Bulletin de la Sabix Société des amis de la Bibliothèque et de l'Histoire de l'École polytechnique

58 | 2016 Autour de Charles de Freycinet

L’action politique de Paul Brousse, homme de sciences, au service de la médecine psychiatrique

Yves Billard

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/sabix/1588 ISSN : 2114-2130

Éditeur Société des amis de la bibliothèque et de l’histoire de l’École polytechnique (SABIX)

Édition imprimée Date de publication : 1 février 2016 Pagination : 75-79 ISSN : 0989-30-59

Référence électronique Yves Billard, « L’action politique de Paul Brousse, homme de sciences, au service de la médecine psychiatrique », Bulletin de la Sabix [En ligne], 58 | 2016, mis en ligne le 13 juillet 2018, consulté le 08 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/sabix/1588

© SABIX L’action politique de Paul Brousse, homme de sciences, au service de la médecine psychiatrique Yves Billard

Évoquer Paul Brousse dans le cadre d’un col- arrondissement, dans les années 1880, il en loque consacré à Charles de Freycinet peut est l’élu (conseiller de puis député) de surprendre. S’ils sont contemporains (Brousse 1887 à 1910. C’est pendant ce quart de siècle est né en 1844) ils se sont peu fréquentés. qu’il consacre le meilleur de son action poli- Passé de l’anarchisme au socialisme, Brousse tique à la médecine en général et à la méde- avait peu de chances de frayer avec le Pré- cine « psychiatrique » en particulier. sident du Conseil Freycinet dans les années 1880. S’ils se sont connus, c’est sans doute Il n’est pas inutile dans le cas de Paul Brousse en 1906-1910 quand Brousse est député de commencer par une évocation de son de la Seine, dont Freycinet est sénateur. En milieu familial. Les Brousse sont bourgeois de revanche, Brousse, tout comme Freycinet et depuis le xviiie siècle et à la tête Painlevé, appartient à cette catégorie pas si d’un patrimoine immobilier suffisant pour en nombreuse d’élus politiques ayant d’abord vivre. Le mariage de Victor-Léon Brousse avec accompli un parcours d’homme de sciences. Mlle Bonnet, fille d’un prospère négociant en bois, n’a pu que consolider ce capital familial. C’est bien de sciences au pluriel qu’il s’agit Enfin, Paul Brousse est fils unique. Il aurait pu avec Brousse, puisqu’il a fait des études de vivre de ses rentes et ne jamais faire de car- médecine, travaillé dans un laboratoire de rière ni dans la médecine, ni dans la politique. chimie et finalement rédigé un mémoire de Même s’il n’a jamais été inactif, il faut garder botanique en guise de doctorat de méde- à l’esprit cette facilité quand on évoque les cine. Toutefois, si aujourd’hui l’un des princi- années les plus difficiles de sa vie, celles d’exil paux hôpitaux généraux de l’APHP, à Villejuif, par exemple. s’appelle Paul-Brousse, c’est en l’honneur de son action politique et non de sa carrière, Les Brousse n’ont d’ailleurs jamais été des somme toute modeste, de médecin. N’y a-t-il oisifs et comme dans nombre de « bonnes pas d’ailleurs, à Paris, un hôpital Georges- familles » montpelliéraines, on compte un Pompidou ? docteur en médecine à presque chaque génération. Victor-Léon, le père du futur Deux périodes sont à distinguer dans cette chef socialiste, en est un des plus éminents. trajectoire politique et scientifique. Jusqu’en Docteur et professeur agrégé de médecine, il 1887, son engagement politique à l’extrême a même été doyen de la faculté pendant un gauche ne permet pas à Paul Brousse d’être total de treize années1. Se posait donc pour élu, et donc d’agir politiquement en faveur Paul la question écrasante d’être un « fils de la médecine. C’est en revanche entre 1862 de ». Il a abandonné ses études de médecine 1. Il figure donc en bonne et 1880 qu’il se forme à plusieurs disciplines en 1872, alors qu’il était interne mais n’avait place dans Louis Dulieu, La scientifiques. « Médecin des pauvres » dans pas encore soutenu sa thèse (qu’il n’a finale- médecine à Montpellier, t. IV, Avignon, Presses universelles, e le quartier des Épinettes, à Paris dans le XVII ment obtenue qu’en 1880), pour aller décou- 1975.

L’action politique de Paul Brousse I 75 vrir l’anarchisme en Espagne. Il a donc bien date, doyen de la faculté de « philosophie et fallu qu’il rompe avec ce milieu familial, aussi de sciences naturelles ». Personnage éminent, contraignant que facilitateur, pour exister. À très influent dans le canton, Schwarzenbach Montpellier en 1870-1871, Paul Brousse est a été, peu auparavant, recteur de l’Université. parmi ces jeunes gens qui s’engagent à l’ex- Toute une légende a été forgée à propos de trême gauche et se passionnent pour l’aven- la contribution de Brousse à ce laboratoire. 2. Au cimetière du Père- ture de la Commune. Son grand ami est alors Des notices biographiques complaisantes6 Lachaise, tous les chefs de chapelle socialiste de la fin du , son contemporain (ils ont un font croire qu’il a « repris des études » supé- xixe siècle (Guesde, Brousse, Allemane, Vaillant, Malon, an d’écart). Plus tard, leurs profondes diver- rieures de chimie et Brousse lui-même, dans etc.) ont un buste à leur nom, gences politiques sont venues à bout de leur le frontispice de sa thèse de médecine publiée alignés à quelques mètres du « mur des fusillés ». La amitié. Mais en 1871, Paul Brousse n’était pas en 1880, ose se présenter comme « ancien postérité a donc établi un lien plus anarchiste et disciple de Bakounine que assistant à l’Université de Berne », soit autant (pourtant ténu pour Brousse ou Guesde…) entre la Commune Guesde n’avait rencontré Karl Marx et adopté d’affirmations mensongères. En effet, il existe et l’essor du socialisme en le marxisme. Pour employer un vocabulaire aujourd’hui sur Internet, sur le site « France. 3. Il organise un Comité de de cent ans anachronique, ils sont alors tous Universität » une liste complète des étudiants propagande révolutionnaire deux spontanéistes. A Paris, leur engagement depuis la fondation de l’Université en 1834. de la France méridionale, le premier « parti » qu’il dirige, en faveur de la Commune serait peut-être Nous pouvons donc affirmer avec certitude en quelque sorte, même s’il ne passé inaperçu2. Mais à Montpellier, il était que Paul Brousse n’a jamais étudié la chimie regroupe que quelques dizaines d’exilés français. plus facile de défrayer la chronique. Lorsque à l’Université de Berne et qu’il n’a donc jamais 4. En août 1873. À ne pas s’abat la répression menée par le gouverne- été « assistant du professeur Schwarzen- confondre avec le coup d’État militaire qui a mis fin à la ment de Thiers, les deux jeunes gens doivent bach », sinon au sens figuré du terme. Pour Ire République espagnole en fuir à l’étranger, Guesde à Milan et Brousse employer le vocabulaire local, il y était « labo- janvier 1874. à Barcelone. Il s’y installe le 11 février 1873, rant » et non « student » ni moins encore 5. La notice « Brousse, Paul » du Dictionnaire biographique le jour même de la proclamation de la Répu- « dozent ». On ne doit pas non plus en déduire du mouvement ouvrier français, blique. Ce n’est pas le lieu ici de rappeler ce qu’il était le plus humble employé du labora- sous la direction de Jean Maitron (3e partie, 1871-1914, chaos, cet immense désordre et cet échec que toire. En mars 1877, Brousse est condamné à Paris, éditions ouvrières, re 1973-1977), rédigée par Marc fut la I République espagnole. C’est dans le trois mois de prison et au bannissement du Vuilleumier et Justin Raymond, chaudron révolutionnaire de Barcelone en canton pour avoir « défilé derrière le drapeau est excellente pour tout ce qui concerne l’évolution politique 1873 que Brousse découvre l’anarchisme et rouge ». Cette sévérité s’explique si l’on songe de Brousse, de l’anarchisme au fait ses premières armes3. Chassé de Barce- qu’il a lui-même organisé la manifestation, socialisme possibiliste. lone lors de la reprise en mains de la ville par dont il avait pris la tête, drapeau rouge à la 6. Celle de Jean Steens (« profils socialistes », in Le l’armée 4, il se réfugie en Suisse où, au congrès main7. Il fait effectivement un mois de prison Correspondant, 25 juin 1903) est fautive mais elle n’est pas de l’Internationale à Genève, il rencontre pour mais il échappe au bannissement parce que la seule. Même Vuilleumier et la première fois Bakounine dont il devient l’un le Pr. Schwarzenbach est intervenu auprès Raymond, dans « le Maitron » semblent se tromper sur son des lieutenants. des autorités cantonales, affirmant qu’il avait statut dans ce laboratoire besoin de Paul Brousse dans son laboratoire bernois. 7. Si les cantons de Neufchâtel, Son long séjour helvétique (1873-1878) cor- de chimie. On peut en déduire qu’après Genève, Vaud ou Bâle-ville, respond donc à sa période anarchiste. Fonda- presque trois ans de pratique, il avait acquis la sont assez tolérants avec les extrémistes de toutes sortes qui teur, avec Elisée Reclus et le prince Kropotkine, compétence d’un authentique « assistant ». résident sur leur territoire, à de la revue L’Avant-garde en 1877, il est Fribourg ou à Berne, on ne plai- sante pas avec l’ordre public. devenu l’un des chefs de file de l’anarchisme. Il finit néanmoins par être expulsé de Suisse, 8. Il n’en est pas l’auteur Mais tout cela a déjà été étudié par d’autres L’Avant-garde ayant publié des articles, non lui-même mais en endosse 5 8 la responsabilité comme et ne relève pas de notre propos . Installé à signés, qui justifiaient le régicide . Il reprend co-directeur de la publication. Berne en 1874, Brousse y poursuit sa forma- le chemin de l’exil vers Bruxelles puis Londres, Il a, plus tard, affirmé que, déjà à cette époque, il désapprou- tion scientifique en travaillant dans un labora- mais peut rentrer en France en 1880, à vait la violence comme moyen toire de chimie. Sur recommandation de son la faveur de l’amnistie des communeux. Il d’action. Ces articles datant de 1878, cela ressemble fort à une père, il est engagé par le professeur Valentin revient à Montpellier et y reprend ses études reconstruction a posteriori d’un Schwarzenbach, directeur du laboratoire de de médecine là où il les avait laissées : la Brousse mûri, ayant quitté la Suisse et son milieu anarchiste. chimie de l’Université de Berne et, à cette rédaction de la thèse. Celle-ci est en fait un

76 I Bulletin SABIX n° 58 mémoire de botanique : Quelques mots sur l’étude de la reproduction des plantes ne per- l’étude des fruits9. Qui connaît Montpellier met pas d’aboutir à une classification satisfai- où le jardin botanique n’est qu’à quelques sante. Il en va ainsi de la « méthode scien- dizaines de mètres de l’entrée principale de tifique » de Paul Brousse : 128 pages d’une la faculté de médecine, devine, qu’étudiant compilation, intelligente et informée certes, en médecine, Brousse en avait souvent par- des grands auteurs l’ayant précédé et 4 pages couru les allées. Dans un jardin botanique de conclusion d’une fausse modestie désar- ayant quelque ambition scientifique, l’implan- mante. Dès l’introduction, le lecteur en avait tation des essences exprime la classification été averti : « Nous avons imité l’abeille : ramas- des plantes retenue par le responsable du sant des matériaux de chaque côté, nous nous jardin10. Parvenir à une classification univer- estimerons fort heureux si nous avons pu les selle satisfaisante des plantes est, au milieu du assimiler et produire avec eux, comme elle, un xixe siècle, une des préoccupations majeures travail qui nous soit propre et particulier ». des botanistes11. C’est d’ailleurs un but par- tagé plus généralement par les scientifiques Brousse n’est donc pas plus un grand botaniste alors. En botanique, on a abandonné à la fin qu’un chimiste. En revanche, sa thèse « de du xviiie siècle les classifications fondées sur la médecine », qui met fin à sa période d’études morphologie des plantes, au profit de la clas- et de formation scientifiques, lui donne un sification de Linné fondée sur leur sexualité. profil d’une grande polyvalence. En un siècle Mais le « système sexuel de Linné » n’est pas où les disciplines scientifiques se comparti- satisfaisant. D’une part, il n’est pas parfaite- mentent, il a des compétences d’une diversité ment universel, certaines plantes n’y rentrant de plus en plus rare. Les années qui suivent pas. D’autre part, il n’est pas assez discrimi- sont essentielles dans le domaine politique. nant, car il place dans la même sous-catégorie Dès 1881, au congrès de Rennes, il dénonce des plantes fort dissemblables. Brousse, qui le programme marxiste du Parti ouvrier. Une 9. Publiée dès 1880 à l’Impri- merie centrale du Midi (Hame- n’est pas toujours tendre avec ses grands pré- première scission intervient au congrès de lin frères) à Montpellier. décesseurs, se gausse de cette classification Saint-Étienne, entre les marxistes et tous les 10. À Montpellier dans les qui range « les fruits de l’Amandier, du Fraisier autres, en 1882. En 1890, au congrès de Châ- années 1860-1870, c’est la classification de Candolle. et du Poirier » dans le même type. En 1866, tellerault, les révolutionnaires (conduits par 11. Impossible de ne pas l’Académie des sciences a lancé un concours, Allemane) se séparent des « possibilistes » rappeler que c’est en 1879 que le chimiste Mendeleiev publie agrémenté du Prix Bordin, pour aboutir à une qui, sous la direction de Paul Brousse, for- sa première Classification classification universelle des plantes. Le Prix ment la Fédération des Travailleurs Socialistes périodique des éléments. 14 12. Compte rendu de l’Académie a été remporté par Philippe Van Thieghem, de France . Cette importante activité poli- des sciences, n°17, juillet 1870. maître de conférences à l’École Normale tique s’accompagne d’un complet abandon 13. La placentation, ou Supérieure. Près de la moitié du mémoire de de sa carrière scientifique. Un constat d’huis- apparition du placenta, étape qui suit aussitôt la fécondation Paul Brousse est une compilation du texte de sier dressé le 29 novembre 1884 le présente et précède immédiatement la croissance de l’embryon est Van Thieghem. Mais en 1870, cette classifi- comme « Monsieur Paul Brousse, homme de dite « appendiciliaire » quand cation a été démolie par Auguste Trécul, pro- lettres, demeurant à Paris, 121, rue Monge ». elle se fait dans un appendice de la plante, destiné à devenir fesseur au Muséum d’Histoire naturelle, qui La mort de son père, en juin 1881, le libère le fruit lui-même ou à en être signale qu’elle ne peut pas être universelle12, de tout souci matériel. Toutefois, c’est pen- l’enveloppe. Toutefois quelques plantes ont une placentation car Van Thieghem a fait comme si toutes les dant cette période d’intense activité militante, « axile », c’est-à-dire logée plantes avaient une placentation appendici- qu’il ouvre un cabinet de médecin généraliste, dans la tige même de la plante. e 14. Nous passons très vite sur liaire alors que certaines ont une placentation dans le quartier des Épinettes, dans le XVII ces sujets bien explorés par axile13. Le reproche est important puisqu’il arrondissement. Dans ce quartier populaire il les historiens du socialisme français et qui n’ont que peu remet en cause l’universalité de la classifica- est, par la force des choses, le « médecin des de rapport avec notre sujet. Le tion de Van Thieghem. Près de l’autre moitié pauvres », acceptant souvent de soigner sans passage de Brousse de l’anar- chisme à un socialisme « possi- du mémoire de Paul Brousse est une compi- être payé. A défaut d’une clientèle au sens biliste », c’est-à-dire légaliste et lation du texte de Trécul. En guise de conclu- commercial, il ne tarde pas à se constituer une réformiste a été étudié par Marc Vuilleumier dans les Cahiers sion, Brousse se contente de remarquer que clientèle électorale. Vilfredo Pareto en 1965.

L’action politique de Paul Brousse I 77 En 1887, il est élu conseiller de Paris pour le étudiants en médecine. Avant que Charcot XVIIe-Épinettes. Il est réélu en 1890, 1893, et ses disciples (« l’École de la Salpêtrière »17) 1896, 1900, 1904 et s’il ne représente pas ne changent complètement la pratique en 1908, c’est parce qu’il est député de la des aliénistes, les seuls « soins » prodigués Seine depuis 190615. Un conseiller de Paris a aux « patients » sont, le plus souvent, des deux casquettes. Il est conseiller municipal de douches d’eau froide, l’encamisolement et Paris, ce qui n’est pas très intéressant, la ville l’administration d’une rasade de Laudanum. n’ayant pas de municipalité élue. En revanche, Que les facultés de médecine aient attendu il est aussi conseiller général de la Seine, le les années 1930 pour créer une spécialité département français ayant le plus gros bud- de « psychiatrie » s’explique un peu. Toute- get et de loin. Dans le domaine de la Santé fois, le quart de siècle que Brousse a passé publique, c’est le département de la Seine qui au Conseil de Paris est justement celui où se gère l’Administration générale de l’Assistance constitue un savoir à proprement parler scien- Publique, créée en 184316. C’est une préroga- tifique dans ce domaine, de la création d’une tive essentielle du conseil général de la Seine chaire de neurologie pour Charcot en 1882, dont les élus, bien que le préfet détienne le à 1912 quand Friedrich Lewy est le premier à pouvoir exécutif départemental, assurent le signaler la formation à la surface du cerveau

15. La circonscription légis- contrôle et la gestion de l’Administration. A des agrégats nécrosés (les « corps de Lewy ») lative regroupe deux quartiers partir de 1897, Paul Brousse est le rapporteur chez les patients atteints de maladies neuro- du XVIIe : les Épinettes et les Batignolles. Ce dernier est du budget des asiles et des hospices. Il le reste logiques comme celles de Parkinson ou d’Al- moins sûr pour un candidat jusqu’en 1908. Il préside la Commission de zheimer (identifiée peu auparavant, en 1907, socialiste. En 1910, Brousse est battu par le nationaliste Roche surveillance des asiles d’aliénés de la Seine et par le médecin du même nom). Brousse et mais en 1914 (et jusqu’en 1932) siège au sein du Conseil d’hygiène et de salu- le lobby des « médecins-psychiatres » dont il Frédéric Brunet, un lieutenant de Brousse, reconquiert le brité du département de la Seine. Il est devenu s’est fait le champion arrivent donc une ving- siège. au sein du Conseil général le spécialiste des taine d’années trop tôt. Mais l’argumentaire 16. Que l’on appelle aujourd’hui l’APHP (Assistance asiles d’aliénés, voire plus généralement des de Brousse est surtout fondé sur le savoir- Publique Hôpitaux de Paris). Il asiles et des hospices. Chaque année, lors du faire pratique des médecins affectés dans est étonnant de constater que 18 malgré une dizaine de réformes vote du budget de l’Assistance publique, il les asiles d’aliénés . Ne serait-ce que par depuis, l’APHP a conservé expose sa politique en faveur de la médecine expérience, devant une situation difficile, ils l’essentiel de son organisa- tion de 1843. Sa géographie aliéniste. Un rapport, publié en 1898, fait la savent ce qu’il faut faire ou, mieux encore, ce tout d’abord : le département synthèse de ces propositions. Brousse défend qu’il ne faut pas faire. C’est pourquoi, faute de la Seine tel qu’il existait avant 1965 et la création des avec constance et opiniâtreté la professionna- de pouvoir obtenir la création d’une nouvelle départements 91, 92, 93, 94 et 95. Son caractère d’État lisation de la médecine « psychiatrique ». spécialité médicale (seul le Parlement natio- dans l’État enfin : en 2012, nal aurait pu en décider), il demande, chaque l’APHP gérait 37 hôpitaux et son budget représentait plus de Il y a fort à faire dans ce domaine. Bien que le année lors du vote du budget de l’Assistance 15 % du budget des hôpitaux et mot « psychiatrie », introduit dans la langue publique, deux mesures facilement appli- établissements de soins pour la France entière. française en 1808, soit d’un usage courant, cables : 17. Ce terme désigne les élèves la terminologie officielle ne reconnaît pas de et successeurs de Charcot à la Salpêtrière (Babinski, Ball, spécialité médicale. N’importe quel médecin – Que tout nouveau directeur d’asile d’alié- Gilles de la Tourette) mais généraliste peut être promu chef de clinique nés ou chef de clinique à la Salpêtrière aussi des psychiatres étrangers passés par la Salpêtrière, tel ou directeur d’un « asile d’aliénés ». Le savoir soit recruté parmi les aliénistes travaillant le Suisse Eugen Bleuler (le spécifique des médecins « aliénistes » (terme déjà dans un asile. premier à avoir identifié la schizophrénie) voire le Viennois le plus utilisé alors) n’est pas protégé, ne rele- Sigmund Freud, disciple dévoyé vant que de la pratique des soignants spécia- – Que les nouveaux médecins recrutés par certes mais premier traducteur en allemand des travaux de lisés et non d’un cursus spécifique au terme les asiles le soient par concours et non Charcot. des études de médecine. Faut-il ajouter que simplement sur dossier (Brousse pense, 18. Le contenu de son rapport de 1898 est analysé par Henri la psychiatrie n’ayant pas le statut de spécia- un peu naïvement, que cela limitera les Colin, in Annales médico-psy- lité médicale, ceux qui se retrouvent dans les recrutements complaisants). chologiques, janvier-février 1907. asiles ne sont pas nécessairement l’élite des

78 I Bulletin SABIX n° 58 Dans les deux cas, il s’agit de professionnali- asile d’aliénés n’est autre que Paul Brousse ser de facto la médecine aliéniste. Efficacité lui-même, nommé directeur de l’asile de Ville- miraculeuse de l’action politique ? Ces deux Évrard (commune de Neuilly-sur-Marne) en recommandations ont été suivies, chaque 1910. Mais n’appartient-il pas lui-même à ce année, de 1898 à 1908, au moins. Dans le milieu, depuis qu’en 1907, il a été élu, à l’una- cas de la première préconisation, le premier nimité, membre de la Société médico-psycho- non-spécialiste qui devient directeur d’un logique ?

Conclusion

En décembre 1913, est inauguré, à Villejuif, pendant la quinzaine d’années où il a présidé l’hospice Paul-Brousse en présence du pré- la Commission de surveillance des hospices et sident de la République Raymond Poincaré. des asiles20 du département de la Seine. Dans C’est évidemment l’origine de l’actuel hôpi- les trente années qui ont suivi, ces espoirs tal Paul-Brousse, l’un des plus gros hôpitaux ont été déçus. A la fin des années 1940, les « généraux » (i.e. polyvalent) de l’APHP. conditions de séjour dans les asiles et dans les C’est aujourd’hui une véritable ville puisqu’il hospices sont pires qu’au début du xxe siècle. compte plus de 2000 lits et peut accueil- Le fond de l’horreur a été atteint en 1940 lir près de 200 patients supplémentaires en quand des patients internés y sont morts de hôpital de jour. Toutefois, le bâtiment origi- faim. Mais cet échec s’explique facilement par nel, en meulière de Brie, de 1913 est encore l’histoire générale : deux guerres mondiales, discernable d’autant qu’il sert d’accueil pour une crise financière dans les années 1920, l’ensemble19. La présence du président de la une crise économique dans les années 1930 République lors de l’inauguration, voire le ont mis à mal le financement du système de choix du nom de Paul Brousse (décédé l’an- Santé publique. Cet échec n’est donc pas celui née précédente), indiquent ce que voulait être de Paul Brousse, acteur politique au service de ce nouvel hospice : un établissement exem- la Santé publique, en son temps. plaire par la qualité professionnelle des soi- gnants, le nombre de patients par soignant et par mètre carré, etc. Tout un projet allant dans le sens des préoccupations de Brousse

19. En septembre 2013, à l’oc- casion des Journées du Patri- moine, une journée « portes ouvertes » a été organisée par l’hôpital Paul-Brousse pour son centenaire. Une brochure a été éditée sur l’histoire de l’hôpital. 20. « Hôpitaux psychia- triques » depuis 1937.

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