LA FEMME ET L'oiseau E Et XIX E Siècles
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
LA FEMME ET L’OISEAU aux XVIIIe et XIXe siècles dans la littérature, la peinture et la musique COLLECTION Révolutions et Romantismes Colloque de doctorants organisé dans le cadre de l’ED LLSH de Clermont-Ferrand Études réunies et présentées par Simone Bernard-Griffiths et Daniel Madelénat 16 © Maison des Sciences de l’Homme 4, rue Ledru – 63057 Clermont-Ferrand Cedex 1 Tel. 04 73 34 68 09 – Fax 04 73 34 68 12 [email protected] www.pubp.fr Collection “Révolutions et Romantismes” dirigée par le CELIS, Clermont-Ferrand ISBN - 978-2-84516-539-7 Troisième trimestre 2011 LA FEMME ET L’OISEAU AUX XVIIIe ET XIXe SIÈCLES Colloque de doctorants organisé dans le cadre de l’ED LLSH de Clermont-Ferrand © PUBP, 2011, ISBN - 978-2-84516-539-7 Préface Daniel MADELÉNAT Le soleil, la campagne, la grâce d’une femme, les chants des ramures fleuries : quoi de plus poncif ! Voici la jeune cycliste sur le chemin : Elle s’approche, avec un bruit d’ailes léger. Sa robe autour des roues a l’air de voltiger. Elle arrive, elle est là, elle peut goûter la douceur d’être ainsi, par ce matin sonore de feuillées et d’oiseaux, dans ce village frais, la jeune fille en blanc qui vient de la forêt.1 Qui n’associerait Berthe Morisot au célèbre Jour d’été (1879, Londres, National Gallery) exposé aux Impressionnistes de 1880 : deux élégantes, en canot, se détachent sur les reflets d’une eau où glissent, comme émanés de l’onde, deux cygnes ; thème maintes fois repris (Sur le lac ou Petite fille au cygne, Sur le lac du Bois de Boulogne, Cygnes en automne…), devenu comme l’emblème d’une manière et d’une sensibilité proprement féminines. 1 . Paul Géraldy, Toi et Moi, suivi de Vous et Moi, Paris, Stock, « L.P. », 1965, p. 91-92, Vous et Moi (1960), « le beau temps rit… ». 3 Daniel MADELÉNAT Cependant, lier la femme à l’oiseau ne va pas de soi : Marie-Madeleine Davy, dans L’Oiseau et sa symbolique2 ne le fait pas, et ne voit là aucun invariant anthropologique. Le répertoire ornithologique – exploité par le mythe et le folklore, diversifié par les naturalistes de l’Antiquité, retravaillé par 1’imagination allégorique du Moyen Âge – connaît, à partir de la Renaissance, un accroissement exponentiel, en quantité et en qualité : 1’ara, le cacatoès, le toucan, la perruche, le paradisier, le colibri rivalisent de couleurs et de chants. Cette somme de merveilles et de bizarreries, des savants la classent, des poètes la décrivent et 1’utilisent comme réserve de symboles, des artistes la représentent et la stylisent en décor. Polymorphisme, polychromie, polyphonie, polysémie : en ces innombrables nations, rois et princes dominent les manants, protagonistes et vedettes éclipsent les figurants, êtres de jour et de feu offusquent les nocturnes au ton de cendre ; la femme ou la féminité sont alors une connotation et un sens parmi d’autres ; nulle évolution finalisée ne saurait les privilégier comme vérité profonde de l’oiseau : l’effacement relatif, aujourd’hui, de cette sémiophanie « féministe » suffirait à discréditer une phénoménologie anhistorique fondée sur une Idée : en termes triviaux, un préjugé… L’ornithophilie romantique se déploie en un siècle où les explorateurs multiplient les découvertes, tandis que le dispositif imaginaire classique garde son autorité et son charme onirique au prix de réinterprétations subjectives. On exhume ou on réévalue contes, fabliaux et gestes animales ; mais avec les caricaturistes et les humoristes s’annoncent les disneyifications futures. En cette confluence féconde, le « féminisme » rencontre un vocabulaire étincelant et équivoque : tantôt il enrôle la femme et l’oiseau dans le même élan vers le beau, le bien et le vrai ; tantôt il les emprisonne dans les leurres de la parure qui précipitent les séductrices et leurs victimes en un maelstrom de vanité et de cruauté. La transgression – céleste ou infernale – semble être ici la norme : fragile et intranquille, l’être ailé fuit toute routine terrienne et toute appropriation ; sur le qui‑vive, il s’agite et palpite d’exils et de retours, comme si la nostalgie d’un ailleurs l’emplissait d’inquiétude et de désir ; signe dans le (et du) ciel – d’où l’ornithoscopie, l’ornithomancie et les auspices –, concrétion de l’air et de la lumière, il s’apparente à la brise qui caresse, et à l’éclair qui foudroie. 2 . Paris, Albin Michel, 1992. 4 Préface Ambivalences et métamorphoses Les clans du « peuple vautour / Au bec retors, à la tranchante serre » luttent pour une charogne, comme les princes de l’Iliade pour Troie : Maint chef périt, maint héros expira Et sur son roc Prométhée espéra De voir bientôt une fin à sa peine […] Cette fureur mit la compassion Dans les esprits d’une autre nation Au col changeant, au cœur tendre et fidèle. Les pigeons, voués à Vénus, à l’amour et à la concorde, obtiennent une trêve et réconcilient les adversaires qui les croquent…3 En 1856, Michelet choisit d’exclure les rapaces de son avilège : l’aigle est détrôné ici, le rossignol intronisé. Dans le crescendo moral où va l’oiseau se formant peu à peu, la cime et le point suprême se trouvent naturellement, non dans une force brutale, si aisément dépassée par l’homme, mais dans une puissance d’art, de cœur et d’aspiration, où l’homme n’a pas atteint, et qui, par‑delà ce monde, le transporte par moment dans les mondes ultérieurs.4 Chez les oiseaux aussi s’affrontent bourreaux et victimes, maîtres et sujets, mâles et femelles : clivages et ambivalences symboliques constants (ceux du démonique, du sacré fascinant et effrayant) que 1’âge romantique module et dramatise. Les hybrides que lègue la tradition privilégient déjà l’un ou l’autre pôle : chérubins aux ailes de feu, ange à l’épée flamboyante qui interdit à Adam et Ève le jardin d’Eden, taureaux ailés des civilisations mésopotamiennes, serpents à plumes de l’Amérique précolombienne, monstres de la mythologie antique (Harpyes, Sirènes, Érinyes, Furies, Kères ou Moires en forme d’oiseaux de proie, sphinx et sphinges…), ou du folklore (vouivre – vipère qui 3. La Fontaine, Fables, éd. V.-L. Saulnier, Éd. de Cluny, 1950, t. II, p. 38-39, VII, 8, « Les vautours et les pigeons ». Opposition constante (IX, 18, « Le milan et le rossignol » ; IX, 2, « Les deux pigeons » : l’amour du nid et les périls du voyage). 4. Jules Michelet, L’oiseau, in : Œuvres complètes, éd. Paul Viallaneix, Paris, Flammarion, t. XVII (1855-1857), l986, p. 65 (et « Les rapaces », in : ibid., p. 102-108). 5 Daniel MADELÉNAT vole –, Mélusine à queue de poisson qui devient dragon volant…). Aux antipodes, les anges adorateurs ou annonciateurs, les jolis angelots ou têtes ailées, les Renommées, Victoires, Génies, Zéphyr, Aura, Aurore5, ma mère l’oye, la reine Pédauque… Entre l’énergie punitive ou destructrice et la grâce ou la douceur féminine qui couronne les actes pieux s’instaurent à la fois tension, circulation et dialogue : secrète connivence de fondre sur et de se fondre dans, jusque dans l’annexion de l’inanimé (les sandales, le caducée et le pétase de Mercure, rapide messager des dieux ; le sablier ailé, symbole du temps inexorable…). La Mort, noire figure aux ailes rabattues sur un sombre manteau, dans Hercule se bat contre la Mort pour sauver Alceste (1869-1871) de William Waterhouse6, apparaît sous les traits d’une rouge colombe qui transporte, extasie et transfigure Béatrice, dans Beata Beatrix (vers 1862‑1870) de Dante Gabriel Rossetti : « l’œuvre est entièrement symbolique et idéale ; un oiseau étrange fond des cieux et lui porte dans son bec un pavot épanoui, la fleur funèbre du sommeil. Son beau visage se renverse, triste et doux, avec des yeux complètement clos, en une transe qui ressemble à la mort mais n’est pas la mort »7. La tête coupée de Méduse, à la chevelure vipérine et aux yeux meurtriers, engendre Pégase, cheval ailé de l’inspiration : l’irradiation maléfique devient souffle créateur ; Ishtar ou Lilith, déesse de la Nuit, se dresse sur des pattes griffues entre deux chouettes8 : signes de nuit visionnaire, ou d’effroi et de rapt ? Le charmant Éros, fils d’Arès, qui voltige, arc et flèches empennées à la main (synecdoques et métaphores des oiseaux qui fendent le ciel, et armes d’Artémis chasseresse) surplombe les danseuses du Printemps de Botticelli ; il accompagne les cygnes et les colombes d’Aphrodite sa mère ; il blesse et se blesse9 : les douces roses de l’Amour cachent d’amères épines. 5. Par exemple dans le charmant tableau de Narcisse Guérin, Aurore et Céphale (1810), au Louvre. 6. Hartford (Connecticut), Wadsworth Atheneum. 7. « This work is wholly symbolic and ideal; a strange bird flown earthward from heaven brings her in its beak a full‑blown poppy, the funeral flower of sleep. Her beautiful head lies back, sad and sweet, with fast‑shut eyes in a death‑like trance that is not death » – Algernon Charles Swinburne, Essays and Studies, Londres, Chatto and Windus, 2e éd., 1876, p. 377 (« Notes on some pictures of 1868 »). 8. Sculpture de la Première dynastie de Babylone (- 1800 à - 1600), Londres, British Museum. 9. En 1903, Hugo Simberg (L’Ange blessé, Helsinki, Musée Athenaeum) varie et modernise ce motif : l’ange à l’aile brisée, bandeau autour du front, est porté sur un brancard par deux petits paysans renfrognés, sous un ciel gris et triste. 6 Préface L’instabilité sémantique qu’exhibent inversions ou renversements éclate avec les métamorphoses (projections de l’ambivalence dans un processus temporel) qui tournent souvent dans le mythe grec (repris par Ovide) à la légende étiologique où tel caractère d’une espèce trouve son explication anecdotique : les Muses