ASSOCIATION DES AMIES ET AMIS DE LA COMMUNE DE (1871) · 2020 TRIMESTRE 2

82 ÉDITORIAL

Le vent de la Commune

1871-2020. Près de 150 ans après, le vent fut capable d’innovation en son temps et nous de la Commune souffle toujours sur Paris, sur devons innover au nôtre. Mais son état d’esprit la France et sur le monde. Il n’est pas de mani - peut encore aujourd’hui nous servir de guide. festation de rue qui, à un moment ou à un La Commune fut un pouvoir du peuple, pour autre, ne se réclame pas de la Commune de le peuple, par le peuple. Elle donna à voir ce Paris 1871. que peut être une République sociale. Elle Comment s’en étonner ? esquissa le projet d’une démocratie pleinement L’injustice sociale est encore bien présente et citoyenne, où le droit de décider ne s’arrête les inégalités, dénoncées il y a 150 ans, sont pas aux portes de l’entreprise, où l’élu ne peut d’une actualité criante. se détacher des citoyens, où la liberté, l’éga - Une des idées centrales de la Commune était lité et la fraternité marchent du même pas. que la République est infirme, quand elle n’est pas sociale, quand le droit du travail n’est pas Comme en 1871, nous appelons toujours à respecté, quand le travailleur n’a pas son mot combattre toutes les formes d’exploitation, à dire sur son lieu d’activité. En un moment où d’exclusion, contre les atteintes aux droits se parachève le détricotage de tout ce que la de la Femme et de l’Homme, pour continuer lutte sociale avait conquis pièce par pièce, il l’œuvre amorcée par les communards, pour est bon de faire connaître l’œuvre et l’expé - une République démocratique et sociale rience de la Commune de Paris. dans laquelle tous seraient réellement Nous affirmons que des alternatives aux citoyens et égaux. idées dominantes d’aujourd’hui sont possibles. C’est ce que nous nous efforçons de forger dans PLACE AU PEUPLE ! notre diversité. Pour nous, la Commune de Paris n’est pas un modèle, mais une source JOËL RAGONNEAU ET ROGER MARTELLI d’inspiration. Son œuvre ne se copie pas. Elle

EN COUVERTURE

Portrait de Sylvain Périer du 139 e ŕe giment (1870), souvenir du sìe ge de Paris. Dessin de James Tissot 3

Nous n’irons pas au Mur…

En ce mois de mai 2020, l’épidémie et le confinement général de la population ne permet - tent pas d’organiser la montée au Mur, qui devait avoir lieu le samedi 16 mai. Nous évoquons, en republiant un article ancien, l’histoire de la montée au Mur et sa signification.

n mai 1871, le cimetière du Père- de la Commune va amplifier la grève générale. Lachaise, situé au cœur du Paris Pendant la Seconde Guerre mondiale, une des mani - populaire, sert de camp retranché à festations de la Résistance a été de fleurir le Mur deux cents fédérés. Suite à l’assaut des Fédérés. des versaillais, les survivants, ainsi Après guerre, en 1945 et en 1956, les montées au que des prisonniers de Mazas, sont fusillés contre le Mur sont d’une grande ampleur : le souvenir des mur Est du cimetière et, avec des milliers d’autres résistants fusillés ravive celui des morts de 1871. corps de fédérés, enterrés dans la fosse commune. Les événements de 1968 réactivent, à leur façon, Dès la Toussaint 1871, jusqu’à nos jours, la fosse a la mémoire de la Commune et, alors même qu’en toujours été fleurie, que ce soit par des mains ano - Mai 68 le Père-Lachaise est fermé, les Amis de la nymes, ou de manière plus organisée, comme lors Commune négocient avec le personnel CGT en de la première montée au Mur, le 23 mai 1880, à grève. En effet, le Mur des Fédérés, ayant toujours l’appel des journaux socialistes. Après l’amnistie été fleuri, même sous l’occupation nazie, il le serait plénière du 11 juillet 1880, et dès 1882, le cortège aussi en Mai 68. Le personnel du cimetière ouvre au Mur devient une tradition, avec des manifesta - à la sauvette pour faire entrer une délégation tions gérées par les anciens combattants de la dont Jacques Duclos au titre de président Commune. Le relais est ainsi pris : la Commune n’est de l’Association, et Emmanuel Fleury, alors secré - pas morte ! taire général. En 1908, le Comité du monument reprend vie, et Depuis le début des années 1960, l’Association obtient gain de cause auprès de la République des Amis de la Commune de Paris-1871 appelle ses radicale, fraîchement victorieuse aux plans national adhérent.e.s à se retrouver dans le groupe de tête. et local. C’est ainsi qu’en mai 1908, une plaque Dans les années 70, elle reprend l’organisation de la gravée « Aux morts de la Commune, 21-28 mai manifestation et y convie les partis de gauche ainsi 1871 »*, est inaugurée au Père-Lachaise. Cette que les syndicats. manifestation intéresse les partis politiques qui MICHÈLE CAMUS demandent à s’en occuper : à partir de 1908, la toute récente SFIO des socialistes réunifiés, et, * En 1990, cette plaque, enlevée et remplacée par une nouvelle, après 1920, le Parti Communiste Français. En mai a été déposée au siège des « Amis de la Commune de Paris- 1936, juste après la victoire du Front populaire, der - 1871 », où elle est toujours visible. rière l’insigne officiel, « 1871-1936 », une marée Sources : Danielle Tartakowsky, Nous irons chanter sur vos humaine de 600 000 personnes « monte » au Mur, tombes, Le Père-Lachaise, XIXe-XXe siècle, Aubier, Collection sur fond de luttes sociales, et cette commémoration historique, 1999. HISTOIRE 4

Nous poursuivons la publication de l’article de Laurent Bastard sur les compagnons et la Commune (voir n ° 81).

LES COMPAGNONS DU TOUR DE FRANCE ET LA COMMUNE DEUXIÈME PARTIE

DES COMPAGNONS HOSTILES compagnons. Il exprima publiquement son désaveu À LA COMMUNE dans Le National du 28 mars, invitant les Parisiens à suivre le gouvernement dirigé par Thiers, un homme « riche d’expérience » et, le 25 avril, il atta - l ne faudrait pas croire, à partir de ces qua le Manifeste de la Commune comme contraire quelques personnalités dont les aux règlements de l’ordre maçonnique et aux archives ont conservé le nom, que tous principes du compagnonnage . les compagnons avaient pris fait et Pour nombre de compagnons établis à leur cause pour la Commune. Et là aussi, compte, la guerre et la Commune signifiaient plusieurs noms ont traversé les ans l’arrêt de leur activité et des pertes financières. jusqu’à nous. Ainsi en fut-il du compagnon boulanger du Il y a d’abord le cas d’Agricol Perdiguier. Né en Devoir Jean-Baptiste Entraygues, Limousin 1805 près d’, ce compagnon menuisier du Bon Courage , né en 1829 à Brive. Ami de Devoir de Liberté, dit Avignonnais la Vertu , est bien Perdiguier, lui aussi était franc-maçon de la connu pour avoir été l’infatigable apôtre de la paix loge L’Union des peuples . Établi à Paris dans les entre les sociétés compagnonniques rivales. Il est années 1850 comme fabricant de conserves l’auteur en 1839 du Livre du Compagnonnage . Il alimentaires de première qualité, il ne s’enga - était également franc-maçon. C’était un républi - gea pas dans la Commune et secourut active - cain convaincu, qui fut élu député en 1848 et ment dans ses locaux les manifestants blessés contraint à l’exil en Suisse après le coup d’État de des Amis de l’Ordre, lors de la fusillade du Louis-Napoléon Bonaparte. Rentré en France en 23 mars. Il y en eut bien d’autres, tels les com - 1855, il demeura fidèle à ses convictions, mais pagnons cordonniers du Devoir Jean Louis Méliès durant la Commune il ne s’engagea pas. Plus, Carcassonne l’Ami du Courage , (1815-1898), et même : sollicité pour le contresigner et appeler François Pinet, Tourangeau la Rose d’Amour tous les compagnons à rejoindre le mouvement, il (1817-1897), devenus de grands industriels de désapprouva le manifeste des francs-maçons et des la chaussure, ce dernier étant membre de la 5 HISTOIRE

Manifeste de la Franc-Maçonnerie, 8 avril 1871 HISTOIRE 6 loge Bonaparte qui rassemblait le gotha des la répression de la Commune. soutiens à l’empereur. Jean Merle, né en 1837 à Aiguillon, en Lot- Et puis il y a les compagnons qui sont dans et-Garonne, connut un parcours similaire. Tout la Garde nationale ou militaires, et qui servent jeune il est reçu compagnon tailleur de pierre du côté des versaillais. Certains ont fait carrière du Devoir Étranger sous le nom de La Sagesse dans l’armée et sont devenus sous-officiers ou d’Aiguillon . En 1858, il s’engage dans l’armée officiers, tout en conservant des liens avec et y fait toute sa carrière jusqu’en 1871. Dans leurs sociétés respectives. le cadre de la « campagne de l’intérieur » à Quatre noms parmi d’autres. D’abord celui du l’armée versaillaise, du 10 avril au 7 juin, il est compagnon tisseur Anatole Arnaud, de . Il cité à l’ordre du jour de l’armée le 5 juin, pour était né à la Croix-Rousse en 1831 et avait été « s’être particulièrement distingué aux combats reçu compagnon tisseur-ferrandinier du Devoir qui ont eu lieu dans Paris du 22 au 28 mai en 1849 sous le nom de Lyonnais la Loyauté . Il était aussi franc-maçon. Républicain, il est comman - dant dans la Garde nationale. Le 20 décembre 1870, après l’échec de la première Commune de Lyon (28 sep - tembre), il refuse de se join - dre aux révolutionnaires. Les émeutiers le condamnent à être fusillé pour avoir voulu tirer sur la foule. Lui était une victime, mais d’autres participèrent à la répression. C’est le cas de Jean Marie Labbé, né en 1835 à Sennecey-le-Grand, en Saône- et-Loire. Reçu compagnon tailleur de pierre du Devoir Étranger avant 1855, il parti - cipe à la campagne du 10 avril au 7 juin 1871, c’est-à-dire à Jean-Baptiste Entraygues dit Limousin Bon Courage

ERRATUM Dans l’article précédent, nous avons reproduit par erreur, en face du titre « Des compagnons favorables à la Commune », le portrait d’Agricol Perdiguier qui s’opposa à la Commune. 7 HISTOIRE

1871 », ce qui signifie qu’il participa active - mun, et jamais non plus ils n’avaient affiché un ment à l’écrasement de la Commune durant la engagement politique. Semaine sanglante. C’est cette visibilité, rapportée par plusieurs Enfin, citons le commandant Martin Bouchard. témoins du défilé des bannières, et popularisée Ce compagnon chapelier du Devoir est né en par des gravures, qui a fait étendre à l’ensemble 1824 à Drambon, en Côte-d’Or. Il est reçu com - des compagnons et des maçons l’engagement pagnon en 1842 sous le nom de La Prudence le d’une partie seulement d’entre eux. Bourguignon , puis il s’engage dans l’armée en Il serait illusoire de penser que ses signataires 1845. Il est capitaine et chef de bataillon en avaient été mandatés par les instances de leurs 1871. Après la Commune, il siège dans un sociétés respectives. Si les francs-maçons rele - conseil de guerre et passe pour avoir fait vaient d’une obédience, elle resta muette sur preuve de modération. l’orientation à tenir par leurs membres. Quant aux On pourrait penser qu’ils ont, certes, été compagnons, ils ne possédaient pas de structure reçus compagnons, mais que c’était au temps fédérant la trentaine de corps de métiers relevant de leur jeunesse, et qu’en faisant carrière dans du Devoir ou du Devoir de Liberté. Si bien que les l’armée ils avaient non seulement oublié leur signataires du manifeste n’ont agi qu’en leur nom métier, mais aussi leurs anciens Pays ou personnel et non au nom du « Compagnonnage », Coteries. Or il n’en est rien et tous, on le sait, terme recouvrant une nébuleuse d’associations conservèrent des contacts avant et après la plus ou moins indépendantes les unes des autres. Commune avec leurs frères compagnons. Mais, Si leur appel à la conciliation entre les deux officiers sous les drapeaux, avaient-ils le choix partis était louable, si leur engagement en faveur de leur action ? de la Commune était respectable, il n’en demeure pas moins qu’ils sont allés au-delà des règlements de leurs institutions. CONCLUSION : UN ENGAGEMENT Les règles des compagnons, toutes sociétés et INDIVIDUEL ET NON COLLECTIF tous Devoirs confondus, ne visent qu’à élever leurs membres sur un plan professionnel et moral, Alors, qu’en conclure ? Que tous les compa - qu’à défendre leurs intérêts d’ouvriers, qu’à res - gnons et les francs-maçons ont pris fait et cause serrer leurs liens fraternels. Ils proscrivent, en pour la Commune ? On a vu le contraire. Qu’ils chambre ou en cayenne *, toute discussion d’or - étaient une majorité ? On l’ignore, faute de dre politique ou religieux, à la fois pour se met - connaître le nombre de compagnons présents tre en conformité avec la loi sur les sociétés de dans la capitale en 1871, jeunes et anciens, de secours mutuels, mais aussi pour éviter de diviser tous métiers, on en est réduit à recueillir de rares leurs membres. En revanche, ne sont pas interdits témoignages individuels. les engagements individuels en dehors de leurs réunions. Ce qui est sûr, c’est que cette éphémère Par ailleurs, la notion de lutte des classes était Fédération des francs-maçons et des compagnons étrangère à la quasi-totalité des compagnons. revêtit un caractère exceptionnel. Jamais, dans Leurs sociétés, comme nous l’avons vu, étaient toute leur histoire, les uns et les autres ne devenues des sociétés associant ouvriers et s’étaient réunis pour signer un manifeste com - patrons dans le même esprit de fraternité. HISTOIRE 8

L’ambition de la plupart des compagnons, une pas de prise de position générale. Les uns et les fois terminé leur tour de France, était de s’instal - autres s’accommodèrent désormais très bien de la ler à leur compte. III e République, sans regretter l’Empire, la monar - Pour autant, l’immense majorité d’entre eux chie et la Commune. étaient sensibles aux questions sociales, sans LAURENT BASTARD pour autant être « socialistes », soucieux de l’amélioration des conditions de vie des travail - Sources : leurs. Mais on ne peut savoir quelle éta it leur Aucune étude poussée n’a été réalisée sur l’importance de sensibilité politique. A Paris, les compagnons l’engagement des compagnons durant la Commune. Les biogra - sédentaires furent peut-être plus réceptifs à la phies de ceux qui sont cités dans le présent article sont acces - Commune que ceux des provinces, mais dans sibles sur le site du musée du Compagnonnage de Tours, onglet quelle proportion ? « Généalogie ». C’est bien ce qu’écrivait Perdiguier en 1871 Les mémoires de Joseph Voisin ont été publiés à Tours en dans sa brochure Patriotisme et Modération : 1931 sous le titre Histoire de ma vie ; ceux de Joseph Bouas, en « [Les francs-maçons] me priaient de convoquer 2013, sous le titre Joseph Bouas, Saint-Lys la Fidélité, compa - tous les compagnons de Paris, ceux du Devoir gnon charpentier . Les citations de Perdiguier figurent dans J. comme ceux de la Liberté, afin qu’ils vinssent se Briquet : Agricol Perdiguier, 1805-1875, Compagnon du Tour de joindre à cette grande manifestation. Je leur répon - France et représentant du Peuple (1981). dis que je m’en garderais bien ; que du moment * À l’origine, la cayenne était la maison qui accueillait les qu’ils répandaient le Manifeste de la Commune et compagnons. Par extension, elle désigne une section de l’Union se préparaient à prendre les armes en sa faveur, ils Compagnonnique. étaient bien loin de faire de la conciliation ; qu’ils se jetaient dans la politique et la guerre civile, ce qui est grave, ce qui est défendu par les statuts des francs-maçons et par ceux des compagnons ; que comme individu chacun est libre de suivre son pen - chant mais que comme corps nous ne devions pas sortir de nos anciennes règles et que je les désap - prouvais radicalement. » Les buts, l’idéal, des compagnonnages et de la franc-maçonnerie transcendent les notions de classes sociales, de politique, de « race » et de religion. Après 1871, le Grand-Orient de France désap - prouva l’action des frères qui avaient voulu entraî - ner l’Ordre tout entier dans la Commune. Chez les compagnons, faute de structure centrale, il n’y eut 9 HISTOIRE

À la veille de la Commune, l’École militaire et le Champ-de-Mars ont déjà une longue histoire derrière eux. Il convient d’abord de la rappeler à grands traits, d’autant plus que certains évènements ne sont pas étrangers à la Commune. Nous publions, ici, le premier volet d’une étude sur ces lieux pendant la Commune. La suite dans le prochain bulletin.

L’ÉCOLE MILITAIRE, LE CHAMP-DE-MARS ET LA COMMUNE PREMIÈRE PARTIE

LES ANTÉCÉDENTS et la Seine, au milieu des cultures maraîchères de la plaine de Grenelle, alors peu peuplée. Bien qu’excentré, il est inclus dans l’enceinte École militaire est une créa- dite des Fermiers généraux achevée en 1790, tion de Louis XV (1751). De dont la fonction est fiscale (perception de jeunes aristocrates y reçoi- l’octroi) et non défensive. vent une éducation et une Pendant la Révolution, le grand espace dégagé formation militaire pour qu’il représente se prête aux manifestations de devenir officiers, qui est à la masse, notamment la Fête de la Fédération le charge de leur famille pour les plus riches (les 14 juillet 1790 et celle de l’Être suprême le pensionnaires), à celle du roi pour ceux de 8 juin 1794. Entre-temps, la proclamation de la petite noblesse désargentée (les boursiers, loi martiale par la municipalité avec comme appelés aussi les « élèves du roi »). Bonaparte signal un drapeau rouge, le 17 juillet 1791, sera l’un de ces cadets. En 1788, l’École mili- entraîne une fusillade sur le Champ-de-Mars (*). taire devient une simple caserne. Elle ne Au XIXe siècle, le Champ-de-Mars a un double retrouvera sa fonction d’établissement d’ensei- rôle. D’une part, il continue à servir de cadre à gnement militaire que près d’un siècle plus des activités et des évènements non militaires, tard avec la création de l’École supérieure de comme des expériences aérostatiques (envol guerre, sur décision du général de Cissey, alors de montgolfières) ou des courses hippiques. ministre de la Guerre après avoir été l’un des Une partie de l’Exposition universelle de 1867 « fusilleurs » notoires de la Commune. Dans s’y tient également. Mais d’autre part, il reste l’intervalle, l’École militaire aura abrité une fidèle à sa vocation initiale de champ de partie de la garde royale ou impériale, selon les manœuvres. Élargi en 1830, il est plus vaste régimes politiques. que de nos jours. Il est alors bordé de grilles Le Champ-de-Mars, lui, est à l’origine le ter- et de fossés (complètement supprimés en rain de manœuvre des cadets de l’École mili- 1860). Il est également le théâtre de grandes taire. Il occupe l’espace compris entre celle-ci cérémonies protocolaires destinées à glorifier HISTOIRE 10 et à populariser le régime en place : revues des l’École militaire. Certains seront fusillés dans troupes ou de la Garde nationale, remises de celle-ci ou sur le Champ-de-Mars. Les mêmes décorations, de drapeaux, d’aigles régimen - scènes se reproduisent pendant 10 jours suite au taires (sous les deux Empires). Il cesse d’être coup d’État du 2 décembre 1851 du prince- un terrain militaire à partir de septembre président : de nombreux insurgés — plusieurs 1865, mais il sera réoccupé militairement pen - centaines d’après certaines sources — sont exé - dant les deux sièges de 1870 et 1871. cutés dans l’École et sur le Champ-de-Mars. Sous Le Champ-de-Mars est aussi utilisé le cas le Second Empire, l’École militaire devient le quar - échéant comme base de départ pour des opéra - tier général de la garde impériale ; elle est consi - tions répressives. Il sert de point de concentration dérablement agrandie par l’adjonction de deux

aux troupes destinées à briser des insurrections ailes et peut désormais contenir jusqu’à 6000 dans le centre et l’est de Paris. Sa situation excen - hommes. En outre, 1300 hommes sont cantonnés trée le prédispose à ce rôle : on ne risque pas d’y dans le quartier de cavalerie de Grenelle (la être soi-même assiégé comme aux Tuileries en caserne Dupleix, toute proche du Champ-de- 1830. Si les choses tournent mal, il est facile de Mars). quitter Paris, comme on le verra en 1871. Le dernier acte précédant la Commune, et dans L’environnement social, une population plutôt lequel l’École militaire est impliquée, est la ten - aisée, est favorable à des actions menées au nom tative de reprise des canons et des mitrailleuses de l’ordre. A l’issue des Journées de juin 1848, des aux mains des fédérés, le 18 mars. Une partie des prisonniers sont enfermés dans les caves de troupes engagées dans l’opération part de l’École 11 HISTOIRE

militaire. C’est un fiasco : seules 30 pièces demande d’adopter comme emblème national le drapeau rouge : provenant des parcs du Moulin de la Galette et « Je repousserai jusqu’à la mort ce drapeau de sang, et vous devez des Buttes-Chaumont peuvent être ramenées à le répudier plus que moi, car le drapeau rouge que vous nous rap - l’École militaire. portez n’a jamais fait que le tour du Champ-de-Mars, traîné dans le Le même jour, l’armée régulière commence sang du peuple, en 91 et 93 ; et le drapeau tricolore a fait le tour du alors à quitter Paris pour Versailles. monde, avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie ». Sur un tableau célèbre, le peintre Philippoteaux a représenté Lamartine HUBERT DE LEFFE juché sur un siège, alors que sur une lithographie de l’époque celui- ancien conservateur de la bibliothèque de l’École militaire ci apparaît simplement debout derrière le grillage du perron. Mais le tableau renvoyait l’image d’une « République rêvée » (M. Gribaudi (*) Il y est fait allusion dans un vers de la Marseillaise (« L’étendard et M. Riot-Sarcey, 1848 , la révolution oubliée ), avant le retour bru - sanglant est levé ! »), où le drapeau rouge est alors dénoncé comme tal à la réalité au cours des Journées de Juin. l’emblème de l’ennemi intérieur (les contre-révolutionnaires) et de On transige finalement : le drapeau tricolore portera une rosette l’ennemi extérieur (les armées monarchiques). C’est à cet évène - rouge à la hampe et les membres du gouvernement provisoire por - ment que fait référence Lamartine — surnommé la « harpe d’or » teront (temporairement) une cocarde rouge en plus de l’écharpe pour son éloquence — le 25 février 1848, lorsque devant l’Hôtel de tricolore. Ville, il répond habilement, dans un discours resté fameux mais sans doute reconstitué ensuite en raison du vacarme, à un groupe de travailleurs conduit par l’ouvrier mécanicien Marche, qui lui

Le Champ-de-Mars avant la construction de la tour Eiffel NOTRE ASSOCIATION 12

Nous inaugurons une nouvelle rubrique sur la vie des commissions de l’association. Elles travaillent souvent dans l’ombre, et pourtant sont un élément essentiel de notre activité, dans la durée. Nous commençons cette revue par la commission Patrimoine.

LA COMMISSION PATRIMOINE

e 7 octobre 2000, notre conseil LES FUSILLÉS DE VINCENNES d’administration décide la créa - Différentes pistes nous étaient connues : tion de nouvelles commissions, - des questions sur la chute du Fort de dont « Connaissance et sauve - Vincennes à la fin de la Commune, des cour - garde du patrimoine », à qui riers ou des courriels adressés par nos adhé - est confiée la charge de faire rents, qui s’interrogeaient sur l’absence de des recherches sur tout ce qui a trait à l’histoire mention des communards fusillés sur place en de la Commune de Paris, ainsi que d’animer mai 1871 ; toute initiative pour la protection de ce patri - - des articles sur la reddition des militaires moine » (1). occupant le Fort (2) ; Son premier travail d’ampleur va être la réa - - la relation qu’en fait Prosper-Olivier lisation, sous l’égide de René Bidouze, du Lissagaray dans son Histoire de la Commune de Guide des Sources , puis le classement des 1871 mentionnant les fédérés Merlet, Bayard, archives de l’association et le recensement des Delorme, Faltot. lieux de mémoire de la Commune. - au Service historique de la Défense Au décès de Pierre Biais, en 2009, de nou - (SHD), sous les archives de la série Ly7, il est veaux membres de la commission reprennent précisé que « La Commune envoya le 4 avril au les dossiers en cours, parmi lesquels un cas Fort de Vincennes des troupes fédérées tirées du d’école qui illustre les péripéties auxquelles II e arrondissement ». notre commission est confrontée. Ce dossier - le fort est resté, par sa situation, en est celui des Fusillés du Fort de Vincennes, dehors de l’action. Il fut un des derniers édi - exécutés à la fin de la Commune. fices à arborer le drapeau de la Commune. Le 13 NOTRE ASSOCIATION

29 mai 1871, le commandant du fort, Nicolas Mais cette plaque se révèle être fausse. En Faltot, et ses 344 hommes de la Garde natio - effet, le commandant Faltot a été jugé et déporté nale se rendent au général Vinoy. Tous sont en Nouvelle-Calédonie ; le sergent Merlet s’est faits prisonniers. Dans la nuit du 29 au 30 mai, suicidé dans le donjon avant la reddition ; seul le un tribunal militaire désigne et condamne à colonel Delorme a été fusillé. Nous décidons fina - mort 9 responsables. lement de ne pas nous occuper de l’ancienne - l’existence d’une plaque dans les fossés plaque et de privilégier une nouvelle plaque qui du fort de Vincennes qui ne mentionne que portera les noms des 9 fusillés. trois noms. Fin 2011, heureuse coïncidence, M. Jollin, Débute alors un feuilleton qui va occuper plu - descendant du colonel Faltot, commandant sieurs membres de la commission, avec pour le Fort de Vincennes, nous rencontre à sa objectif la recherche de l’identité de ces com - demande, pour nous présenter — sans nous les munards, aux fins d’apporter à nos requêtes un confier — ses archives familiales. Nous argumentaire historique irréfutable justifiant sommes fascinés, le temps de l’entretien, par l’obtention d’une nouvelle plaque. ses anecdotes et le récit des évènements. Il Au préalable, Vincent Pezon se charge de nous laisse une photo d’époque sur laquelle photographier la plaque située en contrebas figure le commandant Faltot, ses fils avec d’au - des fossés du fort sud-ouest, côté esplanade du tres officiers, ainsi qu’une liste de personnes Fort de Vincennes (photo ci-dessus). de l’ État-Major du fort. NOTRE ASSOCIATION 14

Devant la richesse des documents proposés, l’Esplanade Saint-Louis appartiennent au XII e nous provoquons un nouveau rendez-vous avec arrondissement de Paris, au même titre que le M. Jollin, en présence de Marc Forestier et bois de Vincennes. d’Hubert de Leffe, pour évoquer plus en détail Les condamnés descendirent par la Tour du son aïeul et les circonstances de la reddition Diable (entourée de bleu) et furent exécutés du fort de Vincennes. M. Jollin décline notre dans le fossé qui sépare le vieux fort du Fort- invitation, ne souhaitant pas nous permettre Neuf. de consulter ses archives. Malheureusement, Fort des éléments connus, Marc Forestier et recontacté plus tard par courrier, il ne peut Laurence Bourgade vont s’investir dans des plus nous revoir du fait de son état de santé. recherches, dignes d’un travail de détective. Auprès de la ville de Vincennes, ils tentent de LES LIEUX s’informer sur la plaque actuelle, inaugurée en Le plan ci-dessus permet de saisir la position 1947 par les autorités de la ville, dans un des différents lieux du château de Vincennes. contexte postérieur à la fin de la guerre, né de Le château est situé sur la commune de la volonté des municipalités d’honorer toutes Vincennes. Le cours des Maréchaux et les formes de résistances, puis se rendent 15 NOTRE ASSOCIATION auprès des archives municipales de la ville pour OKOLOWICZ Charles, examiner les PV de réunions des conseils muni - DELORME Hippolyte, Louis, Vincent, cipaux, dans l’espoir de retrouver les décisions BAGRATION Alexandre, Constantin, Edouard, à l’origine de la pose de cette plaque. En vain. VAYAN Alfred, En mai 2014, nos enquêteurs rencontrent la VIELLET Jean, Claude, conservatrice du cimetière de Vincennes pour REVOL Alexandre, Victor, trouver des traces d’inhumation dans le cime - BOURDIEU Jean, tière. Rien. Marc, lors d’un autre déplacement LEPECHEUX Charles, Eugène, au château de Vincennes, obtient le concours VANDERBUSSCHE François, Armand. du capitaine Caron qui nous propose son aide. Le capitaine de gendarmerie, commandant l’ar - La recherche s’effectue sur les noms ! En vain. rondissement de Vincennes, signé Handebourg. D’autres pistes vont être alors explorées : les Le capitaine commandant la place de Archives de Paris et celles du Service histo - Vincennes, signé : Négrier. rique de la Défense, récemment rouvert. Ces pistes vont permettre d’identifier quatre des Grâce à la gentillesse et l’efficacité de notre fusillés de Vincennes. En 2015, Sylvie Pépino regretté ami Jef Baeck, nous avons l’acte de et Marc Forestier consultent les archives de la naissance en flamand, et sa traduction en fran - Garde nationale aux Archives de Paris, dont çais, de François Armand Vanderbussche. celles concernant le bataillon commandé par Rossel. Toujours pas de résultats sur les cinq Munis de ces nouveaux éléments, nous écrivons autres fusillés. Lors d’un déplacement au à la Mairie de Paris, aux ministères, aux édiles, musée d’Histoire vivante de Montreuil, Marc aux administrations, tout en devant composer découvre la liste manuscrite d’un auteur avec la neutralisation de la vie politique à l’ap - inconnu, donnant dix noms de personnes fusil - proche d’élections. Les délais de réponse et les lées au château de Vincennes. démarches sont très longs et systématiquement à Cette liste s’avère différente de celle de la réitérer en cas de changement d’interlocuteur, de plaque existante, de celle établie par le SHD en maire, de député, de président, etc. Suite au cour - 1970 et de celle de M. Jollin. Il faut préciser rier adressé au ministère de la Défense, pour sol - qu’au SHD ne sont conservés que les dossiers liciter la pose d’une plaque sur le fort de de jugement des Conseils de Guerre. Nos fusil - Vincennes ou à proximité, celui-ci nous invite à lés sont donc passés par un tribunal militaire. transmettre le dossier à la Direction des patri - En 2017, heureux rebondissement : Jean- moines, de la mémoire et des archives. Contactée Louis Robert découvre, par le plus pur des à son tour, cette direction nous renvoie vers le hasards, lors de recherches personnelles aux secrétariat aux Anciens combattants et vers le Archives de la Préfecture de Police, le procès- ministère de la Culture. Nouvelle déconvenue, le verbal de l’exécution des neuf fusillés du fort ministère des Anciens combattants est supprimé. de Vincennes. Il en avise la coordination. Il nous faut à présent écrire à Mme Darrieussecq, Marc se rend sur place et, à l’aide de la cote nouvelle secrétaire d’État auprès de la ministre de d’archives précisée par Jean-Louis, photogra - la Défense. phie les précieux documents. Ce procès-verbal Aucune réponse… nous livre la liste des fusillés : Ne baissant pas les bras, nous tentons de NOTRE ASSOCIATION 16 contourner la difficulté. Jean-Pierre Dharne, mem - bre de la commission, nous propose de rencontrer une élue de Vincennes, puis par son intermédiaire, le député de la circonscription, M. Gouffier-Cha et LA QUATRIÈME SOIRÉE D’HISTOIRE son attachée parlementaire, Mme Florence Gall. Le député travaillant en commission avec Mme Darrieussecq s’engage à lui en parler ! La magie opère et la secrétaire d’État nous répond en nous livrant une surprenante réponse : otre quatrième soirée d’histoire « son ministère ne traite que des conflits avec s’est tenue le mardi 3 décembre l’étranger ». La Commune relevant d’une guerre 2019, à la mairie du XIV e arron - civile, elle nous demande de nous rapprocher dissement, devant une cinquan - dans ce cas du ministère de la Culture et du N taine de participants. C’est Marc Patrimoine. Nous prenons acte de son conseil Lagana qui introduit le thème — La province et lui demandons néanmoins par courrier d’ac - et la Commune de Paris — et présente les cepter le principe, le moment venu, de la pose intervenants : Chantal Champet, historienne, d’une plaque à Vincennes, sur un terrain mili - qui travaille sur la Commune de ; taire dépendant de sa juridiction. Aucune Jean Annequin, co-président du comité berri - réponse… chon des Ami.e.s de la Commune, qui s’inté - Quant à la ville de Vincennes, en permettant resse depuis plusieurs années aux mouve - la pose de cette plaque, elle pourrait lors de ments révolutionnaires dans les campagnes ; ses promenades mémorielles s’enrichir d’un Michelle Zancarini-Fournel, professeure émé - épisode méconnu de son histoire. rite d’histoire contemporaine à l’Université de Bref, le feuilleton continue… Convaincus à Lyon 1, auteure de Les luttes et les rêves. Une ce jour de la légitimité de notre démarche, histoire populaire de la France de 1685 à nos nous nous obstinons à voir notre requête jours . aboutir. Le propos de la soirée était d’analyser la SYLVIE PÉPINO ET CHARLES FERNANDEZ spécificité des communes provinciales et Commission Patrimoine leurs rapports avec la Commune parisienne. Chantal Champet, après avoir rappelé les (1) Cf. Article de Pierre Biais dans La Commune n°34, deuxième transformations qui affectent Marseille sous le semestre 2008, p. 17. Second Empire — le développement portuaire, (2) Cf. Articles de John Sutton dans La Commune n°52, et une les grands travaux et leurs conséquences note manuscrite de Marcel Cerf à Pierre Biais en 2008, le ren - sociales, la montée de l’opposition à voyant à son article d’octobre 2000 dans le bulletin n°10, men - l’Empire — présente les évènements de 1870- tionnant la reddition de la garnison du fort avec quelques noms 1871. Le mouvement insurrectionnel marseil - de communards comme le commandant Faltot, vétéran des lais se développe dès l’été 1870 : d’abord les guerres de Pologne et d’Italie, compagnon de Garibaldi, le colo - 7 et 8 août, où la mairie est prise d’assaut et nel Delorme, le prince de Bagration, aide de camp de Rossel et un comité révolutionnaire installé — avec, Charles Okolowicz de l’état major de Dombrowski. entre autres, Gaston Crémieux —, sans lende - main, car la répression est brutale ; puis le 17 NOTRE ASSOCIATION

COMMUNES DE PROVINCE COMMUNE DE PARIS

4 septembre, au moment de la chute de l’Empire, où une première Commune est proclamée, avec Alphonse Esquiros, en même temps qu’est créée la Ligue du Midi ; enfin, du 22 mars au 4 avril, en écho à la Commune de Paris, avec laquelle Gaston Crémieux proclame la solidarité de Marseille. Ce troisième mouvement insurrectionnel est brisé par l’armée, qui bombarde la ville depuis Notre-Dame-de-la-Garde (« Notre- Dame- de-la-Bombarde »). La répression est terrible : la loi martiale est instaurée et Crémieux est condamné à mort. L’originalité de cette Commune de Marseille, c’est d’avoir été précédée — contrairement à Paris — d’une Chantal Champet, Michelle Zancarini-Fournel, Marc Lagana, Jean Annequin tentative de République sociale dès 1870 ; de ne pas avoir donné nais - sance à une Fédération de la Garde nationale ; Les évènements de 1870-1871 sont suivis, et d’avoir été paralysée par la division entre la mais de manière décalée, à cause du défaut Commune de Marseille proprement dite, et une d’informations qui favorise l’attentisme et commission départementale plus radicale. toutes sortes de supputations. La proclamation Jean Annequin présente ensuite le cas du de la Commune est suivie de mouvements Berry – Cher et Indre –, une province rurale, favorables à Paris, notamment dans le Cher, à pauvre, sans grande concentration urbaine, où Vierzon, à Bourges, à Saint-Amand. L’Indre, une petite, voire toute petite, paysannerie sauf Issoudun, est moins réactive. Une bataille (dont de nombreux vignerons) subit le poids s’y joue autour de l’envoi d’adresses de soutien des grands propriétaires terriens. On y trouve au gouvernement de Versailles : si beaucoup de des industries rurales – textile, métallurgie – et petites communes vont dans le sens de quelques grands foyers industriels, surtout Versailles, Issoudun et Châteauroux se singula - situés dans le Cher, notamment autour de risent en n’adhérant pas à cette adresse. Vierzon. Cela n’empêche pas le succès des candidats NOTRE ASSOCIATION 18 républicains aux élections municipales du nal sur les évènements de la Martinique. L’abolition 30 avril. Le Berry s’installe donc dans la de l’esclavage y avait été décrétée en 1848, mais le République, sans pour autant s’identifier au pouvoir était resté aux mains des békés, les grands mouvement révolutionnaire parisien. En Berry, planteurs blancs. Le 22 septembre, à l’annonce de les mouvements de 1870-1871 s’ancrent dans la révolution parisienne, une émeute se déclenche une tradition ancienne de luttes pour la contre un planteur nommé Codé, roya liste, arrogant République, qui s’était déjà manifestée en et raciste, qui est massacré. Du 22 au 26 septem - 1848 ou en 1851. bre, l’insurrection se développe, animée par des Michelle Zancarini-Fournel essaie d’appré - petits propriétaires et des ouvriers agricoles, qui hender le mouvement communaliste dans réclament le partage des terres. La répression par toute son ampleur chronologique et géogra - les milices blanches est sans pitié. Il en restera une phique, en se référant à Jeanne Gaillard, coupure durable entre les colons blancs, royalistes Communes de province, Commune de Paris, ou républicains conservateurs, et la classe 1870-1871 (Flammarion, 1971). Elle rappelle moyenne mulâtre, « républicains de couleur », le terreau su r lequel le mouvement communaliste laïques et anticléricaux. va se développer : les lois sociales de l’Empire Un débat s’ensuit au cours duquel sont apportés (grèves, coopératives), l’apparition des premières des éclairages complémentaires : sur la filiation organisations ouvrières. possible entre les Communes méridionales et la En septembre, dans le contexte de la guerre, de la révolte des vignerons de 1907 ; sur l’incidence défaite, de l’instauration de la République, des mou - éventuelle des facteurs religieux (le protestantisme vements insurrectionnels se développent à Marseille méridional) ; sur l’origine provinciale des troupes ou à Lyon. À Lyon, dès le 4 septembre, l’Hôtel de de la répression. Sur le décalage entre la Commune ville est occupé ; la République y est proclamée ; le de Paris et la province, ou entre la France du nord drapeau rouge est hissé ; un comité de salut public et du sud, Jean-Louis Robert invite à prendre en est formé ; une première Commune est instaurée ; compte l’occupation du nord du pays et le siège de une Fédération révolutionnaire des Communes est Paris ; et souligne l’ambivalence d’une Commune de proclamée. Mais, dès le 28 septembre, cette pre - Paris, marquée par un certain sentiment de supé - mière Commune est balayée par la garde nationale riorité parisienne, mais en même temps attachée à des quartiers bourgeois. l’idée de fédération et soucieuse de ne pas imposer Le 22 mars 1871, Lyon récidive : « Notre ville qui, un modèle. Il est réducteur de dire « LA province ». la première, au 4 septembre, a proclamé la Il y a des communes provinciales, avec leurs spéci - République, ne pouvait tarder d’imiter Paris ». Cette ficités locales ; il y a bien des réseaux, mais pas un seconde Commune de Lyon se prolonge jusqu’au 1 er mouvement univoque. mai, quand les dernières résistances sont brisées MICHEL PUZELAT par l’armée. D’autres mouvements éclatent au Creusot, à Saint-Étienne, où la Commune est procla - On peut retrouver l’enregistrement intégral de la soirée d’his - mée le 23 mars ; à Narbonne et à Carcassonne, avec toire sur notre site : Émile Digeon ; à Toulouse ou à Limoges… Mais ces https://www.commune1871.org/association/soirees-d-histoire Communes sont isolées et ne durent que quelques jours. Michelle Zancarini nous offre enfin un focus origi - EN MÉMOIRE DE NOTRE AMI JEAN CHATELUT

Jean Chatelut, enseignant à la Faculté de Médecine- une sous-traitance de la Pharmacie centrale des Pharmacie de Limoges, s’est éteint le 25 janvier der - Hôpitaux de Paris. Maire de Saint-Benoît-du-Sault de nier au CHU de la ville, au terme d’une longue lutte 1977 à 2001, Jean Chatelut y concrétise une idée contre le cancer. Il était âgé de 88 ans. C’était un nouvelle. C’est un des « plus beaux villages de militant du Comité berrichon des Amies et Amis de la France » : église pré-romane, ruelles médiévales, Commune de Paris. prieuré du 17 e siècle. Il estime qu’un lieu riche en Né le 30 septembre 1931 à Saint-Benoît-du-Sault patrimoine doit continuer à s’enrichir. Il confie la réa - (Indre), il fait ses études en médecine à Paris, où il lisation du collège et d’un quartier HLM à Paul rencontre Jacqueline Cabane, elle aussi étudiante en Chemetov, de la salle des fêtes à Zdravko Natchev, médecine, qui deviendra son épouse. En 1953, d’un espace vert au paysagiste Gilles Clément. Il période de guerre froide et de guerres coloniales, il effectue aussi de longues recherches sur la Commune, adhère au Parti Communiste. recherches concrétisées par un livre, La Commune de En 1956, le couple travaille à l’hôpital d’Argenteuil. Paris 1871 avec les ouvriers maçons des confins Berry, En 1958, il revient à Paris. Jean effectue son service Marche et Limousin *. Il en identifie 674, venus de ces militaire, Jacqueline s’engage à la librairie commu - cantons entre langue d’oc et langue d’oïl, 674 déférés niste du Quartier latin, rue Racine. En 1961 naît leur devant les Conseils de guerre, et plus de cent premier enfant, Étienne. Trois mois après sa nais - condamnés à la déportation en Nouvelle-Calédonie. sance, le fils est frappé d’hyperthermie. Après les Le livre est complété par une recherche sur la vie quo - soins d’urgence, le couple décide d’organiser sa tidienne de ces immigrants, et par quelques interro - convalescence à la campagne. Il y retrouve des amis gatoires. Notamment ceux des trois femmes prises d’enfance, et d’anciens résistants. Ils décident alors dans la répression. Un riche apport à la connaissance de revenir au pays. Jean trouve un poste à l’École de de l’insurrection communarde. médecine de Limoges, Jacqueline se fait éleveuse de Les Amies et Amis de la Commune, touchés par la moutons. En 1963 naît leur fille, Anne. Leur militan - disparition de Jean, garderont en mémoire l’image tisme prend une dimension supplémentaire, l’acti - d’un grand Ami et d’un grand Monsieur. visme culturel : création d’un ciné-club, fêtes à GEORGES CHATAIN thèmes, concerts. Jean relance un artisanat pharma - ET LES AMIES ET AMIS DU COMITÉ DU BERRY ceutique délocalisé de Paris en 1940, en lui obtenant

* Payse éditions, 2016. NOTRE ASSOCIATION 20

NOUVELLES DU BERRY

our notre comité, ce qui domine, c’est avant Gambon étant né il y a 200 ans, le 19 mars 1820, Michel tout l’émotion suscitée par la Pinglaut a évoqué, avec précision, la vie et l’œuvre du disparition de Jean Chatelut, « un grand Ami grand communard trop méconnu, et ses anecdotes les P et un grand Monsieur », notre ami Georges mieux choisies ont régalé l'assistance. Par une concordance Chatain lui rendant pour nous un bel hommage dans un des temps pertinente, notre époque ne fut nullement igno - article publié à la page précédente. rée, encore moins épargnée, ce qui n’a pas choqué, au En Indre, le 10 janvier, une réunion des Ami-e-s du contraire, le public d’un lieu libertaire qui avait déjà Berry s’est tenue à la médiathèque d’Issoudun, ville sen - accueilli avec satisfaction notre dernier café communard. sible à la mémoire de la Commune, afin d’actualiser les Cette conférence fut redonnée aux archives du Cher et au statuts ; le même jour a été officialisé l’accueil dans la restaurant La Courcilière pour un repas évoquant «l’homme cité issoldunoise, le 20 mars 2021, des « Amis de Louise » à la vache». Enfin — et ce n’est pas anecdotique — nos (Haute-Vienne) pour la représentation d’une fresque néo-adhérents Marie-Annick et Jean-Claude Bourguignon, humaine « Communeux, communardes » : une initiative de retour de la journée d’accueil à Paris, nous ont régalés majeure autour d’un moment Commune plus large. Marie d’un joyeux compte rendu très apprécié. Mercier, la native issoldunoise, a été à nouveau honorée JEAN ANNEQUIN, MICHEL PINGLAUT, en présence de Mme Candé, adjointe à la Culture. Le 22 JEAN-MARIE FAVIÈRE janvier, toujours dans la perspective du 150 e anniversaire, Voir notre blog vaillantitude une rencontre inédite a eu lieu à Châteauroux entre les responsables des Archives départementales de l’Indre, du Cher, de l’Indre-et-Loire, et de ceux du Berry, aux côtés de Patrick Fonteneau. Cette fructueuse réunion interdéparte - RENCONTRE DES NOUVEAUX mentale a vu un partage de projets communs : des confé - ET NOUVELLES ADHÉRENT.E.S rences départementales, une exposition sur la Commune en avril, une présentation d’archives locales, une utilisa - tion du fonds déposé par Patrick à Tours, un travail avec est le samedi 25 janvier qu’a eu le service éducatif et les scolaires autour des destins indi - lieu l’édition 2020 de la rencontre viduels des natifs locaux. avec les nouveaux et nouvelles Sans surprise, le Cher a honoré Vaillant sur sa tombe à C’ adhérent.e.s. Une trentaine d’en - Vierzon. Mais une originalité : c’est la première fois qu’on y tre eux avaient répondu à l’invitation, et célèbre, non sa mort en décembre, mais sa naissance en presqu’autant d’ancien.ne.s. Il y avait là des janvier, à l’occasion d’une année en « 0 » : 180 ans depuis Parisiens et des Franciliens, mais aussi des le 29 janvier 1840. Dans ce cadre, le Berruyer Ferdinand Dieppois ou des Berrichons. 21 NOTRE ASSOCIATION

Nous inaugurions, pour l’occasion, une nouvelle LA TERRASSE formule. La réunion commençait le matin, comme DES 500 DÉLÉGUÉS toujours dans la salle Varlin de la Maison du Livre, DE LA COMMUNE boulevard Blanqui (XIII e). L’amie Muriel présentait d’abord l’Association, son organisation, son his - toire, ses finalités, et ses rendez-vous réguliers : Le jeudi 5 mars a été dévoilée la plaque le parcours du 18 mars, le banquet, la montée au apposée sur la Terrasse des 500 délégués de la Mur, la fête de la Commune. Puis la parole était Commune, au 14 rue Volta, dans le III e arron - donnée aux responsables des différentes commis - dissement. sions : patrimoine, culture, littérature, bulletin, Notre association était représentée par fêtes et évènements, sans oublier les finances. À Françoise Bazire, Sylvie Pépino et Charles tour de rôle, chaque commission présentait son Fernandez, aux côtés de Pierre Aidenbaum, fonctionnement, ses activités, le tout agrémenté maire du III e, Ariel Weil, maire du IV e, de projections. Un appel était lancé aux nouveaux Gauthier Caron-Thibault premier adjoint au et nouvelles adhérent.e.s afin qu’ils viennent en maire du III e. renforcer les rangs. L’activité des comités locaux, dont quelques représentant.e.s étaient présent.e.s, était aussi évoquée. S’ensuivait un échange avec la salle, pour répondre aux ques - tions qui pouvaient se poser. L’échange se poursuivait ensuite, de manière plus informelle et plus conviviale, autour du buffet préparé par la commission fêtes et évè - nements. Le verre de « communard » à la main, nous pouvions parler de choses sérieuses et moins sérieuses dans un esprit de fraternité. MP NOTRE ASSOCIATION 22

LA CREUSE PRÉPARE LE 150 E ANNIVERSAIRE

e Comité creusois des Amies et Amis de la Commune de Paris prépare déjà activement le 150 e anniversaire, sans attendre L 2021. Du 18 au 20 septembre 2020, une exposition consacrée à des artistes plasticiens qui prennent pour thème la Commune de Paris sera présentée à l’abbaye de Prébenoît dans la Creuse 1. Un livret d’expo sera réalisé pour 2021. Il est prévu de faire tourner cette exposition dans les départements alentour et peut-être à Paris (si l’on arrive à obtenir une salle). L’exposition générale de l’Association servira de fil conducteur historique à cette exposition artistique. Il est encore projeté de sortir un deuxième numéro des Cahiers des migrants creusois dans Portrait de Louise Michel , par Benoît Fabioux la Commune de Paris 1871 , prenant la suite de celui qui était paru en 2019 2. Enfin, un spectacle sera présenté à Lascoux : chansons qui auraient pu être chantées du Héros ordinaires. V.3 - Chansons du temps de la temps de la Commune, soit qu’elles aient été Commune 1871-2021 . Séverin Valière retracera écrites par les auteurs de l’époque (Louise l’histoire de la Commune en interprétant des Michel, Jules Jouy, Jules Vallès...), soit des chansons antérieures faisant écho à cette En avant la Commune , par Bernard Bondieu période. En avant-goût de l’exposition sont présen - tées ici deux des œuvres exposées : un portrait de Louise Michel de Benoît Fabioux et une sculpture, En avant la Commune, de Bernard Bondieu. BERNARD BONDIEU, JEAN-LOUIS GUGLIELMI

(1) Abbaye de Prébenoît, 23270 Betête. Du 18 au 20 septembre 2020. (2) Voir La Commune , n° 79, 2019/3. Les Cahiers des migrants creusois dans la Commune de Paris 1871 , Éditions Ateliers et Vie aux Coudercs. 23 ACTUALITÉ

EXPOSITION pour le XIX e siècle, Gustave Courbet (le musée KANAK d’Ornans prête Autoportrait à la prison de Sainte- Pélagie ), Jean-Baptiste Carpeaux, Etienne Villeret. À BOURGES Henri Cueco et Ernest Pignon-Ernest témoignent du XX e siècle et, pour notre siècle, Vincent Péraro a ous avons rencontré Mme Dominique sculpté Tjibaou . Nous retrouvons la vie de Bourdinat : Deyber, responsable de la conservation son enfance à Bourges, la Commune, le bagne de l’Île et de la régie du réseau des musées des Pins, sa vie sociale… N de Bourges, commissaire de l’exposition Un riche programme culturel accompagne l’expo - Kanak, enquête sur une collection . sition durant six mois. Notre Association des Amies « En 2014, la curiosité suscitée par un casse-tête et Amis de la Commune a contribué au contenu de en bois, dans les réserves du musée du Berry, a été l’exposition. l’occasion de tirer le fil de l’Histoire. La donation de MICHEL PINGLAUT Gervais Bourdinat comprend une centaine d’objets, en majorité des armes, qui proviennent de Nouvelle- Kanak, enquête sur une collection - Exposition repoussée à une Calédonie. C’est une collection inédite de la ville de date ultérieure. Musée du Berry : Hôtel Cujas, Bourges. Bourges. Ces objets ont rejoint l’inventaire du patri - Tél : 02 48 70 41 92 moine kanak, débuté en 1980, dispersé dans 110 musées nationaux (plus de 170 000 objets). Affiche de À partir de ce casse-tête, un inventaire a été dressé l’exposition (66 sagaies, 100 armes), des jupes de femmes, monnaies d’échange pour les rituels ». Le Kanak Poindi Patchili Dominique Deyber et son équipe se sont intéressées Photo Poindi-Patchili ©Mitchell library, Sydney au donateur, le charpentier Gervais Bourdinat : acte de naissance, à Bourges, dossier du 9 e conseil de guerre pour sa participation à la Commune et déportation. Il restera à Nouméa, mais enverra, par bateau, de 1882 à 1883, les objets précités. Il prendra soin, par res - pect, de noter le nom des chefs kanak, propriétaires des armes. Le quai Branly a été contacté : Emmanuel Kasarhérou est conseiller-directeur scientifique de l’exposition. Après la loi d’amnistie, Gervais Bourdinat restera en Nouvelle-Calédonie et sera élu conseiller municipal. Il emploiera des Kanak dans son entreprise de charpente. Il était proche des francs-maçons et est resté anticlérical. Sa tombe est ornée d’une colonne tronquée. Il faut venir découvrir l’exposition conçue en trois parties. Une partie historique lie la vie de Bourdinat à la Troisième République et à la Nouvelle-Calédonie. Des œuvres artistiques majeures sont présentées : CULTURE 24

CES ARTISTES COMMUNARDS QUI VONT S’ÉPANOUIR À L’ÉTRANGER ET Y RÉUSSIR MIEUX QU’EN FRANCE (3)

JAMES TISSOT 1836-1902 ET LA COMMUNE DE PARIS

l’occasion de la grande expo - sition consacrée au peintre James Tissot au musée d’Orsay, du 24 mars au 19 juillet 2020, il est intéressant À de reposer la question de son implication ou non dans la Commune de Paris, question qui divise tous les spécialistes artis - tiques. Les avis sont très partagés mais, si l’on se réfère à Internet, majoritairement en faveur de sa participation à l’évènement. Par contre le spécialiste éminent de Tissot, Cyrille Sciama, direc - teur du musée des Impressionnistes à Giverny, commissaire de la présente exposition, est d’un avis contraire : « On a dit Tissot communard, mais cela semble peu probable. » Mais il n’avance guère d’arguments factuels précis et affirme seule - ment: « Les sentiments de Tissot sont patriotiques mais son indépendance farouche et son individua - lisme rendent un engagement dans la Commune dif - James Tissot, Portrait de Bastien Pradel de Figeac ficile à envisager. » 1 (1870), souvenir du siège de Paris. Il ne s’agit pas là d’une démonstration argumen - tée mais d’un jugement non étayé, semblant mal çais ont fui la France pour se réfugier à Londres dès s’appliquer à un personnage qualifié, dans le titre 1870 ; Tissot aurait pu partir car, plus que les même de l’exposition, d’ « ambigu moderne » e t que autres, il connaît bien l’Angleterre, pour s’y être les frères Goncourt, qui l’ont bien connu, décrivent souvent rendu : il exposa pour la première fois à la comme « un être complexe ». La vie de Tissot n’est Royal Academy de Londres en 1864. Son anglophi - pas celle d’un long fleuve tranquille, elle est riche lie l’amena même à changer son prénom (Jacques- de brusques virages, de ruptures, de surprises, Joseph) en James. En 1869, il séjourne encore en d’actes passionnels. Regardons par exemple la Angleterre pour étudier les caricatures du magazine période 1870-1871 : presque tous les artistes fran - Vanity Fair et se lie d’amitié avec Thomas Gibson 25 CULTURE

Bowles, le fondateur et éditeur du journal satirique grande capacité de James Tissot à s’adapter à son auquel Tissot va collaborer désormais régulière - environnement, non pas par opportunisme mais ment avec soixante-deux caricatures. par sympathie et par une réelle chaleur humaine. Pourtant il ne part pas et s’engage dans les C’est ce que le grand historien anglais, spécialiste Tirailleurs de la Seine, unité de francs-tireurs for - de la Commune, Robert Tombs, a analysé dans son mée en septembre 1870 pour la défense de Paris 2. livre Paris, bivouac des révolutions 4. Il montre com - Il participe aux combats de Rueil-Malmaison le 21 ment en août 1870 les blanquistes, croyant à une octobre 1870, « manifestant sa bravoure » 3. Durant situation révolutionnaire, tentèrent de déclencher les moments de calme, il « croque » sur le vif ou une insurrection qui ne mobilisa que soixante per - après-coup des compagnons (le soldat blessé, sol - sonnes. Échec complet. Ce qui allait tout changer, dats blessés dans la chambre verte de la Comédie ce fut la Garde nationale : 340 000 hommes en française transformée en hôpital, une cantinière de armes de tous milieux sociaux qui, au fil des mois, la Garde nationale), dans d’autres dessins, il pré - apprirent à se connaître. Les solidarités de voisi - sente des compagnons de combat : Bastien Pradel nage furent décisives dans leur engagement dans la de Figeac, Sylvain Périer du 139 e régiment, un Commune. Cela permet de comprendre comment groupe de tirailleurs de la Seine. On est très loin certains insurgés, sans aucun antécédent politique, des peintures des belles anglaises de la haute ont combattu jusqu’à la mort. Sans aller jusque-là, société ou de La femme de Paris ! C’est cela qui on peut penser que « l’individualisme » de Tissot a n’est pas pris en compte par Cyrille Sciama, la pu s’adoucir au contact du groupe et qu’il a senti

James Tissot, Exécutions des communards devant les fortifications du bois de Boulogne, 29 mai 1871 . CULTURE une chaleur humaine aux côtés de ces hommes qu’il côtoyait depuis des mois et qui furent parfois bles - sés ou perdirent la vie. Au total ce sont 70 dessins que Tissot a produits durant cette période et dont quelques-uns furent publiés en Angleterre dans un ouvrage de son ami Thomas Gibson Bowles, sous le titre The Defence of Paris ; Narrated as it was seen (1871). Après la fin de la guerre avec la Prusse et la capitulation fran - çaise, Tissot ne part toujours pas en Angleterre et reste à Paris durant la Commune. Il ne partira qu’après la Semaine sanglante. Or curieusement Cyrille Sciama, dans l’article cité plus haut, écrit pour expliquer le départ de Tissot pour l’Angleterre : « Le choix du départ pour Londres s’ex - plique par de multiples raisons : la guerre civile en France ne plaide pas pour y séjourner et il est anglo - Des tirailleurs de la Seine. phile. » 5 Mais c’est le contraire ! Il n’est pas parti en mars lorsque la Commune commence mais début juin, lorsqu’elle a été écrasée ! La plupart des écri - ment ; il fait un croquis Exécution de deux commu - vains et des artistes anti-communards sont revenus nards par les versaillais le 25 mai 1871 , rue Saint- à Paris début juin 1871. Seuls sont partis à Londres Germain-l’Auxerrois. Il va ainsi accumuler des ceux qui pouvaient redouter des sanctions du pou - preuves terribles au fil des jours. Quatre jours plus voir versaillais. Ces simples constatations fac - tard, nouveau dessin qu’il intitule L’Exécution des tuelles invalident la thèse de Cyrille Sciama. Par communards devant les fortifications du bois de contre, on avance un peu dans le brouillard en ce Boulogne, 29 mai 1871 , à partir duquel il fera plus qui concerne le rôle de Tissot durant la Commune tard une aquarelle. Tissot accompagne ses dessins et toutes les assertions formulées seraient à véri - d’expli cations : « Notes prises pendant l’exécution de fier soigneusement. Pour beaucoup, James Tissot gardes nationaux ayant participé à la Commune le 29 continua son service dans la Garde nationale fédé - mai 1871. » Voici un passage : « On les voit de loin rée sous la Commune. Pour certains, il a travaillé aller très vite chacun à leur tour à la place où on les comme brancardier durant la Commune et fait de tue. Ils tombent comme une poupée et on voit le ser - son appartement une ambulance, d’autres disent gent qui court pour donner le coup de grâce. Même un hôpital pour les blessés 6. Il ne part pas non plus cérémonie le lendemain et sur d’autres bastions. lors de la Semaine sanglante (21-28 mai 1871) et, (…) Sur le lieu de l’exécution, très peu de sang mais dans des circonstances particulièrement dange - beaucoup de cervelles à cause du coup de grâce dans reuses, il va faire plusieurs dessins pour montrer la l’oreille. » 7 Scène terrible qui évoque les images des férocité de la répression versaillaise : il voit passer Einsatzgruppen et de la « Shoah par balles 8 ». L’attitude le peloton qui va fusiller des communards depuis de Tissot était d’autant plus dangereuse pour lui son appartement de l’avenue de l’Impératrice que le gouvernement de Thiers avait interdit toute (actuelle avenue Foch) dans le XVI e arrondisse - prise de vue ou représentation graphique de la 27 CULTURE répression sous peine de sanctions graves. maladresse mondaine d’invités arrivés en avance à C’est avec ce matériel que Tissot va quitter la une réception. Dans Silence ! ou le concert (1875), France et gagner Londres dans les jours qui suivent. il peint un événement mondain, un concert durant Il est logé dans un premier temps par le directeur lequel une partie du public échange des propos, de Vanity Fair près de Hyde Park. Peu après il se indifférente au talent de la violoniste. Mais Tissot rend chez Lady Waldegrave, dont le mari est un sera à son tour victime de ces règles mondaines, homme politique libéral important. Il lui confie ses car il tombe amoureux en 1876 d’une Irlandaise notes et ses dessins pour qu’elle les montre à son Kathleen Newton, divorcée, mère de deux enfants époux et à ses collègues. Il se révèle, en la circons - illégitimes. Elle devint son égérie et son principal tance, comme un lanceur d’alerte avant l’heure, un modèle pendant des années. C’en était trop pour la témoin oculaire de la férocité de la répression ver - société puritaine qui cessa d’inviter un couple saillaise. Voilà des éléments factuels incontestables « vivant dans le péché ». Il perdit ainsi une partie qui confirment l’implication profonde, l’engagement de sa clientèle. Fidèle à sa compagne, Tissot s’isola de Tissot dans les évènements qu’il vient de vivre de plus en plus. Kathleen Newton, victime de depuis des mois. On ne prend pas de tels risques la tuberculose, mourut en 1882. Fou de dou - quand on ne pense qu’à soi. leur, Tissot, abandonna sa maison, laissant Après cela, certes, il tourne la page comme beau - tout sur place pour revenir en France. La suite coup d’autres. L’image du communard n’est pas le de sa carrière sera encore pleine de rebondis - meilleur moyen de séduire la haute société sements mais cela est un autre sujet. anglaise, ce qui explique qu’il ne va plus parler de PAUL LIDSKY ce sujet. Il consacre toute son énergie à conquérir par sa peinture ce nouveau marché. Il y réussit 1) Catalogue de l’exposition du Petit-Palais à Paris : Les pleinement au point que, jusqu’à récemment, il Impressionnistes à Londres. Artistes français en exil, 1870-1904, était beaucoup plus connu en Angleterre et aux Paris Musées, 2018, p. 82. Auteur du livre James Tissot et ses maî - États-Unis qu’en France. Sa capacité d’adaptation tres , Somogy, 2005. Voir aussi l’article de John Sutton, La est étonnante ; il a su ren - voyer à la haute société lon - Silence ! ou Le concert (1875) donienne l’image belle et flatteuse qu’elle désirait : beauté, élégance, monda - nité, richesse, chic, culture. Le monde peint par Tissot rappelle celui de Proust. Mais, au-delà des appa - rences, Tissot laisse percer un regard ironique sur cette société mondaine théâtrali - sée dans laquelle toutes les règles sont codifiées : Son tableau Trop tôt (1873), par exemple, met en scène la CULTURE 28

Commune , n° 76, 2018/4, p. 26. 2) Parmi les tirailleurs, on trouvait de nombreux artistes patriotes. Aussi les journalistes anglais leur donnèrent-ils le nom de Artist’s brigade . Parmi eux on peut citer : Cuvelier, Jacquemart, Leloir, Leroux, Rajon, Vibert. 3) Cyrille Sciama, ibid. , page 82. 4) Paris, bivouac des révolutions, la Commune de 1871 , Libertalia, 2014. 5) Ibid , page 82. 6) Blog de l’association Autour du Père Tanguy . 7) Citation reprise d’un texte d’Élisabeth Jacklin figurant dans le catalogue de l’exposition Les impressionnistes à Londres , page 38. 8) La Nina Childress , Un enterrement à Ornans, 2019 « Shoah par balles » désigne les massacres de population juive perpétrés par l’armée allemande hors des camps d’extermina - ENCORE UN ENTERREMENT tion, essentiellement en Ukraine. À ORNANS !

u contraire de celui vraisemblable dette d’État À PROPOS DU DESSIN de Yan Pei-Ming en dont il a été victime à la suite PARU DANS LE N °81, P. 27 noir et blanc dont d’un procès inique ? C’est ce A nous avons parlé que pense le commissaire de Le dessin de Capellaro repro - dans le précédent numéro de l’exposition qui eut lieu à la duit dans le dernier numéro ne La Commune , L’Enterrement Fondation Ricard à Paris en peut pas représenter une de Nina Childress est tout en février-mars dernier. République. Elle tient dans sa couleurs printanières. Le pr e- Il est intéressant de voir que main gauche un miroir. Elle est représentée nue, assise sur un mier est respectueux de son dans l’art contemporain en rebord qui est sans doute une sujet, le deuxième est icono - panne de sujet, pour des margelle de puits. C’est la repré - claste et provocant autant artistes d’origine chinoise ou sentation traditionnelle de la que la toile originale de américaine, comme c’est le Vérité. Mais celle-ci est agitée Courbet l’a été. cas de Nina Childress qui vit d’un mouvement de colère et Mais les temps ont bien elle aussi à Paris, il est quel - brandit dans sa main droite, changé et personne ne s’of - quefois nécessaire de retour - prête à frapper, des branches fusque plus. Les personnages ner aux grandes œuvres des regroupées en balai. Son geste correspond bien au sentiment du groupe des familiers, à musées, quitte à s’en moquer que devait éprouver l’artiste droite du tombeau, portent au passage. Picasso pratiquait communard emprisonné à des sacs sur la tête. Est-ce une cela avec maestria. Comme si Sainte-Pélagie, où il réalisa ce « évocation de la façon dont le la peinture était un vaste ter - dessin en août 1871 comme peintre se donna la mort », la rain de jeu. indiqué sur le socle. ED veille du recouvrement de l’in - EUGÉNIE DUBREUIL 29 CULTURE

JULES ADLER « PEINTRE DU PEUPLE »

e Musée d’art et d’his - toire du Judaïsme (MahJ) vient de consacrer une L exposition à Jules Adler (1865-1952), peintre aujourd’hui méconnu, bien qu’il fût célébré en son temps. Franc-comtois, né à Luxeuil-les-Bains (Haute-Saône) en 1865, il n’a pas pu connaître la Commune. Alors, pourquoi l’évoquer dans le bulletin des Amies et Amis de la Commune de Paris ? Le titre de l’exposition, Peintre du peuple , apporte un élément de réponse. D’abord, il est franc-comtois, et Jules Adler, Paris vu du Sacré-Cœur , 1936. Musée des Beaux-Arts de Dôle. l’on pense inévitablement à Courbet. Pourtant il ne l’a jamais rencontré, puisqu’il arrive à Paris en 1882, cinq ardemment au combat dreyfusard. ans après la mort de Courbet. Mais il s’inscrit Il est l’auteur d’un tableau iconique, La Grève dans le courant naturaliste qui, à l’époque où au Creusot (1899), que tout le monde connaît, Adler peint, ne fait plus l’objet de la même sans nécessairement en connaître l’auteur. Car réprobation qu’au temps de Courbet. une grande partie de son œuvre est consacrée Républicain, proche de Zola, il participe au monde du travail : les ouvriers des mines et des manufactures, les petits métiers de la rue et de la campagne, les déracinés. L’exposition comportait deux références expli - cites à la Commune. La première, en rappro - chant Le Chemineau (1898) — thème plusieurs fois décliné par Adler — du thème du Juif errant évoqué par Courbet dans Bonjour Monsieur Courbet . L’autre à propos de Paris, vu du Sacré-Cœur (1936), où les personnages sont délibérément représentés tournant le dos au Sacré-Cœur, symbole de l’écrasement de la Commune. La grève du Creusot , 1899. Musée des Beaux-Arts de Pau. Mais l’œuvre est bien plus riche que ce que ces quelques lignes laissent entrevoir. On ne CULTURE 30

CHANSONS AU TEMPS DE COURBET

C’est le hasard d’un cadeau L’interprétation et la musique qui m’a fait découvrir ce disque sortent du registre habituel. de « Chansons populaires du Violon, piano donnent à ces Jules Adler, Le chemineau , 1908. temps de Courbet ». La chan - chansons une forme de légèreté. Musée d’Orsay. teuse et violoniste franco-rou - MICHEL PUZELAT maine Ana-Maria Bell y inter - peut que regretter que le très prète des chansons de Jean- Ana-Maria Bell, Allons faire un tour à la beau catalogue soit épuisé. Baptiste Clément, de Pierre banque. Chansons populaires du temps Mais on peut néanmoins avoir Dupont, de Gustave Nadaud. On de Gustave Courbet . Arthemus Records. une idée de l’œuvre d’Adler en y trouve des morceaux connus : allant flâner sur Internet… Le Temps des Cerises , inévita - MP blement, La Semaine sanglante, Le soldat de Marsala . Mais aussi Amélie Lavin, Vincent Chambarlhac et d’autres textes moins connus, Bertrand Tillier, Jules Adler. Peindre sous la comme Allons faire un tour à la IIIe République , éd. Silvana, 2017. banque de Jean-Baptiste Catalogue de l’exposition présentée à La Clément, qui donne son titre au Piscine de Roubaix (juin-septembre 2019) disque. Et même une chanson et au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, sur des paroles de Courbet, Chez à Paris (octobre 2019-février 2020). la mère Euvrard . 31 LECTURES

SOUFFRANCES auteurs a vec Rochefort, qui inspi - rebutantes, les outrages, les coups, ET HUMILIATIONS rera Manet pour deux de ses toiles. les plaintes calomnieuses ». Et EN NOUVELLE-CALÉDONIE Il faut souligner le style haletant pourtant « les forçats politiques qui en fait une nouvelle d’une sont des hommes ! Ils parviennent grande modernité dans la rédac - à rester dans la boue sans se tion. L’émotion nous guette au salir ! » détour des pages consacrées à la FRANCIS PIAN mort de Delescluze avec une des - cription de son parcours de la François Jourde, Souvenirs d’un membre place Voltaire à la place du de la Commune, suivi de Les condamnés Château-d’Eau. La fin de la Commune politiques en Nouvelle-Calédonie. Récit de livre Paris aux mou chards et aux deux évadés, Paschal Grousset et François soldats « ivres d’alcool et de sang », Jourde , Ed. Le bas du pavé, 2019. toujours ces scènes atroces légiti - mées par un État qui lâche ses troupes contre le peuple en toute LES « PÉTROLEUSES » impunité. Les deux auteurs décri - vent avec une précision méticu - leuse le voyage de Paris à la Nouvelle-Calédonie, les maltrai - tances à bord envers les malades, puis la vie au bagne, le sadisme Les livres écrits par les acteurs de des surveillants, le châtiment du la Commune ont cette puissance fouet, le désœuvrement condui - du témoignage qu’aucun autre sant à la folie. Jourde démontre la ouvrage ne peut contenir. Les démarche classique de la colonisa - Éditions Le bas du pavé nous tion qui exploite les peuples offrent Les souvenirs d’un membre autochtones, en l’espèce les de la Commune de François Kanak. Les enquêtes diligentées Jourde, délégué aux finances, par les pouvoirs publics se satisfe - suivi de Les condamnés politiques ront de fausses déclarations des en Nouvelle-Calédonie de François autorités du bagne et les souf - Jourde et de Paschal Grousset, frances n’en seront qu’accrues. Les journaliste, tous deux déportés surveillants auront davantage de dans des conditions effroyables. rage à l’égard des déportés poli - Elles sont au premier plan. Certes La République bourgeoise de tiques que des droits communs. elles ne votent pas, elles ne sont Versailles dut bien avoir peur « Le surveillant, souvent indifférent pas élues dans les instances poli - pour faire preuve d’autant de pour le scélérat, est plein de haine tiques de la Commune. Et pourtant haine à l’égard des communeux. contre le « communard ». Il se sait les voici dans le très beau livre Le recueil débute par méprisé et se venge par les plus d’Edith Thomas, enfin réédité sous la célèbre évasion des deux basses injures, les besognes les plus son titre, comme un étendard défiant LECTURES 32

les versaillais : Les « Pétroleuses » . grands procès, ceux de Béatrix inclassable. Il a revendiqué son origi - Elles alertent Paris le 18 mars, Excoffon, de Louise Michel, par contu - nalité d’une formule : « Je suis courbé - créent des clubs, préconisent des mace d’Anne Jaclard, mais aussi de tiste ! » C’est un « génie solitaire », qui réformes visionnaires dans l’ensei - Marie Schmitt qui crânement devant s’est essayé à tous les genres, « un gnement, la vie civile, la recon - le conseil de guerre affirme : « Je héros romantique », champion du réa - naissance de l’union libre, le débat regrette de ne pas avoir fait tout ce lisme et aussi un homme politique qui public, l’égalité entre les femmes qu’on me reproche. » Plus courageuses a payé le prix de son engagement. et les hommes. Elles soutiennent que bien des hommes de la Commune, L’auteur note que « les insurrections les combattants et leurs familles ces dames du peuple. n’ont pas intéressé Courbet qui, dans les cantines, les ambulances, Pourquoi se sont-elles battues contrairement à Delacroix, n’a rien les sociétés de secours et de soli - avec autant d’énergie ? Sans doute peint d’aussi explicite que La Liberté darité. parce qu’elles avaient plus à guidant le peuple ». Mais « la rébellion Les femmes du peuple. C’est un gagner. À la question, « Quel effet constante des années parisiennes, ver - réel plaisir de retrouver le style vous fait la vie que nous bale et artistique, aboutit à sa partici - enflammé d’Edith Thomas, une menons ? », montant la garde de pation à la Commune qui constitua une femme de conviction, qui fait parta - nuit à la gare de Clamart, une rupture » et un engagement total. ger la vie de ces combattantes. femme au large front répond : Parmi celles-ci, nous côtoyons les « Mais l’effet de voir devant nous grandes figures comme Victorine une rive qu’il faut atteindre. » Brocher, Marcelle Tinayre, Elisabeth FRANCIS PIAN Dmitrieff, Nathalie Le Mel, et évi - demment l’icône, Louise Michel, Edith Thomas, Les « Pétroleuses » , mais aussi des inconnues, les L’Amourier Éditions, 2019. (1 re édition : femmes du peuple. Il en est qui 1963). Préface de Bernard Noël. Dessin feront le coup de feu, par exemple de Ernest Pignon-Ernest. Honorine Siméon dans les tranchées à Clamart. À la barricade, une cré - mière, une blanchisseuse, une pas - UNE MONOGRAPHIE sementière ; certaines y meurent, MAGISTRALE SUR d’autres seront fusillées sans procès. COURBET De la dignité et du courage. Les portraits de ces héroïnes constituent Valérie Bajou, conservateur au Après le 4 septembre 1870, il est de réels bijoux littéraires, en plus de Château de Versailles pour la peinture président de la commission pour l’intérêt historique. Il ne faut pas du XIX e siècle, propose une seconde la conservation des œuvres de dif - croire que les hommes de la Commune monographie sur Courbet, « redevable férents musées. Au printemps comprennent leur combat. Certains aux recherches récentes des spécia - 1871, on lui demande une profes - d’entre eux expriment une condescen - listes ». L’ouvrage érudit — 639 pages, sion de foi, mais est-ce vraiment dance moqueuse à leur égard. Edith 360 illustrations —, interroge nécessaire, selon lui, après Thomas n’élude aucune question l’homme, l’artiste et l’œuvre 1. « trente ans de vie publique, révo - notamment celle de l’origine du terme Chez Courbet, « les contradictions et lutionnaire, socialiste, pacifique… « pétroleuse ». Elle aborde aussi les les interrogations affluent » car il est constamment occupé de la question 33 LECTURES

sociale… pour arriver à ce que ment reconquis par l’ouest. « La rue l’homme se gouverne lui-même Saint-Maur est jusqu’à la fin au cœur dans ses besoins » : « célèbre texte des combats ». Quant à Claude qui fait toujours aussi chaud au Payet, « il se cache. Pas loin du cœur » 2. Élu le 16 avril 1871 pour 209, chez sa maîtresse, Madame le 6 e arrondissement, il siège à la Tournier, au 111, rue Oberkampf ». Commune, parallèlement à son Le 17 juin 1871, il est arrêté. Lors action à la tête de la Fédération de son interrogatoire, il indique : des artistes de Paris. Le déboulon - « J’ai été blessé le 25 mai, rue nage de la Colonne Vendôme, qui Alibert, pendant que j’étais adossé lui fut personnellement imputé, au mur de l’hospice Saint-Louis. eut une portée symbolique consi - J’avais déjà été sur plusieurs barri - dérable qu’il n’a sans doute pas cades pour m’assurer du progrès anticipée. Lui qui n’a pas quitté que les troupes de Versailles fai - Paris, il connaît, après une chasse saient, mais il y avait beaucoup de à l’homme, procès, condamnation, désordre parmi nous. Mais j’étais là humiliation — ce qu’Aragon a CLAUDE PAYET, parce que je préférais être tué dans nommé « l’hallali critique » — exil COMMUNARD la rue que d’être tué chez moi », et désespoir. Mais « il renoue avec « phrase où résonne la certitude de la peinture après un an de mutisme Après un documentaire diffusé la défaite », selon l’auteure. quasi-total », à l’exception de sur Arte, en 2018, sur Les Enfants Il est condamné le 1 er novembre scènes à la mine de plomb, pierre du 209 rue Saint-Maur, Paris X e, 1871, par le 14 e Conseil de noire et fusain, « journal poignant Ruth Zylberman a poursuivi sa guerre, à la déportation simple et de la répression » des communards. recherche sur cet immeuble 1. À à la dégradation civique et est « On a le sentiment, en refermant partir de différents fonds d’ar - emprisonné dans la citadelle de le livre, que Courbet a tout peint de chives, les recensements et les Rochefort. Une seconde demande la vie telle qu’elle est, de la mort témoignages, elle fait revivre l’es - de grâce est acceptée et sa peine telle qu’elle vient » 2. Avec ce livre, prit du lieu et ses occupants dont est commuée en cinq ans de Valérie Bajou a-t-elle tout dit de « un vaillant communard, Claude détention. Il est libéré le 18 l’artiste et de l’homme Courbet ? Payet, qui travaillait dans une novembre 1875. « Que devient-il Sans doute pas, puisqu’elle fabrique au rez-de-chaussée » 2 du alors ? », s’interroge l’auteure. Ne indique n’avoir proposé « qu’une 209 (le 185 en 1871) rue Saint- subsiste plus que « le souvenir de image de Courbet incomplète et Maur. la chevelure noire, du teint blanc partiale. À suivre. » Claude Payet a 23 ans, il est ouvrier et des yeux bleus de Claude ALINE RAIMBAULT bijoutier. Il a été élu, le 6 avril Payet », l’un des combattants de 1871, sous-lieutenant dans la 3 e la Commune. (1) Valérie Bajou, Courbet. La Vie à tout compagnie de marche du 128 e AR prix , Cohen et Cohen Editeurs, 2019. bataillon fédéré. En avril 1871, il se (1) Ruth Zylberman, 209, rue Saint-Maur, Paris (2) Philippe Lançon, « Gustave Courbet, cause bat à Issy et à Levallois-Perret. Le X e. Autobiographie d’un immeuble , Seuil/Arte, Commune », Libération , 14/15 déc. 2019. 22 mai 1871, il est de retour vers le 2020. (2) Frédérique Franchette, « Ruth Zylberman, Xe, alors que Paris est progressive - du sang neuf au « 209 », Libération , 16 jan. 2020. LECTURES 34

LA POLICE DES ÉCRIVAINS

et ouvrage lequel il révélait l’existence de bière ou de brandy. Vallès a reprend les du « missel » des communards, pour maîtresse une prostituée, rapports que un album photographique où mais on ignore jusqu’à présent la police figuraient le portrait et le s’il en tire profit ». parisienne a signalement des insurgés La surveillance se poursuit C consacrés à recherchés après la Semaine après le retour de l’écrivain à quinze écrivains dont trois sanglante. Repéré a vant la Paris. Extrait d’un rapport du nous intéressent particulière - Commune pour ses « opinions 15 août 1880 : « Les collecti - ment : Jules Vallès, Paul subversives », Jules Vallès fera vistes (…) sont parvenus à cir - l’objet d’une surveillance poli - conscrire Jules Vallès qui va cière constante, y compris pen - marcher carrément avec eux. Il dant son exil à Londres. « Elle va reprendre Le Cri du peuple sera même posthume, la police et faire de l’agitation révolu - s’intéressant à ses obsèques en tionnaire ». Notes suivies de ce 1885 et à l’inauguration de son jugement à l’emporte-pièce : buste en 1914 », souligne Bruno « Vallès est un excentrique, il Fuligni. Mais les renseignements n’est pas très estimé dans la varient selon les indicateurs. classe ouvrière, mais il est « De tou s les réfugiés de la cependant à craindre qu’avec Commune, à l’exception de Pyat, Vallès est le plus prudent. Victor Hugo, par Gill Il évite autant que possible le voisinage de ses co-exilés. C’est un homme sobre, discret et tra - vailleur », croit savoir un mou - Jules Vallès chard, le 17 mars 1873, à Londres. Cinq mois plus tard, Verlaine et Victor Hugo. dans la même ville, une autre Ces fiches ont été dénichées mouche se montre particuliè - dans les archives de la rement ignoble : « Tous les Préfecture de police par Bruno soirs, on peut voir Vallès en Fuligni. L’écrivain avait déjà compagnie de Charles Da Costa publié, en 2008, Dans les 1 dans les pubs avoisinant secrets de la police (Éditions l’Alhambra ou Hay Market, de l’Iconoclaste), livre dans courtiser les filles et s’enivrer 35 LECTURES

10 juillet le premier tire au pis - ces dossiers, daté du 7 mars tolet sur le second à Bruxelles, 1876, on peut lire : « M. Hugo « la police parisienne est déjà a fait sienne et veut accaparer bien renseignée sur les deux pour lui seul la question de protagonistes du drame. Le l’amnistie. Il veut être le pre - jeune Rimbaud a été repéré par mier dans cette question. la ‘’ police des chemins de fe r ‘’, Tantôt, sans attendre la consti - étonnée qu’un mineur voyage tution du bureau, dès l’ouver - seul entre Charleville et Paris », ture de la séance au Sénat, il souligne Bruno Fuligni. Quant est résolu à déposer quand à « Verleine », il est connu même, contre tous les avis, sa pour ses sympathies commu - proposition d’amnistie. » nardes. JOHN SUTTON Paul Verlaine Sa fiche de police est un long poème calomnieux et malveil - Bruno Fuligni, La Police des écrivains , lant : « Verleine 30 à 32 ans. éditions Biblis, 2019. son talent il n’entraîne la Poète et ami des Hugo. Agent masse ». Près de trente ans de l’Internationale, membre du (1) Blanquiste exilé à Londres après la après la mort de l’auteur de Parnasse. Rédacteur du Rappel . Commune, lire sa notice dans le Maitron . L’Insurgé , le 16 février 1914, Très ambitieux, très lâche, a (2) Journaliste et écrivain libertaire, lire son buste, juché sur sa tombe beaucoup aidé la Commune à sa notice dans le « Maitron ». au Père-Lachaise, est inau - l’Hôtel-de-Ville et connaissant guré. Un indicateur rapporte le tous les membres du Comité de discours de Lucien Descaves 2 Salut public. Il a détourné et la réaction du public : « Son beaucoup de fonds et détruit buste est bien modeste si on le beaucoup de papiers, agent compare au mausolée d’à-côté poussant à l’incendie pour où dort Thiers, le sinistre vieil - détruire les preuves des malver - lard : on a entassé des pierres sations. » sur le corps afin probablement Autre grande plume ayant que son ombre carnassière ne fait longtemps l’objet d’une puisse sortir et rôder dans ce surveillance policière cimetière peuplé de ses vic - constante : Victor Hugo. Les times. » S’ensuivent de nom - rapports antérieurs à son breux cris de « Vive la retour d’exil en Belgique ont Commune ! » et un cri de « À bas été détruits dans les incendies Thiers ! ». pendant la Commune. Seuls Autres écrivains ayant fait ceux qui concernent son rôle l’objet d’une surveillance poli - dans la campagne en faveur de cière : Verleine (sic) et l’amnistie des communards ont Raimbalt (re-sic). Quand le été conservés. Dans l’un des La Commune DANS CE NUMÉRO

Édito - Le vent de la Commune · 02 Hommages aux Fédérés · 03 Histoire Les Compagnons du Tour de France et la Commune (2) · 04 L’École militaire, le Champ-de-Mars et la Commune (1) · 09 Notre association La commission Patrimoine · 12 La quatrième soirée d’histoire · 16 Hommage à Jean Chatelut · 18 Nouvelles du Berry · 2O La rencontre des nouveaux adhérents · 20 La Creuse prépare le 150 e anniversaire · 22 Actualité Une exposition kanak à Bourges · 23 Culture James Tissot et la Commune de Paris · 24 Encore un enterrement à Ornans ! · 28 Jules Adler, « peintre du peuple » · 29 Chansons au temps de Courbet · 30 Lectures Souffrances et humiliations en Nouvelle-Calédonie · 31 Les pétroleuses · 31 Une monographie magistrale sur Courbet · 32 Claude Payet, communard · 33 La police des écrivains · 34

Directrice de la publication : Claudine Rey. Ont participé à ce numéro : Jean Annequin, Laurent Bastard, Françoise Bazire, Bernard Bondieu, Michèle Camus, Georges Chatain, Hubert de Leffe, Eugénie Dubreuil, Jean-Marie Favière, Charles Fernandez, Jean-Louis Guglielmi, Paul Lidsky, Roger Martelli, Sylvie Pépino, Francis Pian, Michel Pinglaut, Michel Puzelat, Joël Ragonneau, Aline Raimbault, John Sutton. Coordination : Michèle Camus, Michel Puzelat · Graphisme et iconographie : Alain Frappier Impression : Imprimerie Maugein · ISSN : 1142 4524

Le prochain bulletin (83) paraîtra en septembre 2020. Faire parvenir vos articles avant le 31 mai 2020.

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