Le Livre D'or Du Compagnonnage
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Maquette : Massin © Jean-Cyrille Godefroy 1990 12, Rue Chabanais 75002 Paris ISBN 2-86553-084-1 Rendre hommage au Compagnonnage et au Métier, tel est le but premier de ce livre. Et surtout qu'on ne voie pas ici une évocation du passé ! Les Compagnons, s'ils sont gardiens de tra- ditions sont aussi résolument hommes du présent, tournés vers les techniques de l'avenir. Aussi avons-nous tenté dans ces pages de montrer par l'image et par le texte que si un glorieux passé nourrit quotidiennement les entreprises des Compa- gnons, c'est par un certain état d'esprit riche et vivant, et non par le ressassement de souvenirs perdus. La tradition du Métier telle que l'entendent les Compagnons est une affaire de transmission d'ancien à apprenti dans le res- pect du matériau, du trait, de l'outil, du travail et de l'œuvre à accomplir. Matériau d'abord, parce que pierre, bois, métal ou cuir, il est le lieu de la transformation qui, parfois durement, doit s'accomplir. C'est par sa résistance, sa qualité, sa franchise, qu'un matériau transmet à l'œuvrier, grâce à l'outil, le travail qui, le transformant, change cet œuvrier à son tour. Notion ini- tiatique, donc, en ce duo exemplaire entre un homme et la matière, l'initiation pouvant se définir comme la transmission d'une influence de nature spirituelle grâce à un véhicule for- mel, exercée dans le cadre d'une organisation traditionnelle et ayant pour but l'accomplissement graduel d'états supérieurs de l'être. Que le Compagnonnage demeure aujourd'hui l'une des rares organisations traditionnelles en Occident ne fait aucun doute. Encore faut-il s'entendre sur la signification du mot «tradition». Notre époque en fait trop souvent le synonyme de «passéisme». En fait, il s'agit du respect des valeurs morales, philosophiques et professionnelles toujours actuelles et dyna- miques permettant à l'homme de se transformer sur le plan individuel comme sur le plan social — et de se transformer dans l'Etre avant même de songer à l'Avoir, lequel est perçu comme le juste salaire matériel, témoin de cet autre salaire plus essen- tiel qu'est celui de la responsabilité et de la liberté en l'harmo- nie d'une conscience maîtrisée. Ainsi le Compagnonnage est-il structuré en Devoirs, c'est-à- dire en un ensemble de règles, de coutumes et de rites propres à chacun d'eux. L'origine de ces Devoirs est inconnue. En revan- che, chaque Devoir évoque ses légendes de fondation qui pla- cent à ses commencements une figure mythique dont l'histoire joue le plus grand rôle symbolique dans la mémoire des Com- pagnons. Ce sont les Templiers, saint Bernard, le roi Salomon et Maître Hiram, Maître Jacques ou le Père Soubise. En fait, si l'on admet volontiers que les Croisades aient entraîné de nombreux tailleurs de pierre, maçons et charpen- tiers sur les chemins de Palestine où ils érigèrent places fortes et ponts, on ne peut que supposer à quel point leurs contacts avec les architectures arabes de Jérusalem les aient incité plus tard à ériger les cathédrales. Il leur aurait suffi d'aller en Espagne. En revanche, que l'idée de «Temple» leur soit venue face au Dôme qu'ils nommèrent le Templum Domini, ou face à la mosquée El Aqsa quartier général des Templiers, et que cette notion les aît de quelque manière fédérés, semble appartenir à une hypo- thèse raisonnable. En effet, l'image du Temple demeure très forte et très centrale dans la tradition compagnonnique. C'est à la fois le Temple de Salomon et celui du cœur, le Temple que le Christ promit de relever en trois jours, «mais c'était de son corps qu'il parlait» — le corps mystique, celui que la cathédrale personnifiera au sein de la cité profane sous la forme symbolisée de la Jérusalem Céleste. Il n'en demeure pas moins que, parallèlement à cette haute ambition naturellement soutenue, voire provoquée par le Clergé, des raisons plus matérielles allaient pousser les Compa- gnons à s'unir. Dès le quatorzième siècle, les maîtres s'organi- sent en corporations, voulant ainsi lutter contre la concurrence mais aussi contre les revendications ouvrières. Et, par contre- coup, les ouvriers vont se regrouper, montrant leurs capacités et leur fidélité à l'ouvrage bien fait par tout un ensemble de prati- ques dont la première est la transmission discrète des tours de métier à l'intérieur des loges ou des ateliers. Cette notion de secret de métier se retrouve à travers tout le Moyen Age et toute la Renaissance, que ce soit dans les ateliers de peintres ou d'imprimeurs, les échoppes de cordonniers ou dans les loges de bâtisseurs. C'est ainsi que l'art du trait fut véhiculé à travers des siècles où les Dix Livres d'Architecture de Vitruve n'étaient connus fragmentairement que de bouche à oreille, et où la stéréotomie, l'art de tailler les pierres, ne repo- sait que sur des données pragmatiques d'autant plus précieuses que les mathématiques et singulièrement l'algèbre n'en étaient qu'à leurs balbutiements. Toutefois, il serait erroné de croire que les hommes de métier médiévaux étaient frustes parce qu'ils ne savaient pas lire. La transmission orale avait alors ses lettres de noblesse et nous serions étonnés de la formidable capacité de mémoire qui était celle de nos ancêtres par rapport à la nôtre. Des procédés mné- motechniques permettaient d'ailleurs de faciliter l'effort de mémorisation. C'est ainsi que l'image symbolique de caractère religieux fut véhiculée durant des siècles afin de transmettre des notions théologiques souvent complexes. De même, un carnet de croquis comme celui du clerc ou maître d'œuvre Villard de Honnecourt nous montre comment les recettes de métier pou- vaient être transcrites de façon simple, recueillant ainsi des idées pratiques sur de nombreux chantiers. Car le Compagnonnage est un voyage. Se souvenant des déplacements de leurs ancêtres — au Moyen Age et à la Renais- sance on voyageait beaucoup —, les Compagnons exigent de leurs jeunes qu'ils effectuent leur Tour de France, qui peut fort bien être comme jadis un Tour d'Europe. Il convient, en effet, que l'apprenti au métier se soit frotté aux chefs-d'œuvre symboliques, telle la Vis de Saint-Gilles pour les bâtisseurs, et à divers ateliers rencontrés lors de son parcours afin d'y appren- dre de ses aînés l'art et la science qui devront être les siens. Ce type de voyage mérite pleinement, pour une fois, la dénomina- tion de voyage initiatique puisque c'est à travers les étapes de ses séjours que le jeune homme s'initie graduellement à son métier et, à travers ses acquis, s'accomplit. Et ainsi comprend-on mieux la notion de fraternité telle qu'elle est pratiquée au sein du Compagnonnage. On est frères parce que l'on appartient à un même Devoir, parce que l'on a reçu des aînés la meilleure part de leur savoir, et aussi parce que l'on partage les mêmes usages. Il y a un langage compagnonni- que avec ses mots, ses tournures ; une écriture compagnonni- que avec ses abréviations et ses points mystérieux aux profanes ; une iconologie compagnonnique avec ses temples, ses ponts et sa Madeleine ; une vêture compagnonnique avec ses couleurs et ses cannes — bref, une façon d'être Compagnon bien au-delà du folklore que les profanes croient percevoir. De tels usages fondent la cohérence et la cohésion d'une fraternité, celle-ci se serait-elle au fil des ans séparée en sociétés distinctes. Au début, sans doute, on se regroupa par métiers complé- mentaires, les ouvriers du bâtiment se distinguant aisément des chapeliers ou des cuisiniers. Puis des concurrences internes apparurent, entre hommes de la pierre et charpentiers, par exemple. Ensuite, ce furent les dissensions d'ordre confession- nel, surtout entre partisans de la Réforme et Catholiques romains. Faut-il y ajouter des raisons géographiques, politiques et des questions de rivalité de personnes ? On connaît le degré d'inimitié auquel certaines sociétés en étaient arrivées jadis et il ne servirait à rien d'en cacher l'importance. Cependant, depuis cette époque troublée, et bien que les organisations, les rites et les mythes fondateurs continuent de diverger, le Compagnon- nage en son ensemble représente une unité fondamentale par rapport à la fragmentation des professions modernes, y compris de celles qui exercent les mêmes métiers que ceux des Compa- gnons. C'est là, nous le répétons, une question d'esprit, et qu'importe si les uns croient à Salomon, d'autres à Maître Jac- ques et d'autres encore au Père Soubise ! On reconnaît leur qualité dans une civilisation vouée à la quantité. On distingue l'artisan créateur face aux manufacturiers. Que cet ouvrage soit pour nos amis Compagnons, d'où qu'ils soient, le modeste témoignage de notre fraternelle confiance en leur avenir. Le Tour de France ORLEANS Rites et devoirs Orléans occupe une place privilégiée dans le cœur des Com- pagnons. Elle est, par excellence, une ville de Devoir. Chaque année les Compagnons viennent nombreux honorer Jeanne d'Arc en défilant couleurs au vent, canne au poing. C'est qu'ici les légendes, les rites et les Devoirs compagnonniques ont leur gîte quasi naturel tant leur mémoire y est implantée depuis des siècles. Il existe trois rites de Compagnons : les Enfants de Salomon, les Enfants de Maître Jacques, les Enfants du Père Soubise. Toutefois, des accords furent signés entre Compagnons de rites différents formant des sociétés telles que l'Union Compagnon- nique des Devoirs Unis ou encore la Fédération Compagnonni- que des Métiers du Bâtiment qui regroupe la Société des Com- pagnons Charpentiers des Devoirs du Tour de France (Chiens- loups) — elle-même issue du regroupement des Compagnons Charpentiers Passants Bons Drilles du Devoir (Soubise) et les Compagnons Charpentiers du Devoir de Liberté (Salomon) —, la Société des Compagnons Maçons, Tailleurs de pierre des Devoirs du Tour de France, la Société des Compagnons et Affi- liés Menuisiers et Serruriers du Devoir de Liberté (Salomon ou Gavots) et la Société des Compagnons Passants Bons Drilles Couvreurs, Zingueurs, Plombiers et Plâtriers du Devoir du Tour de France.