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Expo: MartinMargiela, 20ansdéjà!

Swinging ! ecei7Mercredi mai 2008 ecei7Mercredi mai 2008 Le Temps Le Temps JeanPaulGaultier PhillipLim Rag&Bone Rodarte GaspardYurkievich Maquillage: Nos interviews exclusives Lesyeuxdanslebleu OLEG COVIAN Ce ne supplément peut être vendu séparément Ce ne supplément peut être vendu séparément 2 Mode Le Temps Mercredi 7 mai 2008 ÉDITO

Il y a six mois, lors des défilés et dur. Une tendance revenue gladiateur dessinées par aujourd’hui, d’une manière Oùvontles printemps-été, les imprimés des années 80 et 2000 et le créateur Riccardo Tisci pour même flamboyante, passe avaient envahi les podiums. qu’on pensait rester dans Givenchy, mon voisin de siège, par ce côté un peu guerrier tendances Tous les imprimés: des fleurs, le placard pour encore deux Nicolas Degennes, directeur parce qu’elle est un des derniers beaucoup, et surtout des ou trois saisons s’activait sur artistique du maquillage refuges d’une certaine… couleurs, appliquées comme les podiums. Givenchy, disait qu’il n’était pas contestation.» quimeurent avec des pinceaux, transformant surpris par cette vague de vête- On a vu quelques GI Jane les robes en tableaux vivants. ments conçus comme des La contestation, chez lui, s’est débutantes chez Paul & Joe, et Evocations de Jackson Pollock armures. Il avait d’ailleurs créé manifestée tout en subtilité, avantd’avoir des plus confirmées chez Isabel ou de Monet, citations de Sonia une palette camouflage pour avec des fleurs, et des chapeaux Marant, arborant une plaque Delaunay, ou de Kasimir l’automne 2007. «C’est une qui semblaient avoir été fabri- vécu? militaire en guise de collier. Malevitch (pp. 4-5), un courant question d’époque. La seule qués là, sur-le-champ, avec On a observé des amazones chez d’art avait traversé les collections. chose qui m’étonne, c’est ce qu’on avait sous la main, Givenchy, des femmes pirates Parmi toutes ces impressions histoire d’avoir l’air digne

RDRCLC LANDI LUCA FRÉDÉRIC le timing: la mode y vient baroudeuses chez Jean Paul à fleur de tissus, il était pourtant un peu tard.» sous l’Occupation. Mais avec Par Isabelle Cerboneschi Gaultier (pp. 14-15) avec leurs un motif récurrent qui avait les treillis et les camouflages, cartouchières en bandoulière. l’air déplacé: les couleurs kaki et Au lendemain de son défilé, dans on est dans la citation directe. Le bruit d’hélicoptère en début beiges des imprimés camouflage. ses bureaux, Christian Lacroix Est-ce que j’avais envie de porter de bande-son chez Andrew GN Des treillis, des pantalons confiait: «La mode, j’en suis un treillis cet été? Pas vraiment. était inattendu. Chez Christian militaires, des gilets à poches persuadé, a pris un côté à la fois Et visiblement, la rue non plus , John Galliano nous a de mercenaire, des balles offensif et défensif. Je pense que n’en a pas voulu. Six mois transportés dans cette période en guise de colliers. Comme l’apparence que nous donnons plus tard, lorsque l’on feuillette interlope d’avant-guerre avec ses un bruit de bottes impossible à chaque jour relève peut-être du les magazines, lorsque l’on garçonnes en costume de contenir dans tant de joie florale. bouclier. Mais c’est aussi quelque se promène dans les boutiques, marlou. Christian Lacroix, lui, On s’était dit alors que la mode chose qui, sans violence, doit nulle trace de treillis, pas nous a plongés en pleine ne pouvait pas faire comme permettre d’aborder la vie. Pas l’ombre d’un kaki. La tendance Seconde Guerre mondiale, si elle n’entendait pas le bruit seulement de se défendre, mais militaire n’a pas pris. N’a pas lorsque s’habiller chic était des fusils, les chars, les armées d’être capable de vivre ici et plu. Elle est restée sur le un acte de résistance. déployées. Que tout ce sang versé maintenant, avec l’énergie podium, morte avant d’avoir ailleurs devait bien finir par En regardant les silhouettes nécessaire pour exister. Et je crois vécu; effet collatéral d’une colorer l’air d’un temps incertain d’amazones aux sandales de que la mode effectivement guerre dont personne ne veut. SOMMAIRE ARC GALABERT PATRICK DR YVEROCHE SYLVIE DR MTLENNON/KEYSTONE AMIT Jean Paul Gaultier 14 et 15 Rodarte 40 et 41 Expo Martin Margiela 42 Parfums d’infidèle 52 Nouveau talent joaillier 54

4 à 8 Tendances 28 et 29 Gaspard Yurkievich 50 Jeans: success story L’histoire de l’art, la danse et les tons chair Le styliste fête ses 10 ans de prêt-à-porter. Girlsmusthave, l’arme anatomique. inspirent la mode. Rencontre. Par Valérie Fromont Par Isabelle Cerboneschi Par Isabelle Cerboneschi, Catherine Cochard et Valérie Fromont 30 et 31 Antoine Arnault 52 Parfums A 31 ans, à peine nommé directeur Fidèle ou infidèle? Un dilemme. Par Isabelle 10 Colette, la perfection au masculin de la communication, il révolutionne l’image Cerboneschi et Géraldine Schönenberg Pour les hommes, mode d’emploi d’un été 08. de Louis Vuitton. Par Isabelle Cerboneschi Par Bertrand Maréchal 54 Naissance d’un joaillier 33 à 38 Portfolio Maximilien Novak, 28 ans, lance sa première 12 Phillip Lim Photographies: Corinne Stoll collection. A suivre. Par Isabelle Cerboneschi Rencontre avec l’étoile montante américaine. Stylisme: Angelo Didier Par Beverley Bloom, New York 56 Etoffes 40 et 41 Rodarte, le duo surdoué Reportage sur le salon Première Vision. 14 et 15 Jean Paul Gaultier, Peter Pan à rayures Les sœurs Mulleavy sont les plus talentueuses Par Valérie Fromont Trente ans d’irrévérence: sur les traces autodidactes du moment. Interview. du souvenir avec un couturier de légende. Par Marie Sipp, New York 58 Maquillage Par Valérie Fromont Les paupières plongent dans le bleu azur. 42 Martin Margiela, 20 ans après Par Catherine Cochard 18 à 20 Shooting Rétrospective au ModeMuseum d’Anvers. 60 Teint de printemps Photographies: Oleg Covian Par Bertrand Maréchal Stylisme: Cecile Martin Quand le rose monte aux joues... Pleins fards! 44 et 45 Swinging London Par Isabelle Cerboneschi 22 Débuts chez Nina Ricci Reportage électrique dans la capitale 61 et 62 A suivre... Une jeune Suissesse auprès britannique. Par Valérie Fromont d’Olivier Theyskens. Par Bertrand Maréchal L’agenda mode de l’été. Par la rédaction. 46 et 47 Rag & Bone 24 à 26 Défilés Paris-New York Autopsie d’un rêve américain. 63 Carnet d’adresses Reportage photographique: Sylvie Roche Par Carole Sabas, New York Retrouvez l’intégralité de ce hors-série sur www.letemps.ch/horsseries

Photographe Corinne Stoll Réalisation Angelo Didier Mannequins Saori, agence City-Models, Paris et Cedric Quotidien suisse Valérie Fromont Photolitho Directrice édité à Genève, Heidi Kingstone Patrick Thoos Marianna di Rocco Maquillage Mina Matsumura fondé en mars 1998. Bertrand Maréchal Impression Carole Sabas Correction Maquillage Chanel Editeur Le Temps SA Zollikofer AG, Saint-Gall Marie Sipp Annie Charpilloz Le teint Président du conseil xFond de teint Mat Lumière N° 20 d’administration Assistante de production Responsable xPoudre Cristalline Stéphane Garelli Géraldine Schönenberg production Nicolas Gressot (Collection Maquillage Printemps 2008) Directeur Traduction x Joues Contrastes Enchanteresse N° 48 Rédacteur en chef Pilar Salgado Internet (Collection Maquillage Printemps 2008) Jean-Jacques Roth www.letemps.ch Iconographie Photographe Oleg Covian Yeux Directrice adjointe Michael Lapaire La rédaction décline toute res- Véronique Botteron ponsabilité envers les manuscrits xLe crayon Yeux: Blue Jean N° 19 Valérie Boagno Stylisme Cecile Martin Géraldine Schönenberg Courrier et les photos non commandés ou (Collection Maquillage Printemps 2008) Direction, rédaction Case postale 2570 non sollicités. Tous les droits sont Mannequin xLes 4 Fleurs de Chanel: Féeries Place Cornavin 3 Illustratrice 1211 Genève 2 réservés. Toute réimpression, Biu, agence Karin, Paris (Collection Maquillage Printemps 2008) 1201 Genève Annabelle Verhoye Tél. +41-22-799 58 58 toute copie de texte ou d’annonce Maquillage Aline Shmitt xLes 4 Ombres Bleu Célestes N° 92 Fax +41-22-799 58 59 ainsi que toute utilisation sur des Photographies supports optiques ou électroni- (Collection Maquillage Printemps 2008) Rédactrice en chef Coiffure Caroline Bufalini x Oleg Covian Publicité ques est soumise à l’approbation Mascara Inimitable noir déléguée aux hors-séries Sylvie Roche Le Temps Media préalable de la rédaction. L’ex- Lèvres Isabelle Cerboneschi ploitation intégrale ou partielle En Une: Corinne Stoll Case postale 2564 xLèvres Scintillante: Galactic N° 98 des annonces par des tiers non Biu porte une robe Rédacteurs Réalisation, graphisme 1211 Genève 2 (Collection Maquillage Printemps 2008) autorisés, notamment sur des en organza de la collection Beverley Bloom Françoise Comba Abboub Tél. +41-22-799 59 00 services en ligne, est expressé- printemps-été 2008, Prada. Coiffure Frederic Catherine Cochard Christine Immelé Fax +41-22-799 59 01 ment interdite.

4 Mode Le Temps Mercredi 7 mai 2008 UNÉTÉ08 Desseins

Lamodedel’été Il se dégage des défilés printemps-été 2008 comme une impression de déjà-vu. citel’histoire Non pas que les maisons de couture pei- nent à se renouveler, mais simplement del’art.Tableaux parce que nombre de leurs créations font référence à un tableau ou à un mouvement «Autoportrait d’uneexposition. pictural.Cesemprunts,parfoisdescitations aux alkékenges», revendiquées comme telles, transforment Egon Schiele, 1912. ParCatherineCochard le vêtement en œuvre d’art vivant, capable Chez Miu Miu, de transmettre des émotions. Quant au sty- les illustrations de Liselotte liste, il accède presque à ce titre tant con- Watkins rappellent le style voité d’artiste plasticien, créateur de formes du peintre autrichien. plutôtquedemodes.Unemanièred’attiser ERICH LESSING/AKG-IMAGES/PRO LITTERIS ce débat sans fin: la mode est-elle un art? Visite guidée Lesexemplesfoisonnent.Contrairement aux apparences, Roberto Cavalli n’est pas Miu Miu qu’un jet-setteur épris de clinquant et de femmes courtement vêtues. Ses robes évo- quent plus le jardin de Monet et plus géné- ralement le travail sur le motif de l’école impressionniste que les boîtes de Porto Cervo. La ligne Just Cavalli, quant à elle, lor- gne du côté des arts premiers et de Jean Dubuffet par ses couleurs et ses formes d’inspiration africaine. La Maison Martin Margiela s’offre un écart romantique le temps d’une robe fi- gurant des chevaux dans la brume. Des équidés qui suggèrent ceux des corridas au lavis de Picasso ou des peintures japo- naises sumi-e. Mise en beauté par des étudiants des Beaux-ArtsdeBreraàMilan,lacollectionde Dolce & Gabbana rappelle clairement la technique du dripping, esquissée par Jack- son Pollock dès la fin des années 40. La couleur est projetée, égouttée, brossée à même la toile. D’autres griffes ont égale- ment usé de la spontanéité de l’Action Pain- ting, à l’instar de Sergio Rossi et de sa paire d’escarpins blancs aux coulures noires, de Gucci, de Malo et surtout de Maurizio Peco- «Iris», Vincent van Gogh, 1889. Les juxtapositions Dries Van Noten raro qui revendique ouvertement l’in- inhabituelles de couleurs des créations de Dries Van Noten fluence de Jack The Dripper. Il est allé jus- évoquent les peintures du maître néerlandais. Roberto Cavalli qu’à jouer avec la troisième dimension en AKG-IMAGES/PRO LITTERIS brodant ces tombées de peintures bleues. Moderne, Marni évoque les construc- tionsd’unJoanMiroetleschampscolorés de Mark Rothko. Des aplats abstraits qu’on retrouve également chez Chloé et Maurizio Pecoraro. Un goût pour la non-figuration égale- ment présent dans plusieurs looks de Prin- gle of Scotland, brossés à l’encre de Chine comme une toile de l’artiste sino-français Zao Wou-Ki.

«Flowers», Andy Warhol, 1970. «Les Nymphéas», Claude Monet, 1916-1919. Des imprimés Certaines robes de Roberto Cavalli évoquent fleuris façon pop art les tableaux du peintre français. chez Balenciaga.

CHRISTIE’S IMAGES/CORBIS/PRO LITTERIS ANDY WARHOL FOUNDATION/CORBIS PRO LITTERIS

«Untitled», Mark Rothko, 1960-1961. De nombreux vêtements estivaux jouent sur des champs colorés abstraits chers à Mark Rothko.

CHRISTIE’S IMAGES/CORBIS/PRO LITTERIS Balenciaga HI MOORE CHRIS

Marni «Spacial Concept», Lucio Fontana, 1961. Comme les toiles de l’artiste italien, ce vêtement GHESQUIÈRE NICOLAS PAR BALENCIAGA de Marios Schwab présente plusieurs grandes entailles.

CHRISTIE’S IMAGES/CORBIS/PRO LITTERIS

Marios Schwab

PHOTOS DÉFILÉS: DR Le Temps Mercredi 7 mai 2008 Mode 5 UNÉTÉ08 demode RUDOLPH BURCKHARDT/SYGMA/CORBIS/PRO LITTERIS

Chez Akris, un hommage semble rendu vêtements de la collection reprenant la pa- à Max Ernst – plus spécifiquement à son lette vive et les contrastes non convention- tableaude1945intituléEuclide–etauCarré nels d’un Van Gogh ou d’un Gauguin. noir sur fond blanc de Malevitch. Chez Balenciaga, lorsque l’on observe Dans sa recherche monochromatique, l’une de ces armures fleuries ou l’un des sacs Elie Saab puise chez Yves Klein la tonalité Giant Brief, comment s’empêcher de penser bleue de ses toiles en mouvement. au tableau Flowers d’Andy Warhol. Pour A la manière d’un parasite végétal, des peu, on y verrait même l’esthétique de cer- petits disques irréguliers contaminent les taines vidéos de Pipilotti Rist. robes légères de Christian Lacroix. Un im- Signée Marios Schwab, une robe à la primé qui fait écho au travail de l’artiste frontièredutestdeRorschachetdel’image- japonaise Yayoi Kusama, adepte du pois. rie médicale évoque l’art optique de Vasa- Des couleurs et des formes à la Sonia rely et certaines des peintures de John M Delaunay, des effets hypnotiques façon Armleder.MariosSchwabencore,quilacère Frank Stella: Fendi s’enivre de psychédé- la toile blanche d’une de ses créations lisme. Des références qu’on retrouve ponc- comme le faisait Lucio Fontana en incisant tuées d’extraits de Paul Klee dans la collec- sestableaux.Cepionnierdel’ArtePoverafut tion de Catherine Malandrino. l’un des premiers à revendiquer l’existence Passionnée d’art contemporain, Miuccia d’un «art conceptuel». L’effet miroir avec les Prada – fondatrice et directrice avec son collections printemps-été est d’autant plus mari Patrizio Bertelli de la Fondation Prada troublant. –nepouvaitpasseràcôtédecettetendance. Quant à Marc Jacobs, il s’est fait épauler PoursamarquePrada,cesontlespersonna- par Richard Prince pour désembourgeoiser ges féeriques de James Jean qui donnent les sacs Louis Vuitton de la saison. Effets de souffle aux pièces et à la campagne publici- couches et de sous-couches, détourne- taire de la marque. Quant à la griffe Miu ments de monogrammes, cacophonie de Miu, c’est la Suédoise Liselotte Watkins qui logos, l’artiste américain a réinterprété à sa La technique du dripping illustrée par s’illustre en parant les mini-robes de fem- manière et avec gaillardise les codes du ma- Sergio Rossi Jackson Pollock égouttant la peinture sur une toile posée à même le sol. mes masquées. Des figures énigmatiques roquinier français. Lors du défilé, les man- MADEIRA MARCIO qui évoquent le style d’Egon Schiele ou de nequins en blouse blanche rappelaient la Des coulures citées par Maurizio Gustav Klimt. Peintre qu’on retrouve par série «nurses» qui fit connaître le plasticien Pecoraro et également reprises ailleurs en touches métalliques sur certai- au grand public et qui illustra l’album Sonic par Sergio Rossi sur d’éloquents nes tenues de Dries Van Noten, les autres Nurse du groupe américain Sonic Youth. Maurizio Pecoraro escarpins «Splash». Traitéd’interdépendance

Les exemples qui précèdent dépeignent les marques mass market, promptes à pu