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LXXIe année, numéro 40 (3.652) Cité du Vatican mardi 6 octobre 2020

«Fratelli tutti», la nouvelle encyclique du Pape François Un message de fraternité universelle

L’u rg e n c e Regarder les autres de réfléchir comme des frères pour récupérer la et sœurs pour dignité humaine sauver le monde Présentation de l’encyclique page 4 ANDREA MONDA ANDREA TORNIELLI Fratelli tutti arrive comme une ous sommes entourés par goutte d’eau qui tombe sur une «les ombres d’un monde terre désertifiée, un rayon de soleil N fermé» mais il y en a qui qui traverse «les ombres d’un ne se résignent pas à la progres- monde fermé». Tel est le titre du sion de l’obscurité, et qui continue premier chapitre de la nouvelle et à rêver, à espérer, à se salir les troisième encyclique du Pape mains en s’engageant à créer de la François, consacrée à la fraternité fraternité et de l’amitié sociale. La et à l’amitié sociale que le Pape a troisième guerre mondiale a déjà voulu offrir hier aux fidèles ras- commencé, la logique du marché semblés place Pierre, sous la fondée sur le profit apparaît victo- «forme» de l’édition spéciale de rieuse sur la bonne politique, la «L’Osservatore Romano», réim- culture du déchet semble préva- primé sur papier, mais avec un loir, le cri des peuples de la faim nouveau format. Mais commen- n’est pas écouté, mais il en y a qui çons par le commencement. indiquent une voie concrète pour Avant tout le fait d’être sorti du construire un monde différent et Vatican, la première fois depuis plus humain. l’époque du lockdown provoqué Il y a cinq ans, le Pape François par la pandémie, et d’être allé à publiait l’encyclique Laudato si’ en Assise pour signer la lettre sur la mettant en évidence les con- tombe de saint François qui, enco- nexions qui existent entre crise en- re une fois, après Laudato si’ il y a vironnementale, crise sociale, guer- cinq ans, est la source d’inspira- res, migrations et pauvreté. Et il tion de son pontificat, revêt une indiquait un objectif à atteindre: force symbolique si évidente qu’el- celui d’un système économique et le n’a besoin d’aucune autre expli- social plus juste et respectueux de cation. la création, qui ait en son centre Fratelli tutti est un texte puis- l’homme gardien de la mère terre sant, qui retentit comme un cri à et non pas l’argent élevé au rang la foi d’alarme et d’espérance et de divinité absolue. Aujourd’hui, offre aux lecteurs une vision, un avec la nouvelle encyclique sociale horizon important, qui transmet la confiance et suscite le désir de Fratelli tutti, le Successeur de Pier- s’engager pour le bien commun, re montre la voie concrète pour ar- pour les autres, qui sont tous nos river à cet objectif: se reconnaître frères, sans aucune exception. frères et sœurs, frères parce que L’encyclique est divisée en huit fils, gardiens les uns des autres, chapitres qui, après le premier qui tous sur la même barque, comme analyse, de façon lucide et sans la pandémie l’a rendu encore plus détours la situation dans laquelle évident. La voie pour ne pas suc- se trouve le monde aujourd’hui, A l’issue de la Messe sur la tombe de saint François, le Pape signe l’encyclique «Fratelli tutti» comber à la tentation de l’homo un monde qui paraît précisément homini lupus, des nouveaux murs, se diriger vers la fermeture totale de l’isolement, et regarder au con- parce que «la société toujours plus traire l’icône évangélique du Bon mondialisée nous rapproche, mais Samaritain, si actuel et éloigné des elle ne nous rend pas frères» (la schémas. citation est tirée de Caritas in veri- Le chemin indiqué par le Pape tate de Benoît XVI, l’un des textes DANS CE NUMÉRO François est basé sur le message les plus cités par l’encyclique), se de Jésus qui fait tomber toute ex- développe de façon positive et Page 2: Audience générale du 30 septembre. Page 3: Angelus du 4 tranéité. Le chrétien est en effet propositive afin de «penser et gé- octobre. Page 5: Lettre apostolique «Scripturae Sacrae affectus» appelé à «reconnaître le Christ en rer un monde ouvert» (chap. 3) et pour le XVIe centenaire de la mort de saint Jérôme. Page 10: I n t ro - tout être humain, à le voir crucifié de jeter les bases pour la «meilleu- duction à la Lettre, par le cardinal Gianfranco Ravasi. Page 13: Le dans l’angoisse des abandonnés et re politique» (chap. 5) et créer les récit: Les paraboles ne sont pas des fables, par Sergio Valziana. des oubliés de ce monde, et res- conditions pour le «dialogue et Page 14: Saint-Siège et Chine, par Andrea Tornielli. Plénière de la suscité en tout frère qui se relève». l’amitié sociale» (chap. 6) et pour Commission pontificale pour la protection des mineurs. Page 15: Mais le message de la fraternité ouvrir des «parcours pour se re- Informations. Page 16: Message du Pape à la plénière du CCEE. peut être accepté, compris, partagé trouver» (chap. 7) pour arriver à Thème de la prochaine journée mondiale des communications so- également par les croyants d’a u t re s la conclusion qui souligne le rôle ciales. Créances du chef de délégation de l’Union européenne. religions, ainsi que par de nom-

SUITE À LA PA G E 12 SUITE À LA PA G E 11 page 2 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 6 octobre 2020, numéro 40

Audience générale du 230 septembre Une société solidaire est beaucoup plus résistante aux virus

Chers frères et sœurs, bonjour! sœurs pauvres et qui souffrent, à les rencontrer et à la technologie, à l’éducation: des millions d’en- à écouter leur cri et le cri de la terre qui s’en fait fants ne peuvent pas aller à l’école, et la liste con- Ces dernières semaines, nous avons réfléchi l’écho (cf. ibid., n. 49). tinue ainsi. Ces injustices ne sont pas naturelles ni ensemble, à la lumière de l’Evangile, sur la façon inévitables. Elles sont l’œuvre de l’homme, elles de guérir le monde qui souffre d’un malaise que Intérieurement mobilisés par ces cris qui récla- proviennent d’un modèle de croissance détaché la pandémie a souligné et accentué. Il y avait un ment que nous prenions une autre route (cf. ibid., des valeurs plus profondes. Le gaspillage des res- malaise: la pandémie l’a souligné davantage, l’a n. 53), qui réclament que nous changieons, nous tes d’un repas: avec ce gaspillage on peut donner accentué. Nous avons parcouru les voies de la di- pourrons contribuer à la guérison des relations à manger à tous. Et cela a fait perdre l’esp érance gnité, de la solidarité et de la subsidiarité, des voies avec nos dons et nos capacités (cf. ibid., n. 19). à de nombreuses personnes et a augmenté l’incer- indispensables pour promouvoir la dignité humai- Nous pourrons régénérer la société et ne pas reve- titude et l’angoisse. C’est pourquoi, pour sortir de ne et le bien commun. Et en tant que disciples de nir à la soi-disant «normalité», qui est une nor- la pandémie, nous devons trouver le remède non Jésus, nous nous sommes proposés de suivre ses malité malade, et d’ailleurs malade depuis même seulement pour le c o ro n a v i r u s — qui est important! pas en optant pour les pauvres, en repensant l’usage avant la pandémie: la pandémie l’a soulignée! «A — mais également pour les grands virus humains des biens et en prenant soin de la maison commune. présent revenons à la normalité»: non, cela ne va et socio-économiques. Il ne faut pas les cacher, en Au milieu de la pandémie qui nous frappe, nous pas, car cette normalité était malade d’injustices, passant un coup de peinture pour qu’ils ne se nous sommes ancrés aux principes de la doctrine d’inégalités et de dégradation environnementale. voient pas. Et assurément nous ne pouvons pas sociale de l’Eglise, en nous laissant guider par la La normalité à laquelle nous sommes appelés est nous attendre à ce que le modèle économique qui foi, par l’espérance et par la charité. Nous avons celle du Royaume de Dieu, où «les aveugles est à la base d’un développement inique et non trouvé là une aide solide pour être des agents de voient et les boiteux marchent, les lépreux sont durable résolve nos problèmes. Il ne l’a pas fait et transformation qui rêvent en grand, qui ne s’arrê- guéris et les sourds entendent, les morts ressusci- il ne le fera pas, parce qu’il ne peut pas le faire, tent pas aux mesquineries qui divisent et blessent, tent et la bonne nouvelle est annoncée aux pau- même si certains faux prophètes continuent à pro- mettre «l’effet en cascade» qui n’arrive jamais (“Trickle-down effect” en anglais, “d e r ra m e ” en espa- gnol; cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 54) ). Peut-être avez-vous entendu parler du théorème du verre: l’important est que le verre se remplisse et ainsi le contenu se répand sur les pauvres et sur les autres, et ils reçoivent des richesses. Mais il se produit un phénomène: le verre commence à se remplir et quand il est presque plein, il grandit, il grandit et grandit encore, et la cascade n’a ja- mais lieu. Il faut faire attention. Nous devons nous mettre à travailler urgem- ment pour générer de bonnes politiques, définir des systèmes d’organisation sociale où soient ré- compensés la participation, le soin et la générosi- té, plutôt que l’indifférence, l’exploitation et les intérêts particuliers. Nous devons avancer avec tendresse. Une société solidaire et équitable est une société plus saine. Une société participative — où les «derniers» sont tenus en considération mais qui encouragent à engendrer un monde nou- vres» (Mt 11, 5). Et que personne ne fasse l’inno- comme les «premiers» — renforce la communion. veau et meilleur. cent en regardant d’un autre côté. C’est ce que Une société où l’on respecte la diversité est beau- Je voudrais que ce chemin ne finisse pas avec nous devons faire, pour changer. Dans la normali- coup plus résistante à tout type de virus. mes catéchèses, mais que nous puissions conti- té du Royaume de Dieu, le pain arrive à tous et il Plaçons ce chemin de guérison sous la protec- nuer à avancer ensemble, «en gardant le regard fi- en reste, l’organisation sociale se base sur la con- tion de la Vierge Marie, Mère de la Santé. Que xé sur Jésus» (He 12, 2), comme nous avons en- tribution, le partage et la distribution, pas sur la Celle qui porta Jésus dans son sein nous aide à tendu au début; le regard sur Jésus qui sauve et possession, l’exclusion et l’accumulation (cf. Mt être confiants. Animés par l’Esprit Saint, nous guérit le monde. Comme nous le montre l’Evan- 14, 13-21). Le geste qui fait avancer une société, pourrons travailler ensemble pour le Royaume de gile, Jésus a guéri des malades de tous les types une famille, un quartier, une ville, tout le monde, Dieu que le Christ a inauguré dans ce monde, en (cf. Mt 9, 35), il a rendu la vue aux aveugles, la est celui de se donner, de donner; ce n’est pas fai- venant parmi nous. C’est un Royaume de lumière parole aux muets, l’ouïe aux sourds. Et quand il re l’aumône, mais c’est une manière de se donner au milieu de l’obscurité, de justice au milieu des guérissait les maladies et les infirmités physiques, qui vient du cœur. Un geste qui éloigne l’égoïsme nombreux outrages, de joie au milieu des multi- il guérissait aussi l’esprit en pardonnant les pé- et l’angoisse de posséder. Mais la manière chré- ples douleurs, de guérison et de salut au milieu chés, parce que Jésus pardonne toujours, ainsi tienne de faire cela n’est pas une manière méca- des maladies et de la mort, de tendresse au milieu que les «douleur sociales» en incluant les exclus nique: c’est une manière humaine. Nous ne pour- de la haine. Que Dieu nous accorde de «virali- (cf. Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 1421). Jé- rons jamais sortir de la crise que la pandémie a ser» l’amour et de mondialiser l’e s p é ra n c e à la lu- sus, qui renouvelle et réconcilie chaque créature soulignée, mécaniquement, avec de nouveaux ins- mière de la foi. (cf. 2 Co 5, 17; Col 1, 19-20), nous offre les dons truments — qui sont très importants, qui nous nécessaires pour aimer et guérir comme Il savait font aller de l’avant et dont il ne faut pas avoir A l’issue de l’Audience, le Saint-Père a lancé l’appel le faire (cf. Lc 10, 1-9; Jn 15, 9-17), pour prendre peur — en sachant que pas même les moyens les suivant: soin de tous sans distinctions de race, de langue plus sophistiqués pourront faire beaucoup de cho- ses, mais il y a une chose qu’ils ne pourront pas A u j o u rd ’hui, j’ai signé la Lettre apostolique «Sa- ou de nation. e faire: donner de la tendresse. Et la tendresse est le crae Scripturae affectus», à l’occasion du 16 cente- Afin que cela arrive réellement, nous avons be- signal propre de la présence de Jésus. Cette ma- naire de la mort de saint Jérôme. soin de contempler et d’apprécier la beauté de nière de s’approcher de son prochain pour mar- Que l’exemple de ce grand docteur et père de chaque être humain et de chaque créature. Nous cher, pour guérir, pour aider, pour se sacrifier l’Eglise, qui a placé la Bible au centre de sa vie, avons été conçus dans le cœur de Dieu (cf. Ep 1, pour l’a u t re . suscite chez tous un amour renouvelé pour l’Ecri- 3-5). «Chacun de nous est le fruit d’une pensée Cette normalité du Royaume de Dieu est donc ture Sainte et le désir de vivre en dialogue per- de Dieu. Chacun de nous est voulu, chacun de sonnel avec la Parole de Dieu. nous est aimé, chacun est nécessaire» (Benoît XVI, importante: que le pain arrive à tous, que l’o rg a - Homélie pour le début du ministère pétrinien, 24 nisation sociale se base sur la contribution, le par- avril 2005); cf. Enc. Laudato si’, n. 65). En outre, tage, la distribution, avec tendresse, pas sur la Le Pape a ensuite salué les fidèles de langue chaque créature a quelque chose à nous dire du possession, l’exclusion et l’accumulation. Car à la f ra n ç a i s e : Dieu créateur (cf. Enc. Laudato si’, nn. 69. 239). fin de notre vie nous n’emporterons rien dans Je salue cordialement les personnes de langue Reconnaître cette vérité et rendre grâce pour les l’autre vie! française. Frères et sœurs, sous la protection de la liens intimes de communion universelle avec tou- Un petit virus continue à causer des blessures Vierge Marie, mettons-nous à l’œuvre, chacun se- tes les personnes et avec toute les créatures, met profondes et démasque nos vulnérabilités physi- lon nos moyens, pour réaliser autour de nous une en œuvre «une protection généreuse et pleine de ques, sociales et spirituelles. Il a mis à nu la gran- société où les derniers sont pris en considération tendresse» (ibid., n. 220). Et nous aide également de inégalité qui règne dans le monde: l’inégalité au même titre que les premiers. Que Dieu vous à reconnaître le Christ présent dans nos frères et des opportunités, des biens, de l’accès à la santé, b énisse! numéro 40, mardi 6 octobre 2020 L’OSSERVATORE ROMANO page 3

Angelus du 4 octobre Fraternité humaine et sauvegarde de la création unique voie pour la paix

Chers frères et sœurs, bonjour! est quand on accomplit un service, elle réside dans le service, pas dans l’exploitation des au- Dans l’Evangile d’a u j o u rd ’hui (cf. Mt 21, 33- tres. La vigne appartient au Seigneur, pas à 43), Jésus, prévoyant sa passion et sa mort, ra- nous. L’autorité est un service, et en tant que conte la parabole des vignerons homicides, pour avertir les chefs des prêtres et les anciens tel, elle doit être exercée, pour le bien de tous du peuple qu’ils sont sur le point de prendre et pour la diffusion de l’Evangile. Il n’est pas une mauvaise voie. En effet, ils nourrissent de bon de voir dans l’Eglise des personnes qui mauvaises intentions à son égard et cherchent ont de l’autorité rechercher leur propres inté- le moyen de l’é l i m i n e r. rêts. Le récit allégorique décrit un maître qui, Saint Paul, dans la seconde lecture de la li- après avoir pris grand soin de sa vigne turgie d’a u j o u rd ’hui, nous dit comment être (cf. v. 33) et devant partir, la confie aux culti- de bons ouvriers dans la vigne du Seigneur: vateurs. Puis, au moment de la récolte, il en- ce qui est vrai, noble, juste, pur, aimable, ho- voie des serviteurs pour récolter les fruits; noré; qui est vertu et mérite louange, que tout mais ces vignerons accueillent les serviteurs à cela soit l’objet de notre engagement quoti- coups de bâtons et en tuent même certains. dien (cf. Ph 4, 8). Je répète: ce qui est vrai, Le maître envoie d’autres serviteurs, plus noble, juste, pur, aimable, honoré; ce qui est nombreux, qui reçoivent toutefois le même vertu et mérite louange, que tout cela soit traitement (cf. vv. 34-36). Le comble est at- l’objet de notre engagement quotidien. C’est teint lorsque le propriétaire décide d’envoyer l’attitude de l’autorité, et également de chacun son fils: les vignerons n’ont aucun respect de nous, parce que chacun de nous, même pour lui, au contraire, ils pensent qu’en l’éli- dans sa petitesse, a une certaine autorité. minant ils pourront s’emparer de la vigne, et Nous deviendrons ainsi une Eglise toujours ils le tuent donc lui aussi (cf. vv. 37- 39). plus riche de fruits de sainteté, nous rendrons gloire au Père qui nous aime avec une infinie L’image de la vigne est claire: elle représen- tendresse, au Fils qui continue de nous appor- te le peuple que le Seigneur a choisi et a for- ter le salut, à l’Esprit qui ouvre nos cœurs et mé avec tant de soin; les serviteurs envoyés nous pousse vers la plénitude du bien. par le maître sont les prophètes, envoyés par Dieu, tandis que le fils est la figure de Jésus. Nous nous tournons à présent vers la Très Et de même que les prophètes furent rejetés, Sainte Vierge Marie, spirituellement unis aux ainsi, le Christ lui aussi a été rejeté et tué. fidèles rassemblés dans le sanctuaire de Pom- Au terme du récit, Jésus demande aux chefs péi pour la Supplique, et en ce mois d’o cto- du peuple: «Lors donc que viendra le maître bre nous renouvelons, notre engagement à prier le saint Rosaire. de la vigne, que fera-t-il à ces vignerons-là ?» fraternité dans l’Eglise, parmi les croyants de (v. 40). Et eux, pris par la logique du récit, toute religion, et parmi tous les peuples. A l’issue de l’Angelus, le Pape a ajouté les prononcent eux-mêmes leur propre condam- A u j o u rd ’hui se conclut le Temps de la Créa- paroles suivantes: nation: le maître — disent-ils — punira sévère- tion, commencé le 1er septembre dernier, au ment ces méchants et il confiera la vigne «à Chers frères et sœurs! Hier, je suis allé à Assi- cours duquel nous avons célébré un «Jubilé d’autres vignerons, qui lui en livreront les se pour signer la nouvelle encyclique Fra t e l l i pour la terre» avec nos frères de différentes fruits en leur temps» (v. 41). tutti sur la fraternité et l’amitié sociale. Je l’ai Eglises chrétiennes. Je salue les représentants A travers cette parabole très dure, Jésus offerte à Dieu sur la tombe de saint François du Mouvement catholique mondial pour le place ses interlocuteurs face à leurs responsa- qui me l’a inspirée, comme pour la précéden- climat, les divers cercles Laudato si’ et les as- bilités, et il le fait avec une extrême clarté. te, Laudato si’. Les signes des temps montrent sociations qui s’y réfèrent, engagées dans des Mais ne pensons pas que cet avertissement ne clairement que la fraternité humaine et le soin parcours d’écologie intégrale. Je me réjouis vale que pour ceux qui rejetèrent alors Jésus. de la Création forment la seule voie vers le des initiatives qui se déroulent aujourd’hui Elle vaut pour tous les temps, le nôtre aussi. développement intégral et la paix déjà indi- dans différents endroits, et je rappelle en par- De même, aujourd’hui, Dieu attend les fruits quée par les Papes Jean XXIII, Paul VI et ticulier celle dans la région du Delta du Pô. de sa vigne de la part de ceux qu’il a envoyés Jean-Paul II. Aujourd’hui, à vous qui êtes sur Le 4 octobre d’il y a 100 ans, naissait en y travailler. Nous tous. la place — et aussi en dehors de la place —, Ecosse l’œuvre Stella Maris pour soutenir les A toute époque, ceux qui ont autorité, tou- j’ai la joie d’offrir la nouvelle encyclique dans gens de mer. En cet anniversaire si important, te autorité, même dans l’Eglise, sur le peuple l’édition extraordinaire de L’Osservatore Roma- j’encourage les aumôniers et les bénévoles à de Dieu, peuvent être tentés de penser à leurs no. Et avec cette édition recommence l’édition témoigner avec joie de la présence de l’Eglise propres intérêts, au lieu de ceux de Dieu lui- quotidienne papier de L’Osservatore Romano. dans les ports, parmi les marins, les pêcheurs même. Et Jésus dit que la véritable autorité Que saint François accompagne le chemin de et leurs familles. A u j o u rd ’hui, à Bologne, est béatifié le père Olinto Marella, prêtre natif du diocèse de Chioggia, pasteur selon le cœur du Christ, père des pauvres et défenseur des faibles. Puisse son témoignage extraordinaire être un modèle pour de nombreux prêtres, appelés à être des serviteurs humbles et courageux du peuple de Dieu. Applaudissons maintenant le nouveau bienheureux! Je vous salue tous, Romains et pèlerins de différents pays — je vois beaucoup de dra- peaux... —: familles, groupes paroissiaux, asso- ciations et fidèles individuels. En particulier, je salue les familles et les amis des Gardes suisses, venus assister aujourd’hui à la presta- tion de serment des nouvelles recrues. Ces jeunes sont bien! La Garde suisse suit un par- cours de vie au service de l’Eglise, du Souve- rain Pontife. Ce sont de braves jeunes gens qui viennent ici pour 2, 3, 4 ans et plus. Je vous demande de chaleureux applaudisse- ments pour la Garde suisse. Et je souhaite à tous un bon dimanche. S’il De gauche à droite les hauts responsables du dicastère pour la communication avec la nouvelle édition de L’Osservatore Romano: vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. Andrea Tornielli, Mgr Lucio Adrian Ruiz, Andrea Monda, Paolo Ruffini avec le cardinal Ayuso Guixot Bon déjeuner et au revoir! page 4 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 6 octobre 2020, numéro 40

Synthèse de l’encyclique «Fratres omnes» Un instrument pour construire la paix

La fraternité et l’amitié sociale sont les voies indi- appel fort pour l’élimination de la traite, «une quées par le Pape pour construire un monde meil- honte pour l’humanité», et de la faim, qui est «un leur, plus juste et plus pacifique, avec l’engage- crime» car l’alimentation est un «droit inaliénable» ment de tous, peuples et institutions. Il rappelle (188-189). avec force l’opposition à la guerre et à la mondia- La politique dont on a besoin, souligne encore lisation de l’i n d i f f é re n c e . François, est celle qui est centrée sur la dignité Quels sont les grands idéaux mais aussi les humaine et non pas soumise à la finance, parce voies concrètes que peuvent parcourir ceux qui que «tout ne se résout pas avec la liberté du mar- veulent construire un monde plus juste et plus ché». Les « ra v a g e s » provoqués par la spéculation fraternel dans leurs relations quotidiennes, dans financière l’ont démontré (168). Les mouvements leur vie sociale, dans la vie politique, dans les ins- populaires ont donc une importance particulière. titutions? C’est la question à laquelle veut répon- Ils doivent être impliqués dans la société, d’une dre Fratelli tutti, que le Pape présente comme une façon coordonnée, en provoquant un « t o r re n t «encyclique sociale». Elle tire son titre des Ad m o n i - d’énergie morale». C’est de cette façon qu’on pour- tions de saint François d’Assise, qui utilisait ces ra passer d’une politique dirigée « v e rs » les pau- paroles «en s’adressant à tous ses frères et sœu rs , vres à une politique élaborée «avec» eux et ve- pour leur proposer un mode de vie au goût de nant d’eux (169). l’Evangile» (1). L’encyclique a pour objectif de Un autre souhait présent dans l’encyclique con- promouvoir une aspiration mondiale à la fraterni- cerne la réforme de l’ONU: face à la prédominance té et à l’amitié sociale. «Quand je rédigeais cette de la dimension économique, en effet, le devoir lettre, a soudainement éclaté la pandémie de Covid- des Nations unies sera de donner un caractère 19 qui a mis à nu nos fausses certitudes», écrit concret au concept de «famille de Nations» en tra- François. Mais la crise sanitaire mondiale a dé- vaillant pour le bien commun, l’éradication de la montré que «personne ne se sauve tout seul» et pauvreté et la protection des droits humains. En qu’est vraiment arrivé le moment de «rêver d’une assurant «un recours inlassable à la négociation, aux seule et même humanité» dans laquelle nous som- bons offices et à l’a r b i t ra g e » , l’ONU doit promouvoir mes «tous frères» (7-8). la force du droit sur le droit de la force, affirme le Dans le premier des huit chapitres, intitulé «les condaire par rapport au principe de la destination document pontifical (173-175). ombres d’un monde fermé», le document s’arrête sur universelle des biens créés (120). L’encyclique se Du sixième chapitre, «Dialogue et amitié socia- les nombreuses distorsions de l’époque contempo- penche aussi sur la question de la dette extérieu- le», émerge en outre le concept de la vie comme raine: la manipulation et la déformation de con- re: le principe du remboursement de toute dette «art de la rencontre» avec tous, aussi avec les péri- cepts comme la démocratie, la liberté, la justice; légitimement contractée reste valide, mais cela ne phéries du monde et avec les peuples premiers, l’égoïsme et le désintérêt pour le bien commun; la doit pas compromettre la croissance et la subsis- parce qu’on «peut apprendre quelque chose de cha- prévalence d’une logique de marché fondée sur le tance des pays les plus pauvres (126). cun, personne n’est inutile» (215). Le Pape appelle profit et la culture du déchet; le chômage, le ra- Le thème des migrations est abordé dans le au «miracle de la gentillesse», une attitude à récu- cisme, la pauvreté; la disparité des droits et ses deuxième et le quatrième chapitre, «Un cœur ou- pérer parce que cela constitue «une étoile dans aberrations comme l’esclavage, la traite, les fem- vert au monde entier». Avec leurs «vies détruites», l’obscurité» et une «libération de la cruauté, de mes exploités et ensuite forcées à avorter, le trafic ayant fui des guerres, des persécutions, des catas- l’anxiété et de l’empressement distrait» qui prévalent d’organes (10-24). Il s’agit de problèmes globaux trophes naturelles, des trafiquants sans scrupule, à notre époque contemporaine (222-224). qui exigent des actions globales, souligne le Pape, arrachés à leurs communautés d’origine, les mi- Le septième chapitre, intitulé «Parcours d’une en pointant le doigt aussi contre une «culture de grants doivent être accueillis, protégés, promus et nouvelle rencontre», réfléchit sur la valeur de la m u rs » qui favorise la prolifération des mafias, ali- intégrés. Dans les pays de destination, le juste promotion de la paix. Le Pape y souligne que la mentées par la peur et la solitude (27-28). équilibre doit être trouvé entre la protection des paix est « p ro a c t i v e » et vise à former une société Face à tant d’ombres, toutefois, l’encyclique ré- droits des citoyens et la garantie de l’accueil et de basée sur le service des autres et sur la poursuite pond avec un exemple lumineux, celui du bon sa- l’assistance pour les migrants (38-40). Dans le dé- de la réconciliation et du développement réci- maritain, auquel est dédié le second chapitre, tail, le Pape indique certaines «réponses indispensa- proque. La paix est un «artisanat» dans lequel «Un étranger sur la route». Le Pape y souligne bles» surtout pour ceux qui fuient de «graves cri- chacun doit faire sa part et dont la tâche n’est ja- que, dans une société malade qui tourne le dos à ses humanitaires»: développer et simplifier l’o ctroi mais terminée (227-232). Le pardon est relié à la la douleur et qui est «analphabète» dans le soin de visas, ouvrir des couloirs humanitaires, assurer paix: il faut aimer tout le monde, sans exception, des plus faibles et des plus fragiles (64-65), nous logement, sécurité et services essentiels, offrir des mais aimer un oppresseur signifie l’aider à chan- sommes tous appelés à nous faire proches de l’au- possibilités de travail et de formation, favoriser le ger et ne pas lui permettre d’opprimer le prochain tre (81), en surmontant les préjugés et les intérêts regroupement familial, protéger les mineurs, ga- (241-242). Le pardon ne veut pas dire l’impunité, personnels. Tous, en effet, nous sommes cores- rantir la liberté religieuse. Ce qui est surtout né- mais la justice et la mémoire, parce que pardon- ponsables dans la construction d’une société qui cessaire, est-il précisé dans le document, c’est une ner ne signifie pas oublier, mais renoncer à la for- sache inclure, intégrer et soulager celui qui souffre gouvernance globale pour les migrations, qui ce destructrice du mal et de la vengeance. Le Pa- (77). L’amour construit des ponts et nous «som- puisse ouvrir des projets à long terme, en allant pe exhorte à ne jamais oublier des horreurs com- mes faits pour l’amour» (88), ajoute le Pape, au-delà de la seule gestion des urgences, au nom me la Shoah, les bombardements atomiques à Hi- exhortant en particulier les chrétiens à reconnaître d’un développement solidaire de tous les peuples roshima et Nagasaki, les persécutions et les mas- le Christ dans le visage de tout exclu (85). (129-132). sacres ethniques. Ils doivent toujours être rappe- Le principe de la capacité d’aimer selon «une Le thème du cinquième chapitre est «La meil- lés à nouveau, pour ne pas nous anesthésier et dimension universelle» (83) est repris aussi dans le leure politique», c’est-à-dire celle qui représente maintenir vive la flamme de la conscience collecti- troisième chapitre, «Penser et gérer un monde ou- une des formes les plus précieuses de la charité ve. Et il est aussi important de faire mémoire du vert». François nous exhorte à «sortir de nous-mê- parce qu’elle se met au service du bien commun bien (246-252). mes» pour trouver dans les autres «un accroisse- (180) et reconnaît l’importance du peuple, com- Une partie du septième chapitre s’arrête ensuite ment d’être» (88), en nous ouvrant au prochain se- pris comme une catégorie ouverte, disponible au sur la guerre, une «menace constante» qui repré- lon le dynamisme de la charité qui nous fait ten- débat et au dialogue (160). Ceci est le sens du sente «la négation de tous les droits», «l’échec de la dre vers la «communion universelle» (95). Fonda- peuple indiqué par François, qui s’oppose au «po- politique et de l’humanité», la «reddition honteuse mentalement, l’encyclique rappelle que la stature pulisme» qui ignore la légitimité de la notion de aux forces du mal». En outre, à cause des armes spirituelle de la vie humaine est définie par «peuple», en créant du consensus pour l’i n s t ru - nucléaires, chimiques et biologiques qui frappent l’amour qui nous amène à chercher le meilleur mentaliser à son propre service (159). de nombreux civils innocents, on ne peut plus pour la vie de l’autre (92-93). Le sens de la soli- Mais la meilleure politique est aussi celle qui p enser comme dans le passé à une possible «guer- darité et de la fraternité naît dans les familles, qui protège le travail, une «dimension incontournable de re juste» mais il faut réaffirmer avec force «Jamais doivent être protégées dans leur «mission éducative la vie sociale» et chercher à assurer à tous la possi- plus la guerre!». première et incontournable» (114). bilité de développer ses propres capacités (162). L’élimination totale des armes nucléaires est Le droit à vivre dans la dignité ne peut être nié La vraie stratégie anti-pauvreté, affirme l’ency- «un impératif moral et humanitaire», et, avec l’ar- à personne, affirme encore le Pape, et puisque les clique, ne vise pas simplement à contenir les au- gent des armements il serait plus judicieux de droits sont sans frontières, personne ne peut rester tochtones, mais à les promouvoir dans l’optique constituer un Fonds mondial pour l’élimination exclu en fonction de son lieu de naissance (121). de la solidarité et de la subsidiarité (187). Le de- de la faim (255-262). François exprime une posi- Dans cette optique, le Pape appelle aussi à penser voir de la politique est en outre de trouver une tion tout aussi nette à propos de la peine de à une «éthique des relations internationales» (126), solution à tout ce qui attente contre les droits hu- mort: elle est inadmissible et doit être abolie dans car chaque pays est aussi celui de l’étranger et les mains fondamentaux, comme l’exclusion sociale, le monde entier. «Le meurtrier garde sa dignité per- biens du territoire ne peuvent pas être niés à celui le trafic d’organes, de tissus humains, d’armes et sonnelle et Dieu lui-même s’en fait le garant», écrit qui est dans le besoin et provient d’un autre lieu. de drogue, l’exploitation sexuelle, l’esclavage, le Le droit naturel à la propriété privée sera donc se- terrorisme et le crime organisé. Le Pape réitère un SUITE À LA PA G E 11 numéro 40, mardi 6 octobre 2020 L’OSSERVATORE ROMANO page 5

Lettre apostolique du Pape François à l’occasion du XVIe centenaire de la mort de saint Jérôme «Scripturae Sacrae affectus»

Orient et Occident: il est un ami de jeunesse de Rufin d’Aquilée, il rencontre Ambroi- se et entretient une abondante correspondance avec Augustin. En Orient, il connaît Grégoire de Nazianze, Didyme l’Aveu- gle, Epiphane de Salamine. La tradition iconographique chré- tienne le consacre en le repré- sentant avec Augustin, Ambroi- se et Grégoire le Grand, parmi les quatre grands docteurs de l’Eglise d’O ccident. Mes prédécesseurs ont déjà LETTRE APOSTOLIQUE voulu rappeler sa figure en di- verses circonstances. Il y a un SCRIPTURAE SACRAE AFFECTUS siècle, à l’occasion du quin- DU SAINT-PÈRE zième centenaire de sa mort, FRANÇOIS Benoît XV lui a dédié la Lettre encyclique Spiritus Paraclitus (15 e ÀL’O CCASION DU XVI CENTENAIRE septembre 1920), en le présen- DE LA MORT DE SAINT JÉRÔME tant au monde comme «doctor maximus explanandis Scriptu- 3 Une affection pour la Sainte Ecriture, un amour ris» . Plus récemment, Be- suave et ardent pour la Parole de Dieu écrite, noît XVI a présenté dans deux catéchèses successives sa per- c’est l’héritage que saint Jérôme a laissé à l’Eglise 4 à travers sa vie et ses œuvres. Les expressions ti- sonnalité et ses œu v re s . A pré- rées de la mémoire liturgique du saint1 nous of- sent, pour le seizième centenai- frent une clé de lecture indispensable pour con- re de sa mort, je désire moi naître, en ce XVIe centenaire de sa mort, sa figure aussi rappeler saint Jérôme et imposante dans l’histoire de l’Eglise et son grand proposer à nouveau l’actualité amour pour le Christ. Cet amour se subdivise de son message et de ses ensei- comme un fleuve en de nombreux petits ruisseaux gnements, à partir de sa grande affection pour les Ecritures. dans son œuvre d’infatigable chercheur, traduc- Albrecht Dürer, «Saint Jérôme» (1521) teur, exégète, profond connaisseur et vulgarisateur En ce sens, il peut être mis passionné de la Sainte Ecriture; d’interprète raffi- en parfaite relation, comme gui- né des textes bibliques; d’ardent et parfois impé- de sûr et témoin privilégié, avec la 12e assemblée combat spirituel, il arrive à la connaissance de la tueux défenseur de la vérité chrétienne; d’ermite du synode des évêques consacrée à la Parole de fragilité avec une conscience plus grande de ses li- ascétique intransigeant et de guide spirituel expé- D ieu5, et avec l’exhortation apostolique Ve r b u m mites et de celles d’autrui, et en reconnaissant rimenté, dans sa générosité et dans sa tendresse. Domini (VD) de mon prédécesseur Benoît XVI, l’importance des larmes9. Il sent ainsi dans le dé- A u j o u rd ’hui, mille six cents ans après, sa figure publiée justement en la fête du saint, le 30 sep- sert la présence concrète de Dieu, la relation né- demeure d’une grande actualité pour nous chré- tembre 20106. cessaire de l’être humain avec lui, sa consolation tiens du XXIe siècle. miséricordieuse. J’aime rappeler à ce propos une anecdote de tradition apocryphe. Jérôme deman- De à Bethléem de au Seigneur «Que veux-tu de moi ?». Et il ré- Intro duction La vie et l’itinéraire personnel de saint Jérôme pond: «Tu ne m’as pas encore tout donné». Le 30 septembre de l’année 420, Jérôme ache- se consument le long des routes de l’empire ro- «Mais Seigneur, moi je t’ai donné ceci, ceci et ce- vait son parcours terrestre à Bethléem, dans la main, entre l’Europe et l’Orient. Né autour des ci…» — «Il manque une chose» — «Quoi ?» — Communauté qu’il avait fondée près de la grotte années 345 à Stridon, aux confins de la Dalmatie «Donne-moi tes péchés pour que je puisse avoir 10 de la Nativité. Il se confiait ainsi à ce Seigneur et de la Pannonie, dans le territoire actuel de la la joie de les pardonner encore» . qu’il avait toujours cherché et connu dans l’Ecri- Croatie ou de la Slovénie, il reçoit une solide Nous le retrouvons à Antioche où il est ordon- ture, le même qu’il avait déjà rencontré, souffrant éducation dans une famille chrétienne. Selon né prêtre par l’évêque Paulin, puis à Constantino- de fièvre, comme Juge, dans une vision, peut être l’usage de l’époque, il est baptisé à l’âge adulte ple, vers l’an 379, où il fait connaissance de Gré- pendant le Carême 375. Lors de cet événement dans les années où il est étudiant en rhétorique à goire de Nazianze et où il poursuit ses études, qui marque un tournant décisif dans sa vie, un Rome, entre l’an 358 et l’an 364. Il devient pen- s’adonne à la traduction en latin d’imp ortantes moment de conversion et de changement de pers- dant cette période romaine un insatiable lecteur œuvres grecques (les homélies d’Origène et la pectives, il se sent traîné en présence du Juge: des textes classiques latins qu’il étudie sous la Chronique d’Eusèbe), respirant le climat du Con- «Interrogé à propos de ma condition, j’ai répon- conduite des plus illustres maîtres en rhétorique cile célébré dans cette ville en 381. Durant ces an- du que j’étais chrétien. Mais celui qui siégeait du temps. nées, c’est à travers l’étude que sa passion et sa ajouta “Tu mens! Tu es cicéronien, non pas chré- Ses études terminées, il entreprend un long générosité se révèlent. Une inquiétude sacrée le tien”»2. En effet, Jérôme avait aimé dès son plus voyage en Gaule qui le conduit dans la cité impé- guide et le rend infatigable et passionné dans la jeune âge la limpide beauté des textes classiques riale de Trèves, aujourd’hui en Allemagne. C’est recherche: «Parfois je désespérais, plusieurs fois latins, en comparaison desquels les écrits de la Bi- là qu’il entre en contact, pour la première fois, j’ai abandonné; mais ensuite je reprenais grâce à ble lui paraissaient, initialement, bruts et incor- avec l’expérience monastique orientale diffusée la décision obstinée d’apprendre», conduit, par rects, trop rudes pour son goût littéraire raffiné. par saint Athanase. Il mûrit ainsi un désir pro- «la semence amère» de ces études, à en recueillir Cet épisode de sa vie favorise sa décision de se fond qui l’accompagne à Aquilée où il initie, avec «des fruits savoureux»11. 7 dédier entièrement au Christ et à sa Parole, en des amis, «un chœur de bienheureux» , une pé- Jérôme revient à Rome en 382 et se met à la consacrant son existence à rendre toujours plus riode de vie commune. disposition du Pape Damase qui, appréciant ses accessibles aux autres les lettres divines, par son Vers l’an 374, passant par Antioche, il décide de grandes qualités, en fait un proche collaborateur. infatigable travail de traducteur et de commenta- se retirer dans le désert de Chalsis pour mener Là, Jérôme s’engage dans une incessante activité teur. Cet événement imprime à sa vie une nouvel- une vie ascétique plus radicale dans laquelle une sans oublier la dimension spirituelle: sur l’Aven- le et plus décisive orientation: devenir serviteur de grande place est réservée à l’étude des langues bi- tin, grâce au soutien de femmes de l’aristo cratie la Parole de Dieu, comme amoureux de la «chair bliques, d’abord le grec et ensuite l’hébreu. Il se romaine désireuses de choix évangéliques radi- de l’Ecriture». Ainsi, dans la recherche continue confie à un frère, juif devenu chrétien, qui l’i n t ro - caux, comme Marcella, Paula et sa fille Eustochia, qui caractérise sa vie, il met en valeur ses études duit dans la connaissance nouvelle de la langue il crée un cénacle fondé sur la lecture et l’étude ri- de jeunesse et la formation reçue à Rome, en hébraïque et des sons qu’il trouve «stridents et as- goureuse de l’Ecriture. Jérôme est exégète, ensei- 8 réorganisant son savoir au service plus mature de pirés» . gnant et guide spirituel. Il entreprend en même Dieu et de la communauté ecclésiale. Le désert, et la vie érémitique qui en résulte, est temps une révision des précédentes traductions la- C’est pourquoi saint Jérôme entre de plein choisi et vécu par Jérôme dans son sens le plus tines des Evangiles, peut être aussi d’autres par- droit parmi les grandes figures de l’Eglise antique, profond: le lieu des choix existentiels fondamen- ties du Nouveau Testament; il continue son tra- dans la période qui est définie comme le siècle taux, d’intimité et de rencontre avec Dieu, où, d’or de la Patristique, un véritable pont entre dans la contemplation, les épreuves intérieures, le SUITEÀLAPA G E 6 page 6 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 6 octobre 2020, numéro 40

Lettre apostolique «Scripturae Sacrae affectus»

SUITE DE LA PA G E 5 tout l’Ancien Testament à partir de l’original hé- ceur, avec un plein engagement, sans formes édul- breu. En même temps, il commente les livres pro- corées, et faisant l’expérience que «l’amour n’a vail de traducteur des homélies et des commentai- phétiques, les psaumes, les œuvres pauliniennes, il pas de prix»24. Il vit ainsi ses affections avec fou- res scripturaires d’Origène, déploie une activité rédige des aides pour l’étude de la Bible. Le pré- gue et sincérité. Cette implication dans les situa- épistolaire frénétique, se confronte publiquement cieux travail qui a conflué dans ses œuvres est le tions dans lesquelles il vit et œuvre s’observe aussi avec des auteurs hérétiques, quelquefois avec ex- fruit de confrontations et de collaborations, en dans le fait qu’il offre son travail de traduction et cès et intempérance mais toujours guidé sincère- partant de la transcription et de la collection des de commentaire comme munus amicitiæ. C’est un ment par le désir de défendre la vraie foi et le dé- manuscrits jusqu’à la réflexion et la discussion: don qu’il fait avant tout aux amis destinataires et pôt des Ecritures. «Je n’ai jamais fait confiance à mes propres forces dédicataires de ses œuvres, amis auxquels il de- Cette intense et fructueuse période est inter- pour étudier les volumes divins, […] j’ai l’habitu- mande de les lire avec un œil amical plutôt que rompue par la mort du Pape Damase. Il se voit de de poser des questions, même concernant ce critique, et aussi aux lecteurs, ses contemporains contraint de laisser Rome et, suivi par des amis et que je croyais savoir, à plus forte raison sur ce et ceux de tous les temps25. quelques femmes désireuses de continuer l’exp é- dont je n’étais pas sûr»18. C’est pourquoi, cons- Il achève les dernières années de sa vie dans la rience spirituelle de l’étude biblique commencée, cient de ses limites, il demande un soutien conti- lecture orante personnelle et communautaire de il part pour l’Egypte — où il rencontre le grand nuel dans la prière d’intercession pour la réussite l’Ecriture, dans la contemplation, dans le service théologien Didyme l’Aveugle — et la Palestine, de sa traduction des textes sacrés «dans le même des frères à travers ses œuvres. Tout cela à pour s’établir définitivement à Bethléem en 386. Esprit où ils furent écrits»[19]. Il n’oublie pas de Bethléem, près de la grotte où le Verbe fut enfan- Il reprend ses études philologiques, ancrées aux traduire aussi des œuvres d’auteurs indispensables té par la Vierge, conscient qu’est «heureux celui lieux physiques qui ont été le cadre de ces récits. pour le travail exégétique, comme Origène, de fa- qui porte dans son intimité la croix, la résurrec- L’importance donnée au lieux saints est mise en çon à «mettre ce matériel à disposition de qui tion, le lieu de la naissance et de l’ascension du évidence non seulement par son choix de vivre en veut approfondir les études scientifiques»20. Christ! Heureux celui qui a Bethléem dans son Palestine, de 386 jusqu’à sa mort, mais aussi par L’étude de Jérôme est considérée comme un ef- cœur, cœur dans lequel le Christ naît chaque 26 son service des pèlerinages. A Bethléem juste- fort accompli au sein de la communauté et au ser- jour!» . ment, lieu pour lui privilégié, il fonde près de la vice de la communauté, un modèle de synodalité grotte de la Nativité deux monastères «jumeaux», aussi pour nous, pour notre temps et pour les di- l’un masculin et l’autre féminin, avec des hospices verses institutions culturelles de l’Eglise, afin La clé sapientielle de son portrait pour l’accueil des pèlerins qui arrivent ad loca qu’elles soient toujours «un lieu où le savoir de- Pour une meilleure compréhension de la per- sancta, révélant sa générosité à accueillir ceux qui vient service, parce que sans un savoir qui naît de sonnalité de saint Jérôme, il est nécessaire de con- viennent dans cette terre pour voir et toucher les la collaboration et qui aboutit à la coopération, il juguer deux dimensions caractéristiques de son lieux de l’histoire du salut, unissant ainsi la re- 12 n’y a pas de développement véritablement et inté- existence de croyant: d’un côté, l’absolue et rigou- cherche culturelle à la recherche spirituelle . gralement humain»21. Le fondement de cette com- reuse consécration à Dieu, avec le renoncement à C’est dans la Sainte Ecriture que, en se mettant munion est l’Ecriture que nous ne pouvons pas li- toute satisfaction humaine par amour du Christ à l’écoute, Jérôme se trouve lui-même, trouve le re seuls: «La Bible a été écrite par le Peuple de crucifié (cf. 1 Co 2, 2; Phil 3, 8.10); de l’a u t re , visage de Dieu et celui des frères, et qu’il affine sa Dieu et pour le Peuple de Dieu, sous l’inspiration l’engagement pour l’étude assidue, visant exclusi- prédilection pour la vie communautaire. D’où son de l’Esprit Saint. C’est seulement dans cette com- vement une compréhension toujours plus profon- désir de vivre avec des amis, comme déjà au munion avec le Peuple de Dieu, dans ce “nous” de du mystère du Seigneur. C’est justement ce temps d’Aquilée, et de fonder des communautés que nous pouvons réellement entrer dans le cœur double témoignage, admirablement offert par monastiques, poursuivant l’idéal cénobitique de de la vérité que Dieu lui-même veut nous dire»22. saint Jérôme, qui est proposé comme modèle: vie religieuse qui voit le monastère comme un La robuste expérience de vie nourrie de la Pa- avant tout aux moines, afin que celui qui vit d’as- «gymnase» dans lequel il faut former les person- role de Dieu a fait que Jérôme est devenu un gui- cèse et de prière soit invité à se consacrer à l’en- nes «qui se considèrent comme inférieures à tous de spirituel à travers une abondante correspon- fantement assidu de la recherche et de la pensée; afin d’être les premières parmi tous», heureuses dance épistolaire. Il se fait compagnon de voyage, puis aux chercheurs qui doivent se rappeler que dans la pauvreté et capables d’enseigner par leur convaincu qu’«il n’y a pas d’art qui s’a p p re n d le savoir est religieusement valide seulement s’il se style de vie. En effet, il estime formateur le fait de sans un maître». Comme il l’écrit à Rustique: fonde sur l’amour exclusif de Dieu, sur le dépo- vivre «sous la direction d’un unique supérieur et «Cela je désire te le faire comprendre en te pre- uillement de toute ambition humaine et de toute en compagnie de plusieurs» pour apprendre l’hu- nant par la main, comme si j’étais un marin qui, aspiration mondaine. milité, la patience, le silence et la mansuétude, ayant fait l’expérience de nombreux naufrages, Ces dimensions ont été transposées dans le do- dans la conscience que la «vérité n’aime pas les tente d’instruire un navigateur inexpérimenté»23. maine de l’histoire de l’art où la présence de saint angles obscurs, et ne cherche pas les chucho- Jérôme est fréquente: de grands maîtres de la teurs»13. Il confesse également «soupirer après les De ce coin pacifique du monde, il suit l’humanité à une époque de grands bouleversements, mar- peinture occidentale nous ont laissé leurs repré- cellules du monastère, […] désirer mener, à sentations. Nous pourrions organiser les diverses l’exemple de la sollicitude de ces fourmis, une vie quée par des événements comme le sac de Rome de 410 qui l’a profondément affecté. typologies iconographiques suivant deux lignes où l’on travaille en commun, où nul ne possède distinctes. L’une le définit surtout comme moine 14 Il confie aux Lettres les polémiques doctrinales, rien en propre mais où tout est à tous» . et pénitent, avec un corps sculpté par le jeûne, re- toujours pour la défense de la vraie foi, se révé- Jérôme n’a pas cherché dans l’étude un plaisir tiré dans des zones désertiques, à genoux ou pros- lant homme de relations vécues avec force et dou- éphémère pour lui-même, mais un exercice de vie terné à terre, dans de nombreux cas serrant une spirituelle, un moyen pour arriver à Dieu. Il a de pierre dans la main droite pour se frapper la poi- même réorganisé sa formation classique pour un trine, et les yeux tournés vers le crucifix. Dans service plus mûr de la communauté ecclésiale. cette ligne se situe le touchant chef-d’œuvre de Pe n sons à l’aide qu’il a donnée auPape Damase, Léonard de Vinci conservé à la Pinacothèque Va- à l’enseignement qu’il a consacré aux femmes, en ticane. Une autre façon de représenter Jérôme est particulier l’hébreu, depuis le premier cénacle sur celle qui nous le montre en vêtements de cher- l’Aventin, au point de faire entrer Paula et Eusto- cheur, assis à son écritoire pour traduire et com- chia «dans les combats des traducteurs»15 et, cho- menter la Sainte Ecriture, entouré de volumes et se sans précédent en ce temps, leur permettant de de parchemins, investi de la mission de défendre pouvoir lire et chanter les Psaumes dans la langue la foi à travers la pensée et l’écrit. Albrecht Dürer, d’origine16. pour citer un autre exemple illustre, l’a représenté Une culture, la sienne, est mise au service et plus d’une fois dans cette attitude. réaffirmée comme nécessaire à tout évangélisateur. Les deux aspects évoqués ci-dessus se retrou- Il rappelle ainsi à son ami Népotien: «La parole vent liés dans la toile du Caravage qui se trouve du prêtre doit prendre sa saveur grâce à la lecture galerie Borghèse à Rome: dans une scène unique, des Ecritures. Je ne veux pas que tu sois un dé- le vieil ascète est présenté sommairement vêtu clamateur ou un charlatan par beaucoup de paro- d’un tissu rouge, avec un crâne sur la table, sym- les, mais quelqu’un qui comprend la sainte doctri- bole de la vanité des réalités terrestres; mais en ne (mysterii) et qui connaît parfaitement les ensei- même temps est aussi puissamment représentée la gnements (s a c ra m e n t o r u m ) de ton Dieu. C’est ty- qualité du chercheur qui tient les yeux fixés sur le pique des ignorants de retourner les paroles et de livre pendant que sa main trempe la plume dans s’accaparer l’admiration du peuple inexpérimenté l’encrier, geste caractéristique de l’écrivain. en parlant rapidement. Celui qui est sans pudeur De manière analogue — une manière que j’ap- explique souvent ce qu’il ne connaît pas et pré- pellerais sapientielle — nous devons comprendre tend être un grand expert seulement parce qu’il le double profil du parcours biographique de Jé- 1 7 réussit à persuader les autres» . rôme. Quand, en vrai «Lion de Bethléem», il exa- Jusqu’à sa mort, en 420, Jérôme vit à Bethléem gérait dans les tons, il le faisait pour la recherche la période la plus féconde et la plus intense, com- d’une vérité dont il était prêt à se faire le serviteur plètement consacrée à l’étude de l’Ecriture, occu- pé par l’œuvre monumentale de traduction de Le Tintoret, «Saint Jérôme» (1570) SUITEÀLAPA G E 7 numéro 40, mardi 6 octobre 2020 L’OSSERVATORE ROMANO page 7

Lettre apostolique «Scripturae Sacrae affectus»

SUITE DE LA PA G E 6 gures» vétérotestamentaires qu’il est possible de A u j o u rd ’hui, les pages bibliques ne sont pas connaître en plénitude le sens de l’événement du toujours immédiatement accessibles. Comme il est inconditionnel. Et comme il l’explique lui-même Christ qui s’est accompli dans sa mort et dans sa dit dans Isaïe (29, 11), même pour ceux qui savent dans le premier de ses écrits, Vie de Saint Paul, er- résurrection. D’où la nécessité de redécouvrir, «lire» — c’est-à-dire qui ont eu une formation in- mite de Thèbes, les lions sont capables d’«énormes dans la pratique catéchétique et dans la prédica- tellectuelle suffisante — le livre sacré apparaît rugissements» mais aussi de larmes2 7. Pour ce mo- tion tout comme dans les traités théologiques, «scellé», fermé hermétiquement à l’interprétation. tif, ces deux physionomies qui apparaissent com- l’apport indispensable de l’Ancien Testament qui C’est pourquoi il est nécessaire qu’intervienne un me juxtaposées sont en réalité des éléments avec doit être lu et assimilé comme une précieuse témoin compétent qui apporte la clé libératrice, lesquels l’Esprit Saint lui a permis de mûrir son nourriture (cf. Ez 3, 1-11; Ap 10, 8-11)30. celle du Christ Seigneur, le seul capable de briser unité intérieure. Le dévouement total de Jérôme à l’Ecriture se les sceaux et d’ouvrir le livre (cf. Ap 5, 1-10) afin manifeste sous une forme expressive passionnée, de révéler la prodigieuse effusion de la grâce (cf. semblable à celle des anciens prophètes. C’est Lc 4, 17-21). Nombreux — même parmi les chré- Amour pour la Sainte Ecriture chez eux que notre Docteur puise le feu intérieur tiens pratiquants — sont ceux qui déclarent ouver- Le trait particulier de la figure spirituelle de qui devient un verbe impétueux et explosif (cf. Jr tement ne pas être capables de lire (cf. Is 29, 12), saint Jérôme demeure certainement son amour 5, 14; 20, 9; 23, 29; Ml 3, 2; Sir 48, 1; Mt 3, 11; Lc non par analphabétisme mais parce qu’ils ne sont passionné pour la Parole de Dieu transmise à 12, 49), nécessaire pour exprimer le zèle ardent du pas préparés au langage biblique, à ses modes d’expression et aux traditions culturelles antiques. l’Eglise dans la Sainte Ecriture. Si tous les Doc- serviteur pour la cause de Dieu. Dans le sillage C’est pourquoi le texte biblique s’avère indéchif- teurs de l’Eglise — et en particulier ceux de la d’Elie, de Jean-Baptiste et de l’apôtre Paul, l’indi- frable, comme s’il avait été écrit dans un alphabet première époque chrétienne — ont puisé explicite- gnation envers le mensonge, l’hypocrisie et les inconnu et dans une langue obscure. ment dans la Bible les contenus de leurs enseigne- fausses doctrines enflamme le discours de Jérôme, ments, Jérôme l’a fait de façon plus systématique le rendant provocateur et rude en apparence. La La médiation de l’interprète s’avère donc néces- et, pour certains aspects, unique. dimension polémique de ses écrits se comprend saire, qui exerce sa fonction «diaconale» en se mettant au service de celui qui ne réussit pas à Les exégètes ont découvert ces derniers temps mieux s’ils sont lus comme une sorte de moulage comprendre le sens de ce qui a été écrit prophéti- le génie narratif et poétique de la Bible, exaltée à et d’actualisation de la plus authentique tradition quement. A ce propos, l’image qui peut être évo- juste titre pour sa qualité expressive. Jérôme sou- prophétique. Jérôme est donc un modèle de té- quée est celle du diacre Philippe, suscité par le ligne au contraire dans l’Ecriture le caractère plu- moignage inflexible de la vérité, qui assume la sé- Seigneur pour aller à la rencontre de l’eunuque tôt humble de la révélation de Dieu, exprimée vérité du reproche pour mener à la conversion. qui, sur son char, est en train de lire un passage dans la nature rude et presque primitive de la lan- Par l’intensité des locutions et des images, le cou- d’Isaïe (53, 7-8) mais sans pouvoir en percer le gue hébraïque en comparai son au raffinement du rage du serviteur se manifeste qui ne veut pas sens. «Comprends-tu donc ce que tu lis?», de- latin cicéronien. Ce n’est donc pas par goût esthé- plaire aux hommes mais exclusivement à son Sei- mande Philippe; et l’eunuque répond: «Et com- tique qu’il se consacre à l’étude de la Sainte Ecri- gneur (Ga 1, 10) pour lequel il a consumé toute son énergie spirituelle. ment le pourrais-je, si personne ne me guide?» ture mais seulement — comme on le sait bien — (Ac 8, 30-31)32. pour qu’elle l’amène à connaître le Christ, parce que l’ignorance des Ecritures est ignorance du Jérôme est notre guide tant parce que, comme Christ28. L’étude de la Sainte Ecriture l’a fait Philippe (cf. Ac 8, 35), il conduit chaque lecteur au mystère de Jésus, que parce qu’il assu- L’amour passionné de saint Jérôme pour les di- Jérôme nous enseigne qu’il ne faut pas étudier me de façon responsable et systématique les médi- seulement les Evangiles, et ce n’est pas seulement vines Ecritures est empreint d’obéissance. Obéis- tations exégétiques et culturelles nécessaires pour la tradition apostolique présente dans les Actes sance avant tout envers Dieu qui s’est commu- une lecture correcte et fructueuse des Saintes des apôtres et dans les Lettres qui doit être com- niqué par des paroles qui exigent une écoute res- 33 31 E c r i t u re s . Il a utilisé de manière concordante et mentée. En effet, l’Ancien Testament est tout en- p ectueuse , et, en conséquence, obéissance envers sage toutes les ressources méthodologiques qui tier indispensable pour pénétrer dans la vérité et ceux qui représentent dans l’Eglise la tradition vi- étaient disponibles à son époque historique pour 29 dans la richesse du Christ . Les pages évangéli- vante interprétative du message révélé. «L’ob éis- orienter vers une juste compréhension de l’Ecritu- ques elles-mêmes l’attestent: elles nous parlent de sance de la foi» (Rm 1, 5; 16, 26) toutefois, n’est re inspirée: la compétence dans les langues dans Jésus comme d’un Maître qui, pour expliquer son pas une simple réception passive de ce qui est lesquelles la Parole de Dieu a été transmise, l’ana- mystère, recourt à Moïse, aux Prophètes et aux connu. Elle exige au contraire l’engagement actif lyse soignée et l’évaluation des manuscrits, la re- Psaumes (cf. Lc 4, 16-21; 24, 27.44-47). La prédica- de la recherche personnelle. On peut considérer cherche archéologique ponctuelle, en plus de la tion de Pierre et de Paul, dans les Actes des apô- saint Jérôme comme un «serviteur» de la Parole, connaissance de l’histoire de l’interprétation. tres, s’enracine aussi de façon emblématique dans fidèle et laborieux, consacré entièrement à favori- Une telle dimension exemplaire de l’activité de les anciennes Ecritures. Sans elles la figure du Fils ser chez ses frères dans la foi une compréhension saint Jérôme est plus que jamais importante, mê- de Dieu, le Messie Sauveur, ne peut pas être plei- plus adéquate du «dépôt» sacré qui leur est con- me dans l’Eglise d’a u j o u rd ’hui. Si, comme nous nement comprise. L’Ancien Testament ne doit pas fié (cf. 1 Tm 6, 20; 2 Tm 1, 14). Sans l’intelligence l’enseigne Dei Verbum, la Bible constitue pour «la être considéré comme un vaste répertoire de cita- de ce qui a été écrit par les auteurs inspirés, la pa- théologie sacrée comme son âme»34 et comme le tions qui démontrent l’accomplissement des pro- role de Dieu elle-même est privée d’efficacité (cf. nerf spirituel de la pratique religieuse chrétienne35, phéties en la personne de Jésus de Nazareth. Plus Mt 13, 19) et l’amour pour Dieu ne peut en alors il est indispensable que l’action interprétati- radicalement, c’est seulement à la lumière des «fi- r é s u l t e r. ve de la Bible soit soutenue par des compétences sp écifiques. A cette fin, les centres d’excellence de recherche biblique (comme l’Institut pontifical biblique de Rome, et, à Jérusalem, l’Ecole biblique et le Stu- dium Biblicum Franciscanum) et patristique (comme l’Agostinianum de Rome) sont certaine- ment utiles, mais chaque faculté de théologie doit aussi s’engager afin que l’enseignement de la Sainte Ecriture soit programmé de manière à as- surer aux étudiants une capacité interprétative compétente, soit dans l’exégèse des textes, soit dans les synthèses de théologie biblique. La ri- chesse de l’Ecriture est malheureusement ignorée ou minimisée par beaucoup, parce que les bases essentielles de connaissance ne leur ont pas été fournies. A côté d’un développement des études ecclésiastiques destinées aux prêtres et aux caté- chistes qui valorisent de manière plus adéquate la compétence dans les Saintes Ecritures, il faut donc promouvoir une formation étendue à tous les chrétiens, pour que chacun devienne capable d’ouvrir le livre sacré et d’en tirer les fruits inesti- mables de sagesse, d’espérance et de vie36. Je voudrais rappeler ici ce qui a été dit par mon prédécesseur dans l’exhortation apostolique Verbum Domini: «La sacramentalité de la Parole se comprend alors par analogie à la présence réelle du Christ sous les espèces du pain et du vin con-

Caravage, «Saint Jérôme» (1606) SUITE À LA PA G E 8 page 8 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 6 octobre 2020, numéro 40

Lettre apostolique «Scripturae Sacrae affectus»

SUITE DE LA PA G E 7 comme Jérôme ne cessait de le rappeler, ni encore moins à interdire à l’avenir de nouvelles entrepri- sacrés […] Sur l’attitude à avoir aussi bien envers ses de traduction intégrale. Saint Paul VI, en re- l’Eucharistie qu’envers la Parole de Dieu, saint Jé- cueillant le mandat des Pères du Concile Vati- rôme affirme: “Nous lisons les Saintes Ecritures. can II, a voulu que le travail de révision de la tra- Je pense que l’Evangile est le Corps du Christ; je duction de la soit mené à terme et mis à pense que les Saintes Ecritures sont son enseigne- la disposition de toute l’Eglise. C’est ainsi que ment. Et quand il dit: Si vous ne mangez pas la saint Jean-Paul II, dans la Constitution aposto- chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas lique Scripturarum thesaurus44, a promulgué l’édi- son sang (Jn 6, 53), ses paroles se réfèrent au tion typique appelée Neovulgate en 1979. Mystère [eucharistique], toutefois, le corps du Christ et son sang sont vraiment la Parole de l’Ecriture, c’est l’enseignement de Dieu”»3 7. La traduction comme inculturation Malheureusement, dans de nombreuses familles Avec sa traduction, Jérôme a réussi à «incultu- chrétiennes, personne ne se sent en mesure — rer» la Bible dans la langue et dans la culture la- comme c’est au contraire prescrit dans la Torah tines, et son opération est devenue un paradigme (cf. Dt 6, 6) — de faire connaître la Parole de permanent pour l’action missionnaire de l’Eglise. Dieu aux enfants dans toute sa beauté, avec toute En effet, «quand une communauté accueille l’an- sa force spirituelle. C’est pourquoi j’ai voulu insti- nonce du salut, l’Esprit Saint féconde sa culture 38 tuer le Dimanche de la Parole de Dieu , en en- avec la force transformante de l’Evangile»45, et il courageant la lecture orante de la Bible et la fami- s’instaure ainsi une sorte de circularité: de même 39 liarité avec la Parole de Dieu . Toute autre mani- que la traduction de Jérôme est débitrice de la festation de religiosité sera ainsi enrichie de sens, langue et de la culture des classiques latins dont sera guidée dans la hiérarchie des valeurs et sera les marques sont bien visibles, elle est devenue à orientée vers ce qui constitue le sommet de la foi: son tour, avec son langage et son contenu symbo- la pleine adhésion au mystère du Christ. lique et imagé, un élément créateur de culture. L’œuvre de traduction de Jérôme nous ensei- El Greco, «Saint Jérôme en cardinal» (1600) La Vulgate gne que les valeurs et les formes positives de chaque culture représentent un enrichissement 40 Le «fruit le plus doux des semailles difficiles» pour toute l’Eglise. Les divers modes selon les- quels on doit la précieuse œuvre de publication de l’étude du grec et de l’hébreu effectuée par Jé- quels la Parole de Dieu est annoncée, comprise et de grammaires, de dictionnaires et autres instru- rôme est la traduction de l’Ancien Testament en vécue à chaque nouvelle traduction, enrichissent ments linguistiques qui offrent les fondements à latin à partir de l’original hébreu. Jusque-là, les l’Ecriture elle-même, puisque, selon la fameuse la communication humaine et sont un véhicule chrétiens de l’empire romain pouvaient lire inté- expression de Grégoire Le Grand, elle grandit pour le «rêve missionnaire d’arriver à tous»51. Il gralement la Bible seulement en grec. Les livres avec le lecteur46 en recevant tout au long des est nécessaire de valoriser tout ce travail et d’y in- du Nouveau Testament avaient été écrits en grec, siècles de nouveaux accents et de nouvelles sono- vestir, en contribuant au dépassement des frontiè- et il existait une version complète de l’Ancien rités. L’intégration de la Bible et de l’Evangile res de l’incommunicabilité et de l’absence de ren- Testament, appelée Septuaginta (autrement dit, la dans les diverses cultures fait que l’Eglise se ma- contre. Il reste beaucoup à faire. Comme il a été version des 70) faite par la communauté hé- e nifeste de plus en plus comme «l’épouse qui se affirmé, il n’existe pas de compréhension sans tra- braïque d’Alexandrie autour du II siècle avant pare de ses bijoux (sponsa ornata monilibus suis)» duction52: nous ne nous comprendrions pas nous- J.C. Par contre, pour les lecteurs de langue latine, (Is 61, 10). Et elle atteste en même temps que la mêmes ni les autres. il n’y avait pas de version complète de la Bible Bible a besoin d’être constamment traduite dans dans cette langue, mais seulement quelques tra- les catégories linguistiques et mentales de chaque ductions, partielles ou incomplètes, à partir du culture et de chaque génération, y compris dans Jérôme et la Chaire de Pierre grec. Il revient le mérite à Jérôme, et après lui à la culture sécularisée globale de notre temps4 7. ses continuateurs, d’avoir entrepris une révision et Jérôme a toujours eu un rapport particulier une nouvelle traduction de toute l’Ecriture. Ayant Il a été rappelé, à raison, qu’il est possible avec la ville de Rome: Rome est le port spirituel initié à Rome la révision des Evangiles et des d’établir une analogie entre la traduction en tant auquel il retourne continuellement. A Rome s’est Psaumes, avec l’encouragement du Pape Damase, qu’acte d’hospitalité linguistique, et d’autres for- formé l’humaniste et s’est forgé le chrétien; il est 48 Jérôme commença dans sa retraite de Bethléem la mes d’accueil . C’est pourquoi la traduction n’est homo romanus. Ce lien se réalise de façon tout à traduction de tous les livres vétérotestamentaires, pas un travail qui regarde uniquement le langage, fait particulière par le latin, la langue de l’Urb e, directement à partir de l’hébreu: une œuvre pour- mais qui correspond, en vérité, à une décision dont il a été maître et amateur. Mais Jérôme est suivie durant des années. éthique plus ample qui se connecte à la vision en- surtout lié à l’Eglise de Rome et, plus particu- tière de la vie. Sans traduction, les différentes Pour mener à bien ce travail de traduction, Jé- lièrement, à la Chaire de Pierre. La tradition ico- communautés linguistiques seraient dans l’imp os- rôme mit à profit sa connaissance du grec et de nographique l’a représenté de façon anachronique sibilité de communiquer entre elles. Nous ferme- l’hébreu ainsi que sa solide formation latine, et il avec la pourpre cardinalice pour signaler son ap- rions les uns aux autres les portes de l’histoire et se servit des instruments philologiques qu’il avait partenance au presbyterium de Rome à côté du nous nierions la possibilité de construire une cul- à disposition, en particulier les Hexapla d’O ri- Pape Damase. C’est à Rome qu’il a commencé la ture de la rencontre49. En effet, sans traduction, gène. Le texte final conjuguait la continuité dans révision de la traduction. Et quand les jalousies et on ne donne pas hospitalité, au contraire, les pra- les formules, désormais entrées dans l’usage com- les incompréhensions l’ont forcé à laisser l’Urb e, tiques d’hostilité se renforcent. Le traducteur est mun, avec une fidélité plus grande à la dictée hé- il est resté toujours fortement lié à la Chaire de braïque, sans sacrifier à l’élégance de la langue la- un constructeur de ponts. Que de jugements in- P i e r re . tine. Le résultat est un vrai monument qui a mar- considérés, que de condamnations et de conflits Pour Jérôme, l’Eglise de Rome est le terrain fé- qué l’histoire culturelle de l’Occident en en mo- naissent du fait que nous ignorons la langue des cond où la semence du Christ porte du fruit en delant le langage théologique. La traduction de autres et que nous ne nous appliquons pas, avec ab ondance53. Dans une époque mouvementée où Jérôme, certains refus initiaux ayant été dépassés, une espérance tenace, à cette preuve d’amour sans la tunique sans couture de l’Eglise est souvent dé- est immédiatement devenue un patrimoine com- fin qu’est la traduction! chirée par les divisions entre chrétiens, Jérôme re- mun aussi bien des savants que du peuple chré- Jérôme a dû aussi contester la pensée dominan- garde la Chaire de Pierre comme un point de ré- tien, d’où le nom de Vu l g a t e 41. L’Europe du te de son temps. Si, à l’aube de l’empire romain férence sûr: «Moi qui ne vais à la suite de person- Moyen Age a appris à lire, à prier et à raisonner connaître le grec était relativement commun, cela ne si ce n’est du Christ, je m’unis en communion sur les pages de la Bible traduite par Jérôme. «La était devenu quelque chose de rare, déjà à son à la Chaire de Pierre. Je sais que l’Eglise est édi- Sainte Ecriture est devenue ainsi une sorte d’“im- époque. Il a pu cependant être un des meilleurs fiée sur ce roc». En pleine dispute contre les mense vocabulaire” (P. Claudel) et d’“atlas icono- connaisseurs de la langue et de la littérature grec- ariens, il écrit à Damase: «Celui qui ne rassemble graphique” (M. Chagall), où la culture et l’art ques chrétiennes et il a entrepris un voyage enco- pas avec toi, disperse, celui qui n’est pas du chrétien ont puisé»42. La littérature, les arts, et re plus difficile en solitaire quand il s’est consacré Christ, est de l’antéchrist»54. C’est pourquoi il aussi le langage populaire ont puisé constamment à l’étude de l’hébreu. Si, comme il a été écrit, «les peut aussi affirmer: «Celui qui est uni à la Chaire dans la version de la Bible de Jérôme en nous limites de mon langage sont les limites de mon de Pierre, est des miens»55. 50 laissant des trésors de beauté et de dévotion. monde» , nous pouvons dire que nous devons au Jérôme s’est souvent vu impliqué dans de vio- C’est par rapport à ce fait incontestable que le polyglottisme de saint Jérôme une compréhension lentes disputes pour la cause de la foi. Son amour Concile de Trente a établi le caractère «authen- plus universelle du christianisme et, en même pour la vérité et l’ardente défense du Christ l’ont tique» de la Vulgate dans le décret Insuper en ren- temps, plus cohérente avec ses sources. peut-être porté à exagérer dans la violence verba- dant hommage à l’usage séculaire que l’Eglise en Avec la célébration du centenaire de la mort de le, dans ses lettres et dans ses écrits. Cependant, il avait fait et en en attestant la valeur comme ins- saint Jérôme, le regard se tourne vers l’e x t r a o rd i - a vécu orienté vers la paix: «La paix je la veux trument pour l’étude, la prédication et les discus- naire vitalité missionnaire exprimée par la traduc- moi aussi; non seulement je la désire mais je l’im- sions publiques43. Toutefois, il ne cherchait pas à tion de la Parole de Dieu en plus de trois mille minimiser l’importance des langues originales, langues. Nombreux sont les missionnaires aux- SUITEÀLAPA G E 9 numéro 40, mardi 6 octobre 2020 L’OSSERVATORE ROMANO page 9

Lettre apostolique «Scripturae Sacrae affectus»

SUITE DE LA PA G E 8 a assimilé une bibliothèque entière et qu’il est de- Vraiment, Jérôme est la «Bibliothèque du venu un dispensateur du savoir pour beaucoup Christ», une bibliothèque pérenne, qui, seize plore! Mais j’entends par là la paix du Christ, la d’autres. Postumien, qui a voyagé en Orient au siècles plus tard, continue à nous enseigner ce que paix authentique, une paix sans résidus d’hostili- IVe siècle à la découverte des mouvements monas- signifie l’amour du Christ, un amour indissociable té, une paix qui ne couve pas en soi la guerre; tiques, a été un témoin oculaire du style de vie de de la rencontre avec sa Parole. C’est pourquoi le non pas la paix qui assujettit les adversaires, mais Jérôme auprès duquel il a séjourné pendant quel- centenaire actuel est un appel à aimer ce que Jé- 56 celle qui unit dans l’amitié!» . ques mois, et il l’a décrit ainsi: «Il est tout entier rôme a aimé, en redécouvrant ses écrits et en se Notre monde a besoin plus que jamais du mé- dans la lecture, tout entier dans les livres; il ne se laissant toucher par l’impact d’une spiritualité qui dicament de la miséricorde et de la communion. repose ni de jour ni de nuit; toujours il lit ou peut être décrite, dans son noyau le plus vital, Permettez-moi de répéter une fois encore: don- écrit quelque chose»59. comme le désir inquiet et passionné d’une con- nons un témoignage de communion fraternelle A ce propos, je pense souvent à l’exp érience naissance plus grande du Dieu de la Révélation. qui devienne attrayant et lumineux5 7. «A ceci tous qu’un jeune peut faire aujourd’hui en entrant Comment ne pas entendre, aujourd’hui, ce à quoi reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous dans une bibliothèque de sa ville, ou sur un site Jérôme incitait incessamment ses contemporains: avez de l’amour les uns pour les autres» (Jn 13, internet, y cherchant le secteur des livres reli- «Lis souvent les Divines Ecritures; ou plutôt, que 35). C’est ce que Jésus a demandé dans une prière 60 gieux. C’est un secteur qui, lorsqu’il existe, est tes mains ne déposent jamais le livre saint» ! intense au Père: «Qu’ils soient un […] en nous, afin que le monde croie» (Jn 17, 21). non seulement marginal dans la plupart des cas Un exemple lumineux est la Vierge Marie, évo- mais aussi dépourvu d’œuvres consistantes. En quée par Jérôme surtout dans sa maternité virgi- examinant ces rayons, ou ces pages en ligne, un nale mais aussi dans son attitude de lectrice oran- Aimer ce que Jérôme a aimé jeune pourra difficilement comprendre comment te de l’Ecriture. Marie méditait dans son cœur la recherche religieuse peut être une aventure pas- (cf. Lc 2, 19.51) «parce qu’elle était sainte et avait En conclusion de cette lettre, je désire adresser sionnante qui unit la pensée et le cœur; comment lu les Saintes Ecritures, elle connaissait les pro- un dernier appel à chacun. Parmi les nombreux la soif de Dieu a enflammé de grands esprits tout phètes et se rappelait ce que l’ange lui éloges postérieurs rendus à saint Jérôme, il y a ce- au long des siècles jusqu’a u j o u rd ’hui; comment la avait annoncé et ce qui avait été prédit par les lui du fait qu’il n’est pas simplement considéré maturation de la vie spirituelle a contaminé des prophètes […], elle voyait le nouveau-né qui était comme un des plus grands amateurs de la «bi- théologiens et des philosophes, des artistes et des son enfant, son fils unique qui était couché et bliothèque» dont se nourrit le christianisme au fil du temps, à commencer par le trésor des Saintes poètes, des historiens et des scientifiques. Un des pleurait dans cette crèche, mais celui qu’elle Ecritures. On peut lui appliquer ce que lui-même problèmes actuels, et pas seulement de la religion, voyait vraiment couché était le Fils de Dieu, ce écrivait de Népotien: «Avec la lecture assidue et est l’analphabétisme: le manque de connaissances qu’elle voyait elle le comparait avec ce qu’elle 61 la méditation constante, il avait fait de son cœur herméneutiques qui nous rendent interprètes et avait lu et entendu» . Confions-nous à elle, qui, une bibliothèque du Christ»58. Jérôme n’a ména- traducteurs crédibles de notre propre tradition mieux que tout autre, peut nous enseigner com- gé aucun effort pour enrichir sa propre biblio- culturelle. Je veux lancer spécialement aux jeunes ment lire, méditer, prier et contempler Dieu qui thèque dans laquelle il a toujours vu un labora- un défi: partez à la recherche de votre héritage. se fait présent dans notre vie sans jamais se lasser. toire indispensable à l’intelligence de la foi et à la Le christianisme vous rend héritiers d’un patri- vie spirituelle. En cela, il constitue un exemple moine culturel inégalable dont vous devez pren- Donné à Rome, de Saint Jean de Latran, admirable pour le présent. Mais il est allé au-de- dre possession. Passionnez-vous de cette histoire le 30 septembre 2020, mémoire de saint Jérôme, là. Pour lui, l’étude ne s’est pas limitée aux an- qui est vôtre. Osez fixer le regard sur Jérôme, ce en la huitième année de mon pontificat. nées de jeunesse de la formation, elle a été un en- jeune inquiet qui, comme le personnage de la pa- gagement constant, une priorité de chaque jour rabole de Jésus, vend tout ce qu’il possède pour de sa vie. En somme, nous pouvons affirmer qu’il acheter «la perle de grand prix» (Mt 13, 46).

1. «Deus qui beato Hieronymo presbitero suavem 21. Message à l’occasion de la 24e séance solennelle 39. Cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, nn.152.175: et vivum Scripturae sacrae affectum tribuisti, da, publique des Académies pontificales, 4 décembre AAS 105 (2013), pp. 1083-1084.1093. ut populus tuus verbo tuo uberius alatur et in eo 2019: L’Osservatore Romano, 6 décembre 2019, p. 8. 40. Cf. Ep. 52,3: CSEL 54, p. 417. fontem vitae inveniet», Collecta Missae Sancti 22. VD, n. 30: AAS 102 (2010), p. 709. 41. Cf. VD, n. 72: AAS 102 (2010), pp. 746-747. Hieronymi, Missale Romanum, editio typica tertia, 23. Ep. 125, 15.2: CSEL 56, pp. 133.120. Civitas Vaticana 2002. 42. Saint Jean-Paul II, Lettre aux artistes (4 avril 24. Ep. 3, 6: CSEL 54, p. 18. 1999), 5: AAS 91 (1999), pp. 1159-1160. 2. Epistula (Ep. dans la suite) 22, 30: CSEL 54, p. 190. 25. Cf. Praef. Josue, 1, 9-12: Sources chrétiennes 592, 43. Cf. Denzinger-Schönmetzer, Enchiridion Sym- p. 316. bolorum, n. 1506. 3. AAS 12 (1920), pp. 385-423. 44. 25 avril 1979: AAS 71 (1979), pp. 557-559. 4. Cf. Audiences générales des 7 et 14 novembre 26. Homilia in Psalmum 95: PL 26, 1181. cf. S. Gi- rolamo, 59 Omelie sui Salmi (1-115), sous la direc- 45. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 116: AAS 105 2007: Insegnamenti, III, 2 (2007), pp. 553-556; 586- (2013), p. 1068. 591. tion d’A. Capone, Opere di Gerolamo IX/1, Città Nuova, Rome 2018, p. 357. 46. Hom. In Ezech. I, 7: PL 76, 843D. 5. Synode des évêques, Message au Peuple de Dieu de la 12e assemblée générale ordinaire (24 octobre 27. Cf. Vita S. Pauli primi eremitae, 16, 2: PL 23, 47. Cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 116: 2008). 28; in Trois vies de moines, Sources chrétiennes 508, AAS 105 (2013), p. 1068. pp.177-178. 6. Cf. AAS 102 (2010), pp. 681-787. 48. Cf. P. Ricœur, Sur la traduction, Bayard, Paris 28. Cf. In Isaiam Prol.: PL 24, 17. S. Girolamo, 2004 7. C h ro n i c u m 374: PL 27, 697-698. Commento a Isaia (1-4), a cura di R. Maisano, 49. Cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 24: AAS 8. Ep. 125, 12: CSEL 56, p. 131. Opere di Girolamo IV/1, Città Nuova, Roma 2013, 105 (2013), pp. 1029-1030. 9. Cf. Ep. 122, 3: CSEL 56, p. 63. pp. 52-53. 50. L. Wittgenstein, Tractus logico-philosophicus, 10. Cf. Méditation matinale, 10 décembre 2015. 29. Cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. Dei 5.6. L’anecdote est rapportée dans A. Louf, Sotto la Ve r b u m , n. 14. 51. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 31: AAS 105 guida dello Spirito, Qiqaion, Magnano (BI) 1990, 30. Cf. ibid.. (2013), p. 1033. pp. 154-155. 31. Cf. ibid., n. 7. 52. Cf. G. Steiner, After babel. Aspects of language 11. Cf. Ep. 125, 12: CSEL 56, p. 131. 32. Cf. S. Girolamo, Ep. 53, 5: CSEL 54, 451: Le and translation, Oxford University press, New 12. Cf. VD, n. 89: AAS 102 (2010), pp. 761-762. L e t t e re , a cura di S. Cola, II, Città Nuova, Roma York 1975. 13. Ep. 125, 9.15.19: CSEL 56, pp. 128.133-134.139. 1997, p. 54. 53. Cf. Ep. 15, 1: CSEL 54, p. 63. 14. Vita Malchi monachi captivi, 7, 3: PL 23, 59-60; 33. Cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. Dei 54. Ibid., 15, 2: CSEL 54, pp. 62-64. in Trois vies de moines (Paul, Malchus, Hilarion). Ve r b u m , n. 12. 55. Ibid., 16, 2: CSEL 54, p. 69. Sources chrétiennes 508, p. 203. 34. Ibid., n. 24. 56. Ibid., 82, 2: CSEL 55, p. 109. 15. Praef. Esther 2: PL 28, 1505. 35. Cf. ibid., n. 25. 57. Cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 99: AAS 16. Cf. Ep. 108, 26: CSEL 55, pp. 344-345. 36. Cf. ibid., n. 21. 105 (2013), p. 1061. 1 7. Ep. 52, 8: CSEL 54, pp. 428-429; cf VD, n. 60: 37. N. 56; cf. In Psalmum 147: CCL 78, 337-338. Cf. 58. Ep. 60, 10: CSEL 54, p. 561. AAS 102 (2010), p. 739. S. Girolamo, 59 Omelie sui Salmi (119-149), sous la 59. Sulpicius Severus, Dialogus I, 9,5: Sources chré- 18. Praef. Paralipomenon LXX, 1.10-15: Sources chré- direction d’A. Capone, Opere di Girolamo IX/2, tiennes 510, pp. 136-138. tiennes, 592, p. 340. Città Nuova, Rome 2018, p. 171. 60. Ep. 52, 7: CSEL 54, p. 426. 19. Praef. in Pentateuchum: PL 28, 184. 38. Cf. Lett. ap. sous forme de Motu Proprio Ap e - 61. Homilia de nativitate Domini I V: PL Suppl. 2, 20. Ep. 80, 3: CSEL 55, p. 105. ruit illis, 30 septembre 2019. 191. page 10 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 6 octobre 2020, numéro 40

Introduction à la Lettre apostolique «Scripturae Sacrae affectus» Comme une «bibliothèque du Christ»

GIANFRANCO RAVA S I ses disciples et de la fidèle Paola, témoins des mailles ardues» de ses études littéraires et his- communautés monastiques qu’il avait fondées. torico-critiques. Le Pape François offre, à cet n était le 30 septembre 420 et à La Lettre apostolique est un vrai portrait égard, non seulement une série de précieuses Bethléem, près de la grotte de la Nati- historique et théologique de ce connaisseur réflexions sur l’importance de cette opération O vité du Christ, le dalmate Jérôme ter- passionné de la Parole de Dieu, elle est un dans ses caractéristiques de fond, mais égale- minait son existence terrestre, dont la trame guide pour parcourir sa vaste activité exégé- ment dans l’importance ecclésiale que celle-ci avait été particulièrement variée et même tour- tique et spirituelle, elle est un appel à en sui- a enregistrée. Il en saisit surtout l’âme très mentée. A distance exacte de mille-six-cents vre les traces «en aimant ce qu’il aima». La originale qui est également à la racine de tou- ans de cette journée d’automne, le Pape Fran- clarté du style et de la structure du texte pa- te traduction qualifiée qui continue encore au- çois a voulu lui consacrer une Lettre aposto- pal est telle qu’elle ne demande aucun com- j o u rd ’hui à se révéler à travers les versions in- lique importante et intense, qui constitue la mentaire, mais seulement une lecture attenti- cessantes de la Bible dans les langues les plus substance de ce petit volume. Le titre, Scriptu- ve: chaque page est enrichie de citations très d i f f é re n t e s . rae Sacrae affectus, tiré de la liturgie de la mé- suggestives tirées des écrits de Jérôme. C’est En effet, traduire est un acte d’inculturation moire du saint, constitue une synthèse ex- pourquoi il est presque possible d’écouter sa et, à ce propos, en reprenant explicitement traordinaire de son expérience personnelle et voix, avec la multiplicité des intonations, des une réflexion significative développée par la de son œuvre, et même presque un étendard accents, des sentiments mêmes d’une person- pensée contemporaine (P. Ricœur, L. Witt- emblématique de celui qui est dans la mémoi- nalité aussi forte et aux traits typiques des genstein, G. Steiner) le Pape établit «une ana- re de tous comme le traducteur par excellence prophètes bibliques, avec leur véhémence et logie entre la traduction, en tant qu’acte de la Bible, à travers cette Vu l g a t e qui a par- leur passion. d’hospitalité linguistique, et d’autres formes couru les siècles. La séquence complexe des événements bio- d’accueil. C’est pourquoi la traduction n’est C’est précisément pour cela que sa figure a graphiques distribués en particulier entre Ro- pas un travail qui concerne uniquement le été un point de référence capital pour l’his- me et la Terre Sainte est reconstruite de ma- langage, mais elle correspond, en vérité, à une toire de la culture occidentale et même pour nière soignée et pourtant vivante, à partir du décision éthique plus vaste, qui se relie à la vi- l’art, et il est vraiment surprenant que le Pape tournant célèbre du carême de 375 que nous sion tout entière de la vie. Sans traduction, les lui-même ait voulu évoquer certains portraits voulons nous aussi réévoquer. Assoupi à cause différentes communautés linguistiques seraient «sapientiels» artistiques, à partir du «chef- de la fièvre, une sorte de vision était apparue dans l’impossibilité de communiquer entre d’œuvre» touchant du panneau de Jérôme pé- dans son esprit. Debout devant le Juge divin, elles; nous fermerions les uns aux autres les nitent dans le désert, que Léonard de Vinci «on me demande ma condition: “Je suis chré- portes de l’histoire et nous nierions la possibi- exécuta vers 1482 et dont l’histoire eut des as- tien”, ai-je répondu. Mais celui qui siégeait: lité de construire une culture de la rencontre. pects romanesques. Les dernières heures vé- “Tu mens”, dit-il; “c’est cicéronien que tu es, Sans traduction, en effet, on ne donne pas cues par le saint ont elles aussi été représen- non pas chrétien!”». «Seigneur, disais-je, si ja- l’hospitalité, et on renforce mêmes les prati- tées sur l’imposant retable d’autel dans lequel mais je possède des ouvrages profanes, ou si ques d’hostilité. Le traducteur est un cons- le Dominiquin, entre 1611 et 1614, immortalisa j’en lis, c’est comme si je te reniais!». C’est tructeur de ponts. Combien de jugements ir- la dernière Communion de saint Jérôme, une ainsi que le saint racontait le grand tournant réfléchis, combien de condamnations et de œuvre conservée comme l’autre dans la Pina- de sa vie dans une lettre, la 22 du catalogue conflits naissent du fait que nous ignorons la cothèque vaticane. Dans une atmosphère hié- traditionnel, adressée à la fidèle langue des autres et que nous ne nous appli- ratique, le célèbre «Lion de Bethléem», désor- Eusto che. quons pas, avec une espérance tenace, à cette mais affaibli, reçoit l’Eucharistie entouré de «Je devins alors — il le raconte dans une interminable preuve d’amour qu’est la traduc- autre de ses lettres — le tion!». disciple d’un frère juif con- Avec toutes les réserves critiques, souvent verti pour apprendre, après compréhensibles si l’on considère les diverses les subtilités de Quintilien, coordonnées chronologiques et culturelles et les fleuves d’éloquence de notre sensibilité philologique différente, la Cicéron, la gravité de Vu l g a t e a constitué non seulement un monu- Fronton et l’agrément de ment littéraire du latin tardif, mais elle a fa- Pline, un nouvel alphabet çonné la langue théologique de l’O ccident et pour m’exercer à pro- chrétien. En vérité, le succès ne sourit à noncer des sons stridents l’œuvre de Jérôme qu’environ deux siècles et aspirés. La fatigue que plus tard. Ce fut saint Grégoire le Grand, Pa- cela a représenté pour moi, pe de 590 à 605, qui utilisa la traduction de les difficultés que j’ai ren- Jérôme pour ses écrits exégétiques et spiri- contrées, le nombre de fois tuels. Il fut suivi par son presque contempo- où j’ai arrêté et ensuite, rain Isidore de Séville et Bède le Vénérable, par désir d’apprendre, j’ai mort en 735. Le fleuve des copies s’accrut de à nouveau repris, ne peut manière démesurée, entraînant avec lui des être témoigné que par ma scories en tous genres, c’est-à-dire des erreurs conscience, qui a supporté de copie, des changements intentionnels, des tout cela, mais aussi celle variations marginales, des contaminations avec de ceux qui étaient mes les autres versions latines antiques. On dut compagnons de vie». Ainsi alors effectuer des révisions et des codifica- commençait la grande tions qui donnèrent origine à de véritables ty- aventure devenue célèbre pologies textuelles représentées par des famil- sous le nom de Vu l g a t e , les de codex, regroupées de manière conven- c’est-à-dire l’élab oration tionnelles selon les aires géographiques. d’une traduction «populai- C’est ainsi que naquit le modèle dit «ita- re» latine de la Bible. lien», qui prit son nom du domaine primaire Le Pape suit à partir de de diffusion de la Vu l g a t e : il ne faut pas ou- ce moment tout l’i t i n é r a i re , blier que l’historien et théologien Cassiodore, sous certains aspects fasci- au VIe siècle, fut avec saint Grégoire un arti- nant et mouvementé, de san de l’adoption de la version de Jérôme l’expérience chrétienne de pour la lecture et l’étude de la Bible à l’inté- Jérôme qui a son cœur rieur de son Vivarium, l’«université» qu’il dans l’amour pour l’Ecritu- avait fondée dans ses terres de Squillace en re Sainte affrontée dans sa Calabre. Il y eut une typologie «gallicane» double dimension de «let- liée à Alcuin, chargé de cette opération par tre» et d’«esprit». L’axe Charlemagne (VIIIe-IXe siècles); d’autres mo- fondamental de son his- dèles apparurent en Espagne et en Irlande. Il toire humaine et spirituelle n’est pas nécessaire pour notre objectif de tra- est dans son œuvre de tra- cer le profil de ce delta ramifié sur lequel dé- ducteur, précisément incar- boucha le fleuve de la Vulgate, ni de décrire née dans la Vu l g a t e , «le Léonard de Vinci, «Saint Jérôme pénitent» (1480) fruit le plus doux des se- SUITE À LA PA G E 11 numéro 40, mardi 6 octobre 2020 L’OSSERVATORE ROMANO page 11

Regarder les autres comme des frères et sœurs pour sauver le monde

SUITE DE LA PA G E 1 ganismes internationaux, bien qu’ils aient besoin parler d’une éventuelle «guerre juste». Tout com- d’être réformés pour que ce ne soient pas seule- me le recours à la peine capitale, qui doit être breux non-croyants. ment les plus forts qui comptent. abolie dans le monde entier, est injustifié et inad- La nouvelle encyclique se présente comme une Parmi les pages les plus puissantes de l’ency- missible. somme du magistère social de François, et ras- clique figurent celles consacrées à la condamna- Il est vrai, comme le souligne le Pape, que semble de manière systématique les idées offertes tion de la guerre et au rejet de la peine de mort. «dans le monde d’a u j o u rd ’hui, les sentiments par les déclarations, discours et interventions des Dans le sillage de l’encyclique de Jean XXIII Pa- d’appartenance à une même humanité s’affaiblis- sept premières années de son pontificat. Une ori- cem in Terris, partant d’un regard réaliste sur les gine et une inspiration sont certainement repré- résultats catastrophiques que tant de conflits de sent, tandis que le rêve de construire ensemble la sentées par le Document sur la fraternité humaine ces dernières décennies ont eu pour la vie de mil- justice et la paix semble une utopie d’un autre pour la paix mondiale et la coexistence commune, lions d’innocents, le Pape rappelle qu’il est au- temps». Mais il est nécessaire de revenir au rêve signé le 4 février 2019 à Abou Dhabi avec le j o u rd ’hui très difficile de maintenir les critères ra- et surtout de réaliser ce rêve ensemble. Avant grand imam d’Al-Azhar, Ahmad Al-Tayyeb. A tionnels mûris au cours des autres siècles pour qu’il ne soit trop tard. partir de cette déclaration commune, qui consti- tue un pierre milliaire dans le dialogue entre les religions, le Pape réitère son appel à adopter le dialogue comme moyen, la collaboration commu- ne comme conduite et la connaissance mutuelle Synthèse de l’encyclique «Fratres omnes» comme méthode et critère. Il serait toutefois réducteur de reléguer la nou- velle encyclique uniquement à la sphère du dialo- SUITE DE LA PA G E 4 particulier une réflexion sur le rôle de l’Eglise: gue interreligieux. Le message de Fratelli tutti elle ne doit pas reléguer sa mission dans la concerne chacun d’entre nous. Et il contient éga- le Pape (263-269). Est également rappelée la sphère privée, et sans pour autant faire de la lement des pages éclairantes sur l’engagement so- nécessité de respecter «la sacralité de la vie» politique, elle ne renonce pas à la dimension cial et politique. Il peut sembler paradoxal que ce (283), là où aujourd’hui «certaines parties de politique de l’existence, à l’attention au bien soit l’Evêque de Rome, voix dans le désert, qui l’humanité semblent dignes d’être sacrifiées», com- commun et à la préoccupation pour le déve- relance aujourd’hui le projet de la bonne poli- me les enfants en gestation, les pauvres, les tique. Une politique capable de reprendre son loppement humain intégral, selon les principes porteurs de handicap, les personnes âgées (18). propre rôle, trop longtemps confié à la finance et évangéliques (276-278). Dans le huitième et dernier chapitre, le Pape à la fable des marchés qui produiraient du bien- Enfin, François cite le Document sur la fra- être pour tous sans avoir besoin d’être gouvernés. s’arrête sur «Les religions au service de la frater- ternité humaine pour la paix mondiale et la Un chapitre entier est consacré à l’action poli- nité dans le monde» et rappelle que le terroris- coexistence commune, signé par lui le 4 février tique vécue comme un service et un témoignage me n’est pas dû à la religion, mais à des inter- 2019 à Abou Dhabi, avec le grand imam d’Al- de charité, qui se nourrit de grands idéaux et de prétations erronées des textes religieux, ainsi Azhar, Ahmed Al-Tayyeb: de cette pierre mil- projets pour demain en pensant non pas au petit qu’à des politiques de faim, de pauvreté, d’in- liaire du dialogue interreligieux, le Pape re- gain électoral mais au bien commun et surtout à justice, d’oppression (282-283). Un chemin de prend l’appel afin qu’au nom de la fraternité l’avenir des nouvelles générations. Encore une paix entre les religions est donc possible. Il est humaine, on adopte le dialogue comme voie, fois, à un moment où de nombreux pays ferment nécessaire pour cela de garantir la liberté reli- la collaboration commune comme conduite la leurs portes, c’est précisément le Pape qui formule gieuse, un droit humain fondamental pour connaissance réciproque comme méthode et l’invitation à ne pas perdre confiance dans les or- tous les croyants (279). L’encyclique mène en critère (285).

Introduction à la Lettre apostolique «Scripturae Sacrae affectus»

SUITE DE LA PA G E 10 me une belle infidèle, belle, oui, mais avec un de- Mère qui «méditait dans son cœur» (Luc 2, 19.51) gré d’infidélité par rapport à la matrice originelle, «parce qu’elle était sainte et avait lu les Saintes les révisions effectuées par divers personnages, surtout quand il s’agit de systèmes linguistiques et Ecritures, elle connaissait les prophètes et se rap- comme par exemple saint Pier Damiani et Lan- culturels différents. Il procédait dans le sillage du pelait ce que l’ange Gabriel lui avait annoncé et franco de Pavie au XIe siècle. Le texte le plus dif- grand Cervantes, l’auteur de Don Quichotte, con- ce qui avait été prédit par les prophètes». Un trait fusé qui poursuivra son chemin dans les siècles vaincu que chaque version était comme le revers généralement moins souligné et que le Pape Fran- suivants jusqu’à la Renaissance, fut celui de celle toujours enchevêtré d’une belle tapisserie. Les çois développe en revanche est celui du lien du qu’on appelle la Biblia Parisiensis, utilisée à l’uni- problèmes que soulèvent la traduction d’un texte saint avec la Chaire de Pierre. En outre, dans ce versité de Paris, mais cependant l’une des formes ne sont pas, en effet, seulement linguistiques et Père de l’Eglise domine cet axe christologique qui les moins parfaites de la longue vie de la Vu l g a t e . littéraires, mais herméneutiques, en particulier guidera non seulement sa foi mais également son Ce ne fut que pendant le Concile de Trente, quand il s’agit d’une Ecriture «sacrée». Toutefois, exégèse. On applique en effet à sa figure ce qu’il après qu’ait été affirmée «l’authenticité» de la Jérôme reste aujourd’hui encore, précisément dans écrivait lui-même à propos de son ami Népotien: Vulgate comme texte officiel de l’Eglise catholique ce sens, un emblème de mérite et de méthode, «Avec la lecture assidue et la méditation constan- (8 avril 1546) — sur la valeur spécifique de laquel- avec sa rigueur et sa liberté, avec sa connaissance te, il avait fait de son cœur une bibliothèque du le la Lettre apostolique offre une indication essen- et sa créativité. Christ». tielle et ponctuelle —, que s’exprima le vote pour Mais le Pape, dépassant les questions stricte- Ce préambule — consacré à un texte vraiment une «édition typique» plus rigoureuse. Le souhait ment critiques et presque en musique de fond de lumineux comme le sont ces pages consacrées par des Pères conciliaires ne se réalisa que le 9 no- tout le texte, oriente la communauté ecclésiale, en le Pape François à un Père de l’Eglise au tempé- vembre 1592, après des épisodes tourmentés cette célébration pluricentenaire, à recueillir l’héri- rament ardent et même provocateur, mais égale- qui concernèrent bien cinq Papes (Pie I V, Pie V, tage substantiel de saint Jérôme, c’e s t - à - d i re ment à la foi limpide et chaleureuse comme l’a été Sixte V, Grégoire X I V, Clément VIII). Fut alors pu- l’amour fait d’étude et d’adhésion vitale à la Paro- saint Jérôme — pourrait facilement avoir un sceau bliée l’édition définitive, sous le titre de Biblia Sa- le de Dieu. Il s’agit d’un thème constamment dans le même document pontifical. La synthèse cra Vulgatae editionis Sixti Quinti Pont. iussu reco- exalté par le Magistère ecclésial. En particulier, finale, en effet, est à chercher dans l’appel qui gnita atque edita. Dans l’édition de Lyon de 1604 apparaissent les attestations du Concile Vatican II conclut la Lettre. Reprenant l’image qui vient s’ajouta également le nom de Clément VIII et, à avec Dei Verbum, l’exhortation apostolique Ve r b u m d’être proposée de la «bibliothèque du Christ», le partir de ce moment, on parla de «Bible sixto-clé- Domini que Benoît XVI a publiée précisément le Pape nous rappelle que celle de Jérôme est une mentine». Les révisions furent incessantes au jour de la mémoire du saint, le 30 septembre bibliothèque vivante qui «continue à nous ensei- cours des siècles suivants, jusqu’à la proposition 2010, Evangelii Gaudium et Aperuit illis du Pape gner ce que signifie l’amour du Christ, un amour particulière de la Néovulgate promulguée par saint François lui-même, et l’on ne peut pas non plus qui est indissociable de la rencontre avec sa Paro- Jean-Paul II en 1979 et citée explicitement dans la oublier qu’en parallèle du XVe centenaire de la le. C’est pourquoi le centenaire actuel représente L e t t re . mort de Jérôme, en 1920, Benoît XV p ro m u l g u a un appel à aimer ce que Jérôme aima, en redé- Le fait est que, malgré la différence des épo- l’encyclique Spiritus Paraclitus. En effet, «le carac- couvrant ses écrits et en nous laissant toucher par ques, la Vu l g a t e exerce encore aujourd’hui une fas- tère particulier de la figure spirituelle de saint Jé- l’impact d’une spiritualité qui peut être décrite, cination littéraire qui ne fait aucun doute, égale- rôme demeure sans aucun doute son amour pas- dans son noyau le plus vital, comme le désir in- ment en raison de son utilisation dans l’h i s t o i re sionné pour la Parole de Dieu, transmise à l’Egli- quiet et passionné d’une connaissance plus grande de l’art et de la musique. En outre, comme nous se dans l’Ecriture Sainte». du Dieu de la Révélation. Comment ne pas écou- le disions, celle-ci a conditionné d’une certaine D’autres caractéristiques ressortent des pages de ter, dans notre aujourd’hui, ce à quoi Jérôme inci- manière la pensée et le vocabulaire théologique. la Lettre apostolique. En particulier son engage- tait sans cesse ses contemporains: “Lis souvent les Or, le spécialiste français Georges Mounin ironi- ment théorique et pratique pour la vie monas- Divines Ecritures; et même, que tes mains ne dé- sait en définissant chaque bonne traduction com- tique, ainsi que son vif amour pour la Vierge posent jamais le livre sacré”?». page 12 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 6 octobre 2020, numéro 40

L’urgence de réfléchir pour récupérer la dignité humaine

SUITE DE LA PA G E 1 décisif des religions «au service de la fraternité dans le monde» (chap. 8). Un texte donc très riche qui contraint le lecteur à s’arrêter et à lire avec attention pour réfléchir, méditer et donc, enfin, agir. Dans ce journal, à partir des prochains jours et du texte tout entier avec ses huit chapitres seront offertes au lecteur des clés de lecture de façon à l’approfondir en instaurant un processus de connaissance non su- perficiel ou émotionnel. A présent, nous nous contenterons d’une première réflexion simple, presque une impression, sur le thème de la digni- té, l’un des mots les plus récurrents de l’ency- clique, en examinant un seul passage, le point 68 du texte, tiré du second chapitre, celui où le Saint-Père s’arrête sur le texte de l’évangile de Le Pape François à Assise Luc, consacré à la parabole du Bon Samaritain. Le chapitre s’intitule «un étranger sur le chemin» et commence par une véritable exégèse des paro- dignité humaine, la sienne et celle des autres. Le un processus qui coordonne les divers moyens, en les de Jésus qui permet au Pape de réfléchir avec Pape nous dit que demeurer fidèles à soi-même, à exaltant la particularité de chacun. La logique est, le lecteur sur le fait que l’aide apportée par le sa- la «caractéristique essentielle de l’être humain», pour reprendre les paroles du Pape François tirées maritain «nous révèle une caractéristique essen- est absolument nécessaire aujourd’hui pour resti- également de cette dernière encyclique, celle de la tielle de l’être humain, si souvent oubliée: nous tuer à l’homme sa dignité, bien aussi précieux que perspective plus ample et complexe qui ressort de avons été créés pour une plénitude qui n’est at- fragile qui doit être gardé et alimenté chaque jour, la figure du polyèdre qui «n’est ni la sphère glo- teinte que dans l’amour. Vivre dans l’i n d i f f é re n c e en chaque lieu, toujours. bale, qui annihile, ni la partialité isolée, qui rend face à la douleur n’est pas une option possible; stérile», mais qui est précisément «le polyèdre où, nous ne pouvons laisser personne rester “en mar- *** en même temps que chacun est respecté dans sa ge de la vie”. Cela devrait nous indigner au point Dimanche matin, place Saint-Pierre, il y a eu valeur, “le tout est plus que la partie, et plus aussi de nous faire perdre la sérénité, parce que nous une belle fête populaire au moment de l’Angelus, que la simple somme de celles-ci”». aurions été perturbés par la souffrance humaine. une double fête pour la rédaction de «L’O sserva- Enfin, l’espérance. Ici aussi, les paroles du Pa- C’est cela la dignité!». tore Romano» qui enfin, après un lockdown de pe peuvent servir à jeter une lumière. En parlant Ce sont des paroles bouleversantes qui bouscu- six mois, qui a empêché l’imprimerie, le journal à la revue belge «Tertio», le 18 septembre dernier, lent notre idée de dignité. Nous associons sou- quotidien italien, est de nouveau imprimé égale- le Pape Bergoglio a affirmé que: «Le profession- vent la dignité à la froideur, à l’impassibilité, on ment sur papier, dans un nouveau format et une nel chrétien de l’information doit donc être un dit d’un homme qu’il «n’a pas perdu sa dignité» nouvelle mise en page. Ce n’est pas un simple porteur d’espérance et de confiance en l’a v e n i r. parce qu’il est resté calme et qu’il n’a pas laissé «retour» au papier, mais l’accomplissement d’un Car c'est seulement lorsque l'avenir est assumé en transparaître ses sentiments de colère ou de souf- projet de réforme parti de très loin. Un quotidien, tant que réalité positive et possible que le présent également pour des raisons étymologiques, ne france. Au contraire, ici, le Pape va plus loin et devient aussi vivable». Pour être porte-parole peut manquer de «se mettre à jour», surtout s’il nous présente un autre visage, paradoxal, de la d’espérance, le chrétien doit chercher «une vision dignité: il faut «perdre» la sérénité, il faut perdre s’agit d’un journal international qui sort en sept positive des personnes et des faits, tout en reje- son sang-froid pour «être perturbés» par la souf- langues et atteint ses lecteurs sur les cinq conti- tant les préjugés» pour «favoriser une culture de france des autres. La dignité est quelque chose de nents de la planète. la rencontre grâce à laquelle il est possible d’ap- chaud, de physique, de viscéral. Comme la miséri- La mise à jour prévoit un renouveau graphique corde, protagoniste de la parabole, qui est quel- et dans les contenus afin d’offrir au lecteur davan- préhender la réalité en toute confiance». «L’O s- que chose qui a à voir avec les viscères (rachamin tage d’approfondissements. Tel est le terme, «ap- servatore Romano» fait siennes ces paroles du Pa- est le terme qui, en hébreu, indique aussi bien la profondir», cher à saint Paul VI, qui a inspiré le pe et s’engage à raconter les histoires d’au- miséricorde que les viscères). C’est précisément de projet du «nouvel» Osservatore Romano. Le jour- j o u rd ’hui et d’hier (l’histoire de l’Eglise est tou- là qu’il faut partir, du geste viscéral du bon sama- nal quotidien italien a un format légèrement plus jours contemporaine) avec un regard positif, tour- ritain qui ne fait que s’arrêter, à l’inverse des au- petit que le précédent, ce qui signifie une aug- né vers l’avenir. Une approche professionnelle qui tres personnages, probablement pris par la hâte; mentation du nombre de pages, qui deviennent repose donc sur l’imagination et la créativité qui dans un monde qui court sans cesse, la voix du 12, chaque jour. Sur celles-ci, les quatre pages cherche à donner une voix à ceux qui n’en ont Pape est une voix qui demande, supplie avec ur- centrales deviendront un supplément détachable pas, pour raconter le bien qui silencieusement se gence de s’arrêter afin de récupérer le sens de la sur un thème précis: le mardi après-midi «Quat- fait chemin, illuminer l’espérance qui fleurit aussi tropagine», l’hebdomadaire culturel; le dans les situations les plus dramatiques, faire en- mercredi après-midi «Religio», consacré tendre le cri et les attentes des derniers et des re- à l’Eglise comme hôpital de campagne jetés qui souvent, ont du mal à trouver une place en chemin sur les routes du monde dans dans le flux des nouvelles quotidiennes. Précisé- lequel elle rencontre les autres religions; ment en ce temps si accéléré où le rythme fréné- le jeudi après-midi «La settimana di tique des informations semble nous submerger, Francesco», pour fixer les paroles et les nous avons besoin de nous arrêter pour réfléchir gestes du Pape; le vendredi après-midi et voir ainsi dans et au-delà de la nouvelle pour «Atlante», hebdomadaire d’information comprendre, en nous laissant surprendre par la internationale qui rapporte les chroni- réalité, nous remettre en question, nous émouvoir. ques d’un univers mondialisé. Ce n’est que si nous réussissons à rompre le flux Deux mots-clé peuvent illustrer le de l’activisme qui risque de nous étourdir et d’en- sens de ce projet de mise à jour et de gourdir notre sensibilité, que nous pourrons faire renouveau: intégration et espérance. comme le Bon Samaritain, comprendre qu’il y a Avec la première, on fait référence à un un étranger le long de la route, mais que si nous double rapport: celui entre journal pa- nous approchons, il cesse d’être un étranger et de- pier et journal numérique et celui relatif vient notre semblable et, à la fin, un ami. Autre- à l’intégration de «L’Osservatore Roma- ment, nous risquons de faire comme les deux dis- no» dans le système des médias vati- ciples pèlerins d’Emmaüs, qui rencontrent un cans. La période de suspension due à la «étranger» le long du chemin et ne se rendent pandémie a provoqué un puissant élan pas compte que c’est Jésus. Ils savent tout de la vers le développement du journal dans le monde numérique qui fait que le nouvelle du jour, sont «informés», mais ne réus- quotidien est aujourd’hui disponible sur sissent pas à en saisir le sens. C’est là que réside internet (www.osservatoreromano.va) le défi d’un journal comme «L’Osservatore Ro- grâce à la nouvelle App, qui peut être mano» qui est «étranger» parce qu’il vit dans ce téléchargée gratuitement sur AppStore monde, mais le regarde et le juge non seulement et sur PlayStore. D’autre part, le jour- avec les logiques mondaines, mais également avec nal, fondé en juillet 1861, pendant plu- un regard qui «n’est pas de ce monde». Un ob- sieurs décennies l’unique moyen de jectif important donc: élargir la perspective avec communication du Saint-Siège, est au- laquelle on observe le monde, en offrant la j o u rd ’hui entouré d’une série d’a u t re s perspective que l’on voit de Rome, du cœur de la mass-media, à commencer par Radio catholicité, en essayant de toucher l’esprit et le Le directeur de «L’Osservatore Romano», Andrea Monda, Vatican et par le portail internet Vatican cœur des lecteurs à travers une communication sur la place Saint-Pierre avec la nouvelle édition du quotidien italien News et s’intègre avec ces derniers en curieuse, honnête, ouverte. numéro 40, mardi 6 octobre 2020 L’OSSERVATORE ROMANO page 13

Amy-Jill Levine relit l’Evangile du point de vue hébraïque Les paraboles ne sont pas des fables

SERGIO VALZANIA turel dans lequel ils étaient plongés. Tous les apôtres étaient eux aussi juifs et c’est au do- Dans son très récent ouvrage Le Parabole di maine hébraïque qu’appartient toute la tradi- Gesù, i racconti enigmatici di un rabbi controver- tion des écritures néo-testamentaires. Aller à so [Les paraboles de Jésus, les récits énigmati- la recherche, à l’intérieur de celles-ci, d’allégo- ques d’un rabbi controversé] (Cantalupa, Ef- ries qui condamnent les normes de pureté fatà editrice, 2020, 384pp, 18,00 euros) Amy- israélite ou qui présentent la bonne nouvelle Jill Levine définit comme des «perles de la sa- comme une doctrine qui s’oppose à l’ensei- gesse hébraïque» les paraboles avec lesquelles gnement biblique représente une exagération Jésus avait l’habitude d’argumenter, face aux et, dans de nombreux cas, risque de cacher le foules et dans des occasions plus intimes. Cet- vrai sens des paraboles elles-mêmes. te spécialiste, juive orthodoxe et depuis 2019 L’homilétique en offre souvent une explica- visiting professor à l’Institut pontifical bi- tion angéliste, consolatrice, simpliste, qui at- blique, ajoute que «si nous les écoutons dans tribue des rôles obligés aux protagonistes et leur contexte original, elles brillent d’une lu- finit par gratifier les auditeurs et les rassurer mière qui ne peut pas rester cachée». dans leurs comportements tièdes. Ce n’était Le point de vue de Amy-Jill Levine à certainement pas l’intention de Jésus, soutient l’égard de l’interprétation des récits didacti- Amy-Jill Levine. Les paraboles ne sont pas ques de Jésus est très direct. Elle considère des fables avec une fin heureuse, dans lesquel- tout d’abord que celle-ci doit être libérée des les il est simple reconnaître les bons et les mé- lourdes incrustations d’anti-judaïsme qui l’ont chants et où s’identifier avec les premiers est Une page du célèbre «Haggadah de Sarajevo» (XIVe siècle) caractérisée trop longtemps. Jésus était un juif presque automatique. Les choses sont bien fidèle à sa tradition religieuse qui parlait à des différentes. Le texte évangélique souligne plu- juifs, en respectant le contexte également cul- sieurs fois l’intention provocatrice de la prédi- connaître de passages critiques, mais plutôt le cation de Jésus, la perplexité générale même fils aîné, à l’égard duquel l’inattention pater- chez les disciples, la volonté qui lui appartient nelle apparaît évidente. d’aider ceux qui l’écoutent à mettre en discus- Les paraboles, insiste Amy-Jill Levine, ne sion leur manière d’agir, à se convertir, à ac- sont pas des allégories, des représentations cueillir un message fondé sur l’amour de ma- simplifiées de réalités de niveau théologique. nière cohérente avec l’enseignement biblique. Celles-ci se réfèrent presque toujours aux si- Du reste, commente l’auteure, c’est précisé- tuations, aux choses et aux personnes qu’elles ment la capacité de représenter la complexité décrivent. Les monnaies sont des monnaies, de la vie, dans toute sa richesse, qui rend pré- les brebis sont des brebis et les pères sont des cieuse la prédication de Jésus et les paraboles pères. Avec les problèmes familiaux consé- qui en font partie, et, pour une croyante com- quents que cela comporte, avec les préférences me elle, cela contribue à expliquer la raison au sein de la fratrie, les négligences et les in- du succès extraordinaire qu’elles ont eu. Pour comprendre le sens des paraboles compréhensions que l’habitude crée parfois et évangéliques, il est nécessaire de posséder une avec lesquelles nous devons combattre. Jésus connaissance de la société hébraïque des pre- rappelle la nécessité d’être attentif aux autres, de manière continue. Un nouvel institut à Paris mières décennies du millénaire, non condi- tionnée par l’anti-judaïsme qui se trouve à la base de la théologie de remplacement, désor- Mieux connaître mais dépassée et abandonnée, qui imaginait le peuple juif comme déicide, privé du pacte les chrétiens d’O rient étroit avec Dieu et remplacé dans celui-ci par la chrétienté. Dans son livre, Amy-Jill Levine affronte e ré c i t Mieux faire connaître les chrétiens d’orient et une dizaine de paraboles, du Fils prodigue EM O TD EL’ANNÉE agir en leur faveur: telle est la double mission aux Ouvriers dans la vigne et elle s’engage à académique et diplomatique du nouvel Insti- les relire au-delà des simplifications, et parfois tut des chrétiens d’orient, qui a ouvert ses des véritables mystifications, qui en ont condi- er l portes jeudi 1 octobre à Paris. tionné la lecture au cours des siècles. Des cours semestriels, des rencontres, des La technique apparaît évidente dès l’a p p ro - Même la célèbre confrontation entre le pha- séminaires et des universités d’été sur la géo- che d’«Un homme avait deux fils…», l’incipit risien et le publicain dans le Temple, le pre- politique des chrétiens d’orient, la patrologie de la parabole du Fils prodigue. Pour des au- mier remerciant pour la vie de dévotion, mê- orientale ou encore la pensée chrétienne au diteurs juifs, il ne s’agit pas de paroles quel- me excessive, que Dieu lui permet de faire et Liban en seront quelques thèmes phares. Des conques, avertit l’auteure. Dans la Bible, il le deuxième déclarant sa petitesse humaine, enseignements destinés tant aux néophytes s’agit d’une situation récurrente dont l’évo ca- demande une considération plus approfondie. qu’aux plus aguerris, tant aux particuliers tion suscite immédiatement une multitudes de Amy-Jill Levine suggère même une réflexion qu’aux décideurs — ONG, diplomates, entrepri- rappels d’autres couples de frères: Caïn et sur la signification à attribuer à la préposition ses, cette nouvelle structure se présentant aus- Abel, Ismaël et , Esaü et , Manasse grecque p a ra , généralement traduite dans le fi- si comme «un lieu d’influence» en faveur de et Ephraïm. A l’intérieur de chacune de ces nal de la parabole au sens oppositif: «Celui- la défense des chrétiens d’orient. familles les rapports sont tendus, dans un cas là», c’est-à-dire le publicain, «à la différence L’institut, dont le siège est à Paris, 20 rue jusqu’à l’homicide, mais les menaces de mort de l’autre, revint chez lui justifié». En grec, du Regard (VIe), s’inscrit par ailleurs dans une sont présentes également dans d’autres occa- p a ra prend souvent une signification causale. démarche historique bien particulière entre la sions. Le sens serait alors que grâce à l’engagement France et les terres chrétiennes d’orient; des Dans la parabole évangélique le jeu des re- du pharisien, le publicain trouve lui aussi la relations dont les racines remontent aux Croi- lations entre les protagonistes n’est également justification. L’attente d’un salut collectif, qui sades et ont été développées au XVIe siècle. pas linéaire, soutient Amy-Jill Levine: le sché- comme le dit saint Paul embrasse toute la Ces liens pluriséculaires ne se rapportent pas ma père-Dieu, fils mineur-païens, fils aîné- création, fait partie de la foi hébraïque et de qu’à la dimension religieuse, mais touchent peuple juif, n’est pas applicable dans le con- celle-ci passe à la foi chrétienne, en particulier aussi à l’enjeu humain et civilisationnel, esti- texte de la prédication de Jésus. Le repentir catholique. L’intercession, la distribution de la me le directeur de l’institut, Antoine Fleyfel même du Fils prodigue apparaît discutable, grâce accordée, est propre à cette tradition. ( w w w. i n s t i t u t c h re t i e n s d o r i e n t . c o m ) . alors que les raisons du fils aîné, que person- De nombreux aspects des paraboles peuvent La tradition est ancienne: «N’oublions pas ne n’a pris la peine d’aller appeler dans les être repensés et approfondis, avec l’aide pré- la présence au XVIIe et XVIIIe siècles de savants champs pour participer à la fête organisée par cieuse d’une spécialiste juive, qui met géné- maronites au Collège de France, œuvrant sur le père en l’honneur de son frère, n’apparais- reusement à la disposition de tous ses ré- l’orientalisme et la Bible polyglotte», rappelle sent pas privées de fondements. On peut flexions, attentives et motivées, sur des textes le philosophe théologien franco-libanais (Del- ajouter que le fils perdu n’est pas le jeune, qui proviennent des lieux où est enracinée phine Allaire). dont le rapport avec son père ne semble pas l’histoire de son peuple. page 14 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 6 octobre 2020, numéro 40

Proposition de la part du Vatican de prolonger «ad experimentum» les normes p ro v i s o i re s Saint-Siège et Chine les raisons d’un Accord sur la nomination des évêques

reconnus par les autorités de la République Pape François, après des années de longues ANDREA TORNIELLI populaire de Chine. négociations entamées et poursuivies par ses accord provisoire signé le 22 septem- Le Pape François, dans son «Message aux prédécesseurs, a rétabli la pleine communion bre 2018 entre le Saint-Siège et la Ré- catholiques chinois et à l’Eglise universelle», avec les évêques chinois ordonnés sans man- L’ publique populaire de Chine, concer- en septembre 2018, immédiatement après la si- dat pontifical. Une décision prise après avoir nant la nomination des évêques, est entré en gnature de l’Accord provisoire, a rappelé réfléchi, prié et examiné chaque situation per- vigueur un mois après sa signature, et expire- qu’au cours des dernières décennies, les bles- sonnelle. Le seul but de l’accord provisoire, a ra donc le 22 octobre prochain. Signé à Pé- sures et les divisions au sein de l’Eglise catho- précisé le Souverain Pontife, est de «soutenir kin, il prévoyait une durée de deux ans ad ex- lique en Chine s’étaient polarisées «avant tout et de promouvoir la proclamation de l’Evangi- perimentum, avant une éventuelle confirmation autour de la figure de l’évêque comme gar- le en Chine et de rétablir l’unité pleine et visi- dien de l’authenticité de la foi et garant de la définitive ou autre décision. Le cardinal-secré- ble de l’Eglise». communion ecclésiale». Les interventions des taire d’Etat, , a récemment ex- Les deux premières années ont conduit à de pliqué que l’intention est de proposer une structures politiques dans la vie interne des communautés catholiques ont provoqué nouvelles nominations épiscopales avec l’ac- prolongation de l’accord aux autorités chinoi- l’émergence du phénomène des communautés cord de Rome et certains évêques ont été offi- ses, en continuant à adopter cet accord sous dites «clandestines», qui ont tenté d’échapp er ciellement reconnus par le gouvernement de forme provisoire, «comme cela a été fait au au contrôle de la politique religieuse du gou- Pékin. Les résultats — notamment en raison cours de ces deux premières années, afin de vernement. de la pandémie qui a de fait bloqué les con- vérifier davantage son utilité pour l’Eglise qui Bien conscient des blessures causées à la tacts ces derniers mois — ont été positifs, bien est en Chine». Malgré des lenteurs et les diffi- communion de l’Eglise par les faiblesses et les que limités, et suggèrent de poursuivre cultés, aggravées ces dix derniers mois par la erreurs, mais aussi par les pressions extérieu- l’application de l’accord pendant une autre pandémie, «il me semble qu’une direction a res excessives exercées sur les personnes, le p ério de. été marquée qui mérite d’être poursuivie, ensuite nous verrons», a ainsi déclaré le cardi- nal Parolin. Dès le premier communiqué, publié con- jointement par le Saint-Siège et le gouverne- ment chinois le 22 septembre 2018, la question de l’accord lui-même a été immédiatement bien précisée; il ne concerne pas directement les relations diplomatiques entre le Saint- Siège et la Chine, le statut juridique de l’Egli- se catholique chinoise ou les relations entre le clergé et les autorités du pays. L’accord provi- soire concerne exclusivement le processus de nomination des évêques: une question essen- tielle pour la vie de l’Eglise et pour la com- munion des pasteurs de l’Eglise catholique chinoise avec l’Evêque de Rome et les évêques du monde. L’objectif de l’Accord provisoire n’a donc jamais été simplement diplomatique et encore moins politique, mais a toujours été authentiquement pastoral: il vise à permettre aux fidèles catholiques d’avoir des évêques qui soient en pleine communion avec le Suc- cesseur de Pierre et qui soient en même temps L'église catholique du Saint-Sauveur à Pékin

Quatorzième assemblée plénière de la Commission pontificale pour la protection des mineurs

Le transfert en ligne, à cause de la pandémie, des connaissances dans une série de rencontres wébi- portunité de participer à ce chemin avec les reli- programmes d’assistance, d’étude, de recherche et naires et de séminaires sur le ministère auprès des gieux et les religieuses. d’éducation; les opportunités mais aussi les défis personnes ayant subi des abus, en tenant compte Après la dernière assemblée plénière, le groupe constitués par ces réalités virtuelles et numériques des divers contextes culturels. Le projet pilote des Lignes directrices et normes de sauvegarde, sous la en évolution, ainsi que l’impact du lockdown et Survivor Advisory Panels locaux a été fortement af- direction du CPPM, a tenu un séminaire sur le des temps de quarantaines, en particulier sur les fecté par l’impact de la pandémie, mais des fruits thème: «Promouvoir et protéger la dignité des mineurs et les personnes ayant subi des abus: tels sont en train d’apparaître: par exemple le comité personnes dans les accusations d’abus sur les mi- sont les principaux thèmes qui ont été traités au au Brésil a favorisé la création d’un bureau qui neurs et les adultes vulnérables: trouver un équili- cours de la quatorzième assemblée plénière de la sert de task force à la Commission spéciale de bre entre confidentialité, transparence et responsa- Commission pontificale pour la protection des protection pour la mise en œuvre de Vos estis lux bilité». En remerciant les membres des divers di- mineurs (CPPM), qui s’est déroulée du 16 au 18 mundi. castères de la Curie romaine et les experts dans septembre. C’est ce qu’annonce un communiqué Le groupe Education et formation a examiné les les diverses disciplines canoniques dans le monde de la CPPM, qui s’est réuni en partie en personne résultats de la récente série de rencontres wébinai- qui ont apporté leur contribution au débat sur les et en partie en ligne, compte tenu des interrup- res sur le thème «Protéger les enfants et les per- questions de procédures relatives au sacrement de tions indéfinies et prolongées imposées par l’ur- sonnes vulnérables en période de covid-19», qui la réconciliation, aux processus canoniques et aux gence du covid-19 à son travail sur le terrain avec s’est tenue en collaboration avec l’UISG, le C e n t re questions de jurisprudence, le CPPM se réjouit de les Eglises locales en vue d’affronter le manque for Child Protection et le Telefono Azzurro, auquel la publication des études présentées en anglais ou potentiel de protection face auquel pourraient se ont pris part des personnes dirigeant des congré- en italien sur «Periodica», la revue de droit cano- trouver les mineurs et les adultes vulnérables, gations, le personnel qui accomplit un ministère nique de l’université pontificale grégorienne. dans la conscience du mandat important qui lui a pastoral dans le domaine de la protection, des En ce qui concerne le Va d e m e c u m diffusé par la été confiée par le Pape François en mars 2014. formateurs, éducateurs et représentants des pro- Congrégation pour la doctrine de la foi le 16 juil- Le groupe Travail avec les survivants a tenu des fessions médicales et de l’assistance sociale. let dernier, le CPPM a souligné qu’il contribue à rencontres virtuelles avec des victimes d’abus, des Le CPPM a en outre accueilli favorablement la renforcer l’administration de la justice et clarifie membres de leurs familles et des professionnels et création de la Commission commune de l’UISG- mieux comment écouter le témoignage des per- oriente à présent ses efforts en vue d’intégrer ces USG pour le soin et la protection, et apprécie l’op- sonnes ayant subi des abus. numéro 40, mardi 6 octobre 2020 L’OSSERVATORE ROMANO page 15

Audiences Curie Rencontre entre le cardinal Parolin p ontificales ro m a i n e et le secrétaire d’Etat américain

Le Saint-Père a reçu en audience: Nominations Répondant aux questions des journalistes, le directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, , a évoqué la rencontre qui s’est déroulée au Vatican le jeudi 1er octobre entre le secrétaire d’Etat américain, Mike Pom- 24 septembre Le Saint-Père a nommé: peo, et le cardinal-secrétaire d’Etat, Pietro Parolin, accompagné de Mgr S.E. Mme EUNISIS VÁSQUEZ Gallagher, secrétaire pour les relations entre les Etats, déclarant qu’au AC O S TA , ambassadrice de la Répu- 25 septembre cours des entretiens, «les parties ont présenté leurs positions respectives blique dominicaine, à l’o ccasion concernant les relations avec la République populaire de Chine, dans une le professeur JÜRGEN KNOBLICH, de la présentation de ses Lettres directeur scientifique de l’«Institu- atmosphère de respect, détendue et cordiale. Il a été question en outre de de Créance. te of Molecular Biotechnology» certaines zones de conflit et de crise, en particulier le Caucase, le Moyen- Orient et la Méditerranée orientale. La rencontre a duré 45 minutes». Leurs Excellences NN.SS.: (IMBA) à Vienne (Autriche): mem- bre ordinaire de l’Académie ponti- — GIACOMO MORANDI, arche- ficale des sciences. vêque titulaire de Cerveteri, secré- taire de la Congrégation pour la Né le 24 octobre 1963 à Mem- doctrine de la foi; mingen, en Allemagne, il est spé- Communiqué de la Salle de presse cialisé dans le secteur des mécanis- — WALDEMAR STA N I S ŁAW SOM- mes moléculaires du développe- du Saint-Siège M E R TA G , archevêque titulaire de ment du cerveau humain et sur les Maastricht, nonce apostolique au maladies qui y sont liées. Depuis Le 30 septembre a commencé au Vatican la visite, concordée en 2019, de Nicaragua. 2018, il est directeur scientifique de l’Institute of Molecular Biote- l’équipe du comité d’experts du Conseil de l’Europe sur l’évaluation des chnology (IMBA) de l’Académie mesures de lutte contre le recyclage et le financement du terrorisme, dans 25 septembre autrichienne des sciences. le cadre du cinquième cycle d’évaluations («Fifth Evaluation Round»), S.E. M. ANDRZEJ DUDA, président auxquelles sont progressivement soumises toutes les juridictions adhérant de la République de Pologne, avec au Groupe Moneyval. 26 septembre sa suite. Cette phase d’évaluation a pour principal objet d’intérêt l’efficacité des le professeur DAV I D CHARLES instruments législatifs et organisatifs adoptés ces dernières années par les S.Em. le cardinal SA LVAT O R E DE BAU L C O M B E , professeur de bota- juridictions pour prévenir le recyclage et le financement du terrorisme. GIORGI, archevêque émérite de nique à l’université de Cambridge Palerme (Italie). L’évaluation actuelle concernant le Saint-Siège s’inscrit dans le cadre de (Grande- Bretagne): membre ordi- l’évolution naturelle d’un processus qui a commencé par la première visite naire de l’Académie pontificale 27 septembre sur place en 2012 et l’adoption successive du rapport d’évaluation mutuelle des sciences. du 4 juillet 2012 et elle s’est poursuivie par le premier rapport sur les pro- Sa Sainteté KAREKINE II, patriar- Né le 7 avril 1952 à Solihull grès du 9 décembre 2013, par le deuxième rapport sur les progrès du 8 dé- che suprême et catholicos de tous (Grande-Bretagne), il s’est spécia- cembre 2015 et par le troisième rapport sur les progrès du 6 décembre 2017. les Arméniens, avec sa suite. lisé dans la régulation génétique. Depuis 2017 il est professeur de re- 28 septembre cherche à la Royal Society et pro- S.Em. le cardinal MARC OU E L L E T, fesseur de botanique au départe- préfet de la Congrégation pour les ment des sciences des plantes de Collège épiscopal évêques. l’université de Cambridge. S.E. Mme ALEXANDRA VALKEN- Nominations 19 mars 2001, pour le clergé du dio- BURG-ROELOFS, ambassadrice, cèse d’U ru a ç u . chef de délégation de l’Union eu- Démission ropéenne, à l’occasion de la Le Saint-Père a nommé: 24 septembre présentation de ses Lettres de Le Saint-Père a accepté la démis- Créance. sion de: 23 septembre le père MARCIAL HUMBERTO GUZ- MÁN SABALLOS, du clergé du dio- Leurs Excellences NN.SS.: RANCISCO G A M E N I LT O N le père F A cèse de Granada (Nicaragua), jus- 24 septembre DAMASCENA, du clergé du diocèse — GI O VA N N I D’AN I E L L O, arche- qu’à présent chancelier diocésain et d’Uruaçu (Brésil): évêque du dio- vêque titulaire de Paestum, nonce S.Em. le cardinal GI O VA N N I AN- recteur du sanctuaire national de cèse de Rubiataba-Mozarlândia apostolique en Fédération russe; GELO BE C C I U, qui avait demandé Jesús del Rescate à Popoyuapa (Ni- (Brésil). à être relevé de la charge de préfet caragua): évêque de Juigalpa (Nica- — FRANCISCO M. PADILLA, ar- de la Congrégation pour les cau- Né le 26 juin 1975 à Currais No- ragua). chevêque titulaire de Nebbio, non- ses des saints, et des droits liés au vos, Etat de Rio Grande do Norte Né le 15 février 1965 à Tola, dio- ce apostolique au Guatémala. c a rd i n a l a t . (Brésil), il a été ordonné prêtre le cèse de Granada (Nicaragua), il a été ordonné prêtre le 4 décembre 1993, pour le clergé de Granada. Représentation Gouvernorat Envoyé spécial p ontificale de l’Etat de la Démissions Le Saint-Père a nommé: Cité du Vatican Le Saint-Père a accepté la démis- sion de: Nomination 26 septembre Le Saint-Père a nommé: S.Em. le cardinal DOMINIQUE 25 septembre Le Saint-Père a nommé: MAMBERTI, préfet du S.Exc. Mgr JEBAMALAI SUSAIMA- 28 septembre suprême de la signature aposto- lique: envoyé spécial pour prési- N I C KA M , qui avait demandé à être 28 septembre relevé de la charge pastorale du dio- M. GIANLUCA PERONE, professeur der la célébration de la Messe cèse de Sivagangai (Inde). S.Exc. Mgr CHARLES JOHN de droit commercial à l’université qui se tiendra le 28 novembre BROWN, archevêque titulaire des études de Rome «Tor Verga- 2020, dans la basilique Koekel- S.Exc. Mgr JEAN-CL AU D E BOU- d’Aquileia, jusqu’à présent nonce ta»: promoteur de justice «appli- berg à Bruxelles, à l’occasion du CHARD, O.M.I, qui avait demandé à apostolique en Albanie: nonce cato» du Tribunal de l’Etat de la 150e anniversaire de la fondation être relevé de la charge pastorale du apostolique aux Philippines. Cité du Vatican. de l’Association Pro Petri Sede. diocèse de Pala (Tchad).

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Message du Pape pour l’ouverture de l’assemblée plénière du Conseil des conférences épiscopales d’Europ e Les nouvelles pauvretés exigent une imagination courageuse de la charité

Face aux «nouvelles pauvretés» provoquées par dents des conférences épis- la crise, il et nécessaire de donner vie à une copales européennes, en «imagination de la charité» courageuse, en les assurant de ma proxi- manifestant «toujours plus une proximité mité spirituelle. Je désire attentive et généreuse aux plus faibles». C’est ce exprimer ma satisfaction que recommande le Pape François, dans son pour le thème choisi: message envoyé le 25 septembre aux participants «L’Eglise en Europe après à l’assemblée plénière du Conseil des conférences la pandémie. Perspectives épiscopales d’Europe, qui se déroule en ligne pour la création et pour jusqu’au dimanche 27 sur le thème: «L’Eglise en les communautés», et je Europe après la pandémie. Perspectives pour la souhaite que votre rencon- création et pour les communautés». tre puisse offrir une contri- bution significative, en particulier aux communau- tés ecclésiales du continent europ éen. L’expérience de la pan- démie nous a tous profondément marqués, mation chrétienne suspendus, ont poussé de parce qu’elle a attaqué de manière dramatique nombreux prêtres et religieux à identifier des l’une des conditions structurelles de l’existen- voies courageuses de service pastoral, en té- ce, celle de la relationalité entre les personnes moignant leur proximité paternelle et tendre et dans la société, bouleversant ainsi les habi- au peuple. Face à l’explosion de nouvelles tudes et les relations et ont également modifié pauvretés, il est nécessaire que cette imagina- les conditions de vie sociale et économique. tion de la charité se poursuive, en manifestant La vie ecclésiale elle-même a été concernée de toujours plus une proximité attentive et géné- manière significative, obligeant à remoduler la reuse aux plus faibles. pratique religieuse: de nombreuses activités Les communautés chrétiennes sont appelées A Monsieur le cardinal pastorales sont encore dans l’attente de re- à relire spirituellement ce que nous avons vé- ANGELO BAGNASCO trouver un équilibre. cu, afin d’apprendre ce que la vie enseigne et président du Conseil des conférences La mort de nombreuses personnes âgées, de discerner des perspectives pour l’avenir. Il épiscopales d’Europ e les drames des familles prises de surprise par s’agit d’assumer l’attitude du scribe qui extrait A l’occasion de l’assemblée plénière de ce une grande et menaçante douleur, les drames de son trésor des choses nouvelles et des cho- Conseil, en programme à Prague, je suis heu- des enfants et des jeunes enfermés à la mai- ses anciennes (cf. Mt 13, 52). reux d’adresser mon salut cordial aux prési- son, les rites religieux et les parcours de for- Je vous assure de ma prière, afin que, par l’intercession de la Vierge Marie et des saints patrons Benoît, Cyrille et Méthode, les pas- teurs de l’Eglise qui est en Europe puissent communiquer à leurs fidèles toute la certitude Le thème de la prochaine journée mondiale des communications sociales de la foi, selon laquelle, quoi qu’il arrive, rien ne pourra nous séparer de l’amour du Christ «Viens et vois» (cf. Rm 8, 38-39). Alors que je vous demande de prier pour moi, je vous envoie, Monsieur le cardinal, ain- «“Viens et vois” (Jn 1, 46). Communiquer en rencontre là où tu es» peut être un guide si qu’aux autres frères évêques et aux commu- rencontrant les personnes telles qu’elles sont pour ceux qui sont engagés dans le travail des nautés ecclésiales respectives, ma Bénédiction et où elles se trouvent»: tel est le thème, ren- médias où des communications dans l’Eglise. ap ostolique. du public mardi 29 septembre, choisi par le Dans l’appel des premiers disciples, quand Jé- Pape François pour la 55e journée mondiale sus va à leur rencontre et les invite à le suivre, Rome, de Saint-Jean-de-Latran, des communications sociales qui sera célébrée on peut voir également l’invitation à utiliser le 4 septembre 2020 en mai 2021. tous les médias, sous toutes leurs formes, «Viens et vois», les paroles de l’apôtre Phi- pour rejoindre les personnes telles qu’elles lippe, sont centrales dans l’Evangile: avant sont et là où elle vivent. d’être faite de mots, l’annonce chrétienne est faite de regards, de témoignages, d’exp érien- ces, de rencontres, de proximité. En un mot, de vie. Et c’est précisément ces mots, cités dans l’Evangile de Jean (1, 43-46), qui ont été Lettres de Créance de l’ambassadrice choisis par le Pape comme thème du message pour la journée des communications sociales. Voilà la citation évangélique: «Le lende- chef de délégation de l’Union européenne main, Jésus se proposait de partir pour la Ga- lilée; il rencontra Philippe et lui dit: “Suis- Dans la matinée du lundi 28 septem- moi”. Philippe était de Bethsaïde, la ville bre le Pape a reçu en audience d’André et de Pierre. Philippe rencontre Na- Alexandra Valkenburg-Roelofs, nou- thanël et lui dit: “Celui dont il est parlé dans velle ambassadrice, chef de déléga- la Loi de Moïse et dans les prophètes, nous tion de l’Union européenne, à l’o cca- l’avons trouvé! C’est Jésus, le fils de , sion de la présentation de ses Lettres de Nazareth”. “De Nazareth, lui répondit Na- er thanaël, peut-il sortir quelque chose de bon?”. de Créance. Née le 1 juin 1970 à “Viens et vois”, lui dit Philippe». Rheden, aux Pays-Bas, elle est ma- En ce tournant historique actuel, en un riée et a trois enfants. Titulaire d’une temps qui oblige à la distance sociale à cause maîtrise (1993) en études japonaises de la pandémie, la communication peut ren- et d’un doctorat (1995) de l’Erasmus dre possible la proximité nécessaire pour re- University de Rotterdam. Elle a connaître ce qui est essentiel et comprendre exercé les fonctions suivantes: fonc- vraiment le sens des choses. Il n’est pas possi- tionnaire au ministère des affaires étrangères, à la mission permanente auprès des Nations unies à ble de connaître la vérité si l’on n’en fait pas New York et à l’ambassade au Surinam (1996-2009); vice-chef de mission et chef de la coopération l’expérience, si l’on ne rencontre pas les per- pour le développement à l’ambassade au Guatémala (2010-2012); chef de la section des droits hu- sonnes, si l’on ne participe pas à leurs joies et mains et des affaires politiques et juridiques de l’ONU auprès du ministère des affaires étrangères à leurs douleurs. Le vieux dicton «Dieu te (2012-2016); ambassadrice à Cuba et en Jamaïque (2016-2020).