Renault Dossier
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Début 1986… Si une voiture était passée à ce moment-là sur la Nationale, le conducteur aurait certainement vu un mouvement sur le trottoir. La vitesse était limitée à 60 Km/h et le portail assez grand et relativement éloigné des autres habitations situées de chaque coté. Une ou plusieurs voitures d’ailleurs... La circulation vers dix-huit heures quinze n’était jamais nulle même en semaine. Les gens qui rentraient en ville le soir, ceux qui venaient de la Côte Normande, ceux qui traversaient pour aller vers Paris… On ne saura jamais si quelqu’un a tourné la tête, a vu une silhouette dans l’encoignure du porche. En hiver il fait nuit de bonne heure. Un jour de grisaille en plus… Un homme, très probablement car la silhouette ne semblait pas féminine, qui entre dans une propriété sans se cacher, même s’il met un certain temps à trouver la bonne clef, ne laisse pas de trace mnésique ! De ce coté-là donc rien à attendre. Il était venu à pied. Sa voiture, une R25 quasi neuve était garée plus loin. Ceci aurait dû interroger un voisin. Mais dans ce hameau les quelques âmes sur son trajet fermaient les volets dès la nuit tombée. tW[ Le bruit de la route vous savez ! L’ombre était entrée et avait refermé le portail consciencieusement. A l’abri des grands murs et des constructions qui délimitaient la propriété, une lampe de poche s’était allumée. Elle complétait la faible lueur incidente des réverbères extérieurs. Du coup on aurait pu voir subrepticement que c’était effectivement bien un homme. Les rides de son visage permettaient même de lui donner une bonne soixantaine. Le pinceau lumineux s’était dirigé sur sa droite vers un grand bâtiment avec une ouverture à deux amples battants de bois. On discernait une porte dans le plus petit. La lumière s’était arrêtée en plein dessus. La lampe passa dans la main gauche. On aurait pu entendre des tintements métalliques si la main droite qui cherchait la bonne clef dans le trousseau, ne l’avait pas serré contre sa poitrine. La porte s’était ouverte puis refermée sans un bruit. La cour était redevenue pleine de contours obscurs de nouveau immobiles. Le faisceau brillant dessinait des arabesques à hauteur du regard dans le premier hall. On pouvait comme dans un très vieux film dont l’engrènement serait usé, apercevoir fugitivement des casiers plein de carburateurs, puis le noir, puis la seconde d’après des pompes à essence, puis le noir… Plus loin des rayonnages aux murs, renvoyant l’éclat fugitif de roulements et de poignées de portière. Subitement c’était, posés au sol, des morceaux de carrosserie, des portières, des malles, des capots, des ailes... Mais le fantôme sombre abrité derrière sa lueur mouvante ne semblait pas du tout étonné de trouver dans un même lieu autant de pièces détachées provenant uniquement de voitures d’avant guerre. Le rayon jaunâtre se dirigea directement en face, au fond. Il éclairait le passage entre des moteurs entassés pratiquement tW[ jusqu’au toit sur sa gauche et quelques voitures très anciennes à droite. Apparemment la tête de l’individu ne se détournait pas non plus vers ces quelques torpédos poussiéreux. Les battants de la lourde porte roulante qui permettait d’accéder à la deuxième partie de la bâtisse, s’ouvrirent sans bruit ni, vraisemblablement donc, l’aide d’une clef. Pas un regard non plus pour la mezzanine juste devant, ni pour les mêmes empilements des mêmes types de pièces mécaniques. Elles envahissaient tout dégageant juste quelques allées étroites géométriquement disposées. Le rai lumineux s’engagea résolument dans la plus à droite. De chaque coté des ponts, des boites de vitesse, des lames de suspension… Au bout une porte. Une auréole claire se fixa sur la serrure. Nouvelle recherche dans le trousseau. Quelques bruits de métal entrechoqué. Tout-à-fait inaudibles à l’extérieur malgré une certaine résonance sous cette toiture si haute. Un grognement d’impatience, la torche métallique tomba, le son des clefs qu’on secouait, puis l’éclairage qui revint se fixer de nouveau sur la serrure. Le bruit des clefs encore ; la porte restait désespérément close. L’éclat de lumière, ensuite, qui sautait de la serrure au trousseau, du trousseau à la serrure, revint, repartit. Des jurons étouffés… Le cercle blanchâtre finit par se fixer sur la fermeture et n’en bougea plus. Seule la poignée de la porte s’agitait frénétiquement soulevée et rabaissée désespérément par deux mains jointes dans l’effort. Le bruit d’un coup de pied. Un juron. Plusieurs coups de poing. Puis plus rien. tW[ La tache lumineuse se déplaça de nouveau, revint en arrière, survola un bon moment les tas métalliques. Un bras s’avança et saisit un arbre de transmission. On vit juste l’embout cannelé qui s’enfile normalement dans le différentiel d’un pont arrière, prendre de la vitesse et venir s’écraser près du pêne. Le bruit claqua, se répercuta sous la voûte ! A l’intérieur. Dehors avec le vent, la télé allumée… sans oublier les volets fermés… à cause du bruit de la route… La barre en acier recula, reprit de la vitesse et percuta de nouveau le bord de la porte. Et encore… et encore... Les coups atterrissaient parfois à coté sur l’encadrement. La porte ne bronchait pas. Le gros tube métallique devint très rapidement lourd et moins précis. Un coup violent arracha une canalisation électrique et son fourreau de plomb. L’interrupteur se mit à penduler juste accroché tout là-haut dans le noir. Un juron. Une inspiration de la dernière chance à pleine bouche pendant que l’arbre de métal reculait violemment de plusieurs pas. Un bruit énorme ! Des tonnes de pièces métalliques qui se déversèrent par le bord de la mezzanine qui venait de pencher à l’endroit où l’étai heurté s’était effondré. Puis un silence total. Puis un noir total. Dehors les volets restèrent fermés. Aussi à cause du bruit de la route… En s’approchant très très près on aurait pu entendre le vieil homme murmurer : Julien… tW[ 1 ! I 5 b Ç . Un an plus tôt… Une gueule métallique béante quasiment arrêtée au milieu de la chaussée lorsqu’on revient du lycée en fin d’après-midi au volant d’une 4L, c’est très très surprenant. J’abordais le virage à l’orée du bois comme d’habitude. En écoutant Téléphone : Un autre monde , à fond sur le Mini K7 que j’avais fixé sur le bloc chauffage à ma droite. Un petit ampli maison rajouté, deux haut-parleurs fixés dans les portes, et j’avais un son suffisant pour couvrir le doux bruit du 750cc en 4ème . Je crois bien que je chantais à tue-tête, frappant rythmiquement avec ma main droite. tW[ Un coup de volant réflexe ; la voiture passa sur deux roues comme savaient le faire les 4L. Elle traversa la route. Je ne gardai aucune image de cette acrobatie à la Jean Sunny car le fossé arriva très vite. La sensation qu’elle ratait son décollage. Les seuls pneus qui tentaient désespérément de s’accrocher furent secoués par le petit canal d’évacuation des eaux ; un bruit de ferraille ; un passage en mode essorage… Tout s’arrêta, j’étais recroquevillé quelque part devant le siège passager. Plus un bruit. A ce moment-là on ne sait plus si on est fait d’une seule pièce. Le cerveau fonctionnait. Pas de douleur, les membres sollicités répondaient présents. Une seule idée : sortir de là ! Mais la porte était à l’envers, la voiture sur le toit. Je me retrouvais dehors je ne sais comment. Après quelques instants à contempler sa carcasse un peu tordue, j’essayais de la remettre sur pieds. Impossible bien sûr ! J’eus une pensée pour la batterie qui devait perdre son liquide, l’huile qui devait se répandre, mon pauvre moteur... Ma première 4L quatre vitesses, avec son renflement de la traverse avant pour loger la boîte plus longue… Puis soudain je me mis à tâter mon corps, étais-je entier ? Pas de blessure, ni de sang. Le monstre d’acier et sa mâchoire grande ouverte n’étaient plus là. Un peu plus loin il y avait le dépôt d’ordures. Il devait y être arrivé. Je partis en courant. Ils pourraient m’aider à remettre la voiture sur pieds. Aucune douleur. Encore cent mètres: un coin comme on en faisait à l’époque : un dépôt en bordure de forêt où on entassait les poubelles à ciel ouvert. A ce moment précis le camion benne en repartait à fond et deux grandes feuilles de papier s‘étaient détachées de l’arrière et avaient atterri sur la route. Les éboueurs ne regardaient pas dans ma ! tW[ direction et mes appels avaient peu de chance de franchir le vacarme du moteur et du broyeur associés. J’avais continué dans l’espoir de trouver malgré tout quelqu’un sur le site. Des gens venaient parfois récupérer ou jeter. Personne ! Je m’apprêtais à repartir vers ma voiture. Un de ces signaux que capte le cerveau alors qu’on est perdu dans d’autres pensées, m’avait fait détourner les yeux. Une des feuilles était ouverte et laissait apparaître un dessin mécanique. En y regardant de plus près, mais du bout des doigts, ça ressemblait à un moteur. J’ouvris l’autre avec moins de précaution. Même chose. Penché, je cherchais à savoir ce que ça pouvait être plus précisément. Mes connaissances empiriques en dessin industriel étaient suffisantes pour m’apercevoir que la technologie ne devait pas être récente, et me pousser à m’accroupir.