Le "Gwenn-Ha-Du" : Un « Drapeau Fasciste » ? *
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Le "gwenn-ha-du" : un « drapeau fasciste » ? * De Maurras à Mussolini aux couleurs du noir et blanc : Le drapeau breton dit "gwenn-ha-du" Etude réalisée par Pierrik Le Guennec * Taldir-Jaffrenou, cité par War Du ar Pal, été 1939 Les termes, notions, personnalités, organisations, journaux cités dans cette étude sont très souvent peu ou pas connus par les personnes n’ayant pas d’intérêt spécifique pour les ré- gionalistes. Pour une lisibilité rapide de cette étude, des notes sur tous ces termes ont été regroupées dans un glossaire disponible en fin de l’étude, p. 19. En couverture : La croix gammée et le gwenn-ha-du dans Breiz Atao n° 167 : nouvel en-tête de « La vie du parti », le 29 janvier1933, veille de la prise du pouvoir d’Hitler Ci-contre : Breiz Atao n° 221, Une, 14 avril 1935 manifestation du Parti National Breton à Saint-Aubin du Cormier 2 Le "gwenn-ha-du" : un « drapeau fasciste » ? Le "gwenn-ha-du" de 1923 et ses créateurs : de Maurras et Mussolini à la croix gammée affichée en 1925 Un soir d’été de 2004, sur le port de Vannes, toute personne attablée à l’une des terrasses pouvait voir s’installer un couple, avec ses enfants. Elle en robe "gwenn-ha-du", reproduisant le drapeau "blanc et noir" dit "drapeau breton". Lui avec un quadriskell géant au dos de son tee-shirt. Le triskell est une figure à trois branches "tournantes", le quadriskell a donc quatre branches "tournantes" comme le svastika, croix gammée bien connue. Comment expliquer la banalisation de tels emblèmes ? Quand on habite en Bretagne, on voit surgir partout depuis quelques années le drapeau breton dit "gwenn-ha-du". De ceux qui arborent ou voient ce drapeau, qui en connaît l’origine exacte, qui connaît sa signification ? Dans Le Peuple Breton de juillet-août 2004 (revue de l’UDB, Union Démocratique Bretonne), organisation qui compte depuis les élections de 2004 des élus au Conseil Régional de Bretagne), on trouve une ardente défense du drapeau dit "gwenn-ha-du", et tout à la fois une évocation des résistances qu’il a provoquées. La revue de l’UDB évoque : « les années de cendres, dans l’après-guerre des années 50 (…) Et plus tard quand le gwenn- ha-du n’était pas toujours le bienvenu, dans les manifestations pour le Joint français, ou d’autres encore. » 1 L'origine du "drapeau breton" dit "gwenn-ha-du" (noir et blanc) mérite donc examen. Après la Libération, il est effectivement interdit comme symbole de la collaboration avec l’occupant nazi. Avant 1939, on le trouve qualifié de « drapeau fasciste » 2, à l’occasion d’une intervention polémique d’un futur collaborateur des nazis, le barde Jaffrenou dit Taldir. Il faut savoir qu’en violation de sa condamnation à la Libération, Jaffrenou a été publiquement honoré en 2004 pour avoir créé, à partir d’un hymne gallois, l’ "hymne national breton“, appelé “Bro Goz“ et « proclamé Chant national » 3 par les maurrassiens de l’Union Régionaliste Bretonne, à leur congrès de 1904. Le drapeau national “breton“, complément de cet hymne, fut créé par Breiz Atao (Bretagne toujours), l’organisation qui doit être considérée comme la matrice de l’actuel "mouvement breton". Au moment de la création de ce drapeau en 1923, nous verrons que les militants de Breiz Atao se rapprochent du réseau pangermaniste dont ils adoptent l’idéologie nordiste, ce qui permet de comprendre qu’ils adoptent la croix gammée en cette même année 1923. Après une éclipse, ils remettent la croix gammée dans leur journal Breiz Atao, le 29 janvier 1933, la veille de la prise du pouvoir de Hitler (préparée depuis début janvier) ; et ils se qualifient de « nationaux-socialistes » 4 avant 1939. « Ce drapeau, né de la plume de Morvan Marchal, premier directeur de Breiz Atao, a été pré- senté par un tour de passe-passe, à un public ignorant tout de la Bretagne, comme le drapeau breton traditionnel. » 5 C'est ce que déclare en 1975 Olivier Mordrelle, dit "Olier Mordrel", un des principaux organisateurs de Breiz Atao, l'organisation qu'a fondé Morvan Marchal, et pour laquelle ce dernier a créé le drapeau "gwenn-ha-du". Sommes-nous en face d’un drapeau "démocratique", "anti-impérialiste", de la bannière d'un "peuple oppri- mé", ayant droit à "une réparation historique" ? Ou sommes-nous en face du drapeau de Breiz Atao, créé par un groupe raciste en fonction d’un projet nationaliste ? Si le "gwenn-ha-du" est bien un « drapeau fasciste », comment ne pas en conclure que le « public ignorant tout de la Bretagne » chez qui il a été répandu a été cyniquement abusé. Pourquoi ? 3 4 1911 et 1919 - sur les pas de Maurras 1911 - Maurras et un chef de Camelots du Roy, le racisme et « Les métèques » Il importe, en premier lieu, de connaître la base politique de Breiz Atao et du Parti National Breton. En 1911, un premier PNB , Parti National Breton, est constitué avec ce type de fondateurs : « Job Loyant, Ex-Président des " Camelots du Roy " de Nantes converti au Nationalisme Bre- ton. » 6. Les « Camelots du Roy » étaient la milice de type fasciste de l’Action Française, le parti dirigé par Charles Maurras, un des principaux meneurs antisémites pendant l’Affaire Dreyfus, au même titre que le Marquis de l’Estourbeillon, fondateur de l’Union Régionaliste Bretonne 7. La base de la politique de Maurras et de l’Action Française, le but de ce qu’ils définissent comme “nationa- lisme français“ est bien connu : la contre-révolution, liquider les acquis de la Révolution de 1789 : « impossi- ble de rien améliorer d’important si nous gardons la République » 8, déclare Maurras. Sur ce terrain, une impulsion avait été donnée aux fondateurs du PNB : « Éphémérides Nationales (…) Janvier 1909 - Remarquable ar- ticle d'Édouard Drumont, le maî- tre du journalisme français, qui, le premier d'entre ses compatrio- tes, ose reconnaître dans un leader de La Libre Parole intitulé " Lettres de Bretagne " la légiti- mité des tendances séparatistes chez les Bretons. » 9. Le “nationalisme breton“, dès les origines, s’appuie donc sur Drumont, organisateur des infâmes campagnes antisémites lors de l'af- faire Dreyfus et après. Dans cette voie, Breiz Dishual entame très naturellement une « chronique » sur « Les métèques » 10 en avril 1913, en citant « Ar Bobl du 18 janvier » 1913, le journal de Taldir Jaffrenou (on l’a vu, créateur du "Bro Goz ", "chant national bre- ton"), dénonçant : Breiz Dishual, n° 10, avril 1913, p.4 « les Parisiens et autres nègres français qui n’ont plus ni traditions, ni langue, ni esprit racial. Ainsi, parce que la loi confère au Breton et au nègre martiniquais le même droit de vote, le nègre est un Breton, et le Breton est un nègre. Assurément, un Druide ne saurait comprendre ce syllogisme normand ou nègre et je veux espérer qu’un Breton ne le comprendra jamais. C’est grâce à la propagation de sembla- bles syllogismes que tant de métèques s’implantent partout, moissonnent le blé et corrompent l’esprit des peuples assez simples pour les adopter. » 11 Le Parti National Breton a donc des références claires. 1919 - contre la démocratie, le maître Maurras Après la guerre, le flambeau est transmis et repris, dans ce même milieu maurrassien. On lit en Une du premier numéro de Breiz Atao : « Par ailleurs depuis quelques années déjà de nouveaux organes s'étaient lancés, dirigés par des gens qui s'efforçaient de détruire tout ce qui jusqu'ici avait fait la force de notre race, et qui rêvaient d'une Bretagne rationaliste et démocratique. (…) la " Bretagne agenouillée " (le mot est je crois de M. Yves Le Febvre) était bafouée de la manière la plus honteuse » 12 Aujourd'hui comme hier, au nom de la « race » puis des "racines", on trouve la haine du "républicanisme jacobin", ainsi dénoncé : « Et qu'est-ce que la " Libre Pensée " de M. Le Febvre ? (…) Laissons causer le grand penseur Charles Maurras dont je m'honore grandement d'être le fervent disciple. (…) Henri Prado » 13. 5 Maurrassiens ? En effet, fondateurs de Breiz Atao, Job de Roincé et Morvan Marchal (qui va bientôt créer le drapeau gwenn-ha-du), sont ainsi décrits : « J. de Roincé était royaliste comme l’était le jeune M. Marchal qui, depuis 1916, rimait la gloire des chouans et vouait les bleus aux gémonies (52). Le régionalisme qui les réunissait était donc d’inspiration maurrassienne : c’était d’ailleurs rue Hoche, à la permanence rennaise de l’Action Française, qu’ils s’étaient rencontrés (53). Mais être maurrassien permettait aussi de se dire fé- déraliste. » 14 Les références données viennent de Marchal, de Roincé, et leur environnement : « (52) Morvan Marchal, " Chants du Porhoët ", in " La Bretagne réelle – Celtia ", numéro spécial 193 bis, hiver 1965-1966, pp 1-6. (53) Roincé (de), Job, " La Bretagne malade de la République ", Rennes, Les Nouvelles, 1971, p.7 » 15 Retenons bien ce "fédéralisme" maurrassien, dont nous retrouverons les reformulations. Le bientôt chef nazi François Debauvais a les mêmes références : « Il lit beaucoup l’action française et se pénètre de Maurras qu’il me citait : " nous sommes pour nos aïeux contre nos parents " » 16 Pour conclure ces références politiques, laissons la parole à Maurice (dit "Morvan") Marchal : « La vie Bretonne : Les Rouges. Parfaitement, Rennes l'a eue aussi sa petite manifestation pour Jaurès. (…) La voilà la jeu- nesse Bretonne. Laisse crier les loups rouges après les loups bleus. No- Breiz Atao n° 4, avril 1919, p. 2 tre heure viendra, à nous aussi, ce sera l'heure de la Bretagne, l'heure du sain positivisme, du catholicisme et de la tradi- tion, et ce sera aussi l'heure de la vieille et saine France.