeng (1995: 492) suggest that the mmomomme was a "distinctly female form of spiritual warfare". The ritual was thought to influence the outcome of the confrontation and was also aimed at disgracing potential war-dodgers. The fact that the momome is a female ritual and that the religious-political establishment does not directly participate, is explained with the absence of men—warriors, chiefs and "fetish priests" ("akɔɔmiε")4—busy in the battlefield. The performance of the momome during warfare was viewed as compulsory and there was therefore no need to dictate its occurrence. Delafosse (1913: 268) holds that the momome was considered amusing but was—at the same time—"obligatory; when women show sings of fatigue, the elders insulted them by saying: ‘The men are fighting and you should perform the agya!’" With the establishment of colonial peace, the momome lost what was its primary rationale but did not die out. In colonial Gold Coast and independent Ghana other threats were seen as appropriate in provoking the performance.

11 Besides war, the second cause normally mentioned for the performance of the ritual is the spread of diseases (McCaskie 1995: 295). In Sefwi momome were often held to protect the community from epidemics. In the first half of the twentieth century memories associate the ritual to the spread of small-pox, influenza, and chicken-pox5. In the Sefwi and Anyi areas, rituals which recall closely the momome have been held upon the death of pregnant women as their passing away was viewed as a general menace6.

12 A further motive that justified the performance was the occurrence of real or potential environmental disasters. A momome was held to avert the flood of river Tano in 19687. Unusual meteorological and astronomical occurrences are also thought to announce danger and should be countered by a momome, even though there is little agreement on what particular manifestations merit a performance. Some mentioned the appearance of the rainbow in any direction other than the usual eastwards location or at any time other than evening. An unspecified "circular" rainbow associated with menstruations, manzaa, is said to merit a performance 8. Moreover, the kontonkroyie, the appearance of a dark halo covering the sun, different from the eclipse, has also triggered the ceremonial cleansing9. The momome is an adequate response to a broad spectrum of adverse spiritual signals: in the mid 1970s, for example, the ritual was held

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in south-western Ghana to cleanse the community before a witch-detecting exercise (Ebin 1989: 280).

13 Even though those listed above are the most common causes mentioned when speaking of the ritual, actual occurrences indicate that in the course of the twentieth century performances were increasingly connected to political instability. Momome were held to react to national political threats such as the fall of Busia in 197210 or the expulsion of over a million Ghanaians from Nigeria in 1983 (Perrot & van Dantzig 1994: 132). During the past century the Sefwi momome was largely used as a political weapon adapting itself to the transformations of chieftaincy. While land disputes were largely resolved violently in the past, during the twentieth century they are negotiated in the framework of the colonial and post-colonial judicial system (Boni 1999, 2000). The momome adapted to the new context: rituals were held in the 1920s and in the early 1970s during court hearings over a boundary dispute between Sefwi Wiawso and the adjacent Aowin11. Performances were also aimed at averting decisions of the national government considered hostile to the Sefwi people, such as the creation of forest reserves in the 1930s or the arrest of the king of Sefwi Wiawso in 197212. The ritual was also activated in 1973 and 1992 when the king sought the government’s commitment towards the improvement of the road network within the district13. Rituals were increasingly performed to counter perceived threats to the chiefly establishment. The sickness of prominent chiefs was and is viewed as a communal menace and therefore a momome may be held when the infirmity of the king, his mother or of the ɔhemma, the female counterpart of the king, is publicly acknowledged14. In Sefwi the ritual was held over the last half a century for the illnesses and deaths of kings and other prominent figures of the chiefly establishment15.

14 The ritual may also be held when violent confrontations occur between different sections of the community. Performances were promoted by malcontents to oust reigning chiefs or could be organized by the king’s supporters when his opponents were trying to oust him (Viti 2004: 173). In 1935 an unsuccessful momome was held to resist to the deposition of Kwame Tano II; the king was ousted soon after. Another ritual was held to protect the office of his successor, Kwame Nkoah II, in the early 1940s as the king’s principal "fetish priest" ("kɔmiε") had perceived signs of troubles in his dreams and in the sky. Notwithstanding the momome, Nkoah II was also deposed in 194516. Even though experience had thought that the ritual was not always successful in preventing depositions, Aduhene II called for a "protective" momome during the attempt to oust him in the early 1960s. He had better lack than his predecessors: he was deposed in 1966 but readily re-enthroned (Boni 2000).

15 The extension of the ritual occurrence to innovative threats marks an innovation of its rationale. Up to the twentieth century, sources suggest that the momome was performed principally in instances of tangible, palpable (one would be tempted to call them "real") threats such as warfare and epidemics. Over the last century the ceremonial purification has been increasingly used to counter immaterial, imaginary, metaphorical and supernatural dangers (Viti 2004: 144). The performance of the momome in cases of non-evident, intangible threats marks a crucial transformation. While in pre-colonial times the necessity of the ritual was to a certain extent self- evident and there was little need to program and orchestrate its performance, in the course of the twentieth century a legitimate interpreter of cosmological dangers became increasingly decisive in determining when the ceremony was needed. The

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elders, the principal "fetish priest" ("kɔmiε"), or the chiefly establishment—often through a combined hermeneutical process— have been those considered able to perceive the gravity of a menace which is presented to the community as immanent, even though not apparent to most. They have been the ones who decide that a ritual is indispensable and mobilise the community. In short, the ritual necessity is no longer manifest to the community but is announced.

16 While the momome was and is a ritual performed collectively by women, the "traditional" political and religious institutions play a major role. The authority to hold a momome comes from the king as he is the mediator and regulator of the relationship between the population of the kingdom, the Sefwi mman, and the cosmological order within which this fragment of humanity is inserted. The king’s entourage decides when, and for which purpose, the momome is required17. One of the king’s linguists or the ɔhemma, the female counterpart of the king, will then inform prominent women of the sovereign’s intention to perform the ritual. The women normally subscribe to the establishment’s interpretation of the cosmological presage and agree with the need for the ritual. A date is fixed for the beginning of the performance and the recruitment of women begins both through public announcements calling adult females to participate, as well as informally through the mobilisation of neighbours and kin by elderly women. While the political-religious authority decides the necessity of the momome, it plays only a marginal role in the performance.

The Ritual Cycle

17 The momome is a repetition of a standardised happening repeated thrice daily (early morning, noon and late afternoon) for a number of days that ranges from one to up to three weeks18. The wiping away of epidemics is deemed to require a special effort and therefore the momome will normally be repeated insistently, while other threats, such as the wrong positioning of the rainbow, necessitate a less sustained effort. There are no fixed days of the week in which the momome should begin. Some women, however, indicate as privileged choices Thursday (the day dedicated to the divinity of the soil, Azee Yaa) in which farming is forbidden and more people are present in the village or Saturday (the day of veneration of Asuo SuborεFONT Ε, the spiritual protector of the Sefwi Wiawso nation). Performances display continuous variations within patterned performances: some key, characteristic features are present throughout the Akan world while these are adjusted locally and contextually to adapt to the particular threat facing the community. Each ceremony thus assumes a unique form varying in length, intensity and importance: certain parts of the usual choreography may be omitted while additional, innovative ones may be inserted. The ritual cycle described below outlines the performance’s characteristic, recurrent features19.

18 While participation in the momome has decreased in recent decades, in Wiawso—the capital of the homonymous Sefwi kingdom—the number of women taking part in the last performances was normally easily over hundred and exceptionally close to thousand. Even though only some respond, all adult and elderly women identified as Sefwi who live in Wiawso and in neighbouring villages are asked to participate in each occurrence with the exception of women who have not yet given birth, those in their menstrual period and widowers who have not completed the post-widowhood

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purification. The former are said to lack the knowledge of songs and appropriate behaviour (for example falling down during the momome is considered a bad omen); the latter, lack the purity. During the ritual no man should be present. If some are, they run the risk of being beaten and to see their spiritual strength permanently damaged.

19 Early in the morning, women bath, smear their body with kaolin, a white clay (εwule), wear beads (tɔmaah), cover their heads with white handkerchiefs (nwera) and wear white cloths over red underwear (asiaa). After the domestic preparation, participants move towards the gathering point. The ritual for the cleansing of the whole nation is held at the nation’s political and religious centre, the principal road of Wiawso approximately three hundred yards long crossing the flat hilltop from side to side (Perrot & van Dantzig 1994: 132; Boni 2007). The gathering occurs in front of the major crossroad: from there, participants move towards the Southern end, or meet directly at the extremity. The momome proceeds from the southern to the northern limit of Wiawso as the community tries to block the evil forces at the edges of the settlement (kurotiwaa) (Parkin 1992). This liminal area between culture and nature contains ambiguous, alien and impure products: huts of menstruating women and confinement areas for those struck by epidemics in pre-colonial times, latrines, rubbish piles, and burial grounds still nowadays. The momome thus expresses and reinforces the distinction between human space and the hostile, natural and spiritual environment, surrounding it. Delafosse (1913) and Bonnat (Perrot & van Dantzig 1994: 132) state that, during pre-colonial wars, women performing the momome stopped at the edge of the village, in the direction of the enemy’s land, waved their sticks and shouted insults.

20 Contrary to most Akan rituals, a song rather than a libation marks the beginning of the collective ritual activity. 1. "Osei Yie! Yie! Yie! Glory Yes! Yes! Yes! Nana Suborε apasuee o! Ye dan wo! Nana Suborε the Great o! We rely on you! Ye dan wo ahenewa! We, the least privileged, rely on you! Ye dan wo! Yed dan wo awura! We rely on you, we rely on you Lord! Yεngɔtuabε so! Yεtua bε so! (several times) We shall not disturb you! We shall disturb you!" Akosua Boakoa, 4 January 2003. 21 Participants perceive themselves as depending on the "fetish priest" ("kɔmiε") of Asuo Suborε. The momome is a disturbance to the fetish’ required for the collective good.

22 The women begin a procession. The main street of Wiawso is passed back and forward thrice. During the procession participants dance and sing. In cases of war, motifs insulted the rival chief and compelled men to join in the confrontation (Delafosse 1913), nowadays the message, especially when the threat can not be personified, is highly metaphoric and often difficult to discern for most of the participants themselves. Even though single passages may be obscure, both in the Sefwi area and elsewhere, participants agree that tunes are imprecations against the evil and injunctions aimed at its retreat (Jones 1993; Perrot & van Dantzig 1994: 186-187; Viti 2004: 171-173). Nketia (1962: 16) characterises the "mmobomme" motifs as "songs of exhilaration and incitement". Momome songs are performed by women alone and do not belong to the choreography associated with chiefs and festivals. Tunes do not

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follow a fixed order and there is no single person who calls the motifs: any women may begin a song and other will follow. Motifs may change to a certain extent from performance to performance but are often based on the repetition of some key, short phrases at times slightly altered from line to line. The works cited above transcribe some of the tunes performed during the ritual: the fact that motifs are different in all locations confirms that performances have manifested—within a clearly recognisable recurrent characterisation—a high degree of variability and geographical specificity. Here I transcribe a selection of the tunes presented by participants as "momome songs" and I focus, specifically, on those concerned with gender issues. 2. "Nana Nyame se yen o! God told us! Osee no sen ne! Ose momma yen sere na yanya adee! Sere kwa ei! He told us! He told us let us laugh and get some benefit! We laughed for nothing ei! Momma yen sere na yanya adee! Sere kwa ei! Let us laugh and get some benefit! We laughed for nothing ei! Momma yen sere! Hay, hay, ei! Let us laugh! Hay, hay, ei! Nana Suborε se yen o! Suborε told us! Osee yen sen ne o! Osee momma yen kyiam na yanya adee! He told us! He told us let us work and get the thing! Kyiam Kwaw ei! Work for nothing! Moma yen kiyam na yanya dedee o! (×2) Let us work and get the thing!" Mame Kɔkɔ, Wiawso, 15 May 2000. 23 This motif is sang—normally in instances of chiefs’ depositions—when the women want to accuse an office-holder of embezzlement of funds or of incapacity to fulfil promises. In sharp contrast with motif 1., this tune evokes the ineffectiveness of chiefs’ protective shield. 3. "Yie! Ekoε adwu so! Yie! Yie! (×2) Yes! The war has come! Yes! Yes! Me ye Badu Aso me wanzε ekɔhɔ bieoo! (×2) My wife Badu Aso, I thought you would join us! Yie! Ekoε adwu so! Yie! Yie! Yes! The war has come! Yes! Yes! Me ye Badu Akoma ee yie ɔwɔnua nkɔhɔ bieoo! If Badu Akoma is included, I will also take part!" Mame Kɔkɔ, Wiawso, 15 May 2000. 24 Badu Aso is remembered as the senior wife of the Suborε "fetish priest" ("kɔmiε") while Badu Akoma is the younger spouse. The first part of the song is the invitation to join him pronounced by the "priest" to the senior wife. She replies—in the last line—that she will go only if the junior wife joins. The spouses can be seen as evoking metaphorically soldiers, inviting all to join in war.

25 The momome offers the opportunity to express women’s concerns and viewpoints on issues not directly related to the ritual’s rationale. 4. "Adeεkyea toto bɔdeε! (×2) Since daybreak roast plantain! Menyε odwan mawe bɔdeε! I am not a sheep to eat only roast plantain! O enonom!

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Mothers! Eh Seliwa! Mampong nsuo! Eh Seliwa! River Mampong! Menyε odwan, meyΕ odwan! Eno oo! I am not a sheep, I am a sheep! Mothers! Eh Seliwa! Meto asuo a mabɔ wo din na asuo bεsom! Eh Seliwa! When I reach a river I shall call your name and the river will handle it! Adeεkyea nom nsuo! (×2) Since daybreak water! Menyε kraman na manom nsuo! Enonom! I am not a dog to drink only water! Mothers! Eh Seliwa! Manom nsuo! Eh Seliwa! I drink water! Menyε kraman na manom nsuo! Eno oo! I am not a dog to drink only water! Mothers! Eh Seliwa! Meto asuo a mabɔ wo din na asuo bεsom! Eh Seliwa! When I reach a river I shall call your name and the river will handle it!" Mame Kɔkɔ, Wiawso, 15 May 2000. 26 This song contains a lamentation and a threat of a woman who calls on female companions. The woman laments that her man is not taking good care of her, providing only basic goods (plantain, water) and thus treating her like an animal. She threatens to "call his name", that is curse him, as soon as she reaches a river. Rivers are thought to host powerful spirits and are therefore privileged loci of curses’ evocation. 5. "Aya nnieεma ngɔle deede dɔ nyamaa asosɔ me! My elder sibling, I went far away and some liana tied me! Yie! Yie! Na εkwaayε nzuo dɔ bɔ nyamaa asosɔ wɔ? Yie! Yie! But what were you doing there for the liana to tie you? Yie! Yie! ɔdɔyεwu ati nyamaa kɔhu me oo! Yie! Yie! Because of my lover these liana will kill me! ɔdɔyεwu ee! Nyamaa ee! Oh lover! Oh liana! ɔdɔyεwu ati nyamaa kɔhu me! Because of my lover these liana will kill me! Aya nnieεma ngɔle Wiawso oo nyamaa asosɔ me! My elder sibling, I went to Wiawso and some liana tied me! Yie! Yie! Na εkwaayε nzuo dɔ bɔ nyamaa asosɔ wɔ? Yie! Yie! But what were you doing there for the liana to tie you? Yie! Yie! Yie! Yie! Na edwule bɔ εse ne na afei εbisa me! You know the reason but you are asking me! Edwule bɔ εse ee! Nyamaa ee! You know the reason! Oh liana! ɔdɔyεwu ee! Nyamaa ee! Oh lover! Oh liana! Edwule bɔ εse ne na afei εbisa me! You know the reason but you are asking me!" Mame Kɔkɔ, Wiawso, 15 May 2000. 27 A woman explains that since she left her parents, she has faced some difficulties, literally she was tied with liana. Her sibling responds asking the reason of her departure. The woman left to join her lover.

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6. "Moni yε na ee! Moni yε na! My mother is valuable! My mother is valuable! Ngɔwuoo! Hi ngo! I will die! Hi ngo! Eni yε ɔlε eni! Eni yε ɔlε eni bɔ ɔworo wɔ oo! Hi ngo! Your mother is your mother! Your mother is your mother who gave birth to you! Hi ngo! Hi Ese yε ɔlε ese! Ese yε ɔlε ese bɔ ɔworo wɔ oo! Your father is your father! Your father is your father who gave birth to you! Hi ngo! Hi ngo! Hi ngo! Agyaa Mako ee! Agyaa mako alɔ me! Pepper marriage! Pepeer marriage is hurting me! Ngɔwuoo! Hi ngo! (×2) I will die! Hi ngo!" Mame Kɔkɔ, Wiawso, 15 May 2000. 28 The wife cherishes the memory of her mother and father while oppressed by a "pepper marriage", an expression used by women to refer to conjugal unions in which women are maltreated or disregarded. 7. "Ama bɔɔse aleε to! Ama knows how to cook food! Ama bɔɔse ampesi to! Ama knows how to cook ampesi! Ama bɔɔse ngeka yɔ! Ama knows how to prepare stew! Ama Mmra ayira me oo! Ayira me oo! Ayira me oo! Ama Mmra has divorced me! Divorced me! Divorced me! Ama Mmra ayira me oo! Wa maa mabɔ tronka! Ama Mmra has divorced me! I was made lonely! Ama bɔɔse likyεε yɔ! Ama knows how to prepare everything! Ama bɔɔse ngeka yɔ! Ama knows how to prepare stew! Ama bɔɔse aleε to! Ama knows how to cook food! Ama mmra ayira me oo! Ayira me oo! Ayira me oo! Ama Mmra has divorced me! Divorced me! Ama Mmra ayira me oo! Wa maa mabɔ tronkea! Ama Mmra has divorced me! I was made lonely!" Mame Kɔkɔ, Wiawso, 15 May 2000. 29 In this parody, a man laments that his resourceful wife, Ama, who could cook very well ampesi and stew—local dishes—, has divorced him. The last sentence which should be translated literally as "she makes me a private car (tronkea)" should be understood as a sign of loneliness.

30 A privileged stopping point is in front of the household where the "fetish priest" ("kɔmiε") resides. Here the women form a semi circle and tune some specific songs to render homage to the protective spirit of river Suborε. The "fetish priest" ("kɔmiε"), at times, appears in the course of the ritual to spiritually support and legitimise it: possessed by his spirit, he may dance briefly and frenetically, throw or smear kaolin clay over himself and the participants and follow or precede the procession for a while. 8. "Yie! Asuo Suborε apasuee! Oh! River Suborε the Great!

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Yie! ɔto apenten a yε yεfrε wo hoo! Oh! In difficult times we call upon you Yie! Asuo Suborε apasuee! Oh! River Suborε the Great! Yie! ɔyε sea yε yεfrε wɔ hoo! Oh! When things are becoming hard we call upon you!" Akosua Buakua, Wiawso, 4 January 2003.

31 Besides songs, certain ceremonial actions are associated with the performance of the momome, even though they do not occur in every ritual. Delafosse (1913) states that women, when rituals were held to facilitate success in wars, proceeded armed with sticks and that action intensified when gunshots were heard. Similarly, Asante narratives suggest that women, at times, pounded empty mortars with pestles, "as a form of spiritual torture" of the enemy (Akyeampong & Obeng 1995: 492). In Sefwi women are thought to chase away the evil by howling ("Huuuu! Huuuu!") at the edges of the settlement and by waving the asiaa and an herb known as anyain. In rituals aimed at the expulsion of a disease, often dirt, efieε, is placed on the street (normally peels of foodstuffs) and ritually swept in the course of the performance. As the concept of efieε covers material and metaphorical dirt (van der Geest 1998), the removal of the litter was a way of removing mystical pollution (Ebin 1989). The following song accompanies the cleaning exercise. 9. "Mpraee yεwon oo! Sweeping ourselves! Yεpraee! Yεpraee yεwon oo! We are sweeping! We are sweeping ourselves!" Mame Aya, Wiawso, 25 July 2001.

32 The women are sweeping—cleansing—themselves from malign attacks.

33 The dirt is placed—together with some foodstuffs and two herb, known locally as amumunyaa and anyain (costus afer, ginger lily), all bathed in kaolin—on the roads that lead to the town. The use of the anyain and amumunyaa is particularly significant: these herbs—principally used by female healers—are thought to facilitate fertility and cure sexually transmitted disease. Anyain is also used to keep evil spirits away from vulnerable locations20. The mounts of anyain, dirt and food are placed at what used to be the outskirts of the town up to some decades ago, and what is now only its political and religious centre (Boni 2007). It is thought that when the evil spirits try to enter the town, they will be repelled by the dirt and the herbs and may be satisfied with the consumption of the foodstuffs placed thereon.

34 In rituals performed to purify the community from the mystical disaster potentially provoked by the appearance of the kontonkroyie or the rainbow in a wrong location, the ɔhemma—a female office holder—is called upon to shoot a gun, provided and loaded by a male attendant, at the direction where the rainbow improperly appeared21. 10. "Nyangozonomaa e fi abra oo! The rainbow has set at the opposite side! Ofi abra bε kyioo! Setting at the opposite time is abhorred!" Akuia Bennie, Wiawso, 4 January 2003.

35 At the end of every ritual cycle the women enter the king’s palace, inform him of the successful completion of the event and receive a symbolic offering of money as thanks- giving for their services. The money is too small to be shared amongst the numerous participants and is therefore used to buy consumables. If the threat is considered

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serious, a delegation may be sent to Subore river, either before or after the performance, to inform the smaller god, bosoe, of the occurrence and of the ritual.

36 Even though the largest momome in the Sefwi Wiawso kingdom are performed in the capital, the ritual can be organized at the village level as well. Communities may have local problems for which a momome is needed (lack of childbirth, death of local chief, rainbow in wrong position). The king at Wiawso is normally informed and his consent received before the ritual is performed. The procession passes on the main street where the palace and the shrines of smaller gods, abosoe, are concentrated. Overall the performance is very similar in form and semantics, but not in its size, to the one held at Wiawso. Villagers are also asked to perform local rituals when the momome is performed at Wiawso or are called upon to join the one at Wiawso.

37 The momome has survived the great transformations of the twentieth century even though participation in recent decades has dwindled. Some women complain that nowadays menstruating women at times participate in the ritual weakening its effects, others that the population is increasingly subject to diseases because attendance has decreased, still others complain that strict adherence to Christianity has reduced participation both in terms of number and conviction. Overall, however, the momome is still felt as an important ritual and many women, especially those less involved in church activities, still believe it has beneficial effects on the community and especially on those taking an active part in the performance.

Chromatic Classification

38 White appears as the dominant colour of the ritual. Fufue, is a chromatic range that includes light colours such as yellow and milk but is conceptually centred on immaculate white. It is a ritually auspicious colour associated with victory; it stands for health, success, spiritual purity and joy. For example, women on their first public exit after having given birth should wear white to mark their success over a liminal period, that of the pregnancy characterised by impurity. White is also the colour of church attendance, especially at festivities. Kaolin (εwule), a fine white clay, is used in a number of rituals amongst the Akan. It "whitens" persons chromatically and conceptually to indicate success, purity, sanity and absence of evil. The talc is gently placed on the shoulders of the party who has won the case at "traditional" court. It is smeared on the body of divorcees, young women performing their puberty ritual, newborn babies and in the past on slaves who were freed (McCaskie 1995: 287-288). In precolonial Asante it was used to signal the end of the menstrual period (Perrot & van Dantzig 1994: 606). εwule is used in rituals of purification of the soul (kra) and often placed on chiefs during festivals and in the ceremony of their enthronement and thrown on possessed "fetish priests" ("akɔmiε") (Duchesne 1996: 125, 266). The talc is thought to have therapeutic qualities and is used by local healers to prevent malformations of the foetus and diseases. Before the momome, εwule is smeared by women all over their bodies, including their faces. During the performance it is at times thrown by the "fetish priest" ("kɔmiε") on the crowd gathered outside his house as a sort of collective blessing. Together with anyain, the medicinal herb, Εwule is positioned on the village outskirts to keep the evil spirits from entering the settlement. In a neighbouring area, kaolin was spread at the limits of the towns during the momome (Ebin 1989). The nwera, a string of white cloth, is waved as handkerchief

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during the ritual. Nwera can be seen adorning drums and chiefly umbrella during the yearly festival and have been used to indicate the sanctity of locations. During the momome, women remove their cloths to show their underwear which may be a white nwera tied to a waist chain made with beads, or the red underwear, asiaa.

39 While white characterises the ritual, the other colour that appears in the momome is red. Kɔkɔrε invests a wider chromatic spectrum than that rendered with "red", including a range from pink to purple and is associated with an ambiguous set of notions connected with blood (Hagan 1970: 9; Breidenbach 1976). McCaskie (1995: 290) describes red as the colour of "heightened (and confused) emotional states- combinations of danger, sorrow, impurity, anger, defiance". Rattray (1927: 29-34, 134) claims it is associated with war and witchcraft. Red is the colour of vitality and danger, or the violent attempt towards the re-establishment of peace. Participants, especially those with the highly valued rounded body, may, in the course of the procession, remove the white top cloth, to show the red underwear as a sign of defiance and to scare evil spirits away. The ritual uncovering —some women go as far as stripping themselves temporarily half naked— occurs most frequently at the two extremities of the settlement and is a way to menace the evil, to threaten the threatening (Perrot & van Dantzig 1994: 132). Red denotes both the evil that the women are trying to get rid of and the resolution with which they are prepared to oppose to it: the violence, associated with the colour, precipitates the crisis and leads to overcome of the liminal uncertainty of danger (Boni 2004).

40 Out of the three principal chromatic polarities recognised by Hagan (1970), the one absent in the momome is black, associated primarily with (male-managed) ancestors and stools. The colours activated in the momome confirm the gender dimension of the ritual. While in pre-colonial momome the absence of the political and religious establishment could be justified with their involvement in warfare, the female monopoly persisted in twentieth-century rituals that no longer justify such exclusion. The persistent feminisation of the performance acquires a specific meaning that deserves to be explored.

Male and Female Community Protection in the Momome

41 Community members do not have the capacity to invoke spiritual forces: friendly supernatural entities need to be revered, pleaded and obeyed through specific mediums. Chiefs and "fetish priests" ("akɔmiε") are thought to be in privileged contact with sources of supernatural support; their ritual activities are paced by a calendar which guarantees the ordinary shield from menacing supernatural interventions and a "safe", peaceful, stable environment (McCaskie 1980; Gilbert 1987, 1989; Boni 2004, 2007). The apparatus activated by these choreographs is strictly linked to the chiefly establishment both in terms of the locations of the rehearsal (palace, historical sites, graveyards, water sources, etc.) and of the symbols displayed (libations, exhibition of stools, drumming, chiefly gatherings, sacrifice of sheep, volleys of celebratory gunfire, chiefly movements in palanquins, ritual pilgrimages, etc.). There are, however, instances in which the ordinary protection proves ineffective; occasions in which danger approaches; times in which the cleansing exercises performed by the political- religious establishment prove incapable of delivering the valued stability, peace and

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security; moments in which the ideological apparatus is shaken. When severe threats appear, when a societal crisis occurs notwithstanding the prescribed ceremonies, a diverse source of remedy is sought.

42 When the ordinary spiritual mediums fail, what is altered is not the supernatural forces from which assistance is sought but the actors and the instruments of the plea. The solution elaborated in the momome is orchestrated around a diverse ideological frame which—apparently—acts autonomously from male-dominated institutions. The ritual is held in the streets, it passes by locations associated with chiefs and known to be spiritually powerful without entering them. The performance lacks the atmosphere and the use of a recurrent set of ritual acts that characterise chieftaincy rituals while it activates a different array of devices. The symbolic tools are drawn from ordinary life, rooted in women’s experience: the purifying power of kaolin, medical herbs, songs and the removal of dirt are all charged with a metaphoric dimension in the feminisation of mystical dangers’ purification (Ebin 1989: 282). The transformative character of the momome is, at times, rendered manifest by the inversion of gender roles: women in some documented instances, dress and act as men, display mock or real arms, take temporary control of the settlement to voice female views publicly (Delafosse 1913; Eschlimann 1984; Perrot & van Dantzig 1994: 187). During the momome, the chieftaincy establishment voluntarily abandons the stage. It recognizes that the danger may not be addressed through the ordinary means of spiritual intervention and calls upon women and a different conception of the cleansing process. If the male-handled grandiose scenarios of chiefly rituals are thought to generate the spiritual shield, the community invokes the momome once such barriers have proved ineffective. The exclusion of men and of the chiefly establishment is, however, only apparent. Even though both chiefs and the "fetish priest" ("kɔmiε") play only marginal roles within the celebration, they have directed its rationale and occurrence.

Classification of Evil and the Ideology of Kingship

43 Wicked, harmful behaviour, and those committing it, are normally termed bɔne in Sefwi. The notion of mmusoe evokes something more than harm, Gyekye (1987: 133) defines it as an "extraordinary", "uncommon", "indelible" evil. Mmusoe gives the deviant conduct an intensified mystical and public dimension: it refers to acts from which the community should rigidly abstain because such deeds represent a threat to peace, stability and, more generally, to the established cultural order. This notion is central to understand the threatening forces countered by the momome and was explicitly mentioned by Sefwi women as the cause of the ritual. Amongst the Asante a ceremony strikingly similar to the one discussed here was termed mmusuyiedee, which can be literally translated as "what concerns the mmosuo"22.

44 Mmusoe refers to diabolic, heinous human conduct that invites the wrath of supernatural powers causing disaster and calamity for the community (McCaskie 1995: 295). While the classification accepts regional, even village, variations some acts seem widely accepted as mmusoe: suicide, incest, certain sexual offences, witchcraft, swearing oaths as well as verbal abuse, stealing from and assaults against chiefs and their political and religious personnel (Rattray 1929: 28, 55, 290-315; Gyekye 1987: 133-134). The range of the offences is wide and dynamic, often associated to the agency of bonzam (often translated in English as "the Devil") and to the production of efieε (supernatural

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dirt). In the sense outlined above, the notion overlaps partially to the anthropological notion of "taboo". Mmusoe are deeds classified as negative by the community that are thought to bring ill fortune to a wider group than those directly involved in the "evil" act. The community—through the chiefly establishment—thus needs to control and minimise these acts through moral codes and judicial procedures for offenders.

45 The construction of a taxonomy of evil is structured around two overlaps that organize Akan morality. First, an overlap is between menacing signs and their devastating fulfilment: the notion of mmusoe comprehends both the dangers of spiritual attacks (by ancestors, spirits, witchcraft) and the actual occurrence of misfortune (war, epidemics, disasters). There is a lack of lexical distinction and a consequent conceptual assimilation of what is classified as threatening, and the practical impact of devastating forces causing death and destruction. The implicit message is that society is based on the preservation of two interconnected orders: a tangible and spiritual one. Communities must guard themselves from both menaces as supernatural crises have immediate earthly repercussions. The preservation of good relations with friendly mystical forces and the capacity to halt harmful ones is indispensable for peaceful living. Morality is not just a question of relations between persons; it concerns the human connection to the spiritual world. Those who are recognised as able to interpret and decide what is a communal threat, are able to produce a conceptual association, expressed through the category of mmusoe, between presumed "evil" supernatural menaces and actual sufferings. The religious and the political institutions, have the recognised capacity to interpret the wishes of the "other" world and thus to properly and adequately connect the worldly domain to the spiritual forces by dictating norms of conduct and orchestrate the appropriate rituals. While women hold centre-stage in the momome, it is the religious-political structure that triggers off the ritual and that offers thanks-giving after its performance.

46 During the colonial and post-colonial peace, the momome was no longer perceived as a necessary response to palpable threats: performances were no longer inevitable. Chiefs and "fetish priests" ("akɔmiε")—legitimate interpreters of the spiritual world on behalf of the community—have been recognised the authority to determine which signs require a ritual of purification, what are the mmusoe that merit a ritual cleansing. This shift between evident threats and menaces that required an elitist hermeneutic process, has had important consequences on the structuring of belief. The mobilisation of women in the momome has expressed the political establishment’s taxonomy of danger: participants not only need to accept and assimilate the classification of what evil is and what needs to be done to combat it, they are called upon to chase it away with their performance. Belief and ritual action diffuse the establishment’s classification of mmusoe as both tangible and spiritual.

47 The second overlap is a consequence of the first. While the momome was previously aimed at preventing communal threats, it is increasingly used to valorise the king and its entourage. A menace to the chiefly establishment is presented not as the problem limited to the restructuring of the political elite but as a spiritual threat menacing the community as a whole. During the twentieth century momome were ordered upon the death and illness of the king and of his close associates. The body of the king and that of the kingdom are thus assimilated metaphorically and conceptually. The king’s illness is presented as a threat equivalent to a war or as an epidemic outbreak. Similarly, the attempt to oust the king is presented by his supporters not as a issue of personal rivalry

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amongst members of the royal matrilineage played out by the high ranks of the chieftaincy establishment, but as a potential communal disaster. Over the twentieth century, the ritual drama of the momome has insistently communicated that only the king’s persona guarantees order, protection, peace; any threat to his tenure is presented as a communal disaster.

48 The arbitrary, cultural order that ritually reaffirms the identification of king and kingdom is conceptually stated and practically ritualised. The momome not only legitimates chieftaincy, it expresses the notion that it is up to every member of the community to make an effort to safeguard it, as its demise would be an inevitable cause of communal disaster. The vitality of society is associated with the absence of tangible dangers (war, epidemics), the lack of threatening spiritual signs (death of pregnant women, "unnatural" meteorological events) and the (re)establishment of unity under the encompassing persona of the king and his royal entourage.

Confronting Success in Spiritual Protection in the Twentieth-century Akan World

49 The momome has been one of various ceremonial options that have contended the capacity to regulate the cosmological equilibrium between stability and uncertainty, order and chaos, abundance and scarcity. The explicit ritual involvement of the chiefly establishment represents the ordinary, paced cleansing exercises. The persistent emergence of stress clearly implies a partial failure: perception indicates to Sefwi that evil and threats periodically menace the community notwithstanding the chiefly effort (Parker 2004: 401-402, 412). Alternative orchestrations have thus been activated especially when, with colonial rule, chiefs lost their monopoly over the management of mystical forces. The momome, Christianity and anti-witchcraft cults evoke cosmologies apparently autonomous from the ordinary enactment of chiefly ceremonial pomp. The gender and ritual specificity of the former and the "alien" origin of the latter two lead to conceive them as alternative means to address the cosmological and existential stresses which strike Akan communities. Christianity was of course seen as offering a cosmology which replaced the weapons used by what were termed "fetishes" in colonial discourse, which often included the whole, complex bundle of pre-Christian beliefs. Christianity, especially in the forms considered more respectable, was sustained by the colonial administrators, and after an initial suspicion, by chiefs as well. The momome—as we have seen—survived the twentieth century thanks to the indifference of colonial administrators and the incitement of the chiefly establishment, notwithstanding a fading of the original motives.

50 The literature on anti-witchcraft cults in the first half of the twentieth century tells a different story. These cults provided a similar cosmological message to the one offered by the momome: one of harmony, stability and peace in a context of danger and evil, represented specifically by the perceived spread of witchcraft. These cults differ from the momome in some important aspects: the ceremonial activity is persistent while the momome has a volatile and temporary duration; the source of danger is sought within the community while the momome counters threats which are either not produced by human agency or, if human, by outsiders; anti-witchcraft practices include recourse to violence (to punish and neutralise the witches) alongside therapy while the momome activates the former only symbolically. These different attempts to solve

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society’s harms through the recourse of the supernatural have, however, a further element of difference: while the momome was, as shown, substantially inserted at wish within the choreographic messages proposed by the political establishment, anti- witchcraft cults maintained an autonomy and often disturbed the chiefly order (Olsen 2002; McCaskie 2004; Parker 2004). While various religious practices which were aimed at installing the belief in a safeguarded and harmonious supernatural environment were tolerated, anti-witchcraft cults—which proved more difficult to manipulate—underwent persecution and thus took the form of powerful but intermittent appearances. The momome—supported by the chiefs—lived a longer life, only to be gradually rendered redundant by the spread of church affiliation and by the growing lack of credibility of chiefly ideology.

51 The compared recourse to supernatural healing since the late nineteenth century reveals the influence of the political establishment in containing, diffusing and manipulating cults. Colonial administration and chiefs were not the only but were crucial agencies in promoting the spread of convenient cosmologies. The analysis of religious practices which had a long life— such as the momome—and of those that were unable to flourish—such as anti-witchcraft cults—provide some insights on the extent to which our taxonomies, beliefs and associations are continuously shaped by institutional intervention. Some performances become visible, even predominant while others are no more—negated, repressed, vanished. The momome is a ceremonial unfolding that, in many respects, appears independent from the chiefly establishment. To view the momome as a ritual of inversion, as a moment of gender liberation, of successful autonomy from established predicaments is however a partial analysis. Social practices are continuously monitored and culture—as we experience it and as it is largely reproduced through disciplined subjects—is the result of a continuous process of selection—in some instances such as the ritual here examined— directed and managed to a large extent by political institutions. The pacing of the ritual, its motives and rationale show that ceremonial diversity may be tolerated, indeed encouraged, as long as it lends itself to be controlled and manipulated.

52 Universitá di Modena e Reggio Emilia, Modena.

53 TRANSCRIPT SYSTEM

54 Local terminology is in Sefwi. Even though there are a few publications in Sefwi, a dictionary or grammar have not yet been produced. Within Sefwi language there are local variations in expression and pronunciation; when literate Sefwi write their language, they often spell words differently. The spelling used here is therefore tentative and reflects the pronunciation: 55 — e stands for an open e while ε for a close one. 56 — o stands for an closed o while ɔ for an open one.

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NOTES

1. I wish to aknowledge the contribution of Selenia Marabello in the elaboration of the paper and wish to thank the women who shared their knowledge of the momome as well as Francis and Stephen Mensah.

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2. Non-English names are in Sefwi. In an attempt to standardise Sefwi orthography, I follow recent work of a Sefwi scholar (OFORI 2005). 3. Personal communication kindly offered by Fabio Viti and Giulia Almagioni. 4. Following some academic literature and popular translation I use, with some regret, "fetish priest" to refer to the Asuo Suborε kɔmiε, the administrator of the relationship between the Sefwi Wiawso state and the river Suborε, abode of a powerful bosoe, small god, which, it is believed, has historically supported the former. 5. Even though the exact dates of the performances are uncertain since memories are fading and because of the frequency with which the ritual was held, women recall that in the 1970s the ceremony was held before the vaccination for cholera and to combat the spread of convulsion and diarrhoea. See Akosua Buakua, 22 May 2000; Afuia Kintoh, 22 July 2001; Stephen Mensah, 24 June 2001; Akosua Badu, 16 December 2005 (DUCHESNE 1996: 229). 6. See Afuia Badu, 22 May 2000; Akosua Dua, 16 December 2005 (ESCHLIMANN 1984: 19-21; PERROT 1982: 31-32). 7. NAG Sekondi WRG 13/2/154 and 155. See Akosua Buakua, 22 May 2000. 8. Rituals associated with "menstrual" rainbows were held in the Sefwi village of Wiawso in the late 1940s and early 1960s and one in Nsawora in 1999; Afuia Badu, 22 May 2000; Akuia Bennie and Nana Boakye, 4 January 2003 (PERROT 1982: 31-32). 9. Afuia Kintoh, 22 July 2001; Adwua Nkrumah, 14 July 2001; Stephen Mensah, 12 January 2003. 10. Akosua Buakua, 22 May 2000; Afuia Kintoh, 22 July 2001. 11. Akuia Bennie, 12 January 2003; Akosua Badu, 16 December 2005. For details of the dispute see SWTCA/F10B, Karlo Stool Affairs. 12. Akosua Buakua, 22 May 2000; Akuia Bennie, 12 January 2003. 13. Stephen Mensah, 12 January 2003. 14. The momome is often performed after the death of kings but before this is publicly announced. The king’s soul is thought to be in a limbo and the momome is seen as a final attempt to prevent expiration and call back his spirit to life. 15. Oral narratives confirm performances for the illness of the king, Aduhene II, in 1975 and 1988, for the deaths of kings (Kwame Tano I in 1932 and Aduhene II in 1996), chiefs (Gyaasehene Afrishie in 1973) and of women of the royal matrilineage (Yaa Asantewa— Aduhene’s mother—in 1986 and Ama Sarlie —the ɔhemma, a female office-holder—in 1987). Momome for which I was unable to trace a definite date were those held for the death of the ɔhemma Abena Fra, the Abakomahemma Adwua Amoah and Akosua Benna, the royal lineage elder (abusua bain) Kwame Nkuah, the elder Nana Bremuia. In the village of Akwantombra a performance was held in 2001 upon the death of the local chief. 16. Akosua Badu, 16 December 2005. 17. Kɔmiε Asuo Suborε, 4 January 2003. The few ethnographies which address the issue indicate the (male) elders or the chiefly establishment as the ones who call women to perform the ritual (DELAFOSSE 1913; EBIN 1982: 142).

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18. DUCHESNE (1996: 230) states that the performance lasted either three days or a week (PERROT 1982: 31-32). Sefwi informants suggest that there is no pre-definite number of days: the length varies according to the gravity of the danger. 19. JONES’s (1993) work had clearly shown patterns of variations, some authors— following local taxonomies—distinguishing between types of rituals (ESCHLIMANN 1984; MCLEOD 1981). 20. Anyain, for example, may be placed on the doorstep of the room of someone suffering from a disease or to safeguard the palace of a newly nominated chief, who is seen as lying in a liminal, dangerous state. See Afuia Kintoh, 22 July 2001; Yaa Foriwah, 2 August 2001; Akosua Dua, 16 December 2005 (ESCHLIMANN 1984: 19-21; DUCHESNE 1996: 228-230). 21. ɔhemma Yaa Denta, 25 May 2000. 22. Another notion often evoked when discussing the momome is that of bεkyi, that which is abhorred and religiously forbidden. Acts which are termed mman akyiwadeε, could be translated—following RATTRAY (1929)—as "repugnant to the nation". If the act is perpetuated it becomes mmusoe, correspondent to the Twi mmosuo and to the monzue of neighbouring south-western Akan languages.

RÉSUMÉS

Exclusion de femmes de la communauté. Le rituel momome du monde akan. Cet article décrit un rituel féminin visant à purifier la communauté en période de crise. Cette cérémonie, connue sous le nom de momome dans sa variante sefoui, est ici analysée en plaçant la signification de certains accessoires et particularités chorégraphiques (costumes, positions et mouvements dans l’espace, symbolisme des couleurs, actes métaphoriques, herbes thérapeutiques, chants) dans le contexte culturel plus large du monde akan de l’Afrique de l’Ouest. En retraçant l’évolution de cette cérémonie au cours du XXe siècle, nous montrerons que même si, comme nos informateurs le prétendent et les sources précoloniales le confirment, le rituel n’a pas changé de manière significative, la temporalité et les raisons d’invoquer ces rituels ont en revanche beaucoup évolué. Le momome, qui avait lieu essentiellement en cas de guerre ou d’épidémie, fut de plus en plus utilisé au cours du XXe siècle pour des crises (maladie, destitution, décès) touchant les personnes de l’establishment. Cet article évalue l’autonomie idéologique de cette cérémonie — présentée par certains comme un « rituel d’inversion » — et conclut que la politique institutionnelle a eu une influence majeure sur la promotion et la maîtrise de diverses formes de protection supranaturelle apparues au cours du XXe siècle.

The paper provides a description of a female ritual aimed at cleansing the community in moments of impending crisis. The ceremony, known as momome in its Sefwi variant, is discussed by positioning the meaning of the choreographic props used in the performance (dresses, spatial dispositions and movements, chromatic symbolism, metaphoric acts, use of therapeutic herbs, songs) within the wider cultural framework of the Akan world of West Africa. The historical

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transformations of the ceremonial occurrence in the course of the twentieth century are examined closely to show that even though the performance has—informants claim and pre- colonial sources confirm—not been altered significantly, the timing and motives have. The momome, held in response to wars and epidemics in the pre-colonial setting, in the course of the twentieth century was increasingly evoked in moments of crisis (illness, deposition, death) of prominent figures of the chiefly establishment. The paper evaluates the ideological autonomy of the ceremony—presented by some analysts as a "ritual of inversion"—and comes to the conclusion that institutional politics has had a major influence in promoting and containing the various forms of supernatural protection sought in the course of the twentieth century.

INDEX

Mots-clés : Afrique de l’Ouest, Akan, genre, hégémonie, momome, rituel d’inversion, histoire des rituels Keywords : West Africa, Akan, Gender, Hegemony, Momome, Ritual Inversion, Ritual History

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Histoire d’une stigmatisation paradoxale, entre islam, colonisation et « auto-étiquetage ». Les Baay Faal du Sénégal

Charlotte Pezeril

1 La communauté musulmane des Baay Faal a été initiée au Sénégal par Cheikh Ibrahima Fall ( 1858-1930), célèbre disciple de Cheikh Amadou Bamba (1853-1927), le fondateur du mouridisme. Dès son acte d’allégeance au milieu des années 1880, Cheikh Ibra Fall est considéré comme un « fou »1 par ses condisciples parce qu’il décide de consacrer toute sa vie à son sëriñ (son marabout, cheikh ou guide religieux), abandonnant pour cela les cinq prières quotidiennes et le jeûne du mois de Ramadan. Quelques années après son apprentissage religieux au daara (école coranique, unité religieuse et unité de production), au début de la décennie 1890, il devient cheikh et ses disciples reproduisent son comportement. La communauté Baay Faal, littéralement ceux qui se revendiquent du « Père Fall », est née. À l’image de leur maître, les Baay Faal ne respectent généralement pas les pratiques cultuelles, pour y opposer une interprétation religieuse ésotérique et mystique, fondée sur la soumission au marabout, le cheminement intérieur et l’action. Mais la stigmatisation (Goffman 1975) précoce de Cheikh Ibra Fall va marquer durablement la communauté, d’autant qu’elle est entretenue par les colons français et les autres représentants religieux. Comment et sur quelles bases ont été mis en place les processus de stigmatisation communautaire ? De quelle manière s’est construit l’espace moral de l’islam sénégalais ?

2 Avant tout, l’histoire de la communauté Baay Faal montre comment (et pourquoi) un groupe existe progressivement aux yeux des autres. Cet exemple fait ressurgir un élément théorique important non abordé par Howard Becker (1985) dans sa théorie de l’étiquetage : avant qu’un groupe soit étiqueté déviant et avant même que la norme soit définie, un groupe doit tout d’abord exister aux yeux des autres. L’étiquetage d’un collectif n’est possible que s’il y a eu construction de la « visibilité » du groupe étiqueté2. Les processus peuvent néanmoins être simultanés : les producteurs de

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normes responsables de l’étiquetage peuvent avoir intérêt à constituer la pleine visibilité d’un groupe afin de définir leurs propres frontières. Jusqu’aux années 1950, les observateurs extérieurs ne différencient pas la voie Baay Faal de la voie majoritaire mouride et attribueront les pratiques des premiers à l’ensemble. Ainsi, la communauté Baay Faal est « invisible » aux observateurs extérieurs. Comment comprendre cette tardive identification ? Pourquoi et comment les différents acteurs sociaux (y compris les Baay Faal) contribuent-ils à diffuser l’amalgame et dans quelle mesure en ont-ils intérêt ?

3 En revanche, dès qu’ils sont identifiés en tant que groupe religieux spécifique, les Baay Faal sont unanimement dévalorisés, caricaturés et délégitimés, sur le plan religieux (« mauvais » ou « faux » musulmans) ou plus largement social (« mendiants », « voyous » ou ceddo, terme ambigu en wolof désignant soit les guerriers esclaves des royaumes précoloniaux soit, plus largement, des hommes violents, avides de pouvoir ou encore pa ïens). Ces assignations identitaires stigmatisantes sont toujours, dans une moindre mesure certes, d’actualité.

4 En effet, à partir des années 1970-1980, la confrérie mouride s’engage dans un processus de légitimation, par le biais d’un côté des hiérarchies maraboutiques et, de l’autre, des disciples intellectuels et migrants (en Europe, aux États-Unis et même depuis peu en Chine). Les associations, conférences et publications se multiplient au Sénégal et dans le monde. Au plan international, les Baay Faal vont insister sur leur inscription dans une voie soufie pacifiste et tolérante et, au plan interne, sur leur soumission (idéelle et pratique) aux grands marabouts Mbacké-Mbacké (descendants masculins de Cheikh Amadou Bamba). En même temps, les modes d’adhésion à la voie se diversifient, s’individualisent et certains disciples contestent ces évolutions. Les luttes de légitimité s’insèrent au sein même de la communauté, laissant émerger la catégorie des « Baye-faux » ou Baay mbedd (Baye de la rue). Ce sont surtout les jeunes urbains marginaux (célibataires, sans emploi, etc.) qui font les frais de ce déni d’appartenance et chacun doit désormais justifier individuellement son adhésion. Pourtant, ces derniers réussissent à inverser le processus de stigmatisation, à l’image des jeunes musulmans français étudiés par Khosrokhavar (1997).

5 Aujourd’hui, les représentations sociales à propos des Baay Faal sont diverses, voire contradictoires, et oscillent globalement autour de deux figures : d’un côté, le disciple musulman parfait, ayant le courage de « donner sa vie » à un homme saint et à Dieu, suivant sans faille et sans hésitation ses ndigël (ses recommandations, ses ordres) et respectant ses teere (ses interdits) ; de l’autre, le jeune en perdition, un peu fou, un peu voyou, qui construit son rapport à la religion de façon individuelle et autonome. Qui sont les Baay Faal et comment gèrent-ils cette diversification de leurs modes d’adhésion et d’identification ? Parallèlement, comment comprendre l’attrait d’une communauté encore largement stigmatisée ? Par quels mécanismes réussit-elle, d’une part, à se réapproprier, voire à revendiquer, le stigmate qu’elle subit et, d’autre part, à mettre en place des structures intégratives ?

Les épopées contradictoires de Cheikh Ibra Fall

6 Pour saisir l’origine et la teneur de la stigmatisation, il faut tout d’abord se pencher sur la trajectoire de Cheikh Ibra Fall, ce personnage « hors norme » qui influence profondément la voie (yoonu) mouride, tout en initiant une nouvelle voie en son sein.

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Ce paradoxe est à souligner : les Baay Faal, bien que situés à la marge, sont porteurs de la vérité du mouridisme, en portant ses normes à leur paroxysme. Il est d’ailleurs difficile de retracer de façon linéaire et certaine l’histoire de cet homme, tant les versions sont diverses et antagoniques3. La confrontation des sources externes avec l’histoire orale mouride, ou plutôt avec les histoires orales, permet néanmoins de saisir les enjeux de la légitimation Baay Faal pour les différents acteurs, tout en soulignant la difficulté de rendre compte avec certitude de la genèse communautaire.

7 Les renseignements concernant Cheikh Ibra Fall, consignés dans les archives coloniales françaises dès 1895, peignent un cheikh mouride riche et influent, dont il faut « se méfier ». Pour l’incontournable Paul Marty (le « spécialiste » des affaires musulmanes au Sénégal et en AOF), il est « le Ministre des Affaires Économiques » de la confrérie et dirige la commercialisation de l’arachide. Il le présente ainsi : « Ibra Fall a un physique peu sympathique qui ne revient pas en sa faveur. Avec ses tics, ses ricanements nerveux, une sorte de delirium tremens qui l’agite, on serait tenté de le prendre pour un simple » (cité par Villeneuve 1959 : np).

8 Établi à Saint-Louis à partir de 1895, date de la première déportation de son maître4, Cheikh Ibra Fall devient toutefois un interlocuteur privilégié des Français. En 1912, il est, selon l’administration, « le premier lieutenant d’Amadou Bamba et le second personnage de son ordre »5 et draine des centaines de disciples. Après une période de méfiance réciproque, les relations entre Mourides et colons s’améliorent (Coulon 1981) et s’orientent, surtout à partir de la Première Guerre mondiale, vers une politique d’« accomodation » (Robinson & Triaud 1997). À son décès en juin 1930, Cheikh Ibra Fall est présenté comme « un sage, un brave homme, respectueux et dévoué à la cause française »6. À aucun moment, les observateurs ne notent une particularité de pratiques religieuses concernant Cheikh Ibra Fall et ses disciples.

9 Au contraire, dans l’« imaginaire » mouride, Mame Cheikh (surnom affectueux de Cheikh Ibra Fall) est un homme de Dieu qui a su préserver l’identité wolof et, plus largement, sénégalaise, tout en bouleversant, à son arrivée dans l’école coranique de Cheikh Amadou Bamba, les normes religieuses dominantes. Selon le « vieux » Mame Fallou Niang, oncle maternel de l’ancien khalife général des Baay Faal, « Quand Mame Cheikh a vu Serigne Touba [surnom de Cheikh Amadou Bamba], il ne tenait plus sur ses jambes et il est tombé par terre. Il a dû se relever, trois fois. La troisième fois, il s’est relevé et s’est approché du marabout en marchant sur ses genoux. Les habitants de la maison ont demandé ce qu’il se passait. Les envoyés ont répondu : "C’est un fou qui nous a accompagnés sur le chemin de notre retour". C’est pourquoi le Baay Faal s’entend appeler depuis longtemps "le fou". Et quand il est venu donner la main à Serigne Touba, il s’est prosterné en mettant la main de Serigne Touba sur son front. Les disciples se sont étonnés. Il l’a fait trois fois puis s’est assis devant le marabout. [...] Le marabout lui a demandé : "Qu’est-ce-que tu es venu chercher ?" ; "Je veux arriver auprès de Dieu" (Bëgg yegg ca Yalla) ; "Qu’est-ce- que tu as comme bagages pour arriver auprès de Dieu ?". Cheikh Ibra Fall a frappé sa poitrine et a dit "L’action (Jëf)". Serigne Touba a répondu : "Ceci ne t’amène pas auprès de Dieu. Celui qui veut arriver auprès de Dieu doit faire les cinq prières quotidiennes, doit jeûner, faire l’aumône légale. Tout ce que Dieu a interdit, il l’abandonne ; tout ce que Dieu prescrit, il le fait". Mame Cheikh lui répond : "Tout cela, je l’ai laissé à Waxe Njaabi [son village d’origine]. Je cherche ce qui est important, ce qui est meilleur avec toi (Diwut lu ko gën ci yow). [...] Je veux ce que personne n’a eu (Kenn lu amul, laa bëgg)" »7.

10 Si Cheikh Amadou Bamba accepte l’allégeance de Mame Cheikh, ce dernier subit dès le départ un fort ostracisme de la part des autres élèves. Ils ont en effet du mal à accepter

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la présence d’un disciple ne respectant pas les préceptes du Coran, ne cherchant pas à s’instruire et limitant ses activités au travail des champs et à l’entretien de la concession (tâche de surcroît féminine) ; certains préfèrent même quitter le daara en protestation. Cependant, progressivement, l’attitude exceptionnelle de Cheikh Ibra Fall envers son maître devient la règle au sein du daara et la norme confrérique de la relation entre marabout et disciple. Selon Serigne Babacar Mbow, un cheikh Baay Faal, « Il ne s’agissait plus d’évoquer le Nom de Dieu sans passer à l’acte ni de se tenir debout devant le Maître, ni de garder sa coiffure en sa présence, ni de déranger ses précieux moments de retraite et d’incantation, mais de s’agenouiller humblement devant lui, et d’avoir la patience d’attendre qu’il soit disponible, même plusieurs jours si c’était nécessaire » (Mbow 2000 : 44).

11 Désormais, Serigne Touba n’est plus un simple maître d’école coranique mais un homme de Dieu devant être reconnu comme tel. De plus, Cheikh Ibra Fall est loué pour être le disciple le plus « efficace »8, celui qui a su défendre et prêcher la voie de son maître. D’une part, il est intervenu de nombreuses fois auprès de l’administration française et des hommes politiques sénégalais, pour le retour de Serigne Touba au Sénégal9. D’autre part, les Mourides appréhendent sa richesse en tant que signe des bienfaits divins et moyen de protection et d’autonomie communautaire. De plus, ils soulignent immédiatement qu’il redistribuait tous ses biens à Serigne Touba et à ses « frères ». Dans la mémoire collective, Mame Cheikh devient Lamp Faal, la lumière Fall, celui qui a éclairé Serigne Touba parce qu’il l’a reconnu et fait reconnaître10. Dans les chants Baay Faal, qui ajoutent à la shahada (premier pilier coranique affirmant l’unicité divine et la mission prophétique de Mahomet) des couplets racontant l’histoire confrérique et les enseignements maraboutiques, on entend souvent : « Budulwoon Maam Séex Ibrahima Faal, Bamba réer ba ñibbi » : « Sans Mame Cheikh Ibra Fall, Bamba serait mort en rentrant [sous-entendu de l’exil], on l’aurait oublié » ; « Budulwoon ak yow, Bamba jaar fi ñibbi » : « Sans toi, Bamba serait passé et rentré [chez lui]. »

12 Les paroles du sikar soulignent la nécessité historique des deux hommes. De même, dans la majorité des représentations picturales les associant, Serigne Touba est dessiné en blanc (Roberts & Nooter Roberts 1998) et Cheikh Ibra Fall en noir. Ils émergent en tant que figures archétypes, contraires et complémentaires, du mouridisme. Selon certains adeptes, mystiquement, ils forment un seul être, ils représentent les deux faces unifiées du mouridisme. Mame Cheikh incarne le temporel et Serigne Touba le spirituel. Mame Cheikh, en s’acquittant de l’ensemble des tâches de la concession et des champs, permet à Serigne Touba de se consacrer totalement à la méditation et aux prières. De son côté, Serigne Touba le conduit sur le chemin de Dieu. Pour les disciples, la complémentarité est telle qu’elle se mue en unité, en réunion de dispositions contraires et nécessaires l’une à l’autre.

13 Toutefois, si les Mourides se retrouvent derrière l’apologie de Mame Cheikh en tant que disciple exemplaire, ils ne vont pas suivre et accepter l’ensemble des croyances et pratiques de sa voie. Le point différenciant catégoriquement les Baay Faal des autres Mourides est leur non-respect des pratiques cultuelles. Les Baay Faal vont l’expliquer par leur appartenance à la haqiqa, cette voie ésotérique basée sur l’intuition de la volonté divine et le perfectionnement intérieur, mystique proprement soufie ; alors que les autres Mourides suivent la charia (ou saria selon la prononciation wolof), l’orthopraxie. Or, selon Marc Gaborieau (1996 : 198), ce qui est primordial en islam est

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l’orthopraxie, l’obéissance à la Loi révélée, avant la motivation et la sincérité intérieure. Pourtant, les Baay Faal vont inverser cet ordre de préséance en estimant, pour la plupart, que la haqiqa est supérieure à la charia. Ils sont exemptés des prières et du jeûne parce qu’ils dévouent intégralement leur vie à un marabout, en travaillant pour lui et en lui donnant tout ou partie, finalement en « se » donnant à lui (Godbout 2000). Pour eux, l’essentiel est de s’améliorer intérieurement, d’agir et d’aider les autres, tout en se détachant des contingences matérielles, afin d’atteindre Dieu et d’acquérir son assentiment. L’ascétisme prôné par les Baay Faal ne se révèle donc pas antinomique, bien au contraire, d’une action dans ce monde. Au-delà du travail, l’une de leurs maximes est Jëf, jël, littéralement « agir, prendre/recevoir », signifiant que l’homme ne reçoit qu’en proportion de ses actions (« On récolte ce que l’on sème »). Pour atteindre la perfection, et donc Dieu, le Baay Faal doit d’abord se « purifier » intérieurement, devenir humble et accepter les « épreuves de la vie », pour pouvoir se soumettre ensuite à un guide religieux, dédier sa vie à Dieu et aux autres. Fondamentalement, les Baay Faal doivent être tournés vers les autres avant eux-mêmes. Cette norme d’extranéité se concrétise dans nombreux gestes de la vie quotidienne : ils se saluent en s’abaissant mutuellement devant l’autre (sujóot), se servent systématiquement en dernier, doivent montrer continuellement la préséance qu’ils accordent aux autres ; l’accusation d’égo ïsme étant l’une des plus mal vécue et source d’intarissables tensions. La voie Baay Faal s’appuie ainsi sur une mystique pacifique qui valorise l’humilité et la compassion vis-à-vis de tout être, même si les actions violentes d’une minorité contredisent cette assertion. Cette mystique, basée sur la soumission sans bornes, l’action et la foi intérieure, a créé un yoonu Baay Faal, un chemin, une voie spécifique au sein du mouridisme et qui en constitue, en même temps, la porte d’entrée, buntu Muridiya.

14 Tout en fondant une voie particulière, Mame Cheikh influence donc profondément la formation des normes dominantes mourides, au niveau de la soumission du disciple, des vertus d’un travail physique pénible au service du marabout et de la prééminence de l’éducation par rapport à l’enseignement (pendant la tarbiyya, l’apprentissage au daara). Marginalisation religieuse n’a pas rimé avec absence de contrôle sur l’édiction des normes. L’autorité et le charisme de Mame Cheikh, en partie liés à son statut social, lui permettent d’imposer de nouvelles règles, même si les autres Mourides continuent à respecter la charia. En outre, il a eu le soutien, du moins tacite, de son maître11. Enfin, il impulse un changement de normes estimé légitime dans la mesure où il n’agit pas pour son propre compte mais pour celui de Serigne Touba et du mouridisme en général. Cette extranéité légitime in fine la transgression et la modification des normes dominantes.

15 L’influence de Cheikh Ibra Fall est telle que l’on peut parfois se demander en quoi il est le fondateur d’une voie spécifique. Dans son ouvrage Diazboul Mourid (traduit en français et publié vers 1999 au Sénégal), il ne s’inscrit pas du tout en rénovateur de la voie mouride mais en promoteur. S’il se distingue, c’est afin d’œuvrer au mieux pour Serigne Touba et non afin de s’en démarquer. La majorité des observateurs de l’époque s’y sont d’ailleurs fourvoyés en assimilant les pratiques de Mame Cheikh et ses disciples à celles de l’ensemble des Mourides.

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L’invisibilité Baay Faal

16 L’étude de la genèse du bayefallisme et du mouridisme montre leurs longues et difficiles quêtes de légitimité religieuse et, plus globalement, le déplacement progressif de la sphère de légitimité. Les racines de la voie Baay Faal plongent dans l’islam soufi confrérique qui a connu (et connaît toujours) de grandes difficultés pour faire valoir sa légitimité au sein du monde musulman. Sachant qu’il n’existe pas en islam de concile pour fixer une doctrine ni d’autorité unanime pour l’appliquer, plusieurs tendances coexistent et débattent pour asseoir leur légitimité. Selon Louis Gardet (1977 : 206) : « S’il ne saurait être question de définir en Islam une "orthodoxie" incontestée, chaque école ou chaque secte, par contre, entend se présenter, face à ses opposants, comme la "vraie religion" ou le "vrai Islam". »

17 Les premiers grands soufis (IVe siècle de l’Hégire) sont accusés de remettre en cause la transcendance divine, en affirmant leur volonté de s’anéantir en Dieu, de s’unir à lui (Arberry 1988). De plus, le culte des saints, comme l’utilisation de la musique et de la danse, fréquents chez les soufis, sont critiqués. D’autres leur reprochent leur quiétisme et leur croyance en une réalité humaine illusoire (Popovic & Veinstein 1996).

18 Dans le cadre de cet islam soufi, à partir surtout du XIXe siècle, des confréries musulmanes émergent en Afrique noire, rattachées à des centres au Maghreb ou au Moyen-Orient. Cet « islam noir », comme il est alors appelé, sera très vite dévalorisé par les observateurs et considéré globalement comme une déformation, voire une mauvaise ou fade copie de l’original. Le mépris de l’Afrique noire se superpose à la difficile légitimation confrérique. Au Sénégal, le mouridisme concentre les critiques (Robinson & Triaud 1997), d’autant qu’il a été initié par un homme du pays considéré au départ comme un « ennemi » de la puissance française. En plus d’effrayer les colons, ces derniers ne lui reconnaissent aucune profondeur religieuse, les « indigènes » n’ayant pris (et compris) que la face superficielle de l’islam en l’adaptant à leurs « mœurs et coutumes ». Pour le très influent Service des affaires musulmanes, le mouridisme est « un vagabondage islamique » où les « intérêts religieux ne constitueraient qu’un simple prétexte pour exploiter des masses ignorantes »12.

19 Pour situer ces appréciations, il faut envisager l’idéologie coloniale du début du siècle, qui marquera durablement les appréciations des observateurs. Les Français justifient leur intervention en s’envisageant comme des libérateurs, apportant progrès et civilisation. Pour cela, ils vont caricaturer à outrance le système traditionnel. Le gouverneur général de l’AOF (Afrique occidentale française) William Ponty exprime parfaitement cet état d’esprit : « En pénétrant dans ce pays, nous n’avons pas seulement agi en conquérants, nous avons surtout mis fin à ces épouvantables razzias [...]. Ce sont les sacrifices humains que nous faisions cesser en guerroyant [...] et c’est le respect de l’indigène dans sa vie que nous imposions [sic !] »13.

20 La confusion entre les exactions ceddo (guerriers esclaves de la Couronne) et l’attitude de l’ancienne royauté déchue permet une condamnation sans appel du système précolonial et conforte les colons dans leur action. Or la confrérie mouride est envisagée comme le fief des ceddo et anciens détenteurs du pouvoir. Elle sera dénigrée à ce titre puis dévalorisée en tant que « dérive » archa ïque et locale de l’islam. Au début du XXe siècle, les amalgames de l’administration permettent donc de transformer la colonisation en œuvre bienfaitrice. Toutefois, il ne faudrait pas réduire ces confusions

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au manque de lucidité et aux intérêts colons. Ces derniers s’appuyaient en effet sur des informateurs locaux pouvant signaler l’existence d’une communauté spécifique au sein des Mourides (Searing 2002).

21 Dès le départ, les Mourides dérangent au Sénégal, pour plusieurs raisons. Globalement, les autres confréries musulmanes, par peur d’être apparentées à la « secte bambiste », préfèrent renforcer l’image de Mourides incarnant à eux seuls la déviation et la dépravation par rapport à l’idéal coranique (Babou 1997 : 21). Selon la rédaction d’un étudiant de l’école des fils de chef en 1913 à propos des Mourides, « Voilà comment ils recrutent les ignorants : Admettons par exemple qu’un homme riche ou pauvre est ignorant ; un ou plusieurs mourides en mendiant, car c’est leur habitude naturelle, viennent se présenter chez lui. Après avoir reçu l’aumône, ils commencent à le flagorner. [...] Notre homme compte donc rester définitivement chez son marabout comme esclave, il travaille péniblement et se nourrit misérablement. Cependant il met toute sa confiance en lui. Notre ignorant devient donc un mouride complet. Il ne jeûne pas et ne fait pas non plus la prière. C’est en effet ce qui explique que la religion mouride est fausse » (cité par Dieye 1985 : 98).

22 Derrière les querelles religieuses, se profilent des enjeux économiques, politiques et sociaux. Les lettres d’accusation de fraude commerciale ou encore les procès pour désorganisation familiale se multiplient à l’égard des Mourides au début du siècle. En plus des troubles sociaux causés par leur extension rapide et leur contrôle commercial sur l’arachide (Copans 1988), les Mourides sont critiqués pour leur solidarité autarcique et leur prosélytisme. Mais dans les écrits, l’élément majeur de délégitimation reste leur non-respect des pratiques cultuelles, attribué à tous les Mourides. L’indifférenciation entre Baay Faal et Mourides permet donc de décrier la confrérie dans son ensemble, afin de contrer son expansion. Cependant, elle ne peut être seulement interprétée comme le fruit d’une « stratégie » délibérée des acteurs de la société de l’époque. La différenciation était effectivement très difficile à faire pendant cette période pour les non-Mourides, qui se sont probablement contentés d’une vision globale et rapide de la confrérie, sans chercher à en connaître précisément le fonctionnement.

23 En effet, les Mourides eux-mêmes prônent un discours d’unité refusant toute différenciation. La question « quelles différences y a-t-il entre un Baay Faal et un autre Mouride ? » est souvent incongrue pour les disciples. Certains interlocuteurs, généralement les plus âgés, me regardaient ébahis et me rétorquaient : Baay Faal ak Murid, benn la (Baay Faal et Murid, c’est une seule chose, ils ne font qu’un). Je devais formuler ma question autrement, sans les différencier explicitement. Parce qu’en même temps, ils sont tous capables de reconnaître et de distinguer un Baay Faal d’un autre Mouride. Par ailleurs, l’implantation Baay Faal se caractérise par une marginalisation spatiale les éloignant des centres de la vie sociale. Les Baay Faal sont connus comme étant « les principaux artisans de l’occupation des terres neuves » (Ndiaye 1985 : 102). Ils sont envoyés pour défricher les terres, accomplir les travaux les plus difficiles et deviennent, dans l’imaginaire collectif, des travailleurs infatigables au service de Serigne Touba. Par la suite, les daara vont reproduire les conditions de vie des premiers disciples défricheurs : ils doivent être éloignés des villages ou des villes et disposer d’un minimum d’infrastructures pour que les disciples s’initient au dénuement, s’extraient de leur vie sociale antérieure et se détachent des préoccupations matérielles. Enfin, les implantations Baay Faal sont toujours situées à l’écart des implantations mourides, en signe de respect et de soumission. Selon Serigne Ousseynou Fall, petit-fils de Mame Cheikh et homme politique sénégalais : « Il ne faut

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pas être trop loin du cheikh pour qu’il n’ait pas à crier, il ne faut pas être trop près pour ne pas entendre ses secrets »14.

24 L’hypothèse selon laquelle les disciples Baay Faal n’étaient pas visibles aux yeux des non-Mourides est donc plausible puisque, d’une part ils préféraient s’isoler de toute vie sociale et, d’autre part, ils refusaient eux-mêmes la distinction avec les autres Mourides. En ce sens, le rôle prédominant de Mame Cheikh dans la détermination des normes mourides a également compliqué la distinction des deux voies qui se sont, dès le départ, mutuellement nourries. Néanmoins, les « vieux » disciples reconnaissent tous l’existence d’une voie originale et spécifique, basée sur la soumission et le travail perpétuel pour le cheikh et passant par l’absence de prière et de jeûne. Il est pourtant envisageable que la voie Baay Faal se soit aussi progressivement construite et singularisée. Les pratiques des Mourides en général étant initialement peu rigides, les comportements des uns et des autres se sont probablement peu à peu cristallisés.

Identification stigmatisante des Baay Faal

25 À partir des années 1930, les Baay Faal acquièrent une visibilité croissante en s’intégrant à la vie sociale sénégalaise à la sortie des daara (investissant massivement plusieurs villes du Sénégal), en adoptant une « présentation de soi » communautaire et en s’institutionnalisant par la mise en place d’un khalifat général. En effet, au décès de Cheikh Ibra Fall en juin 1930, son fils aîné Serigne Modou Moustapha Fall devient le khalife général des Baay Faal, c’est-à-dire représentant de son père (khalife) et dirigeant communautaire de tous les Baay Faal (khalife général). C’est d’ailleurs à partir de cette succession que les observateurs notent l’existence d’un « courant » ou d’une « famille » Baay Faal (Quesnot 1962 : 158), sans toutefois relever leur particularité de pratique.

26 Face à la situation sociale explosive des années 1930 (multiplication des grèves et des manifestations), les successeurs des fondateurs appellent leurs disciples au calme et à la mesure. De ce fait, les colons vont de plus en plus s’appuyer sur leur autorité, d’autant que l’islam lui-même en vient à être considéré comme un élément stabilisateur. Si le mépris pour la culture et l’homme sénégalais persiste le plus souvent (et parfois de façon virulente), les rapports administratifs deviennent de plus en plus favorables aux Mourides. En 1930, selon le commandant du cercle de Diourbel : « La formule "Qui travaille prie" est heureuse dans une région où l’indigène est paresseux, elle fait sortir de l’apathie »15. Bien que la confusion entre Baay Faal et autres Mourides persiste, la confrérie dans son ensemble n’est plus jugée dangereuse et pernicieuse. Après la guerre, une recrudescence d’intérêt se fait ressentir autour de l’islam africain. Avant que les Bureaux d’affaires musulmanes ne soient supprimés en 1956, ils connaissent un regain d’activité (Robinson & Triaud 1997). Parallèlement, des auteurs comme Vincent Monteil (1980) participent à la réhabilitation de « l’islam noir ». On reconnaît désormais la sincérité de la foi musulmane des Africains et on commence (timidement) à analyser leurs mystiques.

27 En ce qui concerne les Baay Faal, le premier à les identifier est l’administrateur Abel Bourlon (1962 : 61) qui les qualifie de « fanatiques » sans s’étendre davantage. Michel Villeneuve (1959 : n.p.), dans son étude sur la région arachidière, défend l’orthodoxie de l’enseignement de Cheikh Amadou Bamba en dénonçant la voie Baay Faal : « Tout ce qu’Amadou Bamba admit de son vivant en fait de manifestations excentriques, de bizarreries, tout ce qu’il toléra dans l’utilisation que peut faire le

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marabout du dévouement de ses talibés, tout cela qui fit autrefois du tort, dans bien des esprits, à la confrérie entière, semble aujourd’hui regroupé dans la branche des Baye Fall. Il faut insister sur ce fait qui a été complètement négligé jusqu’à présent. [...] Totalement et fanatiquement dévoué à son marabout, le Baye Fall donne une part importante de ses ressources et se groupe volontiers selon la formule du colonat maraboutique. Poussant les choses à l’extrême, il ne s’instruit pas. »

28 Dans le même temps, se met en place au Sénégal une grande propagande anti- confrérique, de la part non plus des colons ou des observateurs étrangers, mais des autres musulmans sénégalais (Gomez-Perez 1997). Même s’il touche une élite restreinte, l’islam réformiste, arabisant, légaliste, accentue la pression sur les confréries. Ces dernières vont essayer de modérer ces critiques en contrôlant les excès de certains disciples et en amorçant généralement des politiques davantage rigoristes. Le premier auteur sénégalais sur la question, Cheikh Tidiane Sy (1969 : 287), est probablement le plus virulent à l’égard des Baay Faal : « Le fidèle a complètement dénaturé l’enseignement d’Ahmadou Bamba. L’aspect positif du bambisme lui a complètement échappé dans la mesure où à la foi, à l’amour de la religion, il a substitué gaillardement le côté sanction. Il semble que pour le Baay Faal, en effet, la religion est une affaire de marchandage. Il ne prie pas pour aller au Paradis ou récolter les faveurs divines. Il préfère monnayer son travail, ce qui enlève même à son effort physique toute sa signification : la foi ardente n’y est pas. Le "bayefallisme" n’est donc rien d’autre qu’un non-sens, une caricature du mouridisme. »

29 Les autres musulmans s’emploient ainsi à démontrer que les Baay Faal ne peuvent être considérés comme des musulmans légitimes. Selon les témoignages, la voie Baay Faal est estimée excentrique, fanatique ou pa ïenne.

30 De surcroît, les Baay Faal vont être envisagés en tant que disciples provenant des catégories sociales les plus basses ou les plus dénigrées de la société wolof. Tous les vieux Baay Faal relatent l’infériorisation dans laquelle ils étaient placés par le reste de la population. Leurs pratiques religieuses, telles que le maajal (demande d’aumône) groupé et chanté ou la , leur isolement au sein des daara et leur apparence (vêtements rapiécés, cheveux longs, etc.) les confondent avec des « fous », des « mendiants » ou d’anciens esclaves (ceddo ou plus largement, jaam, les hommes de condition servile). La présentation de soi Baay Faal semble en effet être le premier élément de dénigrement et de peur. Progressivement, les Baay Faal se reconnaissent par leur port du laaxasay16, une large ceinture de cuir, du njaaxas17, un vêtement rapiécé ou en patchwork, et de divers accessoires comme le doomubaay18, le collier de cuir ou le kuur19, le pilon à mil. Pour les observateurs extérieurs, leurs cheveux longs non coiffés et leurs gris-gris les assimilent à des animistes, ou plutôt à des non-musulmans. Le port des njeñ, des « dreadlocks » en anglais, comme élément d’identification communautaire, fait toujours l’objet de controverses. Pour de nombreux Baay Faal, les njeñ symbolisent le dénuement et la dévotion du disciple, n’ayant pas le temps de se coiffer et ne se préoccupant pas du regard des autres. Pourtant, sur ce point, l’histoire orale se fait multiple et engendre des débats. Pour Mame Fallou Niang par exemple, Cheikh Ibra ne portait pas de njeñ parce qu’il était « propre ». Ces éléments vont toutefois devenir des marqueurs Baay Faal, même si une partie non négligeable des disciples ne s’y conforme pas.

31 En outre, les pratiques religieuses les plus hétérodoxes vont être progressivement associées aux seuls Baay Faal, ces derniers devenant les continuateurs des « traditions » précoloniales, qu’ils soient les successeurs des animistes ou des ceddo. La pratique la

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plus impressionnante, et donc celle qui va retenir l’attention des observateurs, est la flagellation. En effet, certains Baay Faal se flagellent dans des moments de transe parce qu’ils auraient reçu, à un moment précis, une lumière divine aveuglante sans réussir à maîtriser cet afflux20. Les séances de flagellation mais aussi leur volonté de faire respecter, par la force si besoin est, les ordres maraboutiques en font des « soldats » redoutés. Ils seront d’ailleurs chargés pendant un temps de s’occuper du service d’ordre du Grand Magal de Touba, la principale cérémonie de la confrérie mouride instaurée par le premier khalife général en 1927. Selon Donal Cruise O’Brien (1971 : 151), le premier chercheur s’étant intéressé aux Baay Faal, « ce goût pour la violence, combiné avec l’amour pour l’alcool est une forte réminiscence des tyéddo du Kayor ». Il envisage d’ailleurs Cheikh Ibra Fall comme le fils d’un ceddo, alors que selon mes enquêtes, il descend d’Amadou Fall, petit marabout de la région de Kébémer qui, s’il appartenait à une famille de damel, ne pouvait prétendre au trône. Mais comme leur maître, les disciples Baay Faal vont être envisagés comme des ceddo, désignant non plus une catégorie sociale mais des hommes violents, représentants d’un pouvoir oppressif (Coulon 1988 : 23) ou potentiellement peu portés sur la religion, voire anticléricaux (Copans 1979 : 848).

32 À partir du moment où ils sont différenciés des autres Mourides, les Baay Faal vont donc être étiquetés comme de mauvais musulmans ou des disciples fanatiques. Cette stigmatisation est d’autant plus forte dans les zones éloignées des installations Baay Faal, chez les acteurs qui ne les côtoient pas ou très peu (que ce soit à Dakar, Saint- Louis, sans parler de la Casamance ou du Sénégal oriental). Le manque de connaissance de la communauté entraîne irrémédiablement un plus grand succès des rumeurs les plus loufoques et les plus terrifiantes (comme celles d’empoisonnement des disciples par exemple). Finalement, si la déviance est affirmée au niveau des normes religieuses, elle est condamnable parce que les disciples transgressent les normes de la vie sociale sénégalaise. Ce n’est pas la transgression en elle-même qui étiquette mais le fait qu’elle devienne inacceptable pour le reste de la société, ou du moins pour ses acteurs dominants. En revanche, l’étiquetage religieux n’aboutit ni à l’exclusion ni à la condamnation, du moins officielle, de la communauté au sein du mouridisme. À l’image de certains groupes tidjanes haalpulaaren (Sall 2004 ; Schmitz 2000), les Baay Faal en tant que personnages marginaux en viennent même à constituer les « policiers de la morale islamique ».

33 À partir des années 1970-1980, les Mourides vont tenter de faire valoir, sur la scène publique, leur légitimité religieuse. Face aux accusations de toutes sortes (pratiques pa ïennes, anti-islamiques, polythéistes), « certains dirigeants confrériques, par exemple les Mourides sénégalais, conscients du problème, tentent de limiter ces pratiques, sans toutefois prononcer de condamnation formelle » (Hames 1996 : 529). Dans ce cadre, tout le monde doit comprendre que les Mourides respectent les préceptes du Coran et que seuls les Baay Faal peuvent en être exemptés. La confrérie, par le biais de ses dirigeants mais surtout grâce aux initiatives des disciples, s’engage donc dans la lutte de légitimité musulmane. Les Mourides multiplient les conférences, à Dakar ou à Paris (1979 à l’Unesco) et créent fédérations et daaira (association confrérique), qui investissent dans la ville de Touba (Gueye 2002) et mettent en place des réseaux internationaux (Ebin 1992, 1995 ; Bava 2002 ; Riccio 2006). Certaines, telle la daaira des étudiants mourides ou Hizbut Tarqiyya, sont très actives pour affirmer et démontrer l’orthodoxie de Cheikh Amadou Bamba et des Mourides (Bava & Gueye 2001). Quant à la hiérarchie khalifale, elle va promouvoir des règles strictes pour les disciples, à l’image

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de celles édictées par Serigne Abdou Lahat Mbacké pour la ville de Touba en 1980, tout en reconnaissant et « acceptant » la hiérarchie Palène (descendants de Mame Cheikh) et son comportement. Dans un contexte d’âpres luttes religieuses, la différenciation des Baay Faal devient donc nécessaire pour que la confrérie mouride dans son ensemble puisse prouver son orthodoxie et acquérir une certaine légitimité. Ainsi, les Baay Faal sont étiquetés autant parce que les observateurs les associent à un ensemble de pratiques religieuses estimées non conformes que parce que les Mourides ont intérêt à s’en dissocier pour réaffirmer leur propre attachement aux normes coraniques. Certaines voix vont d’ailleurs s’élever pour prôner un retour à l’orthodoxie musulmane et inciter les Baay Faal à respecter la charia. Pour Serigne Modou Kara Mbacké, le « marabout des jeunes » ou Serigne Moustapha Seye, fils d’un cheikh Baay Faal de Rufisque, les Baay Faal doivent prier, jeûner et, de surcroît, être des disciples entièrement dévoués à leur guide religieux. Cependant, malgré ces débats, la grande majorité des Baay Faal ne respecte toujours pas les pratiques cultuelles et suit en cela sa hiérarchie khalifale. Quant aux khalifes mourides, ils n’ont jamais condamné les Baay Faal au nom de la « tradition » et pour des raisons d’alliances maraboutiques, s’assurant ainsi le soutien de serviteurs dévoués.

« Auto-étiquetage » et dynamiques internes de marginalisation

34 La notion d’« auto-étiquetage » désigne le processus par lequel les acteurs étiquetés participent eux-mêmes à leur étiquetage. Elle renvoie à la notion de marginalité qui, à la différence de la déviance, sous-entend que les acteurs concernés revendiquent ou du moins assument leur transgression ou leur prise de distance par rapport aux normes dominantes. La notion de déviance, bien qu’incluant théoriquement la marginalité, évoque généralement un processus subi, dans lequel les acteurs vont tenter de masquer cette déviance (cacher un passé de délinquant, mentir sur la consommation de drogue, etc.) ; tandis que les marginaux l’affichent, souvent par une stigmatisation visuelle volontaire (vêtements, coiffure, scarifications, etc.) et ensuite par la maîtrise d’une rhétorique justificatrice. Comment peut-on envisager l’« auto-étiquetage » des Baay Faal ? Pourquoi et dans quelle mesure mettraient-ils en œuvre ce mécanisme ?

35 L’élément de réponse le plus évident est leur « présentation de soi » qui n’est pas précisément conciliatrice, comme nous l’avons vu, dans la société sénégalaise. Les Baay Faal assument pleinement ce choix. Pour eux, être Baay Faal est un élément de fierté qui mérite d’être affiché, quel qu’en soit le prix. S’ils sont des « fous » ou des « esclaves », c’est vis-à-vis de Dieu. S’est ainsi élaborée dans la communauté une revendication mystique du non-respect des normes coraniques. Selon Sokhna A ïssa Mbow de Ndem, « Le fait de ne pas respecter les piliers de l’islam, c’est important parce que ça nécessite alors, pour être accepté dans la communauté musulmane et s’en sentir digne, tout un travail sur soi-même, toute une réflexion, une méditation sur ses propres actions, sur la nécessité de tout axer vers Dieu. Le travail devient primordial, au centre, et non plus accessoire. Le seul moyen de faire état de sa foi, c’est par les actions. L’identité est basée sur les actions quotidiennes. Le bayefallisme est une voie intérieure qui exige l’être humain dans sa totalité »21.

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36 La transgression des normes coraniques fait partie du chemin Baay Faal, et c’est pourquoi il est un chemin difficile. Il exige une certitude intérieure sans faille, afin de pouvoir outrepasser la stigmatisation qu’entraîne cette transgression.

37 Au-delà de la question des pratiques cultuelles, le discours Baay Faal tend à valoriser la marginalisation sociale pouvant être subie par les disciples. Tous relatent l’exclusion endurée par Mame Cheikh quand il était taalibe. Un jour, alors qu’il demandait l’aumône à Saint-Louis, un maître de maison l’aurait chassé brutalement sans lui donner à manger. Le lendemain, Mame Cheikh serait revenu, richement vêtu, et aurait été accueilli à bras ouverts. Il aurait alors refusé la nourriture qu’on lui offrait, faisant ainsi « honte » aux habitants de la concession. Par cette anecdote, les disciples inversent le processus de marginalisation en montrant que les autres sont dans l’erreur car ils s’attachent au visible, à l’apparence. L’infériorisation des Baay Faal n’est qu’illusion ; « dans la réalité », ils sont supérieurs. Leur stigmatisation est due au manque de perspicacité des autres et en vient à être valorisée comme signe d’élection divine. Comme Cheikh Ibra Fall, le disciple doit être confronté à l’opprobre social et doit pouvoir dépasser cette épreuve en se détachant du regard des autres. Seules les difficultés de la vie, les « épreuves » peuvent lui permettre d’avancer sur la voie. Plus les épreuves sont difficiles socialement (incompréhension, désapprobation, mise à l’écart, rupture des liens), plus le disciple y trouve une preuve de sa détermination et de sa force. En outre, la socialisation Baay Faal est généralement basée sur l’imprégnation et la nécessité de ne pas guider excessivement le disciple. Comme ils me l’ont souvent répété — et c’est l’un des éléments ayant rendu parfois difficile mon travail de terrain — la voie se vit mais ne s’apprend ou ne s’explique pas. Ainsi, l’adepte en formation est envisagé comme un être imparfait, et donc faillible, dont le cœur importe davantage que les actes (Audrain 2004). La voie Baay Faal engendre en ce sens une « tolérance idéologique » (Werner 1997), même si une partie importante des Baay Faal la réfute en estimant que la pratique individuelle doit rendre compte de la foi intérieure, que le respect des normes maraboutiques doit être la traduction concrète de l’authenticité et de la certitude subjective, afin de mériter pleinement l’identité Baay Faal. Mais même pour cette majorité, les normes régissant leur pratique peuvent être fluctuantes, ne serait-ce qu’en fonction du marabout qui les promeut. Les Baay Faal ont une large marge d’action tant qu’ils respectent les ndigël (ordre, recommandation) de leur cheikh, qui restent souvent d’ordre général, et même tant que la norme de soumission n’est pas frontalement remise en cause.

38 Cette « tolérance idéologique » explique en partie la multiplication depuis les années 1980-1990, principalement dans les zones urbaines et la mégalopole dakaroise, de jeunes Baay Faal inactifs relativement déconnectés de la hiérarchie maraboutique. Subissant de plein fouet la paupérisation et l’urbanisation rapide et massive du Sénégal, plusieurs « cadets » célibataires et goorgoorlu, c’est-à-dire à la recherche quotidienne de revenus, se convertissent au « bayefallisme », tout en suivant une trajectoire religieuse autonome de la hiérarchie maraboutique. Ils sont envisagés comme des usurpateurs par les autres Baay Faal et accusés d’adhérer à la voie par facilité et pour couvrir leur inactivité ou leurs pratiques illégales (comme la consommation de yamba, de cannabis). La hiérarchie khalifale condamne ces « dérives » et tous les Baay Faal, y compris ceux transgressant les normes communautaires, veulent désormais se démarquer de ces « Baye-faux », selon l’expression consacrée. La sphère de légitimité se resserre à nouveau et pénètre au sein même de la communauté.

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39 Malgré cela, les Baay Faal regroupent aujourd’hui entre 300 000 et 500 000 membres au Sénégal et dans le monde22. Cette expansion se comprend surtout, à mon sens, par les mécanismes d’intégration mis en œuvre par la communauté. Pour les jeunes goorgoorlu, devenir Baay Faal, c’est acquérir un rôle social, être un soldat et un gardien du mouridisme et un gore Yalla, un homme de Dieu. Partir au daara, c’est parfois fuir la désaffection familiale, le célibat, l’inactivité et la honte du chômage, voire les problèmes de drogue et la justice. Au moins, le disciple acquiert une certaine estime de soi et la reconnaissance de ses confrères. Il est de plus assuré d’être accueilli sans encombre dans les diverses institutions communautaires (daara, daaira, concession d’un marabout, etc.) et y est incité par quelques marabouts, plus ou moins ambitieux. Certains, comme Serigne Modou Kara, insistent sur le fait que leur rôle, voire leur mission est de « sauver les âmes perdues » et s’adressent directement aux marginaux de la société sénégalaise. Pour eux, les Baay Faal doivent intégrer ceux que la modernité individualiste et capitaliste rejette. Ils leur ouvrent une porte de sortie, qui peut en effet s’avérer salvatrice pour des individus dont l’avenir dans la société sénégalaise est bien sombre.

40 *

41 En fin de compte, les dynamiques de marginalisation des Baay Faal me semblent combiner trois éléments. Le premier est constitué des différentes représentations collectives se formant à propos d’un groupe, devant d’abord être « visible », c’est-à-dire exister aux yeux des autres, avant d’être stigmatisé en tant que groupe marginal ou déviant. Se mêle ensuite à cet étiquetage, l’effectivité de la transgression ou plutôt de la prise de distance par rapport à différentes normes sociales. En plus des pratiques cultuelles, se met progressivement en place une construction de « marqueurs » communautaires stigmatisants, tels que la présentation de soi, les pratiques de flagellation ou encore le maajal collectif et chanté. Enfin, il y a surtout un « imaginaire » interne au groupe, qui tolère, voire incite à un rapport réflexif par rapport aux normes extra-communautaires. Tout en « suivant » leur marabout, les Baay Faal doivent apprendre à se détacher des « choses de ce monde », de la quête du matériel, du pouvoir temporel, de la reconnaissance sociale ou des plaisirs charnels. S’ils ont souvent peu d’interaction avec leur maître (en dehors de la ziar, visite collective lors du Grand Magal), ils vont bricoler les pans justificatifs de leur trajectoire en insistant sur l’importance du cœur et de l’intention. Ils s’envisagent eux-mêmes à la marge d’une société estimée viciée et corrompue dont ils refusent les normes de réussite matérielle et d’individualisme. Les Baay Faal les plus marginalisés socialement, qui vivent au sein de « micro-communautés » à Gorée, Ngor, Sally ou dans les daara des banlieues dakaroises (Pikine, Thiaroye, etc.) suivent, comme une partie des jeunes musulmans convertis en France, un « islam d’exclusion » (Khosrokhavar 1997) : « [Les jeunes musulmans placés dans les situations sociales les plus précaires] retournent leur marginalité en une exigence religieuse radicale de séparation d’un monde mauvais. Exclus par la société, ils choisissent de se couper d’elle. Nécessité sociale est ainsi faite vertu religieuse. »

42 De même, les Baay Faal goorgoorlu disent avoir choisi d’être pauvres et célibataires pour se consacrer intégralement à Dieu, au marabout et pour affronter les épreuves de la vie. En même temps, dès que l’occasion se présentera, une partie importante de ces Baay Faal goorgoorlu n’hésitera pas à s’extirper de cette marginalisation sociale pour devenir un adulte reconnu, un aîné, un boroom-kër (chef de concession et de famille). Il ne faut pas oublier que les modes d’adhésion et d’identification de ces disciples goorgoorlu sont

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minoritaires et très critiqués chez les Baay Faal. La majorité reste constituée de disciples relativement bien intégrés dans la société et suivant des trajectoires religieuses de type mystique (engagement total) ou traditionnel (engagement modéré et familial). Quoi qu’il en soit, la communauté Baay Faal permet de préserver l’existence de structures d’accueil ouvertes pour les plus marginalisés socialement, limitant ainsi l’essor des fondamentalismes religieux au Sénégal et l’explosion du mécontentement social.

43 Aujourd’hui, bien que les Baay Faal suscitent encore des représentations collectives contradictoires, ils ont réussi à acquérir une certaine légitimité dans le champ religieux sénégalais. Désormais, les « vrais » Baay Faal sont le plus souvent reconnus en tant que « bons » musulmans. C’est donc davantage le comportement de certains disciples que l’identité communautaire qui est stigmatisé. Dans un contexte de paupérisation et de « crise des valeurs », les Baay Faal deviennent même porteurs d’un projet de société exaltant la soumission, le travail et la tolérance, alors qu’ils n’étaient, au début du siècle, qu’un petit groupe d’hérétiques. L’aboutissement de la légitimation religieuse des Baay Faal bute maintenant sur leur non-respect des pratiques cultuelles, nœud autour duquel se concentrent les débats, dans un climat religieux favorable au rigorisme. Pour poursuivre cette quête de légitimité, ils doivent choisir entre l’explicitation et l’argumentation de ce non-respect ou un changement de normes religieuses en appelant au respect des piliers. Les Baay Faal, au premier rang desquels la hiérarchie khalifale, ont majoritairement fait le premier choix. De toute façon, les marabouts ne disposent pas de moyens de coercition et de contrôle de leurs disciples, hormis la menace du châtiment divin. En ce sens, la tolérance est pratique avant d’être idéologique. Le Baay Faal doit être soumis, mais peut ne voir son marabout qu’une fois dans l’année, avec les membres de son daaira (association confrérique) par exemple ; le disciple doit donner mais tout dépend de ses possibilités et de son degré d’engagement ; le disciple doit être vertueux et respecter les normes dominantes, mais ses transgressions n’entraînent ni exclusion ni sanction, exceptée morale. Si la hiérarchie khalifale essaye aujourd’hui de freiner les tendances à l’autonomisation des disciples, ses efforts se heurtent au passé de la voie ou plutôt à sa mémoire. La diversité s’exprime toujours à travers les diverses reconstructions de l’épopée de Mame Cheikh, basée sur des histoires orales et les interprétations de ses ndigël, source ultime de légitimation.

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NOTES

1. Les termes entre guillemets sont utilisés par les Baay Faal en français. 2. La notion de visibilité ne renvoie pas, dans ce cadre, au fait que les Baay Faal puissent être identifiés par la vue mais au fait qu’ils sont perçus par les autres, qu’ils existent à leurs yeux. Voir E. GOFFMAN (1975), qui souligne que « le concept de visibilité ne se prête pas à un usage vraiment sûr tant qu’on ne l’a pas distingué de trois autres notions souvent confondues avec lui » : la « notoriété » du stigmate, son « importunité » (à quel point il contrarie le flux de l’interaction) et son « foyer apparent » (dans quelle sphère d’activité l’individu se trouve exclu par son stigmate). Ces précautions sont nécessaires dans la mesure où Goffman emploie le terme de « visibilité » exclusivement en tant que stigmate visuel.

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3. Comme le souligne Ibrahima DIENG (1993 : 25), auteur d’une maîtrise d’histoire sur Cheikh Ibra Fall : « Il y a autant de Cheikh Ibra Fall qu’il y a de mourides. C’est la raison pour laquelle même dans les milieux Baye Fall les plus crédibles, il y a tellement de points d’interrogation que le chercheur qui s’y acharnerait pourrait être exposé à des rétorsions pour blasphèmes. » 4. Il sera déporté au Gabon pendant sept ans (1895-1902), puis en Mauritanie (1903-1907), avant d’être assigné à résidence au Sénégal. 5. Fiche de renseignement no 17, bobine 200 MI 895, Archives nationales section Outre Mer (Paris). 6. Rapport politique annuel d’ensemble, 1930, cercle de Diourbel, 2 G 30-85, Archives nationales du Sénégal (Dakar). 7. Entretien enregistré en wolof, 05 mai 2000, Mbacké. 8. Terme utilisé en français par les disciples. 9. En témoignent diverses lettres adressées à l’administration et le financement de la campagne électorale de François Carpot en 1902. 10. Ce surnom sera octroyé au plus haut minaret de la Grande mosquée de Touba en hommage à Mame Cheikh, lors de l’inauguration de la mosquée en 1963. 11. Ce point constitue, encore aujourd’hui, l’enjeu central des débats. Le khalife général des Mourides (de 1968 à 1989) Serigne Abdou Lahat Mbacké fait publier une lettre de Serigne Touba dans laquelle il exhorte Mame Cheikh à respecter la prière. La majorité des Baay Faal ne nie pas l’existence de cette lettre mais ajoute que, devant l’obstination de Mame Cheikh, Serigne Touba aurait finalement accepté son comportement. Par ailleurs, d’autres estiment que seul Cheikh Ibra Fall était exempté à cause de sa folie, les autres Baay Faal devant respecter la charia. 12. L’expression « vagabondage islamique » est de P. Marty, reprise dans une lettre de W. Ponty du 12 janvier 1912, bobine 200 MI 1072, série 17 G 39, Centre des Archives d’Outre-Mer (Aix-en-Provence). 13. Lettre d’avril 1913 adressée aux lieutenants-gouverneurs de l’AOF, document no 16, bobine 200 MI 1072, série 17G38, Centre des Archives d’Outre-Mer (Aix-en-Provence). 14. Entretien noté en français, 18 juillet 2002, Dakar. 15. Rapport politique 1930, cercle de Diourbel, 2 G 30-85, ANS. 16. Le verbe laaxas signifie bander, enrouler. La ceinture, qui est au départ le signe distinctif des takk-der, des disciples des daara, est l’emblème du travailleur ne devant pas s’encombrer d’un grand boubou, devant toujours être prêt pour effectuer le travail demandé. Elle sert également, selon certains, de coupe-faim en bloquant l’estomac. 17. Ce vêtement recèle une symbolique forte rappelant les premiers soufis, l’ayant adopté parce qu’il représente le dénuement et l’humilité. 18. Collier de cuir, qui permet, selon ceux qui le portent, de les protéger du Mal et de la Tentation. De même, les dombë sont portés en tant que « gris-gris » et renferment généralement des versets du Coran bénis par le marabout. 19. Symbolise la force Baay Faal, leur rôle de défense (de « soldats » du marabout) et souligne la difficulté d’être Baay Faal, d’être celui « en première ligne », d’être celui devant affronter sereinement toutes les difficultés de la vie (y compris l’établissement dans des zones inhospitalières).

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20. Cette pratique est aujourd’hui critiquée au sein même des Baay Faal, l’ancien khalife général Serigne Modou Aminata Fall (décédé en janvier 2006) l’avait d’ailleurs déconseillée à ses disciples à la fin des années 1990. 21. Discussion en français notée a posteriori, 17 juillet 2000, Ndem. 22. Ces chiffres, à utiliser avec prudence, sont le fruit de mes observations et discussions (avec les chercheurs et les Baay Faal) et représentent une proportion de un à deux Baay Faal pour dix Mourides (évalués à trois millions).

RÉSUMÉS

La communauté Baay Faal des Mourides du Sénégal a connu, dès sa constitution à la fin du XIX e siècle, une forte stigmatisation de la part des observateurs extérieurs, au premier rang desquels les colons français. Considérés comme des « fous » et assimilés à des « mauvais » musulmans parce qu’ils ne respectent pas les pratiques cultuelles, les Baay Faal revendiquent toutefois leur pleine inscription dans le soufisme et tentent, depuis les années 1970, de faire valoir leur légitimité. Cet objectif est aujourd’hui partiellement atteint, même si la communauté doit relever un nouveau défi : l’intégration de jeunes urbains marginaux déconnectés de la hiérarchie maraboutique. Cet article se propose de comprendre ces processus de stigmatisation paradoxale dans la mesure où l’engouement suscité par la communauté au Sénégal et dans le monde ne se dément pas.

Story of Baay Faal Paradoxical Stigma: Islam, Colonization and auto-labeling in Senegal. The Baay Faal community—which belongs to the Murid brotherhood of Senegal—has known, since its constitution at the end of the 19th century, a strong stigmatization on behalf of the external observers, first of all on behalf of French colonists. Disregarded as the "insane ones" and considered as "bad" Moslems because they do not respect all the worship practices, Baay Faal however assert their full inscription in Sufism and try, since the 1970’s, to establish their legitimacy. This goal is partially achieved today, even if the community must face a new challenge: the incorporation of marginal urban and young disciples often disconnected from the maraboutic hierarchy. This article proposes to understand these processes of paradoxical stigmatization, given that the success of the community in Senegal and even in the world is not contradicted.

INDEX

Mots-clés : Sénégal, Mouride Baay Faal, Cheikh Ibrahima Fall, étiquetage, islam, norme, soufisme, stigmate, marginalité Keywords : Senegal, Murid Brotherhood, Baay Faal, Cheik Ibrahima Fall, Labeling, Islam, Norm, Sufism, Stigma, Deviance

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AUTEUR

CHARLOTTE PEZERIL EHESS, Paris & FUSL (Facultés universitaires Saint-Louis), Bruxelles

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Pratiques du corps, ethnicité et métissages culturels dans le Rwanda colonial (1945-1952)

Thomas Riot

1 En s’appuyant sur les spécificités historiques du Rwanda du colonial tardif, ce texte propose d’étudier les transformations sociales et culturelles d’une société en mouvement par l’analyse des dynamiques de réinvention, de perpétuation, d’implantation et de réinterprétation de pratiques sociales concrètes, corporelles et sportives en particulier. Cette période fut marquée par une rupture au cours de laquelle la société rwandaise, après avoir été quasi entièrement dominée par l’institution coloniale1 (administration belge et missions catholiques), a vu émerger des groupes d’élites minoritaires, qui, en utilisant une palette de marqueurs sociaux et culturels, s’inséraient peu à peu dans la culture du dominant pour revendiquer de nouvelles formes d’autonomie. Mais au Rwanda, cette configuration ne peut s’envisager en dehors de l’utilisation — par le colonisateur puis par la fraction lettrée des colonisés — d’une « arme » qualifiée d’ethnique. L’essentialisation à caractère socio-racial de la population avait permis de creuser le fossé séparant une poignée d’instruits majoritairement tutsi d’une masse « d’ignorants » largement représentée par la catégorie hutu (Vidal 1991 : 28-29). Dans ce cadre, certains processus tels que la réinvention d’anciennes pratiques guerrières, la diffusion des sports modernes ou encore des formes coloniales du scoutisme prirent corps, en s’articulant ensemble. Ceux-ci, avec d’autres, ont pu créer les conditions d’émergence de cette classe intermédiaire « d’évolués ». Ces pratiques, les institutions qui les organisaient et auxquelles elles appartenaient, furent essentiellement relayées par les missions catholiques. L’école, les structures associatives sportives, sociales et culturelles ainsi que certains mouvements de jeunesse, souvent contrôlés par ces dernières, intervenaient alors tels des moteurs de transformations sociales et culturelles plus larges, en particulier du point de vue du jeu ethnique et des mécanismes de l’acculturation.

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2 Il convient alors d’envisager conjointement deux plans d’analyse. Le premier concerne les mécanismes de métissages culturels (Amselle 1990), d’hybridations sociales, voire de « créolisation » (Hannerz 1987). Ainsi, la consommation du football, des danses guerrières ou de l’athlétisme est appréhendée au sein d’une société en mutation — située dans un entre-deux culturel2 —, comme des phénomènes participant à l’émergence d’une nouvelle culture qui s’actualise et se synthétise au regard des différentes interprétations qu’elle subit (Baudrillard 1972 ; De Lame 1996). Les logiques de réinvention et d’implantation de ces pratiques nous font identifier deux types de processus d’hybridation : d’une part l’acclimatation de pratiques locales à la vision coloniale de cette culture, de l’autre la diffusion et la redéfinition d’une pratique occidentale qui s’insère dans la culture du colonisé. Cette articulation de l’ancien et du nouveau, de l’ailleurs et du local, semble alors fonder les modalités d’une acculturation des corps en même temps qu’elle nous permet de l’envisager sous ses aspects politiques. Ainsi, le second plan de l’étude consistera à analyser ces activités — en tant que techniques corporelles apprises et intériorisées — comme capables, par les éléments de subjectivation qu’elles permettent de s’approprier (objets, règles, mouvements...), de fonder un accès au pouvoir, et donc une motricité politisée et structurée dans des modes d’actions spécifiques. J.-F. Bayart et J.-P. Warnier (2004) définissent en effet les techniques du corps liées aux loisirs comme des pratiques sociales par lesquelles se joue la subjectivation en tant que technique de domination exercée sur les autres et comme technique de soi. En référence à l’œuvre de Michel Foucault, nous pouvons en effet considérer ces activités comme des médiations qui viennent structurer, en agissant sur le corps, le champ d’action des autres. Cette gouvernementalité, et plus largement l’instrumentalisation des pratiques corporelles et sportives du Rwanda colonial instituent donc leur rôle dans le cadre des processus d’incorporation du pouvoir.

3 Après avoir mesuré la fonction et les impacts d’une théâtralisation du corps rwandais inséré dans la société coloniale, j’évaluerai la manière dont ces activités — en créant les conditions physiques et culturelles d’émergence des élites « évoluées » — entrent au service d’un accès privilégié à des styles de vie européanisés. Enfin, certaines stratégies de diffusion et d’appropriation du pouvoir, relayées par ces pratiques, pourront révéler, outre les enjeux sociaux et politiques qui les portent, les conflits identitaires qui les menacent.

Jubilations sportives

Manifestations politico-religieuses et mise en scène des corps

Le jubilé du Ruanda catholique 1900-1950

4 Mgr Déprimoz, en tant que vicaire apostolique, présida les 13, 14 et 15 août 1950 le jubilé de la mission catholique au Ruanda. Étaient de même présentes de nombreuses autorités coloniales, religieuses et coutumières, responsables de l’administration et de l’évangélisation des royaumes du Ruanda et de l’Urundi3.

5 La célébration de ce cinquantenaire devait alors marquer l’union — sans distinction — de tous les Banyarwanda devant l’emprise du catholicisme sur la société rwandaise. Pourtant, les missionnaires catholiques (de Lacger 1939 ; Pagès 1933) comme les administrateurs belges (Bourgeois 1957 ; Ryckmans 1936) ne considéraient pas cette

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population comme indifférenciée. L’organisation socio-économique du pays s’appuyait en effet sur des clivages socio-ethniques hiérarchisés et largement institués durant ces cinquante années de colonisation. Au sommet de cette configuration se trouvait la catégorie tutsi, composée de « grands seigneurs pasteurs » perçus comme légitimement destinés à encadrer et à exploiter la masse des « Hutu agriculteurs » (Chrétien 2000 : 245-252). Une part infime de la catégorie très minoritaire des Twa entretenait les « bouffonneries » de la cour, tandis que les autres s’adonnaient à leurs « pratiques favorites » : la chasse, la poterie, la cueillette.

6 La revue L’Ami4 (1950 : 165) présenta ces journées comme les jours pendant lesquels le peuple du Rwanda devait rendre honneur aux bienfaits apportés par la civilisation chrétienne, avec l’aide matérielle de la Belgique : « Les batteries de tambour nous préparent au cortège des nombreux évêques qui, suivis des autorités civiles du pays, avancent religieusement sous la voûte des arcs et lances des "NTORE" formant la haie, haie vivante d’hommes au torse bistré, zébré de perles. »

7 Il est utile de préciser que cette haie de « Ntore » était exclusivement composée de jeunes Tutsi, fils de la noblesse du royaume. Ce sont ces célèbres danseurs-guerriers, considérés comme la jeune élite traditionnelle du Rwanda. En représentant une forme d’intemporalité spécifique au pays, ils sont ainsi censés accueillir leurs hôtes civilisateurs. Cette image évoque donc la soumission de l’ancien royaume à ses nouvelles dispositions en même temps qu’elle rend hommage aux « progrès de la civilisation ». La mise en scène consiste à resserrer les liens entre une culture immémoriale et un présent catholique ; elle est incarnée par des corps tutsi présentés comme conformes à la vision dominante de la société monarchique de l’ancien royaume. Dans cette situation, la tradition5 catholique rwandaise, ici présentifiée par cette haie vivante, renvoie cette intemporalité dans un monde et une culture que seuls les Tutsi seraient capable d’incarner.

8 Durant cet événement, il convenait de représenter chacune des quarante missions du Rwanda. Des corps de jeunes gens furent formés, chaque groupe affichant un drapeau derrière lequel le cortège s’avançait ; celui-ci était constitué des différents organes représentatifs de l’action des missions : « Chaque mission se groupant, derrière son drapeau, en corps constitués, tels que : pages, équipes de ballon, groupements d’action catholique... » (ibid. : 113).

9 Les Pères Blancs considéraient qu’entre la situation, l’éducation et le style de vie des Intore6 du Rwanda et des pages de l’Europe médiévale, il n’y avait pas beaucoup de différence (L’Ami 1947 : 93). Les missions, à côté de leur engagement envers des pratiques physiques occidentales, avaient « préservé » cette institution leur permettant « de sauver d’un oubli fatal les arts chorégraphiques si riches du Rwanda ». Les missionnaires les considéraient tels des groupes d’élite destinés à la danse.

10 Les festivités de ce jubilé rassemblèrent de nombreuses présentations et autres bénédictions. Mentionnons ici les démonstrations de la troupe de danseurs royaux Indashyikirwa (les Inégalables), entièrement composée de jeunes Tutsi, celle des Inkaranka, constituée de Hutu originaires du Bugoyi, ainsi que celle des « pygmées du Ruanda » (Twa) offrant au public une simulation de chasse à l’éléphant. Les athlètes du groupe scolaire7 offrirent à l’assemblée des exhibitions athlétiques et gymniques, tandis que la sélection de football du Ruanda — censée regrouper les différentes communautés

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du Ruanda, sans distinction de « couche sociale » ou de « race » — remporta une sérieuse victoire face à l’équipe de l’Urundi.

11 Si ces festivités allient la mise en scène d’une nouvelle tradition à des pratiques importées, c’est que ces artefacts culturels répondent à un processus indispensable à la mise en valeur et à la légitimation des changements inaugurés. Il s’agit en effet d’afficher la continuité d’un passé pré-chrétien en valorisant des traditions guerrières réinventées. L’évangélisation du pays se situerait alors dans un processus continu préservant des coutumes ancestrales telles que les danses guerrières. Les anciens guerriers étaient devenus des danseurs chrétiens n’ayant pas abandonné leurs arts traditionnels. Pourtant, on s’aperçoit que des spécialisations culturelles « ethnicisantes » offrirent à l’assemblée la possibilité de distinguer les arts tutsi des danses hutu8, qui se différenciaient alors très nettement des pratiques twa9. Par ailleurs, tandis que la partie de football avait pour objectif de réunir autour du ballon une équipe de « Banyarwanda », les prouesses athlétiques de type occidental des sportifs du groupe scolaire théâtralisaient l’intégration, par cette nouvelle élite, d’une gamme de valeurs nobles capables de fonder un véritable accès au monde moderne (De Lame 1996).

12 Les autorités coutumières et coloniales semblèrent vouloir appliquer un ton œcuménique à ce rituel politico-religieux. En réalité, celui-ci visa — à l’heure d’une volonté de démocratisation de la société — à scotomiser l’agencement socio-ethnique de la population pour la réunir, sans distinction, sous la coupole du Christ-Roi10. En effet, ces différentes exhibitions, en théâtralisant le corps rwandais, semblaient bien afficher — par des éléments culturels distinctifs souvent propres aux trois composantes de la population — la différenciation ethnique qui se jouait au sein même de ces activités. Il se pourrait même que la fête, dans le Rwanda colonial, ait pu contribuer — en partie par ces médiations corporelles — à forger, par une gamme de pratiques culturelles, le jeu ethnique dans lequel la population se retrouva prise au piège quelques années plus tard11.

Danses guerrières et représentations européennes du « corps tutsi »

« Le visage rejeté en arrière, les coudes tournés vers le soleil, superbes d’insolence et de joie éclatante, ils tendaient leur corps d’ébènes à l’extrême. La crinière blanche qui auréole [leur] tête, fouette l’air tremblant et y dessine des spirales lumineuses. Les gorges vibrent, résonnent avec ampleur, clament haut et clair, interpellent et avivent le feu intense de son regard »12.

13 Précisons ici que ces danses guerrières étaient, dans le Rwanda précolonial, pratiquées par la majeure partie des populations composant les armées du royaume : Tutsi et Hutu confondus13. Il est cependant vrai que les jeunesses d’élite du royaume, les Intore du roi, membres de l’aristocratie, s’adonnaient de même à ces activités. Pourtant, en s’attardant par exemple sur le récit du Père Pauwels (1960), on s’aperçoit que l’assimilation de l’ensemble des Tutsi à cette aristocratie de cour trouva une médiation tout à fait opérante dans le cadre de la danse guerrière. Cette pratique fut considérée, dès les premières années de la pénétration européenne, comme propre à la « caste » des Tutsi (Maquet 1954 : 139-141). Bien des récits la concernant évoquent des descriptions « lyriques » du corps des « danseurs tutsi ». En le magnifiant, l’exaltant au moyen de métaphores et autres figures de style subtilement choisies, on peut soupçonner ces discours de participer à la glorification d’une suprématie corporelle

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s’exprimant au travers des canons esthétiques de la civilisation européenne. Le récit d’un voyageur tel que Chalux (1925 : 480) est tout à fait parlant à ce titre, d’abord lorsqu’il évoque les origines des Tutsi : « Visiblement venus du nord de l’Asie mineure, avec probablement de longs stages en Égypte et en Abyssinie. Les Batutsi, physiquement, rappellent à la fois les Chaldéens et les Assyriens, les anciens Égyptiens et les fiers habitants de l’Éthiopie. »

14 Ces civilisations nilotiques, sémitiques, la grandeur qu’elles évoquaient en Europe, furent associées à l’origine historique des Tutsi. De nombreux travaux l’attestent ; mais dans notre cas, il faut préciser que ceux qu’on appelait Intore pendant la période coloniale, fallacieusement traduit par danseurs, étaient perçus comme membres de la noblesse hamite du pays, dont le rôle était passé de combattant d’élite à danseur professionnel. Ainsi, Chalux (ibid. : 487) poursuit ses aventures en abordant les « danses tutsi » : « Comment décrire ces danses, aussi belles, aussi réglées que les meilleurs ballets russes ? Elles sont évidemment guerrières et évoquent les combats épiques d’autrefois. Elles ont du style et de la grandeur [...]. »

15 Car à côté de leur ressemblance avec les ballets d’époque, ces danses évoquent pour le spectateur européen « un art viril, inspiré et superbement primitif ». Cela ressemble bien à la conception européenne des Tutsi, consistant à les situer à l’interface du blanc dominateur et du « nègre » colonisé. Ce sont en grande partie des critères physiques qui furent choisis ; en leur conférant ici un support culturel par le biais de la danse, les Européens ont ainsi pu participer à l’instrumentalisation de cette pratique dans le but de faire valoir par des éléments culturels engageant le corps — initialement non distinctifs — une idéologie de la domination d’une catégorie construite de la population du Rwanda.

Des corps bien vivants ou l’affirmation de soi

16 Les travaux de P. Smith (1985 : 15) sur le Rwanda nous apportent des pistes de recherche très intéressantes au sujet de la symbolique corporelle rwandaise, notamment en matière d’esthétique gestuelle : « Bref, le corps, pour les rwandais, c’est moins l’aspect physique et matériel des êtres, en opposition à d’autres aspects, que la texture perceptible de la vie elle- même au moment où elle s’incarne. La beauté des corps n’est autre que celle de la vie que magnifient les danses, les parades et les gestes harmonieux. »

17 En premier lieu, il faut considérer l’équivalent rwandais du mot « corps ». Les traductions14 nous ramènent au terme « biri » désignant certes le corps, d’un homme comme d’un animal, mais absolument incapable de le désigner comme inerte, et encore moins comme mort. Le corps, c’est donc ce qui vit.

18 Le système esthétique que décrit P. Smith peut nous informer sur les liens unissant les arts verbaux et gestuels guerriers à une série de conceptions et de conventions implicites, basée sur une cohérence qui exclue les références au surnaturel ou au mythologique.

19 Dans la société de l’ancien Rwanda, les Hutu, les Tutsi, comme les Twa, partageaient largement un même cadre de valeurs, de langue, de pratiques et de formes d’art. L’honneur dépendait des vertus guerrières de l’individu et même si chacun n’y avait pas directement accès, l’accomplissement d’un homme dépendait en partie de son

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identification au guerrier (Maquet 1954 : 139-141). Une part de l’identité de chacun pouvait donc se définir comme telle.

20 Si ces danses apparaissaient comme profanes, elles n’en étaient pas moins guerrières, mais elles consistaient à représenter les danseurs eux-mêmes, en tant que guerriers, exaltant leur propre corps, leur propre vie, leur soi vivant. Il s’agit alors de s’arrêter sur la présentation formelle (des jeunes hommes qui esquivent, sautent, brandissent des lances en costume d’apparat) qui prouve d’elle-même, — certes en partie par du mime — le contenu de la scène : la présentation de brillants combattants qui s’identifiaient comme tels.

21 Entre deux séquences de danse les jeunes guerriers énonçaient les récits de leurs prouesses, souvent fictifs ; de même, lorsque la pratique du football se diffusa au début des années 1950, chaque équipe se vit dotée d’un nom à caractère guerrier, d’une ode panégyrique, constituant le prolongement de cette appellation. Ces chants consistaient à vanter les mérites des équipes ; dans une ambiance musicale qui pouvait être grégorienne, la composition des couplets reprenait le style de l’ancienne poésie guerrière, la même que les danseurs-guerriers utilisaient pour magnifier leurs exploits militaires. Ces répertoires permettaient d’entretenir un esprit d’émulation guerrière considéré comme noble15 au sein d’une pratique occidentale.

22 Le registre des noms attribués à ces artistes16, à ces sportifs17, aux danses et équipes qu’ils composaient18, aussi bien que les louanges ou autres chants guerriers pouvaient remplir une même fonction : celle d’afficher une identité se définissant comme guerrière et de la mettre en valeur par des arts et des pratiques conformes à ces vertus. Bref, exalter le corps de guerriers bien vivants et imprégnés des modèles esthétiques et culturels qui leur permettaient d’exister.

23 Il faut donc reconnaître que le football, en s’implantant au Rwanda, a connu un phénomène de créolisation culturelle. Cette pratique s’est massivement diffusée en touchant, bien que de manière différenciée et hiérarchisée, tous les groupes de population (du petit agriculteur aux grands éleveurs) en contact avec les missions et les centres en cours d’européanisation. Rappelons que pour les Européens, la virilité guerrière, l’aisance langagière, l’accomplissement de soi permettant d’accéder au statut de chef étaient des valeurs et mêmes des dispositions innées réservées à la catégorie construite des Tutsi, à qui l’on conféra pendant trois décennies une hégémonie politique et sociale sur le reste de la population. Ces valeurs, déjà perçues comme dominantes dans le Rwanda précolonial, le demeurèrent. En les immisçant au sein même d’une activité importée, et donc en articulant deux cultures, les joueurs, en partie hutu, ont pu ainsi s’approprier les signes d’une culture cosmopolite, en même temps qu’ils trouvèrent un moyen de revendiquer une identité valorisée et un pouvoir local, que reflète la redéfinition de cette pratique moderne dans un registre guerrier.

« Les scouts danseurs de la mission de Nyanza »

Une élite corporelle et sociale

24 En octobre 1935, le gouverneur Jungers accordait au Mwami Rudahigwa la reconstitution de deux corps d’Intore19. Simultanément, trois conditions lui furent imposées. En premier lieu ces jeunes gens devaient être logés et entretenus par leur famille des environs de Nyanza (capitale de l’autorité traditionnelle). Ensuite,

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obligation fut émise pour tous de fréquenter régulièrement l’école des Pères Blancs de la mission de Nyanza. Enfin, en dehors des cours des Pères, seulement une formation sportive (« danses indigènes et sports divers ») fut autorisée, de préférence avec la collaboration des mêmes Pères de l’école de Nyanza.

25 Les missionnaires catholiques, comme nous l’avons déjà vu, s’intéressaient beaucoup aux pratiques des anciens Intore du Rwanda ; pour ceux-ci, l’ancienne institution chargée d’éduquer les « pages » du roi leur transmettait toute la diplomatie, le courage, les arts langagiers, militaires et corporels nécessaires à leurs futures fonctions de chef. Mais à l’heure de l’instauration d’un royaume chrétien, il fallait dès lors pallier les misères morales inhérentes à cette éducation dans les milieux où l’autorité traditionnelle continuait parfois à s’exercer. Une idée émergea au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, encore une fois relayée par les Pères Blancs : « N’y aurait-il pas moyen, tout en sauvegardant les droits de la tradition, de remédier à ces inconvénients ? Le Scoutisme ne serait-il pas le mouvement capable de donner à cette école de débrouillardise et d’honneur qu’était la troupe de pages, ce caractère de moralité qui lui faisait souvent défaut... ? Il n’est pas téméraire de le penser » (L’Ami 1947 : 94).

26 Remarquons tout de suite la volonté d’établir une continuité entre l’institution des anciens Intore du Rwanda et le scoutisme. L’ancien Itorero (centre de formation des Intore) apparaît donc à l’image du scoutisme catholique européen, la misère morale en plus.

27 Ces questions trouvèrent des réponses favorables trois ans plus tard. Le 17 juin 1950 furent rédigés les statuts de l’institution Intore z’umwami ayant pour but explicite de renouveler les anciens Intore du Rwanda en vue de la continuation de l’art chorégraphique qui « ne devait pas se perdre », ainsi que de former physiquement et moralement une partie de la jeunesse destinée à devenir une élite d’hommes virils, capables d’influencer grandement la civilisation du pays. Ce programme, rédigé par le Père Gilles — qui agissait aussi sous l’influence de l’administration belge — précise qu’il ne s’agit pas simplement d’un jeu ou d’une troupe à grand spectacle, mais d’une éducation donnée par ce moyen de la danse et d’exercices physiques20.

28 Il apparaît en premier lieu que si cette institution fut créée, et dirigée vers ceux que l’on dénommaient les Intore, c’est que l’on appelait ces jeunes gens — tous considérés comme membres de la catégorie tutsi — à incarner et représenter la nouvelle élite corporelle et sociale du royaume moderne et catholique. Mais il fallut dans ce cas présenter un prétexte capable de justifier l’existence de ce pôle éducatif de l’élite. Ce fut celui de régénérer les arts traditionnels du Rwanda, en voie de perdition, et, par l’initiation à de nouvelles pratiques physiques, de donner un modèle capable de « servir avec joie »21 la civilisation de l’ensemble des Rwandais.

29 Cet artefact discursif, consistant à faire croire à la préservation d’une éternité incarnée par les anciennes pratiques des Intore, intervint au moment même où elle fut remise en question par la diffusion de nouvelles formes d’éducation du corps. En prenant à l’Occident des classifications qui lui étaient propres (les conceptions, règles et adages du scoutisme catholique européen), l’action croisée de l’administration et des Pères Blancs instituait alors les modalités d’une légitimation culturelle à travers la redéfinition d’une institution du Rwanda précolonial. Légitimation culturelle qui s’appliquait à la constitution d’un corps de « chevaliers chrétiens », sélectivement choisis par le Mwami chez les fils de ses grands chefs scolarisés chez les Pères de

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Nyanza. Ces jeunes gens, en fréquentant à la cour cette école d’honneur et de moralité, devenaient les garants d’une tradition rwandaise réinventée et renversée par l’intervention de nouvelles pratiques du corps (athlétisme et gymnastique suédoise) capables de former, en tant que modèle légitime, la nouvelle élite politique et culturelle du Rwanda.

Corps de l’élite et subjectivation du pouvoir

30 En institutionnalisant des pratiques anciennes réinventées par leur association à des éléments importés, l’institution coloniale, et en particulier les missionnaires, offrirent aux membres de cette organisation les nouvelles conditions culturelles (matérielles, physiques et techniques) capables — par les processus de subjectivation qu’elles sous- tendent et donc par leurs propres propriétés — de structurer une nouvelle élite dans ses techniques de domination aussi bien que dans ses techniques de soi.

31 L’élaboration de son propre champ d’action permet dans ce cas d’agir sur celui des autres selon un mode hiérarchique : ces pratiques, les objets, prières, carnets et autres brevets qui les accompagnent viennent façonner les sujets dans leur propre expérience du pouvoir mais sont aussi choisies en fonction de leur haute valeur et de leur légitimité au sein d’une société mouvante se situant à l’interface de deux cultures.

32 Les brevets de danseur émérite et de sportif accompli témoignaient par exemple d’un amour du métier de danseur, de l’exécution parfaite de mouvements gymniques ou encore d’une maîtrise de sa respiration. L’équipement demandé traduisait de même l’appropriation d’objets et autres vêtements susceptibles de mettre en valeur ce que l’on attendait de tout membre de cette nouvelle élite : costumes kaki, comprenant une chemise sport (une culotte), une ceinture, et après droit acquis, un foulard ; un costume de parade « ntore », un couvert, un sifflet par équipe... Il s’agit de même de l’incorporation de modèles discursifs, associés à des vertus morales, religieuses et patriotes. Voici la promesse du Ntore, qui se méritait, puisque ceux-ci n’étaient en droit de la réciter qu’un an après la réception du foulard : « Avec le secours de Dieu, et en m’inspirant de l’amour que j’ai pour la Belgique, pour le Rwanda et pour mon Mwami, je promets d’être un ntore modèle, ardent à la danse et au travail, fort, valeureux, joyeux, ennemi du mal, obéissant partout et toujours, pour que ma devise, "servir avec joie" soit le reflet de ma vie entière »22.

33 On assiste ici à une synthèse entre, d’une part, les intérêts des missionnaires, de l’administration belge et de l’autorité traditionnelle, et, d’autre part entre deux cultures, qui, en s’exprimant dans une même société, trouvent un « terrain d’entente » en vue de la définition de ce que peut et doit être un membre de la nouvelle élite du royaume belge et chrétien.

34 Ce modèle du chevalier chrétien, en constituant un idéal masculin dans la société du Rwanda colonial, s’appliquait à celui qui savait pratiquer avec élégance l’art des danses guerrières, qui possédait une discipline exemplaire, connaissait les règles de la moralité chrétienne, s’adonnait à un style de vie européanisé, et représentait un modèle d’honneur, de témérité et d’abnégation capable d’influencer chacun de ses compatriotes. En s’appropriant cet ensemble de techniques corporelles, en récitant ces prières et autres promesses, en portant ces vêtements, en se rangeant en ordre comme en pratiquant des exercices de souplesse ou en brandissant des lances, ces jeunes gens

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ont pu s’approprier — par un processus de subjectivation — des éléments culturels et matériels structurant des formes de pouvoir reconnues comme dominantes.

De la guerre au sport : logiques distinctives

Sport ou pratiques guerrières ?

« Une fois organisés, les Banyarwanda formeront de merveilleuses équipes de sport les plus divers ; car le football viendra un jour [...] » (L’Illustration congolaise 1934 : 5232).

35 En 1934, cette prédiction s’accompagnait d’une série d’images présentant les pratiques « sportives » du « type tutsi ». Il s’agit en réalité d’anciennes activités militaires, corporelles et guerrières (lances, tir à l’arc, danses, pratiques athlétiques) qui visaient en la formation de la jeunesse guerrière, à la cour comme dans le reste du royaume, Tutsi et Hutu confondus. D’abord, cet exemple montre que les auteurs de cet article assimilent Banyarwanda à Tutsi. Ensuite, ceci nous indique que les Européens ont pu associer, à certaines reprises, les sports modernes occidentaux aux anciennes pratiques locales. L’image qui présente un homme s’entraînant à la lance comporte la légende « lancement du javelot ».

36 Enfin, le football, en 1934, était déjà connu au Rwanda. Des photographies prises dans les années 1918-1919, donc sous Musinga, le révèlent. Bien que ce sport ne soit à l’époque que très peu organisé, les étendues de nature proches des missions pouvaient servir de « terrains » improvisés. Un match fut organisé en 1919, opposant deux équipes de nouveaux chrétiens à l’occasion de la visite du commissaire royal Malfeyt. Car, en effet, les missionnaires catholiques, à l’image du patronage sportif catholique en Europe, eurent rapidement l’idée de diffuser ce sport populaire au Rwanda (comme ailleurs en Afrique), puisqu’il constituait, — selon l’expérience européenne — un outil efficace pour attirer la jeunesse vers la religion.

37 Néanmoins, les sports modernes n’ont commencé à réellement s’implanter que tardivement ; le point de départ se situe au cours de l’année 1948, par la création de l’Association sportive au Rwanda (ASAR) sur laquelle je reviendrai. Le manque de moyens financiers et éducatifs, d’infrastructures adaptées, la sous-urbanisation du pays23 qui se prolongea jusqu’à l’Indépendance, la faible présence d’Européens (600 en 1961) ne favorisèrent pas cette implantation. Mais sans négliger l’importance de ces facteurs, d’autres mécanismes culturels et politiques plus implicites tiennent largement leur rôle.

38 De 1916 à 1945, l’administration belge, largement épaulée par les autorités catholiques, inaugura une administration nationale dirigée par un corps de chefs et de sous-chefs quasi exclusivement issus de hauts lignages tutsi ; le régime foncier et pastoral qui l’accompagnait privilégia les éleveurs, assimilés aux Tutsi. Mais surtout, cette fraction dominante, largement prioritaire dans la sphère des études secondaires, avait reçu « le monopole culturel lié aux positions prééminentes (pour les autochtones) dans une organisation étatique européanisée » (Vidal 1991 : 25). Il fallait justifier ces faits. L’un des moyens trouvé fut celui de doter la domination tutsi d’un caractère à la fois naturel et historique. C’est ce que C. Vidal (ibid. : 21) appelle l’assignation d’un destin historique aux formes immédiatement coloniales de l’inégalité sociale. De nombreuses médiations furent utilisées ; ce sont surtout celles qui appartenaient à la culture de la société de

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cour. Dans ce cadre, les pratiques corporelles guerrières et artistiques pratiquées par les jeunes cadets du roi, subirent deux formes de réification : d’une part, alors que de nombreux Tutsi et Hutu, en dehors des milieux de la cour, pratiquaient ces activités, elles furent perçues comme appartenant uniquement aux jeunes futurs « grands pasteurs tutsi ». En atteste l’appellation danses Intore (choisis, élus, recrues du roi...) abusivement destinée à qualifier les danses guerrières traditionnelles du Rwanda. D’autre part, les éléments de culture corporelle et langagière que pratiquait la jeunesse de l’aristocratie furent considérés par les Européens comme les seuls arts, ou « sports indigènes » locaux dignes de ce nom. À ce niveau, la récurrence des références aux « sauts prodigieux des Batutsi », les « célèbres danses des Intore » est flagrante. Cela ne laisse qu’une place quasi inexistante aux autres formes de pratiques corporelles rwandaises, comme par exemple les danses plus populaires ou la lutte (gukirana).

39 Du point de vue de ces pratiques, il se peut donc qu’il y ait bien eu une forme de réification de la culture rwandaise traditionnelle, relayée par des activités que, certes pratiquaient belliqueusement les anciens Intore du Mwami (fils des grands chefs éduqués à la cour) mais qui constitue, avec bien d’autres, un patrimoine commun à l’ensemble des Rwandais.

40 Même si dans les années qui précédèrent la Seconde Guerre mondiale, le football ou d’autres sports modernes occidentaux ont pu favoriser un accès à des styles de vie européanisés, on comprend que les pratiques locales précitées ont en partie constitué les signes d’une catégorie ethnique dont il fallait justifier la position hégémonique. En tant que médiations capables de renforcer un sentiment de domination historique, elles représentèrent un instrument politico-religieux en partie apte à mettre en pratique les attentes de Mgr Classe (1930 : 11) lorsqu’il affirmait : « Nous croyons tous [...] que l’élément Mututsi, que les chefs Batutsi [...] sont les meilleurs éléments les plus convaincus et les plus capables d’exercer une vraie influence sur la masse. »

41 Ces mécanismes peuvent apporter certaines indications quant à l’implantation tardive d’activités sportives modernes au Rwanda, étant donnés les enjeux liés à la prééminence accordée à des pratiques considérées comme « nobles ».

42 Après 1945, les « progrès » liés aux formes d’acculturation des élites scolarisées ainsi que les nouvelles perspectives « sociales » de l’administration et de la seconde génération de missionnaires ont pu favorisé la diffusion et l’organisation de pratiques sportives importées.

Des évolués sportifs... et même des cultivateurs

43 C’est à partir de 1945 qu’émerge la catégorie des « évolués », en tant que classe intermédiaire entre le colonisateur et la masse des colonisés. La spécificité de ce groupe, au Rwanda, est liée au découpage à caractère ethnique de la population ainsi qu’à la position privilégiée que l’on a accordé à l’une de ses composantes. En effet, et cela jusqu’à l’Indépendance, l’accès aux études secondaires fut souvent réservé aux élites traditionnelles tutsi ; à cette condition s’ajoute celle de l’usage d’objets occidentaux, donc d’un accès à des styles de vie européanisés qui fut de même « naturellement » fondé. Ceci produisit donc une séparation légitimée en termes ethniques entre une poignée d’instruits et une masse « d’ignorants ». La naissance d’une « contre élite hutu » dans les années 1950 (Linden 1999) est en effet en partie due à une dialectique s’opérant entre un sentiment de supériorité native (Tutsi) et un

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ressentiment d’exclusion (Hutu) (Vidal 1991 : 36). C’est dans ce contexte que s’est organisé le football au Rwanda et que les danses guerrières ont perduré. Leur consommation toucha en particulier les populations « en cours d’évolution » qui rassemblaient des fractions très diverses de la population (moniteurs de l’enseignement primaire, jeunes notables, séminaristes, infirmiers, autorités autochtones...).

44 Quatre principaux vecteurs pourraient rendre compte de la diffusion du football et des danses guerrières au Rwanda à partir de la fin des années 1940 : la naissance et le développement d’une structure associative spécifiquement sportive, dirigée par un corps de notables autochtones ; les écoles, qui, en dehors des leçons de gymnastique, offrent à leurs élèves des loisirs « sains » et « récréatifs » ; les cercles pour évolués et autres centres socioculturels, censés offrir à leurs adeptes une gamme d’éléments culturels occidentaux ; les mouvements de jeunesse tels que le scoutisme et ses « dérivés », qui interviennent dans l’éducation corporelle et morale des catégories « évoluées ».

45 Si ces médiateurs du sport, d’une culture physique et athlétique, et de pratiques corporelles locales interagirent en vertu de la définition d’une nouvelle « élite corporelle », ils le réalisèrent au sein d’un même processus pouvant conditionner la survie même de ces élites du point de vue culturel : la combinaison, dans les mêmes espaces/temps, de signes locaux réinventés (les anciennes pratiques guerrières) et de signes extérieurs adaptés (athlétisme, sports d’équipes occidentaux), aboutissant et participant à une combinaison culturelle « créolisée », qui s’exprimait au travers des manifestations politico-religieuses et/ou sportives.

46 Ces signes ne relevaient pourtant pas exclusivement d’une consommation « élitiste ». En tant que composants d’un modèle culturel valorisé permettant d’accéder à des formes de domination symbolique, ces pratiques, à partir des années 1950, se diffusèrent au sein des groupes de population socio-économiquement plus faibles, par un mécanisme de concurrence mimétique visant à s’approprier les « armes » à l’origine de la domination.

47 Mais ces artefacts constituaient de même pour l’institution coloniale (belges et missionnaires) de très bons outils capables de démontrer la mise en place d’une politique sociale au Rwanda : le rapport de l’administration belge sur le Ruanda-Urundi de 1952 précise que l’Association sportive au Rwanda (ASAR) regroupe environ « trois mille membres, groupés en cent vingt équipes, sans préjugés de races, de conditions sociales et de confessions »24.

48 Deux exemples peuvent nous aider à cerner l’ambigu ïté de ce propos. Le rapport de la même année signalait l’existence d’une association sportive (les gymnastes de Cyanika), regroupant de jeunes cultivateurs catholiques dirigés par les abbés indigènes. L’année précédente, le rapport évoquait l’intérêt porté au championnat du Ruanda-sud en territoire d’Astrida, en soulignant l’engouement des masses indigènes, exemple à la clé : « une équipe de cultivateurs fut classée devant une équipe d’extra-coutumiers ».

49 Force est de constater qu’ici l’administration établit une différenciation entre des sportifs « cultivateurs » et des équipes constituées « d’extra-coutumiers » qui représentaient la fraction « évoluée » de la population. Si la victoire d’une équipe de cultivateurs fut citée en exemple, c’était bien pour montrer le caractère exceptionnel de ce fait, en même temps que cela permettait d’afficher les efforts réalisés en matière

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d’égalité sociale ; les masses pratiquaient les mêmes activités que les élites, et de plus à niveau égal.

50 Rappelons que de nombreux travaux sur le Rwanda montrent que les constructions idéologiques à caractère ethnique se sont partiellement façonnées sur une dualité censée opposée des Tutsi pasteurs (naturellement dominants) à des Hutu agriculteurs (condamnés à la misère et à la servitude). On peut considérer que les distinctions qui se réalisaient dans les années 1950 dans le champ des activités sportives s’inscrivaient implicitement dans la continuité de ce processus. Ceci en reproduisant et en façonnant — par la pratique même de ces activités — des différences socio-économiques qui, en réalité, s’assimilent à une différenciation ethnique légitimant l’existence d’une masse agricole colonisée face à une élite civilisée.

51 La colonisation du Rwanda a institué de nouveaux rapports de pouvoir entre des institutions dominantes venues d’Europe — en particulier l’Église catholique et l’administration belge —, les élites traditionnelles et les masses colonisées. Le même processus s’est diffusé au niveau des rapports sociaux et économiques entre les différentes couches de cette population, du plus petit agriculteur aux grands propriétaires, en passant par les nouveaux infirmiers, employés de l’administration, enseignants...

52 La consommation de ces biens culturels et matériels structurait les sujets coloniaux dans le cadre des mécanismes du pouvoir aussi bien qu’elle pouvait fonder les modalités de leur acculturation. C’est ici que nous posons l’hypothèse d’une hybridation culturelle, émergente des médiations entre des valeurs et pratiques locales rwandaises et d’autres véhiculées par les Européens, en particulier les missionnaires catholiques. Ici, la combinaison des anciennes pratiques guerrières aux activités modernes illustre bien les mécanismes de réinvention de la tradition associés aux adaptations que sous-tend l’importation de nouvelles pratiques.

53 Nous avons de même tenté de montrer que la structuration des champs d’actions qui diffusaient ce pouvoir, en termes de soumission, de désir, de conduite, d’opposition... fut relayée par des pratiques concrètes par lesquelles son appropriation et sa propagation pouvaient s’opérer. L’exemple des danses guerrières et de pratiques importées, telles que la gymnastique ou le football, peut montrer comment ces activités ont pu participer d’une construction corporelle du sujet colonial. L’acceptation, la soumission, le désir même de brandir une lance, de marquer un but, de revêtir une tenue de gymnaste, sont autant d’actions qui ont pu en partie façonner la hiérarchisation ethnique de la population, la réinvention d’une identité guerrière, un style de vie européanisé, les vertus de l’abnégation, de la discipline ou encore de la morale chrétienne lorsque les techniques du corps entrent au service de l’âme. Lorsque, au cours des années 1950, le clivage socio-ethnique s’intensifia dans la conscience d’une élite tutsi opposée à une « contre-élite » hutu, ces catégories « évoluées », avec leurs ailes cléricales, semblaient attachées aux mêmes symboles de la « tradition » et du passé, qui pourtant avaient été définis dans le sens d’une hégémonie culturelle tutsi. Il semble alors que ces efforts de mobilisation sociale — de la part des nouvelles élites hutu — se soient en partie dirigés vers un modèle culturel défini comme tutsi, participant ainsi à la nationalisation d’une culture, qui, en réalité, dans le contexte de l’ethnicité, participait au développement des inégalités sociales. Kayibanda, en tant que futur leader hutu, allait-il ainsi réaliser un amalgame entre des pratiques élitaires et un mouvement social ?

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VIDAL, C. 1991 Sociologie des passions (Côte-d’Ivoire, Rwanda), Paris, Karthala.

VANSINA, J. 2001 Le Rwanda ancien, le royaume nyiginya, Paris, Karthala (« Hommes et sociétés »).

NOTES

1. Ceci par un régime d’administration indirect visant à gouverner par le biais d’une noblesse (quasi exclusivement tutsi) éduquée au sein des nouvelles institutions scolaires et catholiques. 2. Nous évoquons ici la rencontre, dans le même espace-temps, d’éléments culturels propres à la société rwandaise et d’éléments extérieurs, importés par la diffusion d’une culture de type européenne. Les nouveaux éléments qui émergent seraient donc issus de la confrontation de ces deux systèmes, en tant que phénomènes issus d’un entre- deux culturel. 3. Les périodiques évoquent notamment la présence du vice-gouverneur du Congo belge, de nombreux vicaires apostoliques, les résidents du Ruanda et de l’Urundi ainsi que les mwami (rois) des deux royaumes respectifs. 4. Cette revue, destinée aux « évolués » du Rwanda et du Burundi, fut imprimée au Vicariat Apostolique de Kabgayi de 1945 à 1954. 5. Le concept de tradition est ici appréhendé comme une production historique inventée, construite et instituée souvent de manière officielle, et désignant un ensemble de pratiques de nature rituelle et symbolique. Gouvernées par des règles ouvertement ou tacitement acceptées, ces traditions cherchent à inculquer certaines valeurs et normes de comportement par la répétition, ce qui implique automatiquement une continuité avec le passé (HOBSBAWN & RANGER 1983). 6. Dans le Rwanda précolonial, les Intore constituaient des corps de jeunes guerriers, formés et éduqués à la cour et chez les chefs qui recrutaient ces jeunes gens par le biais des contrats de clientèle. C’est dans le cadre de l’Itorero (l’institution qui prenait en charge cette formation militaire associée à une éducation conforme à la culture de cour) que ces jeunes gens s’adonnaient aux danses guerrières, à des exercices athlétiques (courses, sauts), de lutte, aussi bien qu’à des exercices d’entraînement militaire (arc, lance) ou encore aux arts oraux comme la poésie guerrière. 7. Toutes sections confondues, le groupe scolaire d’Astrida, dont le rôle était de former les chefs et auxiliaires administratifs, agricoles, vétérinaires du Ruanda moderne, comprenait encore en 1957-1958 66 % de Tutsi (PERRAUDIN 2003 : 128). 8. Une brève description de la danse des Inkaranka : « Les Inkaranka dansent au bouclier, à l’arc et à la lance, imitant ainsi les jeux guerriers d’antan qu’on exécutait avant ou après une bataille et à l’occasion des festivités royales, c’était en fait une gymnastique d’ensemble se composant d’exercices tactiques réservés aux jeunes pages intore et aux miliciens » (BOURGEOIS 1957 : 630).

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9. Il faut cependant préciser que la troupe royale Ishyaka (émulation), constituée de danseurs twa, pratiquait le même type de chorégraphie que le groupe des Indashyikirwa. Mais les danseurs et musiciens twa, même s’ils furent souvent appréciés pour leurs qualités artistiques tout au long de la période coloniale, étaient plus souvent perçus comme des bouffons de cour, à la différence des danseurs tutsi, considérés comme une véritable noblesse d’élite en mouvement. 10. En octobre 1946, Mutara III Rudahigwa avait consacré le royaume du Ruanda au Christ-roi. 11. L’assimilation d’une « conscience ethnique », bien qu’elle ne toucha dans les années 1950 qu’une minorité de la population locale, a lourdement contribué au développement des premières « politiques de la haine » qui touchèrent les Hutu, les Tutsi comme les Twa au moment de la révolution de 1959. 12. Récit de A. Maes-Geerinckx, rapporté par J. B. NKULIKIYINKA (2002 : 180). 13. Il suffit, pour attester cela, de regarder de près le « code militaire » de A. KAGAME (1952) sur l’organisation des armées, ainsi que les travaux de J. VANSINA (2001). 14. On pourra consulter le dictionnaire rwanda-rwanda et rwanda-français (COUPEZ & KAMANZI 2005). 15. Les artefacts de la culture guerrière et pastorale, dans le Rwanda colonial, étaient perçus comme historiquement propres aux Tutsi. 16. Nom d’un membre d’un corps de danseurs sous Mutara, accompagné de son titre guerrier. Munyezamu : guerrier imprégné de vigueur et de vivacité et auquel l’on songe avec nostalgie, lui qui surpasse les autres dans les veillées des hauts faits (NKULIKIYINKA 2002 : 191). 17. L’équipe de football de Kansi (Butare) se dénommait Urw’intwari (le combat des braves), tandis que celle de Nemba (Ruhengeri) chantait Intego y’Ingeruzabahizi (la devise de Ceux-qui-découragent-l’ennemi). 18. Appellation d’une danse accompagnée de sa traduction : Intangamuganzanyo (la danse des garants de la victoire) (ibid. : 201). 19. Lettre du gouverneur Jungers à l’agent territorial Dryvers, en date du 9 octobre 1935, Archives africaines, RWA (4) 7, Bruxelles, Ministère des Affaires étrangères. 20. Archives africaines, RWA (4) 7, ibid. 21. Devise des Intore du Mwami. 22. Archives africaines, ibid. 23. On pourra consulter à ce sujet le travail de P. SIRVEN (1984). 24. Rapports établis pour l’année 1952, p. 206 (Rapports sur l’administration belge du Ruanda-Urundi pendant l’année..., présenté aux Chambres par Monsieur le Ministre des Colonies, Bruxelles, Ministère des Colonies).

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RÉSUMÉS

La colonisation du Rwanda a entraîné, comme ailleurs en Afrique, de rapides transformations de la société. Au moment où les identités sociales se recomposaient sur une base ethnique, la réinvention des pratiques guerrières locales — en s’articulant avec le développement d’activités et mouvements de jeunesse d’origine occidentale — vint alors produire des innovations culturelles métissées dans lesquelles ont pu se projeter les identités rwandaises. Dans le même temps, au sein d’une ambiance œcuménique prônée par l’institution coloniale (missions catholiques et administration belge), l’instrumentalisation de ces activités syncrétiques pouvait servir la légitimation et l’ordonnancement des inégalités sociales. Les scotomes du colonisateur s’associaient alors au jeu des élites autochtones dans l’édification d’une société coloniale moderne en cours d’ethnicisation.

Corporal Practices, Ethnicity and Racial Diversity in Colonial Rwanda (1945-1952). In Rwanda, like elsewhere in Africa, colonization has led to rapid changes in society. At a time when social identities were being recomposed on an ethnic basis, the reinvention of local warfare —alongside the development of Western-style youth activities and movements—started to produce mixed cultural innovations into which Rwandese identities were able to project themselves. At the same time, in the "ecumenical ambiance" encouraged by the colonial institutions (Catholic missions and Belgian administration), the exploitation of these syncretic activities could serve the legitimization of social inequalities. The colonisers associated themselves with the game of the indigenous elites in the building of an ethnicizing modern colonial society.

INDEX

Mots-clés : Rwanda, acculturation, colonisation, corps, danse, ethnicité, métissage culturel, pratiques guerrières, sport Keywords : Rwanda, Acculturation, Colonization, Body, Dance, Ethnicity, Sport, Racial Diversity, Warfare

AUTEUR

THOMAS RIOT Équipe de recherche en sciences sociales du sport (EA 1342), Université Marc Bloch-Strasbourg II.

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notes et documents

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Ethnicité et territorialité Deux modes du vécu identitaire chez les Teke du Congo-Brazzaville

Jean-Pierre MISSIé

1 La question de l’ethnicité constitue l’un des thèmes les plus prolifiques de la littérature historique, politique et sociologique africaniste de ces quarante ou cinquante dernières années. Elle n’est pas épuisée pour autant et mériterait d’être regardée avec circonspection. Dans le contexte étatique, la dénomination ou l’évocation ethnique ne saurait être le seul critère de mobilisation identitaire. L’organisation administrative territoriale qui introduit d’autres référents identitaires représente un défi à la seule référence ethnique, surtout lorsque ceux-ci sont instrumentalisés par les entrepreneurs politiques. En clair, l’identité régionale (ou départementale) — une identité politique — semble être plus pertinente, plus mobilisatrice que l’identité ethnique au sens strict.

2 Lorsqu’on parle de conflits en Afrique, on pense le plus souvent aux antagonismes interethniques. Or, l’observation minutieuse des affrontements qui se sont déroulés au Congo tant dans ses limites issues du partage colonial (Wagret 1963 ; Bernault 1996) qu’entre ce pays et ses voisins révèle que les membres d’une même ethnie se sont violemment opposés : déjà en 1962, pour un but refusé au cours d’un match de football opposant l’équipe nationale du Gabon à celle du Congo, les Teke, Punu, Vili, Kota, Nzabi et autres Fang du Gabon avaient expulsé manu militari les Teke, Punu, Vili, Kota, Nzabi et autres Fang du Congo. À l’inverse, et dans un esprit de vengeance, les Gabonais du Congo, toutes ethnies confondues, et dans la foulée les immigrés dahoméens (actuels béninois) avaient été chassés de Dolisie, Pointe-noire et Brazzaville (Ollandet 2007). Deux ans plus tard, à la suite d’une brouille entre le Congo-Léopoldville et la République du Congo, Mo ïse Tshombé, Premier ministre du Congo-Léopoldville, expulsa ceux de Brazzaville. On les installa dans un nouveau quartier que l’on dénomma Tala Nga ï (Regarde-moi) — quartier devenu depuis le sixième arrondissement de Brazzaville — et à Kombé dans la banlieue sud de Brazzaville (Missié 2007b : 72). De même, en 1993-1994, les Kongo-lari (Sundi, Hângala, Kongo, Lari, Manyanga...) et les Teke du Pool avaient guerroyé les Kongo lato sensu (Sundi, Bembe, Kugni, Dondo, Kamba, Minkenge...) et les Teke des « Pays du Niari »1. Récemment encore (1997 et 1998-1999), les jeunes « Teke du Nord »2 (départements de la Cuvette-

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ouest et des Plateaux) et Obamba, sympathisants ou non des partis du FDU3, ont massivement intégré la milice ethnopartisane « cobra » du président Sassou Nguesso. Celle-ci s’est affrontée aux jeunes teke, Ambamba4 et autres groupes ethniques des départements du Niari, de la Bouenza et de la Lekoumou (désignés par l’acronyme NiBoLek) membres des milices « cocoyes » et « mambas » du président Lissouba. Ces miliciens « nibolek » ont d’ailleurs bénéficié vers la fin du soutien de leurs « frères » du sud : les miliciens « ninjas » du lari-teke Bernard Kolélas.

3 Toutes ces péripéties ont lieu, encore une fois, dans l’espace issu du partage colonial. Car aujourd’hui, réalité juridique, le Congo devient une réalité sociologique en ce que les Oubanguiens, les Kongo et les Teke (qui se désignent d’ailleurs par Ngââ ntsiéè, que l’on peut traduire par autochtone, propriétaire du sol) se sentent et se disent tous citoyens congolais, même si les frontaliers sont souvent considérés comme moins congolais que les « autres ».

4 Dès lors, étant donné que les ethnies ont été dispersées du nord au sud et de l’est à l’ouest à travers plusieurs régions administratives5, comment fonctionne le phénomène de l’ethnicité au Congo ?

5 Cette question se justifie par le fait que les conflits qui se déroulent au Congo s’expriment ou s’extériorisent souvent en termes de conflits Nord/Sud ou Mbochi/ Kongo (1959 et 1997) ou en Pool/« Pays du Niari » (1993-1994), selon la logique de la variation cyclique du schéma oppositionnel (tantôt binaire, tantôt ternaire) qui émaille l’histoire politique du Congo. Au-delà de cette imbrication ethnie/département, dans quelle mesure le département est-il une réalité sociologique ?

6 Notre hypothèse est que l’histoire de la territorialisation du Congo qui oscille entre les retraits et les ajouts, les transferts ou la dispersion des ethnies explique les regroupements actuels. En d’autres termes, le degré du sentiment d’appartenance départementale reste fonction de la durée de la cohabitation, donc de l’histoire et de la culture communes, et de la possession de ce bien commun : le territoire. Cette proximité nous paraît plus pertinente que l’appartenance à une même ethnie dont les variantes ont été dispersées, éloignées, chacune ayant évolué dans la cohabitation avec d’autres groupes, avec lesquels elle développe également le sentiment d’appartenance départementale. Et la stratégie des leaders politiques dans la lutte pour la conquête ou la conservation du pouvoir contribue à dessiner, à fixer et à consolider les contours et donc, le cadre objectif dans lequel ils construisent un sentiment d’appartenance (l’identité subjective) qui est une identité politique.

7 Définir l’ethnicité à partir de l’ethnie est donc déroutant. Le département, espace regroupant un ensemble de plusieurs fragments ethniques descendant des chefferies et royaumes anciens, demeure une réalité plus vivante, un référent identitaire plus pertinent que l’identité ethnique au sens strict. Il convient de rechercher les facteurs historiques et sociopolitiques de production et de reproduction de telles identités.

8 La perspective la mieux indiquée pour vérifier cette hypothèse est la sociologie historique. Elle appelle le recours à la documentation de l’administration coloniale et postcoloniale, à l’histoire et à la sociologie politiques du Congo-Brazzaville. Le tout complété par l’observation quotidienne. Plutôt que de recenser tous les inextricables cas de concurrence identitaire à laquelle sont confrontées la plupart des ethnies, c’est dans la dialectique de l’identité teke, prise dans le jeu de la partition territoriale de son espace social et culturel (Gabon, Congo, RDC) et de son exclusion du champ politique comme possesseur de la terre, que nous comptons construire historiquement cet

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antagonisme entre les deux modes du vécu identitaire (ethnicité et territorialité). Il convient avant tout de donner quelques indications sur l’approche théorique additionnelle convoquée et de faire ensuite l’historique de la construction de l’identité teke. Ce qui nous permettra d’examiner le processus de leur exclusion politique. L’analyse de quelques facteurs de blocage de l’émergence durable de l’identité teke transrégionale constituera le dernier chapitre de notre étude.

Approche théorique

Identité ethnique, identité régionale et sentiment d’appartenance

9 L’appartenance simultanée à plusieurs groupes ou collectivités reste l’apanage de tout individu. Du fait de cette multiplicité, celui-ci participe donc à des identités collectives (de classe, de sexe, confessionnelle, ethnique, régionale, nationale...) qui se chevauchent. Louis-Jean Calvet (2001) parle d’« enchâssement des identités » pour désigner ces échelles de références identitaires : l’ethnie (identifiable par la langue), la nationalité (devant un étranger). René Otayek (s.d.) évoque plutôt l’idée d’une identité plurielle qui « rend compte d’une multiplicité de répertoires — affectif, utilitariste, manipulatoire, etc. ».

10 Mais, au-delà de leur multiplicité, les appartenances groupales ne suscitent pas toutes et au même moment « chez les membres le même degré d’adhésion ou le même sentiment d’appartenance » (Javeau 2003 : 2). Tantôt elles sont manifestes, tantôt elles se trouvent en état de latence. Il y a des conditions, des facteurs de production ou de cristallisation de tel ou tel type de référence identitaire. De façon générale l’on peut considérer que l’identité collective comporte un aspect objectif (le territoire, la langue, ou autres traits distinctifs qui existent indépendamment de l’individu, c’est-à-dire des supports identitaires) et un aspect subjectif, c’est-à-dire la représentation par le groupe de cette existence objective, le sentiment d’appartenance. Mais la conscience d’une appartenance collective, en d’autres termes l’identité collective ne peut émerger du jour au lendemain. Elle se forge dans le temps. C’est un processus.

11 Dans cette optique l’on peut relever avec Delpeuch (1996), l’importance dans la construction identitaire de deux dimensions étroitement imbriquées que sont le temps et l’espace. Cette construction est d’autant plus facilitée que les individus communiquent dans la même langue, soit-elle véhiculaire.

12 Par ailleurs, les différentes modifications subies par la région (partage colonial, divisions administratives) peuvent faire que des entités ethniques soient scindées, ajoutées à d’autres. Une période de cohabitation est alors nécessaire pour que les nouveaux voisins collaborent, développent des intérêts communs liés à ce « nouveau territoire » et donc, réécrivent une nouvelle histoire, produisent une nouvelle culture, se sentent appartenir à une même communauté partageant le même terroir. Et certainement la même langue.

13 Mais, il peut arriver aussi que dans le cas d’un éloignement durable du territoire d’origine la communauté ait tendance à se désagréger et à perdre l’« esprit communautaire », le sentiment d’appartenance à la même collectivité que celle restée dans l’ancien territoire. Même lorsque ce sentiment existe, il demeure vague, faute d’appui matériel, d’espace de référence. Car les agents sociaux s’identifient plus facilement à ceux qui leur sont proches géographiquement, ceux qu’ils côtoient depuis

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des décennies ou des siècles qu’à ceux qu’ils ne croisent plus que rarement ou plus du tout.

14 Ainsi, bien que l’on garde le souvenir vague d’une appartenance à une grande communauté ethnolinguistique du temps où le clan ne connaissait pas de frontière (Pourtier 2006), il peut se développer une altérité du genre Teke du nord/Teke du sud ; Teke-tsayi/Tegue ; Teke de Kinshasa/Teke de Franceville, etc. Dans ce cas, le sous- groupe déterritorialisé n’a souvent comme seul moyen pour survivre que « de se constituer un nouveau territoire [un territoire-sanctuaire], si infime soit-il, et s’il ne le peut, de s’en recréer un, ailleurs, dans le rêve et dans le mythe » (Garnier 2004 : 6).

Stratégies de production et de pérennisation du sentiment d’appartenance

15 Les stratégies de construction, de consolidation et de reproduction identitaires convoquent essentiellement l’histoire, la politique et l’imaginaire.

16 En effet, le pouvoir postcolonial entérinant l’œuvre coloniale s’est inscrit dans une logique de fusion identitaire : anciens descendants des chefferies des « gens d’eau » (les Oubanguiens), sujets des résidus des royaumes de Makoko et de Koongo avec ses vassaux de Loango-Kakongo-Ngoyo sont obligés de partager le même espace national (et la même langue : le français). Ce travail d’imposition identitaire et de catégorisation ethnique à travers les cantons et les terres avait fini par figer des identités naguère fluides (Otayek s.d.). Depuis, elles « naviguent » au gré des recompositions administratives territoriales. Et c’est à travers leurs discours et stratégies électorales que les acteurs politiques mobilisent des populations d’une aire constituée de différents départements qu’ils coalisent dans des camps politiques.

17 Ainsi, outre le temps, l’espace et la langue, l’on peut citer également le rôle de l’homme. Si la territorialité est le sentiment d’appartenance à un territoire avec les attitudes et comportements qui lui sont liés, l’ethnicité est le sentiment, mieux, la conscience d’appartenir à une ethnie (c’est-à-dire un groupe dont les membres partagent la même langue et croient avoir par ce fait la même origine) et les représentations, donc les attitudes et comportements qui les différencient des « Autres ». Le problème est que ces deux types de sentiment sont souvent mobilisés, instrumentalisés généralement dans le cadre de la lutte pour le pouvoir. Autrement dit, la solidarité que suscite le sentiment d’appartenance limité à un territoire (le département) est étendue à une aire plus large. Or, ici nous nous intéressons au département en tant que territoire partagé par une pluralité d’ethnies, donc support identitaire de plusieurs groupes. En clair, les acteurs produisent des imaginaires à travers lesquels ils compartimentent le territoire national en mettant ensemble plusieurs départements. De sorte qu’ils se servent de supports existants pour suggérer, mettre en exergue, imposer par une violence symbolique une identité naguère latente : zone nord/zone sud ; Pool ; « Grand Niari » voire « Nibolek » ou « Niboland », « Gens d’eau ». C’est une ethnicité politique (Bernault 1996 : 362) ou alors une territorialité politique.

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Construction, déconstruction et reconstruction des identités teke

18 Le groupe teke très présent dans plusieurs départements n’a encore pu s’imposer comme force politique car les départements et coalitions départementales constituent les référents principaux. C’est ce que nous enseigne l’histoire de ce groupe.

Période précoloniale : le royaume de Tio et l’invasion nsuundikoongo

19 Venus du Nord-Ouest, les Teke auraient occupé les plateaux sur lesquels ils fondèrent leur royaume dès le VIIe siècle alors que le royaume voisin du Kongo ne fut fondé qu’au XIIe siècle. Le royaume teke s’étendait de l’actuel Gabon à l’actuelle RDC (OIF). Jusqu’à ce jour les Teke se retrouvent au centre-sud du Congo, à l’est notamment à la frontière du Gabon et à l’ouest, c’est-à-dire de l’autre côté du fleuve Congo, notamment entre le Kasa ï, au nord, et l’Inkissi et le Kwango au sud (Ngo ïe-Ngalla 2007 : 17). Rangés par Guthrie dans le groupe B, ils se partagent cet espace avec leurs sous-groupes, y compris leurs cousins les Eshira-ndumu classés B40, B50, B60 (Bapunu, Bandzebi, Batsengui, Bawumvu). Comme le montre Ngo ïe-Ngalla, leur dispersion territoriale est en partie liée à trois types de facteurs : le facteur démographique, l’intervention des armes à feu et ce qu’il désigne par facteur psycho-affectif. Qu’est-ce à dire ?

20 Le territoire teke s’arrêtait aux temps anciens, à la porte de Boko, au sud de la Foulakari, ainsi qu’en témoignent les toponymes et les hydronymes (ibid. : 35). L’on trouve encore vers Kindamba-Ngouéri (dans le Pool) des noms de forêts ou de rivières à consonance teke : Nga bampani ; Bwa bumpouo ; Nga bankala ; Manien, Nsiè ni biri.

21 Les hommes de ntotila s’installèrent progressivement dans la région du territoire teke comprise entre les terres des Fumu — du reste très vastes, très fertiles et peu peuplées (ibid. : 35)6 — et Brazzaville. Cette ruée des lignages et villages koongo venant des terres ingrates vers les terres teke et eshira-ndumu (ibid. : 60), ruée consécutive à la traite des esclaves, les mit progressivement en position de dominateurs des aborigènes (ibid.). Devenus nombreux surtout à partir des XVIIIe et XIXe siècles (ibid. : 37), ils réussirent à phagocyter les « Ngâ ntsièe » (« propriétaires du sol ») par l’infiltration et par la mise en gage. « Les Tékés [...] furent expropriés, absorbés, puis repoussés de plus en plus vers le Nord » (Kinata 2001 : 8). Ils nourrissaient alors un complexe d’infériorité au point de cacher leur identité. D’ailleurs, le processus de fusion des Fumu (Teke), des Koongo et des Suundi dans la région de Brazzaville aboutit vers la fin du XIXe siècle à la naissance du sous-groupe koongo appelé lari, ou laadi (Ngo ïe-Ngalla 2007 : 37 ; Gaulme 2000).

22 « Au XIXe siècle ce royaume était alors réduit à son noyau central, le Tyo Kingdom » (Ollandet 2007 : 45). Les Tio, les Anzicana ou Anzico (en teke Andzindziu ou Nzikou) sont les ancêtres des Teke (ou Bateke), sujets du roi Makoko (Gaulme 2000 ; Ollandet 2007). D’autres Tio, les Teke-Tsayi vivent avec les Lali, « dans la forêt, où les remous de la traite au XIXe siècle amenèrent de nombreux fragments de peuples venus du nord, de l’actuel Gabon » (Dupré 1990 : 1). Partis des « plateaux batéké », peut-être au début du XVIe siècle, ces Teke-Tsayi se lancèrent dans l’exploitation des gisements de fer situés au nord-est de Komono (mines de Zanaga). Cette activité autour du mont Lékoumou,

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vers Mbinda ouvrit la route aux migrations des peuples du Nord : les Duma (Nzabi), les Akele (Ngomo et Wumbu), les Kota (Ndasa), puis les Obamba (Dupré 1990).

23 Pour Elikia M’Bokolo (1992) le Royaume tio serait vraisemblablement issu de l’agrégation des petites unités territoriales et politiques au profit de l’une d’elles et d’un « grand homme », le roi, appelé Makoko. Unités territoriales qui seraient, selon Ndaywel è Nziem (1998), les ruines d’un très ancien royaume appelé N’guunu, du nom de l’ancêtre mythique qui aurait engendré les groupes aujourd’hui dispersés dans l’actuel sud du Congo et ceux venant du royaume koongo. N’guunu serait situé sur le Pool Malebo. L’agrégation de ces unités pour former le nouveau royaume du Makoko aurait eu lieu vers le XVIe siècle (Ndaywel è Nziem 1998 ; M’Bokolo 1992 ; Ayimpam 2006). Makoko résidait à Mbé, sur la rive septentrionale, mais avait des représentants ou des chefs de terre (N’ga ntsii ou N’ga ntsie) tel que le chef teke Ngobila (nom donné à l’actuel beach de Kinshasa), et autres dignitaires installés sur la rive méridionale et occupant des terres appartenant aux Bahumbu. Le fief de Ngobila se serait situé au XVIIe siècle approximativement à l’emplacement du village de Ntsasa ou Nshasa, nom auquel les Koongo auraient ajouté le préfixe Ki (Kinshasa) au XIXe siècle. Des villages teke ou humbu subsistent encore sous forme de quartiers de Kinshasa. C’est le cas de Kintambo (Ntamo), Kingabwa (Ngabwa) (Ayimpam 2006).

24 C’est le chef Ngaliema, du village proche de Kintambo, qui céda le territoire au Roi Léopold. D’où son nom actuel de Mont Ngaliema (ibid.).

25 Sur la rive septentrionale, c’est-à-dire du côté de l’actuelle République du Congo, il y avait deux grands villages dont l’activité commerciale était importante (ibid.) : Mfwa (nom par lequel les Teke continuent de désigner Brazzaville) et M’Pila, le quartier industriel de Brazzaville.

26 L’opposition viscérale des Teke aux corvées imposées par l’administration coloniale belge fut à l’origine des démêlés qui les obligèrent à organiser un exode massif vers l’autre rive. C’est en 1891 que le chef Ntsuvila de Kinshasa, le chef Bankwa de Ndolo ainsi que leurs sujets abandonnèrent les villages teke de Kintambo, de Kinshasa, et de Ndolo et demandèrent asile en s’engageant à respecter l’autorité française. Ils traversèrent le fleuve pour se réfugier sur la rive septentrionale. On leur accorda une terre à M’pila où ils reconstruisirent un village. Le chef Ngaliema de Kintambo traversa aussi le fleuve pour se réfugier sur l’autre rive quelques temps après (Ayimpam 2006).

La ruée des Teke vers le Nord

27 Les notables teke et eshira-ndumu vendirent des hommes non seulement aux Koongo mais aussi aux Bubangi (Ngo ïe-Ngalla 2007 : 48). Ainsi, les Teke (Bangangoulou, Tegue) subirent du côté de la frontière nord-est (l’Alima) la pression des Bubangi, les « gens d’eau ». Ils perdirent ainsi une grande partie de leur territoire : le confluent de l’Alima au profit des Mo ï, et la boucle de l’Alima. Les Tegue furent obligés de reculer plus au Nord (ibid. : 39-41).

28 Sur le flanc nord de l’aire culturelle teke le brassage a débouché sur des affinités entre Bangangoulou Tegue et Mbosi ; « Ces terres passées aux Mbosi, aux Mo ï, aux Kuyu et aux Makwa, peut-être depuis plus d’un demi millénaire au moins portent en effet une profonde empreinte de la culture de leurs aborigènes bangangoulou et tegue obligés de reculer devant des voisins qui compensent leur petit nombre par une singulière audace » (ibid. : 70). Ngo ïe-Ngalla recense d’ailleurs quelques anthroponymes communs

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ayant des significations identiques entre les Bangangoulou et les Mbosi : « Les Elion, Ebata, Ngankwe, Ossibi, Ondon, Etou, Ngantsio, Ondial, Ompango, Mban des Bangangoulou sont repris par les Mbosi chez qui ils deviennent Elenga, Ibara ou Ibata, et Ebara, Ngakosso, Ossébi, Ondongo, Itoua, Ngatseke, Mondele, Mompango, Mbama » (ibid. : 71).

29 À l’arrivée du colonisateur français, ces expansions ethniques furent gelées (Gaulme 2000). Ainsi, au cours du XIXe siècle sur le fleuve Congo et son affluent, l’Oubangui, les Bubangui, puis les Mboshi se trouvèrent en position de dominateurs sur les Teke. Du côté du Congo belge, ce sont les Ngbandi qui prirent le dessus (ibid.).

30 L’atlas linguistique de l’Afrique centrale inventorie aujourd’hui une quinzaine de dialectes teke mutuellement intercompréhensibles (Cerdotola 1987 : 30) : ibali (sur la rive droite du fleuve Congo), ifuumu (Brazzaville nord), iwuumu (nord-ouest de Brazzaville, Pool), ilaali (Bouenza), iyaa (situé entre le Kibembé et le Ilaali, Lékoumou), etsyee, gecaayi ou tsaayi (district de Bambama. En fait on les trouve à Mossendjo), ityoo (Kingoué et Kindamba), iboô (Boma, Plateaux), inzinzyu (ou nzikou de Djambala), kiküwä (koukouya de Lékana, Plateaux), engungwel (ngangoulou de Gamboma, Plateaux), keteye (Teke-Kaki et Njinjini), keteye, ngu ngwoni (Brazzaville sud), nci ncege (Baboma ou Mbô, Djambala sur l’axe Abala-Djambala), tee (Boundji, Ewo et Okoyo, Abala). Ces derniers sont les Teke-Alima (de part et d’autre de l’Alima) (Cerdotola/ACCT 1987 : 30-35).

31 Or, les terres teke du Pool constituent désormais le support identitaire des Kongo-lari qui ne manquent pas d’occasion pour marquer leur attachement. Même s’il semble que la déchirure causée par la perte du terroir ancestral soit mal vécue. C’est ce qui explique l’évocation constante par des Kongo des deux Congo et de l’Angola de Kongo- dia ntotila, terre d’origine, mais désormais mythique. Discours massivement exploité par des mouvements politico-religieux comme le Bundu dia Kongo (BDK) et autres « ngounzisme ». BDK qui a défrayé la chronique en janvier, février et mars 20087.

32 Toutefois, fortes de cette cohabitation séculaire, les ethnies du Pool (sauf les Teke de Ngabé) nourrissent un sentiment puissant d’appartenance communautaire. Sentiment que favorise l’usage de la langue véhiculaire du Pool : le lari, langue de communication dans les quartiers de Bacongo et Makélékélé. Les Teke du Niari, de la Bouendza et de la Lekoumou ont comme langue véhiculaire le kituba. Et ceux de la partie septentrionale parlent lingala. Ce qui veut dire que tous les sous-groupes teke se sont forgé chacun une identité selon le nouveau territoire occupé.

La dialectique territorialité-ethnicité à l’époque coloniale : la question du Haut-Ogooué

33 La colonisation a effectivement fixé les contours du Congo après plusieurs remodelages (Gaulme 2000). Mais après la conférence de Berlin en 1885 qui reconnut les droits de la France sur la rive droite du fleuve Congo, et avant la création de l’AEF le 15 janvier 1910 (Bambi 1980), les deux territoires du Gabon et du Congo n’en formaient qu’un seul, le « Gabon-Congo » ou Congo français (Rabut 1989) et se retrouvaient sous l’autorité de l’explorateur Pierre Savorgnan De Brazza alors commissaire général. Puis, la colonie gabonaise fut confiée à Ballay. Ces deux hommes se détestaient et à travers eux, les colonats respectifs, pour des questions d’intérêt. D’abord parce qu’en 1904, le centre de

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décision de l’espace Gabon/Congo se déplaça à Brazzaville, et que plus tard le tracé du chemin de fer retenu par Victor Augagneur fut celui du fleuve Congo à l’océan Atlantique. C’est le Gabon qui fournit d’ailleurs le gros de la main-d’œuvre des travaux dudit chemin de fer (Ollandet 2007 : 35). Il faut y ajouter « la violence de la campagne militaire, déclenchée depuis Brazzaville par le gouvernement gaulliste contre la colonie vichyste, d’octobre à novembre 1940 [...] » (Bernault 1996 : 117).

34 Toute l’histoire de la territorialisation semble matérialiser les conflits ou les animosités entre les deux colonats. À partir de 1920, des réorganisations administratives importantes firent basculer des villages et des régions entières tantôt dans une colonie, le Gabon, tantôt dans l’autre, le Moyen-Congo (Ollandet 2007 : 34). Ainsi, les Africains de cette contrée connurent une instabilité identitaire.

CIRCONSCRIPTIONS ADMINISTRATIVES DU CONGO DE 1913 ET 1920 Source : Gilles Sautter (1966 : 180).

35 C’est en 1921 que la circonscription Haute-Alima (avec Franceville comme chef-lieu) fut rattachée au Moyen-Congo en remplacement du Haut-Ogooué qui faisait partie du Gabon à la suite des premières réformes qui avaient donné naissance à l’AEF (ibid).

36 Ici les Teke sont présents dans les circonscriptions administratives de Louéssé, Bouendza, Batétés, Djoué, Bacongo, Pool en 1913, la Louéssé, la Bouendza, Batéké- Alima, et le Pool en 1920.

37 Dans les circonscriptions administratives de 1921, les Teke se retrouvent dans la Bouendza-Louéssé, l’Alima-Léfini et le Pool et, en 1933, on les trouve dans la Bouendza- Louéssé, le Haut-Ogooué, l’Alima-Léfini, le Bas-Congo et la subdivision autonome de Brazzaville.

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CIRCONSCRIPTIONS ADMINISTRATIVES DU CONGO DE 1921 ET 1933 Source : Gilles Sautter (1966 : 181).

38 Après la prise du pouvoir à Brazzaville par les gaullistes, qui du reste avaient entraîné les Gabonais dans la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, et les péripéties électorales de 1945, les animosités entre les colons français, entre Brazzaville et Libreville allaient avoir des répercussions.

39 En effet, les premiers hommes politiques africains des deux colonies allaient s’opposer lors des élections de 1946. Jean-Félix Tchicaya bénéficia du déséquilibre démographique entre les deux colonies pour être élu au deuxième collège (réservé aux Africains) comme représentant de la circonscription du Congo et du Gabon. Mais le candidat malheureux, le Gabonais Hilaire Aubame, alors président du conseil municipal du quartier Poto-poto à Brazzaville, contesta ces résultats. Les Gabonais décidèrent alors d’autorité de scinder la circonscription en deux pour séparer les deux colonies (Ollandet 2007 : 38-39).

40 Le gouverneur général de l’AEF cautionna en quelque sorte cette scission car pour donner satisfaction au recours introduit par les Gabonais sans trop s’éloigner des textes en vigueur, il proposa à la métropole un rééquilibrage de la population entre les deux colonies. Cela se traduisit par le retrait de Franceville et sa région du Moyen-Congo pour les rattacher à nouveau au Gabon. C’est le sens de l’arrêté du 16 octobre 1946, créant la circonscription du Haut-Ogooué et rattachée au Gabon (ibid : 39-40). Donc, le Haut-Ogooué au sud-est a été congolais de 1925 à 1946 (Gaulme 2000 ; Ollandet 2007 : 37). Le rattachement de cette région au Gabon peut être interprété comme étant la vengeance des milieux d’affaires de Libreville sur ceux de Brazzaville (Ollandet 2007 : 41).

41 Une fois de plus, les populations allaient être séparées. Ce qui était ressenti par les Teke, notamment les chefs coutumiers de la région comme un déchirement douloureux

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(ibid : 45). Le Haut-Ogooué (avec Franceville, Okondja) et l’Alima Léfini (Ossélé, Gamboma, Djambala) étaient des terroirs teke. D’ailleurs, les populations du Moyen- Congo, les Teke principalement qui revendiquaient le rejet de cette mesure arguaient des « liens de civilisation qui les unissaient aux autres peuples du bassin congolais » (ibid. : 43) ou pour les Gabonais, « [...] leur histoire et leurs liens ethniques qui les rattachaient davantage aux groupes congolais » (ibid. : 44). C’est à partir de 1950 que l’on commença à parler de « régions administratives et de districts » et que le Moyen- Congo prit sa forme rétrécie actuelle (sans Franceville, Berberati, Carnot) (Sautter 1966 : 182).

42 Jusqu’en 1957, par exemple au grand conseil de l’AEF, et même après l’Indépendance de 1960, cette zone n’a cessé d’être revendiquée.

43 C’est ainsi que pour dissiper les malentendus entre ces deux anciennes colonies désormais indépendantes sous la forme de la dernière division de 1947, il fut organisé un match de football, mais qui aboutit à « des pogroms urbains réciproques » (Bernault 1996 : 357). Après un premier tour joué à Libreville et remporté par le Gabon au score de deux buts à un, un match retour se joua au stade Éboué de Brazzaville. Le Congo gagna par trois buts à zéro ; mais le troisième but fut refusé car l’arbitre était accusé d’impartialité. Les autorités de Brazzaville réussirent à contrôler la colère des jeunes Congolais. Mais, dès leur retour au Gabon, les joueurs firent circuler des rumeurs qui amplifièrent ces légères altercations. La réaction la plus mémorable au-delà de la grande campagne de xénophobie et des attaques contre des ressortissants congolais,

CARTES DU CONGO DE 1934 ET 1950 Source : Gilles Sautter (1966 : 182).

s’est manifestée le 21 septembre 1962, par l’expulsion des villages et villes du Gabon de 600 personnes préalablement parquées dans les entrepôts des deux ports. Portant au cou un morceau de planche ayant un numéro matricule, elles furent éconduites à

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Pointe-noire à bord d’un bateau français (Ollandet 2007 : 52). À leur arrivée, ces « martyrs du Gabon » suscitèrent l’indignation de la population congolaise qui décida spontanément de se venger sur les Gabonais présents au Congo, confondant même les Dahoméens (actuels Béninois) et les Togolais, le thème de mobilisation étant la question de la région usurpée : Franceville (ibid : 53).

44 Toutes ces péripéties qui consacrent une imprégnation progressive des consciences et de l’espace (Bernault 1996 : 357) ont fait oublier pour un temps l’autre division administrative territoriale qui a contribué à séparer une fois de plus les ethnies. Et ce nouveau cadre semble servir de support identitaire spécifique. C’est ici que l’on peut observer le rôle des entrepreneurs politiques dans une construction identitaire minimisant l’identité teke et amplifiant en revanche la référence au département ou à la coalition de certains départements. L’on distingue alors les Teke du Nord, c’est-à-dire concrètement les Teke du Centre (le département des Plateaux) et ceux de la Cuvette- ouest (les anciens Teke-Alima) d’une part, des Teke du Sud essentiellement concentrés dans les départements du Niari, de la Bouendza et de la Lekoumou reconnus sous l’acronyme NiBoLek (forgé en 1991 par les acteurs politiques de l’Upads, parti du professeur Pascal Lissouba).

45 En 1934, le Niari et le Haut-Ogooué gabonais formaient le Niari-Ogooué. Il avait comme chef-lieu Dolisie, et les chefs-lieux de subdivisions étaient alors les terroirs teke, kota ou obaamba (Franceville, Zanaga, Mossendjo, Sibiti) et Kougni (Ntima).

La territorialité : une construction des entrepreneurs politiques

46 L’histoire précoloniale et coloniale en ce qu’elle révèle les dispersions des entités ethnoculturelles et leurs regroupements dans des espaces étatiques, puis celle de la territorialisation postcoloniale du Congo rendent compte d’une construction identitaire spécifique. Cela veut dire que non seulement la proximité géographique, la cohabitation et la participation à des activités communes ont généré « une parenté linguistique que l’histoire même récente à laquelle les uns et les autres se réfèrent, confèrent une identité ethno-géographique » (Missié 1986 : 211), mais aussi et pour des besoins électoraux, que des acteurs politiques se forgent des bastions ethniquement hétéroclites. Ils s’activent à susciter chez les ressortissants de ces entités géographiques un sentiment d’appartenance à une même aire imaginée comme une même communauté géo-linguistique, culturelle, ou en mobilisant une hypothétique histoire commune. Or, comme le montre si bien Fabrice Weissman (1993 : 91) « Bien qu’ils soient caractérisés par une forte hétérogénéité ethnique, les bastions électoraux n’en ont pas moins développé une conscience identitaire ». Donc c’est aussi par le jeu politique de consolidation de la conscience identitaire départementale que nous pourrons examiner la concurrence entre les deux modes de vécu identitaire (ethnicité et territorialité) chez les Teke.

Le conflit fondateur de la division Nord/Sud

47 D’abord, il convient de retenir que l’histoire de la lutte politique depuis l’instauration après 1945 de l’élection comme mode de désignation des autorités met en scène les stratégies de mobilisation génératrices des identités transethniques mais limitées.

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C’est-à-dire qu’en fait d’ethnies, il s’agit plutôt de coalitions hétéroclites d’ethnies fédérées dans un ou plusieurs départements. Ces coalitions (Nord, Grand Niari, Pool, etc.) forment des bastions ayant développé une conscience identitaire.

48 C’est la leçon que l’on peut tirer des différentes échéances de 1951 à 1959 et qui révèlent que par stratégie électorale les leaders politiques se fondaient sur l’ethnie (Wagret 1963 ; Bernault 1996).

49 En effet, les Kongo-lari votaient pour un absent, André Grenard Matswa, leader de l’Amicale des Africains, pourtant mort depuis 1942, mais qu’on croyait comme encore en vie. On disait alors qu’ils votaient pour les os (bihissi). En 1952 par exemple, le vote abstentionniste des partisans de Matswa s’éleva à 36,5 %.

50 Cette élection révèla une première bipolarisation entre le PPC des Vilis Jean-Félix Tchicaya et Stéphane Tchitchelle d’un côté, et la SFIO du Mbosi Jacques Opangault de l’autre. Les Teke des Plateaux et les ethnies des régions du Nord votaient pour le candidat de la SFIO/MSA, Jacques Opangault. Ce, malgré les tentatives de séduction par la section congolaise du RPF — ou l’UDDIA plus tard — qui s’appuyaient sur le Roi, ignorant que celui-ci ne pouvait influencer les électeurs teke.

51 L’on peut ensuite observer que dès l’arrivée du Kongo-lari, l’abbé Fulbert Youlou sur la scène politique en 1956, il y eut un report de voix des électeurs de Matswa, vers l’UDDIA8, son parti. L’UDDIA obtint ainsi le même score que lors du vote abstentionniste de 1951 : 27,5 %/27,6 %.

52 En 1956 c’est l’alliance PPC-MSA qui gagna 23 sièges contre 22 pour l’UDDIA. Cette alliance s’élargit plus tard jusque dans une partie du Niari, notamment en zone kougni (axe Loudima-Makabana) à travers le GPES de Simon Pierre Kikhounga Ngot. En revanche, l’axe route du Gabon représenté par Victor Sathoud d’ethnie lumbu soutenait l’UDDIA. « Ce n’est qu’après que l’Abbé eut pris le pouvoir en novembre 1958, lorsque les bénéfices du soutien à l’UDDIA devinrent évidents, que les Plateaux (et les Batéké de Brazzaville) basculèrent vraiment dans l’escarcelle du parti » (Bernault 1996 : 277).

53 La deuxième bipolarisation est consacrée par les élections législatives de 1959, élections qui interviennent après une guerre civile. Celle-ci met aux prises d’un côté le MSA qui regroupe essentiellement les originaires du Nord Congo (sauf la Sangha) et une partie du Niari et du Kouilou du fait de l’alliance d’Opangault avec le leader du GPES ; de l’autre l’UDDIA regroupant en majorité les originaires du Pool et accessoirement de la Sangha et du Kouilou.

54 Sur le plan imaginaire, la guerre de février 1959, transformée sur le terrain en conflit Nord/Sud ou dans l’amalgame mbosi/kongo, a effectivement divisé ce pays en deux (Wagret 1963 ; Bernault 1996). La configuration de Brazzaville en quartiers des Kongo/ quartiers des Mbosi en est une illustration.

55 Si le Sud correspond à peu près à l’ancienne « circonscription », dénommée selon un décret de 1931 Bas-Congo (Kouilou, Brazzaville, Mayama, Mouyondzi, Madingou, Mindouli, Boko), en réalité il y a une autre subdivision imaginaire : Pool ; « Grand Niari » et Kouilou (Missié 1986 : 313). Et le Nord pour les agents sociaux commence des quartiers nord de Brazzaville jusqu’à la frontière du Congo avec les Républiques centrafricaine et camerounaise. Ces bastions semblent avoir plus d’impact que l’appartenance ethnique.

56 Après les affrontements de 1959, et en prévision des élections législatives du 14 juin de la même année, l’abbé Fulbert Youlou procède à un découpage des circonscriptions

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électorales qui noient les électeurs bacougnis, fidèles à Kikhounga Ngot, dans une grande circonscription Kouilou, Kouilou-Niari, Niari-Bouendza (16 députés). De même, les électeurs de l’Alima Lefini et, plus particulièrement, ceux du district d’Abala traditionnellement favorables au leader du MSA, Jacques Opangault, sont rattachés à une immense circonscription Pool, Djoué, Alima Lefini (25 députés) plutôt proches de l’UDDIA et donc, de l’électorat Bas-Congo (Wagret 1963 : 90). Mais il faut dire que la consigne de vote donnée en 1961 par Opangault par souci de réconciliation était suivie tant par les Mboshi que par ses électeurs teke et gangoulou. Ils votèrent à l’unanimité pour Fulbert Youlou (ibid : 106-107).

57 Pendant près de trois décennies, l’imaginaire des acteurs sociaux était travaillé par cette division de 1959. Ils tendaient à orienter leur comportement en fonction de ce schéma, du reste réactivé par les guerres de 1997-2001, et par le mode de gestion bureaucratico-ethnolignagère du pouvoir par les régimes successifs tant monolithiques que prétendument démocratiques. Dès lors, tout acte politique, toute nomination n’étaient perçus que sous cet angle Nord/Sud. Ce sont ces identités construites, consolidées dans l’ombre qui vont émerger à la faveur du processus de démocratisation, notamment à la conférence nationale de 1991.

L’invention du « Grand Niari » ou « Nibolek »

58 En ce qui concerne la construction de l’identité « Grand Niari », il faut remonter à la création en mai 1934 par Albert Dolisie de la ville qui porte son nom, ville qui devient, « la capitale informelle » du « Grand Niari », le point de rencontre des populations des « pays du Niari ». Regroupant des ethnies diverses en raison de l’ouverture favorisée par les travaux du chemin de fer (1921-1934 et 1961), cette ville a subi de plein fouet la pénétration marchande, l’imposition du salariat et l’émergence des premières luttes sociales. Tous ces faits ont été porteurs d’un sentiment d’appartenance ayant valeur de transcender les origines socio-ethniques. Mais les passions politiques de l’ère coloniale (1956-1960), notamment la guerre de 1959 ont réajusté ces sentiments, chaque acteur ayant été amené à se recroqueviller dans sa communauté restreinte (Rey 1971).

59 L’évolution cartographique montre que les populations des trois régions du Niari, de la Bouenza et de la Lekoumou, ont cohabité dans le cadre des circonscriptions, des départements ou des régions administratives. Certes, en 1946, le Niari avait voté PPC. Mais en 1957, le Niari était divisé entre trois factions : le PPC représenté par Pierre Goura (30 %), le GPES de Kikhounga N’got (50 %) et l’UDDIA (20 %). Il n’y avait donc pas d’unanimité même au sein d’un lignage (Bernault 1996 : 272-273). Pourtant ces identités circonstancielles n’ont pu effacer la solidarité née de la cohabitation durable de ces groupes.

60 Donc, même s’il existe désormais (depuis 1967) trois régions à savoir, le Niari, la Bouenza et la Lékoumou, la mémoire collective des générations des années de la colonisation remet constamment à l’ordre du jour la solidarité, la parenté fictive, fruit de la cohabitation des ethnies du Niari-Ogooué de 1934, puis du Niari de 1947-1950 et, à partir de 1964, des ressortissants de la Letili (Zanaga, Bambama), de la Nyanga-Louéssé (Mossendjo, Divenié, Mayoko), du Niari (Dolisie, Loudima, Kimongo, Kibangou), de la Bouenza-Louéssé (Sibiti, Komono) et du Niari-Bouenza (Madingou, Jacob, Mouyondzi, Boko-Songho). Hormis quelque parenté linguistique des sous-groupes teke (Tsayi, Yaka, Lali), kota (Ndassa woumvou) et nzabi-mbédé (Tsangui) d’une part, et des sous-groupes

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kongo (Kugni, Bembé, Minkengué, Sundi, Ladi, Dondo, Kamba...) et echira-ndumu (Lumbu, Punu, Bwissi, Ndzabi) d’autre part, la différence entre ces groupes teke, kongo, nzabi-mbédé et kota s’est émoussée, édulcorée, mise en veilleuse par l’usage d’une langue véhiculaire : le munu ku tuba (je dis) ou kituba selon les linguistes. Les villes de Nkayi, Dolisie et Mossendjo constituent ainsi des métropoles. Lieux de rencontre entre ces communautés, ces villes sont des lieux de construction identitaire des « kitubophones », tout comme Brazzaville nord et les localités du Nord Congo constituent des lieux de construction de l’identité des « Gens d’eau » : les Ngala.

61 Même si le terme « nibolek » n’apparaît qu’à la fin de la Conférence nationale (Weissman 1993 : 94) sous instigation des acteurs politiques regroupés autour de Pascal Lissouba, son existence latente en tant que concept géographique et économique date de l’époque coloniale. En effet, le colonisateur français avait un vaste projet de développement agricole sur la riche vallée du Niari, c’est-à-dire toute cette zone traversée par le fleuve du même nom (ibid.). Lissouba en sa qualité de directeur des services agricoles dès la fin de ses études (docteur ingénieur) en 1961 et de chef du gouvernement en 1963-1966, avait remis à jour la valorisation agricole de ces régions (ibid.). Selon Weissman, les populations de cet espace « [...] prennent conscience de la communauté d’intérêts qui les lie et voient dans l’ingénieur agronome l’homme providentiel capable d’assurer leur promotion. De là naît le mythe "Lissouba" » (ibid.).

62 Pour Hugues Bertrand (1975 : 57), « [...] le premier ministre, Pascal Lissouba, [...] s’efforce de travailler dans une optique nationale plutôt que régionale (ou tribale), techniciste plutôt que "clientéliste". Ce faisant, s’il élargit son horizon politique, il se retire l’habituel tremplin de sécurité (ethnique) que se ménagent la plupart des hommes politiques locaux : il inquiète, fait peur, et le président n’aura pas trop de mal à faire le vide autour de lui, à obtenir sa démission. »

63 Il aurait été accueilli par des acteurs politiques du « Grand Niari ». Ces derniers, qui tissaient alors dans l’ombre la toile identitaire trirégionale, étaient souvent des coupables désignés lors des coups d’État. « Un autre Lissouba en naîtra, très "régionaliste" et représentant pour les initiés, de ce qu’on appellera le bloc du "Grand Niari" » (ibid.).

64 Si bien que lorsque se présente l’opportunité démocratique, ils n’ont pas de peine à mobiliser sur la base de cette appartenance en état latent et à transformer cette conscience identitaire en identité politique.

Le cas de la Cuvette-ouest

65 L’identité nordiste est, quant à elle, le résultat de la politique clientéliste de Ngouabi (Ossébi 1982 : 12). « C’est pour se substituer à l’emprise sudiste du pouvoir qu’à partir du coup d’État de Marien Ngouabi en 1968, les régions du nord ont commencé à se fédérer sous l’étiquette générique de Mbochi [...]. D’emblée, cet ensemble s’est structuré sur une base essentiellement clientéliste, son unité ne résidant que dans la communauté d’intérêts à inverser les flux redistributifs de la machine étatique » (Weissman 1993 : 97).

66 C’est ce qui pourrait justifier le découpage électoral de 2002 : les Plateaux qui, en 1992, comptaient six circonscriptions, passent en 2002 à treize. Au total, le Nord qui représente le tiers de la population du Congo, réputée favorable au président Sassou

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Nguesso, originaire d’Oyo (Cuvette), gagne 15 circonscriptions supplémentaires (Missié 2007a : 8-9).

67 Le Nord est donc imaginé comme le fief du pouvoir, bien que la partie ouest se trouve tellement enclavée que les populations préfèrent se tourner du côté du Gabon pour leur subsistance. C’est ce prétexte que les ressortissants de cette partie ouest de la Cuvette avaient d’ailleurs utilisé pour revendiquer la scission, à la faveur de l’ouverture démocratique. En effet, dans l’effervescence démocratique de la fin des années 1980, les cadres de cette zone s’étaient fait les porte-parole des populations kota, mbéti et tegue. Au moment où les conférenciers dénonçaient les dérives ethnorégionalistes du PCT (nordisation et cuvettisation du pouvoir), ils en profitèrent pour se désolidariser des défenseurs du « pouvoir du Nord ». Ils écrivirent au président de la République, Sassou Nguesso, originaire de la partie est, beaucoup moins défavorisée en termes d’occupation de postes-clés et d’infrastructures. Leur argument était que la partie ouest n’avait jamais bénéficié des avantages du « pouvoir du Nord », qu’ils manquaient de voies reliant les localités de la partie ouest à la partie est, qu’ils se sentaient culturellement différents des Mbochi et qu’ils recevaient des « coups » injustement. Le président les fit venir et les pria — dans un contexte où il était sur la défensive à cause de la dissidence de la plupart de ses courtisans — de privilégier la solidarité régionale (la grande Cuvette et le Nord). Mais ils refusèrent. Ils consultèrent Monseigneur Nkombo, président du Conseil supérieur de la République, Parlement de transition et André Milongo, Premier ministre du gouvernement de transition. Ceux-ci acceptèrent le principe de la création d’une dixième région. Le régime Lissouba, qui vint après la Transition, trouva là une aubaine pour montrer sa « générosité » en promulguant la loi portant création de la région de la Cuvette-ouest. Depuis lors, et pour des raisons électoralistes, toutes les tendances politiques s’activent à susciter la sympathie de ces cadres tegue, ngare kota et mbeti.

Exclusion du champ politique des Teke possesseurs de la terre

68 Pendant les trois décennies de pouvoir monolithique, si les acteurs kongo-lari, vili et mbochi avaient développé chacun une conscience identitaire liée à l’espace géographique — ce qui leur permettait de revendiquer dans l’informel une place sur l’échiquier politico-administratif — les Teke, quant à eux, pourtant plus nombreux et représentés dans plusieurs départements, n’avaient pu insuffler cette conscience identitaire teke transrégionale. Il est vrai que les Plateaux ont eu en juillet 1959 comme ministre de l’Enseignement (régime youlou), Prosper Gandzion, que dans ce même gouvernement il y avait Pierre Goura un Yaka de Sibiti (Lekoumou) et que David Charles Ganao (d’ethnie nzikou) a plusieurs fois assumé les fonctions de ministre des Affaires étrangères. Le maire de Brazzaville, Lambert Galibali (teke des Plateaux) a réalisé de grandes œuvres telles que le « Boulevard des Armées ». Mais, leur présence au sein des instances dirigeantes n’a jamais pu promouvoir une conscience identitaire teke transrégionale. Bien au contraire, chaque sous-groupe s’est plutôt inscrit dans le cadre territorial tel qu’instrumentalisé pendant les périodes électorales des années 1950-1961. Les possesseurs de la terre ont donc souvent été exclus du pouvoir. De 1960 à ce jour, seuls des membres de trois groupes suscités se partagent le pouvoir. Il n’y a jamais eu de président, de vice-président ou de Premier ministre teke, sauf les éclipses

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de David Charles Ganao (1996-1997) et de Maurice Stéphane Bongho Nouara (trois mois) qui était à la fois de la Sangha et de la Cuvette-ouest. Certes, le bureau politique du MNR de 1964 avait comme commissaire aux comptes l’un de ceux-là même qui ont fait partir Youlou, Gabriel Obongui, d’ethnie gangoulou (Missié 1986 : 274-321). En 1972, Charles Ngouoto, un Teke de Zanaga (Lekoumou) était chargé de l’organisation au bureau politique. Ses « compatriotes » (de Zanaga) lui reprochent de les avoir oubliés, c’est-à-dire, de n’avoir pas mené une politique clientéliste. Le général Raymond Damase Ngolo, membre du CMP et plusieurs fois ministre n’est reconnu qu’à Abala et à Ngabé. En 1997-2002 le ministre des Finances, Mathias Dzon, aurait privilégié les sympathisants de son parti-ethnie, les Gangoulou. Il n’a, de ce fait, pas attiré d’autres Teke.

69 Certes, la « tékénité » existe en état latent. C’est-à-dire que tout en sachant qu’il existe d’autres sous-groupes teke, chacun se dit teke pur.

70 Lors du procès radiotélévisé de janvier et février 1978 sur l’assassinat du président Marien Ngouabi, le ministère public, Maître Jacques Okoko, d’ethnie kouyou (région de la Cuvette) s’exclama devant Tara Nganzion, un prévenu identifiable par ses tatouages comme Teke des Plateaux : « Même les Batékés veulent prendre le pouvoir ! »

71 Cette extériorisation des représentations négatives, cet aveu public de rejet suscita une indignation, une prise de conscience réactive et comme un désir de relever le défi. C’est ainsi que sous l’initiative des cadres teke des Plateaux comme Florent Ntsiba, ancien membre du Comité militaire du Parti (1977-1979), il aurait été créé au début des années 1980 dans la clandestinité, en raison du contexte monolithique, un « Front de libération des Batékés et des Bangangoulou » (Frolibaba). Très ancré dans les Plateaux, le Frolibaba se voulait être un rassemblement de tous les sous-groupes teke du Congo. En fait il s’agissait de construire une ethnicité politique afin de montrer qu’eux aussi pouvaient « commander », en réalité c’était la volonté des acteurs politiques et autres cadres teke soucieux d’accéder et de perdurer dans des positions de pouvoir. Le président Bongo du Gabon aurait même été mis à contribution, mais aurait joué double- jeu.

72 C’est dans cette optique que lors de son passage au ministère des Postes et Télécommunications, Florent Ntsiba aurait privilégié dans les recrutements et les nominations aussi bien les Teke des Plateaux que ceux de la Lékoumou. Démis de ses fonctions et suspendu du comité central du PCT en 1983, officiellement pour « inconséquence idéologique » (pratiques fétichistes), il vit ce projet s’évanouir. Et la conscience identitaire teke transrégionale ne put émerger comme identité politique.

73 Le projet de Florent Ntsiba fut d’une certaine manière repris par Charles David Ganao d’ethnie teke (nziku). En septembre 1991, dans son discours inaugural tenu à l’Hôtel de ville de Brazzaville, ce fondateur de l’Union de forces démocratiques (UFD) fit un clin d’œil à l’ensemble des Teke dispersés intra-muros : « Avant de terminer, je voudrais avoir un mot particulier pour ce peuple Teke, peuple pétri de culture, étrangère sur ses propres terres [...] » (Missié 2003 : 229).

74 Il semblait ainsi inviter les Teke à revendiquer leurs droits d’antériorité ou leur autochtonité et donc l’autorité due aux propriétaires du sol. La matérialisation de ce projet se lit à travers la composition du bureau fédéral de son parti. On n’y trouvait que des Teke : des Plateaux, du Pool, de la Bouenza et de la Lékoumou (ibid.).

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75 Dans la même période (1991-1992), Maître Jean-Martin Mbemba, Teke-fumu, créait avec quelques autres Teke comme Aba Gandzion (Teke de la lignée royale) et Joseph Ouabari (Gangoulou), l’Union pour le progrès (UP).

76 Mais tout cela n’a pas suffi à susciter l’émergence d’une conscience identitaire teke transrégionale. D’autant plus que ceux des « Pays du Niari », les « Nibolek », regroupés au sein du parti de Lissouba (d’ethnie minoritaire nzebi), avec comme logo trois palmiers qu’on pouvait facilement assimiler aux trois régions se disaient : « C’est notre tour ! » Car ils s’identifiaient au pouvoir, se l’appropriaient psychologiquement, jouissaient par procuration comme le faisaient bien avant eux les Kongo-lari (1958-1968), puis les ressortissants de la partie septentrionale désignés par Mbochi, « Norvégiens » ou « Nordistes » (1968-1991).

77 Ainsi, en plus du fief « nibolek », la « Mouvance présidentielle » (sous Lissouba) cherchait à élargir sa base électorale en créant le concept de tékéité ou tékénité9. « L’aire culturelle Batéké englobe aujourd’hui d’autres groupes ethniques peu à peu assimilés au peuple Batéké dont ils ont adopté la civilisation. Ainsi en est-il des Obamba venus du Nord (Kelle Okondja dans le Haut Ogooué gabonais) jusqu’à Franceville, des Bakanighi, des Bandjibi et des Ndumu (Franceville) qui tous font partie aujourd’hui de l’aire culturelle Batéké » (Cabrol s.d. : 33).

78 Dans les « Pays du Niari » (Mossendjo, Sibiti, Komono, Zanaga, Bambama et Mayéyé), les Teke et les Kota et même les Ndzabi ont effectivement développé, du fait de la longue période de cohabitation, une parenté linguistique et un sentiment d’appartenance collective : la « tékéité ». C’est cette tendance que les « Mouvanciers » voulurent étendre jusqu’aux confins de la Cuvette-ouest (Ewo, Okoyo, Lékéti) où cohabitent les mêmes groupes (kota, mbéti, tegue...).

79 Le parti MARS de Jean Itadi — un Ndasa (Kota) de la Lékoumou — était perçu comme un regroupement des Kota des « Pays du Niari » et de la Cuvette-ouest. Mais pour n’avoir pas été gratifié, son unique député, Léon Alfred Opimpat de Mbomo (Cuvette-ouest) passa dans le camp du PCT, c’est-à-dire le parti du Nord. En revanche, le philosophe Grégoire Lefouoba d’ethnie mbeti s’appuya certainement sur la « tékéité » comme argument pour quitter le camp de Sassou. Ainsi, il put rester longtemps ministre sous Lissouba.

80 Toutefois, malgré la multiplication des rencontres teke, la nomination de Charles David Ganao au poste de Premier ministre, l’organisation des danses folkloriques des sous- groupes teke à Brazzaville, la présence des dignitaires teke des Plateaux aux obsèques d’un grand chef teke de Komono en 1995, la guerre de 1997 a pu arrêter la « tékéisation » ou le processus d’invention par les acteurs politiques d’une identité politique sur la base de l’existence objective d’un ensemble de sous-groupes qui croient avoir la même origine. Cela, parce que les Teke du Pool ont souvent bénéficié des avantages psychologiques ou matériels du pouvoir : Youlou (1958-1963), Massamba Debat (1963-1968). Ils n’ont donc pas grand intérêt à se désolidariser des Kongo-lari. Or, le caractère quasi éphémère du pouvoir Lissouba, qui fut du reste perturbé par des intermèdes guerriers, arrêta ce processus. La redistribution bureaucratico- ethnolignagère qui aurait pu générer et/ou soutenir une conscience identitaire teke transrégionale ne put se faire dans la durée. Même les nouvelles tentatives de « tékéisation » que l’on peut lire à travers les rencontres (fin 2008) de l’Association civilisation-culture et identité teke (Cité) animée par l’ancien représentant du Congo à

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l’OUA, Pascal Gayama entouré des cadres tel que le professeur Yala, semblent ne pas intéresser les Teke-nibolek et Fumu.

81 Ainsi, bien que se disant tous Teke, ce qui prédomine encore en chacun d’eux c’est l’identité liée au territoire. Il y a des Teke du Nord/Teke du Sud ; Tegue/Teke-tsayi, etc. Bien d’autres facteurs pourraient rendre raison de cet échec.

Quelques facteurs de blocage de l’identité teke transrégionale : inexistence des voies de communication

82 L’un des facteurs de la production du sentiment d’appartenance est l’existence des voies de communication entre certaines régions. Dans ce cas, les groupes ont tendance à réécrire une nouvelle histoire, à produire une nouvelle culture teintée d’emprunts auprès du ou des groupes voisins. Zanaga dans la Lékoumou et Kébara dans les Plateaux, toutes deux peuplées des mêmes communautés teke, ne sont séparées que de soixante-dix kilomètres. Mais elles ne se fréquentent plus par manque de route. D’un côté comme de l’autre, l’on trouve des noms tels que Mbani, Ntsiba, Mbouni, Likibi, des noms de jumeaux (Ngambou ou Mbou et Ngampika ou Mpika voire Pi ou Ngambio et Ngampio). Le nom Foutika dans la Lekoumou devient Fourika dans le Pool puis Mfourga dans les Plateaux. Miété dans la Lekoumou devient Miéré dans les Plateaux. Bien qu’ils se disent tous Ngâa ntsièe, leur culture n’est plus tout à fait la même. À Lékana et Djambala, l’on a coutume de faire des balafres. À Zanaga et Komono, les tatouages sont plus discrets. À Ngabé, les griots s’expriment par des paroles chantées. Ils invoquent le « Nkué Mbali ». Dans la Lékoumou, c’est le likembé, une musique de fête. L’on invoque les « Nkita ». Par conséquent les Teke des Plateaux ont appris à regarder du côté du Nord, surtout que toutes les mobilisations politico-ethno-régionales de la période 1945-1961 ont favorisé la référence à la nouvelle identité ethnodépartementale. Il est plus facile au Teke de Kebara ou Lekana de se rendre à Brazzaville (environ 400 km) ou à Owando (Cuvette) que d’aller à Zanaga ou de façon générale dans la Lékoumou. La rivière Loulali (selon les Kongo-lari) ou Lelali (en teke-yaka) sépare le district de Kimba, notamment le village « Douze manières » (Pool), du district de Zanaga (village moukolo). Les Teke de la Lékoumou regardent désormais du côté du Niari et de la Bouenza. Ils se sentent Teke certes, mais aussi « Nibolek ». Et leurs parlers respectifs ont été influencés par les dialectes des groupes avec lesquels ils cohabitent. Ce qui renforce encore la différence entre ces sous-groupes qui formaient pourtant un seul groupe. Toutefois, les Teke de Ngabé se sentent plus proches des Teke des Plateaux que des Kongo-lari avec qui ils forment le Pool depuis 1920. Ceci s’explique par le fait que Brazzaville (avec sa configuration Nord/Sud, foyer des conflits interrégionaux) constituant une zone tampon entre les deux zones, et terre des Mfumu (ou Amfum) « larisés », ces groupes se sentent différents. L’un utilise le lari et l’autre le lingala. Aussi, les jeunes teke de Ngabé (Pool nord), des Plateaux et de la Cuvette ouest (des « lingalophones ») se laissaient-ils facilement enrôler au nom de l’identité nordiste dans les milices « cobras » de Sassou Nguesso. A contrario, les jeunes Teke « kitubophones » formaient le gros des miliciens « zoulous », « mambas » et « cocoyes » des « Pays du Niari », fief de Lissouba. Quant aux jeunes Teke des « pays de Mpangala » (Pool sud), ils adhéraient plutôt à la milice « ninja » de Bernard Kolelas et du « Pasteur Ntoumi ».

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83 *

84 Notre objectif était d’analyser les méandres de l’identité, notamment à travers le rapport concurrentiel entre le sentiment d’appartenance à une communauté sociolinguistique (l’ethnie) et l’identité qui naît de l’occupation territoriale d’une aire géographique. En partant de l’hypothèse de l’importance de la dimension spatiotemporelle et du rôle des leaders dans la construction identitaire, nous nous sommes basé sur l’histoire des Teke, ces anciens sujets du roi Makoko aujourd’hui dispersés à travers trois États, et à l’intérieur de ces États des départements. Nous avons montré qu’hier (1934-1945), les Dolisiens et les Francevillois faisaient partie du même département : le Niari-Ogooué. La cession de Franceville au Gabon à l’époque où Félix Tchicaya siégeait au Palais Bourbon est consommée. Bien que les frontaliers continuent d’entretenir quelques rapports, de façon générale, les uns et les autres, les Congolais et les Gabonais, et même les ex-Za ïrois se réfèrent désormais à leur nouvelle identité territoriale (et la revendiquent fort).

85 L’on peut donc retenir que la proximité géographique, l’histoire (enfance ou adolescence, cursus scolaire, activités diverses) écrite et vécue dans un espace donné auquel on est attaché (le terroir), l’utilisation d’une langue commune restent déterminantes. Lorsque cette histoire est intériorisée, son évocation suscite nostalgie, renforce ou renouvelle le sentiment d’appartenance. La cohabitation des Teke, Nzabi, Punu, Kuni, Bembe dans une ville comme Dolisie où ils ont partagé la même misère, la même exclusion et/ou persécution politique, puis l’illusion d’être le groupe au pouvoir, a généré et entretenu un sentiment d’appartenance territoriale plus fort que l’existence objective des Teke au sens large (du Nord et du Sud). De même, les Teke du Pool ayant partagé la même histoire politico-culturelle avec les Kongo-lari ont développé avec eux une conscience identitaire. Les Tegue, les Kota et les Mbeti de la Cuvette-ouest oscillent entre leur identité nordiste construite sous le régime dit du « Pouvoir du Nord » et leur identité départementale nouvelle.

86 C’est donc dire le rôle des entrepreneurs politiques dans la création des espaces politiques transrégionaux à valeur fédérative, espaces à partir desquels ils négocient dans les transactions politiques.

87 Chaque Teke a certainement conscience de sa « tékéité ». Mais, les mobilisations et les conflits politiques des années 1950, prorogés par les acteurs de la postcolonie, l’inexistence des voies de communication ayant favorisé la distance entre ces sous- groupes qui avaient des contacts dans les temps anciens n’ont fait voir à chacun que son côté « nordiste » ou « sudiste » ou mbochi/kongo. Cette ethnicité politique revêt un caractère durable qui irradie dans toute la société lorsqu’elle soutient une politique clientéliste, qui renforce en chacun la conviction que son devenir ou son avenir (s’agisse-t-il d’une jouissance par procuration) ne peut venir que de ses coreligionnaires au pouvoir. Or, les Teke, tous sous-groupes confondus, n’ont pu construire une base politique, même si le projet de promotion de l’identité teke transrégionale (« tékéité ») qui se voulait culturel cachait en réalité des ambitions d’érection d’une ethnicité politique visant le contrôle pérenne de l’appareil d’État.

88 Ainsi, que ce soit les ressortissants du Pool dont l’unité des membres s’est renforcée pendant les luttes anticoloniales et sous les deux premiers régimes ; que ce soit les « Nibolek » vivant à l’ombre de Lissouba, la construction de l’identité territoriale en tant qu’ethnicité (ou territorialité) politique s’appuie sur la communauté d’intérêts. Celle-ci commande la lutte pour le pouvoir en tant que moyen de captation et de

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contrôle des avantages symboliques et matériels. C’est dans ce sens que les leaders sont perçus comme les représentants et/ou les défenseurs d’une aire donnée. Chaque figure ethnorégionale qui émerge apparaît dès lors comme le « sauveur » de ses « compatriotes », le canal par lequel viendrait la survie, le bien-être ou le développement de ceux qui se positionnent comme étant les siens, en réalité sa base politique.

89 Dans la vie quotidienne, il est certes difficile d’observer la segmentation de la société. Il n’empêche que, selon les imaginaires locaux, le Kouilou s’identifiait à Tchicaya- Tchitchelle puis à Tysthère Tchicaya. Et les Mbochi-Kouyou se regroupant autour de Marien Ngouabi grâce à sa politique clientéliste n’ont pu voir en Yhombi Opango (1977-1979), président d’un comité militaire du parti à 90 % composé de ressortissants du Nord, le « fidèle continuateur de l’œuvre de l’immortel Marien Ngouabi » (sic) en raison du contexte d’austérité, mais surtout des luttes internes (ligne droitière et liquidationniste et l’aile révolutionnaire) (Bazenguissa-Ganga 1997). Depuis 1979, Sassou Nguesso semble présenter, malgré la parenthèse « upadésienne », plus de garantie dans ce que l’on appelait la politique de « Ledza, lenua, leyiba mbongo, le nda » (« Mangeons, buvons, dilapidons les deniers publics, construisons des maisons »), version congolaise du néopatrimonialisme. Et l’ethnicité semble ainsi avoir de beaux jours.

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Décrets et Arrêtés publiés au Journal Officiel

Journal Officiel de l’AEF :

— Arrêté du 30 avril 1931, fixant les limites des subdivisions de la circonscription du Bas-Congo (Kouilou, Brazzaville, Mayama, Mouyondzi, Madingou, Mindouli, Boko).

— Arrêté du 15 novembre 1934, subdivisant le territoire du Moyen-Congo en cinq (5) départements.

— Arrêté no 0079/AP du 7 janvier 1957 portant création de la Région du Niari-Bouenza.

Journal Officiel de la République du Congo :

— Décret 59/In/AG du 1er avril 1959 portant réorganisation des districts de Divénié, Dolisie, Kibangou et Loudima et création des Régions du Niari, de la Bouenza-Louéssé et la Nyanga- Louéssé.

— Décret no 61-38 du 16 février 1961 portant création des Préfectures de l’Alima, de la Léfini et de la Likouala-Mossaka.

— Décret no 62-396, du 7 décembre 1962 portant modification des limites des Préfectures de l’Alima et de la Lefini et créant la Préfecture de la Nkeni, JORC, p. 926.

— Décret no 63-45 du 12 février 1963, p. 253.

— Décret no 63-55 du 19 février 1963, p. 280.

— Décret no 67-243 du 25 août 1967 fixant l’organisation administrative territoriale de la République du Congo.

— Loi no 02/95 du 18 février 1995 portant création de la Région de la Cuvette-ouest.

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NOTES

1. Le terme « Pays du Niari » désigne l’espace drainé par le fleuve Niari. Mais dans la pratique l’on exclut les districts et autres localités du Pool riveraines dudit fleuve pour ne retenir que les départements de la Bouenza, du Niari et même de la Lekoumou. 2. Dans l’imaginaire des Congolais, le Nord commence à partir des quartiers nord de Brazzaville, notamment Tala Nga ï jusqu’aux confins de la Sangha et la Likouala (frontières du Cameroun et de la RCA). 3. FDU : Front démocratique uni. Groupement des partis affiliés au PCT de Sassou Nguesso. 4. Dans la Lekoumou, les Ambamba (pluriel de Ombamba) sont confondus aux Kota, c’est-à-dire aux Woumvou, Ndasa, Mbangwè... Voir à ce propos Marcel IPARI (2006 : 27). Un autre auteur avance que : « Les Ambedés qui officiellement sont connus sous le nom d’Obambas, portent de nombreux noms différents suivant la région qu’ils habitent. Mbetis dans la région d’Abolo, leur pays d’origine, les Oumbetés de De Brazza, Embiri, Asimbende, à France-ville, Lastourville, Zanaga, Sibiti, Mossendjo. Dans ces dernières régions on les appelle à tort Bakotas, sans doute parce qu’ils sont arrivés dans ces pays en compagnie de tribus de race kota, les Mindassas et les Bangomos (1954). » 5. Les Teke sont désormais originaires du Niari, de la Bouenza, de la Lekoumou, des Plateaux et de la Cuvette-ouest. Brazzaville est selon la loi, un département. Ce terme remplace désormais celui de région. 6. C’est le droit d’acheter des hommes, droit accordé aux Portugais par Afonso Ier après la bataille d’Ambuila en 1665, qui entraîna une poussée générale des populations de l’intérieur, attirées par une côte où se concentrait la richesse (GAULME 2000). 7. Courant le premier trimestre 2008, Radio France internationale et les radios de la RDC ont fait un large écho des mouvements antichrétiens des adeptes du BDK. Comme la plupart des associations telles que l’Abako (Association des Bakongo), ce mouvement « mystico-politico-religieux » revendique non seulement le retour aux religiosités locales, mais également la réhabilitation du « Congo central », c’est-à-dire regrouper sur les terres ancestrales tous les descendants de l’ancien royaume du Kongo : les Kongo des deux Congos et de l’Angola. Sous l’instigation de leur leader, le député non moins intellectuel baptisé Ne Muanda Nsemi, les adeptes du BDK avaient organisé dans le Bas-Congo (RDC) des assassinats de tous ceux qui osaient afficher leur allégeance aux religions venues d’ailleurs, notamment le protestantisme et le catholicisme. 8. UDDIA : Union pour la défense des intérêts des Africains ; RPF : Rassemblement du peuple français. 9. La tékéité ou tékénité est le terme inventé par les partisans du régime Lissouba. Il postule la parenté des groupes nzabi-mbede et kota avec le groupe teke. Ce qui sous- entend le devoir, l’obligation ethnolignagère de soutenir le « parent » Lissouba. Une hégémonie teke-nibolek devrait alors remplacer l’hégémonie Mbochi-Kouyou (1968-1991).

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RÉSUMÉS

L’objectif de cette étude est d’analyser les méandres de l’identité, notamment à travers le rapport concurrentiel entre le sentiment d’appartenance à une communauté sociolinguistique (l’ethnie) et l’identité qui naît de l’occupation territoriale d’une aire géographique, que celle-ci soit une entité étatique ou relève, au sein d’un État, du découpage en régions ou départements. Nous montrons que la longue cohabitation de groupes différents dans un même espace génère un sentiment d’appartenance plus fort que l’identité ethnique au sens strict. Mais cette territorialité est surtout l’œuvre des entrepreneurs politiques qui instrumentalisent ces appartenances objectives, et s’activent aussi à mobiliser des espaces plus larges regroupant plusieurs régions qu’ils soutiennent à partir d’une politique clientéliste. Il s’agit donc d’une ethnicité politique.

Ethnicity and Territoriality: Two Types of Lived Identities amongst the Teke in Congo- Brazzaville. This studies aims to analyse the complexities of identity, especially through the conflicting relationship between the sense of belonging to a sociolinguistic community (ethnic group) and the identity which stems from the territorial occupancy of a geographical area—whether this area be a state or the result of a breakdown into administrative regions or départments within a state. We show that the long cohabitation of different groups within one space generates a stronger sense of belonging than ethnic identity stricto sensu. But this territoriality is above all the work of political actors who exploit these objective belongings and endeavour to mobilize wider spaces made up of several regions which they support on the basis of a clientelist policy. One can therefore talk of political ethnicity.

INDEX

Mots-clés : Congo-Brazzaville, Teke, département, ethnicité, identité politique, territorialité Keywords : Congo-Brazzaville, Teke, Département, Ethnicity, Political Identity, Territoriality

AUTEUR

JEAN-PIERRE MISSIÉ Département de sociologie, Faculté des Lettres et des Sciences humaines, Université Marien Ngouabi.

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Analyses et comptes rendus

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Bachirou, Mohamed. – Du côté des proverbes comoriens

Vincent Hecquet

RÉFÉRENCE

BACHIROU, Mohamed. – Du côté des proverbes comoriens. Levallois-Perret, Éditions de la Lune, 2006, 196 p.

1 Dans cet ouvrage, les proverbes des Comores sont principalement analysés dans leur fonction sociale, l’auteur insistant sur leur rôle d’affirmation de la cohésion sociale et de rappel de la tradition. Une telle approche semble pertinente dans le contexte de la société comorienne, fortement stratifiée et marquée par une pression intense du groupe sur l’individu. Chaque personne s’inscrit dans un groupe social défini par le quadrillage de ses caractéristiques individuelles : âge et rang de naissance, village d’origine, statut professionnel, rituels accomplis. L’institution centrale en est le « grand mariage », ainsi appelé par l’ampleur des réjouissances et des dépenses ostentatoires qu’il occasionne et distingué du « petit mariage », qui consacre la reconnaissance du couple dans le cercle des parents proches. Cérémonie festive et de notoriété, le grand mariage est une chaîne de fêtes, de danses et d’invitations qui se déroule sur plusieurs jours entre les deux familles. L’homme doit en outre offrir à son épouse une dot qui s’exprime en argent, en or et en têtes de bétail. Le grand mariage confère l’estime sociale, ceux qui l’ont réalisé étant reconnus dans le groupe des adultes accomplis, les Unrudzima. Ce groupe s’oppose à celui des Unamdji, littéralement la jeunesse du village. Célébrer le grand mariage demeure un idéal social prégnant pour les hommes et pour les femmes. Celui-ci peut être réalisé à tout âge, car de nombreuses années d’épargne sont souvent nécessaires pour en supporter le coût. La fréquence des mariages aux Comores est accrue par la polygamie et les nombreux divorces, et il est fréquent qu’une personne se marie plusieurs fois au cours de sa vie. Par les dépenses somptuaires qu’il suscite, le grand mariage a souvent été décrit comme un frein au développement et cette idée est reprise dans l’ouvrage (p. 163).

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2 Le corpus de trente-trois proverbes présenté par l’auteur témoigne effectivement de leur fonction d’affirmation des traditions ou de l’autorité du groupe. Chaque proverbe est accompagné d’un ou de plusieurs récits des circonstances dans lequel il a été énoncé, ces occurrences formant de vivants aperçus sur la société des Comores. Près de la moitié des proverbes cités invitent à se plier au groupe ou à accepter son sort. Dix d’entre eux invitent directement à respecter la cohésion du groupe. Citons parmi eux : « Ceux qui te punissent sont ceux qui t’aiment » ; « Qui mange seul meurt seul » ; « Tes parents, c’est de la colle. » D’autres proverbes invitent encore à accepter son sort, que celui-ci prenne la forme d’un mariage imposé ou d’un destin malheureux : « Les affaires du mariage se prennent là où on les trouve » ; « Pleure le présent et attend le futur. »

3 Par leur nature stylistique, les proverbes du corpus sont très majoritairement des sentences ou des maximes, qui expriment directement une vérité humaine présentée comme universelle. Les jugements moraux l’emportent très largement sur les vérités d’ordre pratique. La plupart sont énoncés à l’impersonnel. Rares sont ceux qui mettent en scène des réalités concrètes ou des métaphores animalières. Le corpus ne contient aucun dicton articulant des faits de circonstances, cependant que ce type est très représenté parmi les proverbes français1. Si l’on admet que ce corpus est représentatif, il semble que les proverbes des Comores soient ainsi bien plus souvent universalisants et normatifs que leurs homologues les plus cités en France.

4 Cette caractéristique des proverbes comoriens doit pourtant être nuancée. Tout d’abord, comme cela a souvent été observé, les proverbes se répondent voire s’opposent entre eux. Ainsi, dans ce corpus où la plupart des proverbes affirment la cohésion du groupe, quelques-uns justifient pourtant l’individu : « Un seul gain, on en profite soi-même » ; « Celui qui a engendré le serpent ne l’a pas jeté » ; « Il faut aimer l’autre autant que soi-même, mais pas plus que soi-même. » En outre, plusieurs proverbes du corpus frappent par leur ressemblance avec des énoncés connus en France : « On ne se cogne pas deux fois contre la même pierre » ; « Il faut travailler la peau quand elle est humide. » Ceci confirme les analyses des sociolinguistes qui ont relevé que des proverbes similaires se retrouvent souvent entre différentes cultures. Une telle approche a notamment été développée par Grigorii Permiakov (1919-1983), auteur d’un système de classification des proverbes.

5 L’ouvrage trouve son intérêt dans la beauté de certains des proverbes cités et dans les notations rapportées sur la société des Comores. Dans une société où l’individu est fortement intégré au groupe et où l’oralité tient une part importante, plusieurs proverbes expriment les pouvoirs et les dangers de la parole. Parler est un devoir social, et celui qui se tait trop longtemps risque d’être considéré comme malade ou déviant (p. 24). La parole est nécessaire, mais elle peut être risquée voire inutile. Ceci est rappelé dans les trois proverbes suivants : « Les problèmes ne se résolvent pas si on les tait » ; « Le fossé que la langue a creusé, la main n’arrive jamais à le combler » ; « Si les paroles tombent, elles ne se glanent pas. » Citons enfin, inspiré du travail des pêcheurs, ce beau proverbe qui valorise le risque et l’effort : « Le chemin se trouve dans la vague. »

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NOTES

1. Du type : Noël au balcon, Pâques aux tisons ; Mariage pluvieux, mariage heureux.

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Battestini, Simon (dir.). – De l’écrit africain à l’oral, le phénomène graphique africain

Cécile Canut

RÉFÉRENCE

BATTESTINI, Simon (dir.). – De l’écrit africain à l’oral, le phénomène graphique africain. Paris, L’Harmattan, 2006, 318 p.

1 Résultat d’une journée d’étude tenue sous le même titre au Musée de l’Homme à Paris, en 2003, le recueil d’articles présentés par Simon Battestini a déclenché une vive polémique dans le milieu africaniste : pour en finir avec la suprématie d’une Afrique de l’oralité, l’auteur défend une Afrique de l’écriture. Composé de dix articles, de plusieurs documents iconographiques, d’une bibliographie et d’un index des auteurs, son homogénéité tient paradoxalement dans l’éclatement de la problématique, circonscrite de façon presque contradictoire entre la préface, de Simon Battestini, et la postface, très critique, de Jean Derive. Entre les deux, les articles viennent éclairer essentiellement les positions du premier selon des modalités variées (descriptions de systèmes d’écriture africains, présentations de nouvelles théories sémiologiques, perspectives philosophiques, etc.).

2 L’hypothèse défendue de manière radicale par Simon Battestini est celle, comme le titre l’indique, d’un renversement épistémologique nécessaire à l’appréhension des phénomènes culturels africains. Contre la réduction de l’Afrique à « la civilisation de l’oralité » résultant, selon lui, d’une vision ethnocentrique des modes africains d’inscription du sens, il propose une revalorisation des modes graphiques et de l’écriture en particulier pour en faire, dans le sillage de G. Calame-Griaule, un élément premier.

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3 Au cœur de cette Afrique « inventée » par l’ethnologie occidentale, Simon Battestini relève les différentes formes de déni (civilisation « sans écriture ») caractérisant les études africanistes : ravalée à l’enfance des contes et des récits oraux, privée de toute capacité graphique, l’Afrique s’est vue en outre imposer le modèle de l’alphabet latin, véritable « fétichisme » occidental selon l’auteur, pour la transcription de ses langues. Contre le « mythe des civilisations orales » (défendu par Goody), la prétendue « révolution scripturale » donnée comme prémisse de l’histoire de l’humanité, ou encore « l’impensé » scripturaire de l’Afrique, la thèse d’un retour aux « savoirs endogènes » et aux conditions de production des signes graphiques sur tous types de supports défendue par Battestini le conduit à prôner la « refondation » du discours africaniste à travers la création de « l’ethnosémiotique ». Si l’écrit n’est nullement un « double » de l’oral (à quoi répond l’écriture orthographique et l’alphabet latin), il convient donc de revenir à l’étude des signes élaborée par Saussure et dont les linguistes se sont détournés pour se consacrer à l’oral. En s’appuyant sur les travaux de Anne-Marie Cristin, dont l’article d’ouverture (« Du support graphique à l’écriture ») insiste sur l’absence de liens nécessaires entre langue et écriture, Battestini a donc pour objectif de faire des « scripts », incluant tous les modes graphiques servant à conserver et transmettre les « savoirs endogènes », des éléments centraux de la production de sens en Afrique.

4 Dans sa postface, J. Derive, africaniste de « l’oralité », s’inscrit en faux : si les modes scripturaires n’ont jamais été occultés par les africanistes, la question concerne davantage l’appréhension de l’oralité, elle-même. Continuer de la percevoir négativement comme opposition à l’écrit ne fait que renforcer une dichotomie occidentale qui inscrit l’oral et l’écrit dans un schéma évolutionniste. Ce qui caractérise l’Afrique serait selon Derive sa résistance à la culture écrite de masse (ainsi qu’à l’Occident) et sa prédilection pour des modes de communication et de transmission orales, considérés comme bien supérieurs au « papier » figé par les traditionalistes.

5 Tous les articles ne défendent pas les positions pro-écriture de Battestini mais s’y inscrivent peu ou prou : certains (comme celui de Mlaili Condro sur les syllabaires vaï ou celui de Christiane Owusu-Sarpong à propos de l’inscription du sens chez les Akan) décrivent des modes scripturaux, d’autres s’attachent à la transcription actuelle des langues (dont Marcel Diki-Kidiri à travers son invention d’un nouveau type d’écriture non orthographique, ou G. Galtier qui revient sur l’imbroglio de la politique linguistique malienne). Les contributions de G. Calame-Griaule ou d’Alain Ménigoz – qui tente d’imposer un continuum textuel entre orature et écriture susceptible de transformer l’enseignement au Mali, en y insérant les pratiques scripturaires et des symboles anciens – défendent l’idée qu’une Afrique de l’écriture a été occultée.

6 Traitée en termes de patrimoine à conserver ou de systèmes cosmogoniques à transmettre, la dimension scripturaire est rattachée à une spécificité culturelle dont la mise en valeur répondrait, selon les auteurs, à « fonder des identités collectives ». Des communautés ? On s’étonnera donc d’un parti pris essentialiste qui fait écho aux positions adverses : selon les mêmes processus, l’Afrique (toujours une) est homogénéisée, coupée de toute dimension sociopolitique et ramenée à sa prétendue « ancestralité », une singularité à revaloriser. L’intérêt de cet ouvrage réside dans le fonctionnement de ces positions théoriques (pro-écriture comme pro-oralité) qui conforte, dans un cas comme dans l’autre, le culturalisme d’une ethnologie du début du siècle. En ce sens, « l’hypothèse d’une théorie unifiée de l’Afrique » fondée sur la notion

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ontologiquement purifiée de « source vitale », energia (Sathya Rao) ou la perspective cognitiviste, revendiquée par Battestini, ne viennent que légitimer une assignation de l’Afrique à une différence de « nature ». Si l’article de S. Chaker (« Signes, écriture, identité chez les Berbères ») est le seul à sortir d’une optique strictement ethnologique, en insistant sur l’histoire et le rôle de l’esthétique dans les pratiques d’écriture, une vision essentialiste parcourt tout l’ouvrage, vision selon laquelle l’écriture serait la marque identitaire d’un peuple… Ce credo développé par les nationalistes européens lors de la formation des États-Nations peut-il faire l’objet d’une perspective scientifique ?

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Bay, E. G. & Donham, D. L. (eds.). – States of Violence. Politics, Youth and Memory in Contemporary Africa

Marie-Aude Fouéré

REFERENCES

BAY, E. G. & DONHAM, D. L. (eds.). – States of Violence. Politics, Youth and Memory in Contemporary Africa. Charlottesville-London, University of Virginia Press, 2006.

1 The book presents a selection of papers from a conference held in the fall of 2003 at Emory University, Georgia, which put an end to a series of seminars on conflicts and violence organized jointly by the Andrew W. Mellon Foundation and Emory University since the year 2001. Historians, anthropologists, sociologists, human geographers and political scientists propose insights into the various forms of violence that have plagued postcolonial African history. Essays concern African countries where violent power struggles have had long dramatic issue: , Nigeria, Guinea-Bissau, South Africa, Zimbabwe and Rwanda. Rejecting culturalist approaches of violence as an expression of African cultures, characterised by savagery, or as the consequence of an upsurge of unbridled and irrational forces leading to sheer anarchy1, contributors address violence in its context, shedding light on the historical configuration in which it arises. They share a common view that violent events can be directly attributed to the failure of African states to contribute to improve the conditions of life of the population, and the frustrations that result from it.

2 The originality of the introduction, which presents each contribution and the main facets of the paradigm upon which contributors agreed beforehand in the study of violence, lies in the fact that her author, Edna G. Bay, proposes an in-depth presentation of the Mau Mau civil unrest in 1950s colonial Kenya to assert the legitimacy of the theoretical approaches represented in the volume. Drawing upon the well-known works of White, Sabar-Friedman and Lonsdale & Odhiambo2, she shows

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that the Mau Mau movement epitomizes the association of violence with state authority, the implication of the youth, and the working of conflicting and changing memories. This introduction leads to an epistemological essay by Donald L. Donham’s on the definition of violence, the relevant paradigm for its study, and the methodological and ethical dimensions which weight on researchers’ fieldwork. Presented in general terms as “a force that directly threatens bodies and the bare life of bodies” (p. 18), violence is seen as an outcome of cultural, political, and economic struggles, hence the necessity to resort to its historicization. The author interestingly reminds us of the historical context in which violence has become a subject of study as such for social sciences: the development of human right concerns, the decrease in the tolerance towards sufferings and the birth of the “victims”3. The author stresses the challenges faced by researchers when studying violence, who are caught up between attraction and repulsion, and can sometimes be accused of voyeurism.

3 The book is divided into three parts: the first part gathers articles which focus on the impact of the functioning of political authority in the working out of violence, the second part insists on the position and role of the youth in violent actions while the last part concerns the question of the memory of violence. But the fact that contributions clearly resonate with each other shows how the issues of political power, the role of the youth and the construction of memory are deeply intertwined, hence questioning the relevance of this division.

4 Two contributions constitute the first part of the volume on the relationship between the functioning of structures of authority and the development of violent actions. Political scientist William Reno asserts that in the eleven-year civil conflict that tore Sierra Leone apart, violence was the result of strategies of competition over natural resources, in the first place diamond mining and trade. Reviewing the historical roots of violent competition as it developed in the 1990s (the consolidation of a patronage- based system of diamond trade by high officials in the 1950s, sustained by armed gangs in charge of the control of markets; its fragmentation due to the development of competition among officials and, as a consequence, of violent actions exerted by armed groups), he explains that violence was a direct result of state collapse. But contrary to the presentation of the Sierra Leone conflict by the media as a widespread and undifferentiated violence, the author shows that the intensity of violence varied from one region to another, following local strongmen’s pre-war integration into centralized political networks. Also focusing on structures of power, in her essay on the problems of integration of Fula “strangers” in Diola communities in Guinea-Bissau, the PhD anthropologist Joanna Davidson presents the case of a local dispute–the destruction of a Fula mosque in 2000–through the different narratives that were employed to interpret it. Instead of being satisfied with simplistic ethnicist and religious interpretations of the event, she operates a microanalysis of local narratives that reveals the importance of local issues such as land usage and community norms. But she highlights the fact that these issues are embedded in a broader historical context of ethnic polarization, therefore replacing the question of incorporation and exclusion at the core of violence.

5 The second part of the book, which focuses on violence related to the youth in regards to popular distrust of state authority, opens up with an essay on the 1990s Sierra Leone civil war which explores the question of mutilation. Her author, the PhD anthropologist Martha Carey, attempts to explain the indulging in arm amputations by

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young fighters in relation to the myth of Musa Wo, a trickster figure who is an incarnation of the Mande hero Sundiata, and in the lessons it gives about intergenerational relations and local ideas of power. The myth, which legitimates extreme forms of violence in order to better restore social order, constitutes the frame of reference for the youth who uses violence as a form of discourse about their social expectations. Following a similar approach which emphasises the cultural references upon which violence rests, the anthropologist Elaine Salo deals with gang violence in present-day South Africa. She stresses the shift that occurred among coloured communities since the apartheid era. At that time, women, who benefited from privileged access to housing and jobs, used to detain authority within the household, therefore controlling the youth. But since the post-apartheid era, as men have gained access to jobs, women have been relegated to a second position and have lost their authority. According to the author, the involvement of the youth in street gangs violence that resulted from this new configuration can only be understood when connected to local ideas of manhood. Indeed, gang violence is both a “rite of passage” into the masculine world and a symbol of the power of masculinity asserted against the challenged position of women in the social structure. Both articles take into account historical configurations and political structures, but place the emphasis on social representations and cultural values to understand violence as a form of discourse, as a “tool of communication”4 for the youth. The contribution by anthropologist Daniel J. Smith introduces a critical perspective on the question of intergenerational conflicts. After depicting the historical process which gave birth to a street gang called the Bakassi Boys in Nigeria, and focusing on the expectations of a population for which the gang of young men could transform criminal forms of power exerted by the political establishment, the author stresses the failure of the youth. Indeed, not only were the Bakassi Boys used by politicians to boost their popularity, promoting vigilantism as a legitimate popular form of justice, but they ended up being mixed up in the mechanisms of corruption and crime they had claimed to fight.

6 The three essays that conclude States of Violence focus on the construction of national memory and its association with violence. In her essay on the Alexandra black township rebellion of 1986 in South Africa, the sociologist Belinda Bozzoli relates how this utopian youth rebellion against the power of the state and for the development of a township self-government was appropriated by the Truth and Reconciliation Commission and symbolically transformed into a nationalist movement whose objectives would have been congruent with those of the African National Congress (ANR). The following essay deals with the use of changing memories of the 1970s war of liberation in Zimbabwe, especially of the role played by war veterans. The two essayists, J. Alexander and J. McGregor, show that over time, the government portrayed different versions of the war to promote a certain vision of the nation and legitimate the use of violence according to its interests. Discussions with veterans of the Zimbabwe People’s Revolutionary Army clearly show that the dramatic economic situation made them adopt the state’s homogeneous “war discourse” and accept violent state patronage. The construction of a national memory after the 1994 genocide in Rwanda constitutes the subject of the last contribution by T. Longman and T. Rutagengwa. It describes efforts by the Rwanda government to reshape a new version of history that would change how Rwandans understand the past for the facilitation of national reconciliation. According to this new version, ethnic consciousness was a colonial construction; in precolonial times, social categories would

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refer to occupational divisions, hence their plasticity. Although the objective of the present Tutsi-dominated state is to foster unity, the authors regret that the reworking of a violent past glosses over the responsibility of the state in the genocide. In her introduction, Edna G. Bay interestingly underlines that the last three contributions share a common view that not only is history “written by the victor”, but also that the state seems “triumphant” in shaping and constantly reworking memory (p. 14). Yet, drawing again on the multiple discourses that contributed to create various memories of the Mau Mau movement, she reminds us that memory can never be the monopoly of one group only, be it as powerful as the state.

7 As it was asserted in the introduction, all contributors carefully historicise their subject of study, drawing upon past events to better underline social changes and present-day issues. Readers will appreciate this concern and how it was carried out in most contributions. Different dimensions of violence are highlighted, from its relation to state inefficiency and economic collapse to its association with cultural values and social norms; from attempts at its manipulation by the state to its popular use for social change, and possible failure. It is regrettable that this heterogeneity of theoretical approaches, instead of being built upon in order to refine the understanding of violence, is concealed behind the idea that historicization may be sufficient to propose relevant analyses of the phenomenon. Last but not least, the title of the volume, States of Violence (not to mention the picture that illustrates the cover, a red African continent on which a big yellow star symbolizing clashes of violence is superimposed) proves at variance with the ambition of the contributors: to challenge the idea that the dark continent would be plagued by an unbridled violence which could not be explained in rational terms.

NOTES

1. R. D. KAPLAN, “The Coming Anarchy: How Scarcity, Crime, Overpopulation, and Disease are Rapidly Destroying the Social Fabric of our Planet”, Atlantic Monthly, Feb. 1994, pp. 44-76. 2. L. WHITE, “Separating Men from the Boys: Construction of Gender, Sexuality, and Terrorism in Central Kenya, 1939- 1959”, International Journal of African Historical Studies 23 (1), 1990, pp. 1-25; G. SABAR-FRIEDMAN, “The Mau Mau Myth: Kenyan Political Discourse in Search of Democraty”, Cahiers d’Études africaines XXXV (1), 137, 1995, pp. 101-31; J. L ONSDALE & A. O DHIAMBO, Mau Mau and Nationhood: Arms, Authority and Narration (Athens: Ohio University Press), 2003. 3. See M. WIEWIORKA, La violence (Paris : Balland), 2004; J.-M. CHAUMONT, La concurrence des victimes, Génocide, identité, reconnaissance (Paris: La Découverte), 1997. 4. M. M AMDANI, When Victims become Killers: Colonialism, Nativism, and the Genocide in Rwanda (Princeton, NJ: Princeton University Press), 2001.

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Bickford-Smith, Vivian & Mendelsohn, Richard (eds.). – Black and White in Colour. African History on Screen

Marie-Aude Fouéré

RÉFÉRENCE

BICKFORD-SMITH, Vivian & MENDELSOHN, Richard (eds.). – Black and White in Colour. African History on Screen. Oxford, James Currey ; Athens, Ohio University Press ; Cape Town, Double Storey, 2007.

1 Les amateurs de films sur l’Afrique (et les cinéphiles avertis en général) aussi bien que les historiens qui ont fait du passé de ce continent leur objet de recherche vont trouver plaisir à ce volume sur un champ de recherche relativement nouveau en sciences humaines et sociales : les études « film et histoire » (« film and history » studies). Les contributeurs sont tous des historiens ayant produit des travaux historiques de type académique, et qui ont été amenés à s’interroger sur les discours historiques proposés par le cinéma de fiction.

2 L’introduction à l’ouvrage retrace l’émergence de ce courant, qui s’ouvre dans les années 1970 avec les réflexions sur la capacité de l’outil cinématographique et documentaire à soutenir et compléter l’historiographie de type académique (en particulier son enseignement), voire à lui offrir un nouvel angle d’approche pour comprendre le passé, qui substituerait au regard analytique du clinicien que serait l’historien une perspective empathique permettant de transmettre au grand public les enjeux majeurs des événements discutés. Un tournant marquant est observable dans les années 1990 avec la reconnaissance par la revue American Historical Journal de la légitimité de cette approche du cinéma. Le numéro spécial1 qui parut alors sur les rapports entre le cinéma et l’histoire permit de découvrir les principaux auteurs de ce

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courant. Les concepts qui y furent développés restent les canons majeurs du courant « film et histoire ».

3 Robert A. Rosenstone constitue la référence incontournable – il est cité dans la plupart des contributions du volume – pour comprendre les apports possibles, mais aussi les limites, des fictions dramatiques à vocation historique. Théorisant la différence entre la « vraie invention » (« true invention ») et la « fausse invention » (« false invention »)2, la première prenant certaines libertés par rapport au discours historique mais y renvoyant toujours en dernière instance alors que la seconde ignore ou viole le discours de l’histoire, l’auteur tente de réhabiliter les films de fiction au yeux des historiens, jusqu’alors sceptiques quand à la capacité de ces films à transmettre des idées fondamentales sur le passé et faire émerger des interrogations chez le spectateur. Bref, selon l’auteur, l’outil cinématographique, qui se caractérise toujours par une certaine dose d’invention et de liberté prise par rapport à la réalité des faits, a ceci de commun avec la discipline historique qu’il cherche à représenter le passé pour nous dire comment le penser. La fondation de la revue Film and History de Peter C. Rollins marqua la dernière étape dans la constitution légitime de ce champ de recherche.

4 Le présent volume présente uniquement des réflexions sur les rapports entre le cinéma et l’histoire à partir de films de fiction sur l’Afrique qui ont des ambitions historiques, sont produits aussi bien par des Africains (par exemple, Sembène Ousmane, Gaston Kaboré, Dani Kouyaté, Souleymane Cissé) que des non-Africains (parmi les plus connus, Steven Spielberg, Raoul Peck, Claire Denis, Syndney Pollack, Jean-Jacques Annaud), et relèvent autant des grandes productions hollywoodiennes (Amistad, Cry Fredoom, Lumumba, Out of Africa, Zulu, Khartoum) que des films d’auteurs à plus faibles moyens et aux logiques commerciales moins affirmées (les films africains pour la plupart, mais aussi des œuvres comme Chocolat, Proteus, ou Noirs et blancs en couleurs ). Les contributions se donnent pour objectif de répondre aux questions suivantes : Quel est le degré de réalisme historique proposé dans le film ? En quoi le film renvoie-t-il à l’épistémè de l’époque dans laquelle il a été tourné, aux idéologies qui étaient sous- jacentes à sa production – le milieu colonial européen, l’effervescence des indépendances vues par les Africains, les enjeux postcoloniaux du point de vue « africain » ou « occidental » ? Que nous dit-il des objectifs conscients de son auteur (entre parti pris idéologique, rentabilité commerciale, et public visé) ? Et enfin, comment la réception du film par le public témoigne-t-elle de sa force didactique et de sa capacité à transmettre, interroger ou mobiliser ?

5 On ne peut que vanter les mérites des contributions qui décortiquent avec minutie les films choisis pour l’analyse, soulignant leurs points forts et leurs faiblesses au regard de l’historiographie, leurs ambitions idéologiques, le contexte historique de leur production, en proposant souvent des comparaisons utiles avec d’autres films traitant du même sujet. Parmi ces grandes lignes d’analyses, différents enjeux sont évoqués par les auteurs. Ainsi, la difficile combinaison entre la fidélité aux faits historiques (via l’usage de l’histoire académique) et les contraintes imposées par l’industrie du film – en premier lieu pour les films de facture hollywoodienne3 – est une question commune à une grande majorité des contributions. Simplification des personnalités, dichotomisation entre bien et mal, contraintes de durée, insertion d’une histoire d’amour : les ingrédients de vente cinématographique amènent à des altérations conséquentes des événements et des personnages, à des imprécisions factuelles, voire à l’évacuation des enjeux politiques centraux d’un drame réduit à l’histoire de vie de

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ses protagonistes, érigés en héros. Mohammed Adhikari montre bien comment Hotel Rwanda, contrairement à Sometimes in April, passe à côté de son sujet, le génocide au Rwanda, à force de se centrer sur la figure du manager de l’hôtel des Mille Collines. Le lecteur reste toutefois songeur devant certaines contributions face à ce qu’il peut prendre pour une certaine naïveté dans l’analyse du rapport des films de fiction à la « vérité historique ». Par exemple, concernant la représentation du soulèvement de Soweto en Afrique du Sud, V. Bickford-Smith regrette que Cry Freedoom et A Dry White Season soient « faibles en informations statistiques : il n’y a aucune donnée chiffrée concernant les enfants tués ou blessés en 1976 – selon une estimation nationale, ils étaient respectivement 575 et 2 389 à la fin de l’année – encore moins leur âge précis, leurs lieux de résidence ou le détail des victimes selon le sexe »4. La réflexion sur les apports du cinéma à l’histoire se heurte à la réalité du film de fiction, historique ou non, comme entreprise à vocation commerciale. On constate aisément que le réalisme historique va de pair avec financement et audience faibles, donc avec un impact mineur sur la conscience historique et politique des spectateurs. Certains contributeurs soulignent comment les attentes de l’audience influent sur les thèmes et les modes de filmer – et ceci est particulièrement notable pour les films produits en Afrique par des Africains, dont on sait pertinemment que les débouchés se situent en Europe, pour un public de cinéphiles avertis (voir les remarques de Mahir Saul concernant les films de Gaston Kaboré). Par ailleurs, dans leurs analyses de Zulu et Zulu Dawn, Carolyn Hamilton et Litheko Modisane insistent sur le fait qu’au final, ce n’est pas tant la présentation précise et objective des événements du passé qui doit tenir lieu d’étalon de mesure de la qualité d’un film historique que ses résonances avec les préoccupations présentes et ses capacités à interroger les idées dominantes5. Proteus est le film de fiction qui, en utilisant les outils cinématographiques, va le plus loin dans cette interrogation sur la capacité de films de fiction mais aussi de l’histoire comme discipline capable de « connaître » le passé.

6 Les contributeurs insistent sur le fait que les films dont l’histoire retrace de « vrais événements » avec des personnages ayant réellement existé (Lumumba, Hotel Rwanda, Cry Freedom, Karthoum, Omar Mukhtar : Lion of the Desert, Breaker Morant, The Battle of Algiers) sont généralement plus contraints par les sources historiques – témoignages, articles de journaux de l’époque, enregistrements vidéo et sonores, analyses historiographiques – que les films traitant d’une histoire précoloniale et coloniale trop ancienne pour être bien documentée (Zulu, Zulu Dawn, Ceddo, Wend Kuuni, Buud Yam) ou les films basés sur des romans et des fictions écrites (A Dry White Season, Out of Africa, Nowhere in Africa, Roots). L’existence de ces sources historiques et de travaux historiographiques conséquents ne limite toutefois pas entièrement les libertés prises avec les faits historiques. Ainsi, il est souligné avec justesse qu’aucun des films centrés sur un personnage historique n’a, jusqu’à présent, réussi à échapper à l’hagiographie : autant Patrice Lumumba que le Steve Biko de Cry Freedom ou que le leader de la révolte des esclaves dans Amistad sont dépeints sous leur plus beau jour, refusant de dévoiler les multiples facettes de leur personnalité et les contradictions possibles entre leurs actes et leurs paroles. Les nombreux films qui se focalisent sur des événements guerriers (la victoire zulu de Isandlwana pendant la guerre anglo-zulu de 1879 dans Zulu, la guerre sud-africaine de 1899-1902 dans Breaker Morant, les combats entre Madhistes et Britanniques dans le Soudan des années 1880 dans Karthoum, les combats entre le FLN et les forces françaises en Algérie dans The Battle of Algiers, les luttes des guerriers d’Omar Mukhtar contre les forces impérialistes italiennes en Lybie entre les

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deux guerres dans Omar Mukhtar) sont de valeur inégale du point de vue de leur fidélité historique : les représentations dichotomiques et l’effacement du point de vue des populations locales, au profit de celui des anciennes puissances impérialistes, tendent à jouer avec les ficelles des sentiments nationalistes ; même les enjeux politiques et économiques de ces épisodes guerriers ne sont pas pleinement montrés, alors que de nombreux travaux historiographiques les retracent.

7 De nombreuses contributions rendent compte de l’influence des contextes nationaux et internationaux pour comprendre les prises de positions des auteurs : la nostalgie de l’âge d’or colonial (Out of Africa, Nowhere in Africa), le rejet de l’apartheid dans une époque marquée par les luttes pour les droits civiques des Noirs aux États-Unis (Cry Freedom, A Dry White Season) et la condamnation de l’esclavage (Amistad, Root), le renforcement des sentiments anti-impérialistes au sortir de la guerre froide (Emitaï, Zulu et Zulu Dawn, Noirs et Blancs en couleurs, Le camp de Thiaroye), le contexte de la guerre du Vietnam (Breaker Morant), l’horreur et l’incrédulité face aux tentations génocidaires (Hôtel Rwanda), le retour des Africains comme acteurs de leur histoire (Ceddo, Yeleen, Karthoum, Le camp de Thiaroye, Flame, Proteus) dès la période des indépendances, la remise en question de la valeur de la « culture occidentale » depuis les années 1970 (Keïta ! l’héritage du griot), les enjeux de réconciliation nationale au Rwanda et en Afrique du Sud (Hotel Rwanda, In My Country, Red Dust, Forgiveness) ou encore la défense des droits des homosexuels (Proteus). Les contributions recourent à des interviews des réalisateurs pour mieux cerner le projet conscient qui les ont guidés et son ancrage dans les préoccupations de leur époque.

8 Les représentations européennes de l’Afrique et des Africains jouent sans conteste sur la trame de l’histoire racontée dans le film et les rôles joués par les personnages, plus particulièrement dans les films produits par des non-Africains : « ethnologisation » de l’autre dont les facettes exotiques sont mises en avant, parti pris selon lequel les Africains ne sont pas les acteurs à part entière de leur destinée (selon l’expression anglosaxonne d’agency), comme dans Zulu, Hôtel Rwanda, Chocolat ou Cry Freedom. Mais il est montré que, tout en espérant combattre les représentations européennes de l’Afrique, certains réalisateurs africains jouent des mêmes ressorts anhistoriques et apolitiques. C’est ainsi que, dans Wend Kuuni et Buud Yam, Gaston Kaboré peint l’âge d’or d’un Burkina Faso hors du temps, où les relations sociales harmonieuses seraient la règle. De même, Bill Nasson montre comment Le camp de Thiaroye présente une Afrique des valeurs fraternelles et de l’égalitarisme, radicalement opposée à une Europe calculatrice et corrompue. Nombreuses sont les contributions qui partagent cette idée que la recherche formelle s’accommode mal d’une perspective historique de qualité, surtout lorsqu’elle s’appuie sur les ressorts de l’imaginaire colonial : beauté des paysages qui renvoie à la primitivité d’une culture, fascination pour le corps noir érotisé. L’historienne Ruth Watson montre bien comment, dans Chocolat de Claire Denis, l’esthétisme est au service d’une nostalgie rêveuse, sans accroche avec l’histoire du Cameroun, pays où se déroule l’action du film mais qui ne constitue qu’une toile de fond sans consistance.

9 On ne peut que rendre justice aux dix-sept contributions du volume, qui analysent plus de trente films historiques, sans compter toutes les autres références cinématographiques. La qualité des travaux offerts ici nous convainc pleinement de la légitimité du champ « film et histoire » : non seulement les films sont décortiqués et passés au crible de la critique historique et esthétique, mais ils autorisent une mise en

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rapport particulièrement éclairante entre les événements du passé et les préoccupations du présent. En outre, nombreuses sont les contributions qui soulèvent un intérêt plus théorique en montrant combien la représentation du passé dans les films historiques vient questionner la représentation du passé dans les travaux universitaires. Les historiens sont confrontés à une question qui surgit au détour des films comme Ceddo, Noirs et Blancs en couleurs ou Proteus – qui atteignent leurs objectifs, à savoir raconter, expliquer, interpréter et donner sens à des personnes et des événements du passé, alors même qu’ils prennent des libertés par rapport à la factualité historique : quel outil, du film et du livre, est le plus apte non pas à offrir des informations et des analyses abstraites sur le passé (il est évident que l’ouvrage académique l’emporte haut la main) mais à confronter le grand public à des questions essentielles qui, ayant trait au passé, renvoient à des enjeux présents majeurs ?

NOTES

1. American Historical Journal, 93 (5), 1998. 2. Robert, A. ROSENSTONE, Visions of the Past : The Challenge of Film to Our Idea of History, Cambridge, Harvard University Press, 1995. 3. Robert B. TOPLIN, History by Hollywood : The Use and Abuse of the American Past, Urbana, University of Illinois Press, 1996 ; Reel History : In Defence of Hollywood, Lawrence, University Press of Kansas, 2002. 4. Contribution de V. B ICKFORD-SMITH, « Picturing Apartheid : with a Particular Focus on “Hollywood” histories of the 1970s », p. 273 (ma traduction). 5. Les auteurs appuient leurs analyses sur les travaux de Marcia LANDY, British Genres : Cinema and Society, 1930-1960, Princeton, Princeton University Press, 1991.

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Boswell, Rosabelle. – Le malaise créole. Ethnic Identity in Mauritius

Corinne Forest

RÉFÉRENCE

BOSWELL, Rosabelle. – Le malaise créole. Ethnic Identity in Mauritius. New York-Oxford, Berghahn Books (« New Directions in Anthropology »), 2006, 236 p., bibl., index.

1 Dans son ouvrage publié en 2006, Rosabelle Boswell, maître de conférences à l’Université de Rhodes en Afrique du Sud, propose une définition et une analyse approfondie du malaise créole vécu par les Créoles « afro-mauriciens » grâce à une recherche de terrain menée dans son pays d’origine. Cette recherche, fondée sur l’étude de cinq sites situés sur l’ensemble du territoire, met en exergue les définitions multiples du malaise créole selon les contextes socio-économiques et spatiaux. Grâce à cette démarche inédite, l’auteure apporte une dimension significative à la compréhension du malaise créole en explorant la difficulté des Créoles à se forger une identité à partir du modèle hérité de l’époque coloniale, fondée sur la « race » et l’ethnicité, et à s’intégrer de manière positive à la société mauricienne dans laquelle l’hybridité est dévalorisée.

2 Apparu après l’Indépendance proclamée en 1968, le concept de Malaise créole exprimé par le Père Cerveaux en 1993, fut largement repris par les historiens et chercheurs pour analyser notamment les circonstances des émeutes de 1999 suscitées par la mort en détention dans des circonstances obscures, de Kaya, chanteur de Seggae, icône de la communauté créole mauricienne. Jusqu’à cet ouvrage entièrement consacré à ce phénomène socioculturel, le malaise créole était défini comme un mal-être vécu par ceux n’ayant pas réussi à s’intégrer à la vie moderne. Cette définition associe directement le malaise créole à l’histoire de l’esclavage ayant dépossédé et maltraité cette partie de la population, et dont les conséquences seraient la persistance de la pauvreté, de problèmes sociaux et de la marginalisation politique des Créoles. Cette situation

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défavorable expliquerait la difficulté actuelle des Créoles à définir ou à « réinventer » leur identité1.

3 L’auteure démontre la complexité du malaise créole en soulignant que cette position fait abstraction de l’hétérogénéité de la communauté créole formée par des membres d’origines diverses ayant vécu des expériences différentes face à leur histoire. En effet, la communauté créole rassemble originellement les descendants d’esclaves malgaches, africains et indiens qui ont aujourd’hui assimilé les cultures indienne, chinoise, européenne et africaine, créant une mixité physiologique et culturelle qu’ils reconnaissent volontiers. L’argument principal de Rosabelle Boswell soutient que l’hybridité des Créoles « afro-mauriciens » est la cause de leur marginalisation, et de l’existence de préjugés sociaux et raciaux comme celui se référant aux Créoles comme des consommateurs intarissables ne contribuant pas à l’avancement de la société mauricienne. Selon ces préjugés, les Créoles sont perçus comme inaptes à participer de manière constructive au développement économique du pays particulièrement significatif depuis les années 1980. La recherche de terrain, menée à Centre de Flacq, révèle que la réalité n’est pas conforme à ces préjugés et démontre que la communauté créole est parvenue à s’intégrer dans ce village transformé par un développement économique majeur depuis ces trente dernières années. À Flacq, l’accès au prestige de la communauté créole se fait par l’acquisition de biens, et en respectant la religion chrétienne. Cependant, ces modes d’accession au prestige censés favoriser leur ascension dans la société, ne sont pas reconnus par les groupes dominants qui, de ce fait, marginalisent la communauté créole.

4 Cette marginalisation est expliquée également par le fait que le système démocratique à Maurice ne permet pas aux Créoles de contribuer à l’avancement de la société civile sur un pied d’égalité avec les autres groupes culturels. En effet, le système de recensement instauré par l’État en 1972 institutionnalise les clivages « ethniques » hérités de l’époque coloniale et sépare la population en quatre catégories : les Hindous, les Musulmans, les Sino-mauriciens et la population générale. Dans ce système, les Créoles et les Franco-mauriciens sont regroupés dans la population générale représentant environ 30 % de la population mauricienne. L’auteure souligne que l’existence de cette catégorie qualifiée de « résiduelle » montre l’absence de reconnaissance de la part de l’État. Ces deux communautés ont été associées à des fins politiques et sociales afin de permettre à l’État de promouvoir une homogénéité ethnique fictive fondée sur les liens diasporiques et affirmer l’hégémonie des groupes dominants. Dans ce contexte, l’hybridité des Créoles s’oppose à l’identification identitaire fondée sur la reconnaissance des liens diasporiques préconisée par l’État créant un « malaise » identitaire dans la société créole contemporaine.

5 Cet ouvrage démontre que le processus de compartimentation ethnique résultant de la thèse multiculturaliste de l’État mauricien nie la richesse identitaire et culturelle créole. Cette perspective montre que le malaise créole est le résultat de la non- reconnaissance par l’État mauricien de l’existence d’une identité hybride et que l’hybridité est perçue comme le résultat d’une attitude amorale. L’auteure démontre que la dévalorisation de l’hybridité par les groupes dominants a créé un contexte largement défavorable à l’ascension économique, sociale et politique des Créoles depuis l’indépendance du pays.

6 En effet, la modernisation active du pays depuis presque trente ans prône un processus d’uniformité et de conformité correspondant au modèle dominant, et fait abstraction

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de la spécificité de l’identité de chacun. Par conséquent, certains membres de la communauté créole, afin d’être reconnus, ont construit un discours d’affirmation identitaire fondé sur leur propre définition du retour aux racines différent de celui de la hiérarchie ethnique. Cette affirmation identitaire est possible grâce à la globalisation et la modernisation qui ont permis l’émergence et l’affirmation d’une identité transnationale fondée sur les liens avec l’Afrique, en rapprochant des groupes vivant une situation identitaire similaire en dehors du contexte mauricien. Par ailleurs, les recherches menées à Roche Bois et River Camp ont montré que la difficulté d’assimiler et de promouvoir l’identité hybride à l’île Maurice amène certains Créoles notamment les îlois originaires des îles Chagos, et les Rodriguais, à mettre en avant leur terre natale afin de se conformer au discours pluraliste de l’État mauricien.

7 Le retour aux racines ancestrales est renforcé depuis les années 1990 par des projets patrimoniaux comme celui du Morne ou de Chamarel qui encouragent l’essentialisation du passé et la construction d’une identité homogène. Ces années marquent le développement d’une situation économique plus favorable permettant aux groupes dominants de financer des projets patrimoniaux et culturels renforçant les barrières ethniques. Par ce fait, l’impact du développement économique sur la société renforce les différences identitaires en homogénéisant des groupes issus d’origines sociales et culturelles multiples. Cette tentative de donner une délimitation identitaire à chaque groupe soutient la théorie de l’appartenance ethnique du multiculturalisme mauricien, et de surcroît marginalise l’hybridité.

8 Cependant, la marginalisation des identités hybrides est également une force et un moyen de revendiquer l’identité créole au sein du système dominant. Dans la revendication identitaire créole, le malaise créole est un instrument de pouvoir utilisé politiquement par les leaders de la communauté pour fédérer l’ensemble de la population créole divisée en multiples sous-groupes, en une identité homogène leur permettant de s’affirmer au sein d’une société plurielle. En essayant de se conformer au modèle dominant, la revendication de l’hybridité se base sur une homogénéité qui suppose le renoncement à un héritage pluriculturel, et l’acceptation d’une identité fictive ou réduite au schéma identitaire reconnu.

9 L’ouvrage de Rosabelle Boswell exprime de manière inédite les problématiques inhérentes à la communauté créole contemporaine affectée par le rejet de l’hybridité et également par la difficulté d’y renoncer ou de la redéfinir pour s’intégrer au modèle dominant. Dans le contexte actuel, la jeune génération semble ouverte à l’acceptation des différentes définitions de l’identité mauricienne. Selon l’auteure, le remède au malaise créole dépend de cette ouverture et de la manière dont les Mauriciens acceptent leur histoire et l’hybridité. Elle conclut son ouvrage en mentionnant que l’acceptation de l’hybridité dépend de la capacité des groupes dominants à renoncer ou à redéfinir leurs fondements culturels et sociaux, et fait ainsi référence aux problématiques soulevées par les travaux actuels en anthropologie à l’île Maurice.

10 Dans cette mouvance, son étude de la société contemporaine mauricienne contribue significativement à la recherche anthropologique à l’île Maurice qui s’est consacrée depuis les années 2000 à un regard nouveau sur la société mauricienne, différent des précédentes recherches décrivant une société multiethnique modèle. Les travaux de Rosabelle Boswell rejoignent ceux de Sandra Carmignani2, Candice Lowe3 ou de Patrick Eisenlohr4 étudiant une société faisant face à des définitions divergentes de l’identité et à la difficulté d’identifier des fondements identitaires communs car les identités

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« marginales » défient l’hégémonie du modèle diasporique prôné par la communauté indo-mauricienne représentant 68 % de la population globale.

NOTES

1. Laval Jocelyn CHAN LOW, « Les enjeux actuels des débats sur la mémoire et la réparation pour l’esclavage à l’île Maurice », Cahiers d’Études africaines, XLIV (1-2), 173-174, 2004, pp. 401-418 ; T. H. ERIKSEN, « Ethnicity and Culture : a Second Look », in H. ROODENBURG & R. BENDIX (eds.), Managing Ethnicity, Amsterdam, Het Spinhuis, 2000, pp. 185-205 ; William F. S. MILES, « The Creole Malaise in Mauritius », African Affairs, 98, 1999, pp. 211-228. 2. Sandra CARMIGNANI, « Une montagne en jeu : figures identitaires créoles et patrimoine à l’île Maurice », in Anthropologie et histoire face aux légitimations politiques, Journal des anthropologues, 104-105, 2006, pp. 265-285. 3. C. L OWE, When Diaspora Rules : (Dis)Qualifying Creoles for a Multicultural Maruitius, Ph. D., Department of Anthropology, University of Indiana, Bloomington, USA, 2005. 4. P. EISENLOHR, Little India : Diaspora, Time, and Ethnolinguistic belonging in Hindu Mauritius, Berkeley- Los Angeles, University of California Press, 2006.

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Claudot-Hawad, Hélène (dir.). – Berbères ou arabes ? Le tango des spécialistes

Stéphanie Pouessel

RÉFÉRENCE

CLAUDOT-HAWAD, Hélène (dir.). – Berbères ou arabes ? Le tango des spécialistes. Paris, Éditions Non lieu ; Aix-en-Provence, IREMAM, 2006, 298 p., bibl.

1 L’orientation d’un tel ouvrage est novateur : douze spécialistes du Maghreb revisitent les stéréotypes issus des ethnonymes « arabe » et « berbère » ; deux catégories qui ont été élaborées par les regards, qu’ils soient littéraires, scientifiques ou coloniaux, posés sur l’Afrique du Nord.

2 Dirigé par l’anthropologue spécialiste des Touaregs Hélène Claudot-Hawad, Berbères ou arabes ? est le fruit du travail commun de l’Équipe 5 « Marges et identité plurielle du Nord de l’Afrique » de l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM, Aix-en-Provence).

3 À la base de la catégorisation des groupes culturels, c’est la science qui est interpellée : comment construit-elle ses objets ? Qu’est-il « juste » d’étudier ? Comment émerge un « champ » ? Un tel questionnement ne peut que bousculer la « construction historique et la structuration théorique » des savoirs, coloniaux ou postcoloniaux sur les sociétés berbères. En effet, « catégoriser revient à placer un objet construit au centre ou en marge » (p. 10).

4 La préface d’Hamid Bozarslan donne de suite le ton : en tant que spécialiste des Kurdes, elle inscrit la berbérité dans le groupe des « sans-États », des marginalisés. Idée renforcée par l’introduction d’Hélène Claudot-Hawad qui envisage une aire arabo- musulmane scientifique et légitime face à un monde berbère obsolète, hors course : « Aujourd’hui, à l’université française, s’intéresser au monde “berbère” apparaît en

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quelque sorte comme une faute de goût » (p. 16). Ce violent constat inscrit indubitablement les « études berbères » dans le champ de l’invisibilité et du néant, ou, autrement dit, du relégua subalterne. En tant qu’« étude des marges », c’est-à-dire des populations non légitimes, reléguées hors des délimitations des « civilisations », du temps, de la modernité, de la nation, le subalternisme déplore la vision uniciste de l’histoire imposée par les sciences sociales. Contre toute théorie universalisante, le constat des subaltern studies souhaite réhabiliter la particularité de chaque groupe, la parole du peuple, les « mondes de signification indigènes » (J. Pouchepadass).

5 Le champ « berbère », défiant toutes identités étatiques, se départit du cadre de la modernité et s’avère politiquement inexistant donc inétudiable. Afin de comprendre cette marginalisation, une première partie historique de l’ouvrage présente un article de Gille Boëtsch (« Arabes/Berbères. L’incontournable lecture raciologique du 19e siècle »). L’anthropologue revient sur la période coloniale et la manipulation des entités culturelles qui en découle. En effet, l’Afrique du Nord colonisée n’échappe pas au contexte anthropologique du XIXe siècle qui opère une classification zoologique et une hiérarchisation des « races », légitimation même de l’entreprise coloniale. Les photos, qui succèdent aux gravures, exposent les types les plus purs possibles, prétendus exempts de tout métissage, dans le but de construire une altérité irréductible. Construite sur la dichotomie Maures des villes/Bédouins des campagnes, elle s’efface progressivement devant le couple Arabes/Berbères, toujours opérant aujourd’hui.

6 Partant du même constat, Kamel Chachoua, (« Entre cité arabe et cité berbère. Archéologie d’une division ») s’intéresse aux représentations de l’espace urbain et de la localité rurale, émanant tant du discours savant que du discours social, tous deux empreints de stéréotypes. L’antinomie mythique entre ville et campagne, liée à l’islamisation et à l’arabisation, a évolué au fil de l’urbanisation. La conception typique qui reléguait la localité berbère à un espace traditionnel, où règne la coutume et l’oralité, et élevait la ville à une localité arabe empreinte du pouvoir, du savoir et de l’écriture est modifiée aujourd’hui par l’investissement au profit des villages. Des « projets citadins au village » dessinent de nouveaux horizons tandis que les ruraux s’affèrent à la ville, à la recherche d’un logement ou d’un emploi.

7 Rachid Bellil (« Nomades “arabes” et sédentaires “berbères” au Touat. La vision de Camille Sabatier (1891) ») envisage la manière dont Camille Sabatier en Algérie française a renforcé voire créé des antinomies culturelles afin de conquérir l’espace saharien. Juge à Tizi-Ouzou, Sabatier appartient aux premières générations de Français d’Algérie et s’est entiché de culture kabyle. Construit sur l’opposition culturelle entre Berbères et Arabes, malgré le fait que les populations ne s’identifient pas par ces termes, il procède à un découpage de l’espace saharien en unités contenant des caractères spécifiques. Il oppose radicalement nomades et habitants des Ksours et compare ces derniers à des éléments du passé de son propre peuple : « Le ksourien exploité est ainsi renvoyé à la figure du serf de l’époque féodale, et la Kabylie à l’époque de la fondation des premiers villages de la Grèce Antique » (p. 70). Le juriste va jusqu’à chercher le niveau de solidarité ou d’autonomie des groupes pour assurer la maîtrise des réactions à l’assaut des Français. Sabatier illustre un exemple de l’élaboration du « savoir » sur les populations de ces régions à l’époque coloniale.

8 Toujours dans cette période, mais sous le Protectorat français au Maroc, Mohamed Benhlal (« Des N’Aït-l-collège aux N’Aït-l Watan. D’un improbable isolat berbère aux

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processus d’intégration nationale ») évoque la tentative de ralliement des Berbères aux Français, échouée par l’engouement nationaliste. Cet article vise en effet à démontrer le rôle d’un collège franco-berbère, qui met en place un enseignement ségrégationniste afin d’améliorer l’agriculture berbère et, surtout, d’isoler les tribus montagnardes de l’islam orthodoxe des arabophones. L’enseignement de la langue française (et berbère) et de ses « valeurs » est octroyé afin de repousser la langue arabe et la religion qui lui est accolée. Référents mobilisateurs de l’éveil nationaliste, ces derniers seront pourtant réappropriés et mis en avant par les élèves du collège qui s’allient à la lutte nationale. En effet, les prémisses de l’idéologie nationale arabo-islamique se ressentent jusque dans le collège ; par exemple, l’Association des anciens élèves délibère en arabe classique son attachement au réformisme oriental. La résistance passe donc aussi par l’usage de la langue arabe : « La langue arabe devenait une manifestation d’opposition à l’occupation française » (p. 86) et ces élèves iront jusqu’à signer le Manifeste de l’Indépendance en 1944. Contrairement aux idées reçues, la mobilisation s’est aussi déployée dans les zones rurales et parmi les populations berbères, ce qui constitue une véritable « remise en cause de la vieille légende du bled pacifié, soumis et calme, par opposition aux grandes cités, propices aux fermentations révolutionnaires » (p. 102).

9 El Khatir Aboulkacem revient sur l’image négative accolée au Berbère (« Être berbère ou amazigh dans le Maroc moderne. Histoire d’une connotation négative »). La connotation péjorative du Berbère remonte à l’époque précoloniale, dominée par une élite affiliée au pouvoir central détentrice de la norme religieuse. Celle-ci légitime le droit arabe et rend hors norme la coutume berbère archaïque et barbare. Cette identité berbère est construite sur une altérité radicale et inacceptable définie par la dissidence et l’hérésie. « Le Berbère se présente ainsi comme l’Autre, le dissident, le hors-loi, l’hérétique et l’antéislamique » (p. 117). Ce discours transcende l’époque coloniale jusqu’à recouvrir l’idée nationale, « l’identité arabe l’identité titulaire de l’État » (p. 122). Dans ce cadre, l’origine légitime ne peut être que l’arabe, reléguant l’amazighe au rang d’une « identité insupportable et inavouable » (p. 130). À tel point que certains préféreront se prétendre sourd-muet plutôt que d’afficher leur accent et leur langue. Stigmatisé, nié, le berbère cherche à changer de nom et d’origine pour se couler dans l’identité imposée, légitime : l’arabo-musulmane.

10 Le constat n’est pas définitif puisque aujourd’hui se dévoile un processus de revendication identitaire berbère qui requiert le pluralisme culturel et linguistique face à l’uniformisation culturelle en vigueur. La seconde partie de l’ouvrage s’ouvre ainsi sur la période plus contemporaine de renaissance identitaire.

11 En Algérie cette fois-ci, Dahbia Abrous présente l’état des lieux de la recherche des études berbères en Algérie (« Le refus du musée ». Avant-projets de Magister en langue et culture amazigh (1991-1998)). Récente des années 1990, elle reste liée au mouvement culturel berbère car elle participe de la promotion de la culture berbère, de la sauvegarde vitale et urgente de la langue face aux langues arabes et françaises, et lutte pour « une culture qui refuse d’être reléguée au musée » (p. 176).

12 Salem Chaker s’oppose à l’actuelle idéologie du pan-berbérisme, laquelle construit une unité berbère desservant les populations d’abord plurielles (« Berbères/langue berbère. Les mythes (souvent) plus forts que la réalité »). L’auteur admet que la création d’un champ de recherche « berbère » a définitivement sauvé cette culture de l’obscurité scientifique, et de « la délégitimation et suspicion qui frappaient le domaine berbère » (p. 145). Cette légitimité est attestée par la (re)découverte de l’écriture antique des

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tifinaghs, d’autant plus dans une société au sein de laquelle l’écrit est sacralisé. Cette donnée inscrit les Berbères dans l’histoire et la civilisation grâce à la thèse de l’unité de la langue berbère émise par des linguistes berbérisants. Cette idée d’une langue commune à tout un ensemble de populations hétéroclites légitime le pan-berbérisme. Idéologie qui englobe toute l’aire géographique et linguistique berbère : « tamazight, langue mère, langue matrice, langue de l’unité », abstraction sans aucun ancrage culturel, cette représentation aboutirait selon S. Chaker au risque de « recréer dans le champ berbère la situation de diglossie catastrophique et bloquante de l’arabe » (p. 150). Afin de ne pas tomber dans ce fossé entre, d’un côté, une langue standard écrite et enseignée et, de l’autre, des variantes locales orales et sans statut, S. Chaker propose l’élaboration de « standards régionaux ». Contre toute élaboration d’une communauté abstraite qui transcende les particularités, l’auteur s’oppose à l’idéologie pan-berbériste qui régie les champs intellectuels et militants. Celle-ci se réfère à une identité berbère commune, désincarnée, globale en inadéquation avec la réalité faite de communautés hétérogènes. L’amazighité comme réservoir d’une culture commune, transcendant les configurations locales, n’est qu’un leurre et, une fois de plus, la négation de la société locale est bien réelle. En effet, penser un espace commun et prétendre une identité unifiée ne peuvent être que « les avatars ultimes d’une honte de soi millénaire » (p. 153). Il s’agit de l’ancestral rejet du régional et de la dévalorisation du local.

13 Pour revenir à la question de départ, à savoir le conditionnement du « champ berbère » à un champ subalterne, l’article de l’ancienne documentaliste du fond Roux de l’IREMAM, Claude Brenier-Estrine, expose sa difficulté à avoir fait fonctionner le centre inclus dans le champ des études berbères et s’interroge sur la légitimité du champ : « Sur quelles bases une direction fixe-t-elle les bons objets de recherche ? » (p. 168).

14 Dans le même sens, Karima Direche-Slimani revient sur son parcours de recherche, celui de l’émigration kabyle en France dans le contexte de post-indépendance des pays maghrébins. (« Émigrés kabyles en France. Cécité et malentendus d’une dynamique migratoire »). Elle a été confrontée à la marginalité, à l’illégitimité de son objet de recherche. L’historiographie était à ce moment-là centrée sur l’histoire de la lutte nationale et de la guerre d’Algérie, repoussant l’objet « berbère » aux oubliettes, aux « thématiques refoulées par l’histoire nationale » (p. 186). « Travailler sur l’histoire des Berbères permet d’accéder à cette histoire des hommes et des femmes qui n’apparaît nulle part » (p. 187).

15 De la même manière, selon Hélène Claudot-Hawad (« Marginale l’étude des marges ? Parcours en “terrain” touareg »), les Touaregs pâtissent de la suspicion et de la répression des États en tant que minorité linguistique et culturelle et, qui plus est, hors de toutes frontières nationales. Relégué aux marges du monde civilisé, le monde touareg, diversifié et non étatique, ne revêt pas de légitimité scientifique. Musulmane (mais les femmes ne se voilent pas) et matrilinéaire, l’organisation sociale de ce groupe défie les schémas préétablis. Ces traits « originaux » vont être réutilisés par les Français qui verront dans ces « valeurs matricentrées » l’origine européenne et chrétienne des Touaregs. L’histoire coloniale a ainsi conduit à leur adoption sous le prétexte d’un fond culturel commun. Suite à cela, la construction des États-nations les a soumis à l’imposition de l’arabo-islamisme. En effet, dès l’Indépendance, les Touaregs sont relégués aux marges des nouveaux États, « à la périphérie de la modernité ». H. Claudot-Hawad invite à étudier les Touaregs non pas en tant que marge mais en tant

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qu’« acteurs et penseurs de la modernité ». « Désindigéniser les Touaregs, les sortir des marges ethnologisables pour analyser plutôt leur marginalisation dans le cadre de la politique étatique la plus contemporaine » (p. 218). Elle déplore l’impossibilité de penser (scientifiquement) les Touaregs hors du centralisme étatique et national alors qu’il s’agit justement là de leur spécificité : leur fragmentation, leur multiplicité, leur hétérogénéité.

16 Enfin, Paulo Fernando de Moreas Farias (« Touareg et Songhay. Histoires croisées, historiographies scindées ») souhaite mettre en évidence les interpénétrations des diverses communautés du Sahel, contrairement au présupposé de fermeture et d’homogénéité inhérent à chaque groupe ethnique. Dialectes du Songhay, rituels islamiques et non islamiques, organisation politique, sont réappropriés dans un grand « recyclage de l’altérité ». Certains récits touaregs sont adaptés pour répondre au contexte politique des Songhay.

17 La toute dernière contribution de Harry T. Norris (« Écrits touaregs en arabe classique. Un héritage méconnu ») peut sembler prisonnière du clivage tant appelé à être déconstruit entre Arabes et Berbères dans la mesure où elle souhaite « évaluer la contribution des Touaregs aux écrits arabes d’Afrique du Nord » comme s’il s’agissait de deux entités distinctes. Des écrits soufis, un « imaginaire touareg arabisé », l’expression des poètes touaregs en langue arabe jusqu’au XXe siècle prouvent l’implication touarègue dans la littérature et la langue du Coran.

18 La dernière danse du tango des spécialistes s’achève. Le seul bémol pourrait être l’effleurement de l’aspect contemporain des catégories au cœur de l’ouvrage : comment ces ethnonymes restent aujourd’hui mobilisés, mobilisateurs et à quelles fins ?

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Cunin, Élizabeth (dir.). – La globalisation de l’ethnicité ?

Sylvie Ayimpam

RÉFÉRENCE

CUNIN, Élizabeth (dir.). – La globalisation de l’ethnicité ? Autrepart. Revue de Sciences sociales au Sud, 38. Paris, IRD/Armand Colin, 2006, 203 p.

1 Interroger les relations entre l’ethnicité et la globalisation en analysant les apparentes contradictions entre les deux termes, est le principal objectif de cette trente-huitième livraison de la revue Autrepart. Elle apporte un éclairage important dans la compréhension des processus identitaires se produisant à l’échelle planétaire aujourd’hui. À l’heure où les constructions identitaires se produisant dans l’opposition entre Soi et l’Autre sont mises en question par les circulations planétaires actuelles, on voit apparaître de nouvelles frontières entre un « nous » et un « eux » de plus en plus englobants et déterritorialisés, indique Élizabeth Cunin dans son introduction. L’ethnicité généralement perçue et représentée dans une logique de localisation, semble se déterritorialiser et s’inscrire dans un espace transnational (pp. 3-4). Pourtant, au lieu d’être dissoute dans la globalisation, l’ethnicité y puise au contraire de nouvelles ressources et de nouvelles formes d’expression, que les neuf contributions réunies dans ce numéro ont tenté d’étudier. La richesse et la diversité du travail ethnographique qu’elles présentent permettent d’alimenter la réflexion théorique.

2 Plusieurs contributeurs (Fontaine, Bellier, Verdeaux & Roussel, Cunin) examinent avec grand intérêt le glissement ou la confusion sémantique qui s’opère entre un certain nombre de notions proches de celles de l’ethnicité : ethnie, tribu, race, peuple, minorité, communauté locale, peuple autochtone, indigène, aborigène, exotique, etc. D’autres, (Cunin, Chivallon, Berloquin-Chassany) indiquent l’intérêt et l’enjeu sémantiques et politiques que représente l’introduction de nouveaux vocables : autochtonie, afrodescendants, diaspora noire, ethnique, etc.

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3 Ainsi en partant de l’examen d’un corpus d’expressions se rapportant à l’autochtonie dans le champ des préoccupations environnementales, François Verdeaux et Bernard Roussel analysent le mode de construction sociale de cette catégorie en le comparant aux procédures ayant présidé dans le contexte colonial, à l’élaboration de la catégorie ethnique (p. 22). En effet, pour eux, la production et la montée en puissance sur la scène internationale de la catégorie « peuples autochtones » ne consiste pas à mettre au jour une réalité nouvelle mais bien à inventer une nouvelle catégorie opératoire sur un mode très proche de celui qui a produit « l’ethnie ». Aux deux époques du processus, la notion se construit comme un outil permettant de penser la gestion politique et administrative (l’État colonial) ou la protection des minorités (les conventions internationales) (p. 33). L’autochtonie serait-elle alors une simple globalisation de l’ethnicité ?

4 En Afrique au début du XXe siècle, la notion d’ethnie est utilisée par les administrateurs coloniaux pour classer et organiser les réalités sociales à administrer, en les définissant selon des critères linguistiques, culturels-coutumiers et territoriaux. Le terme est exhumé dès 1896 d’anciens vocabulaires ecclésiastiques, et semble convenir aux savants de l’époque. Plus tard les ethnologues de terrain en en faisant à leur tour l’objet ou le média obligé de leurs investigations, donnent caution et substance à ces découpages empiriques en grande partie circonstanciels des administrateurs coloniaux1. En réalité ce qui se produit dans le contexte de la domination coloniale est un processus d’invention ethnique dans la mesure où il y a bel et bien reconnaissance d’ensembles pré-existants, mais que ceux-ci sont transfigurés par le regard du colonisateur en ethnies, entités sociales a-historiques2. Pourtant, cette double procédure de classification et d’assignation à identité de la part du colonisateur est aussi plus ou moins acceptée par les intéressés3 (Verdeaux & Roussel, pp. 31-32).

5 Si l’articulation des revendications des autochtones (indigeneous) aux réalités écologiques peut rendre compte de logiques récentes de production de l’ethnicité, elle s’alimente néanmoins du contexte de la globalisation qui tend à mettre en place un ordre écologique mondial (Cunin, p. 7). Guillaume Fontaine montre à ce sujet les modalités de convergence et de tensions entre ethnicité et écologie, car l’interprétation du discours écologiste sur l’ethnicité, loin d’être unanime, est l’objet de controverses. Pour certains, les membres de ces communautés sont des acteurs ethniques qui s’approprient le discours écologique pour faire valoir leurs droits sur des territoires qui garantissent leur survie physique et culturelle, tandis que les organisations écologistes les considèrent comme des partenaires permettant de faire face aux limites du développement et protéger les espaces qui garantissent en partie la survie de l’espèce humaine. Pour d’autres en revanche, le « savoir indigène » n’est pas une garantie pour la conservation de la nature et pour le développement durable, car ces communautés sont irrésistiblement absorbées par l’économie de marché et donc vouées à être assimilées par la société moderne4 (p. 73).

6 Mais l’irruption sur la scène internationale depuis les années 1970 des représentants des populations autochtones, les « laissés-pour-compte du développement », révèle d’abord un changement de paradigme. Il en résulte une mise en valeur des cultures indigènes qui sont désormais parées de vertus. On le voit notamment dans le domaine de la mode vestimentaire qu’examine Pascale Berloquin-Chassany, où les stylistes créateurs depuis une décennie affichent une tendance à « l’ethnique » et pour un « look exotique ». Cette quête de « l’ailleurs » par un Occident à la recherche d’une « altérité

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idéalisée », se fait dans un contexte de lutte pour une légitimité symbolique dans un domaine où le monopole reste, à ce jour, encore détenu par ce même Occident (pp. 173-175). Ces interprétations valorisantes des cultures ethniques locales sont contraires aux discours antérieurs consacrant leur infériorité par rapport à la culture « blanche », comme le montre l’exemple de l’image valorisée de l’indianité en Colombie aujourd’hui (Sarrazin, pp. 156-157).

7 Par ailleurs, la montée en puissance de cette question sur la scène internationale est également favorisée par la mise en réseau des organisations militantes et la multiplication des forums internationaux devant lesquels est portée la voix des autochtones. Il naît ainsi un espace public international dans lequel les mouvements transnationaux et les organisations localisées introduisent une perspective « ethnicisante ». Cette nouvelle ethnicité présente des formes qui s’appuient sur la construction d’une identité transnationale avec la référence à la catégorie « peuple autochtone » et l’adoption d’un langage commun idéalisant l’universalité des valeurs collectives (Bellier, p. 99). La notion d’autochtonie est depuis lors utilisée dans plusieurs pays par des minorités en quête de légitimité. Dans le cas des Berbères au Maroc, un pays construit autour de l’arabité et de l’islam, Stéphanie Pouessel montre comment dans le cadre de la globalisation s’opère l’inversion des stigmates en faveur d’une partie de la population en quête de reconnaissance d’un pluralisme culturel. Loin de se limiter aux frontières nationales, la réappropriation de l’identité berbère investit progressivement une origine commune à plusieurs nations révélant de la sorte une contestation transnationale (p. 133).

8 En Amérique latine, il y a une spécificité culturelle du discours sur l’ethnicité qui oppose les cultures indigènes à « l’idéologie du métissage ». En se structurant autour d’une demande d’équité et d’un projet d’État multiculturel et pluri-ethnique, il interpelle particulièrement l’État. Mais le discours sur l’ethnicité y est avant tout un discours éthique, puisqu’il s’appuie sur les droits de l’Homme pour défendre le droit à un style de vie qui résiste aux conséquences négatives de la modernité capitaliste. L’évolution du rapport à l’ethnicité de tactiques de résistance vers une stratégie de lutte pour les droits civiques qui s’opéra dans les années 1980 dans le cas des communautés indigènes latino-américaines, marque le passage d’une identité en soi à l’affirmation d’une identité pour soi (Fontaine, pp. 65-66). Mais l’Amérique latine indique Élizabeth Cunin, n’a que très récemment concilié ethnicité et nation en mettant en place des politiques multiculturelles, concernant notamment les populations noires (pp. 135-136).

9 La diaspora africaine dispersée dans les Amériques partage, selon Christine Chivallon, une catégorie de sens imposée à l’ensemble d’une population : celle d’être désignée comme « noire ». Elle s’interroge ainsi sur la possibilité d’existence d’un « lien transétatique » pouvant unir ces populations d’origine africaine, c’est-à-dire sur la possibilité d’identification de populations capables de s’affranchir des limites du pouvoir étatique, de composer une entité collective hors des cadres territoriaux et d’épouser des modèles spécifiques d’identité (pp. 39-41). Elle montre bien que les termes « transétatique » et « diaspora » ne peuvent servir à désigner de façon certaine, les limites d’un ensemble originel par delà lequel le lien social serait en mesure de perdurer. A contrario, l’adjectif « noire » accolé à diaspora et à l’ensemble géographique qu’elle épouse dans la dispersion, aboutit à une certaine unité par delà la diversité des Amériques noires, aussi bien sur le plan social que culturel. La catégorie raciale fournit,

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bien plus que le référent étatique ou territorial, la ressource fondamentale pour configurer un lien d’appartenance commune (pp. 43, 55).

10 La catégorie raciale avait déjà servi de matrice en son temps au mouvement panafricaniste et aux thèses afrocentristes qui l’ont accompagnée. Aujourd’hui certaines formes de pentecôtismes au Ghana témoignent d’une nouvelle ouverture aux thèses afrocentristes, tel que cela ressort de l’étude menée par Sandra Fancello (p. 81). Le pentecôtisme y est un lieu de production et d’affirmation identitaire variées, allant de la construction des identités ethnonationales, au néo-pentecôtisme afrocentriste, en passant par l’indigénat tempéré. Paradoxalement, tout en étant devenu le creuset d’identités ethnonationales, le pentecôtisme en général fait peu de concessions aux cultures locales et se présente comme une culture globale et transculturelle (p. 81).

11 Avec l’extension des politiques multiculturelles des années 1990 en Colombie par exemple, il y a eu extension des frontières identitaires au cours d’un processus complexe et inachevé d’ethnicisation de la société et de redéfinition d’un modèle de reconnaissance de la différence. En Colombie, comme ailleurs en Amérique latine, l’ethnicité afro-américaine ne fut reconnue que depuis les années 1980-1990, car la qualification raciale issue de l’esclavage ne s’est pas transformée du jour au lendemain en appartenance ethnique. L’adoption d’un nouveau vocable, celui d’afrodescendants, constitue une manière de faire de l’ethnicité un passeport vers la reconnaissance de la différence au-delà des frontières nationales et échapper de la sorte à une assignation raciale marquée par la naturalisation et la marginalisation. L’ethnicité afro-américaine constitue à la fois une catégorie récente, extrêmement malléable, ambiguë, et inachevée. En effet, sur la scène internationale, les populations noires/ afrodescendantes n’ont pas les mêmes ressources matérielles et symboliques que les populations amérindiennes. Les afrodescendants n’incarnent pas les préoccupations en termes de respect de l’environnement, de développement durable ou de maintien de savoir concernant l’humanité entière (Cunin, pp. 136-139).

12 Selon les sources onusiennes, plus de 60 % des peuples autochtones se situent dans la zone Asie-Pacifique5. Pourtant ce sont les peuples amérindiens, du nord, du centre et du sud des Amériques qui sont les plus mobilisés dans la défense de cette identité, parvenant à ouvrir des cadres institutionnels de reconnaissance comme peuples spécifiques (Bellier, p. 105). Cela explique sans doute pourquoi plusieurs contributions de ce numéro s’appuient sur des exemples amérindiens pour analyser la notion d’autochtonie ou pour organiser leurs réflexions sur la nouvelle ethnicité globalisée.

13 La globalisation de l’ethnicité est un commencement de réponse à l’interpellation dont la discipline anthropologique fait l’objet du fait des redéfinitions, souvent exacerbées, de l’altérité que dessine la globalisation. Les processus identitaires en cours interrogent la légitimité de l’anthropologue dans un monde globalisé où l’autre porte désormais sa propre qualification identitaire6, théorise sa différence en ses propres termes, et semble ainsi priver l’anthropologue de sa raison d’être (Cunin, pp. 4-6)7. Mais la mise en cause de l’anthropologie du fait de la dissolution de ses « totalités » classiques (ethnie, culture) dans la globalisation, signifie t-elle pour autant qu’elle n’aurait plus rien à dire ?

14 Il semble au contraire qu’avec la globalisation, les gens, partout, s’interrogent de plus en plus sur leur identité et construisent des frontières, différentes des vieilles frontières ethniques. S’il est vrai que la culture et l’identité ne sont plus spécifiquement liées à des groupes et à des territoires déterminés, elles n’en continuent pas moins

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d’être opératoires. Il y a toujours production de valeurs, de croyances et de représentations. Il y a toujours construction d’espaces de l’entre-soi où s’affirment d’autres types d’identité8. Il semble donc bien y avoir encore du travail pour l’anthropologue. Et la globalisation se présente comme une excellente opportunité de se mettre à l’ouvrage.

NOTES

1. Les ethnologues furent ainsi considérés comme complices de la production de ces entités pensées comme « primitives », du fait qu’ils se soient souvent dispensés de reconstituer la genèse de ces ethnies et de questionner la fausse évidence de l’objet empirique (Verdeaux & Roussel, pp. 31-32). Selon Anne Christine Taylor, tout en étant l’unité de base des études anthropologiques, l’ethnie est l’une des notions les moins théorisées de la discipline en France. A. C. TAYLOR, in P. BONTE & M. IZARD (dir.)., Dictionnaire d’ethnologie et d’anthropologie, Paris, PUF, 1991, p. 242. 2. Bon nombre d’anthropologues dans les années 1980 se sont efforcés dans une perspective historique de déconstruire la notion d’ethnie. Dans la sphère africaniste française, on peut citer les travaux très connus d’anthropologues et d’historiens réunis dans l’ouvrage coordonné par Jean- Loup AMSELLE et Elikya M’BOKOLO, Au cœur de l’ethnie. Ethnies, tribalisme et état en Afrique, Paris, La Découverte, 1985. Ils ont montré que dans les contextes africains, il s’agissait des constructions historiques en grande partie induites par les représentations des colonisateurs et les nécessités de la gestion des « territoires ». 3. Voir à ce propos l’excellent n o spécial du Cahier des Sciences humaines intitulé « Identités et appartenances dans les sociétés sahéliennes », XXXI (2), 1995 qui questionnait les modalités endogènes de construction de l’ethnicité en Afrique de l’Ouest. 4. Elles exercent elles aussi une pression croissante sur l’environnement à la fois par la croissance démographique et par l’usage de technologies et d’instruments modernes (Fontaine, p. 73). 5. Selon L’ONU sont concernés environ 350 millions de personnes réparties dans tous les continents. Les peuples autochtones ont des conditions très variées. Ils peuvent être chasseurs- cueilleurs, pêcheurs, horticulteurs agriculteurs, nomades, pasteurs, vivant dans tous les écosystèmes, sur les côtes, sur la banquise ou dans les marais, dans les déserts, les montagnes, etc. (Bellier, p. 105). 6. Le nombre d’autochtones titulaires de doctorats, enseignants ou consultants mettant leurs compétences au service de leurs communautés ne se comptent plus à l’ONU aujourd’hui. Mais selon Irène Bellier, cela pose problème dans la mesure où il est difficile d’être le porte-parole d’un monde qui défend ses traditions, tout en étant le vecteur des discours globalisés par lesquels le nouveau peuple autochtone est imaginé (p. 115). 7. Ces questions sont à l’ordre du jour du débat sur l’anthropologie. Ainsi, les principales associations françaises d’anthropologues ont tenu des assises à Paris en décembre 2007 pour discuter de la discipline, de ses fondements et de son avenir (Les Assises de l’ethnologie et de l’anthropologie en France, ).

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8. L’identité ethnique renvoie à une situation et non à un état, elle n’est donc pas antinomique avec d’autres types d’identité possibles ou latentes car elle peut, selon le contexte, prendre le pas sur les identités sociales, politiques, ou de genre (Fontaine, p. 64).

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Delas, Daniel. – Léopold Sédar Senghor. Le maître de langue

Abdoulaye GUEYE

RÉFÉRENCE

DELAS, Daniel. – Léopold Sédar Senghor. Le maître de langue. Croissy-Beaubourg, Éditions Aden (« Le cercle des poètes disparus »), 2007, 301 p., bibl.

1 Renommée internationale oblige, sans mentionner l’honneur qu’il lui a été fait d’avoir été le premier Nègre accueilli parmi les immortels, Léopold Sédar Senghor demeure, aujourd’hui, l’une des personnalités intellectuelles et politiques africaines les plus étudiées dans la littérature de langue française. Depuis plusieurs décennies, son œuvre littéraire et son action politique font l’objet de thèses de doctorat et d’articles scientifiques. Aussi, ses biographies commencent-elles à être nombreuses.

2 À la suite de quelques chercheurs et écrivains de langue française ou anglaise tels qu’Armand Guibert1, Janet G. Vaillant2 ou Jacqueline Sorel3, Daniel Delas, professeur de lettres en retraite, s’est attelé à une biographie critique de Léopold Sédar Senghor. La publication de cette biographie était à prévoir, pour qui connaît l’intérêt profond de Delas à l’œuvre de Senghor en particulier et des poètes de la négritude en général, auxquels il avait déjà consacré plusieurs ouvrages.

3 Dans ce livre, Daniel Delas procède à une analyse littéraire de la poésie de Senghor, doublée d’une approche ethnologique rigoureuse et didactique ; là réside la grande force de son étude. Il montre bien, ce faisant, qu’il n’est pas possible de comprendre l’œuvre littéraire de Senghor sans une connaissance approfondie de l’univers de socialisation de ce poète.

4 À l’instar de la plupart des biographies de Senghor, l’ouvrage de Delas privilégie une construction diachronique pour ainsi bien mettre en valeur les séquences majeures de la trajectoire de Senghor. Il est divisé en sept chapitres auxquels s’ajoutent une introduction et un épilogue. Chaque chapitre restitue dans les détails une étape

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importante de la vie du futur poète président sénégalais. Ainsi, Delas nous introduit-il successivement dans l’univers familial très étendu de Senghor, à son premier contact avec le milieu colonial blanc au Sénégal, son rêve avorté d’embrasser la prêtrise, son exil intellectuel à Paris, son adoubement méritoire mais non sans difficulté par le milieu intellectuel de Paris, son entrée en politique malgré lui, jusqu’à son ascension politique.

5 D’entrée, Delas traite de l’enfance du poète. Il nous y fait voir le futur poète immergé dans un environnement familial fortement structuré se caractérisant par une organisation politique matrilinéaire qui ne marginalise pas pour autant le lignage du géniteur. La description très sobre et détaillée du milieu familial de Sédar Senghor et surtout des conditions matérielles d’existence plus ou moins stables de ce milieu offre au lecteur la possibilité de mesurer le décalage, parfois important, qui pouvait séparer les souvenirs poétiques que gardait le poète de « son royaume d’enfance » ou l’image qu’il consentait à envoyer aux autres de sa propre origine familiale, avec la dégradation sociale et les privations matérielles qu’a pu connaître la famille du poète.

6 L’origine rurale de Senghor sur laquelle Delas met l’accent dans une grande partie de son œuvre apparaît comme une clé pour lire l’œuvre poétique de l’ancien président sénégalais. Elle s’avère aussi un élément important qui structure les affinités électives de l’homme. Ainsi, Delas nous suggère-t-il de voir dans l’amitié profonde qui liait Senghor et Pompidou, parmi ses nombreux condisciples du lycée Louis-Le-Grand, la contribution de l’identité paysanne revendiquée par les deux pensionnaires de cette pépinière d’élite. C’est aussi à la lumière de cet attachement à la terre qui, souvent, va avec une telle identité qu’il importe de comprendre la distance prudente de Senghor le socialiste vis-à-vis du marxisme comme praxis.

7 Au cours des chapitres, l’auteur saisit dans ses grandes lignes une personnalité ambiguë que d’autres biographes tels que Janet Vaillant avaient déjà révélée. Il s’agit d’un Senghor qui arbore un masque de sérénité une fois dans le monde extérieur alors qu’il est tout traversé d’angoisse et de questionnement quant à son avenir académique. Delas, en bon littéraire mais très au fait de l’utilité de l’histoire dans la réalisation de sa tâche, expose avec finesse les rapports de ce Senghor avec l’administration coloniale. Une administration dont il est financièrement dépendant pour la réalisation de ses objectifs universitaires et plus largement de ses ambitions sociales, et qu’il se doit, par conséquent de ménager – en satisfaisant à ses attentes implicites ou explicites quant à la conduite qu’un sujet colonial docile est censé adopter. D’où les nombreuses formules d’allégeance qui émaillaient les lettres de secours adressées par Senghor à ses protecteurs et garants de l’administration coloniale auxquels il ne manquait jamais de rappeler son intention de ne pas aller à l’encontre de leurs prescriptions. Ainsi ses silences prudents dans le cadre des rencontres d’intellectuels noirs de Paris peu bien notés par les renseignements généraux, ses courriers informant ses protecteurs qu’il allait se marier mais avec une jeune Négresse, comme s’il tenait à faire part à ses correspondants blancs qu’il savait dans quel groupe racial chercher naturellement femme en tant que prétendant nègre.

8 À la lecture de ces pages consacrées à ces initiatives de Senghor, on découvre la continuité entre le premier magistrat que ses concitoyens sénégalais avaient nommé l’homme du dialogue et le jeune étudiant nègre sous la France coloniale ; un qualificatif qui, dans un sens, n’entendait pas relever autre chose que la prudence, la subtilité et la ruse chez ce politique.

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9 Le dialogue qu’il préconisait tant, le président comme le poète l’avait aussi mis en pratique. Ainsi que le montre Delas, en fin d’ouvrage, après bien d’autres critiques de l’ancien chef d’État sénégalais, Senghor a consacré une grande partie de son existence à défendre et militer pour le dialogue entre les cultures. Ce qui explique en partie son engagement profond pour la francophonie qu’il concevait aussi comme la traduction du dialogue entre des cultures africaines invitées au banquet d’une culture française sans arriver cependant les mains vides. Il convient, tel que l’esquisse Delas, de comprendre l’importance pour Senghor du dialogue des cultures pour saisir sa foi quasi militante au métissage culturel dont il s’amusait à se considérer l’incarnation.

NOTES

1. Armand GUBERT, Léopold Sédar Senghor, Paris, Seghers (« Poètes d’aujourd’hui »), 1969. 2. Janet G. VAILLANT, Black, French, and African. A Life of Léopold Sédar Senghor, Cambridge, Harvard University Press, 1990. 3. Jacqueline SOREL, Léopold Sédar Senghor : l’émotion et la raison, Paris, Éditions Sépia, 1995.

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Diouf, Sylviane A. – Dreams of Africa in Alabama. The Slave Ship Clotilda and the Story of the Last Africans Brought to America

Sylvie KANDé

REFERENCES

DIOUF, Sylviane A. – Dreams of Africa in Alabama. The Slave Ship Clotilda and the Story of the Last Africans Brought to America.Oxford-New York, Oxford University Press, 2007, 340 p., biblio., index.

1 In the introductory essay to his 1988 edited collection entitled The Social Life of Things, Arjun Appadurai observed that, “even though from a theoretical point of view human actors encode things with significance, from a methodological point of view it is the things-in-motion that illuminate their human and social contexts” (p. 5). Appadurai’s thesis could be fruitfully applied to slave ships as major components of the material culture of the slave trade. They are indeed “things-in-motion”–namely, commodities intended for the circulation of other commodities, among which commodified men and women figure prominently. They are also icons that loom large and circulate in the historical and literary imagination1. To be sure, most slavers have not withstood the passage of time to become, in Marcus Wood’s terms, “site[s] for memory”2. The few wrecks explored by archeologists have rarely yielded a significant amount of usable information3, with the exception of vessels such as the English Henrietta Marie (1700) and Sea Horse (1728), the Danish Fredensborg (1768), and the Portuguese James Matthews (1841).

2 Historian Sylviane Diouf’s book, Dreams of Africa in Alabama contributes to expand our understanding of slavers’ “paths and diversions”4 through a well-crafted and gripping biography of the Clotilda, the last documented ship to import enslaved Africans into the

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United States. The “social life” of the schooner Clotilda began in 1855 in Mobile, a southern city described by the author as the “slave-trading emporium of Alabama”, (p. 13) where her rigging was announced by a local newspaper (p. 24). Built by William Foster, a famous ship carpenter, who happened to support the extension of slavery to , she was bought for $35,000 by a wealthy local businessman and slave- holder, Timothy Meaher. The “genealogy” of the Clotilda’s voyage to the coast of Africa in 1860 includes another illegal yet successful operation led in 1858, when the Wanderer left New York to collect four hundred slaves in the Congo River area and smuggled them back into the with almost complete impunity. Indeed, after being summarily altered to serve her real purpose–slave trading–and then disguised to avoid detection by an African Squadron in charge of repressing a commerce outlawed in the United States since 1808, the Clotilda crossed the Atlantic and landed in Ouidah, Dahomey. After a brief stay, she was on her way back to Mobile with one hundred and ten Africans on board. Minutely reconstituted by Diouf, the details of the intricate scheme devised by Meaher to unload the Clotilda’s human cargo reveal the complicities he enjoyed among the court officials in Alabama (p. 79) as well as the extent of his local clientele. Indeed within hours, Meaher managed to mobilize no less than three boats to haul the Clotilda and relocate the Africans. He also sold the Clotilda’s human cargo in a matter of weeks, except for the thirty-two slaves he kept for himself. On his order, the slaver, whose voyage had already attracted intense media coverage, was burnt and sunk in a bayou: although, as Diouf stresses, “her hull remained visible at low tide for three quarters of a century, as if to remind everyone of the Africans’ ordeal,” (p. 75) her owner not only escaped official investigation, but became a state hero of sorts (pp. 237, 249). The Clotilda’s “afterlife” has been marked by a series of debates regarding her actual location, and the authenticity of parts (allegedly taken from the wreck) that have been put up for sale on the Internet. The outcome of an underwater archeological investigation, carried out in the last decade of the 20th century, was disappointing. Dreams of Africa in Alabama must therefore be credited for establishing the historicity of the Clotilda’s 1860 slaving expedition, often omitted, disregarded as a hoax, or misrepresented in specialized literature.

3 A study of the Clotilda as a cultural commodity, both intended for exchange and facilitating exchange in the business of slavery, Dreams of Africa in Alabama is also a groundbreaking analysis of the slave ship as a social space and a mobile community bound by water, to borrow Jane Webster’s concepts5, with an emphasis on the enslaved majority. The first section of Diouf’s essay describes the historical forces and individual agencies that brought together one hundred and ten people from various places in today’s Benin and Nigeria onto the last slave ship bound for the United States. The shipmates’ experience of the is then reconstituted on the basis of a series of interviews conducted by several scholars, novelists and journalists until 1935, when 95-year-old Oluale Kossola aka Cudjo Lewis, the last and most famous of the Clotilda’s survivors, passed away. The author’s reference to other slave narratives (Equiano’s, Baquaqua’s and Cuguano’s most notably) and her own authoritative insights shed a useful light on their ordeal. A third section examines the array of strategies employed by the shipmates–both on the plantation where they were kept for almost five years and as freed-men and women in the post-abolition South–to preserve the sense of community they had developed on the Clotilda; an effort that materialized with the foundation of African Town circa 1867. The epilogue focuses on

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the various attempts made by Africatown, a community that today boasts three thousand inhabitants, to preserve the legacy of the shipmates’ experience in America.

4 A specialist of the cultural history of economic migrations from Africa to the West–as attested by her previous publications, most notably Servants of Allah: African Muslims Enslaved in the Americas (1999) and In Motion: The African-American Migration Experience (2005)–Diouf has developed a methodology that incorporates the Foucauldian notion of history as a (transnational) “profusion of entangled events,” but examines both the patterns created by these successive entanglements in the longue durée, and in their local micro-manifestations. Material objects, such as the Clotilda slave ship and the bronze bust of Cudjo that was stolen in 2002 from the Mobile Union Missionary Baptist Church, are called upon to precisely “illuminate their human and social contexts”. Drawing from the vast amount of written and oral documentation she gathered in the United States and in Benin, Diouf delineates the specific impact of the trans- on the lives and self-perception of marginalized African individuals, and the corrective effects of their personal decisions on the dynamics of macro-politics and economy. For instance, chapter two describes the political transition in mid-19 th century Dahomey between King Ghezo and King Glèlè, and the kingdom’s subsequent involvement with tolerated slave trading towards Cuba, and “illegal” slave trading towards other regions of the Americas (pp. 30-32). These West African and Caribbean events are then correlated with the project of reopening the international slave trade, an idea that gained ground in the South of the United States, and to which Meaher, Foster and their clique obviously subscribed. In turn, the Africans they brought to Mobile in 1860 were caught in a web of political and economic developments at the local, regional and national level–the Civil War, the Abolition of slavery, the and the Jim Crow laws, the Alabama convict leasing system, the Great Depression, and the Great Migration, to name a few. Diouf convincingly demonstrates that, though severely impaired by their social status as slaves, and then as Negroes/Blacks, and culturally isolated both as “bozales” in a largely creolized African American community (pp. 109-110; 241-243) and as Yoruba-speakers hailing from a region (the Bight of Benin) that did not traditionally supply the United States with slaves, the Clotilda’s shipmates chose to become actors in American social history. They learned English, kept their American or Americanized name after emancipation, petitioned to acquire a citizenship that ironically was granted to them and to their former owner at the same time (p. 166), bought land, converted to Christianity, remarried, and registered to vote in spite of Meaher’s renewed intimidations.

5 They simultaneously managed to preserve the social and emotional bounds they had established while on the Clotilda, and periodically reaffirmed their will to return to their homeland in a concrete or symbolic manner. In her reconstruction of the Clotilda’s voyage, Diouf points out the a-typicality of the shipmates’ sex-ratio (50/50) and the percentage of children (50%) on a 19th century slaver (p. 65), hypothesizing that Meaher and Foster, aware of the risks involved with importing Africans half a century after the abolition of slave trade, had an acute interest in the slaves’ longevity and reproduction. Her observations regarding the Clotilda’s demographics suggest that the last known American slaving operation may have deliberately taken the ignominious form of child trafficking. It reminds us also that more research is needed on childrens’ experience of trans-Atlantic slavery.

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6 The cargo’s average age may partially explain why Diouf takes issue with studies that systematically ascribe to Africans crossing the Atlantic a range of emotions that are well encapsulated in Stephanie Smallwood’s striking concept of “salt-water terror”. Without denying the terrifying aspect of each new phase of the whole process of deportation for its victims, Diouf insists on the shipmates’ ability to adjust to their mobile environment, to gather intelligence on the direction, length and purpose of the trip, and to look for opportunities that could reverse their fortune. For her, shame had to be the predominant feeling among people raised in accordance with an exacting code of honor (a notion discussed at length by John Iliffe in his 2005 essay entitled Honor in African History) when they were publicly stripped naked prior to boarding. This shame was not alleviated by the rags given to them upon arrival, as their imposed nakedness was then misconstrued in European and American imagination as an evidence of African primitiveness. “Decades later, the men and women who had boarded the Clotilda still spoke of the profound humiliation they felt when their clothes were torn off,” writes Diouf who quotes Cudjo Lewis confiding “I so shame! We come in de ‘Merica soil naked and de people say we naked savage’… Dey doan know de [canoe men] snatch our clothes ‘way from us’” (p. 61).

7 Along with shame, concern for family and friends and nostalgia for home prevailed among the deported Africans. They certainly perceived such a sudden and compulsory kinlessness–the prerequisite, as research on domestic slavery indicates, for enslavement in the societies where they came from–as the unambiguous sign of their imminent debasement. Diouf astutely proposes that the ship community, as an alternative initiation society, provides a metaphor for lost kin, and delays the deported individuals’ self-perception as slaves (pp. 70-71). She adds that “The solidarity, dedication, and mutual support of the shipmates did not end with the journey, but remained strong, sometimes through several generations in the Americas” (p. 68).

8 The existence of such a bond among the people of the Clotilda is evidenced by their rule of mutual protection from physical abuse on the plantation (pp. 99-102); their preference for “endogamy” (Kossola/Cudjo Lewis and Gumpa/Peter Lee among others, married a shipmate); and Cudjo’s daring attempt, as the group’s spokesperson, to obtain from Meaher, their ex-owner, reparation for their deportation and five years of unpaid labor under the form of a land grant (pp. 153-154). As a community, they also persistently made plans to “go back home” until at least the 1870s, and possibly until they heard of the 1894 French conquest of Dahomey. Diouf sees “their failure at emigrating [as] part of a wider pattern” (p. 149). Indeed, many Africans and African- Americans alike tried to save every penny, as the Clotilda’s shipmates did initially, to pay for their fare back home; some even wrote to the American Colonization Society, as the Clotilda’s shipmates did in 1873, to propose their services as missionaries to Liberia. But as Diouf suggests, “perhaps they were impeded mainly because they lacked the funds, and because the necessary information and infrastructure to facilitate or simply make possible their voyage was not in place” (p. 150). Meanwhile, they continued speaking Yoruba among themselves, tattooed their children, and gave them African names to double those they received through baptism. Most importantly they instilled in them a faith in self-sufficiency and reserve, as well as pride in their origins: those values are apparently still cherished by some of their descendants (pp. 239-240).

9 The foundation of African Town represents the shipmates’ attempt to reconcile their everlasting dream of Return with the pragmatic choice they ended up making of

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integrating American society, and more specifically its Southern culture, provided that it was on their own terms. This process began with the “reinvention of tradition”, since the shipmates avoided clinging “to customs that would have made them stand out more than they already did,” according to Diouf (p. 156). A town leader (rather than a king) was elected on the basis of his former social status but without consideration of his ethnicity–ironically, Gumpa, a Fon in the midst of a majority of Yoruba, was related to the royal family in Dahomey. Then new laws were passed and judges nominated. Over the years, adjacent plots of land were acquired, and residents built homes in the local style for their extended yet monogamous families, as well as all the institutions they needed for self-sufficiency, namely a church, a school and a graveyard. Cut off from the African continent, self-segregated, and somewhat enigmatic to its neighbors, African Town could be compared to a Maroon settlement, although it was highly visible and vulnerable to . It qualified also as a “Black town” (90 to 95% percent black inhabitants, black founders, black control) though differing from other such communities because of its African majority (p. 156).

10 The thorny issue of the relation African Town entertained with the rest of the African American community harks back to the days of slavery. The planters’ divisive policies and the myths they purposefully spread about Africa guaranteed that “salt-water slaves” such as Cudjo and his companions would be at best ignored by their “creole” co- workers, and often treated with contempt and hostility. Noah, a former slave on the Meaher plantation remembered for instance the hands’ amazement at the “ongodly way dat those Affikins found [to wear the coarse European clothes given to them,]” unaware that women may have attempted to wear them as pagnes (p. 85). In the binary universe of the plantation, the fear inspired by the Clotilda’s shipmates, who had a justified reputation of people who “wouldn’t stand a lick from white or black,” (p. 100) did not help their integration either. Additionally, as they defined “whiteness” based on the individual’s place of origin, religion or behaviour, they did not particularly identify with African Americans; nor could they conceive of “the linkage between color and servitude, because they saw ‘whites’ [that is mulattos] working in the field […],” writes Diouf in one of the most captivating passages of the book (p. 111).

11 The Afro-centered logic and impeccable unity of the founders of African Town only increased its residents’ mysterious and slightly threatening aura. Though they had to endure the same oppressive conditions and developed the same forms of resistance as other Blacks, their status as land–and home-owners, self-employed or semi-skilled workers also set them apart (p. 159). However, intermarriages and friendships brought constantly African Americans into their midst, and they attempted to bridge the gap with their neighbors with events such as gigantic free picnics organized by their church members. Their repute of moral rectitude may have caused the downfall of Cudjo’s and Abile’s eldest son. As violence escalated between African Town’s second generation and their neighbors, Cudjo, Jr. committed a murder, was sent to the state penitentiary, but released after six months thanks to a petition signed by Meaher’ son and other black and white Mobilians. “A man of excellent character” (p. 199) and possibly also a police informer, he was nevertheless killed by the sheriff two years later. His death inaugurated a catastrophic fifteen-year period for Cudjo who lost his wife and six children in a row. The cover picture, in which Cudjo poses around 1927 with two great-grand-daughters, is thus a palimpsest that evokes his heartrending tragedy.

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12 Diouf’s Dreams of Africa in Alabama, a sophisticated contribution to “Slave Route Studies” with their stress on African continuities, exemplifies the new scholarship on African Diaspora at its best. It is an accurate rendition of the Clotilda’s shipmates’ “Odyssey without Return” that corrects countless mistakes made by previous writers on their origins, voyage and various other aspects of their lives, partly because of mutual borrowings or outright plagiarism (pp. 245-249). Moreover, it reconstitutes the enslaved Africans’ perceptions of their ordeal and its aftermath, de-emphasizing their otherness, while preserving the complexity of their relationship to both their place of origin and their place of residence.

13 Highly recommended reading as we are celebrating the bicentennial of the official abolition of slave trade by Great Britain and the United States, Dreams of Africa in Alabama–co-winner of the 2007 Wesley-Logan Prize in African Diaspora History of the American Historical Association–offers also an invaluable window onto the hotly debated issue of “communautarisme”. It demonstrates eloquently that the shipmates’ secluded town inscribed in the Southern landscape their undying connection to Africa and irrepressible will to survive as Africans in America. Today, Africatown’s fifth generation is determined to preserve this heritage, obtain official recognition of its historical significance, and derive new revenues from it, against wide-spread neglect and vandalism, internal feuds, and industrial encroachment.

NOTES

1. See for instance the fortune of The Stowage Plan of the Liverpool Ship Brooks (1789); Joseph Mallord William Turner’s painting entitled Slave Ship. Slavers Throwning Overboard the Dead and Dying. Typhoon coming on (1840); Amiri Baraka’s play The Slave Ship (1969) and Stephan Spielberg’s movie Amistad (1997). 2. Marcus WOOD, Blind Memory: Visual Representation of Slavery in England and America 1780-1865 (New York: Routledge), 2000, p. 17–quoted by Jane Webster, “Looking for the material culture of the Middle Passage”, Journal for Maritime Research, December 2005, . 3. Route de l’esclave, Réseau thématique: Archéologie sous-marine, “La mémoire engloutie du triangle de la traite”, . 4. Two terms coined by Appadurai. 5. Jane WEBSTER, “Looking for the Material Culture of the Middle Passage”, Journal of Maritime Research, December 2005, 2.

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Kuyu, Camille. – Les Haïtiens au Congo

Giulia Bonacci

RÉFÉRENCE

KUYU, Camille. – Les Haïtiens au Congo. Paris, L’Harmattan, 2006, 164 p.

1 Le sujet est passionnant et singulier. Et prend ses racines dans l’histoire de l’auteur, congolais, qui rencontre sa future femme, haïtienne, dans les couloirs de la Sorbonne à Paris. La naissance d’un couple comme métaphore des liens unissant le pays géant de l’Afrique centrale et la petite île – république des Caraïbes. Alors que la présence congolaise en Haïti et, plus largement, dans les sociétés américaines commence à être finement documentée, Camille Kuyu se penche, lui, sur l’histoire des Haïtiens au Congo qui est largement méconnue.

2 À partir des années 1960, plusieurs centaines de Haïtiens sont partis pour le Congo comme assistants techniques du gouvernement d’un pays nouvellement indépendant (30 juin 1960). Instituteurs, professeurs, administrateurs et médecins se sont installés dans la capitale Kinshasa, mais aussi dans les provinces du Bandundu, du Bas-Congo, du Kasaï occidental, du Kivu, du Katanga et dans la province orientale. Parfois dans des endroits reculés, plus souvent dans les villes. Le rôle de l’Unesco et plus particulièrement celui des Haïtiens qui y travaillaient était crucial, il a permis le développement de ces migrations de travail qui se sont superposées aux relations affectives, imaginées, liant les Haïtiens à l’Afrique.

3 L’ouvrage de Camille Kuyu, encadré par une préface de Julien Kilanga Musinde et un épilogue de Daniel Talleyrand, est court et se présente en trois chapitres. Le premier plante le décor, retrace brièvement l’histoire récente du Congo et offre quelques données sociologiques et linguistiques sur le pays au lecteur peu averti. Le deuxième chapitre revient sur le contexte de ces migrations de travail et les motivations qui ont poussé les Haïtiens à s’y investir. Quelques cartes n’auraient pas déplu. Le troisième chapitre, le plus long, présente six récits de vie d’assistants techniques haïtiens ayant

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vécu au Congo ainsi que six témoignages d’autres personnes, enfants de ces Haïtiens ou Congolais les ayant fréquentées.

4 La difficulté à trouver des sources pour documenter ce qui est parfois qualifié de « retour à l’alma mater » surgit d’emblée comme une difficulté majeure rencontrée par l’auteur. Des archives lacunaires, de nombreux déplacements induits, un corpus à créer ne facilitent pas la recherche sur le sujet. Grâce aux témoignages présentés, la mémoire des Haïtiens ayant vécu au Congo – arrivés en couple ou mariés sur place, restés une année ou bien vingt ans – se dessine comme étant l’outil grâce auquel le minutieux travail de la reconstruction historique pourrait prendre forme. Ces récits de vie dévoilent un potentiel important, même s’ils sont présentés sans que soient éclairées les conditions de leur recueil, sans commentaires ni analyses. Des données supplémentaires sur l’origine sociale de ces Haïtiens et sur le contexte politique en Haïti auraient pu éclairer les enjeux liés à leur départ.

5 Certaines des contradictions propres à la rencontre entre Africains et Caribéens sont heureusement mentionnées par l’auteur. Des représentations contrastées, des constructions culturelles incomplètes, des préjugés à déconstruire, autant d’éléments qui soulignent le désir et les impasses d’une telle rencontre : Haïtiens et Congolais ont des destins qui se croisent et qui parfois s’ignorent. Malgré les difficultés propres à l’étude d’une relation panafricaine, ils méritent que tous les aspects de celle-ci soient attentivement pris en compte et analysés. C’est pourquoi nous prenons à la lettre la dernière phrase du livre, où l’auteur nous promet, à l’occasion de futures éditions, d’en combler les lacunes.

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Laude, Jean. – La peinture française et « l’art nègre » (1905-1914). Contribution à l’étude des sources du fauvisme et du cubisme

Jean-Luc Aka-Evy

RÉFÉRENCE

LAUDE, Jean. – La peinture française et « l’art nègre » (1905-1914). Contribution à l’étude des sources du fauvisme et du cubisme. Paris, Klincksieck, 2006, édition revue et présentée par Jean-Louis Paudrat, 560 p.

1 Jean Laude est mort il y a vingt-cinq ans, ayant à peine eu le temps d’achever une recherche fondamentale sur l’influence que les arts dits primitifs ont exercé sur Paul Klee et les arts abstraits. Il était là au point de conjonction de ses préférences essentielles, l’art du XXe siècle, l’Afrique noire, la poétique surréaliste. Historien de la peinture, il aimait à étudier le cubisme de Picasso et de Braque, mais encore Matisse, De Chirico, Giacometti et les abstractions1, à enseigner leur histoire à l’université et en parler avec passion dans de nombreux colloques et expositions dans le monde entier.

2 Africaniste plein d’humanisme, il s’est consacré très tôt après l’entaille ouverte par Marcel Griaule, Germaine Dieterlen, et Michel Leiris, aux Dogons, à leurs cultes et à leurs splendides sculptures en s’efforçant de maintenir sans cesse l’équilibre entre ethnologie et esthétique.

3 Poète, il a participé après 1945 au mouvement qui se dénommait le surréalisme révolutionnaire, puis évolué vers une recherche plus singulière et individuelle, celle des Plages de Thulé et de la Trame inhabitée de la lumière. Jean Laude définissait alors sa démarche comme « un exercice spirituel, mais sans nulle finalité, spiritualiste ». De l’une à l’autre de ses activités, nulle effraction, nulle dissociation, mais la volonté

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d’établir des correspondances, des transversales, des précieux relais qui l’ont conduit à devenir le premier grand spécialiste français du « primitivisme » et à défendre ceux de ses contemporains dans l’œuvre desquels il reconnaissait la même curiosité illimitée, la même largeur de vue, la même intelligence en somme, à l’instar de William Rubin, Ezio Bassani, Jacqueline Delange ou Jean-Louis Paudrat.

4 La réédition longtemps réclamée par ses disciples et les spécialistes, de son ouvrage fondamental La peinture française et « l’art nègre » constitue donc un précieux présent pour tous ceux qui s’intéressent au primitivisme qui est l’un des chapitres les plus importants de l’histoire de l’art du XXe siècle. Et la « note liminaire » de Jean-Louis Paudrat, qui accompagne la présente édition est plus qu’un témoignage de celui qui peut être considéré comme le grand héritier de l’œuvre irremplaçable de Jean Laude.

5 Si la présente édition, ainsi que l’affirme Jean-Louis Paudrat, n’est ni une réimpression à l’identique, ni une mise à jour de la première édition de 1968, celle de 2006 bénéficie d’un contexte culturel, artistique et bibliographique plus large. C’est donc tout à fait opportun de rappeler qu’en conséquence des enjeux historiques et théoriques ouverts par la première édition de ce livre, de grandes expositions artistiques visant à mieux illustrer l’enclave « primitiviste » dans l’horizon de l’art moderne ont été organisées dans le monde entier. De ce fait, la réédition du livre de Jean Laude dans la prestigieuse collection d’Esthétique de Klincksieck dirigée par Marc Jimenez, présente un intérêt particulier. Car il s’agit pour l’auteur d’analyser les rapports complexes entre la peinture française et l’art « nègre » au début du siècle dernier. Après une substantielle introduction où l’auteur expose magistralement un certain nombre de problèmes théoriques et historiques qui définissent le cadre de son étude, l’approche de la Peinture française et l’art nègre obéit à une démarche qui conjugue avec maestria les aspects chronologiques et thématiques.

6 Ainsi donc, dès le début du XXe siècle, parmi toutes les activités qui vont ébranler le paysage culturel occidental, figure celle de l’art. En effet, dans l’élaboration de ses fins, l’art occidental moderne rencontre des difficultés qui préfigurent les contradictions que connaissent les sociétés européennes à l’aube du siècle dernier. Dans plusieurs domaines touchant à la fois les arts plastiques, le théâtre, la danse, la littérature, des problèmes nouveaux surgissent et reçoivent des solutions inattendues, remettant en cause certaines théories esthétiques occidentales classiques. La découverte de l’art nègre par les écrivains et artistes européens d’avant-garde est l’une des sources fondatrices de ce mouvement. Autour des années 1905/1907, certains de ces écrivains et artistes se sont mis à collectionner pêle-mêle, sculptures de l’Afrique noire et de l’Océanie ; au point que les ouvrages d’art produits à ce propos ont attribué à ces sculptures une valeur artistique considérable qui va déterminer d’une manière décisive le nouvel esprit esthétique occidental. Dès l’abord de son étude, Jean Laude montre comment la découverte de ce que l’on appelait alors « l’art nègre », et qui comprenait des sculptures océaniennes aussi bien qu’africaines, semble s’inscrire dans un mouvement général de renouvellement des sources dont elle ne serait qu’un aspect particulier. Telle est la problématique que l’auteur dégage dans la première partie de son ouvrage.

7 Cette première partie qui s’articule autour de deux chapitres portant respectivement sur « Gauguin l’initiateur : les deux versants de l’exotisme » et « L’époque des nouvelles acquisitions : la découverte matérielle de l’art nègre » retrace historiquement comment ce mouvement de renouvellement des sources a été amorcé bien avant la première

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décennie du XXe siècle. Qu’en tout état de cause, il n’a pas eu qu’un effet artistique ; qu’il coïncide avec l’encerclement de la planète par les nations colonisatrices européennes et qu’il s’exprime culturellement par une réflexion sur l’exotisme. Tout au plus ce mouvement s’inscrit dans une nouvelle confrontation entre l’Occident et les autres civilisations : confrontation dans laquelle elle découvrait également les limites de sa création culturelle et artistique. Ainsi que le note fort bien l’auteur, « l’investissement progressif de la planète, l’inventaire des civilisations non européennes, sont contemporains de la seconde révolution industrielle ». Voilà pourquoi ces deux séries de faits ne sauraient être dissociés : ils sont à la source des thèmes qui s’inscriront dans la sensibilité littéraire et artistique de l’époque et vont aussi, d’une manière fondamentale, participer à ce grand mouvement de renouvellement des sources de l’art moderne occidental. Et, c’est bien à ce moment que cet art cessera d’être un simple ornement postiche, plaqué sur le réel et la logique, pour pénétrer dans la structure des choses. Alors « naîtront » le fauvisme et le cubisme.

8 C’est ce qu’annoncent précisément la deuxième et la troisième parties de l’ouvrage qui portent sur « le fauvisme et l’art nègre » et « le cubisme et l’art nègre ». Dès lors, la découverte de l’art nègre n’est pas seulement pour l’Occident, le dévoilement d’un nouveau répertoire et de nouveaux modes d’agencement de formes, c’est aussi l’occasion d’une mise en valeur d’un art qui, jusque-là, n’a suscité, sauf rares exceptions, que des jugements méprisants ou négatifs. C’est bien cette réelle audace dont parle Guillaume Apollinaire, même si pour certains artistes fauves et cubistes, la découverte de l’art nègre ne signifie pas toujours la même chose et ne donne pas lieu à la même interprétation. Ainsi que le souligne Jean Laude, quelle que soit l’interprétation de cette découverte, celle-ci, jusque dans les années 1930, se présente sous deux registres : l’art nègre est d’abord pris comme une source exotique. En un sens, il agit alors sur la réflexion ou les réalisations, beaucoup moins par ses caractères spécifiques en tant qu’exemple « d’art sauvage » ou « d’art primitif ».

9 L’art nègre est ensuite pris comme référence plastique. Cette fois il agit, non pas en tant qu’exemple « d’art sauvage » ou « primitif », mais avec les caractères qui lui sont reconnus en tant qu’art africain. À chacun de ces types généraux d’interprétation correspond, respectivement et assez exactement, une des tendances de la peinture occidentale avant 1914 : l’art nègre est pris comme source exotique par Vlaminck, Derain, mais également par les peintres expressionnistes allemands du groupe Die Brücke et Nolde. L’art nègre est aussi pris comme référence plastique par Matisse, Picasso, Braque et Gris. Ces deux attitudes correspondent à la situation de l’époque, d’autant que l’interprétation de l’art nègre comme source exotique, se situe dans la proximité des conceptions scientifiques de ce temps, qui identifient l’art africain à un « art des origines » ou à un « art non évolué » ou « primitif ».

10 Ainsi donc, c’est dès le début du XXe siècle, précisément à partir de 1906, que l’art nègre est découvert et qu’il commence à être confronté aux situations successives de la peinture et de l’esthétique fauves. Signalons cependant, que dans cette mise en relais entre l’art nègre et les différentes formes et expressions artistiques et littéraires de cette époque, l’œuvre de Cézanne aura joué un rôle précurseur important. Car, comme l’indique fort bien Jean Laude, si la découverte de l’art nègre précéda le regain d’attention portée, en automne 1907, à l’œuvre de Cézanne ; et si par ailleurs Derain, Vlaminck et Braque avaient dès l’automne 1905, commencé à s’intéresser aux sculptures africaines, ce n’est guère que l’année suivante qu’ils tireront des conclusions

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de leur découverte et qu’ils en prolongeront les données. L’art nègre fut découvert en pleine période fauve, et l’année suivant cette découverte, le fauvisme fut sinon abandonné, du moins transformé : cette découverte précède une attention nouvelle portée à Cézanne, et pose alors le problème du passage du fauvisme à d’autres recherches qui constitueront le cubisme. En tout état de cause, la découverte de l’art nègre précédant la seconde découverte de Cézanne par Braque, Derain et Vlaminck qui délaissent en 1907 le fauvisme orthodoxe, n’oriente-t-elle pas la compréhension des œuvres du maître d’Aix ? Plus précisément, n’intervient-elle pas dans le cézannisme des années 1907-1909 ? Autant de questions essentielles que Jean Laude aborde d’une manière originale et décisive dans la quatrième partie de son ouvrage qui porte sur deux points majeurs : « Le problème du primitivisme » et « Critique de la civilisation moderne : la transformation des valeurs. » Donc, deux chapitres dans lesquels l’auteur circonscrit d’une manière fondamentale la réception et l’installation de l’art nègre dans la peinture européenne du début du XXe siècle.

11 L’ouvrage se termine sur une conclusion titrée « La négrophilie et la critique de l’exotisme », dans laquelle Jean Laude trace d’une manière claire les deux ordres des faits, les périodes bien déterminées, les repères chronologiques, ainsi que toute la fortune critique qui ont prévalu dans la mise au jour de la découverte de l’art nègre dans le paysage artistique et culturel européen. Et au regard de toutes les grandes manifestations artistiques portant sur les arts dits « primitifs » qui se sont déroulées ces vingt dernières années, et surtout avec la construction du musée du quai Branly, la réédition de l’ouvrage de Jean Laude constitue un heureux événement et le destine à devenir un grand classique dans l’histoire de la peinture occidentale du XXe siècle.

NOTES

1. Jean LAUDE, « Naissances des Abstractions », Cahiers du Musée national d’art moderne, 16, 1985.

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Leservoisier, Olivier (dir.). – Terrains ethnographiques et hiérarchies sociales. Retour réflexif sur la situation d’enquête

Tarik Dahou

RÉFÉRENCE

LESERVOISIER, Olivier (dir.). – Terrains ethnographiques et hiérarchies sociales. Retour réflexif sur la situation d’enquête. Paris, Karthala (« Hommes et sociétés »), 2005, 327 p., bibl., index.

1 L’ouvrage dirigé par Olivier Leservoisier est dédié à l’analyse des terrains ethnographiques de manière à mieux prendre en compte les dimensions intersubjectives de la production ethnologique et anthropologique en restituant leur portée heuristique. Il s’agit donc de lire à travers la présentation de différents terrains comment la subjectivité du chercheur se trouve impliquée dans la production scientifique et de dévoiler comment celle-ci devient un instrument d’analyse dans les rapports concrets de l’investigation. L’angle d’attaque privilégie les hiérarchies sociales dans la mesure où ces dernières sont un puissant révélateur des rapports entre observateur, unité d’analyse, et logiques sociales. Olivier Leservoisier nous invite donc à approfondir l’exercice réflexif sur les méthodes de l’anthropologie.

2 Ce travail collectif s’ouvre par une partie tournée vers l’analyse de la subjectivité du chercheur. Jean-Pierre Warnier, à travers une approche foucaldienne, nous donne à voir l’opération de subjectivation consécutive à l’engagement dans une culture matérielle qui distribue le pouvoir. Sa propre position vis-à-vis de la royauté le situe dans une hiérarchie du pouvoir des corps. L’examen de l’incorporation du chercheur dans le dispositif du pouvoir lui permet à rebours de déceler les mécanismes qui guident ce dernier. Barbara Casciarri dévoile comment le genre et les conditions

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matérielles d’enquête peuvent tous deux orienter différemment le travail ethnographique vers des aspects différents mettant tantôt l’accent sur les dimensions égalitaires du social, tantôt sur ses dimensions hiérarchiques. Robert Deliège restitue comment une ethnographie des groupes castés lui a permis de remettre en discussion les visions holistes de Dumont sur la société indienne et l’essentialisme religieux qui en découlait.

3 La deuxième partie est encore plus centrée sur l’analyse réflexive comme mode de production des connaissances. Les trois premiers textes abordent cette question à travers la condition servile dans le contexte des sociétés statutaires. Les textes d’Olivier Leservoisier et d’Élizabeth Cunin interrogent la question de la demande sociale vis-à-vis de l’enquête, non seulement par rapport à l’éthique, mais également dans sa portée heuristique. Olivier Leservoisier montre que le fait d’être considéré par les acteurs sociaux comme vecteur de versions de « l’ordre du monde » représente un intérêt en termes d’analyse du social, surtout si l’on tente de maîtriser les biais que comporte une telle instrumentalisation de l’enquête. Tandis qu’Élizabeth Cunin insiste un peu plus sur la difficulté de circulation entre les mondes que ne manque pas d’entraîner une forte proximité avec les leaders d’opinion, Gilles Holder et Emmanuelle Olivier restituent la plongée des chercheurs dans les enjeux de pouvoir locaux en étudiant en termes de performance la mise en scène de leur mariage traditionnel dans la ville de Djenné, et en montrant qu’ils en tirent une vision plus précise de l’organisation et du fonctionnement de la cité. Les deux autres textes qui composent ce chapitre analysent les situations d’enquête dans des organisations. Laurent Bazin montre que la place assignée à l’ethnologue dans le dispositif de légitimation d’un parti politique et dans celui d’une entreprise lui assure une place privilégiée pour appréhender les conflits hiérarchiques. Valeria Hernandez, qui étudie un laboratoire de recherche, dévoile comment une réflexion sur le rôle de médiateur qu’on lui fait tenir se révèle une puissante grille de lecture des rapports de pouvoir.

4 La troisième partie se penche plus particulièrement sur la question de l’inscription de l’enquête ethnographique dans l’histoire – celle de la société de l’enquêteur, celle de l’enquêté, donc de leur rencontre –, mais également du rôle de l’intersubjectivité dans les enquêtes. Marie-Odile Géraud insiste sur sa condition de hors-jeu social pour montrer qu’elle lui a permis de pénétrer l’intimité de ses interlocuteurs. Jean Copans témoigne de l’intérêt de prendre en compte la durée des évolutions historiques (sur une trentaine d’années) pour mieux définir les questionnements anthropologiques en se livrant à un exercice d’historiographie appliqué à un mouvement religieux du Sénégal. Pierre Bonte montre que le « regard éloigné », s’il se situe dans le temps permet à travers le travail réflexif de mieux tenir compte de la contemporanéité1 de l’ethnologue et des acteurs sociaux, laquelle donne une compréhension plus aboutie des situations sociales. Serge Tcherkezoff tente de montrer comment, dans le cas polynésien, les systèmes de valeurs des ethnologues ont conduit à une indistinction entre hiérarchies et stratifications dans leur mode d’analyse du social, distinction pourtant fondamentale dans cette société.

5 En définitive, l’ouvrage réussit à éviter deux pièges majeurs des écrits qui abordent les questions d’intersubjectivité de l’enquête ethnographique. Le premier est l’emphase narcissique qui relègue la question de la subjectivité à de simples anecdotes sur l’activité de terrain. Le second est le piège culpabiliste des récits postmodernes, qui insistent plus sur le pouvoir en actes dans l’interlocution que sur les conséquences

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méthodologiques de l’engagement des subjectivités dans la situation d’enquête. Cet ouvrage témoigne donc d’une intense réflexion de la discipline sur la portée heuristique de la subjectivité du chercheur. Il demeure toutefois un travail théorique à accomplir sur les rapports entre les corpus constitués aux moyens d’outils méthodologiques et le travail réflexif de l’anthropologue. Si les micro-historiens sont parvenus à donner une forme de présentation du travail d’interprétation de l’historien à travers « le paradigme indiciaire »2 et ses formes d’écriture, il reste aux anthropologues à inventer les moyens de révéler dans les procédés d’écriture comment se constituent leurs corpus à partir de l’exercice réflexif.

NOTES

1. Johanes F ABIAN, Le temps et les autres : comment l’anthropologie construit son objet, Toulouse, Anacharsis, 2006. 2. C. GINZBURG, « Signes, traces, pistes », Le Débat, 6, 1980, pp. 2-44.

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Nguema-Obam, Paulin. – Fang du Gabon. Les tambours de la tradition

Maixant Mebiame Zomo

RÉFÉRENCE

NGUEMA-OBAM, Paulin. – Fang du Gabon. Les tambours de la tradition. Paris, Karthala, 2005, 192 p., bibl.

1 Après son livre sur Les aspects de la religion Fang (1983), Paulin Nguema-Obam livre ici une réflexion sur un sujet très peu présent dans les études sur l’Afrique : les danses et les significations qui lui sont données par le peuple qui les exécute, en l’occurrence ici les Fang du Gabon. Le sous-titre de l’ouvrage « Les tambours de la tradition » indique bien que les danses ne se réduisent pas à un colifichet dont le sérieux de l’existence peut aisément se passer, mais au contraire, qu’elles expriment les aspirations et la vision existentielles de tout un groupe ethnique. Par son étude, l’auteur parvient ainsi à appréhender le fonctionnement et l’organisation de la société fang, ses institutions économiques, politiques et religieuses en s’appuyant essentiellement sur les mythes et légendes de fondation des danses. Soulignons également que la présente étude est la version remaniée d’une thèse de doctorat d’État ès lettres présentée et soutenue par l’auteur en 1976, à l’Université de Strasbourg.

2 Comme dans son premier livre, l’échantillon choisi privilégie uniquement les Fang du nord du Gabon (province du Woleu-Ntem) et n’intègre pas dans son étude ceux répartis dans le reste du pays (Fang des provinces de l’Estuaire, Ogooué-Ivindo et Moyen- Ogooué) et des pays voisins (Cameroun et Guinée-Équatoriale) qui ont tous en commun la langue et la culture.

3 Le livre est structuré en deux parties inégalement réparties. La première tient sur quatorze pages (pp. 10-23) tandis que la seconde comporte cent quarante-trois pages (pp. 26-168). Dans la première partie, l’auteur situe les danses dans leur espace d’exécution : le village. Il montre que la fondation de celui-ci obéit à des mobiles d’ordres géographique, économique et stratégique, mais elle comporte aussi deux rites :

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« le rite qui préside au choix de l’emplacement du village et le rite de fondation ou d’installation, abanega dzal, sécurité, protection du village » (p. 13). On peut regretter que l’analyse de l’auteur sur la fondation des villages soit conçue en dehors du temps – le temps de la colonisation, du christianisme, du capitalisme, de la scolarisation et de l’urbanisation – cher à un auteur comme Georges Balandier. La prise en compte de ce temps historique aurait permis à Paulin Nguema-Obam de voir par exemple l’influence du grand projet de regroupement des villages initié par l’administration coloniale autour des années 1900 au Gabon. Cette politique coloniale d’implantation des villages sur de nouveaux sites consistait à contraindre avec force et violence physique la population des villages disséminés dans la forêt à se regrouper le long des routes nouvellement tracées par l’administration coloniale afin de permettre la circulation et la communication des biens et des personnes. Ce contexte historique permet donc de soutenir que l’emplacement des villages fang actuels n’a pas obéi à un choix ou à des stratégies des indigènes eux-mêmes mais plutôt à la politique de « contrôle » et de « surveillance » des sujets indigènes par l’administration coloniale.

4 La seconde partie du livre aborde réellement le problème central du travail. Il est question de la description des différentes danses fang et de leurs significations données par les acteurs eux-mêmes qui les pratiquent. Un premier chapitre souligne les particularités des danses. On apprend par exemple que les usages et les croyances relatifs à un art, à une danse sont transmis à l’individu ou à un groupe au cours d’une cérémonie rituelle. Le caractère de ce rite diffère selon qu’on a affaire à une danse d’hommes ou de femmes, selon qu’il s’agit d’une danse rituelle ou d’une danse récréative. Dans tous les cas, le rite de transmission de la danse consiste à consommer un mets rituel pour acquérir quelque chose, un pouvoir, pour agir efficacement et pour posséder le secret de l’art. L’auteur mentionne également le sens de l’usage systématique des couleurs rouge et blanc. Le rouge serait le symbole de la vie, de la santé. On applique de la poudre rouge sur les corps des malades pour hâter leur guérison. Le blanc est la couleur des morts et des fantômes et qui cependant restent en contact avec les vivants.

5 Par ailleurs, tout au long du texte, l’auteur rappelle constamment l’importance des significations endogènes ou emic dans l’analyse des faits sociaux dans les sociétés dites traditionnelles. C’est d’ailleurs l’une des critiques qu’il adresse aux auteurs occidentaux qui ont, bien avant lui, travaillé sur le même objet dans la société fang comme Pierre Alexandre (1958) et Jacques Binet (1972), etc. Il leur reproche d’être restés « en dehors du sens vécu, car les repères essentiels de la culture fang sont mal connus » (p. 27).

6 Cependant, la priorité donnée aux significations endogènes ou aux interprétations des acteurs eux-mêmes ne risque-t-elle pas d’enfermer l’analyse anthropologique dans la simple restitution des paroles d’informateurs sans un minimum de distanciation ? Il faut dire que cette façon de voir les choses a conduit l’auteur à adopter une méthodologie d’écriture ou de présentation de ses données de travail qui ressemble fort justement à la structuration d’un dictionnaire ou d’une encyclopédie des danses fang. Ainsi par exemple, les danses sont répertoriées et classées en trois catégories. Il y a les « danses du répertoire traditionnel » (pp. 44-74) au nombre de douze ; deux « danses de l’éphémère » (pp. 74-78) et dix « danses rituelles » (pp. 79-122). Mais on pourrait également s’interroger sur la typologie des danses fang que propose l’auteur car il ne fait aucune différence fondamentale entre les danses dites du « répertoire traditionnel », de celles qui ont une durée d’existence courte ou « danses éphémères »

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et des « danses rituelles ». Une lecture des travaux des sociologues de la modernité ou de la postmodernité occidentale aurait permis à l’auteur de mieux affiner sa typologie en discutant les concepts de tradition, rituel, coutume, religion, etc.1.

7 Selon cet ordre de classification, chaque danse énumérée renvoie d’abord à une définition du terme qui la désigne dans la langue fang ainsi que son référent dans la société (objet, animal, personne, etc.). Par exemple, dans ce premier niveau d’analyse, la danse d’hommes « akom » (p. 50) qui relève du répertoire traditionnel fut à l’origine une danse rituelle de femmes, alors que « mevung » était un rite pour hommes. Les hommes s’approprient donc « akom » et donnent « mevung » aux femmes. Selon l’auteur, « akom » vient du verbe kom (ordonner, mettre en état, prononcer la formule expiatoire) (p. 50). De façon générale, il désigne tout grand artiste, danseur, homme ou femme. Ces approches définitionnelles laissent rapidement place à l’exploitation de récits imaginaires, mythes et légendes textuels et factuels considérés par l’auteur comme la « base même de la culture des groupes humains » (p. 21). En l’absence d’un mythe fondateur qui situe l’origine d’une danse et de son organisation, la parole est donnée à celui qu’on pourrait appeler l’informateur privilégié, généralement un pratiquant de la danse concernée. Enfin, l’auteur conclut son analyse par un commentaire des récits et mythes présentés.

8 Par ailleurs, nous voulons nous attarder sur la deuxième catégorie de danses, celle que l’auteur nomme « danses de l’éphémère » et qui renvoient notamment aux danses « Akwa » et « Eko de Gaulle ». Ces deux danses se caractérisent par leur émergence pendant la colonisation. Paulin Nguema-Obam montre en effet que la danse « Akwa » s’inspire des cérémonies chrétiennes (catholiques) et bwiti, une religion traditionnelle syncrétique qui émerge également chez les Fang durant la période coloniale et qui a attiré l’attention de plusieurs anthropologues (G. Balandier, J. W. Fernandez, A. Mary, etc.). « Eko de Gaulle » est en revanche une danse qui imite le fonctionnement ou l’exercice du gouvernement colonial français au Gabon. Autrement dit, « Eko de Gaulle » est à la fois une danse et une mise en scène plus ou moins théâtrale du pouvoir colonial. Le caractère éphémère de ces danses réside dans le fait que, pour l’auteur, elles ont presque disparu et « leurs chances de supplanter les danses anciennes liées à la vie de tous les jours, aux usages, ne sont pas certaines » (p. 74). À propos de ces deux danses, l’auteur soutient également que : « Akwa et Eko de Gaulle n’entrent point dans le corps des croyances, des usages fang. Les Fang ne les ont pas assimilées culturellement. La complexité des détails dans l’organisation, toutes ces surcharges jurent avec la sobriété de la danse fang. Celles qui sont structurées comme akoma mba, nlup, omias, mengan et onzila le sont toujours sur le modèle de la sobriété fang, c’est-à-dire avec pour caractéristique essentielle, l’absence d’éléments superflus […] » (p. 78). En quoi ces deux danses qui naissent pendant la période coloniale, inventées par les Fang eux- mêmes et fruits de leurs interactions avec les Européens, ne font-elles pas partie aujourd’hui de la culture fang ? La culture et les croyances sont-elles statiques et immuables ?

9 La classification proposée par l’auteur présente également quelques insuffisances car certaines danses sont répertoriées dans une catégorie alors qu’elles auraient pu aussi en intégrer une autre. Par exemple, la danse « ngon ntang » rangée par l’auteur dans le registre des danses dites du « répertoire traditionnel » devrait normalement être classée dans la catégorie des danses dite de « l’éphémère ». En effet, tout comme les deux danses « akwa » et « Eko de Gaulle », la danse « ngon ntang » est le résultat de

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l’influence de la colonisation. L’auteur écrit : « Le ngon ntang est une danse avec masque. […] L’appellation ngon ntang, jeune fille blanche, provient du fait que les traits du masque rappellent ceux d’une jeune femme de race blanche. […] Le masque ngon ntang ne se réfère pas à un récit ou à une légende fang. Le masque du ngon ntang est très probablement un emprunt aux Nigérians » (p. 67). Dans ce contexte, et si comme le soutient l’auteur, les danses de « l’éphémère » n’entrent pas dans le corps des croyances fang, pourquoi la danse « ngon ntang » relèverait-elle du répertoire traditionnel fang ?

10 En somme, l’auteur adhère à une certaine forme d’anthropologie « statique », de la recherche de la « pureté », de ce qui est bien pour la culture fang et de ce qui ne l’est pas, de ce qui relève de la culture fang et de ce qui ne l’est pas, etc. Une telle anthropologie « passéiste » reste aveugle sur les changements et les transformations de la société. À lire les Fang du Gabon, on a parfois l’impression de découvrir une société des années avant sa rencontre avec les Occidentaux. Dans ce cas, et comme le font les historiens, l’auteur aurait mieux fait d’utiliser des bornes chronologiques pour situer dans le temps la société fang qu’il nous présente. Quand bien même l’anthropologie doit nous éclairer sur le passé des sociétés qu’elle étudie, elle ne doit pas rester aveugle sur les changements en cours, et devrait appréhender les situations actuelles et contemporaines de ces sociétés. L’anthropologie est également une science du présent. Cette absence de la dimension du temps présent fait que l’auteur n’intègre pas dans son répertoire la danse « Elone » qui, eu égard à son succès dans la société fang du Gabon (essentiellement le Woleu-Ntem) et de la Guinée-Équatoriale s’impose aujourd’hui à travers tout le Gabon comme la manifestation de la culture fang. Aussi, dans les capitales occidentales (Paris, Genève, Bruxelles, etc.), les cérémonies festives de ressortissants de la communauté gabonaise, toutes ethnies confondues, ne sont-elles pas agrémentées par la danse « Elone », véritable marque de la culture fang ? Le personnage fang Sima Eboula, principal vulgarisateur de cette danse et fervent acteur de sa « transnationalisation » à travers ses tournées en Europe pour faire danser les communautés africaines et européennes, témoigne de l’importance de cette danse. Nous aurions voulu que cette danse – dont on situe l’émergence autour des années d’après les indépendances des pays de l’Afrique centrale (1960) – soit également répertoriée pour saisir la société fang contemporaine qui, hormis son organisation ancienne, s’est approprié certains éléments de la culture occidentale (christianisme, médias, etc.) et se trouve également dans la tourmente de la mondialisation.

11 L’étude sur les danses fang du Gabon se conclut par un chapitre qui traite des supports de la danse, c’est-à-dire les instruments de musique, la parure et les chants. La fonction de ces instruments et les messages livrés par les chants sont largement analysés pour saisir à la fois la cosmogonie, l’organisation et le fonctionnement de la société fang.

12 En définitive, ce livre sur les Fang du Gabon de Paulin Nguema-Obam mérite d’être lu car il renferme une somme de données et d’informations sur la société fang. Ce travail est le fruit d’une véritable enquête de terrain, ce qui témoigne de la parfaite connaissance de cette société par l’auteur qui est par ailleurs lui-même Fang.

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NOTES

1. Voir Danièle HERVIEU-LÉGER, La religion pour mémoire, Paris, Cerf, 1993, et Henri HATZFELD, Les racines de la religion. Tradition, rituel, valeurs, Paris, Éditions du Seuil, 1993.

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Padenou, Guy-Hermann & Barrué- Pastor, Monique. – Architecture, société et paysage bétammaribé au Togo. Contribution à l’anthropologie de l’habitat

Barbara MOROVICH

RÉFÉRENCE

PADENOU, Guy-Hermann & BARRUÉ-PASTOR, Monique. – Architecture, société et paysage bétammaribé au Togo. Contribution à l’anthropologie de l’habitat. Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2006, 320 p., ill., gloss., cédérom.

1 Cet ouvrage, issu d’une collaboration interdisciplinaire, est le fruit de la thèse de Guy- Hermann Padenou, architecte et géographe, en collaboration avec Monique Barrué- Pastor, ethnogéographe et directrice de recherche au CNRS. Il correspond également au travail de valorisation d’une riche documentation du terrain au sein de l’équipe toulousaine MAP-ASM1. Le livre, accompagné d’un cédérom, permet ainsi l’exploitation de l’iconographie à travers une approche interdisciplinaire.

2 À travers le « prétexte » de traiter les relations entre l’architecture et la culture chez les Tamberma du nord-est du Togo, les auteurs relèvent le défi de parcourir largement des rapports entre nature, culture et architecture. Ce qui fait la spécificité de la vallée des Tamberma, caractérisée par un habitat dispersé, est l’architecture qui correspond au signe le plus remarquable de l’identité culturelle. L’espace architecturé représente, de manière paradigmatique, l’organisation sociale et la personnification symbolique qui intègre la cosmogonie et la cosmologie des Bétammaribé. L’architecture possède en

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outre, un rôle d’interface entre le monde des vivants, des morts et des forces divines. Ce qui en fait une habitation, mais également un temple et un monument.

3 Ce texte nous livre tout d’abord une contribution à la théorisation de l’anthropologie de l’habitat (chapitre I, par M. Barrué-Pastor). La question de l’habiter est révélatrice d’une culture, d’un système de pensée et d’un rapport au monde. Cette dimension, souvent négligée dans les ethnographies, devient ici le paradigme autour duquel tourne la construction du livre. Pour l’affirmer, les auteurs cherchent à synthétiser les notions d’espace comme elles ont été traitées par des antécédents classiques et notamment par l’École géographique française, aspect qui met en exergue l’approche. L’effort de systématisation de la problématique de la maison et, de manière générale, de l’anthropologie de l’habitat comme discipline complexe apporte une synthèse riche et intéressante. On peut cependant avancer quelques nuances, notamment sur la place peu importante donnée aux questions-clés de l’anthropologie, telles que « culture » et « tradition ». On peut regretter également l’absence d’une référence plus marquée aux textes fondateurs de l’anthropologie de l’espace, notamment aux actes du premier colloque destiné à cette exploration, paru en 19872 et aux travaux du réseau de recherche « Architecture-Anthropologie » de l’École d’Architecture de Paris-La Villette.

4 L’ouvrage présente, dans un ensemble de trois chapitres successifs (chapitre II, par G.- H. Padenou ; chapitre III, écrit à deux mains ; chapitre IV, par G.-H. Padenou), une approche monographique de la société bétammaribé du Togo centrée sur l’habiter et ses fonctions. Ceci à travers l’étude historique de l’implantation territoriale et la recomposition ethnique des groupes en question, l’organisation villageoise et le mode de vie, les statuts sociaux et les rites liés à l’habitation. On apprécie une précision extrême dans la description des parties de la maison et des statuts et rituels qui leurs sont liés : les objets, les actes, les rites sont mis en relation et illustrés par une terminologie traduite en langue vernaculaire. Dans les deux parties suivantes (chapitre V, par G.-H. Padenou ; chapitre VI, écrit à deux mains), les auteurs examinent un sujet rare en anthropologie, notamment la construction matérielle de la maison avec ses étapes et le rôle de l’architecte paysan dans la construction : un métier qui se transmet de père en fils et qui confère un statut social hors normes. Une analyse du modèle de la maison, le tèkyêntè, complète l’exposé. Dans ce sens, le tèkyêntè, véritable socle de la cosmogonie bétammaribé, désigne l’espace maison ainsi que sa composante sociale : c’est l’élément-clé de l’univers de ses habitants et il possède un statut social et rituel. Cette maison a une seule ouverture sur l’extérieur, ce qui lui confère l’aspect d’un mini château-fort qui loge les hommes, les animaux, mais aussi les morts, les ancêtres, les esprits. La maison intègre aussi le modèle du corps humain : ainsi, toutes les expériences corporelles de l’habitant sont perçues comme une intégration de l’espace du corps, au niveau cosmique et social. Le tèkyêntè est également un être global, un modèle réduit du monde, selon la cosmologie des Bétammaribé.

5 Dans une exploration aussi complète de la société choisie, la notion d’ethnie (chapitre II) aurait peut-être mérité un approfondissement plus théorique et critique qui tienne compte de la problématique en jeu depuis les années 1960, et notamment de la synthèse fournie par l’ouvrage dirigé par Amselle & M’Bokolo en 19853. En outre, l’aspect très descriptif des parties centrales laisse parfois un peu « sur sa faim » quant à l’analyse de certains rites, notamment le cycle rituel du mariage qui a, dans l’ouvrage, une place réduite par rapport aux cérémonies liées à la naissance et au décès.

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6 Le chapitre conclusif (chapitre VII, par M. Barrué-Pastor) livre une pensée engagée qui nous semble correspondre à une posture juste et contemporaine du chercheur vis-à-vis des cultures étudiées et de la prise de conscience de l’importance de l’autodétermination dans le processus de préservation du milieu et du développement social. L’auteure affirme ici que l’ouvrage lui semble avoir donné une contribution à la théorie architecturale, définissant un type bétammaribé dans son originalité : elle souligne ainsi l’importance d’une révision des critères d’évaluation purement occidentaux face à la diversité culturelle. Ce chapitre qui peut apparaître partiellement déterministe lorsqu’il considère les limites de la capacité d’adaptation aux changements sociaux de l’architecture bétammaribé, ouvre en réalité des hypothèses intéressantes sur la transformation contemporaine des tèkyêntè, qui pourraient, dans le futur, se « monumentaliser » davantage, devenant un exemple de monument rituel fondamental pour le groupe à côté de maisons d’habitation dépourvues d’autels. En revanche, l’inscription du paysage bétammaribé sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco en tant que « paysage culturel », est vue comme un handicap et un risque potentiel à cause du manque de concertation avec les populations locales, ce qui pourrait faire sombrer ce patrimoine dans les pièges d’une activité touristique inadaptée.

7 Cet ouvrage, réellement interdisciplinaire, fait appel à des outils variés : la cartographie, le relevé architectural, la photographie, le dessin et constitue un bon exemple d’une production à la croisée de l’anthropologie, la géographie et l’architecture.

NOTES

1. L’équipe ASM (Architecture, paysage, société et modèles) est une composante toulousaine de l’UMR MAP (Modèles et simulations pour l’architecture, l’urbanisme et le paysage), basée à l’École nationale supérieure d’Architecture de Toulouse. 2. « Espaces des autres, lectures anthropologiques d’architectures », École d’Architecture de Paris-La Villette. 3. J.-L. AMSELLE & E. M’BOKOLO (dir.), Au cœur de l’ethnie. Ethnies, tribalisme et État en Afrique, Paris, La Découverte, 1985.

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Thioub, Ibrahima (dir.). – Patrimoine et sources historiques en Afrique

Odile Goerg

RÉFÉRENCE

THIOUB, Ibrahima (dir.). – Patrimoine et sources historiques en Afrique. Dakar, Université Cheikh Anta Diop, Union Académique internationale, 2007, 175 p.

1 Cet ouvrage, coordonné par Ibrahima Thioub, est le produit d’un séminaire organisé en 2005 à Dakar dans la continuité des travaux de la rencontre d’Accra (2002) et des projets de recherche initiés par Fontes Historiae Africanae (Union académique internationale) sous l’égide de Viera Pawlikova-Vilhanova (Bratislava, Slovaquie). L’objectif général de cet institut est de valoriser les sources pertinentes pour l’histoire de l’Afrique, notamment les sources internes au continent, en particulier en publiant des documents originaux. Patrimoine et sources historiques en Afrique se présente ainsi à la fois comme un bilan des avancées depuis l’Histoire générale de l’Afrique, projet initié dans les années 1960 par l’Unesco1, et une réflexion dans la lignée des interrogations actuelles sur les héritages, leur perception et la constitution de mémoires historiques.

2 Après une introduction récapitulative de Ibrahima Thioub, l’ouvrage rassemble douze contributions émanant de chercheurs de disciplines variées (histoire, littérature, archéologie) et de diverses nationalités (Mali, Sénégal, Nigeria, Cameroun) mettant en évidence l’importance d’une collaboration interafricaine. Comme dans tout ouvrage collectif, les contributions sont d’intérêt inégal : certaines mettent à la disposition d’un lectorat élargi une synthèse des acquis de la recherche, parfois fort brève, ou des projets de recherche tandis que d’autres offrent des informations et analyses réellement novatrices. L’ouvrage est organisé selon quatre grands axes : « Oralité et patrimoine », « Oralité, manuscrits arabes et ajami », « Mémoire, Patrimoine et Histoire » et « Patrimoine documentaire et histoire ».

3 Les divers articles passent en revue les types de sources qui peuvent contribuer à une réflexion sur la notion de patrimoine2. Dans la plupart des contributions, le patrimoine

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est conçu comme un « donné », comme quelque chose qui existerait en tant que tel, de manière autonome : il suffirait alors d’en élargir la définition, comme l’a fait la convention de 2003 de l’Unesco en intégrant des éléments immatériels ou non bâtis, et d’en faire une liste nationale ou universelle. Dans d’autres, le patrimoine est perçu en tant que processus ou phénomène de construction, auquel participent les historiens mais aussi d’autres acteurs. Ce processus est tributaire à la fois de l’évolution des questionnements historiques et des sources, mais aussi des rapports sociaux et politiques, internes ou externes à l’Afrique. C’est dans une réflexion sur l’institution en « patrimoine », quelles qu’en soient les formes, que réside la richesse des apports.

4 La multiplicité typologique des sources, affirmée depuis plus d’un demi-siècle, suppose une réflexion différenciée sur leur mode de collecte, voire de découverte, et de conservation3.

5 Est rappelé l’essor de l’intérêt pour les sources orales à partir des années 1960 ; elles deviennent alors une des sources majeures de l’histoire de l’Afrique, soit sous forme de traditions formalisées notamment pour les périodes reculées, soit sous celle de témoignages et d’histoires de vie. Au-delà des discours valorisants et de leur reconnaissance par le biais d’instituts de recherche, à l’instar du Cerdotola au Cameroun dans les années 1980 (p. 62), l’exploitation des sources orales bute toutefois sur certains problèmes méthodologiques ainsi que sur la prise de conscience des difficultés de leur conservation ou de leur collecte qui reste concentrée sur « l’oralité du haut ». Par ailleurs, les difficultés économiques aboutissent aussi bien à la baisse des financements institutionnels qu’à un pervertissement des relations entre certains détenteurs des traditions et les chercheurs, au point que l’on peut parler de « vénalité malsaine » (p. 65). Ceci est d’autant plus vrai que les ressources financières et les statuts des chercheurs sont fortement contrastés.

6 Une attention particulière est portée aux manuscrits produits en Afrique même, en arabe ou en ajami, dont le nombre connu ne fait que s’accroître, en particulier dans des régions peu prospectées auparavant comme les zones islamisées d’Afrique centrale (p. 69 ; T. Bah & H. Adama). Des problèmes de conservation (p. 157 sq. ; S. M. ould Youbba) et d’exploitation se posent néanmoins au-delà des analyses formelles qui peuvent être proposées (p. 51 sq. ; S. Moumouni). La question du lien entre sources et patrimoine est toutefois peu explorée alors que la majorité de ces manuscrits sont des trésors familiaux : s’agit-il d’un patrimoine privé ou d’un patrimoine public ? (pp. 159, 163). Comment convaincre les dépositaires de l’intérêt de leur passage dans le domaine public et comment en assurer une lecture historique critique et non plus lignagère ?

7 Comme le souligne la présentation des collections du centre IFAN de Dakar par Gora Dia (p. 167 sq.), la préservation de documents plus récents est également problématique et suppose une prise de conscience nationale qui renvoie à une des questions de l’ouvrage : en quoi et comment des matériaux-sources pour les historiens, groupe restreint, peuvent ou doivent devenir des éléments valorisés d’un bien commun ?

8 L’article d’Élisée Soumonni sur « Histoire, mémoire et patrimoine lié à la traite des esclaves au Bénin » est particulièrement intéressant pour une appréhension critique des rapports entre patrimoine et recherche historique. Le rythme de l’écriture de l’histoire et celui des impératifs de l’exploitation patrimoniale en termes touristiques ou économiques, que ce soit au niveau central, municipal ou familial, ne sont pas les mêmes. Les acteurs politiques cherchent des réponses rapides, avant même, par exemple, que des fouilles archéologiques ne soient faites (p. 99). L’exactitude des

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localisations n’est pas leur préoccupation, pas plus que la contradiction entre le rôle effectif d’un personnage et son héroïsation postérieure (cas de Francisco Félix de Souza dit Chacha). De plus, les besoins ou les représentations d’intervenants externes, en l’occurrence la diaspora américaine, jouent un rôle important dans la désignation des sites de la Route des esclaves, dans l’imprégnation de sens de lieux, monuments ou événements festifs : « Des éléments du patrimoine lié à cette mémoire peuvent avoir des significations différentes, voire contradictoires » (Élisée Soumonni, p. 102). Ce constat s’applique de manière générale. Le rapport entre patrimoine et sources historiques est par conséquent complexe et un troisième terme, celui de mémoire – généralement plurielle – doit être introduit.

9 En soulignant la diversité et le renouvellement constant des sources mobilisables par les historiens et ceux qui se soucient de préserver des formes de mémoire du passé, l’ouvrage constitue un vibrant appel à mettre en œuvre des politiques de recherche, de protection et d’archivage des riches collections détenues soit dans des fonds privés, soit dans des bibliothèques publiques tout en valorisant des éléments culturels constitutifs d’un patrimoine national.

NOTES

1. Huit volumes ont été publiés entre 1980 et 1993, allant de la Méthodologie et préhistoire africaine (I) à L’Afrique depuis 1935 (VIII). 2. Voir notamment ceux de Charles Becker et de Hamady Bocoum. 3. Voir par exemple la démarche adoptée dans l’ouvrage issu du colloque sur Heinrich Barth organisé à Tombouctou et Bamako en 2004 : M. DIAWARA, P. F. DE MORAES FARIAS & G. SPITTLER (dir.), Heinrich Barth et l’Afrique, Cologne, Rüdiger Köppe Verlarg, 2006.

AUTEURS

ODILE GOERG

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