Karl Marx Mon Arrière-Grand-Père
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KARL MARX MON ARRIÈRE-GRAND-PÈRE Tous droits réservés pour tous pays. © 1977, Éditions Stock L'auteur tient à remercier ici la direction de la Maison de Marx, à Trèves pour son cordial accueil. Il tient tout particulièrement à manifes- ter sa profonde reconnaissance aux amis, diri- geants et collaborateurs scientifiques des grands instituts du marxisme-léninisme de Berlin et de Moscou de lui avoir si généreusement consacré de longues heures d'entretiens et d'échanges de vues sur le projet de cet essai. L'auteur tient enfin à remercier sa femme Christine pour sa précieuse collaboration. Avant-propos Un nombre considérable de livres ont été consacrés dans toutes les langues à Karl Marx et au marxisme, et ce nombre ne cesse de croître dans d'énormes proportions au fur et à mesure que de nouveaux manuscrits et lettres, découverts ces dernières années, font l'objet d'études méticuleuses par les savants et cher- cheurs des instituts du marxisme, et tout parti- culièrement des instituts du marxisme- léninisme de Moscou et de Berlin. Parmi ces innombrables ouvrages, publiés ou en cours de publication, les biographies sérieuses sont comparativement peu nom- breuses et sont surtout consacrées aux recherches, aux travaux scientifiques considé- rables de Marx et à sa prodigieuse activité poli- tique. Il apparaît ainsi comme un penseur, un homme de science, auteur du fameux Manifeste du parti communiste, fondateur de l'Association internationale des travailleurs (A.I.T.) et l'auteur du Capital. Mais l'homme, son caractère, ses pensées intimes, sa vie familiale, tout le côté humain disparaît presque complètement derrière son œuvre gigantesque. Il était certes bien normal que les bio- graphes se soient surtout intéressés d'abord et presque exclusivement à son activité écono- mique, sociale et politique, à ses recherches et découvertes scientifiques, pour lesquelles il avait sacrifié sa vie, découvertes qui ont eu et continuent à avoir un énorme retentissement et une influence considérable dans le monde, influence reconnue par tous. Dans sa récente Histoire de l'Allemagne, le très objectif historien Robert Hermann Ten- brock, professeur en République fédérale alle- mande, a écrit : « Depuis la publication du Manifeste communiste, Karl Marx et ses théories ont contribué à façonner l'histoire allemande, puis l'histoire universelle. » La vie familiale et intime de mon arrière- grand-père devait, dans ces conditions, passer au second plan. Elle le devait parce que ce n'était pas l'essentiel, parce que toute sa vie se confondait avec ce qu'il avait réalisé, et que son œuvre était la chose capitale et le centre de toutes les controverses. Par ailleurs, l'étude du personnage présen- tait un certain nombre de difficultés, parce que Marx, cet homme volontaire, fier, fermé, ayant horreur de la sensiblerie et des effusions, avait une pudeur extrême à parler de sa vie privée, de ses sentiments intimes. Pour lui, le but qu'il voulait atteindre seul comptait. Il a ainsi contribué en quelque sorte à placer un écran entre lui-même et son œuvre. Pour tenter de faire un portrait de Marx, il était nécessaire de compiler une masse énorme de documents et d'avoir accès à sa très volumi- neuse correspondance, qui n'a pas encore été totalement publiée. Une étude scientifique, profonde et définitive de Marx ne pourra voir le jour que lorsque les instituts de marxisme- léninisme de Berlin et de Moscou auront ter- miné l'édition des Œuvres complètes et de la totalité de la correspondance, édition en cours et qui ne comprendra pas moins de cent volumes. Eleanor Marx, elle-même, qui avait vécu à Londres près de son père, écrivait en 1896 à Karl Kautsky pour lui faire part de son désar- roi (« I only despair when I think of the task... ») d'écrire une vie de Karl Marx, « intellectually many-sided ». Ce n'est donc pas sans hésitation que j'ai accepté de rédiger ce modeste essai après avoir relu les meilleures biographies, une volumi- neuse correspondance, des documents dans les instituts de Moscou et de Berlin, en y ajoutant les lettres et souvenirs de famille. Et notam- ment ce que m'avait raconté mon père, Jean Longuet, le petit-fils aîné de Marx, ce jeune « Johnny » qui avait été à Londres l'enfant gâté de son grand-père. Je me suis efforcé de dépeindre mon aïeul en le replaçant dans le milieu et l'époque où il est né, a grandi et s'est confronté avec la réa- lité de ce monde en pleine évolution, né du gigantesque bouleversement de la Révolution française et dont l'économie se transformait rapidement par la naissance, en Allemagne, le développement, en France, et l'essor considé- rable, en Angleterre, de l'industrie, et, par voie de conséquence, parallèlement, la formation d'un prolétariat et la diffusion des idées socia- listes. Tout en m'efforçant d'axer cette brève étude sur l'homme et non le théoricien, il était indispensable de s'étendre quelque peu sur la formation de son caractère, les orientations politiques et sociales résultant de l'atmosphère dans laquelle il a grandi. Il a été, en effet, encore jeune lycéen, le témoin attentif des manifestations libérales qui agitaient la petite ville de Trêves, l'une des rares villes d'Alle- magne où se manifestait une opinion publique, manifestations auxquelles son père et son directeur de lycée avaient été étroitement mêlés, et par ce fait même considérés comme suspects par les autorités prussiennes. Ces événements ont indiscutablement frappé le jeune Marx, à la vive intelligence, au sens critique acéré, et séduit son esprit comba- tif. Ils ont certes contribué à favoriser l'évolu- tion libérale de ce fils de notable. Et ce ne sera pas par hasard que les clubs auxquels il adhérera à Bonn et à Berlin étaient les clubs progressistes. Cependant, il serait complètement erroné d'en conclure que, sans ces circonstances favo- rables, Marx n'aurait pu devenir le théoricien du socialisme scientifique, le fondateur et l'animateur de l'Internationale. Rien ne serait plus faux. La pénible expérience d'Engels, au sein d'une famille réactionnaire et piétiste, et sa lutte intérieure en sont la confirmation. Première partie La jeunesse de Marx 1 Trèves, carrefour international Son histoire. L'enfance de Karl Marx. Karl Marx est né en Rhénanie, sur les bords de la Moselle, à Trêves, une des rares villes d'Allemagne qui affichait à l'époque ouverte- ment ses opinions libérales, souvenirs peut- être de son glorieux passé. L'histoire nous apprend en effet que les représentants de Trèves jouèrent un rôle important auprès de Jules César, proconsul des Gaules, et que cette ville de la Moselle romaine se développa pour devenir au V siècle Augusta Treverorum, c'est- à-dire ville impériale. Elle fut le centre de l'ad- ministration romaine de l'Occident, qui com- prenait alors la Gaule, la Grande-Bretagne et l'Espagne. Trèves était un foyer de civilisation et de cul- ture. De nombreux monuments historiques, le palais impérial, les bains romains et la fameuse Porta nigra attestent encore la splen- deur de l'époque romaine. La ville fut de tout temps un carrefour international. En 1332, l'ambassade de l'évêque de Lincoln — restée célèbre — est un exemple des rapprochements anglo-rhénans. Plus tard, au XIV siècle, l'ar- chevêque de Trèves était également archi- chancelier des Gaules, et, en 1632, le cardi- nal de Richelieu prit le titre de prévôt de Trêves. Mais c'est la Révolution française qui va marquer profondément toute cette région du Rhin et de la Moselle. En 1795, la Rhénanie est annexée par la France et va le rester pendant vingt ans. Les Rhénans accueillirent avec cha- leur les principes et les lois révolutionnaires qui abolissaient la division entre nobles, bour- geois et paysans. Ils sont devenus tous égaux sur le plan politique, juridique et fiscal. La vente des biens de la noblesse et du clergé enri- chit la bourgeoisie, qui devient progressive- ment la classe, sinon dirigeante, mais aspirant de plus en plus à l'être. Les bourgeois rhénans sont donc très atta- chés à la France qui, par l'introduction de son Code civil, protège leurs nouveaux privilèges. Cette influence française contribue largement à former dans les milieux intellectuels un cou- rant libéral et démocratique qui cherche à exprimer les aspirations d'une jeune bour- geoisie avide — après le démantèlement du car- can féodal par la France — de conquérir la plus grande liberté et l'égalité politique. Les idées de Saint-Simon et de Fourier com- mencent à se répandre, à influencer les jeunes professeurs, docteurs, poètes et journalistes. Et à Trèves même, un fonctionnaire de la ville, Ludwig Gall, publie en 1825 (Marx a sept ans) une brochure inspirée de Fourier. C'est donc dans cette Allemagne divisée, désunie, très en retard économiquement sur la France et l'Angleterre, mais secouée par les principes de la Grande Révolution française et bouillonnante d'idées, au moment où la Sainte- Alliance avec le tsar et Metternich s'efforce d'abolir les libertés acquises, c'est-à-dire en pleine lutte entre libéraux et réactionnaires, que naît Karl Marx, le 5 mai 1818, dans cette charmante ville de Trèves que Goethe décrit ainsi dans sa Campagne de France : « La ville a un caractère singulier. Elle prétend posséder plus d'édifices ecclésiastiques que toute autre ville de même étendue, et cette gloire ne peut lui être contestée, car au-dedans des murs elle est remplie, obstruée d'églises, de chapelles, de cloîtres, de couvents, de maisons de cheva- liers et de moines ; au-dehors elle est bloquée, assiégée d'abbayes, de monastères, de char- treuses.