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L’ EMSAV DANS LA LITTÉRATURE BRETONNE CONTEMPORAINE Il est impossible de parler de la littérature bretonne sans que la politique fasse immédiatement intrusion, et politique, dans ce cas, signifie avant tout le rapport au mouvement nationaliste breton, à l’Emsav . Le simple fait d’écrire en breton constitue déjà, pour la plupart des écrivains bretons, une option politique fondamentale. Beaucoup d’entre eux se considèrent comme des partisans livrant un combat désespéré contre une puissance étrangère vouée à la totale annihilation de leur identité ethnique. Leurs efforts, au cours du siècle qui touche à sa fin, ont souffert des erreurs commises, dans la perpective du devenir historique, par certains de leurs prédécesseurs. A la fin des années trente, la direction du Parti National Breton (P.N.B.), communément appelé aussi Breiz Atao [Bretagne toujours], du nom de son journal, était passée dans les mains d’hommes prêts à employer n’importe quels moyens pour réaliser leur but”: une Bretagne totalement indépendante, totalement coupée du joug de la France. A l’exemple des rebelles irlandais de 1916 (et l’exemple de la victoire irlandaise fut un motif déterminant dans leur choix), ils s’étaient tournés vers l’Allemagne. Après la défaite française de 1940, les espoirs qu’ils avaient placés dans une victoire allemande furent vite déçus. L’Allemagne victorieuse trouva plus expédient de traiter avec le gouvernement de Vichy, qui ne demandait qu’à collaborer avec elle. A la fin de 1940, le P.N.B. était coupé en deux factions. La majorité, sous la conduite des leaders les plus modérés, tenta d’abord de négocier avec Vichy, puis, lorsque la victoire des Alliés apparut certaine, avec les Anglo-américains. Mais il était trop tard, et leurs efforts ne furent pas suffisants pour effacer, dans une opinion publique manipulée par la propagande anti-bretonne du nouveau gouvernement français, l’idée que tout nationaliste breton était pro-nazi. La minorité pro-allemande, très peu nombrreuse, dont l’un des chefs était dans le secret des V1 et des V2, crut jusqu’à la fin à la possibilité d’une victoire de l’Allemagne. Son organisation militaire, le Bezen Perrot , laquelle ne comptait pas plus de soixante-douze hommes (nombre proportionnellement dérisoire, en comparaison de celui des Français qui s’engagèrent dans la Milice ou de ceux qui, dans la L.V.F., combattirent sous l’uniforme des Waffen-SS ), suivit jusqu’au bout les armées allemandes dans leur retraite. Ni l’une ni l’autre de ces factions, cependant, ne tenait compte des véritables sentiments des Bretons, qui furent les premiers à répondre en masse à l’appel du Général de Gaulle. On oublie trop que des Bretons constituaient la moitié des effectifs des Forces Françaises Libres et le tiers de ceux de la Résistance combattante. Une poignée de Bretons seulement s’engagea dans le Bezen Perrot (soixante-douze tout au plus, comme je l’ai mentionné plus haut). Ce nombre, paar rapport à celui des milliers de Français qui s’engagèrent dans la Milice ou dans la L.V.F., aurait dû paraître négligeable, mais il servit de prétexte pour justifier les mesures répressives prises à l’encontre de tous les nationalistes bretons après la Libération. En novembre 1944, mille Bretons furent arrêtés. Huit membres du Bezen Perrot furent fusillés. Les chefs de la minorité pro- allemande P.N.B. avaient gagné l’étranger. Jugés in absentia , il furent condamnés à mort par contumace. La plupart des Bretons qui avaient été arrêtés put prouver qu’ils étaient innocents de tout acte de collaboration avec l’occupant, mais ce ne fut qu’après avoir passé de longs mois en prison ou en camp de concentration. Certains de ceux qui furent trouvés coupables reçurent des peines de prison. La sentence la plus commune fut la condamnation à un certain nombre d’années d’indignité nationale, peine qui entraînait la perte des droits civiques, du droit de vote, notamment, mais aussi du droit d’exercer certaines professions, telles que diriger une banque, publier un journal, tenir une pharmacie, ou occuper une fonction publique, celle de professeur de lycée, par exemple. Cette répression fur ai arbitraire et si inique que le gouvernement anglais, 136 poussé par les parlementaires gallois, se crut obligé de protester auprès du gouv ernement français. Il n’en restait pas moins que, à la fin de 1945, le nationalisme breton avait cessé d’exister en tant qu’idéal politique viable. Les jeunes Bretons restreignaient leur activité au plan culturel, organisant des cercles celtiques où ils s’assemblaient pour étudier la langue de leurs ancêtres, pour apprendre les danses traditionnelles, pour jouer de la bombarde et du biniou, etc... Les jeunes intellectuels analysèrent les erreurs commises par leurs devanciers. Leurs efforts préparèrent le terrain pour l’extraordinaire renouveau nationaliste en Bretagne des années soixante. La création de l’Union Démocratique Bretonne (U.D.B.) en 1964, et les premières bombes du Front de Libération de la Bretagne (F.L.B.), en 1966, apportèrent la preuve qu’il fallait de nouveau compter avec l’ Emsav . Signalons que l’U.D.B., tout en proclamant que son but était l’autonomie politique de la Bretagne, rejetait catégoriquement toute sympathie pour l’idéologie Breiz Atao , et soulignait ses affinités avec les partis français de gauche. Le F.L.B. se réclamait aussi d’une idéologie gauchiste. Les symboles de l’impérialisme français en Bretagne, casernes de gendarmerie, bases militaires, bureaux de perception, banques, appartements et marinas réservés aux riches estivants étrangers furent les cibles favorites des bombes du F.L.B. 1 La littérature a subi le contrecoup d’une situation politique en constante évolution. Il est significatif que la première oeuvre littéraire de langue bretonne qui manifeste une réelle originalité soit La Bataille de Kerguidu, roman historique publié en 1877-1878. Cette chronique de la rébellion bretonne contre la tyrannie de la Terreur avait pour but de présenter à ses lecteurs bretons un exemple et un modèle. On ne peut pourtant la considérer comme ayant une inspiration véritablement nationaliste, puisque l’auteur, un prêtre du Léon, préconisait le retour du prétendant légitimiste au trône de France, le prétendant orléaniste n’étant à ses yeux qu’un vil usurpateur. Il n’en reste pas moins que cette oeuvre incitait ses lecteurs à résister, par la force au besoin, aux menées de la République française anti-cléricale. 2 C’est à une époque infiniment plus reculée que se situe le roman historique de Meven Mordiern, Skêtla Segobrani .3 Mémoires supposés d’un guerrier gaulois, cet ouvrage avait pour but de réveiller chez ses jeunes lecteurs bretons la fierté d’un passé glorieux et le désir de reconquérir la place au premier rang des nations qui avait été arrachée à leurs ancêtres par les vicissitudes de l’histoire. Il est incontestable que, de 1925 à 1944, la littérature bretonne a été dominée par la figure de Roparz Hémon. Jeune professeur agrégé d’anglais au lycée de Brest, il résolut de consacrer sa vie à la défense et à l’illustration de la langue et de la littérature bretonnes. Jusqu’à sa mort, en 1978, il travailla inlassablement, fournissant à lui seul, s’il en était besoin, la preuve que la langue bretonne était l’égale de toute autre dans tout genre littéraire, poésie, roman, théâtre et critique. Fondateur de la revue littéraire Gwalarn, Roparz Hémon avait groupé autour de lui les plus grands talents de sa génération: Maodez Glanndour, Youenn Drezen, Jakez Riou, Abeozen, Langleiz, Kerverziou, Roperh ar Mason, Divi Kenan Kongar, Meavenn, etc. Bien qu’il ait publié de nombreux romans et nouvelles, l’ Emsav n’apparaît comme thème important que dans deux d’entre eux, datant tous les deux des années vingt. Il s’agit d’ An Aotrou Bimbochet e Breizh 1. Alain Déniel, Le mouvement breton de 1919 à 1945 (Paris: Maspéro, 1976). On pourra aussi utiliser la documentation préparée par le Strollad an Deskadurez Eil Derez , organisme fondé en 1962 dans le but de fournir des manuels en langue bretonne pour un enseignement du niveau du secondaire. 2. Lan Inizan, Emgann Kergidu (Brest: Lefournier, 1877-78. 2 vols). Réédition du centenaire aux éditions Al Liamm (Brest: 1977). Traduction française aux Éditions Robert Laffont (1977). 3. Meven Mordiern, Skêtla Segobrani (Prudhomme: Saint-Brieuc, 1923-1925. 3 vols.) 137 [Monsieur Bimbochet en Bretagne ]. publié dans Gwalarn en 1925, et du roman inachevé Ar Vugale fall [ Les Enfants méchants ], publié également dans Gwalarn entre 1928 et 1930. An Aotrou Bimbochet est une utopie. L’action se situe au XXIIe siècle, à une époque où o~u la Bretagne est indépendante depuis des générations et où sa population a été totalement receltisée. Monsieur Bimbochet est la caricature de l’universitaire français. Il a été envoyé de Paris par la Société pour regalliciser les régions perdues par la France . Il espère retrouver quelques traces de la culture française qui jadis florissait en ces lieux. Il lui faut déchanter. Personne en Bretagne ne parle plus français, personne n’a gardé le moindre souvenir de la place que la France a jadis occupée dans l’histoire de la Bretagne. Les Bretons se sont tournés ailleurs, vers les autres nations celtiques et vers l’Amérique. Revenu chez lui, Monsieur Bimbochet, d’un coup de ciseaux, détache la Bretagne de la carte de france fixée au mur de son bureau, puis il meurt, le coeur brisé. L’auteur ironise évidemment sur l’impérialisme culturel des intellectuels français, mais il veut aussi communiquer à ses lecteurs la vision que les jeunes nationalistes bretons, dans les années vingt, voulaient présenter à leurs compatriotes, celle d’une Bretagne qui, devenue indépendante, connaîtrait une prospérité égale à celle de pays comparables en taille et en population et ne jouissant pas d’avantages naturels plus grands, tels que la Suisse, la Hollande ou le Danemark.