<<

Ils ont vécu à l’époque de l’Ancien Monde. Quand il n’y avait pas d’avions, pas de trains et pas de voitures ; quand il n’y avait pas de téléphone, encore moins d’ordinateur ; quand les bateaux n’étaient pas encore à vapeur ou à moteur, mais à voile ou à rames. Quand chaque voyage sur les mers était une aventure, où chacun jouait sa vie. Sindbad, , al-Idrisi, Marco Polo, , , Ahmad ibn Majid, Vasco de Gama… Qu’ils soient navigateur, savant, marchand ou simple voyageur, tous ces hommes ont une relation particulière avec la mer et l’océan. Ressurgis du passé, ils viennent ici raconter leur histoire et leurs aventures sur les mers…

Une coproduction Sindbad Mon nom est Sindbad de la Mer. Je suis un personnage des Mille et Une Nuits. Je n’ai jamais existé ailleurs que dans la bouche des conteurs arabes. Le conteur qui a imaginé mes aventures s’est inspiré des riches marchands qu’il avait croisés à Bagdad, ceux qui faisaient fortune en sillonnant l’océan Indien. J’ai navigué sur cet océan 3 de très nombreuses fois, et pourtant, à chaque fois que l’envie de voir le monde et le désir de m’enrichir me poussent à m’embarquer, je découvre des îles dont j’ignorais jusqu’alors l’existence et, sur ces îles, toujours de 2 nouvelles merveilles. Nous avons débarqué un jour sur une île déserte semblable au paradis : charmé, je me suis assoupi auprès d’une rivière, à l’ombre d’un arbre chargé de fruits, bercé par le chant des oiseaux. Quand je me suis réveillé, j’étais seul. Le bateau était parti sans moi. Saisi d’angoisse, j’ai exploré l’île en tous sens et j’ai fini par découvrir une immense construction blanche et ovale. Puis soudain le soleil a disparu, ! Grand pot à eau. éclipsé par les ailes d’un oiseau gigantesque. C’était l’oiseau Rukhkh qui arrivait sur l’île pour y xvie siècle, Deccan, Inde. couver son œuf immense. Vite, j’ai défait mon turban pour l’attacher à la patte de l’oiseau. Et le ! Coupe. lendemain, quand le Rukhkh s’est envolé, je me suis retrouvé suspendu dans les airs, si haut que xvie siècle. Kirman, Iran. - Oiseau Rukhkh. j’ai cru toucher le ciel. Il m’a ensuite déposé sur une île aride et sans vie, où m’attendaient de e Début du xvii siècle, Iran ou Inde. nouvelles aventures : la profonde vallée en son centre abritait les plus gros diamants du monde ! 2 Pichet à décor de bateaux. 1570-1585, Iznik, Turquie. Jonas Je m’appelle Jonas. En arabe, mon nom se dit Younous. Mon histoire, très fameuse, est racontée dans la Torah des juifs et dans le Coran des musulmans. Un jour, Dieu a exigé que je devienne son prophète. Mais j’ai eu si peur de cette mission si difficile que je me suis enfui le plus loin possible. J’ai voyagé jusqu’au port de Jaffa et je me suis embarqué sur un navire marchand. 5 Alors que nous étions en pleine mer, une tempête terrible s’est levée. Le capitaine, certain que la tempête était un signe de la colère de Dieu, décida qu’il fallait jeter quelqu’un à l’eau pour l’apaiser. Trois fois de suite on m’a tiré au sort, et le capitaine a donc ordonné qu’on 4 me jette à la mer. Dès l’instant où je suis passé par-dessus bord, la tempête a cessé. J’ai nagé aussi longtemps que j’ai pu et, au moment où j’allais perdre tout espoir, un énorme poisson m’a avalé. Durant les trois jours et trois nuits que j’ai passées dans le ventre du monstre, j’ai beaucoup réfléchi et j’ai compris que je devais accepter la mission que Dieu m’avait confiée. J’ai alors prié de toutes mes forces : Dieu m’a entendu et il a exaucé mes prières. Il m’a accordé son pardon et a donné l’ordre au poisson de me recracher sur la plage.

7 Jonas et la baleine. Miniature tirée de Jami al-tawarikh de Rashid al-Din, 1314-1315, Tabriz, Iran. 7! Mahi maratib, étendard ' Vlétif ou licorne de mer. en forme de tête de poisson. Illustration de la Cosmographie universelle d’André Thévet, 1575, Paris. xviiie siècle, Deccan, Inde. al-Idrisi On m’appelle al-Idrisi car je descends de la famille des Idrisides. Cette famille est issue d’Ali, l’époux de Fatima, qui était la fille du prophète Muhammad. Les historiens ne savent pas exactement où je suis né, peut-être au Maroc à Ceuta, ou peut-être en Sicile à Palerme. Ce qui est sûr, c’est que j’ai fait mes études à Cordoue en Andalousie et qu’en 1138 j’ai accepté l’offre du roi Roger II de Sicile pour devenir son géographe officiel. 7 Roger était un roi chrétien, grand admirateur des scientifiques musulmans de langue arabe, qui étaient les meilleurs à cette époque. Qui plus est, il parlait lui-même très bien l’arabe. Décrire et nommer les différentes parties du monde, cela intéressait beaucoup Roger : il 6 avait compris que c’était un excellent moyen d’affirmer son pouvoir. Il m’a donc demandé d’écrire le Livre du divertissement de celui qui désire découvrir le monde, un livre de géographie contenant des cartes et des textes qui décrivent les villes, les caractéristiques des pays et les itinéraires à emprunter.

' Carte de la péninsule Arabique. Extrait de Kitab al-masalik wa al-mamalik (Livre des routes et des royaumes) d’Al-, 1306-1307, Ispahan, Iran. - Olifant de Saint-Orens. xie-xiie siècle, Amalfi ou Salerne, Italie. al-Idrisi Pour rédiger ce livre, qu’on a appelé plus tard le Livre de Roger, je ne me suis pas contenté de relire les célèbres géographes arabes qui m’ont précédé, comme ou al-Bakri. J’ai aussi utilisé des informations plus récentes, tirées de rapports de missionnaires envoyés dans plusieurs contrées avec un questionnaire précis. Il faut dire que la Sicile a une place centrale en Méditerranée, et c’est pourquoi j’ai pu recueillir les renseignements fournis par les nombreux voyageurs qui ont fait escale ici. J’ai également innové dans la façon de dessiner les cartes. Par exemple, pour représenter les îles, j’ai abandonné le contour symbolique à partir de formes géométriques pour adopter une forme réaliste qui respecte le véritable tracé des côtes. Et puis, mon livre ne se limite pas aux pays musulmans, mais il décrit aussi l’Europe, l’Inde et la Chine. Néanmoins, j’ai repris la division en climats, jadis établie par le grec Ptolémée, et j’ai gardé le point de vue de mes prédécesseurs arabes, en plaçant le sud en haut de la carte.

- Aiguière en cristal de roche appartenant au trésor de Saint-Denis. 1000-1015, Égypte.

- - Planisphère pour Roger II de Sicile. Extrait du Livre de Roger d’Al-Idrisi, fac-similé de l’original du xiie siècle, 1875, Italie. Ibn Jubayr 6 Plat à décor héraldique de Ferrare. Je suis Muhammad ibn Jubayr. Milieu du xve siècle, Manises, Espagne. ' Bateau de pèlerins traversant la mer d’Oman. Je suis né en 1145 à Valence, en Espagne. En 1183, j’ai décidé Extrait d’Anis al-hajjaj (Le compagnon du pèlerin) de Safi ibn Vali, v. 1677-1680, Inde. d’entreprendre le pèlerinage à La Mecque comme 2 Ancre taillée abbasside. chaque musulman doit l’accomplir une fois dans xe siècle, Proche-Orient ou Iran. sa vie. De l’Andalousie jusqu’à l’Arabie, c’est un 11 long voyage, et qui n’est pas sans risque ! Grâce à la protection de Dieu tout-puissant, je suis rentré chez moi sain et sauf… deux ans et deux 10 mois après mon départ ! Pourtant, chaque fois que j’ai dû prendre la mer, j’ai bien cru y laisser la vie. Quelle peur j’ai eu en traversant la mer Pharaonique, que vous appelez la mer Rouge, entre l’Égypte et l’Arabie ! On dit que cette mer est parmi les plus dangereuses au monde Ibn Jubayr Nous avons pris la mer sur une jalba, un petit bateau qu’utilisaient les habitants d’Aydhab - Le naufrage du bateau de Kamarup. pour transporter les pèlerins désireux de se rendre à La Mecque. Mais ces gens n’ont aucun Extrait de Kamarup va Kamalata d’Abd Allah Kotbshah, 1834-1835, Lahore, Pakistan. scrupule : poussés par l’appât du gain, ils entassent le plus grand nombre possible de pèlerins - - Le prophète Khwaja Khizr Khan, invoqué sur les barques, si bien qu’un simple coup de vent peut envoyer tout le monde à la mort. particulièrement en cas de danger sur les mers. Extrait de Miniatures, portraits et modèles d’écriture Nous avons mis une semaine pour faire la traversée. Le deuxième jour nous avons été surpris des Indes, vers 1760, Inde moghole. 13 par un orage effrayant. Saisi d’effroi, chacun a fait ses adieux aux autres et s’est mis à prier, jusqu’à ce que les vents se calment et que nous parvenions à accoster sur une petite île que l’on nomme l’Île-Obstacle-aux-Navires. Sachez que la mer Pharaonique est truffée d’îlots minuscules et de périlleux récifs. Ces innombrables obstacles obligent les capitaines et les marins à réaliser des prouesses à la barre. Un conseil : avant d’embarquer, assurez- vous que le capitaine a de l’expérience et qu’il connaît bien les dangers des mers sur lesquelles il vous mène.

- Fragment de tissu fabriqué en Inde et retrouvé à Fustat en Égypte. xve-xvie siècle, Gujarat, Inde. Marco Polo Je m’appelle Marco Polo et je suis né à Venise en 1254 dans une famille de marchands. Mon nom est aujourd’hui célèbre car j’ai voyagé jusqu’au bout du 15 monde : jusqu’à Khanbalik, que d’autres appellent Pékin. À mon époque, bien peu d’Européens 14 pouvaient en dire autant. Quand j’ai eu dix-sept ans, mon père et mon oncle m’ont emmené avec eux jusqu’à la cour de Kubilaï Khan en Chine. J’ai appris la langue très rapidement et je suis resté attaché au grand Khan qui m’a confié de nombreuses missions. Après vingt ans passés à son service, il m’a autorisé à regagner ma ville natale. J’ai raconté mes aventures à un Pisan nommé Rusticello, qui en a fait un livre. Le succès a été immédiat !

! Marco Polo accoste à Ormuz. Illustration extraite du Livre des merveilles de Marco Polo, 1410-1412, Paris. ' Vue de Venise. ! Bouteille en verre émaillé. Extrait de Kitab-i Bahriyye (Livre de ) de , vers 1670, Turquie. xiiie siècle, Syrie. Marco Polo On a appelé mon livre Le devisement du monde, mais il est aussi connu sous le titre Le livre des merveilles. Des mer- 17 veilles, j’en ai vu beau- coup : des animaux étran- ges inconnus en Europe, des hommes à tête de chien, une île où ne vivent que des femmes et une autre un peu plus loin où ne vivent que des hommes, une autre île encore où on embaume les singes pour les faire ressembler à des hommes en miniature… La chose la plus merveilleuse, pour moi qui appartient à une famille de marchands, c’est l’abondance des richesses que l’on trouve dans ces pays et dans ces îles : les draps de soie et ! Collier de perles de verre vénitiennes rosetta. ! Calice. la porcelaine de Chine, les épices comme le poivre, la cannelle ou le gingembre, les bois rares xve-xvie siècle, Venise, Italie. Fin xve - début xvie siècle, Catalogne, Espagne. ' La récolte du poivre à Coilun. 9 Cruche à pied avec anse. comme l’acajou et le bois d’aloès, les mines d’argent et d’or, les pierres précieuses comme le Illustration extraite du Livre des merveilles de Marco Polo, xve siècle, Venise, Italie. 1410-1412, Paris. lapis lazuli, les rubis, les émeraudes, les saphirs ou les diamants, et enfin les perles énormes - Hommes et femmes marins pêchant. Miniature extraite de Aja’ib al-Makhluqat (Livre des merveilles) d’al-Qazwini, que l’on pêche sur la côte de Coromandel. xve siècle, Chiraz, Iran. Ibn Battuta Mon nom complet est Abu Abdallah Muhammad ibn Abdallah al-Lawati al-Tanji ibn Battuta, mais tout le monde m’appelle Ibn Battuta. Comme l’indique mon surnom al-Tanji, je suis né à Tanger au Maroc en 1304. Je suis le plus grand des voyageurs arabes : âgé d’à peine vingt-et-un ans, en 1325, j’ai quitté le Maroc pour me rendre en pèlerinage à La Mecque. Je ne suis revenu dans mon pays natal qu’en 19 ! L’île de Crète. ! La ville fortifiée de Candie en Crète. 1349, après avoir parcouru plus de cent vingt mille kilomètres pendant presqu’un quart de Miniature extraite de Kitab-i Bahriyye (Livre de navigation) de Piri Reis, vers 1670, Turquie. Miniature extraite de Kitab-i Bahriyye (Livre de navigation) de Piri Reis, vers 1670, Turquie. siècle. À mon retour j’ai écrit une , une relation de voyage, pour rendre compte des itinéraires que j’ai empruntés, faire connaître les villes que j’ai traversées et les gens 18 que j’ai rencontrés. J’ai vu l’Égypte, l’Arabie, les Maldives, l’Inde, Ceylan, , , Java et même la Chine. De nombreuses fois, je me suis embarqué sur des navires et j’ai remarqué que les bateaux de l’océan Indien sont très différents de ceux de la Méditerranée : les coques des bateaux qui circulent sur l’océan sont faites de planches qui sont cousues entre elles à l’aide de fibres végétales et de petites chevilles en bois, tandis que dans les bateaux méditerranéens, les planches sont assemblées à l’aide de clous en fer. Les bateaux de l’océan sont ainsi plus légers et plus souples et peuvent mieux résister aux chocs.

! Tenture saf. - Badan safar, bateau de pêche de Mascate. xvie-xviie siècle, Maroc. Maquette de Frédéric Baude d’après les plans de François-Edmond Pâris, 1873, Paris. Ibn Battuta Je connais tous les ports de l’océan Indien : en Arabie, Maqdishu, Zanzibar et Kilwa en Afrique, Calicut en Inde, Zaytun et Sin as-Sin aussi appelé Canton en Chine. Et dans tous ces ports j’ai trouvé des gens qui parlaient l’arabe ou le persan. La plupart du temps, j’y ai aussi trouvé une mosquée pour prier. Il faut savoir qu’à mon époque, ce sont les marchands musulmans qui sont les plus nombreux dans l’océan Indien. D’ailleurs les commerçants qui 21 y travaillent, quel que soit leur pays d’origine, utilisent la langue arabe pour communiquer entre eux. À Zaytun, qui était à mon époque le plus grand port du monde, j’ai été reçu par le juge des musulmans, le cadi Taj ad-din al- Arduwili, qui m’a présenté le chef de la communauté musulmane, Kamal ad-din Abdallah al-Isfahani. Les musulmans de cette ville vivent dans un quartier qui leur est réservé. J’ai retrouvé là le grand marchand Sharaf ad-din at-Tabrizi qui m’avait prêté de l’argent lors de mon passage en Inde. En fait, partout ou presque, je me suis senti chez moi dans cet océan, et je ne suis pas surpris que certains l’aient surnommé la mer des Arabes.

9 Le vizir. Pièce de jeu d’échecs en ivoire d’éléphant, 1100-1115, Italie. 6 Aden, Mombasa, Quiloa, Sofalaf. 8 Carte de l’océan Indien. Gravure de Frans Hogenberg, 1572, Cologne, Allemagne. Extrait de Kitab gharaib al-funun wa mulah al-uyun (Livre des curiosités), finxii e-début xiiie siècle, Égypte. Zheng He Je suis Zheng He. Comme tous les hauts fonctionnaires chinois, je suis un eunuque. J’ai servi le grand empereur Yongle, puis son fils Hongxi et son petit-fils Xuande. Je suis né dans le Yunnan, au sud-ouest de la Chine, dans une famille musulmane. Cela fait longtemps qu’il y a des musulmans ici : on peut visiter dans la ville de Canton la plus ancienne mosquée de Chine, que des marchands arabes et perses ont fait construire à la fin du viie siècle. Le troisième empereur de la dynastie des Ming, Yongle, m’a chargé de conduire des expéditions maritimes à travers l’océan Indien, pour accroître la renommée et l’influence de son empire. Dans ce but, il 22 a ordonné la construction de plusieurs flottes, constituées chacune de dizaines de grands bateaux, de cinquante à soixante mètres de long, qu’on a appelés « bateaux-trésors ». À chaque expédition se sont embarquées quelque vingt mille personnes. Ce n’est qu’avec la

! Céramique chinoise pour le marché musulman. quatrième expédition, en 1413-1415, que nos navires ont pu atteindre les côtes de l’Afrique. xvie siècle, Chine. Nous avions embarqué avec nous pour la première fois le jeune en tant qu’interprète 6 Céramique chinoise pour le marché musulman. 1506-1512, Chine. arabisant. C’est à lui que nous devons le si beau récit de voyage intitulé Sublimes découvertes - - Extrait de la carte montrant l’itinéraire maritime de Zheng He en 1431-1433. des bordures océanes. Lors de la septième expédition nous sommes entrés en mer Rouge et Tiré de Wu bei zhi (Traité de l’armement) de Mao Yuanyi, !  1621, Chine. avons visité la ville sainte de La Mecque. Je suis mort au retour de cette expédition, à Calicut, Présentation de la girafe du Bengale, offerte à l’empereur Yongle en 1414. en Inde. xviie siècle, Chine. Ahmad ibn Majid Je m’appelle Ahmad ibn Majid. Je suis né en 1432 dans la principauté d’Oman, dans une ville qui se trouve sur le détroit d’Or- muz entre le golfe d’Oman et le golfe Arabo-persique. Mon père, comme mon grand-père avant lui, était un navigateur célèbre dans tout l’océan Indien. C’est de lui que je tiens ma grande connaissance de la navigation. Moi-même, je suis un navigateur, et même 25 un navigateur savant. Je connais la géographie, la localisation des ports, l’astro- nomie, le régime des vents, les endroits profonds et peu profonds de l’océan 24 Indien. Tout cela, je l’ai écrit dans le Livre d’informations utiles sur les principes et les règles de la navigation. Dans ce livre, j’explique comment faire pour se diriger dans l’océan à l’aide des étoiles. Par exemple, pour atteindre le golfe de Cambay, sur la côte nord-ouest de l’Inde, il faut tenir un cap déterminé par la position de l’étoile polaire à onze doigts au-dessus de l’horizon. On peut aussi utiliser un kamal, un instrument très simple fait d’une planchette et d’une corde à nœuds. À chaque nœud correspond la latitude d’un port : le capitaine doit tenir entre ses dents le nœud correspondant au port qu’il souhaite atteindre et tendre la corde devant ses yeux, en calant le bas de la planchette sur la ! Globe céleste. Muhammad ibn Mahmud ibn Ali al-Tabari al-Asturlabi, 1285-1286, Iran. ligne d’horizon. Quand le haut de la planchette s’aligne sur l’étoile polaire, le capitaine !  planisphérique. -  La constellation du Vaisseau. xve siècle, Yémen . Extrait du Traité des étoiles fixes d’al-Sufi,xvi e siècle, Iran. sait qu’il navigue à la bonne latitude. Il ne lui reste plus qu’à tenir son cap jusqu’à bon port. Ahmad ibn Majid Une bonne connaissance des vents est précieuse pour naviguer dans le vaste océan, où tout change selon la saison. Le mot arabe mawsim (qui signifie saison) a donné son nom à la mousson, ce vent saisonnier qui fait la loi entre les côtes d’Afrique de l’est, les Indes et l’Arabie. Entre l’équinoxe de printemps et le mois de septembre, quand la mousson souffle du sud-ouest, tous les ports de la côte de Malabar, à l’ouest de l’Inde, sont fermés à la navigation : plus d’échanges possibles entre Inde et Arabie. En revanche, c’est le moment rêvé pour commercer avec l’Égypte, dont les derniers convois arriveront en Arabie fin août. À partir de septembre, les vents changent : on peut alors prendre la mer depuis les ports d’Afrique de l’est ou d’Arabie en direction de Malabar ou de Coromandel. Ma science de la navigation m’a rendu célèbre, au point que tout un tas d’histoires circulent à mon sujet. Parmi les Arabes, on dit que je suis l’inventeur de la boussole ; parmi les Européens, on dit que c’est moi qui ai guidé le Portugais Vasco de Gama en 1498 pour rejoindre les côtes de l’Inde depuis l’Afrique de l’est ; on dit encore que, du temps de la navigation à voile, certains marins invoquaient mon nom dans l’espoir d’éviter les naufrages… 8 Plat à décor de bateau à trois voiles latines. 8 Planisphère. 1650-1700, Iznik, Turquie. Universa ac navigabilis totius terrarum orbis descriptio de Andreas Honem, cartographe portugais, 1559, Anvers, Belgique. ' Arrivée de Vasco de Gama à Calicut. Début du xvie siècle, ateliers de tapisserie de Tournai, France. ; Le São Gabriel, navire-amiral de la première expédition de Vasco de Gama. Maquette de Jacques Primault d’après le plan du musée de Lisbonne, Vasco de Gama 2010, Paris. Mon nom est Vasco de Gama. Je suis né dans le sud du en 1460, au moment où s’éteignait notre grand roi Henri le Navigateur. C’est sous son règne que fut inventée la caravelle, un bateau capable de résister aux vents et aux courants marins de l’océan. Je suis devenu amiral et, sous le règne de Manuel Ier, j’ai accompli mon premier grand 29 voyage. Le roi Manuel rêvait de conclure une alliance avec le prêtre Jean contre les Turcs ottomans. Le problème, c’est qu’on savait très peu de choses sur le royaume chrétien du prêtre Jean, à part qu’il 28 devait se trouver quelque part aux Indes… Je pris donc la mer le 8 juillet 1497 sur le vaisseau amiral São Gabriel, suivi de trois autres caravelles transportant en tout deux cents hommes d’équipage. Nous avons doublé le cap de Bonne Espérance en novembre et remonté les côtes orientales de l’Afrique. Là, j’avoue que la situation a commencé à m’échapper : les équipages étaient décimés par les maladies, un de nos navires avait disparu et nous ne savions pas comment nous diriger dans ce vaste océan. Heureusement, le prince de Malindi a mis à notre disposition un navigateur chevronné, un Arabe je crois, pour qui la route des Indes n’avait aucun secret. Vasco de Gama Nous avons finalement débarqué à Calicut le 28 mai 1498. Le souverain de Calicut nous a reçus. Il n’était pas surpris de nous voir car ce n’était pas la première fois qu’il rencontrait des Européens. Il faut dire qu’ils sont un certain nombre, originaires de Venise, de Valence et même de Pologne, à être installés là-bas. En revanche, il a été déçu par nos cadeaux : nous lui avons pourtant offert du drap de belle facture, 31 du sucre et du corail, mais il avait l’air de penser que cela ne valait pas, et de loin, le poivre, la cannelle, le gingembre et le musc que nous souhaitions rapporter au Portugal… Il nous a avertis que nous ferions mieux dorénavant de lui apporter de l’or et de l’argent, éventuellement des draps de velours, si nous espérions qu’il nous ouvre ses marchés. À mon retour au Portugal, bien que je n’aie pas rencontré le prêtre Jean, j’ai été célébré comme un héros et nommé amiral des Indes. Le roi m’assura qu’il financerait une nouvelle expédition, cette fois bien plus conséquente, et que nous trouverions un moyen pour nous installer durablement aux Indes et profiter de ses richesses.

9 Casque en forme de chapeau portugais. xviie siècle, Inde.

6 Coffre à tiroirs marqueté. ! Vue du port d’Aden, au sud de l’Arabie. e xvii siècle, Goa, Inde. Extrait de Roteiro do Mar Roxo de João de Castro, xvie siècle, Portugal. Institut du monde arabe Collections et crédits photographiques Jack LANG, Président Aga Khan Trust for Culture, Genève © Trust for Culture / Photo Gerald Friedli : p. 29 Mojeb AL ZAHRANI, Directeur général Bibliothèque nationale de France, Paris : Cartes et plans : p. 4b, 8-9, 20b, 27 – Estampes et photographie : p. 13d – Manuscrits: 3e de couverture, p. 13g, 15g, 16g, 22d, 24d – Monnaies, médailles et antiques : p. 20h David BRUCKERT, Secrétaire général Caixa Geral de Depositos, Lisbonne © Caixa Geral de Depositos / Alfredo Dagli Orti : p. 28 Aurélie CLEMENTE-RUIZ, Expositions Collection Augusto Panini, Côme © Augusto Panini : p. 16d Radhia DZIRI, Actions éducatives Collection Bashir Mohamed, Londres © Collection Bashir Mohamed. Photo : Noël Adams : p. 2d Furusiyya Art Foundation, Londres. Photo : Noël Adams : p. 22gh, 22gb, 23b, 30h Actions éducatives Musée de Cluny, Paris. Photo © RMN-Grand Palais (musée de Cluny – musée national du Moyen-Age) / Jean-Luc Mabit : p. 4g, 11 Conception : Élodie ROBLAIN, Radhia DZIRI Musée de l’Institut du monde arabe : © IMA / Philippe Maillard : p. 10d – © IMA / Fabrice Cateloy : p. 25 Texte : Élodie ROBLAIN Musée des Jacobins, Auch. Photo © RMN-Grand Palais / Philippe Fuzeau : p. 7 Musée du Louvre, Arts de l’, Paris : Photo © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Peter Willi : Graphisme p. 8 – Photo © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski : p. 2g, 17d Couverture : Jérémie HERRBACH Musée national de la marine, Paris © musée national de la Marine / A. Fux : p. 19 Musée national de la Renaissance, Ecouen. Photo © RMN-Grand Palais (musée de la Renaissance, Intérieur : Jean-François LEMPORTE château d’Ecouen) / René-Gabriel Ojéda : p. 26 Musée national des arts asiatiques – Guimet, Paris. Photo© RMN-Grand Palais (musée Guimet, Paris) Impression : / Jean-Gilles Berizzi : p. 12 Museo Vetrario di Murano, Venise. 2016 © Photo Archive – Fondazione Musei Civici di Venezia : p. 17gg, 17g Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne. Direção-Geral do Patrimonio Cultural / Arquivo de Direction éditoriale : Dario CIMORELLI Documentação Fotografica, José Pessoa : p. 30b Direction artistique : Giacomo MERLI Philadelphia Museum of Art, Philadelphie. Photo © The Philadelphia Museum of Art, Dist. RMN- Coordination d’édition : Sergio di STEFANO Grand Palais / Image Philadelphia Museum of Art : p. 23 Bureau de presse : Lidia MASOLINI, [email protected] The Bodleian Libraries, The University of Oxford, MS. Arab C.90 (fols. 29b-30a) : p. 21 The British Library, Londres © The British Library Board, Cotton Tiberius D IX, ff. 11v-12 : p. 31 The Nasser David Khalili collection, Londres © Nour Foundation. Courtesy of the Khalili Family Trust : Remerciements : 2e de couverture, p. 3, 4h, 6, 10g, 14, 15d, 18d, 18g, 18b, 24g Nala ALOUDAT, Agnès CARAYON, Vincent GIOVANNONI Ce livret a été réalisé à l’occasion de l’exposition © 2016 Institut du monde arabe « Aventuriers des mers. De Sindbad à Marco Polo » qui s’est tenue © 2016 Silvana Editoriale S.p.A., Cinisello Balsamo, Milano ISBN : 978-8-83663-414-9 à l’Institut du monde arabe du 15 novembre 2016 au 26 février 2017. Dépôt légal octobre 2016 Achevé d’imprimer en octobre 2016 L’exposition a reçu le soutien de la Fondation Total et du groupe Casino.