Mahabharata Livre 3
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Extraits choisis du Mahābhārata Jean-Claude Pivin Livre 3 - Vāna Parva Livre de (l'exil dans) la forêt 1 Section XI Le châtiment du rākshasa Kirmira Dhritarāshtra dit: "O Kshatta, je souhaite t'entendre parler de la destruction de Kirmīra. Raconte-moi la rencontre entre ce rākshasa et Bhīmasena!" Vidura dit: "Ecoute ce haut fait de Bhīmasena aux actions surhumaines, que j'ai entendu raconter alors que je me trouvais avec les Pāndavas. O meilleur des rois, après leur défaite aux dés, lesāndavas P partirent et voyagèrent pendant 3 jours et 3 nuits jusqu'à atteindre ces bois qui portent le nom de Kāmyaka. O roi, justeès aprl'heure fatidique de minuit, alors que toute la nature dort et que les terribles rākshasas mangeurs d'hommes aux actes épouvantables commencent à errer, les ascètes, bergers et autres promeneurs (familiers de ces lieux) avaient pour habitude de fuir les bois de Kāmyaka jusqu'à une distance sécurisante par peur de ces cannibales. Et O Bhārata, alors que les Pāndavas pénétraient en ces bois, un rākshasa terrifiant aux yeux lançant des flammes apparut devant eux, portant une torche allumée et leur bloquant le passage. Avec sa face horrible et les bras étendus, il obstruait le chemin de ces "perpétuateurs" de la race des Kurus. Ses huit dents protubérantes, ses yeux aux reflets cuivreux et ses cheveux flamboyants dressés sur sa tête le faisaient ressembler à une masse nuageuse réfléchissant les rayons du soleil ou parcourue par des éclairs avec un vol de grues en dessous. Poussant des cris affreux et rugissant comme une nuée chargée de pluie, le monstre commença à faire usage des pouvoirs d'illusion propres à son espèce. [Le traducteur] Les manifestations naturelles sont par essence des illusions puisqu'elles sont impermanentes et seule l'essence spirituelle de l'être est vraie. Le rākshasa dispose d'un grand pouvoir sur la nature, dont celui de transformer son propre aspect à volonté. Cette transformation, qui est un mensonge, est symbolique de sa nature opposée au sattva. Son plaisir est d'affirmer son pouvoir (rajas) sur les autres créatures. Son cannibalisme est lui aussi symbolique du deuxième aspect de sa nature (tamas): il se repaît de nourritures indigestes, malsaines et infligeant la souffrance car il est ignorant. Le nom de la forêt où séjourne cet ogre est paradoxalement le lieu plaisant, de ce qui est désirable, et rappelle l'allégorie de l'âme errant dans la forêt des plaisirs. Tout dans cette forêt s'abandonne aux apparences comme nous allons le voir. [Vidura] En entendant ses terribles rugissements, les oiseaux et autres créatures vivant sur la terre ou dans l'eau se laissaient tomber tout autour en poussant des cris d'effroi. Comme les daims, les léopards, les buffles et les ours fuyaient dans toutes les directions, il semblait que la forêt elle-même était en mouvement. Balancées par le vent provoqué par les soupirs du rākshasa, jusqu'à grande distance de là les lianes semblaient s'accrocher aux arbres de leurs bras aux feuilles cuivrées. A ce moment, un vent plus violent 2 se mit à souffler et le ciel fut obscurci par la poussière. Cet ennemi inconnu des Pāndavas se manifesta devant eux telle la peine qui est le plus grand ennemi des cinq sens. Les observant dans leurs tenues de peaux de daims noires depuis une certaine distance, le rākshasa résolut de leur barrer le chemin à travers la forêt comme s'il était la montagne Mainaka. Face à cette vision inconnue d'elle, Krishnā aux yeux de lotus fut agitée par la peur et ferma les yeux. Elle dont la tresse avait été décoiffée par la main de Dushāsana se tenait au œurc du groupe des āndavasP telle une rivière se frottant à cinq collines. Comme ils voyaient qu'elle était submergée par la peur, les cinq Pāndavas la maintenaient comme font les cinq sens lorsqu'ils adhèrent à l'objet de leur plaisir sous l'influence du désir. Dhaumya à la grande énergie, qui accompagnait les Pāndavas, s'activaà détruire l'illusion terrifiante manifestée par le rākshasa au moyen de différents mantras capables de la détruire. Lorsque le puissant rākshasa aux voies malhonnêtes vit son illusion se dissiper, lui qui était capable de changer d'aspect à volonté, écarquilla ses yeux de colère et se mit à ressembler à la mort même. Le roi Yudhishthira à la grande sagesse lui adressa la parole en ces mots: "Qui es-tu et de qui es-tu le fils? Dis-nous ce que tu attends de nous." Le rākshasa répondit à Yudhishthira le juste: "Je suis le frère de Vaka, le célèbre Kirmīra. Je vis dans l'aisance au milieu de ces bois désertés de Kāmyaka, en me procurant chaque jour ma nourriture en vainquant au combat des êtres humains. Qui êtes-vous qui vous approchez de moi sous l'aspect de ma nourriture? Après vous avoir infligé la défaite je vais vous manger avec plaisir. [Vaishampāyana] O Bhārata, après avoir entendu ces mots du misérable, Yudhishthira lui révéla son propre nom et sa lignée ainsi: "Je suis le roi Yudhishthira le juste, fils de Pāndu, dont tu as pu entendre parler. Privé de mon royaume, au cours de mes pérégrinations en compagnie de mes frères Bhīmasena et Arjuna et les autres, je suis parvenu dans cette terrible êtfor qui est sous ton empire avec le désir d'y passer le temps de mon exil. [Le traducteur] Puisque Vaishampāyana interrompt le charme de cette histoire pleine de fantaisie qui constitue l'essence du Vāna Parva, je suis son exemple. Vaka ou Baka qui signifie la grue était le nom d'un démon qui avait pris cet aspect pour s'attaquer à Krishna. Mais c'était aussi celui d'un démon qui semait la terreur à Ekachakra à l'arrivée des Pāndavas, là où ils résidèrent avant de se rendre chez le roi Drupada, et queīma Bhtua. Rendons la parole à Vidura. [Elodie] Mais que faisait Vidura avec les Pāndavas dans la for êt? [Le traducteur] Il avait fait des reproches à Dhritarāshtra qui n'avait pas apprécié et l'avait accusé de partialité envers les Pāndavas. Ecœuré, Vidura avait rejoint les Pāndavas dans la forêt. Peu après, Dhritarāshtra éprouva de remords et envoya Sanjaya chercher Vidura. 3 [Vidura] Kirmīra dità Yudhishthira: "Par chance le destin a accompli aujourd'hui mon vœu le plus cher. Je parcourais sans cesse la terre entière avec armes à la main dans le but de tuer Bhīma. Mais je ne le trouvais pas. Par chance ce meurtrier de mon frère que j'ai cherché si longtemps est venu en ma présence. C'est lui qui déguisé en brahmin a tué mon cher frère Vaka dans la forêt de Vetrakiya en usant de sa science. Car il n'a en vérité aucune force physique. C'est cet esprit malfaisant qui auparavant a aussi tué mon cher ami Hidimba vivant dans la forêt et enlevé sa sœur. Et maintenant cet idiot vient dans ma propre forêt profonde au milieu de la nuit, au moment où nous autres y errons. Aujourd'hui je vais assouvir la vengeance que je couve si chèrement contre lui et enfin apaiser les mânes de Vaka avec des flots de son sang. En anéantissant cet ennemi des rākshasas, je vais m'acquitter de cette dette envers mon ami et mon frère et atteindre de ce fait un état de bonheur suprême. Si Bhīmasena a été laissé en liberté autrefois par Vaka, aujourd'hui je vais le dévorer sous tes yeux, O Yudhishthira. Tout comme Agastya mangea et digéra le puissant asura Vātāpi, je vais manger et digérer ce Bhīma (l'histoire d'Agastya sera racontée dans une section suivante du Vāna Parva). [Vidura] Ayant reçu cette réponse du rākshasa, le vertueux Yudhishthira, toujours ferme dans ses engagements, dit qu'il ne pouvait en être ainsi et réprimanda le rākshasa avec colère. Bhīma aux bras vigoureux arracha alors rapidement un arbre de la longueur de dix "vyasas" et le dépouilla de ses feuilles. En un instant aussi, Arjuna le toujours victorieux tendit son arc Gāndīva doté de la force de l'éclair. Obtenant de Jishnu qu'il le laisse s'en occuper, Bhīma s'approcha du rākshasa rugissant toujours comme les nuées et lui dit: "Ne bouge pas! Attends!" Ayant dit ces mots au cannibale, il resserra son vêtement autour de sa taille, se frotta les mains et se mordilla la lèvre inférieure, puis, armé de son arbre, il se rua vers l'ennemi. Tout comme Maghavāt (Indra) lançant son éclair, Bhīma précipita cet arbre avec force comme s'il s'agissait de la masse de Yama (la mort) sur la tête du cannibale. Cependant, le rākshasa resta imperturbable sous le coup et ne faiblit pas dans sa détermination à combattre. Il lança sa torche incandescente, flambant comme l'éclair, vers Bhīma. Ce premier parmi les guerriers la repoussa du pied gauche de telle façon qu'elle fut renvoyée vers ākshasa.le r Alors le féroce Kirmīra déracina lui aussi un arbre et le darda vers son opposant comme la masse de Yama. Ce combat si destructeur d'arbres ressemblait à celui de jadis entre les frères Vāli et Sugrīva pour la possession de la même femme. (Sugrīva était le roi des singes et il fut dépossédé de son trône ainsi que de sa femme par son frère Vāli. Rāma lui rendit son trône et s'en fit un allié pour combattre Rāvana.) Les arbres étaient brisés en mille morceaux en frappant les têtes des combattants, juste comme des tiges de lotus projetées par des éléphants exaspérés sur leurs tempes.