Cahiers d’études italiennes

Novecento... e dintorni 14 | 2012 Les années quatre-vingt et le cas italien

Barbara Aiosa-Poirier et Leonardo Casalino (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/cei/294 DOI : 10.4000/cei.294 ISSN : 2260-779X

Éditeur UGA Éditions/Université Grenoble Alpes

Édition imprimée Date de publication : 15 mars 2012 ISBN : 978-2-84310-222-6 ISSN : 1770-9571

Référence électronique Barbara Aiosa-Poirier et Leonardo Casalino (dir.), Cahiers d’études italiennes, 14 | 2012, « Les années quatre-vingt et le cas italien » [En ligne], mis en ligne le 15 septembre 2013, consulté le 28 mars 2021. URL : http://journals.openedition.org/cei/294 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cei.294

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Les vicissitudes italiennes des années quatre-vingt — la défaite du mouvement syndical, la séparation des forces politiques de gauche, la naissance de valeurs nouvelles et d’une société et d’un marché de travail plus fragmentés, la critique du paradigme antifasciste — sont étudiées à la lumière d’un contexte international dans lequel a pris forme un projet géopolitique d’unification et d’expansion des marchés rendant difficile la poursuite des politiques alternatives sur le plan national. Les particularités mêmes du « cas italien » sont interprétées dans cette perspective plus large, en s’interrogeant sur la conscience que les acteurs politiques, les écrivains et les intellectuels ont eu de vivre un moment historique où se sont développés des changements d’une telle ampleur.

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SOMMAIRE

Présentation Barbara Aiosa-Poirier et Leonardo Casalino

Note sugli anni ottanta: il caso italiano nel contesto internazionale Leonardo Casalino

Dans le cône d’ombre de la crise : historiens et histoires des années quatre-vingt en Italie Andrea Rapini

Le parti socialiste des années quatre-vingt, de Pertini à Craxi Alessandro Giacone

Le procès 7 aprile : un cas prototypique de l’état d’urgence dans l’Italie des années quatre- vingt Elisa Santalena

Les Cobas (Comités de Base) en Italie au cours des années quatre-vingt : naissance d’un phénomène Rodolphe Pauvert

Crise du monde ouvrier et « question septentrionale » : l’usine de Dalmine (Lombardie) dans les années 1980 Ferruccio Ricciardi

Cambiamento sociale e attivismo giovanile nell’italia degli anni Ottanta: il caso dei centri sociali occupati e autogestiti Beppe De Sario

La communication politique des années quatre-vingt Luciano Cheles

Fine dei movimenti e nuove identità generazionali nella narrativa italiana degli anni ottanta: Tondelli e Palandri Ugo Perolino

Gli “eredi” di Calvino negli anni ottanta: Andrea De Carlo e Daniele Del Giudice Sabina Ciminari

Alberto Arbasino e la “vita bassa”. Indagine sull’italia degli anni Ottanta in cinque mosse Giuseppe Panella

L’olivo e l’olivastro de Vincenzo Consolo : pour une odysée du désastre Lise Bossi

Stefano Benni : l’engagement d’un écrivain entre journalisme et littérature Stefano Magni

“Con la guerra nel cervello”: la memorialistica alla prova degli anni Ottanta. Il disperso di marburg di Nuto Revelli Alessandro Martini

L’arrivée des migrants sur les écrans de cinéma italiens Isabelle Felici

La lutte entre image et imagination : Dario Fo joue (et dessine) Johan Padan Federica Tummillo

« Noi piangiamo e scriviamo, e loro governano... ». Désarroi et stratégies de survie dans le jeune cinéma italien de la fin des années 1970 et du début des années 1980 (article non publié dans la revue papier) Oreste Sacchelli

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Annexe

Cronologia degli anni ’80 in Italia Leonardo Casalino

Bibliographies

Gli anni ottanta allo specchio un percorso bibliografico Ugo Perolino

Bibliografia sulla storia italiana degli anni ottanta Leonardo Casalino

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Présentation

Barbara Aiosa-Poirier et Leonardo Casalino

1 Lorsque nous avons commencé à réfléchir à l’opportunité d’étudier Les années quatre- vingt : le cas italien, nous étions motivés par la conviction que nous pouvions trouver dans cette période les origines politiques et culturelles de l’Italie d’aujourd’hui. Nous étions loin d’imaginer qu’au moment de terminer notre travail, l’Italie et l’Europe seraient au cœur d’une crise économique qui nous oblige à reconsidérer les vicissitudes italiennes dans une perspective internationale. Comme l’a expliqué Luciano Gallino dans Finanzcapitalismo (Torino, Einaudi, 2010), c’est au cours des années quatre-vingt que les gouvernements – qu’ils soient progressistes ou conservateurs – ont approuvé les premières lois destinées à donner, au fur et à mesure, toujours plus de pouvoir à un système financier qui, en l’absence de règles fortes, a déclenché la spéculation sur la dette des États nationaux. La globalisation libérale est le fruit de choix politiques précis et non le résultat spontané de processus économiques autonomes. Aujourd’hui encore nous ne pouvons prévoir comment la situation évoluera avant la sortie de ce numéro de notre revue. Nous ne sommes pas en mesure de savoir s’il y aura des accélérations, ni de connaître leur direction.

2 Toutefois, cela confirme, à notre avis, l’intérêt de la recherche sur ces thèmes, sur la nature des transformations politiques et culturelles qui ont marqué la fin du dernier siècle et dont Leonardo Casalino dans ses Note sugli anni Ottanta: il caso italiano nel contesto internazionale a proposé une première synthèse. Face à la crise économique qui avait frappé à la fois les États-Unis et les social-démocraties européennes du Nord, a pris forme, au cours de cette période et autour des travaux de la Trilateral Commission, un projet politique ambitieux, englobant la sphère politique et économique, mais également la sphère culturelle : le refus du protectionnisme et de la défense de chaque monnaie ; la réduction des salaires et des conflits dans les usines ; la réduction des dépenses sociales et la création d’organismes internationaux ; une contre-offensive théorique sur le thème du Welfare State et de la mémoire de l’antifascisme.

3 Un nouveau système économique basé sur des produits récents, qui nécessitaient de nouveaux et plus amples marchés, a été mis en place : en Amérique latine grâce à la politique économique des dictatures militaires soutenues par les États-Unis ; en

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Indonésie, à Taiwan et au Japon ; au Moyen-Orient et en Chine, avec Mao toujours vivant.

4 Sous la présidence Reagan, au début des années quatre-vingt, ce processus s’est accéléré au travers d’investissements dans l’innovation technologique liée à l’augmentation des dépenses militaires. Cette course aux investissements a projeté l’« ennemi » soviétique dans un système d’émulation qui l’a conduit à la crise définitive et qui n’a pas trouvé, en Europe, une opposition digne de ce nom. C’est ainsi qu’un monde unifié, mais inégal, allait naître : un monde confié à la spontanéité du marché et dominé par une seule puissance.

5 Ce processus mondial ne pouvait pas ne pas concerner l’Italie : dans ce pays, la grande transformation des années soixante-dix avait bouleversé toutes les références « précapitalistes » qui étaient à la base d’un fort sentiment d’identité collective. L’incapacité de la politique à conduire cette transformation avait été une « occasion manquée » éclatante, tout comme ce fut le cas vingt ans après, ainsi qu’on peut le comprendre en lisant l’essai d’Alessandro Giacone sur les rapports entre les deux figures du socialisme italien, Sandro Pertini et Bettino Craxi.

6 Malgré cela, une fois passée la première phase des mouvements des étudiants et des ouvriers, il y eut une dilatation de la sphère politique, accompagnée d’une forte demande en direction des partis de la part société. Au terme de ce processus – qui, comme l’a expliqué Federica Tummillo, a également influencé de façon significative le parcours théâtral de Dario Fo – la marche des 40 000, au cours du mois d’octobre 1980, avait été l’indice du rôle assumé par des figures sociales récentes, des acteurs inattendus qui se révélèrent capables d’une mobilisation autonome. Ils étaient tous liés par une radicalité forte et une confiance illimitée dans le progrès matériel, seul élément capable d’atténuer les différences économiques et sociales.

7 L’Italie du marché triomphant, ses rêves d’une consommation sans limites, cohabitaient cependant avec les maux structuraux du pays : l’égoïsme des corporations, la destruction de l’environnement et la dégradation du patrimoine historique (avec la naissance du mouvement écologiste), le mépris pour la chose publique, la détérioration des conditions de vie des classes les plus faibles… À ces problèmes anciens, s’ajoutaient des situations difficiles issues de la récente transformation économique : le chômage des jeunes, la flexibilité et la précarisation du travail, l’absence de politiques sociales, le vieillissement de la population.

8 En partant du principe que le capitalisme avait produit la démocratie en vainquant ses propres adversaires idéologiques, il était inévitable que la droite se confronte à l’histoire et à la signification de l’antifascisme. Ce dernier devenait une cible à atteindre et un obstacle à surmonter. Pour le cas italien, cette offensive culturelle ne pouvait qu’avoir comme objectif principal la Constitution et ses principes fondamentaux. Le “scandale” du texte constitutionnel lui était intrinsèque, dans le compromis sur lequel il se bâtissait, entre les instances du solidarisme catholique, les principes du libéralisme démocratique (libertés politiques et civiles, séparation des pouvoirs, droits de l’homme) et les sensibilités communistes et socialistes pour la justice civile. Les politiques du Welfare se retrouvaient elles aussi en ligne de mire de cette contre-offensive théorique, étant considérées comme prolongation de l’antifascisme politique dans la règlementation des rapports économiques.

9 Tous ces changements ont très vite constitué l’un des thèmes centraux du débat historiographique, débat dont Andrea Rapini identifie avec finesse les protagonistes les

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plus importants permettant ainsi de mieux comprendre les relations entre les vicissitudes politiques des vingt dernières années et les travaux des historiens. Rodolph Pauvert et Ferruccio Ricciardi en analysent, de leur côté, les conséquences au sein du monde du travail et sur le plan de la représentation syndicale. Beppe De Sario, en élargissant l’horizon de cette reconstruction collective, se penche sur le rôle – et sur l’héritage – de l’activisme des jeunes dans l’ensemble des changements qui ont eu lieu dans les années quatre-vingt. L’image littéraire de la condition des jeunes à la fin de la saison des mouvements collectifs (« spettacolo, trasgressione carnevalesca, erotizzata affabulazione di maschere e identità ») constitue l’objet d’étude d’Ugo Perolino, qui se concentre sur l’œuvre de Vittorio Tondelli. Dans son analyse, Perolino, après avoir pris en considération les nouveautés et les ruptures générationnelles, s’interroge sur la manière dont le parcours de Tondelli (mort en 1991) aurait pu s’exposer à des involutions non prévisibles. Mais il s’intéresse surtout à tous ceux qui, comme Palandri, ont continué à questionner les relations entre écriture et politique, dans une sorte de contrechant par rapport aux postmodernismes. Et enfin, dans son article, Luciano Cheles aborde le thème de la « spectacularisation » et de la « personnalisation » de la politique à travers l’étude de la propagande des anciennes et des nouvelles forces politiques à cheval entre les années soixante-dix et les années quatre-vingt-dix. Il s’intéresse aux changements de style et de communication qui ont marqué le début d’une séparation progressive et dangereuse entre les dynamiques du système politique d’une part, les besoins et les conditions de vie matérielle des individus d’autre part.

10 Le regard que les écrivains ont porté sur cette époque est également au centre des études de Lise Bossi, Giuseppe Panella et Sabina Ciminari. Le mot regard concerne tout particulièrement l’essai de cette dernière, consacré à Italo Calvino, Andrea De Carlo et Daniele Del Giudice. En s’interrogeant sur le thème de l’héritage en littérature, Sabina Ciminari offre des éléments pour une lecture plus claire de la présentation faite par Calvino de l’un des romans italiens les plus importants des années quatre-vingt, Lo stadio di Wimbledon (1983) de Daniele Del Giudice : La domanda che il giovane rivolge al vecchio (e a se stesso) potrebbe formularsi così: chi ha posto giustamente il rapporto tra saper essere e saper scrivere come condizione dello scrivere, come può pensare d’influire sulle esistenze altrui se non nel modo indiretto e implicito in cui la letteratura può insegnare a essere? A un certo punto del suo itinerario (o già in principio) il giovane ha fatto la sua scelta: cercherà di rappresentare le persone e le cose sulla pagina, non perché l’opera conta più della vita, ma perché solo dedicando tutta la propria attenzione all’oggetto, in un’appassionata relazione con il mondo delle cose, potrà definire in negativo il nocciolo irriducibile della soggettività, cioè se stesso. Cosa ci annuncia questo insolito libro? La ripresa del romanzo d’iniziazione d’un giovane scrittore? O un nuovo approccio alla rappresentazione, al racconto, secondo un nuovo sistema di coordinate1?

11 À propos du regard d’Alberto Arbasino sur l’Italie des années quatre-vingt et d’aujourd’hui, Giuseppe Panella offre une synthèse efficace au début de son article : « La vita bassa è l’approdo più recente di Arbasino alla “critica spietata” di tutto ciò che si dice e di ciò che si vorrebbe e dovrebbe realizzare in Italia e che si finisce per evitare di fare ». L’Italie, un pays dans lequel l’effort pour chercher des solutions aux problèmes est continuellement retardé, transformant sans cesse ces problèmes en des métaphores capables de les cacher.

12 Il s’agit d’une réalité contre laquelle la recherche linguistique de Vincenzo Consolo a constitué un précieux instrument de connaissance, comme Lisa Bossi l’a expliqué, de façon très lucide, à la fin de son article :

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De la même façon, alors que Consolo espérait encore, à la fin des années quatre- vingt, pouvoir opposer au déferlement de la communication standardisée, son épos à la structure polyphonique, composée de tout le substrat mythopoétique méditerranéen, et son nouveau logos, sa langue plurielle, faite de toutes les langues d’histoire et de mémoire fondues dans le creuset sicilien, ses tentatives et celles de ceux qui, comme lui, s’efforçaient de faire entendre des voix marginales, ont été noyées dans un multiculturalisme et un communautarisme institutionnels grâce auxquels ces voix ont été récupérées et canalisées. En démultipliant et en divisant ainsi les enracinements culturels au nom d’une diversité de façade, les serviteurs du pouvoir ont réussi à affaiblir les racines de l’olivier dans lequel Ulysse avait taillé sa couche nuptiale, qui est aussi le berceau de toute notre civilisation, et, par myopie ou de propos idéologique délibéré, à ne préserver que cette partie du tronc sur laquelle prospère l’oléastre, l’olivier sauvage. Encore quelques années et la langue de Consolo, dont la complexité sémantique et la richesse lexicale défient déjà la traduction, sera devenue incompréhensible pour la plus grande partie de ses compatriotes; encore quelques années et plus personne ne saura pourquoi Ulysse voulait tant revenir à Ithaque. Et alors, qui dira le mal et dans quelle langue ?

13 Les années quatre-vingt ont été la décennie pendant laquelle de nouveaux regards ont fait irruption sur la scène politique et sociale de l’Italie : les regards des immigrés et les regards de l’opinion publique italienne sur ces derniers. Isabelle Felici explique comment le cinéma s’est intéressé, dès le départ, à cette nouvelle réalité.

14 Dans une époque où les grandes espérances en un futur capable de produire des changements significatifs s’évanouissent, il était inévitable de se tourner vers le passé. Il s’agissait toutefois d’un passé où le XXe siècle était réduit à un simple affrontement entre démocratie et totalitarisme, sans que l’on puisse faire de distinction entre les différents processus historiques. C’est dans ce contexte que la voix de Nuto Revelli – dont parle Alessandro Martini – se faisait encore une fois entendre ; c’est également dans ce contexte (au cours de l’enquête 7 Aprile – analysée par Elisa Santalena) que se consumait un débat sur le passé plus récent, celui du terrorisme, dans lequel les écrits de Stefano Benni – étudiés par Stefano Magni et à cheval entre littérature et politique – ont joué un rôle important.

15 Deux bibliographies et une chronologie, rédigées par Leonardo Casalino et Ugo Perolino, clôturent ce volume. Elles portent sur l’historiographie et sur la production critique et littéraire des années quatre-vingt qui, nous le souhaitons, pourront encourager de nouvelles idées et de nouvelles recherches sur ces thèmes sur lesquels notre centre de recherche – le GERCI – a l’intention de poursuivre la réflexion au cours des prochaines années.

16 Toutes ces études constituent-elles une réponse ordonnée aux questions d’où nous sommes partis ? Certainement pas. Mais ce n’était pas là notre objectif. Il s’agissait de commencer à recueillir des éléments susceptibles d’amorcer une réflexion polyphonique qui nécessitera de nombreuses recherches supplémentaires. La curiosité qui caractérise l’une des plus belles pages sur les années quatre-vingt, écrite sur la fin de cette décennie par Vittorio Foa, nous aiguillera encore, du moins nous l’espérons : Il decennio che si è appena concluso ha elaborato mutamenti clamorosi: la rivoluzione del 1989 non ci è caduta addosso all’improvviso ed è complicato, almeno per me, ricostruire un così profondo processo di preparazione. La classe operaia è stata sconfitta nelle sue lotte tradizionali, cioè nella produzione, ma il conflitto è rivissuto intensamente con nuovi soggetti e, in modi diversi, nella stessa classe operaia. L’ideologia dominante è stata di una

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modernizzazione conservatrice animata da acceso individualismo; poi ci siamo accorti che dentro (e contro) l’individualismo conservatore maturava un diverso valore, quello della persona, del soggetto individuale e dei suoi diritti, senza il quale riescono incomprensibili i soggetti e i diritti collettivi; dentro (e contro) il neoliberismo di destra è maturata la libertà come valore irrinunciabile per le grandi masse popolari2. Décembre 2011

NOTES

1. I. Calvino, « Quatrième de couverture », dans D. Del Giudice, Lo stadio di Wimbledon, Turin, Einaudi, 1983. 2. V. Foa, Il cavallo e la torre, Turin, Einaudi, 1991, p. 313.

AUTEURS

BARBARA AIOSA-POIRIER Université Stendhal – Grenoble 3

LEONARDO CASALINO Université Stendhal – Grenoble 3

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Note sugli anni ottanta: il caso italiano nel contesto internazionale Notes sur les années quatre-vingt : le cas italien dans le contexte international Remarks on the eighties: the Italian case in the international context

Leonardo Casalino

1 Il 12 febbraio 1980 l’Indipendent Commission for International Developmental Issues, più generalmente conosciuta come la North-South Commission, presieduta dall’ex- cancelliere tedesco Willy Brandt, presentò il proprio rapporto conclusivo al segretario generale delle Nazioni Unite a New York. Il titolo per esteso recitava Assicurare la sopravvivenza – Interesse comune dei paesi industrializzati e di quelli in via di sviluppo, ma il documento divenne generalmente noto come “rapporto Brandt” e costituisce, a giudizio di Marco Revelli «l’ultimo organico tentativo di dare una risposta “di sinistra” alla sfida emergente di un mondo sempre più globale1».

2 Il rapporto indicava la necessità di combattere la fame e la povertà dei paesi poveri attraverso la formazione di un nuovo sistema economico mondiale capace d’integrare anche le nazioni del Terzo Mondo. Brandt introduceva il concetto di «responsabilità» globale: la quale avrebbe dovuto condurre a una ridistribuzione delle risorse e a una maggiore uguaglianza nel mondo. I paesi sviluppati dovevano comprendere, infatti, che una riduzione delle diseguaglianze a livello planetario avrebbe favorito non solo un ordine geopolitico più pacifico e un più equilibrato sviluppo umano, ma avrebbe anche offerto alle loro economie la possibilità di approfittare di una significativa crescita della domanda.

3 Un Occidente sempre più in difficoltà nel vendere i propri prodotti ne avrebbe potuto trarre notevoli vantaggi e, se la filosofia sociale del rapporto fosse stata seguita, la sinistra europea avrebbe potuto misurarsi con più forza con le grandi novità della globalizzazione nascente. Le cose, però, andarono diversamente e le indicazioni del rapporto furono largamente ignorate. Anzi, rapidamente, all’inizio degli anni Ottanta, sia negli Stati Uniti sia in Europa le strategie vincenti ebbero una fisionomia radicalmente opposta: riduzione dell’intervento pubblico in economia,

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ridimensionamento del ruolo e della forza dei sindacati, fiducia ideologica nella capacità del mercato di autoregolarsi.

4 In Inghilterra questa politica neo-liberista fu perseguita dal leader conservatore Margaret Thatcher, la quale nel 1979 sconfisse i laburisti accusandoli di essere appunto «il partito dell’intervento governativo nell’economia» e di essere «ostaggio» dei sindacati. A partire dal 1981 il repubblicano Ronald Reagan, condurrà negli Stati Uniti una politica di larghe privatizzazioni, di detassazione per i più ricchi, di riduzione delle spese sociali, senza preoccuparsi delle inevitabili conseguenze sul piano dell’occupazione e della coesione sociale.

5 Per la destra dell’inizio degli anni Ottanta era fondamentale sfruttare la favorevole congiuntura politica per colpire il suo nemico principale: il blocco sociale costituito dal lavoro salariato, il quale andava sconfitto politicamente e frammentato socialmente attraverso i processi di ristrutturazione industriale spostando le fabbriche e le aziende in paesi dove era più basso il livello salariale e minori erano le garanzie sociali e sindacali. Si trattava di un modello radicalmente opposto a quello contenuto nel rapporto Brandt. Al keynesismo globale di quello, destinato a innescare processi di crescita delle singole economie nazionali, si contrapponeva una sorta di globalizzazione liberista destinata a gestire la crescita lenta delle società avanzate facendone pagare i prezzi ai paesi poveri e alle classi povere.

6 Le forze progressiste non compresero la vera natura di questi processi ritenendo che la vittoria della destra potesse ancora iscriversi a ragioni congiunturali e che si trattasse di una normale dinamica di alternanza di governo. Vi furono negli anni Ottanta delle lotte di resistenza in diversi paesi: la Fiat nell’autunno 1980 in Italia, i siderurgici francesi della Lorena, i minatori inglesi. Tutte inesorabilmente sconfitte e che ristudiate oggi acquistano il significato di un’anticipazione a livello nazionale di quello che emerse con più chiarezza alla fine del decennio con la caduta del regime sovietico: la crisi di tutte le esperienze che avevano caratterizzato la storia delle sinistre novecentesche. Le quali non ressero l’urto della dissoluzione delle grandi concentrazioni operaie e dell’indebolimento dell’autonomia dello Stato-nazione provocato dalla globalizzazione.

7 Questi processi erano, in realtà, cominciati alla fine degli anni Sessanta, in un contesto internazionale caratterizzato da due superpotenze in competizione tra di loro, ma entrambe in grande difficoltà. Il primo che cercò di trovare una soluzione a questa situazione di disordine fu Henry Kissinger, il quale era convinto che la crisi non fosse legata al rialzo del prezzo del petrolio e che dunque bisognava evitare l’errore di ricorrere a politiche di protezionismo o di difesa delle singole monete. Bisognava invece agire sulla riduzione dei salari sulla limitazione dei conflitti sociali e sulla riduzione della spesa pubblica. Inoltre bisognava creare, a livello internazionale, degli organismi capaci di gestire un’economia sempre più mondializzata (FMI, Banca Mondiale) e sempre più lanciata verso lo sviluppo della finanza privata e di grandi imprese internazionali. All’inizio degli anni Ottanta, però, questo progetto dimostrava i suoi limiti: non era sufficiente ridurre i salari a vantaggio dei profitti, occorreva una ristrutturazione più ampia, un aumento della produttività e soprattutto l’individuazione di nuovi mercati. Per far questo occorreva creare un diverso ordine geopolitico, una nuova divisione internazionale del lavoro e integrare nello sviluppo una grande zona del mondo.

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8 S’iniziò con l’America Latina e con golpes effettuati da militari formati in accademie militari USA e con consulenti economici che provenivano dalle università americane in cui si affermava il «pensiero unico liberista». In Asia si coinvolsero l’Indonesia (giustificando il massacro di mezzo milione di comunisti), Taiwan e la Corea, promovendo una riforma agraria per creare consenso e poi uno sviluppo industriale fondato sugli aiuti ricevuti per essere state basi militari durante la guerra in Vietnam. Il capolavoro politico di Kissinger fu però la politica verso la Cina comunista: dopo la rottura con l’URSS e il danno provocato dal ritiro dei tecnici sovietici, la rivoluzione culturale aveva trasformato Mosca nel nemico principale. Kissinger approfittò di queste tensioni avviando nel 1972 il riconoscimento della Cina da parte degli Stati Uniti. Un processo che porterà progressivamente alla nascita di alcune zone speciali dove poterono nascere imprese joint-venture, operanti sul mercato internazionale, le quali divennero degli elementi trainanti dell’economia del paese. Anche i contadini, organizzati in cooperative, ottennero il diritto di vendere i lori prodotti. Quando questa trasformazione si avviò Mao era ancora vivo, in seguito toccò a Deng proseguire nella riforma capitalistica. Nel frattempo l’URSS si chiudeva nella glaciazione immobilista dell’epoca brezneviana e cadeva nell’errore storico di accettare la sfida – impossibile per la tenuta della sua economia – del riarmo lanciata da Reagan: bomba al neutrone, scudo missilistico, guerre stellari. Il complesso militare industriale statunitense, finanziato da imprese private, accelerava il salto tecnologico e lanciava sul piano culturale il nuovo mito di una “missione americana”, per riunificare il mondo in nome dell’estensione della democrazia.

9 Un progetto che non trovò nel nuovo contesto internazionale nessuno capace di contrastarlo, soprattutto perché l’Europa non era ancora un soggetto politico e la sinistra era incapace di elaborare nuove idee. La Francia avrebbe potuto essere il solo paese capace di resistere, grazie all’eredità gollista e a uno Stato efficiente dotato degli strumenti adeguati per guidare l’economia. Nel 1971 Mitterrand aveva avviato la rifondazione socialista, unificando sindacalisti e intellettuali senza partito e elaborando un programma comune con i comunisti. Il quale prevedeva: aumenti salariali, estensione della spesa pubblica, intervento pubblico per colmare il deficit, alcune nazionalizzazioni. Nulla invece era detto sulle questioni internazionali e in modo particolare sulla questione europea e questo fu un limite destinato a pesare al momento della prova di governo. La quale si svolse all’inizio degli anni Ottanta senza la necessaria mobilitazione dal basso, in grado di sostenerla quando i rapporti di forza internazionali – sottovalutati – fecero sentire il loro peso. Licenziamenti come risposta agli aumenti salariali, fuga di capitali, la speculazione contro il franco, difficoltà nel rapporto con i sindacati, rapidamente presero corpo le condizioni per giustificare una svolta radicale rispetto al programma iniziale, la quale era destinata a influenzare le scelte degli altri partiti socialisti europei – soprattutto nel Sud del continente – nel breve e nel lungo periodo. Una cosa, comunque, era chiara: in un mercato internazionale con sempre meno regole, una politica di stampo keynesiano in un solo paese, isolata e senza alleanze, era destinata alla sconfitta2.

10 Se il contesto internazionale era questo, le vicende italiane difficilmente avrebbero potuto prendere un’altra piega. Nel passaggio dagli anni Settanta agli anni Ottanta si stava chiudendo una «stagione della storia della Repubblica» dove «pur nella permanenza dei protagonisti, lo scenario è sostanzialmente nuovo, ed è al suo interno che si ripresentano questioni di fondo non risolte»3 . Per De Felice la più importante

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delle novità era costituita dal venir meno della centralità della questione comunista, una sorta di anticipazione nostrana della situazione che si creerà in Europa nel 1989 con la fine del bipolarismo. Un PCI, ormai legittimato, veniva nuovamente escluso dall’alleanze di governo per scelta politica e non a causa della sua identità. Il “preambolo” democristiano (cioè il rifiuto di continuare la politica di apertura verso i comunisti, che segnò il cambio di direzione del partito e il passaggio all’opposizione interna della corrente di sinistra democristiana) e la svolta di Berlinguer allontanavano definitivamente i due più grandi partiti (la cui forza organizzativa non corrispondeva più a una capacità reale d’innovazione politica), liberando al centro del sistema politico uno spazio enorme di azione al partito socialista e ai partiti laici, nel loro caso, però, sproporzionato rispetto all’effettivo peso politico. La crisi della democrazia italiana ha qui una delle sue origini più evidenti.

11 Il PSI craxiano, il quale all’inizio era stato capace di mobilitare numerosi e prestigiosi intellettuali nello sforzo di elaborare un programma per “l’alternativa”, diventò rapidamente il custode più geloso di questo nuovo principio di “esclusione” verso i comunisti, accusati di mancanza di credibilità, perché vide in esso lo strumento capace di provocare nel tempo un riequilibrio elettorale a suo favore. La “governabilità” diventò la nuova parola d’ordine, una governabilità che avrebbe dovuto essere assicurata da una grande riforma istituzionale, spesso evocata, ma mai seriamente delineata. Il risultato, messo bene in luce da Franco De Felice, fu quello di determinare una pericolosa separazione tra la teoria e la prassi, tra il riformismo decisionista annunciato e la pratica di una rigida alleanza con la destra democristiana. Qui invece, si possono ritrovare le origini più vicine di un fenomeno che si affermerà in seguito: la confusione tra politica e antipolitica di un ceto politico feroce custode dei propri privilegi e che non esita a cavalcare la protesta della cosiddetta “società civile” per difenderli e proteggerli anche nelle fasi di un’apparente radicale trasformazione.

12 L’ultimo Berlinguer fu il critico più spietato e lucido di questo nuovo sistema di potere, di una politica debole facilmente corruttibile e pericolosamente corruttrice; la sua critica, però, avrebbe avuto bisogno di essere accompagnata anche da una riforma profonda del suo partito, una riforma in grado di completare sul piano organizzativo la strategia politica delineata tra il 1980 e il 1984: l’alternativa democratica, la questione morale, la lotta per la pace, l’autonomia da Mosca, la difesa delle radici classiste del PCI anche in una fase di difesa (solidarietà agli operai della Fiat nel 1980, lotta contro il decreto della scala mobile). La sua morte nel giugno 1984 interruppe bruscamente e tragicamente questo progetto e non possiamo sapere come si sarebbero svolte le vicende italiane se fosse sopravvissuto (come non possiamo dire come sarebbero andate le cose a livello internazionale se, sempre nel ’84, anche il tentativo di riforma di Andropov non fosse stato bloccato dalla sua scomparsa). Ciò che sappiamo, invece, è che il nuovo gruppo dirigente che arrivò alla testa del partito – dopo la parentesi di Natta – si convinse, ben presto, che la sopravvivenza del PCI dipendesse dal suo accesso al governo del paese, convinzione che condizionò non poco la stessa gestione della svolta dell’Ottantanove con esiti, purtroppo, alquanto negativi.

13 Gli avvenimenti politici, però, non sono comprensibili senza riflettere sui mutamenti della società e del mondo del lavoro. Il passaggio dall’Italia industriale a quella postindustriale avvenne in un contesto nazionale in cui il prevalere di una diffusa industria manifatturiera determinò la nascita di un ceto medio soprattutto impiegatizio e commerciale. Il quale dipendeva largamente dall’assistenzialismo dei partiti. Mancava

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invece un forte settore finanziario, assicurativo, borsistico che avrebbe favorito la nascita di un diverso modello di modernizzazione. L’Italia continuava a dipendere dall’estero per il suo approvigionamento di energia e le situazioni di crisi di fabbriche furono risolte con il ricorso alla cassa integrazione destinata a pesare sui conti dello Stato.

14 Il paese accumulò, perciò, un grave ritardo nel campo dell’informatica, della chimica, delle telecomunicazioni e dell’industria farmaceutica. Prevalse un capitalismo familiare e il periodo di sviluppo economico tra il 1983 e il 1986 (con una crescita annuale costante del 2,9% del Prodotto Interno Lordo) non fu utilizzato per correggere queste basi troppo fragili. Il debito pubblico crebbe a causa del sostegno pubblico alle aziende, dell’uso disinvolto della spesa in pratiche assistenzialiste e della diminuzione delle entrate fiscali (conseguenza della tolleranza verso l’evasione fiscale). L’ingresso nel Sistema Monetario Internazionale nel 1979 aveva limitato l’automia dei governi nell’utilizzare la svalutazione della lira come strumento di sostegno all’economia. Si scelse allora di attirare capitali dall’estero mantenendo tassi d’interesse più elevati rispetto agli altri paesi europei, permettendo agli speculatori d’investire a tassi d’interesse del 10-15%. Si creò così un sistema perverso, in cui lo Stato per la propria liquidità aveva bisogno di vendere i titoli di Stato, ma era poi obbligato a pagare interessi sempre piu’ alti con gravi conseguenze sul debito pubblico.

15 L’acquisto di BOT assorbiva risorse che, in questo modo, non venivano utilizzate per investimenti produttivi, in una sorta di euforia generale che subì il suo primo trauma con la crisi della Borsa di New York del 19 ottobre 1987. I governi di pentapartito preferirono concentrarsi sulla lotta contro l’inflazione tollerando un meccanismo che creava una ricchezza artificiale. L’economia sommersa (lavoro nero, evasione fiscale) permise all’Italia di diventare la quinta potenza industriale del mondo, ma favorì, contemporaneamente, la formazione di gruppi sociali che grazie a queste distorsioni raggiunsero un livello di vita che non intendevano più rimettere in discussione. Era questa la ragione per la quale tutti i tentativi di riforma fiscale provocarono enormi resistenze e non furono fino in fondo appoggiati da una classe politica che fondava il proprio consenso sulla difesa di privilegi particolari. Alla fine degli anni ’80 la formula politica del CAF (Craxi, Andreotti, Forlani), l’alleanza tra il PSI e la destra democristiana, tradusse la rinuncia definitiva dei partiti di governo a ogni progetto di modernizzazione del paese, consegnando al decennio successivo un intreccio pericoloso tra interessi corporativi, partiti e un contesto internazionale in profondo mutamento.

16 Negli anni Ottanta, in definitiva, avvenne una cesura decisiva nella storia italiana: fino a quel momento i processi d’integrazione e di sviluppo avevano convissuto con i vizi di fondo, irrisolti, del paese: il cattivo funzionamento dei servizi pubblici, l’espandersi dei poteri privati, una spesa pubblica fuori controllo, il cancro delle trame occulte e i loro legami con la criminalità organizzata. Vizi che emergevano in tutta la loro gravità nel momento in cui il sistema politico dimostrava di non essere più in grado di rinnovarsi. Alfio Mastropaolo ha riassunto questo processo con grande efficacia: Il modello di democrazia proposto al cittadino medio, ma anche alle élites, era quello di una democrazia ‘tutelare’, la quale sdoppiandosi, sì li proteggeva con efficacia, ma al contempo li deresponsabilizzava. Di conseguenza quando si è trattato di elaborare nuovi principi di convivenza, al posto delle ormai antiquate appartenenze ideologiche e subculturali, la maggioranza degli italiani ha preferito subire conformisticamente il degrado della politica, sommando alle sue insostenibili inezie, alla sua sterile conflittualità, alla corruzione diffusa,

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all’assistenzialismo corporativo la propria tradizionale (e non inspiegabile) insofferenza nei confronti dello Stato e d’ogni regola certa e troppo stringente, per reinserirsi alfine in quei particolarismi, campanilismi e familismi, cui a suo modo, la democrazia bicefala era riuscito a sottrarlo4.

17 Si erano create le condizioni, cioè, per la nascita di una destra nuova capace di rappresentare l’ostilità di una gran parte della società italiana verso i valori e le regole delle democrazie di massa affermatisi in altri paesi occidentali. Valori e regole che vennero svuotati dal basso riducendo la politica a una semplice selezione dei governanti. Se altrove queste tendenze trovarono i loro rappresentanti in leaders come la Thatcher o Reagan, in Italia negli anni Ottanta – come ha osservato di nuovo Alfio Mastropaolo – questa domanda di destra faticò a trovare uno sfogo. Ciò non impedì però una trasformazione sul piano culturale, il diffondersi – cioè – nella società di una richiesta di ordine che si accompagnava alla formazione di un blocco sociale unificato dalla critica contro lo stato sociale. Si trattava di un senso comune destinato a pesare non poco nel successo politico di Berlusconi nel ’94. Successo che non sarebbe stato possibile senza i cambiamenti intervenuti nei primi anni ’90 e che in questa sede non possiamo approfondire. Le tensioni degli anni Ottanta, i vizi irrisolti, il vincolo esterno della costruzione europea, avevano spinto il sistema al suo punto di rottura aprendo la strada all’intervento della magistratura. Alla crisi della politica si era pensato di sopperire aggrappandosi da un lato a principi quali la competenza, la serietà, la professionalità e, dall’altro, alla via referendaria per favorire processi diversi di selezione delle classi dirigenti. Ancora una volta, però, l’errore politico è stato quello di non distinguere tra le intenzioni di chi mirava a bonificare la democrazia e riconvertire le istituzioni alle necessità di un paese profondamente cambiato e quelle di coloro il cui vero traguardo era stravolgere l’impianto istituzionale a vantaggio dello schieramento anti-welfare, predisponendo nuovi strumenti per meglio ghettizzare la sinistra e gli interessi da essa rappresentati5.

18 L’incapacità delle classi dirigenti liberali di far fronte allo sviluppo della democrazia di massa aveva prodotto negli anni Venti le conseguenze che conosciamo. Nel 1945 i partiti di massa avevano costruito un sistema, certo, imperfetto e fondato su profonde divisioni ideologiche, ma che aveva funzionato nei momenti di crisi trovando la sua forza nelle comuni origini antifasciste e che aveva permesso al paese uno sviluppo economico considerevole. Negli anni Ottanta, quando questo equilibrio era entrato definitivamente in crisi, il “caso italiano” fu di nuovo contraddistinto dal fallimento delle classi dirigenti di fronte alle novità che si delineavano. Il laboratorio italiano si preparava a fabbricare un nuovo modello politico e non certo dei migliori. Capire perché le cose siano andate così tra il 1980 e il 1994 richiederà ancora molte ricerche e letture. Un esercizio utile anche per orientarsi meglio nelle tormentate vicende politiche di questi primi decenni del XXI secolo.

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NOTE

1. M. Revelli, «La sinistra e la sfida neoliberista degli anni Ottanta», in Enciclopedia della sinistra europea nel XX secolo, a cura di A. Agosti, Roma, Editori Riuniti, 2000, p. 793. 2. Per una ricostruzione minuziosa e articolata di questi processi mondiali a cavallo tra gli anni Settanta e Ottanta si veda L. Magri, Il sarto di Ulm. Una storia possibile del PCI, Milano, Il Saggiatore, 2009. 3. F. De Felice, La questione della nazione repubblicana, Roma-Bari, Laterza, 1999, p. 231. 4. A. Mastropaolo, dei destini incrociati, Scandicci (FI), La Nuova Italia, 1996, p. 32. 5. Ibid., p. 152.

RIASSUNTI

Nel 1980 il rapporto Brandt segnò l’ultimo tentativo di proporre una strategia di sinistra, alternativa a quella liberista, nel guidare i processi internazionali. Le vicende italiane degli anni Ottanta – la sconfitta del movimento sindacale, la divisione delle forze politiche di sinistra, l’emergere di nuovi valori e di una società e di un mercato del lavoro più frammentati, la critica del paradigma antifascista – devono essere studiate alla luce di un contesto internazionale in cui prendeva forma un progetto geo-politico di unificazione e allargamento dei mercati, che rendeva difficile perseguire a livello nazionale politiche alternative. Anche le peculiarità del “caso italiano” vanno interpretate in questa prospettiva più larga, interrogandosi sulla consapevolezza degli attori politici di vivere una fase in cui si avviavano cambiamenti cosi rilevanti.

En 1980, le rapport Brandt marqua la dernière tentative de proposer une stratégie de gauche, alternative à celle libérale, capable de gérer les processus internationaux. Les vicissitudes italiennes des années quatre-vingt – la défaite du mouvement syndical, la séparation des forces politiques de gauche, la naissance de valeurs nouvelles et d’une société et d’un marché de travail plus fragmenté, la critique du paradigme antifasciste – doivent être étudiées à la lumière d’un contexte international où prenait forme un projet géopolitique d’unification et d’expansion des marchés qui rendait difficile la poursuite des politiques alternatives sur le plan national. Même les particularités du “cas italien” doivent être interprétées dans cette perspective plus large, en s’interrogeant sur la conscience qu’avaient les acteurs politiques de vivre un moment historique où se développent des changements si significatifs.

The 1980 Brandt report was the last attempt to propose a leftist rather than liberal approach to international politics. Among the most salient events in the Italian politics of the 1980s are: the defeat of the trade unions, the division of the Left, the emergence of new values alongside the emergence of a society and labour market increasingly more fragmented than in the past, and finally the critique of the antifascist paradigm. These phenomena must be considered in an international context in which the geo-political project of both unification and expansion of the markets was beginning to take place. This project made it much harder for individual nations to pursue alternative politics. The peculiarities of the “Italian case” must also be evaluated with this

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broader perspective in mind, that which includes questions about the political agents’ awareness of living through a phase during which significant changes had started to become manifest.

INDICE

Mots-clés : globalisation libérale, système financier, Fiat, Enrico Berlinguer, Bettino Craxi, fascisme, antifascisme, rapport Brandt, question morale, corruption, 1989, Gorbatchev, mur de Berlin, tournant PCI Parole chiave : globalizzazione liberista, sistema finanziario, caso Fiat, Enrico Berlinguer, Bettino Craxi, fascismo e antifascismo, rapporto Brandt, questione morale, corruzione, 1989, Gorbaciov, muro di Berlino, svolta PCI Keywords : liberal globalization, financial system, Fiat, Enrico Berlinguer, Bettino Craxi, fascism and antifascism, Brandt report, moral issue, corruption, 1989, Gorbachev, Berlin wall,

AUTORE

LEONARDO CASALINO Université Stendhal – Grenoble 3

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Dans le cône d’ombre de la crise : historiens et histoires des années quatre-vingt en Italie1 Nel cono d'ombra della crisi: storici e storie degli anni Ottanta in Italia In the « dark spot » of the crisis: historians and histories of the eighties in

Andrea Rapini

[…] non basta più capire le cose nuove che sono successe e che succedono, non basta più aggiornare le conoscenze, occorre qualcosa di più, occorre un diverso modo di pensare, di rapportare la mente alla realtà […]. Se si vuole salvare la stessa idea del cambiamento, la stessa Gerusalemme, bisogna rileggere il presente, scorgere in esso il futuro, non separare più il domani dall’oggi, riscoprire Gerusalemme attorno a noi, dentro di noi. Vittorio Foa2

Pour une histoire de l’histoire du temps présent

1 L’historiographie italienne a désormais réussi à construire une réflexion aboutie sur le mouvement de 1968. Bien qu’il reste encore un champ très vaste pour des recherches et des approfondissements, surtout en ce qui concerne la comparaison internationale de l’événement, on peut dire qu’il existe suffisamment de recherches locales et de synthèses pour insérer de façon significative cette période dans la longue durée de l’histoire nationale. Les volumes de Guido Crainz et Marica Tolomelli sont un miroir efficace de ce que l’on a pu dire sur ce sujet3.

2 Cependant, la compréhension de la décennie suivante apparaît plus difficile. Si d’un côté, il existe de nombreux apports sociologiques, politiques, économiques et que les

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articles journalistiques ainsi que les mémoires des militants politiques souvent issus de la lutte armée abondent, d’un autre côté, il manque encore une reconstruction d’ensemble de la période4. La décennie reste floue et sa complexité finit souvent par entraîner une certaine confusion, à cause de la surexposition d’une seule de ses parties. Prenons l’exemple de la fameuse formule « les années de plomb », qui aspire toute innovation politique, culturelle et sociale dans le tourbillon obscur du terrorisme. Cette expression est déjà problématique en soi, car elle annule les différences entre les idéologies, la morphologie et la pratique de la violence de la droite et de la gauche, en plus d’ignorer l’autoreprésentation des protagonistes. Coincées entre la violence politique, la répression de l’État et la crise économique, les années soixante-dix échappent encore à une réflexion historiographique pondérée et restent un terrain fertile pour des plus incursions excessives dans les usages publics de l’histoire.

3 Les années quatre-vingt apparaissent enfin comme une véritable « terre étrangère », ou bien comme une sorte de « frontière » qui reste totalement à conquérir. Au-delà des métaphores, les études analytiques sur des questions isolées aussi bien que les œuvres d’ensemble font aujourd’hui défaut, à quelques exceptions près. Tel est le cas, par exemple, des récents travaux sur Bettino Craxi, qui est, cela va de soi, l’une des personnalités clé de cette période5. Toutefois, cette décennie représente un problème historiographique de grande envergure, du moment où c’est principalement de cette période qu’émane l’Italie d’aujourd’hui.

4 Dans ce qui va suivre, on passera en revue certaines interprétations historiques des années quatre-vingt, choisies pour la plupart au sein du vaste panel de synthèses de l’Italie républicaine, qui représentent les tentatives les plus abouties de situer les années 1980 dans les cycles longs de l’histoire précédente. La sélection de ce matériel ne prétend aucunement être exhaustive. Notre choix dépend uniquement de la volonté de présenter un panorama complexe et diversifié des différentes possibilités interprétatives offertes par l’historiographie.

5 Un préambule est d’abord nécessaire pour saisir de quelle manière l’expression « années quatre-vingt » prend un sens historiographique éloigné du sens commun. Les décennies des historiens sont des constructions conceptuelles qui divergent des décennies du calendrier, lesquelles, par convention, procèdent de façon ordonnée et immuable, de dix ans en dix ans. L’objet des historiens, dont je vais m’occuper à présent, est formé par des problèmes et des processus qui traversent la décennie conventionnelle en avant et en arrière, sans disparaître avec elle. Les œuvres prises en compte sont des exemples d’histoire du temps présent, où l’immersion de l’historien dans le flux des événements étudiés influence inévitablement sa pratique historique, la rendant particulièrement apte à la production de schémas de compréhension pour le présent6. Cependant, le chercheur y est aussi beaucoup plus exposé au risque d’être dominé par ses passions.

6 Mon étude se basera sur le travail de six historiens : Paul Ginsborg, Silvio Lanaro, Enzo Santarelli, Pietro Scoppola, Gaetano Quagliariello et Guido Crainz. Toutes ces interprétations des années quatre-vingt sont comprises dans l’arc chronologique 1989-2009. Vingt années qui coïncident avec une phase de crise et de transition de l’Italie, d’un système politique à un autre, d’un apparat constitutionnel à un autre, en vertu de l’émergence d’un phénomène international d’une part, et d’un phénomène interne d’autre part : l’implosion du communisme – la fatidique année 1989 – et l’enquête judiciaire « Mani pulite ». Dans un tel climat, l’impression de traverser une

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sorte de « no man’s land » est si répandue qu’elle autorise l’emploi des néologismes (d’influence française) « Première République » et « Seconde République » pour indiquer la fracture survenue ainsi que la période historique en cours. Ces néologismes, répandus dans le milieu journalistique et utilisés de façon superficielle par certains historiens, ne sont absolument pas neutres, car ils font la promotion d’une réforme de la constitution formelle qui devrait s’adapter à une altération de la constitution matérielle qui a déjà eu lieu7. Dans les pages qui suivantes, on cherchera à mettre en lumière le fait que toutes les interprétations sont profondément marquées : 1. par la biographie de l’historien, par sa culture historique et politique ; 2. par la situation chronologique de l’interprétation à l’intérieur de la phase de crise et de transition (le moment historique où écrit l’historien) ; 3. par la définition de crise fournie par l’historien, à partir de laquelle on en recherche les racines dans le passé.

7 Ce que l’on tente donc de montrer est le caractère socialement, institutionnellement et politiquement situé de l’historien8. Ce dernier doit être expulsé du paradis illusoire de l’extra-temporalité et de l’indépendance absolue, sans pour autant tomber dans un relativisme stérile, dans une obscurité au sein de laquelle les différences entre narration scientifique et narration fictionnelle se réduisent jusqu’à disparaître9. L’historien du temps présent se situe dans la tension entre les vérités partiales – obtenues à travers des preuves et des procédures reconnues par la communauté scientifique – et les conditionnements qui émanent de l’appartenance à l’histoire qu’on raconte10. Cependant, à bien y regarder, ce raisonnement touche au cœur de la pratique historique. Pour ne pas subir ces conditionnements inconsciemment et en être prisonniers, il ne nous reste qu’à souhaiter une connaissance des conditions de la connaissance11.

Au bord du gouffre

8 Paul Ginsborg est un historien anglais arrivé en Italie en 1992, après avoir enseigné à la faculté de sciences sociales et politiques du Churchill College de Cambridge. Il est actuellement professeur d’histoire de l’Europe à Florence. Sa pratique historique, influencée par le marxisme anglo-saxon des années soixante et soixante-dix, s’attache tout particulièrement aux diverses articulations des formes culturelles et à leur rapport avec l’analyse de la société. Ses références sont Raymond Williams, Edward Thompson, Christopher Hill et Eric Hobsbawm.

9 En 1989, Ginsborg publie dans une des plus importantes maisons d’édition italiennes (Einaudi), appartenant à Silvio Berlusconi depuis 1994, la Storia d’Italia dal dopoguerra ad oggi, suivie de L’Italia del tempo presente. Famiglia, società civile, Stato 1980-199612.

10 Ces deux volumes représentent encore aujourd’hui la reconstruction la plus complète de la trajectoire italienne de la fin de la seconde guerre mondiale au milieu des années quatre-vingt-dix. Pour compléter cette œuvre de grande envergure, d’autres travaux suivront, nés d’un ensemble d’activités politiques et civiles, auxquelles Ginsborg se consacre durant les années 2000 : Berlusconi. Ambizioni patrimoniali in una democrazia mediatica13 ; Il tempo di cambiare. Politica e potere della vita quotidiana14 et La democrazia che non c'è15.

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11 Si l’on exclut le volume de Giuseppe Mammarella, paru en 1970 et puis réédité à plusieurs reprises16, Storia d'Italia dal dopoguerra ad oggi est la première synthèse sur l’histoire de l’Italie républicaine. Les années suivantes, cette œuvre subira la concurrence de nombreux produits similaires. On peut d’ailleurs parler de l’inauguration d’une sorte de genre, dont la fortune est sans aucun doute à attribuer en grande partie à l’appétit des éditeurs. Le volume, qui a été apprécié aussi bien par la critique historiographique que par un public plus vaste, presse comprise, constitue certainement un moment clé pour l’historien anglais, qui, grâce à la notoriété acquise, est devenu par la suite un terme de référence respecté à l’intérieur du champ historiographique italien, mais aussi en dehors. Bien que la décennie ne soit pas encore achevée et que la crise du début des années quatre-vingt-dix soit encore toute récente, le dernier chapitre du livre (XI) est consacré à l’Italie des années 80. Il convient d’en faire un court résumé, car ce thème sera abordé dans le livre suivant du même auteur17. De plus, les thèses qui y sont élaborées seront reprises par d’autres d’auteurs18. Ginsborg propose une analyse structurée de l’économie, de la société, de la famille, des valeurs, de la politique, mais aussi une interprétation d’ensemble. Tandis que les quatre premiers secteurs de l’Italie connaissent un dynamisme intense, la politique et l’État se démènent dans l’immobilisme, incapables qu’ils sont d’orchestrer le changement à travers un programme de réformes. Si la décennie précédente est résumée par l’expression L’époque de l’action collective (cap. IX), les années quatre-vingt se déroulent au contraire à l’enseigne de l’action individuelle et prennent de l’ampleur sur la défaite d’une mobilisation de masse : cette fameuse année 1980 chez Fiat, où le licenciement des militants les plus radicaux de l’usine, après trente-cinq jours de lutte, marque symboliquement la transition historique19. La fin d’une époque est justement le paragraphe qui tourne la page des années soixante-dix. Dans Changement des valeurs, qui est le nom du dernier paragraphe du libre, Ginsborg dresse un portrait parfait de la nouvelle Italie : La grande transformation de l’Italie, alors, a été de s’adapter au modèle de modernité apparu pour la première fois à l’époque du « miracle économique », un modèle à forte influence américaine, extrêmement contesté entre 1968 et 1973, mais qui semble avoir trouvé son âge d’or dans les années 8020.

12 Le modèle auquel l’auteur se réfère se concentre sur la diffusion de la consommation individuelle et sur son pouvoir de surdétermination des styles de vie, des besoins et des désirs. Toutefois, sans prendre un ton apocalyptique, fidèle à la leçon d’Albert Hirschmann, Ginsborg rappelle que la société de consommation contient la satisfaction aussi bien que son contraire, c’est-à-dire la désillusion21. Il se demande donc si « les valeurs des années quatre-vingt dureront, ou bien si des visions alternatives pourront encore avoir un rôle, même minimal, dans l’histoire de l’Italie républicaine22 ». Les vingt années suivantes (1989-2009) se chargeront de donner une réponse à ce questionnement.

13 En 1992, en même temps que le début de l’enquête judiciaire « Mani pulite » qui fera basculer la soi-disant « Première République », l’une des reconstructions les plus appréciées de l’histoire italienne d’après-guerre voit le jour : Silvio Lanaro, Storia dell’Italia repubblicana. Dalla fine della guerra agli anni novanta, Marsilio, Venezia (Prix Acqui Storia 1993 et Prix de la Société italienne pour l’étude de l’histoire contemporaine-Sissco 1993). L’auteur, qui durant sa jeunesse a traversé la New Left italienne et qui évolue encore aujourd’hui dans la mouvance de la Gauche réformiste, est professeur d’histoire contemporaine à l’université de Padoue. En tant que

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chercheur, il s’est occupé du rapport entre idéologies et société dans la Vénétie rurale, mais aussi de nationalisme, de cultures du travail et des caractères originels de la modernisation italienne23.

14 Le livre de Lanaro se situe au bord du gouffre : d’un côté, il y a la sensation très forte que le pays est désormais dos au mur, d’un autre on a du mal à imaginer une solution au problème. Dans le dernier paragraphe – Être normaux – l’auteur donne sa définition de la crise : « crise du système politique, tout comme crise de la constitution matérielle, en d’autres termes, il ne s’agit pas d’une crise de la constitution formelle ». Il faudrait en chercher les origines dans l’occupation de tous les centres de pouvoir de la part des partis et dans « une tendance à nuire à la collectivité dérivant de la paralysie, du non- choix, de l’inaction et de la nullité opérationnelle que provoquent toujours la dépendance des institutions des intérêts24 ».

15 Comment en sortir ? Au-delà des exceptionnalismes, il faudrait, selon Lanaro, retrouver la force de gouverner « normalement ». Bref, il faudrait qu’un retour à la norme se produise, mais sans payer un prix trop élevé. Cette définition de la crise et la fin du livre sont aussi alarmistes que prescriptifs, dans la mesure où, dans le concept vague de normalité, réside la volonté implicite de conduire l’Italie vers d’autres modèles de démocratie, souvent anglo-saxons, modèles qui sont constamment au centre des discussions dans l’Italie du début des années quatre-vingt-dix. Le ton de Lanaro porte les stigmates de la conjoncture. Le mal-être profond dans lequel est plongé l’Italie de 1989 à 1992, avant l’implosion du système politique, rend difficile l’élucidation des caractères de la crise. Mais ce mal-être empêche surtout le temps présent de se fondre dans une durée plus ample et emprisonne l’auteur dans le souffle moribond du système politique. La reconstruction des années quatre-vingt qui en découle est très fragile. On les retrouve dans un paragraphe – La saison des œillets – où le manque d’analyse de la société et de l’économie est compensé par l’omniprésence de Bettino Craxi. Contrairement à Ginsborg, qui en plus de présenter les propositions politiques du secrétaire du PSI comme dénuées de toute stratégie organique en ce qui concerne les réformes, critique durement sa présidence du conseil (1983-1987), qui aurait été plus utile au PSI qu’à l’Italie, Lanaro donne un jugement opposé, en s’intéressant de près au lien entre la fin et les moyens. Craxi est porteur d’un « dessein très clair » basé sur trois points : 1. Redonner une identité et une image au socialisme italien, en l’arrachant à l’influence marxiste et en l’insérant dans une tradition mutualiste, labouriste, humanitaire, qui a été mise à mal par la cohabitation avec le « grand frère25 » ; 2. Créer un pôle laïc fort, avec une aptitude décisionnelle, capable de s’insérer au cœur même du pouvoir et de mettre à mal le monopole de la démocratie chrétienne ; 3. Affirmer l’orgueil national, en s’émancipant de la dépendance envers les Américains.

16 Si en ce qui concerne ces « projets précis », le bilan du gouvernement Craxi est « nettement positif », Lanaro met également en évidence le côté obscur de cette expérience : Il a complètement démantelé son parti, en étouffant toute velléité de débat et de démocratie interne […]. Il a entretenu des liaisons dangereuses et protégé des personnages inqualifiables. […] Il a montré de l’exaspération et de l’indifférence pour […] la diffusion à un rythme exponentiel de vols, de malversations, d’escroqueries et d’extorsions dans lesquels nombre de ses collaborateurs étaient impliqués. […] Il a favorisé le phénomène de « l’arrivisme » […] en le prenant pour une conséquence physiologique de la modernité26.

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Au fond du gouffre

17 Les deux années 1992-1994 comptent probablement parmi les plus dramatiques de toute l’histoire républicaine. L’enquête de la magistrature milanaise nommée « Mani pulite » touche et renverse tous les partis de « l’arc constitutionnel », à savoir tous les partis qui ont écrit la Constitution de 1948. Il s’agit d’un véritable tremblement de terre, qui provoque la décomposition provisoire du système de pouvoir fondé sur l’alliance de trente ans entre le parti socialiste (PSI) et la démocratie chrétienne (DC)27. En plus de la désagrégation de la classe dirigeante, on est confrontés aux problèmes posés par une situation monétaire des plus critiques pour la devise italienne, la lire, à un déficit public dramatique et aux difficultés quotidiennes des classes moyennes. Tout aussi graves sont les conséquences sociales, qu’on peut observer à travers le rapport conflictuel entre les travailleurs et leurs représentants syndicaux : le 22 septembre 1992, le secrétaire du plus grand syndicat italien (CGIL) Bruno Trentin est agressé avec des œufs et des boulons par des jeunes et des militants furibonds pendant un rassemblement à Florence28.

18 Les œuvres qui ont été écrites au fond du gouffre – bien que publiées un peu plus tard pour des besoins éditoriaux évidents – situent la crise non seulement dans le cycle bref ayant succédé à 1989, mais également dans le cycle long post-1945 : Enzo Santarelli, Storia critica della Repubblica. L’Italia dal 1945 al 199429 et Pietro Scoppola, La Repubblica dei partiti. Evoluzione e crisi di un sistema politico 1945-199630.

19 Ex-résistant pendant la guerre de Libération, « militant de la gauche avec des positions communistes31 » et professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Urbino, Enzo Santarelli (1922-2004) peut être défini comme un intellectuel organique du parti communiste italien (PCI) jusqu’à sa dissolution entre 1989 et 1991. En examinant les titres de certains livres, on observe la passion politique qui l’a constamment guidé : La rivoluzione femminile32, Il socialismo anarchico in Italia33, La revisione del marxismo in Italia34, Storia del movimento e del regime fascista35, Pietro Nenni36, Profilo del berlusconismo37.

20 Lorsque Santarelli publie la Storia critica della Repubblica, l’expression gramscienne intellectuel organique, si centrale dans l’histoire culturelle et politique italienne, est devenue imprononçable dans le champ académique comme dans le champ médiatique, à cause de la vague de droite ayant suivi la chute du mur de Berlin38. De plus, Santarelli est désormais un professeur à la retraite, dont la capacité à conditionner la reproduction du milieu universitaire est presque nulle39. Enfin, il sera utile de rappeler une donnée générationnelle : Santarelli est un représentant de la première génération d’historiens de l’après-guerre. À cheval entre les années soixante-dix et quatre-vingt, la seconde génération d’historiens, provenant en grande partie des mouvements des jeunes, soumet à une critique sévère aussi bien les méthodes que les résultats de leurs maîtres plus anciens, pour se distinguer et s’affirmer sur un plan historiographique, politique, académique et générationnel40. Tout ceci pour dire qu’au début des années 1990, une grande partie des historiens considère comme désuètes les références culturelles de Santarelli, et en particulier Gramsci. L’auteur de la Storia critica della Repubblica est donc un intellectuel dominé. Pour cette raison, son œuvre a sans doute un impact moindre par rapport aux deux synthèses mentionnées auparavant, indépendamment de ses mérites ou de ses limites intrinsèques41. Il suffit d’arriver à la page quatorze de la Note introductive pour se faire une idée de la nature du volume :

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Ces pages veulent être un essai d’interprétation historique basé sur l’autocritique, provenant d’une expérience collective. Une exploration effectuée sur la base de la crise actuelle42.

21 On note la superposition dans la même personne des rerum gestarum et de l’historia rerum gestarum. De plus, la crise est envisagée comme une perspective d’où l’on peut observer un parcours d’un demi-siècle. Mais quelle crise ? Les explications institutionnelles et politiciennes centrées exclusivement sur « Tangentopoli43 » et sur le système politique sont insuffisantes selon Santarelli. Il faut plutôt prendre en compte un « ensemble de questions » qui provoquent de multiples réponses dans la courte comme dans la longue durée : la désagrégation du modèle de développement sur lequel se basait l’Occident pendant l’après-guerre ; les limites de l’hégémonie américaine internationale et de son influence sur la péninsule ; un mouvement mondial d’ensemble (globalisation) auquel l’Italie doit s’adapter ; l’unification monétaire et le choc que cette dernière a provoqué sur l’économie nationale. De plus, « la baisse de fonctionnalité et de prestige des institutions italiennes constitue l’expression ultime d’une crise sociale et morale complexe et profonde », qui puise ses racines dans la structure de la société, dans le caractère restreint des groupes dirigeants, dans leur déficit éthico-politique et dans leur manque d’hégémonie. Enfin, on assiste à une crise de la nation, qui se manifeste par l’éclosion des identités locales, l’augmentation de la Lega Nord, et l’apparition de phénomènes de racisme qui suivent les premiers flux migratoires importants.

22 En 1994, après l’implosion de « l’arc constitutionnel », un parti () créé en quelques mois par le chef de Fininvest, Silvio Berlusconi, gagne les élections, en se présentant comme le plus fidèle interprète de l’innovation et de la rupture par rapport au passé, en tant qu’entrepreneur extérieur à la politique. Ce qui, pour certains, semble une sortie de la crise et l’arrivée d’une « Seconde République » après le tarissement de la « Première », s’avère être, au contraire – selon Santarelli – une transformation de caméléon, ou plutôt, pour utiliser un terme gramscien, une « révolution passive » : un changement purement politique dans lequel de nouveaux sujets modérés s’affirment en favorisant un plan d’ingénierie institutionnelle aux dépens d’un discours sur les réformes. La nouvelle question sociale reste en dehors de l’agenda politique, ce qui illustre parfaitement cette révolution passive. Le chômage en augmentation, la désagrégation civique de régions entières, la croissance de la pauvreté et de l’évasion fiscale, enfin, la recrudescence de la criminalité organisée, liée désormais avec la politique, se développent pourtant au cours de cette période.

23 Dans cette perspective – poursuit Santarelli – le vote du 27-28 mars 1994 marque la réagrégation de catégories entières qui sortent des partis traditionnels pour aller vers d’autres partis, dont Forza Italia en particulier44. Toutefois, la « révolution », bien que « passive », est seulement provisoire – selon l’auteur –, car le nouvel équilibre est instable et laisse présager d’autres aménagements. D’un côté, « la bourgeoisie professionnelle prend le pouvoir au sein d’un parlement rénové à plus de 70 % (le nombre des entrepreneurs triple), un bloc anti-état-providence se forme, s’inspirant de ce qui s’était passé dans d’autres démocraties industrielles, […] un bloc des classes moyennes et moyennes élevées, ouvert au grand capital et à certaines couches populaires ». D’un autre côté cependant, la coalition politique, expression du nouveau bloc social, est faible (Berlusconi est allié avec Fini dans le sud et avec Bossi dans le nord) et l’implantation de la gauche est encore importante :

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La complexité de la dynamique italienne […], semble être restée à mi-chemin. Mais les contradictions étaient probablement inhérentes à une position trop formaliste et « politicienne » du processus réformateur qui avait eu lieu sans vigueur pendant au moins quinze ans, pour ensuite prendre de la vitesse sur la vague des scandales et sous l’impulsion judiciaire45.

24 Les années quatre-vingt de Santarelli se situent donc entre deux crises qui présentent deux physionomies principales, derrière lesquelles se trouvent de nombreux problèmes : la crise économico-financière de 1973-1975, et la crise 1992-1994. Au milieu, passe la tentative avortée de réformer le pays, d’un point de vue institutionnel46 surtout, et l’accumulation des problèmes jusqu’au crack.

25 En même temps que la rédaction de Storia critica della Repubblica, Pietro Scoppola (1926-2007), un intellectuel influent dans différents milieux culturels et politiques, se mesure avec l’histoire de l’Italie du temps présent. En vérité, la première édition de La Repubblica dei partiti sort en 1991, lorsque la « grande avalanche » doit encore se détacher complètement, pour utiliser la métaphore de l’historien Luciano Cafagna, qui cherche à dépeindre efficacement la crise italienne47. Une avalanche qui, bien entendu, n’était pas un événement naturel imprévisible, mais la conséquence évitable des politiques des classes dirigeantes. Peu de temps après, la quantité et la qualité des faits qui ont eu lieu entre temps oblige Scoppola à remettre à jour le livre. En 1997, le chapitre X est réécrit ainsi que deux nouveaux chapitres (chap. XI. La fine di un sistema politico, chap. XII. Una normalità difficile), pour un total de 90 pages. Comme on peut le déduire du premier chapitre, dans lequel réapparait le concept de normalité de Lanaro, la mise à jour a également pour but de prendre position par rapport aux interprétations avancées par d’autres d’historiens. Qui est donc l’auteur de la nouvelle synthèse ?

26 Intellectuel de renom de l’université la Sapienza de , Scoppola est un représentant du catholicisme démocratique, expression avec laquelle on désigne en Italie un bloc politique et culturel très proche de la démocratie chrétienne, sans toutefois partager ses manifestations les plus dogmatiques en matière religieuse, ni les plus anticommunistes dans ses rapports avec la Gauche. Au milieu des années soixante, par exemple, Scoppola soutient le projet de loi « Fortuna » sur le divorce, puis défend la loi à l’occasion du référendum abrogatif de 1974. En 1983, au moment de l’ascension de Bettino Craxi, il devient sénateur (indépendant) dans les rangs de la démocratie chrétienne. Au début des années quatre-vingt-dix, il est l’un des principaux partisans du référendum sur l’abolition de la loi électorale proportionnelle et de « l’ajustement de la démocratie italienne à des modèles européens plus mûrs », tels les modèles anglo- saxons48. Peu avant de mourir, il promeut la formation du parti démocratique comme lieu de rencontre des cultures réformistes catholiques, laïques et socialistes.

27 D’un point de vue scientifique, Scoppola s’affirme bientôt comme historien du catholicisme et de l’Église : en 1961 paraît le volume Crisi modernista e rinnovamento cattolico in Italia49, en 1966 Coscienza religiosa e democrazia nell’Italia contemporanea 50, en 1967 Chiesa e stato nella storia d’Italia51. Dix ans plus tard sort le célèbre La proposta politica di De Gasperi52 et en 1985, La nuova cristianità perduta53. Parmi ses dernières contributions, consacrées au sujet de la crise italienne, comptent également 25 aprile: liberazione54 et La costituzione contesa55.

28 La Repubblica dei partiti tourne autour de la problématique de la crise, qui entre dans le sous-titre du volume – Evoluzione e crisi di un sistema politico – et que l’auteur propose

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comme métaphore générale sur l’Italie, de 1945 à l’Italie berlusconienne. Quels sont les aspects de la crise dont Scoppola retrace la généalogie ? Comme nous l’explique le sous- titre, il s’agit d’une crise du système politique. Empruntée à Paolo Farneti, l’expression perd néanmoins toute référence aux forces sociales, aux cultures politiques, aux subcultures et aux conditions de développement – à la société civile – et s’applique presque exclusivement à la « société politique » et aux institutions56. Le système politique, selon Scoppola, se résume dans les partis de masse. Par conséquent, la crise se manifeste comme une crise des principaux partis politiques, qui passent du statut de constructeurs de la démocratie, lors du passage du fascisme au post-fascisme, à celui de frein, voire même d’obstacle à la démocratie entre les années quatre-vingt et quatre- vingt-dix. Cette dégénérescence commence à la fin des années soixante-dix, lorsque le PCI et la DC subissent les effets de la modernisation du pays et vivent une « crise profonde des idéologies57 ». Le premier subit la décomposition de son bloc social, déboussolé par la disparition des paysans, l’érosion de la classe ouvrière et l’avancée de la classe moyenne ainsi que d’un horizon inconnu de valeurs post-matérialistes. La seconde recule face à la sécularisation et au rôle prépondérant d’une église, celle de Jean-Paul II, qui assume pleinement l’initiative politique au lieu de la laisser entre les mains du parti des catholiques. Le dogme de l’unité politique des catholiques commence à vaciller.

29 La crise des principaux partis populaires, qui sont le cœur du système politique, s’étend naturellement à toute l’architecture institutionnelle, en favorisant le succès des partis politiques les moins idéologiques, voire même post-idéologiques, comme le parti républican (PRI) et le parti socialiste (PSI). Les deux formations, allégées des fardeaux qui les liaient au passé, sont mieux préparées pour faire face aux défis du changement. La conquête du Viminale (présidence du Conseil des ministres) par le républicain Spadolini (1981-1983) et le socialiste Craxi (1983-1987) serait ainsi le reflet de la crise du consensus qui se faisait auparavant autour du PCI et de la DC. Selon Scoppola, c’est le début d’une période où les petits partis, sans lesquels il n’y a plus de majorité font basculer un système qui ne permet pas l’alternance des forces au gouvernement, et qui est incapable de se réformer. En d’autres termes, les forces politiques mineures parviennent à obtenir une part de pouvoir supérieure à leur consensus électoral, en vertu du chantage qu’elles exercent sur la stabilité des gouvernements. L’immobilisme devient de plus en plus évident, mais aussi la résistance à tout type de changement de la part de tous ceux qui profitent. Aux discours superflus sur la nécessité d’une « réforme du réformateur » correspond un échec de tout changement concret, comme le prouve le nulla di fatto de la commission bicamérale initiée par le gouvernement Craxi.

30 Dans cette situation de blocage du système politique, qui « flotte sur la crise », la dégradation de la démocratie s’accélère. Avec les gouvernements du Pentapartito, c’est- à-dire les coalitions de la fin des années quatre-vingt dominées par la triade Craxi- Andreotti-Forlani (CAF), la paralysie atteint son pic : les élections ne produisent aucun changement significatif, les partis s’éloignent de la société, les leaders sont égocentriques et la corruption galopante, les grands débats idéologiques sont remplacés par des disputes pathétiques sur la répartition du pouvoir, le déficit public augmente avec des dépenses folles et clientélistes. Enfin, les pouvoirs occultes étendent leur influence dans les espaces vides laissés par la faiblesse des institutions démocratiques58 ». Puis ce sera « Tangentopoli ».

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31 Au début des années quatre-vint-dix – écrit Scoppola – il est désormais évident pour tout le monde qu’il faut intervenir sur le système politique, en brisant le « lien entre parlementarisme et proportionnelle », vrai responsable du manque d’alternative, de changement et donc de propositions de réforme. Le référendum abrogatif de 1993 de la loi électorale proportionnelle marque un changement historique. Dans le passage suivant, on peut observer toute la distance avec l’interprétation continuiste de Santarelli : une longue phase de l’histoire de la République italienne s’est achevée entre deux référendums : celui du 2 juin 1946 et celui du 18 avril 1993. Avec cependant une différence entre les deux : le premier est constitutif de la République, même si son appareil constitutionnel était entièrement à définir ; le second brise une continuité de système, mais n’en définit pas encore un nouveau, et avec cela ouvre une transition difficile et incertaine59.

32 Dans le chapitre final, Una difficile normalità, Scoppola reprend le concept flou de « normalité » de Lanaro. L’auteur a la tâche difficile d’expliquer pourquoi la réforme de la loi électorale et de la constitution matérielle s’inspirant du modèle anglo-saxon ne résout pas la crise, mais ouvre plutôt une phase d’instabilité et de transition. En d’autres termes, si la source de la crise italienne se trouve dans le blocage du système politique, pourquoi les interventions sur ce terrain se révèlent-elles inefficaces ? Pourquoi la « normalité » demeure-t-elle souhaitée mais inaccessible ? Loin de mettre en discussion la vision politique de l’analyse, Scoppola conclut que la responsabilité doit être attribuée à un manque de volonté de réforme du système bipolaire et donc à « une réforme inachevée60 » : le système hésite entre un cheminement difficile mais nécessaire vers un mécanisme plus cohérent d’alternance et un retour à la proportionnelle qui entrainerait le rétablissement d’une situation où les partis ont un rôle démesuré : la république des partis peut-elle renaître de ses cendres ? […] L’issue de secours normale de la démocratie des partis s’est avérée fondée. Les référendums électoraux et les enquêtes de la magistrature, doublés du « tremblement de terre électoral de 1992 », ont entrainé sa chute ; toutefois, les limites, les retards et les contradictions avec lesquels la réforme a été effectuée rendent possible des tentatives de restauration et par conséquent, rendent également plausible l’hypothèse d’une solution fondée sur une rupture radicale et sur la discontinuité constitutionnelle61. Cependant, l’interprétation de Scoppola n’examine pas les racines de Berlusconi et du berlusconisme.

La transition

33 Lorsqu’en 1998 Paul Ginsborg publie L’Italia del tempo presente pour étendre son Storia dell’Italia repubblicana à une période plus récente, le pays traverse une phase d’incertitude et d’instabilité politique, dont Scoppola avait prédit les aspects institutionnels et Santarelli les aspects sociaux. La victoire de Berlusconi en 1994 se révèle n’être qu’une éphémère tentative de sortir de la crise, puisque seulement huit mois plus tard, le fondateur de Forza Italia doit quitter le Viminale à cause du départ de la Lega Nord de sa coalition et d’un désaccord populaire croissant. Excluant des élections anticipées, le président de la République Scalfaro confie au « technicien » Lamberto Dini la tâche de former un gouvernement et de préparer les élections. Elles ont lieu le 21 avril 1996. La première victoire de et de la coalition de

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centre-gauche (Ulivo) avec le soutien de Rifondazione comunista bouleverse les équilibres politiques nationaux.

34 Cependant, la stabilisation est encore une fois fragile. Le 21 octobre 1998, Romano Prodi est désavoué par Rifondazione comunista. Avant les nouvelles élections de 2001, la législature (XIII) continue avec deux gouvernements de l’ex-communiste D’Alema et le retour du socialiste Giuliano Amato à la présidence du Conseil. L’Italie semble sortir de la crise du début des années quatre-vingt-dix, en consolidant dans un premier temps un bloc social et politique de droite à fortes tendances populistes puis, peu après, de centre-gauche : le siège est réciproque62. Le pays est fondamentalement divisé en deux et les deux coalitions sont faibles. Par conséquent, tout est encore possible.

35 Dans un tel climat, il est difficile pour Ginsborg d’identifier des tendances nettes de moyenne et longue durée. La périodisation de la matière à ordonner elle-même en subit les conséquences, reflétant les incertitudes du présent. De ce point de vue, l’essai montre plus de nuances par rapport à celui qui avait paru en 1989. Cependant, l’historien anglais fournit l’analyse la plus riche de l’Italie du temps présent, une analyse attentive à chaque aspect économique, social, politique et institutionnel du pays et à leurs liens réciproques. Dans le volume de Ginsborg, l’analyse et l’articulation importante des années quatre-vingt correspondent directement à une définition de la crise polysémique et multiple ; deux chapitres denses sont consacrés à cette crise : le cinquième – Il fallimento della politica (1980-1992) – et le huitième, qui conclut le livre – I tempi della crisi (1992-1996). Comment le concept de crise y est-il construit ? L’auteur refuse les explications mono-causales et ajoute d’autres facteurs, de brève et de longue durée, nationaux et internationaux, liés aux vices mais aussi aux vertus des italiens.

36 Parmi les facteurs externes, il faut énumérer aussi bien la chute du mur de Berlin, qui, mettant fin à la guerre froide, contribue à désagréger les équilibres du « pentapartito » et à mettre en marche le système politique italien, que le processus d’unification européenne. L’unification, par exemple, impose à l’Italie des comportements économiquement vertueux, qui mettent un frein à l’usage clientéliste du déficit public. En effet, le clientélisme est utilisé traditionnellement comme un anesthésiant pour les conflits sociaux. Ces derniers, désormais, commencent à exploser.

37 Parmi les facteurs internes, Ginsborg énumère la dégénération du système des partis, visible dans la corruption, le clientélisme, le « familisme », la solidarité avec la criminalité organisée, enfin dans l’inefficacité de l’administration publique. Cependant, on doit également signaler l’action positive de minorités, porteuses d’un sens élevé de l’État et de l’intégrité morale, comme les magistrats qui mettent au grand jour les rapports pervers entre politique et économie (« Tangentopoli »), ou bien les techniciens, qui œuvrent au sein des ministères pour amener les comptes publics au niveau souhaité par les directives européennes.

38 Parmi les facteurs qui forment les divers aspects de la crise, il faut également mentionner l’émergence d’une classe moyenne individualiste et égoïste, qui se retrouve autour de phénomènes comme l’antiméridionalisme, le particularisme, le racisme, le culte d’identités locales aussi agressives qu’inventées ou encore l’hostilité envers l’imposition. Ces sentiments trouvent leur représentation politique dans la Lega Nord63. À cette nouvelle classe, s’ajoute cependant – selon Ginsborg – un autre secteur de la classe moyenne, auquel il donne le nom de « classe moyenne réflexive », non sans un soupçon d’abstraction64. Cet acteur, face aux difficultés rencontrées par le pays, se fait le chantre de solutions politiques nationales au sein d’un réformisme traditionnel, en

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contraste avec le localisme. Enfin, la croissance démesurée de la criminalité organisée contribue à la déflagration de la crise. Protégée par une partie de la classe dirigeante, la mafia voit son influence augmenter de manière exponentielle au début des années quatre-vingt-dix, avec l’utilisation de la « stratégie de la dynamite » et les assassinats des juges Falcone et Borsellino, sur lesquels la magistrature continue à enquêter encore aujourd’hui. Toutefois, même dans ce cas, il existe une alternative positive, qui réagit à la crise : la révélation de l’existence d’anticorps dans les strates de la démocratie (comme les réactions de la société civile, en particulier sicilienne), l’action de contraste des juges antimafia et l’apparition de forces politiques concentrées sur l’intransigeance morale. Ces éléments constituent un facteur supplémentaire de composition et d’accélération de la crise, car ils contribuent à fixer un point de non-retour relativement aux pratiques politiques les plus obscures du passé. Malgré cela, ils sont un encouragement à aller de l’avant et à couper les nœuds gordiens.

39 Pour conclure, à l’intérieur de cette riche architecture conceptuelle et analytique, les années quatre-vingt de Ginsborg peuvent être interprétées comme un compte-rendu sur la formation et la stratification des différents niveaux de la crise, jusqu’aux convulsions extrêmes du pays avec l’implosion des partis de l’arc constitutionnel.

40 Le second gouvernement Amato, qui se présente aux italiens comme un gouvernement de transition, après l’implication désastreuse de Massimo D’Alema dans la guerre des Balkans, conduit la XIIIe législation à son terme. Au printemps 2001, à quelques mois du rendez-vous délicat du G8 à Gênes, prévu pour le mois de juillet, se déroulent les nouvelles élections. Encore une fois, on assiste à un total renversement de situation. Le centre-gauche est battu et Silvio Berlusconi, allié de la Lega Nord et d’Alleanza Nazionale, retourne au Viminale. La transition italienne semble infinie et le discours politique continue à être dominé par le thème de la réforme constitutionnelle et institutionnelle nécessaire pour effectuer le passage à la prétendue « Seconde République ». Bien entendu, par transition, on entend, d’une part, la formation d’un bloc social solide, qui trouverait une expression politique stable dans une coalition, d’autre part, la sortie d’un gué intermédiaire entre l’abandon du modèle constitutionnel de 1948 – basé sur la centralité du parlement, sur la loi électorale proportionnelle et sur le rôle clé des partis de masse et des organisations syndicales – et l’affirmation d’un autre modèle (le modèle actuel) où c’est l’exécutif qui prévaut, au nom de la primauté de la « gouvernabilité », la loi majoritaire pour les élections, la fonction charismatique du leader et la marginalisation des syndicats.

41 Malgré la gestion tragique du G8 de Gênes, durant lequel les carabiniers tuent le jeune Carlo Giuliani et les droits constitutionnels sont suspendus pendant trois jours de « boucherie à la chilienne65 », le gouvernement Berlusconi non seulement tient, mais arrive jusqu’au bout de la XIVe législature (2006). Il s’agit sans doute d’une nouveauté significative pour un pays habitué à la succession de gouvernements de courte durée, qualifiés, de façon fantaisiste, de « balnéaires », « techniques », « institutionnels », de « garantie » et, récemment, de la « responsabilité ». Toutes ces formules masquent l’instabilité historique des exécutifs, à l’intérieur desquels, cependant, la zone de représentation politique ne coïncide pas avec la zone de légitimité politique, qui exclut les communistes du gouvernement jusqu’en 1991. Cette situation se répercute dans l’interprétation de la crise et de la transition dans la reconstruction des années 1980 et ainsi que dans l’interprétation des significations profondes à lui attribuer, dans la longue durée de l’histoire nationale.

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Avec le gouffre derrière nous

42 L’importance extrême des années quatre-vingt pour comprendre la généalogie de la crise, mais en même temps, en inversant les termes, l’importance de la crise pour comprendre les phénomènes de la décennie, devient évidente dans le champ historiographique pendant la XIVe législature.

43 Dans cette perspective, le colloque qui a eu lieu à Rome en 2003 et dont le titre est Gli anni Ottanta come storia, est tout à fait paradigmatique : il a la fonction d’une épiphanie. Le département d’Innovation et Société (DIeS) de l’université « La Sapienza » de Rome, la Fondazione Istituto Gramsci, l’université Suor Orsola Benincasa de Naples et la Luiss Guido Carli convoquent un groupe d’historiens « aux orientations politico-culturelles et méthodologiques différentes », convaincus que : la crise soudaine du système politique italien ayant explosé au début des années quatre-vingt-dix peut être comprise uniquement à travers un examen approfondi, jusqu’ici insuffisant, des transformations politiques, économiques et sociales considérables qui ont touché le monde, et en partie l’Europe, au cours de la décennie précédente. […] Pour toutes ces raisons, les années quatre-vingt peuvent être considérées charnière dans l’histoire de la seconde moitié du Vingtième siècle. Par de nombreux aspects, les intrigues des deux décennies précédentes revinrent en partie à la surface, et se résolurent dans l’arène internationale et dans la pratique politique interne, donnant lieu à de nouvelles orientations qui sont encore aujourd’hui au centre du débat politique66.

44 La préface aux actes du colloque, édités l’année suivante, se charge en outre de tracer les contours de la crise ; de tracer également le cadre herméneutique au sein duquel s’insèrent les contributions des différents historiens : « de fortes impulsions au changement, mais également des résistances tenaces des apparats traditionnels par rapport aux problèmes émergeants de la politique extérieure et intérieure caractérisent les années 80 ». Puis elle continue en concluant qu’« en réalité, l’histoire de la décennie a été largement traversée par la crise des partis traditionnels de la République et qu’elle en a surtout accéléré la fin67 ».

45 En accord avec cette vision des choses, on peut lire l’intervention de Gaetano Quagliariello. Originaire de Naples et lié à la tradition libérale, il milite dans le parti radical jusqu’au début des années quatre-vingt, en tant que vice-secrétaire national. Il s’inscrit immédiatement à Forza Italia au moment de la naissance du parti de Berlusconi, et peu après, il collabore avec « Ideazione », la revue théorique du parti. En 2006, il entre au parlement avec Berlusconi, parmi les sénateurs, et l’année suivante, il est responsable du département Culture de Forza Italia. En 2008, il est réélu sénateur et il occupe actuellement le poste de vice-président adjoint du Popolo della libertà68.

46 Quand Quagliariello participe au colloque romain, il est conseiller aux affaires culturelles du président du Sénat Marcello Pera et il contribue presque en même temps à la création de la Fondation Magna Carta, « un nom évocateur qui contient en même temps la défense de la tradition, sans préjugés contre les changements imposés par la modernité69 ». Magna Carta, comme le dit son président Gaetano Quagliariello, est « un lieu de formation et de recherches d’inspiration libérale sans aucune soumission culturelle ni engagé avec le centre droit70 ».

47 D’un point de vue académique, l’historien de Naples est professeur à l’université privée Luiss « Guido Carli » où, à l’époque de la publication de Gli anni Ottanta come storia, il

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dirige le département de sciences historiques et socio-politiques. Son principal objet d’étude est De Gaulle, auquel il a consacré une biographie politique, parue la même année que le colloque romain71.

48 Ces informations, destinées à situer l’historien biographiquement, culturellement, politiquement et institutionnellement, rendent son intervention bien plus compréhensible. Quagliariello met de côté le concept de crise pour décrire l’Italie du temps présent, car – selon lui – le pays serait désormais entré dans une phase de stabilisation. Pour utiliser une métaphore, il serait sorti du cône d’ombre de la crise et entré dans le cône de lumière du berlusconisme. L’intervention est donc une généalogie du phénomène politique Berlusconi, une recherche de ses racines dans les dynamiques des décennies précédentes. Dans cette perspective, les années quatre-vingt ont un rôle clé. Elles sont une sorte de charnière dans la mesure où, d’une part, elles mettent fin à l’« ancien régime » – dit l’auteur – mais d’autre part elles produisent les premières bases de la révolution libérale mise en œuvre par Berlusconi et permettent les conditions pour l’affirmation de la liberté. La transition est donc antidatée d’environ une décennie. Quagliariello affirme avec un ton gramscien : les années quatre-vingt, du point de vue politico-institutionnel, doivent être considérées comme une période typique de transition : l’ancien régime reste formellement en vigueur, mais les éléments qui en provoqueraient l’écroulement se trouvent en son sein. Ancien et nouveau s’hybrident, en créant dans l’Histoire de l’Italie républicaine une sorte de flou, dans lequel l’ancien équilibre apparaît désormais inévitablement dépassé, cependant qu’une nouvelle réalité peine à s’affirmer72.

49 Quand la décennie de transition commence-t-elle ? Quagliariello utilise une périodisation longue pour classifier les années quatre-vingt. Il situe le terminus a quo précisément en 1978. C’est à ce moment qu’on perçoit les signaux de fléchissement du « vieux ». L’assassinat d’Aldo Moro de la part des Brigades rouges met une croix définitive sur le « compromis historique », c’est-à-dire sur l’idée de faire de l’alliance entre PCI et DC l’axe du système politique. De toute manière, au-delà des divergences entre les deux partis de masse, ceux-ci allaient cesser d’être les principaux protagonistes de la scène politique. Avec les élections administratives de 1978 commence la lente et constante baisse électorale du PCI. La même année, le référendum contre la loi Reale, proposé par le parti radical, bien que rejeté, démontre cependant l’existence d’une partie consistante du pays (23,3 %) qui échappe aux directives des principaux partis. De plus, 1978 est l’année de la démission du président de la République Leone, contraint à ce geste à cause d’une « campagne de presse » où Quagliariello entrevoit les signes avant-coureurs de futures campagnes médiatiques contre des personnalités de la politique. La démission de Leone, au-delà des modalités de son développement, signifie tout de même la « certification » de l’existence d’une « questione morale », qui aura de graves répercussions sur la stabilité du système politique. Enfin, 1978 est l’année du socialiste Sandro Pertini, élu nouveau président de la République. Pertini, qui reste dans le cœur des Italiens pour son humanité et son harmonie avec l’humeur du pays, crée un style présidentiel interventionniste et « charismatique ». Il est à la base d’une césure dans la conception de la présidence « vue comme élément d’équilibre face aux interna corporis des institutions. Avec Pertini – poursuit Quagliariello – une époque fut inaugurée, dans laquelle le Président passerait de chef d’orchestre discret à acteur protagoniste de la vie politique, en contact direct et privilégié avec l’opinion publique73 ».

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50 Pour toutes ces raisons, « l’équilibre institutionnel fondé sur la centralité des partis a subi […] un coup dur74 ». Une phase d’incertitude s’ouvre alors. Elle se prolonge jusqu’en 1992, terminus ad quem des « longues années 80 », dont la preuve est visible au centre du débat politique dans la substitution du thème de la « Constitution à appliquer » avec celui de la « Constitution à réformer ». En 1992, le système implose. Cette déferlante représente l’échec de la tentative de réformer « par des lignes internes l’ancien régime qui s’éteint définitivement. En même temps, le processus de liquidation des partis classiques s’est accéléré et a pris directement la voie judiciaire75 ».

51 Dans la vision de Quagliariello donc, la « décennie longue » est d’un côté l’histoire des tentatives avortées d’auto-réforme du système politico-institutionnel ; d’un autre côté, il s’agit de la réalisation de certaines anticipations « qui se seraient mises en place après l’implosion du système76 » avec Berlusconi deus ex machina de la nouvelle Italie. Parmi celles-ci, les plus importantes sont le renforcement de l’exécutif, et, en son sein, l’exercice d’un plus grand leadership du président du Conseil, non seulement au détriment du parlement et des autres forces politiques, mais aussi et surtout au détriment des forces syndicales et de leur « pouvoir de veto » sur la politique économique. Le modèle explicite d’une telle pratique de gouvernement est le « décret de la saint Valentin » de 1985, avec lequel Bettino Craxi baisse de quatre points l’échelle mobile sur les salaires avec le seul accord des syndicats CISL e UIL77.

52 Lorsque la XIVe législature s’achève de « façon naturelle », les élections législatives de 2006 semblent démentir l’interprétation de Quagliariello sur la fin de la transition et provoquent un nouveau bouleversement : les italiens préfèrent Romano Prodi et la coalition de centre-gauche (l’Unione) à la Casa delle libertà. En réalité, le Pays est de nouveau divisé en deux et la victoire parlementaire n’est rendue possible que grâce à une loi électorale discutable. Il suffit de dire qu’à la Chambre des députés, le centre- gauche a une majorité de seulement 25 224 voix et qu’au Sénat elle a d’environ 200 000 voix en moins que le PDL (Popolo delle Libertà), la Ligue du Nord et le Mouvement pour les Autonomies. Au bout de deux ans, le second gouvernement Prodi s’effondre à cause de sa faiblesse électorale et politique. On retourne aux urnes et Berlusconi parvient encore une fois à interpréter l’humeur de la majorité des italiens : sa victoire au Parlement est écrasante. Pour la première fois dans l’histoire de la République, les socialistes et les communistes disparaissent de la Chambre et du Sénat78. Dans ce climat politique qui semble démontrer l’importance du consensus berlusconien et l’enracinement du soi-disant berlusconisme dans de nombreux secteurs sociaux et culturels du pays, paraît Autobiografia di una Repubblica. Le radici dell’Italia attuale79.

53 L’auteur, Guido Crainz, vient de l’expérience de la New Left italienne, au sein de laquelle il a milité dans les rangs de Lotta continua. Bien qu’on ne connaisse pas réellement ses positions politiques actuelles, on peut sans nul doute le ranger dans le vaste « territoire » de la Gauche, à laquelle il appartient toujours, contrairement à beaucoup de représentants des mouvements des années 1960-1970, qui s’en éloignèrent parfois avec des gestes symboliques spectaculaires. Crainz est un universitaire qui enseigne l’histoire contemporaine à la faculté de sciences de la communication de l’université de Teramo. Ses recherches commencent avec les ouvriers agricoles de la plaine du Po’ (Padania. Il mondo dei braccianti dalla fine dell’Ottocento alla fuga delle campagne80) et se poursuivent principalement avec l’histoire de l’Italie républicaine (Storia del miracolo

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italiano81 ; Il paese mancato. Dal miracolo economico agli anni Ottanta82 ; Il dolore e l’esilio. L’Istria e le memorie divise d’Europa83).

54 L’un des traits distinctifs de sa façon d’interpréter la présence de l’historien dans la société est sa sensibilité pour les territoires intermédiaires entre l’histoire (historia rerum gestarum) et les usages publics de l’histoire, qui définissent un espace aux frontières extrêmement variables, où il arrive souvent de se retrouver face à des manipulations et à des instrumentalisations politiques du passé84. Crainz tente de parcourir cet espace, où les moyens de communication jouent un rôle essentiel, avec l’ambition de parler à un public plus vaste que celui de la communauté scientifique, sans pour autant sacrifier la complexité du langage et de la pratique de l’historien. Dans ce même esprit, on se doit de rappeler les collaborations de Crainz avec les quotidiens la Repubblica, il Messaggero Veneto, Il Piccolo, avec la radio Radio Tre e la télévision public Rai Tre85, ou bien encore la direction des archives de la mémoire des Abruzzes, où l’on recueille des films de famille. L’Autobiografia di una Repubblica – livre que l’on ne peut passer sous silence – est un texte double, qui examine prudemment l’historiographie en regardant le présent, le positionnement du texte dans le discours public et, évidemment, ses effets.

55 Le volume commence avec une série de questions tranchantes : l’Italie est-elle encore dans une phase de transition suite à la crise du début des années quatre-vingt-dix ? Le succès de Berlusconi constitue-t-il une étape supplémentaire de cette transition ? S’agit-il d’un succès éphémère, dû à la force des télévisions, à la fascination du populisme, à l’inconsistance des oppositions, ou bien s’agit-il d’une stabilisation qui repose sur quelque chose de plus profond, et donc de plus long ? La thèse soutenue par l’auteur est tout aussi tranchée : il s’agirait de la seconde hypothèse. En Italie, « une mutation anthropologique » s’est opérée, un changement dans la façon d’être des Italiens, de leurs rêves et de leurs désirs86. La crise du début des années quatre-vingt- dix est certainement une crise du système politique ; cependant, derrière elle, s’étendent des processus de longue durée qui permettent à Berlusconi de gagner les élections de 1994 avec une rapidité foudroyante. Le rôle de l’historien est de comprendre le quand et le comment de tels processus.

56 Si la thèse de la stabilisation rappelle celle que défendait Quagliariello quelques années auparavant, sa démarche en est en revanche beaucoup plus éloignée. Crainz se base en effet sur la culture en tant qu’ensemble des styles de vie, des façons de consommer, des représentations et auto-représentations, s’appuyant surtout sur les domaines littéraires et journalistiques, qui constituent ses sources principales pour raconter la « grande transformation » des italiens.

57 Crainz situe l’amorce du processus annoncé durant le « miracle économique », car c’est à ce moment précis que s’opère une rupture historique, qu’on peut rendre par l’image du changement de peau et d’âme de la péninsule. Les classes dirigeantes auraient pu et dû guider le changement, le contrôler, en s’intéressant à l’utilité publique. Au contraire, les projets réformistes et planiste de correction des altérations provoquées par le « miracle », ainsi que de celles qui lui préexistaient, échouent à cause de l’opposition d’une série de forces, dont font partie l’Église, les États-Unis, une partie des entrepreneurs, de l’apparat de l’État et les partis du gouvernement eux-mêmes. Crainz cite comme exemple le sabotage des réformes urbanistiques et fiscales, fondamentales pour protéger le paese-paesaggio ainsi que la redistribution de la richesse. L’absence de règles collectives l’emporte. Les particularismes et les corporatismes triomphent. Le

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fondateur du journal la Repubblica est appelé à décrire le passage de phases en ces termes : quel a été le moment où une société laborieuse et dynamique s’est transformée en une immense vermine, collectivement vouée à la dilapidation des ressources et à un système de fraudes devenu système ? La grande mutation génétique se situe à la fin des années soixante et coïncide avec la première véritable phase de bien-être que notre pays n’ait jamais connu. Il aurait fallu une classe dirigeante moralement et professionnellement capable d’utiliser cette richesse pour construire une société juste, civile et prospère. Nous avons au contraire participé à un grand gavage au cours duquel toutes les valeurs se sont volatilisées, toutes les règles ont été piétinées et tous les rapports ont empirés87.

58 À court terme, le changement est sous-estimé, car il touche des comportements qui investissent surtout la vie privée, invisibles et donc difficiles à évaluer immédiatement. De plus, la vague de longue durée de 1968 tente de contraster les valeurs dont parle Scalfari. Toutefois, sans l’intervention du sommet des classes dirigeantes, sans la création de règles fixes et partagées il est impossible de former des anticorps contre les modalités de la modernisation italienne. « Les années 68 » commencent avec la chanson Volare de Modugno (1958) et s’achèvent avec la Fièvre du samedi soir (1977). Par conséquent, lorsqu’à la fin des années soixante-dix la vague de 68 se retire, le ressac laisse derrière lui l’ensemble des particularismes produits par le miracle et par son non-gouvernement : ainsi furent engendrées les années quatre-vingt88. Pier Paolo Pasolini – selon Crainz – comprend avec lucidité le côté obscur du changement, en commentant l’apparente victoire du référendum sur le divorce en 1974 : mon opinion est que 59 % de « non » ne démontre pas miraculeusement une victoire de la laïcité, du progressisme, de la démocratie : rien de tout cela. Cela démontre au contraire que les classes moyennes ont radicalement, anthropologiquement changé : leurs valeurs positives ne sont plus celles sanfédistes et cléricales, mais sont devenues les valeurs de l’idéologie hédoniste de la consommation et l’acceptation moderniste du style de vie américain […]. Le « non » a été sans nul doute une victoire. Mais l’indication qu’elle donne est celle d’une « mutation » de la culture italienne : qui s’éloigne autant du fascisme traditionnel que du progressisme socialiste89.

59 Après l’ivresse de la participation et du public des années soixante-dix, la décennie suivante, bien décrite dans le roman Altri libertini de Pier Vittorio Tondelli 90, renverse les échelles de priorité et célèbre le triomphe du privé, qui ouvre symboliquement et chronologiquement le changement de phase. Mode, divertissement, corps, individualisme, consommations privées, argent facile sont – comme l’affirme Crainz – les mots qui connotent le mieux les années quatre-vingt, dont l’univers de valeurs, de modèles culturels et de comportement est construit et véhiculé avant tout par la télévision et par la publicité. On comprend alors pourquoi le plus grand entrepreneur télévisuel a pu faire son apparition durant cette décennie, se transformant en homme politique au début des années quatre-vingt-dix. Il n’est pas anodin que cet entrepreneur voie sa fortune se décupler grâce à la solidarité de Bettino Craxi, qui est le plus fidèle interprète des années quatre-vingt, celui qui exprime le mieux les temps de la fusion perverse entre modernisation, illégalisme, corruption, clientélisme et arrogance.

60 Les années quatre-vingt de Crainz ne sont donc pas uniquement insérées entre les années soixante-dix et quatre-vingt-dix, mais aussi entre le miracle économique et la stabilisation berlusconienne, qui est durable, car insérée dans la mutation

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anthropologique de moyenne durée. Un rapport du Censis de 1981 décrit les caractéristiques inquiétantes des nouveaux italiens : la violence des comportements est étroitement liée à l’apparition d’une sorte d’« individualisme protégé » : d’un côté, on veut la liberté de déploiement des comportements individuels et collectifs la plus large possible, d’un autre côté on demande une protection publique totale […]. Le summum de l’individualisme et le summum de la protection, presque une société de la besace, du sac à deux poches, toutes les deux entièrement pleines. Mais une telle tendance est-elle acceptable sans risquer de perdre le sens des responsabilités, dans l’illusion que tout est possible, quoi qu’il arrive91 ?

61 Silvio Berlusconi se chargera de donner une réponse. Les pages de Crainz nous poussent à croire que pour le patron de Mediaset, une telle tendance n’est pas seulement acceptable, mais qu’elle est même absolument souhaitable.

NOTES

1. Cet article a été rédigé en 2010. Toutes les citations italiennes y ont été traduites directement par nos soins. 2. La Gerusalemme rimandata. Domande di oggi agli inglesi del primo Novecento, Turin, Einaudi, 1985, p. 366. 3. G. Crainz, Il paese mancato: dal miracolo economico agli anni Ottanta, Rome, Donzelli, 2005 [2003] ; M. Tolomelli, Movimenti collettivi nell’Europa di fine anni ’60: guida allo studio dei movimenti in Italia, Germania e Francia, Bologne, Patron, 2002 ; Id., Il sessantotto: una breve storia, Rome, Carocci, 2008. 4. Voir L’Italia repubblicana nella crisi degli anni Settanta: atti del ciclo di convegni, Rome, nov.- déc. 2001, 4 vol., Rubbettino, Soveria Mannelli, 2003 ; A. De Bernardi, V. Romitelli et C. Cretella (dir.), Gli anni Settanta: tra crisi mondiale e movimenti collettivi, Bologne, Archetipo, 2009. 5. S. Colarizi et M. Gervasoni, La cruna dell’ago: Craxi, il partito socialista e la crisi della Repubblica, Rome-Bari, Laterza, 2005. 6. F. Bédarida, Histoire, critique et responsabilité, Bruxelles, Éd. Complexe, 2003. 7. L’expression « Seconde République » est utilisée pour la première fois par les Fascistes d’action révolutionnaire, une organisation néofasciste qui en 1947 promeut « l’instauration de l’ordre fasciste en Italie avec la IIe République sociale italienne ». C’est Randolfo Pacciardi qui l’utilisera ensuite pour indiquer une proposition de type présidentialiste. 8. Voir M. De Certeau, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975 et R. Chartier, Au bord de la falaise. L’histoire entre certitudes et inquiétude, Paris, Albin Michel, 2008 [1998]. 9. C. Ginzburg, Rapporti di forza. Storia, retorica, prova, Milan, Feltrinelli, 2000. 10. H. Rousso, « L’histoire du temps présent, vingt ans après », dans L’histoire du temps présent, hier et aujourd’hui, Bulletin de l’IHTP, no 75, 2000. Sur la construction de la notion d’histoire du temps présent en Italie dans l’après-guerre, voir V. Galimi, « L’histoire du temps présent en Italie », La revue pour l’histoire du CNRS, no 9, 2003 (). 11. Voir P. Bourdieu, Le sens pratique, Paris, Les éditions de Minuit, 1989. 12. Turin, Einaudi, 1998. 13. Turin, Einaudi, 2003. 14. Turin, Einaudi, 2004.

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15. Turin, Einaudi, 2006. En 2002, durant le second gouvernement Berlusconi, Ginsborg fonde à Florence le Laboratoire pour la démocratie, qui souhaite d’un côté « organiser une opposition intransigeante » à l’entrepreneur-président du Conseil, et d’un autre côté d’« entamer un long processus de révision critique de la démocratie », en rénovant la culture politique de la Gauche. Plus récemment, après la disparition des partis de Gauche du Parlement italien lors des législatives de 2008, il tente de réunifier les multiples courants de la gauche italienne, en proie à une sorte de « folie centrifuge », ou mieux à un cupio dissolvi masochiste. Voir : < http:// www.officinapolitica.it/ritagli/ginsborg.pdf>. 16. L’Italia dopo il fascismo: 1943-1968, Bologne, Il Mulino, 1970. 17. L’Italia del tempo presente. Famiglia società civile, Stato 1980-1996, ouvr. cité. 18. G. Crainz, Autobiografia di una Repubblica. Le radici dell’Italia attuale, Rome, Donzelli, 2009 ; G. De Luna, Le ragioni di un decennio, Milan, Feltrinelli, 2009. 19. Sur ce sujet, voir M. Revelli, Lavorare in Fiat, Milan, Garzanti, 1989. 20. P. Ginsborg, Storia d’Italia dal dopoguerra ad oggi, ouvr. cité, p. 575-576. 21. A. Hirschmann, Shifting involvements: private interest and public action, Princeton, Princeton University Press, 1982. 22. P. Ginsborg, Storia d’Italia dal dopoguerra ad oggi, ouvr. cité, p. 576. 23. Parmi ses œuvres principales : Società e ideologie nel Veneto rurale: 1866-1898, Rome, Edizioni di storia e letteratura, 1976 ; Nazione e lavoro. Saggio sulla cultura borghese in Italia (1870-1925), Venise, Marsilio, 1979 ; L’Italia nuova. Identità e sviluppo (1861-1988), Turin, Einaudi, 1988 ; Patria: circumnavigazione di un’idea controversa, Venise, Marsilio, 1996. 24. S. Lanaro, Storia dell’Italia repubblicana. Dalla fine della guerra agli anni novanta, ouvr. cité, p. 452-453. 25. Ibid., p. 448. 26. Ibid., p. 450. 27. Le PCI avait déjà décidé de changer son nom en 1991 (PDS). 28. Pour une chronologie détaillée des événements, voir : . 29. Milan, Feltrinelli, 1996. 30. Bologne, il Mulino, 1997 [1991]. 31. Voilà ce que disent les notes biographiques en quatrième de couverture de Storia critica della Repubblica, ouvr. cité. 32. Parme, Guanda, 1950. 33. Milan, Feltrinelli, 1973. 34. Milan, Feltrinelli, 1964. 35. Rome, Editori Riuniti, 1967. 36. Turin, Utet, 1988. 37. Rome, Datanews, 2002. 38. Sur la transformation de l’intellectuel : A. Asor Rosa, Il grande silenzio: intervista sugli intellettuali, Rome-Bari, Laterza, 2009. 39. Sur le cas français, qui a des analogies avec l’Italie : P. Bourdieu, Homo academicus, Paris, Les éditions de Minuit, 2002 [1984]. 40. A. Rapini, « Storia, memoria e biografia degli storici », dans A. De Bernardi, Discorso sull’antifascismo, sous la direction de A. Rapini, Milan, Bruno Mondadori, 2007, p. 1-30. 41. Il serait très utile de vérifier avec une précision empirique la réception des œuvres historiques à travers les critiques dans les revues spécialisées, dans la presse et la quantité et qualité des citations dans d’autres œuvres historiques successives. 42. E. Santarelli, Storia critica della Repubblica, ouvr. cité, p. XIV. 43. Cette expression indique la corruption politique découverte par l’enquête « Mani pulite ».

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44. Santarelli se sert de l’article d’Alfio Mastropaolo, « Le elezioni politiche del marzo 1994. Vecchio e nuovo nel Parlamento italiano », Italia contemporanea, no 196, 1994, p. 461-470. Mastropaolo a écrit sur la crise Antipolitica all’origine della crisi italiana , Naples, L’ancora del Mediterraneo, 2000. 45. E. Santarelli, Storia critica della Repubblica, ouvr. cité, p. 333 et 338. 46. Dans la reconstruction de Santarelli, Bettino Craxi demeure un personnage décisif pour attribuer un sens à la transition de « l’ère de l’action collective » – pour utiliser le lexique de Ginsborg – à l’effondrement de la soi-disant « Première République ». Devenu secrétaire du PSI en 1976 puis président du Conseil de 1983 à 1987, Craxi peut présenter un bilan fait d’ombres et de lumières. En politique interne, parle sans doute en sa faveur la durée du gouvernement et donc la stabilité. De plus, l’inflation est ramenée à 4,6 % et les dépenses de l’État sont remises en ordre. L’aspect négatif est représenté par le niveau exorbitant du déficit public, qui pénalise les générations suivantes (de 456 milliards en 1983 à 800 milliards en 1987), par l’échec des réformes institutionnelles, par la dépendance de la présidence du Conseil face aux pouvoirs économiques et par la base sociale restreinte du consensus. De plus, la réduction de l’inflation, avec le « ralentissement » de l’échelle mobile, provoque des coûts sociaux dont il faut tenir compte. Enfin, il faut ajouter « la vidange » de son parti à cause du plébiscitarisme autoritaire et de la corruption déferlante pour conquérir des morceaux de pouvoir. En politique extérieure, Santarelli n’emploie pas de tons aussi élogieux que d’autres observateurs. S’il est vrai que Craxi a mis un frein à la traditionnelle dépendance face aux États-Unis avec le geste symbolique de Sigonella, les signes les plus importants de sa politique extérieure demeurent contradictoires et pleins de « faiblesse organique », car dénués d’une coordination à l’échelle européenne et d’une idée de Méditerranée à opposer à l’atlantisme. Voir E. Santarelli, Storia critica della Repubblica, ouvr. cité, p. 277-279. 47. L. Cafagna, La grande slavina: l’Italia verso la crisi della democrazia, Venise, Marsilio, 1993. 48. P. Scoppola, La Repubblica dei partiti. Evoluzione e crisi di un sistema politico 1945-1996, ouvr. cité, p. 488. 49. Bologne, il Mulino. 50. Bologne, il Mulino. 51. Rome-Bari, Laterza. 52. Bologne, il Mulino. 53. Rome, Studium. 54. Turin, Einaudi, 1995. 55. Turin, Einaudi, 1998. 56. Pour les définitions du système politique comme interaction entre société civile et société politique, voir P. Farneti, Il sistema politico italiano, Bologne, Il Mulino, 1973. 57. P. Scoppola, La Repubblica dei partiti. Evoluzione e crisi di un sistema politico 1945-1996, ouvr. cité, p. 407. 58. Ibid., p. 450. 59. Ibid., p. 498. 60. C’est le titre de l’avant-dernier paragraphe du livre. 61. P. Scoppola, La Repubblica dei partiti. Evoluzione e crisi di un sistema politico 1945-1996, ouvr. cité, p. 525. 62. Sur le concept de populisme, voir A. Mastropaolo, La mucca pazza della democrazia: nuove destre, populismo, antipolitica, Turin, Bollati Boringhieri, 2005. 63. G. De Luna (dir.), Figli di un benessere minore: la Lega 1979-1993, Scandicci, La nuova Italia, 1994. 64. Les références de Ginsborg sont : U. Beck, A. Giddens et C. Lasch, Reflexive Modernisation, Cambridge, Cambridge University Press, 1994 et S. Lash et J. Urry, Economies of signs and space, Londres, Sage, 1994.

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65. C. Antonini, F. Barilli et D. Rossi (dir.), Scuola Diaz: vergogna di stato: il processo alla polizia per l’assalto alla Diaz al G8 di Genova, Rome, Edizioni Alegre, 2009. Voir les documents judiciaires en français : . 66. S. Colarizi et al., Prefazione a Gli anni Ottanta come storia, Rubbettino, Soveria Mannelli, 2004, p. 7. 67. Ibid., p. 10. 68. . 69. . 70. . 71. De Gaulle e il gollismo, Bologne, Il Mulino, 2003. 72. G. Quagliariello, « Gli anni Ottanta: gli aspetti politico istituzionali. Un’interpretazione », dans S. Colarizi et al., Gli anni Ottanta come storia, ouvr. cité, p. 267. 73. Ibid., p. 270. 74. Ibid. 75. Ibid., p. 271. 76. Ibid., p. 280. 77. Sur ce thème on peut voir S. Colarizi, « La trasformazione della leadership. Il PSI di Craxi (1976-1981) » , dans S. Colarizi et al., Gli anni Ottanta come storia, ouvr. cité, p. 31-64. 78. Pour les résultats détaillés, consulter le site officiel du ministère de l’Intérieur : . 79. G. Crainz, Autobiografia di una Repubblica. Le radici dell’Italia attuale, ouvr. cité. 80. Rome, Donzelli, 1994. 81. Rome, Donzelli, 1997. 82. Rome, Donzelli, 2003. 83. Rome, Donzelli, 2005. 84. Sur le même thème, on renvoie à N. Gallerano, Le verità della storia: scritti sull’uso pubblico del passato, Rome, Manifestolibri, 1999 et B. Groppo (dir.), Historiens et usages publics du passé. Allemagne, Italie, Russie, Matériaux, no 68, 2002. 85. Pour la télévision, il a réalisé les programmes suivants : Gli anni cinquanta (avec Corrado Farina), vingt épisodes, Raieducational 1997 ; Il paese mancato (avec Italo Moscati), dans la série « La grande Storia in prima serata », Raitre 2005. 86. Comme dans le livre précédent : Il Paese Mancato, Pier Paolo Pasolini flotte d’un bout à l’autre du texte. 87. E. Scalfari, dans la Repubblica du 16 janvier 1994. 88. Notons la convergence avec la thèse soutenue par P. Ginsborg, Storia d’Italia dal dopoguerra ad oggi, ouvr. cité, p. 576. 89. P. P. Pasolini, dans le Corriere della sera du 10 juin1974. 90. P. V. Tondelli, Altri libertini: Romanzo, Milan, Feltrinelli, 1980. 91. G. Crainz, Autobiografia di una Repubblica. Le radici dell’Italia attuale, ouvr. cité, p. 140.

RÉSUMÉS

L’article passe en revue six interprétations historiques des années quatre-vingt, choisies pour la plupart au sein du vaste panel de synthèses de l’Italie républicaine (Paul Ginsborg, Silvio Lanaro,

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Enzo Santarelli, Pietro Scoppola, Gaetano Quagliariello et Guido Crainz). La sélection de ce matériel dépend uniquement de la volonté de présenter un panorama complexe et diversifié des différentes possibilités interprétatives offertes par l’historiographie. Les six interprétations sont comprises dans l’arc chronologique 1989-2009. Vingt années qui coïncident avec une phase de crise et de transition de l’Italie, d’un système politique à un autre, d’un apparat constitutionnel à un autre. On cherchera à mettre en lumière le fait que toutes les interprétations sont profondément marquées par trois facteurs : d’une part, la biographie de l’historien, sa culture historique et politique ; d’une autre, la situation chronologique de l’interprétation à l’intérieur de la phase de crise et de transition ; et enfin, la construction du concept de crise, à partir duquel on recherche ses racines dans le passé.

L’articolo analizza sei interpretazioni degli anni ottanta, scelte prevalentemente tra le sintesi di storia dell’Italia repubblicana (Paul Ginsborg, Silvio Lanaro, Enzo Santarelli, Pietro Scoppola, Gaetano Quagliariello et Guido Crainz). La selezione del materiale, lungi dall’ambizione dell’esaustività, risponde unicamente al desiderio di offrire un quadro complesso e differenziato delle varie ipotesi interpretative, offerte dagli storici italiani. Le interpretazioni sono comprese nell’arco cronologico 1989-2009. Venti anni, questi, che coincidono con una fase di crisi e transizione dell’Italia da un sistema politico ad un altro, da un apparato costituzionale ad un altro. Si cercherà di mettere in evidenza i pesanti condizionamenti esercitati sulle interpretazioni da tre fattori: la cultura storica e politica degli storici; la collocazione dell’interpretazione all’interno della crisi e della transizione vissuta dal paese; la costruzione, infine, del concetto di crisi e la ricerca delle sue radici.

This essay analyses the interpretations of the eighties given by six leading historians of postwar Italy: Paul Ginsborg, Silvio Lanaro, Enzo Santarelli, Pietro Scoppola, Gaetano Quagliariello and Guido Crainz. These interpretations date from a period – 1989-2009 – which is characterized by a quick transition from one political system to another, and from a constitutional setup to another. This essay will illustrate the influence of three factors on these interpretations: the political and historical culture of the historians; the place of their interpretations within the transition they analyse; and, finally, the way they construct the concept of crisis and search for its roots in the history of Italian society.

INDEX

Parole chiave : anni Ottanta, crisi, Enzo Santarelli, Gaetano Quagliariello, Guido Crainz, Paul Ginsborg, Pietro Scoppola, Seconda repubblica, Silvio Lanaro, storici italiani, storiografia contemporanea Mots-clés : années quatre-vingt, crise, Deuxième République, Enzo Santarelli, Gaetano Quagliariello, Guido Crainz, historiens italiens, historiographie contemporaine, Paul Ginsborg, Pietro Scoppola, Silvio Lanaro Keywords : crisis, Enzo Santarelli, Gaetano Quagliariello, Guido Crainz, Italian historians, Italian historiography, Paul Ginsborg, Pietro Scoppola, Second Republic, Silvio Lanaro, the eighties

AUTEUR

ANDREA RAPINI Université de Modène et Reggio d’Émilie

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Le parti socialiste des années quatre-vingt, de Pertini à Craxi Il partito socialista degli anni ottanta: da Pertini a Craxi The Socialist Party in the eighties, from Pertini to Craxi

Alessandro Giacone

1 Depuis la chute du Mur de Berlin, l’histoire de l’Italie républicaine a été souvent analysée, de manière rétrospective, comme un affrontement entre deux grands partis, la démocratie chrétienne (DC) et le parti communiste italien (PCI). Dès lors, le rôle joué par le parti socialiste italien (PSI) est souvent passé sous silence1. Ce phénomène peut s’expliquer par le fait que, depuis 1994, la mouvance socialiste s’est dispersée aux quatre coins de l’échiquier politique, et ne survit qu’à l’état de diaspora. Sur le plan historiographique, on peut aussi remarquer le faible nombre des travaux qui ont été consacrés, dans les dernières années, au parti de Nenni et de Craxi2. Cela n’est pas sans rapport avec le fait que, contrairement aux archives de la DC et du PCI, celles du PSI ne sont pas encore à la disposition des chercheurs3. Il n’en reste pas moins que le PSI est peut-être le parti qui incarne le mieux l’évolution et les contradictions de la société italienne des années 1980. Dans les pages qui suivent, nous analyserons cette évolution – cette mutation anthropologique, pourrait-on dire – à travers le portrait croisé des deux personnalités marquantes de la période, le président de la République Sandro Pertini et le secrétaire du parti, puis président du Conseil, Bettino Craxi.

2 Quand les années quatre-vingt commencent-elles pour le PSI ? On serait tenté de retenir la date du 1er janvier 1980, qui coïncide avec la disparition de Pietro Nenni, qui fut son leader pendant plus de trente ans. Notre point de départ sera pourtant l’année 1976. Les élections législatives du 20 juin sont un échec retentissant pour le PSI, qui atteint son minimum historique (9,8 % des voix). Le secrétaire, Francesco De Martino, est acculé à la démission. Lors du congrès extraordinaire organisé à l’hôtel Midas (12 juillet 1976), la « génération des quadragénaires » prend le pouvoir. Le dauphin de Nenni, Bettino Craxi (né en 1934), l’emporte sur Claudio Signorile, qui représente la gauche de Riccardo Lombardi. Quelques jours plus tôt, le 4 juillet 1976, le grand antifasciste Sandro Pertini a quitté la présidence de la Chambre (poste qu’il occupait

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depuis 1968). Né en 1896, il a alors presque quatre-vingts ans : sa carrière politique semble arrivée à son terme.

3 Deux ans plus tard (le 8 juillet 1978), Pertini est pourtant élu à la présidence de la République, dans une Italie marquée par le double traumatisme de l’assassinat d’Aldo Moro et de la démission du président Giovanni Leone. Pendant les cinquante-cinq jours de l’enlèvement de Moro, Pertini et Craxi ont adopté des attitudes radicalement opposées. Le premier refuse le principe d’une négociation avec les terroristes (« Je ne veux pas assister pour la seconde fois à l’enterrement de la démocratie » dit-il, en faisant référence à la période fasciste), tandis que le second évolue progressivement vers des positions favorables à une négociation avec les Brigades rouges4. Après la mort de Moro, jusque-là pressentie pour succéder à Leone à l’échéance du mandat présidentiel, la démocratie chrétienne se retrouve sans candidat. Dès le mois de mars 1978, Craxi a affirmé avec force que la présidence de la République devait revenir à un socialiste5 et qu’il refuserait toute candidature issue d’un autre parti. Le leader du PSI met en avant des personnalités comme le commissaire européen Antonio Giolitti ou le juriste Giuliano Vassalli. Le 2 juillet, il lance un ballon d’essai, en présentant la candidature de Pertini. L’ancien président de la Chambre comprend le piège et se retire aussitôt ; il déclare que « dans l’intérêt du pays, [le président] doit être l’expression de l’arc constitutionnel qui représente l’unité nationale6 ». Ce sera le coup de maître de Pertini, souvent présenté comme un politicien naïf, mais qui apparaîtra après coup comme l’artisan de sa propre élection. Lors des tours suivants, les veto croisés font tomber Giolitti et le républicain La Malfa. En dépit de son âge, Pertini devient le candidat idéal pour sortir de l’impasse : il s’agit bien d’un socialiste, mais le plus éloigné des positions de Craxi. Le 9 juillet 1978, il est élu au 16e tour par 83 % des grands électeurs (832 sur 995), ce qui permet à chaque parti ou presque de revendiquer le mérite de sa victoire.

4 Quels sont alors les rapports entre les deux personnalités socialistes ? Né presque quarante ans avant Craxi, Pertini appartient à la génération de l’antifascisme et des pères fondateurs de la République, qui disparaît en grande partie pendant les années 19807. Ami du père de Craxi, l’avocat Vittorio, du fait de leur participation commune à la Résistance8, Pertini connaît Bettino depuis son enfance et l’a toujours considéré comme un jeune homme prétentieux. De son côté, Craxi aura parfois tendance à considérer le chef de l’État comme un vieillard gâteux, dont il admire cependant le courage et l’engagement. De même, les deux hommes sont très différents par leur positionnement politique. Pertini joue un rôle tout à fait marginal dans l’appareil socialiste et ressent plutôt une certaine sympathie pour le parti républicain (PRI), en particulier pour La Malfa et Spadolini. Son plus proche collaborateur au Quirinal, Antonio Maccanico, vient des rangs de ce parti et, à en croire Massimo Pini, est nommé « per fare un dispetto a Craxi9 ». Les notes d’Antonio Tatò10, le plus proche conseiller d’Enrico Berlinguer, montrent également la fréquence des contacts entre Pertini et le secrétaire du parti communiste.

5 Plus à gauche que Craxi, le chef de l’État est favorable au maintien de la « solidarité nationale », c’est-à-dire l’alliance entre DC et PCI. L’échec de cette formule marque le début d’une longue période d’instabilité. Dans un premier temps, Pertini s’efforce de trouver une alternative à la DC afin de débloquer le système italien. Cela passe d’abord par la nomination d’un président du Conseil laïque11. Dans un second temps, le chef de l’État aurait peut-être souhaité favoriser la participation du PCI au gouvernement,

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voire une alliance PSI-PCI12. La stratégie politique de Craxi est tout à fait opposée : en manifestant un anticommuniste virulent, il souhaite tourner la page du compromis historique afin de sortir le PSI de la tenaille où l’enferment DC et PCI. Pour reprendre l’expression d’Adrien Candiard, les socialistes se trouvaient entre Charybdes et Scylla : en s’alliant au PCI, ils risquent d’être satellisés et de ne jamais revenir au pouvoir ; en choisissant l’alliance avec la DC, ils perdent leur identité de parti ouvrier et les voix de l’électorat populaire13.

6 En janvier 1979, le PCI quitte la majorité, provoquant la chute du quatrième gouvernement Andreotti. Sans consulter les partis, Pertini tente un coup de poker, en désignant le républicain Ugo La Malfa14. Craxi commente ce choix en disant que Pertini montre ses préférences pour les hommes politiques de son âge15. Au bout de neuf jours, La Malfa doit jeter l’éponge, à cause notamment de l’opposition de ce même Craxi. Après une série de malentendus16, Andreotti forme un nouveau gouvernement en charge des affaires courantes avant la dissolution des Chambres. Les élections anticipées du 3 juin 1979 voient une faible progression du PSI, qui atteint 9,6 % des voix. À la surprise générale, le 9 juillet 1979, Pertini convoque Craxi pour le charger de former le gouvernement. Craxi, qui était alors en vacances, se précipite au Quirinal en jeans, se fait gronder par Pertini qui lui intime l’ordre d’aller se changer, puis revient au palais présidentiel pour accepter la désignation. Le chef de l’État aurait commenté : « Quell’inconsciente ha accettato senza batter ciglio, alzando le braccia per la gioia17. » Pertini a-t-il réellement cru que Craxi allait réussir dans sa tentative ou s’agit-il, avant tout, d’une « mise en scène18 » ? Puisque le leader socialiste s’est opposé à la désignation des républicains La Malfa et Visentini, le chef de l’État le place devant ses responsabilités et le met au défi de former un gouvernement19. Ce faisant, il veut l’obliger à choisir la position du parti entre l’alliance à gauche et l’hypothèse centriste. On comprend donc qu’il a effectué cette nomination à contrecœur, peut-être même dans le but d’en empêcher le succès20. Deux semaines plus tard (24 juillet 1979), Craxi jette l’éponge et remet son mandat. En définitive, le démocrate-chrétien prête serment le 4 août 1979. Son gouvernement est faible, mais il adopte cependant la décision d’installer les euromissiles sur la base sicilienne de Comiso21. Après de nouveaux vents de crise, en décembre 1979, Pertini et Maccanico estiment nécessaire d’élargir l’assise de la coalition, en associant au pouvoir les communistes22. Ils font une démarche auprès de l’ambassadeur américain, Richard Gardner, afin de convaincre le président Carter de la nécessité d’un gouvernement d’union nationale. L’ambassadeur leur répond que ce n’est pas possible au moment où l’on s’apprête à installer les euromissiles23.

7 Après deux gouvernements Cossiga, un autre démocrate-chrétien, Arnaldo Forlani, accède au pouvoir en octobre 1980. Un an plus tard, son gouvernement doit remettre sa démission en raison du scandale de la loge maçonnique P224. Les socialistes sont à leur tour impliqués dans cette affaire : sur les listes confisquées au domicile de Licio Gelli, on trouve les noms de plusieurs députés du PSI, dont Fabrizio Cicchitto et . Pire encore, on découvre que le président du Banco Ambrosiano, Roberto Calvi, a versé 3,5 millions de dollars sur un compte suisse appartenant à Silvano Larini, un homme de confiance de Craxi. Il s’agit du célèbre « Conto Protezione », dont on allait reparler en 1993. Déjà mis en cause dans le cadre de l’affaire de la loge P2, le socialiste Alberto Teardo est arrêté le 14 juin 1983 dans celui d’une affaire de pots-de-vin25. Devant les scandales réitérés touchant le PSI, les réactions de Pertini et de Craxi sont tout à fait opposées. Avant même l’ouverture de la commission d’enquête

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parlementaire, le chef de l’État n’hésite pas à définir la P2 comme une « association de malfaiteurs26 » et écarte un certain nombre de fonctionnaires de l’entourage présidentiel. Deux ans plus tard, il manifeste sa colère à l’égard de Teardo, qui a fait toute sa carrière dans la circonscription de Savone, dont Pertini était le député. Un communiqué du Quirinal annonce même que, depuis deux ans, le chef de l’État avait rompu tout rapport avec la fédération socialiste de cette province27. De son côté, Craxi cherche à minimiser l’importance de l’affaire P228, mais il réagit de manière violente lorsque Teardo est arrêté, à la veille des élections législatives. Le 20 juin 1983, il accuse les juges de s’être livrés à une « véritable agression » dans le cadre d’une « vulgaire instrumentalisation politico-électorale29 ». Avec le recul, ces phrases semblent inaugurer le leitmotiv de la « magistrature politisée » que l’on entendrait si souvent dans les décennies suivantes…

8 À la suite de l’affaire P2, la DC renonce de manière momentanée à la présidence du Conseil. Pertini est donc en mesure de nommer le républicain Giovanni Spadolini. Le 28 juin 1981, celui-ci est la première personnalité laïque, depuis 1945, à diriger le gouvernement italien. Cela couronne la stratégie poursuivie depuis 1979, même si le chef de l’État n’aurait pu imposer sa volonté sans le désistement préalable de la démocratie chrétienne. Le gouvernement Spadolini est soutenu par la DC, le PSI, le PRI, le PSDI et le PLI. En deux ans, la solidarité nationale a donc cédé le pas au pentapartisme, et cette formule politique domine la vie politique italienne jusqu’au début des années 1990. Après dix-huit mois d’exercice du pouvoir, Spadolini est cependant acculé à la démission. Après un intermède Fanfani, Pertini doit procéder une nouvelle fois à une dissolution anticipée. Les élections du 26 juin 1983 sont marquées par une remontée du PSI, qui passe de 9,8 % à 11,4 %. Ayant essuyé une lourde défaite, le secrétaire de la DC, Ciriaco De Mita, propose de son propre chef que son parti cède la présidence du Conseil aux socialistes. Encore une fois, Pertini éprouve des sentiments mélangés. Il aurait sans doute préféré choisir une autre personnalité laïque (Bruno Visentini) ou un démocrate-chrétien pour éviter que Craxi n’arrive à la tête du gouvernement. Le secrétaire du PSI avoue alors : « Sandro me déteste, mais il veut rester dans l’histoire comme le président qui a nommé le premier socialiste à Palazzo Chigi… Il préférerait n’importe qui d’autre, mais malheureusement, je suis le seul socialiste qu’il puisse nommer30. » Il faut préciser que le chef de l’État n’apprécie pas non plus outre mesure les autres membres de la direction du parti. Dans une note adressée à Berlinguer, Antonio Tatò rapporte des propos que Pertini aurait tenus en juin 1983 : « même si [Craxi] est critiquable, antipathique […], il reste le moins pire des socialistes : les Martelli, les Formica, les De Michelis, les Signorile ne sont certainement pas meilleurs que lui31 ».

9 Le 4 août 1983, Bettino Craxi devient ainsi le premier président du Conseil issu du PSI. Les photos de la prestation de serment ne montrent pas seulement l’image de deux socialistes au sommet de l’État ; elles symbolisent aussi un passage de relais entre deux générations. En effet, on peut estimer qu’à partir de 1983, Pertini ne joue plus quasiment aucun rôle sur la scène politique32, alors qu’il a eu une influence non négligeable entre 1979 et 198233. Il n’en reste pas moins que, dans les deux dernières années du septennat (1983-1985), les rapports entre le chef de l’État et le président du Conseil ne sont pas toujours faciles. Le style des deux hommes est parfaitement opposé. Pertini rappelle maintes fois son bref passé de manœuvre du bâtiment lors de son exil en France, tandis que les médias mettent en évidence son style de vite spartiate. De son côté, Craxi fréquente les milieux de la mode, de la finance et du marketing, que l’on

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commence à appeler, paraphrasant un slogan publicitaire, la « Milano da bere ». En assumant parfaitement la proximité avec les yuppies et le monde du spectacle – les milieux « bling-bling » dirait-on aujourd’hui – il fait entrer au Comité central du PSI l’actrice Sandra Milo et de célèbres couturiers, tels Trussardi ou Krizia34. Le socialiste a parlé à ce propos d’une « cour de nains et de danseuses », tandis que le ministre des Affaires étrangères, Giulio Andreotti, a déclaré être parti en Chine « con Craxi e i suoi cari ». On ne saurait imaginer style plus éloigné de celui de Pertini, qui paie de sa poche ses déplacements privés en avion, et reproche au directeur général de la Rai d’avoir signé un contrat de plusieurs milliards de lires avec l’animatrice Raffaella Carrà, « dilapidant ainsi l’argent des contribuables35 ».

10 Sur le plan politique, Craxi affiche un anticommunisme sans complexe, tandis que Pertini appelle de ses vœux un retour au compromis historique. En février 1984, lors des funérailles d’Andropov, il profite de la présence simultanée de Berlinguer et d’Andreotti pour leur dire : « Mettetevi d’accordo voi due! Non ne posso più di quello là36! » Le 11 juin 1984, Enrico Berlinguer est victime d’une attaque cérébrale pendant un meeting électoral à Padoue. Pertini, qui se trouve déjà sur place, est présent lors des dernières heures du leader communiste, puis en ramène la dépouille mortelle dans l’avion présidentiel. Une semaine plus tard, le PCI arrive en tête aux élections européennes, recueillant pour la première (et dernière) fois davantage de suffrages que la DC. Les médias estiment que l’attitude de Pertini lui a fait gagner au moins 1 % de voix supplémentaires. Le vice-secrétaire du PSI, Claudio Martelli, reproche alors à Pertini d’avoir, « même inconsciemment, aidé le PCI ». Le vieux président répond aussitôt que si Craxi et Martelli voulaient se suicider sur la tombe de Juliette et de Roméo, il serait heureux de ramener leurs dépouilles dans l’avion présidentiel !

11 Un nouvel accrochage a lieu dans les derniers mois du septennat, en janvier 1985. Lors d’une visite à Paris, le ministre socialiste De Michelis s’est brièvement entretenu avec l’ancien leader de Potere Operaio, Oreste Scalzone, réfugié en France. Le 24 janvier, Pertini envoie à Craxi une lettre privée demandant la démission de De Michelis. Le lendemain, le président du Conseil monte au Quirinal pour rencontrer le chef de l’État, puis déclare à la presse qu’aucune lettre n’avait été envoyée37. Quelques jours après, Pertini invite Craxi au « respect de la vérité » et signifie à De Michelis que lui n’aurait jamais serré la main à un terroriste condamné par la justice italienne. Pour calmer le jeu, De Michelis présente des excuses au président, tandis que Craxi publie un article élogieux sur Pertini qui a « été, tout au long de sa vie, un défenseur de la démocratie et de la liberté38 ». Ces épisodes illustrent bien l’attitude des socialistes à l’égard de « leur » président : il s’agit d’un personnage peu commode, qui les met souvent dans l’embarras, mais qu’il serait contreproductif de critiquer. Par ailleurs, les relations entre Craxi et Pertini ne sont pas toujours aussi tendues. De manière générale, Craxi a compris, comme les autres socialistes, que la popularité de Pertini est une ressource politique non négligeable et se montre souvent avec lui à l’occasion de voyages et d’inaugurations.

12 Une fois examinés les rapports politiques et générationnels entre les deux socialistes, on peut se demander quel a été le bilan de leur action respective. De toute évidence, il est difficile de mesurer l’influence directe d’un président de la République qui, selon les termes de la Constitution, n’exerce pas le pouvoir exécutif. Encore aujourd’hui, le souvenir de Sandro Pertini reste lié à quelques moments forts de sa présidence, toujours très présents dans l’imaginaire collectif : l’enthousiasme manifesté lors de la

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victoire de l’équipe nationale de football à la Coupe du Monde de 1982 ; le discours dénonçant le retard des secours après le tremblement de terre en Irpinie (1980) ; la présence aux côtés d’Alfredino Rampi, un enfant tombé au fond d’un puits, et qui y trouve la mort.

13 Les années 1980 sont marquées par une longue série de deuils nationaux : en 1981, Pertini constatait déjà que depuis le début de son mandat, il n’avait fait « qu’aller à des enterrements ». D’après nos décomptes, il aurait participé à pas moins de vingt-huit enterrements de victimes de la mafia et du terrorisme rouge ou noir. Sa présence est particulièrement significative aux obsèques suivant l’attentat à la gare de Bologne (2 juin 1980). La cérémonie est un chemin de croix pour les hommes politiques, conspués par la foule qui leur crie « Assassins, assassins ! ». L’arrivée du président de la République est au contraire saluée par les applaudissements et contribue à ramener le calme. Lors de ces cérémonies, Pertini prononce parfois des discours, comme aux funérailles du syndicaliste Guido Rossa (1979) et à l’usine Italsider de Tarente (1980) où il invite les ouvriers à « chasser les terroristes des usines » et à ne pas céder à la tentation de la violence. Par son extraordinaire popularité, le chef de l’État a rapproché la population de l’institution présidentielle. En 1985, 80 % des Italiens auraient souhaité sa reconduction, en dépit de son âge très avancé (89 ans). Au cours de ces années si difficiles, son grand mérite fut de canaliser le mécontentement populaire, tout en réaffirmant l’importance des valeurs démocratiques. S’il est difficile d’évaluer avec précision la portée de ses interventions, il paraît évident qu’elles ont contribué à la défaite du terrorisme d’extrême gauche.

14 Pertini meurt à Rome le 24 février 1990, date qui coïncide avec le 56e anniversaire de Craxi ; ce dernier lui rend un vibrant hommage dans l’Avanti!, en saluant le courage du militant antifasciste et du combattant pour la liberté39.

15 Le bilan de l’action de Bettino Craxi est beaucoup plus controversé, qu’il s’agisse de ses quatre années à la présidence du Conseil (1983-1987) ou de la période du « CAF » (acronyme désignant l’alliance entre Craxi, Andreotti et Forlani) entre 1989 et 1992. Au début des années 1980, le secrétaire du PSI adopte deux mots d’ordre, « decisionismo » et « governabilità » : la capacité de prendre des décisions et d’assurer le gouvernement du pays. Au cours de cette période, l’Italie retrouve en effet une stabilité inconnue depuis les années 1950 : le premier cabinet Craxi établit un record de longévité (trois ans), qui n’est battu qu’en 2005 par le deuxième gouvernement Berlusconi. L’opinion publique apprécie cette stabilité qui tranche avec la « crise permanente » de la décennie précédente : en 1987, le PSI atteint son sommet historique avec 13,8 % des voix. Pendant les quatre années du gouvernement Craxi, l’Italie renoue par ailleurs avec une forte croissance. Elle bénéficie à la fois d’une conjoncture favorable sur le plan international, d’une politique économique expansive (avec un fort investissement public) et d’une baisse spectaculaire de l’inflation40. Le « decisionismo » de Craxi est notamment illustré par le décret du 14 février 1984, qui supprime l’échelle mobile des salaires, mécanisme structurellement inflationniste. Le parti communiste fait du maintien de ce dispositif l’un de ses chevaux de bataille et recueille les signatures nécessaires à l’organisation d’un référendum. Mettant tout son poids dans la balance, Craxi annonce qu’en cas de défaite, « il démissionnera dans la minute ». Le 10 juin 1985, il sort vainqueur de cette épreuve de force, car les partisans du rétablissement de l’échelle mobile n’obtiennent que 45,7 % des voix. Un an plus tôt, il a remporté un autre succès de taille : la révision du Concordat régissant les rapports entre l’État et l’Église41

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était en chantier depuis 1967 ; après de longues négociations, Craxi et le cardinal Casaroli (représentant le Saint-Siège) signent le nouveau Concordat (18 février 1984). Dans les mois suivants, sont également signées des ententes avec les confessions minoritaires.

16 En politique étrangère, la mémoire collective a surtout retenu l’épisode de Sigonella (10-11 octobre 1985) : un commando de terroristes palestiniens, dirigé par Abu Abbas, a détourné l’Achille Lauro, célèbre navire de croisière, en assassinant lâchement le passager américain, et juif, Leon Klinghoffer, jeté par-dessus bord avec son fauteuil roulant. Craxi négocie la reddition du commando, transporté en hélicoptère sur la base militaire de Sigonella : les marines américains, accourus sur place pour arrêter les terroristes, en sont empêchés par les carabiniers italiens et, quelques heures plus tard, Abu Abbas et ses hommes sont libérés. L’affaire, qui frappe vivement les esprits, a certes une importance symbolique : depuis la fin de la guerre, les hommes politiques italiens accédaient au rang de « statista » (homme d’État) par une visite à Washington où ils faisaient allégeance à l’allié américain42 en se montrant plus atlantistes que lui. Désormais, la perspective est renversée. Craxi est la première personnalité italienne à devenir un « homme d’État » en s’opposant au gouvernement des États-Unis. Il n’en reste pas moins que, sur le plan international, l’affaire de Sigonella n’est qu’un épiphénomène : au-delà de l’assassinat abject de Leon Klinghoffer (que Craxi ignorait peut-être au moment de la négociation avec Abu Abbas43), la libération des terroristes n’a eu aucun effet sur la cause palestinienne. Par la suite, Abu Abbas ne joue plus aucun rôle au sein de l’OLP : réfugié dans l’Irak de Saddam Hussein, il y trouve la mort en 2005. Il est donc étonnant que les historiens italiens, faisant preuve d’un certain « provincialisme », aient donné tant d’importance à l’affaire de Sigonella, passant souvent sous silence le véritable exploit de Craxi, à savoir la manière dont il présida le Conseil européen de Milan (1985) : sur conseil du diplomate Renato Ruggiero, il osa bousculer les traditions établies et fit procéder à un vote au sein du Conseil ; mise en minorité, Margareth Thatcher ne put s’opposer à la convocation de la conférence intergouvernementale qui aboutit à la signature de l’Acte Unique et à une relance de la construction européenne44.

17 Sur le plan économique, la période craxienne coïncide avec un retour du pays sur la scène internationale. Ayant accédé, bien que de manière éphémère, au rang de 5e puissance industrielle du monde (dépassant le Royaume-Uni), l’Italie attire l’attention des médias étrangers. Dans le contexte de la révolution néo-libérale reaganienne et thatchérienne, « la relative faiblesse de l’État italien – écrit Pierre Milza – qui avait en d’autres temps fait les beaux jours des chroniqueurs, devenait du coup un modèle de souplesse et un indicateur de modernité45 ». Le revers de la médaille est le laxisme en matière budgétaire. Contrairement au principe selon lequel il convient de réduire les déficits pendant les années de croissance, Craxi laisse filer la dette publique, qui représente déjà 70 % du PIB en 1983 et atteint 92 % en 1987. Bien entendu, il n’en est pas le seul responsable de cette dérive, qui se poursuit pendant les années du « CAF » (1989-1992) et mène le pays au bord du gouffre46. Il est toutefois étonnant qu’un leader loué pour ses qualités de « décideur » n’ait pas consacré à la dette l’attention qu’il a accordée au problème de l’inflation. Cela a de multiples causes : le désir de conserver le soutien des épargnants italiens (qu’on appelle bientôt les « Bot people47 »), la concurrence du PCI qui impose de coûteuses politiques sociales, la fragilité des coalitions parlementaires qui empêche la prise de décisions à long terme48. Cependant, ce laxisme a de lourdes conséquences sur la croissance : les Italiens paient l’euphorie et

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les dépenses inconsidérées des années 1980 par deux décennies de cures d’austérité et de stagnation économique.

18 On retrouve la même ambiguïté sur le plan institutionnel. Dès la fin des années 1970, Craxi annonce une « Grande réforme49 » visant à accroître la governabilità par un renforcement des pouvoirs de l’exécutif et l’élection directe du chef de l’État50. Ce faisant, il brise le tabou de la République présidentielle, jusque-là assimilée à une nouvelle forme de fascisme51. Sans aucun doute, il a eu l’intuition des tendances que, dans les années suivantes, on voit à l’œuvre dans la plupart des démocraties occidentales52. Il n’en reste pas moins que le vrai réformateur n’est pas celui qui met en avant une idée, mais celui qui arrive à la faire adopter. À cet égard, le bilan de Craxi se résume à une seule innovation, la suppression du vote secret au Parlement, qui permet de réduire les embuscades des « francs-tireurs53 ». Après 1989, Craxi s’allie aux représentants des courants les plus modérés de la DC (Andreotti et Forlani), perdant ainsi son élan réformateur. Il s’oppose notamment aux référendums de 1991 et 1993, qui prévoient respectivement l’abandon des préférences multiples sur les bulletins de vote et l’abrogation de la proportionnelle. En 1991, il invite même les électeurs à déserter les urnes et à se rendre à la mer (« andare al mare54 »). Cet appel se retourne contre lui et contribue certainement à la victoire des promoteurs du référendum. Il apparaît ainsi que la réputation d’un « Craxi réformateur » est largement usurpée : dans la première partie de la période examinée, il est le « précurseur » de réformes jamais réalisées, même si la responsabilité en incombe à toute la classe politique ; au début des années 1990, il représente même un frein pour ceux qui désirent alors corriger les défauts du parlementarisme italien.

19 Le point le plus controversé de la carrière de Craxi est bien entendu son implication dans le financement occulte de son parti, qu’il revendique avec panache lors du discours tenu le 3 juillet 1992 à la Chambre des députés : « Tout le monde sait qu’une bonne partie du financement public est irrégulier ou illégal […]. Je ne crois pas qu’il y ait quelqu’un dans cet hémicycle qui puisse se lever et prêter un serment dans un sens opposé à ce que j’affirme : tôt ou tard, les faits se chargeraient de le démentir55. » En effet, aucun parlementaire n’osa se lever et cet « acte manqué » écrit la journaliste Barbara Spinelli, « demeure la honte des politiques et de toute une classe dirigeante56 ». Ce discours, qui tranche avec l’attitude passive des leaders démocrates-chrétiens, a un effet majeur sur l’image de Craxi qui, aux yeux de l’opinion, incarne désormais la corruption de la partitocratie italienne. Le 11 février 1993, il démissionne de son poste de secrétaire de PSI. Le 29 avril, la Chambre des députés vote contre la levée de son immunité parlementaire. Le lendemain, une petite foule l’attend à la sortie de sa résidence romaine, l’hôtel Raphaël, pour lui lancer des pièces de monnaie à la figure : cet épisode, que Craxi lui-même considère comme un véritable lynchage, marque de facto la fin de sa carrière politique. Le leader socialiste ne se représente pas aux élections de 1994 et, sous le coup d’un mandat d’arrêt, se réfugie à Hammamet (Tunisie) en mai. Ayant épuisé toutes les voies de recours, il est condamné à 5 ans et 6 mois de réclusion pour l’affaire Eni-Sai57 et à 4 ans et 6 mois pour les détournements lors de la construction du métro de Milan58. De manière générale, sa fuite en Tunisie est considérée comme une erreur, y compris par des socialistes comme Rino Formica59, surtout lorsqu’on songe au destin judiciaire, relativement clément, de la plupart des personnalités impliquées dans « Tangentopoli ». De son côté, Craxi se considère comme un « exilé politique » jusqu’à sa mort, survenue à Hammamet le 19 janvier 2000. À cet égard, il est significatif que Craxi ait comparé son destin à celui du « presidente

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partigiano », rappelant que Pertini avait passé douze ans en prison pour lutter contre le fascisme et « qu’il pourrait lui arriver quelque chose de semblable60 ».

20 Il est indiscutable que ces événements judiciaires ont eu une influence sur le souvenir laissé par celui qui fut, pendant dix-sept ans, le leader indiscuté du parti socialiste. Dans un message adressé à Anna Craxi, à l’occasion des dix ans de la disparition de son mari, le président Napolitano a écrit que « le jugement de la stature de M. Craxi en tant que leader politique et homme de gouvernement ne peut pas être [limitée] à la question de ses responsabilités, sanctionnés par la voie judiciaire61 ». Même les proches de l’ancien président du Conseil ne remettent pas en cause la réalité des affaires de pots- de-vin. Craxi ne fut pas la victime innocente d’une erreur judiciaire. Ils insistent en revanche sur les anomalies du procès (défini comme un « processo speciale »), d’ailleurs reconnues en décembre 2002 par un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme62. Dans un pays où les fautes individuelles sont souvent effacées par les responsabilités collectives et l’indulgence qui s’ensuit (« Tutti colpevoli, tutti innocenti »), Craxi est ainsi devenu le leader qui a « payé » pour toute la classe politique. Dès lors, le débat s’est focalisé sur l’emploi des sommes recueillies illégalement par les partis. La plupart de ceux qui tendent à justifier les affaires de pots-de-vin mettent en avant la croissance spectaculaire du « coût de la politique » pendant les années 1980, en établissant une distinction entre ceux qui « volaient pour eux-mêmes » et ceux qui « volaient pour leur parti ». Si certains cas d’enrichissements personnels sont avérés parmi certains dirigeants du PSI, dans celui de Craxi le mobile semble être uniquement de nature politique63. On a aussi fait valoir qu’une partie du financement illégal était reversé aux dissidents d’Europe de l’Est et aux mouvements d’Amérique latine (en particulier l’opposition à Pinochet au Chili64), pour permettre au PSI de mener certaines actions dans le cadre d’une politique étrangère parallèle à celle du gouvernement.

21 Sans entrer dans ce débat, la question qui se pose à l’historien concerne la possibilité de dissocier la dimension politique des aspects judiciaires qu’elle comporte. En d’autres termes, peut-on juger l’action de Craxi en faisant abstraction des « affaires » ? Comme l’écrit la journaliste Barbara Spinelli, « la corruption ne fut pas un élément inessentiel de telle action, mais un élément constitutif de sa politique65 ». D’un point de vue économique, le « coût de la politique » se répercute en effet sur les entreprises et le contribuable, provoquant une perte de compétitivité et une baisse de la qualité du service public. Selon une statistique souvent mise en avant, à la fin des années 1980, pour construire un kilomètre de lignes de métro il fallait 192 milliards de lire à Milan, alors qu’il n’en fallait que l’équivalent de 45 à Hambourg. Plus encore, légitimer le financement occulte des partis en le distinguant de l’enrichissement personnel revient à accepter une distorsion attribuant, de facto, aux grands partis (et notamment à ceux du gouvernement) des possibilités d’action bien supérieures à celles des petits partis (et à l’opposition), ce qui sape l’un des principes fondamentaux de la démocratie, à savoir l’égalité des partis dans la compétition électorale.

22 Dès lors, la réhabilitation récente de Craxi reflète avant tout la mauvaise conscience de la classe politique. Cette tendance s’est particulièrement illustrée chez les héritiers de l’ex-PCI. En 2003, le secrétaire des démocrates de gauche (DS), Piero Fassino, écrit dans son livre de mémoires, Per passione66, que l’ancien président du Conseil a été un « bouc émissaire », jugement répété dans une interview récente67. En 2008, le premier président du parti démocrate (PD), Walter Veltroni, déclare pour sa part que Craxi avait compris « mieux que n’importe quel autre homme politique comment la société

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italienne était en train d’évoluer68 », phrase qui sonne plutôt comme un aveu des limites du PCI de Berlinguer. Au-delà de la question de la sincérité de ces prises de position, cette réhabilitation posthume répond avant tout à une volonté de récupération politique : à gauche, on cherche à capter l’héritage politique de Craxi, tandis qu’à droite, le sort de l’exilé d’Hammamet légitime le combat contre la magistrature.

23 Au-delà des désaccords ponctuels, les rapports complexes entre Sandro Pertini et Bettino Craxi semblent renvoyer à des clivages plus profonds, reflétant l’évolution du parti socialiste. Pour le chef de l’État, le PSI reste un parti de travailleurs, qui revendique ses racines prolétariennes. De son côté, Craxi n’est pas sans s’inspirer du néo-libéralisme de Ronald Reagan et de Margareth Thatcher. Il peut compter sur le soutien de la grande industrie lombarde et de la « Troisième Italie » du Nord-Est, marquée par la petite entreprise familiale, que l’on retrouve plus tard dans l’électorat de la Ligue et de Forza Italia. Le secrétaire du PSI trouve aussi des appuis dans les classes moyennes et supérieures (cadres, milieux du spectacle, de la mode et de la finance). Cela montre la mutation sociologique du PSI au cours des années 1980 : il est de moins en moins ouvrier et de plus en plus lié aux catégories socioprofessionnelles du secteur tertiaire.

24 L’image même du parti change au cours de ces années. Jusqu’aux années 1970, les dirigeants du PSI, issus en grande partie de la Résistance, ont une réputation d’intégrité qui va de pair avec une certaine naïveté politique69. Pertini est le dernier de cette génération à exercer des fonctions institutionnelles. À la fin des années 1970, le PSI est aussi un parti criblé de dettes, ce qui explique les besoins de financement à l’origine des affaires ENI/Petromin et des liens ambigus avec la loge P2 à travers le « Conto Protezione ». Après la mise au jour de ces scandales, les dirigeants du parti sont désormais perçus comme des affairistes, beaucoup plus habiles sur le plan politique (en témoigne la carrière politique de Craxi) mais plus douteux sur le plan moral. D’où une blague de la fin des années 1980 – bien avant l’opération « Mains propres » : un socialiste demande à un autre : « On va prendre un café ? », et la réponse est : « À qui ? ».

25 Je terminerai par quelques mots sur l’héritage des deux personnages. La première remarque concerne leur popularité. D’après un sondage réalisé en juin 200470, Pertini était l’homme politique italien le plus admiré du XXe siècle. Il n’en va pas de même pour Craxi. Lorsqu’en décembre 2009, le maire de Milan, Letizia Moratti, proposa de donner son nom à une rue ou un jardin public, un sondage montra que 65 % des Italiens y étaient opposés71.

26 La deuxième remarque porte sur les effets de cette popularité. Dans le cas de Pertini, elle semble avoir rejailli davantage sur l’institution qu’il représentait que sur son ancien parti72. En dépit de l’écroulement du système politique entre 1992 et 1993 et le retour en force de l’antipolitica (antipolitique), la présidence de la République demeure aujourd’hui encore la plus populaire des institutions italiennes. De ce point de vue, l’héritage du secrétaire du PSI a été beaucoup moins durable. Élu comme un primus inter pares en 1976, il avait en effet progressivement accru son empreinte sur le parti qui, dès lors, s’identifiait à sa personne. La gauche du parti avait d’abord cherché à lui opposer des personnalités telles que Claudio Signorile et Antonio Giolitti mais, après l’échec de ceux-ci, elle s’était ralliée à lui. De congrès en congrès, il était désormais sans rival et son investiture avait lieu par acclamations au cours de « conventions » spectaculaires

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inspirées du modèle américain. Cette personnalisation à outrance est certainement l’un des éléments qui ont permis au PSI de sortir de sa longue crise, mais elle aura aussi des conséquences négatives quand Craxi, impliqué dans l’opération « Mains propres », a fini par incarner à lui seul toutes les dérives de la partitocratie. Le verdict est sans appel aux élections de 1994 : le PSI ne recueille que 2,2 % des suffrages. En liant les destinées de son parti à celles de sa personne, Craxi a permis au PSI d’atteindre son apogée en 1987, mais il en a également provoqué la disparition moins d’une décennie plus tard.

27 Ma dernière remarque sera de nature historiographique. Sur le plan institutionnel, il existe à la fois une Fondation Craxi, qui a largement ouvert ses archives, et une Association nationale Sandro Pertini à Florence, qui applique la règle de consultation des 50 ans. Au-delà des commémorations et des recueils de textes et de discours73, Pertini est un personnage oublié par les historiens. Après les nombreux ouvrages publiés au cours du septennat, il n’existe aucun travail d’ensemble sur le « presidente partigiano », même s’il convient de signaler l’ouvrage d’Andrea Gandolfo sur le « jeune Pertini74 ». En revanche, deux biographies ont été consacrées à Craxi, l’une par son ancien collaborateur Massimo Pini75, l’autre par les historiens Marco Gervasoni et Simona Colarizi76. Sur le plan filmographique, l’émission La storia siamo noi a consacré un long documentaire à la vie de Pertini. De son côté, Mediaset77 a produit un film sur Craxi, diffusé en 2009 à une heure de grande écoute : la seconde moitié de ce film est consacrée tout entière à « Tangentopoli », conformément à la clé de lecture berlusconienne qui fait de Craxi une victime du supposé complot judiciaire de l’opération « Mains propres ».

28 On ne saurait conclure ce portrait croisé sans un mot sur le personnage qui dominera la vie politique des vingt années suivantes. Les liens entre Craxi et Berlusconi sont trop connus pour devoir être explicités ici : rappelons simplement le rôle joué par le leader socialiste pour que le gouvernement approuve des lois au bénéfice de l’empire audiovisuel du « Cavaliere78 ». En revanche, je livrerai un détail inédit au sujet de Pertini. Lorsqu’on parcourt le journal de la présidence de la République, on découvre que la dernière personne que le président italien a reçu au Quirinal pendant son septennat n’est autre que… ce même Silvio Berlusconi. Comment aurait réagi le vieux leader antifasciste, s’il avait pu entendre, en 2003, le président du Conseil expliquer que Mussolini envoyait ses opposants « in vacanza al confino79 » ? En tout état de cause, l’évolution du PSI au cours des années 1980 permet d’expliquer qu’une partie de ses anciens dirigeants, souvent les plus jeunes et les plus liés à Craxi, ait rejoint par la suite les rangs de Forza Italia et du parti de la Liberté80.

NOTES

1. Voir les réflexions de Vittorio Foa dans B. Pellegrino, L’eresia riformista, Milan, Guerini e associati, 2010. 2. Parmi les exceptions notables, signalons G. Galli, Storia orgogliosa del socialismo italiano, Milan, Tropea, 2001 et, côté français, F. d’Almeida, Histoire et politique, en France et en Italie : L’exemple des

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socialistes, 1945-1983, Rome, École française de Rome, 1998. Pour une analyse rétrospective de la période 1976-1994, voir également V. Spini, Il grano e il loglio dell’esperienza socialista (1976-2006), Rome, Editori Riuniti, 2006. 3. « L’Archivio del socialismo italiano » se trouve à Florence, à la Fondation Turati. D’autres fonds importants pour comprendre l’histoire du PSI sont déposés à la Fondation Nenni et à la Fondation Craxi. 4. A. Giovagnoli, Il Caso Moro, Una tragedia repubblicana, Bologne, Il Mulino, 2005, p. 77-189. 5. Afin de respecter la loi non écrite prévoyant une alternance entre un président démocrate- chrétien et un président issu d’un parti laïc. Voir G. Di Capua, Dieci Presidenti, Dieci Repubbliche, Tarquinia, Nuove Edizioni Ebe, 2007, p. 197. 6. Cité par G. Di Capua, Dieci Presidenti, Dieci Repubbliche, ouvr. cité, p. 199. Comme l’on sait, l’arc constitutionnel inclut les partis ayant voté pour la constitution de 1948, c’est-à-dire tous sauf les monarchistes et les néo-fascistes du MSI. 7. Pietro Nenni, Giorgio Amendola et Luigi Longo meurent en 1980, Ferruccio Parri en 1981, Riccardo Lombardi en 1984, Giuseppe Saragat en 1988. 8. Après la Libération, Vittorio Craxi est vice-préfet de Milan. 9. M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, Milan, Mondadori, 2006, p. 624. 10. A. Tatò, Caro Berlinguer, Note e appunti riservati di Antonio Tatò a Enrico Berlinguer (1969-1984), Turin, Einaudi, 2003. 11. Le mot « laïque » indiquant les partis de la majorité à l’exception de la démocratie chrétienne. 12. C’est l’interprétation de L. Zanetti, Pertini sì, Pertini no, Milan, Feltrinelli, 1985 et, plus récemment, celle de G. Di Capua, Dieci Presidenti, Dieci Repubbliche, ouvr. cité (voir le chapitre « Sandro Pertini, Repubblica alternativista », p. 191-242). 13. A. Candiard, « Le PCI et le PSI au début des années 1990 : métamorphose et enterrement », dans P. Caracciolo (dir.), Refaire l’Italie, l’expérience de la gauche libérale (1992-2001), Paris, Rue d’Ulm, 2009, p. 271-301. 14. Voir A. Manzella, Il tentativo La Malfa : tra febbraio e marzo 1979, nove giorni per un governo, Bologne, Il Mulino, 1980. 15. Pertini dira que la boutade de Craxi est une « goujaterie » (« una cafonata ») (M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, ouvr. cité, p. 149). 16. C’est ce qu’Antonio Ghirelli a défini comme la « commedia degli equivoci ». Pertini avait convoqué au Quirinal l’ancien-chef de l’État Saragat, Andreotti et La Malfa, puis proposé à Andreotti de le désigner en choisissant Saragat et La Malfa comme vice-présidents du Conseil. Voir A. Ghirelli, Caro Presidente, Due anni con Pertini, Milan, Rizzoli, 1981 (chap. IX). 17. M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, ouvr. cité, p. 152-153. 18. « Maccanico dice che si passa immediatamente al laico, ma che è una “sceneggiata” obbligatoria per dare un minimo di soddisfazione ai partitini e a Craxi, ma che non può risolversi che in un buco nell’acqua e l’incarico tornerà a uno della DC. Chi sia, però, lui non lo sa ancora perché c’è l’incertezza nella DC e in Pertini », dans A. Tatò, Caro Berlinguer, ouvr. cité, p. 99. 19. Pour un aperçu des relations entre Craxi et Pertini en 1979, voir M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, ouvr. cité, p. 152. 20. « L’incarico a Craxi l’ha dato un po’ a malincuore », A. Tatò, Caro Berlinguer, ouvr. cité, p. 128-129. 21. Décision à laquelle sont favorables à la fois Pertini et Craxi. 22. A. Tatò, Caro Berlinguer, ouvr. cité, p. 144. 23. Voir les mémoires de R. Gardner, Mission Italy, Milan, Mondadori, 2004. 24. Sur la loge P2, voir entre autres M. Teodori, P2: la controstoria, Milan, Sugarco, 1986. Voir également les mémoires d’Arnaldo Forlani, Potere discreto, Venise, Marsilio, 2009, p. 206-211.

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25. Alberto Teardo venait de démissionner de la présidence de la région Liguria pour se présenter aux élections législatives. L’enquête a ensuite révélé qu’il avait accumulé un patrimoine de 19 milliards de lires. 26. En italien, una associazione a delinquere. Message de fin d’année, 22 décembre 1981. 27. Pertini aurait même déclaré : « Quello [Teardo] non fatemelo incontrare, a quello la mano non la stringo. » Cité par M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, ouvr. cité, p. 229. 28. Les socialistes piduistes exclus du parti (comme Fabrizio Cicchitto), y sont réintégrés les années suivantes. 29. « Credo che l’iniziativa dei magistrati liguri sia una volgare strumentalizzazione politico-elettorale. È in questo modo che si tocca il fondo dell’uso disinvolto dei poteri giudiziari. Sarà difficile ai magistrati spiegare le ragioni di urgenza che li hanno indotti a prendere provvedimenti restrittivi nell’imminenza delle elezioni. Le spiegazioni sono assolutamente evidenti: siamo oggetto di questa forma di vera e propria aggressione. Sono indignato perché non vedo una base di giustizia in iniziative di questo genere che rispondono ad uno spirito di faida personale e politica. » (Déclaration de Bettino Craxi à l’ANSA, le 19 juin 1983.) 30. « Sandro mi detesta. Però vuole passare alla storia come il presidente che ha portato a Palazzo Chigi il primo socialista… Preferirebbe qualunque altro a me, ma purtroppo il solo socialista a cui può dare l’incarico sono io. » Cité par M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, ouvr. cité, p. 233. 31. « [Craxi], pur criticabile, antipatico […], rimane il meno peggio dei socialisti: non sono certo migliori di lui i Martelli, i Formica, i De Michelis, i Signorile. » Cité par A. Tatò, Caro Berlinguer, ouvr. cité, p. 287. 32. Sans oublier que Pertini a eu 87 ans en septembre 1983. 33. Pertini a déclaré avoir personnellement choisi trois présidents du Conseil (Cossiga, Forlani et Spadolini). Si ce n’est pas tout à fait vrai, il n’en reste pas moins qu’il a écarté des candidats (comme le secrétaire de la DC, Flaminio Piccoli) et mis son veto à des nominations ministérielles. Voir l’interview de Francesco Cossiga dans La Stampa du 6 juin 2001. 34. Le journaliste Giorgio Bocca a ainsi reproché à Craxi sa volonté de « moderniser le pays avec une compagnie de chanteurs, d’architectes et de financiers ». Cité par M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, ouvr. cité, p. 447. 35. Ibid., p. 263. 36. Ibid., p. 277. 37. Le contenu de cette lettre est rapporté par la Repubblica du 25 janvier 1985. 38. Corriere della Sera, 29 janvier 1985. 39. Éditorial de Bettino Craxi dans L’Avanti! du 25 février 1990. 40. Entre 1983 et 1987, le taux d’inflation passe de 12,3 % à 5,2 %. 41. Come l’on sait, le Concordat avait été signé en 1929 par Mussolini et le cardinal Gasparri. 42. Ce fut notamment le cas de De Gasperi, Scelba, Segni, Fanfani ou Andreotti. 43. Entretien avec Valdo Spini, le 12 novembre 2010. 44. Voir B. Olivi et A. Giacone, L’Europe difficile, Paris, Gallimard, 2007, p. 204-210. 45. P. Milza, Histoire de l’Italie, Paris, Fayard, 2005, p. 980. 46. En 1992, la dette publique représente 118 % du PIB. 47. Par référence aux « boat people » du Cambodge et du Vietnam, le BOT étant les bons du Trésor italien. 48. Pendant la période 1983-1987, plus d’une centaine de décrets présentés par le gouvernement ne sont pas approuvés par le Parlement, à cause de la présence de « francs tireurs » à l’intérieur même de la majorité. 49. Voir G. Acquaviva et L. Covatti, La «Grande riforma» di Craxi, Venise, Marsilio, 2010. 50. Cette hypothèse est aussi défendue par Giuliano Amato dans une série d’articles publiés, à partir de 1979, dans la revue socialiste Mondoperaio. 51. Comme l’ont montré les tentatives néo-gaullistes de Randolfo Pacciardi et d’Edgardo Sogno, voir le « schéma de renouveau politique » de Licio Gelli et de la loge P2.

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52. Consulter les réflexions, encore pertinentes, de M. Duverger, La Monarchie Républicaine – ou comment les démocraties se donnent des rois, Paris, Robert Laffont, 1974. 53. À savoir, les parlementaires de la majorité qui votent contre le gouvernement lors de votes au scrutin secret. 54. Si le nombre de votants n’atteint pas 50 % + 1, le référendum est nul. 55. « Tutti sanno che buona parte del finanziamento politico è irregolare o illegale […]. Non credo che ci sia nessuno in quest’aula […] che possa alzarsi e pronunciare un giuramento in senso contrario a quanto affermo, perché presto o tardi i fatti si incaricherebbero di dichiararlo spergiuro. » Discours de Bettino Craxi à la Chambre des députés, le 3 juillet 1992. 56. La Stampa, 15 janvier 2010. 57. Sentence prononcée le 12 novembre 1996. 58. Sentence prononcée le 20 avril 1999. D’autres procès étaient encore en cours au moment de sa mort. 59. Voir l’interview de Rino Formica dans La Stampa du 28 décembre 2010. 60. M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, ouvr. cité, p. 592. 61. « Non può dunque venir sacrificata al solo discorso sulle responsabilità dell’on. Craxi sanzionate per via giudiziaria la considerazione complessiva della sua figura di leader politico e di uomo di governo. » On trouve le texte de la lettre du président Napolitano dans La Stampa du 19 janvier 2010. 62. La condamnation de Craxi a eu lieu sur la base de témoignages apportés dans le cadre d’autres procès, alors que les témoins (Cusani, Molino et Ligresti) n’ont pas été entendus lors du sien. La CEDH a cependant reconnu que les juges ont agi en conformité au droit italien de l’époque. Voir l’arrêt de la Cour et les commentaires du magistrat Francesco Saverio Borrelli dans La Stampa du 19 janvier 2010. 63. Pour reprendre les mots du magistrat Gerardo D’Ambrosio : « Su Craxi non esistono prove di arricchimento personale. La sua molla era la politica. Anche lui è vittima del meccanismo perverso. » (Interview publiée dans le Corriere della Sera du 24 février 1996.) 64. Voir à ce propos La Stampa du 15 janvier 2010. 65. « L’azione di Craxi fu in realtà un singolarissimo impasto di intuizioni giuste e coraggiose, di spregio profondo della politica, di intreccio tra politica e mondo degli affari, di uso spregiudicato di mezzi finanziari illeciti. La corruzione non fu un dettaglio inessenziale ma un suo torbido elemento costitutivo. » (B. Spinelli, « La memoria inutile », La Stampa, 24 janvier 2010.) 66. P. Fassino, Per passione, Milan, Rizzoli, 2003. 67. Voir l’interview de P. Fassino dans La Stampa du 31 décembre 2009 : « Bettino fu un capro espiatorio ». 68. « Interpretò meglio di ogni altro uomo politico come la società italiana stava cambiando. » Voir l’article « Veltroni su Craxi: innovò più di Berlinguer » dans le Corriere della Sera du 15 juillet 2008. 69. La base militante (et l’opposition interne du parti) a souvent reproché à Nenni et à De Martino, hommes irréprochables sur le plan personnel, d’avoir cédé aux exigences de la démocratie chrétienne. 70. Enquête réalisée par l’institut de sondages Demos, le Corriere della Sera du 27 septembre 2004. 71. Sondage effectué le 4 janvier 2010 sur un échantillon de 500 personnes, La Stampa du 6 janvier 2010. 72. Une fois élu à la présidence de la République, Pertini renonça à reprendre la carte du PSI, pour marquer sa volonté d’être au-dessus des partis. Après la fin de son mandat, il a siégé au Sénat dans le groupe « mixte », regroupant les indépendants et les non-inscrits à un groupe politique. 73. Voir notamment S. Pertini, Discorsi parlamentari 1946-1976, Bari-Rome, Laterza, 2005 ; S. Caretti et M. Degl’Innocenti, Sandro Pertini, combattente per la libertà, Rome, Pietro Lacaita, 1996. 74. A. Gandolfo, Il Giovane Pertini: da Stella a Nizza (1896-1929), Gênes, Ferrari, 2002. 75. M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, ouvr. cité.

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76. S. Colarizi et M. Gervasoni, La cruna dell’ago. Craxi, il PSI e la crisi della Repubblica, Bari-Rome, Laterza, 2006. 77. Holding regroupant les trois chaînes de télévision (Canale 5, Retequattro, Italia 1) propriété de la famille Berlusconi. 78. En particulier la « loi Mammì » du 6 août 1990. 79. Interview accordée par Silvio Berlusconi à l’hebdomadaire The Spectator le 27 août 2003. 80. Sur la continuité entre Craxi et Berlusconi, voir entre autres P. Flores d’Arcais, Il ventennio populista. Da Craxi a Berlusconi, Rome, Fazi, 2006.

RÉSUMÉS

Le parti socialiste italien (PSI) est peut-être le parti qui incarne le mieux l’évolution et les contradictions de la société italienne des années 1980. Cet article analyse cette mutation politique et anthropologique à travers le portrait croisé des deux personnalités marquantes de la période, le président de la République Sandro Pertini et le secrétaire du parti, puis président du Conseil, Bettino Craxi. Né en 1896, Pertini appartient à la génération de l’antifascisme et des pères fondateurs de la République italienne, génération qui disparaît pendant ces années. Né en 1934, Craxi représente en revanche les succès et les excès de ce qu’on appelle la “Milano da bere”, qui sera emportée par les scandales financiers révélés par l’enquête “Mains propres”. L’article s’achève par un examen de l’héritage politique et symbolique de Pertini et Craxi, respectivement à dix et à vingt ans de leur disparition.

Il partito socialista italiano (PSI) è forse il partito che incarna meglio l’evoluzione e le contraddizioni della società italiana negli anni Ottanta. Il presente articolo analizza tale mutazione politica e antropologica attraverso il ritratto parallelo delle due personalità socialiste più importanti di questo periodo, il presidente della Repubblica Sandro Pertini e il segretario del PSI, in seguito presidente del Consiglio, Bettino Craxi. Nato nel 1896, Pertini appartiene alla generazione dell’antifascismo e dei padri della Repubblica italiana, generazione che scompare durante questi anni. Nato nel 1934, Craxi rappresenta invece i successi e gli eccessi della “Milano da bere”, che sarà travolta dagli scandali finanziari rivelati dall’inchiesta “Mani pulite”. L’articolo si conclude con un esame del lascito politico e simbolico di Pertini e Craxi, rispettivamente a venti e dieci anni dalle loro scomparse.

The (PSI) is the party that best embodies the evolution and the contradictions of Italian society during the eighties. This article analyses this political and anthropological evolution through the parallel portrait of two important personalities of this period: Sandro Pertini, the President of the Republic, and Bettino Craxi, the Party Secretary and Prime Minister. Born in 1896, Pertini belonged to the generation of the antifascists and founding fathers of the Italian Republic. Born in 1934, Craxi represented the success and excesses of the so- called “Milano da bere”, the Milan of rampant careerists, which will be swept away by the financial scandals of the “Clean Hands” inquiry. This essay ends with an analysis of the political and symbolic heritage left by Pertini and Craxi, ten and twenty years after their deaths, respectively.

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INDEX

Keywords : Italian Socialist Party, Bettino Craxi, Sandro Pertini, Prime Minister, President of the Republic, Italian Republic, Clean Hands Mots-clés : parti socialiste italien, PSI, Bettino Craxi, Sandro Pertini, président du Conseil, président de la République, République italienne, Mains propres Parole chiave : Partito socialista italiano, PSI, Bettino Craxi, Sandro Pertini, presidente del consiglio, presidente della Repubblica, Repubblica italiana, Mani pulite

AUTEUR

ALESSANDRO GIACONE Université Stendhal – Grenoble 3

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Le procès 7 aprile : un cas prototypique de l’état d’urgence dans l’Italie des années quatre-vingt Il processo 7 aprile: un caso esemplare dello stato d’urgenza nell’Italia degli anni ’80 The 7 Aprile trial: a typical example of the state of emergency in the eighties

Elisa Santalena

Re: «Il mio popolo è felice! Come vedete, sorridono tutti. Se qualcuno non sorride, lo sbatto nelle segrete ». Rivolto a un contadino sorridente: “Ehi, tu”. Contadino sorridente: “Dite a me, maestà?”. Re: «Portatelo nelle segrete!» (il contadino è subito trascinato via). Straniero sbigottito: “Altezza, non riesco a capire: quel contadino stava sorridendo”. Re: «Già, ma adesso non sorride più. Preferisco prevenire il crimine piuttosto che attendere che venga commesso!». Sembrano “veline sceneggiate” di Cossiga ai suoi solerti subalterni. Oppure una realistica rappresentazione di Radio Alice di questo stato autorevolmente autorevole, dei suoi sospettosissimi e nervosi funzionari e delle loro dure lotte contro i cattivi pensieri della gente. Invece si trova nel settimanale, edito da Mondadori (no 1129, 17 luglio 1977) “Topolino”. Che sia l’ultima voce libera?1

1 Il y a exactement trente ans, en 1979, par une opération de ratissage de dizaines de membres d’Autonomia Operaia2, commençait le très célèbre procès 7 Aprile. L’expression 7 Aprile évoque plusieurs aspects : l’axiome judiciaire italien par excellence (le teorema

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Calogero, du nom du juge d’instruction de Padoue qui commanda les arrestations) ; la campagne de presse la plus unanime et la plus implacable contre les accusés de notre histoire républicaine ; l’utilisation la plus arbitraire de la détention préventive et du remplacement des chefs d’accusation, ainsi que le premier cas, dans l’histoire italienne, où les déclarations d’un repenti3 pèsent davantage que les preuves, les alibis et les témoignages en faveur des accusés.

2 Tenter d’écrire un résumé organique de ce procès n’est pas un travail facile : il n’existe, en effet, pratiquement pas de textes qui s’occupent de cette histoire du début à la fin, dans sa complexité. De l’enquête principale naissent plusieurs enquêtes locales à Naples, Milan et Rome, et, à la fin, le procès est scindé en deux branches : celle de Padoue et celle de Rome. Tous les principaux événements de l’histoire républicaine de l’époque s’y croisent : des expropriations prolétaires aux assassinats d’Aldo Moro, du juge Alessandrini4 et du journaliste Walter Tobagi5, jusqu’à la séquestration du général Dozier6. Mais, surtout, pendant ce procès, sont expérimentés tous les instruments issus de la culture judiciaire des lois d’exception, en compromettant les garanties processuelles qui protègent les accusés.

3 L’intérêt de l’étude de ce procès réside donc dans le fait qu’il représente l’exemple le plus typique de l’état d’urgence dans lequel vivait l’Italie pendant les années 1980 et que, à partir de ce procès, la structure pénale italienne est totalement modifiée. Avant donc d’aborder le cœur du sujet, expliquons en quelques lignes en quoi consiste un état d'urgence et ses lois d’exception.

4 Nous appelons urgence un moment de crise imminente dans un pays tel une guerre civile, un coup d’État ou même une catastrophe naturelle. Un moment donc où le pouvoir constitué est appelé à légiférer de façon exceptionnelle, compte tenu d’une situation politique particulière. Néanmoins, pendant ce moment de crise, les libertés fondamentales inscrites dans les constitutions et les chartes des droits de l’homme telles que l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants, la liberté de pensée, de conscience ou de religion, ne doivent pas être remis en cause. La suspension de ces libertés ne doit, en aucun cas, devenir acceptable, nécessaire ou souhaitable7. Mais surtout, comme son nom l’indique, il s’agit de mesures exceptionnelles et provisoires8.

5 La spécificité italienne, dont le procès 7 Aprile est l’exemple par excellence, réside dans le fait que cet état d’exception se pérennise9, l’urgence devenant la norme et rentrant dans le système judiciaire de façon permanente10. L’état d’exception est alors un espace vide de droit, une zone où toute détermination juridique est nulle.

6 À partir de 197511, toutes les lois sur l’ordre public, la détention préventive, l’interrogatoire d’un suspect, la garde à vue prolongée, les prisons spéciales, le statut des repentis, bref, tout le paquet des lois d’exception est présenté comme indispensable pour défendre l’ordre public démocratique contre la violence politique et le terrorisme. La presse, surtout celle de gauche, est l’organe le plus fidèle de la politique et du monde judiciaire et se range à côté de cette lutte : La situazione è di emergenza e come tale non può essere affrontata che con provvedimenti di emergenza […] La rinunzia che quindi siamo costretti a fare ad una fetta della nostra indipendenza, la sottoposizione di ognuno ad un aggravio di controlli, il ridare vita ad istituti caratteristici del regime di polizia è il duro prezzo che bisogna pagare per ripristinare l'ordine, per liberarsi dalla paura dei fuorilegge, dai vandalismi degli esaltati, dal terrorismo dei fanatici12…

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7 Le combat contre l’insurrection civile, soit-elle armée ou pas, se transforme en guerre psychologique à travers la mise en scène du délit d’association : on désigne l’ennemi public, on déchaîne l’inquiétude et on élargit le contrôle social sur toute personne refusant l’idéologie dominante. Les actes de violence perdent de leur importance parce que, ce qui compte, est de reconnaître les fins cachées des individus qui auraient pu les commettre, d’établir des connexions logiques, d’interpréter la personnalité et les convictions de l’individu suspect. Il devient donc possible13 de construire une accusation indépendamment des actes concrets, en se concentrant exclusivement sur le délit d’association qui n’est souvent qu’un présumé délit d’opinion14. En effet, la vraie nature de l’opération 7 Aprile ne résidait pas dans l’accusation des imputés de tel ou tel délit spécifique, mais dans le rapport hypothétique entre cette accusation-là et le rôle des intellectuels et militants de la gauche extra-parlementaire. Bref, ces hommes étaient coupables d’opinions qui ne coïncidaient pas avec l’idéologie du parti communiste et du compromis historique15, et plusieurs témoignages affirment que le moteur principal de toute l’enquête est le PCI16, en particulier dans son siège de Padoue. Il apparaît donc clair que les accusations faites aux membres d’Autonomia étaient un prétexte pour frapper toute la gauche que le PCI ne pouvait contrôler, et pour se légitimer eux-mêmes aux yeux des autres partis.

8 Massimo Cacciari, actuel maire de Venise, ex-membre du PCI, raconte : Ricordo ancora quell’intervista, forse perfino la conservo. Credo che sia stata la prima intervista di dissenso rispetto al “Teorema Calogero”: vi dichiaravo che, benché non frequentassi più Toni Negri e l’Autonomia padovana da parecchi anni, ritenevo assolutamente inverosimile l’accusa cosi come veniva formulata, sulla base di ragionamenti puramente politici. E fu un’intervista che mi costò “sangue e terra” all’interno del PCI. Fu accolta in maniera violentemente polemica da tutti, fuorché da alcuni a Venezia, Rino Serri e altri. Ma a Roma in molti mi tolsero il saluto nella Camera dei deputati a partire da Violante, Trombadori ecc. 17.

9 Mais rentrons maintenant dans les détails plus spécifiques du procès 7 Aprile et analysons en quoi il est emblématique de la triste histoire judiciaire des années 1980. L’événement historique que l’on appelle 7 Aprile, tout en ayant un début et des protagonistes très précis, n’a pas de bornes très délimitées : la phase d’instruction se répand à une vitesse exponentielle et il est ardu de revenir à une logique précise, d’en reconstruire les détails, les accusations et parfois même les imputés.

10 Celui contre Toni Negri18 et l’ Autonomia padovana est le plus impressionnant coup médiatico-judiciaire monté dans l’Italie républicaine : le puzzle des enquêtes est tellement compliqué et délirant qu’il faudrait un livre entier pour le décrire. Nous essayerons donc de résumer les événements de la façon la plus synthétique possible, en nous limitant aux enquêtes principales et aux événements les plus invraisemblables de cette affaire.

11 Le 7 avril 1979 la presse et la télévision donnent la nouvelle d’une rafle singulière qui, en peu d’heures, a emprisonné tous les présumés membres dirigeants des Brigades rouges. Les arrestations ont eu lieu dans toute l’Italie19 et ont été commanditées par le substitut du procureur de Padoue, Pietro Calogero. Presque tous les accusés sont des intellectuels : professeurs de l’université et du secondaire, journalistes, avocats, écrivains. Parmi les plus connus, nous citons Toni Negri, professeur de Doctrine de l’État à l’université de sciences politiques de Padoue, accusé d’être le chef et l’inspirateur de toute la galaxie subversive italienne. Viennent ensuite Nanni

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Balestrini20, Franco Piperno21, Oreste Scalzone, Giuseppe Nicotri22, Emilio Vesce23. La longue liste continue avec des dizaines de militants d’Autonomia Operaia et des ex- membres du groupe Potere Operaio24, dissout depuis 1973. Le mandat d’arrêt les accuse d’avoir organisé et dirigé une association subversive nommée Brigades rouges (Br), d’avoir constitué une bande armée25 ayant comme but de promouvoir l’insurrection contre les pouvoirs de l’État. De vouloir changer par la violence la Constitution et la forme actuelle du gouvernement, à travers des actions armées, des séquestrations, des assassinats, des incendies. D’avoir dirigé une association subversive nommée Potere Operaio, et d’autres associations liées entre elles, se référant toutes à Autonomia Operaia. De plus, selon les enquêteurs, PotOp ne se serait pas dissout en 1973, mais serait passé à la clandestinité. Pour terminer, malgré l’évidence des différences politiques et théoriques, Autonomia Operaia et les Brigades rouges seraient une seule et unique organisation terroriste. Cette hypothèse accusatoire prend le nom de teorema Calogero, du nom du substitut du procureur qui l’a lancée. Selon lui, il n’y a qu’un sommet qui dirige le terrorisme en Italie, une seule et unique organisation qui lie les Br et les groupes d’Autonomia. Une seule stratégie subversive qui vise à s’attaquer à l’ordre démocratique.

12 Le 7 avril, même le chef du bureau du Tribunal de Rome, Achille Gallucci, lance, à son tour, un nouveau mandat d’arrêt à l’encontre de dizaines de membres d’Autonomia et de Toni Negri qui est accusé26, entre autres, d’avoir organisé le massacre de via Fani27 et la séquestration d’Aldo Moro28. Comme si cette accusation, qui vaut à elle seule une perpétuité, n’était pas suffisante, pour la première fois dans l’histoire de la République italienne on a recours, contre Toni Negri, à l’article 284 du code pénal : « Per aver promosso un’insurrezione armata contro i poteri dello stato e commesso fatti diretti a suscitare la guerra civile nel territorio dello stato29. »

13 Il aurait été logique que Negri ait été accusé avec le groupe historique des Br, mais les juges ne se soucient pas d’émettre un mandat d’arrêt pour Curcio, Moretti, Franceschini et les autres.

14 Le retentissement de cet événement, en Italie, est énorme. Peu de jours après, Calogero interroge personnellement les accusés sans leur notifier de façon claire aucun fait spécifique, mais se limite à leur reprocher leurs opinions politiques : la défense se rend compte immédiatement qu’il n’y a aucune preuve réelle pour étayer l’accusation30 mais l’enquête passe dans les mains du Parquet de Rome.

15 Au même moment commence aussi la campagne journalistique contre Negri qui est accusé, en plus, d’être l’interlocuteur téléphonique des Br pendant la séquestration d’Aldo Moro. Selon l’accusation, Negri, le 30 avril 1978, aurait téléphoné chez le président de la DC, à ce moment-là séquestré par les Br. Le seul élément certain pour la Police, est que le coup de fil a été fait dans une cabine téléphonique de la gare Termini à Rome. Selon la thèse de la défense, confirmée par deux témoins, Negri, ce jour-là, se trouvait à Milan. Pour démêler l’écheveau de cette intrigue les juges confient l’enregistrement à quatre différentes expertises sonores qui n’aboutiront à rien de certain ni partagé. De plus, cet événement est l’objet d’une incroyable initiative journalistique : en janvier 1980, l’hebdomadaire l’Espresso offre à ses lecteurs un disque avec le fameux enregistrement, avec le slogan suivant : « Fais toi-même ton expertise sonore ! » Puisque la police italienne n’arrive à rien de concret, on décide d’envoyer l’expertise aux États-Unis : l’expert professionnel américain exclut qu’il puisse s’agir de la voix de Negri.

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16 Ces accusations tombées, le Tribunal de Rome émet un nouveau mandat qui remplace le précédent : à la place des Br apparaissent : « Più bande armate variamente denominate, destinate a fungere da avanguardia militante per centralizzare e promuovere il movimento verso sbocchi insurrezionali. »

17 L’avocat de Negri31 répond ainsi à cette accusation : Per rendersi conto dell’enormità e dell’illegittimità di un’imputazione così formulata basta sostituire al terrorista un delinquente comune e limitarsi a dire che un ladro è accusato di aver compiuto molti furti (senza però dire che cosa ha rubato), in molte città d’Italia (senza mai indicare dove), in molte occasioni (senza mai specificare quando sono avvenuti). È la stessa cosa che avviene per Negri e gli altri che sono accusati di aver organizzato non si sa quante bande armate né quali siano, né si sa dove e quando abbiano operato. Una vera mostruosità, che, di fatto, mette l'imputato nell’impossibilità di difendersi.

18 À partir des chefs d’accusation, les juges inventent une pratique judiciaire plutôt hétérodoxe : le remplacement des mandats de capture. La procédure classique voudrait que, quand les accusations changent, on soit acquitté pour les précédents chefs d’accusations, mais les enquêteurs inventent la formule : il presente mandato sostituisce i precedenti. Il arrive donc qu’on se retrouve devant un tableau judiciaire totalement changé et que, pour des accusations antérieures totalement privées de fondements, il n’y ait aucun acquittement judiciaire.

19 Amnesty International s’est longuement occupée de ce procès, surtout concernant l’imprécision et la faiblesse des preuves utilisées pour justifier des détentions prolongées. Très souvent les chefs d’accusation ont été laissés de côté et substitués par de nouvelles inculpations : ce qui a permis à l’autorité judiciaire de prolonger la détention préventive pour plusieurs incriminés32. Fin 1982, certains accusés avaient passé de 36 à 44 mois de détention préventive en attendant leur procès.

20 Pour mieux comprendre le cas de la détention préventive multipliée, voilà quelques lignes explicatives d’Emilio Vesce, un des accusés du procès 7 Aprile, qui méritent d’être cités intégralement : Per capire a quali livelli di barbarie giuridica fosse giunta la situazione, ci si limiterà qui a prospettare il caso di un imputato qualsiasi – lo chiameremo Tizio – arrestato il 7-4 con l’accusa di banda armata. In quel momento le prospettive di Tizio sono di trascorrere un massimo di 4 anni in carcere fino alla sentenza definitiva: ogni fase processuale (istruttoria, primo grado, secondo grado, Cassazione) deve concludersi entro un anno, pena la scarcerazione dell’imputato. Una prospettiva non allegra ma semplicemente idilliaca rispetto a quanto accade dopo. Infatti, dopo neanche tre mesi dall’arresto, Tizio si vede raddoppiare di botto gli anni da mettere in conto: 2 per ogni fase, 8 in tutto. Che è accaduto? I giudici romani lo hanno raggiunto con un nuovo mandato di cattura per insurrezione armata che prevede appunto i termini doppi. Per apprezzare l’assurdità della situazione non bisogna mai dimenticare che il principio in materia dovrebbe essere l’emissione del mandato di cattura solo in presenza di elementi di prova già acquisiti (non già da acquisire durante o peggio mediante l’effetto di pressione del carcere, seppure “preventivo”). Ora, il nuovo mandato non si basa su alcunché di diverso di quanto non esistesse il 7-4 e il suo unico scopo è perciò di “garantirsi” una lunga carcerazione degli imputati. Non contenti i giudici romani, a differenza di quelli del resto d’Italia, sosterranno che il reato di banda armata può essere “aggravato” dalla bizzarra circostanza di essere stato commesso da più di 5 persone, ottenendo così, anche per questa via, il raddoppio dei termini. Ma non è finita. Tizio ha appena finito di riprendersi dallo sbigottimento che giunge una nuova definitiva mazzata. Nel dicembre dello stesso anno viene emanato il decreto Cossiga. Tra l’altro esso dispone l’aumento di un terzo dei termini di “preventiva” dei reati di terrorismo, e, quel che è più, con valore retroattivo. Ed ecco che nel giro di pochi mesi Tizio è passato da quattro a dodici anni di possibile carcere preventivo senza che nulla della sua situazione processuale (indizi,

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addebiti concreti, ecc.) sia minimamente mutato. Resterà probabilmente tra le pagine più nere della giurisprudenza della stessa Corte Costituzionale la sentenza con cui due anni più tardi verrà salvata la retroattività di tali norme penali peggiorative, per puro ed esplicito ossequio alla ragion di Stato. Gli imputati del “7 aprile” hanno comunque avuto la sentenza di primo grado dopo cinque anni e due mesi di carcerazione preventiva33.

21 Mais retournons aux accusations du juge Calogero : le 5 juillet 1979 il est interviewé par le Corriere della Sera et, à la question de combien de preuves concrètes il a recueillies contre les inculpés et s’il les accuse de faits spécifiques, il répond de la manière suivante : Pretendere questo mi sembra ingenuo e sbagliato. L'accusa non ritiene di avere individuato i manovali del terrorismo, ma i loro dirigenti e mandanti. Un dirigente, per la natura stessa del ruolo e del tipo di organizzazione, certamente non va a fare attentati. Sarebbe una rinuncia alla sua funzione, che è quella di dirigere e non di eseguire. […] Perciò non si possono attendere, in questo caso, prove di fatti terroristici specifici. Noi abbiamo cercato, e crediamo di avere scoperto, le prove che accusano i dirigenti del partito armato34.

22 En réalité, les seules preuves à charge de Negri sont ses articles35. La recherche d’incriminations possibles se base ainsi exclusivement sur des délits d’opinion, en produisant une inflation disproportionnée des accusations36.

23 Le magistrat Vincenzo Accattatis écrit : I “fatti” contestati ai leaders di Autonomia praticamente sono rimasti sempre gli stessi, mentre le imputazioni hanno subito un crescendo vorticoso, come se “gli stessi” fatti potessero essere letti in un modo o in un altro secondo gli “umori” degli inquirenti, oppure al fine di ottenere alcuni pratici risultati (ad esempio, l'estradizione di Piperno dalla Francia)37.

24 Au début du mois de décembre 1979, nous voilà devant un nouveau coup de théâtre : le proto-repenti Carlo Fioroni38 fait sa rentrée dans le procès, en racontant une histoire de Potere Operaio et de la lutte armée au moins tout aussi extravagante que le teorema Calogero. Ce personnage traversera et marquera tout le procès 7 Aprile : techniquement, il est le premier repenti des années de plomb. Au moment où il demande de parler aux magistrats, encore aucune loi ne prévoit des réductions de peine ou des facilitations pour les repentis, les dissociés et les collaborateurs. Suite à sa collaboration, grâce à la loi de 1980 qui récompense les personnes qui collaborent avec la justice, il bénéficie d’une réduction de peine de 20 ans39.

25 Fioroni lie le nom de Toni Negri et de 149 autres terroristes à quantité de délits, y compris ceux pour lequel il est lui-même accusé, comme le meurtre de l’ingénieur Saronio40, et pour lesquels il avait déjà plaidé coupable dans le passé. Comme si cela ne suffisait pas, il accuse les membres d’Autonomia d’autres crimes dont il ne peut pas avoir connaissance, puisqu’il était déjà en prison au moment des faits. Ses aveux sont émaillés d’invraisemblances et de passages totalement illogiques : suite à ses révélations, des dizaines des personnes sont arrêtées, et celles qui étaient déjà accusées reçoivent de nouveaux mandats d’arrêt et des communications judiciaires. En un mot, Fioroni devient la principale source des accusations de ce procès, et de ses aveux partent les mandats d’arrestation réalisés le 21 décembre 1979.

26 Le plus lourdement frappé est à nouveau Toni Negri, qui est accusé aussi de cambriolages, de détention d’armes et d’explosifs, d’attentats incendiaires, de falsification de papiers d’identité, de séquestrations, de meurtres et même du vol d’un tableau du XIIe siècle et d’une précieuse collection de timbres ! Negri sera acquitté de toutes ses imputations, et même de celles d’appartenance aux Br, après que le repenti le plus connu de la lutte armée, Patrizio Peci41, aura fait tomber les accusations du

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teorema Calogero le 1 er avril 1980. Celui-ci demande à être écouté par les juges et est interrogé par Giancarlo Caselli. Pendant cet interrogatoire il dément la thèse selon laquelle Negri serait le cerveau des Br et leur téléphoniste42. Il confirme sa version, peu de semaines plus tard, à Calogero.

27 L’affaire Fioroni, en plus d’avoir évidemment été contestée par la défense, a été traitée aussi dans un rapport d’Amnesty International qui en reconstruit l’histoire : La principale fonte di accusa contro gli imputati del “7 aprile” fu un ex membro di Potere Operaio, Carlo Fioroni che fu scarcerato nel febbraio del 1982 dopo aver scontato sette anni di carcere sui 27 ai quali era stato condannato […] La Corte d’Assise di Milano, che lo processò su queste accuse definì Fioroni un “eccezionale mentitore”. […] Secondo la legge italiana gli imputati che in istruttoria sono stati interrogati e si trovano in fondamentale disaccordo con le informazioni acquisite in istruttoria, possono essere autorizzati ad un confronto con la persona che ha fornito le informazioni, alla presenza del giudice. Molti chiesero perciò ripetutamente al giudice di autorizzare un confronto con Fioroni. Le richieste furono tutte respinte e gli imputati si videro così obbligati ad attendere il dibattimento prima che potessero essere poste pubblicamente domande a Fioroni43.

28 Fioroni a été libéré en février 1982, après 7 ans de prison : au moment de participer au procès, il disparait, et aucun des accusés ne peut se confronter avec lui ou demander au juge de l’interroger devant la Cour. On saura par la suite qu’il a été aidé par les autorités à quitter l’Italie avec un faux passeport. On saura aussi que le Premier ministre de l’époque, Giovanni Spadolini, était au courant. Son témoignage fut néanmoins accepté aux actes du procès bien que toute possibilité de confrontation avec les accusées ait été niées.

29 À partir de 1980, pour le groupe 7 Aprile, bien que d’autres blitz (opérations éclair) d’importance secondaire aient été commandés en 1982 et 1983, commence l’attente du procès.

30 En mars 1981 se termine, à Rome, la phase d’instruction qui a duré presque deux ans : au total, sont poursuivies en justice 71 personnes dont 12 accusées d’insurrection armée contre l’État. Début juin 1982 devrait commencer le véritable procès : la Cour décide de faire avoir lieu, alternativement devant la même Cour et les mêmes juges, aussi bien le procès 7 Aprile que le procès des brigadistes accusées de l’assassinat d’Aldo Moro. Évidemment la défense réagit à cette décision qui peut jeter davantage de trouble dans le bon déroulement d’un procès déjà en soi si délicat.

31 À presque quatre ans des arrestations, en mars 1983, commence enfin le procès des accusés du 7 Aprile : à ce moment-là, Toni Negri est élu au Parlement sur les listes du parti radical et sort de prison. Il s’enfuit en France quand la Chambre accorde l’autorisation à procéder à sa nouvelle incarcération44. Presque personne, parmi les membres de son parti et les co-accusés, n’est d’accord avec cette fuite qui est plutôt interprétée comme un acte de couardise.

32 Le 12 juin 1984, le procès devant la cour d’assises de Rome se conclut : la Cour condamne les accusés à plus de 500 ans de prison45. Toni Negri est reconnu coupable de plusieurs crimes46, tout comme Oreste Scalzone47 et Emilio Vesce 48. La majorité des condamnations sont néanmoins bien inférieures à celles que l’accusation avait demandées.

33 Le 30 janvier 1986 se termine le procès en appel à Padoue : tous les principaux accusés sont acquittés49. De cette façon, la Cour montre qu’elle n’a pas accepté le teorema Calogero.

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34 En août 1986, Amnesty International publie un rapport intitulé : Processo 7 Aprile – Italia: L'interesse di Amnesty International a che venga fatto un processo equo in tempi ragionevoli. La conclusion de ce rapport est que les autorités italiennes ont violé tous les accords européens et internationaux garantissant des procès équitables et effectués en des temps raisonnables, et exprime quatre critiques principales sur le déroulement du procès. Trois de ces observations concernent la durée de la détention préventive des accusés, dont 12 ont passé 5 ans en prison dans l’attente d’être jugés. Les lois spéciales sur l’ordre public sont entrées en vigueur après leurs arrestations, mais ont été appliquées rétrospectivement pour prolonger davantage l’incarcération. Les juges ont aussi circonvenu les limites légales d’incarcération en émettant de nouveaux mandats d’arrestation peu avant l’expiration des termes de la détention préventive, pour que les accusés puissent être gardés en prison si le tribunal le souhaitait. Toujours selon Amnesty, les autorités ont violé l’article 53 de la Convention européenne, qui proclame le droit à un procès équitable ou à la remise en liberté50.

35 La quatrième préoccupation d’Amnesty International est que le témoin-clé de l’accusation, Carlo Fioroni, a quitté l’Italie avec l’aide des autorités après avoir déposé contre les incriminés. Ses témoignages ont été couverts par le secret de l’instruction, de façon à ce que la Cour ne soit pas à même de le convoquer pendant le procès. Tout en regrettant sa disparition, la Cour finit toutefois par accepter les requêtes de l’accusation, incluant dans les actes les informations données pendant l’instruction51.

36 Le 8 juin 1987 la cour d’assises prononce en appel le jugement du second degré et réduit considérablement les peines de tous les inculpés52. En ce qui concerne Toni Negri : La Corte lo assolve dal delitto di insurrezione armata contro i poteri dello Stato perché il fatto non sussiste; lo assolve dai delitti di sequestro e omicidio Saronio ed occultamento di cadavere; lo assolve dal tentato sequestro Duina e reati connessi; lo assolve dall’introduzione nello Stato di esplosivo, dal furto in danno di Seguso. Concede le attenuanti generiche per gli altri reati e riduce la pena a anni 12 di reclusione53.

37 Negri est néanmoins reconnu coupable de complicité dans un cambriolage où un brigadier a perdu la vie54, ainsi que de participation à bande armée et d’association subversive.

38 En pratique, la Cour rejette, pour manque de preuves, la théorie selon laquelle les dirigeants de Potere Operaio auraient été les mêmes que ceux d’Autonomia, et que cette dernière, à son tour, était à la tête du terrorisme d’extrême gauche en Italie55. La sentence d’appel est confirmée en Cassation en 1988.

39 L’histoire du procès 7 Aprile se termine ainsi : neuf ans se sont écoulés depuis le début, les accusés, dans leur globalité, ont subi trois cents ans d’emprisonnement préventif et dans leur majorité ont été acquittés.

40 En relisant l’histoire à froid, la disproportion entre les accusations initiales et celles finalement retenues apparaît dans toute son ampleur. De plus, nous pouvons aisément dire que ce procès a été un grand laboratoire dans lequel ont été expérimentés la loi sur les repentis, les maxi-procès, les crimes d’association, la logique du soupçon, l’utilisation de la magistrature et de la justice comme arme politique.

41 Nous voudrions conclure par les mots que Rossana Rossanda a écrit sur Il Manifesto à la fin de cette odyssée judiciaire qui, non seulement n’a pas abouti à la découverte et au démantèlement de la lutté armée en Italie, mais qui a été une énième injustice au sein d’un pays marqué par deux décennies de violence.

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I grandi sostenitori del delirio del procuratore padovano Calogero, del primo pentito, ancorché assassino comune, Fioroni e delle leggi speciali sono stati un drappello di magistrati, avvocati, giornalisti e dirigenti comunisti, con il codazzo ossequente dell’Unità e di Repubblica. […] Un uomo come Luciano Ferrari Bravo, ieri assolto, fu condannato in primo grado a 14 anni e 5 ne aveva già fatti in carcere. Chi glieli restituirà? […] Forse l’Espresso, che regalò ai lettori la voce del telefonista delle Br a Eleonora Moro, perché fosse riconosciuta come quella di Negri? Repubblica che ne titolò festosamente l’arresto come capo delle Br a piena pagina? Questa non è stata soltanto una pagina scandalosa della giustizia italiana, come rilevava da tempo Amnesty International. È stata una storia di silenzi codardi e coperture. […] Istituzioni e stampa hanno contribuito indecentemente a un’operazione politica bassa, la più bassa della magistratura della repubblica. […] Abbiamo contato sulla punta delle dita giuristi e intellettuali disposti a spendere impegno e riflessione, a trovare abominevole che un’idea politica che si poteva non condividere affatto fosse consegnata non alla lotta politica ma a un trucco giudiziario56.

NOTES

1. S. Giuliano, « Italiani, perché non dovremmo? », Lotta continua, 23 août 1977. 2. Autonomia Operaia est un mouvement de la gauche extraparlementaire actif entre 1973 et 1979. Il ne s’agit pas d’un véritable parti, mais d’un groupe dans lequel confluent certains représentants de la gauche révolutionnaire en opposition à la gauche réformiste. Il s’agit d’un ensemble d’expériences très différentes, d’une organisation qui essaie d’unifier les luttes et les protestations des ouvriers et des étudiants. Autonomia soutient la lutte contre l’État, et contre institutions sociales et économiques à travers des actions illégales de masse et des actes de désobéissance civile. Le mouvement autonome italien est peut-être l’un des mouvements de lutte les plus puissants de l’histoire récente occidentale. 3. Carlo Fioroni est le premier repenti de la lutte armée italienne, bien avant que la loi sur les repentis n’existe. Parmi eux, il est le seul qui n’a pas été obligé de participer aux procès pour se confronter avec ses accusés. Sa collaboration réside sur la thèse que Potere Operaio est à l’origine de tout le terrorisme italien. Pour lui, non seulement les Brigades rouges sont issues de là, mais même Prima Linea. Il accuse, entre autres, Toni Negri d’un crime qu’il a lui-même commis : le meurtre de Carlo Saronio. 4. Emilio Alessandrini (1942-1979) : magistrat italien assassiné par un commando du groupe Prima Linea. 5. Walter Tobagi (1947-1980) : journaliste et écrivain assassiné dans un attentat préparé par le groupe d’extrême gauche Brigata XXVIII Marzo. 6. James Lee Dozier : général étasunien séquestré par les Brigades rouges, à Vérone, le 17 décembre 1981, alors qu’il était commandant de l’OTAN dans l’Europe méridionale. Il a été libéré à Padoue le 28 janvier 1982 par une incursion des NOCS (Nucleo Operativo Centrale di Sicurezza). 7. Voir, pour plus de détails à ce sujet, le Pacte International relatif aux droits civils et politiques adopté à New York le 16 décembre 1966 par l’Assemblée générale des Nations unies et ratifié par l’Italie la même année. 8. Pour désigner un état d’urgence et ses lois, le Dictionnaire de philosophie politique donne la définition suivante : « L’ensemble des moyens prévus pour faire face à une situation d’extrême danger. Ces moyens qui favorisent le renforcement du pouvoir et la concentration de son

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exercice, sont de deux ordres : restriction ou suspension des libertés publiques et de certaines garanties constitutionnelles, d’une part ; transgression plus ou moins étendue du principe de séparation des pouvoirs au bénéfice de l’exécutif, d’une autre part, celle-ci pouvant aller jusqu’au transfert à l’autorité militaire des pouvoirs ordinaires de police, voire des compétences juridictionnelles. » (J. F. Kervégan, « État d’exception », Dictionnaire de philosophie politique, Paris, PUF, 1996, p. 231.) 9. À ce propos, voir P. Persichetti, O. Scalzone, La révolution et l’État, Paris, Éditions Dagorno, 2000. 10. Pour l’État italien l’exception n’est plus une entorse au règlement mais devient loi permanente ; la fonction étatique se réduit alors au contrôle policier et tout conflit social doit être prévenu par le perfectionnement du contrôle collectif et la répression qui s’applique avec l’augmentation des pouvoirs aux forces de l’ordre. 11. Année de l’approbation de la loi Reale, qui accroît énormément les pouvoirs et l’immunité de la police. Elle prend le nom du ministre qui l’a rédigée : le républicain Oronzo Reale. 12. Giovanni Bovio, dans le Corriere della Sera du 4 mai 1975. 13. Loi no 534 du 8 août 1977. 14. Les juges de l’enquête romaine du 7 Aprile affirment, le 27 mai 1979, dans le quotidien le Corriere della Sera : « Stiamo cercando di ricostruire il percorso ideologico che ha portato l’imputato a commettere i gravissimi reati di cui è accusato […]. L’imputato non si è ancora reso conto di questo e continua ad attendersi che gli venga contestato un fatto preciso. » 15. Le compromis historique est la proposition faite par le secrétaire du PCI, Enrico Berlinguer, à la DC pour une collaboration dans le gouvernement de façon à interrompre la conventio ad escludendum de son parti. Le compromis échoua à cause de l’hostilité de Paul VI et des États-Unis, mais aussi à cause de l’assassinat, en mai 1978, d’Aldo Moro qui était le membre DC le plus favorable à cet accord. 16. « Perché il Partito Comunista di allora sia stato il soggetto che più di tutti ha lavorato a questa ipotesi repressiva è faccenda complessa. La relazione con i movimenti extraparlamentari ha origini nel PCI del dopoguerra, negli anni ’60, nelle risposte dello Stato. […] Il PCI, nella sua logica stalinista, non poteva comunque concepire che ci fossero dei percorsi, dei processi di quella portata ai quali non era interno, né tantomeno in grado di esercitare controllo. Era fallita la strategia fatta di piccoli passi che puntava sull’introduzione di elementi di socialismo, nella convinzione che lo sviluppo della democrazia fosse comunque il procedere verso il socialismo: pensiero gramsciano, poi togliattiano, che si è tradotto volgarmente nel compromesso storico di Berlinguer. Fallito anche quello, era venuto il governo di unità nazionale contro il terrorismo, che costituiva il vicolo cieco in cui era finito un partito che vedeva solo nemici a sinistra da combattere. Nella sua logica stalinista non era riuscito a capire il ’77, ha portato ai disastri degli anni ’80 e anche agli attuali. » (Témoignage de G. Boetto dans Processo sette aprile: Padova trent’anni dopo. Voci della “città degna”, Rome, Manifestolibri, 2009, p. 49.) 17. Ibid., p. 83. 18. Antonio Negri, philosophe italien. Jeune professeur à l’Institut de sciences politiques de l’université de Padoue, dans les années 1960, il participe à la rédaction de la revue Quaderni Rossi. En 1967 il fonde, avec Oreste Scalzone, le groupe Potere Operaio qui s’auto-dissout en 1973. Il participe ensuite au mouvement autonome italien d’Autonomia Operaia à travers les Collectifs Politiques Ouvriers et le journal Rosso. 19. Principalement à Padoue, Milan, Rome, Turin et Rovigo. 20. Poète et écrivain. 21. Professeur de physique à l’université de Cosenza. 22. Journaliste de la Repubblica et de l’Espresso. 23. Rédacteur des revues Rosso et CONTROinformazione. 24. Groupe opéraïste italien fondé en 1969 par Toni Negri et Oreste Scalzone. 25. Article 306 du Code pénal italien : « Banda armata: formazione e partecipazione. Quando, per commettere uno dei delitti indicati nell’articolo 302, si forma una banda armata, coloro che la promuovono

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o costituiscono od organizzano, soggiacciono, per ciò solo, alla pena della reclusione da cinque a quindici anni. Per il solo fatto di partecipare alla banda armata, la pena è della reclusione da tre a nove anni. I capi o i sovvertitori della banda armata soggiacciono alla stessa pena stabilita per i promotori. » 26. Avec Moretti, Alunni, Micaletto, Peci, Faranda, Morucci et 16 autres membres des Br. 27. Le 16 mars 1978, il fut enlevé à Rome, via Fani, par les Brigades rouges qui tuèrent tous les membres de l’escorte du président de la DC. 28. Le mandat, entre autres, dit : « Esistono molti elementi probatori che portano ad identificare nel Negri il brigatista rosso che telefonò a casa dell’onorevole Moro durante il sequestro di costui. » 29. Article 284 du Code pénal italien : Insurrezione armata contro i poteri dello Stato : « Chiunque promuove un’insurrezione armata contro i poteri dello Stato è punito con l’ergastolo. Coloro che partecipano all’insurrezione sono puniti con la reclusione da tre a quindici anni; coloro che la dirigono, con l’ergastolo. L’insurrezione si considera armata anche se le armi sono soltanto tenute in un luogo di deposito. » 30. À ce moment-là le substitut du procureur général Claudio Vitalone, futur sénateur de la démocratie chrétienne, fait cette première déclaration : « Non abbiamo fatto un polverone. Questa operazione, concertata da varie procure, è basata su prove e non su semplici indizi, né tanto meno su scritti o saggi ideologici. Non abbiamo alcuna intenzione di criminalizzare il dissenso: a tutti gli arrestati vengono addebitati fatti delittuosi specifici. » (I. Palermo, Condanna preventiva. Cronaca di un clamoroso caso giudiziario che si vuole dimenticare: il 7 Aprile, Naples, Tullio Pironti Editore, 1982.) 31. Giuseppe Leuzzi Siniscalchi. 32. « Alcuni degli imputati del 7 Aprile erano accusati di aver partecipato al sequestro e all’omicidio dell’ex-Presidente del Consiglio Aldo Moro, ma l’imputazione è caduta nel dicembre 1980. Comunque, agli imputati vengono contestati i reati di associazione sovversiva e di organizzazione e partecipazione a banda armata. Alcuni di loro devono difendersi da un terzo capo d’accusa, “insurrezione armata contro i poteri dello Stato” (art. 284), reato punibile con l’ergastolo. Il ricorso a tale imputazione non registra precedenti. » (Amnesty International Report, 1981, p. 304-305.) 33. < http://www.radioradicale.it/exagora/processo-7-aprile-il-prototipo-dellemergenza> [consulté le 05/10/2009]. 34. Corriere della Sera, 5 juillet 1979. 35. Calogero : « Il testimone principale contro Negri è Negri stesso. » (Ibid.) 36. Tout comme Negri, Ferrari Bravo est sur la liste des accusés simplement pour avoir écrit sur le journal Rosso et pour avoir laissé des notes compromettantes sur ses cahiers (des titres d’articles pour le journal). Libero Maesano, Lucio Castellano et Paolo Virno sont accusés pour le simple fait d’avoir écrit sur Metropoli où est apparue une bande dessinée sur la séquestration d’Aldo Moro. Pour les enquêteurs il s’agit de l’exacte reconstruction de la prison du peuple où il était détenu mais on découvrira, par la suite, que le dessinateur s’était inspiré du feuilleton Grand Hotel ! 37. V. Accattatis, « Processo 7 Aprile: un processo politico », Critica del Diritto, no 23-24, art. cité, p. 28. 38. Proto-repenti en tant que premier collaborateur de justice d’Italie avant même que la loi sur les repentis n’existe. 39. Lire, à ce sujet, A. Beccaria, Pentiti di niente, Rome, Nuovi Equilibri, 2008. 40. L’ingénieur Carlo Saronio, militant PotOp, a été kidnappé la nuit entre le 14 et le 15 avril 1975 par Carlo Casirati, délinquant de droit commun en contact avec PotOp. Fioroni, lui-même ex- membre du même groupe, lui avait donné les informations nécessaires pour la séquestration. Saronio, à cause d’une dose massive de narcotique, meurt le soir même et Casirati jette son cadavre dans une déchetterie en cachant les faits à Fioroni qui, en même temps, fait payer une rançon de 67 millions de lires à sa famille. 41. « L’Ufficio fa presente al Peci che se nel corso di questa o altre istruttorie risultassero provati contatti ulteriori di Negri con le Br fino a epoca attuale, sarebbe legittimo porre in dubbio l’attendibilità di una parte rilevante delle dichiarazioni già da lui rese, poiché non sarebbe verosimile che egli, per il ruolo

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rivestito nell’organizzazione, non ne fosse venuto a conoscenza; e potrebbero risultare altresì pregiudicati i vantaggi che dalle confessioni rese egli può attendersi. » (I. Palermo, Condanna preventiva, ouvr. cité, p. 131.) 42. Peci indique dans la personne de Mario Moretti le téléphoniste qui appela chez Aldo Moro. 43. Amnesty International, Il processo 7 Aprile, Roma (1979-1984), Rome, 1986, p. 16. 44. À ce propos, lire : < http://www.camelotideale.it/tag/fuga-di-toni-negri-in-francia/> [consulté le 05/10/2009]. 45. Deux imputés sont déclarés non punissables pour avoir collaboré. 13 sont acquittés pour manque de preuves ; 34 sont coupables de crime d’association ; 21 coupables de crimes spécifiques. Le Ministère public affirme qu’il n’y a pas assez de preuves pour soutenir l’accusation d’insurrection armée et demande à la Cour de la rétracter. La durée des peines de détention varie entre 1 an et 4 mois à 30 ans, la peine donnée à Negri pour qui l’accusation avait demandé la perpétuité. 46. Complicité dans l’assassinat du brigadier Lombardini, l’assassinat de Carlo Saronio, tentative de séquestration de Duina et d’autres crimes mineurs comme des vols et, pour finir, bande armée et association subversive. 47. Condamné à 20 ans. 48. Condamné à 14 ans pour bande armée et association subversive. 49. Toni Negri (pour qui on avait demandé 11 ans pour détention d’armes), Luciano Ferrari Bravo, Alberto Funaro, Gianfranco Pancino, Franco Tommei, Emilio Vesce, Alisi Del Re, Carmela di Rocco, Guido Binchini, Alessandro Serafini et Fausto Schiavetto. 50. L’article prévoit aussi une attention particulière au cas où les accusés soient encore en prison : dans ce procès il y a eu un retard d’au moins 15 mois pendant lesquels il n’y a eu aucune activité judiciaire et les accusés sont restés en prison. 51. Amnesty International Report 1987, p. 300-301. 52. Entre autres, sont acquittés : Emilio Vesce, Luciano Ferrari Bravo, Lucio Castellano, Paolo Virno, Alberto Magnaghi, Jaroslav Novak, Giuseppe Nicotri. 53. La Repubblica, 9 juin 1987. 54. Le brigadier Lombardini. 55. « Tutti gli imputati accusati di insurrezione armata al primo processo sono stati assolti dall’imputazione in appello, per il fatto che non c’è stata alcuna insurrezione. Molti degli imputati principali sono stati assolti per insufficienza di prove dall’imputazione di aver formato o partecipato a una banda armata, e altri sono stati assolti da reati di violenza. » (Amnesty International Report 1987, p. 206-207.) 56. R. Rossanda, « Una riparazione », Il Manifesto, 9 juin 1987.

RÉSUMÉS

Il y a à peine plus de trente ans, par une opération de ratissage de dizaines de membres d’Autonomia Operaia, commençait le très célèbreprocès 7 Aprile. L’expression 7 Aprile évoque plusieurs aspects : l’axiome judiciaire italien par excellence (le teorema Calogero, du nom du juge d’instruction de Padoue qui commanda les arrestations) ; la campagne de presse la plus unanime et la plus implacable contre les accusés de notre histoire républicaine ; l’utilisation la plus arbitraire de la détention préventive et du remplacement des chefs d’accusation, ainsi que le

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premier cas, dans l’histoire italienne, où les déclarations d’un repenti pèsent davantage que les preuves, les alibis et les témoignages en faveur des accusés. Dans les pages qui suivent, nous essaierons d’analyser de façon organique ce procès, dont l’intérêt réside dans le fait qu’il représente l’exemple le plus typique de l’état d’urgence dans lequel vivait l’Italie pendant les années 1980 et à partir duquel la structure pénale italienne a été totalement modifiée.

Nel 1979 vengono arrestati decine di appartenenti all’organizzazione d’Autonomia Operaia e comincia il celeberrimo processo 7 Aprile. Questa espressione fa riferimento a diversi aspetti: il teorema Calogero, cioè l’assioma giudiziario secondo cui Autonomia Operaia e le Brigate rosse costituissero un unico movimento terroristico, l’accanitissima campagna di stampa contro gli accusati e l’uso del tutto arbitrario della detenzione preventiva. L’inchiesta del 7 Aprile fu il primo caso della storia giudiziaria italiana in cui le “confessioni” di un pentito hanno pesato più di ogni ragionevole alibi o testimonianza in favore degli accusati. Nell’articolo si cercherà di mostrare che questo processo rappresenta l’esempio più flagrante dello stato d’emergenza nel quale viveva l’Italia degli inizi degli anni Ottanta e che, a partire da esso, l’intera struttura penale e processuale italiana risulterà radicalmente modificata.

In 1979, after the arrest of dozens of members of the radical left movement Autonomia Operaia, the trial known as 7 Aprile began. The phrase 7 Aprile brings to mind a number of themes: the so- called “teorema Calogero”, that is the claim made by the examining judge that Autonomia Operaia and the Red Brigades were the same terrorist group; the press’s relentless attacks on the accused; the totally arbitrary use of preventive detention; and the unprecedented reliance on the declarations of pentiti [ repentant], whose “confessions” were given more weight than the testimonies and alibis that favoured the accused. This essay will argue that this trial represents the best example of the state of emergency in 1980’s Italy, and the way in which the Italian criminal justice system was radically transformed in those years.

INDEX

Mots-clés : 7 Aprile, Autonomia Operaia, Brigades rouges, lutte armée, repenties, teorema Calogero Parole chiave : Autonomia Operaia, Brigate Rosse, pentiti, Processo 7 Aprile, teorema Calogero Keywords : 7 Aprile, Autonomia Operaia, pentiti, Red Brigades, teorema Calogero

AUTEUR

ELISA SANTALENA Université Stendhal – Grenoble 3

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Les Cobas (Comités de Base) en Italie au cours des années quatre-vingt : naissance d’un phénomène I Cobas negli anni Ottanta: nascita di un fenomeno The CoBas: a 1980s phenomenon

Rodolphe Pauvert

1 Les Cobas ou Comités de Base, sont la nouvelle forme d’expression syndicale qui voit le jour au cours des années 1980. Ils apparaissent, dans la littérature relative au syndicalisme italien, comme des objets non identifiés ou, du moins, très mal identifiés et, surtout, très peu étudiés. Bruno Fiorai, par exemple, dans son ouvrage Il sistema sindacale italiano e il principio di maggioranza, n’y fait qu’une vague allusion sans apporter la moindre explication : [...] ainsi que les nouvelles agrégations syndicales (Cobas et formes semblables)1.

2 Pour sa part, Sergio Turone, propose, dans son anthologie du syndicalisme italien depuis la fin de la seconde guerre mondiale, une explication peu convaincante et peu documentée : À l’origine du phénomène a été l’introduction, dans le secteur public, d’une contractualisation à échéance triennale, semblable à celle qui est d’usage pour les salariés des entreprises privées, dont les relations salariales sont régies par des conventions collectives2.

3 Afin d’essayer de définir ce que sont précisément ces Cobas et d’envisager la place qu’ils ont occupée ou qu’ils occupent encore dans le paysage syndical italien, et plus largement dans la société italienne, nous ne pouvons nous limiter à un examen factuel de la question.

4 En effet, il convient, tout d’abord, de nous intéresser aux spécificités des organisations syndicales italiennes afin de comprendre le contexte qui a permis l’émergence du phénomène considéré et, surtout, afin d’essayer d’en identifier les causes et les moteurs réels.

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Le syndicalisme en Italie avant l’avènement des Cobas

5 L’examen historique de la question syndicale en Italie ainsi que celui de l’organisation structurelle et financière des trois confédérations présentes au début des années 1980 a un double objectif. Dans un premier temps, il s’agit de mettre en évidence des cycles de vie propres à ces organismes avant de proposer une modélisation fonctionnelle du syndicalisme italien de l’époque.

Contextualisation historique

6 La première forme d’organisation de travailleurs qui apparait sur le territoire italique est celle des Società Operaie di Mutuo Soccorso. D’abord constituées dans le Piémont au milieu du XIXe siècle, elles jouent un double rôle : défendre les intérêts des salariés face à leurs employeurs mais également les assister, à la façon des organismes mutualistes que nous connaissons aujourd’hui3. Ainsi, par exemple, dès 18484, une quarantaine d’ouvriers typographes turinois créent la Società dei Compositori Tipografi. Le phénomène se diffuse progressivement à d’autres secteurs et à d’autres territoires5. Dans un second temps, des fédérations vont se constituer afin de coordonner l’action des différentes sociétés de travailleurs. La première, l’Associazione fra gli operai tipografi italiani, voit le jour à Rome en 18726.

7 Bien que le développement industriel de l’Italie ait quelque retard par rapport à celui de la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou encore la France7, la classe ouvrière italienne présente à la fin du XIXe siècle participe, à Londres, à la création de l’Association internationale ouvrière (28 septembre 1864)8.

8 Alors que le nord s’industrialise, la figure de l’ouvrier devient plus nette et les intérêts de la masse prolétaire deviennent communs. Une conscience politique se structure. En 1882, elle conduit à la naissance du parti ouvrier italien, qui fonctionne davantage comme syndicat que comme parti politique9, ainsi qu’à celle du parti socialiste en 189210. Pour ce dernier, les Camere del Lavoro qui sont en train de voir le jour sur le territoire, représentent des structures sur lesquelles s’appuyer pour organiser la lutte ouvrière11.

9 En 1891, face à la montée du socialisme et du communisme, auxquels l’Église est hostile, le pape Léon XIII invite les croyants à créer leurs propres organisations12. Le syndicalisme “blanc”, c’est-à-dire catholique se développe13.

10 En 1900, le syndicalisme italien montre tout son pouvoir : la grève organisée le 19 décembre de cette année pour protester contre la dissolution de la Camera del Lavoro de Gênes conduit à la chute du gouvernement Sarocco14. Les syndicalistes comprennent vite qu’en regroupant leurs forces et en coordonnant leurs actions, ils peuvent être entendus. En 1906 (29 septembre-1er octobre), à l’initiative de la Federazione Italiana Operai Metallurgici (FIOM), la Confederazione Generale del Lavoro (CGL) est constituée15 afin d’aller plus loin dans l’action. La convergence conduit, notamment, à la centralisation des décisions.

11 En 1912, un nouveau coup est porté à la CGL : les syndicalistes révolutionnaires l’abandonnent et ils se regroupent au sein de l’Unione Sindacale Italiana16.

12 Au sortir de la première guerre mondiale, plusieurs partis politiques sont créés : le parti fasciste, le parti communiste et le parti populaire italien. Le paysage politique se

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construit encore un peu plus. Parallèlement, le mécontentement populaire grandit. La guerre est finie mais la crise économique sévit. Au cours du biennio rosso (1919-1920), le nombre d’inscrits à la CGL double, pour atteindre 2 320 163 et alors que le chiffre n’était que de 249 039 en 191817. Le poids des syndicats ne cesse d’augmenter, notamment grâce à la création des consigli di fabbrica18 qui permettent aux ouvriers de s’exprimer.

13 Face au poids qu’acquiert la masse prolétaire, la bourgeoisie décide de soutenir le fascisme pour endiguer l’avancée des mouvements ouvriers19. Les résultats ne se font pas attendre. Le début du ventennio fascista marque un coup d’arrêt brutal au débat d’idées qui a vu le jour lors de la période précédente et au ré-équilibrage qui commençait à s’opérer entre salariés et patrons20. Suite au Patto di Palazzo Chigi (1925)21 et au Patto di Palazzo Vidoni (2 ottobre 1925)22 signés entre la Confindustria et le régime fasciste, seul le syndicat fasciste est officiellement reconnu23. Par la suite, les syndicats sont purement et simplement dissous24.

14 Le syndicalisme libre n’est pas mort pour autant. Il se réorganise dans la clandestinité et il montrera toute sa force à l’occasion des grèves organisées dès 1943 dans le nord du pays25. Les syndicalistes jouent un rôle non négligeable dans la libération du pays. Le fait est d’importance car il donnera une légitimité indiscutée à leurs organisations pour toute la seconde moitié du vingtième siècle.

15 Le 4 juin 1944, la veille de la libération de Rome, le PCI, la DC et le PSI signent le Patto di Roma selon lequel la lutte syndicale ne peut s’organiser que dans l’unité. Du 28 janvier au 1er février 1945 s’ensuit le premier congrès de la Confederazione Generale Italiana dei Lavoratori (CGIL) : l’organisation syndicale unitaire voulue par le pacte26. La bourgeoisie n’a pas trop à craindre de la remontée des forces de gauche car, très vite, dès 1947, le parti socialiste et le parti communiste sont mis à l’écart du pouvoir27. Les syndicats n’arrêtent pas pour autant leur travail mais, alors que le paysage politique se recompose, le paysage syndical connaît également des transformations.

16 Le 14 juillet 1948, suite à l’attentat commis contre le secrétaire général du PCI, Palmiro Togliatti, la CGIL décrète la grève générale. Pour manifester leur opposition à cette décision, le courant démocrate-chrétien ainsi qu’un groupe de républicains décident d’abandonner la CGIL28. En 1950, ils s’unissent au sein de la Confederazione Italiana dei Sindacati Lavoratori (CISL). De nombreux républicains laïcs et de socialistes ne se reconnaissent ni dans la CGIL ni dans les nouvelles agrégations syndicales. Aussi choisissent-ils, également en 1950, de former leur propre organisation : l’Unione Italiana del Lavoro29.

17 Les différences idéologiques des trois confédérations syndicales ne les empêchent pas de se rapprocher à de nombreuses occasions pour mener front commun. Leur travail permet aux salariés de se voir reconnaître de nombreux droits. Le meilleur exemple est celui du Statuto dei Lavoratori30 qui, en 1970 instaure, de façon solennelle et pérenne, toute une série d’acquis sociaux. En juillet 1972, la convergence aboutit, non pas à une fusion, comme cela était prévu initialement, mais à la création d’une structure fédérale commune : la Federazione CGIL, CISL et UIL31.

18 La convergence des trois organisations n’est pas sans rappeler celle qui avait déjà eu lieu au sein de la CGL. Les syndicats se fédèrent à l’aide d’un dénominateur commun idéologique. Toutefois, la tactique avait conduit à la scission des adhérents qui ne se reconnaissaient plus dans cette nouvelle entité, considérée trop à gauche et toujours moins à l’écoute des préoccupations de la base.

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19 En septembre 1980, la FIAT décide de licencier 14 000 salariés et d’en mettre 23 000 autres au chômage technique. S’ensuit l’occupation de l’établissement pendant près de 35 jours. Afin de protester contre cette situation, 40 000 employés et cadres de la société défilent dans les rues de Turin. Une fois encore, le regroupement décisionnel s’est fait, semble-t-il, au détriment des différentes sensibilités32. Après cet échec et l’impossibilité de se remettre en question, les trois confédérations syndicales ne cessent de perdre du terrain : les salariés se reconnaissent de moins en moins en elles. La fédération unitaire CGIL CISL et UIL est dissoute en 198433.

20 Ainsi s’achève un nouveau cycle de vie qui semble être celui du syndicalisme : des salariés d’une même sensibilité se regroupent sur la base de ce qui les rapproche. Différents groupes ainsi composés s’associent entre eux pour atteindre une masse critique face au patronat. La mécanique mise en place exclut progressivement les intérêts particuliers et nouveaux tout en permettant l’émergence d’une nouvelle structure centralisée qui paraît se replier progressivement sur sa fonction décisionnelle, en se détachant de sa base. Vient ensuite le moment où les forces marginales ou marginalisées se reconnaissent et se concentrent pour reprendre leur destin en mains en ayant, au préalable, rompu avec la mégastructure.

Fonctionnement interne des trois confédérations syndicales

21 Observons maintenant les trois confédérations de l’intérieur afin d’identifier les raisons sous-jacentes à l’existence des cycles de vie que nous venons de mettre en évidence. Selon l’article 39 de la Constitution de la République italienne34, les syndicats doivent être enregistrés. En l’absence de textes légaux, adoptés en application dudit article 39, aucun syndicat n’y a jamais été contraint. Pour ces raisons, notamment, les syndicats italiens sont des associations de fait, ce qui leur concède une très grande liberté.

22 Malgré cette amplitude, les trois confédérations syndicales fonctionnent sur un modèle commun basé sur une structure que nous pourrions qualifier de “centrale” à laquelle vient s’ajouter une structure “périphérique”. L’objet obtenu est coiffé d’un organe à la fois fédérateur et con-fédérateur. La structure centrale s’articule sur deux axes : l’un vertical et l’autre horizontal. L’axe vertical est constitué des différents syndicats de branches et/ou de secteurs d’activités. Pour ce qui est de la CGIL, par exemple, il s’agit des Fédérations de catégorie. Nous en dénombrons treize35 aujourd’hui qui vont de la fédération italienne des employés du commerce, de l’hôtellerie, de la restauration et des services (FILCAMS) aux syndicats des retraités italiens (SPI), en passant par la fédération des travailleurs de la connaissance (FLC). Chacun de ces syndicats a sa propre organisation calquée, de façon simplifiée, sur celle de la CGIL. L’axe horizontal résulte, quant à lui, du découpage territorial pratiquement identique à l’ensemble des fédérations, au niveau local et régional puis national. La FILCEM (Fédération des travailleurs de la chimie, de l’énergie et des manufactures), par exemple, a un secrétariat national, puis une délégation dans chacune des vingt régions. En Émilie Romagne, la Filcem est ensuite présente, au niveau local, à Piacenza, Parme, Reggio Emilia, Modène, Bologne, Imola, Ferrara, Ravenne, Forli, Cesena et Rimini, avec, à chaque fois, un responsable. En multipliant ce découpage par le nombre de Fédérations de catégorie, la CGIL parvient à un maillage très serré du territoire.

23 Plusieurs organisations satellites indépendantes et/ou directement affiliées au syndicat viennent compléter le fonctionnement et les activités de la structure centrale, avec

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laquelle elles entrent en interaction. Pour ce qui est de la CGIL, nous en recensons aujourd’hui dix-sept. Il s’agit, par exemple, de agenquadri, sorte de syndicat pour cadres supérieurs ; de federconsumatori (Fédération nationale des consommateurs) ou encore de la maison d’édition Ediesse et de l’INCA (Istituto Nazionale Confederale di Assistenza).

24 Tout en illustrant le rôle de ces organes périphériques, l’INCA représente un cas à part en raison de son fonctionnement interne qui repose, notamment, sur les patronati. Au lendemain de la seconde guerre mondiale l’État italien doit se reconstruire. Il est impossible d’intervenir de manière capillaire dans l’ensemble du pays et d’apporter une aide à chacun des citoyens qui en éprouve le besoin. Seule l’Église, grâce aux paroisses, dispose d’une structure immédiatement opérationnelle qui couvre l’ensemble du territoire. En 1945, l’INCA voit le jour à l’initiative de la CGIL. L’objectif est d’offrir aux salariés une assistance sociale, y compris à ceux qui ne sont pas syndiqués et indépendamment de leurs appartenances politiques et religieuses36. Pour intervenir partout sur le territoire, des patronati, sorte de représentations locales, se créent aux quatre coins du pays, jusque dans les endroits les plus reculés. La CGIL aide ainsi l’État laïc à remplir sa mission sans céder le pas à l’Église. Les patronati sont officiellement reconnus en 1947 par l’État qui en définit alors les missions et les limites37. En pratique, l’INCA fournit davantage qu’une simple assistance aux travailleurs. Les patronati de l’INCA aident les salariés à reconstituer leurs carrières, ils leur fournissent un relevé de situation et estiment leurs droits à pension ; ils les assistent également en matière d’allocations familiales, de congé maternité, de maladie, d’accident du travail ou de chômage, par exemple. Les patronati de l’INCA, comme ceux des autres organisations syndicales38 remplissent une mission de service public reconnue par l’État.

25 L’importance des organes périphériques est à rechercher dans le lien que ceux-ci entretiennent avec leurs usagers. Contrairement ou, en plus, des autres organes- satellites, les patronati se trouvent dans les locaux même des syndicats dont ils dépendent. Le rôle de ces organismes n’est pas tant d’obtenir des financements de l’État mais de remplir une mission de service public tout en maintenant un dialogue avec les personnes syndiquées et en attirant de nouveaux prospects39. Il existe plus de 10 000 guichets uniques ou patronati en Italie, mais également à l’étranger 40. Plus de 8 000 professionnels spécialisés travaillent pour ces structures. À elle seule, l’INAS-CISL aurait 2,5 millions de contacts par an. Concrètement, les patronati permettraient à la CIGL et à la CISL de recruter, respectivement, près de 250 000 et 120 000 nouveaux adhérents par an. L’INAS fournirait également près de 60 % des nouveaux adhérents retraités41.

26 L’organisation syndicale précédemment décrite est coiffée d’une structure nationale dont l’objectif est de prendre en considération les attentes et les besoins qui remontent depuis la base. Le centre confédéral de la CGIL, par exemple, est divisé en aires, en services thématiques qui couvrent l’ensemble des questions qui intéressent les salariés. Il en existe aujourd’hui vingt-et-un qui vont de “environnement et territoire” à “réformes institutionnelles”, en passant par “politiques actives du travail”42.

27 Les statuts de la CGIL, nous permettent de comprendre comment le flux d’informations et de décisions circule dans la structure. En guise de préambule à la présentation de l’organisation, au niveau national, l’article 8 du statut de la CGIL43 précise que « l’organisation de la CGIL […] doit constamment avoir comme objectif de promouvoir la plus grande participation des inscrits et des travailleurs et l’engagement le plus

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efficace vers l’unité syndicale ». À cette fin, le congrès de la CGIL se réunit tous les quatre ans.

28 Le Congrès est l’organe délibératif de l’ensemble de la confédération (art. 15) qui élit, notamment, le comité directif qui, à son tour, élit le secrétaire général ainsi que son secrétariat. Lors du Congrès sont également choisis les membres de la commission du programme et son président (art. 16). Le comité directif occupe une place centrale car, entre la tenue de chaque congrès, c’est lui qui joue le rôle d’organe délibératif : il a une fonction d’initiative en matière d’orientation de l’action syndicale générale, dans le respect des décisions adoptées en congrès, tout en assurant la coordination des multiples structures qui opèrent au sein de la confédération syndicale (art. 16). Pour remplir sa mission, il profite du travail de la Commission du Programme (art. 18).

29 Le secrétariat général est l’organe exécutif de la CGIL. De ce fait, il est chargé de mettre en œuvre les décisions du comité directif (art. 17).

30 Enfin, le Comité de Garantie (art. 21) tranche les conflits internes à la structure, de ce fait il joue le rôle de “pouvoir judiciaire”.

31 L’examen de la structure organique des confédérations syndicales nous conduit invariablement à l’esquisse d’une structure pyramidale centrifuge. Elle est pyramidale, dans le sens où elle part d’une base très large qui englobe tous les adhérents mais, plus exactement, l’ensemble des travailleurs italiens. Elle est centrifuge, dans le sens où, pour traiter les attentes et les besoins de la base, le sommet regroupe toutes les questions, les préoccupations avant de les examiner et, éventuellement, de faire redescendre des mots d’ordre d’intervention. Un tel modèle ne laisse que peu, si ce n’est aucune place, à la multitude de particularismes qui, pourtant, sont parties intégrantes du tout.

Le financement des syndicats

32 Les trois confédérations syndicales fonctionnent grâce à des financements dont les sources, relativement identiques, sont assez facilement identifiables. En revanche, il est moins aisé d’en déterminer les montants avec précision. Comme nous l’avons indiqué, les syndicats sont des associations de fait : ils ne sont pas obligés de publier un bilan détaillé chaque année et leurs comptes ne sont pas vérifiés par l’État. Pour ces motifs, la fiabilité des chiffres fournis annuellement par les trois confédérations syndicales ne peut être absolue. Les données accessibles doivent donc être considérées comme des indicateurs de tendance, néanmoins suffisants pour appréhender la question abordée.

33 Pour les trois confédérations, les cotisations constituent le principal revenu : en tout, plus d’un milliard d’euros par an44. Selon les estimations, il s’agit ici de 70 à 75 %45 des ressources annuelles des syndicats, ce qui leur permet de maintenir leur indépendance à l’égard de l’État et de tout autre structure privée. La spécificité italienne réside dans le fait que, jusqu’en 1995, la contribution apportée par les syndiqués est directement prélevée sur leurs bulletins de salaire46.

34 L’existence d’une mission de service public assurée par les syndicats, notamment par le biais des patronati, leur assure des entrées régulières. En effet, l’État italien, paie, indemnise ces derniers sur la base du nombre de dossiers traités. En contrepartie, ils sont placés sous le contrôle du ministère italien du Travail. Ladite contrepartie financière s’élève à près de 300 millions d’euros47.

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35 Il est plus difficile, si ce n’est impossible, d’estimer le montant représenté par tous les salariés, du public et privé, qui, entièrement ou en partie, assurent des fonctions syndicales sur le lieu de travail. Les périodes ainsi occupées, prévues par la loi de 197048, sont payées par l’employeur. Rien que pour le service public, la CGIL évalue le nombre de “détachés” à près de 2 250 pour 198949. En considérant le secteur public et privé, pour les trois confédérations, cette source de financement, presque invisible, constitue une manne non négligeable.

36 Les autres modes de financement ne permettent pas de lever autant de fonds que ceux précédemment cités ou ils ne sont pas récurrents. Ils n’en sont pas pour autant à négliger. Lors du renouvellement d’une convention collective, par exemple, le syndicat diffuse le nouveau texte aux salariés concernés en le joignant aux bulletins de salaire que les employeurs remettent. Pour cette tâche d’information, le syndicat reçoit une indemnité forfaitaire d’environ 25 centimes d’euro par salarié syndiqué et environ 50 par salarié non syndiqué50. Citons également la redistribution du patrimoine financier et immobilier des syndicats fascistes, qui n’a été décidée qu’en 197751. Seules les organisations considérées comme représentatives au début des années 1970 ont pu bénéficier de la manne. En d’autres termes, la CGIL, la CISL et la UIL se sont vu distribuer près de 90 % des biens et moyens concernés.

37 Au vu des différentes sources de financement des trois confédérations, il est difficile de parler de rentes de situation. En effet, les cotisations des adhérents, certes importantes, sont liées à la volonté de chaque salarié de participer ou non à l’organisation. Du nombre de membres dépend également la quantité de salariés mis à disposition et l’argent perçu lors de la distribution des conventions collectives, par exemple.

38 Il n’en reste pas moins vrai que le modèle en place au cours des années 1980 rend très difficile le développement de toute autre structure ayant pour vocation de défendre les intérêts des salariés. Tout nouveau venu dans le monde syndical se trouve alors face à deux obstacles de taille. D’une part il doit se débrouiller pour trouver les moyens d’exister matériellement car il ne peut bénéficier de l’aide de l’État, c’est-à-dire de toutes les indemnisations prévues pour “service rendu”. D’autre part, il doit trouver les moyens d’entrer en contact avec les salariés pour leur diffuser ses informations et ses propositions car il ne peut, par exemple, bénéficier des structures que constituent les patronati et/ou, tout simplement, des locaux mis à disposition dans les entreprises.

L’avènement des Cobas

39 Au cours des années 1980, la mécanique syndicale est, théoriquement, parfaitement organisée pour répondre aux besoins de l’ensemble des salariés, qu’ils soient syndiqués ou pas. Les règles établies permettent même aux trois grandes confédérations de maintenir une sorte de monopole dans le dialogue social. Toutefois, de nouvelles organisations font leur apparition, comme surgies ex-nihilo. Le modèle en place ne serait pas aussi parfait que voulu et il aurait fallu attendre les années 1980 pour qu’une conjoncture d’événements le mette à mal et aboutisse, de surcroît, à l’émergence de nouveaux acteurs.

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Un système “trop” parfait

40 Selon l’article 39 de la Constitution de la République italienne, « l’organisation syndicale est libre ». D’après ces termes, il n’est fait aucun obstacle à l’émergence de nouveaux venus dans le paysage syndical. Le Statuto dei Lavoratori, reprend et détaille les dispositions prévues par la Constitution. Il est ainsi rappelé, par exemple, que les salariés peuvent librement constituer des syndicats (art. 14). Il est également souligné que les opinions syndicales sont libres (art. 1) et qu’elles ne peuvent faire l’objet d’enquêtes, de la part de l’employeur, (art. 8).

41 En raison de ses spécificités, l’activité salariée dans le secteur public, quant à elle, a fait l’objet d’une législation différenciée. La loi n° 93 du 29 mars 198352 régit les relations syndicales dans l’administration en définissant, en limitant par conséquent, les questions qui relèvent de la négociation entre syndicats et l’employeur, c’est-à-dire l’État.

42 Dans la pratique, la liberté syndicale, ou plus précisément de s’organiser comme organisation de salariés en dehors des confédérations formées après-guerre, n’est pas aussi simple. En voulant codifier l’expression syndicale, le législateur a conçu des textes qui entrent en contradiction les uns avec les autres et/ou avec eux-mêmes, privant, en partie, certains dudit droit.

43 L’article 39 de la Constitution, par exemple, stipule que les syndicats « représentés de façon unitaire et proportionnelle au nombre d’inscrits, peuvent participer à l’élaboration de conventions collectives applicables à tous ». En d’autres termes, un groupe minoritaire de salariés dont le discours est différent et/ou nouveau, par rapport à celui des confédérations reconnues, rencontre de grandes difficultés pour mobiliser. En effet, comment recruter des membres en sachant que les représentants de l’organisation ne peuvent pas, légalement, participer à la discussion “salariat-patronat” car elle n’est pas reconnue comme “représentative”, c’est-à-dire qu’elle n’a pas encore assez d’adhérents pour obtenir un siège à la table des négociations. L’obstacle s’ajoute à ceux déjà évoqués.

44 Pour ce qui est du Statuto dei Lavoratori, ses concepteurs ont, par exemple, instauré les Rappresentanze Sindacali Aziendali afin de permettre aux différentes sensibilités de s’exprimer sur le lieu de travail, mettant ainsi fin à toutes les pratiques antérieures. L’article 19 du Statuto dei Lavoratori indique que des Rappresentanze sindacali aziendali peuvent être constituées à l’initiative des travailleurs dans chaque unité de production ». Il est ensuite précisé que cela doit se faire « dans le cadre […] des associations syndicales, non affiliées aux confédérations précédemment citées53, qui sont signataires de conventions collectives de travail nationales ou provinciales en vigueur dans l’unité de production ». Pris individuellement, le texte ne montre pas de limitation au droit syndical, bien au contraire, il invite chacun à participer à la discussion entre salariés et patrons.

45 Cependant, l’examen de l’article 39 de la Constitution nous a permis de voir que seules les organisations qui sont officiellement reconnues peuvent participer à la négociation. De ce fait, les organisations, minoritaires, se voient également priver du droit de participer aux Rappresentanze Sindacali Aziendali. Il peut paraître compréhensible que des organisations quantitativement marginales ne participent pas à la négociation collective qui aboutira à la rédaction de règles applicables pour tous. En revanche, l’impossibilité, en pratique, de participer aux structures consacrées à l’expression

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apparaît comme une limitation aux droits fondamentaux et surtout, comme un appauvrissement du débat d’idées.

46 Les longues luttes salariales ont permis d’acquérir des droits face au patronat, qu’il soit privé ou public. Pour garantir ces droits, le législateur les a codifiés afin de les “sceller” dans la République italienne.

47 Comme nous venons de le démontrer, nous nous retrouvons très vite confrontés aux limites du droit. D’une part, en prévoyant de façon détaillée des situations afin de prévenir tout contournement de la loi, le législateur crée des textes qui entrent en conflit, desservant ainsi la cause entendue. D’autre part, même en offrant des textes suffisamment souples pour qu’ils soient adaptés aux nouveaux contextes historiques qui se succéderont, le législateur ne peut prévoir toutes les situations. L’homme de Loi ne peut se projeter qu’à partir de ce qu’il connaît. Avec le recul temporel dont nous bénéficions, il paraît difficilement envisageable que les constituants, par exemple, aient pu imaginer à quel point la société italienne, en l’occurrence, allait devenir une structure aussi complexe.

48 Toutefois, il ne faut pas oublier que les lois et même la loi fondamentale vivent, c’est-à- dire qu’elles évoluent, qu’elles sont modifiables. Certes, dans le cas d’espèce, les salariés minoritaires ne peuvent se satisfaire d’une telle réponse mais n’oublions pas que c’est en raison de sa trop grande souplesse, par exemple, que le Statut Albertin a permis l’arrivée au pouvoir du fascisme. Le législateur ne peut que suivre le développement de la société et difficilement le précéder.

Le(s) élément(s) déclencheur(s)

49 Au cours du XXe siècle, la société italienne, à l’instar des autres nations, n’a cessé de muer. Les cycles de développement se sont faits de plus en plus rapides. L’examen du contexte propre à la société italienne de l’époque où est apparu le phénomène Cobas doit permettre de mettre en évidence le terrain favorable qui est alors en place ainsi que le(s) élément(s) déclencheur(s).

50 Au cours des années 1980, la société italienne est très différente de ce qu’elle était après-guerre. De société agricole, l’Italie est devenue industrielle avant d’entrer dans l’ère des services54. Par conséquent, la figure du salarié n’est plus une mais multiple. Les préoccupations d’un salarié d’une boutique d’informatique ne sont pas les mêmes que celles de l’ouvrier sur la chaîne de montage, par exemple. Le temps de travail se décompose désormais de nombreuses façons : travail temporaire, travail saisonnier, travail à temps partiel, etc.55. Parallèlement, le chômage ne cesse de progresser, passant de 7,6 % en 1980 à 11,1 % en 198656.

51 La situation des salariés du secteur public évolue également de façon considérable. Citons simplement la loi no 210 du 17 mai 1985 (Istituzione dell’ente “Ferrovie dello Stato”) qui a ouvert la porte à la transformation des chemins de fer, en changeant son statut, de Azienda autonoma en Ente delle Ferrovie dello Stato. L’État a ainsi permis le début de la mutation de cette administration en entreprise privée, mutation qui n’est pas encore achevée à ce jour.

52 Malgré cela, tout se passe comme si les syndicats et les pouvoirs publics ne prenaient pas la mesure du changement57. Le modèle syndical en place ne permet pas à ces voix “nouvelles” de se faire entendre comme elles le souhaiteraient. L’État ne semble pas

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avoir davantage conscience de la situation. La loi no 93 du 29 mars 1983, par exemple, ne fait aucune distinction entre les différentes catégories de salariés qui opèrent au sein de l’école. De cette façon, le personnel administratif et les enseignants qui, pourtant, correspondent à deux réalités distinctes, sont traités de la même façon.

53 Comme nous l’avons démontré, les contradictions législatives ne permettent pas aux voix dissidentes ou simplement nouvelles de se faire entendre au sein de l’entreprise. Toutefois, l’article 40 de la Constitution58 qui stipule que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le régissent » va permettre aux nouveaux venus d’avoir voix au chapitre. En effet, au cours des années 1980, les lois organiques censées réglementer l’organisation des grèves n’ont toujours pas été adoptées59. Ainsi, ceux qui ne peuvent s’exprimer sur leurs lieux de travail peuvent, en revanche, interrompre leurs activités et descendre dans la rue à chaque fois que cela leur semble utile.

54 Grâce à la faille ou l’opportunité, selon les points de vue, qu’offre l’article 40 de la Constitution, les grèves ne cessent de se multiplier au milieu des années 1980. Le nombre d’heures chômées semble croître de manière exponentielle. Au cours du premier semestre 1987, près de 3,4 millions d’heures de travail sont perdues pour les seuls secteurs des transports aériens et ferroviaires60.

55 Les mouvements de contestation que connaît alors l’Italie bénéficient d’un réel effet de surprise car leurs instigateurs sont complètement inconnus du paysage syndical. Les nouvelles organisations qui se forment spontanément pour défendre les droits des salariés, en lieu et place des syndicats officiels, sont, pendant quelque temps, qualifiés de “sindacatini61”. En fait, il s’agit de coordinations de salariés qui se constituent de façon spontanée pour porter leurs voix et, le plus souvent, pour contester le contenu des conventions collectives qui ont été signées par les trois confédérations syndicales ou qui sont sur le point de l’être62.

56 Le phénomène, d’abord apparu dans les écoles italiennes au cours de l’année 1986, se diffuse ensuite aux chemins de fer. En 1987, et ce en moins de trois mois, 90 % des 23 000 cheminots des Ferrovie dello Stato adhèrent au mouvement. Ils estiment que les syndicats traditionnels ne les défendent pas, qu’ils sont rangés du côté des patrons. Les militants des coordinations spontanées demandent, 400 000 lires d’augmentation mensuelle pour les premiers et 300 000 lires pour les seconds63.

57 Les salariés d’autres branches, publiques ou privées, comprennent très vite qu’ils peuvent, eux aussi se “défendre”, sans passer par l’intermédiaire des trois confédérations. Ils décident ainsi d’imiter le modèle mis en place par les enseignants et les cheminots : les grèves se multiplient dans tous les secteurs d’activité. Le pays est très souvent bloqué. En janvier 1988, par exemple, les avions, les bateaux et l’école sont à l’arrêt64. En avril, ce sont, entre autres, les salariés de FIAT et de Olivetti qui se mettent en grève pour protester contre le contenu des accords qui sont sur le point d’être signés par les syndicats65.

58 Rapidement, il est trouvé un nom aux “sindacatini”. Le terme retenu est Cobas, pour “comitati di base”. Le manque de coordination entre les différents mouvements ne permet pas de bénéficier complètement du potentiel que représentent ces dizaines de milliers de militants éparpillés sur le territoire. Pour ce motif, notamment, les Cobas vont très vite chercher à s’organiser malgré la mosaïque de réalités qu’englobe ce terme générique. La nouvelle force syndicale se veut différente des modèles traditionnels.

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59 Il est impossible de dater le moment précis où des discussions informelles conduisent quelques salariés à se regrouper pour proposer un nouveau modèle syndical. Il est néanmoins permis d’étudier la façon dont ils voient le jour et celle dont ils se développent.

60 Dès leur constitution en 1986, les premières coordinations spontanées de l’école se sont appelées Comitati di Base della Scuola, c’est-à-dire, Co.Ba.S.66, avant que le nom ne soit repris pour l’ensemble des phénomènes similaires. Le fait de s’attribuer un nom peut paraître anodin mais il correspond à la conscience des acteurs qu’ils viennent de mettre en place une structure. En se coordonnant, les différents comités de base de l’école ont pu mobiliser un très grand nombre d’intervenants dans l’école italienne, de façon simultanée et sur l’ensemble du territoire. En raison du succès rencontré, très vite, en 198867, des enseignants décident de constituer la Gilda degli Insegnanti pour défendre spécifiquement leurs intérêts et non plus tous ceux des salariés de l’école, comme c’est encore le cas pour les comités de base de l’école.

61 De la même façon que pour l’école, différentes catégories de comités de base se sont constituées dans les chemins de fer. En raison de la multiplicité des métiers, leur nombre n’en a été que plus important. Citons, notamment, le Coordinamento Macchinisti Uniti, le Cobas Capistazioni, le Cobas dei Manovratori, etc.68.

62 En voulant répondre de façon spontanée à des questions qui ne concernent qu’une catégorie de personnels, les Cobas tendent à se démultiplier. Ils sont ainsi davantage à l’écoute des salariés en s’intéressant uniquement à une question particulière mais cette tactique ne fait qu’augmenter le nombre d’intervenants qui doivent discuter ensemble pour concerter des actions plus importantes. Il est impossible de connaître le nombre de comités de base qui ont existé et qui existent encore tant ils peuvent être éphémères ou ne correspondre qu’à un micro-intérêt local.

63 L’apparition du phénomène étudié est due aux facteurs que nous avons précédemment identifiés, comme la possibilité de faire grève sans avoir à respecter des règles contraignantes ou à la complexification de la figure salariale au cours des années 1980. Toutefois, il faut aller plus loin dans notre recherche car ces éléments n’expliquent pas, à eux seuls, pourquoi les salariés ont presque subitement décidé d’agir indépendamment des syndicats officiels. En effet, les possibilités offertes, par les textes, de manifester existaient déjà auparavant. Après les deux chocs pétroliers, par exemple, les salariés connaissaient déjà des difficultés nouvelles et variées.

64 Il convient de nous intéresser aux chefs de file de ces nouvelles organisations ainsi qu’aux mobilisations qui ont été organisées pour avancer dans la compréhension du sujet.

65 Un article de l’Espresso du 4 octobre 198769 nous présente des portraits de membres des Cobas. Les personnes présentées sont au nombre de quatre : • Maria Carlo Gullotta, 36 ans, enseignante d’anglais à Rome, et ancienne adhérente de la CGIL-école qui est maintenant porte-parole du Cobas de l’école ; • Fabio Protano, 37 ans, machiniste aux chemins de fer, il fait partie de la coordination nationale composée de trente “sages” ; • Roberto Todini, 39 ans, enseignant de lettres à Ostia, qui n’avait jamais été attiré par les syndicats traditionnels qui lui semblaient trop éloignés de ses préoccupations ; • Patrizia Cerquillini, 29 ans, machiniste auxiliaire à Turin, elle avait la carte de la CGIL mais elle l’a abandonnée au profit des Cobas dont elle est devenue représentante nationale.

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66 Le tableau qui est dressé résume bien la situation. Les personnes qui choisissent d’adhérer aux comités de base sont relativement jeunes, elles sont nées après la guerre et ne reconnaissent plus les syndicats traditionnels comme des icônes auxquelles il convient de pardonner les écarts ou la lenteur d’adaptation. Rappelons que les syndicalistes ont aidé à participer à la libération de l’Italie puis à la construction de la République ainsi qu’à la reconnaissance des droits des travailleurs. La page semble tournée, tout ce qui compte est ce qui se passe dans la réalité immédiate.

67 Par ailleurs, les nouvelles organisations, qui peuvent être créées de toutes pièces par une poignée de salariés, permettent à chacun d’obtenir rapidement une place à un rang élevé s’il le souhaite. Tous ces nouveaux acteurs ont ainsi le sentiment d’être les maîtres du changement, changement qu’ils choisissent et qu’ils ne subissent plus : de la part des patrons ou des mégastructures syndicales.

68 L’autre élément qui explique le développement du mouvement engagé est la rapidité des résultats obtenus. En effet, si les premières actions engagées ne permettaient pas de changer les décisions prises, il faudrait davantage de temps pour convaincre les autres salariés de se lancer dans des organisations qui n’ont aucune existence officielle aux yeux des représentants des différents partenaires sociaux. Rappelons les nombreuses grèves organisées par les comités de base des enseignants au cours des années 1986 et 198770 qui parviennent à obliger l’État à prendre en compte une partie de leurs demandes ou encore la grève des cheminots du 28 juillet 1987 qui paralyse 60 % du trafic71. Le résultat le plus spectaculaire est obtenu par les salariés de Fiumicino en 1988. Alors que les 195 représentants syndicaux (CGIL-CISL-UIL) viennent juste de signer la nouvelle convention collective au nom des douze mille salariés de l’établissement, une coordination née spontanément parvient à mobiliser 75 % du personnel pour que l’accord soit revu72. La victoire est fracassante, les comités de base sont reconnus de fait alors que la place des syndicats traditionnels est, une fois encore, remise en question.

69 L’examen synchronique du phénomène syndical nous a permis de démontrer que la naissance des Cobas au milieu des années 1980 marque le début d’un nouveau cycle de vie de la représentation salariale. Invariablement, les structures représentatives des travailleurs semblent converger pour se transformer en mégastructures qui se détachent progressivement de la base. Arrive ensuite le moment où quelques individus viennent remettre en question cet ordre établi et créent de nouvelles entités.

70 D’un point de vue diachronique, l’émergence des Cobas a lieu à un moment où la société italienne accélère sa mutation. La génération en place n’est plus celle de l’après-guerre qui reconnaît le rôle des syndicats dans la reconquête de la liberté, c’est désormais celle d’une jeunesse plus individualiste qui veut améliorer ses conditions de vie et, en particulier, de travail sans plus attendre. La force de frappe est si spontanée et virulente que le phénomène Cobas est presque perçu comme une sorte de “bing bang” dans le panorama syndical italien qui, lui, est très structuré, verrouillé et long à mobiliser.

71 Face à cette évolution, les confédérations syndicales n’attendent pas pour réagir. Dès 1987, elles cherchent à combler la brèche qui a permis le “débordement”. De concert, elles demandent l’adoption d’une loi qui vienne régir le droit de grève, en particulier dans les services publics73 afin de priver les Cobas de leur unique moyen de mobilisation. Parallèlement, l’électrochoc conduit les trois confédérations à se

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rapprocher de la base et à se relancer dans la lutte syndicale sur le terrain74. Il est même question de reconstituer un front commun, comme lors de la lutte contre le nazi- fascisme ou lors de la lutte pour les droits des travailleurs au tournant de la décennie 1960-197075.

72 La guerre syndicale n’aura pas lieu. De leur côté, en se structurant, en convergeant, les Cobas entrent progressivement dans le cycle de vie syndical précédemment décrit. Eux aussi ne résistent pas à la force centrifuge qui semble inhérente aux organisations italiennes représentatives des salariés : l’atteste, par exemple, l’existence de l’actuelle Confederazione dei Comitati di Base76.

NOTES

1. B. Fiorai, Il sistema sindacale italiano e il principio di maggioranza, Milan, Giuffrè editore, 1991, p. 222. 2. S. Turone (dir.), Storia del sindacalismo in Italia dal 1943 al crollo del comunismo, Bari, Laterza, 1992, p. 531-535. 3. Sur la question des « società di mutuo soccorso » voir, par exemple, I. Barbadoro, Il sindacato in Italia, Milan, Teti, 1979. 4. Année où Marx et Engels rédigent le Manifeste du parti communiste. 5. C. Perna, Breve storia del sindacato. Dalle società di mutuo soccorso al Patto federativo, Bari, de Donato, 1978, p. 24-28. 6. M. Antonioli, Il sindacalismo italiano dalle origini al fascismo, Pise, Biblioteca Franco Serantini, 1997, p. 15-16. 7. Sur la question du développement tardif de l’industrie en Italie et le subséquent développement des syndicats, voir, par exemple, S. Zaninelli, Le lotte nelle fabbriche 1861-1921, Milan, Celuc, 1973 et G. Couffignal, Les syndicats italiens et la politique, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1978, p. 30-33. 8. C. Perna, Breve storia del sindacato, ouvr. cité, p. 29. 9. Le parti ouvrier italien n’a été présent qu’en Lombardie. Au sujet du parti ouvrier italien, voir, par exemple, ses revendications de 1888 : D. Marucco, I sindacati nella società contemporanea, Turin, Loescher editore, p. 108-111. 10. Au sujet de la naissance du parti socialiste italien, d’abord dénommé parti des travailleurs italien, voir C. Perna, Breve storia del sindacato, ouvr. cité, p. 51-52. 11. La première Camera del Lavoro est celle de Milan (1891). Elles sont formées sur le modèle des Bourses du Travail qui ont vu le jour en France en 1887 afin d’aider les travailleurs et de servir de lien entre l’offre et la demande de travail. Sur la question, voir, par exemple, C. Perna, Breve storia del sindacato, ouvr. cité, p. 121-122 et I. Milanese (dir.), Le camere del lavoro italiane. Esperienze storiche a confronto, Ravenne, Longo, 2001, p. 159-190. 12. L’encyclique Rerum Novarum est, à ce sujet, déterminante car c’est la première fois que l’Église s’exprime sur les relations dans le travail entre salariés et patronat. D. Marucco, I sindacati nella società contemporanea, ouvr. cité, p. 118-121. Sur la question, du lien entre religion, politique et syndicalisme, voir également F. Traniello, Dalla prima Democrazia Cristiana al sindacalismo bianco, Rome, Edizioni Cinque Lune, 1983.

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13. En 1918, les forces syndicales catholiques s’uniront au sein de la Confederazione dei Lavoratori Italiani (C.I.L.) (A. Pepe, Il sindacato nell’Italia del ’900, Messine, Rubbettino, 1996, p. 45). 14. « Sciopero generale nel Porto e negli stabilimenti per lo scioglimento della Camera del Lavoro », Corriere della Sera, 21-22 décembre 1900 : « La gravità del fatto consiste […] soprattutto nella novità del contrasto. Non si tratta qui di operai i quali si trovino in conflitto con dei privati, pretendendo un aumento di mercede o concessioni di altra natura: bensì di operai che pongono per condizione della ripresa del lavoro la revoca di una decisione dell’autorità. » Sur la question, voir également C. Perna, Breve storia del sindacato, ouvr. cité, p. 67. 15. Dès 1906, plus de 700 organisations syndicales l’intègrent. Sur la question, voir notamment L. Marchetti (dir.), La Confederazione Generale del Lavoro negli atti, nei documenti, nei congressi 1906-1926, Avanti!, Milan, 1962 ; A. Pepe, Storia della CGL 1905-1911, Laterza, Bari, 1972 ; A. Pepe, La CGL e l’età liberale, Rome, Ediesse, 1997. 16. L. Marchetti, La Confederazione Generale del Lavoro negli atti, ouvr. cité, p. 18-19. 17. C. Perna, Breve storia del sindacato, ouvr. cité, p. 45. 18. Le premier à voir le jour est celui de la FIAT en septembre 1919. Les représentants des consigli di fabbrica sont élus par tous les salariés et non seulement par les syndiqués. Sur la question, voir par exemple F. Loreto, Il sindacalismo confederale nei due bienni rossi del Novecento 1919-20 e 1968-69, Rome, Ediesse, 2006, p. 161-178 ; G. Maione, Il biennio rosso. Autonomia e spontaneità operaia nel 1919-1929, Bologne, Il Mulino, 1975. 19. C. Perna, Breve storia del sindacato, ouvr. cité, p. 140. 20. La loi n o 563 du 13 avril 1926, Disciplina giuridica dei rapporti collettivi del lavoro, dite Loi « Rocco » conduit ensuite à la suppression de toutes les libertés syndicales. 21. Il s’agit d’un accord conclu entre le patronat et le gouvernement fasciste afin que la Confindustria et que les corporations travaillent en plus étroite collaboration. Sur la question, voir, par exemple, F. Cordova, Le origini dei sindacati fascisti 1918-1926, Firenze, La Nuova Italia, Scandicci, 1990, p. 179. 22. Selon l’accord, la Confindustria et la Confédération des Corporations se reconnaissent réciproquement comme représentants exclusifs des employeurs et des salariés et elles s’engagent à négocier directement les conventions collectives, abolissant ainsi les commissions internes (ibid., p. 430-431). 23. Les syndicats “reconnus” représentent automatiquement tous les salariés des professions concernées. Les autres syndicats existent toujours mais ce ne sont plus que des associations de fait dépourvues de tout pouvoir (ibid., p. 434-442). 24. Il faut attendre le DLL n o 369 du 23 novembre 1944, « Soppressione delle organizzazioni sindacali fasciste e liquidazione dei rispettivi patrimoni » pour que les syndicats fascistes soient officiellement supprimés. 25. C. Perna, Breve storia del sindacato, ouvr. cité, p. 161-179. 26. Sur la question du pacte de Rome et la consécutive naissance de la CGIL, voir, par exemple, G. Couffignal, Les syndicats italiens et la politique, ouvr. cité, p. 40-48 ; C. Perna, Breve storia del sindacato, ouvr. cité, p. 183-188. 27. Dès juin 1947, le PCI et le PSI sont écartés du gouvernement (Governo De Gasperi). 28. « Verso la fine dell’unità sindacale? I dirigenti della corrente cristiana demandano alla base ogni decisione », Il Nuovo Corriere della Sera, 17 juillet 1948. 29. G. Couffignal, Les syndicats italiens et la politique, ouvr. cité, p. 54. Sur la question des scissions de la CGIL et des consécutives naissances de la CISL et de la UIL, voir, par exemple, A. Forbice, Il sindacato nel dopoguerra. Scissioni della CGIL e nascita della UIL e della CISL (1945-1953), Milan, Franco Angeli, 1990. 30. Loi no 300 du 20 mai 1970, « Norme sulla tutela della libertà e dignità dei lavoratori, della libertà sindacale e dell’attività sindacale nei luoghi di lavoro e norme sul collocamento ».

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31. L. Bellardi (dir.), Sindacati e contrattazione collettiva dans Italia nel 1972-1974, Milan, Franco Angeli Editore, 1978, p. 134-139. 32. F. Bugno, « Dossier Sindacato-Fiat / Dopo la sconfitta. Guai ai vinti », l’Espresso, 26 octobre 1980 ; S. Turone, Storia del sindacalismo in Italia, ouvr. cité, p. 388-391. 33. B. Fiorai, Il sistema sindacale italiano, ouvr. cité, p. 201-204. 34. Au sujet de l’art. 39, voir, par exemple, C. Livrea, I sindacati prima e dopo la costituzione, Palerme, Herbita, p. 53-62 ; B. Fiorai, Il sistema sindacale italiano, ouvr. cité, p. 1-108. 35. . 36. A. Bruzzese, P. Gagliardi et G. Carchella, Le patronato INCA en Italie et dans le monde, Rome, INCA International, 2004. 37. Décret législatif n o 804 du 29 juillet 1947, « Riconoscimento giuridico degli Istituti di patronato e di assistenza sociale ». 38. Il existe 25 patronati reconnus par l’État. Les deux principaux sont l’INCA-CGIL et l’INAS-CISL. À eux deux, ils assurent 20 % des prestations fournies par l’ensemble. Voir P. De Saintignon et al., Le financement des syndicats : étude d’administration comparée. Le cas de l’Italie, Paris, Inspection générale des affaires sociales, 2004, p. 8. Pour plus de détails sur l’INAS, voir, par exemple, Istituto Nazionale Sociale, Patronato e sindacato: obiettivi comuni per il progresso dei lavoratori. INAS- CISL 1969-1973 (VII e Congresso confederale CISL, Roma, 18-21 giugno 1973), Rome, Istituto Nazionale Sociale, juin 1973. 39. Ibid., p. 39-40 : « […] tutta l’azione del patronato degli ultimi anni, ed in particolare quella dell’ultimo quadriennio è stata infatti proprio rivolta al: – maggiore collegamento alle lotte rivendicative sindacali scaturite dai rinnovi contrattuali del ‘69 e del ‘72 […] – maggiore collegamento alle strutture dell’organizzazione a tutti i livelli per una compenetrazione patronato-sindacato […] – una più marcata partecipazione del patronato stesso nel momento in cui il sindacato partecipa più direttamente al migliore funzionamento per migliori prestazioni degli Istituti Previdenziali. » 40. A. Bruzzese et al., Le patronato INCA en Italie et dans le monde, ouvr. cité, p. 7. 41. P. De Saintignon et al., Le financement des syndicats, ouvr. cité, p. 8-14. 42. . 43. . 44. P. De Saintignon et al., Le financement des syndicats, ouvr. cité, p. 17. Le chiffre peut être rapporté au nombre de membres de chaque confédération syndicale : près de 6 millions d’inscrits pour la CGIL (source : ) ; près de 4,5 millions pour la CISL (source : ) ; un peu plus de 2,5 millions pour l’UIL (source : ). Les chiffres donnés sont ceux de 2008 mais ils nous permettent d’envisager la répartition globale car l’importance relative des trois syndicats, les uns par rapport aux autres, varie peu dans le temps. 45. Ibid., p. 10. 46. Cette mesure a été mise en place suite à la loi no 311 du 4 juin 1973 : « Estensione del servizio di riscossione dei contributi associativi tramite gli enti previdenziali ». Le référendum du 11 juin 1995 a ensuite conduit à son abrogation. Depuis, les modalités sont discutées puis intégrées dans les conventions collectives de branches. 47. P. De Saintignon et al., Le financement des syndicats, ouvr. cité, p. 17. 48. – Une heure par salarié et par an pour les entreprises de moins de 200 salariés ; – huit heures par mois par tranche de 300 salariés et par an pour les entreprises de moins de 3 000 salariés ; – huit heures par mois par tranche de 500 salariés et par an pour les entreprises de plus de 3000 salariés. 49. P. Forcellini, « Polemiche sindacali. Tessera di Stato », l’Espresso, 23 juillet 1989. 50. P. De Saintignon et al., Le financement des syndicats, ouvr. cité, p. 13.

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51. Loi no 902 du 18 novembre 1977 : « Attribuzione dei patrimoni delle disciolte organizzazioni sindacali fasciste ». 52. Loi no 93 du 29 mars 1983, « Legge quadro sul pubblico impiego ». 53. Il s’agit ici des trois grandes confédérations syndicales : CGIL, CISL et UIL. 54. Alors que les secteurs primaires et secondaires déclinent, les services occupent déjà plus de la moitié de la population active en 1982. G. Baglioni (dir.), Le relazioni industriali in Italia e in Europa negli anni 1980, Rome, Edizioni Lavoro, 1989, p. 297. 55. B. Fiorai, Il sistema sindacale italiano, ouvr. cité, p. 204-213. 56. G. Baglioni, Le relazioni industriali in Italia, ouvr. cité, p. 297-334. 57. Un signal a, pourtant, été envoyé aux syndicats : alors que le nombre d’inscrits aux différentes confédérations syndicales a progressé de 5,5 % entre 1977 à 1986 (respectivement 845 996 inscrits et 8 928 202) grâce à l’apport des retraités, le nombre d’inscrits occupant un emploi a, sur la même période, décru de 15,5 %, soit 1 117 242 inscrits de moins. Globalement, le taux de syndicalisation chez les actifs, passe de 48,7 % en 1977 à 39,7 % en 1986 (G. Baglioni, Le relazioni industriali in Italia, ouvr. cité, p. 331-332). 58. Au sujet de l’art. 40 et du droit de grève voir, par exemple, C. Livrea, I sindacati prima e dopo la costituzione, ouvr. cité, p. 129-146. 59. Il faudra attendre la deuxième moitié des années 1980 pour que les hommes politiques commencent à se pencher sérieusement sur la question du droit de grève (voir P. Forcellini, « Come cambia la Cgil. L’ambizione di Bruno », l’Espresso, 15 janvier 1989). 60. T. Fazzolari, « Il morso del Cobas », l’Espresso, 17 janvier 1988. 61. P. Forcellini, « La crisi del sindacato. Base per asprezza », l’Espresso, 21 juin 1987. 62. Les Cobas revendiquent ouvertement cette opposition aux syndicats traditionnels et à l’État, comme nous pouvons, encore aujourd’hui, le lire sur la page d’accueil du site du comité de base de l’école : « Un organismo politico-sindacale-culturale nato per rappresentare realmente gli interessi dei lavoratori della scuola, in contrapposizione alla politica dei Governi e dei sindacati confederali. » () Au sujet de la convention collective, voir, par exemple, l’étude portant sur la négociation entre acteurs sociaux entre 1972 et 1974 dans L. Bellardi, Sindacati e contrattazione collettiva dans Italia, ouvr. cité (mentionnons également que plusieurs conventions collectives sont annexées à l’ouvrage). 63. C. Mariotti, « Vita da Cobas», l’Espresso, 4 octobre 1987. 64. T. Fazzolari, « Il morso del Cobas », art. cité. 65. P. Forcellini, « A Mirafiori si cambia », l’Espresso, 10 avril 1988. 66. F. Sebastiani, « Sindacalismo di base e democrazia sindacale: dall’autunno caldo quale modello di sindacato », Proteo, no 2, 2002. 67. La Gilda degli insegnanti est officiellement née le 6 mars 1988 (). 68. . 69. C. Mariotti, « Vita da Cobas », art. cité. 70. Ibid. 71. « I convogli soppressi sono stati il 60 per cento. […] A Torino hanno incrociato le braccia quasi il novanta per cento dei macchinisti, a Verona l’81 per cento […]. Ci sono anche quote più basse, che però non scendono al di sotto del 40% (a Reggio Calabria ci si aggira intorno al 42 per cento). » (M. Cianca, « Lo sciopero dei macchinisti Cobas ha messo in ginocchio tuti i principali collegamenti. La disfatta delle ferrovie », Corriere della Sera, 28 juillet 1987.) 72. G. Lerner, « Nell’hangar dei ribelli », l’Espresso, 17 avril 1988. 73. Sur la question, voir, par exemple, P. Forcellini, « Sciopero in Gabbia. Le polemiche nel sindacato », l’Espresso, 25 octobre 1987 ; P. Forcellini, « Il morso del Cobas. Scioperi selvaggi », l’Espresso, 6 décembre 1987. 74. P. Forcellini, « Il morso del Cobas», art. cité et Id., « Come cambia la CGIL. L’ambizione di Bruno », art. cité.

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75. G. Lerner, « Affacciarsi al Duemila con un’organizzazione unica », l’Espresso, 29 avril 1990. 76. .

RÉSUMÉS

À la fin des années 1960 et, surtout, au début des années 1970, les luttes syndicales menées en Italie permettent aux salariés d’obtenir des droits en contrepartie, notamment, de leur participation au boom économique des années 1950-1960. Au cours des années 1980, les travailleurs considèrent que les syndicats ne les écoutent plus. Spontanément, des comités de base (les CoBas) se constituent pour porter leurs voix et leurs revendications dans la rue. Les résultats ne se font pas attendre et les CoBas recueillent l’adhésion, toujours plus grande, des salariés. L’événement fait date et les syndicats traditionnels se remettent en question : progressivement ils recommencent à écouter la base pour en porter les revendications, les combats. Les CoBas ne vont pas disparaître pour autant. Ils vont conserver leur rôle d’alternative tout en se rapprochant du mode d’organisation et de fonctionnement des syndicats traditionnels.

Alla fine degli anni 1960 e, soprattutto, all’inizio degli anni 1970, le lotte sindacali condotte in Italia consentono ai dipendenti di ottenere dei nuovi diritti, i quali ricompensano il contributo da loro fornito al boom economico degli anni 1950-1960. Durante gli anni 1980, una parte dei lavoratori non si riconosce più nei sindacati confederali. Nascono allora spontaneamente dei comitati di base (i Cobas) il cui scopo è quello di rappresentare le loro rivendicazioni. I risultati non si fanno attendere e i Cobas raccolgono sempre più adesioni. Questo successo obbliga le confederazioni sindacali a porsi nuovamente il problema di come rappresentare le lotte di questi lavoratori. Ciononostante i Cobas non scompariranno. Svolgeranno ancora un ruolo alternativo anche se la loro forma organizzativa sarà più simile a quelle dei sindacati tradizionali.

In the late 1960s and early 1970s, the struggles led by trade unions in Italy made it possible for wage earners to obtain new rights as a reward for their contribution to the economic miracle of the 1950s and 1960s. During the 1980s, workers considered that trade unions were no longer listening to them. The CoBas (Comitati di Base, independent rank-and-file worker organisations) were created to make their opinions and claims heard by taking to the street. They did not have to wait long to obtain strong support from wage earners. This success forced traditional trade unions to listen to their rank and file members and to support their claims and struggles. While the ways in which the CoBas operated and were organised increasingly resembled traditional trade unions, they continued to play an important role even later.

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INDEX

Keywords : Cobas, factory, rank-and-file committees, rights of workers, the eighties, Trade unions Parole chiave : anni Ottanta, Cobas, comitati di base, diritti dei lavoratori, fabbrica, Lotte sindacali, sindacati Mots-clés : années quatre-vingt, Cobas, comités de base, droits des travailleurs, luttes syndicales, syndicats, usine

AUTEUR

RODOLPHE PAUVERT Université de Poitiers

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Crise du monde ouvrier et « question septentrionale » : l’usine de Dalmine (Lombardie) dans les années 1980 Crisi del mondo operaio e «questione settentrionale»: la fabbrica di Dalmine (Lombardia) negli anni Ottanta The labour crisis and the Northern issue : the Dalmine factory () in the eighties

Ferruccio Ricciardi

1 La politologue américaine Miriam Golden a eu beau jeu de qualifier d’« héroïques » les défaites issues des luttes syndicales engagées durant les années 1980 dans des pays comme l’Italie ou la Grande-Bretagne pour contrer les restructurations d’entreprise et les suppressions d’emplois qui allaient avec1. Celles-ci symbolisent de manière efficace le passage à l’ère post-industrielle, marquée à la fois par la fin de la « centralité sociale » des ouvriers d’industrie, conséquence des processus de restructuration industrielle et de la croissante tertiarisation de l’emploi, et par la fin de la « centralité politique » du mouvement ouvrier et de ses porte-paroles (syndicats, partis, conseils d’usine…). En Italie, la « lutte des 35 jours » à la FIAT pendant l’automne 1980 constitue le tournant symbolique qui clôt la phase d’exceptionnelle conflictualité inaugurée en 1968-1969. Sous la pression de la crise économique qui touche lourdement la branche automobile, on assiste à une âpre confrontation syndicale au sein de la grande usine turinoise (la FIAT menaçant la suppression de 14 000 emplois) qui va dans le sens d’une réaffirmation du pouvoir managérial et de ses prérogatives en dépit des aspirations des ouvriers. La « marche des 40 000 » du 14 octobre 1980, menée par les cadres et les techniciens de l’entreprise réclamant le « droit de travailler », sanctionne, avec la prise de parole d’une portion minoritaire mais pas du tout négligeable des classes moyennes, le revirement du climat social2.

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2 Dès lors les ouvriers et, plus généralement, le travail, semblent disparaître de l’horizon du débat public comme de celui de la représentation sociale3. La perte de centralité de la classe ouvrière aussi bien dans la société que dans le débat politique et culturel italien s’accompagne d’une opacité croissante de l’usine, qui ne fait plus l’objet de l’intérêt de la part des médias et des chercheurs en sciences sociales. À titre d’exemple, la crise de l’historiographie militante qui, dans les années 1970, s’était penchée avec enthousiasme sur la figure de l’ouvrier, perçu comme le véritable levier pour le changement politique et social, exprime de manière efficace la désaffection pour l’histoire du travail. Celle-ci est de moins en moins fréquentée par les chercheurs, sans pour autant que cela signifie l’atrophie en termes de pistes de recherche, de sources exploitées, de méthodes employées4.

3 Cette perte de centralité de l’objet « travail » est due non seulement au (relatif) déclin quantitatif des travailleurs de l’industrie au profit de ceux du tertiaire (les premiers étant passés de 37,6 % en 1980 à 32,5 % en 1995), mais aussi à la transformation profonde du monde ouvrier en termes de composition interne, de nature du travail productif, de conditions du marché du travail. Les années 1980 sont, de ce point de vue, une clé d’entrée essentielle pour interroger l’évolution d’un monde du travail dont l’appréhension ne passe plus par le paradigme intellectuel du fordisme5. Au-delà du discours fort simpliste sur la « fin du travail » qui marque nombre d’analyses sur l’avènement de ladite « société post-fordienne6 », il importe de souligner dans quelle mesure le monde ouvrier apparaît beaucoup plus complexe et hétérogène que ce que les récits engagés des années 1960 et 1970 nous l’avaient montré.

4 Concernant le cas italien, si les grandes usines ont perdu le rôle de centres d’agrégation et d’initiative politique qu’elles avaient exercé durant les années de la croissance économique, les ouvriers, dans un contexte de pénurie d’emploi, sont censés répondre aux exigences d’un modèle productif indexé sur les impératifs de la qualité et de la flexibilité. Ils se transforment ainsi en « opérateurs » : l’identité collective qui les caractérisait est remplacée par des identités multiples, à mesure de la fragmentation et de l’individualisation des parcours professionnels que les nouvelles pratiques managériales imposent. Parallèlement, les processus de désindustrialisation et de déconcentration entamés après la crise du milieu des années 1970, notamment dans les régions de la « troisième Italie » (les régions du nord-est et du centre du pays), ont conduit à l’essor de la petite et moyenne entreprise. Celle-ci se présente sous la forme d’une « communauté organique » liant patrons et salariés, dont les relations s’inscrivent dans le registre de la solidarité territoriale. À cela, il faut également ajouter les travailleurs du « tertiaire inférieur » qui, sous la pression de la déréglementation du marché du travail, se situent dans un espace de la précarité (contractuelle, de l’emploi…) qui ne cesse de croître7. Bref, le « monde ouvrier » vu à travers la focale des années 1980 restitue la complexité d’une décennie qui n’est pas avare de transformations majeures sur le plan économique et social.

5 Si cette neutralisation de l’univers de l’usine a conduit à marginaliser du débat intellectuel ses propres acteurs (ouvriers, syndicats, secteurs industriels traditionnels…)8, l’étude de la condition ouvrière n’est pas pour autant dépourvue de sens pour comprendre la période ici prise en compte. Au contraire, elle peut ouvrir des pistes de réflexion fécondes quant aux rapports entre crise industrielle, monde du travail et reconfiguration du paysage politique. C’est à partir de cette hypothèse de travail que je propose ici de faire une plongée dans le « microcosme » de l’usine

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industrielle et de ses travailleurs, en l’occurrence via le site sidérurgique de Dalmine, près de Bergame (Lombardie).

6 Installée en 1906 dans la plaine lombarde grâce à l’initiative des frères allemands Mannesmann, la société Dalmine s’impose rapidement sur les marchés italien et européen des tubes sans soudure. Intégrée au sein du groupe public Finsider depuis les années 1930, elle emploie plus de 10 000 salariés jusqu’aux années 1980, alors que la population de la commune atteint les quelques 20 000 habitants. Dans le cadre d’une tradition de relations sociales fortement paternalistes, l’entreprise adopte plusieurs formes de contrôle social du personnel qui évoluent au fil du temps : formation professionnelle des salariés et développement d’œuvres sociales (à partir des logements) dans les premières années de vie de l’établissement, corporatisme autoritaire durant la période fasciste, politiques d’intégration des salariés s’inspirant des principes des human relations après la seconde guerre mondiale 9. Le site industriel de Dalmine, durant les années 1980, fait l’objet d’une opération de restructuration technico-industrielle profonde sur fond de défaite syndicale et aussi de modification de la donne politique (le consensus des traditionnelles forces politiques étant érodé par l’affirmation de la Ligue du Nord). En se concentrant sur cette dernière période, il s’agira donc d’interroger à l’échelle locale le lien potentiel entre les processus de restructuration industrielle, la crise de l’identité ouvrière et l’émergence de subcultures territoriales, et d’éclairer par là certains aspects peu considérés de ladite « question septentrionale », c’est-à-dire l’essor d’un autonomisme d’un type particulier revendiquant la primauté du Nord de l’Italie avant tout comme « territoire de la modernité10 ».

Crise industrielle, crise de l’emploi

7 Tout au long des années 1980, la persistance du chômage de masse, devenu désormais structurel dans la plupart des pays européens, installe le sentiment de crise dans la durée. La crise européenne de l’acier est l’un des marqueurs du passage d’un paradigme – celui de la centralité du travail – à un autre – celui de la crise de l’emploi. La convergence entre, d’une part, l’effondrement de la demande d’acier dû aux effets négatifs de la crise économique de 1973-1974 et, d’autre part, l’apparition de nouveaux concurrents sur les marchés internationaux (Japon, Corée…) frappe de plein fouet un secteur qui a le souffle court. Les plans de restructuration qui suivent au niveau soit national soit européen (par exemple le Plan Davignon daté de 1977) envisagent la possibilité de sauver des entreprises, voire des branches industrielles, à condition d’accepter des suppressions d’emploi11. À l’image des défaites des sidérurgistes engagés dans des luttes défensives de part et d’autre de l’Europe (les ouvriers de Denain et Longwy en France, de Cockerill en Belgique, de la British Steel Corporation au Royaume-Uni12…), le chômage devient le symbole du basculement des années 1970 aux années 1980. Le chômage, ou du moins la suppression d’emplois, n’est plus l’effet de la crise mais, quasiment, la solution. Les conséquences sont lourdes sur le plan social, d’autant que la crise économique est de plus en plus perçue comme crise « morale13 ».

8 Si le secteur sidérurgique italien, dans son ensemble, s’en sort relativement mieux par rapport aux autres producteurs européens, il n’est pas non plus épargné par le phénomène de réduction massive d’effectifs, qui accompagne les restructurations des principaux sites industriels14. Le marché des tubes sans soudure, dans lequel l’usine de

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Dalmine s’est spécialisée, est lui aussi touché par une baisse importante de la demande alors que la concurrence des produits japonais se fait davantage agressive. En 1983, la production mondiale de tubes a chuté de presque 10 % en revenant aux niveaux de la période 1975-1976. Les conséquences pour l’entreprise italienne sont fort négatives : entre 1977 et 1980, les pertes représentent plus d’un tiers du capital. Cette situation appelle à un effort de réorganisation visant à réduire les coûts de production, améliorer la productivité et miser davantage sur les exportations15.

9 La crise du secteur se combine ainsi avec une action de restructuration de l’entreprise, restructuration qui, par ailleurs, était déjà dans les vœux des dirigeants de la Dalmine depuis quelques années. Le souvenir de la période de conflictualité aiguë inaugurée par l’occupation de l’usine en 1969, et qui se poursuit tout au long de la décennie suivante, est toujours brûlant16. Encore en 1979, lors des négociations pour le renouvellement du contrat de branche, presque 700 000 heures/ouvrier sont perdues17. La rénovation technique et organisationnelle envisagée entre la moitié des années 1970 et le début des années 1980 ne peut donc pas faire l’économie d’une mise à plat des relations sociales. Comme l’admettent les principaux dirigeants lors de la présentation au conseil d’administration du plan de redressement du groupe en juillet 1979, « l’innovation technologique n’est pas à elle seule suffisante pour augmenter la productivité, l’attitude syndicale étant également déterminante18… ».

10 D’où l’offensive menée par la direction sur le plan syndical tout au long des années 1980 en termes à la fois de réduction d’effectifs et de réaménagement des relations avec les salariés. Ces mesures vont de pair avec l’introduction d’installations modernes (une aciérie à coulée continue ainsi qu’un nouveau laminoir) et la révision profonde de l’organisation de la production et du travail. Le train laminoir, notamment, est censé assurer, à volume de production égale, l’emploi d’environ la moitié des salariés nécessaires. Le but est de passer, dans le seul établissement de Dalmine, de 10 000 à 6 000 ouvriers. Ainsi, entre 1980 et 1986, le personnel de l’usine est réduit d’environ 2 300 unités alors que la capacité de production demeure inchangée19.

11 Ce « remède de cheval » est marqué par la signature de nombreux accords avec les organisations syndicales, tous sigles confondus. Face à la crise de l’emploi qui frappe la branche dans son ensemble, le pouvoir de négociation des syndicats se révèle affaibli. Ceux-ci sont amenés à partager une nouvelle saison de relations sociales, davantage collaborative, quitte à accepter toute sorte d’accord portant sur la flexibilité (par exemple en renonçant à bénéficier de jours fériés ou à faire valoir le principe du turn- over pour de nouveaux recrutements) et sur la « sortie » des salariés (à travers le recours à la cassa integrazione ou aux préretraites). Parmi ces accords, il faut aussi enregistrer celui daté de juillet 1985 qui, en reliant les rétributions aux résultats économiques de l’entreprise, anticipe certains aspects de la « politique des revenus », inaugurée à l’échelle nationale en 1993 (les fameux « accords Ciampi » signés par le gouvernement italien et les partenaires sociaux pour faire face à la crise d’assainissement des comptes publics et ainsi intégrer l’union monétaire européenne qui est alors en train de se construire20).

12 Le couple crise/restructuration produit donc des effets importants sur les relations industrielles à l’échelle locale, d’autant que depuis la moitié des années 1980 le discours managérial sur le rattrapage de la productivité perdue pendant la décennie précédente et sur la requalification des compétences des salariés semble faire l’unanimité, y compris chez les représentants syndicaux. Loin d’entériner le discours sur la « qualité

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totale » qui à l’époque fait florès aussi dans la branche sidérurgique21, il importe ici d’interroger les conséquences de la crise sur l’identité ouvrière. Celle-ci, normalement portée par le travail et ses valeurs, se révèle tout d’abord fragilisée par les modifications intervenues dans le travail et dans l’organisation de la production. Or, une analyse de l’évolution de la composition de la main-d’œuvre et de sa propre identité à la suite de ces modifications peut aider à mieux délimiter les contours d’un monde ouvrier qui commence à douter à la fois de ses prérogatives professionnelles et de son rôle dans l’arène politique.

L’identité ouvrière en question

13 Au début des années 1980, l’usine sidérurgique de Dalmine achève son ambitieux programme de rénovation technique fondé sur l’installation d’une aciérie à coulée continue et un nouveau train laminoir (ledit nuovo treno medio). Ces innovations techniques s’inscrivent dans une stratégie visant à améliorer la compétitivité de l’entreprise via la réduction de la main-d’œuvre et la requalification de celle-ci. L’introduction du nouveau laminoir a notamment des répercussions importantes sur la redéfinition de la professionnalité ouvrière tout en contribuant à modifier les modes de recrutement : le management tend à sélectionner les salariés parmi ceux qui, dans le passé, ont montré une certaine capacité dans le contrôle et la régulation des processus productifs et affichent l’aspiration à une meilleure qualification professionnelle22. Cette mesure est vécue par une partie des salariés et des militants syndicaux comme une menace à l’intégrité des groupes ouvriers et de leurs cultures de métier, d’autant qu’elle s’accompagne d’une forte baisse des effectifs : « Quand on se baladait dans l’atelier de réparation, on pouvait apercevoir de nombreuses têtes, c’étaient les ajusteurs ; aujourd’hui, t’as du mal à les repérer parce que les opérations sur le produit ont été énormément réduites23. » Ainsi, méfiance et désarroi s’alternent dans les récits d’une population ouvrière affectée à la fois par les effets de la crise du secteur et par l’affaiblissement des organisations syndicales.

14 Dans l’aciérie à coulée continue, l’introduction du principe de rotation de la main- d’œuvre en fonction des tâches à accomplir se traduit par une sorte de mobilité horizontale au sein de l’atelier : tout le monde est censé tout faire, quitte à pouvoir remplacer à tout moment les collègues absents. Concrètement, cela signifie augmenter aussi bien la flexibilité que la charge de travail de chaque salarié. Nombre de pauses et de « temps morts », qui normalement constituent des espaces de décantation propices à la sociabilité ouvrière, sont ainsi éliminés. Les marges de discrétion et d’autonomie indispensables à l’autorégulation des groupes de travail sont, de fait, mises au service de la productivité24.

15 Dans la phase de laminage, l’intervention discrétionnaire des salariés, notamment des ouvriers de maintenance, est presque complètement effacée. Les tâches de contrôle et régulation des procédés techniques sont automatisées, ce qui a de répercussions importantes sur la matérialité même de l’acte de travail. Voici le témoignage d’un ouvrier daté de 1980 : Autrefois, la relation avec le tube était directe, maintenant l’ouvrier entre en contact avec le tube uniquement de manière indirecte. Dans les phases davantage automatisées, ce même tube apparaît dans un téléviseur une fois toutes les 46 secondes, et le salarié est censé juger s’il a été fabriqué de façon correcte ou non.

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Son effort est devenu essentiellement mental : le contrôle et la prise de décision sont beaucoup plus rapides25.

16 Autrement dit, dans la nouvelle organisation de la production – comme le constatent les sociologues des organisations qui s’intéressent à l’usine de Dalmine – non seulement l’activité de régulation de la production mais aussi le contrôle de la qualité du produit sont essentiellement confiés au système informatique qui, lui, nécessite très peu d’opérateurs sélectionnés parmi les salariés disposant de qualités professionnelles adéquates et ayant des aspirations de carrière26.

17 Cette nouvelle organisation technique produit également des conséquences sur les formes de sélection, recrutement et répartition de la main-d’œuvre au sein de l’usine. La sélection des salariés destinés à intégrer l’équipe opérant dans le nouveau laminoir, par exemple, est réalisée sur la base des « meilleurs » ouvriers à disposition de l’encadrement ainsi que de nouveaux recrutés. La sélection se fait en fonction d’une gamme de critères censés objectiver les qualités des salariés. Il s’agit de critères objectifs (jeune age, niveau d’éducation), comportementaux (intelligence abstraite et concrète, habileté dans l’utilisation des équipements), motivationnels (les volontaires sont privilégiés) et organisationnels (l’appréciation de la part des chefs d’équipe est un élément fondamental). Derrière la façade des critères « objectifs », il y a la volonté de façonner un nouveau groupe ouvrier plus en phase avec les objectifs gestionnaires, alors que les accords syndicaux sur les préretraites mettent hors-jeu l’ancienne génération qui abrite nombre de délégués syndicaux27. Un des effets de cette nouvelle politique du personnel est sans doute celui de produire une fragmentation des trajectoires professionnelles, comme on peut aisément la dégager de la lecture de l’organigramme de l’atelier après la mise en marche du nouveau laminoir. La plupart des salariés opérant dans la phase de laminage à chaud sont des anciens ouvriers (80 %) alors que ceux de la phase à froid sont essentiellement de nouveaux recrutés (70 %), plus jeunes et formés sur place par l’entreprise28. Si ce n’est pas de la fragmentation, c’est tout du moins une tentative de créer de toutes pièces de nouveaux collectifs ouvriers, étanches entre eux et caractérisés par une dynamique sociale plus favorable aux intérêts de l’entreprise, et ce à partir de la concurrence intergénérationnelle qui s’installe entre les salariés. La révision de l’organisation du travail dans le secteur du nouveau laminoir s’accompagne aussi d’un effort de requalification de la main- d’œuvre. Le pourcentage d’ouvriers qualifiés passe, entre 1972 et 1981, de 14 % à 60 %29, ce qui est probablement dû au réaménagement des classifications des emplois dans les conventions collectives, qui a contribué à valoriser une grande partie des qualifications des ouvriers30.

18 Cette offensive gestionnaire conditionne également les stratégies et les pratiques syndicales. Dans une conjoncture marquée à la fois par la crise de l’emploi et la crise politique des représentants ouvriers, les organisations syndicales sont poussées à intégrer le discours managérial sur la productivité, qui est souvent présenté sur le mode de l’évidence. Ceci n’est pas étranger au phénomène de déstabilisation d’une identité ouvrière construite sur la base des luttes égalitaristes et solidaires des années 1970. Ce changement d’attitude de la part des syndicats est ainsi commenté, quelques années plus tard, par un ancien militant de la CGIL, le syndicat d’inspiration socialiste et communiste qui a été longtemps majoritaire au sein de l’usine : Si toi, le syndicat, commence à dire que la chose la plus importante c’est la productivité… et ce même discours est ramené dans les réunions des comités de production, les objectifs syndicaux concernant la sauvegarde de la santé au travail

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ou le contrôle ouvrier de la production sont forcément révisés à la baisse, voire éliminés… Après ça, on pouvait même nous dire : dans cette usine, vous pouvez venir travailler en costume et cravate31 !

19 En somme, les innovations techniques et organisationnelles qui se mettent en place tout au long des années 1980 atteignent plusieurs objectifs dans le cadre d’une stratégie de réaménagement des relations sociales aux accents volontaristes. Elles affaiblissent les solidarités de groupe en favorisant la désarticulation des trajectoires professionnelles, elles contribuent à durcir la confrontation générationnelle, elles ternissent les identités de métiers portées par les anciens militants syndicaux. De manière fort symbolique, le passage à une nouvelle phase de relations industrielles est représenté par la remise en cause, puis l’abandon, de l’ancien mode de classement des emplois (ledit inquadramento unico, valable aussi bien pour les ouvriers que pour les employés). Ce dispositif ayant été introduit à Dalmine en 1971 avant même qu’il soit négocié au niveau de branche, il avait cristallisé les luttes les plus importantes des « années 68 » : égalitarisme salarial et professionnel, refus de la « monétisation » de la pénibilité du travail, équivalence entre travail manuel et travail intellectuel32.

20 La déception qui émerge des discours des militants confrontés aux conséquences de l’offensive de la direction tout au long des années 1980 s’inscrit donc dans un lent mouvement de déstructuration qui touche à la fois les liens de solidarité et les pratiques syndicales, les deux étant profondément imbriqués dans des pratiques de travail33.

Localisme et vote ouvrier

21 À Dalmine comme dans la plupart de la région Lombardie, entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, on assiste à l’émergence du consensus politique en faveur de la Ligue Lombarde (devenue ensuite Ligue du Nord). Aux élections régionales de 1990, par exemple, elle obtient environ 3 000 votes sur les 13 000 valables (23 % du total), alors que les partis traditionnels affichent des résultats en baisse : 4 550 votes pour la démocratie chrétienne (-935), 1 740 pour l’ancien parti communiste, désormais PDS (-746), 1 147 pour le parti socialiste (-686)34. Cette tendance est confirmée dans les années immédiatement suivantes : aux élections pour la Chambre de 1996, le candidat de la Ligue du Nord arrive en tête (41,1 % des votes) du collège uninominal dont la commune de Dalmine fait partie, en dépassant nettement les candidats des autres coalitions35.

22 L’érosion du consensus des traditionnels partis de masse, y compris de gauche, en faveur de la Ligue du Nord est confirmée par l’analyse des flux électoraux. D’après une étude du bureau de la statistique de la région Lombardie, à la fin des années 1980 le résultat électoral de la Ligue du Nord relève respectivement des votes provenant de la démocratie chrétienne (40 %), de la gauche (24 %), et des autres partis politiques (10 %), auxquels il faut ajouter les votes de « nouveaux » électeurs36. L’analyse du vote de la population ouvrière, quant à elle, montre de manière frappante la percée effectuée par la Ligue du Nord dans les milieux populaires. Selon une enquête de la CGIL de la Lombardie, en 1996 le premier parti parmi les ouvriers est la Ligue du Nord (33 %), suivi par les partis de gauche, le PDS et Rifondazione comunista (25 %), et par le parti berlusconien Forza Italia (18 %)37.

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23 Les sociologues ayant étudié le phénomène de la Ligue du Nord ont mis l’accent sur le fait que la géographie électorale de ce mouvement correspond à celle du changement qui, à partir de la crise économique du milieu des années 1970, a secoué une large partie du Nord de l’Italie. Il s’agit d’un territoire localisé essentiellement dans le nord- est du pays, caractérisé par une industrialisation diffuse, inscrit dans un environnement social mobile du point de vue économique, productif et démographique, et ayant une tradition politique homogène (démocrate-chrétienne). Dalmine et ses alentours correspondent parfaitement à ce portrait. Dans ces zones de la « périphérie industrielle », on assiste à la redéfinition des logiques de développement économique, des solidarités sociales et des liens politiques qui jusque-là apparaissaient consolidés, voire immuables. Dans une phase qu’on a tendance à qualifier de « post- industrielle », la crise des solidarités politiques traditionnelles se traduirait ainsi par la réaffirmation d’anciens particularismes qui étaient longtemps dépourvus de représentation38.

24 Or, les transformations intervenues dans le monde industriel à cette époque ne semblent pas avoir été mises au cœur des analyses portant sur l’essor du phénomène leghista ou, tout du moins, elles ne constituent pas le principal angle d’attaque39. Les effets de la crise de l’emploi et les opérations de restructuration industrielle qui suivent seraient-ils insuffisants pour expliquer ce basculement politique majeur ? Le discours de la Ligue du Nord étant axé sur la redécouverte de l’identité locale sous forme de rébellion au pouvoir central, de protestation antifiscale, de rejet de l’immigration (à commencer par celle « ancienne » des régions de l’Italie du Sud, puis remplacée par celle provenant d’Albanie et des pays africains), il met en cause les rapports traditionnels entre partis politiques, traditions culturelles et société. Il bouscule dans le fond les principales cultures politiques de la « Première République » : comment conjuguer, par exemple, le localisme et sa politisation avec l’interclassisme d’inspiration catholique ou l’égalitarisme cher aux partis de la gauche d’inspiration marxiste40 ?

25 Cet infléchissement identitaire n’épargne pas les grands bassins industriels de l’Italie du Nord qui, au contraire, offrent un lieu d’observation privilégié pour analyser comment s’articulent anciennes et nouvelles identités dans une phase de transition. En ce qui concerne le cas particulier de Dalmine, un détour par l’histoire de l’usine et de son ancrage dans le territoire offre les éléments indispensables pour mener ce type d’analyse.

Identité locale et subcultures politiques

26 L’usine de Dalmine, depuis ses origines, s’identifie avec sa communauté, dont elle interprète les besoins tout en essayant de les satisfaire ou bien de les prévenir. Dans le sillage de la tradition du paternalisme industriel du XIXe siècle, l’œuvre de tutelle personnelle de la force de travail en usine se prolonge tout au long du XXe siècle en assurant aux salariés différents services : caisse de prévoyance et maladie, logements, activités de loisir, formation professionnelle41… L’empreinte de la « fabrique totale » sur les salariés (l’installation de l’usine, par exemple, précède l’institution de la commune) monte d’un cran durant la période fasciste, d’autant que l’autorité de l’entreprise souvent l’emporte sur celle des représentants du régime de Mussolini (le maire de la commune de Dalmine est longtemps un des principaux dirigeants de

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l’entreprise !). Le recrutement de la main-d’œuvre se fait presque exclusivement dans le bassin où l’usine est installée : aussi après la seconde guerre mondiale, le recours à une main-d’œuvre immigrée (provenant des autres régions italiennes) demeure l’exception, alors que la persistance de la figure de l’ouvrier-paysan contribue à renforcer l’identification entre la population, le territoire et l’entreprise. L’influence de l’Église catholique, très implantée, est un élément supplémentaire qui contribue à régler, voire normaliser, les relations sociales au sein de l’usine, et ce à partir de l’action de « filtrage » que ses représentants exercent au moment de l’embauche jusqu’environ les années 1960 : les archives de l’entreprise, par exemple, conservent nombre de lettres de recommandation envoyées par le curé du village42. Tout cela explique pourquoi l’usine de Dalmine affiche une tradition de relations industrielles peu conflictuelle (avec l’exception notable des périodes 1919-1920 et 1968-1969, qui correspondent aux grandes vagues de conflictualité ouvrière qualifiées de biennio rosso43).

27 Compte tenu de ces conditions historiques, il n’est pas frappant de noter que nombre de mobilisations menées à Dalmine depuis la fin de la seconde guerre mondiale se situent dans le registre du « territoire ». Autrement dit, elles convoquent le thème de la défense des intérêts de la communauté, identifiée dans l’usine-ville, comme élément prioritaire des revendications des salariés. Les exemples sont nombreux. Entre 1948 et 1949, les initiatives de lutte s’opposant au projet de la société de déplacer les bureaux de la direction à Milan sont au cœur de la mobilisation ouvrière. Cette mesure est vécue par les syndicats comme une tentative de dissocier la trajectoire de l’entreprise de la communauté de Dalmine, dont les besoins avaient toujours pesé sur les choix stratégiques du management44. Pendant les années 1950, les « grèves politiques » organisées par le syndicat d’inspiration socialiste et communiste CGIL, par exemple la journée nationale de solidarité convoquée en avril 1954 pour protester contre la vague de licenciements dans les grandes entreprises industrielles de l’Italie du Nord, obtiennent une adhésion assez tiède. Par contre, les grèves s’inscrivant dans la bataille pour la suppression des « zones salariales » (les travailleurs de la province de Bergame ayant droit à une échelle de rémunération inférieure par rapport à d’autres provinces) sont largement suivies45. Dans les années 1960 et 1970, les élus du conseil municipal de Dalmine, tous partis confondus, interviennent à plusieurs reprises pour soutenir les luttes des salariés et, indirectement, faire pression sur l’entreprise au nom de la communauté dont ils sont l’expression. Ainsi, le 18 novembre 1969, ce même conseil vote la concession d’une contribution financière destinée aux ouvriers engagés dans la mobilisation pour le renouvellement du contrat de branche46. En avril 1971, c’est aux maires de Dalmine et des communes voisines de rédiger un manifeste en défense de l’usine47. Plus récemment, en 1986-1987, lors des négociations pour l’attribution des quotas de production de tubes au sein du groupe Finsider, les représentants locaux de la démocratie chrétienne font circuler des tracts et des affiches dans lesquels ils qualifient de « fainéants » les salariés de l’entreprise concurrente, la Fabbrica italiana tubi de Sestri Levante (près de Gênes)48, qui menace les perspectives de développement de l’usine de Dalmine. Bref, à y regarder de plus près, l’histoire des relations industrielles du grand établissement sidérurgique est parcourue d’épisodes réductibles au phénomène du « localisme ». Ceux-ci apparaissent sous plusieurs formes : de la défense corporatiste des intérêts de l’usine-communauté à la dénonciation xénophobe (les premiers étrangers étant les salariés ligures de Sestri Levante !) de menaces potentielles provenant de l’extérieur.

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28 Or, ces indices multiples doivent être replacés dans le contexte de crise (de l’emploi, du travail industriel, de l’identité ouvrière…) que les années 1980 représentent. C’est en effet la crise et ses effets déstabilisateurs qui deviennent le déclencheur du changement des sensibilités politiques, alors que les identités (individuelles et collectives) forgées par la grande usine « fordienne » s’estompent. Ainsi, la présence de subcultures qui insistent sur la primauté de la communauté locale, et qui ont longtemps coexisté avec les discours universalistes et solidaires propres au mouvement ouvrier, contribue probablement à faire du territoire le lieu privilégié de l’action revendicative, voire de l’action politique tout court. Ce phénomène ne semble pas être isolé dans le paysage industriel européen. À titre d’exemple, la « germanophobie » qui caractérise la lutte des sidérurgistes français de Denain et Longwy dans la même période revient à renforcer l’identité locale d’une communauté ouvrière fragilisée par les effets de la restructuration industrielle et en quête de nouveaux référentiels politiques et moraux49. Bien avant, à partir des années 1960, le mouvement « renardiste » en Wallonie bascule des revendications fédéralistes à la dénonciation de la domination flamande, en révélant le potentiel conservateur du milieu ouvrier notamment parmi les franges les plus exposées aux ravages économiques et sociaux de la crise50. Aussi dans le cas de Dalmine, ces subcultures s’affirment dans une phase marquée par la déstabilisation de la culture ouvrière et de ses porte-paroles traditionnels. Elles trouvent, du moins partiellement, une traduction politique dans la proposition de la Ligue du Nord, proposition qui est axée sur la revalorisation du territoire et de l’appartenance à celui-ci.

29 Si donc les intérêts corporatistes ou, plus généralement, locaux font figure de source principale pour consolider l’identité de la communauté, le territoire, à son tour, constitue le périmètre dans lequel on défend à la fois les intérêts et l’identité. L’usine, le monde ouvrier et les valeurs qu’ils expriment se retrouvent ainsi coincés entre l’identité locale et les intérêts du territoire.

Épilogue

30 À la fin de septembre 2009, le groupe multinational TENARIS (qui contrôle la société Dalmine depuis le début des années 2000) annonce un plan de réduction massive de ses effectifs à l’échelle nationale (1 000 salariés concernés sur un total de 2 700) dans le cadre d’une stratégie de rationalisation de ses activités sidérurgiques. Ce plan n’épargne pas l’usine bergamasque, qui est menacée de perdre pas moins de 800 emplois. D’après les premières réactions des salariés, le sentiment de préoccupation des plus âgés se mêle avec la volonté de rebondir des plus jeunes, alors que les représentants syndicaux et politiques locaux de tout bord s’empressent de trouver une solution « douce » à une décision considérée calamiteuse pour l’ensemble du territoire. Les négociations qui suivent dans l’immédiat aboutissent à un compromis jugé acceptable par toutes les parties. Elles reposent sur la réduction des effectifs via le recours à la mobilité interne au groupe industriel et aux préretraites.

31 Presque trente ans sont passés depuis la première restructuration industrielle qui avait conduit l’usine de Dalmine à accepter un fort amaigrissement en termes d’emplois, et qui s’était traduite par un véritable choc culturel pour une partie de la population ouvrière. Dès lors, les relations industrielles se sont normalisées, toutes les organisations syndicales ayant opté pour une stratégie de collaboration

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institutionnelle. Le vote pour la Ligue du Nord est devenu une affaire courante (aujourd’hui le maire de Dalmine est leghista), à l’instar de ce qu’on peut constater dans la province de Bergame ou dans le reste de la région lombarde. L’usine de Dalmine, quant à elle, a perdu la centralité qu’elle détenait en termes d’emploi mais aussi dans l’imaginaire collectif de la communauté. Et surtout, les ouvriers en tant que groupe social sont de moins en moins visibles, que ce soit à l’échelle locale ou nationale.

32 Aussi dans cette nouvelle conjoncture, il sera donc intéressant de vérifier l’impact de la crise économique et industrielle sur la formation du consensus politique, et de comprendre par là comment le thème de l’identité forgée dans (et par) le travail se décline avec l’identité territoriale et les subcultures qu’elle exprime. D’autant que la « culture ouvrière » d’antan semble désormais avoir disparue avec les conditions politiques, économiques et sociales qui l’avaient générée, et que les modifications structurelles intervenues dans l’économie lombarde et italienne (atomisation du marché du travail, précarisation des emplois, tertiarisation des secteurs industriels…) semblent profiter à l’installation des mouvements politiques directement issus de la phase « post-industrielle » comme la Ligue du Nord51. Cela dit, il n’est pas à exclure que les nouvelles formes de travail subordonné ne soient pas en mesure d’exprimer de nouvelles exigences, aspirations ou frustrations, en mesure de pouvoir reconfigurer le champ politique. Les années 1980, de ce point de vue, sont très riches d’enseignements.

NOTES

1. M. Golden, Heroic Defeats. The Politics of Job Loss, Cambridge, Cambridge University Press, 1997. 2. P. Perotti et M. Revelli, Fiat, autunno 80: per non dimenticare, Milan, Garzanti, 1987. 3. A. Sangiovanni, Tute blu. La parabola operaia nell’Italia repubblicana, Rome, Donzelli, 2006. 4. S. Musso, « Travail et mouvement ouvriers en Italie », Histoire & Sociétés. Revue européenne d’histoire sociale, no 28, 2009, p. 82-94. 5. L’historiographie italienne sur les années 1980 étant encore dans une phase pionnière, les auteurs qui ont essayé d’interroger les conséquences du changement économique et industriel sur le champ politique sont peu nombreux. Voir par exemple P. Ginsborg, L’Italia del tempo presente. Famiglia, società civile, Stato, Turin, Einaudi, 1998. Des éléments de réflexion se trouvent aussi dans R. Gualtieri, « L’impatto di Reagan. Politica ed economia nella crisi della prima repubblica (1978-1992), dans S. Colarizi, P. Craveri, S. Pons et G. Quagliarello (dir.), Gli anni ottanta come storia, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2004, p. 185-213. 6. Pour une discussion sur cette question à partir du cas italien voir A. Accornero, Era il secolo del lavoro, Bologne, Il Mulino, 2000. 7. S. Musso, Storia del lavoro in Italia dall’Unità a oggi, Venise, Marsilio, 2002, p. 245-253. 8. Voir à ce propos la dénonciation de S. Beaud, M. Pialoux, Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbeliard, Paris, Fayard, 1999. 9. Voir F. Ricciardi, « Lavoro, culture della produzione e relazioni industriali », dans F. Amatori et S. Licini (dir.), Dalmine 1906-2006. Un secolo d’industria, Dalmine, Quaderni della Fondazione Dalmine, 2006, p. 203-231.

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10. C. Bouillaud, « La question septentrionale », dans M. Lazar (dir.), L’Italie contemporaine de 1945 à nos jours, Paris, Fayard, 2009, p. 157-167. Voir aussi R. Chiarini, « Il disagio del Nord, l’anti- politica e la questione settentrionale », dans S. Colarizi, P. Craveri, S. Pons et G. Quagliarello (dir.), Gli anni ottanta come storia, ouvr. cité, p. 231-265. Sur les racines anthropologiques de l’indépendantisme nordiste incarné par la Ligue du Nord voir L. Dematteo, L’idiotie en politique. Subversion et populisme en Italie, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme-CNRS éditions, 2007. Sur le rapport entre la « question ouvrière » et la « question septentrionale », à partir notamment du cas de l’usine de Dalmine, je suis largement redevable des réflexions contenues dans M. G. Meriggi, Gli operai della Dalmine e il loro sindacato. Momenti della pratica sindacale della Fiom in una zona ‘bianca’, Bergame, Il Filo d’Arianna, 2002, dont le présent article s’inspire et se veut aussi la poursuite. 11. Y. Meny et V. Wright, La crise de la sidérurgie européenne, Paris, Presses universitaires de France, 1985, p. 192-218. 12. Voir par exemple X. Vigna, « Les ouvriers de Denain et de Longwy face aux licenciements (1978-1979) », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 84, no 4, octobre 2004, p. 129-137. 13. R. Franck, G. Dreyfus-Armand, M. Le Puloch, M.-F. Levy et M. Zancarini-Fournel, « Crises et conscience de crise. Les années de la fin de siècle », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 84, no 4, octobre 2004, p. 75-82. 14. Voir M. Balconi, La siderurgia italiana (1945-1990). Tra controllo pubblico e incentivi di mercato, Bologne, Il Mulino, 1991. 15. R. Ranieri, « Prodotti e mercati », dans F. Amatori et S. Licini (dir.), Dalmine 1906-2006, ouvr. cité, p. 152-157. 16. F. Ricciardi, Lavoro, conflitto, istituzioni. La Fiom di Bergamo dal dopoguerra all’autunno caldo, Bergame, Il Filo d’Arianna, 2001, p. 160-174. 17. Dalmine Spa, Assemblea degli azionisti 19 aprile 1980. Esercizio 1979, p. 13. 18. FD, D (Fondazione Dalmine, Archivio storico Dalmine, Dalmine), Lcda, reg. 31, procès-verbal du 26 juillet 1979, p. 58. 19. Ces chiffres ont été tirés des tableaux publiés en annexe dans F. Amatori et S. Licini (dir.), Dalmine 1906-2006, ouvr. cité, p. 336-342. 20. F. Ricciardi, « Lavoro, culture della produzione e relazioni industriali », art. cité, p. 225-229. 21. Voir par exemple A. Ciglia, « Restructuring and Industrial Relations in Italy’s Big Steel: the Experience of Dalmine », dans R. Ranieri et E. Galimberti (dir.), The Steel Industry in the New Millenium, vol. 2 : Institutions, Privatisations and Social Dimensions, Londres, Iom, 1998, p. 233-234. 22. F. Butera, « La progettazione congiunta di tecnologia e organizzazione. Il caso Dalmine NTM », Studi organizzativi, no 3-4, 1984, p. 189. 23. Cité dans C. Pedrocco, « Tecnologia, processi e organizzazione del lavoro », dans F. Amatori et S. Licini (dir.), Dalmine 1906-2006, ouvr. cité, p. 179. 24. M. Boninelli, « Il ‘Nuovo Treno Medio’ a Dalmine », Primo maggio, 1981, no 15, p. 60-63. Sur la conversion du travail ouvrier dans la sidérurgie voir aussi S. Monchatre, « De l’ouvrier à l’opérateur : chronique d’une conversion », Revue française de sociologie, no 1, 2004, p. 69-102. 25. Cité dans C. Pedrocco, « Tecnologia, processi e organizzazione del lavoro », art. cité, p. 187. 26. F. Butera, « La progettazione congiunta di tecnologia e organizzazione. Il caso Dalmine NTM », art. cité. 27. ACdf Dalmine (Archivio consiglio di fabbrica Dalmine, Istituto per la storia della resistenza e dell’età contemporanea, Bergame), fald. 90, b. a, fasc. 2, « Assetto organizzativo NTM e ruoli a livello impiegatizio », n. d. [après 1980]. 28. M. Musazzi, Il caso Dalmine, Sesto San Giovanni, Fondazione Regionale Pietro Seveso-Istituo per la ricerca, formazione e documentazione sindacale, n. d. [1982]. 29. Ibid.

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30. Avec le nouveau contrat de branche de 1973, les traditionnelles classifications des ouvriers de la métallurgie (manœuvre, ouvrier commun, ouvrier spécialisé, ouvrier qualifié…) disparaissent au profit d’une nouvelle nomenclature (l’encadrement unique) applicable aussi bien aux ouvriers qu’aux employés. Celle-ci ramène vers le haut une bonne partie des ouvriers spécialisés. Voir sur ce sujet P. Causarano, « Sindacato e culture del lavoro : qualità, qualificazione e inquadramento del lavoro », dans Dalle Partecipazioni statali alle politiche industriali. Storie industriali e del lavoro, Rome, Meta Edizioni, 2003, p. 29-57. 31. Cité dans M. G. Meriggi, Gli operai della Dalmine, ouvr. cité, p. 142. 32. « Analisi sull’inquadramento unico alla Dalmine e proposte per l’applicazione », In controluce, supplément à Il lavoratore metallurgico, no 37, mai 1973. Sur l’importance de l’encadrement unique ouvriers/employés pour la compréhension de la recomposition des relations industrielles durant les années 1970 voir P. Causarano, « Entreprise, culture de travail et conflit industriel en Italie après l’« automne chaud » (1969) : l’encadrement unique, une clef de lecture », Cahiers d’histoire, no 72, 1998, p. 99-122. 33. Voir sur ce point M. Pialoux, « Le vieil ouvrier et la nouvelle usine », dans P. Bourdieu (dir.), La misère du monde, Paris, Éditions du Seuil, 1993, p. 513-538. 34. Données tirées de < http://www.comune.dalmine.bg.it/info.php?id=358> [dernière consultation en mai 2010]. 35. M. G. Meriggi, Gli operai della Dalmine e il loro sindacato, ouvr. cité, p. 98. 36. Ibid. 37. Ibid., p. 108-109. 38. I. Diamanti, La Lega. Geografia, storia e sociologia di un nuovo soggetto politico, Rome, Donzelli, 1993, p. 19-42. 39. À quelque exception près : voir par exemple A. Cento-Bull et M. Gilbert, The Lega Nord and the Northern Question in Italian Politics, Londres, Palgrave, 2001. On retrouve cette approche dans les travaux sociologiques qui ont étudié la dimension politique des « districts industriels » italiens. Voir C. Trigilia, Grandi partiti e piccole imprese. Comunisti e democristiani nelle regioni a economia diffusa, Bologne, Il Mulino, 1986. 40. Voir les résultats issus de premières enquêtes sur la Lega Lombarda menées au début des années 1990 : R. Mannheimer (dir.), La Lega Lombarda, Milan, Feltrinelli, 1991. 41. C. Lussana et M. Tonolini, « Dalmine: dall’impresa alla città », dans C. Lussana (dir.), Dalmine dall’impresa alla città. Committenza industriale e architettura, Dalmine, Quaderni della Fondazione Dalmine, 2003, p. 65-127. 42. FD, D, Pva, 9, 1, « Operai. Elenco con domande di lavoro di operai ». Cette pratique se reflétait de manière paradoxale dans le nombre élevé d’adhésions que le syndicat d’inspiration catholique CISL affichait, alors qu’aux élections de la commission interne – l’organisme censé représenter les salariés au sein de l’usine –, les métallurgistes affiliés à la centrale socialiste et communiste CGIL prévalaient souvent. 43. F. Ricciardi, « Lavoro, culture della produzione e relazioni industriali », art. cité, passim. 44. M. Tonolini, Le relazioni industriali alla Dalmine dalla Liberazione alla metà degli anni Cinquanta, mémoire de maîtrise, Università degli studi di Milano, 2001-2002, p. 157-180. 45. F. Ricciardi, « Lavoro, culture della produzione e relazioni industriali », art. cité, p. 215-216. 46. M. G. Meriggi, Gli operai della Dalmine, ouvr. cité, p. 79. 47. ASI (Archivio storico Intersind, Rome), AS, C, C2, b. 83, f. 369, texte d’un manifeste rédigé par les maires de Dalmine et des alentours, 19 avril 1971. 48. M. G. Meriggi, Gli operai della Dalmine, ouvr. cité, p. 144-145. 49. X. Vigna, « Les ouvriers de Denain et de Longwy », art. cité. La superposition entre revendications identitaires liées à la notion de « territoire » et revendications ouvrières plus traditionnelles n’est pas pour autant une affaire reléguée aux années 1980. Voir par exemple

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B. Porhel, Ouvriers bretons. Conflits d’usine, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008. 50. X. Vigna, Histoire des ouvriers en France au XXe siècle, Paris, Perrin, 2012, p. 293-295 (à paraître). 51. R. Biorcio, « La società civile lombarda e la politica: dagli anni del boom a fine millennio », dans D. Bigazzi et M. Meriggi (dir.), Storia d’Italia. Le regioni. La Lombardia, Turin, Einaudi, 2001, p. 1025-1064.

RÉSUMÉS

Cet article se concentre sur les rapports entre crise industrielle, monde du travail et reconfiguration du paysage politique dans l’Italie des années 1980. À partir d’une étude historique sur l’évolution des relations sociales et des modes de production dans l’usine sidérurgique de Dalmine, en Lombardie, il interroge le lien potentiel entre les processus de restructuration industrielle, la crise de l’identité ouvrière et l’émergence de subcultures territoriales. Frappé par le chômage et la perte de centralité de ses porte-paroles (notamment les syndicats), le monde des ouvriers de l’industrie se penche de plus en plus vers le message politique d’un acteur nouveau, la Ligue du Nord, qui insiste sur la primauté de la communauté et de son identité. L’article veut ainsi éclairer certains aspects peu considérés de ladite « question septentrionale », c’est-à-dire l’essor d’un nouveau type d’autonomisme dans les régions du Nord de l’Italie.

Questo articolo si concentra sui rapporti tra la crisi industriale, il mondo del lavoro e la riconfigurazione del paesaggio politico nell’Italia degli anni Ottanta. A partire da un’indagine storica sull’evoluzione delle relazioni sociali e dei modi di produzione nello stabilimento siderurgico di Dalmine, in Lombardia, l’articolo vuole interrogare il nesso potenziale tra i processi di ristrutturazione industriale, la crisi dell’identità operaia e l’emergere di subculture territoriali. Colpito dalla disoccupazione e dalla perdita di centralità dei suoi rappresentanti (in particolare i sindacati), il mondo operaio si rivolge sempre di più verso il messaggio politico di un nuovo attore, la Lega Nord, che insiste sul primato della comunità e della sua identità. Lo scopo dell’articolo è di illuminare alcuni aspetti poco considerati della cosiddetta «questione settentrionale», vale a dire l’affermarsi di un nuovo tipo di autonomismo nelle regioni dell’Italia del nord.

This essay deals with the relationship between the industrial crises, the working class identity and the reconfiguration of the political situation in Italy during the 1980s. Starting with the study of the history of social relations and modes of production at the Dalmine steelworks, in Lombardy, this contribution questions the potential link between the industrial restructuring processes, the crises of the working class identity, and the rise of local subcultures. While the industrial working class was affected by unemployment and by the weakness of its representatives (especially the unions), workers turned to the political message of a new player, the Lega Nord. The paper insists on the primacy of the local community and its identity. It discusses some neglected aspects of the so-called ‘Northern issue’, i.e. the rise of a new type of autonomist political movement in the northern Italian regions.

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INDEX

Parole chiave : Crisi industriale, mondo operaio, siderurgia, Lega Nord, autonomismo, fabbrica, Dalmine, disoccupazione, subculture territoriali Keywords : industrial crisis, working class, steel industry, Lega Nord, localism, steelworks, Dalmine, unemployment, local subcultures Mots-clés : crise industrielle, monde ouvrier, sidérurgie, Ligue du Nord, autonomisme, usine, Dalmine, chômage, subcultures territoriales

AUTEUR

FERRUCCIO RICCIARDI Centre Maurice Halbwachs (CNRS – EHESS - ENS)

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Cambiamento sociale e attivismo giovanile nell’italia degli anni Ottanta: il caso dei centri sociali occupati e autogestiti Changement social et activisme des jeunes dans l’Italie des années quatre-vingt : le cas des centres sociaux occupés et autogérés Social change and youth activism in the eighties: the squatted social centres

Beppe De Sario

Domande e chiavi di accesso agli anni Ottanta

1 Gli anni Ottanta italiani si sono prestati a lungo a rappresentazioni divaricanti, suscitate anche in storiografia da pressioni dell’attualità e da raffronti con le fratture e le impasse del passato recente della società italiana e dell’evoluzione istituzionale seguita alla crisi del 1992-19941. D’altra parte, è indubbio che gli anni Ottanta come matrice del presente siano ancora fortemente presenti nel panorama sociale e nella nostra esperienza quotidiana: nelle degenerazioni del sistema politico che osserviamo, nei mutamenti dei costumi e dei consumi, negli strumenti e nelle risorse della comunicazione e della produzione culturale, nelle forme del lavoro e del sistema produttivo, nelle esperienze di partecipazione sociale extra-istituzionale e nella società civile organizzata, fino alla rottura di – discutibili – caratteri culturali di base dell’attuale società italiana che non riuscirebbe ad allontanarsi da familismo, nepotismo, clientelismo e corruzione2 in favore di uno spirito civico repubblicano e democratico. Anche a partire da questa cornice storica e discorsiva risulta la complessità di un avvicinamento storiografico agli anni Ottanta; e ciò fondamentalmente per la molteplicità di filtri che l’esperienza, la memoria e la soggettività frappongono alla ricerca storica; senza contare la necessità di fare i conti con i ricorrenti tentativi di uscita dalla – o regressione nella – transizione italiana tra

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prima e seconda repubblica che in misura diversa hanno coinvolto intellettuali e studiosi, e tra di essi anche gli storici e le storiche.

2 Per accostarsi alla storia degli anni Ottanta si pone un primo esercizio propedeutico: di banalizzazione e complessificazione, al tempo stesso. Un’opzione nuova, quindi, risulterebbe quella di considerare più a fondo l’ovvia novità che gli anni Ottanta inaugurarono rispetto al tempo precedente, e insieme la capacità di divenire un dispositivo chiamato a riformulare, tradurre e recuperare elementi tratti dai suoi passati e da scenari differenti. È vero infatti, ad esempio, che alcune radici degli anni Settanta e Ottanta vanno ricercate nei caratteri profondi del “miracolo economico” e nelle ambivalenze della modernizzazione degli anni Sessanta, le quali devono essere lette non nonostante ma piuttosto in relazione a «contemporanei [agli anni Sessanta] processi di incubazione di fasi e climi così differenti»3 sviluppati poi nei due decenni successivi. D’altra parte, nell’accostarsi agli anni Ottanta la sola fissazione sui caratteri della modernizzazione italiana può essere insufficiente, o fuorviante. Difatti, valutando la crisi italiana tra anni Settanta e Ottanta sono stati anche evidenziati vincoli di vario genere relativi ai nodi critici del sistema politico repubblicano e al suo rapporto con la società: la mancanza di una rivoluzione democratica negli anni immediatamente successivi alla seconda guerra mondiale, il bipartitismo “bloccato” fondato su PCI e DC, il clientelismo e la corruzione, l’immobilismo del PCI in diverse fasi decisive, e per un altro verso la varietà dei comportamenti sociali proprio entro una modernizzazione degli anni Sessanta segnata dall’affermarsi dell’individualismo ma anche da nuove esperienze politiche e sociali, attraverso la mobilità sociale e geografica (con le migrazioni interne, dal sud al nord industriale) e la partecipazione collettiva4.

3 È vero tuttavia che permangono rappresentazioni assai nette, a proposito del passaggio tra anni Settanta e anni Ottanta5. Diversi scrittori – da Giancarlo de Cataldo a Giuseppe Genna e al collettivo Wu Ming – hanno fatto ampiamente uso di narrazioni del genere6, impregnate dalla rappresentazione di un tempo in mutazione: dai valori collettivi a una specifica via italiana all’individualizzazione della società, in qualche modo opaca e degenere; e in fondo hanno immerso l’immaginazione letteraria in un immaginario sociale già largamente orientato da queste proiezioni ideali. Suggestioni analoghe affiorano anche in storiografia, se è vero che pur procedendo dall’intenzione di superare sia la damnatio memoriae sia l’apologia malinconica di una nuova modernizzazione mancata, anche studi recenti7 sugli anni Ottanta tendono a definire un panorama concettuale e interpretativo decisamente binario e dicotomico, per quanto lo facciano in modo non convenzionale. Se pure vi si propone – per la storiografia – il superamento del conflitto tra “apocalittici” e “integrati”, riportato nel dibattito coevo dalla popolarizzazione delle riflessioni di sugli atteggiamenti sociali nei confronti del mutamento degli anni Sessanta8, ciò avviene a favore di una visione non meno rigida della trasformazione in atto, sintetizzabile in uno scenario nel quale si sarebbero imposti processi socio-culturali radicalmente nuovi (l’esplosione dei ceti medi, la rivoluzione delle comunicazioni di massa, dei consumi, dei valori “postmaterialistici”, l’affermazione internazionale della politica neoliberista thatcheriana e reaganiana) ma è forte la sensazione che per tale punto di vista ciò sia avvenuto senza alcuna mediazione, e certamente con scarsa consapevolezza degli attori sociali, specie nella sinistra istituzionale e in generale tra i partiti di massa. L’effetto è quindi disorientante e squilibrato: da una parte, ad esempio, si sostiene l’affermazione di un “uomo nuovo” che sarebbe emerso dalla crisi dei corpi sociali intermedi e in

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rottura con il sistema sociale e politico precedente, per definire la quale è chiamata in causa la contemporanea letteratura sociologica e filosofica, da Lyotard a Castells e Beck. Dall’altra, l’affermazione dell’ethos individualistico, che pure sembra una rottura epocale, viene associata correttamente a un contesto nazionale italiano nel quale la nozione liberale di individuo – e le sue istituzioni – non è mai coincisa con un vasto progetto civile e istituzionale9. In sostanza, è così tratteggiato un panorama di radicali e suggestive novità, specie oltre il confine nazionale, ma è presupposta l’assenza di mediazioni profonde agite da soggetti specifici, risorse della tradizione o della società civile capaci di tradurre e portare i “tempi nuovi”10, pur con le loro ambivalenze, a coordinate attingibili dalla società italiana in mutamento.

4 Questo atteggiamento conduce a un’enfasi pessimistica sul rapporto tra mutamento sociale e sistema politico, nonché sulla frattura tra “cittadini” e “partiti”: più forte, da noi, si accese il contrasto tra i cittadini che accettarono l’accelerazione del tempo storico di volta in volta con entusiasmo, con realismo o con rassegnazione, e al contrario i grandi partiti politici di integrazione di massa, che fecero di tutto per frenare o perlomeno per rallentare la corsa, con il risultato di restare per tanti versi estranei al mutamento11.

5 Un mutamento che viene rappresentato in questa citazione, perlopiù, senza il protagonismo dei soggetti collettivi, riassunti nel ruolo – mancato – avuto dai partiti politici. Va considerato, tuttavia, che sebbene si debba ammettere questa dissociazione tra bisogni e ambizioni dei soggetti e sistema politico12, resta ancora inadeguato lo strumentario concettuale per leggerne correttamente i rapporti, al di là della semplice rappresentazione di una incomprensione storica mai più sanata. Laddove questi rapporti si dissolvono, quindi, occorre cercarne di nuovi, di diversa natura, e con altri occhi. Potrebbe pertanto risultare utile accostarsi a una concezione “agonistica” della democrazia in società complesse13, laddove non appaiono solamente sfide antagoniste tra soggetti ben definiti in reciproca opposizione (come nella rappresentazione dei conflitti sociali degli anni Settanta) né un puro gioco di governance tra attori di pari grado all’interno del medesimo ordine egemonico (come vorrebbero il neoliberalismo o la sinistra della “terza via”, che intendono per strade diverse neutralizzare lo scenario antagonista), ma invece conflitti asimmetrici nei quali le tendenze escluse o subalterne, eppure ugualmente emergenti, puntano piuttosto a riattivare le possibilità sopite dall’ordine egemonico: every hegemonic order is susceptible of being challenged by counter-hegemonic practices, i.e. practices which will attempt to disarticulate the existing order so as to install another form of hegemony14.

Il lungo ’68 e gli anni Settanta: radici o spettri del decennio successivo?

6 La lettura generale degli anni Ottanta dovrebbe accostarsi, per maggiore completezza, alla domanda sul ruolo da attribuire ai movimenti sociali e politici degli anni Settanta. Questa relazione è letta in maniera differente e composita dalle interpretazioni storiografiche che hanno segnalato proprio i movimenti dei Settanta sia come risorse positive sia come radici delle impasse successive: tra l’affermarsi di «culture particolaristiche»15 e un predominio debole esercitato dalla politica istituzionale, incapace di integrare l’emergente domanda sociale e guidare il passaggio da un decennio all’altro16. Ciò, tuttavia, si sarebbe sviluppato accanto a un protagonismo

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autonomo dei «ceti medi riflessivi» e della società civile organizzata17 il cui ruolo sarebbe stato decisivo nella decodifica – certo parziale, e socialmente non egemone – del cambiamento in atto.

7 A proposito, invece, delle interpretazioni conservatrici più popolari degli effetti sociali del ’68 e degli anni Settanta, un’accusa è quella di aver portato a una sorta di relativismo culturale, che avrebbe destabilizzato i valori e le identità tradizionali dell’occidente. Di conseguenza, l’urgenza di ritrovare un nuovo equilibrio del panorama sociale si sarebbe tradotta nella richiesta di ordine, da una parte, e allo stesso tempo di maggiore libertà individuale, accesso ai consumi, sottrazione ai controlli e alla regolazione statale, dall’altra. Questa ipotesi pare avvicinare le letture della destra neoliberale europea a quelle di alcuni storici italiani18, negli anni più recenti. A un’osservazione approfondita, tuttavia, si tratta di caratteri poco conciliabili tra loro, tenuti assieme a posteriori solo dall’ideologia neoliberale nella vulgata prodotta dalla reazione alle culture libertarie del ’68. Vi appare inoltre un palese paradosso, evidenziato da diversi critici del primo neoliberismo reaganiano e thatcheriano19, che hanno osservato la convergenza, nella nuova agenda ideologica, di elementi di tradizionalismo conservatore coniugati con un loro uso strategico altamente disgregante nei confronti degli stessi valori della “common culture”. Non per caso l’agenda neoliberale – in questo caso, britannica – è stata fin da principio eclettica, essa stessa relativista, e ha condotto a una dissoluzione dei legami sociali tradizionali del dopoguerra, fondamentalmente intrecciati alle culture del movimento operaio e al welfare state20. Nella sostanza, l’irruzione della «jouissance»21 individualistica in un sistema di governo del sociale che trasgredisce costantemente se stesso – ad esempio nella forma del populismo o del nazionalismo, ammiccanti tanto alla tradizione e alla comunità quanto all’edonismo e all’individualismo acquisitivo – ha condotto a depotenziare il conflitto sociale incentrato sullo status e sulle risorse, contribuendo proprio per questa via alla dissoluzione di ogni principio di autorità, che lo stesso neoliberismo conservatore – ufficialmente – paventava.

8 Ovviamente, la riflessione circa il ruolo e gli esiti dei movimenti sociali dei Sessanta- Settanta è segnata in maniera decisiva dalle storie nazionali: l’acme del conflitto sociale è da collocare negli anni Sessanta o nei Settanta? Quando, invece, si sarebbe affermato il “riflusso” di tali movimenti? Quali ne sono le periodizzazioni? Quale rapporto si instaura tra movimenti politici e culturali? Ad esempio, in Gran Bretagna gli anni Settanta sono generalmente letti come il decennio della crisi e del riflusso militante; mentre un altro punto di vista22 vi vede lo sviluppo di fenomeni controculturali legati alla cultura hippy, in una traduzione locale neotradizionalista (le fiere di Albione, i free festival musicali), che in parte risulta ironica e parodistica, ma in parte un vero e proprio contro-uso della tradizione inglese (dai travellers, fino ai ravers). Tra i Settanta e gli Ottanta vi è inoltre l’irruzione della politicizzazione postcoloniale, in un rapporto complesso tra attivismo radicale, culture musicali giovanili e fermenti identitari che impattano su diverse culture dell’attivismo, a partire da quelle femministe e giovanili. Su quest’ultimo campo si innestano elementi differenti, tra i quali la cultura anglo- caraibica del sound-system23, la politicizzazione del punk rock e l’“embodiment” della crisi economica che esso ha effettuato attraverso il suo stile degenere e innaturale24. In tal modo viene fondata una politicizzazione che reagisce al thatcherismo ma anche alla crisi delle culture del movimento operaio e del laburismo; tant’è che il laburismo della terza via, con l’enfasi degli anni Novanta sulla “cool Britannia”, sarà piuttosto una

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ripresa morbida di alcuni aspetti ideologici del thatcherismo. In questo contesto, le controculture britanniche hanno rappresentato nel passaggio tra anni Settanta e anni Ottanta uno spazio di negoziazione e di storicità applicato alle vicende dei movimenti di opposizione: nei confronti dell’elemento postcoloniale, per la traduzione culturale di movimenti precedenti, per l’articolazione di radice nazionale e transnazionalizzazione.

9 Per tornare all’Italia, la posizione neoliberista, per quanto debole, ha tuttavia tentato di dare una risposta all’impasse teorica che affligge anche lo sguardo storiografico, a proposito del rapporto dei movimenti degli anni Settanta col mutamento sociale. La storiografia italiana, specie quella di sinistra, ha tracciato un proprio ciclo evolutivo, andato da letture edificanti e progressive a tonalità maggiormente pessimistiche sia sugli esiti sia sulle dinamiche interne al ciclo dei movimenti. Ciò appare nella diffusione di una prospettiva alla lunga liquidatoria, per la quale l’irrigidimento delle culture degli “anni ’68” avrebbe portato a una fissazione sul tema della violenza25 e a posizioni particolaristiche anche nella politica dei movimenti, insieme a una crisi del loro stesso pluralismo26. A questo, secondo tale prospettiva, avrebbero contribuito anche il movimento del ’77 e il femminismo radicale, collocati nel contesto di “incomunicabilità” e fine dell’universalismo della seconda metà del decennio. I caratteri originari del ’68, al contrario, avrebbero mostrato «la capacità di mescolare i linguaggi e le appartenenze»27; tuttavia, proprio alcuni caratteri distintivi (legami di affinità generazionale, presa di parola, antiautoritarismo) ne avrebbero segnato gli esiti in termini di eredità storica: il militante del ’68 sarebbe stato una “parentesi troppo breve” per aver lasciato segni nella militanza e nell’attivismo politico successivo, nonostante la «‘lunga marcia’ attraverso le istituzioni», espressione che allude in qualche modo alla diffusione sociale del movimento28. Senza processi e soggetti di mediazione, tali lasciti del ’68 verrebbero sì conservati, ma consegnati al tempo successivo solo ammettendo un carattere eccezionalista riservato ai migliori interpreti del lungo ’68, ovvero alla stessa prima generazione che ne fu protagonista. Ne emerge la «meglio gioventù»29: generazione socialmente partecipativa che approda alle virtù civiche e all’adesione alle regole della civile convivenza; la quale, pur minoritaria, avrebbe presidiato alcuni spazi sociali contro gli animal spirits del neoliberismo degli anni Ottanta (sullo sfondo, pur mai citato, del “berlusconismo” in incubazione). Eppure si tratterebbe di un’eredità poco trasferibile, proprio perché frutto di una specifica esperienza generazionale e personale, viziata da una forte «memoria possessiva»30 : dopo il «ribellismo» e il «dogmatismo», la generazione del ’68 giungerebbe a «una nuova consapevolezza derivante proprio da questi precedenti: finalmente regole accettate con convinzione, nei loro contenuti, come scelte dettate solo dalla propria coscienza»31. All’interno di tale argomentazione, l’autopercezione di unicità – quindi la presunta mancanza di eredi e risultati tangibili, se non all’interno dei percorsi biografici della prima generazione – si riverbera in una netta separazione nei confronti delle generazioni successive.

10 Il tema delle regole, ovvero la corrente interrotta e inaridita del senso civico e della cultura civile, in quanto fallimento primario del ’68, si ripropone anche altrove. Se il testo di Giovanni De Luna si carica volutamente di una forte prospettiva soggettiva – giocando tuttavia, nell’argomentazione, tra autobiografia e neutralità dello storico – l’approccio maggiormente problematico a proposito dell’impatto socio-culturale e politico dei Settanta è nella posizione di Guido Crainz, secondo il quale il ’68, nonostante la radicalità impiegata e le discontinuità rispetto al passato, non è stato in

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grado di delineare un’etica pubblica o una risposta globale ai bisogni di governo del cambiamento che pure aveva interpretato. Sostiene Crainz che negli anni Ottanta verranno in realtà alla luce, senza più ostacoli, tendenze presenti sin dall’inizio della «grande trasformazione» e poi proseguite sotto i sommovimenti e le brucianti tensioni degli anni Settanta […]. [Gli «anni ’68»] ci appaiono inadeguati, invece, di fronte a un nodo centrale, neppure aggredito in tutti i suoi versanti: l’esigenza cioè di introdurre correzioni e anticorpi collettivi rispetto alle modalità della «modernizzazione italiana». Di costruire, più ancora, regole adeguate a un’Italia in trasformazione: questione che negli «anni ’68» neppure si pose 32.

11 I termini chiave che qui interrogano il ’68 e gli anni Settanta non paiono tanto quelli che attengono a effetti sociali profondi, o per un altro verso all’agenda concreta dei movimenti; tali termini, invece, si confondono in una retorica suggestiva che si riferisce all’evento ’68 quasi che avesse dovuto incarnare fattezze e responsabilità da classe dirigente, che in verità mai ebbe al tempo del suo sviluppo in quanto movimento sociale. Ovvero: il ’68 avrebbe dovuto, o potuto, correggere la curvatura politico- istituzionale degli anni Settanta in favore di “regole adeguate a un’Italia in trasformazione”? Emerge, a mio avviso, un limite fondamentale in un approccio del genere; anzitutto, uno sguardo retrospettivo che si fissa sulle responsabilità collettive successive della generazione del ’68; inoltre, vi è il limite di concentrarsi su un piano prevalentemente etico-politico, nel quale la crisi istituzionale italiana esplosa negli anni Ottanta è assurta a cartina di tornasole dell’inefficacia ed evanescenza dei cambiamenti socio-culturali e politici degli anni Settanta, sebbene si tratti di due piani non perfettamente commensurabili. Sembra prevalere su tutto – e certamente sulla varietà delle vicende successive – il paese della modernizzazione e del riformismo sconfitti, all’interno del «paese mancato»33. In tal modo non vengono considerati quei cambiamenti persistenti che pure sono venuti in luce nella società civile, nell’associazionismo come nei ceti produttivi subalterni (insieme ai nuovi ceti medi produttivi, si afferma infatti la prima generazione precaria), ma anche in ambiti di politicizzazione sconosciuti agli anni Sessanta-Settanta, come quelli – per quanto ambivalenti – legati all’ambiente e al territorio34, al femminismo di nuova generazione e alle identità di genere35, alle culture e controculture giovanili36.

12 Nelle interpretazioni politico-storiografiche più consolidate, quindi, gli anni Ottanta sarebbero sostanzialmente la scena del precipitare di caratteri – e/o vizi – originari della democrazia repubblicana, della modernizzazione postbellica in Italia, a ciò aggiungendo il vicolo cieco intrapreso dalla generazione del ’68. Da ciò conseguirebbe un viatico per depotenziare e trascurare empiricamente gli esiti socio-culturali dei movimenti degli anni Settanta. Sarebbe invece necessario avvicinare gli strumenti concettuali di altre discipline che hanno approfondito il problema dell’agency in società complesse: gli studi culturali, la sociologia della cultura e dei movimenti sociali, gli studi postcoloniali e sulla globalizzazione, l’analisi della società dell’informazione. Da qui si potrebbero ridefinire termini ampiamente affermati per la descrizione di tale fase critica dell’Italia repubblicana – da “riflusso” a “partitocrazia”, da rivoluzione dei consumi a individualismo – coniugandoli con la considerazione di più ampi spazi di autonomia e complessità del sociale. Il crogiuolo di tutto ciò non è stato tanto l’affermarsi di una generica “società degli individui” – peraltro difficilmente rappresentabile storiograficamente, salvo delegarne lo studio ad altre discipline – ma piuttosto l’articolazione di inedite differenze sociali e soggettività. In tal senso, si tratta di cercare un diverso punto di accesso storico al rapporto tra sistema politico e

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mutamento socio-culturale, e quindi tra stato, società civile e soggettività. Proprio quest’ultima prospettiva, avanzata in primo luogo da Paul Ginsborg, consente di osservare gli ambienti, le risorse, i soggetti di mediazione che avrebbero consentito di tradurre il vecchio nel nuovo, nel contesto della “grande trasformazione” evocata da Guido Crainz. Ad esempio, interrogandoci su quale esito abbia avuto la rivoluzione dei consumi; quali soggetti abbia interpellato e in che modo abbia agito; quale articolazione differenziata abbiano preso i ceti medi; quali traiettorie abbia preso il distacco tra sistema politico e società civile; quali risorse abbiano lasciato sul campo le culture del ’68 e i conflitti degli anni Settanta. Lo sviluppo di un approccio del genere consentirebbe il non trascurabile vantaggio di delineare una storia degli anni Ottanta dalla quale non siano espunti a priori i soggetti collettivi, organizzati o meno, e insieme le identità e le soggettività che non si vogliano, invece, ridurre convenzionalmente a un puro e semplice culto del passato o al dilagare dell’individualismo e della frammentazione sociale. Emerge invece, osservando gli esiti successivi da un punto di vista non convenzionale, un laboratorio di innovazioni e di pratiche che in seguito sarebbero state riprese e sviluppate in diversi campi sociali: dall’attivismo della società civile ai processi culturali più ampi; instaurando tuttavia proprio negli anni Ottanta – e in rottura con il decennio precedente – una relazione col sistema politico fondata sull’asimmetria, che non significa semplicemente differenza di scala e di potenza, ma in qualche misura differenziazione reciproca delle pratiche politiche e, più radicalmente, dei processi di politicizzazione.

Giovani e attivisti negli anni Ottanta

13 Come ho provato a suggerire nelle pagine precedenti, il complesso del cambiamento degli anni Ottanta è stato anche il frutto dell’operosa azione di soggetti subalterni e non egemonici sulle lacune, le enclave e i crateri lasciati inabitati al termine del lungo primo tratto di corsa dell’Italia repubblicana. La ricerca a cui ho lavorato tra il 2003 e il 200637 ha mosso i primi passi da una problematizzazione dell’attivismo giovanile tra la fine degli anni Settanta e il decennio successivo. I termini chiave con i quali ho affrontato il tema specifico sono stati frutto, per l’appunto, di una riconsiderazione dei concetti attraverso i quali rappresentare il decennio Ottanta, da un lato, mentre dall’altro mi sono soffermato sulle modalità di storicizzazione e soggettivazione che le esperienze in esame si sono date per affrontare un passaggio estremamente complesso. Tali modalità, in particolare, si sono espresse in un dispositivo che ha combinato processi diversi: la trasmissione e la memoria di una tradizione di attivismo radicale da un decennio all’altro e da una generazione all’altra; l’articolazione di tali elementi con più ampi fenomeni e processi sociali; e ciò attraverso un processo di traduzione di esperienze militanti, linguaggi, pratiche sociali e repertori culturali diversi – operazione nella quale, è bene ricordarlo, i termini di origine non corrispondono mai a quelli di arrivo, e ne sono semmai innovati in varia misura. Tale accesso basato su traduzione e articolazione ha consentito di osservare alcune linee di sviluppo dalla storia postbellica italiana anche in fenomeni a lungo considerati al di fuori della storia nazionale, o oltre la storia repubblicana in quanto storia di soggetti collettivi. Nella sostanza, l’intenzione è stata quella di esplorare una vicenda non ancora raccontata – quella dell’attivismo radicale e giovanile dalla fine dei Settanta, fino al passaggio agli anni Novanta – interrogando tali esperienze circa la loro capacità di essere agenti del presente e, in una dimensione minoritaria ma con ambizioni controegemoniche, di

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incidere sull’innovazione dei movimenti di opposizione e sull’autonomia della società civile.

14 Da un punto di vista teoreticamente suggestivo, l’attivismo degli anni Ottanta potrebbe essere visto anche attraverso le lenti della condizione “subalterna”. Qui si intende la posizione liminare o marginale – ovvero parzialmente inserita nella relazione con l’egemonia sociale – dell’attivismo giovanile, impegnato in un conflitto asimmetrico e a lungo non riconosciuto, al di fuori della linea di scontro che aveva opposto i movimenti sociali dei Settanta al blocco di potere dominante. L’allusione all’approccio dei Subaltern studies si concentra sulla triangolazione che essi propongono tra dominatori, dominati e subalterni, ovvero tra la coppia antagonistica che si gioca il potere – o l’indipendenza nazionale, nel caso indiano su cui si soffermano gli storici «subalterni»38 – e i subalterni stessi, inclusi nel conflitto politico proprio in quanto ne sono esclusi a priori, fondando così con la propria esclusione radicale la base simbolica e pratica del conflitto stesso, dal momento che portano su di sé una “differenza storica” irriducibile alla dimensione della politica moderna39. Sempre per analogia e parafrasando la nota domanda di Spivak, proviamo a chiederci: i subalterni dell’attivismo degli Ottanta sono stati in grado di parlare? Di certo, raramente sono stati parlati da altri; e invece hanno sviluppato una grande capacità di presa di parola culturale (e spesso controculturale), specie all’interno di scene ed enclave ben distinte dal mainstream sociale; e hanno vissuto una condizione rovesciata rispetto al contesto coloniale e postcoloniale, dal momento che i movimenti degli anni Settanta sono stati sconfitti e su di essi l’attivismo degli anni Ottanta ha potuto operare un’opera di rilettura e riuso del passato militante, principalmente attraverso una chiave di accesso culturale. In realtà è esattamente la sconfitta del proprio referente storico (i movimenti radicali degli anni Settanta) ad aver consentito da una parte la facoltà di parola culturale e dall’altra la messa a riparo e l’insignificanza dell’attivismo degli anni Ottanta nei confronti dei poteri e delle istituzioni (insignificanza nel duplice senso di per nulla significativo e di non significabile). Tali processi sono stati agiti fondamentalmente attraverso forme di attivismo e resistenza culturale che puntarono anzitutto, e spesso senza un programma politico vero e proprio, ad attivare forme di vita di opposizione decodificando e usando le fonti della tradizione militante e allo stesso tempo le risorse pratiche e culturali garantite dalle culture giovanili del tempo, per quanto queste fossero spurie, eterogenee e polisemiche per definizione.

15 Ai margini delle dinamiche del sistema politico, pertanto, ma in relazione con la storia nazionale dei movimenti sociali e con l’emergere di culture giovanili transnazionali (in primo luogo il punk, in seguito il reggae e l’hip-hop nel passaggio agli anni Novanta) l’attivismo giovanile successivo agli anni Settanta ha affrontato processi di traduzione culturale che hanno innestato sulle pratiche dell’“autonomia diffusa” del movimento ’77 la politicizzazione di stili di vita e culture che avrebbero dato vita alle esperienze dei “Centri sociali occupati e autogestiti” e a una vasta area di autoproduzioni culturali, in particolare musicali ed editoriali. Tale traduzione si è realizzata in vario modo nei diversi contesti locali, utilizzando da una parte tradizioni e risorse specifiche – politiche, culturali e urbane – e dall’altra le relazioni dirette con il radicalismo giovanile di altri contesti europei, in particolare i movimenti autonomi in Germania, Olanda, Svizzera.

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Roma, Milano, Torino: centri sociali, tradizioni militanti e scene urbane

16 Oggetto concreto di studio sono state alcune esperienze di attivismo politico e culturale sviluppatesi nelle città di Roma, Milano e Torino. Anzitutto sono state privilegiate la memoria e l’esperienza, interrogando alcuni protagonisti e protagoniste circa il senso, le continuità e le rotture, singolari e collettive, vissute tra un decennio e l’altro. Il referente originario di questi giovani attivisti è da ricercare nei piccoli gruppi di militanti nati attorno al movimento del ’7740 o politicizzatisi negli anni seguenti. Si tratta di gruppi centrati soprattutto sulle pratiche musicali, sull’editoria indipendente, sull’occupazione di spazi sociali per i giovani (“Centri sociali autogestiti” e “Circoli del proletariato giovanile”) e sull’attivismo urbano (collettivi scolastici, organizzazioni di volontariato, occupazioni di case non abitate). Il campo dello studio è limitato ad alcune «aree di movimento»41 e non all’intero campo politico radicale di Roma, Milano e Torino, ed è periodizzato – in misura differente nelle tre città – all’incirca tra il ’75-’77 e il ’90-’94. Tali esperienze hanno inaugurato la propria storia di attivismo – o mutato le caratteristiche di quello precedente da cui emersero – principalmente attraverso la realizzazione di progetti, esperienze di vita, pratiche culturali poste in ogni caso all’interno del campo attivistico. Con tutto questo, si intende in concreto l’intreccio dell’attività politica con la produzione e distribuzione di riviste, incisioni su dischi e cassette musicali, grafica politica, fumetti, produzione video e teatrale, organizzazione di concerti ed eventi musicali; fino ad arrivare all’esperienza di un centro sociale occupato e autogestito (1986: Forte Prenestino, nel quartiere di Centocelle a Roma), di uno squat di matrice punkanarchica (1989: El Paso occupato, nella periferia sud Torino) e alla costituzione di una cooperativa editoriale e di una più ampia area controculturale (1986-1989: la rivista Decoder e la casa editrice ShaKe Edizioni Underground a Milano, di orientamento internazionale ma ben insediata nel quartiere controculturale del Ticinese).

17 L’ambiente in cui le esperienze controculturali giovanili si sono politicizzate è debitore di fattori assai particolari. In primo luogo, una specificità italiana è il precipitare di molti stili e culture giovanili del tempo, nate sotto specifiche cornici socio-culturali e rapporti col mercato, all’interno di un quadro semantico di natura prevalentemente politica che dovette fare i conti a lungo con le eredità degli anni Settanta42. Le matrici di questa eredità sono state a loro volta assai diversificate: l’“autonomia operaia”, la controcultura dei “giovani proletari” e degli “indiani metropolitani” del ‘77, le culture delle donne, e così via. Questo fare i conti, tuttavia, fu assai meno di quanto si supponga una pura e semplice custodia della memoria o un rifiuto netto del passato, bensì un complesso processo di traduzione culturale, molteplice nell’intreccio di simboli, pratiche ed eredità storiche. Grazie a diverse esperienze di vita e scambio culturale, il rapporto con le tradizioni dell’attivismo italiano dei Settanta da parte delle giovanissime generazioni fu tutt’altro che scontato, e semmai fondato su un doppio movimento: di negoziazione e ricodifica, usando ciò che pareva utile e scartando ciò che appariva irrimediabilmente datato; mentre si affermava (1) una fascinazione nei confronti delle nuove culture giovanili. Ad esempio, le esperienze personali di formazione o di svago vissute nei viaggi, specialmente estivi, a Londra e Amsterdam di fine anni Settanta e successivamente a Berlino, Amburgo, Zurigo; in queste e altre città europee vi erano ricche scene alternative, le quali ebbero un ruolo fondamentale per far intravedere ai

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giovani italiani in cerca di modelli di ribellione alcune esperienze legate all’autogestione, alla controcultura, all’opposizione alle trasformazioni urbane attraverso un universo di contro-simboli e pratiche che definivano spazi di libertà, per quanto non di antagonismo sistemico tout court. Il raffronto continuo operato in un’esperienza biografica sospesa tra referenti socio-culturali esterni, nuovi e stimolanti, e tradizioni militanti interne portò agli attivisti un utile decentramento cognitivo e culturale, decisivo per l’elaborazione del passaggio storico vissuto dall’attivismo radicale.

18 Questa esperienza di mediazione trovò la propria dimensione nei viaggi, certamente, ma anche in una più vasta fruizione e decodifica mediale – attraverso i media di massa, ma anche quelli autoprodotti come le fanzine – che per la prima volta divenne decisiva per l’affermazione di una politicizzazione giovanile che non verrà più recuperata in seguito, come nei Settanta, da quadri ideologici maggiormente coerenti; ma si riproporrà costantemente come mix di elementi diversi, posti (2) tra attivismo politico e resistenza culturale. L’apporto dei flussi culturali alle pratiche e tradizioni politiche verrà assicurato alla giovane generazione – per quanto assai precariamente – dal tessuto di relazioni e dagli spazi concreti che, città per città, intrecciarono in giro per l’Italia nodi inediti di una rete prima non concepibile: tra centri sociali autogestiti, festival culturali e librerie indipendenti, sale prove e di incisione musicale, tra club, locali e negozi di abbigliamento e di dischi, piazze e “muretti” che accostarono le culture di strada ai nuclei militanti rimasti sulla scena e svolsero il non secondario compito di avvicinare giovani dalle più diverse provenienze43. Così, nei primi anni Ottanta alcuni quartieri periferici romani divennero uno spazio rifugio comune per militanti e giovani di strada, specie in una fase di grande repressione poliziesca44; mentre a Milano altre enclave, più segnatamente controculturali – come il quartiere Ticinese e la zona dei Navigli – ospitarono l’incontro di controculture vecchie e nuove con alcuni gruppi di militanti reduci dai gruppi dall’autonomia operaia degli anni Settanta45. Questa transizione ebbe forme specifiche in ogni città, e in alcune di esse segnò maggiori continuità politiche e stilistiche (ad esempio tra la Bologna anticonformista del ’77 e le successive scene creative nella musica, nel disegno, nel fumetto e nella letteratura)46. In altri contesti, invece, ciò si espresse in rotture radicali: come a Torino, dove l’assenza di spazi autogestiti per i giovani e la chiusura delle sedi politiche extraistituzionali portò a una fase formativa del punk cittadino più distinta che altrove dalle scene militanti precedenti; di questa necessità la scena “punkanarchica” torinese fece in qualche misura virtù, avvicinandosi al ricco campo associativo che univa obiettori di coscienza, prime cooperative di animazione giovanile, servizi socio-educativi nel campo del disagio giovanile e delle tossicodipendenze, insieme a sperimentazioni culturali nella musica di base, nell’intrattenimento e nella produzione cinematografica e video.

19 In quali spazi sociali e urbani hanno agito tali esperienze? Specie nei contesti metropolitani, i primi anni Ottanta hanno segnato un’inversione di tendenza irreversibile rispetto alla concentrazione di classe operaia entro le mura urbane, aprendo a nuovi usi ed esperienze dello spazio cittadino47. Si è trattato di un movimento che ha ricollocato centinaia di migliaia di persone specie dalle grandi città del nord Italia – Milano e Torino – verso i comuni delle cinture urbane dell’hinterland o nella migrazione di ritorno verso il sud, non solo a causa della crescita della rendita immobiliare nelle metropoli, ma anche grazie a un nuovo schema dei desideri e dello stile di vita destinato alle classi popolari che ne prevedeva la suburbanizzazione. Entro le mura, invece, operavano ristrutturazioni urbanistiche, svuotamento delle aree

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industriali, terziarizzazione, gentrification, primi rivoli d’immigrazione straniera. Si imponeva pertanto un nuovo rapporto egemonico, ancor più che meramente quantitativo, tra classi medie produttive urbane e classe operaia; questo produsse effetti ben al di là dei posizionamenti gerarchici dei gruppi sociali, entro i quali potevano comparire settori più garantiti e altri in cui cresceva un’area di insicurezza e precarietà anche tra i ceti medi. Di conseguenza, i centri sociali – assai più nelle pratiche concrete che non nelle retoriche politiche – colmarono spazialmente e culturalmente alcuni di questi vuoti, e rispetto all’attivismo urbano degli anni Settanta spostarono progressivamente l’enfasi dai “quartieri” a un territorio sempre più diffuso (reti relazionali, reti culturali e via media, scene costituite tra soggetti affini e assai meno con la popolazione circostante) e a referenti sociali frutto del cambiamento in atto: precari, marginali, ma anche soggetti inseriti nei processi produttivi di terziarizzazione che erano, del resto, anche abili manipolatori di simboli e significati culturali, per quanto in una prospettiva underground. Questo fece dei centri sociali, nel corso degli ultimi anni del decennio, degli spazi pubblici sempre più abitati da comunità elettive48. Queste, anche grazie alla crescita biografica degli attivisti e delle attiviste, portarono nell’autogestione un variegato flusso di risorse e di popolazione, specie a partire dai primi anni Novanta49: ancora giovani, senz’altro, ma più differenziati per età, includendo studenti, lavoratori/trici dei servizi e disoccupati, madri e padri, precari e/o attivi nei settori informali dell’economia, sia a bassa che a elevata qualificazione; avvicinando gli attivisti sempre più a un’utenza di frequentatori di diventava variegata e di massa. Il rapporto tra lo spazio urbano e l’innovazione culturale si può pertanto osservare anche nei centri sociali degli anni Ottanta- Novanta50, laddove si realizzarono diverse sperimentazioni intorno all’autoproduzione culturale e musicale, all’uso e alla diffusione dell’informatica sociale, dei nuovi media e delle arti performative e audiovisive; tutti elementi che, complici il disinteresse istituzionale e un mercato culturale – specialmente musicale – ancora per certi aspetti primitivo, confinarono attività, competenze e saperi d’avanguardia in un campo sociale scarsamente visibile e poco interattivo con l’esterno, e certamente non con il mercato. Da qui l’importanza di un’autodefinizione che emerse a quel tempo nei centri sociali, quella di underground, che bene rappresenta l’ambivalente posizione di marginalità e di forza creativa di queste esperienze51.

20 È stata pertanto la combinazione tra contesti socio-culturali e urbani in mutamento, risorse istituzionali e di mercato bloccate e le chance dal Do It Yourself a dar vita all’affermazione della prima generazione di centri sociali italiani, all’incirca tra il 1982 e il 198952. Le differenze di attitudine verso l’ambiente circostante fecero di ciascun centro sociale uno spazio pubblico e di identità giovanile assai specifico: alcuni si orientarono a mantenere uno stretto “rapporto con il territorio”, specie se sostenuto da legami comuni di classe, di cultura e idioma sociale. Ma prevalentemente essi nacquero su forte base generazionale e culturale. In questi la collettività di riferimento era semmai quella dei propri pari e le reti – anche di lunga distanza e internazionali – che si venivano a stabilire. Questa duplice anima fece dei centri sociali degli anni Ottanta luoghi in fondamentale tensione tra l’interno e l’esterno: tra promozione di sé, ovvero autorealizzazione delle proprie inclinazioni culturali – principalmente virando in termini controegemonici le culture giovanili del tempo – e mantenimento dei legami sociali e territoriali che andavano via via allentandosi. Questo atteggiamento è evidentemente in rottura con l’attivismo precedente, dal momento che la fonte per l’identità di opposizione viene ora attinta non tanto dal posizionamento di classe,

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quanto dalla mascherata e dal rovesciamento dell’individualismo consumistico delle culture giovanili, articolate in una nuova resistenza culturale.

21 Tuttavia, l’originalità delle esperienze italiane di autogestione dei giovani sta nell’articolazione che si diede con fenomeni ed eventi più ampi, e in un percorso di formazione, apprendimento e politicizzazione inedito. Tale funzione di (3) catalizzazione politica e attivazione della protesta, successiva alla creazione di una scena culturale e generazionale, si realizzò in una costellazione di eventi diversi. Resta vero che i cicli dei movimenti e dell’azione collettiva hanno visto negli anni Ottanta un arretramento, certamente delle forme classiche di opposizione politica53. Il movimento del ’77, tuttavia, non è certo l’ultima fiammata di massa; nel 1979 vi furono accese manifestazioni studentesche, e nei primi anni Ottanta l’opposizione all’istallazione dei missili nucleari nella base militare statunitense di Comiso, in Sicilia, avrebbe riacceso dimostrazioni e proteste per la pace e contro il nucleare militare e civile, a cui seguirono le campagne culminate nel referendum che portò alla chiusura delle centrali nucleari, nel 1987. Parallelamente, un vasto associazionismo sociale e culturale indipendente54 – tale soprattutto rispetto alle associazioni collaterali alle subculture politiche postbelliche, social-comunista e cattolica – mosse i propri passi proprio a partire dalla seconda metà dei Settanta, segnando i caratteri di quello che è oggi considerato il “terzo settore”.

22 Anche l’attivismo giovanile attraversò queste campagne di movimento, vivendole come momenti di crescita, esperienza e formazione: ad esempio, i campeggi antinucleari del 1983-1984 per la scena punk politicizzata; il movimento degli studenti delle scuole superiori e il movimento antinucleare tra 1985 e 1986 per i primi centri sociali romani e l’area dell’autonomia operaia di altre città; la contestazione delle ristrutturazioni urbane e della gentrification del quartiere Ticinese per gli attivisti milanesi di fine anni Ottanta.

23 Al volgere del nuovo decennio, un ruolo fondamentale ebbe il movimento universitario della “Pantera”, che nel 1990 contestò la riforma dell’università promossa dal sesto governo Andreotti e dal ministro dell’università e ricerca scientifica Antonio Ruberti. Al di là del merito delle parole d’ordine, centrate sulla difesa dell’università pubblica contro la “privatizzazione”, un’analisi critica di tale movimento va ancora realizzata e potrebbe procedere proprio da alcuni caratteri condivisi ampiamente con l’attivismo radicale e la società civile degli anni Ottanta: l’attitudine a un associazionismo diffuso e civico, l’emergere di un ceto medio istruito potenzialmente impoverito ma culturalmente e socialmente attivo, insieme ad attitudini controculturali che mediante la musica rap e reggae e la cultura giovanile avrebbero fecondato anche altre culture dell’attivismo, come quelle degli studenti delle scuole superiori nel corso degli anni Novanta55.

24 Gli anni Ottanta si sono chiusi in maniera eclatante per i centri sociali: nell’agosto- settembre del 1989 lo sgombero del centro sociale Leoncavallo di Milano e la reazione che ne seguì inaugurarono un ciclo di forte espansione, che si sarebbe concluso intorno alla metà del decennio successivo56. Tra il 1990 e il 1992 cambiò radicalmente il rapporto con l’esterno, specialmente grazie a una giovane generazione di attivisti e di pubblico che si riversò nei centri sociali sull’onda – di riflusso – del movimento studentesco della Pantera e con l’esplosione della musica indipendente: dallo ska al reggae, dal raggamuffin’ all’hip-hop e in seguito le musiche elettroniche57.

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25 L’apparente successo raggiunto vide però il venire al pettine di alcuni nodi irrisolti di lunga data. Anzitutto, sul piano culturale la forte capacità dei centri sociali di attrarre i nuovi fenomeni creativi, specie giovanili, stava venendo meno passo dopo passo, anche per la progressiva cattura della creatività giovanile nel campo delle attività economiche di mercato – e di conseguenza nel lavoro precario. Su altri piani, un fragile dibattito sull’opportunità di sviluppare “imprese sociali e politiche”, ovvero soggetti produttivi in qualche modo federati e inclusi negli spazi autogestiti, venne rapidamente messo ai margini, fondamentalmente per motivi di natura ideologica58, mentre sarebbe stato approfondito nel corso degli anni Novanta e nel decennio successivo da nuove esperienze attivistiche59. In terzo luogo, vi è una dimensione soggettiva che nei primi anni Novanta è entrata in crisi nei centri sociali: il passaggio di consegne generazionale, ovvero la possibilità di una convivenza dei diversi bisogni e delle esperienze di diverse generazioni di attivisti in cooperazione tra loro. Ciò che è stato possibile – o maggiormente e più profondamente sperimentato – altrove in Europa, ad esempio la legittimazione e la ricomposizione dei bisogni di diversi soggetti (lavoratori dipendenti e autonomi, persone di differenti generazioni o provenienze geografiche, di appassionati di pratiche culturali diverse da quelle egemoni nei centri sociali di fine anni Ottanta/primi Novanta) in Italia è stato assai più sofferto, almeno fino agli anni più recenti.

26 In sostanza, la mancanza di una economia autogestionaria sostenibile e di una politica radicale delle differenze che, insieme, sostenessero la fiducia nelle attitudini cooperative delle persone coinvolte, ha occultato un tema chiave che pure ha attraversato la vicenda dei centri sociali autogestiti, almeno per il periodo andato dai primi Ottanta alla metà degli anni Novanta: il tema dell’autorealizzazione. Si tratta di una parola stridente e probabilmente assente, nei fatti e nelle fonti, dal vocabolario della sinistra radicale e autonoma; un termine forse impronunciabile soprattutto negli anni Ottanta del rampantismo, dello yuppismo e dell’individualismo acquisitivo. Queste ultime declinazioni, tuttavia, hanno rappresentato solo la dimensione egemone di soggettività emergenti assai variegate, non cancellando del tutto altre possibilità alternative. L’autorealizzazione, ad ascoltare le biografie e gli accenti di soggettività dei protagonisti, è apparsa un’aspirazione a lungo presente nelle pratiche di giovani e meno giovani attivisti. Ciò ha rappresentato un’invenzione preziosa nella lunga ed eterogenea vicenda dei centri sociali italiani: una declinazione di nuove aspirazioni al cambiamento sociale radicale nell’utopia della piena espressione di sé.

Conclusioni

27 L’accostamento tra la riflessione sulle precondizioni di una storia degli anni Ottanta italiani, svolta nei primi due paragrafi, e l’analisi di una scena politica specifica e per certi versi minoritaria, si può motivare partendo da entrambi i punti della relazione. Da una parte, le esperienze raccontate possono essere lette come più che semplici fenomeni marginali o nostalgicamente legati ai movimenti radicali degli anni Settanta. Al contrario, tali progetti giovanili hanno ipotizzato una risposta controegemonica al mutamento culturale e ideologico del nuovo decennio, raccogliendo la sfida neoliberista fondata sull’individualismo, l’autorealizzazione, la valorizzazione di nuovi campi dell’esperienza non strettamente legati al conflitto socio-economico di epoca fordista; tentandone a loro volta una decodifica e un rovesciamento da un punto di

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vista d’opposizione, su un piano di attivismo culturale. Per l’altro verso del discorso sviluppato nell’articolo, tra le condizioni di una storia degli anni Ottanta italiani vi è senz’altro la necessità che la storiografia immetta tematiche e fonti nuove, che portino un supplemento, teorico e politico al tempo stesso, ai quadri generali della ricerca storica; analogamente a come la storia delle donne60, la storia di genere o gli studi postcoloniali sono intervenuti nel campo delle scienze umane e sociali, a partire dalla destabilizzazione dei confini disciplinari, delle domande di ricerca e dalla presa di parola dei soggetti sociali.

28 Ma cosa resta dell’attivismo giovanile del decennio Ottanta? Se lo osserviamo come elemento mediatore e di traduzione culturale, si possono formulare diverse ipotesi e tracce di ricerca. Anzitutto, ad esso si devono alcuni caratteri dell’attivismo radicale odierno: networking, culturalismo, transnazionalità, politicizzazione di campi e dimensioni della vita sociale inediti, controegemonia invece che antagonismo. In secondo luogo, sulla sua scia si può intravedere un incompleto, parziale ma vitale far fronte alle impasse ereditate dagli anni Settanta, alle sue sconfitte e contraddizioni storiche, nonché – con i limiti del caso – anche il confronto con il lutto personale e generazionale, con l’ossessione culturale e il trauma civile che aleggiano ancora nel discorso pubblico a proposito del «decennio dei movimenti». Infine, emerge una relazione ambivalente ma altrettanto sostanziale con la società civile e il ceto medio riflessivo, tra riconoscimento e aria di famiglia, che ha portato oggi alla legittimazione di politiche non istituzionali e alla politicizzazione di beni comuni e nuove forme della vita sociale, sebbene vi siano state distanze tra le aree dell’attivismo che a lungo si sono fondate ideologicamente, specie prima dell’ambiente di scambio rappresentato dal movimento alterglobalista, con il ciclo di protesta inaugurato nel 1999 con la “battaglia di Seattle” e poi esteso in Europa con le dimostrazioni contro il G8 di Genova nel 200161.

29 Ma, infine, di cosa parliamo quando parliamo di attivismo anni Ottanta? Della fine dei conflitti sistemici, economici e di status sociale, a favore di politiche dell’identità, movimenti tematici o puramente culturali e governance amministrante da parte delle istituzioni? Un’ipotesi storiografica su questo genere di fenomeni potrebbe dialogare ma anche distinguersi dalle più nette categorizzazioni della sociologia, storicizzandone alcuni aspetti. Ad esempio, l’attivismo giovanile si è caratterizzato per una divaricazione dalle dinamiche evolutive dello stato e del sistema politico, e piuttosto per una maggiore sintonia con l’evoluzione della cultura e con la società civile organizzata in una dimensione transnazionale; questo dovrebbe spingere anche la storiografia ad aprirsi a una maggiore comparazione su scala europea e a riflettere su nuove declinazioni dei concetti interpretativi, proprio a partire da quelli di partecipazione e politicizzazione e dal nesso politica-cultura. Ciò non solo confidando in esperienze concrete di attivismo ritornate oggi meno particolaristiche, specie sull’onda lunga dei movimenti “alterglobalisti” fino all’anticapitalismo risorgente nei movimenti contro la crisi economico-finanziaria globale, ma soprattutto per una considerazione meno angusta di temi e aspetti della vita – come quelli culturali, esperienziali, di modello di sviluppo sociale e di soggettività – che tra la fine dei Settanta e gli anni Ottanta erano in gestazione; allora ampiamente interpretati come segni della fine dell’universalismo, e in sostanza come sintomi di crisi della politica moderna per come l’avevano conosciuta le generazioni postbelliche, specie in occidente.

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NOTE

1. Per le interpretazioni generali: G. Crainz, Il paese mancato. Dal miracolo economico agli anni Ottanta, Roma, Donzelli, 2003; P. Scoppola, La repubblica dei partiti. Profilo storico della democrazia in Italia, 1945-1990, Bologna, il Mulino, 1991; S. Lanaro, Storia dell'Italia repubblicana. Dalla fine della guerra agli anni Novanta, Venezia, Marsilio, 1992; P. Ginsborg, Storia d’Italia dal dopoguerra ad oggi. Società e politica 1943-1988, Torino, Einaudi, 1988 (London 1990); Id., L’Italia del tempo presente. Famiglia, società civile, Stato 1980-1996, Torino, Einaudi, 1998 (London 2001). Per le letture politico- istituzionali, in particolare S. Colarizi, P. Craveri, S. Pons e G. Quagliariello (a cura di), Gli anni Ottanta come storia, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2004. 2. E. Galli Della Loggia, L’identità italiana, Bologna, il Mulino, 1998. 3. G. Crainz, Autobiografia di una repubblica. Le radici dell'Italia attuale, Roma, Donzelli, 2009, p. 73. 4. Si veda il volume di S. Woolf (a cura di), L’Italia repubblicana vista da fuori (1945-2000), Bologna, il Mulino, 2007. 5. Soprattutto nella pubblicistica di stampo giornalistico, anche di buona qualità; un caso recente, P. Morando, Dancing days. 1978-1979, i due anni che hanno cambiato l'Italia, Roma-Bari, Laterza, 2009. 6. G. De Cataldo, Romanzo criminale, Torino, Einaudi, 2002; G. Genna, Dies irae, Milano, Rizzoli, 2006; Wu Ming 5, «Prima degli anni Ottanta. Appunti da un cono d’ombra», Zapruder, n. 21, 2010, pp. 134-137. 7. M. Gervasoni, Storia d’Italia degli anni Ottanta. Quando eravamo moderni, Venezia, Marsilio, 2010. 8. U. Eco, Apocalittici e integrati. Comunicazioni di massa e teorie della cultura di massa, Milano, Bompiani, 1964. 9. M. Gervasoni, Storia d’Italia degli anni Ottanta, op. cit., pp. 13-14. 10. S. Hall, «The Meaning of New Times», in S. Hall e M. Jacques (a cura di), New Times, London, Lawrence and Wishart, 1989. 11. M. Gervasoni, Storia d’Italia degli anni Ottanta, op. cit., p. 15. 12. Che non si può limitare al contesto degli anni Settanta e Ottanta, e al mancato riconoscimento e sostegno al mutamento allora in atto, ma va collocato entro un più duraturo logoramento del rapporto di fiducia tra cittadini e stato repubblicano; si veda S. Woolf, «Introduzione. La storiografia e la repubblica italiana», in Id., (a cura di), L’Italia repubblicana vista da fuori, op. cit. 13. E. Laclau e C. Mouffe, Hegemony and Socialist Strategy. Towards a Radical Democratic Politics, London New York, Verso, 2001; vedere anche J. Butler, E. Laclau e S. Žižek, Contingency, Hegemony, Universality. Contemporary Dialogues on the Left, London-New York, Verso, 2000; P. Gilroy, “There ain’t no Black in the Union Jack”. The Cultural Politics of Race and Nation, London, Hutchinson, 1987. 14. C. Mouffe, On the Political, London-New York, Routledge, 2005, p. 18. 15. G. Crainz, Autobiografia di una repubblica, op. cit., pp. 139-140. 16. J. Foot, Milan since the Miracle. City Culture and Identity, Oxford-New York, Berg, 2001. 17. P. Ginsborg, L’Italia del tempo presente, op. cit., in particolare cap. IV. 18. M. Gervasoni, Storia d’Italia degli anni Ottanta, op. cit., p. 59 sgg. 19. S. Hall, «The crisis of labourism», in J. Curran (a cura di), The Future of the Left, Cambridge, Polity Press & New Socialist, 1984, pp. 23-36; Id., «Authoritarian Populism. A Reply to Jessop et al.», in R. Jessop, K. Bonnet, S. Bromley e T. Ling (a cura di), Thatcherism. A Tale of Two Nations, London Polity Press, 1989, pp. 99-107 (entrambi i testi ora in S. Hall, Politiche del quotidiano. Culture, identità e senso comune, Milano, Il Saggiatore, 2006, cap. 4 e 5). 20. P. Capuzzo , «New times? Soggettività e percorsi di politicizzazione nell’Inghilterra thatcheriana», Zapruder, n. 21, 2010, pp. 42-55. 21. È l’elemento di trasgressione intrinseca ai sistemi di potere, che in epoca postmoderna si manifesta in una esorbitante dimensione emozionale della politica, mediata con difficoltà dalle

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pratiche dello stato di diritto o dal conflitto basato sullo status sociale; consulatre S. Žižek, Il godimento come fattore politico, Milano, Cortina, 2001. 22. G. McKay, Senseless Acts of Beauty. Cultures of Resistance since the Sixties, London-New York, Verso, 1996. 23. C. Cooper, Sound Clash. Jamaican Dancehall Culture at Large, London, Palgrave Macmillan, 2004; H. Campbell, Rasta and Resistance. From Marcus Garvey to Walter Rodney, Hertford, A Hansib Publication, 1986. 24. D. Hebdige, Subculture. The Meaning of Style, London, Methuen, 1979. 25. A. Bravo, A colpi di cuore. Storie del sessantotto, Roma-Bari, Laterza, 2008, 26. G. De Luna, Le ragioni di un decennio. 1969-1979. Militanza, violenza, sconfitta, memoria, Milano, Feltrinelli, 2009. 27. Ibid., pp. 133-134. 28. Ibid., p. 203. 29. M. Tullio Giordana, La meglio gioventù, Italia, 383’, Bibi film. 30. E. Betta e E. Capussotti, «“Il buono, il brutto, il cattivo”. L’epica dei movimenti tra storia e memoria», Genesis, n. III/1, 2004, pp. 113-123; concetto ripreso per gli anni Settanta italiani da P. Braunstein («Possessive Memory and the Sixties Generation», Culturefront, estate 1997, pp. 66-69). 31. G. De Luna, Le ragioni di un decennio, op. cit., p. 208. 32. G. Crainz, Autobiografia di una repubblica, op. cit., pp. 71-72. 33. Id., Il paese mancato, op. cit. 34. D. Della Porta e M. Diani, Movimenti senza protesta? L'ambientalismo in Italia, Bologna, il Mulino, 2004. 35. P. Marcasciano, Antologaia. Sesso, genere e cultura degli anni ’70, Milano, Il dito e la luna, 2007; F. Cavarocchi, «Orgoglio e pregiudizio. Note sul movimento gay e lesbico in Italia», Zapruder, n. 21, 2010, pp. 78-87; A. R. Calabrò e L. Grasso, Dal movimento femminista al femminismo diffuso. Storie e percorsi a Milano dagli anni ’60 agli anni ’80, Milano, Franco Angeli e Fondazione Badaracco, 2004 (1984); F. Paoli, «Diversità fantastiche. Periodici del femminismo romano nei primi anni Ottanta», Zapruder, n. 21, 2010, pp. 24-40. 36. B. De Sario, Resistenze innaturali. Attivismo radicale nell’Italia degli anni ’80, Milano, Agenzia X, 2009; M. Grispigni, «“Qualcosa di travolgente”. I conflitti impolitici», in M. Ilardi (a cura di), La città senza luoghi. Individuo, conflitto, consumo nella metropoli, Genova, Costa & Nolan, 1990. 37. B. De Sario, Resistenze innaturali, op. cit. 38. R. Guha e G. Chakravorty Spivak (a cura di), Selected Subaltern studies, Oxford, Oxford University Press, 1988. 39. D. Chakrabarty, Provincializing Europe. Postcolonial Thought and Historical Difference, Princeton, Princeton University Press, 2000. 40. M. Grispigni, Il Settantasette, Milano, Il saggiatore, 1997. 41. A. Melucci (a cura di), Altri codici. Aree di movimento nella metropoli, Bologna, il Mulino, 1984. 42. Fino a riproporsi in bizzarre rappresentazioni, come nei resoconti in cui prefetti e questori tentavano di illustrare la scena delle “subculture spettacolari” di Milano, intorno alla metà degli anni Ottanta: si veda E. Francescangeli, «Creste, borchie e panini. Le subculture «spettacolari» milanesi nelle carte di polizia (1984-1985)», Zapruder, n. 21, 2010, pp. 106-113. 43. Di cui vi sono tracce anche in letteratura: P. V. Tondelli, Un week-end postmoderno. Cronache degli anni ’80, Milano, Bompiani, 1990. 44. Per un resoconto biografico: Militant A, Storie di Assalti frontali. Conflitti che producono banditi, Roma, DeriveApprodi, 1999. 45. In particolare un ruolo decisivo fu svolto da Primo Moroni, intellettuale radicale e libraio milanese, e dalla sua libreria Calusca; consultare J. N. Martin e P. Moroni, La luna sotto casa. Milano tra rivolta esistenziale e movimenti politici, Milano, Shake edizioni Underground, 2007; a proposito

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delle relazioni di più lunga distanza tra controculture, si veda il caso dello sviluppo del cyberpunk italiano e tedesco: F. Balestracci, «Cyberpunk. Reti alternative tra Italia e Germania», Zapruder, n. 21, 2010, pp. 8-23. 46. O. Rubini e A. Tinti, Non disperdetevi. San Francisco, New York, Bologna. Le zone libere del mondo, Roma, Arcana, 2003; F. Scozzari, Prima pagare poi ricordare. Da “Cannibale” a “Frigidaire”. Storia di un manipolo di ragazzi geniali, Roma, Coniglio, 2004; S. D’Onofrio e V. Monteventi, Berretta Rossa. Storie di Bologna attraverso i centri sociali, Bologna, Pendragon, 2011. 47. G. Martinotti, Metropoli. La nuova morfologia sociale delle città, Bologna, il Mulino, 1993. 48. F. Adinolfi (a cura di), Comunità virtuali: i centri sociali in Italia, Roma, Manifestolibri, 1994. 49. Aaster, Centro Sociale Cox 18, Centro Sociale Leoncavallo, Primo Moroni, Centri sociali: geografie del desiderio. Dati, statistiche, progetti, mappe, divenire, Milano, ShaKe Edizioni Underground, 1996. 50. Pur nella differenziazione dovuta a storie urbane diverse: ad esempio, un’innovazione culturale più controegemonica, ambiziosa e aperta alle contaminazioni nella dinamica Milano degli anni Ottanta; più chiusa e separatista, per quanto non meno creativa, nella Torino di inizio decennio, nel clima di forte ridimensionamento delle culture di opposizione in seguito alla sconfitta operaia del 1980, nel conflitto che oppose la dirigenza Fiat e i sindacati metalmeccanici contro i progetti di downsizing dell’azienda. 51. «Una nuova modalità di comunicazione ‘underground’ adatta agli anni ’90» viene definita l’attitudine della controcultura del tempo, in Decoder, n. 2, 1988, p. 66. 52. Periodizzanti possono essere considerate due autogestioni milanesi: quella del Virus, centro sociale di giovanissimi punk, tra 1982 e 1984, e lo sgombero del centro sociale Leoncavallo, nella sede di via Leoncavallo, nell’agosto del 1989, occupato fin dal 1975. 53. D. Della Porta, Movimenti collettivi e sistema politico in Italia. 1960-1995, Roma-Bari, Laterza, 1996. 54. B. De Sario, «“Lo sai che non si esce vivi dagli anni Ottanta?”. Esperienze attiviste tra movimento e associazionismo di base nell'Italia post-’77», Interface: a journal for and about social movements, n. 2, 2009, pp. 108-133. 55. Su questo tema, devo menzionare le ricerche iniziali e non ancora pubblicate svolte da G. Panvini. 56. Si tratta di una costellazione di circa 100-200 spazi occupati, in città metropolitane e piccole città di provincia, che a partire dalla fine degli anni Ottanta avrebbe coinvolto diverse migliaia di attivisti. Con l’affermazione culturale e l’uscita dallo stretto ambito underground e mediante la promozione di pratiche culturali di qualità (specie con l’autoproduzione musicale e l’organizzazione di concerti), i centri sociali avrebbero raggiunto un bacino di “utenza” giovanile di decine di migliaia di persone, richiamando così l’attenzione dei media mainstream e di un sistema di produzione culturale in trasformazione (dalle etichette musicali alla stessa Mtv Italia), e per un certo tempo fungendo da “gatekeeper” della cultura alternativa. 57. F. Adinolfi, Suoni dal ghetto, Genova, Costa & Nolan, 1989; C. Branzaglia, P. Pacoda e A. Solaro, Posse italiane. Centri sociali, underground musicale e cultura giovanile degli anni ’90 in Italia, Firenze, Tosca, 1992. 58. P. Moroni, D. Farina e P. Tripodi (a cura di), Centri sociali: che impresa! Oltre il ghetto: un dibattito cruciale, Roma, Castelvecchi, 1995. 59. Diversamente dall’economia sociale e dal commercio equo e solidale odierni, che si sono soffermati su tutta la filiera produttiva: dal finanziamento etico alla distribuzione e al rapporto tra produttori e consumatori. 60. J. W. Scott, «La storia delle donne», in P. Burke (a cura di), La storiografia contemporanea, Roma- Bari, Laterza, 1993. 61. D. Della Porta, I new global. Chi sono e cosa vogliono i critici della globalizzazione, Bologna, il Mulino, 2003; K. McDonald, Global Movements. Action and Culture, Oxford, Blackwell, 2006; M. Wievorka, Un autre monde... Contestations, dérives et surprises dans l’antimondialisation,

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Paris, Balland, 2003; B. De Sario, «Narrazioni transnazionali. Rappresentazione e racconto nei movimenti alterglobalisti, tra traduzione culturale e attivazione della protesta», Partecipazione e conflitto, n. 2, 2009, pp. 135-162.

RIASSUNTI

La storiografia contemporanea in Italia si è a lungo soffermata sul passaggio tra gli anni Settanta e gli anni Ottanta; in qualche misura ponendo su quel periodo di transizione tutto il peso dei nodi irrisolti dell’Italia repubblicana (dalla modernizzazione degli anni Sessanta ai movimenti sociali del decennio successivo). L’articolo rivisita criticamente alcuni punti di vista storiografici a riguardo, come premessa allo studio di fenomeni politici e culturali nuovi (editoria indipendente, autoproduzioni musicali, occupazioni e autogestione di centri sociali, attivismo giovanile), e individua i legami di tali esperienze con le tradizioni di movimento precedenti, sottolineando gli scambi con le contemporanee scene attivistiche internazionali, nonché i rapporti locali con la politica istituzionale e il mercato culturale.

L’historiographie contemporaine en Italie s’est longtemps arrêtée sur le passage entre les années soixante-dix et les années quatre-vingt : elle a ainsi, dans un certain sens, mis sur cette période de transition tous les nœuds irrésolus de l’Italie républicaine (de la modernisation des années soixante jusqu’aux mouvements sociaux des décennies successives). Cet article développe une révision critique de certains points de vue critiques à ce propos. Et cela en tant que préambule pour aborder l’étude de phénomènes politiques et culturels nouveaux (industrie du livre indépendante, autoproductions musicales, occupations de centres sociaux autogérés et activisme juvénile), en identifiant les liens de telles expériences avec les traditions des mouvements précédents et les échanges avec les scènes activistes internationales contemporaines, mais aussi les rapports locaux avec la politique institutionnelle et le marché culturel.

Italian historians have dwelled at length on the question of the transition between the seventies and the eighties, attributing to it all of Italy unresolved problems (from the incomplete modernisation of the sixties to the social movements of the following decade). This essay reviews some historical analyses in order to understand the rise of new political and cultural phenomena (independent publishing, musical self-productions, squatted social centres and youth activism). It draws attention to the relations with previous movements, and to exchanges with similar cultural activities abroad, as well as with local contexts, political institutions and the cultural market.

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INDICE

Keywords : Italian historiography, social movements, squatted social centres, transition between the seventies and the eighties, youth culture Parole chiave : centri sociali autogestiti, culture giovanili, movimenti sociali, occupazione di centri sociali, storiografia italiana, transizione tra anni Settanta e Ottanta Mots-clés : centres sociaux occupés et autogérés, cultures des jeunes, historiographie italienne, mouvements sociaux, passage des années soixante-dix aux années quatre-vingt

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La communication politique des années quatre-vingt La comunicazione politica degli anni Ottanta Political communication in the eighties

Luciano Cheles

1 La communication politique des années 1980 fut marquée par trois phénomènes liés entre eux : la personnalisation et la spectacularisation des campagnes électorales, et leur professionnalisation. La personnalisation constituait une rupture dans le système politique italien, qui était traditionnellement fondé sur les partis – des partis qui représentaient des idéologies bien précises et les subcultures sur lesquelles ils s’appuyaient. Ainsi, pour citer les exemples les plus classiques, les catholiques tendaient à soutenir la démocratie chrétienne (DC), et la classe ouvrière le parti communiste (PCI). Au début des années 1980, l’électorat commença à accorder plus d’importance aux qualités présumées des hommes politiques qu’aux partis1.

2 Deux facteurs principaux expliquent la tendance à la personnalisation. Le premier est le succès de la campagne de Margaret Thatcher en 1979, organisée par l’agence Saatchi & Saatchi de Londres, ainsi que celui de la campagne de François Mitterrand en 1981, menée par Jacques Séguéla2. Le deuxième facteur est la prolifération des chaînes privées. La RAI, télévision d’état, ne transmettait aucune publicité politique et régulait strictement la couverture des campagnes électorales. Par contre, les networks privés jouissaient d’une considérable liberté : ils diffusaient des annonces politiques payantes (spot elettorali), ainsi que des émissions auxquelles les hommes politiques étaient invités à participer. La mise en valeur de ces derniers produisit des effets différents : d’un côté elle rapprocha les hommes politiques des électeurs puisque les interviews avaient un caractère familier et portaient souvent sur des questions concrètes ; de l’autre, elle entraîna un phénomène de spectacularisation. Les leaders des partis étaient interviewés par des présentateurs populaires tels que Pippo Baudo et Enzo Tortora, selon des formules de divertissement. Le spectacle était fourni par le rapport que l’homme politique arrivait à établir avec le public présent dans la salle. Le contenu du débat, les thèmes politiques que l’on était censé traiter passaient souvent au second

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plan. L’intérêt du public se focalisait surtout sur ses capacités communicatives de leader, sur ses plaisanteries – bref, sur la « sympathie » qu’il dégageait. Les mises en scènes et les décors fastueux, et les vallette (jeunes femmes attrayantes qui « assistaient » les présentateurs) contribuaient à rendre spectaculaires ces émissions. La valorisation de la personnalité du leader, et, plus tard, du candidat tout court, conduisit à une imagerie portant sur le portrait. C’est sur cette forme de communication que se concentrera cet article.

3 L’affiche électorale représentant l’image du candidat constitue un moyen légitime et efficace pour le présenter au public. D’ailleurs, en France, aux États-Unis ou dans d’autres démocraties, on n’a jamais hésité à s’en servir. Or, cela n’est pas le cas en Italie. Pendant longtemps, craignant d’évoquer le Duce, dont l’effigie était omniprésente (dans les piazze et les rues, dans les salles de classe, etc.), les leaders évitaient cette forme d’autopromotion. Le refus de toute forme de représentation qui pouvait suggérer le culte de la personnalité reflétait un véritable « complexe du dictateur ». La forte réluctance à représenter le leader sur des affiches s’explique aussi par la présence sur la scène politique de nombreux partis, et, à l’intérieur de certains de ces partis (la DC en particulier), de factions. La nécessité de négocier et de faire des compromis afin de former des pactes électoraux décourageait la promotion de personnalités spécifiques, puisqu’un déséquilibre dans leur représentation risquait de compromettre ces fragiles alliances3.

4 Toutefois, certains genres de portraits échappaient à la règle de la non-représentation visuelle de la personnalité politique4.

5 Le premier genre est l’affiche annonçant la participation d’un homme politique à l’émission radio-télévisée intitulée Tribuna Politica. Cette émission, qui débuta en octobre 1960, était une nouveauté pour le système d’information public italien de l’après-guerre, système qui était contrôlé et dominé par la DC et ses alliés. Pour la première fois, à l’occasion des élections administratives de novembre, la RAI permit à tous les partis représentés au Parlement de s’adresser directement au peuple italien – une initiative dont les premiers bénéficiaires étaient les partis de l’opposition, jusque- là exclus de la communication radio-télévisuelle5. Pour attirer l’attention du public sur ces émissions, des affiches reproduisant les portraits des intervenants commencèrent à être diffusées. Il est intéressant de remarquer que, dans la plupart des affiches, les hommes politiques étaient représentés encadrés ou accompagnés par le dessin stylisé d’une bordure d’écran. Ils y figuraient en demi-figure devant un microphone, et/ou animés par un geste d’expressivité rhétorique ou de salutation. Ces images se voulaient spontanées et anti-esthétiques, plutôt que guindées. Insistant sur leur finalité pratique (procurer des renseignements concernant l’émission), elles évitaient le danger de paraître flatteuses.

6 Une deuxième exception à la règle concernait les affiches diffusées par la DC pour fêter l’élection d’un de ses hommes politiques à la présidence de la République. Le prestige du poste et l’impartialité politique qu’on lui attribuait (le président est censé être au- dessus de la mêlée) légitimaient cet hommage. Remarquons en passant que, après la chute du fascisme, le portrait officiel du chef de l’État cessa d’être accroché dans les salles de classe. Les portraits des présidents italiens sont présents uniquement dans les bureaux publics (mairies, consulats, etc.), et ont un caractère intentionnellement anodin. Il suffit de comparer les portraits officiels des trois premiers présidents italiens (Enrico De Nicola, Luigi Einaudi et Giovanni Gronchi), avec ceux de leurs homologues

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français (Vincent Auriol, René Coty et Charles De Gaulle) pour se rendre compte de la volonté d’éviter toute solennité6.

7 Une troisième exception concerne l’image de la personnalité qui venait de mourir ou que l’ont souhaitait commémorer. Giacomo Matteotti (le député socialiste assassiné par les fascistes en 1924), Alcide De Gasperi, Palmiro Togliatti, Don Sturzo (fondateur du Partito Popolare, qui était à l’origine de la DC) et Aldo Moro (le leader politique enlevé et tué par les Brigades Rouges en 1978) sont parmi les personnages les plus représentés.

8 Une dernière catégorie concerne les portraits des adversaires – portraits satiriques évidemment, qui attiraient l’attention sur les hommes politiques pour les discréditer et les diaboliser.

9 La première campagne électorale qui fut en bonne partie fondée sur l’image du leader est celle des législatives de 1983. Cette approche fut poursuivie avec une certaine agressivité surtout par le PSI. Des portraits en couleurs de Bettino Craxi, leader jeune à l’allure dégagée, qui aspirait à relancer son parti comme une alternative de gauche au parti communiste, figuraient sur de nombreux tracts, dépliants et affiches7 (figure 1). Sa façon de se présenter était tout à fait neuve : le grand sourire et le col ouvert de la chemise suggéraient décontraction, modernité et optimisme (le slogan de la campagne était « L’ottimismo della volontà ») ; tandis que le gros plan évoquait l’accessibilité. Ce style extroverti et informel s’inspirait des campagnes américaines. Le grand sourire, qui est un élément presque constant des portraits des politiciens américains8, était réputé jusque-là peu convenable sur le visage d’un homme politique italien, vu la réputation de privilégié et de profiteur dont il jouissait auprès de l’opinion publique. Les décors spectaculaires des congrès socialistes des années 1980 imitaient aussi les campagnes électorales américaines dans lesquelles, comme le PSI n’hésitait pas à l’affirmer : La scelta è quella della politica-spettacolo, simile – anche se italianizzata – alle grandi convention dei partiti americani, perché un Congresso è anche immagine, scenografia e, nel caso del PSI, creatività, immaginazione e colore9.

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Fig. 1. Bettino Craxi, leader du PSI. Affiche des élections législatives, 1983.

10 L’exemple de Craxi fut vite imité par d’autres leaders. Le démocrate-chrétien Ciriaco De Mita et le républicain Giovanni Spadolini se firent aussi représenter sur les tracts et les affiches. Ces deux leaders avaient de bonnes raisons d’axer leurs campagnes respectives sur leur personnalité. De Mita avait entrepris un programme de rénovation et de laïcisation de la DC, pour la relancer après une série d’échecs électoraux. La nouvelle image servait donc à montrer que le parti se renouvelait et se modernisait. Quant à Spadolini, il pouvait justement se vanter d’être un homme politique atypique : il avait été professeur d’université et directeur d’un quotidien prestigieux, le Corriere della Sera. Le fait que, de juin 1981 à novembre 1982, il avait été le premier président du Conseil « laïque » (c’est-à-dire non démocrate-chrétien) de l’histoire républicaine ne pouvait qu’ajouter du lustre à sa personnalité. Il est intéressant de remarquer que certaines images de sa campagne soulignaient sa stature politique en le représentant en compagnie de Margaret Thatcher10 et de Helmut Kohl.

11 Le Movimento Sociale Italiano (MSI), parti d’extrême droite né des cendres du fascisme en 1946, toutefois, n’avait jamais eu le moindre scrupule concernant l’utilisation de l’image de son leader, puisque le culte du leader charismatique était bien enraciné dans la culture de l’extrême droite. Giorgio Almirante, qui dirigea le parti de 1948 à 1950, et de 1969 à 1987, figurait souvent dans les affiches. Il faut remarquer qu’il était fort vénéré par les camerati en raison de son étroite association avec Mussolini : il avait été capo di gabinetto au Ministero della Cultura Popolare de la République de Salò. Certaines affiches et brochures représentent Almirante debout sur une estrade, le maintien sérieux et empesé, devant une foule (figure 2) – une iconographie qui évoque une des images les plus courantes du fascisme, celle du Duce qui s’adresse à sa folla oceanica du haut de son balcon à Palazzo Venezia, à Rome (figure 3)11.

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Fig. 2. Giorgio Almirante, leader du MSI. Affiche des élections législatives, 1983.

Fig. 3. Mussolini s’adressant à une foule, Piazza Venezia, Rome. Domenica del Corriere, 15 novembre 1936.

12 Le phénomène de la personnalisation ne toucha pas le PCI et la gauche extra- parlementaire. Les communistes étaient, par principe, réfractaires à l’idée de faire figurer l’effigie de leur chef dans leurs campagnes électorales puisque ce sont les valeurs collectives plutôt que la figure charismatique du leader qui devaient être

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privilégiées. Aucune affiche ne reproduisait donc le portrait du leader communiste Enrico Berlinguer. De plus, Berlinguer avait un caractère réservé et discret – rien ne devait lui déplaire plus que de se voir affiché sur les murs de la Péninsule. Il s’effaçait à tel point qu’il fut maintes fois accusé de culte de l’impersonnalité. Il ne paraîtra systématiquement sur la propagande murale de son parti qu’après sa mort en 1984. Le PCI succombera au phénomène de la personnalisation, pour la première fois, en septembre 1988, quand, à l’occasion d’un meeting qui conclura la Festa dell’Unità, à Florence, il diffusera un portrait en couleurs de Achille Occhetto. Il s’agissait d’une petite révolution, qui fut remarquée par la presse12. Ce tournant pourrait s’expliquer comme une tentative de la part du parti d’atténuer la fameuse diversità des communistes, dans l’espoir d’un rapprochement et d’une collaboration politique avec Craxi. On pourrait également l’attribuer à la nécessité de lancer un leader nouveau que certains considéraient un peu terne13.

13 Toutes les affiches sur lesquelles nous nous sommes penchés jusqu’ici représentent uniquement des hommes politiques : dans les années 1980, les candidates ne paraissaient pratiquement jamais dans la propagande placardée. Il semble qu’elles s’effaçaient, qu’elles craignaient que le portrait, en attirant l’attention sur leur statut sexuel – leur appartenance au “deuxième sexe” – pouvait les défavoriser, vu les préjugés des électeurs (et peut-être d’une partie des électrices aussi) envers les femmes politiques14. La preuve en est le fait que les rares exceptions concernent des candidates qui firent de leur identité féminine, ou de leur sex-appeal, le point fort de leur candidature.

14 Une affiche socialiste des élections européennes de 1989 représentait le portrait de Maria Antonietta Macciocchi, personnage de premier plan du monde intellectuel (elle était journaliste et professeure d’université proche d’écrivains tels que Sartre, Sollers, Althusser et Lacan). Le slogan de affiche, « Una donna nel cuore dell’Europa », suggérait que c’est en tant que femme qu’elle pouvait apporter au Parlement européen une contribution particulière.

15 Une autre candidate atypique est Cicciolina, vedette de l’industrie pornographique que le Parti Radical (PR) présenta aux législatives de 1987 pour protester contre le conservatisme sexuel et la bigoterie des autres partis. Sa campagne électorale (affiches, meetings, etc.) était fortement axée sur son anatomie15 (figure 4). L’initiative politique était audacieuse, et son objectif – la revendication de plus amples libertés sexuelles – indubitablement méritoire. Toutefois, l’approche était plus conventionnelle qu’elle ne le paraissait, puisque c’est du corps féminin que le PR s’était servi pour exprimer ces aspirations. Rocco Siffredi, l’homologue masculin de Cicciolina, et son partenaire dans plusieurs films, ne fut jamais interpellé par des partis de gauche pour lui proposer une candidature visant à promouvoir, à travers l’utilisation de sa généreuse anatomie, une philosophie libertaire. Pour que le corps masculin nu soit exploité avec des finalités politiques, il faudra attendre quelques années. En 1995, huit membres du PR, dont sept hommes, se présentèrent dévêtus sur la scène d’un théâtre romain, devant un public invité de journalistes, pour protester contre le désintérêt des médias pour leur proposition de vingt référendums16.

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Fig. 4. Affiche du PR, élections législatives, 1987.

16 Dans le sillage du phénomène des femmes « sexy » et politiquement inexpérimentées, parachutées dans la vie parlementaire pour affirmer, par leur simple présence, certaines valeurs, le MSI promouvra en 1992 la candidature de la petite fille du Duce, Alessandra Mussolini, starlette et cover-girl. Le succès fut retentissant : élue députée, elle candidata en 1993 pour le poste de maire à Naples, et effleura la victoire, bien que son concurrent soit un personnage politique de premier plan, Antonio Bassolino. Alessandra Mussolini s’imposa et imposa son parti à l’attention internationale. Le MSI fit d’elle, qui portait si fièrement son nom de famille, un symbole de la « modernité » et de l’actualité du (néo-)fascisme : son jeune âge, sa beauté vigoureuse et sa candidature féminine servaient en effet à démentir l’image passéiste, machiste et misogyne du parti17.

17 Parallèlement à la personnalisation de la propagande politique s’affirma la coutume de s’adresser à des agences publicitaires pour gérer les campagnes. Jusqu’aux années 1970, la plupart des partis produisaient leur propre campagne. Les graphistes qui réalisaient les affiches et les brochures étaient des militants, ou du moins, idéologiquement en syntonie avec le parti qui leur confiait la propagande. Ils étaient dans quelques cas très bons : Ettore Vitale réalisa pour le PSI des images qui réinterprétaient de façon moderniste l’iconographie de la gauche18 ; et Michele Spera créa pour le parti républicain (PRI) une imagerie de grande élégance fondée sur des formes géométriques19. La plupart, toutefois, étaient passables. Leur compétence dans le domaine du graphisme était un facteur secondaire (d’ailleurs, souvent n’avaient-ils pas reçu de vraie formation artistique). L’idée de confier une campagne électorale à une agence publicitaire était considérée inacceptable, puisque, comme on le répétait souvent, une idéologie ne se vend pas comme une marque de détergent20.

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18 Cette attitude changea dans les années 1980. À partir des législatives de 1983, les partis s’adressèrent à des agences publicitaires, qu’ils choisirent avec des critères uniquement professionnels. Il en résulta que la même agence pouvait être employée par des partis différents. Pour citer un exemple, l’agence Pirella-Goettsche, qui avait travaillé pour le PSI en 1976, fut embauchée par le PRI en 1983, et s’occupa plus tard de la communication politique du PR21.

19 À vrai dire, la première tentative de faire appel à un professionnel de la communication remontait à 1963. La DC, soucieuse de relancer son image, s’était adressée à Ernst Dichter, fondateur de l’Institute for Motivational Research de New York, rendu célèbre par une campagne publicitaire en faveur des pruneaux de la Californie, campagne qui avait donné d’excellents résultats. Les recherches de l’Institute ayant suggéré que la DC était perçue en Italie comme un parti vieillot et terne, Dichter réalisa une campagne fondée sur l’image d’une jeune fille souriante, accompagnée du slogan : « La DC ha vent’anni » (figure 5). Ce fut un désastre. Dès leur parution, les affiches se remplirent de graffiti tels que « Allora bisogna farle la festa », ou « È ora che vada a farsi fottere »22. L’idée de se servir d’agences publicitaires fut immédiatement abandonnée, et ce n’est que vingt ans plus tard qu’elle fut reprise.

Fig. 5. Affiche de la DC, élections législatives, 1963.

20 La professionnalisation des campagnes électorales des années 1980 toucha presque tous les partis. Même le PCI, normalement méfiant des techniques liées au domaine commercial, suivit la tendance. Interpellé sur les nouvelles techniques de propagande en 1983, le responsable pour la communication du parti, Walter Veltroni (futur premier secrétaire du Partito Democratico, PD), répondait : La pubblicità può essere utilizzata […] come strumento di chiarificazione, di semplificazione, di riduzione di tutto ciò che è ridondante, di comunicazione diretta. Da questo punto di vista, la pubblicità fa parte di tecniche che un partito riformatore deve saper utilizzare. […] Credo

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che la pubblicità possa contribuire a studiare le forme con cui rinsaldare il rapporto tra cittadini e politica. […] Noi comunisti […] riteniamo la pubblicità uno dei campi nuovi e importanti della produzione culturale del nostro paese23.

21 Confiée à des agences publicitaires, la propagande se transforma. Les affiches devinrent plus innovantes graphiquement et verbalement : les iconographies et les slogans politiques traditionnels furent remplacés par des styles fantaisistes et ludiques. Les affiches communistes réalisées en 1984 et en 1985 pour les élections européennes et régionales illustrent bien cette nouvelle tendance24. Quant à la DC, sa campagne pour les législatives de 1987 fut particulièrement significative. Ciriaco De Mita la confia à Marco Mignami, de l’agence RSCG, filiale de la multinationale française dirigée par Jacques Séguéla. Ayant subi un échec électoral en 1983, De Mita fut obligé en 1987 de céder aux pressions de Giulio Andreotti et d’autres membres de la droite de la DC, et à formuler sa campagne sur le leitmotiv des valeurs traditionnelles. L’agence publicitaire réalisa une série d’images représentant une femme enceinte, une institutrice avec ses écoliers (figure 6), un petit enfant qui fait ses premiers pas, etc. Ces photos étaient accompagnées par un slogan insolite : « Forza Italia! »25. Jusque-là, l’ostentation du patriotisme était évitée en Italie puisqu’elle évoquait l’ultranationalisme fasciste. Toutefois, la croissance économique des années 1983-1987, les années pendant lesquelles Craxi était président du Conseil, pouvait justifier ce slogan optimiste. C’est d’ailleurs en 1987 que le gouvernement, s’appuyant sur des statistiques (considérées douteuses par certains observateurs), déclarait triomphalement que le Produit National Brut italien dépassait désormais celui de la Grande-Bretagne. Sept ans plus tard, ce même slogan, « Forza Italia », serait repris par Berlusconi pour baptiser le parti qu’il venait de fonder – parti qui devait remplacer les partis modérés qui s’étaient écroulés sous les scandales de « Tangentopoli ».

Fig. 6. Affiche de la DC, élections législatives, 1987.

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22 La tendance à professionnaliser les campagnes électorales ne toucha pas tous les partis. La Liga Veneta et la Lega Lombarda, partis régionalistes qui se fondront en 1989 pour former la Lega Nord, préférèraient confier leur propagande aux militants. Cela explique le caractère artisanal de leurs affiches. La mise en page et les typographies crues et criardes, les slogans provocateurs et les dessins satiriques (figure 7) voulaient évoquer une approche politique alternative, et présenter ainsi ces partis comme partiti- movimentisti. Les affiches au style fait-maison sont l’équivalent des graffiti, une forme de communication que, d’ailleurs, les ligues utilisaient de façon assez systématique26.

Fig. 7. Affiche de la Lega Lombarda, 1988.

23 Pour conclure, les années 1980 furent marquées par des changements radicaux dans le domaine de la communication politique. Si le phénomène de la personnalisation s’inspirait au début d’expériences étrangères, il se développa rapidement en Italie, favorisé par l’essor des chaînes privées, qui accueillaient des hommes politiques dans leurs émissions et les encourageait à utiliser des astuces pour se faire remarquer, astuces que les médias amplifiaient. Les excès engendrés par le phénomène de la personnalisation n’étaient qu’un avant-goût de ce qui allait s’abattre sur l’Italie avec la discesa in campo de Silvio Berlusconi en 199427.

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NOTES

1. Voir G. Statera, La politica spettacolo. Politici e mass media nell’era dell’immagine, Milan, Mondadori, 1986 ; G. Mazzoleni, « Emergence of the Candidate and Political Marketing. Television and Election Campaigns in Italy in the 1980s », Political Communication and Persuasion, VIII, no 4, 1991, p. 201-212 ; D. Campus, « Leader, Dreams and Journeys: Italy’s New Political Communication », Journal of Modern Italian Studies, VII, no 2, 2002, p. 171-191 ; F. Ceccarelli, Il teatrone della politica, Milan, Longanesi, 2003 ; E. Novelli, La turbopolitica. Sessant’anni di comunicazione poltica e di scena pubblica in Italia, 1945-2005, Milan, BUR, 2006, chap. 6. 2. Sur ces campagnes, voir R. Tyler, Campaign! The Selling of the Prime Minister, London, Grafton, 1987 ; J. Séguéla, La Parole de Dieu. Quatorze ans de communication mitterrandienne, Paris, Albin Michel, 1995 ; C. Delporte, Images et politique en France au XXe siècle, Paris, Nouveau Monde, 2006, chap. XVII. Les spécialistes de la communication se référaient souvent aux campagnes de Mme Thatcher et de Mitterrand. Voir, par exemple, anon., « Onorevoli opinioni », Stato e comunicazione , II, no 2, juin 1983, p. 16-21. 3. T. De Mauro, préface à R.-G. Schwartzenberg, Lo stato spettacolo. Carter, Breznev, Giscard d’Estaing: attori e pubblico nel gran teatro della politica mondiale, Rome, Editori Riuniti, 1988, p. VII-XVII et G. Pasquino, « Alto sgradimento: la comunicazione politica dei partiti », Problemi dell’informazione, XIII, no 4, 1988, p. 487-489. 4. Pour des exemples illustrant les différentes catégories mentionnées ci-dessous, voir C. Dané (dir.), Parole e immagini della Democrazia Cristiana, Roma, Broadcasting & Background, 1985 ; E. Novelli, C’era una volta il PCI. Autobiografia di un partito attraverso le immagini della sua propaganda, Rome, Editori Riuniti, 2000 ; B. Craxi (préface), Le immagini del Socialismo. Comunicazione politica e propaganda del PSI, dalle origini agli anni Ottanta, Rome, Direzione PSI, Sezione attività editoriali di propaganda, [1984]. 5. E. Novelli, Dalla TV di partito al partito della TV. Televisione e politica in Italia, 1960-1995, Florence, La Nuova Italia, 1995, p. 1-35. 6. Pour les portraits des présidents italiens, voir < http://www.quirinale.it/qrnw/statico/ex- presidenti/expresidenti.htm>. Sur les portraits des présidents français, la littérature est ample. Voir, par exemple, M. Vigié, Le portrait officiel en France, du Ve au XXe siècle, Paris, FVW, 2000, p. 181-194. 7. B. Craxi, Le immagini del Socialismo, ouvr. cité, p. 540-545. 8. K. Melder, Hail to the Candidate. Presidential Campaigns from Banners to Broadcasts, Washington DC- New York, Smithsonian Institution Press, 1992. 9. B. Craxi, Le immagini del Socialismo, ouvr. cité, p. 546. 10. L. Cheles, « Picture Battles in the Piazza: the Political Poster », dans L. Cheles et L. Sponza (dir.), The Art of Persuasion. Political Communication in Italy, from 1945 to the 1990s, Manchester-New York, Manchester University Press, 2001, p. 155, fig. 53. 11. Sur le rituel mussolinien du discours du haut du balcon et son iconographie, voir G. L. Mosse, The Nationalisation of the Masses, New York, Howard Fertig, 1975, p. 109-110 ; D. Musiedlak, « Le Duce, le Balcon et la foule », dans F. Liffran, Rome 1920-1945. Le modèle fasciste, son Duce, sa mythologie, Paris, Autrement, 1991, p. 133-138. Sur la propagande du MSI, voir L. Cheles, « ‘Nostalgia dell’avvenire’. The Propaganda of the Italian Far Right between Tradition and Innovation », dans L. Cheles, R. Ferguson et M. Vaughan (dir.), The Far Right in Western aznd Eastern Europe, London-New York, Longman, 1995, p. 64-94. 12. G. Moltedo, « Occhetto a Firenze », Il Manifesto, 17 septembre 1988. 13. La tendance à la personnalisation se renforça progressivement, et s’affirma surtout avec les législatives de 1992. L’accentuation de la personnalité des hommes politiques à travers la

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visualisation de leurs traits était en partie le résultat d’un changement dans le système électoral. Le système uninominal donna lieu à une compétition féroce, et poussa les candidats à se distinguer les uns des autres à travers une imagerie innovatrice et parfois insolite. Voir L. Cheles, « Picture Battles », art. cité, p. 138-139. 14. Dans Il manuale del candidato politico, Milan, Bridge, 1991, Maria Grazia Pustetto conseillait aux candidates de se présenter à l’électorat avec une image atténuée : « Se l’utilizzo sapiente dei contenuti simbolici dell’abbigliamento di un uomo sono importanti, in una donna possono assumere una valenza tale da incidere in maniera rilevante sull’esito della campagna elettorale. Stravaganze, eccentricità, modelli ammiccanti o che denotino una larvata disponibilità sessuale devono essere esclusi dal guardaroba di una donna che vuole fare carriera, in un settore come quello della politica, nel quale permangono nei suoi confronti dei forti pregiudizi negli uomini e una più o meno espressa ostilità da parte delle altre donne. » (p. 239-240) 15. A. D’Eusanio, Il peccato in parlamento, Gardolo di Trento, Reverdito, 1987. Quelques années plus tard, en 1991, les soutiens de Cicciolina fondèrent le Partito dell’Amore, qui se présenta aux législatives de 1992 en alliance avec le Partito dei Pensionati. La protagoniste de ce nouveau parti était une autre star du porno, Moana Pozzi. Voir M. Giusti, Moana, Milan, Mondadori, 2004. 16. Pendant leur exhibition, le leader du parti, Marco Pannella, lit (habillé) un communiqué expliquant que leur nudité symbolisait la vérité. Voir C. Maltese, « Il nude look della politica », la Repubblica, 22 novembre 1995. 17. L. Cheles, « Dalla donna-angelo a Alessandra Mussolini », dans F. Billi (dir.), La paura e l’utopia. Saggi sulla comunicazione politica contemporanea, Milan, Punto Rosso, 2001, p. 98 et 110. 18. B. Craxi, Le immagini del Socialismo, ouvr. cité, p. 450-457, 472-546. 19. M. Spera, L’immagine del Partito Repubblicano. Una rilettura, 1962/2008, Rome, Gangemi, 2008. 20. L. Sollazzo, « Pubblicità elettorale », Sipradue, novembre-décembre 1968, p. 27-28. 21. M. Chierici, « Li trucco e li vendo », Panorama, 9 novembre 1986, p. 222-228. 22. Sur cette gaffe, voir A. Sarti, « Quando la DC aveva vent’anni », dans Dané (dir.), Parole e immagini, p. 38-41. Adolfo Sarti était à l’époque le responsable de la propagande de la DC. 23. Anon., « Onorevoli opinioni », art. cité, p. 18-19. 24. L. Cheles, « Picture Battles », art. cité, p. 157, fig. 54 et 55. 25. D. M. Masi et F. Maffioli, Come vendere un partito, Milan, Lupetti, 1989, p. 73-92. G. Falabrino, I comunisti mangiano i bambini. La storia dello slogan politico, Milan, Vallardi, 1994, p. 214-219. 26. S. Piazzo et C. Malaguti, La Lega Nord attraverso i manifesti, Milan, Editoriale Nord, 1996 ; L. Dematteo, L’idiotie en politique. Subversion et néo-populisme en Italie, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme-CNRS éditions, 2007. 27. Sur les excès médiatiques de Berlusconi, la littérature est immense. On se limitera à signaler A. Rinaldi et M. Vincenzi (dir.), Atlante. Gli anni di Berlusconi, publication illustrée parue avec la Repubblica le 17 novembre 2011, juste après la chute de son gouvernement.

RÉSUMÉS

Trois phénomènes caractérisent la communication politique des années quatre-vingt : la personnalisation et spectacularisation des campagnes électorales, et leur professionnalisation. Ces phénomènes contribuèrent à l’essor d’une propagande figurative axée sur l’effigie du leader, que la plupart des partis italiens avait jusque-là fui craignant de rappeler le culte du Duce

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pendant le fascisme. Après avoir évoqué les facteurs qui conduisirent à ces changements (influence d’expériences étrangères ; prolifération de chaînes de télévision privées), cet article montre que l’enthousiasme pour les nouvelles approches de publicité électorale ne toucha pas tous les partis. Les questions de la représentation de la femme sur les affiches, et de la naissance du phénomène des cover-girls parachutées dans le domaine de la politique sont également abordées.

Tre fenomeni caratterizzano la comunicazione politica degli anni ’80: la personalizzazione e spettacolarizzazione delle campagne elettorali e la loro professionalizzazione. Questi fenomeni contribuirono allo sviluppo di una propaganda figurativa centrata sull’effigie del leader, che la maggior parte dei partiti italiani aveva fino ad allora rifuggito nel timore di evocare il culto del Duce negli anni del fascismo. Dopo aver menzionato i fattori che hanno condotto a questi cambiamenti (influenza d’esperienze straniere; proliferazione di emittenti televisive private), il saggio mostra come non tutti i partiti accolsero i nuovi approcci di pubblicità elettorale con entusiasmo. Sono inoltre affrontate le questioni della rappresentazione della donna sui manifesti, e della nascita del fenomeno delle cover girl catapultate nel mondo della politica.

Three phenomena characterise the political communication of the 1980s : the personalisation and spectacularisation of political campaigns, and their professionalisation. These phenomena contributed to the development of a visual propaganda based on the effigy of the leader, which most Italian parties had hitherto eschewed out of fear of evoking the fascist cult of the Duce. After mentioning the factors that led to these changes (influence of foreign experiences; proliferation of private TV stations), this essay shows how not all parties responded enthusiastically to the new approaches to electioneering. The questions of the representation of women on political posters, and of the birth of the phenomenon of the cover-girls catapulted into the political arena are also tackled.

INDEX

Mots-clés : affiches, années quatre-vingt, campagnes électorales, communication politique, cover-girls, effigie du leader, gender, propagande, publicité, représentation de la femme Parole chiave : anni Ottanta, Campagne elettorali, comunicazione politica, cover girl, effigie del leader, gender, manifesti, propaganda visuale, pubblicità, rappresentazione della donna Keywords : cover-girls, gender, leader, political campaigns, political communication, political posters, the eighties, visual propaganda, women

AUTEUR

LUCIANO CHELES Université de Poitiers

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Fine dei movimenti e nuove identità generazionali nella narrativa italiana degli anni ottanta: Tondelli e Palandri Fin des mouvements et nouvelles identités générationnelles dans la littérature italienne des années quatre-vingt : Tondelli et Palandri The end of political movements and new generational identities in the narrative of the eighties: Tondelli and Palandri

Ugo Perolino

1 Nel tracciare le linee abrasive di una autobiografia della prima Repubblica, Guido Crainz ricorda che l’edonismo degli anni Ottanta fu reso disponibile sul mercato delle rappresentazioni sociali per l’attrazione esercitata da un film, La febbre del sabato sera, emblematico di nuovi stili di comportamento e di aggregazione giovanile. Sulla stessa linea di disinibita trasgressione e di liberazione dai modelli culturali dei “fratelli maggiori” si collocava un libro, Altri Libertini1 di Pier Vittorio Tondelli, destinato a diventare il breviario di una o più generazioni di giovani narratori esordienti sulla scena letteraria nel corso del decennio. La politica e l’orizzonte dell’impegno, scrive Crainz, apparivano d’un tratto disertati «per il divertimento, il corpo e la moda»2.

2 Quel fenomeno complesso, che incide oltre l’ambito letterario per l’affermarsi di abitudini e inclinazioni innovative sul piano del costume (significativamente, nell’estate del 1976, Leonardo Vergiani si interroga sulla moda del seno nudo sulle spiagge italiane)3, con infrazione di antichi tabù (dopo lo choc prodotto dal referendum sul divorzio), troverà nella televisione commerciale uno straordinario mezzo di diffusione. Ma prima di essere relegate nella sfera dell’entertainment, le tematiche del personale politico, causa e insieme effetto del disincanto verso la militanza, erano state portate lungamente in gestazione nella vita del movimento.

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3 Si devono retrodatare alla metà degli anni Settanta i primi segni di quella trasformazione critica che sposterà in primo piano – derubricando i miti del marxismo classico, e in primo luogo quello della centralità operaia – il vissuto corporeo, la sessualità, i rapporti interpersonali enfatizzati dal successo di un libro come Porci con le ali, a proposito del quale Giuliano Zincone evidenziava la «massima ironia e massima scioltezza ideologica (nel giardino della sinistra e dell’oggi): Gramsci e Vaneigem, Lenin e Gloriaguida, Tolstoi e le sexy-favole»4. Erano interessantissime anche le annotazioni di Zincone su linguaggio e psicologia degli adolescenti, Rocco e Antonia, che «si innamorano durante una manifestazione politica», «si trovano e fanno l’amore», «si isolano nella felicità»: «È incredibile come tutto questo risulti autentico e tremendamente importante – scriveva – in un libro in cui tutti i giovani protagonisti fingono che le cose importanti siano altrove, nelle strutture della società, nella lotta di classe, nei discorsi di Zaccagnini e Berlinguer»5.

4 Se messo a confronto con le ruvidezze del romanzo della Ravera, Boccalone (1979) di Enrico Palandri sembra restaurare la centralità sentimentale degli spazi collettivi (in primo piano le piazze e i portici di Bologna), per verificarne magari la progressiva erosione, l’inagibilità dopo gli scontri e la repressione del marzo 1977 («Le belle facce che avevo incontrato tutto l’inverno in università, a primavera in piazza maggiore […] in giugno sono maschere di gesso […] Bologna è bruciata»)6, da cui si stacca criticamente la solitudine dell’io narrante («Dovremmo scriverla tutti assieme questa storia, con molte voci confuse assieme, dimenticate sulla pagina scritta: il registratore che adopero io è invece questa maledetta bocca larga, che perde in continuazione»)7. È stato proprio Tondelli a riconoscere in Boccalone «il libro che ha aperto la strada alla nuova letteratura degli anni ottanta», inaugurando quella «lettura generazionale» che sarà ampiamente discussa, tra gli altri, da Panzeri e dallo stesso Palandri. Nel romanzo l’azione si situa a ridosso del marzo 1977, nei mesi della rivolta creativa, dei carri armati inviati a presidiare le sedi universitarie, dell’assalto della polizia a Radio Alice. La recensione tondelliana coglieva gli aspetti meglio armonizzabili ad una lettura non ideologica: «Boccalone è soprattutto una storia d’amore, prima ancora che di crisi politica, la storia di come un innamoramento possa far scoppiare i propri equilibri, creare intensità nuove»8. E ancora, con più scoperto rispecchiamento: «Boccalone è la trascrizione, ora eccitata, ora depressa, ora ironica o addirittura comica, di come un rapporto d’amore vissuto con limpidezza e sincerità possa far crescere, e anche abbandonare quelle cose che prima si definivano come abitudine»9. La successiva recensione a La via del ritorno mette a fuoco il doppio movimento inscritto nel romanzo («Un lungo viaggio in treno, con soste, ricordi, emozioni»10) e sembra così indicare la strada di una memoria personale da riconquistare nel grande freddo dell’età adulta, come accade in Camere separate, confermando un rapporto intessuto di attenzione e di parziale identificazione che non elude le differenze.

5 Nel suo esordio letterario Tondelli si era lasciato alle spalle i riferimenti praticabili per la sua generazione: non ne condivideva le connotazioni ideologiche, il residuo di politicismo. Un rifiuto che si riflette in un racconto come Viaggio, in Altri libertini, dove è ripercorsa la vicenda degli anni Settanta seguendo l’evoluzione sentimentale e l’apprendistato sessuale del protagonista, con la consapevole esclusione di ogni riferimento all’attualità. Le narrazioni tondelliane descrivevano paesaggi e tipi umani della Bassa immersi in un tempo febbrilmente sospeso. La cover del libro era illustrata da una foto di Sven Simon, l’immagine di due giovani autostoppisti in jeans e maglietta

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ai bordi di una strada; sullo sfondo l’ombra di un camion che si avvicina. Non è necessaria alcuna forzatura ermeneutica per intendere la selva di riferimenti ai miti della beat generation: l’anticonformismo e la fuga dalla quotidianità, una rinnovata libertà dopo la stagione del terrorismo e delle stragi, la scoperta di sé, l’iniziazione alla vita, la ricerca della felicità.

6 Spazio simbolico e crocevia di ogni narrazione, la Via Emilia suggeriva escursioni, avventure, derive, come il grande fiume nei racconti di Twain. Nella notte sulla pianura i segni del paesaggio dovevano sconfinare oltre i ristretti significati diurni, in un percorribile altrove: In tempi non lontani, avrei pensato alla Via Emilia come a una grande città della notte estesa trasversalmente sulla pianura del Po e percorsa, senza interruzione, dai TIR e dalle automobili […]. Avrei visto allora il grande rullo d’asfalto come una linea di separazione fra la dolcezza della collina emiliana, che di notte s’illumina di fari, bagliori colorati e punti fluorescenti, e l’estesa pianura che affonda verso la foce del Po, con le sue strade che derivano dalla via principale come tanti canali dal letto di un fiume e che portano, anche nelle terre più lontane, quello stesso messaggio d’irrequietezza. (WK, p. 76)

7 Il carattere del vagabondare tondelliano illuminato dallo «shock intermittente delle city lights», ha scritto Giulio Iacoli, «rimanda a una nuova concezione di flânerie e attraversamento delle località»11, uno spazio reso più veloce e instabile, fluido, saturo di identità fluttuanti. Da qui quell’aspirazione alla fuga, quella ricerca di luoghi cosmopoliti di cui nutrire l’immaginario, fatta insieme di insofferenze e di nostalgia. Le suggestioni poetiche tondelliane codificano l’irrequietezza, l’assenza di vincoli, la leggerezza come condizione euforica dell’esperienza del reale e della scrittura. Sebbene fossero questi i temi verso i quali si era orientato l’immaginario giovanile nell’onda lunga della contestazione, dal ’68 in poi, lo scrittore emiliano ne riscopriva il significato prepolitico e l’energia vitalistica. Si tratta di una ispirazione che darà un provvisorio indirizzo alla narrativa italiana degli anni Ottanta, in una traiettoria creativa breve e intensa – da Altri libertini (1980) a Rimini (1985), da Camere separate (1989) fino all’«enciclopedia d’autore» raccolta in Un Weekend postmoderno (1990). La forma simbolica in cui questo sentimento del tempo ha trovato espressione e si è cristallizzato è quella del viaggio come attraversamento di spazi anonimi, esodo, cambio di identità – in un primo momento la via Emilia, la Pianura, i motel e gli autogrill disseminati lungo l’autostrada; poi Rimini e la riviera, i luoghi dello shopping e del turismo di massa; infine le capitali europee, le città globali.

8 Nei racconti di Altri libertini Tondelli perlustrava una periferia ignorata dalle grandi narrazioni generazionali degli anni Settanta. I suoi scenari erano lontani dai centri urbani portatori di storia e identità lungamente sedimentate. «I miei personaggi – racconta in un’intervista a Nico Orengo (TuttoLibri, 9 febbraio 1980) – […] si muovono in questa prateria, tra Reggio, Modena e Parma […]. I progetti sono pochi: stare bene, viversi dignitosamente, curare la convivialità». Un universo ai margini della vita collettiva, privo di storia. È sintomatico, ad esempio, come fosse tenue nel suo orizzonte mentale il riferimento a Bologna, dove aveva frequentato il Dams a contatto con personalità importanti per la sua formazione culturale e di uno scrittore come Gianni Celati. In Tondelli, ed è un contrasto ricco di significato, assume centralità e rilievo quel sistema adriatico produttore dell’effimero – l’industria del divertimento, dancing e discoteche – che avrebbe trovato la sua capitale in Rimini.

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9 Tondelli apparve subito come l’esponente del nuovo, con le giuste caratteristiche per marcare una discontinuità. Nella fase finale degli anni Settanta entravano in crisi, con la caduta dell’operaismo, culture e pratiche ribellistiche variamente caratterizzate dal rifiuto dell’esistente e da radicali istanze di trasformazione. Non si tratta soltanto della dismissione della lotta di classe o del conflitto generazionale: si registrano invece nuove tendenze, mode, consumi, in cui si afferma il desiderio di sperimentare in modo «gradevole e levigato», cioè privo di asprezze, le seduzioni di una incipiente postmodernità. Nella narrazione tondelliana lo snodo Settanta-Ottanta, il passaggio generazionale e la fine del decennio – che in altre testimonianze assumono i contorni di una drammatica frattura: una “frana” – si esprimono attraverso un’accezione sfumata: Il fenomeno del “nuovo fumetto italiano” nasce verso la fine degli anni settanta come espressione, senza alcun dubbio, di quella vasta fauna creativa, irridente, dissacrante e non violenta che è passata sbrigativamente alla storia come generazione del 1977. Una generazione formatasi culturalmente davanti al teleschermo, cresciuta con in testa il sound delle più belle ballate della storia del rock, diventata giovane maneggiando i paperback e altri gradevoli frutti dell’industria culturale. Una generazione che, nell’impossibilità di offrire a se stessa una ben precisa identità culturale (seguendo percorsi, ponendosi obiettivi, rivalutando origini), ha preferito non darsene alcuna, o meglio, mischiare i generi, le fonti culturali, i padri putativi, fino ad arrivare alla compresenza degli opposti. Una generazione, e ora lo si vede bene, in cui i linguaggi si confondono e si sovrappongono, le citazioni si sprecano, gli atteggiamenti e le mode si miscelano in un cocktail gradevole e levigato che forse è il succo di questa tanto chiacchierata postmodernità12.

10 Questo scivolamento dal ’77 al postmoderno era fulmineo, istintivo, ma anche azzerante rispetto all’eredità del recente passato. In un quadro istantaneamente pacificato Tondelli fu percepito come uno scrittore progressista, un prodotto della società civile estraneo al sistema mentale della cultura marxista. Ad un orecchio esercitato l’universo dei suoi personaggi sbandati e stravaganti risultava però aconflittuale e piuttosto versato sui motivi del gioco, del rovesciamento carnascialesco, della trasgressione. Per gli esigenti degustatori del postmoderno, non ignari della lezione bachtiniana e delle risorse polisemiche del comico e del basso corporeo, lo scrittore emiliano risultò innovativo e sperimentale, soprattutto in riferimento al sorvegliato pastiche stilistico-lessicale, ma senza l’intellettualismo tipico delle avanguardie.

11 A Tondelli si fa credito di avere intuito e formulato coerentemente le prospettive inerenti una condizione giovanile ricca di potenzialità e al tempo stesso esposta a drammatiche involuzioni. Se si prende come modello delle analisi degli intellettuali legati al Pci la distinzione delle due società – da una parte i “garantiti”, con al centro la classe operaia, e dall’altra gli studenti – risulta chiaro come tutto quello che nel mondo giovanile conservava qualche elemento di spontaneità dovesse muoversi lontano dal recinto dei partiti. Ma la distanza dagli anni Settanta farà emergere, per contrasto, le ombre del presente, in particolare la perdita di gravità e di peso: Essere giovani, in quel decennio – si legge in Un Weeekend postmoderno – significò una cosa importantissima: essere presi in considerazione, avere la consapevolezza che il destino della società si giocava (ed era giocato) sulle proprie spalle. I ragazzi erano la “piazza”. Fu da questo giovanilismo imperante che nacquero, da un punto di vista esistenziale, le degenerazioni di quegli anni; proprio dal fatto di voler vivere la propria vita (e di essere autorizzati a farlo dalla violenza di stato) come un “assoluto avventuroso”13.

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12 Gli elementi di novità introdotti dallo scrittore emiliano non passarono ovviamente inosservati e il libro divenne un caso mediatico. Massimo D’Alema, in una breve nota di lettura per l’Espresso (n. 2, 1980), sottolineava, ad esempio, nel sentimento dell’amicizia, nella «ricerca di un rapporto di solidarietà umana» e nel gusto dell’avventura, i nuclei rilevanti dei racconti tondelliani. Allo stesso tempo evidenziava come Altri libertini fosse un libro “politico”, «Se non altro perché l’esperienza giovanile che racconta svela una “mancanza” di politica, o, se si preferisce, una crisi della politica»14. Crisi della politica, dunque. Si avvertiva in quelle storie, ricche di riferimenti a precisi modelli letterari (l’Arbasino dell’Anonimo lombardo e, soprattutto, delle Piccole vacanze; poi Burroughs, Bukowskj, Celati, ecc.) un cambio di passo rispetto al protagonismo giovanile del decennio precedente, una sorta di stanchezza, e perciò anche di normalizzazione, alla fine di una lunga fase di scontro generazionale. Allo stesso tempo, ed è questa la ragione del suo successo, Tondelli apriva una fase nuova nella quale i fumetti e il cinema avrebbero contato infinitamente di più del discorso ideologico. D’altro canto i racconti di Altri libertini manifestavano inquietudini innestate nel cuore del modello emiliano, tradizionalmente posto sotto l’influenza del Pci, e rendevano espliciti pericoli e insidie collegati tanto alla crescita economica quanto ai cambiamenti inscritti nella struttura sociale.

13 In Tondelli la continuità culturale con il movimento del ’77 risultava in molti punti scheggiata, problematica, interrotta. Lo scrittore tramandava frammenti e ritagli di un linguaggio collettivo che si era impresso nella memoria di quella generazione attraverso la musica rock. Un personaggio di Altri libertini, Miro, esprime il proprio desiderio attraverso le parole di una canzone di Nico e dei Velvet Underground, I’ll be your mirror, che viene recitata come un motivo troppo noto per essere virgolettato; Postoristoro, il racconto che apre il libro, ripete gesti, situazioni, momenti di pura ebbrezza autolesionistica: l’attesa spasmodica del pusher, l’agonia dell’astinenza, tipici di certe ballate di Lou Reed15. C’era in questo metalinguaggio pop, colloidale e polifonico, la capacità di agglutinare tutta una massa di materiali largamente diffusi nelle culture giovanili. Tondelli e l’intero movimento del ’77, a Bologna e altrove, erano letteralmente innamorati della «tenebrosità dannata» dei Velvet. Erano i simboli della New York urbana e decadente degli anni Sessanta, e di quel mondo di derelitti e freak che popola i film di Warhol. E poi lo affascinava l’omosessualità e la bisessualità di quell’ambiente. Quella della Factory era una cultura individualista, narcisista, alimentata da spinte autodistruttive: l’eros sadomasochistico, la morte per overdose, il «salto nel vuoto». La scrittura dell’ultimo Tondelli appare capillarmente imbevuta dei motivi della malattia, dell’espiazione, dell’eros sadomasochistico, che trova i suoi archetipi maledetti nei tatuatissimi angeli del male di Morrissey o di Genet16.

14 Questa base espressiva pop e decadente fissa per sempre i confini dell’immaginario tondelliano. L’«universo mitico» degli Smiths, si legge nelle pagine di Un Weekend postmoderno, «appare incluso in quella stagione dell’adolescenza, e della prima giovinezza, avara di piccolezze e ricca invece di difficoltà, di domande non risolte, di angosce, di struggimenti, di conflitti, di passioni, di intensità autodistruttive». Quando, nel 1988, si trovò a scrivere della fine di Andrea Pazienza, forse l’artista più eclettico e geniale del movimento, Tondelli osservò che l’autore delle Avventure di Penthotal aveva incarnato «il lato negativo di una cultura e di una generazione che non ha mai, realmente, creduto a niente, se non nella propria dannazione»17. In quella morte, che faceva coincidere il destino di Andrea con quello di «tantissimi suoi coetanei», Tondelli

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vedeva «una grandezza straordinaria, anche se costruita sulle miserie del quotidiano, e una coerenza che solo gli ipocriti possono biasimare». Era il lato tragico e aristocratico di quella cultura della festa che nelle sue inflessioni popolari aveva caratterizzato l’atmosfera degli anni Settanta, ed era esplosa in mille frantumi al festival del parco Lambro del ’76, che Gianfranco Manfredi, «pensoso e ironico cantautore del movimento» (Crainz), descrisse come «l’ultimo spettacolo» di quella generazione (la canzone si intitola Un tranquillo festival pop di paura: «È l’ultimo spettacolo non solo della festa / la mia generazione che vuota la sua testa»).

15 Sebbene vi fossero radici e percorsi comuni, Tondelli si sottrasse a quel contesto generazionale e al collettivismo che ne costituiva il brodo di coltura. In Viaggio, il più ampio e autobiografico dei racconti di Altri libertini, dopo un lungo vagabondare tra le capitali europee – Parigi, Londra, Amsterdam, Berlino – il protagonista trascorre a Bologna le giornate del marzo 1977, ma anziché partecipare all’occupazione dell’università resta in casa, indifferente al corso degli eventi, fisso nel pensiero del «corpo di Michel che sotto terra si decompone e si scioglie» (AL, p. 86). In Camere separate, la cui vena autobiografica risente delle influenze di Peter Handke e di Christopher Isherwood, è descritto con molta precisione il limite, la soglia che il mito tragico dell’adolescenza impone di non attraversare. Lo sguardo, che ha oltrepassato la linea d’ombra, è entrato in un tempo di solitudine e di abbandono. Il confine è quello della vita adulta, con l’assunzione di responsabilità, la stabilizzazione della routine del lavoro, dei legami familiari e sentimentali, l’orizzonte ristretto alle abitudini quotidiane. Leo, il protagonista di Camere separate, a trentadue anni stenta a riconoscersi nel profilo di un viso «appesantito e affaticato» riflesso nell’oblò di un aereo. La sua faccia gli appare «ogni giorno più strana» poiché l’immagine che conserva del proprio volto è «sempre e immortalmente quella del sé giovane e del sé ragazzo». Il suo lento ritorno a casa, in un «piccolo borgo della bassa padana» dove è nato, nella stanza dove ha scritto «le sue prime pagine, i diari, la tesi di laurea», rappresenta un luttuoso pellegrinaggio lungo le stazioni e i luoghi in cui si è consumata una perdita. La malattia e la morte di Thomas, l’essere amato, è in realtà quella soglia, oltre la quale Leo rinasce alla vita adulta.

16 La società italiana degli anni Ottanta si è offerta allo sguardo tondelliano sotto forma di spettacolo, trasgressione carnevalesca, erotizzata affabulazione di maschere e identità. Lo spazio simbolico che sintetizza metamorfosi e seduzioni del nuovo decennio viene identificato nella riviera adriatica, «una cosmogonia estiva e ferragostana della libido nazionalpopolare». Rimini folcloristicamente appare come una «Nashville patriottica e poliglotta», una «ardente, improvvisata e autogestita carnevalata rabelaisiana»18; «Fiabilandia […] è la riviera adriatica tutta intera: un parco di divertimenti che si definisce in rapporto non tanto ai paesaggi reali, quanto piuttosto ai paesaggi della nostra immaginazione»19. Rivelano intelligenza e intuito sociologico anche certe pagine di Un weekend postmoderno dove è raccontato l’ambiente delle corse all’ippodromo del Savio, con la folla vociante «che sa tanto di fauna da Piazza degli Affari», tra «gelatai ambulanti e piadine al prosciutto», un mondo ripreso dalle «sensibilissime antenne delle emittenti private che da tempo diffondono dirette quotidiane dagli ippodromi di Montecatini, Milano, Firenze». Lo sguardo tondelliano è capace di isolare con sorprendente precisione dettagli che rivelano nuovi comportamenti e consumi di massa (la febbre del gioco, il popolo dei piccoli risparmiatori di borsa, lo sviluppo dell’emittenza televisiva privata) che avrebbero trovato soggetti e attori in grado di interpretarne le istanze. Fulvio Panzeri ha indicato in Rimini il punto di arrivo di una

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ricerca inscritta nei codici del postmoderno «come prova di vari linguaggi e soprattutto di differenti costruzioni narrative, coordinate nel flusso di un viaggio alla scoperta della Riviera romagnola, delle sue mitologie nazionalpopolari, di tutto quel kitsch da spiaggia e da discoteca», che offre a Tondelli un «palcoscenico collettivo», lo «scenario postmoderno a lungo inseguito»20. Secondo Enrico Palandri, al contrario, l’interesse verso la dimensione dell’effimero, tributo all’effervescenza del decennio, induce Tondelli a verticali cadute di tensione da cui si riscuote con la ricerca di nuovi e più forti valori letterari, ricerca documentata dall’approdo di Camere separate. La «grande differenza», annota Palandri sul filo di un confronto che è anche autobiografia generazionale, «mi pare proprio l’atteggiamento verso la moda. Per Pier, che è meno severo e forse meno segnato dal cambiamento d’epoca, la moda è allegria, mobilità sociale, feste […]. Per me e altri la moda è, leopardianamente, sorella della morte»21.

17 Il vitalismo agisce in Tondelli come antidoto alle pulsioni autodistruttive e conferisce alle sue narrazioni una curvatura progressiva, rivolta invariabilmente al futuro. Lo scrittore di Correggio difese coerentemente gli anni Ottanta, «che molti già si affrettano incautamente a vituperare», ricordando che in quel decennio erano emersi «valori e comportamenti assolutamente non trascurabili». Innanzitutto «un ritorno alla solidarietà – non più di classe, ma generalmente civile – di fronte alle emergenze sociali, come l’emigrazione dai paesi extracomunitari, la criminalità mafiosa, i sequestri di persona, la cura e il recupero dei tossicodipendenti». La coscienza giovanile, condensata simbolicamente nei grandi raduni rock, aveva assunto come tema centrale i «non più rimandabili problemi ecologici del pianeta»22.

18 La narrativa degli anni Ottanta (spesso dichiaratamente tondelliana, o post-tondelliana, anche per l’azione di talent scout svolta dallo scrittore emiliano) è alimentata dalla volontà di esplorare spazi e forme della contemporaneità e di recuperare la forma chiusa del racconto. Una volta esaurita la spinta vitalistica, l’ingresso nell’età adulta torna ad assumere i tratti di una caduta nella quotidianità deludente e opaca. Nei racconti di Claudio Piersanti, in particolare nella raccolta L’amore degli adulti (1989), il minimalismo dei conflitti personali, l’impermanenza dei sentimenti, il clima di generale svuotamento delle tensioni collettive, fanno emergere, per contrasto, inquietudini altrimenti sepolte nelle profondità della provincia italiana. È una generazione silente, di trentenni già senilmente segnati, quella raccontata da Piersanti; una generazione resa più ansiosa dallo spettro del declino economico, un argomento che entrerà nel dibattito politico soltanto più tardi ma già presente alla fine di un decennio caratterizzato dall’esplosione del debito pubblico e dall’altissimo livello di corruzione politico-economica che inquina il sistema dei partiti. Nel solco di questa scrittura del disincanto e della quotidianità – e, pertanto, anti-tondelliana – sono da registrare, accanto a Piersanti, i libri di Palandri, soprattutto il romanzo La via del ritorno, che prospetta un ripensamento critico dell’esperienza giovanile e che fu definito da Tondelli come «una ballata sul tempo, sulle persone che si perdono, su quelle che restano nella nostra coscienza»23. E Giulio Mozzi, autore di narrazioni scabre che spingono il minimalismo stilistico verso esiti di acuta e dolorosa afasia (Questo è il giardino, 1990); Claudio Lolli, attivo come cantautore nel ’77 bolognese e autore di una raccolta di racconti, Giochi crudeli, pubblicata nel 1993 da Transeuropa, che aveva prodotto le antologie tondelliane. E il 1993 è anche l’anno di esordio del marchigiano Angelo Ferracuti con una raccolta di racconti, Norvegia (1993), profondamente influenzati dalla lezione carveriana e da Celati.

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19 Ma c’è un secondo Tondelli che Panzeri indica esemplarmente nel racconto Pier a gennaio (1986), che modellizza la tematica del ritorno a casa, da Biglietti agli amici fino a Camere separate. Un Tondelli malinconico, introspettivo ed elegiaco e perciò portato a insistere sui codici formali dell’autobiografia (Ingeborg Bachmann, Peter Handke, Christopher Isherwood). Uno scrittore orientato verso una maturazione, non si sa quanto compiuta e tecnicamente meditata, che si lascia alle spalle i contenuti mitici dell’adolescenza. La fenomenologia dell’abbandono allude a questa separazione non solo dall’essere amato, ma da se stessi e da ciò che si è stati. Una volta scontate novità e rotture generazionali, il percorso tondelliano era esposto a pericolose involuzioni, su cui il giudizio resta necessariamente sospeso24. A riprova del fatto che una valutazione obiettiva dell’opera tondelliana non può essere disgiunta da una prospettiva complessiva sugli anni Ottanta, di cui l’autore di Camere separate intuisce il declino come un fatto intimo e irrevocabile.

NOTE

1. Per le opere tondelliane si veda: P. V. Tondelli, Opere, vol. I, Romanzi, teatro, racconti, e vol. II, Cronache, saggi, conversazioni, a cura di Fulvio Panzeri, Milano, Bompiani, 2000. La numerazione delle pagine sarà riferita a questa edizione, mentre le singole opere saranno indicate nelle note in forma abbreviata (AL: Altri Libertini; CS: Camere separate; MSC: Il mestiere dello scrittore). Alcune citazioni sono tratte da P. V. Tondelli, Un Weekend postmoderno, Milano, Bompiani, 2005 (nel seguito richiamato con la sigla WK). 2. G. Crainz, Autobiografia di una Repubblica. Le radici dell’Italia attuale, Roma, Donzelli, 2009, p. 130 sgg. La citazione si trova a p. 131. 3. Si veda L. Vergani, «Perché il seno nudo sulle spiagge», Corriere della Sera, 7 luglio 1976; successivamente in F. Contorbia (a cura di), Giornalismo italiano 1968-2001, Milano, Mondadori, 2009, pp. 472-475. Il fenomeno del topless, sebbene in qualche modo collegato con la liberazione della sessualità perseguita dai movimenti giovanili, ha connotazioni radicalmente diverse dal nudismo praticato al festival del Parco Lambro del 1976. Happening carico di significati collettivi (almeno nelle intenzioni), quello del Parco Lambro, in cui il corpo viene usato come un dazebao; cosmetico e autoedonistico, l’altro, indicativo dell’italian lifestyle anni Ottanta. 4. G. Zincone, «Emozioni d’amore e ironia di due adolescenti», Corriere della Sera, 1 agosto 1976, in F. Contorbia (a cura di), Giornalismo italiano 1968-2001, op. cit., pp. 480-483. 5. Ibid., p. 482. 6. E. Palandri, Boccalone, Milano, Bompiani, 2002, p. 48. 7. Ibid., p. 52. 8. P. V. Tondelli, Enrico Palandri [1979], in WK, pp. 213-216. Il capitolo su Palandri si divide il due parti, due recensioni a Boccalone e a La via del ritorno scritte a distanza di oltre un decennio, rispettivamente nel 1979 e nel 1990, segno di una duratura attenzione da parte di Tondelli, che trova nei romanzi citati, in due momenti diversi della sua esperienza personale e di scrittore, un complesso di situazioni tematiche e narrative analoghe a quelle su cui sta lavorando. La citazione è a p. 213. 9. Ibid., p. 213.

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10. «Un lungo viaggio in treno, con soste, ricordi, emozioni. Il desiderio di rivedere gli amici dopo dieci anni di volontario esilio in Inghilterra, la paura di trovarli cambiati e indifferenti, il peso del passato, di una militanza politica che ha travolto qualcuno, il sospetto, l’ansia del sentirsene ormai fuori, insieme a un mondo, a rapporti, che sono completamente cambiati con l’evolvere degli anni. L’altro viaggio, innestato in quello principale, da Londra e Edimburgo, è il viaggio della scoperta dell’altro, la nascita dell’amore fra il protagonista, conducente di autobus e la ragazza scozzese che, sullo stesso pullman, fa la hostess.» (Ibid., p. 215) 11. Si veda G. Iacoli, Atlante delle derive. Geografie di un’ Emilia postmoderna: Gianni Celati e Pier Vittorio Tondelli, Reggio Emilia, Diabasis, 2002, pp. 94-95. 12. P. V. Tondelli, Nuovo fumetto italiano [1985], in WK, pp. 204-208. La citazione è a p. 204. 13. P. V. Tondelli, Quel ragazzo… [1985], in WK, pp. 123-125. La citazione è a p. 125. 14. La contrapposizione tra Boccalone e Altri libertini era articolata in chiave politica. In un libro denso di suggestioni Enrico Palandri scrive che D’Alema «sollecitava in Pier un rientro nel mainstream, cosa che tra l’Espresso e Il Corriere per lui è avvenuta, almeno fino a Camere separate». Consultare E. Palandri, Pier. Tondelli e la generazione, Roma-Bari, Laterza, 2005, p. 70. 15. Nell’articolo Morte per overdose [1986] Tondelli ricorda come «alcune tra le più belle ballate che la storia del rock abbia mai conosciuto, da Heroin, appunto, a Waiting for my Man dei Velvet Underground» abbiano interpretato «le aspirazioni, la rabbia, le delusioni, le tragedie […] di una o due generazioni che in quei miti si è specchiata, ha creduto, e per far parte di quei miti si è ammazzata». E proseguiva osservando che «Togliere la droga dal rock è togliergli vent’anni di storia e di rabbia giovanili, vent’anni di grandissime interpretazioni musicali e grandissimi testi poetici». P. V. Tondelli, Morte per overdose [1986], in WK, pp. 304-305. La citazione è a p. 305. 16. P. V. Tondelli, The Smiths [1986], in WK, pp. 300-303. 17. P. V. Tondelli, Andrea Pazienza [1988], in WK, pp. 209-212. La citazione è alle pp. 211-212. 18. P. V. Tondelli, Adriatico Kitsch (1982), in WK, pp. 98-101. 19. P. V. Tondelli, Spiagge (1986), in WK, pp. 112-116. La citazione è a p. 114. 20. F. Panzeri, Pianura progressiva, introduzione a Opere, Romanzi, teatro, racconti, op. cit., pp. IX e X. 21. E. Palandri, Pier. Tondelli e la generazione, op. cit., pp. 86-87. 22. P. V. Tondelli, Anni Ottanta, in MSC, pp. 841-843. La citazione è a p. 841. 23. P. V. Tondelli, Enrico Palandri [1990], in WK, p. 216. 24. Involuzioni e ricadute neosentimentali che Alberto Arbasino, mai tenero con lo scrittore emiliano, ha ironicamente evidenziato: «Ma se Tondelli mi avesse chiamato, ci sarebbero stati almeno due temi “scomodi” su cui discutere. Il riaffacciarsi, dopo anni e anni di Epico, di Crudeltà, di Engagement, di Strutturalismo, di Semiologia, eccetera, di un intimismo sentimentale ove il suo tocco aveva una grazia molto singolare e molto tenera, ma che stava lì lì per dilagare in una inflazione neopiccoloborghese di piccoli dispiaceri e piccole crisi di intellettuali e di coppie nelle meschinità di un quotidiano “minimal”.» (A. Arbasino, «Tondelli al telefono», la Repubblica, 26 ottobre 2001)

RIASSUNTI

In Tondelli la continuità culturale con il movimento del settantasette risultava in molti punti scheggiata e interrotta. Lo scrittore tramandava frammenti e ritagli di un linguaggio collettivo che si era impresso nella memoria di quella generazione attraverso la musica rock. Un

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personaggio di Altri libertini, Miro, esprime il proprio desiderio attraverso le parole di una canzone di Nico e dei Velvet Underground, I’ll be your mirror; Postoristoro, il racconto che apre il libro, ripete gesti, situazioni, momenti di pura ebbrezza autolesionistica tipici di certe ballate di Lou Reed. C’era in questo metalinguaggio pop, colloidale e polifonico, la capacità di agglutinare tutta una massa di materiali largamente diffusi nelle culture giovanili. Una volta scontate novità e rotture generazionali, il giudizio resta necessariamente sospeso. Una valutazione obiettiva dell’opera tondelliana non può essere disgiunta da una prospettiva complessiva sugli anni Ottanta, di cui l’autore di Camere separate intuisce il declino come un fatto intimo e irrevocabile.

Chez Tondelli la continuité culturelle avec le mouvement de mille neuf cent soixante-dix-sept se manifestait en plusieurs points comme fragmentaire et interrompue. L’écrivain transmettait des bribes et des morceaux d’un langage collectif qui s’étaient imprimés dans la mémoire de cette génération à travers la musique rock. Un personnage de Altri libertini, Miro, exprime son propre désir à travers les mots d’une chanson de Nico et des Velvet Underground, I’ll be your mirror, qui est récité comme un motif trop connu pour être mis entre guillemets; Postoristoro, le premier récit du livre, répète des gestes, des situations, des moments de pure ivresse autodestructrice: l’attente spasmodique du pusher, l’agonie de l’abstinence, typiques de certaines ballades de Lou Reed. Il y avait dans ce métalangage pop, colloïdal et polyphonique, la capacité d’agglutiner toute une masse de matériaux largement diffusés au sein des cultures des jeunes. Une fois assimilées les nouveautés et ruptures générationnelles, le parcours tondellien était exposé à des involutions dangereuses, sur lesquelles le jugement reste nécessairement suspendu. Une évaluation objective de l’œuvre tondellienne ne peut pas être séparée d’une perspective d’ensemble sur les années quatre-vingt, dont l’auteur des Camere separate pressent le déclin comme un fait intime et irrévocable.

In Tondelli’s novels, cultural continuity with the Movimento del ’77 was in many ways fragmentary. The writer transmitted elements of a collective youth culture which were present in the memory of that generation. Miro, one of the characters of Altri libertini, expresses his desire through the words of a song of Nico and Velvet Underground: I’ll be Your Mirror. The opening story of the book, Postoristoro, presents gestures, situations and moments of self- destructive intoxication which recall some of Lou Reed’s ballads. This pop and polyphonic meta- language expressed the capacity to assemble a great variety of materials popular among young people. An assessment of Tondelli’s work cannot be separated from an overview of the eighties since the author of Camere separate perceives “decline” as their intimate and irrevocable essence.

INDICE

Parole chiave : Altri libertini, Boccalone, Enrico Palandri, Lou Reed, movimento del settantasette, Pier Vittorio Tondelli, Velvet Underground Mots-clés : Altri libertini, année quatre-vingt, Boccalone, Enrico Palandri, Lou Reed, mouvement de l’année 1967, Pier Vittorio Tondelli, Velvet Underground Keywords : Altri libertini, Boccalone, Enrico Palandri, Lou Reed, Movimento del ’77, Pier Vittorio Tondelli, Velvet Underground

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AUTORE

UGO PEROLINO Università di Pescara

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Gli “eredi” di Calvino negli anni ottanta: Andrea De Carlo e Daniele Del Giudice Les « héritiers » de Calvino dans les années quatre-vingt : Andrea De Carlo et Daniele Del Giudice Calvino’s heirs in the eighties: Andrea De Carlo and Daniele Del Giudice

Sabina Ciminari

1 Un discorso sulla questione degli “eredi”, quale è quello che ci proponiamo di fare, comporta una riflessione critica su una possibile linea Calvino-Del Giudice-De Carlo e, all’interno di essa, sul ruolo di maestro che Italo Cavino, più o meno consapevolmente, ha avuto. La dichiarazione, in apertura del nostro intervento, di una tale posizione, non è esente da possibili contestazioni, soprattutto se esse assumono, come punto di partenza, l’esame delle ultime opere dei due eredi in questione, Andrea De Carlo e Daniele Del Giudice, quale punto d’arrivo di un’evoluzione narrativa che, a partire dagli anni Ottanta, ha attraversato il decennio successivo fino ad arrivare ai nostri giorni.

2 Orizzonte mobile (2009) e Durante (2008)1, da questo punto di vista, sono due romanzi che hanno in comune ben poco, e rappresentano gli esiti di percorsi narrativi che non solo hanno preso strade diverse, ma che sono il risultato di una riflessione che si è svolta in momenti e seguendo tempi diversi. De Carlo ha pubblicato al ritmo di circa un romanzo ogni due anni; Del Giudice è tornato alla ribalta delle cronache letterarie italiane – rifiutandosi fra l’altro di concorrere nel 2009 al Premio Strega, per il quale era considerato uno dei favoriti – a distanza di oltre vent’anni dal suo ultimo romanzo.

3 Eppure, il discorso cambia se ci si concentra sugli anni Ottanta, che segnano i loro inizi, e in particolare sui romanzi d’esordio: De Carlo e Del Giudice aprono, infatti, il decennio con due opere che restano sotto molti punti di vista fra le loro migliori prove letterarie: Treno di panna e Lo stadio di Wimbledon, pubblicate rispettivamente nel 1981 e nel 1983, per i tipi dell’Einaudi.

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4 Una prospettiva simile di rilevazione di una linea di filiazione comune per questi romanzi è stata, fra l’altro, già ipotizzata da altri: si pensi in particolare a Filippo La Porta che, pur dopo aver parlato di una narrativa caratterizzata dall’assenza di padri e maestri dichiarati, nella sua Nuova narrativa italiana2 inserisce questi autori (insieme a Mario Fortunato, Andrea Canobbio e Dario Voltolini) nel primo capitolo della sua ricostruzione critica, dal titolo suggestivo Il Calvino dimezzato, con la motivazione che «Calvino […] sarà uno dei pochi “maestri” italiani riconosciuti dagli scrittori di questo periodo»3.

5 Se la posizione di La Porta ci sembra condivisibile, tanto più lo è se messa in relazione a quell’idea «del lavoro artigianale della scrittura» che ha accompagnato Calvino, il cui impegno editoriale, prova e manifestazione di essa, è considerato ad esempio da Remo Ceserani come la testimonianza più eloquente del suo essere un postmoderno sui generis4.

6 Da un punto di partenza che si colloca a cavallo fra queste due posizioni critiche ha origine il nostro discorso sugli anni Ottanta. Ragioni che sono anche editoriali, infatti, e comunque interne a un lavoro, in Einaudi, che comportava anche la promozione di giovani autori, oltreché un’adesione evidente e dichiarata a un tipo di narrativa e a un modo di intendere il racconto, spingono Calvino a diventare e a essere riconosciuto dalle voci narrative che esordiscono in quegli anni come un punto di riferimento, e nello specifico come un maestro di visione narrativa, questione sulla quale – nel contesto di un panorama letterario europeo segnato dall’école du regard – andava ragionando proprio in quegli anni. Nel 1983 ad esempio guarda alla letteratura europea contemporanea rilevando in essa l’insistenza sull’elemento visivo: In Francia […] il problema della “cosa in sé” ha continuato a contrassegnare la ricerca letteraria […]. Ma credo che l’ultima parola non sia stata ancora detta. Recentemente in Germania Peter Handke ha scritto un romanzo basato interamente sui paesaggi. E anche in Italia un approccio visivo è l’elemento comune di alcuni degli ultimi nuovi scrittori che ho letto5.

7 Da Calvino quindi prenderà avvio il nostro discorso, con un sommario esame di quello su cui si era concentrato prima dell’improvvisa scomparsa, nel 1985. Si passerà quindi all’esame degli esordi di De Carlo e Del Giudice, che si collocano lungo una linea di sviluppo e di continuazione della sua ricerca. Concluderemo con uno sguardo all’evoluzione narrativa dei due scrittori, la cui produzione letteraria arriva fino ai nostri giorni, per dimostrare quanto i loro percorsi possano essere considerati, in parte, corrispondenti al «carattere binario»6 del pensiero di Calvino, e quanto al tempo stesso – è il caso soprattutto di Del Giudice – essi possano far pensare a un ideale proseguimento della sua attività letteraria.

8 L’improvvisa scomparsa di Italo Calvino, nel settembre del 1985, lascia orfano il pensiero critico e letterario degli anni Ottanta, tanto più perché interrompe bruscamente un percorso di riflessione che era ancora in piena costruzione. Si pensi al lavoro su quelle che sono comunemente conosciute come le Lezioni americane, sulle quali lo scrittore era impegnato quando è stato colto da un ictus. Le Norton Lectures, le «sei proposte per il prossimo millennio» alle quali si era dedicato nell’estate di quell’anno («Siamo nel 1985: quindici anni appena ci separano dall’inizio d’un nuovo millennio»7, si legge in apertura, secondo una prospettiva quindi che si vuole intrinsecamente legata a un presente che corrisponde al cuore degli anni Ottanta, e al tempo stesso si apre al futuro), sono un’importante opera saggistica, restata

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incompiuta. Pubblicate nel 1988, prendono la forma con la quale sono conosciute oggi, delle lezioni magistrali a cui Calvino stava affidando la sua idea del valore letterario: Leggerezza, Rapidità, Esattezza, Visibilità, Molteplicità. Cinque valori ai quali andrebbe aggiunto il sesto, la Consistency, che avrebbe dovuto chiudere il discorso: la congruità alla quale la sua scrittura, pur attraversata da quelle che sono definibili tentazioni postmoderne, sembra votata.

9 Tentazioni che, a livello narrativo, si manifestano nel romanzo che chiude gli anni Settanta, ed è al tempo stesso tutto proteso verso gli anni Ottanta: Se una notte d’inverno un viaggiatore (1979), vero caso non solo letterario ma editoriale dell’epoca, il cui successo coglie di sorpresa il suo stesso autore. Vicini al gioco combinatorio che anima quest’opera, e impregnati da un’attenzione alla ricerca e alla descrizione scientifica – in genere molto marginale nel panorama della nostra storia letteraria, ma che non a caso segna le pagine di un autore come Del Giudice – sono anche gli esperimenti delle Cosmicomiche, la cui pubblicazione inizia negli anni Sessanta e che appariranno nel 1984 in una edizione definitiva dal titolo Cosmicomiche vecchie e nuove.

10 Ai fini del nostro discorso è interessante ricordare che la voce narrativa di Calvino è rimasta ferma al signor Palomar (1983), l’ultimo progetto narrativo che porta a termine, nato sulle pagine del Corriere della Sera nel 1975. Palomar, il protagonista-alter ego dell’autore, è il nome dell’acuto osservatore che si muove «in cerca d’un’armonia in mezzo a un mondo tutto dilaniamenti e stridori», e diventa l’ultima incarnazione letteraria della passione di Calvino per la descrizione: «È da parecchio tempo che cerco di rivalutare un esercizio letterario caduto in disuso e considerato inutile: la descrizione», scrive in una presentazione di Palomar, rimasta inedita fino alla sua raccolta nei «Meridiani»8. Palomar cerca di fare ordine in tutto questo, e quello che ne risulta «non è un libro di racconti, né di meditazioni». Sono, queste, le parole di Daniele Del Giudice, che ai tempi di Palomar fa risalire i suoi rapporti con Calvino, e che alla raccolta dedica un articolo intitolato significativamente L’occhio che scrive, in cui insiste sulla visività come cifra distintiva della narrazione: Ed è proprio questa esperienza della visività, spinta al suo punto limite, che determina la forma del libro: un libro cioè di descrizioni. […] In Palomar, la descrizione, proprio perché storia ininterrotta di una costituzione del mondo e dell’io mediati dallo sguardo, e dunque ricerca di un sentire, di un comportamento, di una saggezza, rimescola in sé il romanzesco che normalmente è altrove; e come descrizione, credo, diventa una forma nuova, autonoma e potenziata di racconto9.

11 Ritorneremo su questa nuova forma di racconto che Del Giudice individua e alla quale si ispirerà: per il momento ci basti insistere sul fatto che Palomar presenta una smania catalogatrice che sembra costituire un pendant del lavoro compilativo che Calvino sta facendo a livello saggistico: all’inizio degli anni Ottanta infatti Calvino raccoglie alcuni dei suoi interventi critici in Una pietra sopra (1980) e in Collezione di sabbia (1984).

12 Questo per quanto riguarda l’edito. Fra i libri pensati e non realizzati che la morte improvvisa ha lasciato allo stato di progetto, c’è il volume Passaggi obbligati, con il quale Calvino intendeva riunire quanto aveva scritto, e si proponeva di scrivere, di autobiografico (e che sarà pubblicato parzialmente nel 1990 nella Strada di San Giovanni), e l’idea di una raccolta sui Cinque sensi – un altro tema che è ben vivo nell’immaginario dei suoi eredi – di cui ci rimangono i tre racconti di Sotto il sole giaguaro (1986).

13 Accanto alla saggistica e alla narrativa, a cavallo fra gli anni Settanta e l’inizio del decennio successivo, Calvino prosegue la sua attività editoriale. I libri degli altri, la scelta

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di oltre trecento lettere – sul numero definito da Maria Corti «sconcertante» di cinquemila – tratte dall’epistolario editoriale di Calvino, reca in epigrafe l’ormai famosa citazione: «il massimo del tempo della mia vita l’ho dedicato ai libri degli altri, non ai miei. E ne sono contento»10.

14 Il passaggio dai suoi libri a quelli degli altri è quello che ci proponiamo, a nostra volta, di fare. Il percorso che affronteremo si vuole, quindi, rigorosamente unitario: scelte narrative fanno luce su prese di posizioni editoriali di Calvino, e viceversa. Il lavoro editoriale dello scrittore ligure permette infatti di estrapolare importanti elementi della sua poetica, e di far luce sulle sue idee critiche e teoriche11. In questo senso, l’inizio degli anni Ottanta è particolarmente significativo, e vede l’affacciarsi, sulla scena editoriale e letteraria, di due giovani autori, Andrea De Carlo, classe 1952, e Daniele Del Giudice, classe 1949, i cui esordi narrativi sono patrocinati da Calvino stesso.

15 I loro primi romanzi possono essere ricondotti all’incirca a uno stesso momento, nel contesto di una Einaudi che sta attraversando un momento di grave crisi aziendale – Calvino stesso, che amava definirsi «editorialmente monogamo», nel 1984 accetterà l’offerta di Garzanti, presso cui in quell’anno pubblica Collezione di sabbia e Cosmicomiche vecchie e nuove –, e corrispondono al primo atto di una produzione narrativa capace di durare nel tempo: ancora oggi, entrambi gli autori sono attivi sul mercato editoriale (certo in modo molto diverso, con un ritmo più cadenzato Del Giudice, e con uno più incalzante De Carlo) con buone risposte, rispettivamente, di critica e di pubblico. Due scrittori che ora ci sembrano molto distanti l’uno dall’altro, ma che hanno avuto un debutto quasi comune, all’interno dello scenario editoriale dei primi anni Ottanta.

16 In questo periodo, infatti, i tempi sembrano maturi per un rilancio della narrativa italiana: i successi di Se una notte d’inverno un viaggiatore (1979) e del Nome della rosa (1980), per non dimenticare il libro-evento della fine degli anni Settanta, Porci con le ali, che nel 1976 segnala una forte richiesta di narrativa giovane, incoraggiano le case editrici a puntare sulla letteratura italiana. È come se si fosse pronti a rischiare di più, e anzi la narrativa italiana, soprattutto se rappresentata da autori che non superano i trent’anni, costituisce un sicuro investimento per un tipo di editoria, quella cosiddetta di “terza generazione”, dominata dal best seller e da tirature medie che corrispondono quasi al doppio (siamo nell’ordine delle 8.500 copie) rispetto a quelle dei decenni successivi (nel 2003, ad esempio, le tirature medie viaggiano intorno alle 4.800 copie, fatta eccezione, ovviamente, per operazioni editoriali di investimento su alcuni titoli considerati particolarmente forti). Un’editoria libraria che è segnata ormai sempre di più – e così sarà fino ai nostri giorni – da un prevalere della promozione sulla capacità di produrre titoli, da una politica della novità, spesso effimera, alla quale si sacrificano il catalogo e, con esso, la possibilità che le opere e gli autori più significativi hanno di durare.

17 In questo contesto si possono rilanciare editorialmente alcuni degli scrittori più rappresentativi della generazione del dopoguerra, presentandoli come dei casi letterari – si pensi a Morante, a Pasolini, allo stesso Calvino – e, al contempo, una nuova leva di scrittori si può affermare sul mercato. Alcuni esordi positivi (come Altri libertini di Pier Vittorio Tondelli per Feltrinelli, e De Carlo, appunto, per Einaudi) creano infatti un clima favorevole alla pubblicazione di altri debutti – clima, questo, che si protrae per tutto il decennio12.

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18 Nello specifico, è in questo contesto che l’Einaudi intraprende una strategia concertata di lancio di giovani scrittori, che godono dell’appoggio di un patrocinatore – modalità di promozione, questa, che altre case editrici si affretteranno a prendere ad esempio – come Calvino: personaggio non solo autorevole, all’epoca, ma consacrato dal successo di Se una notte d’inverno un viaggiatore, e quindi ormai collocabile oltre il ristretto circolo degli addetti al lavoro, nonché da sempre impegnato a seguire con attenzione le sperimentazioni dei giovani e gli sviluppi della narrativa contemporanea.

19 I «Nuovi Coralli» accolgono prima il più giovane Andrea De Carlo con Treno di panna, nel 1981. Due anni dopo esce La stadio di Wimbledon di Del Giudice. Entrambi recano la presentazione di Italo Calvino. La giovinezza è tante cose, anche una particolare acutezza dello sguardo che afferra e registra un enorme numero di particolari e sfumature; un’insaziabilità degli occhi che bevono lo spettacolo del mondo multicolore ingigantito come attraverso la lente d’un teleobbiettivo e lo depositano in fotogrammi miniaturizzati nella memoria. È questa la giovinezza che Andrea De Carlo racconta: la storia d’un ragazzo italiano piombato a Los Angeles non sa neanche lui perché e che cerca d’arrangiarsi con mestieri occasionali, è seguita attraverso tutto quello che capita nel raggio dei suoi occhi attenti e imperturbabili […]13.

20 Calvino, in questa ormai famosa quarta di copertina che accompagna la prima edizione del romanzo, dimostra di seguire con attenzione un personaggio che, proprio come il suo Palomar, sembra dominato dall’acutezza dello sguardo: «occhi attenti e imperturbabili», e al contempo insaziabili, sono definiti quelli del protagonista. Un modo di guardare che è segnato dalla «giovinezza»: un termine editorialmente accattivante, certo, ma che qui significa anche altro, in quanto determina la qualità di un modo di raccontare che è anche un modo di stare al mondo. Calvino parla di giovane narrativa, e si serve della categoria per promuovere un romanzo, ma lo fa seguendo una sua particolare idea di letteratura. Prosegue, infatti: Oggi ci imbattiamo spesso in una scrittura giovanile in cui domina lo sfogo degli stati d’animo, il rimescolamento interiore, il dramma esistenziale: nati da un’esigenza di sincerità assoluta questi testi di solito non ci dànno che un repertorio di clichés e di espressioni generiche: schermi verbali che nascondono più di quanto non esprimono. Andrea De Carlo è tutto il contrario: proiettato come è sul «fuori» non è escluso che egli riesca a farci intravedere qualcosa del «dentro». […] Non a caso Andrea De Carlo, prima di affrontare il romanzo, ha cercato di esprimersi con la fotografia; scrivendo sembra voler sostituire la penna all’obbiettivo fotografico […].

21 Certo, non è un segreto il rapporto problematico che Calvino intrattiene con l’autobiografia, e con un racconto di sé che si fa solo «sfogo», appunto. De Carlo è considerato emblematico di una tendenza inversa, di un “non racconto di sé”, per la qualità della sua narrazione che si limita a raccogliere l’altro da sé, e a descrivere e trasfigurare, con una tecnica apparentabile a quella fotografica, l’esperienza autobiografica. Non è un caso, quindi, che Calvino sottolinei l’esperienza precedente di De Carlo – fotografo in America – prima del suo passaggio a scrittore e autore di un romanzo di formazione moderno che racconta le peregrinazioni e le avventure di un fotografo, Giovanni Maimeri, sullo sfondo di una vacua Los Angeles fatta «di freeways e di parcheggi, nei ristoranti italiani coi camerieri messicani, nelle ville delle dive del cinema».

22 De Carlo stesso ha sottolineato in più occasioni la qualità fotografica della sua narrazione: «Soprattutto all’inizio forse, nei primi libri, era più evidente una forte

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influenza anche della fotografia», afferma in un’intervista del 1995, che potremmo citare come esemplificativa di un suo costante ricorrere alle immagini e alla fotografia per descrivere il suo modo di narrare. E prosegue: La capacità di lettura della fotografia, soprattutto di un tipo di fotografia che a me affascinava molto e tuttora affascina, è legata a certe forme pittoriche come potrebbe essere l’iperrealismo americano in cui c’è questa specie di ultradefinizione nei particolari che è reale, ma anche leggermente alterata, perché non è proprio una riproposizione realistica, assolutamente. È comunque una deformazione del reale. Però ti permette di arrivare al dettaglio più sottile14.

23 Una dei suoi ultimi lavori, inoltre, è stata la realizzazione di un progetto capace di unire narrativa e fotografia, associandole alla sua passione per la musica: Dentro “Giro di vento”. Musiche, foto, parole, ha infatti accompagnato l’uscita del romanzo Giro di vento (2004), con un CD di composizioni scritte e interpretate da De Carlo e di fotografie commentate. Infine, a vent’anni da Due di due, il suo più grande successo della fine degli anni Ottanta, nella presentazione editoriale preparata per la nuova edizione del testo, De Carlo ha sottolineato la centralità della visibilità nel suo processo creativo: «Come mi succede ogni volta che inizio un romanzo, sono partito da un’immagine. Quando l’immagine finalmente arriva, è come una fotografia sfuocata, ma diventa più nitida ogni volta che torno a guardarla. Poco a poco i dettagli si delineano, volti e gesti diventano leggibili»15. Non è un caso, quindi, che nel parlare di arte – e De Carlo, si noti, ha disegnato alcune delle copertine dei suoi libri – la sua preferenza dichiarata vada alla pittura iperrealista. La descrizione e la visualità, siano esse proprie alla pittura o alla fotografia, giocano quindi un ruolo centrale nel racconto. Si legga, a titolo esemplificativo, il seguente passo tratto dal suo romanzo d’esordio: Era una sensazione quasi fisica: la scomparsa graduale della mia presenza in termini visualmente percepibili. Mi pareva di essere sullo specchio ribaltabile di una macchina fotografica mentre chi la tiene in mano gira l’anello della messa a fuoco su una distanza ravvicinata. I miei contorni si dissolvevano progressivamente. […] Cercavo di scoprire fino a che punto potevo avvicinarmi senza essere notato. […] Ma questo stato invisibile non durava mai molto: a tratti la lente girava verso di me e venivo improvvisamente a fuoco, stagliato sullo sfondo di tavoli e sedie16.

24 Pagine analoghe, come fossero le avventure di un fotografo di calviniana memoria17, si ritrovano anche nell’esordio narrativo di Del Giudice, che prende il titolo da una scena finale del romanzo18. Anche qui, come in De Carlo, un protagonista si muove in una sorta di viaggio di formazione che si compie fra Trieste e l’Inghilterra: luoghi percorsi sulle tracce di Bobi Bazlen, figura emblematica e quasi mitica dello scrittore che non ha scritto. A Londra per incontrare l’ultima compagna di Bazlen, Ljuba, il giovane protagonista si ferma in visita allo stadio di Wimbledon e, mentre si trova al museo, osserva che «Tutti gli oggetti sono isolati dalle passioni, in una loro perplessità, come le foto» (p. 112). Poi, guardando il campo dal palco centrale, si ferma a pensare al significato della ricerca e del viaggio intrapresi: Nemmeno la densità del luogo è un aiuto, anzi. In fondo tra poco avrò l’ultima occasione, e dovrei trovare qualcosa che mi portasse di colpo al perché lui non ha scritto; ma ho solo pensieri confusi, e un senso di lontananza da quella domanda come da un vortice di acume, o di rigore, o di ironia per compensare, o di angoscia paralizzante, o non so (p. 113).

25 Sembra arrivato vicino alla soluzione, eppure questa gli sfugge. Lo scrittore che non ha mai scritto, preferendo la vita alla letteratura, lo spinge a compiere, a sua volta, un atto di rinuncia alla parola in favore della visione:

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Qualunque frase è contro il panorama. Vorrei solo vedere, e sentire; e per la prima volta è spiacevole, proprio adesso, non poter fotografare una visione di insieme, o un particolare che conta solo per me. Prendo un quaderno dalla borsa, per disegnare; nel movimento ho l’impressione di una piccola forma nera sulla destra. Lo sguardo torna indietro da sé: sulla panca al di là dei gradini c’è un cinturino che pende a terra, e un astuccio con un naso pronunciato, e dentro può esserci solo una cosa al mondo: una macchina fotografica (ibid.).

26 Quasi come se arrivasse in soccorso dell’osservatore, si materializza un apparecchio fotografico, ma il protagonista indugia troppo e un altro visitatore, più lesto, glielo sottrae, mentre lui assiste impassibile agli eventi: «Non faccio nulla; aspetto che le cose accadano, come sempre. Occupo il tempo scegliendo già qualche immagine» (p. 114). La scelta delle immagini, preliminare alla fissazione delle stesse, attraversa la scrittura narrativa di Del Giudice, permeata da un insistere sulla visione19 che sembra apparentarsi, in questa sua prima forma narrativa, alla pagina di De Carlo.

27 Nella presentazione che Calvino fa dello Stadio di Wimbledon, ritroviamo inoltre un richiamo alla sfera semantica della giovinezza: «Questo romanzo racconta d’un giovane che si interroga su un certo personaggio, a una quindicina d’anni dalla sua morte; e va a ricercarne gli amici e le amiche di gioventù, ora molto anziani». Questo l’incipit, mentre verso la fine si legge: A un certo punto del suo itinerario (o già in principio?) il giovane ha fatto la sua scelta: cercherà di rappresentare le persone e le cose sulla pagina, non perché l’opera conta più della vita, ma perché solo dedicando tutta la propria attenzione all’oggetto, in un’appassionata relazione col mondo delle cose, potrà definire in negativo il nocciolo irriducibile della soggettività, cioè se stesso. Cosa ci annuncia questo insolito libro? La ripresa del romanzo d’iniziazione d’un giovane scrittore? O un nuovo approccio alla rappresentazione, al racconto, secondo un nuovo sistema di coordinate? (La «carta di Mercatore» è una delle immagini-chiave)20.

28 L’attenzione all’oggetto, al mondo delle cose, la rappresentazione come centro della narrazione. Anche qui, come nelle pagine di Treno di panna, quello che Calvino sembra apprezzare maggiormente è la qualità dello sguardo dell’autore. È questa la linea della giovane narrativa che Calvino vuole promuovere: “gli occhi che scrivono”, potremmo dire parafrasando il titolo dell’intervento che Del Giudice dedica a Palomar.

29 Calvino sembra seguire con attenzione, quindi, in questi primi anni Ottanta, una scrittura che potremmo definire fotografica; cinematografica, anche. Non è un caso, infatti, che entrambi questi romanzi d’esordio siano stati adattati per il grande schermo, anche se in tempi molto diversi. Treno di panna è l’unico film che De Carlo ha realizzato come regista, nel 1988, curandone anche la sceneggiatura21. E dichiarata è l’influenza che la sua scrittura deve al cinema, come ha avuto modo di ricordare lo scrittore stesso: Il cinema e la fotografia mi hanno influenzato profondamente, prima ancora di avere la possibilità di lavorare in quei campi. Quando ho cominciato a scrivere ho capito che un romanziere può utilizzare alcune tecniche visive nella costruzione delle proprie storie: per esempio il close-up, o al contrario la visione a distanza come attraverso un teleobiettivo, oppure il flash-back, il flash-forward, lo slow- motion, l’accelerazione, il taglio di fotogrammi. Basta che chi scrive si conceda la stessa libertà che il cinema ha sempre avuto nei confronti della letteratura, attingendo a trame, personaggi, temi, atmosfere ogni volta che ne aveva bisogno22.

30 Mentre Le stade de Wimbledon, che resta distribuito solo in Francia, è portato sullo schermo nel 2002 dal regista e attore Mathieu Amalric. Questi, a causa dello

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smarrimento della sceneggiatura preparata per girare il film, si servirà – stando almeno alle sue dichiarazioni – dell’edizione francese del romanzo come unica forma di sceneggiatura23.

31 Il visualismo di Calvino trova quindi come oggetti privilegiati di lettura e di promozione editoriale due romanzi che, seguendo la sua linea di ricerca, hanno come punto di partenza l’immagine. E se ormai è celebre l’affermazione che nel 1960 rivolge al suo amico François Wahl – «l’unica cosa che vorrei insegnare è un modo di guardare, cioè di essere al mondo»24 –, così come è stata studiata la centralità della metafora ottica nel complesso della sua produzione narrativa e saggistica25, resta ancora da indagare la linea calviniana di ricerca intorno a quell’interesse, pur fondamentale, verso «i libri degli altri», che ha costituito gran parte dell’impegno intellettuale di Calvino.

32 Così la descrizione scientifica, l’acutezza della visione, il rapporto fra letteratura e cinematografia, la descrivibilità del mondo in termini linguistici, sono gli elementi che attraggono Calvino e che lo portano a promuovere le opere prime di De Carlo e Del Giudice. La visibilità, prima di tutto, che è anche una delle sue proposte per il nuovo millennio, oltre a essere uno dei sensi ancora in corso di elaborazione per il suo progetto di raccolta.

33 Nelle lettere che ha scritto a De Carlo, ad esempio, questo dato emerge chiaramente, e proprio sull’affinamento di questa “visione” convergono i suoi consigli. Gli scrive ad esempio l’11 novembre 1980, mentre lo rassicura sulle sue «doti naturali» di scrittore, e al tempo stesso lo invita a vigilare sulla necessità di un’economia espressiva: Caro Andrea, Ho letto Treno di panna. Trovo che hai una grande capacità di osservazione e di resa di sensazioni sottili e complesse. La parte in cui descrivi il lavoro nel ristorante è secondo me la più ricca come scrittura e come vivacità. Alle volte sei troppo ricco di dettagli: ti manca il senso dell’economia espressiva e della sintesi. La cosa che più mi intriga nel tuo romanzo è che mentre ci viene offerta questa profusione di sensazioni oggettive, non viene mai detto niente o quasi niente dei pensieri e stati d’animo dei personaggi, soprattutto del protagonista. S’intravvede solo un gran senso di vuoto. Direi che questa zona di silenzio o d’opacità, forse da te calcolata ma forse no, sia la vera forza poetica del romanzo. L’interesse a leggerlo è interesse a veder vivere delle persone, dei giovani, e a cercar di capire cosa vogliono, cercar di capirlo insieme a loro, mentre neanche loro lo sanno! Hai saputo trattenerti dal cercare di rappresentare i loro pensieri, cosa che di solito riesce fasulla, con parole prese a prestito26.

34 Il 16 dicembre 1980, in un’altra lettera, insiste sulla necessità di acquisire «una maggiore padronanza dei mezzi letterari», e gli rivolge delle proposte di correzione che sembrano declinarsi tutte in relazione alla qualità visiva della sua scrittura: Per esempio frasi del tipo «Era una sensazione quasi lancinante» (p. 35): lancinante è un aggettivo molto forte; se ci metti quasi gli togli forza. Ma la sensazione lancinante dovrebbe averla il lettore già da quello che tu rappresenti, senza bisogno che tu la definisca. Nella tua impostazione oggettiva devi rendere sensazioni precise e non commentare sensazioni con aggettivi. Alle volte usi parole che non esistono e come invenzioni linguistiche non valgono molto «fantasizzavo» invece di «fantasticavo» a p. 80. Oppure dettagli inutili che se passano veloci rendono la concretezza della visione; ma alle volte sono proprio troppo minuziosi e ci si chiede perché: per esempio a p. 247: «Siamo scesi con movimenti quasi paralleli; abbiamo chiuso le portiere nello stesso momento»27.

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35 «Un paio di lettere»: questo è quanto sembra restare a testimonianza della relazione fra Calvino e De Carlo. Come quest’ultimo ha ricordato di recente, infatti, il suo non è stato un rapporto con l’uomo-Calvino. De Carlo non nasconde il fatto di averlo «visto solo due o tre volte, altrettante gli ho parlato al telefono, e ci siamo scritti un paio di lettere», e la riconoscenza per la decisione – presa probabilmente in accordo con – di pubblicarne il primo romanzo, quando lui era un giovane sconosciuto (due romanzi rimasti nel cassetto, e numerosi rifiuti per Treno di panna): Malgrado questo – aggiunge – senza di lui forse non avrei mai pubblicato il mio primo romanzo. Forse addirittura non ne avrei più scritti. Quello che ho imparato da lui è passato attraverso i suoi libri, fin da quando ho letto Il barone rampante alla scuola media e sono rimasto colpito dalla limpidezza e dalla precisione della sua lingua, così lontana dalla bolsa tradizione letteraria italiana28.

36 È un’eredità esplicita, quella che De Carlo dichiara, ed è un’eredità che passa per una lezione di stile che Calvino ha trasmesso a tutta una generazione di nuovi narratori, e che resta valida anche se questi hanno poi scelto strade diverse.

37 De Carlo, ad esempio, pubblica per Einaudi Uccelli da gabbia e da voliera nel 1982. È sempre introdotto da Calvino ma ora la quarta di copertina è anonima. Il risvolto, questa volta, sembra segnato da un tono appena più distaccato: la storia è quella di «un giovane che sembra sappia vivere solo la propria non adesione al mondo che lo circonda», e il riferimento, ovvio, va al primo romanzo. Si legge infatti: «Treno di panna, il libro che ha rivelato Andrea De Carlo, ci aveva dato i fotogrammi d’una scoperta giovanile del mondo. In Uccelli da gabbia e da voliera s’aggiunge l’elemento romanzesco col suo suspense». La chiusura della presentazione, in cui si parla di «un romanzo d’amore e d’azione, che non tradirà la nostra attesa»29, con il tono marcatamente promozionale che la caratterizza, sembra precorrere quella via del (buon) romanzo di consumo che, in alternativa al romanzo d’autore, De Carlo sembra progressivamente imboccare.

38 La svolta, che alcuni critici fanno risalire a Macno (1984)30, forse non a caso coincide con il cambiamento di editore: De Carlo lascia un’Einaudi in piena crisi e approda a Bompiani, l’editore che ancora oggi ne accoglie le pubblicazioni. È una strada decisamente più facile che fa di lui un autore di grandi tirature, che si contraddistingue per una facilità di scrittura tale da permettergli di pubblicare un romanzo in media ogni due anni. Dopo le prime prove, e in particolare dopo l’esordio narrativo di Treno di panna, che pure ha contribuito a catalizzare l’interesse editoriale per l’opera prima di giovani autori31, e le cui pagine hanno fatto parlare – con la cifra particolare, quasi alienata, del suo modo di descrivere, individuata per primo da Calvino – di una via italiana all’école du regard francese, De Carlo sembra aver scelto la strada di una narrativa più di consumo, che si fa quasi manierista nella ripetitività delle soluzioni adottate e nell’adozione di uno stile ben riconoscibile, che lascia spazio a poche sorprese.

39 È evidente infatti l’insistere su un tipo di personaggi e di situazioni: i protagonisti sono sempre giovani uomini, che si pongono in modo alternativo alla realtà e alla società che li circonda; vivono storie di amicizia e, intrecciate a esse, di amore, che permettono loro di crescere, di trovare una via al passaggio verso la maturità. Le situazioni narrative si fanno prevedibili, seppur raccontate con talento e in modo sapiente, per cui ci troviamo a condividere pienamente il giudizio che Asor Rosa ha dato su De Carlo nella sua recente Storia europea della letteratura italiana: «Se l’impulso ad accumulare

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storie e particolari e ad evocare persone fosse più sorvegliato, ne potrebbe venir fuori un’opera definitiva»32.

40 Questa via intrapresa, aggiungiamo senza particolari snobismi critici, che corrisponde a una scelta di intrattenere abilmente il lettore, permette, proprio a partire dagli anni Ottanta, di consolidare le strutture editoriali, e contribuisce al ritorno in primo piano della letteratura italiana, che nel decennio precedente aveva lasciato il campo alla saggistica.

41 È proprio questa possibile linea di ricerca narrativa, inoltre, che Calvino, attento alle dinamiche editoriali e culturali contemporanee, aveva individuato in questo decennio. Si legga in proposito l’inchiesta curata da Nico Orengo per le pagine di Tuttolibri nel 1980, in cui Calvino, interrogato su una narrativa che, negli anni Ottanta, sembrava segnata in modo sempre più evidente da esigenze commerciali, si era espresso con queste parole: La narrativa di consumo è un fatto assolutamente negativo quando ha pretese poetiche o intellettuali o di profondità di sentimenti ecc. Quando cioè è un sottoprodotto culturale. E nella maggior parte dei casi oggi la narrativa di consumo è proprio questo: la peggiore possibile. Ma se per narrativa di consumo si intende una narrativa cosciente dell’aspetto artigiano delle proprie operazioni, dei meccanismi dei procedimenti e degli effetti, io ho pieno rispetto e ammirazione per le sue riuscite. Oggi però è la merce pseudo letteraria che vende di più, mentre della bravura nella costruzione artigiana che il romanzo richiede non si tiene nessun conto33.

42 Molto diverso il caso di Del Giudice. La sintonia che Calvino ha con Del Giudice è, da subito, molto forte, e si rivela prima ancora dell’esordio letterario dell’autore. Del Giudice nasce infatti come critico letterario e, come tale, ha occasione di incontrare e di intervistare Calvino, per le pagine di Paese Sera, nel 1978. In questa breve intervista, fra l’altro, Del Giudice fa prova di grande acutezza, mettendo a fuoco alcuni nuclei tematici che saranno poi essenziali negli studi critici posteriori su Calvino. E questi deve essersene accorto, se parla dell’intervista in questi termini, confrontandola ad altre: «[in] quella lì del “Resto del Carlino” non dicevo proprio niente perché l’intervistatore non mi invogliava. Invece ce n’è stata una su “Paese-sera” 7 gennaio che è proprio una intervista in cui dico qualcosa, credo».

43 Ai fini del nostro discorso, è interessante un’immagine che viene usata da Calvino, al momento di rispondere alla domanda di Del Giudice («Per stare in un posto ne stai lontano. A Parigi, guardando l’Italia. Che prestidigitazione è questa?»): Tra le Città invisibili ce n’è una su trampoli, e gli abitanti guardano dall’alto la propria assenza. Forse per capire chi sono devo osservare un punto nel quale potrei essere e non sto. Come un vecchio fotografo che si metta in posa davanti all’obiettivo e corra poi a schiacciare la peretta, fotografando il punto in cui poteva esserci e non c’è. Magari è questo il modo in cui i morti guardano i vivi, mescolando interesse e incomprensione34.

44 Del Giudice sembra quindi collocarsi subito e con naturalezza sulla linea di Calvino35, e la prova ne è un’amicizia intensa, che è passata attraverso una dichiarata attestazione di stima: «Calvino secondo me è stato lo scrittore più importante del dopoguerra, e anche lo scrittore più innovativo che ci sia stato in Italia», afferma nel corso di una sua lunga intervista nella quale misura, appunto, tutto il debito con il suo maestro, oltreché le differenze che li separano, significativamente ricondotte ad un diverso modo di intendere la descrizione:

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Io però non muovo da un progressivo alleggerimento di un progetto culturale, sociale, etico complessivo, che via via ho dovuto raffinare e rendere in qualche modo adeguato. […] Quindi non credo nella descrizione come forma di aderenza al mondo, ma credo nella descrizione come forma narrativa, perché solo la descrizione mi permette di tenere intrecciate una complessità di relazioni e di dar conto del fatto che tra osservatore e cosa osservata c’è indistinguibilità e reversibilità36.

45 Fra le interviste e gli interventi critici che Del Giudice dedica a Calvino37, un articolo è particolarmente interessante ai fini del nostro discorso. Si tratta della conversazione a due voci significativamente intitolata C’è ancora possibilità di narrare una storia? In essa Del Giudice sembra mettere a fuoco tutte le tematiche che potremmo definire calviniane intorno alle quali sceglierà di costruire il suo percorso. Si parla, ad esempio, dell’esperienza scientifica come narrazione («È probabile che E=mc² sia uno dei più bei racconti mai scritti», afferma); della fotografia (dopo aver citato La Chambre claire di Barthes, Del Giudice sostiene che «Nell’essenza della fotografia vi è dunque qualcosa di simile alla narrazione», mentre Calvino gli replica: «Sì, però la fotografia è al presente, un presente che ti si presenta come passato»); del viaggio, fisico e mentale; e si finisce sulla «somma dei possibili» e sulla definizione calviniana della narrativa come «escamotage all’unicità»38. È un discorso condotto da pari a pari, il cui tono è molto indicativo della natura della relazione che è maturata fra i due scrittori, e che al tempo stesso indica le vie dell’invenzione narrativa di Del Giudice, che passerà dallo scegliere uno scienziato come protagonista di Atlante occidentale, nel 1985, a dedicare il suo ultimo romanzo, Orizzonte mobile, a figure di esploratori del passato e del presente.

46 L’allievo e il maestro si riconoscono, nel 1980, anno in cui avviene questa conversazione, in una comune visione che è la risposta al diffuso interrogativo di quei tempi: è ancora possibile continuare a raccontare? E che forma può prendere la narrazione?39

47 La risposta di Del Giudice cambia sempre, pur mantenendosi fedele a una precisa linea di ricerca: è quanto, pur se in modi diversi, avviene in Calvino. Del Giudice però, a differenza del suo maestro, scrive poco, in una perenne tentazione a scomparire. Dopo l’esordio, nel 1983, escono Atlante occidentale nel 1985, Nel museo di Reims nel 1988, e poi dobbiamo aspettare gli anni Novanta per le raccolte Staccando l’ombra da terra, 1994 e Mania, 1997. A parte la parentesi del testo drammatico dedicato a Ustica, I-TIGI Canto per Ustica del 2001, si deve aspettare il 2009 per leggere un altro romanzo. La sua produzione narrativa, quindi, è rara, ridotta, pensata – molto diversa da quella di Del Carlo, alla quale sembra quindi essere apparentabile esclusivamente agli inizi. È un percorso che Del Giudice sembra quasi faticare a continuare oltre e dopo la scomparsa di Calvino, che pure ne aveva orientato la ricerca.

48 È il caso dell’attenzione per la scienza, ad esempio, così scarsa nella storia letteraria italiana del Novecento, ma di cui Calvino è stato un magistrale interprete, e che Del Giudice ha tenuto presente nelle pagine di Atlante occidentale. E, ancora più evidente, il discorso sui Cinque sensi: la progettata raccolta di Calvino attraversa tutta la narrativa di Del Giudice, dalle pagine di Nel museo di Reims, racconto lungo del 1988 che ha al centro il tema della vista; alle pagine di Mania – tutte giocate su un «troppo sentire» di foscoliana memoria (e infatti le parole di Foscolo sono collocate in epigrafe del testo) –, volume del 1997 che si apre su un racconto dal titolo L’orecchio assoluto. Una raccolta di manie, di fissazioni e di follie, che sembrano rispondere all’ossessività che Calvino aveva individuato come una delle caratteristiche dell’agire moderno.

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Interrogato sulla «direzione più promettente verso cui si muove il romanzo degli anni Ottanta», egli aveva infatti risposto con precisione citando quello che per lui è il «romanzo nuovo più interessante», La vie, mode d’emploi di Georges Perec: La mania dei puzzle di un personaggio si allarga a sistema del mondo ed è al centro di una proliferazione di storie e di avventure e descrizioni di ambienti, in cui confluiscono Borges, Roussel, Robbe-Grillet. Ma soprattutto c’è Balzac e tutta la società contemporanea in una copiosa commedia umana inaspettatamente resuscitata con le caratteristiche d’oggi, cioè lo humour nero, il senso del vuoto e la ossessività40.

49 Le sei proposte calviniane per il nuovo millennio lasciano, infine, qualcosa di più che un segno, nell’elaborazione dell’immaginario letterario di scrittori come Del Giudice. La visibilità, centro e fulcro del suo racconto e del suo modo di narrare, ma anche la leggerezza, che sembra tematizzata nella passione per gli aerei che Del Giudice, da esperienza di vita, fa passare alla sua scrittura: si veda in particolare la dichiarazione d’amore per il volo che è al centro di Staccando l’ombra da terra, ed è anticipata dalla passione che accomuna Brahe e Epstein, i due protagonisti delle pagine di Atlante occidentale.

50 Nel complesso, siamo davanti a un Del Giudice che cambia sempre, eppure in ogni romanzo e racconto si può capire che è lui. Potremmo quindi attribuirgli le parole con cui Calvino sembra definirsi quando, nelle pagine di Se una notte d’inverno un viaggiatore, parla dell’ineffabile figura dello scrittore: «Ti prepari a riconoscere l’inconfondibile accento dell’autore» – ammicca verso il personaggio del lettore l’io narrante dell’incipit del romanzo – «No. Non lo riconosci affatto. Ma, a pensarci bene, chi ha mai detto che questo autore ha un accento inconfondibile? Anzi, si sa che è un autore che cambia molto da libro a libro. E proprio in questi cambiamenti si riconosce che è lui»41.

51 De Carlo, invece, non è cambiato quasi mai, dopo gli esordi. La sua produzione, continua e costante, va chiaramente verso un lettore che non vuole deludere, e del quale tiene ben presenti le aspettative.

52 Il Calvino «binario», come è stato definito dalla critica, sembra trovare un’incarnazione anche in questa duplicità delle sue scelte in veste di letterato-editore, e quindi nella biforcazione De Carlo-Del Giudice, che pure si presenta, nel contesto dell’Einaudi dei primissimi anni Ottanta – alla vigilia della crisi dell’azienda42 – come una proposta compatta, un’indicazione unitaria di tendenza. Un Calvino che opera, fra l’altro, all’interno della casa editrice torinese, così come Del Giudice, che dal 1986 – all’indomani della scomparsa del suo maestro – è consulente editoriale presso la stessa Casa: un’Einaudi che, salvo una breve parentesi (Nel museo di Reims esce per i tipi della Mondadori, nel 1988), fino a oggi non ha abbandonato, dimostrando una fedeltà che gli è stata riconosciuta da Giulio Einaudi stesso. E, al tempo stesso, l’autore di Se una notte d’inverno un viaggiatore non disdegna i validi “artigiani” della scrittura, che sono in questi anni in grado di andare incontro ai gusti del pubblico come sembra fare De Carlo.

53 Fra i meriti di Calvino, va quindi preso in considerazione anche questo: la sua capacità di intravedere, negli anni Ottanta, la doppia via che la nuova narrativa italiana avrebbe percorso negli anni successivi.

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NOTE

1. Al momento in cui questo articolo è stato scritto è annunciata la pubblicazione dell’ultimo romanzo di De Carlo, Leielui (Milano, Bompiani, 2010), che non è stato quindi preso in considerazione nella nostra analisi critica. 2. F. La Porta, La nuova narrativa italiana. Travestimenti e stili di fine secolo, Torino, Bollati Boringhieri, 1995 (riedito in una nuova edizione nel 1999). Di una «scia di Calvino» parla anche Fabio Pierangeli, nella sua Ultima narrativa italiana (1983-2000), Roma, Studium, 2000, affiancando i nomi di Del Giudice e di De Carlo a quello di Gianni Celati, definito un «altro “discepolo” di Calvino». 3. Ibid., p. 11. 4. R. Ceserani, Raccontare il postmoderno, Torino, Bollati Boringhieri, 1997, p. 171 sgg. 5. I. Calvino, Mondo scritto e mondo non scritto (1983), in Id., Saggi 1945-1985, a cura di M. Barenghi, t. II, Milano, Mondadori, coll. «I Meridiani», 1995, p. 1873. 6. Si richiama a esso, fra gli altri, Mario Barenghi nell’introduzione alla raccolta dei saggi di Calvino nella sopracitata collezione dei «Meridiani». 7. I. Calvino, Lezioni americane. Sei proposte per il prossimo millennio (1988), in Id., Saggi 1945-1985, op. cit., t. I, p. 629. 8. I. Calvino, Romanzi e racconti, edizione diretta da C. Milanini, a cura di M. Barenghi e B. Falcetto, t. II, Milano, Mondadori, coll. «I Meridiani», 1994, p. 1404. 9. D. Del Giudice, «L’occhio che scrive», Rinascita, 20 gennaio 1984, raccolto in Italo Calvino. Enciclopedia: arte, scienza e letteratura, a cura di M. Belpoliti, Milano, Marcos y Marcos, coll. «Riga, 9», 1995, pp. 176-179. 10. I. Calvino, I libri degli altri. Lettere 1947-1981, a cura di G. Tesio, con una nota di C. Fruttero, Torino, Einaudi, 1991. Le parole di Calvino, poste in epigrafe alla raccolta, sono tratte da un’intervista a Marco d’Eramo apparsa su Mondoperaio nel 1979. Maria Corti ha dato una prima lettura de I libri degli altri nelle pagine intitolate Il lettore misantropo, raccolte in Calvino & l’editoria, a cura di L. Clerici e B. Falcetto, Milano, Marcos y Marcos, 1993, pp. 167-175. 11. «Calvino editore non è separabile dal Calvino tutto intero, e questo rende difficile scriverne», così Giulio Bollati inizia il suo intervento, nel convegno del 1990 dedicato ai legami fra Calvino e l’editoria, e questa illuminante affermazione deve a nostro avviso accompagnare, molto più di quanto ciò non avvenga, ogni riflessione critica sulla figura di Calvino.» (G. Bollati, «Calvino editore», Micromega, n. 1, 1991, poi raccolto in Calvino & l’editoria, op. cit., p. 1.) 12. Fra i numerosi lavori che vanno tenuti presenti, nel ricostruire lo scenario dell’editoria libraria degli anni Ottanta che fa da sfondo al nostro discorso, si tengano in considerazione almeno i seguenti testi: S. Tani, Il romanzo di ritorno. Dal romanzo medio degli anni Sessanta alla giovane narrativa degli anni Ottanta, Milano, Mursia, 1990; G. C. Ferretti, Storia dell’editoria letteraria in Italia. 1945-2003, Torino, Einaudi, 2004; G. Ragone, L’editoria in Italia. Storia e scenari per il XXI secolo, Napoli, Liguori, 2005. 13. Questo risvolto, e quello del romanzo di Del Giudice, oltre ad essere leggibili nelle rispettive prime edizioni, sono oggi raccolti nel volume Il libro dei risvolti, a cura di C. Ferrero, Torino, Einaudi, 2003, insieme a tutti i testi firmati da Calvino o a lui attribuibili. La raccolta si vuole esemplificativa della scrittura editoriale alla quale Calvino si è dedicato sin dal suo ingresso in Einaudi, nel 1947. 14. C. Klettke (a cura di), «A colloquio con Andrea De Carlo», Italienisch, n. 17, 1995, raccolto in A colloquio con… Interviste con autori italiani contemporanei, a cura di C. Lüderssen e S. A. Sanna, Firenze, F. Cesati, 2004, p. 184. 15. A. De Carlo, Due di due, Milano, Bompiani, 2009 [1989].

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16. A. De Carlo, Treno di panna, Torino, Einaudi, coll. «Nuovi Coralli», 1981, pp. 67-68. 17. Il riferimento, ovvio, è al non-fotografo poi fotografo, della presenza e infine dell’assenza, Antonino Paraggi, protagonista dell’Avventura di un fotografo, testo che, nato in forma di saggio nel 1955, fa la sua apparizione in forma narrativa nel volume Gli amori difficili (Torino, Einaudi, 1970). 18. D. Del Giudice, Lo stadio di Wimbledon, Torino, Einaudi, coll. «Nuovi Coralli», 1983. Le citazioni si riferiscono all’ultima edizione attualmente in circolazione, del 1996, che si chiude sulla Nota di Italo Calvino, che nella prima edizione era collocata in quarta di copertina. 19. Su questo elemento ricorrente della poetica di Del Giudice si sono soffermati alcuni degli interventi critici sull’autore, che si sono succeduti sempre più numerosi, a partire dalla fine degli anni Ottanta. Si vedano alcuni titoli di saggi e di interviste, in cui la descrizione e la visione emergono come chiavi interpretative privilegiate: Il tempo del visibile nell’Atlante di Daniele Del Giudice, D. Del Giudice a colloquio con S. Bertolucci, T. Gaddi, A. Pastorino e G. L. Saraceni, in Palomar. Quaderni di Porto Venere, n. 1, primavera 1986, pp. 67-96; A. Dolfi, «Sul filo dell’iride. Daniele Del Giudice e la geometria della visione», Esperienze letterarie, n. 19, 1994, pp. 19-30; P. Antonello, «La verità degli oggetti. La narrativa di Daniele Del Giudice fra descrizione e testimonianza», Annali d’italianistica, n. 23, 2005, pp. 211-231. Al contempo, la critica più attenta ha individuato l’origine di questa poetica dell’immagine dell’autore proprio nella sua relazione con Calvino: fra i vari contributi in cui questa relazione è citata, si veda almeno P. Daros, «Image et représentation chez Italo Calvino et Daniele Del Giudice», Chroniques Italiennes. Italo Calvino, les mots, les idées et les rêves, n. 75-76, 2005, pp. 77-96. 20. Calvino aveva presentato il romanzo in Einaudi nel corso della riunione editoriale del 15 dicembre 1982, qualificandolo come « Libro molto semplice come lettura diretta, ma allo stesso tempo con molto spessore e di qualità notevole », con il titolo di Carta di Mercatore (cfr. C. Ferrero (a cura di), Il libro dei risvolti, op. cit., p. 217): come ricordato da Del Giudice, la perplessità dimostrata in casa editrice verso questo titolo lo porterà a optare per Lo stadio di Wimbledon. 21. Il film è stato presentato alla Mostra internazionale d’arte cinematografica di Venezia, nel 1988. Giovanni Maimeri è impersonato da Sergio Rubini, che sullo schermo diventa un musicista, da fotografo quale era nel romanzo, e si muove sullo sfondo di New York (la Los Angeles originaria). Fra gli altri interpreti: Carol Alt e Cristina Marsillach, mentre Ludovico Einaudi, che firma le musiche, fa anche una breve apparizione. 22. «Intervista ad Andrea De Carlo, a cura di G. De Luca», Italica, n. 84, 2007, pp. 838-842, anche on-line all’indirizzo [consultato il 20 ottobre 2011]. 23. Il film è accompagnato da Malus, diciotto minuti di racconto-documentario che il regista fa della storia del suo incontro con il romanzo e con il suo autore. Le stade de Wimbledon è interpretato da Jeanne Balibar, che offre una personificazione femminile al protagonista de Lo stadio di Wimbledon. Di particolare interesse, ai fini del nostro discorso, un momento del documentario in cui Del Giudice mostra ad Amalric le immagini – schizzi, polaroid – che ha fatto della sua visita londinese: dalla casa di Lijuba allo stadio di Wimbledon. «C’est curieux – dice Del Giudice nell’intervista, sottolineando la centralità dell’immagine come punto di partenza della sua operazione narrativa – un cahier, quatre photos qui deviennent un film, qui deviennent un livre. C’est presque comme un délit. Il y a des éléments en charge, des épreuves, le prove». 24. Lettera di I. Calvino a F. Wahl, Torino, 1 dicembre 1960, raccolta in I. Calvino, I libri degli altri, op. cit., pp. 350-351 e successivamente in Lettere. 1940-1985, a cura di L. Baranelli, introduzione di C. Milanini, cronologia a cura di M. Barenghi e B. Falcetto, avvertenza di L. Baranelli, Milano, Mondadori, 2000, coll. «I Meridiani», pp. 668-669.

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25. Di fondamentale importanza, in proposito, il bel saggio di M. Belpoliti, L’occhio di Calvino, Torino, Einaudi, 1996 (riedito in una versione ampliata nel 2006) che ha contribuito a ispirare la nostra riflessione. 26. I. Calvino, I libri degli altri, op. cit., p. 627. 27. Ibid., pp. 629-630. 28. «Intervista inedita ad Andrea De Carlo», a cura di R. Petito, 8 aprile 2003, in R. Petito, Andrea De Carlo e la narrativa degli anni Ottanta. Guida alla lettura, con intervista inedita ad Andrea De Carlo, Venezia, Edizioni Studio LT2, 2005, p. 149. 29. A. De Carlo, Uccelli da gabbia e da voliera, Torino, Einaudi, coll. «Nuovi Coralli», 1982, quarta di copertina. 30. È quanto sostiene, a nostro avviso in modo condivisibile, S. Tani in Il romanzo di ritorno, op. cit., p. 252. E di questo sembra consapevole lo stesso De Carlo, che in più occasioni fa risalire a Macno una svolta nella sua carriera. «Sicuramente c’è stata una seconda fase che è quella di Macno e Yucatan dove ho cercato di utilizzare addirittura un linguaggio più che fotografico, a quel punto televisivo quasi», afferma nell’intervista a Cornelia Klettke (A colloquio con Andrea De Carlo, op. cit., p. 184). Mentre a Petito, nel corso di un breve esame del suo rapporto con la critica letteraria, afferma: «Con il terzo, Macno, ho conquistato un pubblico molto più vasto, e quasi per un riflesso automatico l’atteggiamento dei critici si è trasformato in ostilità» (R. Petito, Intervista inedita ad Andrea De Carlo, op. cit., p. 148). 31. In relazione a questo tema, si leggano le pagine di C. Benussi e G. Lughi, Il romanzo d’esordio tra immaginario e mercato, Venezia, Marsilio, 1986. 32. A. Asor Rosa, Storia europea della letteratura italiana, Torino, Einaudi, 2009, p. 604. 33. I. Calvino, Ammiro l’artigiano che sa raccontare, quattro risposte all’inchiesta di N. Orengo, «Romanzo, se ci sei batti un colpo», Tuttolibri, 1 novembre 1980, pp. 4-5. 34. Un altrove da cui guardare l’universo. Colloquio con Italo Calvino, a cura di D. Del Giudice, in Paese Sera, 7 gennaio 1978, apparso in Eremita a Parigi (1994), poi raccolto con il titolo Situazione 1978 in I. Calvino, Saggi. 1945-1985, op. cit., t. II, pp. 2828-2834 (la citazione è alle pp. 2832-2834). Le parole di Calvino citate in relazione all’intervista rilasciata a Del Giudice sono invece contenute in una lettera a Guido Neri del 31 gennaio 1978, in Lettere. 1940-1985, op. cit., p. 1360. 35. «In tema di eredità, qui siamo ai massimi livelli», ha notato Asor Rosa nella sua Storia europea della letteratura italiana, op. cit., p. 591. 36. D. Del Giudice, Il tempo del visibile nell’Atlante di Daniele Del Giudice, op. cit., pp. 84-85. 37. Oltre agli interventi già citati, si veda il colloquio con Calvino su Stendhal («Stendhal, un uomo che avrebbe voluto essere un altro», Paese Sera, 19 marzo 1980, p. 3); la presenza, insieme ad Alberto Asor Rosa, Cesare Cases, Gianni Celati, Franco Fortini e Luigi Malerba, alla tavola rotonda del convegno dedicato a Calvino nel 1987: Italo Calvino. Atti del convegno internazionale, Firenze, Palazzo Medici-Riccardi, 26-28 febbraio 1987, edizione a cura di G. Falaschi, Milano, Garzanti, 1988, pp. 381-406; la partecipazione con «Un écrivain diurne» al dossier dedicato a Calvino dal Magazine littéraire, n. 274, febbraio 1990, pp. 26-29. 38. «C’è ancora possibilità di narrare una storia? Conversazione tra Italo Calvino e Daniele Del Giudice», Pace e guerra, n. 8, novembre 1980, pp. 24-26. 39. Di un esordio narrativo di Del Giudice, tutto proteso a dare risposta all’interrogativo «È possibile oggi narrare ancora?» parla in particolare Maria Pia Ammirati, assumendo come punto di partenza l’esempio di positività portato da Calvino con il suo Se una notte d’inverno un viaggiatore, e considerando Del Giudice una sorta di corrispondente di questo esempio (M. P. Ammirati, Il vizio di scrivere. Letture su Busi, De Carlo, Del Giudice, Pazzi, Tabucchi e Tondelli, Soveria Mannelli, Rubbettino, 1991, pp. 67-75. La citazione è a p. 69). 40. I. Calvino, «Ammiro l’artigiano che sa raccontare», in N. Orengo (a cura di), Romanzo, se ci sei batti un colpo, op. cit., p. 15. 41. Id., Se una notte d’inverno un viaggiatore (1979), in Romanzi e racconti, op. cit., p. 619.

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42. In proposito, si legga la testimonianza di Del Giudice, che si richiama al suo ingresso in Einaudi sia come autore che come consulente: «Il libro [Lo stadio di Wimbledon] fu pubblicato nel maggio dell’83, in ottobre ricevetti una telefonata da Alberto Papuzzi, responsabile dell’ufficio stampa, mi disse: “L’Einaudi non esiste più”. Risposi: “Tutta colpa del mio libro?” Aveva ancora un certo spirito e rispose: “No, non tutta”. Nei mesi successivi fu decretato il fallimento, e quando due anni dopo consegnai il secondo libro non trovai quasi nessuno, poche le persone attorno a Ernesto Ferrero. Consideravo un onore essere lì nel momento della disfatta. Nell’86 cominciai a partecipare alle riunioni del mercoledì, e per me fu una grande occasione. Ho l’impressione di aver più imparato che proposto.» (D. Del Giudice, «Senza prezzo di copertina», I quaderni di Panta, n. 15, a cura di L. Lepri, Milano, Bompiani, 2001, p. 123.)

RIASSUNTI

L’articolo prende in esame il percorso narrativo e critico di Italo Calvino nei primi anni Ottanta. La riflessione dell’autore di Se una notte d’inverno un viaggiatore è messa in relazione alla sua attività editoriale, interna alla casa editrice Einaudi, che lo porta a patrocinare gli esordi letterari di Andrea De Carlo e Daniele Del Giudice. Treno di panna (1981) e Lo stadio di Wimbledon (1983) vengono quindi a far parte della riflessione condotta da Calvino sulla “visività” e la descrizione, riflessione interna ad un panorama editoriale come quello degli anni Ottanta, attento al lancio di giovani narratori italiani. L’esame della corrispondenza e dei testi che hanno segnato la relazione fra De Carlo, Del Giudice e il loro “maestro”, in quegli anni, permette di tracciare le fila di un discorso sui valori della narrativa che avrebbe segnato la storia della letteratura italiana degli anni successivi. Di questa letteratura Calvino si è dimostrato non solo un protagonista ma anche un acuto osservatore.

L’article retrace le parcours narratif et critique d’Italo Calvino au début des années quatre-vingt. La réflexion de l’auteur de Se una notte d’inverno un viaggiatore est mise en relation avec son activité éditoriale, dans le contexte de la maison d’édition Einaudi. Dans ce contexte, il suit et il soutient les débuts littéraires d’Andrea De Carlo et de Daniele Del Giudice. Treno di panna (1981) et Lo stadio di Wimbledon (1983), par conséquent, font partie de la réflexion menée par Calvino autour de la visibilité et de la description, une réflexion qui est interne au panorama éditorial des années quatre-vingt : un moment marqué par l’attention forte portée au lancement de jeunes auteurs italiens. L’examen de la correspondance et des textes qui ont marqué le rapport entre De Carlo, Del Giudice et leur « maître », permet d’aborder un discours sur les valeurs de la narration qui signeraient l’histoire de la littérature italienne des années suivantes ; une littérature qui a été dominée par la figure d’Italo Calvino, qui en a été un vrai protagoniste, et non seulement un observateur attentif.

The essay considers Italo Calvino’s narrative and critical development in the early eighties. It examines its output in the light of his involvement in the publishing house Einaudi, and focuses on his promotion of the literary beginnings of Andrea De Carlo and Daniele Del Giudice. Treno di panna (1981) and Lo stadio di Wimbledon (1983) became part of his investigations on visibility and description. These investigations occurred within the publishing context of the 1980s which was keen to promote young Italian writers. Perusal of the correspondence and texts that have marked the relations between De Carlo and Del Giudice with their mentor permits the

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identification of a discourse centred on the values of narrative, which was to have an influence on Italian literature in the following years. Calvino thus proves to be a perceptive observer as well as a protagonist of this literature.

INDICE

Parole chiave : Andrea De Carlo, cinema, Daniele Del Giudice, Einaudi, fotografia, Italo Calvino, lavoro editoriale, Lezioni americane, Lo stadio di Wimbledon, narrativa giovane, Treno di panna, visività Mots-clés : Andrea De Carlo, cinéma, Daniele Del Giudice, Einaudi, Italo Calvino, jeune narrative, Le Stade de Wimbledon, Leçons américaines, photographie, travail éditorial, Treno di panna, visibilité Keywords : American Lessons, Andrea De Carlo, cinema, Daniele Del Giudice, Einaudi, imagery, Italo Calvino, Lo stadio di Wimbledon, photography, Treno di panna, visuality, young authors’ narrative

AUTORE

SABINA CIMINARI Université de Savoie

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Alberto Arbasino e la “vita bassa”. Indagine sull’italia degli anni Ottanta in cinque mosse Alberto Arbasino et la « vita bassa ». Enquête sur l’Italie des années quatre- vingts jouée en cinq coups Alberto Arbasino and “low life”: an investigation on 1980s Italy in five moves

Giuseppe Panella

Ma quelle stesse parole che non sono comprensibili, che agiscono isolate, che danno luogo a una specie di figura acustica, non sono rare o nuove, inventate dalle creature che mirano alla loro singolarità: sono le parole che vengono usate più di frequente, frasi comunissime per tutti, ripetute centomila volte; e di questo, proprio di questo si servono per dimostrare la loro caparbietà. Parole belle, brutte, nobili, comuni, sacre, profane, capitate tutte in questo tumultuoso serbatoio; e ciascuno ne trae fuori ciò che si addice alla propria inerzia; e lo ripete finché le parole non sono più riconoscibili, finché dicono tutt’altro, il contrario di ciò che una volta significavano. La deformazione della lingua conduce al caos delle figure separate. Karl Kraus, estremamente sensibile agli abusi della lingua, aveva il dono di captare in statu nascendi e di non lasciarsi più sfuggire i prodotti di questi abusi. Per chi lo ascoltava si apriva così una dimensione nuova della lingua, che è inesauribile e alla quale prima si faceva ricorso solo sporadicamente, senza l’opportuna coerenza.

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E. CANETTI, «Karl Kraus, scuola di resistenza», in Potere e sopravvivenza.

Quel che è successo in Italia…

In questo stato, e poi Un paese senza, obbedivano al dovere civile delle testimonianze ‘dal vivo’ nelle congiunture epocali, in seguito utili ai ricercatori e agli archivisti del ‘post’ e del ‘propter’, del perché e del percome, del prima e del dopo. “E se domani...” canticchiavano al piano-bar gli storici futuri anche involontari, nel corso degli eventi. Poi, ogni storiografia o iconografia o commemorazione finirà per registrare soprattutto due serie parallele di icone inevitabili, per quegli anni Settanta. Pasolini, Moro, Feltrinelli, e i tanti altri assassinati. Una pletora, si deplorò. Accanto, un’altra pletora di indimenticabili successi e cult forever: Mina, Celentano, Morandi, Battisti, Baglioni, De André, De Gregori, Dalla, Paoli, Guccini, e tanti altri miti e riti regolarmente estremi e duraturi e ‘live’. Anche alle esibizioni attempate di Keith Jarrett e moltissimi altri, a tutt’oggi, quante migliaia di junior e senior si eccitano e commuovono sinceramente dopo aver sborsato cento euro dai bagarini o sopportato fatiche ‘bestiali’ in coda. Così, anche questo nuovo libretto “sui fatti del 2008” si proporrà (ancora una volta) come una obiettiva ‘deposizione’ testimoniale a caldo su un altro snodo o svincolo o scivolo di eventi italiani probabilmente epocali, nel mesto corso del loro svolgersi1.

1 La vita bassa è l’approdo più recente di Arbasino alla “critica spietata” di tutto ciò che si dice e di ciò che si vorrebbe e dovrebbe realizzare in Italia e che si finisce per evitare di fare.

2 Il testo dal quale si cita qui sopra è certo assai più recente ma si ricollega sicuramente e in maniera perfettamente tranchante ai trascorsi migliori dell’opera di Alberto Arbasino.

3 In libri come Fantasmi italiani (Roma, Cooperativa Scrittori, 1977 – una raccolta di scritti mai più ristampata in seguito), In questo stato (Milano, Garzanti, 1978) o Un paese senza che è del 1980 (poi ristampato sempre da Garzanti nel 1990), lo scrittore lombardo aveva dato il meglio di sé nel descrivere le oscillazioni, le derive, i piagnistei, le angosce e gli effimeri trionfi di un paese come l’Italia che gli appariva sempre mancante della sostanza necessaria a sostenersi o a progredire, nella condizione cioè di essere sempre privo dei fondamenti essenziali per sopravvivere e svilupparsi, di essere continuamente senza qualcosa (antropologicamente, politicamente, culturalmente).

4 Il qualcosa che mancava poteva essere, parlandone at random and haphazard, la rivoluzione proletaria o le riforme di struttura, la coscienza civile o la capacità di prendere posizione su questioni generali e fondamentali (come è evidente in Un paese senza) ma era comunque sempre un Qualcosa che era mancato (come si diceva spesso allora con un malvezzo insistito e assai diffuso) “a monte”. Sembrava, in realtà, che essere sempre senza quel qualcosa fosse la condizione naturale di chi non voleva neppure provarsi a portare a compimento progetti o riforme, rivoluzioni epocali o “enormi mutamenti all’ultimo momento” (per dirla con il titolo di una famosa raccolta di racconti di Grace Paley).

5 Arbasino è stato il più feroce (e, nello stesso tempo, rattristato e melanconico) critico di quel periodo di storia italiana che va dalla fine degli anni Settanta agli anni Novanta. È questo il momento della facile fortuna dello yuppismo edonistico e rampante esaltato come confortante e confortevole forma di vita, dell’arricchimento facile e illegale, della corruzione diffusa e della volgarità trionfante dei nouveaux riches legati alla politica

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d’abord del ciclo di governo di allora (e poi confermato da ciò che sarebbe seguito successivamente).

6 Ma è anche il periodo in cui si consumano la fine delle ideologie e dei manifesti politici, della caduta di ogni possibilità di realismo letterario, della sperimentazione della realtà quotidiana nella scrittura come frutto dell’immersione in un mare che non è più quello “dell’oggettività” (così come lo descriveva ancora Italo Calvino negli anni Sessanta)2 quanto quello dell’ormai avvenuta mutazione antropologica e dell’affermarsi di una soggettività spietata e del tutto priva di memoria storica del passato (come accade sia nei romanzi di De Carlo e spesso anche in quelli di Tabucchi che in quelli, per citare un autore della parte opposta ma egualmente significativo di Luca Doninelli).

7 Arbasino analizza e verifica attraverso inchieste e indagini sur le terrain (come la lettura della “piccola posta” che appariva sul giornale di sinistra Lotta Continua) le trasformazioni del costume e la degenerazione culturale in atto; cerca di decostruirle alla luce di modelli culturali alti (Leopardi, Gramsci) e, infine, propone modelli di ricostruzione linguistica degli sviluppi socio-antropologici in atto. Su tutti questi aspetti della fase di Kulturkritiker di Arbasino (una dimensione di scrittura che, tutto sommato, dura ancora fino ad oggi) merita di spendere il tempo di una riflessione che finora non è stata ancora fatta.

8 Essa, infatti, è tutta presente nel brano citato sopra quale cifra di un libro assai più breve di suoi altri volumi ma sempre succoso e aspro come un limone ben maturo.

9 La Kulturkritik (come si diceva in ambito rigorosamente francofortese) o meglio la critica del linguaggio quotidiano e pseudo-culturale (la professione preferita negli anni Venti da un grande scrittore come Karl Kraus, tanto per fare un esempio illustre e adeguato all’oggetto) è sempre stata la passione manifesta e celebrata di Alberto Arbasino saggista e commentatore di costume, antropologo e narratore dei fasti e nefasti della vita culturale italiana degli ultimi quaranta anni. Ovviamente, è del tutto conseguente il fatto che dalla critica delle parole (parolacce o meno che possano essere considerate) alla critica dei costumi di coloro che le usano (impropriamente e goffamente e crudamente ma anche esemplarmente) il passo sia assai breve.

10 In La vita bassa c’è tutto questo e gli strali acuti (come pure le bacchettate severe) dello scrittore di Voghera per i suoi contemporanei non potrebbero cadere più a proposito in un anno come il 2008 destinato al ricordo solerte e alla rievocazione forsennata (e spesso piuttosto interessata da parte dei superstiti protagonisti) dei fasti del Sessantotto, annus mirabilis della contestazione di molti e della giovinezza di tutti i protagonisti di quell’annata (come pure di molte delle successive, nel bene e nel male, nella violenza ostentata e nella prevaricazione vissuta).

11 Seguendo la falsariga già utilizzata in Un paese senza e in In questo stato, Arbasino procede per aforismi e brevi sentenze, per sintagmi accusatori e spesso per lunghe sequenze di allitterazione fonetica e latamente linguistica utilizzando termini ormai in uso che, messi in fila in un certo suo modo, non sembrano dare senso alcuno alla loro proliferazione come parole non utilizzabili ma mimano di poterlo e volerlo fare.

12 Di conseguenza, l’oggetto del contendere risultano i costumi linguistici degli Italiani e i loro vezzi provincial-locutori (sulla scia di non dimenticati testi analoghi di antropologia culturale prodotti da Leopardi3 e da Gramsci)4. Ma dietro questi difetti di conoscenza e di razionalità ci sono anche interessi concreti e ben precisi – la cultura mancata nasconde anche (o forse soprattutto?) i profitti personali e le corruttele

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continuate che non appartengono soltanto al profilo linguistico di amministratori e politici di lungo corso e di smisurato appetito.

Dalla decostruzione degli eventi culturali alla scoperta della dimensione antropologica

13 L’episodio letterario di La vita bassa, tuttavia, non è certo una novità nel percorso fluido e, nello stesso tempo, accidentato e spigoloso di Alberto Arbasino. Già negli anni Sessanta i suoi libri di critica teatrale e di ricostruzione delle mode culturali erano costellati di osservazioni vivaci e brillanti sul costume degli italiani “colti” e dei loro vezzi intellettuali.

14 Ma è alla fine degli anni Settanta che Arbasino decide di abbandonare (almeno provvisoriamente) il campo della scrittura narrativa e di dedicarsi a tempo pieno, decrittandola e circoscrivendola, allo studio linguistico e culturale della società italiana in cui si trova a vivere.

15 L’Introduzione di Fantasmi italiani del 1977 (dal titolo allusivo di Senza deposito) è assai esplicita al riguardo. In quegli ultimi anni Settanta (non a caso poi ben presto noti e malfamati come “anni di piombo”), Arbasino prende una decisione dalla quale non desisterà e non tornerà più indietro: Questo non-libro si fonda su una decisione: seguire oggi non qualche simpatico o suggestivo Altrove ma l’attualità politica e culturale italiana giorno per giorno, con tutti i rischi della immediatezza troppo “a caldo”; e per tener dietro a una realtà molto in movimento, tentare una scrittura / struttura niente affatto seriosa o solenne o “sistematica”, ma piuttosto frammentaria, rapsodica, aforistica, molto corporea. Molto parlata, molto vocale, e perfino trasversale. Dunque, scrittura – magari – anche come “performance”, rappresentazione, spettacolo. I “temi” di questi esercizi sono interrogazioni elementari e familiari. Di fronte ai disturbi culturali e politici che colpiscono la vita italiana contemporanea: si tratta di inopinati bubboni, deplorevoli e “mai visti”, in un corpo fondamentalmente sano? Oppure si tratta di vecchie solfe, orrende “costanti” antropologiche e ataviche molto nostre che continuano a riaffacciarsi camuffate da novità preoccupanti? E di fronte ai disturbi disgraziati o ridicoli che affliggono adesso il nostro linguaggio e il nostro “discorso”: quali disturbi autentici e specifici rivelano o rispecchiano nel pensiero italiano? Tornano allora qui rielaborati in un diverso assemblaggio numerosi temi di Kulturkritik…5

16 Il presente dell’Italia gli sembra oscurato da qualcosa che non può essere più lasciato indietro come elemento costitutivo stesso della nazione (ciò che c’è sempre stato e che non si può mai cambiare, anzi ciò che va cambiato proprio perché nulla cambi – gattopardianamente) o risolto con una serie di discorsi in cui l’altezza che questi raggiungono è pari a quel nulla di fatto cui conducono o su cui si coibentano. La “differenza” italiana rispetto ai paesi europei più “normali” è, allora, il solito male di sempre (e proprio per questo non ci si potrà mai fare nulla) o si tratta di qualcosa di nuovo, di tragicamente inedito? Arbasino cercherà di dare una risposta a questo quesito cruciale. I grandi malori italiani contemporanei derivano da quei due grandi flagelli che sono la sovrappopolazione selvaggia e il linguaggio alienato. Cioè, precisamente, un “discorso” soltanto astratto che corrisponde a un “pensiero” soltanto teorico, e uno scervellato prolifichìo in un territorio ristretto con risorse in diminuzione, dove i più non sanno mai cosa stanno dicendo, né come daranno da mangiare ai propri figli,

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e dove però ciascuno (benché smentito continuamente dai fatti) si ritiene eccezionalmente “dritto”, lui solo, ritenendo tutti gli altri eccezionalmente “coglioni”. Scambiare la coglioneria per drittaggine porta allora a conseguenze per lo più disastrose, giacché “alla lunga” i risultati non funzionano, né corrispondono ad alcuna tra le false premesse o le bugiarde speranze. Per auto-indulgenza smisurata – o per incapacità o sprovvedutezza che ignorano perfino il proprio nome – numerosi italiani pretendono infatti di esprimersi in idiomi addirittura insensati, che chiaramente non hanno più nulla di umano: eppure questi idiomi rispecchiano precisamente e rivelano le insensatezze delle strutture del pensiero, e una quantità di caratteristiche specifiche e costanti nel carattere italiano: la superficialità, la volubilità, l’irresponsabilità, l’incompetenza, lo sperdersi… Invece, altri caratteri non meno tipici come l’aggressività, la criminalità, la violenza, la ladreria, attualmente, possono sembrare conseguenze o effetti probabili del sovraffollamento e della scarsità crescente di cibo, come nelle topaie sperimentali di laboratorio. Ma con l’aggravarsi della crisi italiana, anche le connotazioni italiane più tradizionali sembrano “impazzire” peggio di una mayonnaise. Un nuovo linguaggio italiano ancora più teorico e astratto e alienato e auto-indulgente dei vecchi gerghi gotici e umanistici e barocchi, e ora nettamente ideologico- tecnologico-patologico, incomincia a riflettere nei propri disturbi superficiali dei profondi disturbi della mente, caratteriali e pericolosi. E da parte sua, il vecchio banditismo medievale o elisabettiano o stendhaliano-romantico diventa nichilismo e terrorismo con aperti sintomi di “trip” privato e demonismo irreale… Allora, l’interrogazione ossessiva (“inopinati bubboni, o vecchie solfe?”) continua a riproporsi “di prepotenza”, di fronte a ogni fenomeno che appare “senza precedenti” nella nostra crisi6.

17 Da un lato, siamo ancora nel reame del “machiavellismo degli Stenterelli” di gramsciana elaborazione (il regno in cui il più furbo è capace di sconvolgere l’equilibrio generale in nome della propria superiorità in furbizia), dall’altro sembrano riaffiorare fantasmi atavici legati alle analisi del tardo positivismo7. A parte la questione della sovrappopolazione che se, da un lato, sembra affliggere ancora una parte dell’Italia meridionale, dall’altro sembra, invece, compensata dalla radicale de-natalizzazione degli anni Novanta soprattutto al Centro Nord, quella della follia linguistica è tema assai caro ad Arbasino (e il richiamo a Karl Kraus è ancora una volta d’obbligo).

18 Nel 1977, tuttavia, la tragedia italiana dell’affaire Moro non è stata ancora consumata. Nel libro, però, molti spunti critici sembrano (certo con il senno di poi) preludervi. In un testo successivo, vichianamente intitolato ai Corsi & Ricorsi della vicenda italiana, Arbasino scrive: … Ma perché la rabbia si sta sommando alla nevrastenia italiana, privata e politica? Da principio c’è stata una orribile pena: come quando ci si rende conto, davanti a nuovi bambini già teneramente amati, che stanno crescendo strabici come il papà, balbuzienti come la mamma, ladri come il nonno, bigotti come la zia. E, allora, quando nella patria dei Corsi & Ricorsi storici, si assiste a una riapparizione delle solite, antichissime, e tanto descritte “costanti” antropologiche – magari credute (sbagliando) sparite per sempre, nell’euforia della “modernità” o per qualche ironia “positiva” della Storia – ecco che improvvisamente ci si sente, magari neanche delusi o disillusi o cinici, però, certamente, molto vecchi. Ci si sente molto vecchi, infatti, a partire dal giorno in cui si ripresenta “tale e quale” e “come nuovo” (e come se le lezioni del passato non servissero effettivamente a niente) un fenomeno che si era ritenuto unico, episodico, e impossibile da ripetere proprio per l’esperienza che ne è derivata. E invece, macché: sono proprio i fenomeni “una tantum” che si ripresentano con periodicità regolare. E malgrado ciò vengono ritenuti, ogni volta, “inaspettati”, “inopinati”, “imprevisti”, sempre in un “corpo fondamentalmente sano”. Forse ci eravamo davvero addormentati tutti in uno di

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quei grandi sogni italiani collettivi ad occhi aperti che ci spingono periodicamente verso quei certi auto-inganni così scervellati8.

L’incontro con il paese reale

19 Il “brusco risveglio” (almeno per i meno smaliziati) arriverà l’anno dopo con il rapimento e la morte di Aldo Moro, con la legislazione eccezionale sul terrorismo, con la fine annunciata della politica dell’opposizione da parte del PCI e quelli che saranno chiamati i governi di “unità nazionale”.

20 Di questa nuova stagione (ma quanto poi nuova?) è testimonianza il successivo libro di Arbasino.

21 In questo Stato è un libro tutto scritto in presa diretta. Vuole essere una testimonianza a caldo scritta in una civiltà letteraria che delle memorie scritte nel fuoco della lotta non ha mai voluto sapere troppo (preferendo, invece, raccontare anni dopo ciò che era più prudente o più lusinghiero ricordare e mettere in evidenza per rendere maggior lume e luce agli occhi di chi aveva visto magari tutt’altre cose e vicende). Le ragioni della stesura del libro sono chiarite subito: Forse questo “spaccato” o “montaggio” di demenze e deliri italiani non mi sarebbe neanche venuto in mente, se avessi vissuto quella “svolta” in una situazione di indifferenza italiana collettiva, e non di quello “straniamento” o “stacco” iniziale che mi ha fatto vedere per qualche giorno – come con occhi brechtiani – la nostra famosa incoscienza travestita da seriosità, con la nostra irresponsabilità, la nostra leggerezza, e una certa vera ferocia; e diversi altri caratteri tradizionali italiani per lo più camuffati o appiattati in attesa di “dare i numeri” nelle fasi più acute delle nostre crisi nazionali. Ma avendo intanto anche visto a Berlino Deutschland in Herbst fatto egualmente a caldo da parecchi registi tedeschi sugli eventi dell’autunno scorso vissuti immediatamente nel “pubblico” e nel “privato”, senza rielaborazioni né distacchi né (meno che meno) solenni mozioni degli affetti nazionali, mi sono ancora convinto che la struttura formale più adatta stavolta non fosse tanto un romanzo “classico” e “storico” come Fratelli d’Italia, composto durante il “boom”, oppure un romanzo “a frammenti mobili” come il Super-Eliogabalo, composto nel ’68, ma appunto questa performance del tutto corale, aperta, spalancata, registrazione e rappresentazione “personale” e “politica” rimescolata con gli infiniti paragoni e rinvii che emergono spontanei o coatti dalla cultura, dalla letteratura, dai precedenti storici, dalle analogie inevitabili, dalle conversazioni continue fra la gente per questi interi due mesi. […] Anche “perché rimanga qualche cosa” (conversazioni autentiche, giudizi autentici, “follies” autentiche, pezzetti di giornali che già sembrano “nonsense” appena poche settimane dopo); e soprattutto dal momento che la nostra Letteratura, invece, non è mai molto ricca di queste testimonianze “dal vivo” e “a caldo”, né di epistolari e diari e memorie (individuali o collettive) che possano in qualunque modo “restituire” il vero colore, la vera atmosfera di un’epoca, la vera “aura”…9

22 Il proposito è quello di rendere conto delle oscillazioni di una pubblica opinione tradita dai suoi organi elettivi (i giornali), assalita da ondate di retorica pervicace e purulenta che ne insidia nei fondamenti il buon senso e la credulità, incapace di capire che cosa sta accadendo e poco propensa, comunque, a comprenderlo. Ciò che invade il campo della conoscenza degli avvenimenti è un bla irritante e insistente, di nessuna utilità a realizzare obiettivi concreti ma solo adeguato a impedire la realizzazione di atti concreti e a coprire l’irresponsabilità spesso criminale (si pensi allo scambio che sarebbe stato comico se non fosse risultato, in realtà, macabro tra Gradoli cittadina di montagna dove si trova il Lago della Duchessa e via Gradoli dove effettivamente Moro

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veniva detenuto dalle Brigate rosse), spesso deliberata di chi avrebbe dovuto gestire le emergenze del periodo.

23 Il bla generalizzato apre le porte a un’alluvione linguistica che comporta la sconnessione profonda del linguaggio utilizzato per sostenerlo.

24 Il bla continuo, inoltre, mostra come il giornalismo italiano e la sua profluvie di chiacchiere fini a se stesse proceda all’inflazione di luoghi comuni e di frasi fatte che non rimandano altro che a se stesse: E allora. Fra i diversi e continui “tradimenti Gutenberg” (come il trasformare un evento effettivamente accaduto in un luogo comune milleusi quale “il bubbone è scoppiato”), denunciare criticamente questa guittaggine del birignao politico- giornalese – lezioso e pretenzioso come il deus ex machina e il lupus in fabula, la camicia di Nesso e il letto di Procuste, il naso di Cleopatra e il vaso di Pandora, lo scheletro nell’armadio e il castello di accuse, il motu proprio e il more uxorio e il modus in rebus, il fiume d’inchiostro e gli addetti ai lavori, lo sparare a zero e il mettere alla frusta e il cavalcare la tigre, il salto di qualità e quello nel buio, la presa di distanza e quella di coscienza, nonché l’anticamera del cervello e la più pallida idea… – non sarà più davvero una battaglia donchisciottesca da Bouvard e Pécuchet stilcritici, o da Karl Kraus apocalittici, bensì (a costo che rischi di apparire quale un’ossessione “celibe”) addirittura un dovere civico: lo smascheramento di un manierismo mistificatorio e regressivo che per pigrizia o complicità o cinismo di bidelli e di uscieri occulta o ricopre sotto un patchwork di “darsi carico” e “fare chiarezza” giornalese qualunque dato e fatto politico e reale…10

25 I giornali, i politici, i giovani, gli scrittori: tutti cospirano a creare il disagio psico- sociale all’interno del quale lo Stato si spappola come struttura al quale fare riferimento per la difesa degli interessi generali dei cittadini e lo stato ordinario diventa quello di un delirio socio-linguistico dal quale si potrà ormai uscire con grande difficoltà. Chi parla (come i politici e i giornalisti) parla per creare polverone retorico e fumo verbale; chi si domanda quale sia la verità e dove si andrà a finire riceve in risposta o un invito generico a impegnarsi o a porsi al servizio di un apparato statuale che reagisce anch’esso in modo pletorico e impreciso, come un pugile suonato che meni delle mazzate a caso ad un avversario che non vede e di cui non riesce a capire le mosse.

26 Chi governa oggi in Italia? Sembra chiedersi Arbasino.

27 Chi sa che cosa succede davvero nel Paese, tra complotti, attentati, morti ammazzati senza senso e un tentativo di rivoluzione abortito fin sul nascere, senza consenso palese e con tutti contro (almeno in apparenza)? Che cosa succede agli intellettuali che hanno paura (come sembravano averla Sciascia o Moravia, autore di un famoso slogan “Né con lo Stato, né con le Brigate rosse” poi ripreso anche dallo scrittore di Racalmuto)? E che cosa succede agli intellettuali (di partito) che di questo loro timore riprovano i suddetti intellettuali (come Amendola sulle colonne di “Rinascita”)?

28 E perché gli scrittori, invece di rinchiudersi nei loro salotti e stanze da letto e amori e chiacchiere e pettegolezzi (gli ingredienti di ciò che fu chiamato il “riflusso”), non cercano di rendere in forma letteraria e dare respiro al clima asfittico in cui vive e respira il Paese Italia? Però noi siamo artisti, e non già reporters, ribattono alcuni autori. Siamo sicuri? Allora. I fatti mentre accadono sono soltanto cronaca, loro dicono, e bisogna lasciarseli alle spalle, in prospettiva, perché diventino storia e anche letteratura. Va bene, Guerra e pace. Però anche Balzac non aspettava troppo a lungo per riversare nei suoi romanzi i rapimenti e gli spari e gli affari politico-finanziari-penali del suo

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tempo, tutto sommato (la differenza coi film e romanzi del nostro tempo che battono l’attualità e rimescolano denunce e messaggi sta nella diversa efficacia della rappresentazione, soprattutto lì). E parecchi fra i romanzi più notevoli del nostro secolo, malgrado la poca simpatia per le smanie presenzialistiche dei loro autori, sono proprio dovuti a reporters “a caldo” come Hemingway in Spagna e Malraux in Cina; e risultano più importanti e più interessanti delle opere di artisti che hanno parlato dei loro parenti e dei loro appartamenti, senza essere una Compton-Burnett, e però né Genet né Jünger né Fenoglio si sono lasciati sfuggire “a caldo” l’occupazione tedesca della Francia e dell’Italia; e le storie di Isherwood sulla Germania di Weimar, scritte durante l’andata al potere del nazismo, con Sally Bowles e Mr. Norris, risultano innegabilmente più rilevanti dei suoi monumentini di pietà filiale alla memoria dei cari e insignificanti genitori… Ma non solo in caso di guerre o di rivoluzioni: lasciamo forse stare dei reporters mica tanto da buttar via come Capote e Mailer, ma il miglior reporter sull’Età del Jazz, Scott Fitzgerald, scrive appunto durante l’Età del Jazz, senza alcuna prospettiva né avanti né indietro, e forse anche per questo suona così autentico, molto più delle “ricostruzioni” eseguite in seguito sui ritagli dei giornali e sulla memoria collettiva; né Proust lascia passare lunghe prospettive prima di occuparsi dell’Affare Dreyfus o dei Balletti Russi (e “cavandosela”, in fondo, sia con l’uso di mondo sia con i casi Lockheed del suo tempo). Perfino i più squisiti austriaci, perfino il sublime Nabokov di Lolita e il sublime Bulgakov del Maestro e Margherita sono lì “in presa (abbastanza) diretta”11.

29 Scrivere “in diretta”, allora, si rivela, per Arbasino, il desiderio di entrare nell’eletta schiera di autori che non sono stati gestiti dal loro tempo, ma il loro presente sono stati capaci di trasformarlo in scrittura e poi in modelli letterari. Nel Presente non c’è più solo la cronaca informe che va modellata in blocco marmoreo di stile ma la necessità formale dell’esercizio della critica in nome di una conoscenza della realtà che si trasforma poi in un modello letterario capace di sfidare il Passato, se non forse il Futuro.

Senza fine: sull’Italia degli anni Ottanta

30 Da questo deriva (ipotesi ampiamente suffragata da dichiarazioni dello stesso Arbasino)12 la necessità di scrittura per frammenti e per brevi blocchi narrativi.

31 Un paese senza è del 1980 (Arbasino lo ristamperà nel 1990 accompagnandolo con una lunga postilla ironicamente intitolata Dieci o vent’anni dopo).

32 In esso lo scrittore di Voghera esaspera la dissoluzione del saggio lungo tradizionale e lo polverizza in una serie continua e cattivissima di frammenti di più o meno corta durata.

33 Eccone un esempio relativo alla dinamica e all’impatto delle TV libere che all’epoca cominciavano già a imperversare in Italia: Il paese reale. Vedendo i programmi televisivi più popolari e più apparentemente spregiudicati, anche quelli che sembrano presentare conflitti tra vecchio e nuovo o tra religioso e laico: che piccolo mondo antico tutto cattolico e tutto coerente, dove tutto si tiene e tutto si corrisponde. Le donne solo sante o puttane o travestiti. Gli uomini eterni bambini zozzetti turbati da problemi inutili, travolti da tormenti superflui, continuamente tremolanti fra il volere e il non potere, fra il sembrare e l’essere, fra il mi piacerebbe di notte ma poi di giorno chissà cosa si dirà di me. Ma fatta ’sta scopata, e magnato ’sto spaghetto, che mai sarà? Il programma lì muore13.

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34 Il panorama antropologico appare desolante, ma da questa prospettiva (il sesso come affare sporco o misterioso per i più, il degrado del corpo delle donne, la fragilità di quello maschile, ecc.) non si sposterà più: anzi, dopo il 1977, quando nascono le prime TV commerciali in Lombardia, il panorama diventerà sempre più squallido e, soprattutto, funzionale a ciò che si scoprirà solo molto più tardi: non solo affari e denaro ma anche Potere e Politica. Arbasino per ora si limita a intuire tutto questo anche se è chiaro che il gioco sta per diventare molto più pesante. Come soluzione alternativa di ribellione e protesta contro le famiglie conformiste e borghesi: andare con sacchi a pelo e spinelli a vedere Via col vento, Le quattro piume, Pane amore e fantasia, Scarpette rosse, Casa Ricordi, esclamando “eccezionale”. Tanti anni fa si andava col papà e con la mamma e con le zie al cinema “Roma” a vedere Via col vento, Le quattro piume, Pane amore e fantasia, Scarpette rosse, Casa Ricordi, con le caramelle e dicendo magari “che palle”14.

35 Il paradosso è solo apparente: l’epoca dell’alternatività forzata e considerata quale pratica rivoluzionaria apre al recupero di ciò che sembrava essere stato accantonato nello sgabuzzino della casa di campagna o accantonato nella “pattumiera della Storia”. Quindi ciò che destava noia o sbadigli solo dieci o vent’anni prima diventa, per forza di cose e di conformismo generalizzato, qualcosa da recuperare e, se possibile, venerare come simbolo di un passato di gran lunga migliore del presente. Ancora Arbasino: Del resto – signori, si chiude – stanno chiudendosi adesso non solo gli Anni Settanta, ma dieci / undici / dodici anni di Creatività, non soltanto letteraria, per una generazione che ha avuto più chances di qualunque generazione passata: cultura e contro-cultura, informazione e contro-informazione, il tutto a buon mercato, e il Nulla a carissimo prezzo. Il revival di Travolta e di Edith Piaf non si sa ancora se avverrà prima o dopo quello di Frankie Avalon o di Moustaki. Intanto che cosa elencano per ora i cataloghi decennali, gli inventari, i bilanci, i consuntivi, le liste, le ipotesi di repêchage e di reprint, non solo in fatto di letteratura, ma di arte, di spettacolo, di cinema, di musica, di critica culturale, di “pensiero” originale? Quale sarà il giudizio della storia intellettuale, fra dieci anni o fra uno? Che cosa si consegna e si trasmette alla generazione dell’Ottanta, da recapitare e rimettere a quella del Novecento?15

36 Una buona domanda, questa. Gli anni Settanta con la loro esplosione di una creatività forse un po’ troppo forsennata nei modi e negli stili di pensiero ma sorretti, pêle-mêle, da una forte tensione morale verso una trasformazione che ancora si credeva possibile, naufraga negli Ottanta in una sorta di rovinio ideologicamente neutro ma politicamente e socialmente assai retrivo. Il giudizio della storia intellettuale richiesto da Arbasino sarà rovinoso così come rovinoso sarà il giudizio politico. Ma, limitandosi al piano del costume, saranno gli anni del rampantismo e del riflusso, della crisi della militanza e dell’arricchimento sfrenato, della teorizzazione della morte dell’ideologia (o del suo tramonto16 – come voleva Lucio Colletti, tipico intellettuale italiano di quegli anni, approdato dall’ultra-sinistra e dalla critica “da sinistra” della Scuola di Francoforte e dell’irrazionalismo a suo dire in esso trionfante alla tradizione populistico-liberale di Forza Italia), della fine dell’illusione nella trasformazione (sia pure graduale) dell’Italia mediata dalle “riforme di struttura” dell’economia e della società. Il passaggio che avviene, allora, è tra una generazione che aveva creduto, tutto sommato, nella possibilità del cambiamento ad una che del cambiamento non sa che farsene dato che lasciare le cose come stanno potrebbe convenire a tutti (meno, ovviamente, a chi ne paga il prezzo e le conseguenze). I deliri italiani prossimi deriveranno soprattutto (nella nostra Storia è già capitato) dalle invasioni del Paese, e dai conflitti che hanno più volte provocato anche fra i

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cittadini?… E un sicuro test per dimostrare il proprio civilissimo antirazzismo potrebbe essere il darsi (come partito, gruppo, confessione, giornale, società, ufficio, parrocchia, congresso, club, lista elettorale, beni culturali, Usl, sindacato, ecc.) un management extracomunitario tutto o in parte giapponese? Buon viaggio negli Anni Novanta. Speriamo di aver fatto opera utile per capire meglio – attraverso alcune sue demenze – l’Italia17.

37 Con questa dichiarazione paradossale e parossistica, Arbasino non sapeva forse quanto fosse arrivato vicino al vero e quanto fosse prossimo a sfondare una porta aperta. Il discrimine tra gli anni Ottanta e gli anni Novanta sarà caratterizzato, infatti, da passaggi politici (caduta del Muro di Berlino, ondate in arrivo di extracomunitari provenienti dall’Est dell’Europa e dal Sud del mondo, disoccupazione legata a processi economici non più controllabili su base nazionale) che porteranno a deliri ben più incontrollabili di quelli liberati alla fine degli anni Settanta e all’inizio del nuovo decennio. Ciò che era accaduto allora sembrerà ad occhi avvertiti e capaci di cogliere le differenze fondamentali intervenute negli eventi storici più recenti assai più gestibile del caos del presente.

38 Ma probabilmente questa è una costante: va a finire sempre così quando il passato appare “calettato” – per usare una metafora cara al Musil di L’uomo senza qualità – e comprensibile e ciò che appare di fronte allo spettatore spaurito e sgomento è invece il magma dell’indistinzione e della mancanza di senso compiuto dell’evento non- storicizzato.

La metafora del rinvio come continuità storica

39 E per ritornare al presente, alla fine di questa rievocazione sia pur cursoria e “facilitata” del percorso di Arbasino critico della vita quotidiana e culturale italiana: La vita bassa, analizzato alla luce di questa linea ricostruttiva, è un libro di moralità esacerbate e spesso sapientemente virulente, alimentate però dall’acido corrosivo e dalla capacità agonistica di una volontà satirica che non l’abbandona fino alla fine. Il libro vuole essere descrizione attenta (anche se ironica e disincantata) dei “segni dei tempi”: E “la vita bassa”, da noi, non diventerà una Metafora illuminante e dirigibile, nella pubblicistica ‘easy’, satura e beata di cose che sono sempre metafore di altre cose? Non solo il mercato e i mercatini, anche gli scarichi paiono ormai ingorgati eppure insaziabili di metafore del nostro tempo, del nostro paese, della nostra condizione, dell’esistenza umana, di Dio, dell’ermeneutica, di tutto. Anche metafore di metafore, metafore polivalenti? Moratoria sulla metafora, urge? Sennò, bufera sulla bufala, mozzarelle mozzafiato, riflettori accesi su Roma nun dà la bufala stasera? E se “la vita bassa”, per i prossimi Lévi-Strauss e Mauss e Bataille e Leiris e Caillois (in un aggiornato Musée de l’Homme con foto in bianco e nero di ‘indigeni’ autentici con addomi e glutei ridondanti odierni esibiti di fronte e profilo), diventasse un Segno antropo- ed etnometodo-logico strutturale e culturale di tutto un Inconscio o Conscio tribale ed elettorale non solo giovanile e sgargiante, come i totem e tabù e le penne e gonnelle e facce dipinte dei più rinomati aborigeni? “Funzione segnica” un pochino ruffiana o equivoca?... Feticcio peraltro pochissimo studiato, per ora, nonostante la prensilità così ‘easy’ e ‘quick’ degli apparati mediatici specializzati18.

40 La “vita bassa” è, in effetti, sia la moda di andare in giro con i pantaloni allacciati al di sotto dell’ombelico (usanza molto in voga soprattutto tra le fanciulle tra i tredici e i diciotto anni) sia la dimensione ormai degradata della vita pubblica e culturale italiana.

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41 Trasformare tutto in metafora di qualcosa che non si vede o non si conosce compiutamente e, quindi, rimbalzare il senso di essa su qualche altra cosa altrettanto sconosciuta rappresenta ormai soltanto il rimedio a ciò che forse non si può più cambiare. Rimandare i problemi rinviandoli ad altri o leggendoli come altro diventa il miglior sistema per non affrontarli.

42 Arbasino non risparmia sarcasmi agli intellettuali di ieri (alla silenziosa fronda degli Ermetici fiorentini alle “Giubbe Rosse”, ad es., o a quei personaggi della scena letteraria degli anni Trenta – Malaparte, Montanelli, Prezzolini, Longanesi, con i distinguo del caso – poi riciclatisi con qualche clamore all’alba del dopoguerra) o a quelli di oggi nella consapevolezza che per essi varrà sempre il “Viva Franza, viva Spagna, purché se magna” di cui già riferiva poco compiacentemente il Gramsci dei Quaderni del carcere.

43 Per questo motivo, è il costume tipico italiota, in realtà, a essere nel mirino di una critica che non si nasconde le difficoltà di andare a bersaglio, data la pervicacia dei difetti da sconfiggere o da sormontare. Le pagine e le riflessioni sul malvezzo italiano di usare termini stranieri oscuri o inadatti per indicare organi di governo o forme di rappresentanza politica e amministrativa (da ‘governance’ a ‘welfare’ a ‘privacy’) sono emblematiche al proposito come pure quelle sull’“Inno di Mameli”, la cui arcaicità linguistica si allea e ben si sposa con la riluttanza a cantarlo da parte di non pochi politici e calciatori.

44 Ma il pezzo forte di questo libro non è tanto la critica spietata alla “vita bassa” del presente quanto la rievocazione del passato vissuto in prima persona da Arbasino stesso.

45 Tutta la seconda parte del libro è dedicata alla rievocazione di “incontri con uomini importanti” fatti dall’autore quarant’anni prima (molti di essi erano già apparsi in parte in Sessanta posizioni, Milano, Feltrinelli, 1971, un libro in cui venivano chiamati in causa i maggiori esponenti della cultura europea degli anni Cinquanta e Sessanta). È in questo modo che allora il cerchio si chiude.

46 L’Arbasino degli anni Sessanta e Settanta si ritrova a polemizzare con lo stesso piglio e la stessa ferocia dell’Arbasino di oggi.

47 Negli anni Ottanta il passaggio era stato soprattutto un fatto di scelte stilistiche e formali che però alludevano a questioni di rilevante sostanza – l’Arbasino sperimentale aveva passato la mano a quello “civile” per il quale la ricostruzione dei fatti narrati non era mai disgiunta dall’indignazione civile per gli eventi rappresentati e per le responsabilità che essi comportavano. Gli Anni Novanta avrebbero poi mostrato un volto ben diverso e tutta un’altra storia da raccontare (sulla quale, però, varrà la pena di soffermarsi un’altra volta).

NOTE

1. A. Arbasino, La vita bassa, Milano, Adelphi, 2008, pp. 102-103. Per un profilo aggiornato dell’opera di Arbasino fino a La vita bassa, mi permetto di rimandare al mio “profilo d’autore”

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Alberto Arbasino, Firenze, Cadmo, 2004 (che sfiora Marescialle e libertini, Milano, Adelphi, 2004, un libro sull’opera lirica e la musica sinfonica – uno dei temi più cari all’Arbasino saggista – e non comprende l’analisi di La vita bassa). 2. Il richiamo (forse scontato) è a un celebre saggio di I. Calvino intitolato “Il mare dell’oggettività” (uscito sul n. 2 di “Il Menabò di letteratura”, diretto da I. Calvino ed E. Vittorini e pubblicato da Einaudi e poi raccolto in Una pietra sopra. Discorsi di letteratura e società, con una Presentazione dell’autore, Torino, Einaudi, 1980, poi ristampato presso Mondadori di Milano nel 1995, pp. 47-54). In esso, Calvino faceva delle affermazioni risultate poi profetiche: «La perdita dell’io, la calata nel mare dell’oggettività indifferenziata, fu proprio allora, vent’anni fa, sperimentata per la prima volta, da Sartre, nella Nausée, ma era una discesa agli inferi, Il protagonista vedeva a poco a poco svanire la distinzione tra sé e il mondo esterno, la sua faccia allo specchio diventare cosa, e un’unica viscosità coinvolgere l’io e gli oggetti. Ma questa rappresentazione già completa del processo è compiuta da Sartre restando al di qua, dal punto di vista della coscienza, della scelta, della libertà. Oggi si è dato il giro: il punto di vista è quello del magma.» (pp. 48-49) 3. Per Leopardi è sempre importante ricordare l’aspra e sovente lucidamente rancorosa lettura del costume nazionale italico presente nel Discorso sopra lo stato presente dei costumi degli italiani (scritto nel 1824 ma pubblicato solo nel 1906). Ne esiste un’edizione a cura di F. Ferrucci (Nuovo discorso sugli Italiani con il Discorso sopra lo stato presente dei costumi degli italiani di Giacomo Leopardi, Milano, Mondadori, 1993) in cui il curatore, nel commentare il testo leopardiano e aggiornarlo al presente, riprende molti dei suggerimenti critici cari ad Arbasino. Si legga, ad es., a pp. 66-67: «L’italiano manifesta così la sua vocazione recitativa e il suo sentirsi a casa entro uno scenario prefissato che assomiglia talvolta a un tinello e talvolta a un caffè coi tavolini all’aperto. L’italiano è sempre felice di recitare se stesso, perché quello è il suo momento di sincerità. Il risultato che viene raggiunto non è a dire il vero consolante; poiché, assieme al calcio, e con la stessa efficacia, la religione televisiva distrugge sottilmente ogni stima di sé – e questo incontra il bisogno di espiazione che da un pezzo accompagna gli italiani. Il vuoto che si apre dentro rassicura sulla bontà della cura. Cosicché l’italiano ha inventato l’arte di punirsi attraverso il divertimento: una delle più sperimentate e infallibili ricette di espiazione che si possano reperire. Le ideologie parallele del calcio e della televisione ne offrono una palese applicazione: la guerriglia che esplode alla fine delle partite ha un equivalente nella silenziosa strage che prende vita ogni sera nei salotti delle case. Davanti a questo siamo praticamente impotenti.» Questa annotazione di Ferrucci ricordano molto da vicino le polemiche arbasiniane sulla noia a teatro (e il rigetto anti-ideologico delle operazioni drammaturgiche di Strehler effettuate nelle sue messinscene di opere di Bertolt Brecht) presenti in Grazie per le magnifiche rose, un libro-monstre del 1965 edito da Feltrinelli di Milano. Su Leopardi critico dell’ “italianità” di sempre, dei suoi vezzi e dei suoi “fondamenti mancati” dal punto di vista dell’agire sociale, si tenga presente il buon saggio di M. Biscuso e F. Gallo, Leopardi materialista antiitaliano, Roma, Manifestolibri, 1999. 4. Di Gramsci è assai vibrante la disamina delle forme di comportamento politico e sociale degli italiani (sia in sede storica che antropologica) presenti in molte sezioni dei Quaderni del carcere. Si pensi all’analisi del “machiavellismo degli Stenterelli”: «Stenterello è molto più furbo di Machiavelli. Quando Stenterello aderisce a una iniziativa politica, vuol far sapere a tutti di essere molto furbo e che a lui nessuno gliela fa, neanche se stesso. Egli aderisce all’iniziativa, perché è furbo, ma è ancor più furbo perché sa di esserlo e vuol farlo sapere a tutti. Perciò egli spiegherà a tutti che cosa significa “esattamente” l’iniziativa alla quale ha aderito: si tratta, manco a dirlo, di una macchina ben montata, ben congegnata e la sua maggiore astuzia consiste nel fatto che è stata preparata nella persuasione che tutti siano degli imbecilli e si lasceranno intrappolare. Appunto: Stenterello vuol far sapere che non è che lui si lasci intrappolare, lui così furbo; l’accetta perché intrappolerà gli altri, non lui. E siccome fra gli altri qualche furbo c’è, Stenterello a questo ammicca e spiega, e analizza: “Sono dei vostri, veh!, noi ci intendiamo. Badate di non

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credere che io creda… Si tratta di una “machiavellica”, siamo intesi?”. E Stenterello così passa per essere il più furbo dei furbi, il più intelligente degli intelligenti, l’erede diretto, e senza cautela d’inventario, della tradizione di Machiavelli. Altro aspetto della questione: quando si fa la proposta di una iniziativa politica, Stenterello non si cura di vedere l’importanza della proposta, per accettarla e lavorare a divulgarla, difenderla, sostenerla. Stenterello crede che la sua missione è quella di essere la Vestale del sacro fuoco. Riconosce che l’iniziativa non è contro le sacre tavole e così crede di aver esaurito la sua parte. Egli sa che siamo circondati di traditori, di deviatori, e sta col fucile spianato per difendere l’altare e il focolare. Applaude e spara e così ha fatto la storia bevendoci sopra un mezzo litro.» (A. Gramsci, Quaderni del carcere, a cura di V. Gerratana, Torino, Einaudi, 1975, vol. II, Quaderni 6 (VIII) - 11 (XVIII), pp. 1111-1112) E le valutazioni sugli intellettuali italiani del dopoguerra: «In questo fenomeno caratteristico italiano sono da distinguere vari aspetti: 1) il fatto che gli intellettuali sono disgregati, senza gerarchia, senza un centro di unificazione e centralizzazione ideologica e intellettuale, ciò che è risultato di una scarsa omogeneità, compattezza e “nazionalità” della classe dirigente; 2) il fatto che queste discussioni sono, in realtà, la prospettiva e il fondamento storico di programmi politici impliciti, che rimangono impliciti, retorici, perché l’analisi del passato non è fatta obbiettivamente, ma secondo pregiudizi letterari o di nazionalismo letterario.» (Id. , Quaderni del carcere, op. cit., vol. III, Quaderni 12 (XIX) - 29 (XXI), p. 1704.) 5. A. Arbasino, Fantasmi italiani, Roma, Cooperativa Scrittori, 1977, p. 7. 6. Ibid., pp. 11-12. 7. Anche se in un tale contesto ormai suranné e scarsamente condivisibile, fanno eccezione, ad es., le ancora interessanti analisi che si possono ritrovare in un libro troppo poco considerato come quello di P. Turiello, Governo e governati in Italia (l’ultima edizione è quella, pur ridotta drasticamente, a cura di Piero Bevilacqua, stampata a Torino da Einaudi nel 1980). 8. A. Arbasino, Fantasmi italiani, op. cit., pp. 38-39. 9. A. Arbasino, In questo stato, Milano, Garzanti, 1978, pp. 6-7. È trasparente ma efficace il gioco di parole che sostituisce Stato a stato con una locuzione che evidenzia e indirizza verso una situazione di indigenza storica e morale. Germania in autunno (Deutschland in Herbst, 1978) è un film collettivo diretto da Alf Brustellin, Hans Peter Cloos, Rainer Werner Fassbinder, Alexander Kluge, Beate Mainka-Jellinghaus, Maximiliane Mainka, Edgar Reitz, Katja Rupé, Volker Schlöndorff, Bernhard Schinkel e Peter Schubert, con la collaborazione alla sceneggiatura di autori come Heinrich Böll e autoprodotto. Il suo obiettivo era quello di descrivere le reazioni private e pubbliche di molti tedeschi, intellettuali o meno, di fronte alla morte (avvenuta il 18 ottobre 1977, mai chiarita completamente e fatta passare per suicidio) dei componenti la prima generazione dei terroristi della Rote Armee Fraktion detenuti nel carcere di Stammheim 10. A. Arbasino, In questo stato, op. cit., p. 28. Su questo libro fondamentale nella produzione letteraria di Arbasino, buoni spunti sono presenti sia nell’ottimo Invito alla lettura di Arbasino di E. Bolla, Milano, Mursia, 1979 che nel Castoro (è il n. 167) di M. E. Vecchi, Alberto Arbasino, Firenze, La Nuova Italia, 1980. Elisabetta Bolla rileva come: «Analizzando le reazioni del paese alla vicenda Moro, Arbasino ne deriva una conferma in più dell’opinione, già espressa, che la crisi in cui ci troviamo non è tanto un fatto economico quanto un disturbo mentale. Ne è riprova la facilità con cui questo caso clamoroso, che non trova riscontro storico immediato se non in una mitica “cattura del sovrano”, sia riuscito a stravolgere tutto il paese, mostrando come sia labile il nostro equilibrio fra “tenuta” e “sfascio”, fra “crescita” e “regresso”.» (E. Bolla, Invito alla lettura di Arbasino, op. cit., pp. 137-138.) La Vecchi, invece, insiste sull’effetto di rimozione del caso Moro nell’ambito dell’opinione pubblica: «È, di nuovo, il rifiuto della realtà che si manifesta ad ogni piè sospinto, soprattutto negli scrittori, impegnatissimi a riscaldare eternamente le proprie minestre invece di affacciarsi al balcone per vedere quello che succede in piazza. I giovani non sono da meno, si guardino le lettere scritte a “Lotta Continua”, “allineate senza commento come reperti di tormenti e di strazi remoti, rispecchiando con impassibilità e registrando con eclettismo le

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nuances di una condizione giovanile perduta in tutte le sue illusioni e contraddizioni e delusioni e ‘pallosità’ e ‘scazzi’” (p. 138). E non sono meglio quelle scritte da Moro (ce n’è un collage alla fine), terribilmente “piccine”: stizze, ripicche, la famiglia offesa… ben altro nerbo rivelano quelle di Maria Antonietta sulla soglia del patibolo. // Pare proprio che Arbasino suggerisca, in questo Stato e in questo stato, di lasciar perdere ogni implicazione con la sfera del self per entrare a viva forza negli eventi. Ma, e qui ogni chiarimento sarebbe il benvenuto, se la letteratura non può farsi banditrice di alcuna causa, o questa non è una causa o non è letteratura. Forse non è più tempo di inventare delle storie, di scrivere dei romanzi; la struttura formale più adatta a sostenere un’operazione mimetica sul paese del bla-bla sembra essere la performance corale che riproduce innanzitutto parole, parole e parole, che “monta” reperti, che fornisce riferimenti storici, rinvii culturali, analogie, conversazioni, luoghi comuni, cioè, come sempre, tutto.» (M. E. Vecchi, Alberto Arbasino, op. cit., pp. 88-89.) 11. A. Arbasino, In questo stato, op. cit., pp. 125-126. 12. In un libro composto da interviste a diversi autori italiani contemporanei, Arbasino dirà all’autrice dei dialoghi da cui il volumetto risulta composto: «Perché i frammenti? Perché la forma dei frammenti, che di solito viene abbastanza sdegnata come minore nella nostra produzione saggistica pomposa e a tutto tondo, è la forma preferita di Nietzsche, di Adorno, di Benjamin, di Karl Kraus e di Enzensberger (nonché del dimenticato Gramsci) – quindi, chapeau bas !, usiamo il frammento e cerchiamo casomai di giustapporre i frammenti in modo che vi siano dei fili tematici a legarli per così, o per cosà, per cui non sarà necessario leggerlo tutto. Si fanno dei percorsi. Un libro di frammenti non si deve leggere dall’inizio alla fine, si legge in tutte le direzioni, basta che ci siano alcuni fili tematici che legano i frammenti dall’inizio alla fine e dalla fine all’inizio. Come poi è successo per Un paese senza, che è stato fatto più o meno con gli stessi criteri e che invece è un libro un po’ troppo lungo, perché quando si fanno libri a caldo si tende a non essere abbastanza selettivi, ci si mette dentro un po’ troppa roba; poi lo si riapre e si dice: “Ah, questo non ci voleva!, sarebbe venuto meglio, sarebbe venuto più agile, questa roba è un di più”. Però nel libro a caldo in quel momento non lo si vede. Occorre che passi qualche settimana, per rileggerlo… Ma l’idea era appunto di usare una forma come il frammento che, anche secondo i nomi che ho fatto, e aggiungiamo l’obbligatorio Lichtenberg, è tra le più illustri.» (G. Pulce, Lettura d’autore. Conversazioni di critica e letteratura con Giorgio Manganelli, e Alberto Arbasino, Roma, Bulzoni, 1988, pp. 185-186.) 13. A. Arbasino, Un paese senza, Milano, Garzanti, 1990, p. 56. 14. Ibid., p. 199. 15. Ibid., p. 182. 16. Si veda L. Colletti, Tramonto dell’ideologia, Roma-Bari, Laterza, 1986. 17. A. Arbasino, Un paese senza, op. cit., p. 475. 18. A. Arbasino, La vita bassa, op. cit., pp. 26-27.

RIASSUNTI

Alberto Arbasino è stato il più importante interprete, e in qualche modo il “cantore”, della “vita bassa” italiana degli anni Ottanta. Dopo il declino della militanza politica che aveva caratterizzato il Sessantotto e buona parte degli anni Settanta, il decennio successivo è stato attraversato da una serie di fenomeni inquietanti e pieni di minacce per l’assetto culturale e

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politico della nazione. È questo il momento, infatti, della facile fortuna dello yuppismo edonistico e forsennato, descritto come una confortante e confortevole forma di vita, dell’arricchimento facile e illegale, della corruzione diffusa e della volgarità trionfante dei nouveaux riches legati alla politica d’abord dell’epoca (e poi confermato da ciò che sarebbe seguito successivamente). Arbasino ha descritto tutto questo in maniera esemplare e peculiare puntando sull’aspetto linguistico della questione e mettendo alla berlina i vezzi, i tic linguistici della cultura italiana della piccola e media borghesia (midcult) e le ottusità umane che ne erano il pendant antropologico In libri come Fantasmi italiani, In questo stato, Un paese senza e anche in molti suoi reportages di viaggio in paesi esotici, dalla fine degli anni Settanta fino a tutti i Novanta (sceglierà allora di utilizzare l’arma meno vistosa della poesia rap), l’Italia delle politiche decisionistiche di Craxi e poi di Berlusconi è fatta a pezzi e decostruita nelle sue forme più appariscenti e più negativamente eclatanti. Arbasino è stato un maestro in questa forma espressiva di letteratura.

Alberto Arbasino a été l’un des interprètes les plus importants de la « vita bassa » italienne des années quatre-vingt. Il en a été, en un sens, le chantre. Après le déclin de la militance politique qui avait caractérisé l’année 1968 et une bonne partie des années soixante-dix, la décennie successive a été largement traversée par une série de phénomènes inquiétants et riches en menaces pour la vie culturelle et politique de la nation. En effet, c’était un moment favorable à la vie yuppie hédoniste et effrénée, décrite comme une forme de vie réconfortante et confortable, où s’enrichir était facile et illégal, à la corruption répandue et à la vulgarité triomphante des nouveaux riches qui étaient liés à la politique du cycle du gouvernement de cette époque-là. Tout cela a été décrit par Arbasino d’une manière exemplaire et particulière. Il a mis l’accent sur l’aspect linguistique de la question et il a cloué au pilori les manies et les tics linguistiques de la petite et moyenne bourgeoisie italienne (midcult) mais aussi la bêtise humaine qui en est le pendant anthropologique. Des livres comme Fantasmi italiani, In questo stato, Un paese senza mais aussi maints de ses reportages de voyage dans des pays exotiques (écrits de la fin des années soixante-dix à la fin des années quatre-vingt-dix) établissent une forme artistique de déconstruction de la culture italienne dans ses dispositions et conséquences les plus négatives. Arbasino a été un maître dans cette forme d’expression littéraire.

Alberto Arbasino was the leading interpreter of Italian “low life” in the 1980s, as well as its chronicler. After the decline of political activism of 1968 and of most of the 1970s, the new decade was characterised by a series of phenomena that threatened the cultural and political setup of the country. These are the years of the yuppy phenomenon, which Arbasino described as a comforting and comfortable lifestyle, of a get-rich-quick attitude, and of the widespread corruption and triumphant vulgarity of the nouveaux riches. This culture has been described by Arbasino in an exemplary manner stressing the linguistic aspects of the question and mocking the behaviour and mannerisms of the Italian lower-middle and middle classes, and the boorishness that were their anthropological counterpart. The Italy of Craxi’s “decisitionist” politics, and that of Berlusconi’s later, are derided and deconstructed in books such as Fantasmi italiani, In questo Stato, Un paese senza, and in the travel reportages from exotic countries, written from the late seventies to the nineties. Arbasino was a master of this type of literary expression.

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INDICE

Parole chiave : Alberto Arbasino, Fantasmi italiani, In questo stato, la vita bassa, reportages, Un paese senza, yuppismo Mots-clés : Alberto Arbasino, années quatre-vingt, Fantasmi italiani, In questo stato, la vita bassa, reportage, Un paese senza Keywords : Alberto Arbasino, Fantasmi italiani, In questo stato, low life, reportages, Un paese senza, yuppie phenomenon

AUTORE

GIUSEPPE PANELLA Scuola normale di Pisa

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L’olivo e l’olivastro de Vincenzo Consolo : pour une odysée du désastre L’olivo e l’olivastro di Vincenzo Consolo: per un’odissea del disastro Vincenzo Consolo’s novel L’olivo e l’olivastro: an odyssey of disaster

Lise Bossi

Sulla scena ci sembra sia rimasto solo il coro che in tono alto, poetico, in una lingua non più comunicabile, commenta e lamenta la tragedia senza soluzione, il dolore senza catarsi1.

1 Publié en 1994, L’olivo e l’olivastro de Vincenzo Consolo 2 reconstitue les étapes d’une nouvelle Odyssée, entendue à la fois comme voyage de retour, comme nostos dans l’espace réel, et comme voyage fantastique dans l’espace de la littérature et de la poésie, pour l’un de « ceux qui sont nés par hasard dans l’île aux trois angles » (OO, p. 22). Mais cette Odyssée, largement autobiographique, rêvée initialement comme un retour vers une sicilienne Ithaque d’affection et de mémoire, se transforme bientôt en un voyage dans le désastre qui s’est consommé pendant cette époque atroce qu’a été, pour la Sicile comme pour l’Italie tout entière, la période des années quatre-vingt.

2 Et nous sommes conviés à suivre le voyageur, à travers « une île perdue, une Ithaque damnée » (OO, p. 80), où tout ce qui subsiste de ce qu’il a connu et aimé est conservé par des érudits et des poètes, qui combattent les prétendants à coup de chantiers de fouilles et de mots écrits noir sur noir, ou par des sortes de gardiens de cimetières verghiens qui ont arrêté le temps en régressant vers une illusoire Troie retrouvée (p. 53).

3 C’est justement cette Troie, « lieu de pure existence, de simple hasard » (OO, p. 49), celle du fallacieux âge d’or à laquelle s’accrochent les Malavoglia, que le narrateur a voulu fuir lorsqu’il a quitté la Sicile à la fin des années soixante pour aller vers ce qu’il appelle les lieux de l’histoire. Vers Palerme, d’abord, « le lieu où se croisent les cultures et les idiomes les plus divers » (p. 123) ; puis, lorsqu’il a eu le sentiment que toute la Sicile n’était plus qu’un désert historique et social, vers Milan, « dans un contexte urbain

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dont il ne possédait ni la mémoire, ni le langage » (SIM, p. 1763). Et lorsque Milan est devenu l’emblème de « la triste, aliénée et féroce nouvelle Italie du massacre de la mémoire, de l’identité, de la décence et de la civilisation, l’Italie corrompue, barbare, de la mise à sac, des spéculations, de la mafia, des attentats, de la drogue, des voitures, du football, de la télévision et des lotos, du tapage et des poisons » (OO, p. 71), alors, celui qui écrit a eu le désir de réduire la fracture qui déchirait sa vie en accomplissant une sorte de « voyage pénitentiel » (p. 20) afin de revenir, après plus de vingt ans, au point de départ (p. 120).

4 À ceci près qu’il ne s’agit pas, pour « l’éternel Ulysse, le voyageur errant à travers l’île qui fut autrefois son Ithaque » (OO, p. 141), de se laisser réabsorber « par cette nature et cette histoire suspendues, par cette ensorcelante immobilité » (p. 122) qu’il a quittées jadis en se bornant à constater, sur le mode nostalgique et plaintif, qu’il ne retrouve que quelques vestiges de la Sicile qu’il a aimée. Il s’agit d’abord et surtout d’affronter « les ennemis réels, les ennemis historiques qui se sont installés dans sa maison » (p. 20), en dénonçant ce qu’ils ont fait de son Ithaque et, métaphoriquement4, de toute l’Italie, au cours des deux dernières décennies, celles des années soixante-dix et quatre- vingt.

5 Pour cette double tâche d’évocation et de dénonciation, Consolo fait un choix poétique difficile car il prend consciemment le risque mortel « de sortir du récit, de nier la fiction » (OO, p. 77), contrairement à certains de ses compatriotes, tel son ami Sciascia en particulier, qui ont cru pouvoir se servir des instruments de la littérature de masse pour dénoncer les dérives de la société dont la littérature de masse est le produit5. Il choisit en outre, comme un autre Ulysse sicilien, comme Verga, d’inventer une langue. Mais, alors que la langue de Verga « a comme imprimé le positif italien sur un négatif lexical et syntaxique dialectal » (DQDF, p. 119), celle de Consolo est prise dans l’épaisseur de toutes les langues de toutes les cultures qui se sont succédées et imbriquées dans l’île, pour mieux en dire et en préserver la réalité, au risque d’être, comme Verga, « détesté à cause de sa langue extrême » (OO, p. 58) et de devoir un jour se réfugier dans la solitude, dans l’aphasie, ce qui signifierait, ce qui signifie peut-être déjà, que les monstres ne sont plus des fruits du sommeil ou du remords mais « de vraies menaces, des catastrophes réelles et imminentes » (p. 58).

6 Ce n’est donc pas la thématique existentielle de l’exil et du retour qui justifie, à elle seule, la référence constamment explicite au voyage initiatique et expiatoire d’Ulysse, c’est aussi que l’Odyssée est d’abord et avant tout un poème et que Consolo entend, dans le droit fil de l’expérimentation littéraire qu’il conduit depuis des années déjà6, défendre et illustrer un nouvel épos et un nouveau logos, tissés, comme la toile de Pénélope, avec tous les fils de la mémoire rassemblés pour résister aux usurpateurs et à leurs créatures monstrueuses.

7 « Ora non può narrare7 ». Tels sont les mots qui ouvrent un texte qui refuse effectivement la linéarité du récit, son développement sur un axe temporel unique et la hiérarchie qui régit les rapports entre le narrateur et ceux qui devraient rester des personnages, entre sa voix dominante et leurs voix secondaires.

8 À une seule exception près, à laquelle nous reviendrons, celui qui écrit le fait à la troisième personne, en se définissant justement comme « celui qui écrit » (OO, p. 77) ou comme le voyageur. Un voyageur écrivant dont l’existence pourrait relier, et relie parfois, anecdotiquement, les fragments de ce qui ne peut pas et ne veut pas devenir un récit, pour la bonne raison que son voyage personnel dans l’espace circonscrit de l’île

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est aussi un voyage à travers d’autres vies et dans d’autres temps, voire dans le non-lieu et le non-temps, dans l’utopie et l’uchronie littéraires.

9 L’ouvrage est en effet conçu comme une succession de tranches de vie que chacun de ceux qui les ont vécues vient exposer tour à tour. Beaucoup d’entre elles sont issues de la réalité, qu’il s’agisse de la vie ordinaire des émigrants anonymes poussés par les caprices de la nature ou par la misère à quitter une terre ébranlée par les tremblements de terre et ravagée par les éruptions volcaniques ou saignée par la corruption et les exactions mafieuses ; ou bien qu’il s’agisse de la vie, dédoublée ou redoublée par leurs œuvres, d’artistes et d’écrivains emblématiques : Antonello da Messina (OO, p. 10) et le Caravage dont les tableaux proposent des paysages d’amour et de mémoire sur lesquels plane déjà l’ombre de la corruption et de la mort (p. 86-97) ; mais aussi Verga, qui a vécu l’exil et le retour « in un’isola che non era l’Itaca dell’infanzia, la Trezza della memoria, ma la Catania pietrosa e inospitale, emblema d’ogni luogo fermo o imbarbarito, che mai lo riconobbe come l’esule che torna, come il figlio » (p. 58) et Sciascia, à qui Vittorini avait prédit qu’il serait emprisonné dans la forme de celui qui reste en Sicile (p. 16). Ou encore Pirandello qui pensait, au début du siècle dernier, que « quel presente burrascoso e incerto […], ebbro d’eloquio osceno, poteva essere rappresentato solo col sorriso desolato, con l’umorismo straziante, con la parola che incalza e che tortura, la rottura delle forme, della struttura » (p. 67).

10 Et c’est bien parce que Consolo est convaincu de vivre, lui aussi, un présent tempétueux qu’il rompt à son tour les structures du récit en intercalant entre ces tranches de vie, et en résonance avec elles, des moments de sa propre vie, mais aussi des tranches de vie empruntées à ces œuvres et à ces textes littéraires, sous forme d’évocations presque incantatoires ou de citations ; en entremêlant aux passages de l’Odyssée, origine de toutes les odyssées du monde, des fragments de I Malavoglia, par exemple, parce que même si « la “casa del nespolo” n’a jamais existé […] les personnages, les personnes, les Malavoglia de toutes les Trezza du monde ont existé » (OO, p. 50).

11 Tous ces fragments d’être, capturés dans toutes les époques et tous les milieux, habitent et animent chaque lieu visité par le voyageur. Toutes ces voix se mêlent dans une polyphonie où chaque personnage de la nouvelle épopée, du nouvel épos qui nous est proposé, peut se faire entendre et continuer à exister dans une sorte d’éternel présent qui est celui de la mémoire personnelle et littéraire. Et celui qui écrit peut dire qu’il est à la fois « l’astuto inventore degli inganni, il guerriero spietato, l’ambiguo indovino, il re privato dell’onore, il folle massacratore degli armenti […], l’assassino di […] sua figlia » (OO , p. 1) ; il peut dire la peine de Maruzza qui, « madre ammantata, immobile avanti al mare, ai marosi, priva di lacrime, lamento, parola […], si porta le mani nei capelli, urla nera nel cuore (p. 47) ; il peut dire qu’il est né à Gibellina et « ha lasciato nelle baracche la madre e la sorella […]. La sorella più non parla, sì e no con la testa è il massimo che dice » (p. 9-10). Ainsi, coryphée à la voix plurielle, il redonne une voix à chacun des membres de cette humanité multiple, littéraire ou réelle, pour que les hommes du temps présent les entendent et se souviennent d’eux.

12 C’est pourquoi il ne veut pas être seulement un nouvel Ulysse qui en racontant « diventa l’aedo e il poema, il cantore e il canto, il narrante e il narrato, l’artefice e il giudice […], l’inventore di ogni fola, menzogna, l’espositore impudico e coatto d’ogni suo terrore, delitto, rimorso » (OO, p. 19). Car, tel Ulysse avec son bagage de remords et de peine, il a atteint « le point le plus bas de l’impuissance humaine, de la vulnérabilité » et il va devoir choisir entre « la perte de soi, l’anéantissement dans la nature et le salut au sein d’une

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société, d’une culture » (p. 17-18), entre l’oléastre et l’olivier. Car, comme l’inventeur du « monstre technologique » (p. 20), qui du meilleur peut faire le pire, de l’instrument de la victoire l’instrument du désastre, du progrès la barbarie, il fait lui aussi partie de cette humanité ambiguë dont Ulysse, le plus humain des héros grecs, est le plus parfait représentant.

13 C’est justement contre ce désastre et cette barbarie dont il découvre les plaies à chaque étape de son périple autour de l’île que le voyageur Consolo, devenu bâtisseur d’épopée, a voulu dresser le rempart de toutes les vies et de toutes les voix stratifiées qu’il a convoquées dans son Odyssée moderne, un fragment après l’autre, un mot après l’autre. Un rempart à l’image de l’histoire de la Sicile, condamnée par la géographie à subir l’histoire8, et qui a connu au cours des siècles une infinité de maux, qu’il s’agisse des tremblements de terre ou des éruptions de l’Etna, des rivalités entre colonies voisines ou des invasions constantes, mais dont les villes détruites par les secousses ou les coulées de lave ont été relevées, à l’instar de Catane dont les habitants sont revenus « a ricostruire mura, rialzare colonne, portali, recuperare torsi, rilievi, mescolando epoche, stili, epigrafi, idoli, in una babele, in una sfida spavalda e irridente » (OO, p. 57). Et Syracuse a su devenir, malgré les invasions ou grâce à elles, « la molteplice città, di cinque nomi, d’antico fasto, di potenza, d’ineguagliabile bellezza, di re sapienti e di tiranni ciechi, di lunghe paci e rovinose guerre, di barbarici assalti e di saccheggi: in Siracusa è scritta come in ogni città d’antica gloria, la storia dell’umana civiltà e del suo tramonto » (p. 83-84).

14 Et c’est justement à Syracuse que celui qui écrit mesure l’abîme qui sépare la ville de ses souvenirs, l’île où, « voyageur solitaire le long d’un itinéraire de connaissance et d’amour, par les sentiers de l’Histoire, il vagabonda pendant un lointain été » (OO, p. 143), et la ville présente, l’île damnée, métaphore de l’Italie fascisante des années quatre-vingt (p. 140). C’est de part et d’autre de l’omphalos d’Ortygie que les deux réalités, la passée et la présente, se distinguent l’une de l’autre, c’est « dans l’espace en forme d’œil, dans la pupille de la nymphe, sur la place où règne la maîtresse de la lumière et de la vue » (p. 83), que, à l’instar du Caravage sur le visage de son page, le coryphée voit, comme dans un miroir déformant, fleurir « la vermeille, la noire tache de la peste, de la corruption et de la fin » (p. 92).

15 Bien sûr le voyageur pourrait, au risque de se comporter comme « un presbite di mente che guarda al remoto ormai perduto, si ritrae in continuo dal presente, sciogliere un canto di nostalgia d’emigrato a questa città della memoria sua e collettiva, a questa patria d’ognuno ch’è Siracusa, ognuno che conserva cognizione dell’umano, della civiltà più vera, della cultura » (OO, p. 84). Mais il ne veut pas de ce repli sur un hypothétique âge d’or : « Odia ora. Odia la sua isola terribile, barbarica, la sua terra di massacro » (p. 105). Car désormais, non seulement ce que les caprices de la nature détruisent n’est plus reconstruit mais, de surcroît, la spéculation immobilière et l’industrialisation sauvage achèvent de faire disparaître, en les recouvrant d’une dernière strate mortifère, les témoignages d’une culture millénaire et les beautés d’un patrimoine naturel incomparable. Comme à Augusta « che gli appare nella luce cinerea, nella tristezza di un’Ilio espugnata e distrutta, nella consunzione dell’abbandono, nell’avvelenamento di cielo, mare, suolo » (p. 34). Comme à Milazzo où « sulla piana dove pascolavano gli armenti del Sole, dove si coltivava il gelsomino, è sorta una vasta e fitta città di silos, di tralicci, di ciminiere che perennamente vomitano fiamme e fumo » (p. 28). Et le cancer qui ronge les lieux se propage et corrompt aussi les habitants (p. 117). Comme à Gela où est née non seulement la ville « dell’edilizia selvaggia e abusiva, delle case di mattoni e tondini lebbrosi in mezzo al fango e all’immondizia di quartieri incatastati, di strade

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innominate, la Gela dal mare grasso d’oli, dai frangiflutti di cemento [ma anche] la Gela della perdita d’ogni memoria e senso, del gelo della mente e dell’afasia » (p. 79). Comme à Avola dont la place géométrique et lumineuse est vuota, deserta, sfollata come per epidemia o guerra, rotta nel silenzio dal rombare delle motociclette che l’attraversano nel centro per le sue strade ortogonali, occupata […] da mucchi di giovani […] che fumano, muti e vacui fissano la vacuità della piazza come in attesa di qualcuno, di qualcosa che li salvi. O li uccida. Cosa è successo in questa vasta solare piazza d’Avola? Cos’è successo nella piazza di Nicosia, Scicli, Ispica, Modica, Noto, Palazzolo, Ferla, Floridia, Ibla? Cos’è successo in tutte le belle piazze di Sicilia, nelle piazze di quest’Italia d’assenza, ansia, di nuovo metafisiche, invase dalla notte, dalle nebbie, dai lucori elettronici dei video della morte? (OO, p. 112) Cos’è successo, dio mio, cos’è successo a Gela, nell’isola, nel paese in questo atroce tempo? Cos’è successo a colui che qui scrive, complice a sua volta o inconsapevole assasssino? Cos’è successo a te che stai leggendo? (OO, p. 81)

16 Que s’est-il passé, effectivement, pour que celui qui écrit se prenne lui-même à partie dans une sorte de dédoublement où sa voix semble se dissocier de sa plume et lance ce « Dio mio » qui n’est pas une exclamation vide de sens mais un véritable cri de douleur ; un cri de douleur à travers lequel Consolo, car c’est bien de lui qu’il s’agit ici, trahit, pour la seule et unique fois tout au long de cette Odyssée polyphonique, l’engagement qu’il s’est fixé de n’être que le porte-voix et le porte-plume, de ne jamais dire, contrairement à Pausanias, « Io sono il messaggero, l’anghelos, sono il vostro medium, a me è affidato il dovere del racconto: conosco i nessi, la sintassi, le ambiguità, le malizie della prosa, del linguaggio » (OO, p. 39). Pausanias qui représente, dans le texte de Consolo, les Proci, les prétendants de la naissante littérature postmoderne qui se font les complices, à moins qu’ils n’en soient les fauteurs, de l’assassinat de la culture et de la mémoire par le pouvoir politico-médiatique déjà tout-puissant depuis un certain décret de 1983. Pausanias à qui Empédocle, dont Consolo reprend à son compte l’approche sensorielle et poétique de la connaissance et la philosophie du savoir révélé par le logos, rétorque : Che menzogna, che recita, che insopportabile linguaggio! È proprio il degno figlio di quest’orrendo tempo, di questo abominevole contesto, di questo gran teatro compromesso, di quest’era soddisfatta, di questa società compatta, priva di tradimento, d’eresia, priva di poesia. Figlio di questo mondo degli avvisi, del messaggio tondo, dei segni fitti del vuoto. (OO, p. 40)

17 Que s’est-il passé pour que, après avoir engagé directement sa responsabilité en tant qu’écrivant, celui qui écrit apostrophe ainsi le lecteur et l’accuse d’être le complice de l’assassinat du logos par les Proci de la littérature de masse ?

18 Peut-être la réponse se trouve-t-elle dans ce qu’ils ont tous en commun : le langage, l’écriture, les mots en somme ?

19 Peut-être tout cela a-t-il commencé dans les mots, par les mots ?

20 C’est en tout cas ce que Consolo entend démontrer, comme Sciascia l’avait fait, en 1978, à l’occasion de sa magistrale enquête philologique sur les documents relatifs à l’Affaire Moro9. Une enquête où il donnait raison à Pasolini qui, dans son célèbre article de 1975, dit “l’article des lucioles”, affirmait déjà que « comme toujours, ce n’est que dans la langue que sont apparus les premiers symptômes ». « Les symptômes, commente Sciascia, de la course vers le vide de ce pouvoir démocrate-chrétien qui avait été, jusqu’à dix ans auparavant, la continuation pure et simple du régime fasciste » (AM, p. 15).

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21 Les mêmes symptômes s’étaient justement manifestés dans les années qui avaient précédé la montée du fascisme, et la transformation du langage en gesticulation oratoire, en rhétorique patriotarde10, avait déjà été un signe avant-coureur, une préfiguration de la corruption du corps social et de la vie publique par la peste fasciste. Alors, la langue que Verga avait forgée pour son poème narratif, son « épopée populaire » (OO, p. 48), s’était abîmée dans « la retorica sicilianista, l’equivoco, l’alibi regressivo e dialettale dei mafiosi, dei baroni e dei poetastri » (p. 77), ou s’était perdue dans l’aphasie et le silence, devant « l’eloquio vano, prezioso e abbagliante di D’Annunzio, […] i giochi spacconi e insensati dei futuristi » (p. 59).

22 De la même façon, les malheurs de Gela ont commencé lorsque, au lieu d’encourager, après l’unanimisme fasciste, ce qui aurait pu être un nouveau Risorgimento culturel et linguistique, la plupart des intellectuels italiens, pour des raisons largement idéologiques, ont préféré, comme Visconti, tourner des films tels que La terra trema, où « la lingua inventata da Verga regrediva in dialetto, in suono incomprensivo, in murmure di fondo » (OO, p. 50) ou bien considérer, comme Vittorini, que la découverte de pétrole dans les tombes grecques et les citernes sarrasines de ce petit village de pêcheurs et la naissance de Gela 1, Gela 2, Gela 3 et de la Gulf Italia Company méritaient d’être célébrées à grand renfort de « volenterosa poesia, retorica industriale, lombarda e progressiva » (p. 78).

23 Le résultat de ces choix esthétiques et politiques, dont Consolo n’exclut pas, comme on l’a vu, que lui-même et le lecteur aient pu être les complices, s’affichent sur le visage de la Gela des années quatre-vingt et la misère culturelle et morale dans laquelle vivent ses habitants se reflète dans le spectacle de désolation qu’elle offre au voyageur. La misère des plus jeunes, en particulier, qui n’ont eu pour seuls repères que ceux qui leur ont été fournis par « la furbastra e volgare letteratura sulla degradazione e la marginalità sociale, sul male di Gela, di Licata, di Palma di Montecchiaro, di Canicattì o di Palermo servito in serials televisivi, in Piovra 1, Piovra 2, Piovra 3 [e nei] libri di vuote chiacchiere, di stanca ecolalia sui mali di Sicilia » (OO, p. 80). Quant à ceux qui n’ont même plus ces repères-là, il ne leur reste que « il linguaggio turpe della siringa e del coltello, della marmitta fragorosa e del tritolo » (p. 79).

24 Si, effectivement, tout s’est d’abord joué dans la langue du fait d’une funeste trahison des clercs, Consolo semble penser que ce n’est qu’avec la langue que l’on peut reconstruire ce que la langue du non-dire politique et la non-langue de la culture de masse ont détruit11.

25 Et pour qu’on ne puisse pas dire de tous les villages de Sicile, de tous les villages d’Italie, ce que, à la fin des années quatre-vingt, il dit d’Acitrezza qui n’est plus que « morte dell’anima, sigillo d’ogni pianto, arresto del canto, fine del poema, turbinio di parole, suoni privi di senso » (OO, p. 49), il proclame que Trova solo senso il dire o ridire il male, nel mondo invaso in ogni piega e piaga dal diluvio melmoso e indifferente di parole atone e consunte, con parole antiche o nuove, con diverso accento, di diverso cuore, intelligenza. Dirlo nel greco d’Eschilo, in un volgare vergine come quello di Giacomo o di Cielo o nella lingua pietrosa e aspra d’Acitrezza. (OO, p. 77)

26 Il ne s’agit pas là d’une simple déclaration de poétique mais d’une véritable déclaration de guerre contre la langue corruptrice du pouvoir, dénoncée précédemment par Pasolini et Sciascia, de la même façon que le refus du récit était une déclaration de guerre contre la pensée unique incarnée par le tout-puissant narrateur, le roman étant le genre littéraire le plus menacé par l’une et par l’autre car, « dès lors qu’il doit

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nécessairement contenir une valeur communicative, il risque d’être envahi par la communication du pouvoir, il risque d’être entièrement possédé par sa langue » (DQDF, p. 235).

27 Pour ne pas être possédé par la langue uniformisante de ce pouvoir destructeur de culture et de mémoire dont la disparition des lucioles marque métaphoriquement la naissance, par la langue de la nouvelle société de masse, Consolo entend donc, comme Verga autrefois, inventer un nouveau logos, capable d’aller au-delà de l’idéologie dominante, au-delà de la signification historique et politique, « dans le sens d’une condition humaine générale et éternelle. Un langage qui, en allant de la communication vers l’expression, rejoint donc la poésie » (DQDF, p. 229 et p. 282).

28 De fait, à l’instar de la construction polyphonique qu’il a élaborée en atomisant le récit en une succession horizontale de tranches de vie qui trouvent leur cohérence dans les rapports psychologiques et physiques qui lient les uns aux autres ceux qui les ont vécues et les relient aux lieux où ils ont vécu, Consolo forge une langue multiple en creusant verticalement dans l’épaisseur des stratifications linguistico-culturelles accumulées dans le creuset sicilien. Ainsi, dans le même paragraphe et parfois dans la même phrase, se succèdent des mots d’autrefois et des mots d’aujourd’hui, des mots d’ici et des mots d’ailleurs, dans une infinité de combinaisons qui permet à la fois de capturer au mieux la vraie réalité et d’échapper aux tentatives de récupération par la langue plate et vide du discours dominant, grâce à un “mistilinguisme” que nous avons analysé de façon plus systématique dans d’autres travaux12 et dont les citations que nous donnons ici en langue originale donnent un aperçu.

29 Cependant, cette langue hybride, ce cheval qui recèle dans ses flancs les troupes bigarrées de toutes les langues du bassin méditerranéen à travers les âges et qui est destiné à faire tomber la nouvelle Troie de la kermesse médiatico-littéraire afin qu’Ulysse-Consolo puisse rentrer dans une Ithaque débarrassée des usurpateurs, n’est- elle pas l’un de ses monstres artificiels capables de réveiller les vrais monstres que l’on voit lorsqu’on s’approche de Gela, de vrais monstres à la double nature, issus eux aussi de strates multiples, capables eux aussi de tromper sur leurs origines et leurs fins, et qui ressemblent à s’y méprendre aux Cyclopes et aux Lestrygons qui entravèrent jadis le retour d’Ulysse et annoncèrent naguère le fascisme ? Sono ancora lì sparsi i fortini, le casematte della difesa costiera, sembrano, affioranti dalle dune, dai macconi, bianchi di fresca scialbatura, le coperture a calotta, i neri occhi delle feritoie, le teste di giganti, d’arcaici guerrieri che stanno per risorgere o mostri, robot di calcestruzzo, che emergono da ipogei, caserme sotterrranee, avanzano, marciano, distruggono […] Più avanti, nella vasta landa saudita, sono le teste d’ariete, i lunghi colli delle pompe che vanno su e giù come in un movimento vano e inarrestabile, gli astratti metafisici ingranggi di cui nessuno sa l’origine e il fine. Qui è il teatro dell’abbaglio e dell’inganno, del petrolio favoloso […] qui il Gela 1, Gela 2, Gela 3 [che] accesero Mattei di forza e di speranza, lo spinsero alla sfida dell’ENI statuale al duro capitalismo dei privati, al Gulf Italia Company, alla Montecatini […], posero sopra le facce malariche dei contadini i bianchi caschi di plastica operaia. Da quei pozzi, da quelle ciminiere sopra templi e necropoli, da quei sottosuoli d’ammassi di madrepore e di ossa, di tufi scanalati, cocci dipinti, dall’acropoli sul colle difesa da muraglie, dalla spiaggia aperta a ogni sbarco, dal secco paese povero e obliato partì il terremoto, lo sconvolgimento, partì l’inferno d’oggi (OO, p. 78-79).

30 Comme l’auraient dit Manzoni, et Sciascia après lui, ainsi allaient les choses en 1994.

31 Pour avoir trop bien manipulé la technique de ce sous-produit littéraire de la culture de masse qu’était le roman policier dans les années soixante-dix, Sciascia, justement, avait

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été accusé d’avoir, avec ces préfigurations que sont Il contesto et Todo modo, provoqué en quelque sorte « l’affaire Moro » alors même que son but était de dénoncer les énigmatiques corrélations dont Moro a été l’acteur et la victime, ainsi que le langage du non-dire qu’il a si bien su utiliser et qui l’a ensuite empêché de se faire comprendre13. Mais depuis, le roman policier et sa structure sont devenus une sorte de schéma narratif unique utilisé non seulement par ceux qui veulent, à la suite de Sciascia, dénoncer les dérives du pouvoir politico-médiatique14, mais aussi et surtout par les suppôts de ce même pouvoir dont les ouvrages produits à la chaîne étouffent et excluent toute tentative de subversion et se bornent à entretenir les peurs ataviques et les comportements paranoïaques que le pouvoir a toujours su utiliser à son profit.

32 De la même façon, alors que Consolo espérait encore, à la fin des années quatre-vingt, pouvoir opposer au déferlement de la communication standardisée, son épos à la structure polyphonique, composée de tout le substrat mythopoétique méditerranéen, et son nouveau logos, sa langue plurielle, faite de toutes les langues d’histoire et de mémoire fondues dans le creuset sicilien, ses tentatives et celles de ceux qui, comme lui, s’efforçaient de faire entendre des voix marginales, ont été noyées dans un multiculturalisme et un communautarisme institutionnels grâce auxquels ces voix ont été récupérées et canalisées.

33 En démultipliant et en divisant ainsi les enracinements culturels au nom d’une diversité de façade, les serviteurs du pouvoir ont réussi à affaiblir les racines de l’olivier dans lequel Ulysse avait taillé sa couche nuptiale, qui est aussi le berceau de toute notre civilisation, et, par myopie ou de propos idéologique délibéré, à ne préserver que cette partie du tronc sur laquelle prospère l’oléastre, l’olivier sauvage.

34 Encore quelques années et la langue de Consolo, dont la complexité sémantique et la richesse lexicale défient déjà la traduction, sera devenue incompréhensible pour la plus grande partie de ses compatriotes ; encore quelques années et plus personne ne saura pourquoi Ulysse voulait tant revenir à Ithaque. Et alors, qui dira le mal et dans quelle langue ?

NOTES

1. La citation en exergue est extraite de Di qua dal faro, Milan, Mondadori, 1999, p. 262. 2. V. Consolo, L’olivo e l’olivastro, Milan, Mondadori, 1994 ; ci-après, OO. La pagination renvoie à l’édition de poche : V. Consolo, L’olivo e l’olivastro, Oscar Scrittori del Novecento, Milan, Mondadori, 1999. 3. V. Consolo, Il sorriso dell’ignoto marinaio, Turin, Einaudi, 1976 ; ci-après, SIM. Ce texte sera à nouveau publié avec une postface intitulée : « nota dell’autore, vent’anni dopo », Milan, Mondadori, 1997. La pagination renvoie à l’édition de poche : V. Consolo, Il sorriso dell’ignoto marinaio, Oscar Scrittori del Novecento, Milan, Mondadori, 2002. Le texte de la postface que nous citons ici et auquel nous reviendrons plus loin est paru aussi dans Vincenzo Consolo, Di qua dal faro, ouvr. cité ; ci-après, DQDF. La pagination renvoie à l’édition de poche : V. Consolo, Di qua dal faro, Oscar Scrittori del Novecento, Milan, Mondadori, 2001.

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4. Outre que par Consolo, le fait que la Sicile et la situation sicilienne soient devenues une métaphore de ce qui se passe dans l’Italie tout entière après la seconde guerre mondiale et la trahison des idéaux de la Résistance, est illustré par Sciascia, en particulier dans son ouvrage intitulé la Sicilia come metafora, Milan, Mondadori, 1979, ouvrage qui présente la caractéristique très significative d’avoir été d’abord publié en France sous le titre La Sicile comme métaphore, conversations en italien avec Marcelle Padovani, Paris, Stock, 1979. 5. Nous faisons en particulier allusion ici aux quatre grands romans où Sciascia a utilisé, en les subvertissant, les règles et les modalités narratives du genre policier pour dénoncer la subversion de l’État de droit par les représentants de l’État ; romans que l’on peut donc considérer comme les ouvrages fondateurs de ce que l’on appelle aujourd’hui “il noir mediterraneo” ou “noir d’inchiesta” : Il giorno della civetta, Turin, Einaudi, 1961 ; A ciascuno il suo, Turin, Einaudi, 1966 ; Il contesto, Turin, Einaudi, 1971 ; Todo modo, Turin, Einaudi, 1974 ; auxquels on peut ajouter son tout dernier roman : Una storia semplice, Milan, Adelphi, 1989. 6. Outre que dans la postface à Il sorriso dell’ignoto marinaio précédemment citée, Consolo développe les axes principaux de sa poétique plurilingue et multiculturelle dans un certain nombre des articles du recueil Di qua dal faro ; particulièrement dans la section « Sicilia e oltre », p. 211-248. 7. Dans cette partie de notre étude, consacrée à l’écriture et à la langue de Consolo, nous avons choisi de conserver le texte original pour certaines citations particulièrement représentatives du rythme et du caractère “mistilingue” de sa prose. 8. Expression empruntée à L. Sciascia, Cruciverba, Turin, Einaudi, 1983, p. 176. 9. L. Sciascia, L’affaire Moro, Palermo, Sellerio, 1978 ; ci-après AM. 10. Sciascia avait analysé les raisons politiques et sociologiques de ce qu’il considérait, déjà, comme une dérive irréversible de la langue et de la littérature vers la confusion et le vide dans 1912 + 1, Milan, Adelphi, 1986, p. 13-16. 11. À propos de la langue du non-dire inventée par les hommes politiques italiens à l’aube des années quatre-vingt, voir la réflexion de Sciascia dans L’affaire Moro, explicitement énoncée p. 15-16 et développée tout au long de son enquête sur les documents de l’enquête. Quant à la non-langue de la culture de masse ici dénoncée, elle fait l’objet d’une analyse critique plus approfondie de la part de Consolo dans la dernière section de Di qua dal faro intitulée Parole come pietre. 12. Voir, en particulier, L. Bossi, La voix de la Sicile, entre idiolecte et mistilinguisme (actes du colloque international « Les enjeux du plurilinguisme dans la littérature italienne », CIRILLIS de l’université de Toulouse-Le Mirail, 11-13 mai 2006). Collection de l’ECRIT, CIRILLIS/IL LABORATORIO, Presses de l’université de Toulouse-Le Mirail, 2007. Ead., De Verga à Camilleri : entre sicilitude et sicilianité, les auteurs siciliens font-ils du genre ? (actes du Séminaire « Identité(s), langage et modes de pensée », CERCLI de l’université de Saint-Étienne, 7 novembre 2003), dans Identité, langage(s) et modes de pensée, études réunies par Agnès Morini, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2004. 13. Voir AM, p. 16 et p. 27. Consolo a lui-même fait une analyse des choix narratifs de Sciascia dans la section de Di qua dal faro intitulée Intorno a Leonardo Sciascia, p. 185-208, dans laquelle on lira avec profit les articles Letteratura e potere et Le epigrafi, en particulier p. 199. 14. Massimo Carlotto ou le collectif Wu Ming, entre autres représentants du genre noir d’inchiesta, exploitent aujourd’hui cette veine et se substituent aux journalistes et aux historiens défaillants.

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RÉSUMÉS

Ayant constaté qu’il existe une étroite corrélation entre, d’une part, la destruction systématique, par le pouvoir en place dans les années quatre-vingts, de la langue, de la culture, de la mémoire et des valeurs qui constituent le socle de la civilisation italienne dont sa Sicile natale est l’un des principaux berceaux et, d’autre part, la nouvelle toute-puissance de la communication du pouvoir qui s’exprime à travers la continuité et l’uniformité trompeuses du discours dominant, Vincenzo Consolo nous offre, dans son ouvrage L’Olivo e l’olivastro, une Odyssée pénitentielle et réparatrice pour laquelle il invente un nouvel épos à la structure fragmentée et polyphonique et un nouveau logos “mistilingue” forgé dans le séculaire creuset culturel sicilien. Après avoir présenté et analysé la mise en œuvre de cette poétique de combat, on s’interroge, dans le présent article, sur son efficacité face à l’offensive des monstres toujours bien vivants qui ont été créés dans les années quatre-vingt.

Individuata la stretta correlazione tra la distruzione sistematica, da parte del potere vigente negli anni ’80, della lingua, della cultura, della memoria e dei valori che costituiscono lo zoccolo della civiltà italiana di cui la sua Sicilia natia è una tra le culle principali e, contemporaneamente, la nuova onnipotenza della comunicazione del potere che si esprime attraverso la fallace continuità e uniformità del discorso dominante, Vincenzo Consolo ci offre, con L’olivo e l’olivastro, un’Odissea penitenziale e riparatrice per la quale egli inventa un nuovo epos dalla struttura frammentata e polifonica e un nuovo logos mistilingue coniato nel secolare crogiolo culturale siciliano. Dopo la presentazione e l’analisi della messa in opera di tale poetica di combattimento, ci s’interroga nella presente relazione sulla sua efficacia di fronte all’offensiva dei mostri sempre vivi e attivi che sono stati creati negli anni ‘80.

In his book L’olivo e l’olivastro (1994) Vincenzo Consolo notes a close correlation between the government’s systematic destruction of the culture, memory and values which make up Italian civilisation (of which his native Sicily is one of its cradles), and the uniform discourse disseminated by the all-powerful government media. Consolo provides the reader with a penitential and restoring odyssey for which he has invented a new epos, whose structure is fragmented and polyphonic, and a new ‘mistilingual’ logos, wrought in the Sicilian cultural melting pot. After explaining how this “militant” poetics operates, the essay questions its effectiveness in combating the ever-present monsters that originated in the 1980s. Vincenzo Consolo, Sicily, narration, communication, plurilinguism/mistilinguism, polyphony, Odyssey, L’olivo e l’olivastro

INDEX

Mots-clés : Consolo, Sicile, narration, communication, plurilinguisme/multilinguisme, polyphonie, Odyssée, L’olivo e l’olivastro Parole chiave : Consolo, Sicilia, narrazione, comunicazione, plurilinguismo/multilinguismo, polifonia, Odissea, L’olivo e l’olivastro

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AUTEUR

LISE BOSSI Université Paris 4

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Stefano Benni : l’engagement d’un écrivain entre journalisme et littérature Stefano Benni: l’impegno di uno scrittore tra giornalismo e letteratura Stefano Benni: the political commitment of a writer between journalism and literature

Stefano Magni

1 Dans l’introduction au recueil d’articles de satire politique de Benni, Il ritorno del Benni furioso (1986), Severino Cesari cite le livre de l’auteur bolognais intitulé Comici Spaventati Guerrieri (1986). Il en fait une brève critique, mais surtout il invite à lire ce roman après avoir pris connaissance du recueil pour mieux comprendre le texte littéraire : « Poi, leggete Comici Spaventati Guerrieri, se ancora non l’avete fatto, e capirete1 ».

2 Les articles de Benni aideraient à mieux comprendre ses romans, et vice versa. Avec ma contribution, je vais essayer de démontrer que ses écrits journalistiques sont étroitement liés à sa production littéraire (romans, poèmes) et que cela revient à dire, avec un parallélisme logique, que la littérature de Benni entretient une relation très étroite avec la politique : en effet la forme journalistique renvoie continuellement à l’écriture littéraire, dans un rapport de réciprocité, où une écriture puise dans l’autre et vice versa. On pourra ainsi découvrir les visées idéologiques d’un écrivain qui a consacré son œuvre à l’engagement et à la critique de la société contemporaine.

3 Afin d’analyser cette complémentarité, je vais décrire dans un premier moment le journalisme de l’écrivain émilien, en particulier les articles des années 1970 et 1980 – en associant les deux décennies, car elles sont intimement liées – le confronter ensuite avec sa production littéraire, pour montrer enfin que la distinction entre les deux formes relève parfois purement du lieu de publication du texte, mais que la nature des textes est interchangeable et que le but est le même : montrer les absurdités et les contradictions sociales et politiques des années où il écrit.

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Le journalisme des années 1970 et 1980

4 On connaît Stefano Benni surtout pour ses romans. Mais il a écrit aussi des nouvelles, des pièces de théâtre, des poèmes et le scénario d’un film. De plus, l’écrivain émilien a pratiqué tout au long de sa carrière une intense activité de journaliste qui continue encore aujourd’hui. Il a publié des articles dans des quotidiens tels que Repubblica, Il foglio, Il manifesto ou dans des périodiques tels que Il mondo et Panorama. Certains de ces articles ont été réunis dans des recueils. À part Dottor Niù, publié en 2001, ceux dont nous allons parler concernent les années 1970 et 1980. Il s’agit de cinq recueils de satire politique suivant l’ordre chronologique : La tribù di Moro Seduto (1977) – publié avant l’affaire Moro – ; Non siamo stato noi2 (1978) ; Il Benni furioso (1979) ; Spettacoloso, (1981) ; Il ritorno del Benni furioso (1986).

5 Dans ces textes, on observe la force polémique de l’auteur. Benni, issu du milieu politique des années soixante-dix, a participé au mouvement culturel de la révolte. Il a contribué par exemple à l’expérience de Radio Alice, la « radio libre », symbole de la révolte des jeunes de 1977 à Bologne3. Ses idées politiques sont massivement présentes dans ses romans, surtout à travers la technique de la satire. Ce type de comique, comme le dit d’ailleurs Northrop Frye, « est une ironie militante qui a des normes morales claires4 ». Ayant suivi un parcours d’études philosophiques, un mélange de philosophie moderne et postmoderne caractérise sa formation culturelle. Il a été en particulier influencé par Foucault, l’un des représentants de la pensée postmoderne, mais aussi par différents penseurs modernes, notamment par Guy Debord et son expérience situationniste.

6 Le premier recueil, La tribù di Moro seduto, publié en 1977, présente des textes qui concernent les faits et les hommes politiques de l’époque et en particulier les grands sages de la DC : Moro, Andreotti, Fanfani, Zaccagnini, etc. On remarque que la satire qui les vise exploite les techniques de la fiction et que, chez Benni, cette pratique présente une continuité entre les années 1970 et les années 1980. Le journalisme fait donc un pas vers l’écriture fictionnelle, ce qui nous permet de constater que ces deux types d’écriture se rejoignent. Je cite comme exemple « Racchetta nera », l’article qui dans son titre évoque avec une évidente parodie la chanson du régime fasciste Faccetta nera. Ce texte a été écrit sous la forme d’une pièce de théâtre où les personnages politiques jouent un rôle dans la fiction : « Scena: un elegante circolo di tennis di Milano. Soci selezionati, fondo dei campi con disegno di Vuitton, raccattapalle somali. Sul campo centrale Arnaldo Forlani, Amintore Fanfani, Massimo De Carolis5 e Nicola Pietrangeli si preparano a una partita a doppio. Arriva di corsa il presidente del Coni Giulio Onesti6 ». À part la drôlerie du passage – due à la situation incongrue et au groupe saugrenu de personnes –, on peut constater que la satire des hommes politiques est faite par le biais d’une construction fictionnelle, soulignée par l’intrusion soudaine de Giulio Onesti qui nous plonge dans l’action à la manière d’un texte de théâtre : « Arriva di corsa il presidente del Coni Giulio Onesti ».

7 À côté de cette saynète, on trouve des récits en forme de fiction diégétique qui servent à stigmatiser les défauts de l’Italie. Le regard des martiens sur la terre en est un exemple. Dans l’article « Fanfani, il fungo marziano », un extraterrestre (sic) raconte l’étrangeté du système politique italien, unique dans la galaxie. Dans la synthèse qui met en scène le rapport fait au grand roi de sa planète, le bonhomme vert aux antennes dit : « La DC ha scoperto la formula del governo perpetuo. Perché peggio governa, e più è facile

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che prenda i voti. Perché governando male, rafforza il pericolo del comunismo, e quindi ha bisogno di essere rafforzata7 ». Par la suite, l’extraterrestre lui-même organise un parti politique de mauvais gouvernement sur notre planète en constatant qu’il charme un bon nombre d’électeurs. Dans ce recueil, on obtient ainsi la satire par le biais du théâtre et de la fiction.

8 Cette pratique littéraire se poursuit dans les articles suivants, où Benni exploite la fiction diégétique et théâtrale, ainsi que la poésie. Dans Non siamo stato noi (1978), il fait par exemple une parodie du poème Piove8, c’est-à-dire de la parodie que Montale a faite de La pioggia nel pineto, en passant aussi par l’original. Ce texte, qui a de fortes connotations politiques, reprend la satire politique et sociale du poète génois et nous confirme que la satire de Benni garde toujours un lien très étroit avec la littérature.

9 Si ces recueils appartiennent aux années 1970, dans Spettacoloso, édité en 1981, on trouve des articles parus entre 1978 et 1981. Ce n’est donc pas avec une séparation nette que l’on passe à la nouvelle décennie. C’est un premier élément pour comprendre qu’il n’y a pas de fracture rigoureuse dans la production satirique de Benni entre les années 1970 et les années 1980.

10 En revanche, dans les années 1980, Benni exploite de plus en plus une écriture « intermédiale » en utilisant davantage la forme du poème et de la chanson. Il fait cela toujours dans le but de transmettre un message idéologique fort, dans la lignée de la philosophie situationniste de Guy Debord. Spettacoloso naît d’ailleurs dans le sillage de la pensée du philosophe français. Son titre s’inspire du texte La société du spectacle de Debord, ouvrage qui est aussi paraphrasé dans le corps du texte : « La società dello spettacolo, si direbbe, non ha paura delle catastrofi, finché sa che potrà raccontarle » (SP 47). On y voit là une référence au début de l’ouvrage qui constitue aussi l’idée centrale du texte de Debord.

11 Dans Spettacoloso, l’auteur continue à lancer des attaques contre la politique contemporaine. Pour ce faire, il récupère les caractéristiques du récit fictif. C’est en effet cette forme qui prédomine et qu’on trouve exploitée selon différentes manières de mettre en scène, par exemple, des dialogues entre des personnages connus. Ceux-ci sont plongés dans des situations burlesques, comme dans la saynète où l’homme politique italien Berlinguer rencontre la chanteuse américaine Patty Smith. La fiction est utilisée aussi lorsque des personnages inventés racontent à la première personne un épisode connu, comme dans le cas où un citoyen russe résume son expérience des Jeux olympiques de Moscou de 19809.

12 Dans Il ritorno del Benni furioso, édité en 1986, Benni recueille ses articles des années 1980. Alors qu’au début de sa carrière, il enchaîne la publication des recueils satiriques, après la parution de Spettaccoloso, il attend cinq ans avant de présenter au public Il ritorno del Benni furioso.

13 Dans ce recueil, la moitié des articles est constituée par des satires écrites à la manière de fictions diégétiques ou théâtrales. Il s’agit de récits imaginaires qui reconstruisent des moments importants de la politique italienne contemporaine. C’est le cas de La notte dei lunghi telefoni10, récit qui reconstruit dans une fiction burlesque l’échange d’appels qui a eu lieu entre les militaires italiens, les politiciens italiens et les autorités américaines lors de la crise diplomatique survenue entre l’Italie et les États-Unis au moment de l’épisode de Sigonella11. Dans la saynète, l’auteur exploite des stéréotypes : les carabinieri empêchent de façon drôle les avions militaires américains de partir car ils n’ont pas les lumières prévues par le code de l’aviation, l’autoritaire Craxi fait une

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épreuve de force diplomatique avec le président américain Reagan, le gentil Spadolini dit lâchement oui à tout le monde, et le rusé Andreotti cache son identité lorsqu’il répond au téléphone.

14 Si la présence de telles saynètes se situe dans la continuité par rapport aux recueils précédents, le pourcentage de poèmes et, en moindre partie, de chansons, augmente dans l’économie du texte. À travers l’analyse de cette typologie de textes, je vais essayer de démontrer que par le biais de la forme de la poésie et de la chanson, l’engagement politique se lie de plus en plus à la création artistique. Grâce à leur statut « poétique », les textes ont en effet d’abord une vie journalistique, mais ils acquièrent ensuite une valeur moins éphémère, ce qui va effacer, chez Benni, la distinction qui pourrait exister entre les articles de journal et les textes littéraires.

15 Je vais maintenant m’occuper des trois chansons du texte appartenant à la section intitulée Rap, bleus, tango. Ces textes sont engagés, comme le démontre le premier exemple, le « Tango desaparacido », dans lequel on trouve des références aux dictatures de l’Amérique latine : « C’era una voce alla radio / che diceva affannata / che era pieno lo stadio / ma non c’era partita12. »

16 Le deuxième texte est aussi porteur d’un fort message idéologique qui est obtenu grâce à la parodie d’un fameux conte : « Le Petit chaperon rouge ». Il s’agit de la chanson rap Little red Hood ovvero: vera storia di Cappuccetto Rosso per bambini metropolitani da leggere a tempo di musica schioccando le dita (Benni, 1986b, p. 55-56), dans laquelle le petit chaperon rouge apporte l’argent de la retraite à sa grand-mère. Cependant, la petite fille trouve dans le lit non pas un loup, mais un groupe de carabiniers en quête de terroristes qui finiront pour la tuer. Cette même chanson est publiée par Benni en 1991 dans le recueil de poèmes intitulé Ballate13. On constate alors l’existence d’une continuité entre l’écriture journalistique et l’écriture romanesque. De plus, et sans dresser une liste d’exemples, je tâcherai de montrer que, chez Benni, ce genre de passerelle – soit de textes qui sont d’abord des articles et ensuite des textes littéraires – se retrouve un certain nombre de fois14.

17 C’est un premier élément qui nous conduit à soupçonner que les romans sont aussi engagés que les articles de satire. Le produit journalistique enrichit sa valeur politique grâce à l’atemporalité de la littérature : il vise ainsi à échapper à la lecture éphémère à laquelle sont destinés les articles de journaux, même s’ils ont paru dans des recueils. Les romans peuvent rencontrer un public même des années après leur publication, tandis que les articles n’ont de lecteurs qu’au moment de l’écriture. C’est pour avoir une plus grande visibilité que, dans les années 1980, le journalisme de Benni se déplace de plus en plus vers la littérature, l’art ou le cinéma, et c’est pour cela qu’il est intéressant de confronter ses articles avec sa production littéraire.

Littérature ou journalisme ?

18 En observant ces deux domaines d’écriture, on arrive à déceler leur continuité et proximité. On peut le faire à travers l’analyse de la troisième chanson de la section intitulée Rap, bleus, tango du recueil Il ritorno del Benni furioso. Il s’agit du « Bruce Lee blues », le blues dédié à Bruce Lee, le fameux acteur de film d’arts martiaux. Ce qui frappe le lecteur est d’ailleurs le fait que Bruce Lee est une personne morte en 1973, treize ans avant la parution du texte. Cet élément sert à éloigner le journalisme de la

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pure actualité, de la chronique italienne. Benni cherche ainsi à se détacher de l’étiquette d’auteur satirique, qu’il ressent comme limitée : La satira […] va cotta e mangiata, consumata subito. Non mi basta. Come linguaggio critico, poi, oggi è abbastanza spenta. Io voglio andare aldilà della satira. Voglio fare di più. Voglio usare la scrittura critica in modo più efficace, che resti più a lungo. Perché io sono uno scrittore comico e quindi devo cercare di sorprendere, di inquietare15.

19 De plus, le personnage de Bruce Lee est central dans le roman que Benni publie la même année et dont parle Severino Cesari dans l’introduction au recueil, c’est-à-dire Comici Spaventati Guerrieri. Suivant la définition de Giuseppe Petronio, nous pouvons classer ce livre sous l’étiquette de « giallo aperto », un roman policier qui n’offre pas de solution à l’énigme16. Le première référence de Benni est d’ailleurs le roman policier inachevé Quer pasticciaccio brutto de via Merulana, de Carlo Emilio Gadda17. Comici Spaventati Guerrieri commence avec le récit de la mort d’un jeune homme d’origine modeste, Leone, tué par une balle dans le jardin d’un immeuble de luxe du centre ville. En dépit du désintérêt de la police et des médias pour ce petit fait divers, ses amis, des marginaux sans pouvoir, mènent une enquête donquichottesque pour trouver le coupable. Ils révèlent des aspects cachés des riches habitants du bâtiment, mais ne parviennent pas à trouver l’assassin.

20 Lee fait partie de ce groupe d’amis. Il pratique les arts martiaux comme le Bruce Lee des films de kung-fu, même s’il est – dans l’optique d’un détournement postmoderne – en même temps inspiré par Lee, le protagoniste du Festin nu18 (ce livre est aussi connu sous son titre anglais Naked Lunch, 1959) de William Burroughs. Dans le roman de Benni, Lee représente la force de l’individu capable de lutter, à lui tout seul, contre une société entière, comme Bruce Lee qui se bat contre la police et les organisations mafieuses. Dans Comici Spaventati Guerrieri, Lee a un rôle important, car c’est à travers ses mots que l’auteur exprime son point de vue idéologique, comme dans cette phrase qui, dans le sillage pasolinien, résume la force politique du roman : Ma i bastardi li vedo bene sì, quelli sono ancora al loro posto pazzi di rabbia perché per una volta li abbiamo smascherati, e non ce la perdoneranno mai nei secoli dei secoli e allora è guerra, non farmi i tuoi discorsi miti, la mitezza è un privilegio grande ma il dolore l’avvelena in un attimo, io esco da quella galera e la città è peggio che mai, la gente cade per terra, parla da sola, vomita e crepa e tutti passano e non hanno visto niente, e si affrettano a dare nuovi eleganti nomi alla corruzione, e ogni tanto parlano dell’uomo comune, ipocriti, l’uomo comune che vi piace è stupido e avido come voi, così lo vorreste, un vigliacco che può ammazzare per vigliaccheria, mentre loro ammazzano per necessità, per i loro divini soldi, Lucia sono loro ora gli estremisti, violenti assassini estremisti dell’ideologia più ideologia del secolo, un’economia più sacra di una religione19, più feroce di un esercito, ricordatelo bene con un brivido quando tutto salterà in aria [...]20

21 Benni écrit des romans pour donner une valeur a-temporale à son message politique, qu’il montre de façon plus immédiate à travers les articles publiés sur les journaux. Le but de Comici spaventati guerrieri coïnciderait donc avec son message politique résumé dans les mots de Lee que j’ai cités. On peut affirmer cela avec plus d’arguments si on analyse le film que l’écrivain Benni a tiré lui-même de ce roman.

22 L’aspect idéologique de Comici spaventati guerrieri devient en effet encore plus marqué dans sa transposition cinématographique, Musica per vecchi animali21 (1989), pour lequel Benni lui-même a contribué à l’écriture du scénario et à la mise en scène22. Dans le film, d’abord, le personnage de Lee change : il n’est plus le maître du Kung-fu porteur du message idéologique, mais il devient un petit garagiste qui a dessiné sur le mur de son atelier l’image de Bruce Lee. De plus, le film a été dépouillé de l’enquête policière, car il

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ne s’agit plus de dépister le tueur de Leone. Les personnages principaux, des gens de banlieue, vont dans le centre ville des riches, surveillé par l’armée et la police. Ce voyage permet de garder la valeur idéologique du roman – qui dénonce l’écart entre les riches et les marginaux – tout en renonçant à la detection. L’histoire se transforme ainsi en un voyage dans un futur monstrueux, métaphore de notre présent. À cet égard, dans une critique du film, Lietta Tornabuoni remarque le futurisme mélancolique du l’histoire : La metropoli in stato d’emergenza perpetua, presidiata da armati, svuotata da un perenne coprifuoco che impone alla gente di restare a casa, è divisa in tre grandi settori: i lussuosi quartieri dei ricchi, ultradifesi dai gorilla e dall’elettronica; il mondo sotterraneo degli emarginati, vitale e senza speranze (vecchi, punk, accattoni, ragazze bellissime troppo sensuali, dark, africani, criminali, ragazzi); le periferie del passato, quasi luoghi di campagna, dove si conservano le vestigia, la memoria d’una vita più umana e sentimentale23.

23 Le film devient de fait un voyage halluciné dans les contradictions de notre présent et, tout en renonçant à l’enquête policière, nous suggère de nouvelles pistes de lecture du livre. Le meurtre n’était-il d’abord qu’une excuse pour parler des thèmes sociaux qui touchaient l’écrivain, comme la société et la politique ? Le sujet politique est bien au centre du récit, il y prend sa place de façon claire, comme dans les articles de presse. Ce qui change par rapport à la satire des journaux, c’est l’absence de noms du plan de la situation politique italienne actuelle, mais les allusions sont patentes et le message est fort concret, comme dans le dialogue concernant l’élection du maire de la ville qui se tient entre l’un des comici guerrieri, Lucio, et un médecin, lorsqu’il est hospitalisé : - Allora? Chi voterebbe lei? - Lei preferirebbe un cancro al fegato o delle metastasi maligne in sede epatica? - Ma sono la stessa co…24

24 Plus que se différencier, ces deux formes d’expression se rapprochent, aussi par des questions de style, car on y décèle le même type d’expérimentation linguistique. Ce type d’effort stylistique a également une valeur idéologique, car il révèle l’envie de l’écrivain de refuser la langue uniforme des années 1980, de la littérature postmoderne qui récupère les canons du passé : l'élégance et la belle forme qui vont de pair avec la perte de l’engagement.

25 Dans son roman, Benni vise un plurilinguisme qui se manifeste à travers la déformation des patois, de la langue cultivée, des langages bureaucratiques et scientifiques, ce qui manifeste le regard ironique et critique de l’écrivain sur la société. L’auteur manipule le style journalistique, le langage des policiers, l’argot des jeunes de banlieue. Il propose aussi des passages qui imitent la langue orale, comme le montre le témoignage de la gardienne de l’immeuble où Leone meurt au journaliste du quotidien « Il Democratico » : Sono uscita perché ho sentito lo sparo bum, ma poteva essere anche bang, non sono sicura. Ho visto allora là quel povero giovane che aveva la testa sfracellata, che brutto lavoro, diomio mai più, ho pensato: è ancora vivo perché muoveva i piedi, scalciava come i cani ne vedo quando li investono in quanto escono di colpo dalla siepe e le macchine li vedono mica e bum anche lì o bang25. (Benni, 1986a, p. 39)

26 La manipulation des argots qui trouve son exemple le plus représentatif dans Non siamo stato noi est aussi l’une des caractéristiques primordiales des articles de presse. Dans ce recueil, Benni réélabore de façon réitérée les langages spécifiques. Dans l’article Delitto a San Siro26 par exemple, la chronique d’un match de football est racontée avec le langage bureaucratique d’un procès-verbal de police : […] un giocatore del Milan, tale Maldera Aldo, nato a Saronno il 17-7-1948, di professione terzino sinistro […] con più azioni esecutive del medesimo atto criminoso colpiva col piede

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destro ambedue le caviglie e un ginocchio dell’Anastasi, con l’evidente intento di derubarlo del pallone, il che infatti avveniva. Il Maldera fuggiva poi verso centrocampo, dove l’attendeva un complice, identificato in tale Gianni Rivera […]27

27 On peut lire ce procédé en parallèle avec des passages analogues du roman Comici Spaventati Guerrieri dans lesquels l’auteur reproduit la langue de la police et des journalistes28. De plus, dans ses recueils, Benni fait la parodie du style des articles de faits divers29, des slogans de la publicité30, de la langue des jeunes et des disc-jockeys31, des présentateurs des émissions de télévision32, etc.

28 Ce parallélisme entre la littérature et le journalisme nous conduit une fois de plus à affirmer que la force politique des articles de presse et de la littérature narrative s’équivalent, ce qui nous amène à réfléchir à la différence ou plutôt à la complémentarité qui s’établit entre la littérature et le journalisme.

La complémentarité entre journalisme et de la littérature

29 Dans les articles et romans de Benni on assiste à des récits de fiction racontés avec les mêmes procédés. La seule différence réside dans le fait que si dans le premier cas Benni parle de personnes connues, dans le deuxième il ne fait que des allusions. Comici Spaventati Guerrieri est introduit par une préface qui le situe loin dans le temps, dans un espace indéfini, alors que des références et des allusions nous font comprendre que l’histoire racontée se déroule à Bologne dans les années 198033. Les noms changent, mais on peut les retrouver dans les articles de presse. Le cercle est ainsi clos. C’est pour cela que Severino Cesari – comme je l’ai dit – affirme qu’en lisant les articles de Benni on comprend mieux ses romans et vice versa. De plus, tous deux sont voués à la critique de la société contemporaine. Si la lecture des articles nous aide à mieux comprendre la littérature, le contraire est aussi vrai.

30 Mais pour conclure, on pourrait se demander quelle est la valeur de cet engagement, quelles sont les attentes sociales de l’auteur. On va répondre en analysant le message des textes. Dans le roman, nous assistons à la défaite des personnages principaux, des comici spaventati guerrieri qui ne parviennent pas à découvrir le responsable de la mort de leur ami Leone. Le sens de l’échec représente la désillusion postmoderne de Benni, même s’il est compensé par son esprit soixante-huitard de la révolte. C’est d’ailleurs ce mélange de tendances qui fait l’originalité de l’écrivain. Ce même sentiment de désillusion est aussi un élément constitutif des ses articles. Les satires ne sont jamais des violents « j’accuse ». Elles dénoncent les intrigues et les abus de la politique, les situations sociales les plus difficiles, mais avec le même désenchantement que les romans. La diégèse de la fiction des satires met un point ferme à la narration, comme aux romans, tout en sachant que les mots ne peuvent pas changer les choses. Le regard de la satire devient le regard à l’envers des faits politiques. À la parole de l’écrivain ne reste plus que de donner la voix à ceux qui ne l’ont pas, suivant l’idée de Calvino : La letteratura è necessaria alla politica prima di tutto quando essa dà voce a ciò che è senza voce, quando dà un nome a ciò che non ha ancora un nome, e specialmente a ciò che il linguaggio politico esclude o cerca d’escludere […]34

31 Chez Benni, donc, les deux formes d’expression (articles-littérature) s’intègrent l’une avec l’autre. Ce n’est pas à travers la forme de l’elzeviro, de l’article littéraire, que Benni rapproche le journalisme de la littérature, mais tout simplement par l’utilisation des

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mêmes procédés narratifs appartenant à la fiction. C’est donc en donnant les noms de la presse aux personnages imaginaires de ses romans qu’on peut reconstituer l’histoire d’Italie des années 1980, et c’est en lisant la trame de ses romans des années 1980 qu’on peut savoir quelle sera la politique de Berlusconi dans les années 1990-2000.

NOTES

1. S. Cesari, préface à S. Benni, Il ritorno del Benni furioso, Rome, Edizioni il manifesto, 1986, p. 14. 2. Dans le titre de ce recueil, l’auteur montre sa créativité linguistique en proposant un jeu de mots polysémiques. Il parodie l’expression non siamo stati noi – qui renvoie aux fausses accusations d’attentats (il s’agit de la bien connue strategia della tensione) lancées contre les jeunes du Movimento des années 1970, avec le but de déstabiliser le mouvement politique – en la transformant en non siamo stato noi, où le mot stato crée une faute d’accord qui fait allusion à la position idéologique de l’auteur qui, avec les jeunes engagés de sa génération, déclare sa foi : il est contre/en dehors de l’État. Il n’est pas responsable des années de plomb. 3. Benni représente le côté le plus créatif du Movimento des années 1970, cette partie des jeunes qui se regroupaient et identifiaient sous l’étiquette de la fantasia al potere. Voir Collettivo Atraverso, Alice è il diavolo, Milan, L’erba voglio, 1977, p. 120 : « Non è dal luogo recintato dell’istituzione letteraria che viene una nuova operatività, ma dallo spazio confuso del movimento […]. » « Il movimento » de 1977 s’inspirait beaucoup des avant-gardes du début du siècle. Dans le manifeste du Surréalisme, André Breton écrivait : « L’imagination est peut-être sur le point de reprendre ses droits […]. » (A. Breton, « Manifeste du surréalisme » (1924), dans Manifestes du surréalisme, Paris, Gallimard, 1994, p. 3-60, p. 20.) 4. N. Frye, Anatomie de la critique, Paris, Gallimard, 1969 [1957]. 5. De Carolis était le leader de l’aile de droite de la démocratie chrétienne de Milan qui a été victime d’une attaque terroriste le 15 mai 1975, gambizzato on dira à l’époque. Membre de la P2, il a recouvert un rôle important dans la DC de l’après-Moro, il a été nommé ensuite président du conseil communal de Milan dans les rangs de Forza Italia ; il a subi de nombreux procès, dont le plus important est relatif à une affaire de corruption concernant le traitement des eaux de la ville de Milan. 6. S. Benni, La tribù di Moro Seduto, Milan, Mondadori, coll. « Biblioteca Umoristica Mondadori », 1977, p. 63. 7. S. Benni, La tribù di Moro Seduto, ouvr. cité, p. 31-32. 8. E. Montale, « Piove », dans Satura, Milan, Mondadori, 1971. 9. « Viva le Olimpiadi », dans S. Benni, Spettacoloso, Milan, Mondadori, 1981, p. 149-151. Appelé pour sa belle voix à chanter pour la victoire probable du marcheur russe, le camarade tombe dans une série de gaffes qui le font dégringoler vers la détention dans un goulag en Sibérie. Complètement saoul, il confond d’abord l’athlète russe avec l’italien Damilano qui remportera l’épreuve. Il chante alors son hymne pour l’athlète italien. Prévenu ensuite de son erreur, il continue à chanter pour Damilano car il vient en courant « da Milano », alors que tous les autres ont couru à Moscou. 10. S. Benni, Il ritorno del Benni furioso, ouvr. cité, p. 61-63. 11. En 1985, quatre membres de l’OLP prennent en otage le bateau de croisière italien Achille Lauro. On trouve une solution diplomatique : un sauf-conduit est signé par l’ambassadeur italien

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en Égypte, M. Migliuolo, ce qui permet la libération des passagers. L’accord permet aux terroristes de s'embarquer dans un Boeing 737 au départ pour la Tunisie. C’est à ce moment-là que les américains détournent l’avion vers la base américaine de Sigonella en Sicile. Les militaires italiens et les américains frôlent la confrontation armée. 12. S. Benni, « Tango desaparecido », dans Il ritorno del Benni furioso, p. 59. 13. S. Benni, Ballate, Milan, Feltrinelli, 1991. Le sujet de la fable est aussi l’argument d’un chapitre du roman de Benni de 1983, Terra! : ici la fable est intitulée « Cappuccetto Nero », mais l’histoire change, car on perd le lien avec le terrorisme, voir S. Benni, Terra!, Milan, Feltrinelli, 1983, p. 211-213. 14. Dans d’autres cas, Benni réutilise dans ses œuvres narratives des pages publiées dans un premier moment comme des articles de satire politique. Le poème « Guerre Stellari », paru une première fois dans Non siamo stato noi (1978), réapparaît dans le roman de science fiction Terra! de 1983. De la même façon, la nouvelle qui ouvre le recueil Spettacoloso, un récit à la première personne d’un condamné à mort, fournit l’idée à l’une des nouvelles constituant le recueil de fiction narrative L’Ultima lacrima de 1994 (S. Benni, L’ultima lacrima, Milan, Feltrinelli, 1994). De 1978 à 1994 Benni porte donc en avant les mêmes batailles idéologiques. 15. M. Trecca, Parola d’autore. La narrativa contemporanea nel racconto dei protagonisti, Lecce, Argo, 1995, p. 32. 16. Voir Il punto su: il romanzo poliziesco, sous la direction de G. Petronio, Bari, Laterza, 1985, p. 18-25. 17. C. E. Gadda, Quer pasticciaccio brutto de via Merulana, Milan, Garzanti, 1957. 18. W. Burroughs, Le Festin nu, Paris, Gallimard, 2002 [1959]. L’édition cinématographique de David Cronenberg est postérieure au livre de Benni, car elle date de 1992. 19. La référence à P. P. Pasolini, La religione del mio tempo (1961) nous semble patente. Benni a d’ailleurs cité Pasolini en rapport avec le film tiré de ce roman. 20. S. Benni, Comici spaventati guerrieri, Milan, Feltrinelli (« I Narratori »), 1986, p. 94. La dernière phrase est une citation tirée de Octaedro de Julio Cortazar. 21. Musica per vecchi animali, 1989 : mise en scène : S. Benni et U. Angelucci ; sujet S. Benni ; scénario S. Benni. Acteurs : D. Fo (Lucio Lucertola), P. Rossi (Lee), V. Simoncini (Lupetta), et, en rôle de comparse, F. Guccini. Photographie P. De Santis ; montage U. de Rossi ; musique A. Annecchino ; production Unione cinematografica. 22. Voir l’interview de R. Silvestri, « Torniamo tutti sulla strada », dans Il manifesto, 4 novembre 1989. 23. L. Tornabuoni, « Cari guerrieri », Panorama, 26 novembre 1989, p. 16. 24. S. Benni, I Comici spaventati guerrieri, ouvr. cité, p. 137. 25. Benni situe son récit dans une ville sans connotations régionales et néglige les patois. C’est pour cette raison que son pastiche linguistique se sert plutôt de différents registres de l’italien. Dans Comici spaventati guerrieri, les longs monologues, en particulier, sont les parties du roman dans lesquelles Benni concentre l’effet d’oralité en déformant la syntaxe. Les petits dialogues utilisent l’obscenitas ou des techniques propres à rendre l’idée du parlé (Federi-co pour Federico, lorsqu’on l’appelle ; sssissignore pour sissignore), et, parfois, présentent des renversements de la syntaxe. Dans Comici spaventati guerrieri, plus que dans ses autres romans, Benni accentue le hiatus entre mimésis et diégèse. 26. S. Benni, Non siamo stato noi, Rome, Savelli, coll. « Cultura politica, Sezione umorismo », 1978, p. 49-50. 27. S. Benni, « Delitto e San Siro », dans Non siamo stato noi, p. 49-50. 28. Voir, par exemple, S. Benni, I Comici spaventati guerrieri, ouvr. cité, p. 40, 51, 73, 80-81, 178. 29. S. Benni, Non siamo stato noi, ouvr. cité, p. 29-31. 30. Ibid., p. 60-62. 31. Ibid., p. 67-69.

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32. Ibid., p. 56-59. 33. Premièrement, dans la préface on cite la « città della grande pianura nel paese che naviga nel mare » (ibid., p. 195). Deuxièmement, pour certains aspects, ce livre s’inspire des romans policiers de Loriano Macchiavelli qui ont comme protagoniste le sergent de police Sarti Antonio et dont les histoires se déroulent à Bologne (Sarti est accompagné par un fidèle policier chauffeur, Cantoni, et Porzio a un compagnon très similaire appelé Mancuso. Sarti donne toujours l’impression de ne pas être capable de résoudre les cas policiers – c’est grâce à l’aide de son ami Rosas qu’il y parvient – et Porzio ne résout pas l’énigme. Le sergent de Macchiavelli est enfin caractérisé par une colite permanente, et Porzio a « […] un’ulcera nei momenti di depressione e una gastrite quando è euforico » (S. Benni, I Comici spaventati guerrieri, ouvr. cité, p. 72). Cette note ironique nous semble l’élément qui, de toute évidence, confirme la parodie de Sarti. Dans ce roman, de plus, les références musicales ne concernent que la musique des années 1970 et 1980. Les noms cités sont ceux du hard-rocker Ozzy Osborne et des groupes Talking Heads, Roxy Music et Duran Duran (appelés Durandurani). 34. I. Calvino, « Usi politici giusti e sbagliati della letteratura », dans Una pietra Sopra, Turin, Einaudi, 1980, p. 351-360, p. 358-359.

RÉSUMÉS

Après avoir participé au Movimento de révolte de Bologne de la fin des années 1970, Stefano Benni a exprimé sa créativité littéraire dans les années 1980. Il s’agit d’ailleurs de l’un des auteurs qui ont marqué cette décennie. À travers ses romans, l’auteur a imposé son style comique dans le panorama de la littérature italienne contemporaine. L’écrivain émilien a en effet conjugué un fort engagement politique à un goût pour une littérature comico-satirique. Dans ses romans, la satire se manifeste par des références au monde politique et social contemporain. Ces références sont bien plus évidentes à la lumière des articles de journaux que l’écrivain, à la même époque, a publiés avec régularité dans Repubblica ou dans Il Manifesto. Ainsi découvre-t-on que ce qui se présente sous forme d’allusion dans les romans est écrit beaucoup plus explicitement dans les articles. Ce double parcours nous aide à mieux comprendre à la fois la proximité de l’écriture journalistique et de l’écriture romanesque et la nature de l’engagement chez Benni. On peut aussi mieux dévoiler le secret d’une écriture de la révolte qui persiste au milieu des années 1980.

Dopo aver partecipato al Movimento della rivolta bolognese della fine degli anni ’70, Stefano Benni ha espresso la sua creatività letteraria negli anni ’80 ed è anche diventato uno degli autori che hanno marcato questo decennio letterario. Attraverso i suoi romanzi, l’autore emiliano ha in effetti coniugato un forte impegno politico con uno spiccato gusto per la letteratura comico- satirica. Nei suoi romanzi, la satira si manifesta attraverso riferimenti al mondo politico e sociale contemporaneo. Questi riferimenti sono molto più evidenti se vengono letti alla luce degli articoli di giornale che, negli stessi anni, lo scrittore ha pubblicato con regolarità su Repubblica o su Il Manifesto. Si capisce così che ciò che si presenta sotto forma di allusione nei romanzi è presentato molto più esplicitamente negli articoli. Questo percorso parallelo ci aiuta a capire meglio la vicinanza che esiste tra la scrittura giornalistica e quella narrativa. Si può così sondare il mondo dell’impegno di Benni e si può svelare il segreto di una scrittura della rivolta che resiste e continua negli anni ’80.

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Stefano Benni became a writer in the 1980s after participating in the Movimento del 77 protest movement. He is one of the authors who best represent the decade. Benni has created a new comic style: he combines political commitment and satire. In his novels, satire is characterized by references to contemporary politics and society. These references become more apparent if read in the light of the articles he regularly wrote for La Repubblica and Il Manifesto, since what is merely alluded to in the novels is explicitly stated in the articles. They reveal that the journalist and the novelist worked in unison. Benni the political activist was also a committed writer.

INDEX

Keywords : Stefano Benni, 1980s, political commitment, satirical literature, novels, newspapers’ articles, press, novel writing Parole chiave : Stefano Benni, anni Ottanta, impegno politico, letteratura comico-satirica, romanzi, articoli di giornale, scrittura narrativa, scrittura giornalistica Mots-clés : Stefano Benni, années quatre-vingt, engagement politique, littérature comico- satirique, romans, articles de journaux, écriture romanesque, écriture journalistique

AUTEUR

STEFANO MAGNI Université de Provence

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“Con la guerra nel cervello”: la memorialistica alla prova degli anni Ottanta. Il disperso di marburg di Nuto Revelli « Con la guerra nel cervello » : autobiographies et témoignages à l’épreuve des années quatre-vingt. Il disperso di Marburg de Nuto Revelli “Con la guerra nel cervello”. The transformations of memoirs-writings in the eighties: Nuto Revelli’s Il disperso di Marburg

Alessandro Martini

1 Gli anni Ottanta segnano per Nuto Revelli l’inizio di una nuova stagione letteraria nel corso della quale l’autore riprende modalità espressive già sperimentate in precedenza per rinnovarle profondamente dal loro interno. Ex allievo della Regia Accademia di fanteria e cavalleria di Modena, poi ufficiale del Regio Esercito, tra il luglio 1942 e il marzo 1943 Revelli prese parte all’ARMIR, e fu impegnato sul fronte russo nella disastrosa campagna del Don. Al ritorno da questa tremenda esperienza abbandonò l’esercito e si unì, all’indomani dell’8 settembre 1943, alle prime bande clandestine di partigiani sulle montagne di Cuneo, dapprima in una formazione denominata «Compagnia Rivendicazione Caduti» (in onore dei caduti di Russia), in seguito nelle bande Giustizia e libertà di Duccio Galimberti e Dante Livio Bianco. Revelli fu comandante della brigata Valle Vermenagna e della brigata Valle Stura «Fratelli Rosselli», attiva quest’ultima prima sul versante italiano e poi su quello francese delle Alpi Marittime. Alla fine della guerra, traspose sulla pagina la propria esperienza di ufficiale in Russia (Mai tardi. Diario di un alpino in Russia, 1946) e di partigiano impegnato nella lotta al nazi-fascismo (La guerra dei poveri, 1962). Raccolse inoltre le testimonianze di alpini che parteciparono alla campagna di Russia in La strada del Davai (1966) e L’ultimo fronte. Lettere di soldati caduti o dispersi nella seconda guerra mondiale (1971). Dopo questo intenso periodo durante il quale videro la luce cronache di guerra sulla propria esperienza e opere di recupero della memoria dei dispersi di Russia, Revelli si dedicò a

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ricerche di un altro carattere, sempre di tipo memoriale ma riguardanti il mondo contadino e l’eredità culturale delle valli e delle montagne del cuneese: Il mondo dei vinti. Testimonianze di vita contadina (1977), raccolta di testimonianze di uomini e donne delle vallate alpine e delle campagne emarginati dal progresso, e L’anello forte. La donna: storie di vita contadina (1986), opera che si concentra sulle figure femminili, fulcro, secondo Revelli, della società contadina.

2 Nella bibliografia di Revelli, Il disperso di Marburg (1994, ma con un periodo di gestazione che si snoda tra il 1986 e il 1993) si situa dopo quest’ultima fase, che ha visto l’autore impegnato in una ricerca di tipo più prettamente socio-antropologico. L’opera (che non mi sento di definire né una cronaca, né un romanzo, come spiegherò) è il racconto della ricerca condotta da Revelli per svelare l’identità di un soldato tedesco ucciso a San Rocco Castagnaretta, vicino a Cuneo, nel 1944, forse dai partigiani, forse da uno sbandato, o forse da una «lingera» cioè, in dialetto piemontese, un poco di buono. È questo un fatto cui Revelli non ha partecipato in prima persona, ma del quale ha sentito spesso parlare dai suoi amici partigiani. L’opera rappresenta dunque un ritorno a temi bellici dopo una lunga pausa, che, è un’ipotesi, potrebbe venire letta come il segno del temporaneo esaurimento, per Revelli, delle capacità espressive della memorialistica. Si tratterebbe di un esaurimento legato alla natura stessa di questo genere letterario, inteso come testimonianza di un evento collettivo e di un’esperienza personale – che presenta cioè quanto è straordinario per l’autore all’interno di eventi importanti per la collettività1. Il ritorno a tematiche di guerra si farà dunque, se questa ipotesi risulta corretta, con modalità che non rispondono ai criteri espressivi della cronaca di guerra documentaria2. Revelli incomincia la ricerca per Il disperso di Marburg nel 1986: oltre quarant’anni dopo i fatti, i tempi sono cambiati, il clima letterario e anche quello politico non sono più gli stessi del periodo immediatamente successivo alla guerra. La memorialistica sarà ancora in grado di parlare a un pubblico profondamente diverso da quello del dopoguerra, un pubblico che conta al suo interno sempre meno attori degli eventi storici al centro della narrazione? Come deve reagire il memorialista di fronte a questi cambiamenti: le sue armi espressive sono ancora valide, o si trova obbligato a esplorare altri percorsi?

3 Nel presente articolo si tenterà di capire le ragioni e di studiare le modalità del ritorno ai temi di guerra, il perché e il come di una scelta tematica che non è scevra di difficoltà per l’autore stesso: «Cinquant’anni dopo sono qui tra i miei libri e le mie scartoffie, e con la guerra nel cervello. Sono matto […]. Sono qui ad autotorturarmi, ad arrovellarmi su un piccolo episodio che ha come protagonista un “disperso” tedesco»3. Si cercherà altresì di mostrare che Il disperso di Marburg diventa il crocevia complesso di diversi temi – l’io e l’altro (il nemico), la Storia e la «storia minuta», il pubblico e il privato, il passato e il presente, la memoria collettiva e la memoria privata – un’opera che ribadisce con forza il valore civico del ricordo e della testimonianza.

4 Per decifrare i motivi dietro la scelta di dedicarsi alla stesura de Il disperso di Marburg, con il ritorno a temi dolorosi che essa implica, è utile prendere in considerazione il contesto di composizione dell’opera. Nel 1987, quando la ricerca era già incominciata ma si trovava ancora allo stadio embrionale, Revelli viene chiamato a far parte della commissione ministeriale che aveva il compito di pronunciarsi sui fatti di Leopoli, in Russia, dove, in seguito alla firma dell’armistizio dell’8 settembre 1943, furono uccisi duemila soldati italiani. L’obiettivo della «Commissione Leopoli» era chiarire le responsabilità dell’eccidio: si trattò di una strage nazista o i soldati italiani morirono

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nei campi di prigionia russi? La sua istituzione fu facilitata dal nuovo clima politico instauratosi a Mosca negli anni Ottanta. Tuttavia, i lavori della commissione d’inchiesta, principalmente a causa delle implicazioni politiche sottese alle conclusioni storiche, si risolsero in un nulla di fatto poco sorprendente: «La sentenza finale era scontata in partenza: negato il massacro. Siamo o non siamo, oggi come allora, “alleati” dei tedeschi?» (p. 56), sbotta Nuto Revelli quando la commissione conclude negando la strage di mano nazista. In un percorso fallimentare di recupero della memoria dei militari italiani morti a Leopoli, Revelli si sente particolarmente deluso dalla gestione politica della memoria collettiva italiana. Questa gestione, ad opera di uno Stato che istituisce una commissione composta, secondo Revelli, da «anime morte» (p. 54), contrasta in modo stridente con quella della Germania, la quale, per mezzo di un efficiente sistema archivistico che Revelli scopre e sfrutta per la sua ricerca, mostra una volontà reale di depennare un nome, anche uno solo, dalla dolorosa lista dei dispersi in guerra: […] è sorprendente la serietà e la sensibilità di cui danno prova i vari enti tedeschi. Altro che la “Commissione Leopoli”, dove ogni richiesta di chiarimento era considerata un fastidio, una provocazione. Anche perché una parte dei documenti relativa ai nostri “dispersi” era finita da tempo al macero. (p. 58)

5 L’autore si concentra allora su quella che egli stesso definisce la «piccola storia» (p. 45), nel tentativo di dare un nome a un morto tedesco, nemico di un tempo.

6 La decisione di dedicarsi nuovamente alla memorialistica non può però tradursi per Revelli in una semplice ripetizione di quanto fatto nel periodo in cui egli stesso compose alcune delle opere più importanti del genere. La stesura de Il disperso di Marburg obbliga l’autore a innovare questa forma espressiva, con un’opera che non è più solo memorialistica, ma che non è ancora romanzo. Tocchiamo qui un punto fondamentale per un gran numero di memorialisti, che rivendicano apertamente il valore di cronaca dei loro scritti, in opposizione a romanzi e novelle di argomento resistenziale4. Questi autori, che si pongono volontariamente al di qua della letteratura, non si esprimono evidentemente da un punto di vista narratologico, e un’analisi delle loro affermazioni in tal senso sarebbe abusiva. Semplicemente, essi sottolineano l’assenza, nei loro lavori, di situazioni inventate. Si pone allora il problema della possibilità di una separazione netta tra opere di cronaca, che presentano fatti accaduti, e opere di finzione, le quali implicano invece l’invenzione di situazioni e avventure non vissute da chi scrive5.

7 Revelli, che nei suoi scritti precedenti aderisce in tutto e per tutto ai moduli della memorialistica, si pone ne Il disperso di Marburg il problema teorico dell’opposizione cronaca/romanzo, e di conseguenza quello dell’invenzione romanzesca. L’autore sente, forse per la prima volta, la «tentazione» del romanzo e del ricorso a modalità espressive «vietate» nella memorialistica. Molto esplicitamente, a proposito della stesura definitiva della sua ricerca storica, Revelli si domanda: «Dovrò limitarmi a riordinare gli appunti del mio diario e le testimonianze che ho raccolto o dovrò “inventare” una storia né vera né falsa, ambientandola chissà dove?» (p. 128.) Il solo fatto di esporre questi tentennamenti, e di condividerli con il lettore, la dice lunga sul rovello intellettuale e personale dell’autore, che alla fine opta per quella che egli stesso definisce «una via di mezzo» (p. 128).

8 Il carattere peculiare de Il disperso di Marburg, la «via di mezzo» scelta da Revelli, si percepisce immediatamente. Innanzitutto, il fatto al centro dell’opera non è stato

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vissuto in prima persona dell’autore. Si tratta di un evento tramandato oralmente da anni, su cui Revelli si propone di fare luce. Il libro si apre con un capitolo dal titolo emblematico: «La leggenda del cavaliere solitario». A differenza degli altri capitoli, recanti una data che scandisce l’avanzamento della ricerca, dal 1986 fino al 1993, il primo è il solo a non comportare riferimenti temporali. La sua separatezza rispetto al resto dell’opera è confermata inoltre dal titolo, che fa riferimento alla leggenda e all’universo del mito, dove la verità storica è per lo meno dubbia. Gli indizi in questa direzione si moltiplicano nel corso del capitolo; la storia del soldato tedesco morto ammazzato sulla quale l’autore indaga viene definita «un’incredibile storia dal sapore di fiaba» (p. 5). Dopo la leggenda, la fiaba: almeno per il momento, il lettore non si muove nell’universo di riferimento della memorialistica. Quali sono allora le coordinate di questo nuovo spazio non ancora sondato dall’autore? Ci troviamo forse di fronte al nuovo orizzonte di questa forma espressiva, una nuova prospettiva che Nuto Revelli sta tracciando a mano a mano che la ricerca, e quindi l’opera, procedono? L’autore tenta ne Il disperso di Marburg una ridefinizione del lavoro e dell’opera del memorialista. Per quest’ultimo, oramai, non si tratta più di riversare sulla pagina quanto vissuto – esperienze personali traumatiche e straordinarie, eventi condivisi con altri uomini e donne. Questo approccio coincide con quello della prima ondata di testimonianze, pubblicate in gran parte «a caldo» tra la fine della guerra e il 1948, poi con minore frequenza in seguito. Nel 1986, più di quarant’anni dopo i fatti, il lavoro del memorialista è radicalmente cambiato perché, come spiega Revelli, «[…] il tempo frantuma e poi disperde la verità, e quel che rimane diventa leggenda, mito» (p. 7).

9 La leggenda e il mito si delineano allora come le nuove coordinate all’interno delle quali opera il memorialista degli anni Ottanta, o meglio come il substrato della nuova memorialistica, un substrato che era invece assente dalle cronache del dopoguerra, vivide testimonianze non ancora sfumate dal passaggio degli anni. Quarant’anni dopo, la memorialistica non è più un’esperienza catartica e liberatoria come poteva esserlo nel dopoguerra, dove ricordare voleva anche dire condividere il fardello delle pene vissute. Si tratta piuttosto di un’operazione traumatica e dolorosa sulla cui utilità è necessario interrogarsi: l’indagine storica, dice Revelli, «Non […] valeva la pena» (p. 7) e, ammissione paradossalmente tragica, «era meglio dimenticare che ricordare troppo» (ibid.). «Meglio dimenticare che ricordare»: il contrario dell’obiettivo della cosiddetta letteratura della memoria, che si propone di fissare, nell’intenzione precisamente di non dimenticare, un’esperienza fondatrice per l’individuo e per la comunità. Questo paradosso è probabilmente dettato dal carattere proibitivo del compito che Revelli si assegna, in quanto il passato si presenta come un «mosaico ormai scomparso e irricomponibile» (p. 18). Nel 1986, l’autore si muove dunque in quella che è anche per lui, non solo per il lettore, una terra incognita, una zona che non è più quella della cronaca documentaria, quanto piuttosto un territorio sconosciuto dallo statuto indefinito. E ciò che è sconosciuto spaventa. Revelli ha a che fare con una «storia inquietante» (p. 8) che lo aggredisce e lo ributta nel suo passato. L’impostazione rigorosa che contraddistingue le opere di Revelli scompare, lasciando il posto a qualcos’altro, una «fantasia» che «prendeva la mano», dei «sogni ad occhi aperti» (ibid.). Ma ciò che spaventa attrae. L’autore stesso desidera esplorare territori sconosciuti alla cronaca documentaria: «Ma voglio che ogni tanto i freni della razionalità si allentino, voglio ogni tanto sognare a occhi aperti» (p. 152). Il rapporto di Revelli con la memorialistica, costruito negli anni su basi solide, entra in crisi: tra gli anni Ottanta e Novanta del Novecento, la memorialistica tradizionale, intesa nel senso

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visto più sopra di presentazione di quanto vissuto, non rappresenta più una strada praticabile. Tra leggenda, mito, sogno e verità storica, si devono allora esplorare nuovi percorsi, tentare direzioni nuove al di fuori dei sentieri battuti.

10 Revelli stesso, che tratteggia con lucidità i contorni del problema, indica il percorso da seguire per una possibile uscita da questa crisi. Parafrasando una celebre definizione di Jean Ricardou, si potrebbe affermare che, ne Il disperso di Marburg, «l’avventura della scrittura» conta più della «scrittura di un’avventura». Ecco spiegato il motivo della messa a nudo dell’autore. Revelli si mette in scena: come nella memorialistica, è l’autore a essere al centro dell’intreccio. Ma se prima si trovava al centro di fatti di guerra – al centro della testimonianza – ora è nel fitto di una vicenda intellettuale che dovrebbe condurre alla testimonianza. Il lettore viene messo di fronte ai tentennamenti dell’autore e alle sue indecisioni: […] sarà già tanto se riuscirò ad abbozzare una versione dell’episodio […] la meno fantasiosa possibile, dalla quale emergano nitidi gli interrogativi principali. Solo così potrò rendermi conto della complessità dei problemi da risolvere, e poi decidere se arrendermi o no. (p. 27-28)

11 L’autore illustra passo dopo passo le varie tappe della sua indagine, il ruolo giocato da lui e dai vari testimoni incontrati lungo il percorso. Per i motivi esposti fino ad ora, Il disperso di Marburg può essere allora considerato una «meta-testimonianza». La precisione e l’accuratezza non riguardano più la presentazione degli eventi storici, che si riducono a inserti brevi, quanto piuttosto la descrizione del percorso seguito per definire i contorni storici dell’episodio al centro dell’opera.

12 Il risultato certamente più interessante di questa meta-testimonianza è l’intrecciarsi di più livelli narrativi. In effetti, il cambiamento che implica la scelta di una modalità espressiva nuova per l’autore non riguarda lo stile, che resta fondamentalmente molto simile a quello delle sue opere passate. Esso è molto più radicale, poiché ha come risultato la creazione di un’opera che non segue più solo la storia dell’autore-attore degli eventi, ma che ha l’ambizione di presentare diverse vicende, situate a livelli differenti. Revelli intreccia alla storia del tedesco, il disperso del titolo, la sua vicenda di ufficiale in Russia, la sua esperienza di partigiano in Piemonte, quella dei testimoni che ascolta e delle persone che lo aiutano nel lavoro. Si assiste, ne Il disperso di Marburg, a una moltiplicazione dei livelli della testimonianza. Questa non è più presentata come una vicenda distesa che si sviluppa assecondando e dettando i tempi dell’opera; a parte la trascrizione delle fonti orali riguardanti la vicenda di San Rocco, essa si limita piuttosto alla presentazione sintetica di episodi brevi, come quello della mamma di un disperso di Russia che racconta i presentimenti della morte del figlio (p. 32), o come quello dei partigiani che catturano due tedeschi per poi liberarli immediatamente e conservarne le cavalcature (p. 37). L’opera assume poco alla volta un carattere eterogeneo, il quale nasce da una commistione tematica che sembra voler conferire dignità al processo di raccolta di testimonianze orali e scritte. Quest’ultimo diventa di fatto parte integrante della narrazione, inserito in un progetto narrativo più ampio e complesso. Il moltiplicarsi delle testimonianze contribuisce alla composizione di un’opera corale che illustra una vicenda collettiva: la differenza con la memorialistica tradizionale, incentrata sulle vicende di una sola persona, appare allora in tutta la sua evidenza.

13 Il disperso di Marburg diviene, come si è detto, il crocevia di diversi temi. La ricostruzione dell’identità del soldato tedesco ucciso dai partigiani assume i contorni di

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una ricerca simbolica, che oltrepassa largamente i confini dell’indagine storica, come spiega Revelli: «La storia di quel “disperso”, tedesco, polacco o russo che sia, ha ormai assunto per me il valore di un simbolo. Questa storia è entrata nella mia vita, mi appartiene.» (p. 31.) Il valore simbolico evocato dall’autore sembra essere legato indirettamente alla nozione di anonimato, un concetto che regola i rapporti tra soldati di schieramenti nemici. In una guerra, il soldato è protetto da quello che Claudio Pavone definisce «l’anonimato morale6» che, secondo lo storico, permette più facilmente di affrontare, e uccidere, il nemico. In una guerra civile o in una guerra tra esercito e bande clandestine, precisa Pavone, i combattenti sono meno protetti dall’anonimato offerto da un esercito regolare in una guerra tra Stati di diritto. L’indagine di Revelli procede proprio con la volontà di spezzare completamente questo «patto dell’anonimato». Il gesto, volto a riconoscere l’uomo dietro il nemico anonimo che si è combattuto anni prima, possiede una forte valenza simbolica. Per riflesso, la ricerca dell’identità del tedesco diviene simbolo della ricerca di sé; è per questo che la vicenda del soldato morto quarant’anni prima fa oramai parte della vita presente dell’autore, che non può più liberarsi dal vincolo venutosi a creare.

14 L’opera si delinea quindi anche come un cammino di ricostruzione di sé, in un rapporto di continuità tra il passato e il presente. Questo processo parte dall’esperienza di Revelli partigiano e approda a una riflessione più generale sulla guerra. Ma l’autore diffida dall’esporsi troppo in prima persona e non vuole che la sua esperienza partigiana (del resto già presentata ampiamente in altre opere) si mischi a quella del tedesco disperso. Revelli si mette allora in guardia contro i pericoli che corre: «[...] dovrò evitare che le due storie [quella del tedesco e la sua vicenda partigiana, ndr] si sovrappongano. Soprattutto dovrò evitare di immedesimarmi troppo nell’episodio di San Rocco.» (p. 71.) Tuttavia, l’immedesimazione risulta inevitabile. Revelli non si identifica tanto con il tedesco morto nell’imboscata, quanto soprattutto con un altro tedesco, lo storico Christoph Schminck-Gustavus, che si rivela un aiuto fondamentale per la ricostruzione della vicenda del tedesco ucciso in Italia nel 1944. Christoph, nato nel 1942, due anni prima dell’imboscata costata la vita al soldato tedesco sconosciuto, è più di un aiutante per Revelli. All’interno dell’opera, così come il tedesco ucciso a San Rocco, egli assume valore di simbolo. Tuttavia, al contrario del tedesco del 1944, che ributta violentemente Revelli verso un passato doloroso, Christoph rappresenta un’apertura verso il futuro, una presenza lenitiva per le ferite profonde e difficilmente rimarginabili che la guerra ha lasciato all’ex-comandante partigiano. In effetti, quando viene per la prima volta a conoscenza della storia del cavaliere solitario ucciso a Cuneo, un mitico «tedesco buono», Revelli pensa innanzitutto agli spietati soldati tedeschi conosciuti in Russia e vede «immagini infinitamente più tristi, più cupe. Altro che il “tedesco buono” !» (p. 7.) Christoph rappresenta invece l’incarnazione di questo mito evanescente, il rovesciamento del nemico di un tempo: «In questo ambiente spettrale, la sua presenza amica mi fa riflettere. Non ho fatto passi avanti verso il cavaliere solitario, ma il mio “tedesco buono” l’ho trovato.» (p. 49.) La ricerca storica al centro dell’opera viene temporaneamente accantonata, e l’autore sottolinea il raggiungimento di un risultato fondamentale nel suo percorso personale: «Christoph, in fatto di testardaggine, è proprio un “tedesco di Germania”. Io sono il suo fratello gemello.» (p. 63.) Si manifesta qui la forza morale e civica di questa memorialistica di un nuovo tipo, in quanto l’identificazione non riguarda solo la testardaggine del metodo di lavoro, ma indica un legame di fraternità profondo, un risultato straordinario possibile, in questo caso, quarant’anni dopo i fatti.

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15 Per finire, un accenno alla figura al centro dell’opera, il giovane disperso di Marburg, il sottotenente Rudolf Knaut, nato a Marburg nel 1920, a cui la ricerca al centro dell’opera riesce a restituire un’identità. Nel tentativo operato da Revelli di dare una nuova forma alla memorialistica, e di illustrare le tappe dell’indagine storica, il lettore assiste alla ricostruzione di un destino umano, quello del soldato disperso in Italia nel 1944. La ricerca storica si apre in direzione della dimensione esistenziale. Chi è il personaggio che si costruisce davanti ai nostri occhi? Il soldato, la cui scheda biografica si trova presso gli archivi militari tedeschi, è solo il sottotenente morto in un’imboscata in un territorio dove agivano bande armate clandestine? Alla luce di quanto detto, si potrebbe concludere che ci si trova piuttosto di fronte a un uomo che oltrepassa il dato storico per ergersi a personaggio emblematico, a simbolo, come indica Revelli. Rudolf Knaut rappresenta ciò che ha reso possibile il contatto tra il passato della guerra e il presente della pace, il legame tra generazioni diverse. Pongo allora un’ultima domanda, che esula dall’analisi dell’opera e che fa riflettere sull’insieme della produzione letteraria di Revelli. Si potrebbe vedere la ricostruzione della figura di Rudolf Knaut come il lavoro preparatorio per un’opera che ripercorra la vicenda di questo «cavaliere solitario», un’opera che Revelli non ha scritto ma che, come egli stesso dice, potrebbe essere «né vera e né falsa», ambientata chissà dove? Potrebbe cioè Il disperso di Marburg essere considerato, nel percorso di Revelli, come il punto più vicino al romanzo, modalità espressiva che l’autore non ha mai sperimentato? In altre parole, si sarebbe raggiunto un punto in cui la separazione, come detto problematica, tra la cronaca e l’opera letteraria risulta ancora più fluida?

NOTE

1. È questa una caratteristica della memorialistica, sia della prima, sia della seconda guerra mondiale, come ricorda Giovanni Falaschi: «Va da sé che, all’interno della memoria collettiva di eventi traumatici, il memorialista ricorda quanto è stato straordinario per lui.» Il critico cita gli esempi di Emilio Lussu e di Pietro Chiodi, che rispettivamente in Un anno sull’altipiano e Banditi, affermano di voler raccontare solamente ciò che li riguarda in prima persona. Vedi G. Falaschi, “Autobiografie e memorie”, in F. Brioschi e C. di Girolamo (a cura di), Manuale di Letteratura Italiana. Storia per generi e problemi, IV. Dall’Unità d’Italia alla fine del Novecento, Torino, Bollati Boringhieri, 1996, p. 734. 2. Le caratteristiche di questa produzione sono state studiate in dettaglio da Giovanni Falaschi (La Resistenza armata nella narrativa italiana, Einaudi, Torino, 1976) e da Bruno Falcetto (Storia della narrativa neorealista, Mursia, Milano, 1992). Possiamo qui ricordarne le principali in modo sintetico. Nelle cronache di guerra, gli autori presentano unicamente i fatti vissuti in prima persona, per produrre quello che Falcetto chiama, citando V. Nabokov, un racconto «lineare»: l’esperienza personale è considerata la principale garanzia del valore dell’opera, un’opera destinata, si ricorda, a lettori che sono stati spesso attori degli stessi eventi vissuti e narrati dall’autore. Dal punto di vista stilistico, le cronache di guerra si caratterizzano per annotazioni fatte in uno stile breve e secco, dove i fatti, spesso ordinati sotto la data, restano centrali. Poco

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spazio viene accordato all’introspezione, mentre in primo piano si trovano le sensazioni fisiche del protagonista (fame, sete, freddo, paura, eccitazione, angoscia). 3. N. Revelli, Il disperso di Marburg, Torino, Einaudi, 1994, p. 105. D’ora in poi le citazioni da questa opera si troveranno direttamente nel testo dell’articolo, seguite dall’indicazione del numero della pagina. 4. Si cita a titolo di esempio la nota di Pietro Chiodi in apertura di Banditi (ANPI, Alba, 1946): «Questo libro non è un romanzo, né una storia romanzata. È un documentario storico, nel senso che personaggi, fatti ed emozioni sono effettivamente stati. L’autore ne assume in proposito la più completa responsabilità». La stessa nota è stata ripresa e ampliata per la ristampa del 1961 (Panfilo, Cuneo, poi Einaudi, Torino, 1975). 5. Il dibattito su una divisione precisa tra i generi evocati (cronaca, documento storico, produzione letteraria sulla seconda guerra mondiale) è molto complesso, e di non facile soluzione. Tuttavia, una separazione teorica resta possibile. Per operarla, occorre far ricorso alla nozione di invenzione. Secondo Maria Corti (Il viaggio testuale, Torino, Einaudi, 1978, p. 52) si può parlare di memorialistica quando l’invenzione non è integrata all’opera. Gérard Genette ricorda che la materia alla base delle opere di finzione «est fictive, c’est-à-dire inventée par celui qui présentement la raconte» e che la letteratura di finzione «s’impose essentiellement par le caractère imaginaire de ses objets» (Fiction et diction, Paris, Seuil, 2004, pp. 143 e 110). La nozione d’invenzione è evocata anche da Giovanni Falaschi (La Resistenza armata nella narrativa italiana, op. cit., p. 152), che separa i memorialisti che rispettano la verità storica dai romanzieri che inventano situazioni e avventure, e da Mario Saccenti, «Letteratura della Resistenza», in Vittore Branca (a cura di), Dizionario critico della letteratura italiana, UTET, Torino, 1994², p. 598. La questione resta comunque aperta se, come afferma Pier Giorgio Zunino, «molta invenzione […] c’è anche nella storiografia, nella migliore, poco meno che nella letteratura» (Id., La Repubblica e il suo passato, Bologna, Il Mulino, 2003, p. 227). 6. Claudio Pavone, Una guerra civile. Saggio storico sulla moralità della Resistenza, Bollati Boringhieri, Torino, 1994, p. 422.

RIASSUNTI

Nuto Revelli, ex ufficiale del Regio Esercito, ex partigiano, autore di diversi volumi che rievocano le sue esperienze militari, pubblica nel 1994 un’opera atipica nel suo percorso letterario, Il disperso di Marburg. Non si è di fronte a una cronaca di fatti vissuti in prima persona, né a un romanzo di argomento resistenziale. Si tratta piuttosto di un percorso di ricerca storica, volto a ricostruire l’identità di un soldato tedesco disperso in Italia nel 1944, in cui si intrecciano diversi livelli narrativi. Il lavoro dell’autore, presentato quasi come un’inchiesta poliziesca che attraversa gli archivi di diversi Paesi, si fonde con il processo di raccolta delle testimonianze orali, e diventa per lui un nuovo doloroso viaggio nei propri ricordi. Il percorso di definizione dell’identità del soldato tedesco disperso assume i contorni di una ricerca simbolica, tanto di ricostruzione identitaria del nemico di un tempo quanto di ricostruzione di un sé ferito dall’esperienza bellica.

Nuto Revelli, ancien officier de l’Armée Royale et ancien résistant, auteur de nombreuses œuvres inspirées par ses expériences militaires, publie en 1994 une œuvre atypique dans son parcours littéraire : Il disperso di Marburg. Cette œuvre n’est pas une chronique de faits vécus en première

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personne ; elle n’est pas non plus un roman ayant comme thème la Résistance italienne. Il s’agit d’un parcours de recherche historique qui a pour but de dévoiler l’identité d’un soldat allemand disparu en Italie en 1944. Dans cette enquête, plusieurs niveaux de narration s’entremêlent. Le travail de l’auteur, présenté comme un véritable jeu de piste entre les archives de différents pays, se mêle à un processus de récolte des témoignages oraux, et se transforme pour l’auteur en voyage douloureux dans le passé et ses souvenirs personnels. La recherche de l’identité du soldat allemand disparu devient une recherche symbolique, aussi bien de reconstruction identitaire de l’ennemi d’autrefois que de reconstruction d’une subjectivité blessée par l’expérience de la guerre.

Nuto Revelli, a former army officer and partisan, has transposed his own experience in many works. In 1994, he published Il disperso di Marburg, a complex work that is neither a chronicle of directly experienced events, nor a novel dealing with the Italian Resistance. It is rather a work in which different narrative levels mingle. The author becomes the protagonist of a detective story aiming to unveil the identity of a German soldier who disappeared in Italy in 1944. He thus begins a painful trip that brings him back to the past and to his personal recollections. Finally, the path leading to the discovery of the German soldier’s identity becomes a symbolic quest, where the identity of the former enemy is also a means to rebuild the author’s self, who was wounded by the experience of the war.

INDICE

Mots-clés : Nuto Revelli, Résistance, mémoire, guerre, témoignage, Il disperso di Marburg, soldat allemand Keywords : Nuto Revelli, Resistance, memoirs, war-testimonies, Il disperso di Marburg, German soldier Parole chiave : Nuto Revelli, Resistenza, memorialistica, guerra, testimonianza, Il disperso di Marburg, soldato tedesco

AUTORE

ALESSANDRO MARTINI Université de Lyon 3

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L’arrivée des migrants sur les écrans de cinéma italiens L’arrivo dei migranti sugli schermi cinematografici italiani Foreign migrants in Italian cinema

Isabelle Felici

1 Il est aisé de dater l’arrivée des migrants sur les écrans de cinéma italiens avec Pummarò1 de Michele Placido, produit en 1989 et sorti en 1990. Notre premier regard s’est porté sur ce film vingt ans après sa sortie, alors que de nombreuses autres images, toutes plus récentes, mettant en scène des immigrés en Italie2, l’avaient nourri. Le spectateur garde, gravé dans sa mémoire, le premier regard qu’il a eu sur un film3 et tout autant indélébile est sa première impression, utile pour l’élaboration d’une hypothèse de lecture4 : en dehors de toute considération esthétique, Pummarò nous est apparu plus ouvert, plus éclairé, moins emprunté et moins embarrassé, moins pudique même, pour aborder la question migratoire, que les films des décennies suivantes. Le spectateur y est immergé dans les problématiques de l’immigration, qu’il suit de l’intérieur, des problématiques qui évoluent au fur et à mesure qu’avance le récit. On suit en effet le protagoniste, Kwaku, dans sa remontée de l’Italie depuis le port de Naples, où il débarque d’un bateau qui l’a transporté clandestinement, jusqu’à Vérone, puis en Allemagne, à Francfort, où le conduit l’enquête qu’il mène pour retrouver les traces de son frère. Tout est montré du point de vue du protagoniste évoluant dans son milieu, sans jugement, avec une formidable capacité d’écoute et d’adaptation de la part du metteur en scène.

2 Si Placido, qui signe ici son premier long-métrage en tant que réalisateur, arrive d’emblée à ce résultat, c’est qu’il se situe dans la lignée des films italiens ayant traité les questions migratoires à partir du vécu des Italiens partis à l’étranger. De façon implicite contrairement à d’autres films plus tardifs, ce vécu est naturellement transposé à celui d’autres immigrés, en l’occurrence des Africains arrivés en Italie. Bien que ce phénomène migratoire soit encore nouveau pour l’Italie de la fin des années quatre-vingt, Placido le met en images sans rupture par rapport aux films antérieurs

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qui ont abordé le sujet. La rupture est en revanche très nette par rapport aux films postérieurs.

Pummarò et ses « frères »

3 Contrairement à Lamerica de Gianni Amelio5, l’autre film marquant pour les questions migratoires, sorti quelques années après, en 1994, Pummarò se passe entièrement en Italie ; seul le bref épilogue se déroule à Francfort. Le voyage du protagoniste arrivant d’Afrique est à peine ébauché, pour des nécessités narratives. Grâce à une caméra placée sur le bateau lui-même, les images qui précèdent le générique font allusion au mouvement et au déplacement.

4 Malgré des scènes très réussies, Pummarò est sûrement moins abouti du point de vue esthétique que Lamerica, qui est déjà devenu un monument du cinéma italien et qui, comme tout monument, souffre parfois de jugements et de classements trop rapides et passe-partout. Certains font en effet de Lamerica une épopée de l’émigration italienne ou, de façon tout aussi réductrice, un documentaire fiction sur l’immigration albanaise en Italie. Le premier raccourci trouve son origine dans le parallèle, explicite notamment dans le titre et dans les images finales, entre émigration italienne et immigration en Italie : suite à un concours de circonstances, voyagent dans le même bateau des Albanais au regard empli du « rêve d’Italie » et Michele/Spiro, ce vieux soldat de l’armée mussolinienne devenu amnésique, persuadé qu’il va débarquer à New-York. Le second raccourci n’est guère plus pertinent puisque, contrairement à Kwaku, qui met le pied sur le sol italien dès les premières minutes du film de Placido, les réfugiés albanais d’Amelio sont montrés uniquement au cours de leur voyage migratoire, qui occupe toute la dernière partie du film (environ le tiers), après l’infâme escroquerie et la déchéance du protagoniste ; mais on ne les voit ni descendant du bateau ni s’installant dans leur nouvelle vie. Les dernières images de Lamerica, d’où est de plus en plus absent le protagoniste qui a enfin cessé de voir ses compagnons de voyage à travers le filtre déformant de ses lunettes de soleil de marque, font défiler une galerie de visages d’hommes, de femmes et d’enfants, au regard plein d’espoir, confiants en ce qu’ils vont trouver à leur arrivée. Par ces gros plans insistants, Gianni Amelio conduit ses spectateurs à retirer à leur tour leur filtre déformant, en faisant explicitement appel, grâce au vieil homme amnésique, à leur passé migratoire refoulé ; il tente, en d’autres termes, de leur rafraîchir la mémoire6 : Avete visto quanta gente! Io non credia che s’imbarcavano tutti. […] Paesà, ma voi sapete parlare americano? Io non saccio manco l’italiano. Che dicete, ci danno lo stesso un lavoro? Sugnu stanco, ma voglio stare sveglio quando arriviamo a Nuova York7.

5 Une autre représentation cinématographique des arrivées massives d’Albanais en Italie est donnée par Nanni Moretti dans une scène d’Aprile, sorti en 1998. La scène ne dure que trois minutes dans ce film témoin des bouleversements que connaît l’Italie lors de la dernière décennie du XXe siècle. Elle prend appui sur le naufrage d’un bateau albanais torpillé par la marine italienne8 avant son arrivée sur les plages de l’Adriatique et illustre le désarroi de l’Italie face à ces flux migratoires de plus en plus massifs. Irrité de se rendre compte qu’il est incapable de sortir de ses préoccupations du moment pour poser des questions pertinentes à des Albanais qu’il rencontre dans un centre d’accueil, le réalisateur/personnage s’en prend aussi à la classe politique italienne – le centre- gauche est alors au gouvernement – qui selon lui n’a pas su accueillir ces réfugiés :

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Che domande da deficienti. Proprio fuori luogo… E poi il fatto che in questi giorni qui in Puglia non sia venuto nemmeno un dirigente della sinistra è il sintomo della loro assenza politica, ma soprattutto della loro assenza umana9.

6 Cette fois, le spectateur dépasse le moment du voyage, mais ne va pas au-delà du moment de l’arrivée dans le pays d’accueil. Aucun des films italiens qui ont suivi Pummarò n’a montré, comme l’a fait Placido, des immigrés installés, ayant trouvé un moyen de subsistance qui n’a pas forcément à voir avec la délinquance ou la prostitution. Dans Pummarò, les immigrés ont déjà appris à se mouvoir avec facilité dans la société italienne et à jongler avec ses contradictions ; les enfants vont à l’école, les parents travaillent dans des usines italiennes, certains vont à l’église. Il faut attendre 2007 pour retrouver un autre immigré non clandestin, non délinquant, de surcroît bien établi dans le tissu social italien et qu’on voit évoluer dans son milieu familial et culturel : c’est Hassan, dans le film de Carlo Mazzacurati, La giusta distanza10.

7 Le désarroi des Italiens à l’égard des immigrés apparaît aussi dans des films qui ne traitent pas directement de la question migratoire et il est encore plus perceptible lorsqu’on procède à une comparaison avec Pummarò. Dans Caterina va in città, 2002, Paolo Virzì montre sa jeune protagoniste dans un bus romain. La caméra ne cesse d’errer de son visage aux yeux curieux et étonnés à celui des passagers, surtout d’origine étrangère, s’arrêtant en particulier sur des femmes africaines. Le contraste est frappant avec la scène de Pummarò au cours de laquelle le protagoniste rencontre lui aussi des jeunes filles dans un bus romain : les personnages sont filmés en plans rapprochés, donnant l’impression au spectateur d’être un passager du même autobus, et la scène est pour tous l’occasion d’un échange, certes fugitif, mais souriant et détendu.

8 Ce désarroi, perceptible dans tous les films sortis après 1994, prend les formes les plus diverses, pouvant se transformer en véritable soif de connaître et de comprendre. Le premier long-métrage de Vincenzo Marra, Tornando a casa, 2001, est le meilleur exemple d’une incompréhension qui se transforme en attirance et qui prend, à travers les choix du protagoniste, surtout dans la scène finale, des proportions inattendues.

9 Même Nuovomondo d’Emanuele Crialese, 2006, se situe dans une démarche de redécouverte, par le cinéma italien, du thème de l’émigration italienne pourtant régulièrement abordé depuis les origines11. Le réalisateur choisit de privilégier le thème du départ (depuis le moment où se prend la décision de partir, jusqu’au voyage lui- même et au passage à Ellis Island), dans une démarche proche de celle d’Amelio et Scola (pour les séquences que nous avons déjà citées), qui vient rappeler au public italien les enjeux de son passé migratoire, réactivés par la présence d’immigrés en Italie. Dans cette logique, il n’est pas étonnant que Crialese, qui a aussi traité la question migratoire du point de vue de l’immigré italien dans son pays d’accueil (Once we were strangers, 1997), ait choisi de mettre en scène dans son nouveau film, Terraferma, en cours de tournage au moment où nous écrivons, une femme africaine qui débarque clandestinement sur une île proche de la Sicile.

10 En parcourant à rebours, à partir de Pummarò, les chemins du cinéma italien, on trouve plusieurs films qui racontent eux aussi les vicissitudes de l’installation dans le nouvel environnement : Good morning Babilonia, 1986, de Paolo et Vittorio Taviani, (qui met également en place les mécanismes du départ et esquisse le voyage transatlantique) et surtout Pane e cioccolata de Franco Brusati, 1974. Sur la même problématique de l’installation, on peut remonter à Rocco et ses frères (Luchino Visconti, 1961), Profession

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magliari (Francesco Rosi, 1959), jusqu’à 1934 et Toni de Jean Renoir, aux origines du néo- réalisme12.

Pummarò néo-réaliste

11 Si l’on en croit ses propos, dans un entretien qu’il a donné au moment de la sortie du film en DVD, Michele Placido a voulu rendre hommage au cinéma néoréaliste italien, qui a été une source d’inspiration pour Pummarò13. Pour illustrer sa démarche, il cite la participation au casting de Franco Interlenghi, qui a joué enfant dans Sciuscià (Vittorio De Sica, 1946).

12 Il raconte aussi comment l’idée de ce film est née lorsque, en revenant d’une journée à la plage, il a croisé le chemin d’Africains, dont l’un était médecin comme Kwaku, employés à ramasser des tomates. C’est exactement la démarche de Giuseppe De Santis qui, revenant d’un séjour à Paris, a croisé le chemin des mondine et s’est inspiré de cette rencontre pour tourner Riso amaro (1949).

13 L’hommage au néo-réalisme tient certes aussi à l’emploi d’acteurs non-professionnels, « ramassés dans la rue » dit Placido, au tournage en décors réels, aux nombreuses scènes à dimension documentaire. Mais surtout, en visionnant Pummarò, le spectateur est renvoyé aux images de films de l’après-guerre, premier entre tous Paisà. Pummarò est un film à épisodes géographiques14 : le premier chapitre, juste après l’introduction et l’arrivée sur le port de Naples, se déroule à Civitella, dans la province de Benevento, dans le milieu des ramasseurs de tomates encadrés par des associations mafieuses, le second à Rome, dans les quartiers de la prostitution, le troisième à Vérone, dans une famille d’Africains bien installée professionnellement et socialement ; comme on l’a vu, l’épilogue a lieu à Francfort. Le spectateur fait aussi le rapprochement entre les deux films à cause du personnage principal : un grand Noir qui part à la conquête de la péninsule et qui, de plus, vient mettre l’Italie face à ses réalités, misères et contradictions.

14 C’est grâce à cette intimité avec le passé que Placido gagne en modernité et peut saisir, du premier coup, ses personnages immigrés en Italie dans toute leur profondeur. Il est troublant de voir combien le parallèle est parfait entre le parcours d’Antonio Canova, le Toni de Jean Renoir que nous venons d’évoquer, et celui de Kwaku Kwalaturé, qui forme un personnage double avec son frère Giobbe. L’économie des deux récits est très proche, avec un voyage à peine esquissé et une arrivée de plain pied dans les réalités du pays d’accueil. On est très vite interpellé par le fait que Toni et Kwaku parlent la langue du pays dès qu’ils posent le pied dans leur nouvel univers. C’est plausible dans les deux cas puisque Toni est un « habitué » et n’en est pas à son premier séjour en Provence et que Kwaku a préparé son voyage, en prenant des cours d’italien. Les deux personnages sont aussi tous deux en quête de leur double, un double féminin pour Toni et un frère pour Kwaku ; la quête se conclut à chaque fois par une mort violente, pour une « bonne » cause.

15 Le parallèle continue sur le plan technique, par exemple avec l’utilisation de la musique. Dans Pummarò, l’acteur qui interprète le rôle de Kwaku est musicien15 et prête son talent à son personnage dans plusieurs scènes où la musique diégétique est reliée par celle que signent Lucio Dalla et Mauro Malvasi. C’est le guitariste et chanteur Paul Bozzi qui est crédité de la bande sonore de Toni ; il tient aussi le rôle d’un des personnages, ouvrier comme Toni, et interprète plusieurs airs tout au long du film, en

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français, en italien et en corse surtout, des chansons qui sont une des clefs d’interprétation du film et de sa dimension tragique : Le sujet du film est tiré d’un fait divers qui s’est réellement passé dans un coin du midi de la France resté suffisamment sauvage pour permettre une photographie dramatique. Cette région est habitée principalement par des immigrants d’origine italienne, mi-ouvriers, mi-paysans. Chez ces déracinés les passions sont vives et les hommes qui me servirent de modèle pour Toni m’ont semblé traîner derrière eux cette atmosphère lourde, signe du destin fatal des héros de tragédie, voire de chanson populaire16.

16 Les deux films sont aussi chacun pionnier à leur façon. Pummarò est le premier long- métrage sur le sujet de l’immigration en Italie et, bien que l’immigration italienne en France soit un phénomène déjà ancien quand Renoir commence son film17, il n’a pas inspiré les cinéastes français avant lui18. Les deux films sont aussi le reflet de la diversité migratoire. Dans l’Italie des années quatre-vingt qui se dessine dans Pummarò, Kwaku croise d’autres immigrés, marocains notamment. Quant à Renoir, il fait de cette diversité un arrière-plan permanent de son film, qui se déroule en Provence dans l’entre-deux-guerres19. En 1934, la « fusion des races20 » a déjà commencé, non sans heurts comme le rappellent quelques répliques dans les premières minutes du film : les Piémontais qui débarquent du train (mais on mentionne aussi des Espagnols « arrivés quelque temps plus tôt à Miramas ») sont annoncés comme « ces étrangers qui viennent nous lever le pain », la réplique étant placée dans la bouche d’un Turinois et d’un Barcelonais, à peine moins récemment arrivés. C’est aussi un Espagnol qui exprime sa méfiance envers les étrangers que les grands travaux attirent dans le pays : « surtout les sidis. Oh, je les aime pas ceux-là. On peut pas savoir ce qu’ils pensent »21. On relève moins souvent la présence corse, mise pourtant au premier plan par Jean Renoir à travers les chansons populaires qui, on l’a vu, rythment tout le film, pour la plupart des chansons corses22, et à travers le personnage de Primo, ouvrier et musicien corse « émigré » lui aussi en Provence.

17 Mais ce qui rapproche le plus les deux films, c’est le parcours d’installation, certes manquée, à une nouvelle condition auquel on assiste dans les deux cas. Ne manquent pas les scènes familiales, dans lesquelles Toni et Kwaku sont d’ailleurs tous deux spectateurs.

18 Le travail est un thème récurrent dans les deux films : « mon pays c’est celui qui me fait bouffer », « ça sent le pétrole, mais ça sent le boulot aussi », disent les Italiens en arrivant à Martigues. Nombreuses sont les scènes tournées aux champs ou à l’usine, à la mine, sur les voies ferrées… Comme les Espagnols et les Italiens de Toni, les Africains de Pummarò construisent leur pays de demain.

Italia dolce casa

19 Les Africains sont donc bien montrés chez eux, en Italie, même si le réalisateur de Pummarò semble éprouver un malin plaisir à dérouter le spectateur en lui montrant des images qui peuvent sembler exotiques, comme tout droit sorties d’un documentaire de voyage : par exemple ces buffles ou ces files de camion partant avant l’aube, comme en expédition.

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20 Ces images ancrent au contraire le film dans la réalité italienne23 et, pour le premier épisode, dans une des provinces où l’on produit depuis des siècles de la mozzarella à partir de lait de bufflonne.

21 Le film se caractérise ainsi par une série de décalages qui viennent bouleverser les idées reçues. Placido rapporte qu’on a voulu y voir des exagérations grimaçantes, dignes de la comédie à l’italienne. C’est pourtant de la lecture de faits divers qu’ont été tirées les scènes les plus aberrantes : le cimetière-dortoir dont les emplacements vides servent de lit, le wagon désaffecté utilisé comme restaurant, hôtel et même salle d’accouchement, à deux pas d’une grande gare romaine.

22 Ces décalages sont sans doute également dus au fait que le scénario s’est enrichi, au moment du tournage, des sensations et de la biographie de l’acteur principal, Thywill A. K. Amenya qui joue le rôle de Kwaku. Le spectateur perçoit ainsi du point de vue du personnage d’origine africaine les effets des visions stéréotypées des Italiens, et des Européens en général, sur l’Afrique. C’est aussi en même temps que lui qu’on s’étonne, ou qu’on se réjouit, des réactions tour à tour ingénues, méchantes, admiratives, amicales : non, en Afrique, Kwaku n’habitait pas dans une case ; il a fait de longues études et, passant devant le balcon de Juliette à Vérone, il déclame de mémoire Shakespeare dans le texte, sans qu’il y ait là d’incongruité puisqu’il vient du Ghana où la langue officielle est l’anglais. C’est lui, médecin, qui vient en aide à la jeune toxicomane, italienne, qui accouche dans le wagon désaffecté dont il vient d’être question. Il entre sans difficulté dans le monde du travail, dans une fonderie à Vérone, où il reçoit des marques de solidarité et de sympathie, à la cantine et à l’atelier, tout en ayant à supporter des manifestations d’animosité, par exemple de la part d’un ancien ouvrier qui confond son ressentiment face à l’échec de la lutte qu’il a menée toute sa vie avec la crainte que provoque en lui l’arrivée des ouvriers africains dans son secteur d’activité.

23 Malgré les obstacles, Kwaku commence à s’installer dans une nouvelle vie, partageant les préoccupations d’une famille africaine : on montre avec insistance des parents soucieux du travail scolaire de leurs enfants, qui ne jugent pas utile de leur enseigner leur langue africaine ; ces enfants sont pleins de projets, comme cette petite fille qui, dans un assez long monologue qui permet d’apprécier sa maîtrise du dialecte de Vénétie, annonce qu’elle sera policière ou infirmière24. Kwaku entreprend même de s’installer sentimentalement avec une Italienne, mais les violences morales et physiques qu’ils subissent tous deux, la pression sociale, et aussi la quête qu’il doit reprendre pour retrouver son frère, viennent mettre un terme à une relation qui n’avait guère d’avenir : Kwaku avait été mis en garde dès le début, quand on lui avait rapporté l’histoire d’un autre immigré : – Questo è finito. – Come finito? – L’hanno ammazzato. È morto per amore. – Per amore? – Faceva l’amore con una ragazza di queste parti. Ed è finito sotto un camion sulla Domiziana.

24 On le voit, la tragédie shakespearienne a encore de grands jours devant elle25. Placido raconte, dans l’entretien déjà cité, comment on a parfois refusé de projeter le film à cause des scènes d’amour entre une Blanche et un Noir26, perçues comme scandaleuses

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car selon lui la société italienne n’est « historiquement pas prête » à affronter le phénomène migratoire27.

25 Vingt ans après, son film continue à transmettre un message humaniste et intemporel, montrant l’inévitable bouleversement qu’apportent ces nouveaux arrivants aux sociétés qui les accueillent, lesquelles sont souvent loin de se rendre compte des richesses humaines, culturelles, pour ne pas parler des retombées économiques, que renferme leur bagage. Si, comme on le sait grâce à d’autres expériences migratoires, l’installation est inévitable au fil du temps, elle ne va pas jamais de soi. Ainsi Kwaku est- il averti dès le début que son chemin sera semé d’embûches : la première fontaine vers laquelle il se dirige, dans les premières minutes du film, est une fontaine sans eau, justement, lui explique-t-on, parce qu’on veut empêcher « les personnes comme lui » de se laver. La « leçon » lui arrive en condensé : il devra se battre pour survivre et garder sa dignité.

26 Parce qu’il se situe dans une tradition migratoire, ce film est le premier en Italie, et pour l’instant le plus puissant, à relever sans fausse note la mesquinerie de nos sociétés occidentales qui seules peuvent inventer une punition qu’ailleurs on ne réserverait pas à son pire ennemi, le priver d’eau, source de vie.

NOTES

1. M. Placido, Pummarò, 1990, avec T. A. K. Amenya, P. Villoresi, F. Interlenghi, J. Williams, G. Scala, DVD Cecchi Gori Home Video. 2. Pour une liste de films sur le sujet, voir S. Cincinelli, I migranti nel cinema italiano, Rome, Kappa, 2009. 3. Voir le souvenir d’enfance d’Italo Calvino raconté dans « Autobiografia di uno spettatore », rédigé en 1974, pour la préface d’un livre de Federico Fellini et repris dans le recueil La strada di San Giovanni, Milan, Mondadori. 4. Voir par exemple J. Aumont et M. Marie, L’Analyse des films, Paris, Nathan, 1989, p. 49. 5. G. Amelio, Lamerica, 1994, avec M. Placido et E. Loverso, DVD Cecchi Gori Home Video. 6. C’est la même démarche qu’adopte dans un épisode de Gente di Roma, avec davantage de cynisme, comme si l’entreprise lui semblait désespérée : le propriétaire d’un bar s’épanche sur le souvenir de son père mort à la mine à Marcinelle et, dans la même conversation, déverse son fiel à l’encontre d’un client d’origine africaine. 7. Nous transcrivons d’après les dialogues du film. 8. « Nel tardo pomeriggio del 28 marzo 1997, un Venerdì santo, la nave della marina militare italiana Sibilla speronò il battello albanese Kater I Rades, che si trovava ancora in acque internazionali, ma che cercava di avvicinarsi alle coste pugliesi. I morti furono 58, tra cui numerosi bambini. » () 9. Nous transcrivons d’après les dialogues du film, DVD Studio Canal. 10. Carlo Mazzacurati avait abordé le thème de l’immigration avec Vesna va veloce en 1998. Il y met en scène une jeune Tchèque qui profite d’un voyage touristique pour rester en Italie, où elle survit en se prostituant.

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11. On trouvera une liste de films italiens sur l’émigration dans J. A. Gili, « L’émigration italienne au cinéma », dans L. Teulières (dir.), Au cœur des racines et des hommes, Radici, hors-série, juillet 2007. 12. Même si le film a souvent été présenté ainsi, Renoir a récusé le fait que Toni puisse être considéré comme « précurseur des films néo-réalistes italiens », avançant le fait qu’il s’était « efforcé de ne pas être dramatique » et qu’il n’avait pas utilisé le doublage, mais bien le son en prise directe (J. Renoir, Ma vie et mes films, Paris, Flammarion, 1974, p. 140-141). Dans un texte plus ancien (1956), le cinéaste trouve cependant une parenté dans sa démarche et celle du néo- réalisme, lorsqu’il s’agit de filmer les « phases d’un conflit sans que les êtres humains inconsciemment entraînés dans cette action s’en soient aperçus. […] Plus tard, le néo-réalisme italien devait pousser le système jusqu’à la perfection » (J. Renoir, Écrits (1926-1971), Belfond (1974), 1993, p. 310). 13. P. Toccafondi et T. Santi, « Il mio debutto neorealista. Intervista a Michele Placido », supplément au DVD de Pummarò, Cecchi Gori Home Video. 14. Le parallèle serait également à faire avec Il cammino della speranza de Pietro Germi (1950), où on suit un groupe d’émigrants qui remonte toute la péninsule, depuis la Sicile, jusqu’à la frontière française. 15. Voir les propos de M. Placido dans « Il mio debutto neorealista », cité. 16. Lettre de Jean Renoir, datée d’octobre 1934, destinée aux directeurs de salle. Le texte, publié dans un article de Comœdia du 8 février 1935, est repris dans Jean Renoir, Écrits, ouvr. cité, p. 308. 17. Le film est présenté comme « une histoire vraie racontée par Jean Renoir, d’après la documentation recueillie par Jacques Levert ». Jacques Levert (de son vrai nom Jacques Mortier), à l’époque commissaire de police de la ville de Martigues (Jean Renoir, Ma vie et mes films, ouvr. cité, p. 140) projetait de faire un livre de ce fait divers ; le livre n’est jamais sorti, peut-être à cause du maigre succès remporté par le film à sa sortie en 1935. De Jacques Levert, on pourra lire en revanche le roman policier Le singe rouge, Paris, S.E.P.E., 1946. 18. J.-C. Vegliante, « Appunti sulla rappresentazione filmica degli italiani in Francia », ASEI, mai 2008 (). Voir aussi la rubrique Cinémigration dans la revue du CEDEI, La Trace (les sommaires sont disponibles sur ) ainsi que D. Serceau, « Les Italiens les premiers. 1934 : Un film précurseur, Toni, de Jean Renoir » (Cinémas de l’émigration, Cinémaction, no 8, 1979). 19. À propos de Toni, Émile Témime souligne la diversité des personnages (des Italiens, un Belge, des Espagnols), « qui marque précisément à Marseille l’immigration de l’entre-deux-guerres » (É. Témime, « Toni, une image de l’émigration italienne sur le littoral méditerranéen », Marseille, no 173-174, 1995). 20. Nous reprenons l’expression de la didascalie qui introduit le film : « L’action se passe dans le midi de la France, en pays latin, là où la nature, détruisant l’esprit de Babel, sait si bien opérer la fusion des races. » 21. Nous transcrivons d’après les dialogues du film. 22. Voir le minutieux découpage effectué par C. Peyrusse et L. Borger, sous la direction de C. Beylie, et publié par L’Avant-scène cinéma, no 251-252, 1980, p. 21 et suiv. 23. Vingt ans après le film, les conditions de travail des ramasseurs de tomates continuent à être régulièrement dénoncées, par exemple le 28 juillet 2009, lorsque Le Monde en ligne et l’AFP se font le relais des propos de l’Organisation internationale pour les migrations selon lesquels des « immigrés sont exploités dans des conditions “indignes” dans le sud de l’Italie » (). 24. On notera que ces métiers diffèrent un peu des étiquettes derrière lesquelles, même avec les meilleures (?) intentions, on enferme l’avenir des migrants en Italie, les vouant uniquement à des

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métiers subalternes. Voir par exemple le spot diffusé en décembre 2009 : et repris notamment dans le cadre de la « journée sans immigrés » du 1er mars 2010. 25. Citons aussi le surprenant Rometta e Giulieo de Gangbo Jadelin Mabiala, écrivain italien d’origine congolaise, publié par Feltrinelli en 2001. 26. Les scènes de prostitution ne semblent pas choquer autant. Faut-il penser, comme cela a été relevé, que « seule la relation sexuelle interethnique gratuite est dérangeante, contrairement à la relation sexuelle tarifée » ? (B. Le Gouez, « Pummarò : la “saison de l’or rouge”. Ramasseurs de tomates dans l’Italie des mafias », dans Tomate et Chocolat : usages alimentaires et créolisation culturelle, Paris, Michel Houdiard éditeur, 2008, p. 72-86.) Notons que le thème a été repris au cinéma en 2007 dans une comédie bourgeoise de C. Comencini, Bianco e nero. 27. Les déclarations, actions, manifestations… qui illustrent ou dénoncent cet état de fait sont nombreuses. Citons l’une des plus récentes, celle de l’écrivain Pap Khouma, d’origine sénégalaise, qui a récemment relancé le débat en racontant, à partir de ses déboires quotidiens, comment les institutions italiennes relaient les pratiques discriminatoires ().

RÉSUMÉS

Le premier film italien mettant en scène un immigré en Italie est Pummarò, produit en 1989 et sorti en 1990. C’est le premier long-métrage de Michele Placido en tant que réalisateur. Contrairement aux films à peine plus tardifs qui ont traité la question de l’immigration vers l’Italie (entre tous Lamerica de Gianni Amelio, 1994), Pummarò représente des immigrés dans leur processus d’installation, puis au milieu de leur famille et dans leur environnement de travail. L’article entend montrer comment, avant la rupture du début des années quatre-vingt-dix et le désarroi qui frappe le pays face aux arrivées de plus en plus nombreuses d’immigrés, le film de Placido s’inscrit dans la tradition migratoire séculaire italienne qui lui permet d’entrer de plain pied dans les problématiques des travailleurs étrangers présents sur le sol italien.

Il primo film italiano che racconta la nuova immigrazione in Italia è Pummarò, prodotto nel 1989 e uscito nel 1990. Si tratta del primo lungo metraggio diretto da Michele Placido. A differenza di altri film, usciti qualche anno dopo e girati sullo stesso soggetto (primo fra tutti Lamerica di Gianni Amelio, 1994), Pummarò è l’unico ad affrontare il tema dell’integrazione degli immigrati e della loro vita all’interno delle famiglie e nel loro ambiente lavorativo. L’articolo vuole mostrare come, prima degli scombussolamenti dell’inizio degli anni Novanta e prima dello sconcerto che colpisce il paese davanti all’arrivo sempre più massiccio d’immigrati, il film di Placido si iscriva nella secolare tradizione migratoria italiana e affronti pienamente, senza falsi pudori, le problematiche dei lavoratori stranieri presenti sul suolo italiano.

Pummarò (1990) marks Michele Placido’s debut as a director; it is also the first film to deal with foreign migrants in Italy. Unlike other Italian films on the same topic, which were made subsequently (e.g. Lamerica by Gianni Amelio, 1994), Pummarò shows migrants in their settling down process, surrounded by their families and in their working environments. This essays attempts to show how, before the upheavals of the early nineties and the growth of the

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immigration phenomenon which caused disarray in the country, Placido’s film is in keeping with the Italian migratory tradition, and tackles the foreign workers’ issues in Italy with remarkable directness.

INDEX

Keywords : cinema, emigration, immigration, Italy, Jean Renoir, Michele Placido, Pummarò, Toni Parole chiave : cinema italiano, emigrazione italiana, immigrazione in Italia, Jean Renoir, Michele Placido, Pummarò, Toni Mots-clés : cinéma italien, émigration italienne, immigration en Italie, Jean Renoir, Michele Placido, migrants au cinéma, Pummarò, Toni

AUTEUR

ISABELLE FELICI Université Montpellier 3

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La lutte entre image et imagination : Dario Fo joue (et dessine) Johan Padan La lotta fra immagine e immaginazione. Dario Fo recita (e disegna) Johan Padan The struggle between image and imagination. Dario Fo plays (and draws) Johan Padan

Federica Tummillo

1 En 1991 Dario Fo découvre finalement l’Amérique sur scène. Si en 1963 le rôle de Christophe Colomb dans Isabelle, trois caravelles et un charlatan, l’avait obligé de rester à la cour d’Isabelle la Catholique pour mettre à nu l’obscénité du pouvoir politique, trente ans plus tard le personnage de Johan Padan lui permet de tenter sa fortune à bord d’une caravelle pour échapper au Tribunal de l’Inquisition.

2 Pendant un voyage merveilleux et terrible, Johan, un homme quelconque, survivra au naufrage sur le dos d’un porc, fera la rencontre des tribus indigènes de l’Amérique centrale, il sera à la fois marin, prophète, chaman, bouffon, guide révolutionnaire, homme qui vieillit en paix.

3 Le monologue Johan Padan a la descoverta de le Americhe (Johan Padan à la découverte des Amériques) inclut le temps d’une vie entière dans un espace scénique pratiquement vide1.

4 Comme à l’époque de Mystère Bouffe, en 1969, Fo se déplace seul, habillé de façon neutre, derrière lui une toile de fond richement illustrée, la même qu’il avait utilisée pour Isabelle, trois caravelles et un charlatan. Le seul objet de scène est un album assez volumineux, placé sur un pupitre, que Fo feuillette de temps en temps en reprenant son souffle. En effet, comme le dit Marisa Pizza, il s’agit bien d’un « souffleur muet2 », un véritable scénario visuel réalisé par l’auteur lui-même avec ses propres dessins.

5 Dario Fo porte sur scène ses dessins sans les montrer directement, il fait en sorte que la curiosité du spectateur monte jusqu’à la pause entre les deux actes pour mettre son grand album en consultation libre dans le foyer du théâtre3.

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6 Ce coup semble faire partie d’une stratégie de communication ayant comme but un jeu avec le public : si sur les pages de l’album se succèdent des paysages fantastiques, corps nus qui s’enlacent, porcs, chevaux, sirènes, explosions et cataclysmes, sur scène c’est le rythme de la narration en grammelot4 qui construit le spectacle, à l’aide d’une gestualité esquissée.

7 Le décalage entre ce qui est visible sur scène et ce qui est en dehors de la scène, ne se limite pas à créer un simple effet de suspense, mais vise à provoquer une réaction du public ; qu’il s’agisse du déclanchement d’une activité imaginative fertile ou d’une simple envie de vérifier sur un support tangible la cohérence des images picturales avec le récit qu’il vient d’entendre, le spectateur est invité à compléter le conte à partir d’un vide visuel.

8 Selon le critique Christopher Cairns, le monologue Johan Padan a la descoverta de le Americhe est le résultat d’un processus d’affinement du langage théâtral de Fo qui a lieu dans les années quatre-vingt, une période dans laquelle sa « vision picturale », dérivante de sa formation et de sa pratique de peintre, se manifeste dans toute son ampleur : Je suis désormais persuadé – écrit Cairns – que celui qui fait du théâtre, ayant une expérience de peintre derrière lui, regardera toujours la scène comme un peintre. La création d’une scénographie, d’un code performatif au théâtre ou du dessin d’un costume est toujours une action picturale, mais dans laquelle le peintre apporte une expérience unique, une vision d’ensemble, du monde, qui est tout à fait particulière5.

9 L’étude de Cairns sur le Johan Padan, qui prend appui à son tour sur celui d’Antonio Scuderi6, décrit le code performatif de l’acteur qui reproduit l’image dessinée « dans l’esprit du spectateur7 ». Le code figuratif des dessins contenus dans le « souffleur muet » se traduit ainsi en code performatif sur scène dans un « langage scénique mûr […] éloigné de l’expression naturaliste d’un tableau historique d’époque8 ».

10 Marisa Pizza souligne que Dario Fo conçoit ce monologue en racontant les images que lui-même a peintes, dans un processus de création qui commence avec un canevas initial et qui continue sur scène avec des passages improvisés.

11 À ce propos, Antonio Scuderi identifie dans ces dessins la récurrence de certaines « images-symboles » qui, à son avis, suggèrent l’action scénique, et des icônes/ archétypes typiques de la « peinture scénique » de Fo, synthétisant des lazzis9.

12 Il s’agit d’une utilisation différente du dessin par rapport aux mises en scène des pièces de Molière à la Comédie-Française à Paris en 1990-1991, lorsque Fo avait comblé les lacunes visuelles du texte théâtral (ou celles qu’il considérait comme telles) avec des croquis.

13 En regardant les enregistrements des spectacles, nous avons l’impression que dans les farces de Molière mises en scène par Fo, les acteurs et les objets de scène faisaient partie d’un seul continuum dynamique dans lequel les images battaient la mesure de la représentation, alors que dans le monologue Johan Padan, c’est la narration qui donne le rythme au spectacle et l’image – comme le montrent Cairns, Scuderi et Pizza – est suggérée et non représentée.

14 Dario Fo, à travers Johan Padan, peint sur scène, l’auteur joue la peinture et propose au spectateur de jouer avec lui.

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15 Ce qui nous paraît crucial est que cette stimulation de la fonction imaginative du spectateur a lieu parallèlement à la récupération de la « conscience autobiographique10 » du personnage fabulateur : Johan Padan est effectivement le premier des monologues de Fo dans lequel le protagoniste raconte sa vie de sa jeunesse à sa vieillesse. La fable s’étend ainsi sur le temps historique qui nous fait penser à l’« information traditionnelle » dont parlait Umberto Eco dans son essai Apocalyptiques et Intégrés : […] si l’information traditionnelle était pour la plupart d’ordre historique […], l’homme de l’ère “visuelle” reçoit une masse vertigineuse d’informations sur ce qui est en train de se passer dans l’espace, au détriment des informations sur les évènements temporels11.

16 La narration orale d’une autobiographie fantastique a l’air d’une provocation supplémentaire pour le public à retrouver le temps historique à travers la voie du conte, d’autant plus que cela révèle avec ironie les paradoxes de l’Histoire, dans une époque caractérisée par l’information en temps réel.

17 L’attitude de Dario Fo semble ainsi répondre à la suggestion que Eco avait formulée trente ans auparavant : « Une civilisation démocratique se sauvera seulement si elle fera du langage de l’image une provocation à la réflexion critique, non une invitation à l’hypnose.12 » L’affinement du langage théâtral dont parle Cairns se situe, à notre avis, dans un cadre de réflexion visant à proposer au public un plaisir autre que l’« hypnose ». Comme l’a dit Ferruccio Marotti en 1999, à l’occasion de la remise du diplôme laurea honoris causa à Dario Fo à l’université La Sapienza de Rome, Fo porte une attention constante au rôle du théâtre dans la société : Dario Fo pense que le théâtre aujourd’hui – dans un monde où le cinéma et la télévision constituent désormais l’univers entier du spectacle et nous enchantent pendant des heures et des heures chaque jour – doit avoir une fonction spécifique et différente : un lieu où réfléchir sur nous-mêmes, activer notre intelligence, notre sens critique, un lieu où nous reconnaître membres actifs d’une société qui tend à nous rendre passifs : bref, un lieu où parler de l’homme d’aujourd’hui13.

18 Ces mots nous confirment que le travail théâtral de Fo a peut-être connu des changements dans les formes et dans les contenus mais que son intention reste la même ; nous avons l’impression que les modalités de communication proposées par l’auteur dans le Johan Padan constituent une réponse aux changements du contexte de réception.

19 Pendant les années soixante-dix l’activité de Dario Fo et Franca Rame s’était enracinée dans le milieu ouvrier et étudiant et avait opéré comme outil de contre-information visant à dévoiler la violence et les contradictions du pouvoir. Cette époque était caractérisée par un climat de forte tension politique et sociale et marquée par le fléau du terrorisme, ce qui n’est pas le cas pour les années quatre-vingt, qui représentent un tournant et dans la société italienne et dans leur carrière.

20 Cairns repère le début de ce tournant en 1977, quand ils font leur retour sur les plateaux de la télévision après les quinze ans d’absence qui avaient suivi le « scandale de Canzonissima » en novembre 196214. À cette occasion, Fo signe un contrat avec la RAI pour la diffusion en deuxième partie de soirée d’un cycle de sept spectacles, enregistrés préalablement, dont seulement un inédit, Parliamo di donne [Récits de femmes], conçu pour Franca Rame. La rétrospective comprenait Isabella, tre caravelle e un cacciaballe [Isabelle, trois caravelles et un charlatan, 1963], Settimo : ruba un po’ meno [ Septième commandement : tu voleras un peu moins, 1964], deux versions de Ci ragiono e canto [J’y

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raisonne et je chante, 1966], La Signora è da buttare [Il faut la balancer, cette dame, 1967] et deux versions de Mistero buffo [Mystère bouffe, 1969].

21 Selon Cairns ces spectacles constituaient « un résumé ou un compte rendu du langage théâtral de Fo jusqu’au moment du grand saut dans l’univers de la régie avec Histoire du soldat de Stravinskji [1978-1979]15» et avaient tous en commun la « vision picturale » de Fo. Il souligne également que le retour de Fo à la télévision avait inauguré une époque dans laquelle une telle « vision picturale » s’était manifestée dans toute son ampleur, avec les mises en scène des pièces des grands compositeurs et dramaturges européens (L’Opera dello Sghignazzo, libre remaniement de l’Opéra de quat’sous de Brecht, en 1982, Le Barbier de Séville de Rossini en 1987, Le médecin volant et Le médecin malgré lui de Molière en 1991), mais aussi avec Arlecchino en 1985 et Johan Padan a la descoverta de le Americhe.

22 Pendant les années quatre-vingt Fo semble donc laisser de côté une dramaturgie fondée sur l’urgence de la représentation pour se consacrer, de manière approfondie, aux techniques de la mise en scène et du jeu de l’acteur.

23 Selon Marina Cappa et Roberto Nepoti, le cycle de spectacles pour la télévision en 1977 peut être considéré un « bilan », le témoignage « de la diminution progressive des impulsions novatrices de la décennie précédente » et de l’impossibilité de mettre en scène « une succession d’événements dramatiques qui se prêteraient mal à la déformation satirique16 ».

24 La pièce inachevée Il Caso Moro, écrite en 1979 et jamais représentée, est emblématique de ce qui peut être appelé la crise d’un langage de parole17. Dans ce texte, le personnage Fo-Aldo Moro n’arrivait pas à achever son discours et il devenait victime de ses propres mots, comme le reconnaissait l’auteur lui-même dans une interview: C’est fini le temps où, pour faire Mort accidentelle d’un anarchiste, il suffisait de renverser une situation apparemment obscure, et tout était clair. Maintenant c’est le pouvoir qui fait entièrement la loi sur ce qui est clair et ce qui ne l’est pas. Et toi, si tu veux faire du théâtre, tu dois aussi faire les comptes avec leur science de la représentation politique, beaucoup plus rapide et paradoxale que le théâtre. Avec Moro, on m’a donné une leçon de spectacle18.

25 La « science de la représentation politique » et la représentation théâtrale sont présentées par Fo comme deux systèmes d’images qui entrent en compétition. La représentation politique prévaut car elle a appris à être obscure, rapide et parce qu’elle s’est approprié le paradoxe, un outil cher au théâtre de Dario Fo.

26 Ce n’est peut-être pas un hasard si Settimo: ruba un po’ meno fait également partie de la rétrospective à la télévision, car il est construit sur une situation qui est initialement présentée comme absurde, mais qui s’avère comme réelle dans la charge grotesque du dénouement final.

27 Dans cette pièce, Fo montre que souvent la réalité dépasse l’imagination et que, dans un contexte de déferlante spéculation sur les terrains, les administrateurs locaux peuvent bien décider de déplacer un cimetière, d’autant plus qu’ils ont acheté des cadavres à l’étranger pour l’élargir.

28 Ce spectacle semble avoir été inclus dans la rétrospective pour sa structure dramaturgique qui serait plus adaptée aux paradoxes spectaculaires de la politique italienne que le simple renversement farcesque n’arrivait plus à les raconter19.

29 Les médias avaient joué un rôle fondamental dans ce processus de spectacularisation de la politique et il nous paraît fort probable que Dario Fo et Franca Rame se soient

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interrogés sur la possibilité d’intégrer activement leur théâtre à ce nouveau panorama socioculturel, sans perdre leur identité.

30 Cairns, en rejoignant la position de Chiara Valentini, souligne que « l’invitation de la part de la RAI à Fo20 » était très probablement due à l’affirmation de la gauche italienne aux élections en 1975 et 1976 et à l’identification de RAI 2 comme une chaîne de télévision « presque laïque et socialiste ». Il met également en évidence que le fait de confier à la télévision seulement un certain type de spectacles était un signal clair de ce qu’on ne voulait pas rétablir dans le futur : Mort accidentelle d’un anarchiste, on n’en parle même pas ! Et également Faut pas payer ! Le premier parce qu’il met en question le sérieux des forces de l’ordre, le deuxième parce qu’il sembla encourager, à l’époque, la désobéissance civile. Pareil pour Guerre du peuple au Chili, parce que trop lié aux faits divers et à la chronique d’une époque et parce qu’en plus il traitait de problèmes à l’étranger. Mort et résurrection d’un pantin, il n’en est pas question, pour des raisons similaires21.

31 À tous ces arguments, qui relèvent à la fois de la valeur artistique que du contenu des spectacles, nous voudrions ajouter un élément d’ordre pratique et technique lié à la transposition du théâtre à la télévision. Nous ignorons les accords (et les éventuels compromis) entre la RAI et le couple Fo-Rame en 1977, mais nous nous demandons si l’un des critères de sélection des spectacles n’a pas été l’efficacité de leur représentation à la télévision. Nous trouvons une présentation des problématiques principales liées à une telle transposition dans le Dictionnaire du théâtre de Patrick Pavis : Alors qu’au théâtre, le spectateur fait lui-même son tri dans les signes de la représentation, à la télévision (comme au cinéma), un fléchage du sens a déjà été effectué pour lui dans le cadrage, le montage, les mouvements de caméra. Pour une émission à partir d’une mise en scène théâtrale, cela implique que la mise en scène filmique a le “dernier mot” pour donner sens au spectacle22.

32 Il n’est pas impossible que l’attention portée à la mimique d’un seul acteur dans Mistero buffo, les beaux tableaux vivants rythmés par la musique populaire dans Ci ragiono e canto ou la scénographie à fort impact visuel dans Isabella, tre caravelle e un cacciaballe, se prête mieux à une version filmée, d’autant plus que l’année 1977 était importante pour la télévision italienne, qui passait officiellement du noir et blanc à la couleur, avec toute une série de potentialités communicatives encore à tester.

33 Il ne s’agit que d’une hypothèse, mais il est intéressant de constater que, au-delà des critères de choix des spectacles, cette expérience de mise en scène à la télévision (partagée peut-être avec des professionnels de la RAI) a eu lieu au même moment que le « grand saut dans l’univers de la régie » au théâtre. On peut supposer que l’expérience de la télévision a permis à Fo de se regarder autrement, de se familiariser avec un moyen de communication qui a toujours le « dernier mot » et qu’elle lui a appris à dialoguer avec un public invisible, caché derrière un petit écran dans l’intimité du foyer familial.

34 Tous ces changements ne sont pas négligeables pour un homme de théâtre si attentif aux spectateurs, d’autant plus que ce public invisible était probablement plus ample et hétérogène qu’à l’époque de Canzonissima, et qu’il aurait perdu progressivement, au cours des années quatre-vingt, sa « physionomie de classe » tandis qu’augmentait son sens d’appartenance à la « deuxième révolution de la consommation23 ». Cette dernière était encouragée par le grand succès des chaînes de télévision commerciale en Italie,

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une donnée importante si l’on considère que, comme l’a écrit Andrea Di Michele, la télévision devenait le principal moyen de « consommation culturelle » : Pour beaucoup d’italiens, et surtout pour les classes inférieures, la télévision devint le principal moyen de consommation culturel, conquérant ainsi le premier rang parmi les loisirs. En 1986, 86,3 % des interviewés déclaraient regarder quotidiennement la télévision, alors que moins de la moitié lisaient un journal avec la même fréquence24.

35 Di Michele souligne également que la télévision publique adapta progressivement ses contenus à ceux de la télévision commerciale pour contraster sa concurrence, baissant ainsi la qualité de ses programmes. À la lumière de tous ces éléments, nous pouvons identifier deux problématiques principales : l’une concernant les caractéristiques structurelles de la télévision en tant que médium, l’autre portant sur le changement du contexte de réception. L’année 1977 se révèle ainsi délicate pour le futur du langage théâtral chez Dario Fo. La célèbre phrase de Marshall Mc Luhan « the medium is the message » est toujours d’actualité, car elle souligne la prééminence du moyen de communication sur le contenu de la communication. Le critique canadien suggérait, dès les années soixante, que chaque médium détermine une forma mentis propre à ses utilisateurs et qu’il doit être étudié à partir des structures sur la base desquelles il organise la communication25. En 1964, Umberto Eco, toujours dans son Apocalyptiques et Intégrés, avait déjà parlé des « nouvelles habitudes de réception » crées par la télévision en faisant également référence aux théories de Marshall Mc Luhan. Eco focalisait l’attention sur la réaction des intellectuels face à toutes les transformations du contexte médiatique et classait ces derniers – non sans un brin de provocation – en deux catégories, les apocalyptiques et les intégrés : […] si les apocalyptiques survivent justement en confectionnant des théories sur la décadence, les intégrés théorisent, et plus facilement agissent, produisent, émettent leurs messages quotidiennement à tous les niveaux26.

36 Umberto Eco est le premier à faire de l’ironie sur l’utilisation rigide de ces deux catégories et nous voudrions suivre la suggestion tacite de cette ironie en évitant de définir Fo parmi les « intégrés ». Mais il est vrai que Fo a tendance à agir et à produire plus qu’à théoriser. Sa biographie, marquée par plusieurs ruptures et recompositions, nous en dit long sur sa nature d’artisan infatigable prêt à se mettre en discussion et à tout refaire quand le spectacle n’a pas suffisamment de prise sur le public. Nous pouvons synthétiser cette attitude avec l’expression « Voilà le truc : toujours jeter tout en l’air », qui est le titre d’un paragraphe que l’on trouve dans son Manuale minimo dell’attore27. Dans ce texte, Fo montre comme exemple de son modus operandi, le processus de construction de sa comédie Claxon, trombette e pernacchi [Klaxons, trompettes et pétarades] en 1981, fortement remaniée plusieurs fois avant la mise en scène. Ce qui nous paraît intéressant c’est que l’auteur avoue clairement avoir identifié, en accord avec Franca Rame, les « structures dépassées » du texte théâtral qu’il venait d’écrire après l’avoir lu publiquement, c’est-à-dire à un stade déjà très avancé du travail. C’est à partir du retour de l’auditoire qu’il décida alors d’y apporter des changements substantiels.

37 L’attitude de l’auteur face à son œuvre révèle une rare capacité de se mettre en question et une recherche constante d’un langage théâtral efficace qui prend en compte son interlocuteur.

38 Cette attitude de Fo, toujours visant à construire et à proposer des solutions, a sûrement le point faible de ne pas s’appuyer sur un « système théorique » conçu pour

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comprendre le contexte de réception, comme il ressort des mots de Claudio Meldolesi en 1978 : […] face au choix entre défendre en tant que « principes » les valeurs de son ancienne position militante ou se mesurer avec les pièges de la télévision, [Fo] a pris la deuxième voie, persuadé de la possibilité d’« ouvrir de nouveaux espaces » en s’insinuant dans les fissures du pouvoir […] ; sa position intellectuelle n’a pas changé, mais son système théorique, dans le reflux du « mouvement » se révèle partiellement inadéquat et impuissant face aux incursions hégémoniques ou destructives (il y en a déjà et d’autres se préparent)28.

39 La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si Fo a effectivement ouvert de nouveaux espaces. Le monologue, transformé en biographie fantastique, constitue, à notre avis, un de ces espaces, un lieu qui peut se dilater ou se contracter, le temps d’un souffle. C’est dans cet espace en mouvement, jamais constant, qui trouve sa place l’image conçue, au sens philosophique, comme « reproduction fantastique, ayant lieu dans la conscience, du contenu d’une expérience sensible29 ». D’ailleurs, en regardant les dessins du grand album que Fo porte sur scène avec Johan Padan, on pourra constater que la « reproduction fantastique » est l’approche de Fo aux images picturales des grands peintres classiques qu’il reprend, réinvente, décompose et recompose.

40 Cette attitude qu’a l’auteur à l’égard de l’Art, est la même qu’il a à l’égard de la Littérature, de l’Histoire et de tout autre savoir écrit avec une majuscule initiale. Dario Fo, avec le Johan Padan, semble vouloir expérimenter un type de provocation autre que celui de la contre-information. Sa « vision picturale », héritage de son passé, retrouve sa force dans un langage théâtral qui veut secouer les spectateurs non seulement sur le plan des contenus, mais aussi sur celui de la modalité de réception de ces contenus. La complicité que Fo veux instaurer avec son public se prolonge hors de la scène à travers la multiplicité de moyens de transmission auxquels il confie désormais son œuvre. Le Johan Padan est né comme un spectacle théâtral et a continué à vivre sur les pages d’une édition illustrée pour ensuite se transformer en dessin animé.

41 Pour l’instant nous ne sommes pas en mesure de déterminer ni son influence effective sur la manière de faire du théâtre aujourd’hui en Italie ni son impact sur les spectateurs. La force du théâtre de Fo demeure insaisissable pour ceux qui ne partent pas à la découverte des Amériques30.

NOTES

1. D. Fo, Johan Padan a la descoverta de le Americhe, dans Teatro, sous la direction de Franca Rame, Turin, Einaudi, coll. « I millenni », 2000. 2. M. Pizza, Il gesto la parola l’azione. Poetica, drammaturgia e storia dei monologhi di Dario Fo, Rome, Bulzoni, 1996, p. 299. 3. Ibid., p. 297. 4. Avec le mot grammelot nous nous référons au langage onomatopéique utilisé par Fo dans ses monologues.

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5. C. Cairns, Dario Fo e la “pittura scenica”. Arte teatro regie 1977-1997, Naples, Edizioni Scientifiche Italiane, 2000, p. 13 : « Ormai sono convinto che chi fa teatro con l’esperienza del pittore alle spalle guarderà la scena sempre da pittore. La creazione di una scenografia, di un codice performativo nel teatro o del disegno di un costume è sempre un’azione pittorica, ma nella quale il pittore porta un’esperienza speciale, una visione dell’insieme, del mondo, che è del tutto particolare. » La traduction en français est la nôtre. 6. Voir A. Scuderi, Dario Fo and the Popular Performance, New York-Ottawa-Turin, Legas, 1998. 7. C. Cairns, Dario Fo e la “pittura scenica”, ouvr. cité, p. 185. 8. Ibid., p. 189 « […] il linguaggio scenico maturo di Fo fabulatore è lontano dall’espressione naturalistica di un quadro storico d’epoca. » 9. A. Scuderi, Dario Fo and the Popular Performance, ouvr. cité, p. 57-62. 10. Nous empruntons cette expression au neurobiologiste portugais Antonio Damasio. 11. U. Eco, Apocalittici e integrati, Milan, Bompiani, 1977, p. 347 : « […] mentre l’informazione tradizionale era per lo più di ordine storico […], l’uomo dell’era “visuale” viene ad avere una mole vertiginosa di informazioni su quanto sta avvenendo nello spazio, a detrimento delle informazioni sugli eventi temporali. » 12. Ibid., p. 346 : « Una civiltà democratica si salverà solo se farà del linguaggio dell’immagine una provocazione alla riflessione critica, non un invito all’ipnosi. » 13. F. Marotti, Elogio di Dario Fo, 2006 : « Dario Fo ritiene che il teatro oggi – in un mondo in cui il cinema e la televisione costituiscono oramai l’intero universo dello spettacolo e ci incantano per ore e ore al giorno – debba avere una funzione specifica e diversa: un luogo in cui riflettere su noi stessi, attivare la nostra intelligenza, il nostro senso critico, un luogo in cui riconoscerci come membri attivi di una società che tende a renderci passivi: insomma, un luogo in cui parlare dell’uomo di oggi. » 14. Le couple Fo-Rame rompit le contrat avec la RAI, à cause de la censure d’un sketch satyrique dénonçant les morts sur le lieu de travail dans le secteur du bâtiment. 15. C. Cairns, Dario Fo e la “pittura scenica”, ouvr. cité, p. 36 « […] riassunto o resoconto del linguaggio teatrale di Dario Fo fino al punto del gran lancio nel mondo della regia con Storia del soldato di Stravinskji [1978-79]. » 16. Ibid. : « graduale venir meno degli impulsi innovativi del decennio precedente » ; « un susseguirsi di eventi drammatici che mal si presta[va]no alla deformazione satirica ». Ces phrases de M. Cappa et R. Nepoti ont été citées par C. Cairns. 17. Voir F. Tummillo, Il buffone incatenato. Il caso Moro di Dario Fo, Actes du colloque internationale Littérature et temps des révoltes (Italie, 1967-1980), université Stendhal-Grenoble 3 – ENS Lyon, 2008 (publication en ligne sur : ). 18. E intanto Fo chiude Moro nel cassetto, dans L’Europeo, 8 novembre 1979 : « Sono finiti i tempi in cui per fare Morte accidentale di un anarchico bastava capovolgere una situazione apparentemente oscura, e tutto era chiaro. Ora è interamente il potere a dettar legge su ciò che è chiaro e ciò che non lo è. E tu, se vuoi far del teatro, devi anche fare i conti con la loro scienza della rappresentazione politica, molto più veloce e paradossale del teatro. Con Moro, mi hanno dato una lezione di spettacolo. » 19. Ce spectacle se prêtera parfaitement à une actualisation (Settimo: ruba un po’ meno no 2) quinze ans plus tard, en 1992, lors du scandale de Tangentopoli en Italie. 20. Voir C. Valentini, La storia di Dario Fo, Milan, Feltrinelli, 1977. 21. C. Cairns, Dario Fo e la “pittura scenica”, ouvr. cité, p. 37 : « Morte accidentale di un anarchico neanche parlarne! Neanche Non si paga! Non si paga! Il primo perché pone in questione la serietà della forze dell’ordine, il secondo perché sembrò allora incoraggiare la disubbidienza civile. Neanche La Guerra del popolo in Cile, perché troppo legata a fatti e cronaca di un’epoca, e per di più trattava problemi all’estero. Morte e resurrezione di un pupazzo, neanche per sogno, per motivi simili. » 22. P. Pavis, Dictionnaire du théâtre, Paris, Armand Colin, 2003, p. 348. 23. A. Di Michele, Storia dell’Italia repubblicana, Milan, Garzanti, 2008, p. 277.

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24. « Per molti italiani, specialmente i ceti inferiori, la televisione divenne il principale consumo culturale, conquistandosi il primato tra i diversi modi di gestione del tempo libero. Nel 1986, l’86,3% degli intervistati dichiarava di guardare giornalmente la televisione, mentre meno della metà leggeva un giornale con la stessa frequenza. » (Ibid.) 25. M. McLuhan et Q. Fiore, Understanding Media: The Extensions of Man, New-York, McGraw-Hill, 1964. 26. U. Eco, ouvr. cité, p. 4: « Se gli apocalittici sopravvivono proprio confezionando teorie sulla decadenza, gli integrati teorizzano, e più facilmente operano, producono, emettono i loro messaggi quotidianamente ad ogni livello. » 27. D. Fo, Manuale minimo dell’attore, Turin, Einaudi, 1997, p. 167-168 : « Il trucco è: buttare sempre tutto all’aria. » 28. C. Meldolesi, Su un comico in rivolta, Rome, Bulzoni, 1978, p. 191 : « […] posto nell’alternativa di difendere i valori della vecchia posizione militante come “principi” o di misurarsi con l’insidia televisiva, [Fo] ha scelto la seconda via, convinto della possibilità di “aprire nuovi spazi” lavorando nelle crepe del potere […]; la sua posizione intellettuale non è mutata, mentre il suo sistema teorico, nel riflusso del movimento, appare in parte inadeguato e sguarnito verso le incursioni egemoniche o di devastazione (ce ne sono e se ne preparano). » 29. La piccola Treccani: dizionario enciclopedico, Rome, Istituto della enciclopedia italiana, 1995-1997, définition du mot « Immagine » [Image] : « Con sign. specifico, in filosofia, la riproduzione fantastica, che si compie nella coscienza, del contenuto di un’esperienza sensibile, o la libera produzione di ciò che potrebbe essere il contenuto di una simile esperienza. » 30. Je remercie Lisa El Ghaoui et Emanuela Nanni pour leur relecture de cet article et Marisa Pizza pour ses conseils.

RÉSUMÉS

En 1977 Dario Fo fait son retour à la télévision italienne après quinze ans d’absence qui avaient suivi le scandale de « Canzonissima » en 1962. Ce retour consolide « la réputation de Dario Fo en tant que figure nationale italienne » (Cairns) et annonce une phase de son théâtre où la « vision picturale », propre à l’auteur, se manifeste d’une façon de plus en plus nette. À première vue, le théâtre de Fo semble perdre sa charge subversive et sa force « contre- informative » dès la fin des années soixante-dix ; en réalité, la lutte de l’auteur-acteur semble se situer sur le plan du langage théâtral en opposition aux propriétés hypnotiques du langage d’un certain type de télévision, d’autant plus que la politique elle-même devient spectaculaire. L’invitation à l’imagination que Fo lance à son public avec le monologue Johan Padan a la descoverta de le Americhe (1991), peut être vue comme une réponse « aux incursions hégémoniques ou destructives » évoquées par le critique Claudio Meldolesi dès 1978.

Nel 1977 Dario Fo e Franca Rame fanno ritorno in televisione dopo quindici anni di assenza in seguito allo scandalo di Canzonissima, nel 1962. Questo evento consolida « la reputazione di Dario Fo come una figura nazionale italiana » (Cairns) e prelude a una stagione del suo teatro in cui la sua peculiare “visione pittorica” si manifesta in maniera sempre più netta. Apparentemente, con la fine degli anni Settanta, il teatro di Fo sembra perdere la propria carica eversiva e cessa di essere un mezzo di “controinformazione”; in realtà, la lotta dell’autore-attore sembra situarsi ora sul piano del valore del linguaggio teatrale in opposizione alle proprietà ipnotiche di un certo

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linguaggio televisivo, dove anche la politica diventa spettacolo. L’invito all’immaginazione lanciato da Fo al pubblico con il monologo Johan Padan a la descoverta de le Americhe (1991), può essere visto come una risposta alle « incursioni egemoniche e di devastazione » a cui faceva già riferimento il critico Claudio Meldolesi nel 1978.

In 1977, Dario Fo and Franca Rame came back to television after a fifteen-year absence due to the “Canzonissima” scandal of 1962. This event reinforced Dario Fo’s reputation as a leading personality of Italian culture, and marks the beginning of a strongly visual approach to theatre. At the end of the seventies, Fo’s theatre appeared to have lost its subversive quality; in actual fact, he was developing a new theatrical language intended as an alternative to the mind- numbing language used in many television programmes at a time when politics had also turned into a spectacle. Fo’s monologue Johan Padan a la descoverta delle Americhe (1991) can be seen as an invitation to activate one’s imaginative skills, and as a response to the “hegemonic and destructive incursions” referred to by Claudio Meldolesi in 1978.

INDEX

Mots-clés : Dario Fo, télévision, RAI, monologue, vision picturale, théâtre, image, imagination, Johan Padan a la descoverta de le Americhe, auteur, acteur Parole chiave : Dario Fo, Franca Rame, televisione, RAI, monologo, visione pittorica, teatro, immagine, immaginazione, Johan Padan a la descoverta de le Americhe, attore, autore Keywords : Dario Fo, Franca Rame, television, RAI, monologue, visual approach, theater, image, imagination, Johan Padan a la descoverta de le Americhe, actor, author

AUTEUR

FEDERICA TUMMILLO Université Stendhal - Grenoble 3

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« Noi piangiamo e scriviamo, e loro governano... ». Désarroi et stratégies de survie dans le jeune cinéma italien de la fin des années 1970 et du début des années 1980 (article non publié dans la revue papier) “Noi piangiamo e scriviamo, e loro governano…”. Sgomento e strategie di sopravvivenza nel giovane cinema italiano della fine degli anni ’70 e dell’inizio degli anni ’80 “Noi piangiamo e scriviamo, e loro governano...”. Distress and survival strategies of the fledgling Italian cinema in the late seventies and early eighties

Oreste Sacchelli

1 Délimiter un processus historique est toujours extrêmement délicat, le faire correspondre avec une décennie est parfois acrobatique. C’est particulièrement vrai en Italie dans le domaine du cinéma où la crise qui se déploie dans les années 1980 débute clairement au milieu des années 1970 et s’achève pour certains en 1989 avec le succès de Nuovo Cinema Paradiso, pour d’autres vers le milieu des années 1990, pour d’autres encore elle ne s’est toujours pas achevée. Entreprendre un examen de tout le cinéma italien des années 1980, voire discuter avec suffisamment de précision de l’achèvement ou de la continuité de cette crise nécessiterait un espace plus vaste que celui dont cette communication dispose. Je me bornerai donc à en évoquer les débuts pour montrer que dans cette crise les facteurs économiques ne font que mettre en évidence la crise esthétique et morale qui mine les fondements sur lesquels le cinéma italien avait bâti son succès au cours des décennies précédentes.

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La crise

2 Il est généralement admis que la crise du cinéma italien débute en 1976. La concession Rai expirait en 1974. Elle est prolongée d’un an, le temps de permettre l’élaboration et le vote d’une nouvelle loi qui prévoit le maintien du monopole dans le cadre d’un service public rénové, contrôlé par le parlement. Mais en juillet 1976 la Cour constitutionnelle déclare anticonstitutionnels certains articles de cette loi, en s’appuyant sur l’article 21 de la Constitution : Art. 21. Tutti hanno diritto di manifestare liberamente il proprio pensiero con la parola, lo scritto e ogni altro mezzo di diffusione. La stampa non può essere soggetta ad autorizzazioni o censure. Ce qui revient à libéraliser les télévisions hertziennes locales1.

3 À cette époque, 97 % des foyers italiens sont équipés d’un téléviseur. Le climat d’insécurité lié de près ou de loin au terrorisme et à la violence urbaine fixe chez eux les Italiens et crée un marché inespéré pour la télévision que les deux chaînes du service public ne satisfont plus. La cour constitutionnelle met le législateur face à ses responsabilités, mais le législateur ne les assume pas. La fin du monopole et la création de situations nouvelles qui font coexister service public et chaînes commerciales ne sont pas spécifiques à l’Italie, mais du fait de la totale déréglementation, en Italie le phénomène a des caractéristiques particulières, quasi caricaturales, qui transforment le paysage radiophonique et télévisuel en un véritable far west.

4 Dès ses débuts, la télévision commerciale s’adresse aux maisons de distribution cinématographique pour disposer de programmes « clés en main », prêts à la diffusion et dont l’attractivité est établie. Le service public, qui s’enrichit en 1978 d’une troisième chaîne, au lieu de jouer la différence, suit la même voie et concurrence les télévisions privées en augmentant le nombre de films diffusés.

5 La baisse du nombre de spectateurs du cinéma, continue depuis 1955, s’en trouve accentuée. Ce nombre passe de 514 millions en 1975 à 374 millions en 1977, puis à 276 millions en 1979 et à 215 millions en 1981. Parallèlement, les parts de marché du cinéma italien diminuent. En 1971, l’écart entre cinéma italien et cinéma américain était maximal : 65,1 % contre 27,3 %. En 1976, les chiffres sont du même ordre (60,8 % contre 27,5 %), puis tout précipite (42,8 % contre 41,5 % en 1978) jusqu’au minimum historique de 1989 où les résultats sont inversés (21,9 % contre 63,3 %). Le nombre de films produits baisse aussi, passant de 280 en 1972 à 237 en 1976, puis à 143 en 1978 et à 128 en 1982. Le minimum historique est atteint en 1985 avec seulement 80 titres. Parallèlement, le nombre de salles passe de 10 895 en 1975 à 4 885 en 1985. Ce sont les cinémas de quartier et les salles des petites localités qui font les premières les frais de cette crise, accentuée encore par l’envol du marché du home video.

6 Une enquête de l’hebdomadaire Panorama, parue au début de l’année 1978, indique que la chute importante de la fréquentation a surtout été fatale au cinéma de seconda e terza visione et que même si la saison précédente a été marquée par la conquête de parts de marché par les productions américaines, un film tel que Padre padrone de Paolo et Vittorio Taviani a eu un beau succès commercial. Et l’article de conclure : Ecco allora che il successo delle pellicole di qualità svela impietosamente qual è la ragione più reale della crisi del cinema italiano: la mancanza di idee2.

7 C’est le thème le plus fréquemment évoqué pour tenter d’expliquer la crise que traverse la production italienne. Toutefois, il s’agit plus d’un constat que d’une

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explication. Dans les années 1960 ainsi qu’au début des années 1970, les cinéastes italiens avaient joué la carte de l’engagement critique, avec toutes les ambiguïtés que cette attitude comporte. Il n’en reste pas moins que commercialement la formule avait fonctionné et les comédies à l’italienne ainsi que les thrillers politiques rencontraient les faveurs du public qui y retrouvait un écho de ses propres préoccupations. Mais pour que ce type de cinéma fonctionne, il faut que dans la lutte du bien et du mal (qui est le moteur de la majeure partie du cinéma commercial, et pas seulement) les deux camps soient aisément reconnaissables et qu’auteurs et public partagent les mêmes valeurs. C’est ce qui vient à manquer au milieu de la décennie, essentiellement à cause du problème moral et politique que posent le terrorisme et ses corollaires, le climat de violence et la répression.

8 Le cas de est éclairant. C’est ce climat de violence qui offre le cadre de Un borghese piccolo piccolo (1977). Le film raconte l’histoire d’un homme qui traque inlassablement l’assassin de son fils. Il parvient à le capturer et il le torture à mort. Monicelli entendait illustrer la monstruosité de ce personnage, mais une partie du public a compris l’inverse. Le film a divisé le public et la critique, certains réclamant son interdiction car selon eux c’était un film fasciste qui incitait à la violence. La même année, dans le sketch Autostop de I nuovi mostri, Monicelli raconte une farce qui tourne mal. Une jeune autostoppeuse qui feint d’être une criminelle évadée pour tenir à distance l’automobiliste un peu trop entreprenant se fait abattre par l’automobiliste dès qu’elle a le dos tourné. Aux policiers qui l’interrogent il dit pour se disculper : « Non sono tempi da fare scherzi! » En fait le film dans son ensemble est un acte de décès de la comédie à l’italienne. Semblablement, en 1976, Francesco Rosi terminait Cadaveri eccellenti par la phrase « La verità non è sempre rivoluzionaria » qui certes a un sens dans l’histoire racontée, mais qui indique aussi la remise en cause du cinéma de dénonciation qu’il a pratiqué jusque-là et auquel il ne reviendra pas. Le problème du sens est essentiel et bien d’autres films de la fin des années 1970 montrent le désarroi de leurs auteurs, confrontés à l’opacité de la société que les genres traditionnels n’arrivent plus à représenter. En 1978, par exemple, Luigi Comencini tourne L’ingorgo, où l’embouteillage énorme qui bloque tout pendant une vingtaine d’heures se constitue et se défait sans motif apparent. Ce cadre de crise est propice à la résurgence des instincts les plus bas et de l’individualisme le plus forcené. Seul un prêtre se distingue. Appelé à bénir la dépouille d’un blessé, décédé dans l’ambulance bloquée elle aussi dans l’embouteillage, il prononce ces mots : Noi ti ringraziamo, o Signore, di avere chiamato a Te e accolto nel Tuo seno quest’uomo togliendolo dai disastri del mondo. Salvaci, o Signore! Salvaci dalla plastica! Salvaci dalle scorie radioattive. Salvaci dalle multinazionali. Salvaci dalla politica di potenza. Salvaci dalla ragione di Stato… Salvaci dalle parate, dalle uniformi e dalle marce militari… Salvaci dal disprezzo per il più debole. Salvaci dai falsi moralismi. Salvaci dal mito dell’efficienza e della produttività. Salvaci dalle menzogne della propaganda. Rispettate la natura. Amate la vita. Congiungetevi carnalmente nel rispetto del prossimo. Fornicare non è peccato, se fatto con amore. Amen.

9 L’invocation à l’intervention divine dit bien le pessimisme quant à une possible je ne dis pas révolution, mais même une simple évolution positive du monde et des hommes. Il

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dit aussi l’échec d’un cinéma progressiste, ou prétendument tel, qui se proposait sinon de faire la révolution au moins de l’accompagner.

10 Le sens de cet échec est le sujet de La terrazza d’Ettore Scola (1980). Un groupe d’amis, des gens de cinéma, des médias, de la politique, se réunissent dans l’appartement luxueux de l’un d’eux pour un dîner convivial. Mais très vite la conversation tourne à la confession désabusée et tragicomique du naufrage de la génération de la Résistance – et, accessoirement, du néoréalisme et de tout le cinéma qui a suivi. Le film est ponctué de maximes définitives, le plus souvent prononcées par le député communiste interprété par Vittorio Gassman : Ormai siamo tutti così: personaggi drammatici che si manifestano solo comicamente. A quell’epoca mio padre era più giovane di me oggi... À che ora è la rivoluzione, signora? Come si deve venire? Già mangiati? La conclusion la plus drastique revient au journaliste, interprété par Marcello Mastroianni : Io credo che le epoche si chiudono così, all’improvviso.

11 Des maximes du même ordre se trouvaient déjà dans C’eravamo tanto amati (Ettore Scola, 1974), la plus radicale étant : Credevamo di cambiare il mondo, e invece il mondo c’ha cambiato a noi. Mais à la différence de La terrazza, C’eravamo tanto amati proposait un personnage positif, le prolétaire au cœur pur, le militant communiste toujours prêt pour de nouvelles luttes.

12 Après ce chant du cygne, Ettore Scola et les autres maestri se tournent vers d’autres histoires, d’autres territoires de l’imaginaire moins directement représentatifs de la société du moment3. Non sans succès au demeurant.

Le paradigme Moretti

13 C’est l’une des façons pour le cinéma italien de réagir à la crise : recycler les maestri vers d’autres types de récits où le métier, le renom et l’utilisation continue des comédiens les plus en vue remplacent la pertinence sociale et politique des films produits. Le risque est grand cependant de voir ce cinéma de quinqua-sexagénaires mettant en scène des personnages du même âge se couper des jeunes qui composent la majorité du public du cinéma. D’autant plus que le cinéma américain s’est restructuré et qu’il a mis au point une stratégie de reconquête : produire moins de films, mais plus spectaculaires et destinés à une distribution mondiale4. Dans ce contexte, le phénomène du travoltismo est particulièrement intéressant car il offre à un public de jeunes une stratégie de dépassement de la crise existentielle dérivant de la fin des illusions révolutionnaires. Dans le film, le héros, Tony Manero, compense la tristesse de sa condition sociale diurne – dont il est tout à fait conscient – par le succès qu’il obtient la nuit sur la piste de danse. La fuite dans le rêve, le satin, les paillettes et la musique disco gomme le manque de perspectives, le no future. Le travoltismo devient un phénomène social, amplifié par le succès de Grease.

14 L’exemple de Nanni Moretti semble fournir une solution pour faire face à cette déferlante. Après le succès d’estime de son premier film Io sono un autarchico (1976), Nanni Moretti a trouvé un producteur pour son second film Ecce bombo (1978). Le film a coûté 180 millions et a rapporté 2 milliards. Traduire ce succès en formule semble aisé :

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c’est le film d’un jeune qui parle des jeunes aux jeunes sur le ton de l’ironie amère. D’autres producteurs partent à la recherche de nouveaux talents à lancer sur le marché. Apparaissent ainsi, par exemple, les nuovi comici : Maurizio Nichetti (Ratataplan, 1979), Marco Modugno (Bambulè, 1979), (Un sacco bello, 1980), Massimo Troisi (Ricomincio da tre, 1981), I Giancattivi (trio comique composé d’, Athina Cenci et Francesco Nuti, Ad ovest di Paperino, 1982). Leurs films donnent une représentation tragicomique de la condition des jeunes à l’époque du chômage, de l’insertion difficile dans la société et de la perte des illusions sur la possibilité de changer le monde. Proches de la réalité quotidienne ou fantasmée des jeunes de l’époque, ils sont tous désespérément pessimistes, sanctionnant en quelque sorte l’enfermement des jeunes générations dans une société aux règles immuables et celui du cinéma italien dans la représentation de cette impossibilité de produire d’autres récits.

Le désarroi

15 Ce désarroi est particulièrement sensible dans le rapport des récits au temps. La relation entre temporalité et causalité est fréquemment remplacée par une simple juxtaposition de faits sans réel effet cumulatif. C’est le cas dans L’ingorgo, dans La terrazza, dans Ecce Bombo, par exemple. Le récit est alors une sorte d’errance. Cependant, il arrive que cette errance dans un univers sémantiquement désertifié prenne sens lorsqu’elle devient justement une quête anxieuse du sens. C’est le cas de Maledetti vi amerò, le premier film de Marco Tullio Giordana (1980), et de Tre fratelli de Francesco Rosi (1981), qui abordent de front le problème du terrorisme et de ses effets sur les individus et la société.

16 Dans Maledetti vi amerò, Svitol, un militant d’extrême gauche, revient à Milan après cinq années passées en Amérique latine et il recherche l’Italie qu’il connaissait, celle des luttes du movimento. Mais il ne trouve que le vide absolu. La génération de ceux qui avaient vingt ans en 1968 semble avoir disparu. Svitol erre dans un désert de places vides, d’usines désaffectées, dans les terrains en ruine des révoltes de jadis. Le vide et la mort. Quella è la parete dei fantasmi… i fantasmi di tutte le persone assassinate, morte ammazzate, insomma. Ho aperto dei giornali, ho trovato delle fotografie, e sotto la fotografia c’è una didascalia da cui si capisce l’identità, il nome, se sono dei fascisti o se sono dei compagni. Allora li ho disegnati, e quando li ho disegnati, improvvisamente sono diventati tutti uguali. Il cadavere di Pasolini era uguale al cadavere di un fascista anche lui morto ammazzato. Cioè non c’era nessuna differenza. E allora mi chiedevo se provare della pietà oppure no, provare della pietà per tutti e due. Ma è una cosa che non ho ancora molto chiara.

17 Tre fratelli comporte une séquence analogue. Philippe Noiret interprète un juge en charge d’un fait de terrorisme. Il consulte les photos du dossier relatif à un affrontement entre terroristes et forces de l’ordre. Les photos de deux jeunes victimes, un carabinier et un terroriste, se superposent et se confondent dans un jeu subtil de fondus enchaînés. Au-delà de la compassion, faute de donner un sens à ces morts identiques, Rosi demande que du moins la loi donne une forme aux survivants : Fra terroristi rossi e neri ormai in galera ce ne sono a migliaia. I più hanno vent’anni. Davanti a loro hanno una vita. È un problema che riguarda tutti noi. C’è

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l’esigenza di condannare ma c’è anche l’esigenza di evitare che altri giovani passino al terrorismo. E per questi, che cosa faremo noi? Come li ricupereremo?

18 Entre Rosi et Giordana il y a l’écart historique d’une génération. Le premier défend la légitimité d’un État, dont il reconnaît les défauts, et la légalité d’un pouvoir dont par ailleurs il a souvent dénoncé les dérives. Ah, perché tu pensi che io sia convinto che la giustizia di questo stato sia la migliore giustizia possibile? E che questo stato sia il migliore possibile? Ma se tu vuoi cambiare l’uno e l’altra, bisogna fare delle lotte, sì, ma che non minaccino mai né la democrazia né la libertà. Perché se lo stato democratico salta, tutto salta. Anche la possibilità di creare un mondo migliore.

19 Pour Svitol, en revanche, la question du sens est plus existentielle. Ce qui est en jeu c’est le degré de responsabilité dans la dérive terroriste du movimento et les victimes qu’elle a faites. Mais Giordana doit admettre qu’aucune instance ne peut aider son héros à trancher entre le bien et le mal, entre les gentils et les méchants. Pas même un ami, dirigeant du journal Lotta continua : E allora abbiamo sbagliato tutto, eh? Abbiamo sbagliato tutto e loro hanno ragione. La Democrazia Cristiana governa e noi scriviamo e piangiamo. E loro governano, e noi scriviamo, e piangiamo, e loro governano.

20 L’impossibilité de donner sens aux années du movimento aboutit à l’incapacité d’agir politiquement dans celles du riflusso. Le pouvoir reste dans les mains de ceux qui l’ont toujours eu et pour la génération qui s’est opposée il ne reste que l’expression de sa défaite, à analyser sans concessions.

21 Toutefois, même cette voie peut être sans issue s’il n’y a plus personne pour recevoir le message, se l’approprier, le méditer et éventuellement reprendre le flambeau de la révolte. C’est ce que raconte Gianni Amelio dans Colpire al cuore (1982). Un adolescent, fils d’un professeur d’université, voit son père avec d’anciens étudiants, un couple sur la trentaine. Quelques jours après, sur les lieux d’un conflit armé entre police et terroristes, il revoit l’homme, mort. Il se rend aussitôt au commissariat pour dire ce qu’il sait de lui et de sa compagne. Les reproches que son père lui adresse vertement lorsqu’il est au courant éveillent des soupçons. Il suit son père et il le photographie lorsqu’il retrouve la jeune femme. Il les dénonce et les fait arrêter.

22 Si la transmission des valeurs s’est effectuée entre le professeur libertaire, nourri de l’esprit de la Résistance, et ses étudiants, en revanche la chaîne semble s’être rompue entre eux et les adolescents du début des années 1980. Amelio inverse ainsi le message d’espoir de C’eravamo tanto amati où l’on voyait des jeunes gens chanter les chansons de la Résistance avec les anciens partisans. Pour les jeunes des années 1980, nous dit Amelio, le refus du terrorisme a pour corollaire le refus de tout ce qui s’en rapproche ainsi que l’invocation à l’ordre, qui ne se présente plus sous des dehors répressifs effrayants5. Colpire al cuore fait aboutir une situation que Grand peur et misère du IIIe Reich avait esquissé. Dans un des sketches, Brecht mettait en scène un père de famille convaincu que son fils était allé le dénoncer à la Gestapo car il avait formulé quelques critiques à l’encontre du régime. L’avertissement d’Amelio est clair. Il sera formulé quelques années plus tard par Umberto Eco avec le concept Ur-fascismo6.

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NOTES

1. « La sussistenza per le radioteletrasmissioni locali via etere di una disponibilità di canali sufficienti a consentire la libertà d’iniziativa privata senza pericolo di monopoli od oligopoli, fa venire meno l’unico motivo che, per tali trasmissioni, possa giustificare quella grave compressione del fondamentale principio di libertà sancito dall’art. 21 della Costituzione, che anche un monopolio di Stato necessariamente comporta, tanto più che non vi è alcun ragionevole motivo perché siano consentite le radioteletrasmissioni private via cavo su base locale e non anche quelle via etere. Ciò non comporta che debba escludersi la legittimità costituzionale delle norme che riservano allo Stato le trasmissioni radiofoniche e televisive su scala nazionale, giacché la diffusione sonora e televisiva su scala nazionale, rappresenta un servizio pubblico essenziale e di preminente interesse generale. Né esclude che il legislatore possa subordinare ad apposita licenza che stabilisca le modalità d’esercizio concreto delle radioteletrasmissioni private via etere. » (Corte cost. 28.07.1976, n. 202, 1976) 2. M. Giovannini et S. Malatesta, « Cinema – Qualcuno ha un’idea? », Panorama, 7 février 1978. 3. En 1979 Francesco Rosi tourne Cristo si è fermato a Eboli, en 1981 Ettore Scola tourne Passione d’amore, tiré du roman Fosca (1869) d’Iginio Tarchetti avant de se diriger vers la France. 4. Les principaux : The Godfather (Le parrain) de Francis Ford Coppola, 1971 ; The Sting (L’arnaque) de George Roy Hill, 1972 ; The Exorcist (L’exorciste) de William Friedkin, 1973 ; Jaws (Les dents de la mer), de Steven Spielberg, 1975 ; Taxi Driver, de Martin Scorsese, 1975 ; King Kong, de John Guillermin, 1976 ; Star Wars (La guerre des étoiles) de George Lucas, 1977 ; Close Encounters of the Third Kind (Rencontres du troisième type) de Steven Spielberg, 1977 ; Saturday Night Fever (La fièvre du samedi soir) de John Badham, 1977 ; Grease, de Rendal Kleiser, 1978 ; Kramer Versus Kramer (Kramer contre Kramer) de Robert Benton, 1979. 5. Dans les locaux de la police, des images de carabiniers défilant à cheval, un album de coupures de presse montrant des carabiniers qui viennent en aide à des populations civiles bloquées par la neige. 6. U. Eco, « Il fascismo eterno », dans Cinque scritti morali, Milan, Bompiani, 1997.

RÉSUMÉS

La fine degli anni ’70 è segnata da una grave crisi del cinema italiano, provocata essenzialmente dalla fine del monopolio di stato sulla diffusione via etere. Per fronteggiare il forte calo delle quote di mercato, gli operatori del settore tentano nuove strade. In seguito al successo inatteso dei primi film di Moretti, tentano di dare spazio a una nuova generazione di registi la cui visione della società è impregnata delle esperienze militanti degli anni ’70. Quei nuovi registi si trovano però di fronte un territorio sociale, politico e cinematografico disastrato e non possono che rassegnarsi. I loro film testimoniano quello sgomento.

In the late seventies, the Italian cinema was undergoing a serious crisis due essentially to the end of the state monopoly on television. In order to address the drop in market shares, the producers started exploring new ways. Following the unexpected success of Moretti's early films, an attempt was made to give a chance to a new generation of authors whose vision of society was

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based on their experiences as activists in the seventies. However, faced with a socially, politically and cinematically devastated territory, these new filmmakers could only acknowledge the situation. The films they produced reflect this distress.

INDEX

Keywords : Italian cinema, eighties, Nanni Moretti, Marco Tullio Giordana, Gianni Amelio Parole chiave : Cinema italiano, anni ’80, Nanni Moretti, Marco Tullio Giordana, Gianni Amelio

AUTEUR

ORESTE SACCHELLI Université de Lorraine

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Annexe

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Cronologia degli anni ’80 in Italia1

Leonardo Casalino

1980

1 – 6 gennaio: viene ucciso a Palermo dalla mafia Piersanti Mattarella, presidente della Regione: aveva fatto sapere di voler prendere le distanze dagli interessi della criminalità organizzata.

2 – 19 febbraio: il capocolonna delle Brigate rosse, Patrizio Peci, è arrestato a Torino dai nuclei speciali dei carabinieri comandati dal generale Carlo Alberto Dalla Chiesa.

3 –28 febbraio: il quotidiano la Repubblica pubblica un’intervista di Paolo Guzzanti al Ministro dell’Industria Franco Evangelisti, uomo di fiducia di Giulio Andreotti, sullo scandalo Italcasse. Che ha portato alla luce ingenti e occulte tangenti a partiti e correnti. Fra i finanziatori vi sono due costruttori romani, i fratelli Caltagirone. – Ministro, Lei ha preso dei soldi dai Caltagirone? – Sì, da Gaetano. – Quanti soldi? – E chi se lo ricorda, ci conosciamo da vent’anni ed ogni volta che ci vedevamo lui mi diceva «a Fra’, che te serve?» – Così? Caltagirone tirava fuori e scriveva? – Sì così, e senza nessuna malizia. Chi ci pensava a questi scandali? Chi ci pensava di fare qualcosa di male? Non le pare?

4 – 19 marzo: Guido Galli, giudice istruttore, viene ucciso a Milano da Prima Linea. Aveva condotto un’inchiesta sul terrorismo comunista a Milano.

5 – 23 marzo: al termine delle partite domenicali del campionato di calcio vengono arrestati numerosi giocatori e alcuni dirigenti importanti. Si tratta del primo grande scandalo che scuote il mondo del pallone: otto partite in dodici giornate del campionato in corso sono state truccate. Il centravanti della Nazionale Paolo Rossi sarà squalificato per 2 anni, tornerà a giocare nella primavera del 1982, in tempo per essere convocato per il campionato del Mondo in Spagna.

6 – 28 marzo: su indicazione di Patrizio Peci, il quale è diventato il primo pentito del terrorismo italiano, i nuclei speciali dei carabinieri di Dalla Chiesa fanno irruzione, alle

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4 di mattina, nel covo delle Brigate rosse in via Fracchia 12 a Genova. Quattro terroristi vengono uccisi. È la prima azione di questo tipo compiuta dallo Stato italiano. Enrico Deaglio l’ha definita la “prima vera azione di guerra” della storia della Repubblica.

7 – 29 aprile: viene arrestato il dirigente di Prima Linea Roberto Sandalo. Anche lui si pente rapidamente e rivela agli inquirenti gran parte dei nomi dell’organizzazione. Tra i quali quello di Marco Donat Cattin, figlio del Ministro democristiano Carlo, che è costretto a dimettersi.

8 – 8 maggio: la Fiat annuncia un piano di ristrutturazione industriale che prevede la cassa integrazione a rotazione per 78.000 lavoratori. Iniziano le trattative con i sindacati e il governo.

9 – 28 maggio: Marco Barbone e Paolo Morandini, due esponenti di Prima Linea, uccidono a Milano il giornalista del Corriere della Sera Walter Tobagi.

10 – 27 giugno: l’aereo DC 9-Itavia 870, in volo tra Bologna e Palermo, è abbattuto vicino all’isola di Ustica. A bordo ci sono 77 passeggeri e 4 uomini d’equipaggio. In 32 anni la ricerca della verità si è scontrata contro un muro di gomma. Gli indizi più verosimili portano all’ipotesi che si sia ritrovato, senza volerlo, in mezzo a un’operazione di guerra contro il colonello libico Gheddafi.

11 – 2 agosto: alle 10.25 una bomba esplode alla stazione di Bologna uccidendo 86 persone e ferendone più di trecento. Per questo attentato verranno condannati due terroristi di destra, Valerio Fioravanti e Francesca Mambro, i quali hanno sempre rivendicato la loro innocenza. Il contesto interno e internazionale della fine degli anni ’70 è tale da far ritenere che probabilmente dietro questa tragedia vi siano trame più complicate, le quali porterebbero al coinvolgimento dei servizi segreti e della P2 di Licio Gelli. Si tratta di collegamenti non provati dalle indagini giudiziarie, concluse comunque con la condanna in via definitiva di Licio Gelli e del generale del SISMI Pietro Musumeci per il tentativo di depistaggio delle indagini sulla strage.

12 – 6 agosto: il procuratore Gaetano Costa, il quale ha appena concluso in solitudine un’inchiesta su sessanta dirigenti di Cosa Nostra (i suoi sostituti procuratori hanno rifiutato di firmare i mandati di cattura), viene ucciso in pieno centro di Palermo da due killer alle dipendenze dei capi mafia Stefano Bontate e Salvatore Inzerillo.

13 – 10 settembre: la Fiat annuncia che il suo piano di ristrutturazione industriale prevede la cassa integrazione per 23.000 lavoratori e il licenziamento per altri 14.469.

14 – 26 settembre: il segretario del PCI, Enrico Berlinguer, visita le fabbriche in lotta di Torino. Alla domanda di un operaio su quale sarebbe l’atteggiamento del PCI se le fabbriche fossero occupate, Berlinguer risponde che le forme di lotte devono essere decise dai lavoratori e dai sindacati e non dal PCI. Nel caso in cui fossero scelte delle forme di lotta più dure il Partito comunista non farebbe mancare il sostegno politico e di idee.

15 – 27 settembre: cade il governo presieduto dal democristiano Francesco Cossiga, colpito in Parlamento dai franchi tiratori. La Fiat ritira i licenziamenti e propone la cassa integrazione a zero ore per 23 mila lavoratori: nelle liste rese pubbliche risultano esserci i delegati e i lavoratori più impegnati nelle lotte, molte donne, tutti gli inidonei e gli invalidi. I sindacati ritirano lo sciopero generale, ma gli operai reagiscono occupando Mirafiori.

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16 – 30 settembre: iniziano le emissioni di Canale 5, la rete televisiva di proprietà di Silvio Berlusconi.

17 – 14 ottobre: i “capi” e i quadri intermedi della Fiat sono convocati, dalla direzione dell’azienda, a un’assemblea al Teatro Nuovo di Torino. Chiedono la fine dell’occupazione delle fabbriche e danno vita a un corteo che attraversa il centro cittadino, passato alla storia come la marcia dei 40.000 (anche se in realtà non erano più di 20.000). A Roma i dirigenti sindacali decidono di firmare l’accordo alle condizioni proposte dalla Fiat. Nei giorni successivi lo fanno approvare dai lavoratori, in un clima di grande tensione.

18 – 23 novembre: terremoto in Irpinia (Campania e Basilicata) che provoca quasi 3.000 morti. Il Presidente della Repubblica, il socialista Sandro Pertini, denuncia il ritardo e la disorganizzazione degli aiuti. Negli anni successivi, i fondi inviati per la ricostruzione saranno utilizzati dal potere politico locale per estendere la propria rete di clientelismo e saranno in gran parte assegnati a delle aziende legate alla camorra.

1981

19 – 17 marzo: gli agenti della Guardia di Finanza di Milano perquisiscono 4 indirizzi di Licio Gelli annotati su un’agenda del banchiere Michele Sindona – accusato di bancarotta – sequestrata dalla polizia statunitense: in uno di essi, gli uffici di una fabbrica d’abbigliamento, la Gioie di Castiglion Fibocchi, vengono ritrovati e consegnati ai magistrati Gherardo Colombo e Giuliano Turone i documenti riservati della più segreta loggia massonica italiana, detta Propaganda Due, o P2. Ne fanno parte 43 membri del Parlamento (ma nessun esponente dei partiti di opposizione), 120 banchieri e alcuni ministri delle finanze e del Tesoro, 36 alti ufficiali della Guardia di Finanza, i capi dei servizi segreti, il proprietario (insieme all’amministratore delegato e al direttore) del Corriere della Sera, il banchiere Michele Sindona (al centro di uno dei più inquietanti intrecci tra politica, mafia, Vaticano e finanza), il presidente del Banco ambrosiano Roberto Calvi. Ma anche il presentatore televisivo Maurizio Costanzo – l’unico che si pentirà pubblicamente della sua affiliazione alla loggia –, il cantante Claudio Villa e un giovane imprenditore in cerca di finanziamenti, Silvio Berlusconi.

20 – 4 aprile: viene arrestato Mario Moretti, il capo delle Brigate rosse. Il criminologo Giovanni Senzani prende il suo posto alla testa dell’organizzazione terroristica.

21 – 23 aprile: gli uomini di Salvatore Riina, i corleonesi, uccidono il boss Stefano Bontate. È in corso una guerra all’interno di Cosa Nostra per assicurarsi il controllo dell’organizzazione nei prossimi decenni.

22 – 27 aprile: le Brigate rosse sequestrano a Napoli Ciro Cirillo, assessore regionale democristiano, uccidendo due uomini della sua scorta. Il suo partito decide di trattare con i terroristi e lo fa utilizzando la mediazione di Raffaele Cutolo, il capo della Nuova camorra organizzata, detenuto nel carcere di Ascoli Piceno, il quale richiede e ottiene le seguenti condizioni: il trasferimento dei suoi uomini in prigioni da lui scelte, una promessa di liberazione negli anni successivi, tra i tre e sette miliardi da spartire con le Brigate rosse. Queste a loro volta s’impegnano a non rendere pubblici i verbali dell’interrogatorio di Cirillo, ottenendo in cambio una lista di nomi di poliziotti e funzionari dello stato che possono uccidere e che in parte effettivamente uccideranno. Cirillo sarà liberato il 25 luglio e prima di vedere i magistrati incontrerà il capo della

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Democrazia cristiana napoletana , grande artefice della trattativa e futuro ministro degli Interni e di Grazia e giustizia. Cutolo e gli imprenditori che hanno contribuito a raccogliere i soldi per il suo rilascio saranno premiati con la partecipazione delle loro aziende alla ricostruzione dell’Irpinia. Quando il giudice Carlo Alemi, nel 1988, riuscirà a ricostruire la vicenda – benché molti dei protagonisti fossero stati nel frattempo uccisi – verrà accusato dal potere politico di tramare contro l’ordine democratico e subirà un’indagine disciplinare. L’attuale Presidente della Repubblica Giorgio Napolitano ha definito il caso Cirillo: «una delle pagine più nere dell’esercizio del potere nell’Italia democratica»2.

23 – 11 maggio: continua la guerra di mafia. Salvatore Inzerillo è ucciso dai corleonesi. Salvatore Riina si afferma come il capo di Cosa Nostra.

24 – 13 maggio: un killer professionista turco Ali Agca spara a Giovanni Paolo II in Piazza San Pietro. Karol Wojtyla, gravemente ferito, si salverà.

25 – 17 maggio: si vota per diversi referendum: la maggioranza degli italiani respingono i due referendum per restringere (proposto da Movimento per la vita) o allargare (promosso dai radicali) i casi in cui è lecito ricorrere all’aborto; vengono respinti anche i referendum che chiedono l’abolizione dell’ergastolo, il cambiamento della regolamentazione del porto d’armi e la modifica delle leggi di emergenza contro il terrorismo.

26 – 20 maggio: viene arrestato Roberto Calvi, il presidente della più importante banca privata italiana, il Banco ambrosiano. Viene accusato di esportazione illecita di capitali. Ammetterà finanziamenti illeciti al PSI di Craxi e al PCI, attraverso il quotidiano Paese Sera. Rilasciato su cauzione il 22 luglio Calvi sarà incapace di gestire la bancarotta fraudolenta del suo istituto, in cui sono in gioco interessi economici dello Ior, la banca del Vaticano, della P2 e di Cosa Nostra, che vi ha investito enormi depositi.

27 – 10 giugno: a Vermicino, in provincia di Roma, Alfredino Rampi, un bambino di sei anni, cade in un pozzo artesiano profondo 80 metri. La Rai, per la prima volta nella sua storia, decide di trasmettere in diretta la tragedia seguendo a reti unificate i vani tentativi di salvataggio. Nasce la televisione del dolore.

28 Lo stesso giorno, le Brigate rosse rapiscono, a San Benedetto del Tronto, Roberto Peci, fratello del pentito Patrizio. Purtroppo nessuna misura di precauzione è stata presa nei suoi riguardi dopo che il fratello ha iniziato a collaborare con la giustizia. La lettura della sua condanna a morte è filmata dai terroristi e il video viene fatto pervenire alle televisioni. Il corpo di Roberto Peci viene ritrovato il 3 agosto.

29 – 28 giugno: nasce il governo presieduto dal repubblicano Giovanni Spadolini. Per la prima volta nella storia della Repubblica l’esecutivo non è guidato da un esponente democristiano. Si tratta di una scelta del Presidente della Repubblica Sandro Pertini dopo lo scandalo della P2 e le resistenze del precedente Presidente del Consiglio, Arnaldo Forlani, a rendere pubblica la lista dei nomi degli affiliati alla loggia di Licio Gelli, tra i quali c’erano quelli di due ministri del suo governo e del suo direttore di gabinetto. Il governo Spadolini è il primo governo fondato sull’alleanza di cinque partiti (DC, PSI, PRI, PLI, PSDI), il cosiddetto pentapartito. Alleanza di governo che durerà sino alla fine degli anni Ottanta, ma che, a causa di un’accesa litigiosità interna, procurerà il succedersi di nove governi.

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30 – 24 ottobre: 300.000 persone partecipano a Roma alla manifestazione del Movimento per la pace contro la decisione di installare a Comiso, in Sicilia, 112 missili Cruise a testata nucleare.

31 – 15 dicembre: il segretario del PCI, Enrico Berlinguer, in televisione durante una Tribuna Politica dichiara che «la capacità propulsiva, di rinnovamento delle società, o almeno di alcune delle società che si sono create nell’Est europeo, è venuta esaurendosi»3. Nella notte tra il 12 e il 13 dicembre il generale Jaruzelski, anticipando un intervento già deciso dalle truppe del Patto di Varsavia, aveva proclamato lo stato d’assedio in Polonia e aveva revocato le libertà politiche e sindacali.

1982

32 – 31 marzo: si apre a Rimini con un’introduzione del vicesegretario Claudio Martelli la conferenza programmatica del Partito socialista. Il titolo è “governare il cambiamento” e la proposta socialista si fonda sulla definizione di un nuovo rapporto tra meriti e bisogni e su una grande riforma istituzionale. Numerosi e autorevoli studiosi delle diverse scienze sociali forniscono rilevanti contributi per un programma di governo nel segno della modernizzazione.

33 – 4 aprile: il segretario regionale del Partito comunista siciliano, Pio La Torre, organizza a Comiso una manifestazione contro il progetto di costruzione della base militare dotata di missili nucleari. La Torre è convinto che saranno le aziende controllate dalla mafia a gestirne la costruzione. Nel 1980, La Torre aveva presentato un’importante proposta di legge per fare finalmente introdurre nel diritto penale italiano la definizione della mafia come «un’associazione a delinquere» e avviare la confisca da parte dello Stato dei beni dei mafiosi.

34 – 27 aprile: Roberto Rosoni, vicepresidente del Banco Ambrosiano, dirige l’istituto dopo l’arresto di Roberto Calvi e sta cercando di mettere ordine nei conti della banca. È gravemente ferito, la mattina, all’uscita di casa, da un killer che viene ucciso, a sua volta, da una guardia giurata. Si scopre che il killer è Danilo Abbrucciati, uno dei capi della banda della Magliana, la più potente banda criminale di Roma, strettamente legata con la mafia e con i servizi segreti.

35 – 30 aprile: Pio La Torre e il suo amico e autista Rosario Lo Salvo sono uccisi dai killer di Salvatore Riina nel quartiere Zisa di Palermo. Il generale Carlo Alberto Dalla Chiesa, appena nominato prefetto della città, assiste ai suoi funerali. Prima di lasciare Roma ha incontrato Giulio Andreotti, all’epoca presidente della Commissione esteri della Camera, per informarlo che non avrà riguardi per la sua corrente politica.

36 – 6 maggio: Ciriaco De Mita è eletto segretario politico della Democrazia cristiana. De Mita riapre, in parte, il dialogo con i comunisti sul tema delle riforme istituzionali. Ma, soprattutto, annuncia una svolta neoliberista, che ponga fine agli sprechi dell’intervento dello Stato in economia, colpendo anche le degenerazioni clientelistiche dei partiti, soprattutto al Sud. Si tratta di un programma destinato a trovare decise resistenze all’interno del suo stesso partito.

37 – 5 giugno: 200.000 persone partecipano a Roma alla marcia per la pace in occasione della visita di Stato del Presidente statunitense Ronald Reagan.

38 – 18 giugno: il corpo di Roberto Calvi è trovato a Londra, sotto il ponte dei Frati Neri. Calvi sembra essersi suicidato con una corda al collo. Nel 2007 l’ultimo dei processi sulla

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sua morte ha stabilito che è stato ucciso. I responsabili non sono mai stati identificati. Il giorno prima, il 17 giugno, il Banco ambrosiano era stato messo in liquidazione.

39 – 11 luglio: La nazionale italiana di calcio, a Madrid, sconfigge in finale la Germania dell’Ovest e vince la terza Coppa del Mondo della sua storia. È un successo del tutto inaspettato, in Italia centinaia di migliaia di persone invadono i centri storici delle città sventolando con orgoglio la bandiera nazionale.

40 – 3 settembre: il generale Carlo Alberto Dalla Chiesa, sua moglie Emanuela Setti Carraro e un agente della scorta vengono uccisi di sera, a Palermo, mentre stanno tornando alla loro abitazione. Il 10 agosto il quotidiano La Repubblica aveva pubblicato un’intervista di Giorgio Bocca a Dalla Chiesa, in cui il generale aveva raccontato quanto aveva scoperto nel corso delle sue indagini: il potere dei costruttori edili di Catania, l’organizzazione di Cosa Nostra, i legami con la politica. Dalla Chiesa sottolineava l’importanza di una rapida approvazione della legge La Torre. Lo scrittore Leonardo Sciascia si chiederà come mai girasse per Palermo senza una macchina blindata. Alcuni osservatori avanzeranno l’ipotesi che sia stato ucciso anche a causa delle informazioni di cui era a conoscenza sull’affare Moro.

41 – 13 settembre: viene arrestato Licio Gelli e lo stesso giorno viene finalmente approvata la legge La Torre, a cui il Ministro degli Interni aggiunge il suo nome. Per la prima volta il fenomeno mafioso ha una sua definizione nel codice penale.

42 – 24 settembre: inizia la spedizione militare italiana in Libano, la quale durerà sino al 6 marzo 1984. Il governo libanese aveva chiesto l’invio di una forza multinazionale d’interposizione dopo l’attacco di Israele contro i palestinesi in Libano del 16 e 17 settembre. È la prima volta dopo la fine della seconda guerra mondiale che l’esercito italiano partecipa a una missione all’estero, con l’impiego di più di 2.000 uomini.

43 – 9 ottobre: viene compiuta una strage di fronte alla Sinagoga di Roma: nove attentatori di origine giordana uccidono un bambino e feriscono 35 persone. L’Organizzazione per la Liberazione della Palestina condanna l’attentato.

44 – 30 novembre: Silvio Berlusconi acquista dall’editore Edilio Rusconi la rete televisiva Italia 1.

1983

45 – 2 marzo: a Torino vengono arrestati degli esponenti socialisti e comunisti accusati di avere richiesto delle tangenti per favorire alcune aziende nelle gare di appalto. Lo scandalo colpisce la giunta di sinistra guidata dal 1975 dal comunista Diego Novelli, il quale, informato della vicenda, ha invitato le persone coinvolte a rivolgersi alla magistratura. Novelli ne esce rinforzato ma la stagione delle giunte rosse sta per concludersi, anche alla luce delle divisioni nazionali tra i comunisti e i socialisti.

46 – 14 giugno: arresto di Alberto Teardo, ex-presidente socialista della Regione Liguria, accusato di corruzione e concussione.

47 – 25-26 giugno: si svolgono le elezioni politiche. La Democrazia cristiana subisce una grave sconfitta, perde il 6% dei voti e scende al 32%. Il Partito socialista sale, di poco, all’11,4%. Risultato ritenuto deludente dallo stesso Bettino Craxi, il quale però è ormai riuscito a far diventare il suo partito l’ago della bilancia, conquistando uno spazio di azione al centro del sistema politico sproporzionato rispetto alla sua effettiva forza

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elettorale. Il Partito repubblicano sale oltre il 5%. Il Partito comunista resta stabile intorno al 30%, anche grazie all’alleanza elettorale con il PdUP di Lucio Magri. Crescono le astensioni e le schede bianche. In Veneto, storico feudo elettorale della Democrazia cristiana, la DC perde il 7% dei voti e un nuovo movimento autonomista, la Liga Veneta ottiene il 4%.

48 – 29 luglio: Rocco Chinnici, capo dell’Ufficio istruzione di Palermo, è ucciso a Palermo con un’autobomba parcheggiata sotto casa sua. Il telecomando è azionato da Pino Greco, colui che aveva sparato al generale Dalla Chiesa. Chinnici viene sostituito dal giudice Antonino Caponneto, il quale chiede il trasferimento a Palermo dalla sede di Firenze; Caponneto, sulla base di un’intuizione di Chinnici, decide di fondare il pool antimafia, composto da un gruppo di magistrati che mettano in comune i risultati delle loro indagini. In questo modo, se uno di loro sarà ucciso, gli altri potranno continuare il suo lavoro senza perdere tempo prezioso. Del pool fanno parte: Giovanni Falcone, Paolo Borsellino, Leonardo Guarnotta, Giuseppe Di Lello.

49 – 4 agosto: Bettino Craxi diviene il primo socialista nella storia della Repubblica a essere nominato Presidente del Consiglio.

50 – 22 ottobre: si svolge a Roma, contro l’installazione dei missili nucleari a Comiso, un’altra manifestazione per la pace: vi partecipano 1.000.000 di persone.

1984

51 – 5 gennaio: il giornalista Pippo Fava è ucciso all’uscita dalla sede della sua rivista I siciliani. Era stato l’unico a denunciare la presenza della mafia a Catania. A ordinare la sua morte è stato il boss padrone della città Nitto Santapaola, il quale, poco tempo prima, aveva fatto recapitare a Fava delle bottiglie di champagne e della ricotta. Il giornalista aveva capito il senso mafioso del messaggio: brinderemo con dello champagne quando ti avremo ridotto come della ricotta.

52 – 14 febbraio: il governo Craxi promulga un decreto che sopprime l’indicizzazione automatica dei salari all’aumento del costo della vita, con il taglio di tre punti della scala mobile (il meccanismo che appunto adattava gli stipendi all’inflazione). Dato il contesto di calo dell’inflazione e di miglioramento della situazione economica, non si tratta di un intervento troppo oneroso per i lavoratori. Il valore simbolico della decisione è però forte e il PCI e la componente comunista della CGIL reagiscono duramente.

53 – 18 febbraio: nuovo Concordato tra la Chiesa e lo Stato, che sostituisce quello firmato da Mussolini nel 1929. L’insegnamento della religione cattolica (l’ora di religione) non è più obbligatorio.

54 – 24 marzo: 600.000 persone partecipano alla manifestazione nazionale a Roma contro il decreto sulla scala mobile.

55 – 12 aprile: viene costituito il movimento autonomista Lega Lombarda.

56 – 11 giugno: muore Enrico Berlinguer. Il segretario comunista era stato colpito da un ictus a Padova, il 7 giugno, durante un comizio elettorale in vista delle elezioni europee. L’emozione nel paese, ma anche fuori dall’Italia, è grandissima. Il 13 giugno a Roma circa due milioni di persone assistono al suo funerale.

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57 – 12 giugno: si conclude il processo 7 aprile contro Toni Negri e gli altri capi dell’Autonomia Operaia. Tutti gli imputati sono condannati.

58 – 17 giugno: si svolgono le elezioni europee. Il PCI con il 33,32% è il primo partito.

59 – 24 giugno: muore affogato a Portofino, malgrado sia un buon nuotatore. Leader potentissimo della Democrazia cristiana, si è fatto da parte dalla scena politica dopo essere stato coinvolto nello scandalo dei petroli. Il 17 agosto 1992, suo fratello, don Mario Bisaglia, che non aveva mai creduto alla tesi dell’incidente, sarà ritrovato annegato nel lago di Centro del Cadore. È ormai certo che sia stato ucciso. Stessa sorte capiterà al segretario particolare di Antonio Bisaglia, Gino Mazzolato, ritrovato morto nel fiume Adige il 30 aprile 1993. Il mare, il lago e il fiume: l’acqua è l’elemento che domina uno dei tanti, inquietanti, misteri italiani.

60 – 26 giugno: Alessandro Natta è eletto segretario del Partito comunista.

61 – 31 luglio: il governo vota la riforma fiscale voluta dal ministro repubblicano Bruno Visentini per combattere lo scandalo dell’evasione fiscale. Riforma che scatenerà l’opposizione delle categorie dei lavoratori autonomi e la proclamazione di una giornata di sciopero dei dipendenti pubblici per sostenerla. La legge troverà forti resistenze tra gli altri partiti della maggioranza e sarà approvata con l’astensione del PCI.

62 – 27 agosto: Silvio Berlusconi acquista il controllo di Rete 4 e dispone ormai di tre reti televisive come la Rai.

63 – 29 settembre: sulla base delle dichiarazioni del primo pentito di Cosa Nostra, Tommaso Buscetta, la Procura di Palermo invia 366 mandati di arresto.

64 – 16 ottobre: in osservanza delle sentenze della Corte Costituzionale che consentono solo alla Rai di trasmettere su tutto il territorio nazionale, i pretori di Roma, Torino e Pescara ordinano di oscurare le reti televisive di Berlusconi. Spontaneamente alcune centinaia di persone scendono in piazza per protestare contro questa decisione. La televisione diventa un tema politico.

65 – 20 ottobre: il presidente del Consiglio Bettino Craxi presenta d’urgenza un decreto che consente alle reti televisive di Berlusconi, in assenza di una legge sull’emittenza, di riprendere le trasmissioni. Il 28 novembre la Camera dei deputati dichiara incostituzionale questo decreto. Il governo ne ripropone immediatamente un altro, battezzato Berlusconi bis, che il 4 febbraio 1985 sarà convertito in legge anche grazie ai voti del Movimento Sociale Italiano.

66 – 23 dicembre: la risposta della mafia all’azione della magistratura palermitana non si fa attendere. Pippo Calò, il boss che gestisce gli affari economici di casa Nostra a Roma, organizza un attentato sul treno Napoli-Milano che provoca 15 morti e 130 feriti.

1985

67 – 24 gennaio: Walter Reder, criminale nazista responsabile della strage di Marzabotto (1944), ottiene la grazia del governo italiano e ritorna in Austria.

68 – 27 marzo: le Brigate rosse uccidono all’Università di Roma l’economista Ezio Tarantelli, accusato di essere l’ispiratore del decreto sulla scala mobile.

69 – 28 maggio: una cordata d’industriali promossa da Silvio Berlusconi presenta all’ultimo momento una proposta per acquistare lo Sme, la sigla pubblica dietro la quale si

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nasconde gran parte dell’industria alimentare italiana, che il governo ha deciso di privatizzare. Carlo De Benedetti, proprietario dell’azienda della pasta Buitoni, ha fatto un’offerta di 467 miliardi ma non gode di buoni rapporti politici con Craxi, che ha sollecitato l’iniziativa della cordata guidata da Berlusconi per potere bloccare il processo di vendita a De Benedetti. Gli aspetti oscuri della vicenda saranno al centro di una delle più importanti inchieste dei magistrati di Milano dieci anni dopo.

70 – 29 maggio 1985: a Bruxelles, in occasione della finale di Coppa dei Campioni tra la Juventus e il Liverpool, muoiono 39 tifosi italiani a causa del crollo di una tribuna dove si erano rifugiati per sfuggire ad una carica degli hooligans inglesi.

71 – 9–10 giugno: il referendum abrogativo del decreto sulla scala mobile è respinto con il 54,3% dei voti. Il 45,7% che ha votato per il sì è certamente superiore alla base elettorale del partito comunista (circa il 30%); ma la sconfitta è particolarmente netta al Nord, cioè nella parte più sviluppata del paese. Si tratta del secondo risultato negativo per i comunisti dopo l’insuccesso alle elezioni amministrative del 12 e 13 maggio.

72 – 24 giugno: il democristiano Francesco Cossiga viene eletto Presidente della Repubblica con una larghissima maggioranza.

73 – 19 luglio: Venerdì nero della lira. Il cambio con il dollaro passa a 2200 lire. Il comitato monetario della Cee decide la svalutazione della moneta italiana dell’8%. Lo stesso giorno il crollo delle discariche della miniera di Prestavel, in Val di Stava (in provincia di Trento), provoca una frana che uccide 260 persone.

74 – 1 agosto: la corte di Appello di Bari assolve tutti gli imputati per la strage di Piazza Fontana (Milano 1969).

75 – 6 agosto: vengono uccisi dalla mafia il vicecapo questore di Palermo Antonino Cassarà e l’agente Roberto Antiochia.

76 – 19 settembre: a 62 anni lo scrittore Italo Calvino muore colpito da ictus nella sua casa di Castiglione della Pescaia.

77 – 7 ottobre: quattro terroristi dell’Organizzazione per la liberazione della Palestina sequestrano la motonave italiana Achille Lauro. A bordo per partecipare a una crociera ci sono 700 persone. I terroristi uccidono un turista americano di religione ebraica. Dopo una lunga trattativa, i terroristi ottengono l’utilizzo di un aeroplano per potersi rifugiare in un paese arabo. Nella notte tra il 10 e l’11 ottobre giungono in aereo alla base militare siciliana di Sigonella dove i marines americani sono pronti a intervenire per arrestarli, ma Craxi si oppone rivendicando il principio della sovranità nazionale. Si tratta di una delle crisi più gravi nei rapporti italo-americani.

78 – 8 novembre: rinvio a giudizio da parte del pool antimafia di Palermo di 707 persone sospettate di appartenere a Cosa Nostra.

79 – 27 dicembre: all’aeroporto Fiumicino di Roma, la cellula del gruppo palestinese Abu Nidal compie un attentato ai danni della compagnia di bandiera israeliana El Al e dell’americana TWA, che provoca 13 morti e 70 feriti.

1986

80 – 30 gennaio: si conclude il secondo processo d’appello per il caso 7 aprile. I principali accusati sono assolti dalle accuse più gravi e i giudici riducono considerevolmente le pene.

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81 – 10 febbraio: nell’aula bunker dell’Ucciardone, costruita per l’occasione, si apre a Palermo il maxiprocesso contro Cosa Nostra.

82 – 18 marzo: il Tribunale di Milano condanna all’ergastolo Michele Sindona quale mandante dell’omicidio di Giorgio Ambrosoli (1979), curatore fallimentare della Banca Privata Italiana. Il 20 marzo, nel carcere di Voghera, Sindona muore avvelenato dopo aver bevuto un caffè al cianuro. Per la magistratura si è trattato di un suicidio con simulazione di omicidio.

83 – 4 aprile: Giovanni Paolo II visita la sinagoga di Roma. È la prima volta – e per ora unica – nella storia della Chiesa cattolica.

1987

84 – 11 aprile: a Torino muore suicida lo scrittore buttandosi dal terzo piano nella tromba delle scale del palazzo in cui abita.

85 – 23 maggio: 40.000 insegnanti aderiscono a una manifestazione organizzata dai Comitati di base (Cobas).

86 – 14 giugno: si svolgono le elezioni legislative: i partiti della maggioranza di pentapartito ottengono dei buoni risultati. Il partito socialista sale al 14,3%. Grave sconfitta del Partito comunista che scende al 26,6%. La Lega Lombarda, partito regionalista, ottiene un sorprendente 1,8% dei voti. Il suo fondatore, Umberto Bossi, viene eletto senatore.

87 – 28 luglio: un’alluvione in Valtellina provoca 53 morti.

88 – 20 settembre: per la procura di Palermo, sulla base delle dichiarazioni dei pentiti, è il giorno in cui Giulio Andreotti avrebbe incontrato Salvatore Riina. Dopo un lungo processo durato dal 1993 al 2003 la sentenza finale assolverà Andreotti, ma ricorderà che sino al 1980 avrebbe avuto rapporti con la mafia.

89 – 31 ottobre: a Ravenna viene trafugata dalla cappella di famiglia la tomba di Serafino Ferruzzi, il fondatore dell’impero finanziario Ferruzzi-Gardini. I ravennati sono il più grande gruppo di calcestruzzo italiano e alla fine del 1986 avevano accettato di fare entrare nella loro società la famiglia Buscemi di Palermo (esponenti di primo piano della mafia siciliana). Quando il magistrato palermitano Giovanni Falcone, colui che ha raccolto la testimonianza di Tommaso Buscetta, l’ha saputo ha capito che la mafia era riuscita ad entrare in Borsa. Gli eredi di Serafino Ferruzzi si rendono subito conto che il furto della bara è legato all’arrivo dei nuovi soci siciliani e che nulla in futuro sarà come prima.

90 – 8 novembre: voto su tre referendum proposti dal partito radicale per la sospensione della costruzione delle centrali nucleari e per l’abbandono di questa tecnologia in futuro. Più del 70% degli elettori votano sì.

91 – 14 dicembre: Gianfranco Fini succede a Giorgio Almirante alla direzione del Movimento Sociale Italiano.

92 – 16 dicembre: finisce il maxiprocesso contro la mafia. La corte convalida l’impianto accusatorio del pool diretto da Caponneto. 19 boss vengono condannati all’ergastolo. Vi sono altre 342 condanne e 114 assoluzioni.

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1988

93 – 19 gennaio: il Consiglio superiore della Magistratura nomina Antonino Meli al posto di capo dei giudici istruttori di Palermo in sostituzione di Antonino Caponneto, andato in pensione. Meli sconfigge Giovanni Falcone: è la fine dell’esperienza del pool antimafia.

94 – 26 marzo: a Roma 200.000 donne manifestano per chiedere una nuova legge contro la violenza sessuale.

95 – 13 aprile: Ciriaco De Mita diviene il nuovo Presidente del Consiglio.

96 – 16 aprile: le Brigate rosse uccidono il senatore democristiano Roberto Ruffilli, esperto di questioni internazionali.

97 – 21 giugno: Achille Occhetto viene eletto segretario politico del partito comunista.

98 – 14 luglio: La Fininvest di Silvio Berlusconi acquista dalla Montedison di Raul Gardini la proprietà della catena dei supermercati Standa. La paga mille miliardi, esattamente la stessa cifra “investita” da Raul Gardini (capo dell’impero finanziario dei Ferruzzi) nelle tangenti alla classe politica per non avere ostacoli nella realizzazione del suo sogno, unire l’Eni e la Montedison (l’Enimont) e controllare tutta l’industria chimica italiana.

99 – 28 luglio: sulla base delle dichiarazioni di Leonardo Marino, ex militante di Lotta continua, vengono arrestati tre ex dirigenti dell’organizzazione: Adriano Sofri (che ne era stato il leader), Giorgio Pietrostefani e Ovidio Bompressi. Secondo la ricostruzione di Marino, sarebbero stati lui e Bompressi – su ordine di Sofri e Pietrostefani – a uccidere il 17 maggio 1972 il commissario Luigi Calabresi, accusato della morte dell’anarchico Giuseppe Pinelli. Inizia un lungo iter processuale, che provocherà molte polemiche e dubbi e che si concluderà nel 2000 con la condanna definitiva degli imputati.

100 – 17 agosto: nel pieno della stagione estiva le coste adriatiche sono invase dalla mucillagine. La questione ambientale inizia a essere sentita come un’emergenza.

101 – 26 settembre: a Trapani, in Sicilia, viene ucciso Mauro Rostagno, anche lui ex-leader di Lotta continua e uno dei protagonisti della contestazione studentesca del 1968 a Trento. Da qualche anno lavorava in una comunità di recupero di tossicodipendenti e alcolisti. Collaborava anche a una televisione locale e aveva denunciato i nomi dei mafiosi che controllano la città.

102 – 25 novembre: in seguito allo scandalo detto delle lenzuola d’oro, l’intero consiglio di amministrazione delle Ferrovie dello Stato presieduto da Ludovico Ligato è costretto a dimettersi.

1989

103 – 22 febbraio: Arnaldo Forlani è eletto segretario politico della Democrazia cristiana. La sua elezione rientra nel cosiddetto accordo del CAF dalle iniziali di Craxi, Andreotti e appunto Forlani. Andreotti sarà eletto Presidente del Consiglio il 23 luglio.

104 – 10 marzo: si conclude il processo per la strage di Piazza della Loggia (, 1974): tutti gli imputati vengono assolti.

105 – 18 giugno: si svolgono le elezioni europee. In una situazione di sostanziale immobilismo elettorale, il PCI, malgrado le polemiche seguite al massacro degli

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studenti cinesi sulla Piazza Tien An Men di Pechino del 4 giugno, aumenta di poco i voti rispetto al 1987. Il decennio si chiude senza che sia avvenuto il riequilibrio elettorale tra i due partiti della sinistra a lungo teorizzato da Craxi, il quale si stringe sempre più nell’alleanza con la destra democristiana.

106 – 21 giugno: viene ritrovato un borsone abbandonato sugli scogli che circondano la villa dell’Addaura, sotto il Monte Pellegrino, in Sicilia, che il giudice Falcone ha affittato per l’estate. Dentro ci sono 58 candelotti di esplosivo collegati a un telecomando che avrebbe dovuto essere attivato il giorno prima quando erano ospiti di Falcone due colleghi svizzeri, Carla Del Ponte e Claudio Lehman. Tutti e tre stanno indagando sul riciclaggio internazionale dei soldi della droga. Per loro fortuna non sono scesi al mare a fare un bagno. Falcone commenta: «Menti raffinatissime»4, a Palermo si fa circolare la voce che sia stata una messa in scena per farsi della pubblicità.

107 – 25 agosto: l’immigrato clandestino sudafricano Jerry Maslo è ucciso durante una rapina a Villa Literno, vicino a Caserta. Profugo, in Italia viveva senza diritti in una zona controllata dalla camorra perché l’asilo politico è riconosciuto solo per chi proviene dai paesi dell’Est. La sua morte attira l’attenzione dell’opinione pubblica su questo nuovo fenomeno e il 7 ottobre si svolge a Roma la prima grande manifestazione per il riconoscimento dei diritti a tutti gli immigrati presenti in Italia.

108 – 24 ottobre: viene approvato il nuovo codice di procedura penale: vengono introdotti il rito abbreviato e, parzialmente, il rito accusatorio al posto di quello inquisitorio.

109 – 12 novembre: in un discorso a Bologna a una riunione di ex partigiani, Achille Occhetto annuncia che il PCI è disposto a cambiare il proprio nome di fronte alla novità della caduta del muro di Berlino.

110 – 20 novembre: muore a 68 anni lo scrittore siciliano Leonardo Sciascia.

111 – 24 novembre: la maggioranza dei membri del Comitato Centrale approva la proposta di Occhetto di avviare una fase costituente per la formazione di un nuovo partito della sinistra italiana, erede del PCI. Si forma però una forte componente di opposizione guidata da Pietro Ingrao, Aldo Tortorella e Lucio Magri. Anche la corrente filo-sovietica di Armando Cossutta vota contro la proposta di Occhetto.

112 – 4 dicembre: viene costituita la Lega Nord, con la fusione della Lega Lombarda con altri movimenti autonomistici.

113 – 30 dicembre: viene approvato il decreto Martelli, dal nome del Ministro socialista Claudio Martelli, che regola il fenomeno dell’immigrazione in Italia. Il decreto estende il diritto all’asilo politico, prevede una sanatoria per gli immigrati già presenti sul territorio italiano e quote d’ingresso per il futuro.

NOTE

1. I libri citati nella Bibliografia anni Ottanta. Il caso italiano costituiscono le fonti di questa cronologia. In particolare i manuali di storia generale e il volume di E. Deaglio, Patria 1978-2008, Milano, Il Saggiatore, 2009.

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2. Dal sito della Rai , presentazione del dossier «Il caso Cirillo». 3. Archivio Rai, video della Tribuna politica di Enrico Berlinguer, 15 dicembre 1981. 4. Dal sito Rai , dossier «Giovanni Falcone».

AUTORE

LEONARDO CASALINO Université Stendhal - Grenoble 3

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Bibliographies

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Gli anni ottanta allo specchio un percorso bibliografico

Ugo Perolino

1 La selezione di un punto prospettico per inquadrare trasformazioni, continuità e discontinuità degli anni Ottanta, assume un rilevante valore simbolico in relazione ai criteri che informano la periodizzazione storico-letteraria. Non sarà pertanto priva di significato, né immune da implicazioni ideologiche intimamente collegate al tempo dell’interpretazione e alle sue procedure ermeneutiche, la sostituzione di due momenti a lungo ritenuti indicativi di una svolta – Altri libertini di Pier Vittorio Tondelli e Il nome della rosa di Umberto Eco – con un testo di diversa caratura, Un paese senza (1980) di Alberto Arbasino, una forma spuria (tra corsivo giornalistico e satira di costume) immersa nel divenire dei linguaggi strumentali e settoriali, allineata con infinite nuances parodiche su una prospettiva incline all’engagement, ed erede di una tradizione dell’avanguardia novecentesca, dall’espressivismo al pastiche, sapientemente decostruita. Gli anni Ottanta hanno inizio con un libro che mette in scena sarcasticamente la morte dell’ideologia: lo zibaldone di Arbasino è un caustico diario di note e riflessioni sull’Italia del compromesso storico in forma di congedo da “un decennio poco amato” – gli anni di piombo e l’onda lunga della contestazione – che chiude idealmente la trilogia iniziata con Fantasmi italiani (1977) e proseguita con il pamphlet sul caso Moro, In Questo Stato (1978), ristampato nel 2008 nella ricorrenza del trentennale della morte del leader democristiano1. All’origine dell’invenzione linguistica arbasiniana possono ritrovarsi esperienze e modelli del tempo del «Mondo» di Pannunzio, officina giornalistico-letteraria dalla quale era germogliata la satira di , ma anche coeve influenze provenienti dalle punte più avanzate del new journalism alla Tom Wolfe, i cui scritti vengono non a caso tradotti in Italia per Feltrinelli a partire dal 19692. Sarà lo stesso Arbasino, dieci anni dopo, a scrivere le pagine più attuali sul crollo del Muro di Berlino. La caduta dei tiranni, pubblicato da Sellerio nel 1990, riprende moduli e strumenti della “diaristica di testimonianza” per raccontare la crisi agonica del comunismo («“Loro stanno benissimo, lì. Loro sono contenti così!” Quante volte ce lo siamo sentito ripetere, per decenni, dagli italiani e

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italiane di saccenteria più proterva, a proposito degli ingabbiati che osservavamo oltre il Muro»)3.

2 Se Tom Wolfe, in The Bonfire of the Vanities (1987) 4, ha raccontato con graffiante umorismo fasti e decadenza dell’era reaganiana, i narratori italiani della nuova generazione sembrano guardare soprattutto ad altre esperienze, più intimamente realistiche, impiantate sul terreno della quotidianità. L’effetto-Carver, destinato a durare ancora nel decennio successivo5, permea le storie brevi di Claudio Piersanti (classe 1954), in particolare la notevole raccolta di racconti L’amore degli adulti (1989), analitica e minuziosa decantazione del disincanto attraverso personaggi afasici, sul limite di un’esistenza priva di intensità, reduci di un passato bruciato troppo rapidamente per lasciare traccia di sé. Ancora sull’onda dell’effetto-Carver è da registrare la fortuna di un film di Robert Altman, America Oggi (Short Cuts), vincitore del Leone d’oro alla cinquantesima mostra del cinema di Venezia. A questo modello strutturale si rivolge il marchigiano Angelo Ferracuti, con un romanzo policentrico, a intreccio di narrazioni, Attenti al cane (1999), dove le geometrie suburbane e le evanescenze fantastiche della provincia adriatica vengono rappresentate con asprezza polemica. Una postmodernità desertificata, anaffettiva, dilaniata dal senso immanente di una colpa remota e inattingibile, ispira invece gli otto bellissimi racconti di Questo è il giardino (1993), del padovano Giulio Mozzi, forse il più promettente dei Tondelli-Boys, con Silvia Balestra (Il compleanno dell’Iguana e La guerra degli Antò, lanciati da Transeuropa rispettivamente nel ‘91 e nel ‘92). Un esordio di particolare interesse è quello di Pino Cacucci (classe 1955): Outland rock (1988) e Puerto Escondido (1990), da cui Gabriele Salvatores ha tratto un film interpretato da Diego Abatantuono, Claudio Bisio e Valeria Golino6. Occorre peraltro sottolineare che in Piersanti, e molto di più in Mozzi, nella durezza psicotica di certe psicologie di adolescenti, è verificabile l’influenza di Ian McEwan, i cui racconti e romanzi – First Love, Last Rites (1976), The Cement Garden (1978), The Comfort of Strangers (1981), The Child in Time (1987) – si impongono nel corso del decennio all’attenzione del pubblico e della critica italiana attraverso una sistematica opera di traduzione7.

3 Come è stato giustamente ricordato, sia l’esordio narrativo di Celati, «con il suo monologo clownesco e dialettale di raccontare intitolato Comiche (1971)», sia quello di Daniele Del Giudice, con il romanzo Lo stadio di Wimbledon (1983), «si sono potuti fregiare di un commento di Calvino»8. In entrambi i casi, dunque, è Calvino a battezzare la nuova prosa narrativa, e sarà ancora l’autore delle Lezioni americane a disegnare un percorso di attraversamento del postmoderno senza abdicare ai fondamenti umanistici e alla dimensione formale-conoscitiva della letteratura. Nel corso degli anni Ottanta l’effetto-Celati sembra diramarsi tanto nel «sound del linguaggio parlato» del Tondelli di Altri libertini (1980) 9, come nel Poema dei lunatici (1987) di Ermanno Cavazzoni, che richiama la voce narrante falotica, il parlato idiosincratico, il grottesco dormiveglia lunare delle Avventure di Guizzardi (1972). Ad un ricco sostrato espressivo si ricollegano le Cròniche epafániche (1989) di Francesco Guccini. Il largo impiego di «elementi della parlata di Pavana (tra dialetto e italiano regionale) è indispensabile alla rappresentazione del paese in cui l’autore è cresciuto»10, screziata da effetti tipici del racconto orale mescidati in un sorvegliato di ironia e nostalgia.

4 L’ingresso nella postmodernità determina un alleggerimento delle strutture linguistiche, una perdita di gravità dei luoghi e degli spazi. Con Narratori delle pianure (1985) Celati sperimenta un netto cambiamento di registro, passando dalla crudezza

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comico-grottesca di Guizzardi ai racconti anonimi e minimali del grande fiume, nell’alveo di una scrittura fluida, una voce appena sonora segnata dall’«accettazione interiore del paesaggio quotidiano in ciò che meno sembrerebbe stimolare la nostra immaginazione» (Calvino), una sorda leggerezza che conduce a soluzioni di minimalismo stilistico e strutturale appoggiate su esili arcate sintattiche e una base lessicale estremamente prosciugata.

5 Nel corso del decennio le tre antologie tondelliane portano alla luce linguaggi, codici, culture e stili narrativi caratterizzati dalla plasticità, dalla capacità di annettere territori inediti e di stringere legami osmotici con arti e linguaggi affini – la testualità musicale, le canzoni, il fumetto, l’immaginario cinematografico irrorato dalla paraletteratura e dai generi di consumo (science-fiction, horror, noir) –, mentre tende a sciogliersi, fino a diluirsi del tutto, il legame e il senso di continuità della tradizione letteraria nazionale o internazionale. Fin dai titoli – Giovani Blues (1986), Belli & perversi (1988), Papergang (1990) – l’eclettismo tondelliano spinge alla superficie ed esalta il sincretismo implicito nella visione estetica del postmoderno, in particolare in Italia dove si lega alla definitiva cancellazione degli apparati ideologici. In margine alla lettura e alla discussione sui racconti antologizzati, lo scrittore di Correggio sottolineava la «quasi totale mancanza di esperienze devianti, di racconti di emarginazione, di droga», ricavandone l’incipiente eclisse della « cultura metropolitana »11. Metropolitana era stata la cultura del rock, le ballate di Lou Reed, Mick Jagger e Andrea Pazienza, il movimento del settantasette e molto altro.

6 Forse più effimera, ma significativa sul piano del costume letterario, è la fortuna del romanzo post-minimalista Bright Lights, Big City dello scrittore statunitense Jay McInerney (la traduzione italiana, curata per Bompiani da Marisa Caramella, appare nel 1986), che realizza anche la sceneggiatura del film diretto da James Bridges nell’88. Sul piano del costume, oltre che di uno specifico letterario alternato con momenti di sapiente esposizione mediatica, agisce Aldo Busi al suo esordio con Seminario sulla gioventù (1984), seguito da Vita standard di un venditore provvisorio di collant (1985) e Sodomie in corpo 11 (1988). La cronaca culturale registra alla fine del decennio il caso di Lara Cardella, Volevo i pantaloni (1989), mentre presentano caratteristiche più accentuate di durata e continuità gli esordi di Marco Lodoli, vincitore del Premio Mondello nel 1986 con Diario di un millennio che fugge, che rimanda all’idea di scrittura come repertorio formale continuamente riattualizzabile in assenza di storicità (una modalità compositiva abilmente elaborata da Alessandro Baricco); e di Andrea De Carlo, con cinque romanzi in rapida successione – Treno di Panna (1981), Uccelli da gabbia e da voliera (1982), Macno (1984), Yucatan (1986) e soprattutto Due di due (1989) – che gli garantiscono una riconoscibilità editoriale difficilmente riscontrabile in altri scrittori italiani del periodo.

7 In equilibrio instabile tra eclettismo e kitsch, sul piano dei comportamenti sociali il decennio registra l’emersione del “prato basso italiano”, di cui parla Carlo Freccero intervistato da Giorgio Bocca. È il prato di Portobello12, «degli spettacoli a premi, partecipati, della gente che parte in pullman dalla provincia per i suoi pellegrinaggi laici, non più ai santuari per chiedere la grazia alla Madonna, ma ai teatri televisivi dove si celebra il dio denaro». I portavoce maieutici del prato basso italiano si chiamano Mike, Pippo, Corrado, mentre le praterie della nuova tv commerciale sono colonizzate da prodotti americani seriali seguiti da milioni di telespettatori. È lo stesso Giorgio Bocca a raccontare retroscena, protagonisti e ambienti, ancora poco noti, del

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selvaggio west della tv commerciali, il cui impetuoso sviluppo rinnova agenti e pratiche imprenditoriali nella Milano da bere degli anni Ottanta: «Reti di un solo proprietario contro reti di affiliati, come i contadini e i mandriani del West, per disputarsi l’immensa prateria televisiva, le grasse mandrie pubblicitarie da condurre al santo macello, con lotta all’ultimo sangue, ossessiva, grottesca, per l’audience, l’ascolto pagato con cifre enormi, non sai mai se autentiche o gonfiate: programmi per 500 miliardi e 2.000 titoli nei magazzini di Canale 5 e di Rete 4, Dallas contro Dynasty, quanto a dire serial da un miliardo a puntata, per la produzione, comperati prima a 24 mila dollari a puntata e poi, a forza di rilanci, a 100.000 dollari. E dietro a valanga Flamingo road, Falcon crest, Magnum sino alle vette di Uccelli di rovo e di Venti di guerra in quella euforia, un po’ irresponsabile, che vi prende nei casinò o nel salone delle grida alla Borsa, dicono due miliardi a testa per film come l’Ufficiale e gentiluomo e Rambo e sicuramente mezzo miliardo per qualsiasi filmetto pornodialettal-comico.»13

8 Come reazione alla trivializzazione della cultura televisiva la letteratura sembra impegnata a circoscrivere un autonomo e appartato spazio stilistico-formale marcato dal recupero di forti valori timbrici. Emblematico di questa inchiesta sulle ragioni della letteratura – valida tanto sul piano di una ricerca che ha interiorizzato e filtrato la lezione delle avanguardie europee, quanto su quello di un ritorno a moduli e schemi della tradizione del Novecento – è il già ricordato esordio di Daniele Del Giudice, Lo stadio di Wimbledon (1983), ma il recupero di esperienze formali e stilistiche intensamente meditate accomuna autori tra loro diversi per poetica e orizzonti, come , Diceria dell’untore (1981); Vincenzo Consolo, Lunaria (1985), Retablo (1987), Le pietre di Pantalica (1988); Fleur Jaeggy, I beati anni del castigo (1989); gli importanti esordi di Michele Mari, Di bestia in bestia (1989), e di Paola Capriolo con La grande Eulalia (1989); Francesco Biamonti 14, L’angelo di Avrigue, primo tassello di una tetralogia intarsiata sulla risonanza lirico-magica del paesaggio ligure e della frontiera. Una vena di ricchissima erudizione, capace di scandagliare gli strati archeologici e fantastici del mito, informa i libri di Roberto Calasso, La rovina di Kasch (1983) e soprattutto Le nozze di Cadmo e Armonia (1989). Secondo Jasper Griffin il libro di Calasso rappresenta, almeno in parte, una versione moderna delle Metamorfosi di Ovidio nel solco di una tradizione non specialistica di creative writing che annovera autori come Charles Kingsley, Robert Graves e James Frazer. Secondo il recensore, Calasso svolge «an exposition and explanation of Greek myth from within its own world»; lo scrittore italiano «enters into that world and writes as a creative mythographer, learned but also daring»15. Al campo fenomenologico dell’ipertrofia del letterario, in un’accezione dichiaratamente orfica e neodannunziana, appartiene la fluente produzione narrativa di Giuseppe Conte con i romanzi Primavera incendiata (1980) e Equinozio d’autunno (1987). Una parabola appartata ma chiaramente riconoscibile è quella di , presente alla metà del decennio con due brevi ed eleganti raccolte di testi brevi: Notturno indiano (1984), «un libretto deliziosamente elusivo e allarmato» che metteva in scena «un viaggio alla presunta ricerca del proprio doppio», come nota su la Repubblica Alfredo Giuliani; e Piccoli equivoci senza importanza (1985), dove si fa più esplicita la cifra dell’allusione e della contaminazione16.

9 Per quel che riguarda l’evoluzione del sistema poetico, il rifiuto della stagione degli sperimentalismi emblematicamente prospettato da un’antologia come La parola innamorata (1978), curata da Enzo Di Mauro e Giancarlo Pontiggia, apre la strada per esperienze linguistiche lussureggianti come L’ultimo aprile bianco (1978) e Le stagioni (1988) di Giuseppe Conte, di cui sono stati precedentemente ricordati i romanzi. Nella

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prima metà del decennio si compie il disegno della trilogia zanzottiana (il cui inizio è segnato nel 1978 da Il galateo in bosco) con Fosfeni (1983) e Idioma (1986). In particolare in Idioma «la poesia ritorna al proprio nido, nel cerchio di Soligo, nel suo microcosmo originario, in una quotidianità di persone, ricordi e storie minime che risucchiano al proprio interno i destini generali di un tempo segnato da stravolgimenti culturali e ambientali catastrofici»17. Un evento significativo è anche il ritorno di Alda Merini, dopo una lunga lontananza legata alla malattia mentale, con La Terra Santa (1984), il libro di versi che costituisce probabilmente il punto più alto della sua parabola espressiva. Come è stato giustamente osservato i libri di poesia degli anni Ottanta sono più “poetici”, rispecchiano una maggiore preoccupazione per la forma, per la parola accuratamente trascelta, puntano al recupero della tradizione come ad uno spazio riparato dai traumi della storia. «Quasi simbolico della discontinuità con il decennio precedente è Ora serrata retinae di Valerio Magrelli», dove le «ricorrenti immagini della quiete e del silenzio si correlano […] a quelle, altrettanto frequenti, del calcolo, della cura, della misura e della chiarezza, dell’ordine – di un ordine persino geometrico»18.

10 Sul filo di un confronto non interrotto con il decennio precedente, reso parzialmente inaccessibile da vigorosi processi di rimozione, si collocano con diverse modalità narrative e con prospettive ideologiche differenziate i romanzi del Palandri post- Boccalone19; e in maniera umoristica e filtrata lo scenario postapocalittico di Terra (1983), il primo romanzo di Stefano Benni ricco di riferimenti a tematiche ambientali proiettate dall’evoluzione dei movimenti degli anni Settanta (continua però anche il filone graffiante della satira, con Il ritorno del Benni furioso, 1986). Più direttamente il ripensamento della lunga fase della contestazione, la crisi della militanza e la catastrofe degli anni di piombo trovano espressione nelle narrazioni di Nanni Balestrini, e in particolare nel romanzo Gli invisibili (1987).

11 Ripercorre nuove frontiere geopolitiche intrise di antiche identità con Danubio (1986), un romanzo di viaggio e di esplorazione della Mitteleuropea, dalle sorgenti alle foci del grande fiume, fittissimo di incontri curiosi, descrizioni, citazioni e riferimenti a luoghi e personaggi della storia e della letteratura. Conferma la sua centralità istituzionale il Premio Strega, apportatore di una continuità di valori letterari centrati sulle linee della prosa saggistica e sulla predilezione per le restaurate architetture del romanzo storico. Si tratta di un fenomeno ampiamente attestato, come risulta dalla rosa di vincitori che, se allargata ad altri prestigiosi premi come Viareggio e Campiello, nell’arco del decennio registra le affermazioni di Mario Pomilio (Il Natale 1833, Premio Strega 1983), (Rinascimento privato, Premio Strega 1986), (La lunga vita di Marianna Ucrìa, Premio Campiello 1990). Esiti e formule stilistiche apparentate anche con altre soluzioni, di taglio saggistico e saggistico- narrativo, come nei casi di (La principessa e l’antiquario, Premio Viareggio 1981), Pietro Citati (Tolstoj, Premio Strega 1984), , La chimera (Premio Strega 1990). Inutile insistere, invece, sul fenomeno Eco, Il nome della rosa (Premio Strega 1981), indicato da molti come capostipite del postmoderno italiano.

12 Una lettura comparativa delle selezioni operate da Strega, Viareggio e Campiello, evidenzierà qualche punto di sovrapposizione e, più in generale, una comune tendenza a scartare le soluzioni espressive estreme, sull’onda di un generale ritorno a collaudate convenzioni di genere. Si veda, a riprova della volontà di ripristinare una leggibilità più piana e distesa, l’albo dei vincitori del Premio Strega dal 1980 al 1990: Vittorio Gorresio, La vita ingenua (1980); Umberto Eco, Il Nome della rosa (1981); , Il sillabario

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n. 2 (1982); Mario Pomilio, Il Natale 1833 (1983); Pietro Citati, Tolstoj (1984); Carlo Sgorlon, L’armata dei fiumi perduti (1985); Maria Bellonci, Rinascimento privato (1986); , Le isole del paradiso (1987); Gesualdo Bufalino, Le menzogne della notte (1988); , La grande sera (1989); Sebastiano Vassalli, La chimera (1990).

13 Un analogo movimento di ritorno verso precise codificazioni stilistiche, che premiano l’autonomia dello spazio letterario, si consolida nel corso degli anni Ottanta anche nella selezione operata dal Viareggio, come si ricava dall’elenco dei vincitori: Stefano Terra, Le porte di ferro (1980); Enzo Siciliano, La principessa e l’antiquario (1981); Primo Levi con Se non ora, quando? (1982); Giuliana Morandini, Caffè Specchi (1983); Gina Lagorio, Tosca dei gatti (1984); Manlio Cancogni, Quella strana felicità (1985); Marisa Volpi, Il maestro della betulla (1986); Mario Spinella, Lettera da Kupjansk (1987); Rosetta Loy, Le strade di polvere (1988); Salvatore Mannuzzu, Procedura (1989); Luisa Adorno, Arco di luminara (1990). E sarà utile, infine, per un orientamento generale sulla produzione del decennio, estendere lo sguardo alla selezione dei vincitori del Premio Campiello, in linea con le considerazioni precedentemente svolte: , Il fratello italiano (1980); Gesualdo Bufalino, Diceria dell’untore (1981); Primo Levi, Se non ora, quando? (1982); Carlo Sgorlon, La conchiglia di Anataj (1983); Pasquale Festa Campanile, Per amore, solo per amore (1984); Mario Biondi, Gli occhi di una donna (1985); Alberto Onagro, La partita (1986); Raffaele Nigro, I fuochi del Basento (1987); Rosetta Loy, La strada di povere (1988); Francesca Duranti, Effetti personali (1989); Dacia Maraini, La lunga vita di Marianna Ucrìa (1990).

14 All’inizio del nuovo decennio, nel venticinquesimo rapporto sulla situazione sociale del paese (1991) del Censis era messo in evidenza un atteggiamento di sfiducia aggressiva – il rapporto parla di «demone della decostruzione» – che si sostituiva al quasi cronicizzato disincanto verso le istituzioni, la politica, lo Stato. Un risentimento collettivo che sarebbe esploso di lì a poco con le vicende di Mani Pulite in una diffusa ventata giustizialista e antipolitica, cronicizzandosi a sua volta nelle pieghe profonde della società italiana. Ma prima di chiudersi, gli anni Ottanta devono registrare alcuni dolorosi congedi, che formano come un’eredità e una base per la letteratura del nuovo millennio. Appaiono accomunate dal tema della memoria, e ancora più dall’angoscia dell’oblio, le ultima riflessione di Leonardo Sciascia e di Primo Levi. Poco prima della morte Sciascia assembla i materiali di un libro, A futura memoria, dove sono raccolti articoli e interventi giornalistici nel segno di una ininterrotta continuità di passioni politiche e civili. In questi scritti d’occasione, legati alla contingenza della battaglia politica e dello scontro polemico, talvolta aspro, sui temi della giustizia e della lotta alla mafia, sono riverberati gli echi di una cronaca che scorre drammaticamente lungo la dorsale di un decennio: il caso Tortora, il processo Sofri, la polemica con Scalfari sui “professionisti dell’antimafia”, la misteriosa morte di Roberto Calvi, l’assassinio del generale Dalla Chiesa, la scomparsa di Renato Candida, l’ufficiale dei carabinieri a cui era ispirata la figura del capitano Bellodi nel Giorno della civetta. Ma è soprattutto nel breve romanzo Il cavaliere e la morte (1988), la sua penultima opera, che lo scrittore siciliano incide, come in una minuziosa filigrana, l’oscura metafora del potere che strozza la storia italiana. Su una scala tragica che investe l’intero corso del Novecento è proiettata invece l’ultima riflessione di Primo Levi, I sommersi e i salvati (1986), analitica meditazione sul campo di concentramento e sulla “zona grigia”. La pienezza di senso e la continuità della tradizione umanistica in un mondo che cambia sono l’ultima eredità di Calvino. Nel maggio del 1986 appare presso Garzanti Sotto il sole giaguaro, dove sono riuniti tre racconti – precedentemente pubblicati fra il 1972 e il 1984 in stesure

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integrali o parziali – che avrebbero dovuto trovare collocazione in una architettura narrativa, rimasta incompiuta, sui cinque sensi. Le postume Lezioni americane (1988) indicano infine la strada della ricerca letteraria a venire, segnano una direzione, delimitano i sentieri da percorrere. Asor Rosa ha parlato di un classicismo di Calvino, «che consiste in un certo modo di rapportarsi dello scrittore all'essere del mondo»20 e che si identifica con la razionalità ordinatrice dei segni e dell’esperienza propria della letteratura.

NOTE

1. Si veda rispettivamente: A. Arbasino, Fantasmi italiani, Roma, Cooperativa Scrittori, 1977. Il pamphlet sul caso Moro, In questo Stato, Milano, Garzanti, 1978, è stato parzialmente riproposto in A. Arbasino, Paesaggi italiani con zombi, Milano, Adelphi, 1995, pp. 107-150. In seguito è stato nuovamente pubblicato, in versione integrale con alcune variazioni, nel trentennale della morte di Moro (Milano, Garzanti, 2008). Per una ricognizione sui contenuti ideologici e sulle varianti introdotte dall’aggiornamento del testo nell’ultima edizione, sia consentito rimandare a U. Perolino, Arbasino e il caso Moro (1978-2008), in C. Serafini (a cura di), Parola di scrittore. Letteratura e giornalismo nel Novecento, Roma, Bulzoni, 2011, pp. 635-644. 2. Si veda in particolare, in riferimento alla critica alle ideologie progressiste intrecciata alla satira di costume: T. Wolfe, Radical Chic & Mau-Mauing the Flak Catchers (New York, 1970), tradotto in italiano da Floriana Bossi con il titolo Lo chic radicale (Milano, Rusconi, 1973). 3. Consultare A. Arbasino, La caduta dei tiranni, Palermo, Sellerio, 1990, p. 24. 4. Il romanzo di Wolfe appare in Italia da Mondadori nel 1987. 5. Nel corso degli anni Ottanta si segnalano alcune fortunate traduzioni dei racconti di Carver: Cattedrale, traduzione di Francesco Franconeri, Milano, Mondadori, 1984; Di cosa parliamo quando parliamo d’amore, postfazione di Fernanda Pivano, Milano, CDE, 1987; Chi ha usato questo letto, traduzione di Riccardo Duranti, Milano, Garzanti, 1990. 6. I primi libri di Silvia Ballestra e di Pino Cacucci vengono immediatamente rilevati da Mondadori, che li ripropone ad un pubblico più vasto. 7. Si indicano di seguito le prime edizioni italiane delle opere di Ian McEwan sopra ricordate: Primo amore, ultimi riti, traduzione di Stefania Bertola, Torino, Einaudi, 1979; Il giardino di Cemento, traduzione di Stefania Bertola, Torino, Einaudi, 1980; Cortesie per gli ospiti, traduzione di Stefania Bertola, Torino, Einaudi, 1983; Bambini nel tempo, traduzione di Susanna Basso, Torino, Einaudi, 1988. 8. Si veda G. Iacoli, « Le Nuove generazioni narrative », in La letteratura italiana diretta da Ezio Raimondi (2 vol.), a cura di Gabriella Fenocchio, Milano, Bruno Mondadori, 2004, vol. II, pp. 203-224, p. 216: «La presentazione da parte del celebre romanziere ligure – osserva Iacoli – assume il valore di una patente di dignità per i due libri, ma è anche una sorta di implicito riconoscimento di un’eredità narrativa.» 9. Su Tondelli si veda: R. Carnero, Lo spazio emozionale. Guida alla lettura di Pier Vittorio Tondelli, Novara, Interlinea, 1998. Per un orientamento generale sulla narrativa giovanile e sugli anni Ottanta si rimanda a R. Carnero, Under 40. I giovani nella nuova narrativa italiana, Milano, Bruno Mondadori, 2010; M. Arcangeli, Giovani scrittori, scritture giovani. Ribelli, sognatori, cannibali, bad girls, Roma, Carocci, 2007; F. Panzeri, R. Cardone, F. Galato, Altre storie. Inventario della nuova

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AUTORE

UGO PEROLINO Università di Pescara

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Leonardo Casalino

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AUTORE

LEONARDO CASALINO Université Stendhal – Grenoble 3

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