La Saga Des Maghrébins En France Ils N’Ont Rien Dit À Leurs Enfants
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LeMonde Job: WMR2197--0001-0 WAS TMR2197-1 Op.: XX Rev.: 23-05-97 T.: 19:44 S.: 75,06-Cmp.:24,07, Base : LMQPAG 49Fap:99 No:0014 Lcp: 196 CMYK b TELEVISION a RADIO H MULTIMEDIA CINÉMA FRANCE-CULTURE « La Ballade « Premier roman- Sept énigmes de Narayama », première dans les sous-sols première Palme dramatique », ou du Deuxième d’or du cinéaste l’art de la réduction. japonais Shohei Imamura. Page 22 Page 27 Monde. Page 36 La saga des Maghrébins en France Ils n’ont rien dit à leurs enfants. Ni comment ni pourquoi ils étaient arrivés un jour en France. Les pères d’abord, puis les mères racontent. Yamina Benguigui a mis deux ans pour accomplir ce formidable travail sur la mémoire. Des tragédies, des bouffées de rire et de vie. Pages 2 et 3 La campagne Bagarre de banquiers électorale sur Internet Les Français lancent un système sur les ondes sophistiqué de paiement Reportages, émissions, budgets : sur Internet. Un quitte comment les radios couvrent les ou double pour conquérir élections législatives anticipées. le marché mondial où Exemples choisis à France-Inter, les Américains sont déjà très France-Info et RTL. Page 26 présents. Pages 32 et 33 SEMAINE DU 26 MAI AU 1er JUIN 1997 LeMonde Job: WMR2197--0002-0 WAS TMR2197-2 Op.: XX Rev.: 23-05-97 T.: 20:07 S.: 75,06-Cmp.:24,07, Base : LMQPAG 49Fap:99 No:0015 Lcp: 196 CMYK MÉMOIRE D’IMMIGRÉS VENDREDI 30 MAI 20.35 Les silences dévoilés de la mémoire maghrébine PHILIPPE BRAULT Une superbe trilogie dresse, de l’intérieur, l’histoire de la communauté maghrébine en France. Yamina Benguigui a mis deux ans pour rassembler tous ces témoignages simples, émouvants. Un événement sur Canal Plus HAQUE jour dans pendant vingt ans au Maroc des ouvriers l’actualité, l’immigra- agricoles en bonne santé, pour le compte tion est partout. Mais des industries françaises. « Au lieu de venir où sont les immigrés, de Corrèze, ils arrivaient d’Algérie. Nous ne en particulier à la recrutions que des célibataires. Nous n’avions CANAL +/BANDITS télévision ? On pas le sentiment de faire venir des gens de pourra se poser cette l’extérieur », précise François Ceyrac, ancien question avec un peu président du CNPF. Les accords de main- moins d’appréhen- d’œuvre discrètement signés d’Etat à Etat sion après la diffusion, par Canal Plus, de la présentaient le double avantage de fournir Ctrilogie documentaire de Yamina Bengui- à la France quantité de bras bon marché et gui. Depuis quinze ans, l’exploitation poli- de soulager la forte pression du chômage tique effrénée des craintes liées aux flux dans les pays du Maghreb. migratoires a fini par faire oublier les indivi- Toutes ces réalités prennent un autre dus, hommes et femmes, qui se cachent relief dans la bouche de ceux-là mêmes qui, derrière ce fructueux thème de campagne. un jour, ont entrepris le voyage. Quelques Au point de masquer les motifs profonds larmes furtives sur le visage de Kemaïs de la présence massive en France de ceux Dabous, OS tunisien chez Renault-Billan- qui, bon gré mal gré, symbolisent cette réa- court pendant quarante ans, en disent plus lité : les Maghrébins. long que bien des récits sur la douleur de CANAL +/BANDITS Pourquoi des centaines de milliers l’exil. Les souvenirs de son « transfert » d’entre eux ont-ils traversé la Méditerranée direct du bled vers les mines de Lens par tabiliser leurs enfants à la recherche d’une au moment même où, dans les années 50 et Abdellah Samate valent mieux que bien des identité valorisante. Le « mouvement 60, leurs pays obtenaient ou conquéraient pamphlets sur l’exploitation de l’homme beur » des années 80 avait, le premier, leur indépendance ? Pour- par l’homme. Le summum du amorcé ce travail de mémoire, préalable quoi les Algériens se sont-ils Rarement pathétique est atteint avec indispensable à tout ancrage d’avenir dans installés dans le pays qui leur Hamou Goumid, ancien la société française. Depuis lors, l’islam a avait mené la guerre ? Quels cette combattant de 1939 qui finit proliféré sur ce vide identitaire. sentiments nourrit ses jours entre un foyer Le traitement concerne aussi directement aujourd’hui cette partie douleur Sonacotra pour célibataires le passé commun aux Français et aux Algé- importante de la population longtemps de Drancy et sa famille en riens. Le maintien d’énormes flux d’émigra- – sans doute deux milions de Algérie. A travers des témoi- tion vers la France après l’indépendance personnes, dont un tiers a la indicible gnages bouleversants de sim- algérienne symbolise avec force les para- nationalité française – à plicité, émerge surtout chez doxes – qu’il reste largement à explorer – l’égard de leur pays d’origine aura été ces hommes le sentiment des relations avec l’ancienne métropole. et de celui qu’ils ont fini par exprimée accablant d’être passé à côté Qu’une femme d’immigré choisisse une adopter ? Le triptyque de de leur propre vie, d’avoir chanson d’Enrico Macias, artiste pied-noir, Canal Plus amorce des avec autant trimé pour maintenir la pour évoquer sa nostalgie de l’Algérie, et réponses à ces questions fon- flamme du retour, de s’être c’est toute une violente histoire d’amour et En Une, damentales. de vérité battu pour l’indépendance de haine qui s’éclaire de l’intérieur. photo Le silence qui prévaut d’un pays où leurs propres Les immigrés ont donc une voix. Ils de Philippe aujourd’hui est non seulement celui des enfants sont à présent des étrangers, parlent sans le moindre porte-parole et Brault institutions mais aussi et peut être surtout d’avoir fini par prendre racine dans c’est un événement. Mais la véritable réus- (extraite celui des intéressés eux-mêmes. Du côté l’ancienne puissance coloniale. site de Yamina Benguigui est d’avoir su cap- d’un ouvrage des officiels, les acteurs interrogés par Rarement cette douleur longtemps indi- ter la parole des femmes, celles qu’on a à paraître Yamina Benguigui confirment au grand cible, tabou suprême dans beaucoup de expédiées brutalement dans les bidonvilles aux Editions jour ce que chacun peut savoir : « On se familles maghrébines, aura été exprimée ou les cités de transit le jour où le « regrou- Actes Sud, partageait le gâteau de l’immigration », se avec autant de vérité. De ce point de vue, le pement familial » s’est imposé au nom du textes souvient avec nostalgie un « sélectionneur travail de Yamina Benguigui relève d’une respect des droits de l’être humain. Avec de Christophe de main-d’œuvre » de l’Office des migra- salutaire thérapie collective : les silences elles, le film explose : récit d’un enferme- TELEVISION Gallaz) tions internationales (OMI) qui a choisi des parents immigrés n’ont pas fini de dés- ment physique et social total, d’une misère 2 Le Monde b Télévision a Radio H Multimédia Dimanche 25 - Lundi 26 mai 1997 LeMonde Job: WMR2197--0003-0 WAS TMR2197-3 Op.: XX Rev.: 23-05-97 T.: 20:07 S.: 75,06-Cmp.:24,07, Base : LMQPAG 49Fap:99 No:0016 Lcp: 196 CMYK matérielle inimaginable, de mariages et un témoin, tandis qu’une femme décrit d’enfants imposés, mais aussi d’une liberté ainsi ses retours d’Algérie : « Là-bas, conquise dans la sueur et dans les larmes. j’étouffe. Quand l’avion descend sur Orly, je « La liberté, moi je l’ai prise et je l’ai donnée à respire. » Des aveux sans doute coûteux mes enfants, dit magnifiquement Yamina pour leurs auteurs, mais qui révèlent les Baba Aïssa. Jamais je n’aurais fait à mes filles non-dits d’une intégration profonde. ce qu’on m’a fait. » « Mes parents n’ont Emouvant mais moins réussi, le troisième jamais voulu que je fasse d’études. Je me suis volet sur « les enfants » revient sur un ter- vengée sur mes enfants », résume Aldjia rain déjà largement labouré. Il présente une Bouachera. « Je me baigne en maillot. J’ai image trop aseptisée, trop limitée à la seule ma liberté », proclame cette sexagénaire « beurgeoisie », mais témoigne de marseillaise avec gourmandise. l’incroyable rapidité du processus Paroles d’émancipation et cris de déses- d’acculturation. De la nécessité aussi de poir, accès incurables de nostalgie du pays poursuivre et d’approfondir l’écriture de cet mais aussi cris d’amour pour la France. album de famille des Maghrébins de Yamina Benguigui innove encore en refu- France, chapitre tout neuf destiné à enrichir sant le stéréotype bien-pensant des immi- celui de tous les Français. grés-éternelles victimes, terriblement dépri- mant, déstructurant et mensonger. « Grâce Philippe Bernard à la France, j’ai appris le droit de dire PHILIPPE BRAULT/CANAL + “ Merde ” quand je ne suis pas d’acord », dit La réalisatrice (à droite) pendant le tournage a Rediffusions les 3, 18 et 26 juin. « Mais qui va nous écouter, ma fille ? » « Comment est née l’idée de cette en- équipe. C’était lourd, alors qu’il fallait être issu de cette histoire qui est un moment de quête ? léger. Mais c’était un choix. Je ne voulais son histoire économique. – J’en avais envie depuis mon dernier pas de vidéo, je voulais un vrai film. Mais il – Pourquoi ne pas avoir parlé de la film, Femmes d’islam. J’avais rencontré des fallait changer les bobines toutes les dix mi- montée de l’intégrisme ? « mamas » maghrébines. Je les interrogeais nutes ! L’équipe était complice. Pas de clap, – Je l’ai fait avec Femmes d’islam. Il s’agit sur le fait d’être musulmanes, et toutes me jamais de « Coupez ! ».