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Brasseur / Les manuscrits • 1

Les manuscrits de la Chanson des Saisnes1

Annette Brasseur L’Université Charles de Gaulle—Lille

Le texte de la Chanson des Saisnes est parvenu jusqu’à nous par quatre voies différentes: trois manuscrits, dont deux se trouvent à et un à Cologny-Genève, et l’édition d’un manuscrit aujourd’hui disparu qui appartenait à la Bibliothèque universitaire de Turin. Nous avons assigné à ces quatre sources les sigles attribués par nos prédécesseurs. A, Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 3142 (ancien B.L.F. 17S) Ce manuscrit célèbre aux tranches dorées et au dos à six nerfs est un gros volume sur vélin qui porte une reliure du XVIIIe siècle1 en maroquin rouge2 à fils d’or. Au-dessus du premier nerf et au-dessous du dernier, apparaît un chiffre (celui de Guyon de Sardière?): il s’agit de lettres entrelacées surmontées d’une couronne de duc ou de marquis, et entourées d’étoiles à cinq branches. Entre le premier et le sixième nerfs sont mentionnées, dans un encadrement rectangulaire à fil d’or, les principales oeuvres copiées dans ce codex: Cleomades / Ogier / le Danois //3 Bert. au gr. pied / Poesies de mars / De Cambray // Brugnon

1 La réalisation de cette étude n’aurait pas été possible si nous n’avions pas bénéficié des très précieux conseils des conservateurs des Sections romane et de codicologie de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes, en particulier de Mademoiselle Annie Genevois et de Monsieur Jean-François Genest qui se sont toujours efforcés, avec la plus bienveillante attention, d’élucider nos difficultés. Nous tenons également à exprimer ici notre reconnaissance à Madame Bouly de Lesdain qui, dès l’entreprise de notre thèse de Doctorat d’Etat consacrée à l’étude et à l’édition de la Chanson des Saisnes de Jehan Bodel, nous a mise sur la voie de la découverte du manuscrit L. Grande aussi est notre dette à l’égard du Comité d’administration de la Fondation Martin Bodmer et de son Directeur, le Docteur Hans Braun qui nous ont permis de consulter à loisir ce manuscrit à la Bodmeriana. Enfin, c’est pour nous un agréable devoir de dire de quel secours (ô combien précieux!) nous ont été, dans l’examen des manuscrits l’expérience et le dévouement de Monsieur Roger Berger, notre collègue à l’Université Charles de Gaulle- Lille III. 2 • Olifant / Vol. 19, nos. 1-2

de Com / Le reclus / de Moliens // Congé de / Jean Bodel / Charlemagne // Fables et prov / Prieres et mora //.

Le contenu de ce volume se répartit de la manière suivante:

Cahiers Folios Col. Contenu Remarques

4 feuilles de Le papier utilisé pour la reliure garde de papier est marbré

1 feuille de Le recto est occupé aux 3/4 par papier sur onglet l’analyse du contenu du ms., réalisée par 3 mains, dont celle de Charles Magnin, identifiée en note par Soyer: «Cette écriture est celle de M. Magnin secrét. de M. de Paulmy et pére de M. Charles Magnin auj. bibliothécaire du Roi, etc., etc.» A la fin de cette analyse, un paragraphe est consacré à J. Bodel: «On ne trouve ici que le congé ou l’adieu de Jean Bodel ou Bodiau d’Arras. C’est l’ouvrage le plus connu de lui, mais on prétend qu’il a fait de plus un roman sur la bataille de roncevaux qui finit ainsi—Cy fine la bataille de roncevaux ou roll. et ol. et leurs compagnons moururent, et guenelon les ventian (sic), roy marsile, et suspendu, et detrait a chevaux» Vers le bas de ce recto est précisé: «trouvé dans 3142»

1 feuillet de En haut du recto, vers la droite, parchemin sur figure: BL 1662, et un peu plus onglet loin A Au verso, on peut lire le catalogue des œuvres que renferme ce codex, avec indication des folios

Brasseur / Les manuscrits • 3

Cahiers Folios Col. Contenu Remarques

1-9 1-72ro 3 Li Roumans de fo 1ro en bas: signature «Guyon de Cleomadés Sardière» d’Adenet le Roi 2ro annotation : «voir: ms. 7539» et un compte 3vo annotation: Bearn, 730. 9vo en bas, 2319 couture au bas du fo 13. 22ro «5479» 26 couture sur le côté du folio

72ro 2 72ro explicit de Cleomadés (vers le bas de la 2e colonne)

72vo blanc

10-15 73ro-119vo 2 Les Enfances 73ro changement de main et Ogier d’Adenet d’encre le Roi 86vo changement de main et d’encre 119vo explicit des Enfances Ogier (vers le milieu de la 2e colonne) entre 119 et 120 deux feuillet coupés

120ro blanc

16-18 120vo-140vo 2 Berte aus grans 120vo 1 seule colonne piés d’Adenet le 124 couture vers le bas, 124 vo Roi pas de réclame 132vo pas de réclame 140vo explicit de Berte au milieu de la 1ère colonne (le reste de la page est blanc)

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Cahiers Folios Col. Contenu Remarques

19-22 141ro-166vo 3 Moralité des 146vo «1348» à l’encre, pas de philosophes réclame d’Alart de 149vo «2111» au crayon Cambrai 151vo «2604» à l’encre 154vo pas de réclame 159vo «5319» à l’encre 162vo «5319» à l’encre

22-23 166ro-178vo 3 Paraphrase 166o changement de main et rimée du livre de d’encre Job 169 couture sur le côté 178vo explicit du livre de Job (fin de la 2e colonne)

24-26 179ro--201vo 2 Buevon de 179ro changement de main et Conmarchis d’encre. Annotation: «Aymeri de d’Adenet le Roi Narbonne adoube ses deux neveus Gerard et Guidoi» 180vo: annotation «Bataille sur la rivière d’Aude» 184vo «ils sont délivrés par Clarion» 186vo «Prise de Barbastre» 187vo «L’amustan s’éloigne de Narbonne» 201vo 2 vers seulement, le reste du folio est blanc, pas de réclame

202 blanc 202vo pas de réclame, mais annotation au bas du feuillet: «.I. milier et .IV. Sens et et (sic) .XLII. letres»

27-28 203ro-216vo 3 Le Miserere du 203ro changement de main et Reclus de d’encre Moliens 216vo explicit du Miserere

28-29 216vo-226vo 3 La Carité du 226vo explicit de la Carité Reclus de (milieu de la 2e colonne). Le Moliens reste du folio est blanc. Pas de réclame

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Cahiers Folios Col. Contenu Remarques

30 227ro-229ro 3 Les Congés de 229ro explicit des Congés (milieu Jehan Bodel de la 1ère colonne, le reste de la colonne est blanc)

30-33 229ro-253vo 2 La Chanson des 235 et 237 couture sur le côté Saisnes de Jehan 237ro annotation marginale: «Ici Bodel dans le manuscrit de Cahors est une initiale plus grande indiquant le commencement d’une seconde branche» 237vo annotation marginale: «nouvelle initiale plus grande» 244 et 246 coutures antérieures à la copie 247 trou sur le côté Entre 253 et 254, un feuillet coupé

254-255 blancs

34-36 256ro-273ro 3 Les Fables de 256ro changement de main et Marie de d’encre 273ro explicit des Fables

36 273ro-278vo 3 Les Proverbes au 278vo 1 colonne 1/4 restée Vilain blanche

279 blanc, quadrillé 279ro annotation vers le bas du recto-verso folio: «Je syre de Comynes recongnois ce livre m’apartenir l’ans 1495» 279vo pas de réclame

37 280ro-281vo 3 Pourquoi Dieu fit le monde et toutes les créatures qui sont dedans

37 281vo-284vo 3 Les quatre soeurs

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Cahiers Folios Col. Contenu Remarques

37 284vo-285ro 3 Moralités sur ces six vers: C’est l’avis c’on dit es pres /Jeu et bal i sont criés /Camelos i veut aler /A sa mere en aquiert gres /Par Dieu fille vous mires /Trop y a de bachelers au bal

37 285ro-285vo 3 Ave, Maris Stella, en françois

37 285vo-286ro 3 Save (sic) regina de Notre- Dame en françois

37 286ro 3 Avarice

37 286vo 3 Les Prières de Notre-Dame

37 287ro-287vo 3 Salut de Notre- Dame en françois

37-38 287vo-291ro 3 Le Notre-Père, 287vo pas de réclame en françois

38 291vo-292ro 3 L’a.b.c. plantefolie

38 292ro-293ro 3 Le Mariage des filles du diable

38-39 293ro-296ro 3 Le Dit de la 295vo pas de réclame Vigne de Jehan de Douai

39 296ro-296vo 3 et Les Neuf Joies 297ro passage de 3 col. à 2 col. 2 de Notre-Dame

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Cahiers Folios Col. Contenu Remarques

39 296vo-297vo 2 Une Prière de Notre-Dame

39 297vo-299vo 2 La Bible de Notre-Dame en françois

39 299vo-300ro 2 Un salut de Notre-Dame

39 300ro-300vo 2 La Prière de Theophile

39-42 300vo-320ro 2 et Les Dits de 301ro passage de 2 col. à 3 col. 3 Baudoin de 307 trou sur le côté Condé 318 couture sur le côté 319 couture antérieure à la copie, 319ro changement de main et d’encre

42 320ro-321vo 3 Les Proverbes de au bas de 321vo, signature de Sénèque le Guyon de Sardière philosophe

2 feuillets de non numérotés; grotesques au parchemin assez recto du 1er feuillet grossier

4 feuilles de vo marbré de la dernière feuille garde de papier

Sur les 42 cahiers qui composent ce manuscrit, 38 ont 8 feuillets; le 16e, le l9e et le 33e cahiers ont seulement 6 feuillets, et le dernier n’en comporte que 2. 27 cahiers sont munis d’une réclame en bas du dernier folio, celle du 30e cahier a été fortement rognée par le couteau du relieur; les 9e, 6e, 7e, 8e, 20e, 23e, 26e, 29e, 33e, 36e, 37e, 38e, 42e cahiers en sont dépourvus. Les uns en sont démunis parce que leur dernier feuillet comporte l’explicit d’une oeuvre (9e, 6e, 18e, 23e, 29e) ou est resté blanc (26e, 33e, 36e), ou encore a été coupé (42e), les autres (17e, l9e, 20e, 37e, 38e) sans doute parce que l’inscription, placée trop bas, a disparu sous le couteau du relieur. Les cahiers 1-8 et 10-14, qui correspondent à deux œuvres d’Adenet le Roi, sont pourvus d’une réclame accompagnée du numéro d’ordre du cahier (.I.-.VIII. et .I.-.V.). 321 feuillets, qui mesurent 248 sur 333 mm et sont 8 • Olifant / Vol. 19, nos. 1-2

réglés à la mine de plomb dans une justification de 193 sur 246 mm, ont reçu une numérotation.4 Un peu plus de la moitié de ce volume est consacrée à de longs «romans de chevalerie», parmi lesquels se trouve toute l’œuvre d’Adenet le Roi, qui n’occupe pas moins de 162 folios sur 321. Le reste de l’ouvrage renferme des poèmes à caractère moral ou religieux, voisinage moins insolite qu’il ne pourrait paraître au premier abord, la présentant des traits communs avec une littérature semi-hagiographique, écrite elle aussi en laisses. Les grandes œuvres qu’il contient et la majorité des autres ont été composées dans le nord de la France. Ce très beau codex, «un des manuscrits les plus soignés qui nous soient restés du moyen âge», constatait H. Martin,5 est transcrit sur un vélin de très bonne qualité et parfaitement conservé. Plusieurs encres, plus ou moins foncées, excellentes en général, ont été utilisées par les différentes mains qui ont copié ce volume et ont noté les titres en rouge. L’écriture, fine et régulière (hauteur 2 mm), tout particulièrement soignée entre les folios 203 ro et 256 ro, suit de très près les lignes tracées à la mine de plomb. Très peu de lettres et de mots sont placés en interligne ou exponctués, aucune rature n’est apparente. Toutes les lettres sont consciencieusement formées. Le i bien distinct est pourvu d’un léger accent qui semble plus marqué dans les cas où l’on pourrait hésiter. Le u et le n, le t et le c ne sont jamais confondus, et le v se détache bien à l’initiale. Ce manuscrit est orné avec beaucoup de goût. Les initiales des strophes, toutes sur le même modèle, sont dorées et encadrées de bleu ou de vieux rose. L’intérieur, décoré de légères volutes ou de petites croix blanches et de feuillages, est alternativement vieux rose ou bleu profond, suivant la couleur de l’encadrement. La haste de certaines initiales de strophes dépasse nettement l’encadrement, vers le haut pour L ou vers le bas pour P et Q. Ces lettres ont une longueur variable: L (17 x 17 mm), F (23 x 18 mm) et H (21 x 20 mm) sont plus grandes que toutes les autres (12 x 12 mm). Les miniatures étincelantes d’or sont tout à fait remarquables par leur facture et par leur variété. Les grandes miniatures des folios 1 ro,6 72 ro,7 73 ro,8 120 ro,9 179 ro10 et 227 ro11 sont à juste titre célèbres et marient harmonieusement leurs personnages aux abondantes illustrations florales et animales qui s’étalent largement dans les marges.12

D’autres miniatures de dimensions plus modestes (280 ro, 286 ro, 309 vo) souvent très proches l’une de l’autre (256 ro-273 ro), forment une Brasseur / Les manuscrits • 9

succession de petits tableaux, haltes fraîches et reposantes, dont il serait intéressant d’analyser tous les sujets, documents de premier ordre pour des études archéologiques et iconographiques, et d’une manière générale pour l’histoire de l’art et de la civilisation au Moyen Age. Au folio 311 vo, avec la grisaille sans fond du dit des trois morts et des trois vifs, la riche palette perd un instant ses droits (plus d’or, de vieux rose ou de bleu profond), désormais toute l’attention est accordée à l’exécution des dessins: les reliefs, les creux et les plis sont soulignés avec une très grande minutie.13 Cette illustration réaliste et austère de «l’endroit et de l’envers» des choses humaines, qui offre pour l’intelligence du poème plus de précisions qu’un long commentaire14 («l’artiste laisse à la seule description des vicissitudes du corps la tâche de provoquer l’effroi»),15 n’apparaît en aucun autre endroit. Elle tranche d’autant plus fort sur l’ensemble que, quelques folios plus loin (320 ro-321 vo), les rouges, les bleus et les ors triomphent et viennent agrémenter non seulement les initiales des poèmes qui se succèdent à un rythme très rapide, mais aussi les fins de lignes sous forme d’arabesques très variées. Toutefois, cette admirable tentative isolée d’un artiste, et même d’un précurseur qui a cherché à s’affranchir des règles observées par ses devanciers16 n’infirme pas l’impression d’unité laissée par le manuscrit. L’idée directrice qui commandait la présentation des textes, la relative uniformité de l’écriture et surtout une parfaite homogénéité de la décoration (aussi bien pour la figuration d’objets, pour la répartition en groupes bien équilibrés des personnages au visage pâle et aux chevelures bouclées que pour la décoration exubérante des marges) laissent à penser que ce codex, exécuté par plusieurs artistes, remarquables dessinateurs parfois, est sorti d’un seul et même atelier qui pourrait avoir été soumis, comme tant d’autres, à l’influence d’Honoré de Paris.17 La présence dans le codex des quatre grandes œuvres d’Adenet le Roi, dont l’activité littéraire se situe entre 1269 et 1285,18 montre que le manuscrit ne peut avoir été réalisé avant la plus ancienne de ces dates. H. Martin19 avait suggéré, avec beaucoup de prudence, qu’il aurait pu être exécuté pour la reine de France, Marie de Brabant,20 fille du duc Henri III de Brabant, le protecteur d’Adenet, peu de temps avant la mort de son mari en 1285. Cette hypothèse rejoignait l’intuition de Guyon de Sardière, qui précisait en 1732 «de la fin du règne de philippes le hardi ou du commencement de celuy de philippes le bel.»21 Elle a été réfutée d’une manière trop catégorique par A. Henry22 qui a 66 • Olifant/Vol. 19, nos. 1-2

MS. Paris, Ars. 3142 (manuscrit A), fol. 229 Brasseur / Les manuscrits • 67

MS. Paris, Ars. 3142 (manuscrit A), fol. 230 68 • Olifant / Vol. 19, nos. 1-2

MS. Paris, Ars 3142 (manuscrit A), fol. 231 Brasseur / Les manuscrits • 13

donné une valeur d’affirmation à ce qui n’était, de la part d’H. Martin, qu’une simple supposition.

Toute datation relativement précise de ce manuscrit doit être tirée de l’enluminure du folio 1 ro. Le miniaturiste a représenté, d’une part Adenet le Roi, et d’autre part trois hauts personnages identifiables par leurs armoiries. On y voit la reine Marie portant la couronne royale et une robe sur laquelle est représenté le blason de France parti de Brabant. La reine est allongée sur un lit; cette situation ne peut pas être sans signification: elle correspond probablement à la naissance d’un enfant. Une telle scène se situe donc après juin 1275.

Une autre femme, assise près du lit, sur un pouf oriental, est aussi facilement identifiable, puisqu’elle porte également une couronne royale et une robe armoriée de France parti de Castille et de Léon: il ne peut s’agir que de la reine Blanche,23 fille de saint Louis et épouse de l’Infant de Castille Fernando de la Cerda. La présence de cette seconde reine auprès de sa belle-sœur ne s’explique bien qu’après son veuvage survenu en 1275, et mieux encore après 1276, époque de son retour en France.

Le troisième personnage, assis lui aussi près de la reine, est un adolescent portant un écu de sable au lion d’or: il ne peut être que Jean II de Brabant, né vers 1276.24 Si l’artiste l’a représenté auprès de sa tante Marie, c’est que la scène se situe après la mort de sa mère, Marguerite de Flandre (survenue le 3 juillet 1285) et, pendant que son père était en campagne,25 c’est-à-dire avant le cours de l’année 1286. En tout cas, la miniature est antérieure à 1290, au plus tard, date à laquelle les armes de Brabant, ici représentées, ont été modifiées pour recevoir aussi celles du Limbourg,26 d’argent au lion de gueules. Ainsi cette miniature est postérieure à 1275 (date du mariage de la reine Marie) et antérieure à 1290 (date de la modification des armes du Brabant). On peut aussi, sans risque d’erreur, resserrer la chronologie entre juillet 1285 (date de la mort de la duchesse Marguerite)27 et 1290, et plus précisément encore entre juillet et octobre 1285,28 puisque la reine Marie, parée de riches couleurs ne porte aucun signe de son veuvage. C’est dans ce laps de temps très court que nous situerions volontiers sa confection. Cette miniature offre donc un repère chronologique très sûr pour l’ensemble du manuscrit dont l’écriture et surtout la décoration sont homogènes. 14 • Olifant / Vol. 19, nos. 1-2

Nous possédons quelques renseignements sur les possesseurs de ce manuscrit.29 Il ne faut pas attacher d’importance à l’indication qui figure vers le bas du fo 279 ro: «Je syre de Comylles, recongnois ce livre m’apartenir 1 1495», car il s’agit d’un pastiche exécuté par une main du XXe siècle qui a cherché à contrefaire l’écriture du XVe siècle (la forme des chiffres ne laisse subsister aucun doute). Nous savons, qu’il a appartenu au bibliophile J. B. D. Guyon de Sardière (?-1759)30 dont la signature est visible au bas du premier et du dernier feuillets. Ce collectionneur lui avait attribué le no 527.31 A la mort de son propriétaire, il fut acquis par le duc de La Valtière (1708-1780)32 qui possédait dans son château de Montrouge la plus riche collection qu’un particulier ait jamais eue en France.33 Il y fut étudié par E. Barbazan (1694 ou 1696-1770) qui, spécialisé dans les classements de bibliothèques, dressa à partir de 1760 le catalogue des manuscrits du duc. Il faisait partie des «manuscrits modernes» et portait le no 202 dans cet inventaire. Dans la notice de E. Barbazan (Arsenal, no 4629, pp. 373-76), il était intitulé Recueil de Poesies ecrites dans le 13e siècle, et le poème de J. Bodel était présenté sous le titre Roman de Charlemagne par un anonime.34 Comme beaucoup de livres, il ne fit que passer chez le duc de La Vallière,35 il fut revendu avant 1767,36 au receveur général des consignations des requêtes du Palais, L. J. Gaignat (1697-1768),37 qui installa sa bibliothèque, une des plus remarquables de son siècle, à partir de 1749, à l’Hôtel de la Ferté, 12 rue de Richelieu, à Paris. Il y portait la cote 1750, et le chiffre 200 (probablement 200 livres, son prix de vente) figurait en marge de l’article qui lui était consacré dans le catalogue (1769) de cette bibliothèque.38 A la mort de L. J. Gaignat, il fit partie de la vaste bibliothèque de A. R. Voyer d’Argenson, marquis de Paulmy (1722-1787),39 gouverneur de l’Arsenal depuis 1757, qui l’acheta au printemps 1769,40 lors de la vente Gaignat et lui donna la cote Belles-Lettres 1662. Ce manuscrit appartint ensuite, comme tous les autres volumes de cette bibliothèque, au comte d’Artois,41 le futur roi Charles X, en 1781. Cette énorme collection fut épargnée par la Révolution française, pendant l’exil du comte, grâce aux efforts et à l’habileté de Saugrain, bibliothécaire de ce prince.42 Elle devint, sous le Directoire, une Bibliothèque nationale et publique43 avant d’être la Bibliothèque de l’Arsenal44 ou le manuscrit fut conservé dans la division des Belles-Lettres françaises, sous le no 175. La cote actuelle 3142 lui a été attribuée par H. Martin lors de la rédaction du catalogue imprimé du fonds des manuscrits de la Bibliothèque de l’Arsenal (1885-1899).

Dans ce codex, les œuvres de J. Bodel sont écrites d’une seule main, la plus élégante, sur les 30e, 31e, 32e et 33e cahiers. La Chanson des Brasseur / Les manuscrits • 15

Saisnes, copiée après les Congés, sur deux colonnes de 44 vers chacune, occupe les folios 229 ro (en haut de la seconde colonne) à 253 Vo (fin de la deuxième colonne). Deux notes marginales de P. Paris présentent peu d’intérêt. L’une apparaît au folio 237 ro: «Ici dans le manuscrit de Cahors est une initiale plus grande, indiquant le commencement d’une seconde branche», l’autre au folio 237 vo: «nouvelle initiale plus grande». Une des plus belles miniatures (ll0 x 80 mm) du recueil, même si ce n’est pas la plus grande (celle du folio 1 ro ayant 130 X 120 mm), lui sert de frontispice. Elle est pourvue d’un triple encadrement vert émeraude, or, puis vieux rose avec ondulés blancs sur les montants horizontaux, et bleu profond avec ondulés blancs sur les montants verticaux. Des fleurons d’or ornent les angles. Le couronnement miraculeux du premier roi de France se détache sur un fond d’or uni45 à relief, limité dans sa partie supérieure par trois arcs de cercle rose pâle légèrement rehaussés d’orange. Les cheveux blancs frisés jusqu’à la naissance du cou, la barbe soigneusement taillée en pointe, les sourcils bien arqués sous un front haut, le nez droit, les lèvres minces, le souverain au visage ascétique, d’une parfaite régularité, est représenté «en état» sous les traits d’un prince du XIIIe siècle.46 Véritable Christ en majesté, d’une très haute stature,47 il porte une longue robe d’un bleu profond, semée de fleurs de lis d’or et bordée également d’or brillant. Le drapé de la robe, habilement souligné de quelques traits, laisse deviner le mouvement des jambes, tout en évitant de dérober à la vue de longues chausses noires dont une, pour le seul plaisir de l’œil, franchit le cadre sur lequel elle prend appui.48 Assis49 sur un trône en “x” fait de chiens50 adossés, grisâtres (ceux de droite ont la gueule fermée, celui de gauche la gueule ouverte), la main gauche légèrement tendue, la paume tournée vers l’extérieur dans un geste d’acceptation d’hommages,51 le roi est entouré de personnages agenouillés (clercs et vassaux), les deux plus proches du souverain n’étant appuyés que sur un seul genou. De chaque côté du trône, deux d’entre eux, dont le drapé des vêtements rose pâle (pour celui de droite) et bleu clair doublé d’orange (pour celui de gauche) est particulièrement soigné, tendent, le premier, un ciboire et, le second, un calice, en direction du roi. Un troisième sur la gauche, un peu en retrait, tient une grande clef blanche de saint Pierre, semble-t-il; il est caché par deux hommes, aux robes vieux rose barrées d’or à la hauteur de la poitrine et gris pâle, auxquels correspondent à droite trois personnages vêtus successivement de bleu marine, de vieux rose et d’orange. L’impression de foule est suggérée, d’une manière typiquement médiévale, par plusieurs têtes qui se profilent derrière eux. Au-dessus de tous voltigent avec légèreté quatre anges nimbés, aux ailes alternées rose pâle ou orange: trois d’entre eux placent une couronne d’or sur la tête 72 • Olifant/ Vol. 19, nos. 1-2

Le couronnement miraculeux du premier roi de France (miniature du f° 229 r°) Brasseur / Les manuscrits • 17

du souverain, et un quatrième lui glisse un sceptre vert émeraude dans la main droite. Une scène pleine de gravité cérémonieuse est ici présentée avec beaucoup de retenue et de discrète élégance dans la paisible sérénité d’un monde surréel. 52

Sous cette miniature, une lettrine de 10 lignes de haut (53 x 44 mm) introduit le texte. Un fin trait d’or souligne l’encadrement vieux rose orné dans les angles de feuilles d’or stylisées, entourées d’ondulés blancs. Cet encadrement met en valeur le bleu très pur de la lettre. Sur un fond d’or à relief, à l’intérieur de cette lettre, un animal fantastique53 aux couleurs harmonieuses (corps orange et ailes bleu pâle) se dresse sur sa queue d’un rose pâle qui, gracieusement enroulée, porte des feuillages stylisés orange et bleu. La haste de la lettre rose pâle et bleu foncé se prolonge dans la marge de gauche, vers le bas de la page. Agrémentée de gros points d’or, elle se termine en une courbe limitée par deux petites feuilles orange et or.

Le texte de la Chanson des Saisnes, qui comporte ici 4337 vers, s’interrompt brusquement au bas du folio 253 vo, au milieu d’une phrase. Il est suivi d’un feuillet coupé (dont on voit encore une languette d’un demi-centimètre) et de deux autres folios demeurés blancs. S’agirait-il d’une mutilation du manuscrit? Nous ne le pensons pas: la qualité de son parchemin, la beauté de son illustration, le fait que les œuvres sont complètes, attestent que l’on n’a pas supprimé de parties écrites et que le texte copié nous est parvenu dans l’état où le scribe l’avait laissé.

R, Paris, Bibliothèque nationale, fr. 368 (ancien 6985 de la Bibliothèque du Roi) Ce grand codex sur parchemin d’une qualité très commune nous est parvenu sous une solide reliure en maroquin citron qu’il n’est pas facile de dater.54 Les plats de cette reliure, fixés aux ais de bois, sont marqués aux armes de France55 et les six caissons du dos à six nerfs sont ornés de deux L affrontés, surmontés d’une couronne royale et accompagnés de fleurs de lys.56 Entre le premier et le second nerf est inscrit le titre: Roman de Pártonopeus.

Le contenu du volume se répartit de la manière suivante:57 18 • Olifant / Vol. 19, nos. 1-2

Cahiers Folios Col. Contenu Remarques

1 4 feuilles de 1ère feuille collée aux ais de bois garde de 2e feuille ro annotation au milieu: parchemin «volume de 280 feuillets /plus le feuillet A préliminaire /plus le feuillet 231 bis. /Manque la cote 216. /Le feuillet 278 est mutilé /28 novembre 1890» 4e feuille ro: A dans l’angle supérieur droit 4e feuille vo: Codex saeculi XIV, Index et note de l’Abbé Gervais de la Rue, et commentaires de J. N. Descrochais de Monmerqué, Méon et Crapelet

2-6 1ro-40vo 3 Partenopeus de 1ro en haut du folio, de gauche à Blois droite, on peut lire en petite cursive: Bloys . . . en gros chiffres anciens 532 . . . en chiffres plus récents 6985, soixante (presque effacé semble plus ancien que les 2 autres numéros) vers le milieu, estampille rouge: Bibliothecae Regiae 40vo: pas d’explicit, pas de réclame

Brasseur / Les manuscrits • 19

Cahiers Folios Col. Contenu Remarques

7-12 41ro-88vo 3 Le Roman entre le fo 56 et le fo 57, 6 d’Alexandre languettes de papier fort 64vo annotations: 370, fin des branches (?) de Garin-Msc. 342 S.pr. 75ro changement d’encre et de main 88vo La réclame ne correspond pas à la suite du texte. Annotation: «Il manque ici 7 feuillets environ 2000 vers ou bien un seul feuillet si la branche Alixandre revaut (sic) a loi d’empereour»

13-16 89ro-119vo 3 Les Voeux du 96vo pas de réclame paon Entre 104 et 105, 10 languettes de papier fort Les folios 107 et 108, coupés par un instrument tranchant, ont été réparés 116ro changement de main et d’encre

16 119ro-120vo 3 La Signification 120vo réclame qui ne correspond de la mort pas à la suite du texte, l’œuvre d’Alexandre et le est donc inachevée partage de son Annotation: «manquent 2 empire entre ses feuillets près de 600 vers» douze pairs

20 • Olifant / Vol. 19, nos. 1-2

Cahiers Folios Col. Contenu Remarques

17-19 121ro-139vo 3 La Chanson des 122vo annotation: «Ici il y a 18 Sainsnes couplets de plus dans le ms. Lacabane», et chiffre 20 dans la marge de gauche 123ro hom dans la marge de gauche 130ro changement de main et d’encre. Annotation: «Le manuscrit Lacabane donne à partir de là un autre texte; suivant ce que dit M.. Fr. Michel t. I, p. 243. Dans tous les cas il y a plusieurs couplets passés dans lesquels on racontait le retour de Baudoin» 139vo la fin de la 3e colonne est restée blanche

19-21 140ro-160vo 3 La Chanson des 152vo pas de réclame, le bas du hauts faits des folio a été réparé douze pairs de Entre 152 et 153, 12 languettes France en Perse de papier fort 160vo annotation marginale de P. Paris: «lacune. Ici commence un fragment de la branche de Guillaume au Court nez intitulé le Couronnement Loeys.» On passe d’une rime en uz (160vo) à une rime en ie (161ro), donc texte inachevé

22-24 161ro-173ro 3 Fragment de la 161ro changement de main branche du 162vo annotation marginale de P. roman de Paris: «(lacune) La suite Guillaume apartient à la branche suivante d’Organe intitulée le Charroi de Nimes» intitulée: Le coronnement Loeys

24-25 173ro-183vo 3 Les Enfances Vivien

Brasseur / Les manuscrits • 21

Cahiers Folios Col. Contenu Remarques

25-26 183vo-189vo 3 La Chevalerie Vivien

26-29 189vo-218ro 3 La Bataille Le folio 216 porte une double d’Arleschans numérotation 216-217 217vo Vers le bas du folio, un grand trou antérieur à la copie. De grosses taches d’encre souillent le parchemin

29-31 218ro-231 3 La Bataille de entre 229 et 230, 12 languettes bis ro Loquifer et de papeir fort Renoart 231vo multiplication vers le bas du folio: 13 x 300 après le folio 231, le folio 231 bis

31-35 231 bis ro- 3 Le Moniage 259ro Renoart

35-37 259ro-1275ro 3 Le Moniage 268vo souillé de taches d’encre Guillaume noire Au folio 272 présence d’un gros trou antérieur à la copie 274vo annotation marginale de P. Paris: «Lacune remplie dans le ms. Colbert 71863 fo 223»

37 275ro-280ro 3 Fragment Le folio 278, très endommagé, a d’Anseïs de été réparé Cartage 279ro vers le bas indication difficile à déchiffrer en ancien français et en latin

280vo blanc Au milieu de ce folio, petite estampille rouge: Bibliothecae Regiae. Pas de réclame

38 4 feuillets de Le dernier feuillet est collé aux garde de ais de bois parchemin

Bien souvent, elles ne répètent pas exactement les mots qu’elles appellent.58 Seuls les ler, 6e, 13e, 20e et 37e cahiers sont dépourvus de réclames. Le ler et le 37e cahiers en sont naturellement démunis, celle du 22 • Olifant / Vol. 19, nos. 1-2

20e cahier a disparu à la suite d’une réparation, et G. A. Crapelet59 a signalé l’existence d’une lacune entre les folios 40 et 41 (fin du 6e cahier), la Continuation du Roman de Partonopeus étant restée inachevée. Pour une raison inconnue, la fin du 13e cahier en est également privée. Sur les 288 feuillets que renferme ce manuscrit, 8 sont réservés aux gardes. Une main récente a numéroté, à l’encre noire, en chiffres arabes, de 1 à 280, les feuillets écrits de cet ouvrage, avec deux erreurs: l’omission du no 217 qu’elle a essayé de réparer en atribuant au folio 216 la double numérotation 216-217, et la présence d’un folio 231 bis après le folio 231. Consacré surtout à l’épopée, en particulier à la Geste d’Orange (elle occupe 114 folios), ce codex est complet, mais il offre la copie de textes qui comportaient déjà des lacunes (le Roman d’Alexandre, la Signification de la mort d’Alexandre, la Chanson des Saisnes, la Chanson des hauts faits des douze pairs de France en Perse, le Couronnement de Loeys, le Moniage Guillaume). L’Abbé de la Rue, dans une note placée au-dessous de son Index («Il manque beaucoup de pages dans ce Manuscrit et surtout dans les derniers Romans») et deux autres érudits (voir le commentaire de Méon au bas de ce même folio et les annotations marginales de P. Paris relevées dans ce manuscrit) l’avaient déjà constaté.

Ces textes tronqués sont présentés dans un ouvrage d’une qualité médiocre: le parchemin épais, grisâtre, souvent taché, est recousu en de nombreux endroits;60 l’encre est aussi de mauvaise qualité, et la grosse écriture ronde, quoique régulière et bien moulée (2 mm de hauteur), est peu soignée: des mots sont raturés, des lettres sont écrites en surcharge ou exponctuées, des retouches fort appuyées rendent difficile la lecture des finales, des barres de nasalité et des signes d’abréviation sont omis, des mots et même des vers oubliés ont été ajoutés en interligne.61 Les espacements entre les vers ne sont pas toujours réguliers, car les 12 différents copistes qui sont intervenus n’ont guère respecté le lignage à la mine de plomb (entre 45 et 51 vers à la colonne). La décoration uniforme, due à plusieurs enlumineurs, plus ou moins soigneux, est très sobre: pas de miniature au début des œuvres, un tout petit nombre de lettrines,62 dont certaines sont inachevées (folios 41 ro, 218 r o, 231 bis). L’ornementation des folios réservés à la Chanson des Saisnes est une des plus fournies et des moins négligées de l’ensemble du volume: la lettrine encadrée du folio 121 ro, de 7 lignes de haut (40 x 42 mm), est la plus grande du manuscrit (celle du folio 140r° est légèrement plus petite 40 x 38 mm, Brasseur / Les manuscrits • 23

tandis que celle du folio 41ro qui vient en troisième lieu n’a plus que 28 x 27 mm). Elle est tracée en rouge et en bleu. La partie bleue est rehaussée de fins entrelacs rouges qui décorent les quatre angles, tandis que le champ de la partie rouge est recouvert d’arabesques rouges et violettes usées par le temps. Des filigranes très longs, bleus, rouges et violets descendent dans la marge. Les initiales des strophes de 2 lignes de haut (15 mm), exceptionnellement de 3 lignes (20 mm),63 sont alternativement rouges et bleues dans tout le manuscrit, avec quelques exceptions dans les premiers folios. Elles sont ornées d’arabesques simples plus ou moins effacées: les initiales rouges sont rehaussées d’entrelacs et de filigranes violets, les initiales bleues d’entrelacs et de filigranes rouges. Ces filigranes très droits se répartissent également de chaque côté (vers le sommet et vers la base) de la lettre que plusieurs allers et retours de la plume entourent entièrement d’une sorte de feston.64 Les majuscules initiales des vers, de 4 mm, sont rehaussées d’un petit trait rouge oblique pour toutes les strophes de la Chanson des Saisnes, et vertical pour les autres œuvres.

Il résulte de ce qui précède que ce manuscrit n’est pas composé, comme on a pu l’affirmer,65 de pièces assemblées après coup sous une même reliure: c’est une anthologie qui a été conçue comme telle dès le premier travail de copie. Oeuvre de plusieurs copistes et de plusieurs enlumineurs, par son écriture et par sa décoration, il forme un ensemble homogène, sorti d’un même atelier.66 P. Paris67 le datait du XIIIe siècle. Cependant, la mauvaise qualité de l’encre, l’ornementation des lettres initiales, en particulier les entrelacs et les filigranes violets, suggèrent une copie plus tardive. La présence des Vœux du paon dans ce recueil fournit un terminus post quem: 1312, date de cette œuvre. Il serait téméraire de chercher un terminus ante, et nous ne pouvons qu’appuyer la datation proposée par l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes qui situe cette copie dans la première moitié du XIVe siècle et rejoint ainsi l’intuition de l’Abbé Gervais de la Rue qui avait fait précèder son Index de la mention: Codex saeculi XIV.

Le mot Bloys, écrit en petite cursive (du XVe ou du XVIe siècle) en haut du folio 1 a, indique que ce manuscrit a fait partie de la riche Bibliothèque de Blois qui, commencée par Charles d’Orléans après son retour d’Angleterre vers 1445, fut complétée par Louis XII et François ler..68 Il passa ensuite, en 1544, de la Bibliothèque de Blois à celle de Fontainebleau, quand François ler en ordonna le transfert. Sous le règne d’Henri IV, il fut transporté, en même temps que les autres volumes, à 80 • Olifant/ Vol. 19, nos. 1-2

MS. Paris. B.N. Fr. 368 (manuscrit R), fol. 121 Brasseur / Les manuscrits • 25

Paris: tout d’abord au Collège de Clermont, puis à la Bibliothèque des Cordeliers, ensuite sous Louis XIII, rue de la Harpe, et en 1666 rue Vivienne, dans la bibliothèque devenue véritablement Bibliothèque Royale (la petite estampille rouge, Bibliothecae Regiae apparaît deux foisdans ce gros volume), où il portait la cote 6985 (après les numéros 532 et 60 qui lui avaient été affectés antérieurement). Il gagna ensuite la rue Richelieu dès 1721.69

Les 5514 vers de la Chanson des Saisnes couvrent les folios 121 ro à 139 vo. Ils sont écrits, comme toutes les autres œuvres que renferme ce codex, sur 3 colonnes (de 47 vers chacune) et occupent entièrement les 17e et 18e cahiers, ainsi que les trois premiers feuillets du l9e cahier. Cette copie suit la rédaction A jusqu’au v. 4291 et n’offre donc aucune leçon correspondant aux 47 derniers vers de cette version. Après l’interruption du texte de A, elle rejoint les versions L et T. Elle est incomplète: deux lacunes importantes sont à déplorer, l’une au folio 122 e après le 4e vers, et l’autre au folio 130 c après le 29e vers. Une même main récente, celle de P. Paris, a mis en relief ces deux lacunes par un trait horizontal accompagné d’un commentaire. Ces lacunes situées en plein feuillet ne semblent pas imputables au copiste de R, si peu soigneux qu’il ait été. Elles ne pourraient peut-être s’expliquer qu’après une étude très détaillée de ce manuscrit dont nous avons signalé le caractère lacunaire,70 même si aucun feuillet n’a été coupé. Tout paraît s’étre passé comme si, dans le modèle utilisé par R, deux parties du texte avaient fait défaut.

L, Cologny-Genève, Fondation Martin Bodmer, Cod. Bodrner 40 (ancien 13555 de la Collection Phillipps) Ce petit in-quarto sur parchemin, aux tranches rouges, ne contient que la Chanson des Saisnes.71 La couverture citron à simple encadrement de trois filets dorés sur les plats, en veau français du XVIIIe siècle, a été réalisée avec beaucoup de soin. Sur le dos à cinq nerfs ornés de petits fers apparaissent des fleurs d’or stylisées, et un cartouche en maroquin rouge porte l’inscription Roman // des // Saisnes. Une petite étiquette indique la cote 13555. Un signet de soie beige rosé est mobile à l’intérieur du volume. Les feuillets de garde en parchemin ont été coupés, sans doute parce qu’ils étaient très endommagés: de nombreux trous et des fragments de dessins sont apparents sur les languettes d’un centimètre (deux au début du volume, trois à la fin). Lors de la dernière reliure, ils ont été 26 • Olifant / Vol. 19, nos. 1-2

remplacés par des feuillets de papier: deux placés au début de l’ouvrage et deux à la fin. Sur ces feuillets, on peut lire quelques inscriptions récentes, au crayon: au verso du premier, Jean Bodel, au recto du second, Romance of the Saxons or Saracens, 13555 Ph, et au verso de ce dernier, 122 sheets-13555 Ph. Les pages de garde de la fin du volume sont couvertes de calculs relatifs au nombre de vers que renferme ce codex. Au recto de la dernière page a été porté au crayon M.Ms.I.3. Cod. Bodmer 40, et à l’encre noire: 64 x 89 = 5696.

Ce manuscrit comporte 122 feuillets de dimensions légèrement variables: la largeur oscille entre 120 et 125 mm, et la longueur entre 174 et 176 mm.72 La justification est également variable: la largeur est comprise entre 73 et 80 mm et la longueur entre 140 et 143 mm.73 Ces feuillets sont répartis en 13 cahiers de 8 folios et 2 cahiers de 10 folios. Les 2 cahiers de 10 folios (le lle et le 15e) ont été chacun amputés d’un feuillet. Dans le 1 lle, une page a été coupée entre le folio 84 et le folio 85, au moment de la copie, le texte ne comportant pas de lacune à cet endroit. Dans le 15e et dernier cahier, un feuillet qui servait de page de garde a été coupé. Tous les cahiers, grossièrement cousus, sont très visibles, malgré l’absence de signatures ou de réclames, ces dernières ayant probablement disparu sous le couteau du relieur (au folio 89 b, la partie supérieure de certaines lettres pourrait laisser supposer la présence d’une réclame). Deux mains récentes (du XIXe siècle) les ont numérotés en chiffres arabes: l’une a noté à l’encre noire le début des 3 premiers cahiers, et une autre a numéroté au crayon les cahiers suivants; cette dernière a indiqué un numéro au crayon à la fin des 3 premiers cahiers. Une foliotation en chiffres arabes a été mise en haut des pages, à droite de chaque feuillet; elle a été réalisée par différentes mains, sans doute à cause de reliures successives. Les traces de la numérotation la plus ancienne sont apparentes sur les feuillets 7, 8, 9 et 10. Le folio 11, ainsi que les feuillets des dizaines à partir du chiffre 20, portent également une numérotation assez ancienne. Une foliotation plus récente a été placée sur les feuillets 1 à 6. Tous ces numéros sont tracés à l’encre noire. Les autres feuillets ont reçu une numérotation moderne au crayon que, d’après son style, nous situons au XXe siècle.74 Le texte est disposé sur une seule colonne de 32 vers par page, en moyenne. Certaines colonnes comportent quelquefois 31 vers,75 d’autres 33 vers,76 d’autres 34 vers,77 d’autres enfin 35 vers.78 Il arrive rarement que des vers trop longs soient écrits sur deux lignes.79 La version, ainsi présentée, avec ses 7838 vers, est nettement plus longue que celle offerte par A et R. Brasseur / Les manuscrits • 27

Ce manuscrit très simple semble avoir été exécuté rapidement: 1) Le parchemin n’a pas toujours été découpé avec soin (folios 44 et 69). Déchiré, il a parfois été recousu finement (folios 45, 82 et 84), mais plus souvent d’une manière grossière (folios 21, 69 et 79). Des petits trous sont très nets aux folios 45, 56 et 96. Ces défauts sont antérieurs à la copie et n’altèrent en rien le texte, le scribe ayant décalé son écriture. 2) Il n’y aucune miniature, même à la première page. Seule, une lettrine non encadrée de 9 lignes de haut (40 x 44 mm) introduit le texte. La surface pleine de cette lettre Q est noire vers l’extérieur, rouge vers l’intérieur. De la partie noire s’échappent des filets rouges agrémentés de petits cercles noirs. Le champ de la lettre est dissimulé sous une ornementation d’entrelacs noirs et de cercles rouges. La haste, à la fois noire et rouge vers le 17 corps de la lettre, puis alternativement noire et rouge au fil d’une ligne rouge (limitée par 2 traits noirs dans la partie rouge), descend jusqu’au bas de la page et se termine par 2 feuilles stylisées, l’une au contour noir et aux nervures rouges, tournée vers la reliure, l’autre au contour rouge et aux nervures noires, orientée vers le texte. Le contour rouge donne naissance à une ligne horizontale du même ton qui porte trois petites croix de saint André, maladroites, et se termine à son tour par une feuille rouge aux nervures noires. Ce manuscrit renferme deux autres lettrines qui, d’une décoration plus sobre que la précèdente, sont d’une facture identique: la première, un B de 7 lignes de haut (31 x 30 mm), se trouve au folio 61 a; la seconde, un B également de 7 lignes de haut (27 x 30 mm), apparaît au fo 90 a. Le mouvement des entrelacs noirs est assez semblable à celui de la première lettrine. Les filigranes rouges se prolongent de chaque côté de la lettre: pour le premier B, ils s’étendent sur 6 lignes vers le haut et atteignent le bas de la page (l’extrémité de la partie supérieure est orientée vers l’extérieur et les deux boucles de la partie inférieure sont dirigées vers le texte); la partie inférieure du second B, dont l’extrémité est tournée vers l’extérieur, s’allonge sur 12 lignes. Seule, la naissance de la partie supérieure est encore visible, l’essentiel ayant été coupé par le couteau des relieurs. Chaque strophe commence par une initiale rouge de 2 ou 3 lignes de haut (environ 10 mm), sans ornementation. De telles initiales sont fréquentes dans les manuscrits de travail. On peut encore voir à gauche des folios 13 a, 51 a, 70 b, 83 b, 91 a, 94 a, 121 b de petites lettres a, b, m, t, n, a, s, placées à la hauteur des initiales, à l’intention du rubricateur. Deux fois, le scribe a oublié de laisser la place nécessaire pour tracer 84 • Olifant/ Vol. 19, nos. 1-2

Bodmer 40 f° 61 r° Brasseur / Les manuscrits • 29

cette initiale, au début des strophes CVI (folio 39 a) et CXXXI (folio 52 b), tandis qu’au folio 122 a le rubricateur doit être mis en cause pour l’oubli du L initial de la strophe CCXCIX. Un A est resté inachevé aux folios 13 a et 117 b, seul le contour rouge a été tracé. Quant au F omis au folio 95 b, il ne peut pas être imputable à un tel oubli: le parchemin, trop gras à cet endroit, n’était pas utilisable. Quelques initiales sont plus grandes que les autres: le I (l2 mm environ), le L (14 à 17 mm), le H (14 mm); un J de 31 mm au folio 30 a et de 29 mm au folio 57a attire l’attention, ainsi qu’un L (l9 mm) curieusement tracé, faute de place, d’une manière horizontale, en haut du folio 67 b. Deux lettres sont ornées: le G du folio 21 b, dont les filigranes rouges et noirs, tournés vers la reliure dans la partie supérieure et vers le texte pour la partie inférieure, couvrent la longueur de la marge de gauche, et le P du folio 22a aux filigranes noirs tournés vers la reliure (4 lignes vers lehaut, 7 vers le bas). Les initiales des folios 72 b et 73 a ont été hachurées par une main enfantine. 3) L’écriture gothique (hauteur 1,5 mm), sans être particulièrement soignée, reste fort nette. Le copiste allonge facilement la hampe des f, l et s de la première ligne, vers le haut de la page80 et celle des p, s et q vers le bas du folio, en les terminant parfois par quelques fioritures.81 L’espacement constant entre les vers est assuré par la réglure à la mine de plomb. Le copiste fait la distinction entre le n et le u, le c et le t, et parfois entre le v et le u. Le i, tracé d’une manière nette, ne porte pas d’accent. Les abréviations sont plus fréquentes que dans le manuscrit A; parmi celles-ci figure le signe ÷ pour est. Le scribe fait aussi appel au point qui sert à encadrer les chiffres ainsi que les termes notés seulement par l’initiale accompagnée ou non du signe d’abréviation. Le point marque également la fin des termes abrégés par suspension.

Les petites dimensions (véritable format de poche) de ce très léger volume, le fait qu’il ne contient qu’une seule œuvre copiée sur une colonne, la simplicité de sa réalisation et son ornementation laissent penser qu’il pourrait s’agir d’un manuscrit dit «de jongleur».82 Les nombreux grattages qu’il a subis nous ont empêchée de retrouver la moindre empreinte de ses plus anciennes utilisations. Cependant, une foule de notes marginales et de multiples dessins attestent que ce manuscrit a été beaucoup utilisé à différentes époques. La main qui semble la plus ancienne (fin du XIVe siècle?) a laissé peu de traces: un jugement au folio 9 a, Infans ne doit lire ces romanz, et peut-être une vague réminiscence littéraire au folio 73 a: an la gorge chiez tarde a Mahom qu’il souz stanseigne (?) soiz. Le début du texte a retenu 30 • Olifant / Vol. 19, nos. 1-2

l’attention d’un lecteur du XVIe siècle qui s’est intéressé au sujet de l’œuvre et aux citations qu’elle contenait: les noms propres ont été mis en relief,83 des commentaires très succincts ont été ajoutés,84 toute une gamme de points de repère, voire d’accolades signale des passages jugés importants.85 L’abréviation No ou No qu’il faut développer en nostro, sorte de nota bene, quelquefois en marge d’un passage à retenir,86 est présente devant un certain nombre d’énoncés sentencieux.87 Une main qui sort d’une manchette à boutons et pointe son index en direction des vers à retenir, joue le même rôle.88 Malheureusement, un enfant, probablement au XVIIe siècle, a beaucoup dégradé ce manuscrit: de nombreuses initiales ont été imitées dans les marges à l’encre noire,89 des lettres ont été gratifiées de hachures90 ou prolongées91 ou encore repassées à l’encre noire,92 des fragments d’Ave Maria plus ou moins erronés ont comblé certains hauts et bas de pages,93 des petits jongleurs,94 des fleurs95 et surtout des taches96 sont venus couvrir de nombreuses marges. Malgré les grattages effectués lors d’une reliure, tous ces signes parasites restent visibles, même sans le secours de la lampe de Wood. Un adulte du XVIIIe ou du XIXe siècle a voulu, à son tour, imiter l’écriture du scribe, à une époque où l’on ne comprenait plus la signification des lettres suscrites97 et des abréviations.98 D’autres dessins semblent plus récents (époque de Lacabane?), les uns à l’encre très noire99 et les autres au crayon finement taillé.100

Au folio 26 b s’étend, entre le 25e vers et le bas du folio, un espace blanc qui aurait pu contenir 7 vers. Entre le dernier vers du fo 26 b et le premier vers du fo 27 a, le texte de T comporte 134 vers, celui de A 157 vers, et celui de R 135 vers. Y aurait-il une lacune dans le manuscrit L ? Au fo 26 b, le scribe a certainement été contraint d’abandonner son travail, car le parchemin très gras était inutilisable. Ainsi s’explique l’absence de 7 vers qui, pour des raisons de mise en page, ont été très vite oubliés. En ce qui concerne les autres vers, nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’une lacune accidentelle, même si la strophe LXXV, qui occupe tout le folio 27 a, commence ex abrupto par la description de l’adoubement de Berart qui fait suite à la relation d’une escapade de Baudouin. Certes, aucune transition n’est ménagée entre ces deux épisodes (le Moyen Age obéissait-il à nos exigences rigoureuses en matière de composition?), néanmoins la succession des faits reste logique. De plus, aucune mutilation du manuscrit n’est visible après le folio 26, et l’oubli ou la disparition d’un cahier ne pourrait expliquer l’absence de 125 vers environ, puisqu’une telle omission ne se situe pas entre des cahiers. Il n’est donc pas impossible qu’un remanieur, choqué Brasseur / Les manuscrits • 31

par l’épisode de Saint-Herbert, ait supprimé ce passage qui figure dans les trois autres versions.

Fr. Michel101 datait ce manuscrit du XIIIe siècle, et P. Paris102 précisait qu’il avait été écrit «vers la fin du XIIIe siècle». Plus récemment Fr. Vieillard103 l’assignait catégoriquement «à la fin du XIIIe siècle». C’est à cette dernière datation que nous nous rallions volontiers.

Une signature du XVIIe siècle, Anson (difficile à lire, même à la lampe de Wood), visible aux folios 17 a et 122 b, nous donnerait-elle le nom d’un des possesseurs de ce manuscrit ? Nous ne pouvons l’affirmer et, jusqu’à présent, le plus ancien propriétaire connu reste J. L. Lacabane (1798-1884), un éminent érudit,104 qui en fit l’acquisition dans une bourgade des environs de Cahors, peut-être à Fons, dont il était originaire.105 J. L. Lacabane permit à Fr. Michel de consulter ce manuscrit, avant 1829, en vue de la publication de la Chanson des Saisnes. Peu de temps après, cet ouvrage fut proposé au conservateur des manuscrits de la Bibliothèque royale qui ne voulut pas l’acheter en dépit de son prix de beaucoup inférieur à sa valeur réelle. Le manuscrit passa donc de chez J. L. Lacabane à un libraire appelé Crozet, lequel le vendit à Payne et Foss106 de Pall Mall à Londres pour une somme, précise Fr. Michel,107 sept à huit fois plus élevée que les prétentions du premier propriétaire. A leur tour, Payne et Foss proposèrent ce manuscrit au British Museum pour la somme de soixante livres sterling (1500 francs-or), c’est-à-dire le double de ce qu’il leur avait coûté. De telles propositions furent refusées par le British Museum et, après être resté quelque temps en magasin, ce volume fut acheté par le très riche baronnet Sir Thomas Phillipps.108 Le manuscrit 13555 figure dans le Catalogue complet de ce célèbre bibliophile,109 p. 245 a, sous l’entrée Er Bibl. ignotis 110 qui regroupe, de la page 244 b à 246 a, les manuscrits 13542 à 13593. Ces manuscrits n’ont fait l’objet d’aucune note marginale de Sir Phillipps; seul, un commentaire imprimé, très rapide, fait suite à ce classement: «? If some of the above do not belong to former numbers» (? Si certains de ceux qui sont ci-dessus n’appartiennent pas à des numéros antérieurs). La cote 13555 est accompagnée de la mention suivante: «Jehan Bordiax, Roman de Saisnes, or, The War between the Franks under Charlemagne, and the Saxons, under Witikind, after the battle of Roncesvalles. It begins (Jehan Bordiax, Roman de Saisnes, ou bien la guerre entre les Francs sous Charlemagne et les Saxons sous 32 • Olifant / Vol. 19, nos. 1-2

Guiteclin, après la bataille de Roncevaux. Il commence par) Qui doir et dantandre a loisir et talant Face pais si ascout bone chanson vaillant. thick 12 mo. vel. s. XIV or XIII. cf. glt.»

En quelle année ce manuscrit fut-il acquis? Le Catalogue, qui reste muet sur ce point, permet seulement de situer cette acquisition entre 1849 et 1853. En outre, J. Th. Payne et H. Foss ayant cessé leur activité en 1850,111 l’achat de cet ouvrage par Sir Phillipps est donc antérieur à cette date et aurait été effectué dès 1849. En 1862, comme toute la collection (200000 pièces environ), il quitta Middlehill pour la résidence de Thirlestaine House à Cheltenham (Gloucester). C’est dans l’ancienne galerie de peinture de Lord Nothewick que prirent place les manuscrits.112 Quatorze ans après la mort de Sir Phillipps, en 1886, commença la lente dispersion de cette énorme collection,113 et toute trace de ce codex fut perdue. Malgré les faibles chances que nous avions de le retrouver, nous avons entrepris, durant l’année 1971-72, de très actives recherches en Angleterre et en Suisse. Elles auraient pu rester vaines, mais grâce à l’aide bienveillante de Madame Bouly de Lesdain, directrice de la Section romane de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes, nous avons pu consulter, dès sa parution, la petite brochure que B. Gagnebin consacrait à la Fondation Martin Bodmer114 et dans laquelle il faisait allusion à l’òuvrage que nous cherchions: «Neuf manuscrits de Cologny fournissent le texte de chansons de geste, dont sept datant du XIIIe siècle: tout d’abord un des deux seuls manuscrits connus de l’histoire d’Otinel . . .; puis la Chanson de Saisnes (ou des Saxons) de Jean Bodel, poète artésien, dont le texte a été publié en 1839 par Francisque Michel, d’après le manuscrit Bodmer considéré comme le meilleur qui existe; le Roman de Cleomadés d’Adenet le Roy . . . ».

Ainsi était redécouvert le manuscrit de la Chanson des Saisnes, disparu depuis plus d’un siècle. Il avait été acheté par M. Bodmer en juin 1949 chez Goldschmith et Berès qui le tenaient eux-mêmes des frères Robinson, les principaux acquéreurs de la collection Phillipps. Après avoir fait partie de la très riche collection de Sir Phillipps, ce petit volume appartient maintenant à l’extraordinaire «musée du langage»115 que constitue la Bodmeriana à Cologny-Genève, où il porte, depuis 1973, la cote Cod. Bodmer 40.

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T, Turin, Bibliothèque de l’Université (aujourd’hui Bibliothèque nationale), LV44 (ancien K I 35), fr. 148

G. Pasini116 avait attribué par erreur la cote K I 35 no CXLIX (le volume suivant ayant la cote K I 36 no CXLVIII) à ce manuscrit qui a été complètement brûlé dans l’incendie de la Bibliothèque universitaire de Turin, au cours de la nuit du 25 au 26 janvier 1904.117 Heureusement, il avait été recopié par le Docteur Boclinville, disciple de E. Stengel. C’est grâce à cette copie que E. Stengel et Fr. Menzel ont pu réaliser une édition de ce manuscrit.118 Nous aurions aimé, à notre tour, consulter cette copie qui aurait pu, sans doute, nous apporter de précieux renseignements, mais «l’héritage scientifique» de E. Stengel a été en grande partie détruit durant la dernière guerre mondiale. Il ne subsiste au «Bundesarchiv» de Koblenz que la correspondance privée de E. Stengel et quelques documents concernant son activité politique.119

D’après H. Michelant,120 il s’agissait d’un petit in-quarto du XIIIe siècle sur vélin, mais Pasini121 l’avait estimé plus tardif (XIVe siècle) et sur parchemin. Il portait au dos, sur cartouche rouge, un titre frappé en or: Blanch., et au-dessous: Roman. Plus bas, on pouvait lire: Roman de Saisnes, et à l’extrémité inférieure, on remarquait une étiquette aux armes de Savoie122 avec les numéros d’ordre. Il se composait de 188 feuillets: les 135 premiers renfermaient la Chanson des Saisnes sans indication de nom d’auteur,123 écrite sur une seule colonne de 30 vers. Cette chanson était incomplète: E. G. Wahlgren124 signale qu’il manquait le premier feuillet, où il y avait probablement une miniature qui aurait tenté un quelconque amateur. Cette partie du manuscrit s’achevait au folio 135 par deux petits vers où se nommait le copiste:

Guerris m’escrit, Diex li otroit Honor et bien, ou que il soit !

Au-dessous, en cursive du XIVe siècle, on pouvait lire:

Datum anno domini millesimo trecentesimo tricesimo primo, die Jovis post Assumptionem beate Marie virginis. Legit Colinus de Novionno, clericus abbatis Sancti Vitoni Virdunensis totum istud romanum des Saisnes125 34 • Olifant / Vol. 19, nos. 1-2

La Chanson des Saisnes avec ses 8079 vers était légèrement plus longue que la rédaction L. Au folio 136 ro, commençait le texte de Blanchandin (à peu près 6200 vers), écrit sur 2 colonnes de 30 lignes. En tête, on pouvait lire cette rubrique: Ici commence Blanchandins. Il se terminait au folio 188 ro, dont il occupait les 19 premières lignes. On y retrouvait la même rubrique qu’à la fin de la Chanson des Saisnes: Guerris m’escrit. Diex li otroit Honor et bien ou que il soit ! et au-dessous une écriture du XIVe siècle ajoutait cette précision: Cest livre est bons et fins ad lire et antandre.126 Même si la Bibliothèque de Turin est restée célèbre par ses beaux manuscrits,127 il ne semble pas s’agir d’un volume précieux, mais plutôt, comme pour L, d’un «manuscrit de jongleur» (petit format, sans doute un peu plus épais que L, copié sur une seule colonne de 30 alexandrins ou 2 colonnes d’octosyllabes) où, conformément à l’habitude du temps, plusieurs œuvres peuvent être réunies.128 Pourquoi avoir, dans le cas présent, placé ensemble deux textes si différents? Pour des raisons de commodité, bien sûr, mais peut-être aussi dans un souci de logique. N’aurait-on pas voulu grouper deux œuvres de jongleurs et manifestement deux poèmes originaires du nord de la France129 qui auraient pu appartenir au répertoire du même ménestrel ? Quant au nom du scribe, il suggèrerait volontiers une copie exécutée en France d’oïl, Guerri130 n’apparaissant que dans les cartulaires du nord de la Loire. Cette copie aurait fort bien pu être réalisée à Verdun, voire à l’Abbaye Saint-Viton. A quelle époque? En l’absence du texte et de toute étude codicologique, nous ne pouvons entreprendre de dater ce manuscrit d’une manière précise. Nous ne possédons qu’une certitude: Colin de Noyon, clerc de l’abbé de Saint-Viton à Verdun, a terminé une lecture de la Chanson des Saisnes en 1331, le jeudi qui suit l’Assomption, c’est-à-dire le 22 août 1331. Cette lecture, nécessairement postérieure à l’exécution de la copie par Guerri fournit un terminus ante quem assuré. Pour le reste, nous ne pouvons que nous fier à l’appréciation des érudits qui avaient pu consulter ce volume et qui le dataient de la fin du XIIIe ou du début du XIVe siècle.

Nous avons fort peu de renseignements relatifs aux différents propriétaires de ce manuscrit. Nous savons seulement qu’il a appartenu à la Bibliothèque des ducs de Savoie avant 1732, date de son acquisition par la Bibliothèque universitaire de Turin.131 La Chanson des Saisnes a Brasseur / Les manuscrits • 35

donc été transcrite entre les dernières décennies du XIIIe siècle et les premières du XIVe siècle, dans deux types de manuscrits: des manuscrits de grand format et des manuscrits dits de jongleurs. Un luxueux volume de collection, qui trahit, certes, les goûts somptueux de quelque mécène, mais semble surtout révélateur, par le choix fait, de la valeur attribuée à certaines œuvres, renferme une version de la chanson restée inachevée (4337 vers). Un gros volume de compilation, assez lourd, destiné à l’acheteur «ordinaire» contient une version plus étoffée et, en dépit de son caractère lacunaire, achevée (5514 vers). Des manuscrits de petites dimensions, de moindre valeur, légers, portatifs132 offrent la version la plus longue de la chanson133 (7838 vers pour L, 8079 pour T). Notes 1. Cette reliure doit remonter au duc de La Vallière ou au marquis de Paulmy. 2. Souvent utilisé pour les reliures les plus soignées, voir L. Febvre et H. J. Martin, L’apparition du livre (Paris, 1958) 160, et Y. Devaux, Dix siècles de reliure (Paris, 1977) 121. Ce manúscrit, bien entretenu, a été réparé de manière sûre après 1885, une feuille isolée portant la mention «trouvé dans 3142» est maintenant collée sur l’un des onglets. 3. Les doubles barres parallèles correspondent aux nerfs. 4. Ce manuscrit a été décrit au siècle demier par H. Martin, “Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France,” Bibliothéque de l’Arsenal (Paris, 1887), 3: 256-64, et, plus récemment, par M. Oswald “Les enseignements Seneque,” Romania 90 (1969): 36. 5. “Cinq portraits du XIIIe siècle,” dans le Bulletin du centenaire 1804-1904 de la Société nationale des Antiquaires de France 269. 6. Voir les longues descriptions de cette miniature présentées par P. Paris, Histoire littéraire de la France , (Paris, 1842), 20: 710; A. Van Hasselt, Li Roumans de Cleomadés (Bruxelles, 1865), 1: xxvii; G. Vitzthum, Die Pariser Miniaturmalerei von der Zeit des 111. Ludwigs bis zu Philipp von Valois und ihr Verhältnis zum Malerei in Nordwesteuropa (Leipzig, 1907) 55-56; A. Lemoisne, “L’évolution du portrait enluminé en France du XIIIe au XVIIe siècle,” Revue des Bibliothèques 17 (1907): 156; H Martin, La miniature française du Xllle au XVe siècle (Paris-Bruxelles, 1923) 87-88, et surtout “Cinq Portraits du XIIIe siècle.” Marie de Brabant, qui repose dans un lit, couchée sur le côté, les yeux ouverts, la tête relevée à peine appuyée sur la main gauche, ressemble à la Vierge des Nativités des XIIe et XIIIe siècles. Cette position inattendue de la souveraine, à laquelle le fond à losanges finement délimités, alternativement or, vieux rose et bleu foncé donne un éclat incomparable, ne semble pas avoir attiré l’attention jusqu’à présent. L’artiste n’aurait-il pas voulu créer un lien entre les deux Marie? Ou n’aurait-il pas cherché à évoquer la mise au monde récente d’un enfant ? Marie donna le jour à un fils, Louis, comte d’Evreux durant les premiers temps de son mariage avec Philippe le Hardi, en 1276, puis à deux filles, Blanche et Marguerite de France. Sur les fonds losangés (également au folio 73 ro) très goûtés aux XIIIe et XIVe siècles, voir A. Molinier, Les manuscrits et les miniatures (Paris, 1892) 209. 7. Adenet offre ici son livre au comte d’Artois, Robert II, qui porte deux écus, l’un aux armes d’Artois (celles de son père), l’autre aux armes de Brabant (celles de sa mère). Il est représenté plusieurs fois dans ce même volume, en particulier dans la lettrine qui accompagne la miniature des folios 1 roet 73 ro, où il est reconnaissable à sa couronne de roi des ménestrels et à son . 36 • Olifant / Vol. 19, nos. 1-2

8. Sur fond d’or losangé, Ogier à genoux est livré en otage au roi dans un diptyque aux deux volets parfaitement symétriques: d’un côté le roi et son entourage, de l’autre l’otage et sa suite. 9. Combat de Pépin le Bref contre le lion devant un couple de souverains prêts à se mettre à table. 10. Adoubement d’un chevalier qui, pour faciliter la tâche de son suzerain élève ses mains jointes au-dessus de sa tête; voir H. Martin et Ph. Lauer, Les principaux manuscrits à peintures de la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris (Paris, 1929) 21-22. 11. Cette miniature qui montre J. Bodel, la face couverte de pustules, les “cliquettes” pendues à la ceinture, lisant ses vers d’adieux à un groupe d’auditeurs émus, a été décrite par A. Guesnon, “Nouvelles recherches biographiques sur les trouvères artésiens,” Le Moyen Age 15 (1902): 138-39. 12. Voir les longs rameaux du folio 1 ro, la tête de lion reposant sur une grande tige souple au folio 179 roet surtout les rinceaux feuillés et fleuris qui s’élancent vers un petit ménestrel malicieux, et sur lesquels viennent se poser chauves-souris et gros oiseaux aux visages féminins. Sur ces bordures caractéristiques de la seconde moitié du XIIIe siècle, voir H. Martin, La miniature française du XIIIe au XVe siècle, 19-20: «Je crois pouvoir dire que les bordures constituent l’élément le plus utile pour déterminer l’époque d’exécution des manuscrits historiés, pour grouper les produits des diverses écoles ou des divers ateliers.» 13. Voir aussi la description faite par G. Servières, “Les formes artistiques du «dict des trois morts et des trois vifs,»” Gazette des Beaux-Arts 13 (ler semestre): 21, 22 et 23. 14. Sur les représentations figurées dans leurs rapports avec les textes, voir St. Glixelli, Les cinq poèmes des trois morts et des trois vifs (Paris, 1914) 37-40. 15. J Wirth, La jeune fille et la mort, recherches sur les thèmes macabres dans l’art germanique de la (Genève, 1979) 19. 16. H Martin, La miniature française du XIIIe au XVe siècle , 17-18, a bien mis en valeur le caractère exceptionnel, voire moderne, du simple dessin, à une époque où on goûte avant tout «le chatoiement des bleus et des rouges» et «l’éclat fulgurant des ors», tout en soulignant que «d’intéressants essais seront faits en ce sens» avant le dernier quart du douzième siècle. J. Baltrusaitis, Le Moyen Age fantastique. Antiquités et exotismes dans l’art gothique (Paris, 1981) 226-27, n. l7, signale, à la même époque, une miniature analogue, avec des trépassés qui ne sont pas encore mêlés à la vie même, dans le Psautier Arundel, British Museum, no 83 et dans le ms. fr. 378 de la Bibliothèque nationale, ainsi qu’une fresque de Sainte-Ségolène à Metz. 17. Sur l’atelier d’Honoré, qui paraît avoir tenu le premier rang parmi les enlumineurs parisiens et qui résume à lui seul le XIIIe siècle dans ce qu’il a de meilleur (couleurs, équilibre de la composition, irréalité suggestive des silhouettes), voir H. Martin, La miniature française du XIIIe au XVe siècle, 12-22; Les peintres de manuscrits et la miniature en France (Paris, s.d., 44; E. G. Millar, “Honoré and his Atelier,” The parisian miniaturist Honoré (London, 1959) 11-15; J. Porcher, L’enluminure française (Paris, 1959) 47; G. Schmidt, “Maître Honoré, die englische Malerei und der Stil des Frühen 14 Jahrhunderts in St Florian,” Die Malerschule von St Florian (Graz-Köln, 1962) 113-26; C. Nordenfalk, “Maître Honoré et Maître Pucelle,” Apollo (mai 1964): 356-61; D. H. Turner, “The Development of Maître Honoré,” British Museum Ouarterly 33.1-2 (1968): 53-65. Sur l’influence exercée par ce maître, voir G. Vitzthum 39-59 et A. Henry, Les œuvres d’Adenet le Roi (Bruges, 1951) 1: 95. 18. A. Henry 47. 19. La miniature française du XIIIe au XVe siècle , 17: «Un fort beau manuscrit qui fut exécuté pour Marie de Brabant, seconde femme de Philippe le Hardi et que j’ai cru pouvoir dater de 1285 environ», et 87b dans les Notices des manuscrits: Brasseur / Les manuscrits • 37

«Ce recueil, qui renferme plusieurs poèmes, les Fables de Marie de France et un grand nombre de poésies détachées, paraît avoir été exécuté pour Marie de Brabant, seconde femme du roi Philippe le Hardi, dans l’année même de la mort de ce prince, c’est-à-dire en 1285»; pour l’argumentation, voir Cinq portraits du Xllle siècle , 269-78 et Les peintres de manuscrits et la miniature en France 48. 20. Elle avait épousé le roi Philippe le Hardi le 21 áoût 1274 et fut couronnée à la Sainte Chapelle le 24 juin 1275; sur cette reine voir Ch. 5. Langlois, Le règne de Philippe III le Hardi (Paris, 1887) 32-3. 21. «Cathalogue des livres de ma bibliothèque avec des nottes historiques et critiques dressé par moy Guyon en mil sept cent dix», (Bibl. mun. de Senlis, ms. 8204) 1: 511; confirmé dans les Eclaircissements du Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M.J.B. Denis Guyon, chevalier seigneur de Sardière (Paris, 1759): «Ce volume est précieux et paraît écrit vers la fin du règne de Philippe le Hardi, ou au commencement de celui de Philippe le Bel. Il contient les ouvrages de quelques Poètes qui vivaient sous Saint Louis et Philippe le Hardi. » 22. Henry 98. 23. Au dire d’Adenet le Roi lui-même, Marie et Blanche furent les deux inspiratrices du Cleomadés (éd. A. Henry, Les œuvres d’Adenet le Roi [Bruxelles, 1971] 4: v. 18533 et les deux acrostiches des v. 18541 et ss.). 24. Né avec certitude avant le 25 janvier 1277, son mariage avec Marguerite d’York étant déjà arrêté à cette date. 25. Jean 1er, qui passa les Pyrénées avec son beau-frère Philippe III le Hardi en 1285 pour combattre le roi d’Aragon, était de retour dans le cours de l’année 1286. 26. Jean 1er avait acquis des droits sur le Limbourg dès 1283, et la conquête de ce duché était achevée pour 1290. 27. Cette date serait en accord avec l’allure de l’adolescent qui, né vers 1276, paraît avoir une dizaine d’années. 28. Philippe III le Hardi mourut à Perpignan le 6 octobre 1285. 29. H. Martin, “Catalogue général des manuscrits. . . ,” Bibliothèque de l’Arsenal, 3: 264; Henry 99; M. Oswald 36. 30. Nous avons dû laisser dans l’ombre la date de naissance qu’on ne trouve ni dans les grandes bibliographies (Didot, Michaud) ni dans le fichier biographique de la Bibliothèque nationale. Le nom de ce bibliophile est cité parmi les grands collectionneurs de livres par P. Durrieu, “Les amateurs de livres en France depuis le Moyen Age jusqu’à la fin du second empire,” Le livre français des origines à la fin du second Empire (Paris-Bruxelles, 1924) 169; et par Martin et Lauer 7. Guyon de Sardière, ancien capitaine au régiment du roi, l’un des seigneurs du canal de Briare, petit-neveu de Madame Guyon, s’intéressait aux livres rares et curieux, et en particulier aux “romans de chevalerie.” D’après l’Avertissement du Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. J. B. Denis Guyon, iii: «II ne chercha pas à former une bibliothèque étendue sur toutes les matières, mais un cabinet d’un homme du monde, qui veut se délasser et s’instruire.» Notons que ne figurent dans ce catalogue que les ouvrages lus par son auteur: «Si je n’ay pas fait tous les articles c’est que je n’ay voulu travailler que sur les livres que je connaissais» précisait-il dans une note liminaire. En novembre 1724, à la vente aux enchères chez Gandouin, à Paris, de la bibliothèque du château d’Anet, qui abritait la collection de Diane de Poitiers (1499-1566), une des plus rares et des plus curieuses de la Renaissance, enrichie par les princes de Vendôme, puis par Anne de Bourbon-Condé (née Anne de Bavière), il avait acquis un grand nombre de manuscrits. Sur ce bibliophile, voir H. Martin, “Catalogue général des manuscrits . . . ,” 162-64; sur la bibliothèque du château d’Anet, voir les études rapides de L. Delisle, Le cabinet des manuscrits de la bibliothèque impériale (Paris, 1868) 1: 189; P. D. Roussel, Histoire et description du château d’Anet (Paris, 1875) 90-91 et surtout A. Thierry, Diane de Poitiers (Paris-Genève, 1955) 104-06. II nous a malheureusement été impossible de découvrir le Catalogue 38 • Olifant / Vol. 19, nos. 1-2

des manuscrits et imprimés trouvés après le décès de Madame la Princesse dans son château royal d’Anet, publié par le libraire P. Ganidouin (in-12 de 37 pages). Toutefois, cet ouvrage ne nous aurait sans doute pas apporté les renseignements souhaités: 158 ans séparant sa parution de la mort de Diane de Poiticrs, rien ne prouve donc que les livres contenus dans la liste de 1724 aient tous appartenu à la duchesse. En outre, tous les ouvrages n’avaient pas été recensés dans cet inventaire. Faute de répertoire précis, établi du vivant de Diane de Poitiers, il reste impossible de connâître l’étendue exacte de la collection; seule, une quinzaine d’ouvrages a pu être attribuée avec certitude à cette bibliothèque (A. Thierry 104- 105. 31. Il apparaît sous ce numéro dans le Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M.J. B. Denis Cuyon . . . , 54. Il a été également étudié par son propriétaire dans le Cathalogue des livres de ma bibliothèque . . . 1: 511-12, sous l’initiale C1, les volumes de Guyon de Sardière, pour sa «commodité personnelle», n’ayant pas été classés par ordre alphabétique ou par matière, mais sous l’initiale du mot principal porté au dos des volumes, à savoir Cleomadés pour le présent codex, qui était pourvu de sa reliure actuelle. 32. D’après une indication ajoutée à la main sur la page portant le titre du Catalogue des livres . . . de feu . . . , la bibliothèque de Guyon de Sardière fut achetée tout entière par le duc de La Vallière. Sur un autre exemplaire du catalogue de vente de ce même bibliophile, il est indiqué qu’il fut vendu cent livres. 33. Voir Y. Devaux 188. 34. Voir aussi les pages 40-47 (Arsenal no 7079) dans lesquelles Barbazan fait allusion à ce recueil venant de «feu M. de Sardicre à présent à M. le Duc de La Vallière». 35. «Le duc de La Vallière est un grand seigneur qui traite la bibliophilie en grand seigneur», H. Martin, “Catalogue général des manuscrits. . . ,” 134- 35. 36. Avant 1767, le duc de La Vallière avait cedé à Gaignat et à Randon de Boisset une partie de ses manuscrits; voir G. De Bure, Catalogue de la bibliothèque de feu M. le Duc de La Vallière, (Paris, 1783) 1.1: i (en note); et E. Dacier, Un bibliophile du XVIIIe siècle, Louis-Jean Gaignat (Paris, 1920) 28. 37. Sur L. J. Gaignat, voir Martin 176-78 et E. Dacier. 38. Martin 264. 39. Sur le marquis de Paulmy et sa bibliothèque, voir Martin 15-71: l’homme privé, 15-36, l’homme de lettres, 37-47, et la bibliothèque, 48-71; Martin et Lauer 5-8. 40. Nous devons ce renseignement à l’obligeance de Monsieur le Conservateur de la Bibliothèque de l’Arsenal. 41. Martin et Lauer 8. 42. Martin 359-60. 43. Martin 380-81. 44. Martin 564. 45. Sur l’usage des fonds d’or qui ont joui d’une très grande vogue au cours du XIIIe siècle, voir Martin, La miniature française du XIIIe au XVe siècle , 1-9, et “Les manuscrits à peintures,” Le livre français des origines à la fin du second empire (Paris-Bruxelles, 1924) 7. 46. Il serait vain de chercher à identifier ce portrait «idéal» même si la barbe soignée, taillée en pointe, nous oriente volontiers vers Philippe le Hardi (voir folio 326 vo du manuscrit 782 des Grandes Chroniques, de la Bibliothèque Sainte-Geneviève) plutôt que vers saint Louis, son père, ce dernier étant souvent imberbe. Les enlumineurs, pas plus que les sculpteurs des cathédrales, n’ont jamais eu le souci de représenter d’après nature. Pour les rois, seuls importaient les attributs de leur puissance et non la configuration de leurs traits individuels; voir A. Vai Let De Viriville, “ Iconographie historique des r o i s d e F r a n c e , ” Revue universelle des arts 3 (1856): 4s7 4ss et 462 et Ch. Maumené et L. D’Harcourt, Brasseur / Les manuscrits • 39

Iconographie des rois de France, 1ère partie, de Louis IX à Louis XIII,” Archives de l’art français (nouvelle période) 15 (1928): 1. 47. Le roi du folio 2 vo présente les mêmes caractéristiques, mais celui du fo 73 ro, vu légèrement de côté, est moins hiératique et ne laisse plus transparaître sa fonction d’autorité dans une taille dépassant nettement celle de son entourage. 48. «Ce dépassement de la limite est fréquent dans les enluminures des XIIe et XIIIe siècles, sous la forme de pieds qui sortent, d’extrémités d’objets qui entament fort librement les frontières de l’image», souligne Fr. Garnier, Le langage de l’image au Moyen Age. Signification et symbolique (Paris, 1982) 95. Voir aussi la chausse droite du comte d’Artois au folio 72 ro. 49. Cette position est réservée aux personnages qui jouissent d’une autorité, voir Fr. Garnier 113. 50. Les têtes de chiens, gueule ouverte ou fermée, semblent être un élément très ancien, d’origine byzantine, de décoration des trônes: voir le Trône de saint Marc vers 800 (pl. II), de la Vierge de la Vision des trois rois, deuxième quart du XIe siècle (pl. VIII), d’Otton III, vers 1000 (pl. IX), dans H. Swarzenski, Miniatures des premiers siècles du Moyen- Age (Paris, 1951). 51. Cette manière de signifier l’accueil réservé par le supérieur à l’inférieur est courante dans les chroniques (Garnier 175) 52. Sur cette miniature, voir aussi Martin et Lauer 21-22. 53. Animaux fantastiques et monstres se propagent dans la décoration surtout après 1250 et sont paruculièrement fréquents dans la première moitié du XIVe siècle; voir J. Baltrusaitis 17. 54. Il est possible qu’elle ait été exécutée à l’époque de Louis XIV. Le manuscrit a été réparé par la suite, puisqu’on trouve deux fois douze languettes de papier fort à l’intérieur de ce volume. 55. Cette plaque apparaît sous Louis XIV, Louis XV et Louis XVI (voir E. Olivier, G. Hermal et R. De Roton, Manuel de l’amateur de reliures armoriées françaises [Paris, 1924-1938], pl. 2494, no 10; pl. 2495, no 2; et pl. 2496). 56. Ce fer n’a aucun équivalent exact dans les figures du Manuel cité dans la note précèdente. 57. Une description de ce manuscrit figure dans G. A. Crapelet, Partonopeus de Blois (Paris, 1834) 1: 39-44, et dans P. Paris, Les manuscrits français de la Bibliothèque du Roi. (Paris, 1840) 3s: 72-172. 58. Voir les relevés de Crapelet, 46. 59. G. A. Crapelet: «Cette Continuation n’a que 555 vers dans ce ms. contre 767 dans le ms. 1830 de la Bibl. du Roi. » (43) 60. Folios 123, 124, 126, 130, 135, 171. Toutes ces coutures ont été évitées par les copistes. 61. Folio 124 e en particulier. 62. Folios 1 ro, 41 ro, 89 ro, 121 ro, 140 ro, 218 ro, 231 bis. 63. Voir le Q du folio 127 a, le C du folio 131 d. 64. Un certain nombre de lettres sont privées de toute fioriture, voir les initiales rouges du folio 9 r o et ss. et les initiales bleues du folio 60 et ss. 65. G. A. Crapelet: «Ces lacunes sont anciennes, et il y a lieu de croire que les différentes pièces dont se compose le Ms. formaient dans le principe des ouvrages séparés, qui auront été réunis ensuite, et reliés avec peu de soin. Peut-être des cahiers qui manquent ont-ils été placés dans d’autres volumes, genre d’imperfection dont la reliure offre de fréquents exemples.» (40) 66. M.Tyssens, La Geste de Guillaume d’Orange dans les manuscr¿ts cycliques (Paris, 1967) 357-59. 67. Histoire littéraire de la France , 20: 635. 68. Delisle 105-25, 175-83 et 194-200. 69. Sur le cheminement de ce manuscrit voir aussi Crapelet, 44-45. 70. En ce qui concerne la «marche de l’ouvrage», voir M. Tyssens, 360-61. 40 • Olifant / Vol. 19, nos. 1-2

71. Une notice détaillée de ce manuscrit a été établie par Fr. Vieillard, dans Bibliotheca Bodmeriana. Catalogues .II. Manuscrits français du Moyen Age (Cologny-Genève, 1975) 32-34. 72. Folios 1 a; 108a; 122a: 124x 175; 3a: 122x 175; 25a: 125x 174; 41 a; 49a; 65a; 73asslabsoa ~ ssa: 125x 175; 106a: 125x176. 73. Folios 2 a: 76 x 142; 2 b, 4 a: 76 x 140; 20 a: ss x 142; 98 a: 73 x 142; 99 a: 74 x; 102 a :74 x 141; 106 a: 80 x 140; 108 a: 7s x 143; 114 a: 80 x 143; 122 a: 73 x 141. 74. Elle est antérieure à l’acquisition du manuscrit par M. Bodmer, la Fondation n’ayant pas procèdé à la foliotation de ce manuscrit. 75. Folios 8 b, 10 a, 16 b, 116 b et 117 a. 76. Folios 71 b, 72 a, 86 a, 96 b, 97 a, 121 b, 122 a. 77. Folios 81 b, 83 a, 87 b, 88 a, 113 b, 24, 119 b, 121 a. 78. Folios 83 b, 85 a, 88 b, 89 a, 115 b, 116 a. 79. vv. 5479, 5511 et 5716. 80. Folios 15 a, 18 a, 28 b, 30 b, 45 a, 51 a, 75 a, 121 b. 81. Folios 11 b, 41 a, 42 b, 44 a, 50 b, 65 b, 108 a, 112 a. 82. Sur ces recueils de petit format, à une seule colonne, «fatigués comme s’ils avaient beaucoup voyagé», dont il faudrait analyser en détail le contenu pour voir qu’elle pouvait être leur destination exacte (ont-ils vraiment servi à rafraîchir la mémoire des récitants, comme le veut la tradition?), voir L. Gautier, Les épopées françaises , 2ème édition (Paris, 1878) 1: 215, 225 et 226; R. Marichal, “Manuscrit, Le,” Dictionnaire des Lettres françaises, Le Moyen Age 1: 491 b; M. Delbouille, “Les chansons de geste et le livre,” Technique littéraire des chansons de geste, Actes du Colloque de Liège (septembre 1957) (Paris, 1959) 323-24; J. Frappier, Les chansons de geste du Cycle de Guillaume d’Orange (Paris, 1955) 1: 46; et “Littérature médiévale et littérature comparée,” Grundriss , 1: 146. Ces manuscrits sont rares. Cu. Samaran, La Chanson de Roland (Paris, 1933) 36-37, rappelle que les plus communément cités sont les 35 suivants: quatre en France, BN fr. 2493 (Raoul de Cambrai), 2494 (Aliscans et Bataille Loquifer) 2495 (Aspremont et Jean de Lanson), Arsenal 6562 (Aliscans, Loquifer, Moniage Rainouart, Moniage Guillaume); deux en Grande-Bretagne, Oxford, Bodl. Digby 23 (Roland) et Musée britannique Harley 4334 (Girart de Roussillon); un en Italie, Venise, Bibl. Saint- Marc, fr. XIV (Beuves de Hamptone). 83. Folio 1 b: a Miax, Aaliz ; 2 a: Joufroy de Paris ; 2 b: Guiteclins, De Sebile ; 3 a: Gui., De Rolant ; 4 a: Le duc Miles, Milon ; 5 a: Helissat ; 6a: De Roll’ ; 7 b: Gilemer trait’. 84. Folio 1 b: ycy comece du treu ; 2 b: Anses est no ung chevalier ; 3 b: [a]riere [b]an (mots coupés par le couteau du relieur); 6 b: du t’but ; 7 a: a tort ditz frasçois ; 10 a: IIII. õ. 85. Folios l a, l b, 2 b, 5 b, 7 b, 10 b, 15 a, 16 a, 16 b, 17 a, 17 b, 18 a, 18 b, 36a, 39 a, 52 b, 57 b, 62 b, 88 a, 100 b. 86. Folios 1 b, 3 b, 11 a, 12 b, 13 a (No du payemet). 87. Folios 3 b Qar bien doit losangier qi mestier a d’aie ; 12 b Que trop sambleroit estre orgoil et desverie / D ‘anvair son seignor se ançois nel desfie ; 19 a Qar princes sanz deniers niiert ja bons guerroiere ; 42 b Onques cil n’ama bien qi si tost se repant ; 57 b Povres doit an haut leu ses amors amplofer. 88. Folios 2 b, 3 b, 23 a, 46 b, 50 a, 57 b, 74 a. Ces interventions de mains successives entre le XIVe et le XVIIe siècles, ne seraient-elles pas révélatrices d’un engouement vivace pour les épopées, ces œuvres de fiction que des lecteurs, à la recherche beaucoup plus de maximes et de proverbes que de hauts faits, pratiquaient pour y découvrir avant tout une portée morale? 89. Folios 3 a: I; 24 b: B; 25 b: A; 26 b:B; 27 a: A; 42 b: M; 46 b: B; 48 b: A; 57a: S; 65 a: B et P; 68 b: B; 92 a: B; 93 b: E; 102 b: P et E; 107 b: I; 115 b: L; 116 a: P; 118 a et 120 a: D. 90. Folios 3 a, 72 b, 73 a. Brasseur / Les manuscrits • 41

91. Folios 14 b, 5 a et 41 a. 92. Folios 11 b, 12 a, 14 a, 20 a, 31 b, 60 b, 91 a, 117 b. 93. Folio 22 b: [A]ve Maria gracia plena dominus te cum ; 23 a et 48 b: Ave Maria gracia propria dominus te cum ; 72 b: Ave ; 73 a, 97 b, 101 b: Ave Maria ; 80 b: malgnalgralcialdomilnus , 111 b: Ave Maria gracia dominus te cum beneditatu (sic) in mulieribus et beneditus vantris (sic) tui. Amen. 94. Folios 23 b, 24 b, 34 a, 60 a, 80 b, 97 a. 95. Folio 89 b. 96. Folios 10 b, 21 a, 39 b, 72 b, 92 a, 103 a, 104 b, 118 a, 122 b. 97. Folio 18 b: N’an son palais plen’ qi fu de mabe bis ; 19 a: mainteroie voz plaiz a guise doituriere. 98. Folio 18 b: G. de Sessoigne fu iriez t destroit ; 19 a: Oez fait il baro roit te t marchis ; 39 a: Les viaires se tanchet t les chieres devant. 99. Folios 3 b, 64 b, 74 b, 94 a. 100. Folios 11 a, 12 a, 65 a. 101. La Chanson des Saxons par Jehan Bodel (Paris, 1839), 1: xvii. 102. Histoire littéraire , 20: 635. 103. Vieillard 32. 104. Elève de l’Ecole des Chartes en 1821, employé au Cabinet des titres de la Bibliothèque royale en 1829, il fut nommé en 1846 professeur à l’Ecole des Chartes, avant de devenir en 1854 conservateur adjoint au département des manuscrits de la Bibliothèque impériale, puis directeur de l’Ecole des Chartes de 1857 à 1871; voir L. De Mas Latrie, “M. Lacabane,” Bibliothèque de l’Ecole des Chartes 46 (1885): 150-56. 105. Nous n’avons trouvé aucun renseignement, sur l’acquisition de ce manuscrit, dans le fonds Lacabane des Archives départementales du Lot (F. 1-520 et 6 J). Ce fonds, acquis de la veuve du fils adoptif de cet érudit, Martin Bertrandy-Lacabane, ne contient pas de papiers à caractère personnel, mais des travaux d’érudition (originaux et notes pour la ré-édition des Chroniques de Froissard, documents intéressant la province, les villes et les familles du Quercy). 106. A. N. L. Munby, Phillipps Studies (Cambridge, 1954) 3: 43-46. 107. Michel xix. 108. Il participa à toutes les ventes importantes de manuscrits et d’objets précieux en Europe de 1824 à1871. Entre 1824 et 1837, il acquit 7403 volumes qui furent placés dans sa «Library» de Middlehill (Worcester) et répertoriés dans un premier catalogue, in-folio de 112 pages, complété au fil des acquisitions: Catalogus librorum manuscriptorum in Bibliotheca D.Thomae Phillipps, Bart, A. D., 1837. Sur la vie de ce bibliophile, consulter H. Omont, Catalogue des manuscrits latins et français de la Collection Phillipps acquis en 1908 pour la Bibliothèque nationale (Paris, 1909) i et iii. 109. Les exemplaires complets de ce Catalogue sont très rares. Le département des manuscrits de la Bibliothèque nationale en possède un. La Bodmeriana a la chance de détenir l’édition entièrement annotée par Sir Phillipps. 110. A. N. L. Munby 4:184. 111. A N. L. Munby 3: 43. 112. Sur la formation de la collection de Sir Phillipps, voir P. Meyer, “Notices sur quelques manuscrits français de la Bibliothèque Phillipps à Cheltenham,” Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale et autres bibliothèques (Paris, 1891) 34: 150-52; H. Omont, iii-xi; et surtout A. N. L. Munby t. 3 et 4. 113. P. Meyer 152-53; H. Omont 6; et A. N. L. Munby t. 5, en particulier 94-112. 114. Une source capitale pour la recherche à Genève, la Fondation Martin Bodmer (Genève, 1971) 24. 115. M. Bodmer, “La Bibliotheca Bodmeriana,” Revue médicale Image-Roche 36 (1970) 22: «Créerait-on un musée du langage ? Nous étions certes loin d’un musée, et cependant la Bodmeriana est plus proche de cette notion que de celle 42 • Olifant / Vol. 19, nos. 1-2

d’une bibliothèque dans le sens usuel du terme.» (Cent cinquante mille pièces: manuscrits, incunables, édilions rares, lettres de savants et de philosophes, monnaies, sculptures, vases, minéraux . . . ). Suivant le vœu de M. Bodmer, cette collection privée est devenue, à la mort de son propriétaire en mars 1971, une Fondation rattachée à l’Université de Genève. 116. Codices manuscripti Bibliothecae Regis Taurinensis Athenai (Taurini, 1749) 2: 496 (et non p. 396 comme il est indiqué dans cet ouvrage par suite d’une erreur de pagination). 117. St. Bassi, directeur de la Bibliothèque universitaire de Turin, nous a donné, en 1972, la certitude qu’aucun feuillet n’avait pu être sauvé. La note 8, p. 221 des tables de Romania 1 (1975) est aussi catégorique. En 1980, le Professeur A.V. Brovarone, qui a eu l’obligeance de revoir à notre intention plus de 200 boîtes de fragments, n’a pas trouvé la moindre parcelle de ce manuscrit. 118. Jean Bodels Saxenlied, dans Ausgaben und Abhandlungen aus dem Gebiete der romanischen Philologie 39-100 (Marburg, 1906 und 1909). 119. Ces renseignements nous ont été communiqués par le Docteur Demandt, conservateur en chef des Archives d’Etat de Marburg, et par le Docteur Reiser, conservateur des Archives de Koblenz. 120. Blancandin et l’orgueilleuse d’amour (Paris, 1867) 209, date reprise dans l’édition Fr. Sweetser (Genève-Paris, 1964) 7. 121. G. Pasini 496 a: Membranaceus, constans foliis 188. Saeculi XIV. 122. Croix d’argent en champ de gueules. 123. G. Pasini: non indicato auctoris nomine. 124. “Renseignements sur quelques manuscrits français de la Bibliothèque nationale de Turin,” Studier i Modern Spräkvetenskap utgivna av Xyfilologiska Säliskapet i Stockholm 12 (1934): 74-124; même observation de G. Pasini: nunc initio mutili. 125. Texte reproduit d’après H. Michelant 209-10; voir aussi G. Pasini. 126. On peut rapprocher de cette réflexion celle du fo 9 a du manuscrit L: «Infans ne doit lire ces romanz». 127. P. Vayra, Il museo storico della Casa di Savoia nell’ Archivio di Stato in Torino (Turin, 1880) 1-178; Fr. Mugnier, Les manuscrits à miniatures de la Maison de Savoie (Moûtiers-Tarentaise, 1894) 11-16; S. Edmunds, “The Medieval Library of Savoy,” Scriptorium 24 (1970): 318-27; P. Durrieu, “Les manuscrits à peintures de la Bibliothèque incendiée de Turin,” La chronique des Arts et de la Curiosité (1904): 43-56, 56-58 et 63-65. 128. Voir note 82, mss. Paris, B.N., fr. 2494 et 2495. 129. Blanchandin , comme la Chanson des Saisnes pourrait avoir été composée à Arras—voir R. Berger, “Littérature et société arrageoises au XIIIe siècle. Les chansons et dits artésiens,” Mémoires de la Commission Départementale des Monuments historiques du Pas-de-Calais 21 (Arras, 1981): 234, n. 81. La langue de cette œuvre n’a fait l’objet d’aucune étude, une simple lecture permet cependant de relever un grand nombre de traits picards. 130. Nous avons trouvé des Robert et Jean Guerri à Lille, un Guerric, chanoine de Tournai, de nombreux Werricus et Guerricus à Arras. Un acte de 1122, dans le Cartulaire de l’Abbaye de Saint Vaast , à Arras, concerne un privilegium Guerrici abbatis. Le nom de Werricus est fréquent dans le Cartulaire du chapitre d’Arras. Il apparaît aussi dans le Cartulaire de l’Abbaye de Saint-Père de Chartres: Guerricus Osculans Diabolum, Guerricus Bese Deable , t. 1, Guerricus canonicus, Guerricus clericus. Guerricus vicedominus, t. 2. 131. Ce manuscrit figure dans l’inventaire de livraison de la Bibliothèque ducale à la Bibliothèque universitaire, qui fut établi en 1732. Sur les ducs de Savoie et la formation de leur Bibliothèque, voir P. Vayra 1-12 et 256-340. «Les princes de Savoie ne l’avaient cédé à personne sous le rapport du luxe des bijoux, des tapisseries, des peintures et des livres manuscrits imprimés», confirme Mugnier (12). Brasseur / Les manuscrits • 43

132. Au cours du XIIIe siècle, les manuscrits ont dû être adaptés à une situation sociale nouvelle: on lit davantage, on cherche à produire des volumes meilleur marché, plus accessibles, plus directement utilisables par celui, jongleur, ménestrel, clerc ou simple lecteur, qui désirait lire ou relire une chanson pour lui- même (métier ou plaisir personnel) ou pour un public. Voir à ce propos, A. Molinier, op. 187-89; et M. Tyssens, “Le style oral et les ateliers de copistes,” Mélanges Delbouille, (Gembloux, 1964) 2: 674: «Quoi qu’il en soit, la condition sociale de l’interprète—jongleur ou ménestrel—est un fait secondaire. Ce qui nous importe, c’est de savoir qu’il lisait nos chansons et que c’était là ce que son public attendait de lui.» 133. Ce qui semble contraire à l’habitude selon Gautier 228: « . . . ces derniers [les manuscrits de jongleurs] renferment généralement les plus courtes et les meilleures versions de nos romans, tandis que les grands manuscrits ne nous offrent le plus souvent que les remaniements, les rifacimenti de nos chansons de geste, leurs versions les plus développées, les plus récentes, les moins dignes de notre estime.»