Humbles Voix
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HUMBLES VOIX « Entrez, Monsieur, entrez, les poètes sont des rois... » Victor Hugo à Savinien Lapointe. (Visite de 1842). Poètes ouvriers et grands romantiques ébauchèrent des amitiés. Une voix d'en-bas, du cordonnier Savinien Lapointe, est dédiée à Victor Hugo, « le fier archange dont le rayon vous attire au foyer créateur ». Les discrètes esquisses des Contes, de Jérôme Gilland, annoncent l'accent neuf qu'apporteront plus tard au roman les Emile Guillaumin, les Charles-Louis Philippe, les Marguerite Audoux. Dans l'histoire du peuple français, les poètes mineurs que voici nous permettent d'évoquer des heures de sympathie et des gestes fraternels. JEAN REBOUL Jean Reboul, né le 25 janvier 1796, est le fils d'un serrurier. A treize ans, il est employé pendant quelque temps chez un avoué, mais la besogne de copiste ne convient pas à cette âme ardente. Sa mère étant restée veuve avec quatre enfants, il choisit le métier de boulanger. Les loisirs que lui laisse son état, il les emploie à dévorer des livres. A vingt-quatre ans, en 1820, Jean Reboul est membre d'un cercle de joyeux vivants, se réunissant dans un café en face de l'Esplanade à Nîmes. Et parmi cette jeunesse nîmoise, alerte et vive, entre un verre de bière et un cigare, il compose, pour un cercle d'amis, des chansons et des satires. Mais « des douleurs domestiques tournent l'esprit de Jean Reboul vers les tristes médi• tations et firent vibrer la corde plaintive. » En 1828, la Quotidienne publie L'Ange et VEnfant. M. de Lamar• tine, étonné, « répond par une harmonie, Le Génie dans VObscurité ». Et c'est entre les deux poètes, écrit le biographe de Jean Reboul, auquel j'emprunte ces lignes « une joute courtoise dignement sou• tenue. » Jean Reboul remercie Lamartine de lui avoir donné le courage de publier son premier recueil, qui paraîtra en avril 1836. Voici la dédicace : « Les premiers jours de mon existence littéraire furent semblables à ces infortunés enfants abandonnés qu'on exposait HUMBLES VOIX 131 sur une table de marbre, à la porte des églises... Je vis longtemps passer l'indifférence devant moi ; mais enfin vous parûtes et la pauvre muse délaissée, réchauffée aux rayons de votre gloire, revint à la vie et à l'espérance. » A quoi Lamartine réplique : « L'égalité des intelligences, lorsque Dieu et la nature les ont faites égales, se manifestent dans les lettres. Les nobles études appelant tous à tout, élevant le niveau commun, confondant les classes, faisant vivre du même pain intellectuel tous ceux qui vivent du même pain du jour, et réalisant, dans le domaine de la pensée, cette répu• blique des intelligences où les droits ne sont que des dons de Dieu, où les fonctions ne sont que des services, où la dictature n'est que du génie. » En 1835, Alexandre Dumas, passant à Nîmes, vient rendre visite à Jean Reboul. Il était annoncé par une lettre du baron Taylor et il a raconté lui-même cette visite. Il décrit ainsi le visage du poète et de son logis. « Un beau front couronné d'une abondante et noire chevelure... Des yeux qu'ombrage un épais sourcil sont des yeux puissants et veloutés faits pour exprimer l'amour ou la haine... » Alexandre Dumas rappelle le petit escalier tournant situé dans l'angle d'une rue, le grenier sur le plancher duquel est amoncelé en tas séparés, du froment de qualités différentes, les petites vallées que ces montagnes nourricières forment entré elles, et, au bout de dix pas, la porte d'une chambre dont la simplicité est presque monastique ; des rideaux blancs du lit à la croisée, quelques chaises de paille, un bureau de noyer, un crucifix d'ivoire, un modeste canapé forment tout l'ameublement. « Cette chambre si simple a reçu bien des visiteurs illustres, elle a vu arriver bien des hommages de livres ou de lettres aux sceaux armoriés. Autour du cadre d'une glace, brillent des cartes de hauts personnages, de princes étran• gers et d'écrivains. » Parmi ces personnages, vint à Nîmes en juillet 1838 : « M. de Chateaubriand, avec sa courtoisie et la grâce du génie, s'empresse de conduire sa Muse vers celle de son humble frère en poésie. Ce fut le boulanger lui-même qui vint répondre à son émissaire et lui donner son heure, celle où commence un peu de repos après le travail de la journée.*Quel ne fut pas son étonnement lorsqu'il vit sur la carte qui lui fut remise le nom de Chateaubriand ! » On com• prend que le biographe de Jean Reboul ajoute que, venu à Paris en avril 1839, et fêté par tous les célèbres, celui-ci fut étonné, mais non ébloui. 132 LA REVUE AGRICOL PERDIGUIER Agricol Perdiguier est né le 3 décembre 1805 à Morières, près d'Avignon. Son père était un artisan qui possédait en terres et en vignes une culture d'une assez large étendue. Ce père, paysan et ouvrier, s'était enrôlé dans l'enthousiasme de 89, avait fait la cam• pagne d'Italie et était revenu en son pays exercer son métier de menuisier. Dans sa petite enfance, Agricol Perdiguier avait labouré sarclé, vendangé ; il aimait la liberté et les travaux des champs, les fleurs et les oiseaux, et il avait beaucoup d'amitié pour ses petits camarades, ce qui l'avait fait appeler le père des enfants. C'était un être spontané et charmant, sans rien d'excessif dans sa gravité. La fraîcheur et la vivacité de son imagination se retrouvent dans Mémoires d'un Compagnon, qu'il n'écrira que beaucoup plus tard en 1853. Il s'arrête devant les parades et écoute les chanteurs ambu• lants, apprenant d'abord les airs, puis les chansons qu'il était un des premiers à faire entendre au village. Comme tous les petits paysans de Morières, il ne reste que quelques mois à l'école. Ses deux maîtres sont très différents, l'un, M. Madon, à la fois médecin et instituteur dont la méthode ne connaissait que la férule, con• sistant à faire pleuvoir les coups sur les bras, sur les épaules, sur les têtes de ses élèves, — l'autre, un ancien capucin, vicaire du village, M. Pertus, « songeait plus, nous dit Agricol Perdiguier, à nous amuser qu'à nous instruire » et il donnait à ses élèves des biscuits et friandises, comme M. Madon leur donnait des coups de nerf de bœuf. Aussi bien ni l'un ni l'autre ne furent-ils les vrais maîtres d'Agricol Perdiguier, mais son grand-père, Gaspard Gou- nin, qui vivait dans la pauvreté et eût été un apôtre de Jésus-Christ. «Sa maison était la maison des pauvres, le refuge, l'asile des mendiants. Il les recevait dans sa cuisine, leur trempait à tous la soupe, leur laissait passer les soirées avec lui... Il me semble le voir encore avec son chapeau à trois cornes, sa grande et longue veste grise, ses culottes courtes, ses guêtres d'étoffe montant jusqu'aux genoux... Sa figure, si vénérable et si bonne. Je dois le dire, je n'ai jamais vu un homme pareil ; il m'a familiarisé avec la pauvreté, avec les pauvres ; il m'a rendu l'ami, le frère de tous les hommes... Il me menait souvent avec lui, je le vois s'arrêter sous un abrico• tier, cueillir des fruits, les manger sans façon. « Mais, grand-père, je lui dis, cet arbre n'est pas à vous ? » Il me répond : « Mon enfant, il appartient au bon Dieu. » Un autre jour, je lui montre un homme HUMBLES VOIX 133 qui mangeait du raisin dans l'une de ses vignes. Il me répond : « Laisse-le faire ; tout cela appartient au bon Dieu. » Gaspard Gounin était un homme du vieux temps, aimé, respecté comme tel et jamais on ne se fût avisé de lui faire le moindre re• proche pour les libertés qu'il prenait chez les autres et qu'il accor• dait à tous chez lui, sans murmure, sans arrière-pensée. » Agricol était allé à peine deux ou trois ans à l'école : il savait lire, écrire, calculer, d'une manière incomplète ; ses maîtres lui avaient donné des livres en latin, le Syllabaire, les Heures romaines, et, en français, le Devoir d'un chrétien et VImitation de Jésus-Christ. La bibliothèque de son grand-père complétait ces lectures saintes. Il goûtait l'histoire des Quatre fils Aymon et il se passionnait pour Renaud, Roland, Geneviève de Brabant, et pour les Fables d'Esope. Son admiration pour Moïse n'avait d'égale que celle qui l'exaltait pour les Preux Paladins, pour Godefroy de Bouillon, pour Tan- crède et Armide. Seulement l'amour qu'avait ce jeune éleveur d'oiseaux, la vie familière des prés et des bois ne parvient pas à convaincre son père, le rude et énergique Pierre Perdiguier, qui avait dressé ses trois garçons et ses quatre filles à une rude école, car pour avoir de l'en• grais, il leur faisait ramasser le crottin sur les routes, leur disant : « Si vous travaillez trois jours par semaine, vous aurez trois sous le dimanche, et si vous travaillez six jours vous aurez six sous ; autant de jours de travail, autant de jours de repos... » Que je re• mercie mon père de nous avoir habitués de jeunesse au travail, à la fatigue, à l'intempérie des saisons... Dans son atelier de menui• serie, il nous employait à pousser des languettes, des rainures ; enfin il tirait de nous le meilleur parti possible, et certainement, il faisait bien. » Si l'on veut comprendre ces enfances d'autrefois, façonnées d'autant de poésie que de réalités, il faut ajouter que Agricol Perdiguier utilisait ses loisirs à élever des oiseaux, à les défendre contre les griffes du chat, à s'arrêter aux ombres chinoises, aux polichinelles des ambulants.