FICTION APRÈS LA RÉVOLUTION #I PAR ZARCA L’ÉDITO DE FRANÇOIS MITTERRAND LE DÉPUTÉ

DOSSIER REVUE AIME LA CHARLES.FR VIS MA VIE DE DÉPUTÉ MARCHE

Voici la journée d’un député-conseiller général de la l’heure du déjeuner. Nevers présente la caractéristique CÉDRIC Nièvre. (Je vous signale à cet égard que le Nivernais fut de n’offrir que peu de débouchés aux palais délicats. la dernière province rattachée à la Couronne de . C’est au Terminus, restaurant décoré d’un flot de fleurs VILLANI Preuve d’entêtement dont on tire ici une grande vanité.) artificielles grimpantes, rampantes, retombantes et de À 6h30 du matin ce député sort avec peine d’un rêve poissons en celluloïd que s’est attablé un petit groupe de confus. Il se lève, se frotte, achève, sous le rasoir, de se conseillers généraux, parmi lesquels celui dont je vous RAQUEL « Député, c’est réveiller. Dans le sale petit jour, muni d’une vieille valise narre les menus faits et gestes, en m’excusant du soin et d’un porte-documents, il saute dans un taxi qui, appelé que j’y mets. Ce que se sont dit ces honorables messieurs GARRIDO violent » par téléphone, attend devant la porte de l’immeuble. était certainement très intéressant. Mais la rumeur n’en « Les insoumis Le député met un quart d’heure plus tard le pied sur le est pas venue jusqu’à moi. Je supposerai que, selon la détestent quai du « Bourbonnais », autorail qu’on appelle aussi coutume, ce fut un mélange de considérations senten- France Inter » GÉNÉRATION micheline (gloire à la dynastie !) et qui, dans une cieuses et de gauloiseries. Peu importe, au demeurant. La CORPORATE AU intention dont vous apprécierez la finesse, relie Nevers face du monde n’en sera pas changée. PIERRE PERSON PALAIS-BOURBON à Clermont-Ferrand. Pendant le voyage, notre homme & SACHA HOULIÉ lit deux journaux. Fouille dans sa serviette. Parcourt Le café ingurgité, le député est parti seul, à pied. Il aime la Les coloc’ ADRIEN vaguement une grammaire grecque. Visiblement, n’a marche et par un après-midi grognon et gris il a remonté de la Macronie envie de se fixer sur rien. Il somnole, ouvre l’œil de temps la ville. Et l’après-midi s’écoule. Le conseil général QUATENNENS à autre, s’enfonce dans une songerie plus morose qu’heu- continue sa session. Les heures s’égrènent lentement. reuse. Fin de la séance. Notre héros (expression littéraire) flâne « DESSINE-MOI « La politique dans l’artère commerciale, stoppe devant une boutique, UN CRS ! » me poursuivra Quelques minutes, surtout en Citroën ce qui fut le cas exactement une confiserie, dédaigne chocolats et babas Mai 68 en affiches toute ma vie » ce matin-ci, séparent la gare de Nevers de la préfecture (l’insensé !) et bavarde tout bonnement avec l’honnête – et à la préfecture siège le conseil général. Que font 3 tenancier qui a la réputation d’être l’un de ses fidèles. Français (ou 25) dès qu’ils sont réunis ? Des discours. Le Puis tous deux déambulent de concert, rencontrent de-ci FRANÇOIS préfet et le président ont donc prononcé de méandreux de-là des personnages avec lesquels ils discutent. Mais et filandreux discours que notre député a écoutés distrai- tout cela les ramène assez vite à un hôtel de mine plate. NUMÉRO 25 DE RUGY TRIMESTRIEL « Je suis un chef tement. Il a applaudi le président en tapant le tapis vert Ils se saluent. L’un part, l’autre entre. — PRINTEMPS 2018 d’orchestre » d’une main, et deux secondes, et pas du tout le préfet. 16 EUROS Après quoi la commission des finances l’a absorbé – mais LE BANC DES je n’en jurerais pas : on l’a vu griffonner des papiers sans Source : CORSES À rapport apparent avec les questions traitées – jusqu’à Lettres à Anne (1962-1995), Gallimard, 2016

3 L’ASSEMBLÉE 4 6 POLITBURO MARLÈNE SCHIAPPA PAR ELSA RENSEIGNEMENTS FAUCILLON GÉNÉRAUX

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JE T’AIME MOI NON PLUS GRAINES DE STAR SACHA BRUNO HOULIÉ & MASURE « Il y a une forme PIERRE de caste, 28PERSON quoi qu’on en dise »

18 POUR QUI VOTEZ-VOUS ? RAQUEL GARRIDO

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INTERVIEW D’UN CHARLES CHARLES DE COURSON © Mathieu Génon « Nous n’avons jamais /Arnaud Meyer/Leextra eu une représentation /Nadège Abadie /Anne-Gaëlle Amiot politique aussi élitiste » 5 POLITBURO FÉMINISTE ET EN MÊME TEMPS… MARLÈNE SCHIAPPA PAR ELSA FAUCILLON Députée des Hauts-de-Seine

Deux féministes, deux styles, deux idéologies : quand Elsa Faucillon, députée communiste des Hauts-de-Seine, fait le portrait de la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, ça tire à boulets rouges !

ILLUSTRATIONS ANNE-GAËLLE AMIOT

Ses proches la surnomment le « bulldozer ». D’autres, À 35 ans, avant de devenir la secrétaire d’État chargée parmi ses collègues du gouvernement, la voient de l’égalité entre les femmes et les hommes, elle était comme une « combattante », et elle est une « guerrière » maire adjointe au Mans depuis 2014, élue sur une liste pour le patron de La République en marche, Chris- d’Union de la gauche conduite par le socialiste Jean- tophe Castaner. Même le président Macron ne tarit pas Claude Boulard. Elle note tout, carnet Moleskine ou d’éloges sur elle. Si sa secrétaire d’État prend parfois outil numérique à portée de main, surtout les phrases trop la lumière à son goût, elle reste un atout de taille lourdingues de ses collègues du conseil municipal, qui dans ce nouveau monde politique, orchestré par un gou- donneront du piquant à son deuxième roman Marianne vernement très – trop – technocratique et qui manque est déchaînée. Elle dénote, comme celles qui ne font pas de poids lourds expérimentés. Elle est sans complexe, a partie du sérail, cherchant à ne surtout pas y ressem- la parole franche, peut-être même sincère. Elle gêne, elle bler. Elle aime pourtant raconter que ses parents étaient dérange, jusque dans les rangs de sa propre majorité. trotskistes. « Enfant, j’entendais tellement souvent : “Karl Pourtant, celle qui avait écrit Osez l’amour des rondes, en Marx a dit”, que je pensais que c’était un ami de la famille. » 2010, atteste chaque jour de son engagement féministe. On sourit à imaginer le dîner de famille après le passage C’est là sa marque de fabrique, sa cohérence et son des ordonnances réformant le Code du travail ! combat. Mais à y regarder de plus près, ces louanges pourraient cacher une autre réalité : celle des renonce- Auteure de plus d’une quinzaine d’ouvrages, essais et ments « nécessaires » à la solidarité gouvernementale. romans, allant de Je reprends le travail après bébé à La Lui attribuer un courage héroïque pour mieux encaisser Culture du viol, l’acuité est assez hétérogène. Il en va de les couleuvres ? même pour la qualité. Elle est la fondatrice du réseau

7 8 POLITBURO SCHIAPPA PAR FAUCILLON

La femme politique est cet être étrange est cet être étrange sur lequel on plaque avant tout ce qu’on voudrait que la femme sur lequel on plaque avant tout ce qu’on soit : légère, naïve, impulsive, maladroite, excitée… Marlène Schiappa joue de ces voudrait que la femme soit : légère, ambiguïtés et les porte en étendard. Et sa prose s’en nourrit abondamment. Elle naïve, impulsive, maladroite, excitée… aborde des sujets que peu de ministres avant elle avaient osé inclure dans le débat, Marlène Schiappa joue de ces ambiguïtés comme les violences obstétriques ou le har- cèlement de rue. et les porte en étendard. Lors de sa première séance de « questions au gouvernement » à l’Assemblée nationale, Maman travaille, devenu blog qui cartonne puis associa- quand elle répond à un député, Marlène Schiappa tion, dispensant astuces type Marie Claire – « Y a-t-il une n’entendra heureusement pas cette remarque : « Elle bonne façon d’annoncer à mon boss que je suis enceinte ? », ne fait pas ministre. » Elle retourne à sa place après « Comment réussir à combiner sorties d’école et carrière ? », qu’on lui a coupé le micro, ce qui est le lot de tous ceux « Est-ce que télétravailler peut remplacer une nounou ? », qui dépassent les deux minutes imparties. Les joues « Dois-je forcément moins travailler si j’ai plusieurs rosies, elle serre les dents, sourit, sait que ce n’est pas enfants ? » – et revendications plus combatives. Loin du si grave, mais que ça l’est toujours davantage quand on MLF (Mouvement de libération des femmes – NDLR), est une femme, jeune, avec peu d’expérience politique ici, on parle de mieux concilier vie professionnelle et et assumant les tenues de sa génération. Si ses presta- vie personnelle. On cherche le référentiel marxiste. En tions suivantes montrent qu’elle ne pliera pas sur les vain. On ne s’invente pas des perspectives post-capi- « bonnes manières » attendues (tenue, phrasé, posture, talistes du jour au lendemain. Si lendemain il devait y elle a sa propre marque…), elles révèlent surtout qu’elle avoir… Les ateliers organisés par le réseau autour des est prête à défendre coûte que coûte le moule macro- concepts de baby planner, personal branding, manager niste. Sa vengeance tombera sur un député Les Républi- riquiqui de son secrétariat d’État lors de sa prise de Marlène Schiappa voulait un ministère de plein exercice. carrière sont facturés 250 euros aux participantes. La cains qui avait tenté de l’interrompre. Son célèbre « Oh ! fonction, elle a accepté le recadrage de Castaner après Elle a été couronnée d’un secrétariat d’État, aux moyens république des start-uppers, nous y voilà. Gardez vos nerfs ! » a été largement ovationné. Ainsi va qu’elle a contesté la défense des avocats de l’époux dans limités, sans broncher. Elle plaide pour l’égalité pro- l’apprentie ministre. Marlène Schiappa prend ses aises l’affaire Daval. Mais Schiappa continue. Rien ne semble fessionnelle. Elle a adoubé une réforme du travail qui Regard aiguisé, amoureuse de littérature, particulière- progressivement. l’ébranler. Et son franc-parler de la conduire au pire, fragilise et précarise plus encore les femmes, sans piper ment de Flaubert, elle veut assurer sans faire l’intello. dans les colonnes du JDD, où elle a publié une tribune mot. Elle lutte contre les violences faites aux femmes C’est réussi. La fille de profs du secondaire et d’univer- Elle se veut une infaillible du président de la République, en soutien à son collègue Nicolas Hulot, visé par une et leur envoie un terrible signal par sa tribune pour sité cherche à convaincre sans exclure. Être féministe rencontré à peine un an avant son élection. Il faut dire plainte pour viol, classée sans suite. Après deux jours soutenir un « homme charmant ». Parce que c’est aussi sans se laisser ringardiser est un sacré défi. Mais être que le jeune mouvement En Marche ! semble fait pour de silence, dont on soupçonne qu’ils ont été rythmés ça, Marlène Schiappa : le pragmatisme macronien, l’in- féministe sous les traits d’une femme d’affaires, ça elle, pas seulement pour son addiction aux réseaux par des sollicitations répétées du Premier ministre pour consistance du combat. Loin du rêve et de l’utopie. Tout dérange aussi. De son passage comme publicitaire chez sociaux. qu’elle s’exprime dans la solidarité ou qu’elle se taise, ce dont manque ce nouveau monde en marche arrière. Euro RSCG, elle a gardé les anglicismes du monde de la elle a finalement accepté, avec en prime des arguments C’est d’abord ça, son camp. com’, qui en agacent plus d’un dans un univers politique Le féminisme est un combat qui se conjugue mani- offensants et totalement contraires à la formidable revendiquant l’exemple en matière de francophonie. Au festement mal avec la communication gouvernemen- période de libération de la parole des femmes que nous Passer ses convictions à la machine, les faire bouillir Mans, on la juge trop parisienne. La femme politique tale. Après avoir fait le service après-vente du budget connaissons depuis plusieurs mois. pour voir si les couleurs d’origine peuvent revenir… —

9 10 JE T’AIME... MOI NON PLUS

BRUNO MASURE « Il y a une forme de caste, quoi qu’on en dise »

Bruno Masure a été l’un des principaux présentateurs des journaux télévisés français de la fin du xxème siècle. Son style badin agaçait ou séduisait. Il nous livre ici PROPOS RECUEILLIS PAR CONSTANT MÉHEUT quelques anecdotes qui, toutes ou presque,

PHOTOS illustrent la connivence (nécessaire ?) entre ARNAUD MEYER/LEEXTRA journalistes et politiques.

11 12 JE T’AIME... MOI NON PLUS BRUNO MASURE

IMAGES JOCELYN COLLAGES

LES DERNIERS moments où on déconne, etc. Là, on est totalement sur le fil du rasoir : à quel moment est-on pas assez ou INSTANTS trop proche ? C’est un vrai problème de connivence DE POMPIDOU qu’on doit gérer avec sa conscience. Et puis il y a une forme de caste, quoi qu’on en dise. Les journalistes et « C’était au tout début de ma carrière, en mars 1974. les politiques ont tous un peu le même profil. Ils ont J’étais un petit reporter à Radio Monte-Carlo et je fait les mêmes études, fréquentent les mêmes endroits, couvrais la rencontre de et Leonid les mêmes tennis clubs, etc. Il y a un mélange un peu Brejnev à Pitsounda en URSS, au bord de la mer Noire. malsain. Pendant un moment, je fréquentais beaucoup Tout le monde savait qu’il était malade, mais on ne savait . Avec un petit groupe de journalistes, je pas vraiment si c’était grave. À l’Élysée, ils racontaient déjeunais souvent avec lui dans un petit restaurant du qu’il avait la grippe, ça faisait rigoler tout le monde. viième arrondissement. C’était un peu notre cantine. D’ha- On voyait bien qu’il y avait un problème. Il était traité bitude, il venait seul, ce qui facilitait les confessions. à la cortisone, donc il avait le visage complètement Mais, un jour, alors qu’il n’était plus ministre − c’était gonflé ! À la fin de cette rencontre, il y a eu une confé- sa traversée du désert −, il est arrivé avec une femme rence de presse. Il faisait très beau et très chaud, tout le que l’on n’avait jamais vue. C’était Cécilia, il venait de monde était en chemisette. Pompidou, lui, était habillé la rencontrer et il était éperdument amoureux. C’était comme en plein hiver, emmitouflé dans son manteau. le début d’une grande histoire d’amour. Ils ont passé Le contraste était dur à voir… Je m’étais assis par terre, tout le déjeuner à se bécoter. On a vraiment cru qu’ils à trois mètres de lui, pour enregistrer ce qu’il disait. À allaient baiser sur la table ! Imaginez notre gêne… Je l’époque, j’avais une petite caméra amateur Super 8 et me demandais ce qu’on faisait là, et pourquoi il perdait j’avais eu l’idée de le filmer. Très vite, Pompidou a repéré son temps avec nous, alors qu’il avait clairement autre ma caméra et a commencé à regarder fixement l’objec- chose à faire ! » tif. Il ne disait rien, mais je comprenais ce qu’il pensait à ce moment-là : j’étais en train de filmer sa mort. Il y avait un côté voyeur très gênant. Ce souvenir m’a toujours HOLLANDE bouleversé ! On ne le savait évidemment pas encore, ET LES SMS mais ce fut le dernier voyage à l’étranger de Pompidou. Il est mort un mois plus tard. » « Une invention qui a révolutionné le journalisme, c’est le SMS. C’est génial ! Plus besoin de passer par des attachés de presse et autres directeurs de cabinet qui LE DÉJEUNER vous barrent la route. Le plus grand utilisateur du SMS en politique, c’est François Hollande. Une trentaine de AMOUREUX journalistes parisiens ont son numéro, ils en usent et en « Je me rappelle qu’en 2012, au soir du second tour, vers 18 h 30, je lui avais envoyé DE SARKOZY abusent. Hollande répond presque tout le temps. C’est quand même assez génial de pouvoir communiquer un SMS disant : “J’espère que tu seras élu, parce que je porte le même caleçon « Quand on est journaliste politique, il faut avoir des directement avec le président de la République ! Après, depuis que Mitterrand a quitté l’Élysée, ça commence à sentir !” Il m’avait sources, il faut être proche des décideurs. Si vous c’est clair que, là, on est dans de la connivence. Hollande voulez avoir un tuyau avant tout le monde, il faut que adore les journalistes et la presse. Il a noué des liens joliment répondu : “Effectivement, le changement, c’est maintenant !” » le politique vous connaisse et qu’il vous fasse confiance. de copinage avec vraiment beaucoup de journalistes Ça passe par des voyages ensemble, des déjeuners, des quand il était apparatchik au PS. Je ne dirais pas qu’on

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se tapait sur le ventre, mais presque ! Je l’ai beaucoup « Un jour, Bérégovoy est arrivé à l’improviste fréquenté avant son élection. Y compris quand il était au fond du trou. C’est d’ailleurs à ce moment-là que se à Latche. On a immédiatement vu que le créent les liens les plus forts, quand les politiques sont président était ennuyé : “Qu’est-ce qu’il tombés un peu en disgrâce. Je me rappelle qu’en 2012, au soir du second tour, vers 18 h 30, je lui avais envoyé un vient m’emmerder, celui-là ?” Il était SMS disant : “J’espère que tu seras élu, parce que je porte le même caleçon depuis que Mitterrand a quitté l’Élysée, ça comme ça, Mitterrand : capable d’imposer commence à sentir !” Il m’avait joliment répondu : “Effec- un froid glacial en quelques secondes. » tivement, le changement, c’est maintenant !” C’est le genre de conneries qu’on échangeait et qui montrent bien une certaine forme de collusion. Encore aujourd’hui, j’échange avec Hollande. Moins fréquemment qu’avant. Mais même quand je n’en parle pas, il ne manque jamais MITTERRAND de réagir sur Macron ! » ET LES HUMEURS MICHEL JOBERT DE LATCHE « J’ai eu la chance de suivre François Mitterrand avant et ET SON MAILLOT après 1981, ce qui historiquement est très intéressant, car DE BAIN XXS j’ai pu voir comment on passe de l’opposition au pouvoir. François Mitterrand, c’était le Florentin par excellence. Il « En 1981, au début du septennat de Mitterrand, j’avais calculait tout. Dans une même conversation, il pouvait accompagné la délégation française au sommet de être extrêmement hautain et désagréable et quelques Cancún, au Mexique, destiné à régler le problème de la minutes plus tard être très chaleureux. C’était parfois dette des pays d’Amérique latine. On était tous logés un peu compliqué à gérer. Tous les étés, il invitait notre au Club Méditerranée de Cancún, politiques comme petite bande de journalistes à passer une journée dans sa journalistes. C’était très sympa, et en même temps maison des Landes, à Latche. Se retrouver à la table du un vrai bordel ! Il n’y avait pas de téléphone dans les chef de l’État, avec sa femme, en pleine campagne, c’est chambres, donc autant dire qu’il était impossible de quelque chose ! On était en espadrilles, allongés dans des travailler. On voyait les ministres tout au long de la transats et on discutait de tout : de politique, bien évi- journée. À un moment, je croise Michel Jobert (alors demment – il nous détaillait ses stratégies –, mais aussi ministre du Commerce extérieur – NLDR) à la boutique de littérature, de sport, etc. Le summum de la collusion du Club Med. Jobert, faut l’imaginer. Il faisait un mètre entre journalistes et politiques ! Un jour, Bérégovoy est cinquante, il était tout petit, tout maigrichon. Il voulait arrivé à l’improviste à Latche, il était alors secrétaire acheter un maillot de bain. Le vendeur, un peu efféminé, général de l’Élysée. On a immédiatement vu que le lui avait répondu : “Un maillot de bain ? Oh, mais mon président était ennuyé : “Qu’est-ce qu’il vient m’emmerder, grand, j’aurai jamais ta taille !” Ça m’avait bien fait rire ! celui-là ?” Il n’a pas caché son mécontentement de voir C’est dans dans de tels moments que se créent des liens Bérégovoy et lui a bien fait comprendre. Il était comme de proximité, voire d’amitié. » ça, Mitterrand : capable d’imposer un froid glacial en quelques secondes. »

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LES COUILLES s’agissant des affaires judiciaires qui le concernaient, DE CHIRAC on ne connaissait jamais autant que lui l’ensemble du dossier. À la moindre hésitation ou approximation, il « À l’époque où il était Premier ministre, Jacques Chirac nous incendiait ! En France, les interviews d’hommes s’engueulait beaucoup avec Margaret Thatcher lors des politiques ont toujours été compliquées. Si vous êtes un sommets européens. On était en plein dans le débat peu dur ou percutant, on vous accuse d’être de droite, de sur les finances européennes et Thatcher répétait tout gauche, de mépriser les patrons, etc. Les gens ne com- le temps : “I want my money back !” Lors d’un sommet, prennent pas que vous puissiez être agressif. Résultat, Chirac, qui n’en pouvait plus, explose de colère et lance : les interviews politiques sont toujours très courtoises et “Mais qu’est-ce qu’elle me veut de plus, cette ménagère ? révérencieuses. Regardez Delahousse et son interview Mes couilles sur un plateau ?” L’information a vite fuité, de Macron : là, on a atteint le summum de la révérence, et, comme tout bon journaliste qui vérifie ses sources, ça devrait être enseigné dans les écoles de journalisme, j’ai demandé à Chirac, lors d’un entretien à l’Élysée : un cas comme ça ! » “Est-ce que c’est vrai que vous avez parlé de vos couilles à Mme Thatcher ?” Il a un peu tiqué d’abord, mais a confirmé. Ça m’a fait marrer, parce que je m’étais fait le pari à moi-même que j’allais parler au Premier ministre LA VICTOIRE DE 1981 de ses couilles ! » AU SIÈGE DU PS

« Les seuls moments où j’ai un peu de vague à l’âme, LES INTERVIEWS c’est lorsque je me rappelle les soirées présidentielles. C’est très excitant, il faut jongler avec quinze duplex MUSCLÉES différents, et c’est très drôle de recevoir les invités sur DE BERNARD TAPIE les plateaux : la moitié tire la gueule et l’autre moitié est déjà bourrée au champagne. La campagne qui m’a « Les quelques fois où j’ai interviewé Tapie, c’était le plus marqué est celle de 1981. J’étais au siège du physique. Sur le plateau télé, on est très proche avec PS pour les résultats du second tour. À 19 heures, on les invités, à une distance d’un ou deux mètres. Par a appris que Mitterrand était élu. Je ne vous raconte moments, je me suis dit qu’il allait se lever et me foutre pas l’ambiance ! C’est tout juste si Fabius ne m’a pas son poing dans la gueule. En général, il y a deux tactiques embrassé sur la bouche alors qu’il est normalement avant une interview pour un homme politique. Soit il très distant avec les journalistes. Là, il embrassait tout arrive dans les studios en étant super sympa, il vous le monde ! Le problème, c’est que nous avions interdic- tape dans le dos devant votre P.-D.G. et vous dit que sa tion de donner les résultats avant 20 heures, donc nous femme vous trouve formidable. Alors il vous déstabilise, étions contraints de rester évasifs dans nos commen- parce que c’est compliqué après de l’attaquer frontale- taires en direct. Je me souviens, j’étais comme un con ment. Soit il arrive en étant de très mauvaise humeur, en avec mon micro, face à la caméra, en disant : “Eh bien, engueulant tout le monde. Alors vous vous dites que s’il ici, les militants attendent impatiemment de savoir si cette vous reprend sur un détail, vous êtes perdu. Avec Tapie, fois sera la bonne ou non…” Et derrière moi, j’avais les c’était toujours le rapport de force. En plus, il était d’une mecs qui gueulaient : “On a gagné ! On a gagné !” C’était mauvaise foi absolue. Il mentait comme un arracheur de grotesque ! » — dents ! C’était vraiment compliqué de l’interviewer, car

17 18 BULLETIN POUR QUI VOTEZ-VOUS, RAQUEL GARRIDO ?

Par goût du verbe, cette Chilienne, arrivée en France il y a trente ans, s’est très vite fait happer par la sphère politique. Longtemps encartée au Parti socialiste, dans le sillage de Julien Dray et de Jean-Luc Mélenchon, elle deviendra l’une des fondatrices du Parti de gauche puis une importante animatrice médiatique des campagnes électorales du leader de La France insoumise. Son dada : la vième République, dont elle peut parler pendant des heures. Mariée au député Alexis Corbière, Raquel Garrido a surpris tout le monde en devenant cette année chroniqueuse dans l’émission « Les Terriens du dimanche ! », présentée par Thierry Ardisson. Si on devine assez bien pour qui cette pasionaria de gauche a toujours voté, le moment était assurément PROPOS RECUEILLIS PAR ARNAUD VIVIANT venu de lui demander pourquoi. PHOTOS MATHIEU GÉNON

Selon mes calculs, tu as dû voter pour la première fois à une présidentielle en 1995. Raquel Garrido : Non, Monsieur ! Oh, bien sûr, j’étais déjà militante et j’ai fait cette campagne, comme toutes les autres, sur le terrain, mais le dimanche venu, je n’avais pas le droit d’aller voter, car je n’étais pas française. J’ai d’ailleurs beaucoup utilisé cet argument face au FN. Je disais aux gens que je sentais tentés par le vote xénophobe : « Vous n’êtes pas très engagés et pourtant vous avez le droit de voter. Et moi, qui fais du bénévolat, qui milite sur les marchés, qui mérite la médaille de la meilleure citoyenne, je n’en ai pas le droit ! »

19 20 BULLETIN RAQUEL GARRIDO

Mon dossier de naturalisation était « En 1995, j’étais présidente du comité toujours retoqué, j’en avais vraiment marre ! C’était kafkaïen, il manquait de soutien de Jospin, à Nanterre. toujours un papier. En 1995, Benoît Hamon, que je connaissais de l’UNEF Mais, en 2002, c’est devenu difficile et du MJS, était directeur de cabinet de Martine Aubry, alors ministre des de le soutenir. » Affaires sociales. Je lui ai demandé d’appuyer ma demande. Rien ! Walou ! Finalement, je suis devenue française six mois après les puissants, tu deviens un peu une enfant gâtée. Tu avoir épousé Alexis Corbière, en juillet 2000. Donc te dis : « Ah bon, il y a une montagne à déplacer ? Pas de je vote à ma première présidentielle en 2002. Pas de problème ! Donnez-moi une petite cuillère, je m’y mets tout chance. En 1995, j’étais présidente du comité de soutien de suite ! » Évidemment, ces leaders politiques ont très de Jospin, à Nanterre. Mais, en 2002, c’est devenu peu de tolérance par rapport à la frustration, ils sont un difficile de le soutenir. Il a un bilan avec beaucoup de peu infantiles. Il faut apprendre à sortir de la mégalo- privatisations. À l’époque, je suis assistante confédérale manie, du narcissisme de la scène pour viser l’efficacité. à Force ouvrière. Je m’occupe de leurs relations interna- L’art oratoire est très valorisé chez les mélenchonistes. tionales, notamment avec l’Amérique latine. Je travaille Par exemple, à la présidentielle, nous étions les seuls alors avec des syndicalistes et je vois tout de suite qu’il à avoir le titre d’orateur national. Comme dans le livre y a un problème : parmi eux, aucun ne vote Jospin. de Laurent Binet, La Septième Fonction du langage, on Bon, j’ai quand même voté pour lui, sans illusion. Et au apprend à manier la fonction performative. Pour moi, le second tour, j’ai voté Chirac. À l’époque, c’était la ligne. verbe est le premier point de l’empathie. Et j’ajoute : du De quand date ton engagement ? patriotisme. Un mot qui fait débat à gauche. Mais, pour Du mouvement lycéen de 1990. Je suis arrivée en France moi, le patriotisme, c’est l’amour. Et cet amour est ce qui le 8 septembre 1988, cela fera bientôt trente ans. Rocard manque, à mon sens, aujourd’hui à la société française. est Premier ministre, Jospin ministre de l’Éducation. Il Quand tu t’engages au début des années 90, de y a un mouvement lycéen extrêmement violent, avec quel bord es-tu ? notamment des affrontements sur le pont de l’Alma Je suis encore un électron libre. Je me méfie de la qui resteront dans les mémoires. En 1990, je suis en structure, du syndicat. Je n’ai pas envie d’être embri- classe de première à Saint-Germain-en-Laye, et c’est gadée. D’ailleurs, la première fois que je suis élue à la ma première mobilisation, ma première victoire aussi coordination nationale à la fac de droit de Nanterre, je le puisque Mitterrand, royal, donnera raison aux lycéens. suis sur le quota des non-syndiqués. Dans le quota des Cela ne s’oublie pas, ce goût de la victoire. La politique syndiqués, il y a Besancenot pour l’UNEF-SE, et deux m’a fait arrêter le théâtre. J’avais fait beaucoup d’impros autres personnes pour l’UNEF-ID. Ce n’est qu’après la au Québec et, un peu au bluff, j’avais réussi à me faire victoire que j’ai rejoint une organisation. J’ai pris ma accepter au conservatoire plutôt très sélect de Saint- carte au PS à la fin de l’année 1993. J’adhère à la section Germain-en-Laye. Mais l’adrénaline que tu ressens du xivème arrondissement, et mon référent s’appelle à écrire l’histoire à ta petite mesure, à être la petite Pascal Cherki. Je vais rester au PS jusqu’à la fondation barre du p de ce peuple qui fabrique les événements, ça du Parti de gauche, en octobre 2008. marque à vie ! Tu sors de la théorie. Quand tu mets tes En 1996, tu deviens vice-présidente de SOS arguments à l’épreuve de la masse et que tu fais plier Racisme.

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J’étais à La Gauche socialiste. Mes chefs étaient « À l’époque, Ségolène me sortait par Mélenchon et Dray. En 1997, j’ai bénéficié d’un emploi jeune – à l’époque, ils n’étaient pas au rabais – qui m’a les yeux. Aujourd’hui, je dois avouer que permis d’aller bosser pour SOS Racisme. Je m’occupais c’était con, parce qu’elle avait compris de la province. Or, en 1998, lors des élections régio- nales, la droite s’associe avec l’extrême droite dans plein de trucs ! Beaucoup de choses quatre régions. Donc, dans les conseils d’administration des lycées, des représentants de la Région étaient FN. que nous avons reprises en 2017... Alors je repérais le jour où se tenait le conseil d’admi- La démocratie participative, la mise nistration, j’imprimais des tracts à Paris, je prenais un train de nuit, je distribuais mes tracts le matin devant à distance du parti et de ses caciques, le lycée en appelant à une AG pour midi. Je répondais à quelques médias locaux et, en général, à 18 heures, la question charismatique, emphatique, l’heure où se tenait le conseil d’administration du lycée, la question de l’amour ! » le représentant du FN ne pouvait pas pénétrer dans le bahut. Au passage, je recrutais des lycéens pour SOS Racisme. C’est comme ça, par exemple, que j’ai recruté C’était d’un très haut niveau. En plus, le FN était dans les Loubna Méliane (qui deviendra l’assistante parlemen- choux, parce que Le Pen s’était embrouillé avec Mégret, taire de Malek Boutih en 2012 – NDLR). Puis j’ai succédé si bien qu’on pouvait enfin critiquer l’Union euro- à Delphine Batho au poste de vice-présidente de SOS péenne de façon progressiste. C’est là que Mélenchon Racisme, avant que Loubna me remplace. Mais, je est devenu connu. À cette époque, les communistes ne restais une petite main, les médias ne me sollicitaient pensaient pas un seul moment que l’on quitterait le PS. jamais. Je travaillais essentiellement avec François Mais, dans nos têtes, c’était déjà réglé. Pendant trois Delapierre, qui avait accepté d’être le secrétaire général ans, nous n’avons fait que préparer l’affaire. de SOS Racisme en même temps que moi. Nous en arrivons à 2007 : Sarko contre Ségolène. Pour toi comme pour ton courant, la grande Je vote Marie-George Buffet au premier tour et Ségolène affaire sera le référendum sur la Constitution euro- au second tour. Mais je n’ai vraiment pas le souvenir péenne de 2005. d’avoir fait cette campagne. Elle nous est passée tota- Oui. En 2004, le PS organise un référendum interne lement au-dessus de la tête. Jean-Luc, lui-même, n’a pour définir sa position. Mon courant prend ça très au dû participer qu’à un ou deux meetings en province. sérieux. Sous l’égide de Delapierre et Mélenchon, on À la toute fin, j’ai essayé de me rendre au meeting de fonde une association qui s’appelle Pour la République Charléty, parce que je sentais quand même un peu de sociale. On mène le débat à l’intérieur du PS, avec un ferveur autour de sa candidature. Mais je n’ai pas pu petit courant qui se nomme Trait d’union. Et on perd ! rentrer, il y avait trop de monde. À l’époque, Ségolène À peu de choses près. On aurait gagné si les fédérations me sortait par les yeux. Aujourd’hui, je dois avouer que des Bouches-du-Rhône et du Nord n’avaient pas triché c’était con, parce qu’elle avait compris plein de trucs ! comme des porcs, comme à leur habitude. À la suite de Beaucoup de choses que nous avons reprises en 2017... ça, on lance la campagne « Pour moi, c’est non ! » avec une La démocratie participative, la mise à distance du parti brochure qui s’intitule « Dans électeur, il y a lecteur », et la et de ses caciques, la question charismatique, empha- campagne est lancée avec une forte intensité. Du jamais tique, la question de l’amour ! Elle avait de très bonnes vu ! Jamais le débat n’aura été aussi intense qu’en 2005. intuitions. Mais nous étions encore trop « buros » comme

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on dit au PS, trop liés à l’histoire du parti. Pour nous, il la Constituante, de la souveraineté politique, du rassem- des voix, ce n’était pas pourri. J’ai fait « Dans un premier temps, je suis préposée était problématique que les choses soient décidées dans blement de tous ceux qui aspirent à la citoyenneté est trois semaines de campagne. Je suis une structure aussi souple que L’Avenir en commun. On la question politique la moins clivante de toutes, celle allée à Buenos Aires où j’ai fait un aux chaînes internationales style France 24, était encore un peu vieux schnocks, par rapport à ça. qui permet d’assurer la victoire. En revanche, à chaque super score, genre 18 % des suffrages, Nous n’étions pas du bon bord sur un certain nombre fois que, par sédimentation, tu ajoutes des points de à São Paulo, Rio, Santiago, Montevi- parce que je suis celle qui parle le plus de sujets qu’elle avait mis sur la table, mais finalement, programme, tu divises ton socle électoral. J’étais donc deo… J’ai enregistré un message télé- c’est elle qui avait raison. Avec Ségolène, nous butions très partisane en 2012 de mettre cette proposition de phonique qui a ensuite été envoyé à de langues étrangères dans notre petite surtout sur les questions économiques. C’était une créer une vième République beaucoup plus en avant que tous les électeurs potentiels dont on a pro-Européenne totale, donc on se méfiait beaucoup. tout le reste ! C’est ainsi que l’on fait la grande marche récupéré le numéro de téléphone. Cela bande. » Pourtant, comme Bayrou avec le MoDem, elle a posé du 18 mars, autour de cette idée de vième République. Je se pratique beaucoup en Amérique. dans la société française des jalons qui nous servent me souviens : on est partis de Nation pour aller jusqu’à Macron l’a d’ailleurs fait lui-même, beaucoup aujourd’hui. Et puis, en 2007, nous sommes Bastille. Il faisait gris ce jour-là. On descendait par la rue l’avant-veille du premier tour. Nous voilà enfin en 2017, où il ne vous aura dans la logique de construire une fusion comme Die du Faubourg Saint-Antoine quand soudain, un nuage se Pourquoi ne t’es-tu pas représentée aux législa- manqué que 600 000 voix pour être au second tour. Linke en Allemagne. On voulait se rapprocher du PCF pousse et un rayon de soleil tombe pile sur nous. Et là, tives de 2017 ? Où ont-elles été perdues à ton avis ? pour arriver à notre fin : la candidature de Mélenchon. on s’est fait un gros délire avec Jean-Luc sur les forces Parce que je voulais qu’Alexis devienne député de Il y a plein d’explications, mais je reste convaincue que Depuis le départ, je milite pour sa candidature. Je pense de l’esprit ! On a marqué beaucoup de points et on a fait Montreuil. On a trois enfants, je ne pouvais pas me mon intuition est bonne : pour obtenir un maximum de qu’il est le meilleur de sa génération et j’ai le souvenir un score honorable à la présidentielle. En revanche, aux présenter, sauf à saboter totalement sa campagne. Et voix, il faut s’adresser à l’électorat le plus large possible de lui avoir dit pour la première fois en 2002, après la législatives, on est retombés dans ce qu’était le Front de puis, on avait dit et répété durant toute la campagne en mettant en avant la question de la citoyenneté. Sur défaite de Jospin : « Jean-Luc, c’est à ton tour d’y aller. » Le gauche de base : le cartel d’appareils, les petites négo- présidentielle que celles et ceux qui seraient élus à l’As- la question sociale, on est encore dans une société très pauvre, à cette époque, était un peu déprimé… ciations à hue et à dia… Et on est allés de catastrophe en semblée nationale ne pourraient pas faire partie de la petite-bourgeoise, au sens où les pauvres et les classes À quel moment commence-t-il à y croire, à ton catastrophe, de juin 2012 jusqu’aux élections régionales Constituante. Or, moi, être membre de la Constituante moyennes continuent de penser que les riches doivent avis ? de 2015. Durant cette campagne, je suis beaucoup dans était mon but ! Je ne ressens plus l’appel de cet hémicycle. le rester pour qu’eux soient moins pauvres. Ils croient À partir de 2004, quand on fonde PRS. Là, il monte sur le les médias. Dans un premier temps, je suis préposée aux Une nuit, Julien Dray me l’a fait visiter. J’avais 18 ans, encore à la théorie du ruissellement. Par ailleurs, la cheval et il n’en redescendra plus jamais. Il a la sagesse chaînes internationales style France 24, parce que je et, longtemps, je me suis dit que je deviendrais députée. société dans son ensemble regarde de façon très péjo- de ne pas forcer en 2007. Dans ce contexte-là, il était suis celle qui parle le plus de langues étrangères dans Mais j’en ai perdu le goût à partir du moment où j’ai vu, rative les organisations politiques et syndicales de donc cohérent de voter Marie-George Buffet au premier notre petite bande. J’apprends à manier la caméra, à dans ma génération, des gens d’une très grande médio- gauche. Les gens n’ont pas envie d’être assimilés à tour. connaître le studio, le temps, à comprendre le rythme crité se faire élire. Et j’ai éprouvé de façon beaucoup plus cela. Macron a été d’une habilité extrême en appuyant Et nous voilà en 2012. d’une émission. Le fait de s’imposer, de maîtriser le concrète le poids de l’exécutif sur le législatif dans la vème comme nous sur le dégagisme. Il a joué au mec neuf Pour la première fois, j’ai mon candidat et je suis au cœur volume de sa parole. La façon de placer sa voix quand République, dans laquelle tu fais soit partie du « groupe en disant lui aussi : « Qu’ils s’en aillent tous ! » Sauf que d’une élection présidentielle ! Jusqu’à présent, j’avais on est une femme, car les voix aiguës, personne ne les godillot » de la majorité, soit du groupe de l’opposition, lui, c’est Tancrède, c’est le régime féodal qui prend les toujours vécu les présidentielles dans l’animation de la supporte, même pas les femmes : ça fait tout de suite qui est nié. Je suis ambitieuse ! Je veux le vrai pouvoir ! habits de la révolution garibaldienne pour restituer le campagne au niveau local ou dans les marges. Il faut bien hystérique, les gens détestent ça, ça leur rappelle leur Et Alexis, comme le vit-il ? pouvoir aux notables : « Il faut que tout change pour que se figurer que, dans ma tête, je prépare la candidature de mère ou leur femme quand elle les engueule ! J’apprends Pour commencer, il est très fatigué. Ils font quand même rien ne change ! » Certes, il était intéressant pour nous Mélenchon depuis 2006 ! À cette époque-là, on est tout la tyrannie de l’image. Si tu es mal coiffée, mal maquillée, le travail de 300 personnes à 17 ! En plus, ils veulent que Macron dégage l’ancienne génération politique à fait dans la logique du Front de gauche. Mais je suis les gens ne voient que ça. Je m’enquille des heures et des garder les meilleures statistiques en termes de présence, du paysage, mais à un moment donné, il aurait fallu déjà persuadée que ce qui crée le socle le plus large pour heures de débats. La première émission un peu sérieuse de propositions de loi, d’amendements. Ils bossent tous que ça latéralise entre oligarchie et peuple ! Il aurait gagner est la proposition d’abolition de la monarchie à laquelle je suis conviée a lieu sur LCI, avec Michel comme des fous. Il y a des séances de nuit deux à trois fallu plaquer sur Macron le sceau de l’oligarchie. Mais présidentielle. Autrement dit, l’instauration de la vième Field. À partir de là, les invitations n’ont plus jamais fois par semaine. Mais il est fier ! Cela lui va bien d’être ça, nous n’avons pas eu suffisamment le temps de le République. Sur la question citoyenne, à mon avis, il faut cessé. Ensuite, je suis candidate aux législatives dans député. Et les gens le lui rendent bien. Il reçoit beaucoup développer en fin de campagne, à cause du mois perdu tout reprendre à zéro ! C’est mon bébé, mon dada. Cela la deuxième circonscription des Français de l’étranger, de gratitude. Il construit. en discussions avec Benoît Hamon. L’avantage avec la vient bien sûr de mon expérience latino. La question de qui va du Mexique jusqu’à la Patagonie. J’ai obtenu 7 % vième République, sachant que Macron est partisan de

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la vème, c’est qu’on peut le faire passer « S’il y a bien un truc que les insoumis pour quelqu’un de l’ancien régime. Car jamais il n’aurait accepté les réformes détestent, c’est France Inter, qui est, à leurs démocratiques postulées par la vième République. Il serait passé pour le yeux, La Pravda de l’ultralibéralisme ! » conservateur de service, celui qui veut que le pouvoir reste là où il est, bien au chaud. Pour nous, l’affaire Fillon n’a pas non plus été dire : vous êtes l’oligarchie. C’est une question que facile à utiliser. On parlait des costards, de Pénélope, nous avons tranchée depuis longtemps, et Mélenchon mais pas assez du fait que Marc Ladreit de Lacharrière, le premier ! C’est ça ou l’autocensure ! Je rappelle que qui dirige une agence de notations, avait employé la je pratique les médias de façon intensive depuis 2011. femme du Premier ministre ! Là, il ne s’agit pas d’argent Que pendant un an, j’ai débattu dans une émission public, mais d’argent privé. C’est vraiment la question présentée par Christophe Hondelatte sur BFMTV. Le de l’oligarchie qui se pose. Moi, je crois à la méthode fait que je travaillais pour Patrick Drahi ne posait alors de Bernie Sanders qui a repris, en guise de slogan, une pas de problème à Guillaume Meurice ! Par ailleurs, s’il y vieille chanson de Woody Guthrie : « The many, not the a bien un truc que les insoumis détestent, c’est France few. » C’est ça, la latéralité. Pas la gauche ou la droite. Pas Inter, qui est, à leurs yeux, La Pravda de l’ultralibéra- la bourgeoisie ou le prolétariat. Non « les nombreux » et lisme ! Les critiques formulées par les humoristes ne « les quelques-uns ». De quel côté te sens-tu ? Du côté rattrapent pas toutes celles énoncées par les journa- des nombreux ? Très bien ! Dans ce cas, tu es avec nous ! listes ! Les rigolos ont le droit d’être de gauche, mais Dans notre dernier numéro, l’humoriste de quand on parle d’économie, attention, faut pas toucher France Inter Guillaume Meurice avançait que ta par- au grisbi ! Aujourd’hui, le service public attaque LFI et ticipation à l’émission « Les Terriens du dimanche ! » Mélenchon beaucoup plus que tous les oligarques des de Thierry Ardisson et le fait que tu sois salariée autres chaînes. C’est ça, la réalité ! Pour le reste, est-ce de Vincent Bolloré étaient contre-productifs par que je dois rougir d’être rémunérée pour mon travail ? rapport à l’engagement de La France insoumise. Que Eh bien, non. Je suis contre l’esclavagisme. À ce que je lui réponds-tu ? sache, Guillaume Meurice ne travaille pas non plus gra- De mon côté, je n’ai que des bons retours de la part des tuitement. Ce qui est important est que je ne me mette insoumis. Ils ont compris l’intérêt de mener la bataille pas à changer de discours ; que je ne développe pas un gramscienne sur l’hégémonie culturelle, ils ont saisi le lien de vie ou de mort avec ce système médiatique qui, rôle oppressif que joue le monde médiatique, en particu- dès lors que tu n’es plus à l’antenne, te donne l’impres- lier celui du divertissement... Le fait de pouvoir rayonner sion de mourir. La télé rend fou ! À la fois ceux qui y dans des espaces où la politique subversive, celle qui sont et ceux qui ont envie d’y aller ! C’est un système veut changer le monde, n’a pas droit de cité, est un point d’une très grande précarité, qui te prend et qui te jette qui a été mis à mon actif par une écrasante majorité comme il veut, ça peut s’arrêter du jour au lendemain. de mes camarades. Quand je fais des reportages sur Comment j’y réponds ? Tout simplement en continuant Deliveroo, sur les ordonnances Macron, ou sur le docteur à faire mon job d’avocate, une profession qui t’interdit Lamarre à , j’ai plutôt l’impression de porter d’être subordonné. C’est une obligation déontologique. des idées, de mettre en lumière des réalités sociales En ce moment, je reconstruis mon cabinet. Grâce à qui ne seraient pas connues autrement. J’assume le Mélenchon, j’ai développé une expertise sur le droit de paradoxe d’aller dans les médias dominants pour leur la presse. Voilà mon garde-fou. —

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LES COLOCS — — PAR CONSTANT MÉHEUT SACHA HOULIÉ PHOTOS NADÈGE ABADIE — Il y a quelque chose d’anachronique à les voir s’instal- PIERRE PERSON ler pour la séance photo dans la salle des Conférences de l’Assemblée nationale, si chargée de symboles de — l’histoire de France. Ici, c’est un tableau représentant Charlemagne, là, une statue d’Henri iv, et à leur droite, Nés à 600 kilomètres de distance, issus de un buste de Lamartine. Pierre Person et Sacha Houlié, milieux sociaux différents, Sacha Houlié et Pierre élus députés de La République en marche (LREM) à même pas 30 ans, pourraient être intimidés par un tel Person auraient pu ne jamais se croiser. Mais la décorum. Ils n’en auront pas le temps. Par une porte politique, cette vieille entremetteuse, veillait dérobée, presque moliéresque, surgit Marie Lebec, 27 ans, députée LREM des Yvelines. Elle sort épuisée de au grain. En 2008, les deux jeunes socialistes sa séance de sport. « J’en peux plus ! » leur lance-t-elle en se rencontrent à Poitiers. Bientôt, les voilà rigolant. Quelques secondes plus tard, c’est Pierre-Alain colocataires pour mieux militer ensemble avant Raphan, 34 ans, député LREM de l’Essonne, qui déboule du salon attenant et claque la bise à ses cadets. En de mettre leur engagement en veilleuse pour moins d’une minute, nous avons droit à un condensé de devenir avocats… jusqu’en 2012, où ils font la l’Assemblée nationale nouvelle génération : un curieux mélange d’histoire et de décontraction, qui a le don de connaissance d’un personnage extrêmement rafraîchir une institution dont la moyenne d’âge frisait séduisant à leurs yeux : Emmanuel Macron. les 60 ans lors de la précédente mandature. Cofondateurs des JAM (Jeunes avec Macron), Le sourire à peine sorti de l’adolescence, Pierre Person et ils vont beaucoup travailler pour lui. Et dans la Sacha Houlié s’aventurent dans le palais Bourbon avec foulée de sa victoire, se faire élire députés LREM. une aisance déconcertante. Enfin presque. Le premier, député de Paris, confesse être encore « incapable de Portrait(s). se souvenir du moindre trajet » dans ce labyrinthe que sont les couloirs de l’Assemblée nationale. Il n’est pas rare qu’il s’arrête devant un plan affiché au mur pour

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s’orienter. Pour le reste, les deux élus sont déjà de vieux et d’organisé, mais il a une vraie capacité pour haranguer briscards. Malgré leur jeune âge, ils ne font pas partie les foules. La joute verbale est quelque chose qu’il pratique de ces néophytes de la politique qui ont déferlé dans extrêmement bien. » l’hémicycle en juin dernier. Bien rodés au combat idéo- logique, ils montent régulièrement au front dans les À l’évocation de ces années étudiantes, Sacha Houlié, médias pour défendre l’action d’Emmanuel Macron. Et l’air fatigué et le ton méfiant au commencement, ils se sont vite retrouvés à de hauts postes de respon- reprend vite du poil de la bête. Attablé au Bourbon, le sabilité : Sacha Houlié a été durant sept mois vice-pré- café qui jouxte l’Assemblée nationale, il se rappelle avec sident de l’Assemblée nationale – le plus jeune de la gourmandise cette période : « Quand j’allais dans ma vème République – et Pierre Person, membre du bureau bagnole pourrie à la fac, huit heures par jour, et qu’ensuite exécutif de LREM, s’est vu confier l’une des réformes je passais le reste de ma journée à refaire le monde avec clés du quinquennat : celle des institutions, qui inclut la mes copains, je pense que c’était au moins aussi bien que ce réduction du nombre de parlementaires et la limitation que je fais aujourd’hui. Au stade où j’en étais, j’avais tout du cumul des mandats. autant l’impression de changer les choses. » Venant d’un milieu populaire, il est quand même dérouté par des Le péril jeune étudiants plus aisés qui le prennent un peu de haut. « Ça Tout a commencé en 2006. Pierre Person est alors en m’a marqué, je me disais que j’étais aussi légitime qu’eux », classe de première dans un lycée de Toul. Issu d’une explique-t-il, reconnaissant qu’au départ cela a nourri « famille plutôt aisée », de parents peu engagés politique- chez lui « un sentiment de revanche sociale ». Propulsé chef ment, rien ne le prédestine à croiser la route de Sacha de famille en 2008 après la mort tragique de son père, « il Houlié. Ce dernier a grandi à plus de 600 kilomètres de a été amené à grandir beaucoup plus vite que les autres, là, à Ouzilly, petit village de 900 habitants en bordure de explique Jules Aimé, compagnon de route pendant ces Poitiers. Fils d’une mère institutrice et d’un père ouvrier années militantes. Il voulait se prouver à lui-même et à délégué syndical de SUD, Sacha vient d’une « famille sa famille qu’il pouvait se prendre en main ». Sacha Houlié économiquement modeste, plutôt de gauche ». Dans sa dénonce les itinéraires tracés par les origines sociales : classe de troisième, « seuls 8 élèves sur 27 ont eu le brevet « C’est ce qui a fait écho dans mon parcours avec Macron : des collèges », raconte-t-il. En 2006, les manifestations quand il dit que plus rien n’est interdit, dès lors qu’on se contre le Contrat première embauche (CPE) éclatent réalise par le travail », ajoute-t-il. Parti du bas de l’échelle, un peu partout en France et chacun de son côté, l’un à en tant que simple militant qui portait les chaises dans Nancy, l’autre à Poitiers, va y participer. Si Pierre Person les meetings, il a une détermination largement teintée savoure des « moments forts d’éveil politique » dans les d’ambition. Quand l’étudiant qu’il était parlait de passer cortèges étudiants, Sacha Houlié va encore plus loin. l’ENA, cela faisait marrer tout le monde. Un militant qui Il prend la tête de la contestation lycéenne dans l’an- l’a côtoyé durant la campagne pour les législatives nous cienne capitale du Poitou-Charentes. Veste en cuir et raconte qu’en juin « Sacha était réellement déçu de ne pas cheveux longs, on aurait bien du mal à reconnaître chez être ministre ». « Il est ambitieux, c’est certain. Il a besoin ce jeune, qui excite les lycéens avec son mégaphone, le d’être reconnu pour ce qu’il fait, mais il n’est pas animé de député de la Vienne qu’il est aujourd’hui et qui paraît mauvaises intentions », rectifie un autre militant. si sage avec son costume noir à carreaux et sa cravate en tricot. « C’est tout le paradoxe, s’en amuse Guillaume Moins revanchard, mais pas moins ambitieux, Pierre Chiche, un ami de l’université de Poitiers, désormais Person s’installe sur les bancs de l’université de Poitiers député LREM des Deux-Sèvres. C’est quelqu’un de sérieux en 2008, un an après Sacha Houlié. « Élève plutôt dilet-

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militions, nous manifestions, nous avions une vraie liberté commence sa carrière professionnelle comme juriste témoigne Ambroise Méjean, qui fut son collaborateur — d’action. C’était toujours avec la même bande », raconte-t- dans un cabinet d’avocats à Paris. Le métier ne lui plaît parlementaire jusqu’en décembre dernier. L’intéressé il. La « bande de Poitiers », comme on les appelle alors au pas beaucoup. Sacha Houlié travaille, lui, comme avocat reconnaît être un perfectionniste : « J’aime le travail bien « La coloc’, c’était un haut lieu PS, proche des réseaux de Jean-Christophe Cambadélis, spécialisé en droit de la construction, également dans la fait et quand je fais quelque chose, je le fais à fond, même se réunit toutes les semaines pour débattre dans son capitale. La bande continue à se voir. « On n’a jamais eu au détriment de toute vie sociale par ailleurs. La campagne de politique, esquisse Pierre Person. petit local du MJS et mener des actions coup de poing. des parcours trop éloignés, explique Guillaume Chiche. présidentielle, c’était un long tunnel, une vie parallèle. À la Étudiant à Limoges, Aurélien Taché, aujourd’hui député Depuis longtemps, on fête nos anniversaires ensemble, on fin, c’était deux nuits blanches par semaine, mais je tenais On hébergeait énormément de LREM du Val-d’Oise, les rejoint dès qu’il peut. Ils sont de part en vacances ensemble, etc. » Lors de leurs nombreux grâce à l’adrénaline. » toutes les campagnes, celle de Catherine Coutelle pour dîners, la politique rôde toujours, même si elle est copains qui venaient manifester avec les législatives de 2007, puis celle d’Alain Claeys pour la désormais envisagée comme un passé révolu. Jusqu’à Très vite, le projet prend de l’ampleur. En mars 2016, mairie de Poitiers en 2008. Début 2009, en réaction à la ce soir de mai 2015. « Stéphane (Séjourné – NDLR) était le quatuor lance La Gauche libre, un think tank censé nous. Les gens nous regardaient de loi Pécresse, ils réussissent même à bloquer l’aéroport entré depuis six mois au cabinet d’Emmanuel Macron et je véhiculer les idées de la gauche libérale. Le timing est de Poitiers-Biard. « On avait appelé ça l’opération Écureuil dînais avec lui ce soir-là, raconte Pierre Person. On était parfait puisque, depuis plusieurs mois, il se murmure façon spéciale, on était la coloc’ des glacé », se remémore Sacha Houlié, l’œil rieur. Au bout de en plein passage de la loi Macron au Sénat. À la fin du qu’Emmanuel Macron s’apprête à créer son propre quelques mois, Pierre Person et Sacha Houlié décident, dîner, il me propose de visiter l’hémicycle. À 22h30 arrive mouvement politique. Nombreux sont les journa- engagés. Notre appart était tapissé « sur un coup de tête », de se mettre en colocation. « Nous le ministre de l’économie, on discute avec lui une trentaine listes qui pensent voir dans La Gauche libre la patte du sommes vraiment devenus amis à partir de ce moment-là », de minutes dans les soupentes de l’hémicycle. J’étais bluffé. ministre de l’Économie. La médiatisation est assurée, d’affiches de Lionel Jospin. On en précise le premier. À les écouter tous les deux évoquer Je découvrais un personnage très séduisant. » et, le soir même, Pierre Person passe en duplex sur cette période, assis nonchalamment sur un canapé gris BFMTV avec Ruth Elkrief. Curieux de rencontrer ces avait même une de Ségolène Royal. » dans le bureau de Sacha Houlié – « désolé pour le bordel », Deux mois plus tard, Pierre Person, Sacha Houlié et jeunes audacieux, Emmanuel Macron les invite deux s’excuse-t-il en ouvrant la porte –, on croirait entendre deux autres amis (Florian Humez, aujourd’hui conseil- jours plus tard à Bercy. Autour de la table sont assis « Dans les toilettes ! » précise deux jeunes militants qui auraient mûri trop vite. « La ler de François de Rugy, et Jean Gaborit) décident sur Ismaël Emelien, le stratège de la campagne présiden- coloc’, c’était un haut lieu de politique, esquisse Pierre un coup de tête de créer Les Jeunes avec Macron (JAM). tielle, et Julien Denormandie, aujourd’hui secrétaire Sacha Houlié, hilare. Person. On hébergeait énormément de copains qui venaient Au départ, il s’agit d’un simple site visant « à faire de la d’État. « Macron voulait savoir quel type de population on manifester avec nous. Les gens nous regardaient de façon pédagogie » sur la loi Macron. Avec plus de 20 000 visites touchait, quel était le thermomètre. C’était parfait, j’avais spéciale, on était la coloc’ des engagés. Notre appart était sur le site Internet le premier mois, le succès est au ren- plein de tableaux et de graphiques pour lui répondre », se tante » au lycée, de son propre aveu, il a renoncé à tapissé d’affiches de Lionel Jospin. On en avait même une dez-vous. Pierre Person rencontre près de 200 personnes rappelle Pierre Person. Le petit groupe quitte Bercy au passer Sciences Po, « par peur de l’échec ». Quelque temps de Ségolène Royal. » « Dans les toilettes ! » précise Sacha et y consacre tout son temps : « Au début, ça me prenait de bout d’une heure en comprenant que Macron prépare après la rentrée, il dîne un soir avec les socialistes Houlié, hilare. Rêvaient-ils déjà d’un avenir politique ? six à huit heures par jour, puis c’est monté jusqu’à douze. quelque chose. de l’université. C’est au restaurant universitaire qu’il « On en avait envie, je mentirais si je vous disais que je Mais je m’amusais énormément, nous avions l’impres- rencontre pour la première fois Sacha Houlié, Guillaume n’ai jamais voulu être député. En revanche, l’être à 30 ans, sion de monter notre propre boîte avec nos militants, des En Marche ! est lancé le 6 avril 2016, à Amiens. À Chiche et Stéphane Séjourné (aujourd’hui conseiller ça, on ne l’avait jamais imaginé », expose le député de la processus de recrutement, des équipes dédiées par projets. partir de là, tout va très vite. Forts de leurs nombreux politique d’Emmanuel Macron). Ces trois-là pilotent Vienne, toujours surpris de « la chance qu’ils ont eue ». Nous faisions des réunions, on échangeait sur l’actualité, jeunes adhérents, les JAM deviennent le bras armé de le Mouvement des jeunes socialistes (MJS) à Poitiers. on ouvrait les adhésions en ligne, on structurait le terri- la « grande marche » lancée par Emmanuel Macron. Ils Une section ouverte, tendance strauss-kahnienne, qui Le moment Macron toire. » sont chargés d’assurer l’ambiance dans les meetings. dispose d’une vraie autonomie par rapport à la direction L’aventure politique aurait bien pu s’arrêter là, en 2012. Quand il parle organisation, structuration, dévelop- Pierre Person ne cache pas qu’il a cherché à créer un nationale. Pierre Person prend sa carte immédiatement. Dispersés par la fin de leurs études et peu enthousiastes pement, Pierre Person a le sourire aux lèvres. Et on rapport de force pour imposer son collectif au sein d’En « Je me suis éclaté, c’était génial », se souvient-il, sourire à l’idée de s’enrôler dans les instances nationales mori- comprend vite que le jeune député est plutôt du genre Marche ! : « Nous voulions absolument faire partie de aux lèvres, dans son minuscule bureau de l’Assemblée bondes du PS, beaucoup décident de mettre entre paren- gros bosseur, capable de se couper du monde lorsqu’il l’aventure, donc bien entendu la logique c’était aussi que nationale. Rapidement, il prend du galon et succède thèses leur engagement politique. Diplômé d’un master est obnubilé par un projet. « Il a une capacité de travail l’on pèse. » En novembre, il rejoint l’équipe de Macron et à Guillaume Chiche à la tête de l’UNEF locale. « Nous en droit de l’urbanisme et de la santé, Pierre Person de dingue, c’est presque maladif par certains aspects », forme avec Stéphane Séjourné un duo chargé de cha-

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pas ses efforts et s’oblige à participer à une réunion — dans chaque commune. Bouziane Fourka, qui anime un comité de militants En Marche ! à Poitiers loue « un « On a pris tous les risques pour candidat très présent, au discours franc et direct, faisant preuve de beaucoup de pédagogie. Personne ne croyait à en arriver là. C’est vrai qu’on forme sa victoire au départ, puis il s’est imposé grâce à un gros travail sur le terrain ». Claude Bertaud, qui soutenait le un bloc, mais ça nous protège candidat de droite, l’avouait alors en privé : « Tous ceux qui le rencontreront voteront pour lui. » énormément par rapport aux Pour Pierre Person, la campagne se révèle une autre difficultés que nous rencontrons. paire de manches. Il a d’ailleurs longtemps hésité entre être conseiller politique d’Emmanuel Macron à l’Élysée Ce qui énerve les gens, c’est qu’on ou candidat aux législatives. Ses proches estiment qu’il sera sans doute meilleur dans le rôle de conseil- soit d’anciens militants, qu’on soit ler, plus adapté à son esprit cartésien et à son goût de la stratégie. Il choisit pourtant d’être candidat à la organisés. » députation. « Être élu député, c’était aussi une opportunité qui ne se représenterait pas aussi facilement. C’était main- Sacha Houlié tenant ou jamais », justifie-t-il. Dans la circonscription des xième et xxème arrondissements de Paris, le combat peauter la collecte des parrainages, puis la commission s’avère rude. Inconnu des militants locaux – beaucoup d’investiture pour les législatives. Au Q.G. de campagne, y voient un parachutage en bonne et due forme –, il planche sur la sélection en amont des candidats et sur il est notamment opposé à Cécile Duflot et Danielle les données des circonscriptions, autant dire le cœur de Simonnet. Cette dernière dénonce « un apparatchik la machine. Le 23 avril, au soir du premier tour, il fait biberonné à la politique avec les MJS et l’UNEF ». « La partie du premier cercle qui entoure le futur président. campagne, c’était dur, raconte Pierre Person. T’es livré à L’ascension du jeune homme est fulgurante. De son toi-même. Tu dois être à la hauteur des militants qui ne te côté, Sacha Houlié ne chôme pas non plus. Nommé connaissent pas. Tu dois te justifier constamment auprès délégué d’En Marche ! en octobre par Richard Ferrand, il des électeurs… Au final, on a distribué 70 000 tracts, on a arpente la France pour répandre la bonne parole durant fait tous les marchés, c’était hyper intense. » la campagne : « On a battu le pavé comme les militants que nous fûmes auparavant. » Il évoque, nostalgique, une Arrivé en tête au premier tour avec 39,4 % face à la réunion insolite à Perpignan, menée à la lumière des candidate de La France insoumise, il se dirige norma- téléphones portables faute d’électricité. lement vers une victoire aisée. Le soir du second tour, Pierre Person est à l’Élysée pour analyser les résultats Dans la deuxième circonscription de la Vienne, où il est avec le président de la République. « Là, je me rends candidat, Sacha Houlié est à l’aise. « En campagne, le compte que ce n’est pas le scénario qu’on attendait. On gars, c’est Chirac. Il va tâter le cul des vaches », plaisante constate des remontées spectaculaires, des mécanismes Emma Ettlinger, sa collaboratrice parlementaire. Simple de report de voix qui ne fonctionnent pas. Tout de suite, et accessible, le futur député de la Vienne ne ménage j’ai ressenti un vent de panique, parce que je sais que ma

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circonscription est typique de ce genre de retournement défendent l’action gouvernementale. « Les snipers de inattendu. » La boule au ventre, il quitte l’Élysée pour la Macronie » comme les appellent les journalistes du rejoindre son Q.G. « Je me rappellerai toujours ce moment quotidien Le Monde, Cédric Pietralunga et Alexandre où je monte dans un taxi et où le chauffeur me demande : Lemarié. « Des janissaires dévoués corps et âme au chef de “Ça va ?” Instinctivement, je lui réponds que ce n’est pas les l’État, qui ne dépendent que de lui, ne rendent de comptes résultats attendus. “Ah, mais c’est super, Macron n’aura qu’à lui. » Disposant d’un accès privilégié à l’Élysée, ils y pas une majorité écrasante, je suis content pour vous !” dînent chaque mois avec le conseiller politique Stéphane qu’il me dit ! Halluciné, je lui explique que je suis le candidat Séjourné pour « poser le planning des réformes à venir ». En Marche ! J’avais envie de le flinguer ! » Il gagnera à 700 Emmanuel Macron, qui apprécie leur action et leur petites voix près. dévouement, aurait même soupé avec eux en décembre dernier. Tous les mardis matin, ce petit groupe se réunit Les snipers de la Macronie pour discuter de l’actualité et se répartir les rôles dans Pierre Person ne le dit pas, mais on sent que son rôle à les médias. « On est bien identifiés par les journalistes l’Assemblée ne lui plaît pas tant que ça. « Le job de député maintenant. On a un discours construit qui nous permet n’est pas fait pour lui, lâche un militant macroniste. Il de pousser notre ligne de manière régulière », explique se fait chier à gérer des dossiers qui n’avancent pas. Ce Pierre Person. Un travail organisé qui n’est pas sans qu’il aime, c’est faire de la “popole”, gérer des alliances, rappeler celui de leur jeunesse militante. « S’il y a bien organiser des élections. » Au sein du bureau exécutif une chose qui reste de ces années-là, c’est la méthode », de LREM, il a justement été affecté au pôle territoires, appuie Guillaume Chiche. Cette omniprésence média- chargé des élections municipales et européennes. Plus tique n’est évidemment pas sans susciter quelques à l’aise dans l’hémicycle, Sacha Houlié prend davantage critiques au sein du groupe. Un de leur collègue dénonce à cœur son travail. Il s’intéresse aux thèmes de la chez eux « une forme d’arrogance » et regrette leur côté sécurité et de l’immigration, et son large bureau d’angle « donneurs de leçons ». « Ces critiques sont injustes, réagit à l’Assemblée nationale regorge de livres sur ces sujets. Sacha Houlié. On a pris tous les risques pour en arriver là. De retour presque tous les week-ends dans sa circons- C’est vrai qu’on forme un bloc, mais ça nous protège énor- cription, il y est apprécié. « Ici, faut pas toucher à Sacha mément par rapport aux difficultés que nous rencontrons. Houlié, faut pas le critiquer. C’est quelqu’un qui est devenu Ce qui énerve les gens, c’est qu’on soit d’anciens militants, important », témoigne un habitant de la Vienne. À la qu’on soit organisés. » suite de l’élection de Thierry Solère à la questure − alors que ce poste est traditionnellement réservé à l’opposi- Où se voient-ils dans cinq ans ? « Soit on a réussi et on sera tion −, qui a conduit au boycott des postes de direction encore là », répond Pierre Person, « soit on se sera plantés de l’Assemblée nationale par le groupe LR, Sacha Houlié et on n’ira pas se représenter pour se prendre une taule », est propulsé vice-président. Un poste exposé. Il dit avoir complète Sacha Houlié. Certains leur prêtent l’ambi- regardé des dizaines d’heures de vidéos de séance pour tion d’être ministres à mi-mandat ou lors du prochain être prêt, conscient qu’on l’attendait au tournant. « Je me quinquennat. Sacha Houlié, fan absolu de l’Olympique suis préparé comme si ça allait être la guerre, et ça a été la de Marseille et de son ex-entraîneur Marcelo Bielsa, guerre ! Mais finalement, ça s’est bien passé », assure-t-il. répond par la métaphore : « Bielsa explique que pour gagner, il faut créer des déséquilibres et que, pour cela, il À l’Assemblée, Pierre Person et Sacha Houlié ont faut une assise solide. Être solide en défense pour pouvoir structuré autour d’eux un petit groupe d’une trentaine ensuite se projeter vers l’attaque. Aujourd’hui, je n’ai pas de députés LREM, très présents dans les médias où ils encore une défense assez solide. » —

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CHARLES DE COURSON « NOUS N’AVONS JAMAIS EU UNE REPRÉSENTATION POLITIQUE AUSSI ÉLITISTE » Le centriste Charles de Courson entame allègrement son sixième mandat de député de la Marne. Autant dire qu’on ne la lui raconte pas ! C’est à ce franc-tireur, qui n’a pas sa langue dans sa poche, que nous avons demandé, non seulement de raconter sa longue carrière de parlementaire, riche en anecdotes, saillante en propos venimeux ; mais aussi de sonder pour nous les arcanes de cette nouvelle Assemblée profondément renouvelée qui siège depuis un an.

PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE-PIERRE BOURGEOIS PHOTOS MATHIEU GÉNON

Comment votre carrière politique a-t-elle amis, qui me jugent plus utile dans un cabinet ministé- commencé ? riel qu’à la Cour des comptes où je travaille alors. Une Je suis élu maire de ma commune en janvier 1986, fois à la capitale, je pose mes conditions. D’abord, je suis quelques mois avant l’alternance. On la sentait venir à élu local, et il n’est pas question pour moi de délaisser droite, et j’étais alors un fervent partisan de Raymond mon mandat de maire et de conseiller général. Je précise Barre. Je faisais partie de ceux qui étaient intimement également que je resterais un proche de Raymond Barre. persuadés que la cohabitation allait aboutir à un échec Tout cela semble bien acceptable à Alain Madelin qui, politique. Pas question pour moi de participer à un gou- très vite après mon installation auprès de lui, prend vernement de ce type. Puis, mon téléphone a sonné l’habitude de m’appeler « [son] centriste » ! quelques heures après la nomination d’Alain Madelin Quel souvenir gardez-vous de votre expérience au ministère de l’Industrie. C’est un inspecteur des de membre de cabinet d’Alain Madelin ? finances, futur directeur de cabinet, qui m’appelle et me On a beaucoup travaillé à cette époque. On a même dit qu’on a besoin de quelqu’un comme moi à Bercy, avec réussi à réduire le budget du ministère de 15 % ! Ce qui a un profil de bon connaisseur des finances publiques et compliqué la vie du cabinet, c’étaient les relations avec du budget du ministère de l’Industrie. Il insiste, il insiste les hauts fonctionnaires du ministère. Alain Madelin tandis que moi, je suis chez moi, dans la Marne. Je finis avait même décidé de créer une salle de sport pour eux. par lâcher que je peux venir à Paris dans la nuit. Cela « Pendant ce temps, ils n’emmerderont pas les Français », me laisse un peu de temps pour discuter avec plusieurs avait-il l’habitude de dire. Il manquait pourtant à Alain

39 40 « Rentrer à l’Assemblée ne m’a toutefois rement à l’amour où la première fois est souvent ratée et les fois d’après délicieuses… fait ni chaud ni froid. Je faisais déjà À quel point votre histoire familiale a-t-elle influencé votre vie à l’Assemblée ? Votre grand-père le guignol en haut de l’hémicycle pour a fait partie des 80 parlementaires à ne pas avoir prendre des notes pour le ministre voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. L’un de vos aïeux, pourtant noble, a même voté en faveur de pendant les débats parlementaires. » l’exécution de Louis xvi… Je viens d’une vieille famille d’aristocrates de la Franche- Comté. Du côté de ma mère, nous sommes parlemen- taires de 1789 à 1958. Quant à mon père, il était à la fois Madelin du charisme, de l’humanité, alors qu’il avait maire, conseiller général, exploitant agricole, inspec- raison contre tous les démagos qui voulaient laisser filer teur des finances. Il avait refusé de devenir directeur de la dette publique. Nous avons gardé de bonnes relations banque. Il tenait à garder son indépendance à tout prix avec Raymond Barre. Après l’échec des législatives en et son regard critique sur la classe politique. Moi-même, juin 1988, je suis retourné à la Cour des comptes, là où j’ai fait l’ESSEC et l’ENA. Je suis sorti major de l’ESSEC, et j’ai commencé ma carrière à la sortie de l’ENA. Je n’ai mes professeurs m’ont poussé à poursuivre mes études pas demandé à être recasé ailleurs, contrairement à aux États-Unis. Mais je n’avais pas envie de m’enrichir beaucoup de membres du cabinet. et, surtout, je voulais garder les moyens d’être libre. Vous devenez député en 1993, en pleine vague Beaucoup d’amis de ma promo ont fait fortune, mais ça RPR. Votre victoire a-t-elle été une joie pour vous ? n’a jamais été mon truc. Je suis croyant et je sais déjà Je deviens député après avoir échoué à me présenter au que sur mon lit de mort, je me demanderai ce que j’ai nom de la majorité sortante lors des précédentes légis- fait de ma vie. Le goût de m’occuper des autres et des latives. En 1988, on perd la présidentielle, certains se affaires publiques a expliqué mon début de carrière disent : « Envoyons de Courson dans la Marne ! » Finale- dans la haute fonction publique. Finalement, ce n’est ment, l’accord UDF-RPR qu’on devait conclure n’aboutit qu’après que j’ai bifurqué vers la politique. La vie n’est pas, et je ne suis pas investi. Contre toute attente, c’est qu’une conjonction de goûts et d’opportunités. un député socialiste qui est élu avec 50,05 % des voix. Retournons sur les bancs de l’hémicycle. Vous Puis on revient me voir en 1993. L’UDF et le RPR conti- vous faites remarquer au Palais-Bourbon en 1996 nuent à me pousser à m’implanter localement. On me pour porter un amendement visant à supprimer disait que j’étais le seul à pouvoir battre le socialiste l’avantage fiscal pour les célibataires. sortant. Je n’ai que peu de mérite. Un âne aux couleurs Le droit fiscal était à l’époque très étrange. Chaque de la droite aurait emporté cette élection. Rentrer à l’As- personne en couple, si elle n’était pas mariée, était semblée ne m’a toutefois fait ni chaud ni froid. Je faisais considérée comme célibataire. Cela défavorisait donc déjà le guignol en haut de l’hémicycle pour prendre des les gens mariés, ce qui agaçait fortement les associa- notes pour le ministre pendant les débats parlemen- tions défendant les valeurs familiales. Je dépose cinq taires. fois un amendement pour mettre fin à cette bizarrerie. Et vous êtes élu sans aucune interruption C’est mon ami Alain Lamassoure, avec qui j’ai partagé pendant vingt-cinq ans… mon bureau à la Cour des comptes, alors ministre C’est vrai. Mais c’est la deuxième élection législative qui délégué au Budget, qui se penche sur ce sujet. Je lui est la plus difficile. Je le dis aux députés LREM. Contrai- explique en séance la petite histoire suivante : « Prenez

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parfait, mais je vote pour. Deux mois plus tard, j’assiste droits des enfants à connaître, s’ils le souhaitent, leurs « Moi, j’ai toujours été un homme à un mariage lorsqu’une dame me demande si elle peut origines. m’embrasser. Je lui réponds évidemment que oui. Et là, Autre sujet qui a beaucoup retenu l’attention, libre. Ayons une pensée autonome, elle m’explique que sa fille va se marier. Son futur mari votre vote pour la motion de censure contre le refusait jusqu’à présent de l’épouser pour des raisons Premier ministre Dominique de Villepin en 2006. réfléchissons ! Ce n’est pas parce que fiscales. Pas question de payer plus d’impôts une fois Pourquoi avoir voté contre le chef du gouvernement Jacques Chirac nous disait de faire marié. « Et finalement, m’explique cette dame, il va de votre majorité ? l’épouser maintenant que vous avez fait changer la loi », se Nous étions huit parlementaires de droite à avoir voté quelque chose qu’il fallait cesser réjouissait-elle. la censure. Cela ne m’a jamais valu aucun reproche de Est-ce que cette bataille d’amendement fiscal en mes électeurs ni de mes collègues. J’ai même reçu les de réfléchir. » faveur de l’institution maritale a nourri votre oppo- félicitations de Nicolas Sarkozy à l’époque ! Dominique sition sur les bancs de l’Assemblée dix ans plus tard de Villepin est un homme complotiste, qui ne connaît au mariage homosexuel ? pas la France, d’un rare mépris pour tous les élus. Il nous Les valeurs familiales me tiennent à cœur, comme tous appelait même « les pétochards », lui qui ne s’est jamais les vieux célibataires ! (Rires) Je suis pour la liberté et présenté devant aucun électeur. Mais les députés, je défends un contrat d’union civile. Il fallait donner même quand ils ne sont pas d’accord, n’assument que un cadre juridique aux couples homosexuels, mais rarement de dire non. L’histoire s’est répétée pour le nous devons faire attention au droit. J’estime qu’il faut principe de précaution porté par Nathalie Kosciusko- réfléchir à la portée de la loi, tout particulièrement à Morizet, rapporteur de cette charte sous la présidence la question du droit des enfants à avoir un père et une de Jacques Chirac. Nous ne sommes que 27 à avoir voté Mais on ne pouvait pas en parler avec François Bayrou, mère. Je défends l’adoption pour les couples hétéro- contre. Beaucoup de ceux qui aimeraient qu’on revienne il ne voulait rien entendre. C’est un roublard qui n’aime sexuels stables. Non pas qu’un homme, ou une femme, aujourd’hui sur ce principe ont voté pour à l’époque. pas adopter de position claire. D’ailleurs, contrairement ne puisse seul élever un enfant, mais il y a de moins Moi, j’ai toujours été un homme libre. Ayons une pensée à ce qu’il avait laissé dire à l’époque, il n’a pas voté en en moins d’enfants adoptables en France – seulement autonome, réfléchissons ! Ce n’est pas parce que Jacques faveur de la gauche, il a voté blanc. Ce rendez-vous 700 l’an dernier –, donc j’estime qu’il est préférable de Chirac nous disait de faire quelque chose qu’il fallait raté avec Ségolène Royal pendant l’entre-deux-tours les « réserver » à des couples hétérosexuels. Il y avait cesser de réfléchir. était d’ailleurs très rocambolesque. Il n’en avait parlé à gauche une majorité très forte pour la procréation Votre soutien à François Bayrou deux ans plus avec aucun membre de son équipe. Pour ma part, je n’ai médicalement assistée (PMA), une promesse de tard pour la présidentielle de 2007 s’impose-t-il pas hésité une seconde entre la candidate socialiste deux députés qui se marient, ont deux enfants et ont pour campagne de François Hollande. Celui-ci s’est rendu rapidement ou avez-vous pensé à suivre Nicolas et Nicolas Sarkozy. Nous étions sur le fond beaucoup seuls revenus leurs indemnités parlementaires. Prenez compte que si l’on faisait la PMA, l’Assemblée serait Sarkozy ? plus proche des idées de ce dernier. Parmi l’équipe de deux autres députés dans la même situation, mais qui obligée de lâcher sur la gestation pour autrui (GPA) François Bayrou appartenait à ma famille politique. Et campagne de François Bayrou, je fais partie des rares n’ont pas décidé de s’unir devant le maire. Le couple marié au nom du principe d’égalité. Pourquoi les lesbiennes le thème du redressement public qu’il a imposé dans le avec qui il est resté en contact. La plupart sont partis paie 20 à 30 000 francs de plus par an au fisc ! » Je finis auraient-elles le droit de recourir à la science pour faire débat me semblait essentiel. La suite des événements, très fâchés. ma péroraison en indiquant que si mon amendement un enfant et pas les homosexuels ? La sagesse l’a fina- notamment la crise des subprimes aux États-Unis, nous Vous soutenez donc Nicolas Sarkozy, mais son est à nouveau rejeté, j’en déposerai un autre proposant lement emporté, et il n’y a pas eu de vote sur la PMA. a donné raison. Mais je me suis séparé de François quinquennat est compliqué à vivre. d’abolir le mariage ! Alain Lamassoure me répond alors : Quant à la GPA, j’estime que c’est un achat d’enfant et Bayrou quand il a refusé un accord de second tour avec Je vous dirais seulement que ce n’est pas mon truc de « Je ne lirai pas la fiche que mes services ont préparée et c’est en quelque sorte le retour d’une forme d’esclavage Nicolas Sarkozy. Ils ont réuni à eux deux plus de 50 % vivre dans le brouhaha ou le buzz. qui indique que vous avez tort. Si vous voulez bien retirer pour les femmes que l’on paie. Il y a même des clauses des suffrages. Nicolas Sarkozy n’attendait d’ailleurs que Vous vous faites à nouveau remarquer quelques votre amendement, je vous propose une solution demain. » de refus, comme a pu le médiatiser l’affaire de ce couple ça. Pendant cette période, il m’a même demandé quand années plus tard en tant que président de la commis- La séance suivante, le ministre met en effet sur la table australien qui a refusé l’un des jumeaux de leur mère il m’a reçu avec Hervé Morin : « Mais pourquoi François sion d’enquête sur l’affaire Cahuzac. Vous accusez certaines améliorations. Cela ne me semble pas encore porteuse. Il était handicapé... Je suis en faveur des me déteste tant ? Je le vois où il veut et quand il veut. »

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alors dans la presse François Hollande d’avoir été au vérité et qu’il n’avait jamais eu de compte en Suisse. énormes bêtises que veut faire passer le gouvernement. « Il y a un certain gâchis à voir des gens courant de la situation fiscale de Jérôme Cahuzac. Et vous ? Il est parfois difficile de supporter que les membres de D’abord, je fais partie des rares députés qui se rendent J’ai été protégé de ce mensonge, parce qu’un journaliste l’opposition disent toujours le contraire de ce qu’ils très brillants comme Cédric Villani dans toutes les commissions. J’aime avoir un regard dont je suis très proche m’a donné des preuves. Mais je ne répétaient quand ils étaient dans la majorité. transversal sur le travail de l’hémicycle. Quant à la croyais pas à l’enregistrement de la conversation entre La donne a changé avec une Assemblée fortement s’ennuyer sur les bancs de l’hémicycle. commission Cahuzac, nous n’étions pas là pour juger Jérôme Cahuzac et son banquier. Comment aurait-il été renouvelée. Comment jugez-vous les premiers mois Je le pense plus utile dans un laboratoire l’ancien ministre. Notre mission était de déterminer le possible qu’on parvienne à enregistrer une conversation de mandature des députés LREM ? rôle joué par l’exécutif et le président de la République. entre Jérôme Cahuzac et son chargé d’affaires ? Ce qui Ce n’est pas la première fois qu’il y a de nouvelles têtes qu’en séance. » Nous n’avons jamais pu aller au bout de notre analyse, m’a persuadé, c’est lorsque Mediapart a sorti les doubles à l’Assemblée nationale. La vague En Marche ! est la majorité nous ayant mis de nombreux bâtons dans des billets de train vers la Suisse. Jérôme Cahuzac beaucoup moins forte que celles de 1981 ou de 1993. les roues. Ce qui est certain, c’est que François Hollande avait commis l’imprudence de les acheter au bureau La vraie rupture est plutôt qu’un tiers des nouveaux savait, bien avant que Jérôme Cahuzac ne reconnaisse des transports de l’Assemblée nationale. Alors qu’il a députés n’a jamais exercé de mandat politique. Des son évasion fiscale. Il a pourtant fallu attendre trois indiqué aux journalistes ne jamais être allé en Suisse, sortes de Hurons sont arrivés. Quant au renouvelle- Français. Mais il faut plutôt se demander d’où viennent mois pour qu’il présente sa démission. Il y a donc deux il a fini par répondre, acculé, qu’il s’y était rendu dans ment promis, je remarque surtout que les nouveaux les députés. Mon indemnité parlementaire représente hypothèses pour expliquer un tel comportement : on le cadre de la commission des finances lorsqu’il était députés sont à 75 % issus des classes supérieures. Ils ce que je gagnais déjà à la Cour des comptes il y a vingt- peut d’abord penser que François Hollande n’est pas député, pour comprendre les mécanismes de la fraude ne viennent pas du tout de la société civile comme on cinq ans. Moi, je m’en fiche, je vis modestement. Bruno un homme d’État. Il a volontairement laissé pourrir fiscale helvétique. Ça vous donne une idée de sa facilité l’entend souvent. Il n’y a aucun ouvrier, presque plus Le Maire m’avait dit : « Moi, je n’y arrive pas. C’est pour ça la situation pour ne pas avoir à trancher. C’est tout le à mentir ! Et la façon dont il a financé son appartement d’employés. Nous n’avons jamais eu une représentation que j’écris des bouquins. » Bon finalement, on s’est rendu contraire de Nicolas Sarkozy, qui se décide très vite. La avenue de Breteuil jetait un vrai trouble. Le montant politique aussi élitiste. Il y a un certain gâchis à voir des compte qu’il avait embauché sa femme comme colla- seconde option est que le compte Cahuzac a été ouvert des fonds personnels qu’il avait apportés pour l’acheter gens très brillants comme Cédric Villani s’ennuyer sur boratrice… Mais quand vous n’avez aucune possibilité à la demande de celui pour qui il travaillait alors, le et qui figurait dans l’acte d’achat était très supérieur au les bancs de l’hémicycle. Je le pense plus utile dans un d’évolution de carrière en tant que député et que vous ministre de la Santé, Claude Évin. Ce dernier était le montant de ses déclarations publiques. Mais 98 % des laboratoire qu’en séance. Un certain nombre de députés demandez à un cadre supérieur de 40 ou 50 ans avec des trésorier de la campagne de Michel Rocard. Ce serait députés considéraient que Jérôme Cahuzac était une LREM se demandent d’ailleurs à quoi ils sont bien utiles. enfants et une femme de diviser son salaire par trois, les dans ce cadre-là que Jérôme Cahuzac a collecté des victime dans cette affaire. Hervé Morin lui envoyait Quand vous avez l’interdiction de déposer un amende- candidats peuvent devenir rares. À un dîner de l’ESSEC, fonds auprès de l’industrie pharmaceutique et des four- même des billets doux pour lui dire de tenir ! ment sans l’accord du président du groupe, vous êtes on m’avait demandé combien je gagnais. Quand j’ai nisseurs de matériel hospitalier. Il aurait amassé ainsi Votre réputation est aussi due à votre présidence comme la cinquième roue du carrosse. Quand vous êtes expliqué le montant de mon indemnité parlementaire, 2,5 millions de francs, comme il l’a raconté lors de son très assidue à la commission des finances et votre principalement là pour soutenir le gouvernement, il est tous les convives ont éclaté de rire. Comme j’ai toujours second procès. Et puis finalement, Rocard décide de ne goût pour la matière. Quel regard portez-vous sur le difficile de se sentir heureux pour un esprit libre. Mais ma fiche de paie avec moi, je leur ai montré. Ils étaient pas se présenter. Jérôme Cahuzac demande quoi faire de travail qu’elle effectue ? plus largement, en vingt-cinq ans, ce qui me frappe et sidérés. Si je calcule ce que je gagne à l’heure travail- tout cet argent. Claude Évin lui répond qu’on verra ça Notre influence sur les textes parlementaires n’est ce qui s’est accéléré depuis l’arrivée des députés macro- lée, je suis en dessous du SMIC horaire. On comprend plus tard. Le futur ministre finit alors par transférer ce certes pas négligeable, mais globalement elle reste nistes au mois de juin, c’est surtout l’affaiblissement du donc pourquoi certains deviennent avocats d’affaires. compte et l’alimenter avec de l’argent non déclaré qui faible. Quand on voit le temps qu’on passe à travail- niveau des parlementaires. Les députés d’aujourd’hui Il y a pourtant là un vrai conflit d’intérêts qu’on aurait provient de sa clinique d’implants capillaires. Certains ler, on se dit parfois qu’on fait beaucoup d’efforts pour sont souvent d’anciens collaborateurs parlementaires, dû interdire, 10 % des députés deviennent d’ailleurs disent que ces fonds auraient pu servir à nourrir la un résultat mineur. Et il y a l’usure qu’on ressent à des cadres très moyens de la fonction publique… avocats. La seule interdiction qu’ils ont, c’est celle campagne de François Hollande. Si c’est vrai, il s’agirait répéter qu’on va dans le mur à cause des déficits publics Vous estimez que l’une des façons d’attirer de d’avoir de nouveaux clients pendant leur mandat, mais d’une véritable bombe. Le compte a été transféré dans constants depuis trente-sept ans, sans que personne vrais talents passe par l’augmentation de l’indem- personne ne vérifie. Je me rappelle que Jean-François trois ou quatre pays. C’est très compliqué à savoir. C’est ne nous écoute. L’absence de connaissances en matière nité parlementaire. Les députés touchent pourtant Copé venait à l’Assemblée avec des amendements sous un vrai mystère, mais cela expliquerait le comporte- de finances publiques de la classe politique est d’ail- plus de 5 500 euros net par mois… le bras dictés par le cabinet qui le faisait travailler. Cette ment de François Hollande. leurs très inquiétante. La faiblesse des contrôles pose C’est vrai que dans un pays dans lequel le salaire moyen pratique est toujours légale, et c’est un vrai scandale. La Avant sa démission, la plupart des députés également question. L’opposition conteste systémati- est de 1 800 euros net par mois, les parlementaires solution serait de mieux payer les députés et, en contre- étaient convaincus que Jérôme Cahuzac disait la quement, et la majorité vote tous les textes, même les gagnent trois fois plus que l’immense majorité des partie, de leur interdire d’avoir une autre activité. Le

45 46 L’INTERVIEW D’UN

CHARLES DE COURSON

« Dans ma famille, nous n’étions pas a rendu obligatoire la déclaration de patrimoine, vous pouvez certes aller en préfecture regarder celle de débraillés. Votre façon de vous vêtir dit votre député. Mais le gouvernement Philippe s’est bien gardé de l’étendre à toute la famille du parlementaire. quelque chose de vous, de ce que vous Pourtant, si vous détournez de l’argent, vous allez pro- dégagez. Si François Ruffin vient habillé bablement plus le faire via le compte de votre femme ou de votre fils que le vôtre. Il aurait fallu étendre la de façon débraillée, c’est parce qu’il y a déclaration de patrimoine à toute la sphère familiale. Quant à la réforme de l’indemnité représentative des la pagaille dans sa tête. Quand on est frais de mandat (IRFM), tout a été fait pour maintenir l’ancien système. La questure a en effet totalement parlementaire, on doit se demander vidé le texte de sa substance. L’Assemblée nationale continue de nous verser plus de 7 000 euros par mois, et quelle image on donne au peuple. » nous ne serons contrôlés qu’une fois tous les cinq ans. Je suis, pour ma part, en faveur du système anglais. Outre- Manche, vous êtes remboursé sur présentation de votre facture, pour des achats qui ont un lien direct avec déontologue pourrait indiquer si, ponctuellement, il est votre mandat. J’ai le souvenir d’un grand cumulard qui possible d’avoir un autre emploi un jour par semaine par m’avait dit une fois mettre tout son IRFM dans sa poche. exemple. Mais je sais que certains députés travaillent C’est son mandat de maire qui lui permettait d’assumer ailleurs trois ou quatre jours par semaine. Il y a là un les dépenses inhérentes à sa fonction de député… vrai conflit de temps de travail. Vous ne pouvez pas être Emmanuel Macron a également défendu le partout. L’une des vraies pistes aujourd’hui est de faire non-cumul dans le temps. Qu’est-ce que quelqu’un passer le nombre de députés de 577 à 400 pour dégager qui siège au Palais-Bourbon depuis tant d’années une enveloppe plus importante, augmenter leurs peut lui répondre ? indemnités et créer un vrai budget pour rémunérer les Il n’y a pas besoin de la Constitution pour s’assurer d’un collaborateurs parlementaires. Elle est aujourd’hui de certain dégagisme. Combien de parlementaires font plus 10 000 euros alors que les sénateurs américains ont un de trois mandats ? Seulement 15 %. La vraie question budget de 90 000 dollars par mois pour payer leurs assis- pour moi est davantage celle de la limite d’âge. Ce n’est débraillée, c’est parce qu’il y a la pagaille dans sa tête. femme arrivait en string au palais Bourbon, personne tants. Mais c’est un vrai choix politique. Une enveloppe pas pareil d’être élu à 30 ou à 60 ans. J’estime qu’on ne Quand on est parlementaire, on doit se demander quelle ne pourrait lui barrer l’accès. (Rires) aussi faible, c’est également reconnaître quelque part devrait plus pouvoir être candidat à la députation ou au image on donne au peuple. Les Français sont en droit Aimeriez-vous vous lancer dans un nouveau que la vie politique et la fabrique de la loi ne se font pas Sénat après 70 ans. Souvent, les parlementaires battus d’avoir des représentants dignes. Cela dit, les excep- mandat en 2022 ? dans l’hémicycle, mais au gouvernement. deviennent très aigris. « J’ai tout donné aux électeurs, et tions existent. J’ai le souvenir d’un été caniculaire dans Si Dieu me prête vie et si je suis encore motivé, j’y réflé- Emmanuel Macron s’est notamment fait élire en on me renvoie dans mes pénates », ai-je souvent entendu. l’hémicycle au début des années 2000. Nous avions fait chirai… — portant l’image d’une certaine moralisation. Esti- Comme le disait le général de Gaulle : « Il faut savoir tomber la veste, en dépit du règlement. C’était intenable, mez-vous que la loi qui a été votée pour établir une quitter les affaires avant qu’elles ne vous quittent. » mais le président de la séance nous a demandé de nous plus grande transparence à l’Assemblée et au Sénat Que pensez-vous des tenues de François Ruffin rhabiller. Finalement, après cet épisode, l’Assemblée est une avancée ? qui ont parfois défrayé la chronique parlementaire ? a lancé des travaux de climatisation ! Ce qui m’étonne Elle va dans le bon sens sans jamais aller assez loin. Dans ma famille, nous n’étions pas débraillés. Votre encore, c’est que le règlement a été conçu pour les Depuis que la Haute autorité pour la transparence de la façon de vous vêtir dit quelque chose de vous, de ce que hommes et n’a fait qu’évoluer à la marge. Si demain une vie publique (HATVP), créée après le scandale Cahuzac, vous dégagez. Si François Ruffin vient habillé de façon

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PORTRAITS PALAIS BOURBON INCORPORATION 50 CÉDRIC VILLANI « La fonction 82 de député 94 PORTRAITS est violente » ENQUÊTE VIE MA VIE LE BANC L’AMITIÉ DE DÉPUTÉ DES CORSES PARLEMENTAIRE DE L’ASSEMBLÉE FRANCE-SYRIE « Certains parlementaires les voyaient comme des voyous, voire des terroristes »

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PORTRAIT ADRIEN QUATENNENS « La politique me suivra toute ma vie »

110 ENTRETIEN 124 REPORTAGE © Samuel Guigues Page de droite : FRANÇOIS /Patrice Normand/Leextra LES PILIERS /Arnaud Meyer/Leextra DE RUGY /Sophie Carrère DES QUATRE /Édouard Jacquinet « Pour être respectée, l’Assemblée nationale COLONNES

49 doit être respectable » VIS MA VIE DE DÉPUTÉ CÉDRIC VILLANI « La fonction de député est violente »

LE GRAND ENTRETIEN

Il est l’un des visages les plus connus de la nouvelle mandature. Mathématicien, européen convaincu, fédéraliste, le député macroniste Cédric Villani nous raconte ici, avec toute la rigueur scientifique qui est la sienne, ses premiers pas à l’Assemblée nationale qui se sont pour ainsi dire confondus avec ses premiers pas en politique. Pourtant, pas de doute : on a rencontré un parlementaire fatigué, certes, mais heureux.

PROPOS RECUEILLIS PAR CLÉMENCE DE BLASI PHOTOS SAMUEL GUIGUES

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« Comme je n’avais pas le temps de mener une campagne classique sur le terrain, d’aller à la rencontre des gens, il est vrai que les médias nationaux m’ont fait gagner un temps considérable. C’est en cela que ma notoriété m’a aidé, elle m’a permis d’attirer l’attention des médias, qui se disaient : “Ah oui, c’est le mathématicien !” »

ous êtes issu de la société civile, mais avant permis d’attirer l’attention des médias, qui se disaient : politique. Est-ce que je n’allais pas mettre l’institution me l’avaient présenté comme étant un vrai Européen, de devenir député de la 5ème circonscrip- « Ah oui, c’est le mathématicien ! » en péril ? Est-ce que j’allais parvenir à dissocier l’image jeune et dynamique, qui avait l’oreille du président, V tion de l’Essonne, vous étiez déjà considéré Qu’est-ce qui vous a décidé à vous présenter à ces de l’institut de mon image personnelle ? J’ai dû m’expli- beaucoup d’influence. Je l’ai donc rencontré. Il était au comme un expert scientifique ou une star par de très élections ? quer devant mes troupes qui se demandaient ce qui se deuxième étage sans ascenseur, les marches étaient nombreux Français. Cette notoriété de mathémati- J’ai longtemps hésité avant de me lancer, plus que passait : « Qu’est-ce qu’il fait, le patron ? » Ce n’était pas un hautes. Je me rappelle m’être dit qu’il devait être sportif. cien « vu à la télé » a-t-elle servi votre élection ? d’autres. La marche était difficile à franchir. Je connais- moment facile... Je l’ai trouvé très cordial, bienveillant et constructif. Oui, certainement. Le fait d’être déjà connu d’une sais Emmanuel Macron depuis 2013, j’avais été approché À quand remonte votre première rencontre avec Le courant est bien passé, même si l’implication prési- partie des électeurs m’a donné accès au débat national et en contact avec certains membres de son équipe. On Emmanuel Macron ? dentielle dans notre événement n’a pas vraiment été beaucoup plus facilement. Il faut se remettre dans le me disait que j’avais le profil, d’autant que j’étais du côté Je lui ai demandé un rendez-vous en 2013, quand il était celle que nous souhaitions... Autant j’arrivais à avoir contexte des élections législatives : tout s’est décidé de Saclay, une circonscription emblématique. Malgré secrétaire général de l’Élysée. Le but était d’obtenir le une résonance en matière de mathématiques, autant très tard, les investitures notamment. J’ai commencé tout, j’ai hésité. Paradoxalement, c’est peu de temps parrainage de François Hollande – ainsi qu’un soutien sur l’Europe ma voix ne portait pas. Macron, lui, a à travailler sur ce dossier-là depuis Vancouver, où je avant le premier tour de la présidentielle, au moment logistique – pour l’organisation d’un événement aux réussi à mettre l’Europe au centre du débat national, me trouvais fin avril pour une série de conférences. J’ai où la situation était la plus confuse, que je me suis couleurs de l’Europe. J’ai commencé à faire du mili- à montrer qu’on pouvait même la placer au cœur d’un commencé ma campagne en téléphonant aux respon- décidé. On ne savait pas du tout ce qui allait se passer tantisme pro-européen à partir de 2010. Je me définis programme et gagner une élection présidentielle ! Le sables de comités, en prenant des contacts. Je devais entre Macron, Fillon, Le Pen, ça bougeait sans arrêt. On comme un fédéraliste, même si ce n’est pas dans le premier meeting de campagne auquel j’ai participé était jouer avec le décalage horaire : je me levais très tôt le voyait le PS s’effondrer, les extrêmes se réaffirmer, et programme officiel d’En Marche !. Je suis convaincu celui de Lyon – je me considère Lyonnais par certains matin pour passer deux heures de coups de fil tous les on finissait par se dire : « On va avoir droit à une finale que l’avenir de l’Europe se trouve dans une présence côtés, car j’ai habité cette ville pendant presque dix ans. jours. C’est également depuis le Canada que j’ai choisi Le Pen/Mélenchon. » Ce qui était tout à fait possible. institutionnelle plus forte, une meilleure coopération En voyant ces milliers de participants qui scandaient mon directeur de campagne (Thomas Friang – NDLR), Je me sentais tellement inquiet que je me suis dit que entre ses membres – que l’avenir de l’Europe passe par « Europe ! Europe ! », je me suis dit : « Cédric, si tu es un que j’avais déjà côtoyé dans les cercles fédéralistes le moment était venu de m’engager à fond, d’arrêter la France, et vice versa. J’avais donc déjà entamé une vrai Européen, il n’y a plus aucun doute, tu dois soutenir européens. Je suis rentré en France le jour du second mes atermoiements et d’aller au bout de la démarche : démarche politique, mais avec très peu de succès : les ce projet-là à fond, une telle occasion ne se représentera tour de l’élection présidentielle. C’est seulement là que il fallait se présenter. L’une des raisons majeures qui voix européennes sont inaudibles. Le think tank Euro- pas ! » Emmanuel Macron a réussi à aller encore plus loin la campagne pour les législatives a vraiment débuté expliquent mes tergiversations, c’est le défi de faire en paNova m’avait recruté. J’en suis toujours l’un des admi- que François Bayrou à une certaine époque (je ne cache pour moi, même si je n’avais pas encore été officielle- sorte que tout le monde vous aime. Il y a les gens qui ne nistrateurs, bien que très peu actif depuis mon élection pas que j’ai voté Bayrou par le passé, pour ses idées ment investi. C’était pressenti, disons. Ensuite, tout vous apprécient pas par nature, et ceux dont vous allez à cause de mon emploi du temps. À l’époque, on voulait européennes justement), il est allé au bout. La voilà, la est allé extrêmement vite. Nous n’avions qu’un mois prendre la place. Donc vous allez nécessairement vous organiser une conférence à la Sorbonne pour parler de raison première de mon engagement. Et puis il est vrai devant nous, il fallait être très rapide. Comme je n’avais faire attaquer. Le combat politique, c’était quelque chose l’avenir de l’Europe, en évitant les discussions habi- que la personnalité du président m’a séduit. La façon pas le temps de mener une campagne classique sur le de nouveau pour moi. En plus, j’étais le directeur d’une tuelles sur la souveraineté, l’économie, les rapports dont il porte la parole publique, dont il arrive à accrocher terrain, d’aller à la rencontre des gens, il est vrai que les institution publique (l’institut Henri-Poincaré, l’une politiques... Ce qui nous intéressait, c’était l’Europe l’attention, la lumière, l’enthousiasme... Ce qui échappe médias nationaux m’ont fait gagner un temps considé- des plus prestigieuses structures dédiées à la recherche et la finance, l’Europe et la médecine, l’Europe et la à la logique, c’est le charisme ! J’ai aimé la volonté qu’il rable. C’est en cela que ma notoriété m’a aidé, elle m’a en mathématiques et en physique théorique – NDLR). Sécurité sociale, la culture, les sciences ! Mes confrères avait de mettre en avant les experts, les spécialistes, la Dans ce cas-là, il est encore plus délicat de s’engager en d’EuropaNova m’avaient conseillé de voir Macron. Ils société civile, tous ceux qui ont des compétences. Je me

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« Niveau organisation, l’Assemblée nationale n’est pas franchement moderne : vous avez une réunion qui se termine à 2 heures du matin, le lendemain vous commencez à 8 heures. Entre-temps, vous devez faire l’aller-retour en grande couronne. Et puis vous découvrez avec stupéfaction que vous êtes censé être à trois endroits différents en même temps. »

reconnaissais dans cette démarche. Il y avait aussi son discours, « ni droite ni gauche », que je m’applique depuis une bonne dizaine d’années déjà. « Ni gauche, ni centre, ni droite », comme le chante Henri Tachan. Je suis un centriste dont les références culturelles viennent souvent de chez les gauchistes, ça fait partie de mes paradoxes ! Votre environnement familial était-il très politisé ? Pas vraiment. Mes deux parents, nés en Algérie, ont souvent voté à gauche, comme la plupart des enseignants. À la fin, ils sont devenus plutôt centristes, voire de droite. Ce n’étaient pas des militants, ils n’ont jamais collé d’affiches ni eu de grands états d’âme par rapport à ça. Au sein de ma famille, on trouvait des électeurs de gauche et de droite. Quant à moi, j’ai plus souvent voté à gauche qu’à droite. Il m’est même arrivé de voter au centre, mais j’ai toujours eu tendance à voter plutôt pour des personnes que pour des mouvements. En 2007, j’ai voté pour Bayrou au premier tour, pour Ségolène Royal au second. En 2012, j’ai choisi Hollande contre Sarko. Il m’est également arrivé de voter écolo, j’aimais bien Corinne Lepage. Quelles lectures politiques ont été déterminantes pour vous ? Ma grande révélation, et je m’y suis mis récemment, c’est la Constitu- tion ! Je l’ai lue à marche forcée en juillet dernier, pour me mettre dans le bain. Donc il m’aura fallu atteindre mes 44 ans pour me mettre à la lire, dans la version commentée de Guy Carcassonne, mais ça aura été un vrai bonheur. Vous avez fait vos premiers pas à l’Assemblée en juillet 2017. Qu’est-ce qui vous a le plus surpris, au cours des premières semaines ? Au début, vous ne comprenez rien à ce qu’il se passe. Votre emploi du temps vous arrive par quatre sources différentes, vous croyez devoir

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être à un endroit, et il faut être à un autre. Niveau sujets, on a besoin de les préparer en quatre mois, voire « Après quelques semaines de ce régime, organisation, l’Assemblée nationale n’est pas franche- d’avoir un premier ressenti sous dix jours, pour informer on avait tous de sales têtes, on ne savait plus où on en était, ment moderne : vous avez une réunion qui se termine les parlementaires au moment où ils en ont besoin. On à 2 heures du matin, le lendemain vous commencez à travaille donc à être capables de produire des notes en il y avait des engueulades homériques sur Telegram pour des questions 8 heures. Entre-temps, vous devez faire l’aller-retour en une semaine, un mois ou un an, en fonction du degré toutes bêtes de logistique tellement nous étions tous à cran. » grande couronne. Et puis vous découvrez avec stupé- d’urgence – ce qui est une petite révolution. faction que vous êtes censé être à trois endroits diffé- Vous êtes-vous bien intégré dans le microcosme rents en même temps. Petit à petit, on apprend à gérer, politique ? à cerner les priorités, mais au début, ça nous tombe Au départ, on se dit qu’on va rentrer là-dedans et être il y avait des engueulades homériques sur Telegram pas du tout d’où peut venir un truc pareil, ça n’a aucun vraiment dessus. On a tous cette représentation collec- pris à partie par tout le monde. Mais finalement non, on pour des questions toutes bêtes de logistique tellement sens ! Dans le portrait au vitriol qu’il dresse de moi, Le tive des députés qui ne font jamais rien, puisque l’hémi- est tous collègues, même si, dans l’hémicycle, on défend nous étions tous à cran. Heureusement, nous avons Canard enchaîné se déchaîne sur le mode premier de la cycle est toujours vide. Qu’est-ce qu’ils font ? En vrai, il des positions différentes avec un peu de véhémence. Ça eu dix jours de vacances salutaires, et c’est seulement classe narcissique qui parcourt le monde pour présenter y a toujours trois trucs à faire en même temps : un ren- ne nous empêche pas de discuter autour d’une bière par après que les choses sérieuses ont commencé. son œuvre. Ça m’a atteint, forcément. dez-vous sur le terrain, une mission, une réunion d’in- la suite. Les relations sont très bonnes ; il m’est arrivé Jean-Luc Mélenchon a raillé votre inexpérience De quoi sont faites vos journées de député, formation... Je me souviens d’un jour où le même sujet de boire un coup avec des collègues de presque tous les (« Le matheux, je vais lui expliquer ce que c’est qu’un comment est-ce que vous travaillez ? était traité à trois endroits différents de l’Assemblée. Il groupes parlementaires. contrat de travail, il va tomber par terre »). Vous atten- Prendre beaucoup de notes est l’une de mes particula- y avait à la fois une audition, une réunion de commis- La politique, c’est aussi une exposition de soi. diez-vous à susciter ce genre de réactions ? rités. En campagne, je me suis vite rendu compte qu’il sion et une réunion de groupe. Ce qui m’a marqué, c’est Est-ce que vous trouvez cela violent ? Je m’attendais à ce qu’il y ait des prises à partie, oui, mais serait impossible de le faire sur ordinateur, parce que de constater que l’endroit où il y avait le plus de monde, La violence s’exprime certes dans les interpellations pas forcément à ce qu’elles viennent de là, et pas dans vous êtes debout dans toutes sortes d’environnements. c’était celui où l’on abordait le sujet de la façon la plus sur Twitter, mais aussi dans le sentiment que vous avez ces termes. Mais je me suis réconcilié avec Mélenchon, Certains notent sur leur téléphone ou leur tablette, moi vague et la plus dominée par l’émotion. L’endroit le plus quand vous découvrez qu’il existe telle contrainte ou on a pris un verre ensemble pour discuter. Ce qui ne l’a je préfère rester à l’écrit. Je fonctionne donc énormé- technique, en revanche, était déserté. Je crois qu’en tel arbitrage, ce qui sous-entend que certains de vos pas empêché de me refaire une vanne sur Twitter juste ment avec des cahiers, dans lesquels je consigne tout : politique, on a besoin de beaucoup plus d’expertise électeurs vont s’estimer trahis. Elle est latente quand après, à laquelle j’ai répondu ! chaque conversation téléphonique, chaque rendez- technique pour prendre les bonnes décisions. Or c’est vous êtes incapable de répondre à quelqu’un qui se Vous êtes-vous senti très observé, au départ ? vous, chaque réunion de travail… Vu que je peux avoir comme si le politique avait cherché à minimiser l’impor- trouve dans une situation personnelle difficile, qui vient J’étais attendu au tournant, oui, mais on apprend à dix rendez-vous par jour, un cahier de 250 pages me fait tance du scientifique pendant des années. Un exemple : de perdre son emploi par exemple, et qui vous demande s’habituer. J’ai l’impression, à tort ou à raison, que environ deux semaines. Je travaille avec une équipe de il existe un organe qui s’appelle le Conseil stratégique de l’aide. Certaines personnes vous apostrophent en c’était plutôt bienveillant. J’étais plus inquiet en début cinq personnes, trois s’occupent des sujets nationaux de la recherche (CSR), placé auprès du Premier ministre, ayant vraiment du ressentiment envers vous, parce de campagne qu’à la fin. Au départ, je ne savais pas et deux de ma circonscription. Ils remplissent mon qu’il est censé conseiller : c’est la voix des scienti- que vous ne savez pas comment leur venir en aide. comment tout cela serait reçu par mes collègues scien- agenda, avec un code couleur en fonction de la nature fiques. Cet organisme, je pense que le Premier ministre La fonction de député est violente. Je me suis rapide- tifiques par exemple, je faisais un grand saut dans des événements. On m’avait prévenu : « Un politique, ça ne l’a pas réuni une seule fois depuis sa création, il y ment senti très fatigué. Au bout de quelque temps, j’ai l’inconnu... L’un de mes premiers chocs a été lors d’une passe son temps à discuter et à rencontrer des gens. » C’est a cinq ans. Prenez l’organe équivalent au Japon : il se commencé à devenir parano en me demandant si je sorte de séminaire de rentrée, de préparation de la tout à fait vrai ! On passe son temps à ça. On apprend rassemble tous les deux mois, sous la présidence directe n’allais pas me faire attaquer sur Twitter à propos de tel campagne, organisé Quai Branly avec tous les candidats. aussi à travailler dans la rapidité : il faut pouvoir réagir du Premier ministre. À l’Assemblée, l’un des rôles dans ou tel sujet, et comment je devais répondre… J’ai perdu Pour je ne sais plus quelle raison, j’ai dû m’éclipser à la vite, préparer une réunion en trente minutes s’il y a lesquels je m’investis consiste dans la relance de l’Office du poids, des cheveux, on voyait que j’étais nerveux. moitié du séminaire. Trente micros m’attendaient à la lieu, rebondir tout de suite. Il y a également beaucoup parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et Comme les élections arrivaient bien trop tard dans sortie, braqués sur moi. Je n’étais pas du tout préparé ! de déplacements. La mission sur l’intelligence artifi- technologiques (OPECST) comme moyen d’apporter de l’année – vous êtes élu en juin, mais devez tout de suite Avec les médias, certaines choses me font encore hal- cielle (IA) m’a amené à voyager pas mal. En revanche, l’expertise scientifique au politique. Il faut qu’on change régler un dossier qui demanderait pourtant un mois luciner. Comme l’anecdote du Canard enchaîné, selon j’effectue des trajets bien plus courts que par le passé : nos habitudes, qu’on aille beaucoup plus vers le temps d’étude préliminaire pour être bien instruit –, je bossais laquelle je sors mon ordinateur pendant les dîners pour mathématicien, je bougeais énormément. J’ai dû me court : un rapport qu’on met dix-huit mois à pondre, jour et nuit... Après quelques semaines de ce régime, on taper des équations, histoire de frimer sur le fait que rendre dans 70 ou 80 pays, et jusqu’à 25 dans une même quand il arrive, est déjà caduc. Pour une majorité de avait tous de sales têtes, on ne savait plus où on en était, j’arrive à faire des maths tout en discutant... Je ne vois année. Comme député, j’en parcours un bon nombre

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« J’ai fait en sorte que ma communication ne soit jamais en porte-à-faux avec mon personnage. Je tiens beaucoup à conserver ma sincérité, d’autant que je suis très mauvais comédien. »

les questions de l’innovation, du rapport avec la société, Depuis que vous êtes devenu un représentant du rôle des hautes technologies, de l’environnement... du peuple, vous avez dû faire un effort en matière C’est lui qui m’a approché. Fin 2013, il m’a demandé si de communication (en ouvrant un compte Twitter, j’étais d’accord pour venir témoigner au cours de l’un notamment). Avez-vous été coaché, pour apprendre des meetings, puis si je voulais prendre la présidence à parler aux médias ? du comité de soutien. Là encore, la décision n’a pas été Dans ce domaine, j’ai choisi de faire confiance à facile à prendre. Je ne l’avais même pas vu venir. J’ai fait plusieurs personnes, comme mon directeur de comme il fallait, c’est-à-dire que j’ai lu les programmes, campagne, Thomas Friang, qui travaille désormais avec j’ai rencontré Anne Hidalgo en personne, et je lui ai Christophe Castaner sur les discours et les éléments demandé de me parler de ses projets pour Paris. Tous les de langage. J’ai également demandé conseil ici et là, ingrédients étaient réunis : il y avait des équipes compé- en insistant sur mes principes. Ma façon de communi- tentes, un programme qui me convenait, bien réfléchi, quer a été systématiquement moins mordante et moins dans lequel Paris était replacé historiquement et géo- agressive, par rapport à ce que l’on me conseillait. J’ai graphiquement. Je me retrouvais bien dans cette vision. fait en sorte que ma communication ne soit jamais en La présidence de ce comité m’a valu ma première vraie porte-à-faux avec mon personnage. Je tiens beaucoup attaque publique, l’équipe d’en face m’ayant accusé, de à conserver ma sincérité, d’autant que je suis très façon assez dure, de conflit d’intérêts, d’avoir une vision mauvais comédien. Mais je n’ai jamais eu de coaching aussi, mais il s’agit de micro-voyages, de moins de fait partie des sciences humaines. Faire de la politique utilitariste, puisque la mairie de Paris était impliquée intensif. Tout s’est fait au coup par coup, avec un peu de vingt-quatre heures. Quand je me suis rendu en Israël, prend du temps et oblige à se perfectionner. Elle a ceci de dans la gestion de l’institut Poincaré. C’est un reproche brainstorming. Mon premier débat politique à la télévi- je n’y ai même pas passé une seule nuit ; au Portugal, particulier qu’on attend des citoyens qu’ils puissent la qui m’a été adressé ici et là, que certains continuent sion a été très mauvais. C’est un exercice dans lequel je pareil. Les députés de la grande couronne, comme moi, pratiquer sans formation spécifique. Pour entrer à l’As- à me faire... La présidence de ce comité m’a permis de suis certainement moins à l’aise que d’autres, mais il a ont un rapport particulier avec le transport. Ceux qui semblée nationale, on ne vous demande pas de passer tenir mes premiers discours politiques. Le plus inti- bien fallu s’y mettre. En communication mathématique, viennent de circonscriptions plus éloignées, comme un examen, vous êtes seulement soumis au vote... midant fut le discours devant Delanoë lui-même, un j’ai expérimenté plein de formules et j’ai été pendant des mon collègue Mélenchon, ne s’amusent pas à pro- En 2014, vous avez présidé le comité de soutien très bon orateur, qui a été un grand maire de Paris. Il années l’un des chouchous des émissions scientifiques, grammer autant d’allers-retours en circo. Mélenchon, d’Anne Hidalgo pour les municipales. Quel ensei- m’a écouté attentivement, puis il a dit : « Anne, vous chez Mathieu Vidard (« La Tête au carré » sur France quand il est à Marseille, il y est, et quand il est à Paris, gnement en avez-vous tiré ? avez choisi un président de comité très… parisien. » Mon inter, « Science grand format » sur France 5 – NDLR) ou il y est. Pour les députés de grande couronne, c’est plus En tant que directeur de l’institut Henri-Poincaré, j’avais discours était truffé de références culturelles, de clins d’autres. N’empêche que ma première interview à un compliqué. Il m’arrive souvent de devoir accomplir deux déjà eu l’occasion de travailler avec la mairie de Paris d’œil, de chansons. Quand j’ai été critiqué, par la suite, journaliste, où il s’agissait de parler de sciences, a été allers-retours en circonscription dans la même journée. sur plusieurs projets – celui de l’extension de l’institut j’ai moins fait dans la dentelle. Ma réponse a été plus un complet désastre. Et pourtant, j’avais suivi un stage Que représente la politique à vos yeux ? Est-ce Henri-Poincaré, notamment. Jean-Louis Missika, qui dure. Le comité de soutien, finalement, n’a commencé de communication scientifique sur deux jours avec un une science comme les autres ? est devenu le directeur de campagne d’Anne Hidalgo, à être opérationnel et actif qu’à partir du moment où très bon coach, Claude Vadel. Pendant un certain temps, C’est l’art d’organiser les choses et les institutions, les était l’un de mes interlocuteurs réguliers. On s’entend il a été attaqué, parce que nous étions tous visés. J’ai quand j’avais une émission difficile à préparer, c’est à lui rapports entre les humains. C’est une science oui, elle très bien, nous avons beaucoup d’idées communes sur beaucoup appris de ces conflits. Ils ont soudé le groupe. que je demandais conseil.

59 60 CÉDRIC VILLANI

« Dans la Macronie, D’aucuns vous définissent comme une « prise » On va voir, mais je suis assez tenace ! Les projets se je me vois plutôt comme un intellectuel original, d’Emmanuel Macron, un macroniste avant l’heure construisent toujours sur un temps assez long. Je l’ai – il paraît que vous avez même fait campagne en vu en recherche : il faut des années et des années pour avec le profil de quelqu’un qui ne serait pas entré Uber ! Est-ce qu’on a raison de vous décrire comme la avoir les bonnes idées, percer là où il faut. Je l’ai d’ail- en politique s’il n’y avait pas eu cette occasion. » parfaite incarnation du fameux « premier de cordée » leurs constaté en tant que directeur de l’institut Henri- cher à Emmanuel Macron, à la fois réformiste, Poincaré. Mon intention première était de faire mes cinq libéral et décomplexé (M, le magazine du Monde avait ans de mandat, et puis de retourner à la recherche. Au titré « Cédric Villani, parfait “premier de cordée” du bout de cinq ans, j’ai vu que les choses intéressantes Dans quelle mesure l’intelligence artificielle discipline, mais je vais utiliser le mot de solidarité, qui macronisme » dans son édition du 17 février 2018) ? commençaient seulement. Au bout de sept, j’ai pu dire pourrait-elle servir la politique ? n’est pas que de la langue de bois –, mais aussi une vraie D’abord, je voudrais clarifier l’anecdote sur le Uber, que je comprenais vraiment quel était le projet, ce qu’il L’un de mes collègues, le député de la 10ème circonscrip- marge de manœuvre. Pour ce qui est de la mission sur même si c’est un détail. En premier lieu, il faut savoir fallait faire pour bien le mettre sur rails. Je pense qu’on tion de l’Essonne, Pierre-Alain Raphan, va justement l’IA qui m’a été confiée, c’est un domaine sur lequel le que je ne conduis pas. J’ai mon permis de conduire, mais est aussi sur du temps long, ici. Évidemment, l’avenir se lancer dans une thèse sur ce sujet ! Même si tout programme était essentiellement muet, tout était à je n’ai pas conduit depuis dix ans et je n’ai plus aucune est plein d’incertitudes, et les députés sont soumis à n’est pas encore clair, l’IA pourrait devenir très utile en construire. Sur le Grand Paris Express, même si je n’ai envie de le faire : à présent il serait dangereux que je réélection. Mais, à mon avis, quand les cinq ans seront matière de politique, pour ce qui est du lien entre citoyen pas eu gain de cause, j’ai ouvert ma gueule. On n’est reprenne le volant. Donc je ne conduis pas, ce qui a écoulés, il y aura suffisamment de projets en cours et et État notamment. Par exemple, nul n’est censé ignorer pas pieds et poings liés, mais on ne fait pas non plus été un choc pour mon directeur de campagne. Or, vous de choses dans lesquelles je suis impliqué qui auront la loi – mais la loi est un ensemble de textes incompré- n’importe quoi. Il est clair qu’il y a des textes difficiles, ne pouvez pas tout faire en transport en commun, ça commencé, pour que j’éprouve le besoin de candidater hensibles et parfois contradictoires. Alors, si un jour il qui ont été à l’examen, et d’autres, encore plus sensibles, prend trop de temps. Donc, au début, on s’est rabattu à nouveau. existait un logiciel avec lequel on pourrait converser qui arrivent bientôt en lecture, comme le texte sur l’asile sur la solution Uber, puis c’est un photographe de mes Ministre de la Recherche, par exemple, c’est un et qui nous disait : « Voilà les articles de loi qui corres- et l’immigration. Il n’est d’ailleurs pas difficile que pour amis qui a accepté de jouer à la fois le rôle de chauffeur poste qui pourrait vous botter ? pondent à votre problème », et qui en expliquerait les les députés, mais pour toute la société française. On voit de campagne et de photographe de campagne et qui On va dire tout simplement que l’avenir est plein de tenants et les aboutissants, ce serait bien pratique ! Un bien dans les médias à quel point le sujet est clivant... nous trimballait ici ou là. C’était de la débrouille... Dans possibles, et qui vivra verra ! Mais il n’y a pas de raison logiciel qui débrouillerait les lois fiscales, par exemple, Prendrez-vous position sur de telles questions, la Macronie, je me vois plutôt comme un intellectuel d’exclure quoi que ce soit. Disons que j’ai bien conscience permettrait de faire progresser l’inclusion. Il y a d’ail- ou resterez-vous dans votre domaine de compé- original, avec le profil de quelqu’un qui ne serait pas que le poste s’accompagne de plus de moyens d’action, leurs un projet en cours sur ce créneau, MarIAnne, pour tence, celui des sciences et de la recherche ? entré en politique s’il n’y avait pas eu cette occasion. de plus de pouvoir, mais aussi de plus d’exposition et de aider les citoyens à connaître leurs droits et devoirs. Même si une grande partie de mon action concerne la Pour incarner la ligne macroniste, je verrais plutôt des beaucoup, beaucoup plus de contraintes. Pour l’instant L’IA pourrait également faciliter les démarches admi- recherche, l’éducation et l’expertise – ce qui est normal, députés plus jeunes, avec une culture très business et je suis très attaché à la liberté qu’on trouve dans l’exer- nistratives dans leur exécution, permettre d’optimiser, vu mon parcours –, un député a pour devoir de s’inté- en même temps intéressés par la réforme politique, cice parlementaire. Comme parlementaire, vous pouvez d’alerter, ou même de décharger les différents organes resser à tous les domaines. En revanche, sur un sujet comme mon collègue Gabriel Attal, tout jeune rappor- convoquer ou auditionner qui vous voulez, presque et services de l’État des tâches les plus encombrantes. aussi sensible que celui-ci, il est clair que l’essentiel teur du texte sur la réforme de l’accès à l’université. Pour quand vous voulez. Vous avez certaines contraintes, Vous devez votre élection, au moins en partie, des débats restera dans la sphère interne au groupe. moi, c’est un peu le parfait député macronien. Je me vois comme le fait de devoir parfois se rendre dans l’hémi- à votre adhésion au projet présidentiel d’Emma- Si l’on aborde trop publiquement ce genre de sujets, on plus comme un inclassable que comme un « premier de cycle, mais vous avez aussi une très grande liberté pour nuel Macron. Est-ce que ça vous laisse les coudées dessert la cause, on braque. Alors que si on agit de façon cordée ». D’ailleurs, je ne sais pas trop ce que c’est, un les sujets auxquels vous vous intéressez, bien supé- franches, ou vous sentez-vous moralement obligé discrète, il peut y avoir des évolutions, une courbure. premier de cordée... Sur le côté économiste libéral, s’il rieure à celle qu’a l’exécutif, ce qui est très appréciable. de vous plier à la ligne dictée par LREM ? La liberté, ce n’est pas se mettre à faire n’importe quoi. fallait prendre quelqu’un d’emblématique, je citerais Le collègue Laurent Wauquiez, avec ses propos malheu- J’ai parfaitement conscience que s’il n’était pas arrivé Pour un député de la majorité, critiquer frontalement plutôt ma collègue Amélie de Montchalin, qui devait reux qui ont été retransmis partout, reprochait aux par- en politique, je n’y serais pas moi non plus. Je lui suis le mouvement serait contre-productif. Comme l’est la être ma suppléante ici au début, avant d’être finalement lementaires de n’avoir aucun pouvoir et de devoir sans bien sûr lié par une certaine reconnaissance, mais il polémique, la plupart du temps. Il y a plein d’actions que envoyée dans la 6ème circonscription de l’Essonne. arrêt obéir à l’exécutif. Il a pourtant été député, lui aussi. n’empêche que je bénéficie d’une grande latitude, un l’on peut faire et qui sont costaudes, mais discrètes en Vous êtes parti pour durer ? De quel avenir De toute évidence, nous n’apprécions vraiment pas les programme n’est jamais suivi à la lettre. Il est clair qu’il même temps. politique rêvez-vous ? choses de la même façon ! — y a dans les rangs une forte solidarité – certains diraient

61 62 VIS MA VIE DE DÉPUTÉ PALAIS BOURBON INCORPORATION

AMÉLIE DE MONTCHALIN PACÔME RUPIN Chief Financial Officer Coach PORTRAITS La multiplication des impairs commis par les députés de La République en marche, l’ennui, aussi, qui a pu saisir certains devant les liasses d’amendements à débattre, voire leur timidité pour prendre la parole en commission, ont conduit Richard Ferrand et ses proches à leur prodiguer des séances de coaching. Comme pour des cadres d’entreprise, la formule de séminaire de team building s’est rapidement imposée. Dans ces ateliers intitulés « Commencer à construire une aspiration de groupe » et jeux de rôle pour cerner « Mon ambition et mon rôle de député de La République en marche », on apprend à devenir un parfait élu de la « start up nation ». Voici cinq portraits marquants de cette « génération corporate », mais pas forcément docile.

PAR OCTAVE BONNAUD PIERRE-ALAIN RAPHAN MARIE LEBEC JOACHIM SON-FORGET PHOTOS PATRICE NORMAND/LEEXTRA Chief Happiness Officer Lobbyiste Délégué du personnel

63 64 AMÉLIE DE MONTCHALIN 32 ans, Responsable politiques publiques & prospective AXA Group

Élue « députée de l’année » par les éditorialistes du Trom- discours managérial n’a rien de nouveau. La réalité, c’est binoscope, l’étoile montante de La République en marche qu’on ne gouverne pas une administration comme une suscite une avalanche d’éloges. « C’est la plus intelligente entreprise », proteste le député UDI Charles de Courson, après Emmanuel Macron », juge Antoine Pavamani, qui siège avec elle à la commission des finances. candidat de la majorité dans une autre circonscription de l’Essonne, résumant bien le sentiment du moment Au-delà des passes d’armes avec l’opposition, Amélie au sein du parti présidentiel. Désignée whip (chef de de Montchalin doit en priorité encadrer des troupes file – NDLR) de la commission des finances en juin, un inexpérimentées. « Mon rôle est d’expliquer le contenu des nouveau poste créé pour faire régner la discipline de textes et d’exprimer nos objectifs de façon plus politique. vote à l’Assemblée, la jeune économiste ne tarde pas Je ne force personne. Chaque député est libre de voter ce à bousculer les habitudes de cet aréopage chargé de qu’il veut. Mais si c’est pour voter contre tous les avis, il contrôler le budget de la nation. vaut mieux sortir du groupe de La République en marche », glisse-t-elle en forme d’évidence à l’attention des Sur les plateaux télé ou dans les matinales radio, Amélie éventuels récalcitrants. de Montchalin détonne en revendiquant sa culture d’entreprise. Elle dessine alors en creux un portrait peu Lorsqu’elle adresse sa candidature aux équipes d’Em- flatteur de ses prédécesseurs. « Quand vous travaillez manuel Macron en janvier 2017, Amélie de Montchalin en entreprise, vous savez pertinemment qu’il ne suffit pas envoie déjà depuis longtemps des « petites notes à des de présenter un plan stratégique pour qu’il soit mis en gens qui ont des idées intéressantes ». Elle commence œuvre. J’étais en charge de la prospective chez AXA. Le à fournir le staff de Bruno Le Maire puis celui d’Alain jour où vous présentez un “Plan 2020”, vous n’avez fait Juppé durant la campagne des primaires. « Il y avait un que 10 % du travail », nous explique cette économiste de côté un peu utopique, car j’écrivais pour des politiques que formation, juste avant un déjeuner à l’Atelier Renault je ne connaissais pas. Je retrouvais des éléments ici ou là sur les Champs-Élysées. « Or, pendant des années, les dans leurs discours, mais sans savoir réellement si cela députés considéraient qu’après avoir voté leurs textes, ils venait de moi », raconte la jeune femme qui a fait ses avaient fait leur job. Dans une entreprise, aucun patron premiers pas en politique lors de la campagne de Nicolas ne vous dira : “On a pris une décision à l’unanimité, le Sarkozy en 2007. À l’époque, elle rencontre Valérie Comex est content, c’est bon !” » ironise la jeune élue, Pécresse, que connaît bien son grand-père, agriculteur encore très remontée contre les « usages » de l’Ancien sur le plateau de Saclay, dans le cadre d’un devoir pour Monde. son cours de théorie des organisations à HEC. L’élue des Yvelines, alors porte-parole de Nicolas Sarkozy, Dans les couloirs du palais Bourbon, l’empressement de est passée comme Amélie par les très strictes classes cette parlementaire de 32 ans à faire passer ses aînés préparatoires de Sainte-Geneviève à Versailles, et elle pour de simples machines à voter agace forcément les la prend comme stagiaire. « C’était une autre époque, il anciens. « Amélie de Montchalin est très intelligente, mais n’y avait pas beaucoup de femmes à l’Assemblée. Malgré elle manque un peu d’humilité et d’ouverture d’esprit. Son ses compétences, Valérie Pécresse n’avait droit qu’à un

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tout petit bureau sous les combles au bout d’un couloir », « Pendant des années, les députés se souvient cette éphémère assistante parlementaire. considéraient qu’après avoir voté leurs Étudiante « un peu suractive », Amélie de Montchalin mène de front un cursus à HEC, une licence d’histoire textes, ils avaient fait leur job. Dans une et préside également la section GENEPI de son école de entreprise aucun patron ne vous commerce, entre deux cours et ateliers donnés dans la prison pour femmes de Versailles et la maison d’arrêt dira : “On a pris une décision à de Bois d’Arcy. Des engagements qui, dix ans plus tard, l’unanimité, le Comex est la propulsent dans le camp d’une droite désœuvrée par content, c’est bon !” » la victoire de François Fillon. « Pour moi, Sens commun était un repoussoir absolu. Ce sont des gens avec qui je AMÉLIE DE MONTCHALIN me suis souvent engueulée, car je suis issue d’un courant catholique, plus proche des jésuites, comme le pape François, donc beaucoup plus social que La Manif pour tous. Quant au programme économique de François Fillon, il avait peut-être une vision, mais n’a jamais dit comment agora ». « Le principe, c’est que je m’installais dans la rue il comptait la mettre en œuvre. » Une faute rédhibitoire sur un tabouret, avec un papier et un stylo. Et les gens pour cette analyste passée par Exane BNP Paribas, s’approchaient de moi pour poser leurs questions. Quand qui regarde alors la montée en puissance d’Emmanuel vous êtes à la gare de Massy au milieu de 5 000 personnes, Macron avec de plus en plus d’intérêt. on vous demande qui vous êtes, ce qui vous motive, je peux vous dire que cela oblige à être soi-même », se souvient la Au printemps 2017, elle envoie son CV et sa lettre de candidate, qui a mené une campagne éclair d’à peine six motivation pour être candidate En Marche ! Diplômée semaines. Gagnante au second tour avec plus de 60 % de HEC, d’Harvard, de la Sorbonne et de Dauphine, des voix face à une élue locale UDI, la whip planche dès elle met en avant ses origines familiales. Au milieu le mois de juillet avec Gérald Darmanin sur le prochain d’une vingtaine d’autres candidatures, son profil tape projet de loi de finances. Le duo a pour obsession de dans l’œil des équipes d’Emmanuel Macron. L’exploita- ramener les débats de la commission des finances au tion laitière de sa famille maternelle, présente depuis niveau du quotidien des Français. « Si vous parlez aux quatre générations sur le plateau, est bien connue dans Français de milliards, de moyennes agrégées ou de déciles la région : « C’est l’une des premières à avoir proposé de de l’Insee, vous perdez l’oreille de 70 % de la classe moyenne. la vente directe à la cueillette. Les familles BCBG de Ver- La parole politique devient faible », constate la députée, sailles, qui viennent visiter la ferme, y côtoient celles des qui s’efforce de traduire chaque décision budgétaire Ulis, attirées par les prix. Notre ferme laitière fournit même en chiffres concrets sur la fiche de paye ou d’impôts. Polytechnique en yaourts depuis quarante ans, et j’ai eu la Un exercice qui fait tout d’un coup écho à une citation surprise de voir il y a quelques jours que les yaourts Viltain du général de Gaulle qu’elle s’est promise de ne jamais étaient également servis à la cantine de l’Assemblée ! On oublier. « Pour pouvoir aboutir à des solutions valables, il peut donc dire de ma famille qu’elle a nourri une bonne faut tenir compte de la réalité. La politique n’est rien d’autre partie de l’élite française », explique-t-elle. que l’art des réalités. » Une « phrase super forte » envoyée par un chef d’entreprise, avec ce commentaire en forme Faute de salles pour tenir des réunions publiques, Amélie de post-it pour le quinquennat : « Vision sans exécution de Montchalin sillonne sa circonscription en « faisant n’est qu’hallucination. »

67 68 PACÔME RUPIN commune en très peu de temps, mais on doit encore se l’ap- 33 ans, proprier et la faire vivre », reconnaît cet ancien militant Coaching professionnel qui a adhéré au Parti socialiste en 2005, avant d’être élu (orientation, concours, insertion, évolution, tran- adjoint au maire d’Anne Hidalgo en 2014 sur la liste du sition) ivème arrondissement.

La seconde quinzaine de juillet, les néo-députés de La Alors que plusieurs députés menacent régulièrement de République en marche multiplient les faux pas. Des faire voler en éclats l’unité de La République en marche candidats pourtant jugés solides sont gagnés par le en créant leurs propres courants (social pour d’ex-socia- tract et l’impréparation. Interrogé sur le plan de licen- listes qui voudraient incarner une aile gauche ; écolo- ciement d’Auchan, le député de Paris, Sylvain Maillard, gistes pour certains proches de Nicolas Hulot ou huma- n’arrive pas à relire la note que lui a envoyée le cabinet nistes pour ceux qui bataillent contre une loi asile jugée ministériel. Pour sa première question au gouverne- trop répressive), Pacôme Rupin entend aplanir les diver- ment, la main de Dominique Da Silva se met à trembler gences idéologiques par de nouvelles méthodes prenant comme une feuille, tandis que dans l’hémicycle, une modèle sur celles des entreprises : « Là-dessus, on a trentaine de députés n’appuient pas suffisamment encore de vrais progrès à faire, on doit pouvoir travailler vite sur le bouton pour voter la reconduction de l’État plus collectivement. Sur ce sujet, je m’inspire beaucoup des d’urgence… En charge de l’organisation des séminaires pratiques de management du privé, notamment pour tout et de la formation, Pacôme Rupin a quelques sueurs ce qui concerne l’intelligence collective. Il existe des métho- froides après ces couacs à répétition et le procès en ama- dologies qui, lorsqu’elles sont bien utilisées, permettent de teurisme lancé par l’opposition. Ancien responsable de faire en sorte que dix personnes, qui ne sont pas en total la formation au Parti socialiste, le vice-président du désaccord, arrivent à trouver des points de convergence groupe LREM, qui avait monté sa propre structure de intéressants et à enrichir des textes. » coaching professionnel après une brève expérience dans un cabinet de recrutement, n’est pas à cette place Familier des rapports de force appris à Solférino, cet par hasard. ancien strauss-kahnien, qui enseignait comme coach des « pratiques de communication non violentes par les « On a organisé plusieurs séminaires sur la façon de voter émotions et la méditation », leur préfère désormais des un texte, un amendement. Au bout de six mois, on peut dire « méthodos » : « Notre but est d’organiser de plus en plus de que la mission est réussie : le groupe fonctionne parfaite- réunions en petits formats, d’utiliser les échanges de bonnes ment. Notre challenge maintenant, avec le non-cumul des pratiques et ce qui a marché en séminaire. » Pour resserrer mandats et des députés qui veulent bien faire, qui sont plus les liens du groupe majoritaire, Pacôme Rupin s’attèle présents dans l’hémicycle que leurs prédécesseurs, c’est de par exemple à mettre sur pied une sorte de « Vis ma vie répartir le travail afin que chacun se sente utile », assure le de député », qui permettra pendant quelques jours aux député de Paris, depuis sa permanence située dans une parlementaires d’échanger leurs circonscriptions pour cour du quartier Saint-Antoine. se confronter à différentes réalités électorales. « C’est ça, la culture d’En Marche ! Alors, c’est peut-être hérité des « C’est un vrai défi que d’organiser le fonctionnement d’un entreprises, je n’en sais rien, mais on se remet toujours en groupe de plus de 300 élus qui ne se connaissent pas, et question. On ne restera pas avec une organisation figée dont près de la moitié n’avaient jamais mis les pieds dans comme l’a été le PS, où il n’y avait plus de nouvelles idées, un parti avant la campagne. On a dû se forger une culture plus de nouvelles têtes pendant des années. »

69 70 PIERRE-ALAIN RAPHAN avec pour objectif de garder une organisation toujours 34 ans, tournée vers l’écoute. » S’il n’a pas encore de retour ni osé Fondateur du Cabinet d’innovations managé- pour l’instant demander la nomination d’un CHO en riales G&K – Ex-consultant chez Accenture réunion de groupe, il a de bonnes chances d’obtenir celle d’un ORH, un « organisateur des richesses humaines ». À la coule dans son costume acheté au centre commer- « Avec plus de 300 députés, qui ont souvent trois collabo- cial d’Évry 2, Pierre-Alain Raphan salue les serveurs rateurs parlementaires, on a plus de 900 salariés au sein du Bourbon, le bistrot qui fait office de Q.G. pour les du groupe. Or les collabs font des travaux qui pourraient députés, et commande un thé rouge. On s’inquiète du être mutualisés, sur de la veille thématique par exemple. » moral de ce marcheur de 35 ans au tutoiement facile. L’idée, qui aurait fait hurler les élus de la précédente Quelques semaines avant Noël, un étrange spleen législature, ne choque pas les nombreux néodéputés, semble en effet avoir gagné plusieurs dizaines d’élus, qui se voient volontiers comme les employés de la suscitant l’inquiétude des leaders de La République en majorité présidentielle. marche qui montèrent un groupe informel appelé Care, pour leur venir en aide. « En réalité, je n’ai pas croisé de Pour cet « Accenturien », l’optimisation des ressources députés “déprimés” ou perdus, comme en parle la presse, apparaît d’autant plus évidente qu’il est entré en ni jamais vu de marcheurs qui titubent dans les couloirs politique sur l’un de ces oxymores qui font vibrer la lit- en affichant un teint blafard… », démine l’élu, au diapason térature managériale. Début 2016, après avoir monté de sa hiérarchie qui enterrera rapidement le projet Care, sa boîte de conseil, il commence un doctorat « sur la après quelques piques lancées par l’opposition. « Mainte- passion au travail et son impact sur les performances de nant, que des députés qui travaillent quinze à vingt heures l’entreprise », à l’université de Montpellier. Son mémoire, par jour ressentent un coup de fatigue, c’est possible. Il y a qu’il ne désespère pas de boucler pendant son mandat, aussi parfois un choc culturel avec des profils plus entre- part d’une révélation : « Chaque fois que j’allais chez des preneurs qui préfèrent être dans l’action, dans le projet, clients, je me rendais compte qu’ils parlaient en mal de leur plutôt que dans le pur législatif », concède l’élu, sorti entreprise, alors que dans le système associatif, je ressen- indemne de dix années chez Accenture, une société tais une grande passion. Je cherchais à savoir pourquoi de conseils qui a pourtant la réputation d’essorer ses tout s’effondrait dans le monde professionnel. » L’étudiant cadres au bout de quatre ans. écrit sa frustration à François Hollande, Manuel Valls, Myriam El Khomri et Emmanuel Macron : « Une entre- Ceinture noire de taekwondo, Pierre-Alain Raphan s’est prise qui ne prend pas en compte l’humain peut générer lancé à fond dans ses activités parlementaires, en se des pertes de revenus de 20 000 euros à 70 000 euros par réservant un moment tous les samedis pour répéter salarié et par an. Je leur expliquais que rien ne sert de se avec le groupe de soul dont il est chanteur-guitariste. battre pour décrocher des contrats d’armements ou exporter Pour lui, le bonheur est dans le travail. Alors que les des Airbus, alors que le manque de passion au travail peut marcheurs montrent quelques signes de fébrilité, affecter 50 % de la production des entreprises », martèle le il propose à Richard Ferrand et Pacôme Rupin des doctorant, à la manière des conférenciers qui exposent concepts inspirés du mouvement des Chief Happiness leurs idées dans les soirées TEDx. Officers (CHO), en charge de la bonne humeur dans les start-ups : « Je leur ai suggéré qu’on fasse appel à un labo- L’Élysée et Matignon lui adressent un courrier type ratoire de chercheurs en sciences humaines, spécialisé sur indiquant que leurs cabinets n’auront pas le temps de le bonheur au travail. L’idée serait de faire un diagnostic le recevoir, tandis que la rue de Grenelle ne prend même

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« Que des députés qui travaillent quinze d’En Marche ! à Aubervilliers, il nage comme un poisson à vingt heures par jour ressentent un dans l’eau pendant le « team building » et les ateliers sur « la cohésion de groupe », organisés par Richard Ferrand : coup de fatigue, c’est possible. Il y a « On se challengeait sur les questions que pouvaient poser aussi parfois un choc culturel avec des nos électeurs. Parfois, on forçait le trait, mais c’était pour nous apprendre à ne pas se laisser déstabiliser. » Le macro- profils plus entrepreneurs qui préfèrent niste compare son groupe à une « entreprise libérée », ces être dans l’action, dans le projet, plutôt boîtes qui abolissent les hiérarchies pour gagner en que dans le pur législatif. » agilité, dont Google est devenu l’emblème mondial. PIERRE-ALAIN RAPHAN Selon Pierre-Alain Raphan, les débats en cours sur la constitution d’un courant social plus à gauche ou d’un pôle écologiste au sein de LREM ne sont pas si éloignés de ceux qui animent les rivalités de services dans le privé. « On croit souvent que dans une entreprise libérée, il n’y a pas de règles. C’est faux. Il y a un cadre, des limites à ne pas dépasser sur les sujets très importants. On doit avoir une discipline et des positions de groupe, ce qui pas la peine de lui répondre. En revanche, à Bercy, son nécessite de maintenir un dialogue centré sur l’humain en « pitch » entre en résonance avec le bouillonnement interne », insiste le député, renouant finalement avec les décomplexé et probusiness d’Emmanuel Macron qui classiques rappels à la loyauté qu’invoquaient ses pré- vient de lancer sa « Grande marche » participative. Un décesseurs de l’Ancien Monde. rendez-vous d’un quart d’heure est fixé en juillet avec l’économiste Philippe Martin, l’un des futurs artisans En quelques mois, il a déjà trollé la loi PACTE de Bruno du programme présidentiel. Le courant passe, au point Le Maire, pour y imposer un label mesurant le bien-être que Pacôme Rupin le rappelle en septembre pour lui au travail, tout en planchant sur un projet de réforme confier l’animation du comité parisien du xiième arron- du monde associatif adressé à Jean-Michel Blanquer dissement, avant de le bombarder dans l’Essonne, sur et Christophe Castaner, sous forme de « prez’ ». Une la 10ème circonscription, un territoire ancré à gauche note envoyée à leurs cabinets ? « Non, une “propale” largement gagnable. On lui déconseille alors de faire de 60 slides, en mode industriel comme chez Accenture. » campagne sur le bonheur au travail. Il opte néanmoins « On apporte les méthodes de l’entreprise », lâche le pour un slogan proche, promettant dans ses tracts de député, sans craindre de dévoiler la clé de son succès en « remettre la passion au cœur de la nation », déclinant Macronie. ainsi son obsession de lutter contre le désengagement des salariés. Il l’emportera haut la main face à Malek Boutih et Charlotte Girard.

Après les premiers rites de passage au Palais-Bourbon, le député n’est pas si dépaysé dans un groupe parlemen- taire où cadres supérieurs et chefs d’entreprise sont largement surreprésentés. Lors du séminaire de rentrée

73 74 MARIE LEBEC un avantage de savoir exprimer ses idées dans un temps 27 ans, très court ». Consultante en affaires publiques Euralia Dans l’hémicycle, la parlementaire est la protégée d’un Le soir du 11 juin, les médias cherchent de nouveaux autre formateur de luxe. Elle hérite de la place 338 par visages pour incarner la vague de députés de La Répu- tirage au sort, juste à côté de celle de Manuel Valls. blique en marche. « Je ne sais pas comment ils ont trouvé L’ex-socialiste réfugié dans le groupe La République ma permanence, mais une militante me prévient : “Marie, en marche lui prodigue ses conseils pour sa première ne part pas : il y a BFMTV qui arrive !” », se souvient question au gouvernement : « Il m’a briefée sur la façon de la candidate de la 4ème circonscription de l’Essonne dire le texte, de m’apprêter à ôter des phrases si jamais mon qui vient de remporter 48 % des voix au premier tour. texte était trop long, de bien tenir mes feuilles pour qu’on ne « Après l’interview, les journalistes de BFMTV me disent : voie pas mes mains trembler. » “Demain, tous les médias vous appelleront.” Je pensais que BFMTV se la jouait un peu, mais c’était vrai. » Marie Pendant la campagne présidentielle, à force de tractage Lebec va habilement tirer parti d’un malentendu : un et de porte-à-porte, Marie Lebec obtient rapidement premier article de Challenges avant les élections la le soutien des comités locaux et des militants. Un présente déjà comme la probable plus jeune élue de la entretien téléphonique d’une heure avec un membre future Assemblée. « En réalité, au soir du second tour, à de la commission nationale d’investiture est fixé pour 26 ans, je ne suis pas du tout la benjamine, je me suis rendu évaluer ses aptitudes. On la cuisine sur son parcours, la compte qu’il y avait des députés plus jeunes que moi au sein sociologie de son territoire et sa vision du mandat. Elle du groupe », avoue la parlementaire. Mais alors que les pense avoir raté l’examen de passage, mais se découvre demandes d’interviews continuent d’affluer, elle joue le investie sur le site d’En Marche ! quelques semaines jeu avec les médias : « Je crois qu’il y eu un peu un accord plus tard. « Comme j’ai été collaboratrice parlementaire tacite avec les médias, car ça arrangeait tout le monde, et lobbyiste, je crois que ça crédibilisait mon profil d’avoir à commencer par les journalistes. Comme j’étais la plus une bonne connaissance des institutions », estime la jeune en région parisienne, ça leur faisait moins de trajet. jeune élue, qui a fait campagne tout en travaillant pour Quant à moi, ça me permettait de gagner en épaisseur et Euralia, un grand cabinet d’affaires publiques très actif en notoriété. » Le dimanche suivant, Marie Lebec corrige à Paris et Strasbourg. son statut de benjamine auprès de Laurent Delahousse pendant la pause, sur le plateau de la soirée électorale « Le problème, c’est qu’on fantasme beaucoup sur le métier de France 2. Après un moment de flottement, l’inter- de lobbyiste. C’est presque un gros mot en France. J’ai vieweur la présente alors « comme la presque plus jeune surtout travaillé pour un client du secteur associatif et pour députée d’En Marche ! »… un autre de l’industrie agroalimentaire », reconnaît cette diplômée de Sciences Po Bordeaux, qui tente d’éviter À l’aise avec les journalistes, cette ex-collaboratrice par- les sujets relatifs à l’alimentation pour prévenir toute lementaire du socialiste Christian Franqueville prépare suspicion sur son activité législative. À la commission ses interventions médiatiques avec Laurent Fontaine, des affaires économiques, elle s’impose sur les dossiers l’ex-animateur télé de « Y a que la vérité qui compte », liés à la balance commerciale et l’attractivité française, sur TF1. Désormais reconverti dans le media training tout en prenant la tête d’une mission d’information sur pour En Marche !, le communicant ne lui épargne rien : le Brexit. Elle obtient également le poste prestigieux « Il est dur et m’a beaucoup charriée, mais c’est vraiment de secrétaire du Bureau de l’Assemblée nationale, à la

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« Contrairement à ce qui est souvent dit, on n’est pas un parti traditionnel avec une discipline de groupe aussi rigide que ce qu’il pouvait exister lors des mandatures précédentes. L’idée qu’En Marche ! est fondé sur la coconstruction est très présente, les réunions de groupe sont en fait très animées. »

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faveur d’une réunion de groupe houleuse contre Richard Ferrand à la mi-janvier. Ce dernier entendait nommer rapidement l’une de ses proches après l’invalidation de l’élection de Lénaïck Adam. Mais quelques parlemen- taires emmenés par le vice-président du groupe, Hugues Renson, contestent cette nomination au forceps, dans la mesure où il avait été établi que chaque poste ferait l’objet d’un appel à candidatures. Signe que les députés, régulièrement décrits comme disciplinés, commencent à se rebeller ? « Non, car on n’a pas vraiment eu besoin de protester. Contrairement à ce qui est souvent dit, on n’est pas un parti traditionnel avec une discipline de groupe aussi rigide que ce qu’il pouvait exister lors des mandatures pré- cédentes. L’idée qu’En Marche ! est fondé sur la coconstruc- tion est très présente, les réunions de groupe sont en fait très animées », se justifie celle qui sera nommée au Bureau quelques semaines plus tard. Lorsque nous la quittons, c’est l’heure des « Questions au gouverne- ment », mais avant de rejoindre le palais Bourbon, la presque benjamine d’En Marche ! a un dernier doute : « Je n’ai rien dit qui va faire polémique, j’espère ? »

77 78 L’élu des Français de Suisse n’en est pourtant pas à son JOACHIM SON-FORGET coup d’essai. En quelques mois, il s’est bâti la réputation 34 ans, d’un député qui n’a pas peur de critiquer sa hiérarchie, Médecin au centre hospitalier sans jamais se départir de son soutien à Emmanuel universitaire Vaudois, concertiste claveciniste Macron. Dans l’entreprise de La République en marche, il joue le rôle du délégué du personnel enclin à dire leurs Élu de la circonscription des Français de l’étranger quatre vérités aux cadres dirigeants sur leurs choix stra- de Suisse et du Liechtenstein, Joachim Son-Forget, tégiques. « Le parlement n’est pas une entreprise, donc je ne médecin, chercheur en sciences cognitives et claveci- crois pas à un management pyramidal. La mode managé- niste, salue une bonne partie du microcosme qui petit- riale à l’anglo-saxonne, ça ne me fait pas très envie si c’est déjeune dans un café proche de l’Assemblée nationale. pour être comme une fourmi ouvrière. Il y a des ouvrages Une connaissance, qui le sait concertiste, propose de lui de science-fiction qui dépeignent ça : j’en ai lu un, pas très présenter un jour la pianiste géorgienne Khatia Bunia- bon, intitulé The Circle. On ne peut pas être un truc imper- tishvili. Une autre lui laisse sa carte du ministère des sonnel robotisé. On peut se payer le luxe, à 300, de valoriser Affaires étrangères. Sa silhouette frêle, ses airs d’artiste chaque personne », estime ce spécialiste de la psycholo- et sa voix doucement posée peuvent être trompeurs : gie cognitive. Absent lors des deux grands séminaires le député Joachim Son-Forget est plutôt du genre d’intégration de La République en marche, le résident déterminé. genevois fait valoir un problème d’agenda lié à d’autres impératifs sur sa circonscription suisse et à un voyage Quelques jours plus tôt, en ce début du mois de décembre, en Corée du Sud où il a reçu un prix prestigieux. « C’est lors d’une séance consacrée à la fiscalité des expatriés, vrai que je ne suis pas adepte de ces séminaires, mais c’est le parlementaire trépigne au fond de l’hémicycle. Il veut une opinion tout à fait personnelle, ça ne veut pas dire que défendre un amendement contraire à la ligne gouverne- c’est inutile, bien au contraire, puisque d’autres y adhèrent. mentale qu’il vient de cosigner sur le sujet. Contre tous Je préfère rencontrer les autres députés par petits groupes les usages en cours au sein de La République en marche, autour d’un café », confie le parlementaire. il entend même dire son désaccord à Gérald Darmanin, ministre du Budget. Au perchoir, Hugues Renson fait En octobre, il s’étonne qu’aucun député n’ose se mine de l’ignorer. Mais au moment de passer au vote, présenter contre la liste de Christophe Castaner pour le une bronca de députés Les Républicains s’élève pour bureau exécutif de La République en marche, le cœur du laisser la parole à Joachim Son-Forget. La situation est réacteur du parti présidentiel. Au nom de la pluralité, il rare : l’opposition proteste pour qu’un élu de la majorité rassemble un groupe hétéroclite d’une vingtaine d’élus, s’exprime ! Visiblement contrarié, le président de séance référents et militants, sur une liste intitulée En Marche rappelle à l’ordre son condisciple de 34 ans. « Monsieur avec les territoires. Le 20 novembre, dans l’espace Son-Forget, que je sache, vous n’êtes pas le président de Confluence du centre Eurexpo à Lyon, 90 mains – soit séance ! C’est moi qui donne la parole, je vous la donne 18 % des votants – se lèvent pour le soutenir. « Le but parce que cela fait une dizaine de minutes que vous vous était de faire vivre la démocratie interne à ce moment- tenez debout, à l’encontre même du règlement de l’Assem- là. C’était peut-être une nuance, mais c’était un message blée nationale que vous devriez respecter ! » Bravache, important. On voulait aussi représenter la province face Joachim Son-Forget déroule son argumentaire contre la à une liste qui était ressentie comme trop parisienne par fuite des cerveaux et la fiscalité des expatriés. les militants. Mais au final, au lendemain du scrutin on bossait tous ensemble pour Macron », explique le député, 79 80 JOACHIM SON-FORGET

« Le parlement n’est pas une entreprise, Né à Séoul, puis adopté à l’âge de 3 ans par une famille donc je ne crois pas à un management de Haute-Marne, l’adolescent Joachim Son-Forget passe des heures devant son piano et dévore les livres pyramidal. La mode managériale à d’Henry Plée, le maître des arts martiaux européen qui l’anglo-saxonne, ça ne me fait pas très a notamment importé le karaté en Europe. À 19 ans, au moment de s’installer à Paris pour un double cursus envie si c’est pour être comme une de médecine et de sciences cognitives préparé à l’uni- fourmi ouvrière. On ne peut pas être un versité Paris v, l’EHESS et l’École normale supérieure, truc impersonnel robotisé. On peut se il rencontre son idole et rejoint son cercle restreint de disciples. « Henry Plée est devenu l’un des mes mentors, payer le luxe, à 300, de valoriser chaque car ses livres abordaient beaucoup les sciences compor- personne. » tementales. Je prenais des cours de kung-fu avec son fils et suivait ses leçons théoriques quand j’étudiais à l’École JOACHIM SON-FORGET normale supérieure », confie le scientifique. Un drôle de « syncrétisme » qui pousse Joachim Son-Forget, en religion comme en politique, à se méfier « des icônes et des figures paternalistes. En fait, j’ai besoin de liberté, c’est qui refuse l’étiquette de frondeur qu’ont voulu lui coller peut-être pour ça que je n’aime pas les petits caporaux », certains médias. verbalise ce docteur, auteur de plusieurs travaux sur la Alors que certains élus songent à se rassembler par conscience de soi. — affinités politiques pour mieux peser sur les arbitrages, Joachim Son-Forget, qui a « fait le tour du propriétaire au Parti socialiste pendant deux ans », regarde ces initia- tives avec méfiance. « Je ne crois pas que cela fonctionne- rait d’avoir une frange gauche ou droite, ce serait une façon de renouer avec les clivages de l’Ancien Monde au sein du parti », assure-t-il en reconnaissant volontiers avoir « un côté suisse transpartisan ».

Accusé de semer la division, le député montre une appétence certaine pour l’odeur de la poudre. En réponse à la question de savoir s’il craint les critiques, il lâche cet étrange avertissement sur une radio nationale : « Je suis diplômé en sciences comportementales, je sais donc utiliser l’agressivité de mes adversaires et la retourner contre eux. » Une phrase sortie d’un film de kung-fu ? « Mon domaine de recherche, ce sont les sciences cognitives, mais je me suis aussi beaucoup intéressé aux cultures orientales et aux arts martiaux », une discipline qu’il a pratiquée intensivement durant son adolescence.

81 82 VIS MA VIE DE DÉPUTÉ ÇA SE CORSE À L’ASSEMBLÉE !

PORTRAITS

Pour la première fois dans l’histoire de la République, TROIS NATIONALISTES CORSES siègent dans l’hémicycle. Isolés parmi les 577 élus, accusés par certains députés de défendre des intérêts locaux au lieu de ceux de la nation, difficile pour eux de faire entendre leurs revendications. Après avoir échoué à constituer un groupe parlementaire, ces partisans de l’autonomie du « peuple corse » tentent de trouver des alliés sur les bancs du Palais-Bourbon. Et ils y parviennent.

PAR LORIS BOICHOT PHOTOS ARNAUD MEYER/LEEXTRA

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LE BANC DES CORSES À L’ASSEMBLÉE

e buste de Marianne, ceint de son écharpe Membres du parti Femu a Corsica (« Faisons la Corse ») « Certains sont parfois là depuis vingt ans, L tricolore, n’a jamais vu autant de drapeaux à la de Gilles Simeoni, les néodéputés deviennent vite trois d’autres sont d’anciens ministres. tête de Maure. Ni entendu un « Dio vi salvi Regina » – pièces maîtresses de la stratégie d’« ouverture » et de l’hymne corse dédié à la Vierge Marie – aussi enthou- « dialogue » de l’exécutif corse avec le gouvernement, Évidemment, moi, j’arrivais de Bastia, siaste. Dans cette mairie de Bastia conquise en 2014 par alors que s’engage la réforme constitutionnelle. Une je ne pouvais être qu’un âne. » les nationalistes, les militants chantent à nouveau. Ce occasion historique de voir triompher les revendica- 18 juin 2017, Michel Castellani, 72 ans, fait tomber la tions de ces défenseurs d’une « nation corse » : coofficia- MICHEL CASTELLANI figure locale Les Républicains (LR), Sauveur Gandolfi- lité de la langue corse avec le français, rapprochement Scheit, et se laisse porter en triomphe sous le porche puis amnistie des « prisonniers politiques », création de l’hôtel de Ville, sur les épaules du président de la col- d’un statut de résident pour lutter contre la spécula- lectivité de Corse, Gilles Simeoni. Sous les hourras, on a tion immobilière, en réservant l’achat de biens immo- l’aile de Marine Le Pen et des députés frontistes, leurs Lassalle, puisque l’État s’en moque comme d’une guigne. » vu les cheveux du sage professeur émérite en désordre biliers aux personnes justifiant d’une certaine durée de bureaux forment un quartier isolé où trônent ici le Jean-Félix Acquaviva a même l’idée d’un nom : « Démo- et ses pans de chemise sortir du pantalon. Dans le Sud, résidence en Corse. Et, bien sûr, une « autonomie de plein drapeau du FC Bastia, là un portrait du général Pascal cratie, solidarité et territoires ». Paul-André Colombani, 50 ans, médecin discret engagé droit et de plein exercice » dans la République. À l’image Paoli, ce « père de la nation corse », artisan au xviiième depuis trois ans en politique, arrache la circonscrip- du statut de la Polynésie française, un ensemble d’ar- siècle de la première constitution de souveraineté Mais dans le taxi qui le mène à la réunion, Olivier Falorni tion qui englobe Ajaccio, Bonifacio et Porto-Vecchio, chipels aux compétences législatives propres, en dehors populaire, avant même la Révolution française. D’ici, entend sur RMC le député de Haute-Corse parler de « pri- détenue depuis 1928 par les gaullistes de Rocca Serra, des domaines régaliens de l’État comme la justice, la Jean-Félix Acquaviva a envoyé ses cartes de vœux à ses sonniers politiques » au sujet des membres du commando de grand-père en petit-fils. « Si tu perds, personne ne t’en défense et la police. collègues. « Bon’annata », ont-ils pu y lire. Érignac, condamnés pour l’assassinat en 1998 du préfet, voudra », lui avait-on soufflé pendant la campagne, tant estimant qu’ils « ont fait leur peine ». L’affaire est réglée : la bataille semblait ingagnable. L’hyperactif Jean-Félix Majoritaires dans l’île, les trois hommes ne sont pas Sous la vème République, tous les députés de l’île se sont « C’est un terme inacceptable. Considérer qu’il y a des pri- Acquaviva, 44 ans, devient député de Haute-Corse, de entrés au Palais-Bourbon en terrain conquis. « Ils sont rattachés à un groupe parlementaire, de droite ou de sonniers politiques en France, c’est remettre en cause Calvi à Corte, et prend la suite du radical-socialiste Paul arrivés comme des extraterrestres. Certains parlemen- gauche. Le quatrième élu corse, Jean-Jacques Ferrara, l’État de droit français. » D’autres élus quittent avec lui la Giacobbi, élu depuis quinze ans. Le vétéran, le novice taires avaient un a priori plutôt négatif », se souvient siège parmi Les Républicains. Isolés parmi 577 députés, table des négociations. « Le mot a choqué », déplore Paul- en politique, l’égérie de la jeune garde : les symboles de l’un de leurs premiers alliés, le député PS d’origine assis tout en haut à gauche de l’hémicycle entre les André Colombani. Désormais, le trio met l’accent sur trois générations du nationalisme fêtent leur victoire. corse François Pupponi. Le souvenir des années de élus de La République en marche (LREM) et à quelques le rapprochement des « prisonniers politiques » de leurs lutte, avant le dépôt des armes et des cagoules par la rangées des insoumis, les nationalistes n’ont pas réussi familles pour « les réinsérer et respecter le droit », avant Pas de vague En Marche ! dans l’île. À la place, trois principale branche du Front de libération nationale à constituer de groupe. Ce qui leur complique la tâche : d’évoquer leur amnistie. « Amnistier, ce n’est pas excuser, circonscriptions sur quatre remportées par les natio- corse (FLNC) en juin 2014, reste tenace dans la tête de les postes clés sont confiés à d’autres, tandis qu’ils précise Jean-Félix Acquaviva. C’est reconnaître qu’il y a nalistes, avec des résultats compris entre 55 % et 63 % certains élus : « Certains les voyaient comme des voyous, disposent d’un temps de parole réduit et d’une seule aujourd’hui un changement historique majeur : il n’y a plus des voix. « Une victoire historique » pour les militants, voire des terroristes. » Jean-Félix Acquaviva, engagé question orale au gouvernement par élu et par an. d’attentats en Corse depuis 2014. » Avec ses acolytes, il ne qui y voient une « rupture avec le clientélisme et le depuis ses années lycée et pourtant rompu au combat désespère pas de créer un groupe pendant la législature. clanisme » – l’appellation corse du « système ». Pour la politique, a ressenti une « condescendance », Michel Cas- Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé de trouver des première fois, la Corse – 330 000 habitants, 0,5 % de la tellani une « hostilité » : « Certains sont parfois là depuis alliés. Dix jours après leur élection, une rencontre est En attendant, les trois camarades peuvent déjà compter population française – envoie ce soir-là à l’Assemblée vingt ans, d’autres sont d’anciens ministres. Évidemment, organisée à l’Assemblée nationale, au 101, rue de l’Uni- sur les deux autres régionalistes de l’Assemblée : le nationale française trois députés nationalistes, issus moi, j’arrivais de Bastia, je ne pouvais être qu’un âne. » versité, avec des députés ultramarins – dont le Polyné- Béarnais Jean Lassalle et le Breton Paul Molac (LREM), de la coalition Pè a Corsica (« Pour la Corse ») formée par sien Moetai Brotherson –, de la montagne – Jean Lassalle à l’origine d’un groupe d’études de 25 parlementaires l’indépendantiste Jean-Guy Talamoni et l’autonomiste ESSEULÉS –, des banlieues – le socialiste François Pupponi –, et des sur les langues régionales. Ils sont tous les cinq les Gilles Simeoni, à la tête de l’île depuis leur victoire aux Dès qu’ils rejoignent Paris en avion pour la moitié de la régions – Olivier Falorni en Charente-Maritime. Quinze seuls députés rattachés financièrement à la fédération régionales de 2015, confirmée par leur triomphe aux ter- semaine, on peut entendre parler corse dans le bâtiment élus, le seuil nécessaire pour constituer un groupe, sont Régions et peuples solidaires. À ce titre, l’État verse ritoriales de décembre 2017. dédié aux députés non-inscrits, près du palais Bourbon. potentiellement intéressés pour s’associer. « Il s’agis- chaque année à ce groupement de partis régionalistes Côte à côte, au bout d’un couloir, à quelques mètres de sait de porter le dossier des territoires, se souvient Jean près de 190 000 euros de subventions.

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« On est à l’Assemblée nationale française ! », « Il ne fallait pas vous faire élire dans cette assemblée ! », « Qu’est-ce que vous faites ici ? », « Vous représentez la nation française ! », a-t-on pu entendre depuis les bancs des Républicains lors de la première question au gouvernement de Paul-André Colombani, en octobre 2017.

AMBASSADEURS DE LA CORSE Sur les bancs de velours grenat de l’hémicycle, les sujets Les trois amis méconnaîtraient-ils l’article 27 de la insulaires ne sont jamais loin. Les élus ont voté contre Constitution (« Tout mandat impératif est nul »), selon le projet de loi antiterroriste, parce qu’il ne distinguait lequel, bien qu’élu dans une circonscription, le député pas « les islamistes des militants politiques corses ». Même de la nation n’en est pas le représentant ? « Nous repré- l’accord de libre-échange CETA les ramène à leur terre sentons le peuple corse, ce qui ne nous empêche pas d’avoir d’élection : « Nous souhaitons une Corse ouverte, mais un une vision du reste », affirme Jean-Félix Acquaviva, brocciu (un fromage corse – NDLR) version canadienne avant de reconnaître qu’« il n’y a pas l’épaisseur d’un ne nous semble ni utile ni souhaitable ! » s’exclame Michel papier à cigarette entre ce que l’on dit et ce que dit Gilles Castellani depuis la tribune en février, sous les rires de Simeoni ». « Prolongement naturel de l’action menée ses collègues LFI et communistes. Le Bastiais a aussi “là-bas” » pour Michel Castellani, « ambassadeurs de la déposé deux propositions de loi, dont une cosignée par majorité territoriale » pour Paul-André Colombani, tous des députés LREM, une députée LR, et Marine Le Pen : se disent « en mission pour défendre l’intérêt de la Corse ». il s’agissait de geler les matchs de football le 5 mai, jour « Ce sont les ambassadeurs de la Corse à Paris, confirme de l’effondrement d’une tribune du stade de Furiani en Gilles Simeoni. Ce sont des députés de la Corse, de tous 1992, en hommage aux 18 victimes. les Corses. Ils font un travail remarquable, en coordination étroite avec la collectivité. » Mais attention : « Ce ne sont Ce prisme corse leur est reproché par leurs adversaires pas les ambassadeurs de Gilles Simeoni à Paris ! » assure- politiques, surtout de droite. « Au Palais-Bourbon, ils t-il en riant à la troisième personne. sont les porte-parole d’une autre Assemblée », dénonce l’ancien député LR Camille de Rocca Serra, président de LA BANDE DE SIMEONI l’Assemblée de Corse de 2004 à 2010, passé aujourd’hui Castellani, Colombani et Acquaviva sont pourtant très dans les rangs de l’opposition régionale. « Quand on est proches de l’homme fort de la Corse. Ils manifestent ici, on intervient au nom de la République et de la nation ensemble dans les rues d’Ajaccio le 3 février, à trois jours françaises », renchérit le président du groupe LR à l’As- de la venue d’Emmanuel Macron sur l’île. Ils accueillent semblée, Christian Jacob. « On est à l’Assemblée nationale avec lui le chef de l’État, déplorent à l’unisson son française ! », « Il ne fallait pas vous faire élire dans cette refus du statut de résident, d’une amnistie et de la co- assemblée ! », « Qu’est-ce que vous faites ici ? », « Vous officialité de la langue. Et ils l’accompagnent dans les représentez la nation française ! », a-t-on pu entendre réunions avec Jacqueline Gourault, la ministre chargée depuis les bancs des Républicains lors de la première du « dossier corse », pour préparer le projet de réforme question au gouvernement de Paul-André Colombani, constitutionnelle, depuis que le président de la Répu- De gauche à droite : en octobre 2017. blique s’est dit « favorable à ce que la Corse soit mention- Paul-André Colombani, Michel Castellani, Jean-Félix Acquaviva

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Dans les années 1970, Michel Castellani est l’une des têtes pensantes de l’Action régionaliste Corse, fondée par Edmond Simeoni. Il rédige avec lui un ouvrage aux allures de profession de foi, Autonomia, dans lequel il appelle « le peuple corse » à « se défendre » contre « l’action colonisatrice et spoliatrice » de l’État. née dans la Constitution », via une « refonte de l’article 72 » « Jean-Fé » – ou « Ghjuvan Filì » –, comme le surnomment lancent des étudiants agacés. Ses engagements paient chasse, occupent la cave viticole d’un rapatrié d’Algérie sur les collectivités territoriales. les Simeoni, en fut le maire dès 2008, jusqu’à ce qu’il parfois – l’université de Corte, fermée en 1769, rouvre pour protester contre les avantages des pieds-noirs et la revête ses habits de député. Il appelle ou voit « Gilles » en 1975 –, mais lui prennent du temps. Sa thèse sur Les chaptalisation des vins (ajout de sucre pour améliorer Parmi les trois hommes, Paul-André Colombani est « tous les jours ». En novembre, les deux compères ont mutations économiques et humaines de la Corse contem- artificiellement le goût du vin – NDLR). Ils ont prévenu celui qui a connu le plus tard Gilles Simeoni, lui qui a commémoré ensemble, dans l’église de l’Immaculée poraine peut bien attendre. « Dix-neuf ans se sont passés les journalistes – « Nous ne resterons que trois jours » – et longtemps « peu placé d’espoir dans la politique » : « Elle Conception de l’Île-Rousse, les vingt ans de la mort de entre le moment où je l’ai déposée et le moment où je l’ai sont bientôt rejoints par d’autres militants. Dans la cave me faisait peur, ne m’attirait pas. » Il rejoint un syndicat Jean-Baptiste Acquaviva. Un cousin du député, ancien soutenue. » Il finit par obtenir son doctorat à la Sorbonne se trouve le père de Jean-Félix Acquaviva. Alors âgé de de professionnels de santé au début des années 2000, militant « recherché » du FLNC, devenu après son assas- en 1991, à 45 ans. 2 ans, domicilié à deux kilomètres des événements, le aux côtés de François Agostini. Médecin comme lui, sinat l’un des « martyrs » de la mémoire nationaliste. député d’aujourd’hui dit encore se souvenir « de bruits, militant historique de la cause corse, il le « fait changer « JE N’AI JAMAIS FOUTU DE BOMBES » de sensations ». d’opinion sur la famille nationaliste » et le convainc de Michel Castellani est aussi un compagnon de route de Durant ces dix-neuf années, Michel Castellani écrit s’engager « contre le système clientéliste qui a ravagé Gilles Simeoni. Dans son équipe, il a mis fin à près d’un beaucoup. Dans les années 1970, il est l’une des têtes Lorsque Michel Castellani arrive dans les vignes, face à la Corse », notamment du Sud, dont il vient. En 2014, demi-siècle de règne du « clan » Zuccarelli sur la mairie pensantes de l’Action régionaliste Corse (ARC), fondée un cordon de gendarmes mobiles, il menace l’un d’eux lorsque le FLNC dépose les armes, « la route se sécurise », de Bastia en 2014, et fait désormais partie de la majorité par Edmond Simeoni. Il rédige avec lui un ouvrage aux d’un « Dégage ou je te casse la tête ». On le laisse passer : de selon Paul-André Colombani. Le novice se lance, est municipale. Mais il a d’abord connu Edmond Simeoni, allures de profession de foi, Autonomia, dans lequel il toute façon, derrière sont disposés d’autres gendarmes élu en 2014 dans l’opposition municipale du village de le père du nationalisme corse... et de Gilles Simeoni. Le distingue l’autonomie de l’indépendance, et appelle armés de fusils. L’assaut est donné. Une fusillade éclate, Zonza, 2 600 habitants, avant de rejoindre la liste vic- septuagénaire et l’octogénaire présentent le visage de « le peuple corse » à « se défendre » contre « l’action colo- le commando nationaliste se rend. Bilan : deux mili- torieuse de Gilles Simeoni aux régionales de 2015. Le ceux qui ont milité « nuit et jour ». La riche mémoire de nisatrice et spoliatrice » de l’État. L’injonction se trans- taires tués, plusieurs militants blessés. Sous les yeux premier succès d’un inconnu de la scène politique corse. ceux qui ont plus d’hiers que de demains. « On a pédalé forme vite en révolte à l’écho national. « Les événe- de son ami, Edmond Simeoni est arrêté et embarqué. Il « Je viens de nulle part », concède-t-il. contre le vent », dit Michel Castellani après cinquante ments d’Aléria » deviendront bientôt une métonymie : sera jugé à Paris devant la cour de sûreté de l’État. L’ARC ans de combats. Couronnés, avant son arrivée au Palais- « Aléria ». sera dissoute en Conseil des ministres. « Ponia fasciste, POÉSIE PASTORALE Bourbon, par son entrée fracassante à l’Assemblée raciste, récidiviste », écrit Michel Castellani le lendemain Les familles Acquaviva et Simeoni, elles, se fré- de Corse en 1982, avec six autres nationalistes, dont « Je vais aller en prison, confie Edmond Simeoni à Michel dans le journal Arritti de l’ARC, à l’endroit du ministre quentent depuis longtemps. Elles sont issues de la Edmond Simeoni. Castellani, dans la touffeur du mois d’août 1975. Je vais de l’Intérieur, Michel Poniatowski. Pour revoir Edmond même terre : Lozzi, le village le plus haut de l’île, avec occuper la cave. Je ne veux pas te voir à Aléria. Je veux la Simeoni quelques mois après, il aura à traverser le grand vue l’hiver sur les cimes enneigées du Monte Cinto. À Les deux hommes se rencontrent au tournant des matière grise dehors. » Quelques jours plus tard, le matin couloir bordé de grilles de la prison de Fresnes. 1 044 mètres d’altitude, il n’est pas rare d’y croiser des années 1970. Après une enfance dans une famille du 21 août, Michel Castellani entend le souffle des héli- vaches et des chasseurs. Un paysage inspirant pour les modeste, où le corse était « langue exclusive », Michel coptères en formation au-dessus de Bastia. Il ne sait pas L’échec d’Aléria a renforcé les activistes les plus déter- poèmes qu’écrit en corse Jean-Félix Acquaviva, dans Castellani étudie l’économie à Nice, faute de fac en encore que 2 000 gendarmes mobiles sont en train de se minés. Le FLNC est créé un an plus tard et fait vivre à la pure tradition pastorale de cette vallée du Niolu. Corse. Il prend la tête d’un foyer de 300 étudiants de la déployer sur le terrain. Au diable les consignes : il prend l’île sa première « nuit bleue » : plusieurs tentatives d’at- « Ça peut sortir d’un trait, comme une improvisation. » diaspora, occupe avec eux toutes les semaines le res- sa voiture pour Aléria, à 70 kilomètres au sud de Bastia, tentats, 18 réussis. Michel Castellani refuse l’escalade. Le grand-père de Gilles Simeoni a dirigé pendant la taurant universitaire pour défendre la création d’une sur la côte orientale. Au même moment, Edmond, son « Il n’a jamais été un militant radical, ni dans les moyens Seconde Guerre mondiale ce village de 125 habitants. faculté à Corte. « Vous nous empêchez de déjeuner ! » leur frère Max et six militants de l’ARC, armés de fusils de de communication ni dans les moyens de lutte », soutient

89 90 LE BANC DES CORSES À L’ASSEMBLÉE

Majoritaires dans l’île, les trois hommes ne sont pas entrés au palais Bourbon en terrain conquis. « Ils sont arrivés comme des extraterrestres. Certains parlementaires les voyaient comme des voyous, voire des terroristes », se souvient le député PS d’origine corse François Pupponi.

91 92 LE BANC DES CORSES À L’ASSEMBLÉE

« Ne nous confondez pas avec Marine Le Pen. Edmond Simeoni. Francia, un mouvement clandestin sous le regard approbateur de la communiste Marie- anti-autonomiste, renforce le climat de violence. « À George Buffet. Notre nationalisme n’est pas identitaire », ont-ils expliqué la fin des années 1970, nous étions en danger en perma- aux insoumis Jean-Luc Mélenchon, Alexis Corbière nence, se souvient Edmond. C’étaient des types du SAC, « Nous devons faire du lobbying et changer l’image de la et Loïc Prud’homme, lors d’un déjeuner, pour éviter avec la caution d’officines obscures de l’État. » Trois kilos Corse », reconnaît l’élu. « On doit gagner des relations ici. d’explosifs soufflent la cage d’escalier de la grand-mère Toucher les leaders d’opinion. C’est une grosse partie de dans les esprits les analogies trop hâtives. de Gilles Simeoni. Alors, quand vient le soir, Michel Cas- notre travail », confie un collaborateur des députés. À tellani fait dormir sa mère, sa femme et son fils dans les défaut de s’entendre avec le président du Sénat, Gérard chambres du fond. Par précaution. Larcher, opposé à une inscription de la spécificité corse Avec ses deux collègues, il s’efforce de prendre la Ils discutent parfois ensemble devant la salle des Quatre dans la Constitution, les trois hommes ont l’écoute du parole sur tous les sujets, des Jeux olympiques à l’as- colonnes, avant les « Questions au gouvernement ». Sans avoir rejoint le FLNC, a-t-il eu recours à des actions président de l’Assemblée, François de Rugy. « Tout le sainissement de l’eau, en passant par l’orientation des Pendant une suspension de séance, en septembre, violentes ? « J’ai une très mauvaise mémoire », fait mine de monde voit bien qu’il y a une aspiration en Corse pour aller étudiants. L’ancien professeur d’économie et de géo- Michel Castellani sent qu’on lui tape sur l’épaule. Il se s’excuser l’intéressé. Avant de concéder avoir déjà fait le plus loin vers un statut d’autonomie, explique-t-il. J’ai graphie, un « libéral social », a interrogé en janvier le retourne, se retrouve face au ministre de l’Intérieur, coup de poing contre des policiers : « C’est ordinaire ça, en toujours porté cela, depuis que je suis engagé en politique. » P.-D.G. de Renault et le directeur de la Banque de France Gérard Collomb. Les deux septuagénaires discutent Corse. C’est arrivé 50 fois. Pas parce que je suis méchant, Ce « régionaliste », comme il se définit lui-même, prend en commission des finances. Jean-Félix Acquaviva, pendant quelques minutes, avant de revenir dans l’hé- mais parce qu’il y a des motivations politiques. Moi, j’ai soin, quand il leur donne la parole dans l’hémicycle, de diplômé d’un DEA de sciences économiques, travaille micycle débattre du projet de loi antiterroriste. « Il faut envie, quand je me regarde dans une glace, de ne pas avoir prononcer leur nom à la Corse – avec l’accent tonique surtout sur les transports, dont il avait la charge au sein que je vienne en Corse, et que tu me donnes des leçons ! » honte. » Il garantit en revanche n’avoir jamais fait de sur l’avant-dernière syllabe. Il les a reçus en juillet, dans de la collectivité territoriale. Le médecin de campagne lui glisse en janvier le député LR des Côtes-d’Armor, séjour en prison : « Je suis considéré comme un mou. Je n’ai les salons de sa résidence, l’Hôtel de Lassay, avant qu’ils Colombani, qui continue d’exercer dans son cabinet le Marc Le Fur, remonté contre l’abandon du projet d’aéro- jamais foutu de bombes, parce que j’ai toujours pensé qu’un ne rencontrent le Premier ministre Édouard Philippe, lundi et le mardi, se consacre aux thèmes de santé et de port à Notre-Dame-des-Landes par le gouvernement. combat se gagne par les idées. » en août, à Matignon. « Il a avoué ne rien y connaître. Il a développement durable, dont il a rejoint la commission. « Je rencontre souvent mes collègues corses, je les aime beaucoup écouté, mais n’a rien dit », rapporte Jean-Félix beaucoup, confesse de son côté Richard Ferrand, le DÉDIABOLISATION Acquaviva. Malgré leurs différents sujets de prédilection, ils votent président du groupe majoritaire. Nos relations sont excel- Loin de ces décennies périlleuses, les trois députés Pour répandre ses idées, le trio répond à toutes les comme un seul homme les textes de loi. S’abstiennent lentes. » incarnent la mue du mouvement autonomiste vers sollicitations médiatiques. Il organise une réunion au moment d’accorder la confiance au gouvernement. la démocratie et veulent le faire savoir. Ils sont bien en novembre à l’Assemblée. Une vingtaine de leurs Soutiennent la fin de l’exploitation et de l’exploration « Ils sont en train de changer la vision des députés sur conscients qu’ils jouent ici une partie de leur crédibilité. collègues sont présents, dont les députés de la majorité des hydrocarbures. S’opposent à la réforme du Code la question corse, estime François Pupponi. Les élus Une opération aux allures de dédiabolisation. « Ne nous François-Michel Lambert et Claire O’Petit. En février, du travail et au projet de loi sur la confiance dans la voient bien qu’ils ne sont pas des fous furieux sectaires. » confondez pas avec Marine Le Pen. Notre nationalisme n’est ils sont auditionnés avec Gilles Simeoni et Jean-Guy vie publique, en désaccord avec la suppression de la Beaucoup restent indifférents, d’autres toujours pas identitaire », ont-ils expliqué aux insoumis Jean-Luc Talamoni par le groupe Nouvelle gauche (ex-PS), à l’ins- réserve parlementaire, une enveloppe de 130 000 euros méfiants, mais plus personne ne les considère comme Mélenchon, Alexis Corbière et Loïc Prud’homme, lors tigation du « cinquième député corse », leur ami François minimum par élu à distribuer à des communes ou de dangereux nationalistes. Pour « banaliser » leurs d’un déjeuner, pour éviter dans les esprits les analogies Pupponi. des associations. Leurs amendements sont presque revendications, ils s’apprêtent à organiser un colloque trop hâtives. toujours rejetés, mais ils font partie des 150 députés sur la réforme constitutionnelle. Faire de la pédagogie, COMME UN SEUL HOMME à en avoir déposé le plus, selon l’association Regard déminer, encore déminer le terrain. Au risque d’édulco- Le message semble compris. Lorsque Paul-André « Il faut être le plus présent, le plus efficace, le plus intel- citoyens. Désormais, Michel Castellani se targue de rer leurs principes fondamentaux ? « Je n’ai jamais trahi la Colombani dénonce en février « le culte féroce de la ren- ligent possible », résume Michel Castellani, même si cet figurer « parmi les plus connus de l’Assemblée ». « Tous mes cause ni ma pensée, assure Michel Castellani. Nous avons tabilité » et « salue », en citant Les Temps modernes de amoureux de sa ville ressent parfois à l’Assemblée « le collègues savent comment je m’appelle ! » à représenter des dizaines de milliers de gens qui nous Chaplin, la proposition du groupe La France insoumise mal du pays ». « Demain je pourrais être à Bastia et je serai font confiance. Des militants ont sacrifié leur vie, parfois (LFI) de reconnaître le burn out comme maladie profes- à Paris. Quel drame », soupire-t-il quand le vol retour « SACRIFICES » au sens propre du terme. » Et Paul-André Colombani sionnelle, Jean-Luc Mélenchon applaudit. « Bravo ! » lui affiche complet et l’astreint à rester plus longtemps Le vice-président de l’Assemblée nationale, Hugues prévient : « On n’est pas près de laisser notre place. » — lance-t-il, tandis que le député corse retourne à sa place, dans la capitale. Renson, lui a même demandé son numéro de téléphone.

93 94 VIS MA VIE DE DÉPUTÉ Un certain sens de l’amitié

ENQUÊTE

Lors de la précédente législature, des députés du GROUPE D’AMITIÉ FRANCE-SYRIE avaient fait parler d’eux en rencontrant Bachar el-Assad contre l’avis du gouvernement de Manuel Valls. Aujourd’hui présidé par un député LREM, Philippe Chalumeau, qui ne connaît pas la région, le groupe d’amitié s’est transformé en groupe d’études à vocation internationale qui tente prudemment d’exister. Enquête sur une amitié parlementaire toute particulière.

PAR JULIEN CHABROUT PHOTOS SOPHIE CARRÈRE

ardi 13 février 2018. La salle de projection mois plus tôt. Il succède à Gérard Bapt, ce qui n’est pas de l’Assemblée nationale se remplit petit à une mince affaire : l’ex-député PS de Haute-Garonne, M petit. Ce soir-là, le groupe d’études à vocation soutien du régime syrien, a marqué de son empreinte internationale (GEVI) France-Syrie de l’Assemblée le groupe d’amitié France-Syrie et détient le record du organise une projection-débat autour du documentaire nombre de déplacements en Syrie : pas moins de dix Les Derniers Hommes d’Alep, tout juste nommé pour les depuis 2002 d’après nos calculs, et ce en compagnie Oscars. Ce film réalisé par Feras Fayyad raconte la vie de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy ou encore François et l’engagement des Casques blancs syriens avant la Fillon… chute d’Alep en décembre 2016. Sept députés passent en coup de vent. Un seul reste du début à la fin : Philippe Comme son prédécesseur, Philippe Chalumeau est Chalumeau. « Le peuple syrien a assez souffert pour que médecin. Pour le reste, il n’a pas du tout le même profil. la communauté internationale prenne acte d’un échec Ce député de 54 ans « du Nouveau Monde » n’a jamais collectif et s’interroge sur ses méthodes », lance-t-il en mis les pieds au royaume de Bachar el-Assad et n’est lisant scrupuleusement son texte, comme s’il craignait pas un spécialiste de la région. Qu’est-ce qui a alors bien de commettre un impair. pu le pousser à prendre la présidence d’un groupe si sensible, demandée par plusieurs autres députés LREM Le discret député La République en marche d’Indre-et- de la commission de la Défense ? « Il y a une dimension Loire a pris la présidence du GEVI France-Syrie quelques humaniste », répond-il avec calme. Il ne lève que très

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rarement les yeux des notes qu’il a préparées pour notre 2008, quatre autres députés appartenant au GEVI « De mémoire, les chambres sont entretien. « Si je peux apporter une petite pierre à l’édifice, se sont déjà rendus au moins une fois en Syrie : Jean à 60 dollars pour les Syriens et ça serait bien. Je cherche surtout à être utile, mais j’ai bien Lassalle (non-inscrit), Xavier Breton (LR), Valérie Boyer conscience des limites. » Cet ancien militant du PS, un (LR) et Christian Hutin (Nouvelle gauche). Avec 28 140 dollars pour les étrangers. marcheur « de la première heure », comme il est fier de membres, dont 17 de la majorité, le GEVI France-Syrie Mais on ne payait pas, car c’était le souligner, veut surtout « retisser des liens dans cette connaît néanmoins un certain succès : il n’y en avait que pris en charge par l’association région sinistrée ». Groupe d’amitié jusqu’en 2017, France- 19 lors de la précédente législature. Syrie a changé de statut en même temps que l’Assem- qui nous invitait. » blée a changé de majorité : il est devenu un GEVI. Cela Les membres du groupe France-Syrie veulent d’abord THIERRY MARIANI relève plutôt du symbole politique, les GEVI disposant accumuler des connaissances sur le dossier syrien, pays des mêmes moyens administratifs et financiers qu’un frappé par une effroyable guerre civile : selon un bilan de groupe d’amitié. Ces derniers ont pour but de « tisser des l’Observatoire syrien des droits de l’homme de novembre liens entre parlementaires français et étrangers », selon la 2017, 340 000 personnes, dont 100 000 civils, ont trouvé la mort depuis 2011. Ils veulent focaliser leurs travaux définition de l’Assemblée. Autre définition, donnée pour Rencontre entre l’ex-député PS Gérard Bapt et des dignitaires le coup par un spécialiste du sujet, l’ex-député Les Répu- sur quelques sujets bien ciblés : l’aide humanitaire et la religieux chrétiens. blicains Thierry Mariani, membre de très nombreux sauvegarde du patrimoine. « Le GEVI France-Syrie doit groupes lors de la dernière législature : « Les groupes avoir un rôle d’information, écouter les différentes parties, d’amitié sont des structures qui permettent aux États montrer que la France est toujours présente et participer à d’identifier ceux qui s’intéressent à leur pays. » Et ainsi la reconstruction du pays », estime Reitzer. Se renseigner à certains régimes de mettre le grappin sur quelques plutôt que prendre position et se rendre en Syrie : voilà le députés afin qu’ils relayent leur message en France. mot d’ordre. « La question syrienne est très encadrée. C’est un sujet sensible, et je tiens à le traiter en plein accord avec « Je prends un GEVI et j’espère pouvoir restituer un groupe le président. Je ne veux pas prendre de décisions malheu- d’amitié à la fin de la législature », avance Philippe reuses, donc je veux consulter des spécialistes, souligne Chalumeau. « Ce n’est pas une rétrogradation ni une Chalumeau, conscient de ses responsabilités. Je ne veux sanction, c’est un état de fait », précise la députée LREM pas rajouter du fracas au tracas. Je ne veux pas amener de Carole Bureau-Bonnard, vice-présidente de l’Assem- confusion à une situation complexe. Je suis un facilitateur, blée et présidente de la délégation chargée des activités un catalyseur, un passeur, pas un attaquant. » internationales. Pour un autre membre du GEVI, le il fallait garder Signe de cette grande prudence, six membres du député LREM Guillaume Gouffier-Cha, « Visite de la mosquée des Omeyyades à Damas et du tombeau de Rencontre dans une école syrienne. On aperçoit les députés Gérard un lieu d’échange entre les deux peuples ». « Je préfère ce GEVI ont décliné notre demande d’entretien. « C’est Saint Jean-Baptiste. De face, Christian Hutin (Nouvelle Gauche). Bapt et Christian Hutin. statut de GEVI. Il marque une réserve de notre part, c’est un sujet compliqué et sensible », estime l’un d’entre eux. compréhensible », commente le député LR du Haut- Intéressé par le Proche et le Moyen-Orient, Guillaume les journalistes. » Précautionneuse, la nouvelle majorité Thierry Mariani incarne ces liaisons dangereuses. « À Rhin, Jean-Luc Reitzer. Le profond renouvellement du Gouffier-Cha, l’un des rares parlementaires à avoir espère éviter les dérives des précédentes législatures, où une époque lointaine, un certain Charles Pasqua m’avait Palais-Bourbon a donc aussi touché le groupe France- répondu, avance une explication : « C’est difficile de plusieurs députés de tous bords s’étaient servis de leur demandé de m’occuper des relations avec le parti Ba’ath. Syrie : Jean-Luc Reitzer est l’un des trois seuls députés, parler de ce sujet en ne sachant pas ce qu’il se passe. Il y étiquette de membres du groupe d’amitié pour consti- Je suivais la Syrie, l’Irak et aussi l’Égypte », explique l’ex- avec Jérôme Lambert (Nouvelle gauche) et Marc Le Fur a une matière inflammable très forte et la volonté de ne tuer un véritable lobby pro-régime syrien et multiplier député LR des Français de l’étranger, qui est allé cinq fois (LR), a en faire encore partie. Les députés qui ont leurs pas dire une bêtise. » Selon le député du Val-de-Marne, les déplacements en Syrie. Ils avaient parfois rencontré en Syrie en trois ans, la plupart du temps avec d’anciens entrées dans le pays de Bachar el-Assad sont désormais membre de la commission de la Défense, « aucune Bachar el-Assad en dépit de la rupture des liens diplo- collègues LR, comme en mars 2016. Sans sourciller, minoritaires. Outre Jean-Luc Reitzer et Jérôme Lambert, consigne n’a été passée, mais il y a une peur (des élus de matiques entre Paris et Damas et de la répression qu’il Mariani se réjouit de « la facilité » à se rendre en Syrie et qui sont allés en Syrie en septembre 2003 et en janvier La République en marche – NDLR) de la relation avec menait contre son peuple. explique avec gourmandise la marche à suivre. « Vous

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passez par la compagnie aérienne lettre au dictateur syrien dans pas aller en Syrie », témoigne « Les auteurs de l’attaque devant la justice interna- Transavia, on peut trouver des laquelle il écrivait : « Monsieur l’ex-président du groupe au gaz sarin du 4 avril 2017 tionale, et cela ne doit plus billets à 94 euros. Cela me coûte le Président, ce n’est pas en tirant d’amitié France-Liban, de jamais se produire (blanc de moins cher d’aller à Beyrouth sur le peuple qu’on peut résoudre 1981 à 1993, puis de 1997 à devront être traduits deux secondes) si possible ». qu’à Orange (ville du Vaucluse les problèmes. » Il n’a pas reçu de 2002. « Je n’y ai pas séjourné devant la justice internationale, dont il est natif – NDLR). Après, réponse... En août 2012, il signe sans avoir au préalable et cela ne doit plus jamais « Whip » de la commission sur place, il faut connaître le bon avec le député UMP Marc Le rencontré le Quai d’Orsay et de la Défense au sein du interlocuteur, le bon taxi honnête Fur une tribune dans Le Monde l’Élysée, qui étaient opposés se produire (blanc de groupe LREM à l’Assem- et pour 150 euros il vous amène à où ils qualifient le régime de à ce déplacement », confirme deux secondes) si possible. » blée, c’est-à-dire son chef de Damas. Le passage à la frontière « dictature » et se félicitent du Vial. file, et médecin généraliste, PHILIPPE CHALUMEAU n’est pas un problème quand vous soutien de la France à la résis- PRÉSIDENT DU GEVI FRANCE-SYRIE Chalumeau présente le bon avez un visa. Au total, le coût tance syrienne. Au Palais-Bourbon, les profil pour gérer ce groupe, d’un aller-retour Paris-Damas, critiques pleuvent contre estiment ses collègues. c’est 600 euros, grand max. » Mais Gérard Bapt, qui n’hésite cette équipée sauvage. « Ils « Nous n’avons pas de spé- Tout au plus, Mariani reconnaît pas aujourd’hui à pointer du sont allés jusqu’à rencontrer el-Assad. J’ai été choquée, cialiste de la situation locale dans notre groupe LREM, que « pour avoir un visa, il faut doigt « la décision américano- ce n’était pas digne des députés français de cautionner donc on cherchait une personne réputée sérieuse dans montrer patte blanche (avec le saoudienne, et sûrement israé- les pratiques du régime », persifle aujourd’hui l’ex-pré- la manière de conduire les travaux, précise Guillaume régime syrien – NDLR), il faut lienne, de déstabiliser le régime sidente PS de la commission des Affaires étrangères, Gouffier-Cha. On ne pouvait pas mettre quelqu’un qui qu’ils vous connaissent. » d’el-Assad en suscitant et en Élisabeth Guigou. Pouria Amirshahi, à l’époque membre ferait des déclarations à l’emporte-pièce tous les jours. » utilisant les manifestations » du groupe d’amitié, déplore lui aussi cette visite : « Aller Le sénateur LR Jean-Pierre Vial dit avoir « trouvé sym- Sur place, les parlementaires sont logés à l’hôtel Dama au début de la révolution, va vite retourner à Damas. en Syrie ne me pose pas de problèmes en soi. Les députés pathique qu’un jeune député décide de s’investir sur cette Rose. « De mémoire, les chambres sont à 60 dollars pour Il organise en février 2015 un déplacement qui restera ne sont pas les porte-parole du gouvernement, ils ont leur région, ce qui n’est pas forcément évident. Il est très ouvert les Syriens et 140 dollars pour les étrangers. Mais on ne gravé dans les mémoires : le premier voyage de parle- propre appréciation. En revanche, la faute politique grave et très volontaire ». Vial espère se rendre en Syrie dans le payait pas, car c’était pris en charge par l’association qui mentaires français depuis le déclenchement de la guerre est d’avoir rencontré el-Assad. Le faire, c’est cautionner le courant de cette année. Si la chambre haute l’acceptait, nous invitait », précise Mariani. Sans en être visiblement civile syrienne. La délégation comprend aussi le député régime. » ce serait alors le premier déplacement dans le cadre du gênés, les députés étaient donc reçus par le régime UMP Jacques Myard, et deux sénateurs : le président du groupe d’amitié au Sénat depuis 2009. À l’Assemblée, syrien, qui leur fournissait facilement un visa, mais groupe UDI-UC François Zocchetto et Jean-Pierre Vial, Aujourd’hui, Chalumeau n’a pas ce problème : le en revanche, la question ne se pose même pas. « Les aussi un traducteur et un chauffeur. « Il n’y a jamais eu qui se rend alors pour la quatrième fois en Syrie depuis marcheur est sur la même ligne qu’Emmanuel Macron. groupes d’amitié, ce n’est pas une diplomatie parallèle », de déplacement pris en charge par l’Assemblée en Syrie. 2009. Myard, Zocchetto et Vial rencontrent el-Assad Le 4 janvier, lors de ses vœux au corps diplomatique, le souligne à l’envi Chalumeau. « Personne ne pourra dire La Syrie n’était pas la grande tasse de thé de l’Assemblée », pendant plus d’une heure. En parlementaire averti, président précisait à nouveau la position de Paris : « En qu’il n’était pas au courant de l’impact d’un déplacement en regrette Gérard Bapt. C’est pourquoi jamais aucun secré- Bapt, lui, évite cet entretien. En France, la condam- Syrie, nous avons un ennemi : Daech. Nous sommes en Syrie. Si un député rencontre el-Assad, il le fera en son nom taire administratif de France-Syrie, ou fonctionnaire de nation de cette entrevue est immédiate. Le Premier passe de le vaincre. Le peuple syrien a un ennemi, il s’appelle propre », prévient de son côté Bureau-Bonnard. Pas sûr l’Assemblée chargé de l’intendance d’un groupe, n’ont ministre, Manuel Valls, dénonce « une faute morale ». Bachar el-Assad, mais il est toujours là. » Le message de que cela suffise à dissuader certains vieux briscards… — accompagné les parlementaires sur place. « Nous sommes restés une semaine en Syrie, mais on n’a l’exécutif sur le dossier syrien a été fidèlement rapporté parlé que de l’heure avec el-Assad », regrette Vial. par Chalumeau le 13 février à l’Assemblée. Au moment Mais il en faudrait bien plus pour décourager l’ancien même où l’aviation syrienne bombardait la Ghouta président du groupe. Voilà quelqu’un qui affirme avoir Élu pour la première fois lors du septennat de Valéry orientale, enclave rebelle à l’est de Damas et l’un des été « un petit peu sur la ligne de la condamnation du Giscard d’Estaing, en 1978, Bapt nous révèle que « les derniers bastions anti-régime du pays, le président du régime qui réprimait les manifestations » au début de députés socialistes ont été intimidés », afin de ne pas par- GEVI France-Syrie rappelait « l’intransigeance absolue de la révolution syrienne, en 2011. Avec l’ex-député PS ticiper à ce déplacement. « J’ai eu des pressions de la part la France sur l’emploi d’armes chimiques. Les auteurs de François Loncle, il a même envoyé à cette époque une de l’Élysée et du ministère des Affaires étrangères pour ne l’attaque au gaz sarin du 4 avril 2017 devront être traduits

99 100 VIS MA VIE DE DÉPUTÉ ADRIEN QUATENNENS « La politique me suivra toute ma vie »

PORTRAIT

C’est la star montante de La France insoumise et au-delà, de cette nouvelle Assemblée. Passé par les manifs anti- CPE, Attac et le NPA avant d’entrer dans le giron du Parti de gauche, le nordiste Adrien Quatennens, qui travaillait encore il y a quelques mois dans un call center d’EDF, a été saisi dès l’adolescence par la passion de la politique. Portrait.

PAR JULES PECNARD PHOTOS PATRICE NORMAND/LEEXTRA

101 102 ADRIEN QUATENNENS

Né en 1990 à , il a connu les premiers mouvements sociaux de sa ville à l’âge de 15 ans, lors des manifestations étudiantes contre le CPE. Dans la foulée, il rejoint Attac.

les écouter, tout se serait passé comme sur « Pas de députés LFI sortants, ça voulait aussi dire qu’il pas de communiquer sur Twitter. Mais je considère que que tout est lié, et surtout d’arriver à le conceptualiser. » des roulettes. « Je ne sais pas si c’est l’écrin de n’y avait pas de collaborateurs parlementaires sortants. » dans tout l’arsenal d’un politique, s’il n’a pas ça, il passe Avec, comme focale, la mondialisation néolibérale et À l’Assemblée nationale qui a déteint sur lui, mais Autrement dit, Adrien Quatennens a dû passer par à côté du goût du jour », tranche Adrien Quatennens. ses effets sur la vie concrète des « gens », comme dirait quelque chose a cliqué », exulte Alexis Corbière. Sur le l’école de la débrouille pour préparer son discours. L’élu rapporte ses discussions avec Jean-Luc Mélenchon Jean-Luc Mélenchon. papier pourtant, quarante-huit heures auparavant, le 7 au sujet de cet outil de masse : « Il me parle souvent de Charlotte Girard, en charge des questions program- juillet, tout était à faire. À peine âgé de 27 ans, Adrien Lorsqu’on l’interroge sur l’épisode six mois plus tard, l’époque où on imprimait des milliers de tracts, où on avait matiques à La France insoumise, explique pourquoi ce Quatennens vient de démarrer son tout premier mandat l’homme à la brosse rousse incandescente ne s’en émeut de l’encre jusque dans les trous de nez. Mais le problème passage chez Attac est une clé de lecture importante électif. Nous sommes un vendredi, dans les couloirs de pas outre mesure. Il a fait le job, comme le résume une du tract, c’est qu’on n’a aucun moyen de savoir s’il a été lu. du parcours de son jeune camarade : « C’est une école de l’Assemblée nationale, en plein cœur du débat autour dirigeante du mouvement à son propos : « Adrien est un Aujourd’hui, on peut mesurer l’impact relatif d’un tweet ou formation au sens propre du terme. On y valorise le savoir, de la loi d’habilitation permettant au gouvernement de bon soldat. » La recette Quatennens a le mérite de ne d’une vidéo. Ça me fascine de voir combien une publica- la compréhension de mécanismes complexes. Adrien a réformer le Code du travail par ordonnances. Le groupe pas compter pléthore d’ingrédients. Surtout quand le tion peut être virale. Et ça donne envie aux internautes de acquis une intelligence du système avant l’intelligence de La France insoumise (LFI) a choisi le député du Nord député de la 1ère circonscription du Nord a eu le temps creuser sur le fond. » À titre d’exemple, son discours du 10 du pouvoir. Ce n’est pas commun chez nos politiques. pour défendre, le lundi suivant, une motion de rejet de roder son approche lors des débats en commission. juillet a été vu plus de 171 000 fois sur YouTube. Aujourd’hui, ils sont absorbés avant tout par le seul prisme préalable du texte. Le jeune homme attise la curiosité « J’ai repris l’essentiel des arguments qu’on avait brandis électoral. » des rédactions dès son élection. Le 10 juillet 2017, après pour défendre nos dizaines d’amendements, en les rendant Avant de développer ce flair, il a fallu tout de même son passage à la tribune de l’hémicycle, la curiosité plus pédagogiques. Puis j’y ai ajouté quelques punchlines, apprendre les méthodes à l’ancienne. Tractage, porte- Parallèlement, le jeune militant fait notamment des monte d’un cran. pour que le propos soit percutant. » à-porte, rassemblements... Des techniques que l’élu maraudes pour le compte de la Fondation Abbé Pierre. du Nord a assimilées très jeune. Né en 1990 à Lille, il Le futur membre de la commission des affaires sociales « Les collègues m’avaient déjà vu à l’œuvre en commission « PUNCHLINES » a connu les premiers mouvements sociaux de sa ville du Palais-Bourbon commence à poindre dans les rues des affaires sociales. Ils m’ont dit : “Tu seras le mieux à Dans l’Ancien Monde, le terme suscite le dédain, tant à l’âge de 15 ans, lors des manifestations étudiantes de Lille, en ces années 2007-2008. « J’ai grandi dans la même d’en parler” », se rappelle l’intéressé. À l’époque, la il témoigne du glissement du discours politique vers la contre le Contrat première embauche (CPE). « En ce métropole lilloise. C’est à l’adolescence que je faisais mes bande de Jean-Luc Mélenchon entre au Palais-Bourbon vulgate publicitaire à l’américaine. L’intéressé l’assume temps, j’étais assez peu calé idéologiquement. Mais voir premières virées autonomes dans le centre-ville. J’y décou- dans un tumulte et un fracas qu’il convient d’adoucir. pourtant totalement. Il sait combien son mouvement, ces lycéens se rassembler, se structurer autour de reven- vrais la vraie pauvreté urbaine, les gens qui dorment par Pas question de passer pour de simples agitateurs, voire La France insoumise, doit son expansion et son implan- dications hautement politiques, ça me parlait », se rap- terre, dans la rue », se souvient-il. des « guignols » ou des « inconscients », comme certains tation dans les consciences à son efficacité sur les pelle-t-il. Dans la foulée, il rejoint Attac, association Cette conscience des inégalités sociales qui minent la élus de La République en marche ont pu les qualifier en réseaux sociaux. Un professionnalisme militant d’une altermondialiste qui, au milieu des années 2000, a le France est, depuis, son principal leitmotiv. Car Adrien début de mandature. ère nouvelle. Le Yin de gauche du Yang macroniste. vent en poupe. Adrien Quatennens y lit ses premières Quatennens n’a pas hérité de ses convictions. Son père « publications » militantes. Très doctement, chaque mot est cadre en ressources humaines chez EDF, sa mère Le jour J, les députés LFI lancent des regards légère- « Il est impératif de donner de la résonance à notre message. bien délimité, le dos droit, il nous rapporte son ressenti employée dans le secteur de l’optique. Ni l’un ni l’autre ment crispés vers leur camarade. Statufié en comman- Sinon, on prêche un peu dans le désert. Si j’ai une maîtrise de l’époque : « J’arrivais, petit à petit, à poser un diagnos- ne lui a transmis, du moins sciemment, la passion de deur, Jean-Luc Mélenchon surveille son poulain. Il faut des réseaux sociaux, elle s’appuie avant tout sur une bonne tic théorique sur tout un ensemble de choses, d’un point la chose publique. « Ce ne sont pas des gens particulière- réussir le test. Martine Billard, cadre du Parti de gauche appréhension du fond. C’est un canal de plus, pas un canal de vue aussi bien politique, économique que social. J’en ment politisés. Je sais que mon père a voté pour plusieurs et élue de 2002 à 2012, rappelle les circonstances : exhaustif. En commission, par exemple, je ne me permets tirais une vraie satisfaction. De pouvoir me dire, au fond, bords politiques différents au long de sa vie », raconte-t-il.

103 104 « Ce qui fait sens commun, c’est que l’on agit tous au service d’un programme. Et si on n’est pas d’accord avec ce programme, ce qui peut arriver, on fait autre chose. »

Avec cette certitude, toutefois : sa famille comporte des Nord, avec la placidité qui le caractérise lorsqu’il déroule grands-parents gaullistes. Un à-côté qui lui permet de le bréviaire mélenchonien. « constater » combien le logiciel économique du général de Gaulle ressemble à celui de La France insoumise. Un bréviaire que le jeune homme s’est savamment approprié, avec « beaucoup de travail et de méthode », Une telle analogie n’aurait pas été envisageable il y a selon Martine Billard. Éric Coquerel, député LFI de dix ans. Après Attac, Adrien Quatennens s’immisce Seine-Saint-Denis, le côtoie depuis les premières mezza voce dans le monde partisan. Le militant se années du Parti de gauche, fondé fin 2008 par Jean-Luc rapproche de la Ligue communiste révolutionnaire dont Mélenchon, après son départ en trombe du PS. « En tant le chef, Olivier Besancenot, est sa « première grande que coordinateur du PG, dont il était membre, j’ai eu l’occa- figure contemporaine ». Le jeune Lillois y voit un « parti sion de le rencontrer dans le Nord, de manière spontanée. creuset à vocation majoritaire » et commence à lire sa J’y ai tout de suite vu un militant de valeur, qui pige très doctrine. Toujours la lecture, la relecture, l’assimilation vite, doté d’un véritable esprit d’organisation. Avec, en rigoureuse des préceptes... Il garde un œil averti sur le plus, une maturité surprenante ; il fallait vérifier son âge processus de transformation qui amène l’organisation pour y croire », rapporte l’élu francilien. cofondée par Alain Krivine à être rebaptisée, en 2009, Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). Durant cette Les cadres du PG se souviennent ainsi d’un jeune homme période, Adrien Quatennens n’aura pas croisé directe- soucieux de comprendre – avec discrétion – les méca- ment Olivier Besancenot. Une occasion manquée, sans nismes du combat politique. Au moins trois membres doute, pour les trotskistes. de La France insoumise, sans que le mot ne leur ait été soufflé, voient en lui « une éponge », une machine à poser « Très vite, au moment de la création du NPA, j’ai vu que des questions et à en saisir les réponses avec talent. Éric le mouvement ne pourrait pas s’élargir. Tant au niveau du Coquerel ajoute : « Une fois que l’on a pris une décision col- socle théorique que des méthodes », observe aujourd’hui lective, il l’applique. C’est ça, un vrai militant. » le député. Notons que pour l’heure, le discours développé par La France insoumise comporte de fortes Cette obéissance, on peut la ressentir quand Adrien dissonances avec les tubes historiques du trotskisme Quatennens parle de Danièle Obono, collègue de français. Alors que le NPA et son ancêtre ont toujours groupe bousculée dans les médias pour ses proximités été génétiquement hostiles à la notion de frontière, anciennes avec les Indigènes de la République et ses LFI se revendique ouvertement d’un souverainisme ambiguïtés sur le communautarisme. Le député du Nord de gauche. « Nous croyons à l’Europe, mais à une Europe commence par la soutenir et réaffirmer la volonté de La des États-nations souverains, une Europe des peuples, qui France insoumise « d’être un grand parti populaire qui impose des rapports de coopération », développe l’élu du rassemble des sensibilités et des parcours différents ». Y compris avec des « nuances », sur des thèmes sensibles

105 106 ADRIEN QUATENNENS

« Adrien était en charge de ce qu’on nomme les “clients réclamants”, ceux qui appellent pour se plaindre. Donc, il faut savoir à la fois dialoguer et persuader. »

SYLVAIN, SON MANAGER CHEZ EDF

comme la laïcité. Mais la phrase suivante est plus son équipe rapprochée, qui constitue aujourd’hui son il snobe peu. S’agissant d’ailleurs du clivant polémiste Adrien Quatennens a dû s’installer précipitamment péremptoire : « Ce qui fait sens commun, c’est que l’on cabinet. Le député passe en revue avec eux le déroulé du du Figaro, l’insoumis salue volontiers sa « cohérence » dans la vie active. Après une scolarité sans faute, les agit tous au service d’un programme. Et si on n’est pas mois de janvier. « Pour les vœux, ce serait bien de préparer intellectuelle et la qualité de ses débats avec Jean-Luc choses ont tangué en deuxième année de licence d’éco- d’accord avec ce programme, ce qui peut arriver, on fait un discours fort. On va faire un peu de politique après le Mélenchon. « Dans l’opinion collective, Éric Zemmour nomie-gestion, fin 2009. L’élève studieux commence à autre chose. » creux de l’hiver, ça ne nous fera pas de mal », leur dit-il. représente la droite réactionnaire, nationaliste, et Éric décrocher. Les statistiques et les mathématiques de Naulleau le mec de centre gauche. Ce qui est drôle, c’est de la deuxième année ne l’intéressent guère. « Et puis, je Nous retrouvons le député au mois de janvier, dans sa Durant les fêtes de fin d’année, l’élu arpente les marchés constater que Naulleau nourrit une telle détestation de La vivais une passion amoureuse naissante qui, à l’époque, permanence située au cœur de Lille, rue Jean Sans Peur, de sa circonscription pour prendre le pouls chez les France insoumise qu’on en venait à réaliser dans nos dis- m’absorbait énormément », reconnaît-il. L’objet de cette où il prépare sa séquence de vœux pour l’année 2018. électeurs, sept mois après l’élection d’Emmanuel cussions, y compris en off, que Éric Zemmour nous avait passion est d’ailleurs toujours sa compagne. « Nous Dans la pièce principale, attenante à son bureau, le Macron à la présidence de la République. Il fait part bien plus “à la bonne” que son complice. » avons choisi tous les deux de chercher un emploi sans décor est sobre. Une quinzaine de photos encadrées de ses réflexions à son cabinet : « On a eu des retours terminer la licence. Mon père nous a conseillé de passer par orne le mur. On y voit essentiellement le jeune insoumis positifs, notamment dans le centre-ville, dans les marchés Ainsi va la réconciliation (très éphémère) du souve- une filière d’apprentissage pour travailler en entreprise. Au lors de sa campagne législative homérique, remportée qui sont notoirement plutôt tendance PS, voire centre droit. rainisme des deux rives. Cette tolérance de l’élu de la final, j’ai atterri chez EDF via un lycée professionnel, et ma avec 50 voix d’écart sur son concurrent macroniste, C’est bon signe. Les gens voient qu’on n’est pas des enragés, gauche radicale vis-à-vis des thèses réactionnaires est compagne chez Orange. » Christophe Itier. À l’évocation de ce souvenir, ses yeux qu’on fait un boulot sérieux, même quand ils ne sont pas beaucoup moins prégnante à l’Assemblée nationale. s’illuminent encore. Adrien Quatennens raconte la d’accord. Il faut vraiment que les référents locaux insistent Si Adrien Quatennens déclare discuter avec « tout le Depuis qu’il a été élu député, Adrien Quatennens soirée du premier tour, ses 19,38 % de suffrages face à là-dessus. » monde » sans souci, il reconnaît avoir beaucoup de mal bénéficie d’un détachement (non rémunéré) de la part un favori situé à 32,61 %. « On a célébré rapidement, puis, à franchir le pas avec les élus du Front national. « Je vais du géant énergétique français. Son dernier supérieur en dès une heure du matin, on s’est enfermés pour dresser le Puis vient la kyrielle d’invitations dans les médias radio leur serrer la main, mais ça n’ira pas beaucoup plus loin. » date parle d’un employé courtois, travailleur. « Il était en plan de bataille de l’entre-deux-tours. On a sorti les cartes, et télé, dont certaines doivent passer à la trappe, faute La gêne se fait sentir. Il est temps de passer à autre charge de ce qu’on nomme les “clients réclamants”, ceux on a quadrillé la circo. On a tracté jusqu’à l’épuisement. » de temps. Lorsqu’on devient un objet de curiosité, qui chose. Tout juste mentionne-t-il ses échanges de vues qui appellent pour se plaindre. Donc, il faut savoir à la Il le sait, les méthodes à l’ancienne ont du bon. Martine plus est « bon client », il faut faire le tri. Thomas Guénolé, ponctuels avec Sébastien Chenu, député FN du Nord et fois dialoguer et persuader », résume Sylvain, devenu Billard, fine connaisseuse de la géographie électorale, qui a mis de côté sa casquette de politologue adepte des collègue de la commission des affaires sociales. manager de l’intéressé en février 2017. précise : « Adrien avait beaucoup labouré le terrain plateaux pour rejoindre La France insoumise, est frappé pendant la présidentielle. Ça l’a aidé. Et sa victoire résulte par l’aisance de son camarade dans ce domaine. « Sa Le jeune élu préfère décortiquer les rapports de force Le jonglage avec la campagne présidentielle avait été aussi d’une bonne analyse de sa circonscription, qui maîtrise de la rhétorique est très impressionnante. Surtout qui opposent La France insoumise à La République prévu. « Il faisait deux journées en une. On ne le sollici- compte un électorat plutôt bobo. Il a su s’adapter, mettre en pour un politique de son âge. Il a assimilé les codes de l’au- en marche. L’idée d’y consacrer un petit ouvrage tait pas au-delà de ses horaires. Pour les législatives, il avant la fibre écologiste du programme de LFI. » Et, de fait, diovisuel aussi bien que les journalistes qu’il a face à lui. » commence d’ailleurs à le titiller sérieusement. De cette a sacrifié ses congés payés et son treizième. mois » Le rameuter des électeurs qui ne s’étaient pas déplacés au majorité, faite de cadres et de professions libérales, cadre d’EDF sait par ailleurs gré à Adrien Quatennens premier tour. En matière de sélection, Adrien Quatennens ratisse Adrien Quatennens dresse l’image d’un bloc décon- d’avoir préservé une frontière étanche entre son travail large. Du plateau de Ruth Elkrief sur BFMTV à l’émis- necté des réalités économiques. Dans ce bras de fer, il et ses activités politiques. « Il a vraiment fait la part des Sur la plupart des images qui demeurent de cette sion « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier, en sait que son origine socioprofessionnelle est un atout. choses. On ne parlait politique qu’en “afterwork”. Je ne suis épopée locale, Adrien Quatennens est accompagné de passant par « Zemmour & Naulleau » sur Paris Première, Conseiller clientèle chez EDF depuis quelques années, pas d’accord avec toutes ses idées, mais nos discussions

107 108 « Pour moi, la politique fonctionne comme un virus. Une fois qu’on a mis les doigts dedans, c’est compliqué de s’en extirper. Je pense que je ne me sentirais pas accompli si je faisais autre chose. Quelle que soit la forme, je pense que ça me suivra toute ma vie. »

étaient toujours intéressantes », reconnaît-il. Lors de son maximum de sa proximité avec Jean-Luc Mélenchon. discours du 10 juillet, Sylvain et ses collègues étaient Point de velléités d’émancipation à l’horizon. « Je veux devant leur poste. « Il nous a bluffés. On s’est dit : “Il a être très clair là-dessus. À l’échelle de ma vie, je considère vraiment passé un cap.” On était hyper fiers. » que c’est quelque chose d’exceptionnel de pouvoir être son compagnon de route. » La tutelle de ce chef assagi et Ce statut d’employé, il sait s’en servir. Notamment tanné par l’expérience procure au jeune élu une forme lorsqu’en décembre 2017, une militante macroniste le de plénitude politique. qualifie de « député call center » sur Twitter. Un flagrant délit de mépris de classe qui, loin de blesser Adrien Le souffle résiduel de la campagne présidentielle a Quatennens, éveille sa roublardise. Interrogé sur la permis à son frère d’armes du Nord, Ugo Bernalicis, séquence, il s’en amuse. « J’ai vu qu’un buzz commençait d’être également élu. Dans l’écrin feutré du palais à monter. On a attendu que ça gonfle, que ça soit relayé par Bourbon, les relations tendues entre insoumis et com- d’autres militants LREM. L’occasion idéale pour pointer munistes se sont apaisées. Députée PCF des Hauts-de- du doigt leur décalage par rapport au réel. Ça a tellement Seine, Elsa Faucillon en atteste et se réjouit de pouvoir marché qu’un administrateur du compte Twitter “Team travailler en bonne intelligence avec son jeune collègue Macron” nous a contactés pour se désolidariser de la LFI. « C’est quelqu’un qui ne traîne jamais à l’Assemblée. Il militante. » a toujours quelque chose à faire et de façon positive. Il a à cœur d’aider les autres. C’est surprenant pour quelqu’un qui Ces tactiques ne lui font pas oublier l’essentiel. L’homme n’a jamais été élu auparavant. Un premier mandat, ça peut a réalisé une forme de rêve, presque trop tôt. On sent faire péter un câble. » Mais elle tempère : « Après, il ne faut bien une pointe de regret lorsqu’il rappelle avoir signé la pas se leurrer : comme les autres membres de son groupe, il charte de LFI, qui engage ses députés à ne pas faire plus est porteur de cette ligne consistant à dire que tout ce qui a de deux mandats consécutifs. « Pour moi, la politique été fait dans le passé est à jeter aux oubliettes. » fonctionne comme un virus. Une fois qu’on a mis les doigts dedans, c’est compliqué de s’en extirper. Je pense que je ne Un cadre de La France insoumise, qui militait à la me sentirais pas accompli si je faisais autre chose. Quelle LCR dans les années 80, offre un ultime éclairage sur que soit la forme, je pense que ça me suivra toute ma vie. » les talents du député : « Ce n’est pas tant qu’Adrien est Si possible, au niveau national plutôt que local. précoce, ou plus intelligent que nous ne l’étions. C’est simplement qu’à l’époque, l’idée d’être aux manettes était À l’Assemblée nationale, Adrien Quatennens essaye inimaginable. Si vous vouliez vous recycler, il fallait être de ne pas se laisser griser. « Même si on n’est pas le absorbé par le PS et édulcorer ses convictions. Aujourd’hui, Parlement le plus doté d’Europe, on est dans les ors de un jeune comme Adrien se dit qu’il peut gouverner. On est la République, dans quelque chose d’assez confortable. antisystème, mais on s’inscrit dans le cadre institution- Pour qui serait un peu faible, les ingrédients sont dis- nel. » L’élu marque une pause. Puis d’ajouter : « Il est dans ponibles », avoue-t-il. Au-delà, il souhaite profiter au les murs. » —

109 110 VIS MA VIE DE DÉPUTÉ FRANÇOIS DE RUGY « Pour être respectée, l’Assemblée nationale doit être respectable »

ENTRETIEN

Nul ne peut dénier à François de Rugy une connaissance approfondie des rouages de l’Assemblée nationale, lui qui fréquente le palais Bourbon depuis vingt ans à divers titres. Mais le voilà maintenant président, et pas n’importe lequel : celui qui doit assurer une réforme constitutionnelle qui verra le nombre des députés chuter d’un tiers en 2022. Dans cette longue interview pour Charles, il répond précisément à tous ceux qui s’inquiètent d’un déficit démocratique dans la vie politique française. En revanche, rien ne dit qu’il passera la main à mi-mandat.

PROPOS RECUEILLIS PAR CÉSAR ARMAND PHOTOS SOPHIE CARRÈRE

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Reprenons les choses dans l’ordre. À l’automne 2016, « L’objectif est de livrer à ceux qui siégeront en 2022 ayant déjà exercé deux mandats de député – le premier une Assemblée nationale profondément transformée, dans l’opposition, le second dans la majorité –, je m’étais posé la question de savoir si je me représenterais avec 30 % de députés en moins, le non-cumul dans le temps, aux législatives. J’avais, d’une certaine manière, le le changement de la procédure législative… » sentiment que notre pays se trouvait dans une impasse politique. La majorité dont j’étais issu s’était choisi un candidat dont je ne partageais quasiment aucune des propositions. La candidature de Benoît Hamon illustrait une dérive gauchiste que j’avais précisément dénoncée Pourquoi avoir annoncé remettre en jeu votre moins, le non-cumul dans le temps, le changement de la dans un livre, quelques mois auparavant. On s’orien- mandat alors que la Constitution précise que c’est procédure législative… Ma mission est de préparer cette tait vers une énième confrontation artificielle entre pour la durée de la législature ? nouvelle Assemblée nationale. Pas pour moi, puisque deux camps plus occupés à cultiver leurs antagonismes Évidemment, la Constitution est la règle qui s’impose à j’ai d’ores et déjà décidé que ce troisième mandat serait ous avez découvert l’Assemblée nationale entre qu’à tenter de trouver des solutions concrètes et prag- toutes et à tous. Et son article 32 précise en effet que le dernier, appliquant à moi-même ce que je prône V 1997 et 2002 en tant que secrétaire général matiques aux difficultés du pays. Et tout cela, sous la le président de l’Assemblée nationale est élu pour la comme règle générale pour l’avenir. adjoint du groupe Radical, citoyen et vert. Imagi- menace de populismes dangereux... Si l’on se souvient durée de la législature. Il se trouve qu’au sein du groupe Une fois élu en juin 2017, vous avez consulté tous niez-vous à cette époque que vous en seriez un jour de la fin du quinquennat de François Hollande, les La République en marche, avec le président Richard vos prédécesseurs, de Mermaz à Bartolone. Que leur le président ? perspectives politiques n’étaient ni claires ni enthou- Ferrand, nous avons défini une règle : « Nous souhai- avez-vous demandé ? Qu’en avez-vous tiré ? J’ai effectivement découvert l’Assemblée nationale et siasmantes. La candidature d’Emmanuel Macron et tons qu’il y ait un bilan à mi-mandat de l’exercice des res- J’ai en effet souhaité, dès mon élection, consulter mes son fonctionnement comme collaborateur de groupe sa volonté de rassembler largement en dépassant les ponsabilités et éventuellement des changements ou des prédécesseurs à ce poste pour connaître leurs éventuels parlementaire. Contrairement à ce qu’en disent parfois clivages partisans traditionnels ont changé la donne. ajustements en fonction de ce bilan. » Cela ne signifie projets, les réformes qu’ils avaient pu mener à bien ceux qui n’ont jamais exercé cette fonction, c’est un vrai Lorsque je l’ai rejoint, les sondages ne le plaçaient pas pas qu’il faut abandonner si l’on pense que le bilan ou pas, ce qu’ils voyaient, avec le recul, comme chan- travail, très prenant, dans l’ombre des députés. J’ai eu au second tour de la présidentielle. Mais c’était pour moi est bon, mais il est sain de faire ce bilan à mi-mandat gements utiles… Cette démarche s’est révélée assez la chance de le faire à une époque où il y avait à la fois l’aboutissement naturel d’une réflexion entamée depuis devant les députés de son groupe et de s’assurer de féconde : même ceux qui l’ont été il y a longtemps, comme une alternance politique et une période de cohabitation. des années. leur confiance. Ceci rappelé, la fonction de président de Jean-Louis Debré ou Laurent Fabius, ont toujours un L’Assemblée nationale était alors au cœur du pouvoir. Comment vous y êtes-vous pris pour accéder à ce l’Assemblée est singulière, c’est la seule pour laquelle certain nombre de propositions – pas les mêmes d’ail- Je travaillais au service d’un groupe pluraliste dans poste ? la durée est fixée par la Constitution à cinq ans : toutes leurs – sur la façon de revaloriser le Parlement. Nous lequel siégeaient pour la première fois des députés L’idée a cheminé en moi. Sachant qu’il y aurait les autres – vice-présidents, présidents de commission, convergeons par exemple sur l’idée que la répétition écologistes. J’étais malgré tout à mille lieues de penser beaucoup de députés novices, j’ai pensé que mon expé- etc. – sont remises en jeu à chaque rentrée d’octobre. Il des mêmes arguments à chaque nouvelle lecture d’un que je pourrais, un jour, être président de l’Assemblée rience pourrait être utile à la fois pour présider, mais y a une raison simple à cela : le président de l’Assemblée texte en séance n’enrichit pas le débat démocratique, nationale. En revanche, en tant que président aussi pour transformer l’Assemblée. En revanche, je nationale ne doit pas être sous la pression des groupes, y alors que la revalorisation du Parlement nécessite des aujourd’hui, je n’oublie pas cette période. J’aurai été m’étais interdit d’en parler avant la fin des élections compris du groupe majoritaire, afin de pouvoir défendre lois claires, lisibles, compréhensibles, efficaces, dont successivement collaborateur parlementaire, député de législatives. Du reste, cela n’avait pas porté chance à le pluralisme et être le garant des droits de l’opposition. on vérifie régulièrement la bonne application et qui l’opposition, député de la majorité, membre d’un petit ceux qui l’avaient fait par le passé, en 2012 par exemple. C’est pourquoi il est de ma responsabilité d’inscrire mon atteignent leurs objectifs. Cela passe par davantage groupe, non-inscrit et membre d’un grand groupe. Cela Après les élections, j’ai donc officialisé ma candidature action dans la durée, sans préjuger de ce débat interne d’évaluation et de contrôle, ainsi qu’une autonomie me permet d’appréhender les multiples facettes de la en disant : « J’ai réfléchi à un certain nombre de réformes et au groupe majoritaire à mi-mandat. La transformation renforcée du Parlement vis-à-vis du gouvernement. réalité parlementaire. Tout cela m’est très utile dans ma de transformations de l’Assemblée avec un programme de de l’Assemblée nationale que j’ai engagée et sur laquelle Plus généralement, quelle est votre conception fonction actuelle. travail. C’est sur cette base que je me présente devant vous, j’ai été élu par mes pairs va nécessairement se faire de la fonction ? De quand date votre envie d’accéder à cette députés du groupe majoritaire dont je suis issu, mais aussi sur l’ensemble du mandat. L’objectif est de livrer à Mon rôle est de présider et de transformer l’Assemblée fonction ? devant l’ensemble des députés. » ceux qui siégeront en 2022 une Assemblée nationale nationale avec autorité et sens du dialogue avec tous profondément transformée, avec 30 % de députés en les groupes. L’existence d’une majorité nette, gage d’une

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« Ce renouvellement des visages implique le renouvellement des pratiques. L’immense majorité des députés aspire à sortir des vieilles routines, de la prime à l’obstruction et des postures stériles. »

stabilité politique, est parfaitement compatible avec le semaine parlementaire, la prise en compte du handicap respect des droits de l’opposition, et même leur renfor- dans le fonctionnement de l’Assemblée nationale ou cement. Présider l’Assemblée nationale, c’est garantir le l’introduction d’une dimension participative dans l’éla- bon déroulement des débats, ce qui implique notamment boration de la loi. de faire respecter les temps de parole de chacune et de Avec le non-cumul des mandats, faut-il générali- chacun, députés comme ministres. On peut être tour ser les ateliers législatifs citoyens ou les conseils de à tour critiqué par les oppositions et par la majorité, circonscription ? mais c’est le principe fondamental de fonctionnement J’incite fortement mes collègues à le faire, comme je l’ai d’une Assemblée. Et en même temps, je suis le président fait moi-même lors de mes deux précédents mandats. d’une Assemblée profondément renouvelée. Ce renou- Certains de mes collègues ont d’ailleurs consulté des vellement des visages, qui n’est pas seulement le fait constitutionnalistes pour institutionnaliser le format. des groupes de la majorité au demeurant, implique le Dans ces assemblées locales législatives, ateliers renouvellement des pratiques. L’immense majorité des législatifs de circonscription ou assemblées locales de députés aspire à sortir des vieilles routines, de la prime citoyens, l’objectif reste le même : les citoyens pour- à l’obstruction et des postures stériles. L’Assemblée doit raient non seulement interpeller les députés sur ce qui être un lieu de débat, mais aussi de décision. La trans- est décidé à l’Assemblée nationale, mais aussi contri- formation est également celle de l’Assemblée nationale buer en amont. Je crois qu’il faut ouvrir ces espaces et, elle-même, avec les chantiers que j’ai initiés, placés sous pourquoi pas, les inscrire dans la Constitution. Quoi l’égide du Bureau : le statut des députés, les conditions qu’il en soit, il aurait fallu davantage anticiper le non- de travail, le statut des collaborateurs, la participation cumul, effectif aujourd’hui. Au début, beaucoup de gens des citoyens, la procédure législative, le développement n’y croyaient pas, car lorsque la loi a été votée, elle n’a durable... Toutes ces questions doivent être revisitées. pas été mise en application immédiatement. Or je pense Nous travaillons collectivement à une Assemblée que les citoyens aspirent à participer à la fabrication nouvelle, plus moderne et plus efficace. À ce titre, mon et à l’évaluation de la loi, à des degrés divers et à des rôle s’apparente à celui de chef d’orchestre. L’Assemblée moments différents, sur des sujets variés. J’ai toujours va poursuivre sa transformation, dans la durée. Tous défendu cette idée de démocratie participative, car elle les sujets doivent être abordés, avec une méthode : des n’est pas en opposition avec la démocratie représenta- séquences de six mois, pendant lesquelles les groupes tive. La démocratie représentative qu’incarne l’Assem- de travail qui représentent toutes les sensibilités poli- blée doit s’enrichir de la participation citoyenne. tiques formulent des propositions. Ils viennent ainsi Et pourtant le travail parlementaire reste peu d’entamer un nouveau cycle de réflexions et d’échanges médiatisé. Comment le rendre davantage visible, sur des thèmes aussi concrets que l’organisation de la

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du jour et organiser les débats. Elle prend aussi des « Comme cela existe déjà avec le Bundestag allemand, décisions comme la création de missions d’information nous développerons, avec les députés qui le souhaitent, et d’autres outils qui permettent ensuite de mener un vrai travail de fond, comme l’évaluation et le contrôle des partenariats avec d’autres parlements. Un parlementaire de l’action du gouvernement et des services de l’État. pourrait ainsi partager, une semaine par an, Le Bureau est, lui aussi, une instance pluraliste au sein la vie d’un de ses voisins et l’accueillir à son tour de laquelle tous les groupes politiques sont représen- tés à la proportionnelle, où l’opposition peut avoir des à l’Assemblée nationale et en circonscription. » responsabilités de vice-président de l’Assemblée ou de questeur. C’est vraiment le lieu de décision sur tout le comme pour le Conseil constitutionnel ou le CSA. Je les solutions, elles, diffèrent. Cela peut être instructif de fonctionnement interne, la gestion matérielle, mais souhaite également promouvoir la féminisation dans s’inspirer des transformations engagées dans d’autres aussi sur toutes les questions de déontologie, le respect toutes les instances où il n’y a pas une représentation parlements, comme en Grande-Bretagne par exemple. du règlement… Je veille à ce que ce soit la plus haute paritaire femmes-hommes. Par exemple, pour avoir des L’Assemblée nationale peut aussi s’exprimer sur des notamment celui en commission où les projets de loi autorité de décision de l’Assemblée. Notre règlement candidatures féminines à la Caisse des dépôts et consi- questions internationales comme le 22 janvier dernier, sont amendés ? fait d’ailleurs plusieurs fois référence à l’expression : gnations ou à la Banque de France, je n’ai pas hésité à où j’ai pris l’initiative avec le président du Bundestag, Le principe de la transparence des débats doit guider « Sous l’autorité du Bureau… » C’est pourquoi j’ai pris l’ini- relancer un appel public à candidature. Je vais continuer Wolfgang Schäuble, d’avoir une proposition de résolu- l’institution. Certes, il peut y avoir des exceptions, avec tiative de clarifier les choses en matière de décisions jusqu’à la fin du mandat sur ces fondements-là. tion commune, appellant à un nouveau traité franco- des réunions à huis clos, notamment sur les questions budgétaires, matérielles et financières. Irons-nous À quoi sert la politique diplomatique du président allemand : son texte a été soumis au débat et au vote le de défense et de sécurité, mais la publicité des débats également vers la publicité de ces débats internes ou de de l’Assemblée ? même jour dans les deux assemblées en Allemagne puis est au fondement même d’une assemblée démocra- ces votes en Bureau ou en Conférence des présidents ? J’avoue que j’avais moins perçu cet aspect de la prési- en France, à l’occasion du 55ème anniversaire du traité tique. À défaut, les citoyens ne pourraient pas savoir C’est une réflexion qui est en cours, mais il n’y a pas de dence de l’Assemblée nationale quand j’étais député. Ce de l’Élysée. Sur d’autres sujets comme le Brexit, nous ce que leurs députés prennent comme positions. Je suis consensus à ce sujet. En revanche, depuis le 24 janvier n’est pas une diplomatie parallèle à celle du président de avons une mission d’information de suivi des négo- frappé de voir qu’un certain nombre de débats en com- 2018, les présences de chacun des députés qui en sont la République et du gouvernement – ce serait malsain, ciations. Nous travaillerons sur les futures relations mission, retransmis en direct, sont très suivis, y compris membres, les relevés de décisions et le résultat des votes compte tenu des prérogatives de l’exécutif prévues dans franco-britanniques et nous pourrions être amenés, par les journalistes. Nous allons sans doute accentuer lorsque les décisions ne sont pas prises par consensus la Constitution. Mais c’est utile, car beaucoup de prési- au terme du processus, à avoir une démarche de même cela avec des commissions qui seront, sur certains sont désormais disponibles sur le site de l’Assemblée dents d’assemblées, mais aussi des chefs d’État et de nature qu’avec l’Allemagne. sujets, davantage décisionnelles. Si vous avez des lois, nationale. Il était nécessaire de rendre plus transpa- gouvernement souhaitent être reçus à l’Hôtel de Lassay. Cela ne fait-il pas doublon avec les groupes examinées en commission, et dont seul le vote final rentes ces instances. Mais il ne faut pas non plus tomber On n’en a pas toujours conscience en France, mais il faut d’amitié ? intervient en séance, eh bien, les commissions auront dans des mesures d’affichage qui, sous couvert de trans- savoir que le prestige de notre pays à l’étranger est grand Les groupes d’amitié permettent essentiellement aux davantage de poids et seront encore plus suivies. Il parence, viendraient polluer la qualité de nos échanges et s’est accru depuis la dernière élection présidentielle. députés d’échanger sur les relations bilatérales entre faudra s’en donner les moyens. Reconnaissons au Sénat et le bon déroulement de ces instances. J’y consacre donc du temps. Les échanges diplomatiques la France et le pays concerné. C’est complémentaire. Le qu’il est plus dynamique que l’Assemblée en matière Comment concevez-vous votre pouvoir de nomi- sont aussi l’occasion de confronter les expériences président du groupe d’amitié France-Allemagne a ainsi de communication, y compris sur les réseaux sociaux. nation ? parlementaires, de nourrir les projets de réformes de été le premier à échanger avec son homologue d’outre- L’Assemblée s’est un peu reposée sur ses lauriers sur ce Dès septembre, je me suis engagé à publier des appels l’Assemblée. Comme cela existe déjà avec le Bundestag Rhin et leurs travaux ont largement inspiré la relance sujet. publics à candidature pour toutes les nominations de allemand, nous développerons, avec les députés qui le de nos relations avec le Bundestag et la résolution De la même façon, personne ne connaît le fonc- personnalités qualifiées, qui sont de la responsabilité du souhaitent, des partenariats avec d’autres parlements. appelant à un nouveau traité de l’Élysée. tionnement du Bureau et de la Conférence des pré- président de l’Assemblée. Cette mesure, pour davantage Un parlementaire pourrait ainsi partager, une semaine Quelles premières mesures allez-vous mettre en sidents : seront-ils un jour ouverts à la presse ? de transparence dans les nominations, est désormais par an, la vie d’un de ses voisins et l’accueillir à son tour place dans le cadre des rendez-vous des réformes ? La Conférence des présidents, où siègent les prési- appliquée et a été mise en œuvre à plusieurs reprises à l’Assemblée nationale et en circonscription. Nous Des mesures sont déjà mises en œuvre, comme la fin dents des groupes politiques et de commission, se ces derniers mois. Je le ferai aussi pour des nominations retrouvons finalement, peu ou prou, les mêmes problé- de la gratuité SNCF pour les députés honoraires, l’ali- réunit toutes les semaines pour décider de l’ordre qui bénéficient d’une plus forte visibilité médiatique, matiques dans à peu près toutes les démocraties, mais gnement de l’allocation chômage des députés sortants

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« Ce n’est pas l’envie qui manque, mais à ma place, je ne participe plus aux débats dans l’hémicycle. C’est parfois frustrant, parce que c’est l’essence même du travail d’un député. Quand j’entends certaines choses, cela me brûle les lèvres de répondre. »

sur le droit commun, la fin du régime spécial de retraite me suggérait récemment que certaines de ces séances des députés, le contrôle des frais de mandats sur jus- soient réservées à l’interpellation du gouvernement tificatifs ou encore la revalorisation de 10 % du crédit sur la base d’un rapport d’une commission d’enquête ou collaborateur. Toutes ces mesures sont en vigueur et, d’un travail d’évaluation et/ou de contrôle, et au cours pour certaines, depuis plusieurs mois déjà ! Le Bureau a desquelles le Premier ministre serait obligé de répondre également acté fin janvier toute une série de mesures pour engager le gouvernement. Là-dessus, je pense sur la base des premières propositions formulées par les que nous pourrions trouver un accord avec plusieurs groupes de travail. Elles seront mises en place au fur et à groupes. Il est donc tout à fait possible d’envisager des mesure. Pour faciliter la transparence de nos travaux, le évolutions tout en gardant ce principe d’interpellations Bureau a ainsi créé une nouvelle catégorie de personnes directes et sans filtre toutes les semaines. qui disposera d’un accès permanent à l’Assemblée : les Partie la plus visible de l’hémicyle, vous observateurs qualifiés, c’est-à-dire les organismes qui définissiez le perchoir dans votre livre comme « une se sont donné pour raison sociale de suivre et évaluer cage » : « Le président ne peut faire la moindre déclara- l’activité des parlementaires, mais qui ne sont pas tion sur le fond des débats et doit se contenter de veiller des organes de presse, ainsi que les universitaires qui à leur bon déroulement et au strict respect du règlement, conduisent des travaux spécifiques sur le Parlement. évidemment sujet à d’amères batailles d’interpréta- Comptez-vous revoir les questions d’actualité au tion. » Êtes-vous toujours d’accord avec cette défini- gouvernement ? tion ? Il n’est pas dans mes intentions de les réduire à une Plus que jamais ! Je valide cette définition, et c’est séance par semaine, comme le permettrait la Consti- d’ailleurs ce à quoi je m’astreins depuis mon élection. tution, encore moins de les supprimer ! L’existence Ce n’est pas l’envie qui manque, mais à ma place, je de deux séances est un bon moyen d’interpellation ne participe plus aux débats dans l’hémicycle. C’est directe du gouvernement par les députés de la majorité parfois frustrant, parce que c’est l’essence même du comme de l’opposition. La formule actuelle peut être travail d’un député. Quand j’entends certaines choses, améliorée, tout en mettant de côté le vrai problème du cela me brûle les lèvres de répondre et d’argumenter, chahut et d’une mise en scène qui nuit, à mon sens, au mais je me l’interdis, car la neutralité du président est bon déroulement des séances, à leur pertinence, voire ce qui permet d’assurer la bonne tenue des débats et le à l’image de l’Assemblée. Au lieu de 15 questions de respect des règles. J’ai avant tout un rôle d’arbitre au deux minutes et de 15 réponses de deux minutes, on sein de l’hémicycle, même si j’ai découvert que certains pourrait avoir des questions plus courtes, mais avec de mes prédécesseurs, comme Édouard Herriot sous un droit de réplique des députés après la réponse du la ivème République, descendaient du perchoir pour ministre. Un ancien président de l’Assemblée nationale participer au débat et faire un discours. En ce sens, si j’ai

119 120 FRANÇOIS DE RUGY récemment signé la proposition de résolution franco- soustraient. Pour être respectée, l’Assemblée nationale « Désormais, les députés sont tenus de tenir allemande, je m’interdis de cosigner des propositions de doit être respectable. Le statut de suppléant est un sujet une comptabilité et seront contrôlés sur justificatifs loi ou même des amendements. Après, comme tous les de réflexion à part entière, et donc de travail. Un groupe présidents de l’Assemblée, je suis régulièrement critiqué de suppléants En Marche ! s’est d’ailleurs structuré – de façon aléatoire et au minimum une fois par mandat par tel ou tel député dès que celui-ci s’estime maltraité. c’est la première fois que j’entends parler d’une telle ini- par la déontologue ! Après, faut-il aller plus loin ? Si on regarde les chiffres, qui sont quand même une tiative – et souhaite faire des propositions dans le cadre On peut y réfléchir. » façon d’objectiver les choses, le temps de parole de l’op- des Rendez-vous des réformes 2017-2022. Comme je le position est très supérieur à celui de la majorité dans dis souvent, il n’y a pas de sujets tabous par principe. nombre de débats. Cela signifie que les « petits » groupes Toutes les propositions sont les bienvenues et méritent ont un temps de parole très au-delà de leur poids au sein d’être étudiées et débattues. En revanche, je le dis dès une pierre utile à apporter à l’édifice du contrôle et de pation citoyenne. 70 députés, de tous les groupes poli- de l’hémicycle. à présent, nous ne pourrons pas avoir de suppléants l’évaluation que je souhaite renforcer. tiques, ont été mobilisés et ont participé à ce travail, qui Vous avez toujours plaidé pour le vote obliga- qui viendraient voter à la place des députés. Là où la Qu’adviendrait-il de la motion de défiance a été intégralement public. Plus d’une centaine d’heures toire. Faut-il l’instaurer pour les députés ? Et pour- question pourrait se poser, ce serait en cas d’absence constructive que vous évoquez dans Écologie ou de réunions, 160 personnes auditionnées, et plusieurs raient-ils être remplacés par leur suppléant le cas prolongée et justifiée, par exemple lors de congés gauchisme, il faut choisir ! ? milliers de citoyens contributeurs. Le moins que l’on échéant ? maternité ou paternité, ou en cas d’arrêt maladie de C’est une proposition inspirée de la Constitution puisse dire, c’est que l’Assemblée nationale a pris ses J’ai rappelé récemment quelles étaient les règles prévues longue durée. allemande. En Allemagne, les députés qui déposent une responsabilités sans tarder ! J’ai moi-même consulté par l’Assemblée nationale et les sanctions encourues Vous avez adressé deux questions écrites à la motion de censure doivent dire quel est leur candidat les anciens présidents de la République, de l’Assemblée par les députés en cas d’absentéisme répété et non ministre des Solidarités et de la santé, comme le au poste de Premier ministre si jamais la motion est nationale, et des constitutionnalistes. Et en ces lieux, justifié, que ce soit en commission le mercredi matin ou ferait n’importe quel député. N’est-il pas plus simple adoptée. Je trouve que c’est un mécanisme de transpa- je constate tous les jours que les députés, de toutes lors des votes solennels dans l’hémicycle. Ces sanctions d’en parler directement avec Agnès Buzyn ? Quels rence et de responsabilisation. Mais c’est une position tendances, mesurent pleinement l’attente de nos conci- sont prévues depuis 1994 pour la participation aux sont vos liens avec l’exécutif ? personnelle, que le groupe de travail de l’Assemblée qui toyens sur la question démocratique, tout comme les votes solennels et depuis 2009 pour la présence en Les deux questions écrites que vous évoquez ont été a formulé des propositions pour la réforme de la Consti- dysfonctionnements et les lourdeurs de notre procédure commission. Au-delà d’un certain nombre d’absences posées avant mon élection à la présidence de l’Assem- tution n’a pas retenu à ce stade. législative. Loin de les faire se couler dans le moule, leur non justifiées, des sanctions financières sont appli- blée. Comme mes prédécesseurs, je n’en poserai plus Où en est-on de la proportionnelle aux législa- détermination à transformer l’Assemblée nationale est quées par les services de l’Assemblée nationale. Le maintenant que je suis élu. Et pour répondre à votre tives, que vous avez toujours défendue ? plus forte encore aujourd’hui qu’au lendemain de leur rôle des députés est avant tout de voter la loi. Je suis question, évidemment que je parle avec les ministres ! Diminuer le nombre de parlementaires de 30 % et élection. donc déterminé à ce que ces règles soient appliquées. Je les rencontre individuellement, au fur et à mesure du instaurer une dose de proportionnelle sont à l’ordre La transparence des frais de mandat n’est pas Publier ces données de présence est la seule manière de programme législatif. Il m’arrive aussi d’échanger avec du jour de la réforme constitutionnelle. Le chantier non plus à l’ordre du jour. Le regrettez-vous ? démontrer, de façon objective et incontestable, l’enga- eux sur le fond de leur politique afin de leur demander a été ouvert avec volontarisme par le président de la Ce n’est pas exact. Nous avons avancé sur le sujet gement des députés. Depuis le début de cette législa- un éclairage sur un point précis, généralement sur République en juillet dernier, et c’était une proposition de la transparence des frais de mandat. Désormais, ture, il y a quatre fois moins de députés régulièrement l’application de la loi. Les questions écrites sont une portée par les candidats de La République en marche les députés sont tenus de tenir une comptabilité et absents en commission que lors de la législature pré- manière utile d’interpeller le gouvernement, à disposi- lors des élections législatives. La préparation de cette seront contrôlés sur justificatifs de façon aléatoire et cédente. Le nombre de députés qui ne respectent pas tion de tous les députés : elles doivent être mieux valo- réforme constitutionnelle est atypique, car contrai- au minimum une fois par mandat par la déontologue ! leur obligation de participation aux votes solennels risées. Nous allons donc modifier les règles pour que rement à d’autres initiatives souvent avortées, elle Après, faut-il aller plus loin ? On peut y réfléchir. est passé de 72 à 3 entre la période d’octobre 2016 à les ministres, qui continuent à avoir un taux de non- est confiée dès sa phase de préparation au Parlement. Avec moins de députés, pensez-vous toujours février 2017 et la session actuelle. Le faire savoir, c’est réponse trop important, répondent dans des délais rai- C’est un choix du président de la République et c’est un qu’il faille augmenter le crédit collaborateur ? défendre l’institution et valoriser le travail des députés. sonnables. J’envisage, par exemple, de recourir au « name signal important qu’il a adressé aux parlementaires. Le Les collaborateurs des députés sont un maillon Et on ne peut le faire savoir sans appliquer les sanctions and shame ». Lors des séances des questions d’actualité 13 décembre 2017, l’Assemblée nationale a ainsi rendu essentiel du fonctionnement de notre assemblée. Ils à ceux – ultra-minoritaires – qui ne respectent pas notre télévisées, nous pourrions dire : « M. le ministre, je tiens à publiques plus de 60 propositions constitutionnelles en sont les chevilles ouvrières. Leur travail est plus règlement. Les Françaises et les Français qui nous ont vous dire que vous avez laissé sans réponse les questions concernant le statut des députés, la procédure législa- que précieux aux députés. Il faut aussi regarder ce qui élus ne comprendraient pas que leurs représentants s’y écrites de M. le député X et de Mme la députée Y. » Ce serait tive, l’évaluation des politiques publiques ou la partici- se passe dans les parlements étrangers : si on prend le

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« Le refus de la transparence sur les embauches de collaborateurs de députés a amené à l’interdiction pure et simple de recruter des collaborateurs qui avaient un lien familial avec le député, alors que pour beaucoup d’entre eux le travail était réel et rémunéré normalement. »

cas de l’Allemagne ou des États-Unis, les députés sont que pour beaucoup d’entre eux le travail était réel et bien mieux dotés qu’en France. Aujourd’hui, un député rémunéré normalement. Maintenant que la loi a été a en moyenne deux ou trois collaborateurs. Une reva- votée en juillet dernier, mon rôle est de la faire appliquer. lorisation du crédit collaborateur permettrait à ceux Personne n’a été pris par surprise, puisque cette mesure qui le souhaitent d’en embaucher de nouveaux ou avait été annoncée par Emmanuel Macron et reprise de mieux rémunérer ceux déjà présents. Nous avons à leur compte par les candidats de La République en d’ailleurs augmenté ce crédit de 10 % cette année. marche lors des élections législatives. Le nouveau dis- C’est un effort important : 50 millions d’euros sur la positif, voté l’été dernier, pose ainsi l’interdiction pour législature, sans modifier la contribution de l’État au un député d’embaucher un membre de sa famille. Il fonctionnement de l’Assemblée. Et il faudra aller plus pose aussi des obligations, notamment en matière de loin, dans la perspective de la réduction du nombre de transparence. Lorsqu’un député embauche le membre députés, qui devra permettre de renforcer les moyens de de la famille d’un autre député, ce qui est tout à fait chaque député. Je n’ai pas peur de le dire : la démocratie légal, il est tenu de déclarer cette situation à la déonto- a un coût. logue, et elle est ainsi connue de tous. J’ajoute à cela que Sous le précédent quinquennat, vous ne vous la liste des collaborateurs parlementaires est désormais disiez « pas favorable à une interdiction absolue pour publique, puisqu’elle peut être consultée sur le site un député de recourir aux services professionnels de de l’Assemblée nationale. Le « vivons cachés, vivons membre de sa propre famille ». Pourquoi avez-vous heureux » qui a trop longtemps prévalu, et qui nourrit changé d’avis ? Comment l’avez-vous justifié auprès l’antiparlementarisme ambiant, c’est terminé ! de vos amis comme François-Michel Lambert qui a Pour finir, que faites-vous de votre temps libre ? médiatisé le licenciement de sa compagne ? Quand on fait de la politique, les loisirs sont la première Trop souvent, ces dernières décennies, la représenta- chose que l’on sacrifie. J’essaye néanmoins de préserver tion nationale n’a engagé, pour elle-même, des transfor- du temps en famille et avec mon épouse. Pendant les mations que lorsqu’elle y était acculée par la pression vacances, je privilégie souvent le bord de mer – l’été extérieure, notamment médiatique. Or, l’illusion du dernier, je me suis partagé entre l’île d’Ouessant en confort qu’offre l’immobilisme en politique ne dure qu’un Bretagne et Toulon dans le Var. J’aime toutes les activités temps. En ce qui concerne les emplois dits « familiaux », en lien avec la mer, notamment la pêche. Tout au long les députés l’ont appris à leurs dépens : tôt ou tard, les de l’année, pour les quelques soirées et week-ends qui atermoiements et les réformes trop longtemps différées restent libres, j’essaye de m’aérer l’esprit par des visites mènent à une impasse. Le refus de la transparence sur d’expositions – je recommande d’ailleurs « Peintures les embauches de collaborateurs de députés a amené à des lointains » au musée du quai Branly –, des sorties l’interdiction pure et simple de recruter des collabora- cinéma, quelques lectures, et des soirées séries télé – j’ai teurs qui avaient un lien familial avec le député, alors beaucoup aimé The Crown. —

123 124 VIS MA VIE DE DÉPUTÉ LES « PILIERS » DES QUATRE COLONNES

REPORTAGE

Quel est le point commun entre Alexis Corbière, Louis Aliot et Jean-Frédéric Poisson ? Tous les trois font partie du XV PARLEMENTAIRE, l’équipe de rugby qui réunit députés et sénateurs dans leur amour un peu rouillé du ballon ovale. Une affaire on ne peut plus sérieuse puisque, depuis la fin des années 80, cette formation dispute chaque année son propre Tournoi des 6 nations. Avec toujours une rencontre qui réclame un bon coup de « fourchette » : le match France- Angleterre.

PAR PASCAL MATEO PHOTOS ÉDOUARD JACQUINET ontreuil, samedi 3 février au matin. Il fait un temps à ne pas mettre un rugbyman dehors. M Ils sont pourtant une quarantaine à sortir des vestiaires du stade Robert Barran, en short et en crampons.

Quelques heures avant le match France-Irlande, organisé au Stade de France dans le cadre du Tournoi des 6 nations, le xv Parlementaire français affronte en effet son homologue irlandais, le Dail & Seanad xv. L’assistance, aussi clairsemée que passionnée, doit se

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L’histoire du xv Parlementaire débute à la fin des années 1970, à la buvette de l’Assemblée nationale, derrière laquelle officie alors un certain Bernard Durand, serveur de son état.

rendre à l’évidence : ces joueurs sont, pour la plupart, et, compte tenu de la pyramide des âges, les députés des députés et des sénateurs français. « Le xv Parlemen- sont surreprésentés par rapport aux sénateurs. La parité, taire permet à des mordus de ballon ovale, quelle que soit elle, ne s’exprime qu’en tribune : Michèle Alliot-Marie leur étiquette politique, de pratiquer leur sport favori et fut quelques années durant la marraine de l’équipe, de disputer des rencontres internationales », explique le laquelle est aujourd’hui coprésidée par la députée PS du troisième ligne et député de la majorité Jean-François Gers, Gisèle Biémouret. Portarrieu, désigné président de l’organisation en juillet dernier. Au gré des victoires et des défaites électorales, une majorité peut se dégager, dans les vestiaires comme L’histoire du xv Parlementaire débute à la fin des dans les deux hémicycles. Ainsi, sous la xivème législature années 1970, à la buvette de l’Assemblée nationale, (2012-2017), de nombreux députés socialistes ont derrière laquelle officie alors un certain Bernard Durand, intégré le xv Parlementaire, parmi lesquels Benoît serveur de son état. « Avec sa faconde méridionale, il Hamon, Razzy Hammadi et Jérôme Guedj. Mais ils parlait régulièrement de rugby avec les députés, explique côtoyaient sur le pré des gens comme Philippe Folliot, Serge Ezdra, un fonctionnaire du palais Bourbon qui est alors député UDI (aujourd’hui LREM). aujourd’hui la cheville ouvrière du xv Parlementaire. De fil en aiguille, l’idée a fait son chemin de créer une équipe Depuis juin 2017, les députés de La République en réunissant à la fois des élus et des fonctionnaires des deux marche (LREM) sont autant majoritaires dans l’équipe chambres. » que dans les travées du Palais-Bourbon. Il n’empêche : sous le maillot du xv Parlementaire évoluent aussi L’un des premiers députés à répondre présent est Didier Xavier Breton (LR), Louis Aliot (FN) et Alexis Corbière Migaud, député PS de l’Isère de 1988 à 2010, aujourd’hui (LFI) ! président de la Cour des comptes. Au fil des législatures, d’autres figures médiatiques du Parlement rejoignent Le symbole de ce syncrétisme est la composition de la l’équipe, parmi lesquelles Jean-Michel Baylet (PRG), première ligne du xv Parlementaire durant la précédente Aymeri de Montesquiou (Parti radical valoisien), Alain législature. Entre 2012 et 2017, le rôle de talonneur Lamassoure (UDF), Hubert Falco (UDF, puis UMP) et était dévolu au centriste Philippe Folliot. Mais le poste Jérôme Cahuzac (PS). Ou encore Jacques Godfrain, de pilier gauche était alors occupé par Jean-Frédéric député (RPR, puis UMP) de l’Aveyron entre 1978 et Poisson, candidat à la primaire de la droite et du centre. 2007 : « La qualité du jeu est également répartie à gauche, Quant au pilier droit, il s’agissait de Michel Pouzol, au centre et à droite », note dans un sourire l’ancien député PS de l’Essonne de 2012 à 2017, désormais ministre de la Coopération d’Alain Juppé, aujourd’hui adhérent de Génération.s, le mouvement créé par un président d’honneur du xv Parlementaire. Sur le terrain, autre rugbyman amateur, Benoît Hamon. Une réparti- les accents du Sud-Ouest ont toujours été majoritaires tion des rôles qui amuse aujourd’hui encore Jean-Frédé-

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« Le hasard a voulu que les deux premiers députés à passer sous la douche soient Alexis Corbière et Louis Aliot. Avec les autres joueurs, nous avons pris un malin plaisir à les laisser seuls quelques instants. » ALAIN PEREA

à 15, le député FN Louis Aliot confirme : « Le rugby est une école de brassage et de respect de l’autre. Et celui qui ne parvient pas à mettre de côté les querelles partisanes peut aller se rhabiller ! » Quant à celui qui utiliserait les vestiaires pour faire du prosélytisme, les autres ne lui laisseraient même pas le temps d’enfiler sa tenue avant de l’exclure avec perte et fracas.

S’ils parlent politique entre eux, c’est exclusivement pour se taquiner ! Un exemple : ce samedi 3 février, bien qu’une blessure le cloue sur le banc de touche, Alexis ric Poisson : « Mon boulot, en tant que pilier gauche, était Corbière réclame un maillot afin de pouvoir poser sur de pousser en mêlée vers la droite. Le centriste Philippe la photo d’avant-match. « Arrête de faire ton Ruffin ! » Folliot produisait son effort droit devant, comme tout lui lance l’un de ses coéquipiers, suscitant l’hilarité talonneur. Et le rôle de Michel Pouzol, notre pilier droit, générale. Quant à Alain Perea, député LREM et membre consistait à pousser vers la gauche ! » sourit le président du xv Parlementaire depuis juin 2017, il se souvient avec du Parti chrétien-démocrate. délectation du retour aux vestiaires après le premier match de la nouvelle législature, en novembre 2017, Sur le terrain où se déroule la partie entre le xv Parle- face à une équipe de journalistes. « Le hasard a voulu que mentaire et les Irlandais du Dail & Seanad xv, aucun les deux premiers députés à passer sous la douche soient joueur ne craint de se jeter dans les regroupements Alexis Corbière et Louis Aliot, raconte-t-il. Avec les autres afin de prêter main-forte à l’un de ses partenaires. Et joueurs, nous avons pris un malin plaisir à les laisser seuls si les passes sont parfois hésitantes, c’est seulement quelques instants, en échangeant des regards complices faute d’adresse technique, mais certainement pas une et des sourires entendus. » Mais Louis Aliot assure qu’il question d’étiquette partisane. Quelques jours après ce ne s’est « même pas rendu compte de leur plaisanterie de match qui verra finalement les Irlandais l’emporter 25 potache » !

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Mais le match que députés et sénateurs français attendent de pied ferme, c’est celui contre l’équipe réunissant des membres de la Chambre des lords et de la Chambre des communes. « C’est notre “crunch” à nous », souligne Alexis Corbière.

« Mon objectif principal en intégrant cette équipe, c’était Reste que leurs souvenirs de joueurs sont parfois de m’obliger à faire du sport, ce qui n’est pas une mince lointains… Lors du premier match de la législature, l’un affaire quand on est parlementaire », répond Louis Aliot. des membres de l’équipe avait omis d’enduire le haut En outre, le xv Parlementaire évolue toujours pour la de son crâne de matière grasse avant de coller le ruban bonne cause : sitôt les matchs achevés, une collecte est adhésif destiné à protéger ses oreilles des frottements. organisée parmi les joueurs et les spectateurs, au profit Résultat : « Au coup de sifflet final, lorsqu’il lui a fallu ôter d’une association en lien avec le rugby. ce tour de tête, il s’est arraché les sourcils », s’esclaffe Jean-François Portarrieu. « Nous arrivons au stade avec nonchalance, mais la dis- tribution des maillots rappelle des émotions inoubliables. Toutefois, la motivation majeure de ces rugbymen pas Le xv Parlementaire, c’est une madeleine de Proust ! » juge comme les autres est probablement la perspective de Jean-François Portarrieu. « L’odeur camphrée des ves- jouer des matchs internationaux face à leurs homo- tiaires et le bruit des crampons sur le chemin qui conduit logues des parlements étrangers. Depuis la fin des au terrain réactivent des souvenirs », complète Alexis années 1980, une compétition réunit en effet les -par Corbière. La plupart des équipiers du xv Parlementaire lements français, anglais, irlandais, écossais et italien. ont en effet tâté du ballon ovale dans leur jeunesse. Les rencontres ont lieu dans la même ville – et le même jour – que les matchs du « vrai » Tournoi des 6 Nations. Chez les anciens joueurs, l’exemple le plus significatif Depuis 1995, la « vraie » Coupe du monde de rugby est celui de Pascal Deguilhem, député PS de la Dordogne est précédée d’une Coupe du monde des parlements, entre 2007 et 2017, qui fut international cadet. Parmi les organisée dans le même pays hôte. « Fidèles à leur répu- membres du xv Parlementaire d’aujourd’hui, Philippe tation, les Néo-Zélandais prennent cette compétition très Folliot, seul joueur rescapé de la précédente législature, au sérieux, souligne Serge Ezdra. Pour la première édition, a évolué en équipe universitaire à Toulouse. Jean-Fran- ils ont interrompu leur session parlementaire et envoyé Mieux encore : « Le fait de jouer ensemble facilite évidem- l’hémicycle qui l’opposait à Benoît Hamon, ce dernier çois Portarrieu a usé ses crampons au Toulouse Lalande leur équipe en stage de préparation à Singapour ! » Les ment les contacts et les relations humaines dans l’enceinte défendant son projet de loi ministériel sur les associa- Aucamville xv, véritable réservoir du Stade toulousain. parlementaires français n’ont d’ailleurs jamais réussi à du palais Bourbon », estime Alexis Corbière. D’ailleurs, il tions : « Nous nous sommes affrontés à coups de méta- Alain Perea a longtemps joué à Gruissan dans l’Aude, battre leurs homologues All Blacks. Mais ils ont quand n’est pas rare de voir deux adversaires politiques – mais phores rugbystiques que nous étions probablement les en Fédérale 2 – le quatrième échelon national. « C’est même terminé deuxièmes de la compétition en 2011. En partenaires rugbystiques – prendre un verre ensemble seuls à comprendre. » difficile de passer à côté du rugby quand, comme moi, on est attendant de faire mieux lors de l’édition 2019, qui se à la buvette de l’Assemblée. Les désaccords politiques né à Béziers, une ville dont le club a été onze fois champion tiendra au Japon… ne s’estompent pas pour autant, « mais ils s’expriment Mais on peut légitimement se demander ce qui pousse de France, indique Alexis Corbière, qui a commencé à probablement avec moins d’acidité, d’animosité et d’agres- ces parlementaires aux cheveux souvent blancs et jouer dans l’Hérault. J’ai même eu comme prof de sport Mais le match que députés et sénateurs français sivité quand il s’agit de s’opposer politiquement à un par- parfois clairsemés à pratiquer ce sport de combat Raoul Barrière, l’entraîneur de l’AS Béziers jusqu’en 1978. » attendent de pied ferme, c’est celui qui les voit chaque tenaire de rugby », juge Jean-Frédéric Poisson. Le rugby collectif. Et à sortir de l’Assemblée nationale en short Quant à Louis Aliot, il a évolué une dizaine d’années année affronter le Commons & Lords RUFC. Autrement peut même faire naître une certaine forme de compli- et en crampons pour aller s’entraîner sur la pelouse durant à Tarascon-sur-Ariège. dit, l’équipe anglaise réunissant des membres de la cité. Philippe Folliot se souvient ainsi d’un débat dans des Invalides, lorsque les températures le permettent… Chambre des lords et de la Chambre des communes.

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Il y a quelques années, alors que l’attitude des Anglais Pour les matchs internationaux, les règles du jeu ont été légèrement amendées dans un match particulièrement âpre l’avait rendu afin de ménager des organismes engourdis : les mêlées ne sont pas poussées, fou de rage, Serge Ezdra a même imaginé une solution miracle afin d’éviter l’incident diplomatique : « Pour me le jeu au pied est interdit en dehors des 22 mètres et les matchs se déroulent calmer, j’ai décidé de jouer le dernier quart-temps dans leur en quatre quarts-temps de quinze minutes. équipe ! »

Et le fait de s’être affrontés sur le terrain, avant de boire un – ou deux – verre(s) ensemble, crée forcément des services de quelques vieilles gloires du rugby. « Nous lui dire que je trouvais les parlementaires de son pays bien liens. Ce n’est pas Philippe Folliot qui dira le contraire. En essayons de placer à des postes clés des joueurs chevron- juvéniles, raconte Jean-Frédéric Poisson. Avec un grand 2011, il quitte la Nouvelle-Zélande après le coup de sifflet nés, aptes à assurer la sécurité des parlementaires et des sourire, il m’a répondu : “C’est parce que nous sommes final de la Coupe du monde des parlements. En tant que fonctionnaires sur le terrain et à les aider à s’amuser », une jeune démocratie !” » Et bien entendu, aucune récla- vice-président du groupe d’amitié France-Japon, il doit explique Serge Ezdra. Ce 3 février, l’ex-joueur du Stade mation n’a été déposée auprès des organisateurs de la se rendre à Tokyo pour assister à une cérémonie. « Le français Mathieu Glavany a ainsi participé au match compétition… protocole de la réception était extrêmement strict. Bernard contre l’Irlande. Un juste retour des choses, quand on Accoyer, président de l’Assemblée nationale, a commencé sait que son père – l’ancien député et ministre socialiste En cela, les membres du xv Parlementaire se sont montrés par saluer son homologue japonais à la manière nippone, Jean Glavany – a souvent chaussé les crampons avec fidèles à l’esprit du rugby : quoi qu’il se soit passé sur la avant que tous les parlementaires ne fassent de même, un le xv Parlementaire. Pour l’occasion, Mathieu Glavany pelouse, le match est définitivement terminé au coup de par un. Soudain, un parlementaire japonais et moi-même était accompagné sur le pré de Laurent Guétard (qui fit sifflet final. Au sein du xv Parlementaire semble même sommes tombés sans retenue dans les bras l’un de l’autre, notamment les beaux jours du RC Toulon et du Racing) régner un esprit de club, fait de solidarité, d’engagement sous les yeux effarés de l’assistance : c’était mon vis-à-vis, et de Cédric Desbrosse (ancien trois-quarts centre du et de respect mutuel. Pour l’alimenter, les membres de le talonneur japonais, que j’avais affronté quelques jours Stade toulousain). Mais aussi de Mathieu Blin, lequel l’équipe qui sont allés jouer contre leurs homologues auparavant à Auckland ! Et nos effusions ont pu paraître jouait là son premier match depuis l’arrêt de sa carrière, écossais le 11 février dernier ont même dormi au sein De gauche à droite : Matthieu Glavany (ancien joueur pro), Christophe Blanchet (veste bleue, député LREM du Calvados), déplacées auprès de nos collègues respectifs… » en 2010 : « C’est amusant de voir ces gens qui nous gou- d’une auberge de jeunesse, dans des lits superposés. « Je Jérôme Nury (député LR de l’Orne), Matthieu Laporte (ancien vernent en culottes courtes, souligne l’ancien talonneur ne voulais pas que les joueurs descendent dans des hôtels joueur pro), Jean-Luc Fugit (député LREM du Rhône), Hervé Nolorgues (fonctionnaire de l’Assemblée). Heureusement, le match s’était déroulé sans incident, du Stade français, trois fois champion de France avec le différents : quand on est une équipe de rugby, on dort tous car la testostérone reste consubstantielle au rugby, club parisien. Et leur engagement montre combien le rugby au même endroit la veille d’un match », martèle Jean- « C’est notre “crunch” à nous, souligne Alexis Corbière, et les rencontres sont toujours engagées. Ainsi, en peut être fédérateur, par-delà les différences. » François Portarrieu. faisant allusion au nom donné aux matchs entre les novembre dernier, c’est avec une épaule sacrément équipes nationales de France et d’Angleterre. Et c’est endolorie qu’Alexis Corbière a quitté le terrain. « Il y a Autre règle en vigueur sur les terrains : les joueurs Reste que cet esprit du rugby, ces parlementaires sont la projection symbolique d’une confrontation ances- probablement un côté peu raisonnable à jouer au rugby à non parlementaires doivent avoir plus de 35 ans. Il ne peu nombreux à le retrouver en politique. « Dans ces trale ! » « Parmi les valeurs du rugby que nous défendons presque 50 ans, concède le député LFI. Il ne faut donc pas s’agirait pas de voir un rugbyman à peine remis de sa deux activités, il y a des plaquages à retardement (action ardemment, la vigilance face aux Anglais figure en bonne que ce soit trop rude… » dernière poussée d’acné écarter sans ménagement une illicite qui consiste à attraper l’adversaire alors qu’il a place », ironise Alain Perea. Certes, avant chaque armada de députés sur le chemin qui conduit à la ligne déjà passé le ballon – NDLR), des fourchettes (geste qui confrontation, les capitaines des deux équipes se pro- D’ailleurs, pour les matchs internationaux, les règles du d’en-but… Mais faute de vérification des papiers d’iden- consiste à enfoncer ses doigts dans les yeux de l’adver- mettent systématiquement de faire en sorte que le jeu ont été légèrement amendées afin de ménager des tité de chaque protagoniste avant le match, cette règle saire – NDLR) et des cravates (plaquage avec le bras match se déroule sans incident. Mais cette bonne réso- organismes engourdis : les mêlées ne sont pas poussées, n’est pas toujours respectée à la lettre. Ainsi, à l’occa- tendu à hauteur du cou – NDLR), métaphorise Philippe lution a une durée de vie très limitée : « Cinq minutes les le jeu au pied est interdit en dehors des 22 mètres et les sion d’un match de la Coupe du monde 2007, députés et Folliot. Le problème, c’est qu’en politique, ces mauvais bonnes années, confirme Philippe Folliot. Les mauvaises, matchs se déroulent en quatre quarts-temps de quinze sénateurs français avaient jugé leurs adversaires sud- gestes peuvent aussi venir de sa propre équipe… » — une bagarre éclate sitôt après le coup d’envoi, dès le premier minutes. En outre, à l’occasion des matchs internatio- africains étonnamment sveltes et fougueux. « À la fin ballon. » naux, les équipes se mettent d’accord pour recourir aux de la partie, je suis allé voir l’entraîneur sud-africain pour

133 134 RÉVOLUTION CULTURELLE

136 FICTION APRÈS LA RÉVOLUTION #1 UNE NOUVELLE INÉDITE DE ZARCA

146 EN IMAGES LES AFFICHES DE MAI 68

© /Patrice Normand/Leextra /DR

135 136 RÉVOLUTION CULTURELLE NOUVELLE LITTÉRAIRE

Charles demande à des écrivain.e.s d’écrire une nouvelle qui s’inti- tule à chaque fois : « Après la révolution ». D’imaginer ce futur du futur où toutes les portes seront ouvertes. Fidèle à l’esprit des Beatles et de leur fameux Revolution #9, chaque nouvelle portera un numéro. Voici donc Après la Révolution #1.

APRÈS LA RÉVOLUTION #1 PAR ZARCA

uand on chantait « du passé faisons table rase », j’ignorais qu’on allait Q raser à ce point. Putain, on a vraiment tout cramé ! Faut dire que le gouvernement Macron a jeté de l’huile sur le feu quand le ministre du Tra- vail a baissé le montant du SMIC à 7 centimes de l’heure et repoussé à 92 piges l’âge de départ à la retraite. Franchement, ce n’était pas futé de sa part. Ils sont cons des fois, les politiques. Ils étaient. Heureusement, les choses changent, nous traversons une période de transition un peu brumeuse, mais préparons l’avenir. Le nouveau monde sera humaniste, libertaire, égalitaire et solidaire, j’en suis certain. En attendant cette ère plus jouasse, nous re- construisons, nous décentralisons. Réunis boulevard de la Chapelle, sous le métro aérien – pardon, sous l’ancien métro aérien –, nous, la cellule du xviiième arrondissement, organisons la renaissance du quartier sous l’auto- rité du maquisard Hervé Royon, le même qui a commandité l’attaque contre le commissariat de la Goutte d’Or. Perché sur une estrade, notre héros local domine l’assemblée humaniste, la bouche collée contre son mégaphone :

– On s’installe à l’école Pierre Budin ! PHOTO – Impossible, M. Royon ! l’interrompt Carole. L’école a été brûlée, vous PATRICE NORMAND vous souvenez‍? /LEEXTRA – Ah oui, c’est vrai... Bon, alors, on s’établit à l’hôpital Bichat.

137 138 APRÈS LA – Brûlé aussi ! chait à la nouvelle autorité de manquer de femmes et de reproduire le RÉVOLUTION #1 - ZARCA – Ah mince... Le gymnase Ronsard ? schéma de l’ancienne époque, patriarcal et viriliste. Ridicule ! De toute – Brûlé ! façon, c’est toujours pareil avec les féministes – les féministes femmes Le chef Royon caresse sa longue barbe ébouriffée et réajuste son j’entends, pas les hommes. béret : – La bibliothèque, on l’a brûlée aussi ? – À la distribution des vivres, j’ai nommé Bernard ! annonce le ma- – Ah nan ! La bibliothèque, nan, on l’a pas brûlée. Par contre... c’est quisard Royon. tout comme ! Bernard, le frère cadet du chef, responsable de la cellule « sécuri- C’est vrai, nous, révolutionnaires du printemps hexagonal, n’y té » – en gros, de la police humaniste –, est aussi de la cellule judiciaire. sommes pas allés de main morte. On a détruit, beaucoup, pillé, cramé, Celui-là ne plaisante pas des masses et, d’une rigidité implacable, ne vit saccagé, pour la bonne cause, bien sûr. Comme dit si bien Ousmane : « On que pour la justice. La semaine dernière, cet homme a prononcé l’exécu- fait pas d’bifteck sans charcler des bœufs. » Les sourcils froncés, le cha- tion de Léo, un contre-révolutionnaire qui s’apprêtait à fêter ses 11 ans. rismatique Royon se tait un court moment – il gamberge – puis, comme Sur le coup, j’ai trouvé Bernard un peu dur, mais j’ai préféré la mettre d’habitude, finit par nous trouver une solution : en veilleuse. Bernard, je l’appréciais bien plus à l’époque où il bossait comme instituteur à l’école Championnet. Depuis la Révolution, il a pris – Dans ce cas, nous établirons notre quartier général ici, sur le bou- le melon. levard de la Chapelle, que nous allons rebaptiser le boulevard de la Révo- lution. – En charge de l’éducation et de l’information, j’ai nommé Élise ! reprend le chef. Le chef Royon m’impressionne. Un leader courageux, stratège, doué d’une intelligence hors du commun. Il nous a évité la pénurie en Élise. Une femme de conviction, par ailleurs sœur aînée du chef réquisitionnant les commerces alimentaires de la zone 18 et les garde- Royon. J’intercepte le regard de Myriam, lui adresse un clin d’œil mo- manger des contre-révolutionnaires. Du haut de l’estrade, notre héros queur. Alors, on n’est pas féministe ? rayonne, le torse bombé et le regard perçant. Mon téléphone portable se met à vibrer, je le sors de ma poche et – Bon, voilà qui est fait... L’un de vous a-t-il des questions ? Des décroche aussitôt : réserves ? Non, aucune réserve. Le dernier qui en avait a mal fini. – Allô ? – Très bien, nous pouvons donc procéder à la répartition des tâches. – Zède, c’est Ousmane ! hurle mon pote dans le combiné. Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, on nage dans les ordures. On se – Qu’est-ce que tu fous, Ousmane ? On est en pleine assemblée hu- croirait dans un bidonville ici. Une équipe se propose pour le nettoyage maniste là, et puis pourquoi tu cries ? des rues ? – On a un gros pépin ! On nous attaque au niveau de l’aile sud. On a M. Touzri, un vieil homme voûté qui habitait dans la rue Myrha – la besoin de renforts, vite... rue qui a pris feu – agite en l’air sa canne en bois : – Ousmane, comment ç... Ousmane ? – Ben moi, je veux bien, M. Royon ! La communication coupe. Merde ! Le réseau s’est un peu dégradé – Merci M. Touzri, on vous donnera un balai. depuis la Révolution. Je range mon téléphone, remarque tout plein de regards inquisiteurs tournés vers moi. Myriam, ma voisine de palier, ne prononce pas le moindre mot. Les – Zède, tu te crois où ?, Bernard me gueule dessus. Hein ? On recons- yeux rivés sur le chef Royon, j’imagine bien ce qu’elle pense de cette truit le nouveau monde, tu penses vraiment que c’est le moment de télé- assemblée humaniste, mais tant qu’elle se contente de le penser, tout phoner ? Viens donc un peu sur l’estrade, on va t’inculquer deux, trois va pour le mieux. Aux premiers temps de la Révolution, Myriam repro- trucs !

139 140 – Ta gueule, espèce de pauvre merde ! m’insulte un des trois bra- APRÈS LA – Nan, mais c’est Ousmane ! je me justifie devant l’assemblée. Il queurs – une braqueuse en l’occurrence, à en juger par sa voix féminine. RÉVOLUTION #1 - ZARCA vient de m’appeler, apparemment l’aile sud est attaquée ! Tu vas nous suivre, tout de suite !

Soudain, une explosion retentit à quelques rues d’ici – vers l’aile La femme m’agrippe un bras au cas où je tenterais de m’échapper, sud, justement –, suivie d’une rafale de coups de feu. Merde ! Merde ! me traîne avec poigne dans l’ancienne rue Saint-Luc, rebaptisée « la rue Merde ! Panique à bord. Affolé, moi qui déteste les armes, je me vois Saint-Che ». Putain ! Putain ! Putain ! Ils me veulent quoi ? Qui sont ces contraint de dégainer la mienne, un AK-74M calibre 5,45 x 39 mm à la personnes ? S’il s’agit des forces macronistes, je suis bon pour la cas- finition phosphate noir, crosse plastique pliante – fibre de verre et po- serole, sûr et certain. Nous, humanistes, n’avons pas été tendres avec lyamide –, canon de 415 mm. Un très beau flingue d’ailleurs, qu’il faut l’ancien régime. Nous avons brûlé l’Élysée et le couple présidentiel avec, savoir utiliser avec parcimonie et humanité. L’assemblée se disperse fait écarteler Édouard Philippe et tous ses ministres quand nous avons autour de moi. Terrorisés, des dégonflés décident de quitter le navire et appris que le gouvernement projetait d’interdire le droit de grève, d’al- détalent comme des lapins. L’histoire les jugera. Le service de sécurité longer la semaine de boulot à 70 heures, d’avancer l’âge légal du travail s’excite, escorte le chef Royon jusqu’à son véhicule. La Lamborghini à 7 ans. chromée décampe dans un crissement de pneus. – Baisse les bras, crétin ! Tu vas pas rester dix plombes les bras le- L’ancienne pharmacie de M. Ravenin – celle où nous entreposons vés ! nos stocks de munitions – explose à son tour, sous mes yeux. À la ré- Je m’exécute. Visiblement, ces trois-là ne sont pas des tendres, je flexion, je ne vois pas l’intérêt de combattre, j’ai horreur des dommages me demande d’ailleurs s’ils ne roulent pas plutôt pour les forces natio- collatéraux. Je me débarrasse de mon fusil, prends mes cliques et mes nalistes qui ont participé à la Révolution – les mêmes qui prônaient le claques, me mets à cavaler en direction de nulle part et, dans ma fuite, retour à l’esclavage de certains peuples et l’interdiction de cuisiner du percute malencontreusement M. Touzri. Le vieillard perd l’équilibre et couscous dans l’Hexagone –, mais, à ma connaissance, nous, huma- se rétame tête la première sur le béton. Pauvre homme. L’histoire l’ho- nistes, les avons parqués sur le territoire alsacien avant de brûler la norera. région.

Je m’engage dans la rue de Tombouctou, tourne dans la rue de Jes- Mes ravisseurs me conduisent dans un hall d’immeuble aux murs saint. Bordel de merde, que se passe-t-il ici ? C’est à n’y rien comprendre. craquelés et poussiéreux. Terrorisé, je sue comme un bœuf, tremble, Essoufflé et endolori par un point de côté, je ralentis puis m’arrête prie, même si c’est interdit. Pourvu qu’on ne me brutalise pas. Un indi- quelques secondes pour me réapprovisionner en oxygène. C’est quoi, vidu fardé d’un collant en guise de cagoule ouvre une porte en métal, ce foutoir ? Nous étions censés avoir sécurisé la zone 18 et épuré nos me flanque un coup de crosse entre les omoplates pour me pousser dans troupes. Sous les ordres de Bernard Royon, nous avons abattu les der- une pièce obscure et humide où sont entassés des camarades huma- niers contre-révolutionnaires, ceux que l’on suspectait de l’être ainsi nistes. Malgré la pénombre, je reconnais Ousmane, amoché d’un œil au que leur entourage – famille proche, cousins éloignés, amis, voisins, beurre noir, la lèvre inférieure fendue et le nez brisé. Pauvre Ousmane, gardiens d’immeubles, cousins des gardiens d’immeubles et amis de ces lui qui déteste la violence et utilise la force seulement pour éduquer les mêmes cousins. Malgré ce nettoyage, des fruits pourris semblent encore contre-révolutionnaires. La porte de la cave se referme derrière moi, je contaminer le panier. J’attrape mon portable, espère de tout cœur que me jette dans les bras de mon pote : rien de grave n’est arrivé à Ousmane. Je compose le numéro de téléphone de mon pote, une voix autoritaire me demande de raccrocher immédia- – Ousmane, putain ! C’est qui, ces tarés ? tement. Je me retourne, trois individus cagoulés me tiennent en joug, – J’en sais rien, Zède ! Aucune idée, mais la seule chose dont je suis des fusils automatiques braqués sur moi. Courageux, mais pas témé- sûr, c’est que ces gens sont des vrais combattants, des tacticiens de la raire, je lève les bras en l’air : guérilla urbaine. Ils ont attendu la pause-déjeuner pour nous attaquer, les salauds ! On beurrait nos sandwichs quand Alf a reçu une balle en – Ne tirez pas, je ne suis pas armé ! pleine tête.

141 142 APRÈS LA Quelle horreur ! Nous, humanistes, n’aurions jamais osé faire une À mes côtés, j’entends mes camarades otages sangloter et l’ancienne RÉVOLUTION #1 - ZARCA chose pareille. Pendant la pause-déjeuner, les ordures ! De quelle obé- bouchère agoniser. dience idéologique ces sauvages peuvent-ils bien se revendiquer ? Notre rêve était bien trop beau, il fallait que des individus malintention- – Mais... enfin... pourquoi tant de sauvagerie ? demande Ousmane à nés tentent de nous le saboter. Nous prêchions la paix, la solidarité et nos ravisseurs. Nous sommes des humanistes... l’amour entre les hommes, nous voulions abolir les inégalités, prônions – Humanistes de rien du tout ! rétorque la femme aux dreadlocks. un idéal de liberté, alors pourquoi ? Pourquoi cette crapulerie contre- Dans « humaniste », il y a « humain ». Pour être humaniste, encore fau- révolutionnaire ? En fin de compte, Bernard Royon avait raison, nous drait-il considérer la gent féminine, mâles alpha que vous êtes ! aurions sans doute dû serrer la vis contre les ennemis de la Révolution. – Mais... mais, vous êtes qui au juste ? Notre tolérance a montré ses limites et, maintenant, nous en payons les – Nous sommes ce qui reste de la ligue féministe et de la ligue an- frais. tispéciste ! Nous avons décidé d’unir nos forces pour lutter contre votre barbarie. À nos yeux, vous n’êtes que des oppresseurs. – Qu’est-ce qu’on va devenir ? tremble l’ancienne bouchère de la rue de Clignancourt, recroquevillée dans un coin de la pièce, tremblante. Les ligues féministe et antispéciste... Aux premiers temps de la Ré- Que vont-ils faire de nous ? volution, ces groupes avaient combattu à nos côtés, mais lorsque nous avons pris le pouvoir, leurs comportements égoïstes et contre-révolu- Un homme à la carrure athlétique, crâne rasé et barbe d’humaniste, tionnaires nous ont poussés à les « massacrer ». Que nous croyions, car, pose une main sur son épaule : apparemment, nous n’avons pas terminé le boulot.

– Ne t’en fais pas, Sophia ! Tout se passera bien, j’en suis sûr... – Nous ne sommes pas des oppresseurs ! se défend Ousmane. Vous vous méprenez, nous militons pour une société solidaire et égalitaire, À peine l’homme a-t-il le temps de rassurer la bouchère que la porte nous ne ferions pas de mal à une mouche... de la cave s’ouvre grand et apparaissent cinq individus – trois hommes – « Pas de mal à une mouche » ? s’énerve l’antispéciste au visage brû- et deux femmes – armés de 357 Magnum et de fusils mitrailleurs MP5A3 lé. « Pas de mal à une mouche » ? Répète un peu ça, et je t’éclate la gueule ! semi-automatiques à canon rallongé. Des flingues que nous, pacifistes, « Pas de mal à une mouche », carnivores que vous êtes ! « Une société éga- adorons utiliser. litaire », au sein de laquelle s’opère un génocide animalier. Vous ne valez pas mieux que les macronistes contre qui nous avons luttés, vous avez – Tout le monde debout, le dos collé contre le mur et les mains reproduit le schéma spéciste de l’ancien temps... derrière la tête ! nous ordonne une femme grande et maigre, coiffée de – Rien d’égalitaire chez vous ! ajoute la nana aux dreadlocks. dreadlocks colorées. Grouillez-vous, on n’a pas qu’ça à foutre ! L’oppression masculine poussée à son paroxysme. Toujours aussi peu Nous nous exécutons, Sophia fond en larmes. de femmes dans les arcanes de votre pouvoir viriliste et pas une seule – Je vous en prie, nous faites pas de mal ! référence à l’écriture inclusive dans votre programme sexiste, pas plus – Ferme-la ! s’agace un homme au visage brûlé, vêtu d’un t-shirt sur que vous ne condamnez le manspreading. Nous allons vous arracher les lequel figure le dessin d’un mouton et d’un loup se reposant l’un contre couilles, vous allez voir... l’autre. Tu seras la première à crever ! Une silhouette franchit la porte de notre geôle et s’avance dans la À l’annonce de cette sentence, l’ancienne bouchère s’écroule en pénombre. Je mets un petit temps avant de reconnaître Myriam, ma voi- hurlant, hystérique. L’homme au visage brûlé n’accorde aucune pitié sine de palier, équipée d’un Beretta 92. J’aurais dû me douter, avec ses à Sophia, prend son élan pour lui asséner un penalty en plein visage, réflexions moisies, que cette poufiasse complotait contre nous. aggravé par des Rangers à la pointe plombée. Je tourne la tête pour évi- ter de voir ce spectacle macabre, essaye de penser à autre chose. La bru- – Myriam ! je lui adresse mon plus beau sourire. Ma belle Myriam... talité me fait horreur. Pourvu que le chef Royon vienne nous sauver !

143 144 APRÈS LA – Ferme tout de suite ton claque-merde, Zède ! Ma voisine me tru- En état de choc, je me relève doucement, le cœur battant à cent RÉVOLUTION #1 - ZARCA cide du regard. Je ne suis pas « ta » belle et je ne le serai jamais ! Je ne vingt à la minute. Mes camarades aussi, la bouche bée et les yeux ahu- suis pas une chose et je ne t’appartiens pas, quand le comprendras-tu, ris, semblent revenir des enfers. La faucheuse nous a frôlés de très près. espèce d’abruti ? Tes remarques machistes, je vais te les faire ravaler ! Quinze ans que je supporte tes phrases puantes de testostérone et tes – On... on l’a échappé belle ! blagues débiles ! Elle te fait marrer, la blague de la grosse pute qui suce Mon pote Ousmane grelotte. L’humaniste barbu à la carrure athlé- des bites, hein ? Et répète un peu, l’histoire de la radasse qui se faisait tique s’affole : enculer ? Tu trouvais ça drôle, hein ? Et la fois où tu m’as ouvert la porte – Il ne faut pas traîner là ! Allons-nous-en, vite ! de notre immeuble, avec ta galanterie patriarcale ! Tu es un porc, Zède ! Un porc... Sans nous faire prier, nous fuyons cette cave transformée en geôle, – Pardon ? l’interrompt l’homme à la gueule cramée. Pardon ? « Un désertons l’immeuble de la rue Saint-Che et, dans la précipitation, nous porc », tu viens de dire ? Non, mais tu te prends pour qui, Myriam ? Les dispersons chacun de notre côté – moi avec Ousmane – dans les rues de porcs n’ont rien à voir dans cette histoire, tu devrais faire attention à la zone 18. Mon pote m’entraîne dans une allée déserte, nous marquons c’que tu dis. Encore un réflexe de carnivore à la con... une halte pour reprendre notre souffle. Dehors, la ville a retrouvé son – Comment ça, « à la con » ? Myriam sort de ses gonds. Tu sais ce que calme apparent. Plus un bruit ne résonne dans les rues de Paris, mais c’est « un con » ? Pour ta gouverne, le con désigne à l’origine le sexe de la des nuages de fumée noire et dense se forment au-dessus de nos têtes. femme, et tu ferais bien de le laisser tranquille. Pourquoi toujours utili- Les contre-révolutionnaires ont détruit le peu qu’il nous restait. Une ser des termes associés aux femmes pour injurier ? Hein, pourquoi ? Tu bande de salauds sans scrupules ! Le grand Bernard Royon avait raison, veux que je te dise, Marcel, tu es comme tous les autres. Toi et ta langue nous aurions dû botter plus de culs. Nous, humanistes, sommes trop de vipère... tolérants de nature, mais aujourd’hui, notre bonté nous a trahis. Je pose – La vipère, tu vas lui foutre la paix ! Une membre de la ligue antis- une main sur l’épaule de mon pote : péciste braque son magnum sur Myriam. La vipère, contrairement à tes – Ousmane, tu crois vraiment qu’un jour, on arrivera à vivre en préjugés, est un animal docile et craintif. Il n’a jamais eu aucune inten- paix ? tion de nuire, il est inoffensif. Faut vraiment pas avoir de couilles pour – Bien sûr, Zède, j’en suis sûr ! Mais il y a du boulot, il va falloir s’en prendre à un animal sans défense. ranger nos états d’âme et mettre les mains dans le cambouis, balayer Ni une ni deux, la nana à dreadlocks pointe son arme contre la autour de nous. Tu sais, on fait pas de bifteck sans charcler des bœufs. tempe de la contre-révolutionnaire antispéciste : – Parce que, pour toi, avoir des couilles est synonyme de courage ? J’apprécie son optimisme, Ousmane me tire toujours vers le haut. Une praline dans ta tête, ça t’fera réfléchir... L’ère humaniste, solidaire, libertaire et égalitaire viendra, j’en suis convaincu. Nous devons y croire, sinon pourquoi se battre ? Nous de- D’un coup, une détonation explose dans la cave, puis des pétards vons croire en notre idéal, croire en nos rêves. éclatent de tous les côtés. Les tympans ruinés, je me jette à terre en hurlant, me bouche les oreilles et ferme les yeux. J’ai l’impression d’être Croire en l’homme. — fusillé par le peloton d’exécution, comme on le pratiquait dans les temps barbares, bien avant l’abolition de la peine de mort. Je reste recroquevil- Repéré par les Éditions Don Quichotte dans les rues sulfureuses de Bangkok et lé sur moi-même, tremblant, tétanisé durant de très longues secondes grâce à son blog Le Mec de l’underground, Pattaya. En 2017, il publie P’tit Monstre aux avant de rouvrir les yeux. Les miens sanglotent tandis que les corps de Johann Zarca a publié en 2014 son premier Éditions La Tengo, l’itinéraire d’un enfant nos ravisseurs jonchent le parterre de la cave, étalés dans une mare de roman, Le Boss de Boulogne, une dérive tueur, puis Paname underground aux sang. Ils se sont tous entretués. Les membres des ligues féministe et psychogéographique dans le bois de Éditions Goutte d’Or, sa première autofiction antispéciste se sont massacrés entre eux. Boulogne rédigée en slang des banlieues. avec laquelle il obtient le prix de Flore, ex- Son deuxième roman, Phi Prob, paru en 2015 æquo avec L’Invention des corps de Pierre chez le même éditeur, raconte la déchéance Ducrozet (Actes Sud). mystique de Jeff, un expatrié français perdu

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Sans eux, rien n’aurait été possible. Les artistes, graphistes et lithographes ont certainement créé Mai 68. Bien sûr, ils ne sont pas responsables des événements, mais l’esprit politico-surréaliste de cette révolution vient d’eux ! C’est du moins la thèse de Jérôme Duwa, docteur en histoire de l’art contemporain. Autant la révolution de 1848 était conduite par des littéraires et des écrits, autant Mai 68 est mené par des artistes qui vont définitivement établir la suprématie de l’image dans notre société. Qui sont les véritables auteurs de ces affiches ? De jeunes étudiants à peine sortis du lycée, des prolos en phase de conscientisation ou des artistes subjugués par les paradis communistes ? Et puis, quel rôle ont vraiment joué ces graphismes révolutionnaires dans l’essor de ce mois de mai à la fois si tendre et si violent ? En tout cas, les affiches des écoles occupées témoignent que le rêve était bien là, Dessine-moi sous les pavés du Quartier latin. Comme cette affiche idyllique où l’on voit Bébert, l’ouvrier en PAR ZVONIMIR NOVAK salopette, et Fifi, l’étudiant en col roulé, main dans la main, coudes serrés et les yeux grands ouverts sur leur révolution en marche. L ES CAMARADES ARTISTES PRENNENT LE POUVOIR un Tout a commencé bizarrement, dans le feu de la spon- CRS ! tanéité. Après la grande manif du 13 mai 68, conduite par l’idole des étudiants, Daniel Cohn-Bendit, un groupe de copains artistes-peintres s’interroge : mais pourquoi laisser inoccupée l’école des Beaux-Arts, la maison de L’histoire des affiches tous les artistes ? Partis à 8, ils se retrouvent plus de de Mai 68 300 le lendemain matin dans les locaux de ce magni- fique palais, situé quai Malaquais à Paris. Aussitôt, les peintres Gérard Fromanger et Merri Jolivet tirent des affiches en procédé lithographique sur une presse à bras. À ce moment précis, il est hors de question de les coller, l’objectif est de les vendre au profit des étudiants en grève. Le triple U (« Usine. Université. Union. »), produit à seulement 30 exemplaires, est la première

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sérigraphie d’une production de plus de 500 affiches. La lithographie, si chère aux artistes, c’est long, fas- grévistes et de curieux. On y boit beaucoup, on y fume, Tous les codes plastiques des affiches de Mai sont déjà tidieux et ça fait mal aux bras. Les artistes Guy de et la libido tourne à plein. L’austérité marxiste-léniniste là : simplicité des graphismes poussée à l’extrême, clarté Rougemont et Éric Seydoux ont une idée : il existe une conduite par la Jeune Peinture est noyée dans l’eupho- des messages et articulation parfaite du texte dans la technique simple et économique qu’ils ont vue aux États- rie libertaire. Mais, dans ce chaos apparent, la paresse composition générale. Unis, pratiquée par Andy Warhol lui-même et adoptée à n’a pas le droit de cité. La plupart des membres de ces Cuba par des artistes au service du régime castriste. Et ateliers n’ont jamais autant travaillé de toute leur vie ; de Le 16 mai, des artistes politisés venus de l’extérieur, c’est parti pour la sérigraphie par pochoir, un artisanat quoi prendre, les dernières barricades levées, le chemin associés à des élèves de l’école, inscrivent solennel- ludique qui amusera follement les étudiants grévistes. de Katmandou pour se refaire une santé physique et lement à l’entrée de la salle de lithographies : « Atelier Cette technique fera de l’atelier pop’ des Beaux-Arts la spirituelle. L’atelier pop’, c’est aussi la mise en place populaire oui, atelier bourgeois non. » Une affichette base centrale de la propagande soixante-huitarde. Le d’une véritable logistique avec des équipes de colleurs, placardée indique le bon chemin à suivre : « Travail- procédé utilisé est rudimentaire et ne permet pas de se la maintenance des produits, l’intendance. Pour bien Tous les codes plastiques des affiches ler dans l’atelier populaire, c’est soutenir concrètement le lancer dans des excentricités artistiques. Les camarades travailler, il faut du pinard et de bons casse-croûtes. grand mouvement des travailleurs en grève qui occupent artistes doivent aller à l’essentiel et réaliser de simples Des sérigraphies font état de cette organisation. Le de Mai sont déjà là : simplicité des leurs usines contre le gouvernement gaulliste antipopu- aplats. graphisme lapidaire d’une bicyclette nous renvoie à graphismes poussée à l’extrême, clarté laire. » Cette ligne politique est fixée par des membres cette efficience. maoïsants de la Jeune Peinture qui vont multiplier les On travaille à l’atelier jour et nuit, sans temps mort ni des messages et articulation parfaite aphorismes à la sauce Mao sur les murs des ateliers. hygiène, mais dans une ambiance de fête permanente, Dans un premier temps, tous les thèmes et slogans sont

du texte dans la composition générale. Toutefois, il y a une urgence à régler. © DR alimentée par un passage ininterrompu de camarades discutés sous la houlette de quelques commissaires du

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peuple autodésignés. Le peintre Gilles Aillaud est l’un Les projets sont présentés en AG. Entre 10 et 200 par- même, il ne faut pas croire que ces affiches soient le fruit d’eux. Transformé par l’expérience de Mai, il mène par ticipants peuvent chicaner pendant dix heures sur une du hasard. Elles sont le résultat d’années de réflexions la suite une carrière exceptionnelle d’artiste peintre, image et un texte. « Toi, tu dégages ; toi, tu restes… » La arrivées à maturation et de pratiques collectives testées en peignant des lions en cage, des hippopotames sélection est impitoyable et plus de neuf projets sur dix par des artistes politisés sortis depuis longtemps des en captivité et des animaux échoués sur des plages sont rejetés. Une règle, qui devient un commandement, écoles d’art. désertes. Le syndrome de Mai, peut-être ? Il y a aussi est respectée par tous : les affiches produites doivent le garde rouge de service, Pierre Buraglio, qui, pétrifié rester anonymes. Quelques artistes déjà reconnus sur Une partie issue de la Jeune Peinture est guidée par la par l’intervention de Mao Zedong aux causeries sur la le marché de l’art se sont risqués à présenter un projet : pensée marxiste-léniniste-maoïste et autres maso- littérature et l’art à Yenan, ne touche pas à un pinceau Martial Raysse, peintre reconnu pour ses oeuvres pop chismes de la révolution culturelle chinoise. Fermes pendant toute la durée de l’atelier pop’, mais passe hum- art clinquantes et commerciales, sera sèchement recalé. dans leurs convictions et droits dans leurs sandales blement le balai à longueur de journée. Il lui faudra près S’ensuit pour lui une période tourmentée d’autocritique made in China, ils mettent leur dialectique à la disposi- de quatre ans pour se remettre à la peinture, après une et de réflexion sur la nature de l’art. « Mai 68 et l’atelier tion des grévistes. L’idée de discuter collectivement des légère cure de désintoxication du maoïsme. Depuis, il populaire ont changé ma vie », confesse-t-il. œuvres, d’installer une organisation bien structurée et est obsédé par les blockhaus de la côte atlantique et les de fonctionner par assemblée générale est leur princi- Une règle, qui devient un murs en briques et meulières qu’il peint, on ne sait pas C’EST MOI QUI L’AI FAIT pale contribution. commandement, est respectée trop pourquoi… Nous l’avons dit, les graphismes produits alors ne sont pas l’œuvre d’étudiants novices ou d’ouvriers tombés L’autre bande d’artistes vient du mouvement de la par tous : les affiches produites

subitement dans les bras de la création artistique. De © DR figuration narrative, un courant artistique inspiré par doivent rester anonymes.

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le pop art américain, remixé à la critique marxiste. Fin mai, une poignée de dissidents de l’atelier populaire, l’expression d’un esprit mesquin, au pire comme une Ainsi, pendant quelques semaines, les peintres Bernard fatiguée d’entendre des chants révolutionnaires tourner trahison. La fameuse affiche « Nous sommes tous des Rancillac, Hervé Télémaque et Erró vont mêler leur pop en boucle sur le pick-up de l’atelier et frustrée de pop juifs allemands » : « C’est moi qui l’ai faite », clame l’artiste attitude au matérialisme dialectique d’Eduardo Arroyo, music américaine, a pris ses cadres de sérigraphie sous peintre Bernard Rancillac, malgré le sacro-saint principe de Gilles Aillaud ou d’Henri Cueco. Tous se sont politisés le bras et s’est retrouvée rue d’Ulm pour créer l’atelier de l’anonymat des auteurs. Mais, à l’époque, le mot à l’extrême gauche, d’un coup de baguette magique. des Arts décoratifs. La relation entre ces deux grands « juif » chiffonne encore les esprits et une AG bis censure Les trotskistes, les maos, les anars, les lettristes et les pôles de création d’affiches est tendue, voire hostile. son affiche, pour la remplacer par « Nous sommes tous surréalistes se fondent dans un creuset artistique ini- Divergences politiques, désaccords esthétiques, les des indésirables ». Bilan de cette mise à l’écart, cinquante maginable. Les noms les plus connus de la peinture Arts déco produisent des affiches coup de poing, avec ans plus tard : la cote de son affiche est toujours au plus d’aujourd’hui se retrouvent dans une ambiance festive, peu de mots, mais fortes en émotions. L’affiche où l’on haut dans les ventes aux enchères. S’attribuer la paternité d’une affiche à racler de l’encre sur des toiles en nylon. Environ 300 voit Hitler qui se cache derrière le masque de De Gaulle est considéré au mieux comme artistes ont alimenté, dit-on, cette centrale de subver- en est un exemple. Depuis les années 2000, la figuration narrative a le sion graphique. En quelques semaines, ils vont vivre vent en poupe sur le marché de l’art et beaucoup de ses l’expression d’un esprit mesquin, dans ces ateliers collectifs la plus grande expérience de Depuis quelques années, le grand jeu consiste à trouver membres ont participé aux ateliers populaires, comme au pire comme une trahison. Depuis leur vie d’artiste. Animer, impulser la révolution, bouger qui se cache derrière quoi. Le temps filant, les langues Gérard Fromanger, exposé au Centre Pompidou en 2016, la roue de l’histoire avec des images, ce n’est pas rien ! se délient petit à petit, quand d’autres s’obstinent qui, d’un côté, défend l’honneur de garder l’anonymat, quelques années, le grand jeu consiste à ne rien dire, comme le peintre Erró. S’attribuer la mais, de l’autre, ne peut s’empêcher de souffler qu’il est à trouver qui se cache derrière quoi.

paternité d’une affiche est considéré au mieux comme © DR

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l’auteur d’une œuvre drolatique et expressionniste : « La soir, la police vous parle » : « C’est mouâ, c’est mouâ », comme ce fauteuil-radiateur pour personnes frileuses, police s’affiche aux Beaux-Arts. » lâche-t-il… que l’on retrouve désormais dans nos voitures, sous la forme d’un fauteuil chauffant. Le peintre Jean Hillereau est, à sa façon, le soldat Beaucoup d’affiches restent néanmoins orphelines, inconnu de Mai 68. Il a beaucoup donné de sa personne à sans nom, mais les experts et les spécialistes veillent à l’atelier des Arts décoratifs, mais depuis, il a peu vendu. débusquer leurs auteurs. L’un d’eux reconnaît derrière Il revendique la paternité de deux charges explosives : un graphisme la marque d’Henri Cueco. D’autres attri- la très subversive « La chienlit c’est lui » et l’insolente buent, sans la moindre hésitation, la cheminée se « Laissons la peur du rouge aux bêtes à cornes », deux terminant par un poing dressé à l’artiste guérillero Merri trophées qui trônent désormais à l’entrée de sa maison. Jolivet, la cheville ouvrière des ateliers pop’. Jusqu’à son dernier souffle, Jolivet ne dit rien. Celui-là n’a pas vendu Pierre Bernard, l’un des fondateurs du célèbre collectif son âme au Kapitâl. Le peintre Gérard Fromager ne peut Grapus (la contraction de crap-stal, pour crapule stali- nienne, et de graphisme), raconte le rôle déterminant UN FLIC QUI PEUT RAPPORTER GROS s’empêcher de souffler qu’il est qu’a joué dans son parcours de graphiste sa participa- Et puis il y a le cas du pataphysicien Jacques Carelman, l’auteur d’une œuvre drolatique et tion aux ateliers des Arts déco. Et comme beaucoup connu pour son Catalogue d’objets introuvables. Dans d’artistes tracassés par le désir de reconnaissance, il ne cet inventaire à la Prévert, il imagine des objets impos- expressionniste : « La Police s’affiche

peut s’empêcher de faire quelques révélations. « Chaque sibles, qui deviendront réalité des années plus tard, © DR aux Beaux-Arts ».

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Carelman n’a fait que passer en coup de vent à l’atelier La cohérence de sa construction est tout à fait remar- réaction paranoïde provoquée par l’inquiétante sil- pop’, mais, ce jour-là, il réalise un coup de maître. Il est quable. Avec une multiplication à l’infini de ronds et de houette noire, le graphisme initial du CRS est retouché. l’auteur officiellement reconnu de l’illustrissime CRS au courbes, l’ensemble prend l’aspect d’un bloc compact bouclier et à la matraque, un chef-d’œuvre de la subver- en résonance avec l’idée recherchée : métaphoriser la Quelques mois avant la Coupe du monde de football La cohérence de sa construction est sion qui enflamma le Quartier latin. Quelqu’un ajoutera répression. La charge émotionnelle de cette affiche est organisée en France en 1998, la Fédération anarchiste tout à fait remarquable. Avec une « SS » sur le bouclier, sans lui demander son avis. Depuis si forte que le « flic à la matraque » devient, après 68, le échange le bouclier pour un ballon. Elle dénonce les 1988, son CRS lui rapporte des sous. Il est le seul artiste symbole idéal pour représenter la violence policière. jeux du stade qui détournent l’attention du peuple du multiplication à l’infini de ronds et à toucher des droits d’auteur de l’Adagp (Société des Utilisé depuis dans toutes les officines d’extrême drame des charters d’émigrés. Parfois, c’est une carotte de courbes, l’ensemble prend l’aspect auteurs dans les arts graphiques et plastiques) pour son gauche, on le retrouve ailleurs, là où on ne l’attend pas. À dont l’intensité de la couleur orange tranche avec le d’un bloc compact en résonance affiche de jeunesse. Mais quand l’agence de communi- l’extrême droite, on aime le retourner à l’occasion, pour côté obscur de la force de répression. Ailleurs, c’est la cation Australie détourne son CRS pour une campagne taquiner le gauchiste, accusé d’être un flic de la pensée. tête d’un Chirac, d’un Valls ou d’un ennemi désigné du avec l’idée recherchée : métaphoriser publicitaire au profit des hypermarchés Leclerc, il est peuple qui remplace le visage du CRS. Au fil du temps, le la répression. La charge émotionnelle mal, il est très mal. Édouard Leclerc lui a versé des Outre le code-barres volontairement provocateur de la succès du « flic à la matraque » ne se dément pas. À n’en droits, ce qu’il refuse d’avouer. Un tabou est tombé : Mai publicité d’Édouard Leclerc, l’imposant bouclier du CRS point douter, la métaphore de la répression a encore de de cette affiche est si forte que le 68 est devenu une marchandise comme une autre, ainsi est transformé en support parfait de toutes les reven- beaux jours devant elle. « flic à la matraque » devient, après 68, que le déplorent certains esprits orthodoxes. Qu’importe dications. Avec le slogan « Police partout, justice nulle le symbole idéal pour représenter la les grincheux ! Le succès du « flic à la matraque » de part », on y hurle sa phobie de l’uniforme et on réaffirme

Carelman tient beaucoup à sa performance plastique. son allergie à l’ordre tout court. Pour accentuer la © DR violence policière.

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AU PLUS VITE LA RÉCUP ! phies réalisées collectivement, de nombreux artistes Alors que les artistes s’échinent nuit et jour à alimenter lutionnaire de Mai 68. En leur accordant aussi vite le se sont mis à produire des œuvres lithographiques en en graphisme la révolution, des malins se glissent parmi statut de produits sociologiques pour musée, c’est la soutien aux mouvements étudiants. L’argent doit servir les équipes de colleurs d’affiches, en vue d’en dérober révolution qu’il enterre définitivement. Sitôt l’agita- à alimenter les caisses de solidarité des grévistes. Ces quelques lots pour en faire commerce. La collecte de la tion éteinte, un marché se crée et le cours de l’affiche de affiches sont signées, marquées du style de leur auteur contestation commence donc très tôt : des journalistes Mai s’envole. De riches collectionneurs américains, des et non conçues pour être collées et donc déchirées. Ces se mettent à les décoller, tandis que des marchands chacals fossoyeurs de la révolution étudiante, sont déjà artistes ont d’emblée fait un choix, celui de ne pas se passent derrière les services de nettoyage pour les sur le coup. Les prix grimpent et des vilains cherchant fondre dans l’anonymat, mais de revendiquer le droit récupérer. On raconte que les étudiants, excédés par à améliorer leur revenu produisent des affiches contre- à la différence artistique. Les plus grands noms de la l’impudence des présumés contre-révolutionnaires, faites, avec de faux cachets de l’atelier pop’ en prime. peinture ont ainsi aidé le mouvement de contestation En 2008, Drouot est agité par une vente entaillent finement les affiches collées, à coups de lame Baisse des prix, mais, en 2008, Drouot est agité par à grossir, donnant à cette révolution un esprit original. exceptionnelle menée par Florence de rasoir, pour les empêcher de les commercialiser. À une vente exceptionnelle menée par Florence Camard. Peu d’artistes reconnus ont manqué à l’appel du Grand Camard. Plusieurs affiches sont peine sorties des ateliers des écoles d’art, les affiches de Plusieurs affiches sont emportées à 2 500 euros et l’une Soir et, même si les œuvres offertes sont d’un niveau Mai deviennent donc des produits de spéculation ou des d’elles atteint même les 3 908 euros. La magie de Mai pictural inégal, elles témoignent toutes d’un moment emportées à 2 500 euros et l’une d’elles objets mémoriels. Au cœur de l’agitation, du personnel fonctionne toujours chez les bobo-boomers. historique magique où l’imagination a pris le pouvoir atteint même les 3 908 euros. La magie de la Bibliothèque nationale se charge de récupérer ce pour quelques semaines. Ainsi les peintres Cremonini, matériel graphique à ses risques et périls. Il élève ces La réaction marchande ne s’arrête pas là et concerne une Alechinsky, Ipoustéguy et Calder, entre autres, ont de Mai fonctionne toujours chez les affiches produites dans les écoles d’art et les facsau autre production d’affiches, impliquée indirectement participé à ce grand happening révolutionnaire. bobo-boomers. rang de documents témoins privilégiés de la crise révo- dans le mouvement de Mai. Parallèlement aux sérigra- © DR

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Le peintre Asger Jorn, membre de l’Internationale a l’aspect (technique de la sérigraphie), ça en a l’appa- situationniste, salue à travers le style art brut qu’on lui rence (aplat et couleur monochrome), mais de génie, il connaît, non pas le Mai politique, mais l’intelligence n’y en a pas. Leurs graphismes s’embourbent dans l’in- créative. Leonardo Cremonini est fasciné par les nuits capacité à créer des signes simples, forts et attirants. Le d’émeute qu’il confond avec Les Mille et Une Nuits. Quant verbiage gauchiste, fondé sur des sermons idéologiques à Daniel Milhaud, il compare, avec son « Chienlit parade », et des incantations guerrières, a remplacé la poésie sur- la répression des forces de l’ordre à un cirque où les rôles réaliste de Paris au mois de Mai. La surprise vient d’ail- sont inversés. Le dompteur est un animal féroce et vice leurs. Les CDR (Comités de défense de la République), versa. L’imagination est décidément au pouvoir, et les une barbouzerie créée par le régime gaulliste pour corbeaux arrivés après la bataille vont s’acharner à faire faire la chasse aux chevelus, sont carrément culottés. exploser les prix de ces affiches, créées dans l’émotion. Ils répondront du tac au tac aux révolutionnaires, en Les sérigraphies et les lithographies de Mai 68 ont fait tentant d’imiter leurs propres codes visuels, très mal, des petits. Après mai-juin 68, les chapelles gauchistes il est vrai. Les affiches des étudiants grévistes seront se sont multipliées. Les militants, fascinés par le bientôt recouvertes par des « Plus jamais ça » et des « Pas modèle des ateliers pop’ et des Arts déco, ont tenté de ça ! Mais la réforme avec de Gaulle ». Si juin 68 siffle la À lire : reproduire leur style. Mais ne s’improvise pas artiste qui fin de la première partie pour les pavés graphiques, ils Michel Wlassikoff veut, et l’imagination ne se décrète pas. Armés de leurs connaîtront rapidement une notoriété internationale Mai 68: L’Affiche en héritage, Alternatives, 2018 convictions maso-marxistes, les jeunes nostalgiques qui ne se dément toujours pas aujourd’hui. — L’Enragé, les 12 numéros enfin réunis, ont tenté de faire de l’imagerie soixante-huitarde : ça en Hoebecke, 2018

161 162 MARLÈNE GRAINES POUR QUI VOTEZ-VOUS ? SCHIAPPA DE STAR PAR SACHA HOULIÉ RAQUEL ELSA & PIERRE PERSON GARRIDO FAUCILLON DIRECTEUR DE LA PUBLICATION REVUECHARLES.FR Frédéric Houdaille POUR S’ABONNER OU COMMANDER DIRECTEURS DE LA RÉDACTION DES ANCIENS Frédéric Houdaille NUMEROS & Alexandre Chabert RÉDACTEUR EN CHEF L’INTERVIEW Arnaud Viviant D’UN DIRECTION ARTISTIQUE David Garchey CHARLES PROCHAIN NUMÉRO DOSSIER DE COMITÉ DE RÉDACTION LE 27 JUIN 2018 VIS MA VIE COURSON Majda Abdellah, Céline Alléaume, César Armand, Grégoire Arnould, Clémentine Autain, Roselyne DE DÉPUTÉ Bachelot-Narquin, Olivier Bailly, François Bégaudeau, Antoine Bello, Julia Benarrous, Taoufik Ben Brik, Frédéric Beigbeder, Lamia Belhacene, Anne Berest, Franck Berteau, Yves Bigot, REVUE CHARLES Loris Boichot, Pascale Boistard, Octave Bonnaud, Soizic Bonvarlet, Marie-Pierre Bourgeois, ÉDITIONS LA TENGO 18 rue Oberkampf, 75011 Paris Baptiste Bouthier, Pierre-Yves Bournazel, Gilles Boyer, Myriam Brando, Patrick Braouezec, FRANÇOIS DE RUGYu Ian Brossat, Christian Brugerolle, Antoine Buéno, Bertrand Burgalat, Simon Capelli-Welter, www.la-tengo.com ADRIEN QUATENNENSuu Mathilde Carton, Yan Céh, Alexandre Chabert, Julien Chabrout, Ariane Chemin, Frédéric Ciriez, [email protected] LES DÉPUTÉS CORSES Jérémy Collado, Alexis Corbière, Laura Daniel, Jean-Baptiste Daoulas, Aurélie Darbouret, 01 42 74 38 75 NATIONALISTES uuu Clémence de Blasi, Astrid de Villaines, Ghislain de Violet, Mathieu Dejean, Katia Denard, Marie LE XV PARLEMENTAIREq Desplechin, Geoffroy Didier, Laurent Dominati, David Doucet, Vincent Dozol, David Dufresne, Diffusion-distribution librairies : GÉNÉRATION CORPORATE Laureline Dupont, Guillaume Durand, Mathias Énard, Marc Endeweld, Emmanuel Fansten, Flammarion - Union distribution AU PALAIS-BOURBONy Elsa Faucillon, Olivier Faye, Guillaume Fédou, Raquel Garrido, André Gattolin, Jérôme Guedj, Distribution presse : MLP LE GROUPE D'AMITIÉ François George, Alexandre Gilardi, Cécile Guilbert, Pierre-Simon Gutman, Pierre Guyot, Diffusion et réassort : FRANCE-SYRIE Vincent Hein, Laurent Joffrin, Pierre Jouan, Chloé Juhel, Nicolas Kssis-Martov, Anne Laffeter, Lola Lafon, Sébastien Lapaque, Daniel Leca, Frédéric Lefebvre, Thomas Legrand, Jean-Yves KD presse - 01 42 46 02 20 Leloup, Emmanuel Lemieux, Jérôme Leroy, Anne Le Strat, Marion L’Hour, Alain Lipietz, Malika Maclouf, Maria Malagardis, Diane Malosse, Roger Martelli, Pascal Mateo, Bénédicte Martin, Prix de vente au numéro : 16 € « APRÈS LA RÉVOLUTION » #1 Jean-Charles Massera, Emmanuel Maurel, Constant Méheut, Mattis Meichler, Pierre Mikaïloff, Abonnement 1 an : 64 € PAR ZARCA Stéphanie Moisdon, Yann Moix, Arthur Nazaret, Zvonimir Novak, Basile Panurgias, Jules Publication trimestrielle Pecnard, Édouard Philippe, Emmanuel Pierrat, Kevin Poireault, Laura Pouget, Maël Renouard, Parution en avril 2018 Camille Rivieccio, Denis Robert, Jean-Luc Roméro, Julien Rebucci, Joachim Salinger, Fanny Saliou, Frédéric Says, Colombe Schneck, Shumona Sinha, Mathilde Siraud, Stéphane Sitbon, Site Internet : revuecharles.fr Jean Stern, Mathias Thépot, Thomas Thévenoud, Myriam Thibault, Lina Trabelsi, Jean- Jacques Urvoas, Flore Vasseur, Camille Vigogne Le Coat, Caroline Vigoureux, Hélèna Villovitch, Arnaud Viviant, Marin de Viry, Martin Winckler, Johann Zarca ISBN : 978-2-35461-142-2 n°CPPAP 0518D91805 PHOTOGRAPHES Achevé d’imprimer Nadège Abadie, Sophie Carrère, Mathieu Génon, Samuel Guigues, Édouard Jacquinet, Arnaud Meyer, Patrice Normand en mars 2018 par Imprimerie de Champagne, ILLUSTRATIONS ZI Les Franchises UNE BRÈVE Anne-Gaëlle Amiot, Jocelyn Collages ISBN : 978-2-35461-142-2 52200 Langres HISTOIRE SUPERVISEUR N° d’impression 0.1246 Jacques Quintallet Dépôt légal : avril 2018 DES AFFICHES DE MAI 68 163 9 782354 611422 164