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LeMonde Job: WIV0799--0001-0 WAS LIV0799-1 Op.: XX Rev.: 18-02-99 T.: 06:45 S.: 111,06-Cmp.:18,08, Base : LMQPAG 37Fap:100 No:0073 Lcp: 700 CMYK

LITTERATURESb ESSAIS VENDREDI 19 FÉVRIER 1999

PRÉHISTOIRE LA BIOGRAPHIE La Chronique de Historique, typologie, problèmes Roger-Pol Droit juridiques, Salon... Enquête sur un VII genre qui ne cesse de susciter l’engouement EDUARDO MANET pages X et XI le Feuilleton JEAN RISTAT LEONARDO SCIASCIA GABRIEL TARDE de Pierre Lepape page II page III pages IV et V page IX

bbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbb Walser, la volonté d’impuissance Romans ou petites dans les rues des villes, et, avec plus Retour dans la neige, constituent le pre- teux, pour candide plutôt que complète- cent gueux préférés », ajoutait Benja- d’insistance, sur les chemins de traverse mier volume des proses publiées entre ment retors, pour plutôt droit que courbe min. Rappelons également que Kafka proses, les livres de d’une campagne transfigurée. 1899 (Walser avait alors vingt et un ans) et pour malheureusement plutôt insigni- prisait beaucoup l’écrivain suisse, qu’il Dès lors, comment peut-il se faire et 1929 (date de son internement dans fiant qu’important et considérable. » lisait en éclatant de rire. l’écrivain suisse de que le charme étrange consigné et dé- un établissement psychiatrique, qui ne Toujours les oppositions... Ces guirlandes et ce rire ne doivent ployé dans toutes ces pages agisse tou- prendra fin qu’à sa , le jour de Univers enchanté aussi, rédimé par cependant pas faire oublier le caractère langue allemande jours ? Quelle est cette voix inimitable Noël 1956), dans des journaux et revues la volonté d’impuissance, que la mé- pathétique des écrits de Robert Walser, i l’on devait qualifier le qui, tout en modulant le même air sans et dont seule une partie fut reprise en chanceté et la malignité ont déserté. et singulièrement de toutes ces pages sont autant de voyages monde de Robert Walser, il faudrait prestige apparent, parvient à maintenir Chez Walser, le « prince du de prose qui semblent jetées au vent, avoirS recours aux catégories élémen- le lecteur sous un tel enchantement Patrick Kéchichian monde » est charmant, prime- comme un appel. « Dans un certain dans un monde taires et paradoxales dont il use lui- qu’il en redemande, ravi, ne se lassant sautier. Il tient son pouvoir de sens, nous sommes tous meurtris, nous ne même à satiété, fondant sur elles, jamais ? volumes par l’écrivain. En association dénier tous les pouvoirs. Mais il reste faisons que nous habituer à passer outre féerique aux contours comme sans y penser, une esthétique et Les trois livres qui paraissent au- avec les Archives Walser de Zurich, les un prince, comme Walser lui-même cette réalité trop délicate, qui au quoti- une morale existentielles : le petit et le jourd’hui rassemblent des courtes éditions Zoé projettent ainsi de tra- auquel la littérature donne des ailes ! dien ne peut être tolérée et qui, par d’une inquiétante grand, le bon et le méchant, le doux et proses – d’une page à une dizaine – de duire l’ensemble de ces textes. Marie, Walter Benjamin notait, en 1929, que conséquent, ne doit pas exister. » le violent, le puissant et le fragile, le Walser. Le premier, Les Rédactions de enfin, est un bref récit datant de mai « la guirlande est le modèle de ses Le lecteur, séduit, se surprend à ré- candeur. Un univers riche et le pauvre... Tous les livres de Fritz Kocher, réunit trois ensembles 1916. phrases ». « L’idée qui les traverse en va- pondre à cet appel. Walser, et ses l’écrivain suisse de langue allemande, composés et publiés par l’écrivain en Y aurait-il deux Walser ? L’auteur des cillant est un fainéant, un gueux et un gé- « gueux », devient son semblable, son aux pouvoirs romans ou petites proses, sont des 1904 (Les Rédactions), 1913 (Petits Essais) romans, qui publia entre 1906 et 1909 nie, comme les héros des proses de Wal- prochain. « Le fou » n’est plus un voyages, ou plus exactement des pro- et 1914 (Histoires). Certains des textes de trois livres répondant à cette appella- ser. Il ne sait du reste montrer que des étranger, mais un frère. Avec son profil étrangement menades dans ce monde de contrastes ce volume, comme l’admirable « Kleist tion – Les Enfants Tanner, Le Commis et “héros”, incapable de se détacher du bas, son humilité définitivement or- mystérieusement réconciliés. Monde à Thoune », avaient déjà été traduits L’Institut Benjamenta, traduit par personnage principal, et s’en est tenu à gueilleuse, Walser touche à l’universel. enchanteurs féerique et pourtant naturel, dont l’in- par Jean-Claude Schneider (Sur quel- Marthe Robert dès 1960, chez Grasset ses trois romans précoces pour ne vivre quiétante candeur, au lieu de nous pro- ques-uns et sur lui-même, Gallimard, –, auxquels il faut ajouter Le Brigand, désormais que dans la fraternité de ses (1) Tous chez Gallimard. jeter dans un au-delà inconsistant, « Arcades », 1993). Les vingt-cinq tex- écrit en 1925, mais publié de manière nous ramène incessamment ici-bas, tes regroupés sous le titre de l’un d’eux, posthume (1). Au moins trois autres ro- mans furent détruits par l’écrivain. Le LES RÉDACTIONS RETOUR DANS LA NEIGE second Walser serait celui des quelque DE FRITZ KOCHER Proses brèves, I mille cinq cents courtes proses suivi de de Robert Walser. commandées ou acceptées par les jour- HISTOIRES Traduit par Golnaz Houchidar, naux berlinois et suisses, puis parfois et de PETITS ESSAIS préface de Bernhard Echte. rassemblées en recueils : contes, fables, (Fritz Kochers Aufsätze. Ed. Zoé (Genève, diff. Harmonia histoires, rêves éveillés, fantaisies auto- Geschichten. Aufsätze) Mundi), 144 p., 98 F (14,94 ¤). biographiques, « essais » – mais il ne de Robert Walser. faut pas se laisser troubler par ce mot, Traduit de l’allemand MARIE l’essayiste n’étant pas moins fantaisiste (Suisse) par Jean Launay. de Robert Walser. que l’écrivain. A l’exception des Rédac- Gallimard, Traduit par Jean Launay tions de Fritz Kocher, qui sont juste anté- « Du monde entier », (bilingue). rieures aux romans, les autres livres de 342 p., 130 F (19,81 ¤). Ed. du Rocher 96 p., 34 F (5,18 ¤). proses ont été publiés – jusqu’en 1925 – après la période romanesque. Cette séparation est pour une bonne part artificielle. Si l’on prend les ro- mans, on peut aisément détacher des pages qui ressembleraient alors, comme des sœurs, aux proses. A l’in- verse, il n’est pas difficile d’imaginer les courtes histoires de Walser dévelop- pées jusqu’à devenir des romans. En fait, l’écrivain semble n’avoir aucun souci de la forme, encore moins du ro- man en tant que tel ; plus précisément, il néglige d’y penser. En ce début de siècle où l’esthétique romanesque va connaître une profonde révolution, il reste à l’écart. Robert Musil, l’un des te- nants de cette « révolution », avait per- çu cette marginalité ; il écrivait en 1914 que, au « jeu littéraire », Walser substi- tuait un « jeu humain, plein de souplesse, de rêverie, de liberté et qui offre toute la richesse morale de ces journées d’oisiveté, inutiles en apparence, où nos convictions les plus fermes se défont en une agréable indifférence ». Négligence. Indifférence. Oisiveté. L’écriture de Walser paraît obéir à ces injonctions d’une existence livrée à elle- même, abandonnée à « un indicible quelque chose ». L’obéissance est d’ail- leurs la plus constante de ses tenta- tions : ce qui donne à l’existence walsé- rienne une bien singulière figure... Pourtant, derrière cette paresse, ce va- gabondage permanent qui ne veut souffrir aucune contrainte, sinon celle qu’il a librement consentie, une voix se compose, un style s’élabore, savam- ment aérien, un monde vient au jour. Monde inquiétant disions-nous, à force de frôler la folie, de déraisonner avec entrain et enthousiasme. Les autopor- traits abondent, qui montrent « le fou ». Celui-ci, dans Marie : «Je me tiens moi-même pour un type plutôt bon,

ROBERT WALSER ARCHIV ROBERT WALSER bête, honnête que mauvais, malin et dou- LeMonde Job: WIV0799--0002-0 WAS LIV0799-2 Op.: XX Rev.: 18-02-99 T.: 08:14 S.: 111,06-Cmp.:18,08, Base : LMQPAG 37Fap:100 No:0074 Lcp: 700 CMYK

II / LE MONDE / VENDREDI 19 FÉVRIER 1999 le feuilleton

de Pierre Lepape b elle, la nostalgie n’est pas son fort : elle espère. Espérer, D’AMOUR ET D’EXIL c’est aussi savoir que le pire peut arriver. Le triomphe d’Eduardo Manet. du cynisme, le délayage de la révolution dans le Grasset, 280 p., 126 F (19,21 ¤). tourisme et la prostitution et même le retour en arrière, au temps où Cuba était le bordel de luxe des Etats- rand théologien du XIIe siècle, salué comme Unis, surveillé par des maquereaux galonnés et sangui- le nouvel Augustin, originaire, on ne sait naires. Berta prend ce risque-là, celui du futur, insépa- trop, de Saxe, de Lorraine ou de Flandres, La Havane rable de tout projet. Elle s’y sacrifie. Et Manet est aussi mais installé à Paris, Hugues de Saint-Victor avec elle, comme il est avec Leonardo. L’exil, c’est aussi Gécrivait : « Raffiné est l’homme pour qui la patrie est ce va-et-vient de la conscience et du cœur et l’impossi- douce, courageux celui pour qui tout sol est une patrie, bilité de faire cesser ce mouvement. mais parfait est celui pour qui le monde entier est un Eduardo Manet est un excellent auteur de théâtre. exil. » Saint-Victor aurait pu préfacer le dernier roman Les soixante-huitards et leurs vieux parents se d’Eduardo Manet. mon amour souviennent encore du grand succès de sa pièce Les Manet distingue en effet très justement trois Nonnes (Las Monjas), mise en scène par Roger Blin en manières d’être exilé qu’on a trop tendance à 1969. Plus récemment, Un balcon sur les Andes, confondre. Il y a ceux qui ont été jetés hors de leur Mendoza en Argentine et Ma’dea ont effectué une trou- patrie par la férocité d’un régime politique auquel ils blante jonction entre la moderne tradition européenne s’opposaient. Ceux-là ont emporté leur pays dans leurs de l’absurde et l’atmosphère scénique des Caraïbes bagages ; ils sont entre parenthèses, leur exil est une marquée par le rythme et les rites, le cérémonial quarantaine, même si la quarantaine doit durer vaudou et les jeux de marionnettes. Pas étonnant donc quarante ans. Intacts, ils attendent que les temps Le roman d’Eduardo Manet tranche « Avec la révolution, tout ; contre la révolution, rien. » si les dialogues d’Amour et d’exil sont si percutants, si changent pour rentrer à la maison. Le père Hugo sur Cela permet tous les ridicules, toutes les hypocrisies et efficaces, sans cesser d’être sobres − alors que les héros son rocher de Guernesey guettant la chute de Napo- avec la littérature courante de l’exil tous les cynismes du militantisme révolutionnaire. Cela du livre, tant pour délier leur langue que par goût de la léon le petit, Soljenitsyne dans sa Russie américaine du permet d’impensables mélanges de rigorisme et fête, boivent beaucoup. Vermont, mais aussi les malfrats cubains de Miami et avec la mode idéologique. D’avoir d’exubérance, de pauvreté et de générosité, de dogma- guettant le signal de la chute de Fidel pour retrouver à tisme et d’invention. Et des rencontres inattendues, n est en revanche assez époustouflé par la La Havane leurs lucratives activités antérieures. choisi l’exil lui évite les règlements de comme celle de l’immense croix dressée sur la place de construction du roman. Pour les besoins de Il y a la masse, souvent anonyme, de ces exilés qu’on la Révolution lors de la visite de Jean Paul II, avec, en sa cause, Eduardo Manet a conçu une de nomme aussi immigrés. Des ouvriers, des paysans, des comptes sommaires. C’est par amour pendant, non moins immense, le portrait de Che ces mirobolantes architectures en continu employés qui cherchent simplement sur la terre un Guevara. Ocomme en élaboraient dans leurs ateliers les expéri- endroit à eux. Parce qu’ils sont de trop à l’endroit où ils de Cuba, par fidélité à Cuba, que D’amour et d’exil n’a pas pour but de juger. Comme mentateurs des années 60. Avec multiplication des sont nés. De trop pour vivre, pour travailler, pour l’indique le titre, il s’agit d’amour. C’est par amour de narrateurs et multiplication des temps du récit minu- nourrir leur famille. Ils abandonnent peu et ne le héros s’enchaîne à l’exil. Il ne s’agit Cuba, par fidélité à Cuba que Leonardo s’enchaîne à tieusement ajustés dans le même cadre. On passe sans demandent pas grand-chose : un coin de la planète l’exil. Enfant, il a connu un Basque, Anton, un ancien transition du présent de l’action − l’automne 98 au Pays pour subsister ; et c’est souvent encore trop. pas de savoir d’où l’on vient combattant de la République espagnole qui a dû fuir basque − à l’évocation d’une autre époque et d’un Et puis il y a le cas plus étrange des « vrais » exilés, son pays et le franquisme et a trouvé refuge dans l’île. autre lieu − La Havane 1969, la guerre d’Espagne en ceux qu’Hugues de Saint-Victor qualifie de « parfaits » : mais ce que l’on quitte Anton est devenu un père pour Leonardo, ensemble ils 1939 ou Oriente en août 1896 pendant la guerre d’indé- ceux qui ont choisi l’exil quand rien ne les obligeait à le se sont battus contre l’effroyable dictature de Batista. pendance qui oppose les Cubains aux Espagnols, sous faire, sinon une impérieuse et intérieure nécessité. femme se rend compte qu’elle ne repartira pas avec Avant de mourir des tortures qu’il a subies, Anton a l’œil avide des Etats-Unis. Selon le personnage qui C’est le cas de Leonardo Esteban, le héros du roman son amant. La partie change de sens : est-ce que révélé au jeune garçon l’existence d’une valise de docu- parle, la carte de l’exil change de forme, de couleurs et d’Eduardo Manet. C’est le cas de Manet lui-même, qui l’amour sera assez fort pour que Berta, à son tour, ments demeurée au Pays basque. Leonardo part à la de ton, c’est comme un puzzle dont les pièces a quitté Cuba et sa langue maternelle il y a trente ans décide d’abandonner sa famille, son idéal politique et recherche de cette vieille relique, témoin d’un père n’auraient ni les mêmes configurations ni les mêmes pour vivre en France et écrire en français. Le plus son île assiégée pour goûter au bonheur amer de l’exil ? d’adoption qui avait adopté Cuba. emboîtements selon le joueur qui les manipule et le souvent sur Cuba. Nous sommes donc aux antipodes du traditionnel moment où il le fait. Leonardo Esteban n’a aucun ennui politique avec le e roman d’Eduardo Manet tranche avec la voyage initiatique à la recherche des racines et de Quand il arrive qu’on les relise aujourd’hui, les régime castriste. C’est un fonctionnaire zélé et efficace, littérature courante de l’exil. Il tranche égale- l’identité. Il ne s’agit pas de savoir d’où l’on vient mais hardiesses avant-gardistes d’avant-hier ont le plus employé dans les délicates négociations internationales ment avec la mode idéologique. Les exilés ce que l’on quitte : les racines de l’exil. Leonardo souvent un petit air de bricolage laborieux, quelque du commerce extérieur cubain. Il voyage beaucoup et cubains, et nul ne le leur reprochera, nous ont accomplit le voyage de retour qu’Anton a choisi de ne chose d’à la fois gamin et m’as-tu vu agité par le prurit plutôt librement. Il entretient depuis onze ans une Lhabitués aux diatribes contre le régime castriste et pas faire. Par l’exil, il rompt l’exil de l’autre, il rentre au de la Théorie. On pense à Houellebecq tel qu’on le lira tropicale liaison amoureuse avec Berta, une de ses contre son Lider maximo transfiguré en père Ubu pays qui n’est pas le sien. Il boucle un passé. Il devient dans dix ans, ou dans cinq. Avec Manet, ces petits jeux collègues, mariée, mère de deux enfants, militante irré- barbu, régnant par la terreur policière et l’embrigade- aussi ce qu’il était sans en avoir conscience : un Cubain, d’apprentissage ont passé l’âge de l’acné et, pour le prochable et sœur du puissant responsable de l’espion- ment sur un pays détruit, en proie à l’incompétence, à c’est-à-dire un exilé, venu d’Europe, d’Afrique, lecteur, du casse-tête chinois. Les temps, les lieux, les nage cubain. Leonardo a été envoyé en France, au Pays la corruption et à l’application aveugle d’une version d’Amérique ou d’Asie, de son gré ou par la force, pour personnages, les points de vue coulent paisiblement basque, à l’automne 1998, pour négocier un contrat caraïbe du marxisme-léninisme militarisé. Rien de tout se mêler à d’autres exilés et former, malgré tout, – naturellement serait-on tenté de dire si ce n’était par avec un investisseur. Mais les négociations durent plus cela chez Manet. D’avoir choisi l’exil lui évite les règle- malgré les prédateurs, une nation. art − dans le même lit du récit. longtemps qu’il n’est permis. A La Havane, les autorités ments de comptes sommaires. Il ne fait pas l’impasse Leonardo parie sur le passé, il s’y réfugie, comme ces A un moment de leur duo d’amour et d’affronte- soupçonnent Leonardo de s’être laissé séduire, comme sur la privation des libertés, mais pas davantage sur le Cubains sans illusion qui continuent à soutenir Castro ment, mémoire contre avenir, Leonardo et Berta tant d’autres avant lui, par les sirènes du capitalisme. combat pour la justice. Il évite les caricatures. Il préfère par fidélité aux espérances quarantenaires de la Sierra évoquent le duel franco-japonais d’Hiroshima mon Pour le convaincre de rentrer à Cuba et de reprendre sa la réalité qu’il a choisi de vivre dans la distance de Maestra. Berta, la belle espionne, regarde vers l’avenir, amour. Plus qu’un hommage, c’est une clé. La Havane place dans ce qu’il est convenu d’appeler la « révolu- l’écriture, dans l’éloignement d’une autre langue. vers ses enfants, quitte à sacrifier son bonheur présent. mon amour murmurent ensemble celle qui reste et tion », elles lui envoient Berta. Très vite, la jeune La réalité, c’est le slogan simple et terrible de Castro : Leonardo boucle l’histoire, Berta n’en a pas fini avec celui qui, déjà, est ailleurs.

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BANDE DESSINÉE b UN TEMPS DE TOUSSAINT, de Pascal Rabaté et Angelo Zamparutti Un bistrot, fréquenté par des habitués dont un croque-mort et un idiot Le Génie b par Yves-Marie Labé de village. Des numéros joués au Loto et une voiture d’occasion vendue à la va-vite. il n’en faut pas plus pour que Rabaté et son scénariste Zamparutti bouclent une histoire où le hasard joue à nouveau la nique à l’humour le de la Comédie plus noir, au fil d’une galerie de dessins en noir et blanc, magnifiques de Coups de griffes sens et de sûreté de trait (Amok Editions, « Feu ! », 20 p., 42 F [6,40 ¤]). e castrat Zambinella, la souffle où il veut et gonfle b LES RÉVOLTÉS, TOME 2, de Jean Dufaux et Marc Malès plus intrigante des comme une voile la panse gé- Après le récit de la vie d’une famille de milliardaires américains, les Stir- créatures de Balzac, niale de son créateur. « Cette voix MOMENTS DE LASSITUDE ling, troublée par un enfant venu d’ailleurs, Waldo, ce deuxième volet des n’est pas un de ses fa- d’ange, cette voix délicate eût été de Claire Bretécher. Révoltés raconte la suite de cette saga familiale plongée dans un univers à la meuxL « doubles ». Il est son Gé- un contresens, si elle fût sortie catalogue de l’exposition, fois poisseux et brillant. Meurtre, inceste et trafics rythment ce thriller où nie même, celui qui va tout en- d’un corps autre que le tien. » Ed. Claire Bretécher, 60 p., 170 F (25,91 ¤). les personnages se démènent pour exister, au cœur des paillettes d’un fanter. « Ah ! c’était bien la mort Zambinella est l’inspiration Hollywood émergent et au son du jazz naissant. Dans ce scénario construit et la vie, ma pensée, une ara- prodigieuse de Balzac qui roule RONALD SEARLE DANS « LE MONDE » comme un long métrage, chaque case recèle des trésors d’ingéniosité besque imaginaire, une chimère au gré des pages ses milliers Le Cherche Midi éditeur, graphique. Les contre-plongées répondent aux gros plans tandis que les hideuse à moitié, divinement fe- d’enfants, « voix agile, fraîche et « La Bibliothèque du dessinateur », moues des visages s’évanouissent dans l’Amérique urbaine des années 30, melle par le corsage. » Zambinel- d’un timbre argenté, souple 126 p., 120 F (18,29 ¤). superbement recréée, et que des couleurs inattendues donnent une inten- la est à la fois un élixir de longue comme un fil auquel le moindre sité désespérée à cette histoire de mort et de pouvoir (Ed. Glénat, « Carac- vie et une peau de chagrin. souffle d’air donne une forme, RAYMOND MACHEROT tère », 48 p., 78 F [11,89 ¤]). D’abord centenaire, il devient qu’il roule et déroule, développe et de J.-F. Douvry, J.-P. Mercier, b P.L.G., SPÉCIAL 20ANS jeune femme puis se disperse ». Principe V. Baudoux, J.-F. Chevalier, Plein la gueule pour pas un rond (P.L.G.P..R., devenu P.L.G.), fanzine de BD redécrépit à la fin. pneumatique de la D. Fano et G. Ratier, qui a depuis longtemps atteint la maturité professionnelle des plus grands, Zambinella est l’art Comédie, Zambi- Ed. Mosquito, 128 p., 100F (15,24¤). célèbre sa double décennie d’existence par un numéro double daté de fait homme-femme. nella, « création ar- l’hiver 1998-1999, dont Jean-Pierre Gibrat (Goudard et la Parisienne, Le Vieillard énigma- tificielle » et « trésor es lecteurs familiers des Frustrés ou d’Agrippine et ceux qui s’exta- Sursis, etc.) a dessiné la couverture. Passerelle entre les auteurs reconnus, tique, ses rides sont intrinsèque », en siaient déjà, il y a plus de trente ans, sur les trouvailles verbales et comme Gibrat, et les talents en éclosion, comme Sylvain Victor (Les Deux « aussi pressées que les condense l’éter- graphiques de Baratine et Molagaga vont pouvoir prendre la camions, Le Doute, etc.) ou Stanislas (Yvan, prince des étoiles), P.L.G., en plus feuillets dans la Figures nelle fraîcheur : mesure du talent de leur créatrice commune, Claire Bretécher. d’alimenter une intéressante rubrique consacrée à la vie des fanzines, est tranche d’un livre ». « Elle avait tout à la IntituléeL avec une distance toute bretéchérienne « Moment de lassitude », aussi éditeur, notamment, excusez du peu, de Joe Spinelli et de Jean-Chris- de la Comédie Jeune diva, « c’était fois cent ans et une exposition de ses dessins à l’encre, au feutre ou à la peinture acrylique tophe Chauzy. (P.L.G., BP 94, 92123 Montrouge Cedex) plus qu’une femme, vingt-deux ans. » sur papier, carton ou kraft a lieu du 6 février au 6 mars à la galerie pari- b LES RAMEAUX DE SALICORNE, de Pierre-Yves Gabrion c’était un chef- b L’harmonie par- sienne Christian Desbois (14, avenue de La Bourdonnais, 75007 Paris). Les hommes de Salicorne ont rendez-vous sur la lande avec une fée, dans d’œuvre ! ». ZAMBINELLA faite : « Il admirait Les dessins exposés, sauvés de la corbeille à papier, illustrent cette la nuit qui suit la journée des Rameaux. Brian, un garçonnet né bâtard et Zambinella sème le en ce moment la manière toute personnelle qu’a Claire Bretécher de griffer des silhouettes, surnommé La Mouche, va découvrir le secret de cette communauté virile et trouble et essaime les Né en 1738. beauté idéale de la- d’imposer dans l’espace d’une case des personnages en suggérant leur perturber la cérémonie, sur fond de meurtre. Grâce à un graphisme inspiré doubles. Sa nature quelle il avait jus- humeur du moment, et de tisser ainsi un lien ténu entre le sujet et le des contes d’autrefois et à des couleurs chaudes, Pierre-Yves Gabrion a bâti hybride imprègne Dernier qu’alors cherché çà lecteur-spectateur. Qu’il s’agisse d’autoportraits, de dessins de femmes ou une fable séduisante, où la quête du père et le dévoilement d’un secret tout, tout est scindé des castrats, et là les perfections d’hommes dans leur quotidien, du bain de pieds au coup de téléphone, du valent initiation (Ed. Casterman, 64 p., 80 F [12,19 ¤]). par son Z cinglant : héros dans la nature. » lit à la plage, ils laissent planer une interrogation, deviner un vide, et finale- b LES VÉRITÉS DE LA Ve, de Pierre Christin et Alexis Lemoine. vie et mort, chaud et de Sarrasine, L’infinie richesse : ment inspirent une vision philosophique empreinte d’un humour toujours Et si le général de Gaulle avait péri dans l’attentat du Petit-Clamart ? Et si froid, deuil et joie, publiée en 1830 « Jamais mine plus à la dérive. François Mitterrand, à force d’échecs électoraux, avait choisi la littérature ? jusqu’à Paris, « la ville dans La Revue féconde ne s’était Le trait de Ronald Searle est aussi celui d’un artiste doublé d’un homme En croisant petite et grande histoire, Pierre Christin use de son double don la plus amusante du de Paris, ouverte aux cher- de presse, auquel de nombreux dessinateurs de BD, comme François d’écrivain et de journaliste pour conter cette « vraie-fausse » Ve Répu- monde et la plus phi- et reprise dans cheurs de mys- Boucq par exemple, vouent une admiration sans bornes. Reconnaissable blique, illustrée de dessins de presse réjouissants. L’épilogue amusera plus losophique ». Les « Scènes de tères. » L’universali- entre tous par son dynamisme et sa finesse, le graphisme de Ronald Searle d’un lecteur (Dargaud Editeur, « Les correspondances de Pierre Christin », doubles mêmes se dé- la vie té interlope : « Tous fut d’abord mis au service des reportages qu’il effectua pendant la 46 p., 85 F [12,95 ¤]). doublent : Sarrasine parisienne ». les membres de cette deuxième guerre mondiale dans les camps japonais de prisonniers

est Balzac jeune, le MAISON DE BALZAC - PARIS, L.- A. BISSON/1842 famille parlaient – notamment celui du pont de la rivière Kwaï. Après les plus grands jour- narrateur Balzac l’italien, le français, naux nord-américains (du Herald Tribune au New Yorker), c’est au Monde adulte. Le « spectre » Zambinel- l’espagnol, l’anglais et l’allemand, qu’il a prêté son trait et son talent d’observation mâtiné de distance et la, lui, rassemble des traits de avec assez de perfection pour faire d’humour. Parus entre 1995 et 1998, les dessins de Ronald Searle, qu’il Balzac père, mort un an avant la supposer qu’ils avaient dû long- s’agisse de l’Europe, des scandales politico-financiers, de la mort de Lady rédaction de la nouvelle. Pour temps séjourner parmi ces diffé- Diana, etc., reconstituent l’agenda, féroce et léger, des turpitudes et des que la Comédie fût, ce père de- rents peuples. » Enfin, bien sûr, la émois de l’actualité récente. vait être castré comme lui-même garantie de postérité : « Il voyait De facture très différente, les dessins animaliers d’un des grands auteurs avait tranché d’un Z le nom du la Zambinella, lui parlait, la sup- de bande dessinée encore vivants, Raymond Macherot, ont nourri des sien (Balssa). Ce n’est pas Freud pliait, épuisait mille années de vie générations de lecteurs de Spirou et du Journal de Tintin, ainsi que des qui le dit, c’est Hésiode ! En et de bonheur avec elle, en la pla- cohortes d’élèves dessinateurs. Mais la monographie que lui consacrent les émasculant son père Ouranos, çant dans toutes les situations éditions Mosquito – après celles de Margerin, Juillard, etc., et avant celle Cronos prend les rênes de l’uni- imaginables, en essayant, pour dévolue à l’œuvre de Boucq – donne aussi une idée du talent de cet auteur vers, il délivre les Titans et lance ainsi dire, l’avenir avec elle. » ardennais de soixante-quatorze ans et de sa volonté d’inscrire ses fables le règne du Temps. Zambinella dans l’actualité historique qui fut la sienne, en critiquant par exemple devient dès lors l’« Esprit », qui Stéphane Zagdanski l’industrie des armes de guerre ou le pouvoir despotique. LeMonde Job: WIV0799--0003-0 WAS LIV0799-3 Op.: XX Rev.: 18-02-99 T.: 06:45 S.: 111,06-Cmp.:18,08, Base : LMQPAG 37Fap:100 No:0075 Lcp: 700 CMYK

littératures LE MONDE / VENDREDI 19 FÉVRIER 1999 / III b Jean Ristat, l’exil pour tout royaume Il a publié son premier recueil de poèmes à quinze ans, a été le dernier compagnon d’Aragon, est l’auteur trop méconnu d’une œuvre singulière et contestataire. Il publie aujourd’hui un poème sur la mort de l’homme aimé et ses entretiens avec Aragon sur Matisse line fut notre commune féminité. j’avais une infinie tendresse. Il son rôle de découvreur à la tête, LA MORT DE L’AIMÉ Comment dire plus simplement m’aurait été impossible de prendre aujourd’hui, de sa revue Digraphe Tombeau de M. Philippe Desvoy notre mutuel attachement. » des notes alors qu’il se fiait entière- et ce poème sur la mort de son de Jean Ristat. Après la mort d’Elsa Triolet, de ment à moi et que je protégeais sa ami valent toutes les gesticula- Stock, 46 p., 80 F (12,19 ¤). 1970 à 1982 (année du décès du vieillesse. Le journal est une ma- tions militantes. poète), Jean Ristat partagea nœuvre égocentrique. Le poème est Homme cultivé, fidèle au Parti ARAGON : l’existence de Louis Aragon. Il en un exercice d’humilité qui trans- communiste auquel il a dédié son SUR HENRI MATISSE est l’héritier et le légataire uni- met intacts l’amour et le désir. » Le poème Ode pour hâter la venue du Entretiens avec Jean Ristat. versel. plus « physique » de sa relation à printemps, dandy perdu dans la Stock, 124 p., 79 F (12,04 ¤). La Mort de l’aimé témoigne Philippe Desvoy, sa désespérance mémoire des utopies de gauche d’une part plus secrète de la vie cruelle, est confessé dans le mais curieux de la transgression intime de Jean Ristat. « J’ai ren- poème : « Ecoute j’ai peur du si- érotique, fou de littérature, il dé- ans son abandon li- contré Philippe Desvoy le 22 dé- lence comme d’une/ Banquise le lit tonne et inquiète... « Que fait-on quide, le premier vers cembre 1972. J’ai d’abord vu ses aux draps durs et froids les mots/ de l’amour quand le corps ne suit de La Mort de l’aimé, yeux. Nous ne nous sommes plus Des couteaux sur la langue la vive pas?», ose-t-il demander à une que Jean Ristat dédie quittés. Plus de vingt ans plus tard, blessure (...)Ô écoute je ne peux époque où la sexualité est la àD son compagnon mort du sida, j’ai fermé ces mêmes yeux. » Jean même plus pleurer/ Je suis comme fausse réponse. résume le thème du poème : Ristat avait déjà publié Tombeau la mouche sur une vitre à/ Désirer « Je ne suis plus qu’une pièce « Viens voir Marceline comment de M. Aragon, renouant avec un le ciel qui la refuse et je tombe/ rapportée. Je suis en exil du Parti un homme pleure. » C’est à une genre littéraire du XIXe siècle qui Sais-tu le ventre lorsqu’il attend la communiste, de l’amour, du femme, disparue il y a plus d’un s’inspire de celui créé en musique morsure. » monde littéraire et du milieu gay siècle que le poète confie la cica- à l’époque baroque. Le tombeau Jean Ristat sourit : « Le poème qui devrait être ma famille. Je suis trisation du deuil, Marceline Des- est un hommage à un confrère permet de tout dire » et détache seul. Les communistes ne me par- bordes-Valmore (1786-1859), can- défunt. Marin Marais en a deux vers, l’ellipse qui dit le désir donnent pas d’avoir “terni” tatrice et poète jadis célèbre dont composé un à la mémoire de précis du corps masculin : «Le l’image d’Aragon, d’avoir ouvert il implore le fantôme. M. de Sainte-Colombe, son lourd balancier d’une horloge sus- Les Lettres françaises à la ques- maître vénéré ; Maurice Ravel pendu/ Entre tes jambes l’adora- tion de l’érotisme, d’y avoir héber- portrait a célébré Couperin le Grand, tion du saint. » gé des pages gay lorsque Gai pied « Le poème n’épuise pas auquel il mêle le souvenir de six Jean Ristat a publié son pre- s’est arrêté. Et je n’ai plus de la souffrance. (...) de ses amis disparus au cours de mier recueil de poèmes à quinze compagnon. » Jean Ristat rêve : Il est un exercice d’humilité la première guerre mondiale ; ans, en 1958 : La Cité sans nom. A « Je suis un cheval fou sans cava- qui transmet intacts Tombeau de Claude Debussy, de seize ans, il fréquentait le groupe lier. » Il est 2 heures du matin. Sa l’amour et le désir » Maurice Ohana, est l’un des plus Tel quel. A vingt-deux ans, son nuit commence. magnifiques. En poésie, Jean Ris- premier livre important paraissait Rentré à l’aube dans la maison « Marceline est ma sœur, ex- tat cite Tombeau de Théophile alors qu’il était membre de de Yerres remplie de reliques plique Jean Ristat, je suis Marce- Gautier, de Mallarmé. L’Herne. « J’ai rencontré Aragon à rares et précieuses ayant apparte- line, je ressens et j’exprime l’amour « Ce n’est pas un éloge funèbre ce moment-là. Il avait lu le manus- nu à Louis Aragon, il mettra la et sa perte comme elle les a vécus qui fige le disparu en statue et ne crit de mon livre : Le Lit de Nicolas dernière main à un texte sur la H. BAUDAT/OPALE et chantés. Je vibre à l’unisson de retient que l’hommage convenu. Le Boileau et de Jules Verne. Il m’a peinture d’Olivier Debré (ses ri- sa poésie. Un de mes projets tenace tombeau est au sens propre ce que lèbre que pour moi. J’ai donc utili- n’épuise pas la souffrance. Il ac- téléphoné : “Je viens de vous lire, je deaux de théâtre), il relira l’éton- est de publier les inédits de Marce- l’on construit de visible et d’éternel sé le mot tombeau en sous-titre et complit un certain travail de deuil voudrais vous voir.” Alors nant dialogue avec Aragon sur line Desbordes-Valmore. » Leur pour ne pas oublier le corps main- j’ai gardé son nom dans le texte mais n’a pas de pouvoir d’oubli. Il commence la première période de Matisse. Il décryptera une série fraternelle et tragique conni- tenant invisible. Le tombeau manuscrit qu’on peut voir et lire permet de sortir de la paralysie de ma relation avec Aragon. » En- d’entretiens radiophoniques vence est au cœur d’un trio d’affi- contient la douleur sans la rejeter. avec ses ratures dans la deuxième l’hébétude sans s’extraire de la thousiaste, Aragon fait l’éloge du entre Deleuze et Aragon, et il nités électives. « Marceline Des- J’ai terminé Tombeau de M. Phi- partie du livre. » douleur. » Dans l’arrière-salle du jeune poète à la « une » des mettra en route un recueil de bordes-Valmore a été le trait lippe Desvoy dans ma maison de » La troisième partie a été écrite bistrot où nous nous sommes ré- Lettres françaises. poèmes sur les fleurs qu’a chan- d’union entre Aragon et moi, bien Touraine, où je me retire pour en Bretagne, où nous étions en va- fugiés, Jean Ristat récite les deux L’ombre d’Aragon pèse sur tées Marceline Desbordes-- avant que je ne le rencontre. Dans écrire (seul depuis qu’il n’est plus cances avant que le mal l’emporte. vers fatidiques : « Mort mort Jean Ristat, escamote son œuvre Valmore, selon la méthode du Le Voyage d’Italie, Aragon évoque là). J’avais disposé plusieurs pu- Après sa mort, ce fut le silence pen- l’écrire mort mort l’enfant aux yeux singulière et contestataire (poé- Déroulé cycliste où il envisageait Marceline. J’ai tout compris en li- pitres dans mon grenier-bureau. dant deux ans. Je n’arrivais pas à bleus/ Et sceller le silence l’écrire sie, essais critiques, théâtre ; sa l’amplitude de l’existence à partir sant le passage où Aragon prend la Sur chacune des “partitions”, clore le poème. Il m’était impos- mort mort. » tragi-comédie, La Perruque du des « pièces » d’un vélo. voix de Marceline qui pleure son j’écrivais une des “voix” du poème. sible d’écrire le mot “mort” qui or- Jean Ristat n’a pas écrit de vieux Lénine, est un régal de sub- La solitude certes, mais riche et jeune amant (Olivier dans la fic- La composition de La Mort de l’ai- chestrait le poème mais m’arra- journal intime. Le regrette-t-il ? version). L’engagement politique féconde. Pour le poète, l’exil est tion, Henri de Latouche pour l’état mé correspond à l’évolution de la chait le souvenir charnel. Le roman « Je n’ai pas voulu être le voyeur de Ristat, son courage lorsqu’il un royaume. civil). Pour Aragon et moi, Marce- maladie d’un homme qui n’est cé- ressuscite le passé. Le poème d’Aragon, un homme pour qui dirigeait Les Lettres françaises, Hugo Marsan

bbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbb Désamour L’homme discret de la NRF L’enfant de l’enfer Il fut l’un des fondateurs de la revue, en 1909 : avec Gide en figure centrale, Secrets de famille et fractures de l’Histoire : au jardin les « notes-mémento » de Jean Schlumberger forment un précieux témoignage un roman juste de Serge Koster soixante ans, ses notes se muent faits du colonialisme, comme en ce dans le pathos, pour ne pas prendre ONZE ANS PLUS TARD NOTES SUR LA VIE en litanie des agonies et des morts 6 juin 1926 : « Tous jusqu’à présent LA TRISTESSE DU TÉMOIN le ton de l’analyste qui, en se fai- de Pascale Kramer. LITTÉRAIRE 1902-1968 – Paul Desjardins l’utopiste en ont nié, lui déclara Gide, Wilde et de Serge Koster. sant plus ou moins historien, juge Calmann-Lévy, 158 p., de Jean Schlumberger. 1940, Jacques Copeau le despo- tous les autres. Moi je dis tout ; Ed. Verticales, 335 p., et condamne froidement. Koster 85 F (12,95 ¤). Edition établie, présentée tique en 1949, André Gide l’initia- quelle prise a-t-on sur moi ? Si vos 130 F (19,81 ¤). évite ces commodités narratives. Il et annotée par Pascal Mercier. teur en 1951, Roger Martin du lois sont ainsi faites qu’il vous faille suggère plus qu’il ne développe les n mois d’abandon, pour Gallimard, « Cahiers de la Gard le fidèle en 1958 –, qu’il a me condamner, eh bien, faites-moi ntoine Minier a été éle- interrogations qu’il pose. Il maîtrise un jardin cultivé depuis NRF », 468 p., 180 F (27,44 ¤). connus tellement plus vivants que faire de la prison. » Avec une cer- vé dans une famille ca- son propos, le domine par une dix ans : c’est assez lui, tellement moins raisonnables à taine irritation, il pointait égale- tholique bon teint du construction qui alterne savam- pour ensauvager ce ean Schlumberger, l’un des force d’affirmation de soi et d’in- ment les influences subies par 16e arrondissement, se- ment les époques et les lieux, et par coinU de nature clos dans la ville, dé- fondateurs de La Nouvelle telligence parfois vaine, ces morts Gide : « Il ne sait trop que répondre lonA les règles d’« un credo auquel il une présentation des situations qui cor rassurant de la vie conjugale de Revue française avec Gide, auxquels il lisait ses œuvres en quand je lui demande [novembre a toujours voué une haine pro- exclut tout manichéisme. Betty et David. L’herbe spongieuse, Ruyters, Copeau, Drouin et cours, sollicitant leurs critiques, 1931] pourquoi il est si indulgent fonde ». Evangéline, sa « mère Au cours de l’Occupation, le car- les marguerites moisies : tout de- J Ghéon, avait assez diploma- justifiant ses choix, ces morts aux- pour l’anéantissement de la liberté poulpe », l’a voulu « à l’abri du pé- dinal Vildève n’a pas tenu un rôle vient « imbroglio », cadre létal pour tiquement retracé son parcours in- quels il vouait une amitié bienveil- de pensée en Russie, alors qu’il est ché sous la cloche du bonheur ». Il a glorieux dans la Milice, et Nathan ce couple qui se défait, dans une tra- tellectuel dans Eveils (1949), Made- lante... tout dédain pour la même discipline seize ans quand le cardinal Paul Vil- exécute des contrats qui visent des gédie dont le dénouement nous est leine et André Gide (1956), Bien sûr, la figure centrale de ses en Italie. » dève, le frère d’Evangéline, lui ap- criminels de guerre. Ce qu’ils sont, donné d’avance. Rencontres (1968). On découvre ce- « notes-mémento », c’est Gide, Garant d’une foncière indépen- prend qu’en réalité, il s’appelle Na- l’un dans son agence de voyages Betty est « superbe et irritante ». pendant dans ces Notes sur la vie avec son énervante personnalité dance d’esprit et d’une certaine than Nimmer. Ses vrais parents qui n’est que couverture pour ex- La villa cossue, achetée peu après le littéraire – extraites par Pascal d’« apprenti-sorcier », d’« entre- morale, Schlumberger ne fut l’ont « conçu dans l’antichambre de péditions punitives, l’autre à sa mariage, semble pour elle un refuge Mercier de ses dix fois plus volu- l’enfer. Le bûcher les a consumés ». place éminente dans l’Eglise, contre des « peurs obscures » : le mineux « carnets » – avec quelle Jean Schlumberger (1877-1968), descendant de Une trentaine d’années après la comme ce qu’ils ressentent, ran- « paradis minuscule » du jardin om- constante attention il s’inscrivit Bernouilli et de Guizot, publia ses premiers révélation, Vildève, qui a ses habi- cune ou dégoût de soi-même, leur breux, banalement ordonné, pro- dans l’histoire de la NRF. Dès octo- poèmes en 1903 ; il se voulut également roman- tudes dans un peep-show de Pi- donne cette humanité sans quoi les voque en elle une joie possessive bre 1920, il s’insurgea contre la cier à la psychologie audacieuse, remarqué par galle, n’arbore plus « que les signes personnages d’un roman ne sont, que, devant David, elle cherche à propension de son directeur Péguy dès 1906, et auteur dramatique. Dreyfu- extérieurs de sa dégradation ». C’est sans chair ni présence, que prétex- minimiser, « de peur d’avoir à lui en d’alors, Jacques Rivière, à accueillir sard, animateur des Universités populaires, il fut en ce lieu sordide qu’il a rendez- tes à thèse. Au cours des chapitres être en quoi que ce soit redevable un « des œuvres anarchistes et néga- l’un des fondateurs en 1909 de La Nouvelle Revue vous avec Nathan, qui le tue et qui passent du passé au présent, la

jour ». Le « bonheur exaltant » des trices de tout, y compris la littéra- D. R. française, dont il dessina le sigle, puis en 1913 du s’enfuit « à reculons vers [son] des- psychologie des personnages se dé- débuts se détériore insidieusement, ture » ; pourtant, quand la revue Théâtre du Vieux-Colombier et des Décades de tin qu’enveloppait le linceul de la voile peu à peu, et leurs secrets. La tourne à « l’enfer exigu ». Lorsque refusa Proust, la faute en incomba Pontigny. Il donna ses textes et critiques à Ven- mémoire », et c’est là que s’ouvre le déchéance du cardinal et le rôle de Betty perd son enfant, David – il d’abord à Schlumberger, qui négli- dredi, puis, dès 1937, au Figaro, dont il devint roman de Serge Koster, qui pour- tueur de « l’enfant postiche » deve- ignorait qu’elle en attendait un –, gea de lire le manuscrit d’un écri- l’administrateur de 1953 à 1965. rait prendre place − en l’occurrence nu homme trahissent des pour la première fois après deux ans vain qu’il ne comprenait guère : ce serait déjà beaucoup − sur la liste complexités de caractère aux- de mariage, découvre qu’ils vont « Chagrin de ne pouvoir servir de metteur », et cette œuvre dange- peut-être pas le compagnon favori des romans noirs sur fond de quelles les événements qui pouvoir se haïr. A ce « duel ab- témoin pour dissiper le mensonge de reuse qui se fit sous les yeux de de Gide, ni son témoin complai- drame familial s’il n’était bien plus échappent aux volontés des indivi- surde » assistent des comparses : cette œuvre », pensa-t-il devant le son ami à la fois admiratif et sé- sant, ni même la « conscience » que cela, le récit de la maturation dus d’abord victimes de l’Histoire Franck, l’associé de David ; Diane, la cadavre de Proust... Plus tard, c’est vère. Ainsi, en août 1922, Schlum- idéale pour une revue comme la d’un ressentiment et du conflit ne sont pas étrangers, et, paradoxa- sœur de Betty, plus jeune, plus vive, au sujet d’un aveu de Rivière, dé- berger tenta de convaincre Gide NRF, mais cet « homme qui ne sait entre la vengeance et le pardon. lement, dans ce récit de haine et de moins secrète ; Tina, une amie ; Fré- cédé en 1925 (« Désormais je ne de ne pas imprimer des pages de pas se mettre en valeur, qui ne veut Alors que la repentance, religieuse vengeance, apparaît en filigrane le dérique, une jeune rivale. m’intéresse plus qu’à une chose, son Journal, ni surtout Corydon : pas le faire » (Ruyters) était l’ami ou laïque, est à la mode, faut-il fer- thème de l’innocence. Cet imbro- Pascale Kramer, avec une « infinie bien mentir et baiser »), qu’il s’in- « Tu me parles du crédit que j’en- sûr, discret et respectueux. Lui qui mer les yeux sur les crimes de ceux glio des vies est traduit par des précision », évalue la « balance des terrogea, doutant de la véracité de lèverai, raisonna Gide, à tout ce sut aussi bien mettre la main à la qui ont su s’attribuer « une biogra- scènes aussi simples que fortes, torts », guette les imperceptibles ce propos qui pesa dans l’histoire que je pourrai dire d’autre ; mais pâte que la main au portefeuille phie de citoyen exemplaire » ? L’ou- comme cette rencontre de Nathan nuances du déplaisir et de l’ennui, des protagonistes de la revue. est-ce que je ne le regagnerai pas quand il fallut renflouer la revue, bli est-il possible pour les victimes et d’Evangéline, devenue une vieille de l’inquiétude et de la cruauté, qui Sur les réunions du Comité na- par la liberté que cela me donne- les éditions de la NRF, le Vieux- ou leurs descendants ? Ne risquent- dame « veuve de son frère » le cardi- laissent pressentir « l’irréparable ». tional des écrivains, qui, après ra?» En janvier 1923, même dé- Colombier, les Décades de Ponti- ils pas, en se vengeant, de ressem- nal, et que Nathan dit être « en- En trois romans (après Manu et Le guerre, édictèrent, dans l’« impro- bat, conclu à l’avantage d’un Gide gny, se dévoua avant tout au pre- bler à ceux dont ils souhaitent la ceinte à perpétuité de [son] ingra Bateau sec), elle a imposé une écri- visation » et la « confusion », leurs décidé à publier Si le grain ne mier parti qu’il avait pris, jeune Al- disparition ? titude ». ture froidement sensuelle, féroce- listes noires, son témoignage est meurt... sacien déchiré entre deux grandes Les questions ne sont pas nou- Par sa qualité d’écriture et ce qu’il ment lucide et tendue à l’extrême, encore précieux ; comme sur les Schlumberger, pour autant, ne nations intellectuelles : choisir la velles et n’ont pas fini de tarauder éveille en nous, Serge Koster a qui analyse ici, avec une acuité sans prosaïques raisons du divorce se contentait pas d’enregistrer les France et sa culture – ce que la les esprits, de s’offrir en sujet aux réussi là un roman à plus d’un titre concession, tous les degrés du entre Gallimard et Les Temps mo- risques que son ami prenait, qu’il NRF, avec son exigence et son es- romanciers. Sujet délicat qui s’offre important. Il faut le lire. Et ne pas désamour. dernes en 1948. Fatalement, dès s’agît de négocier l’aveu de sa pé- prit, allait représenter à ses yeux. à toutes les facilités. Il y faut bien l’oublier. Monique Petillon que Schlumberger a passé dérastie ou de dénoncer les mé- Claire Paulhan du talent pour ne pas s’embourber Pierre-Robert Leclercq LeMonde Job: WIV0799--0004-0 WAS LIV0799-4 Op.: XX Rev.: 18-02-99 T.: 08:04 S.: 111,06-Cmp.:18,08, Base : LMQPAG 37Fap:100 No:0076 Lcp: 700 CMYK

IV / LE MONDE / VENDREDI 19 FÉVRIER 1999 littératures b

oici, dans une édition exemplaire, établie, préfacée et an- notéeV par Mario Fusco, le premier des trois volumes abritant les œuvres complètes de Leonardo Sciascia. Déterminées de façon arbitraire, ces périodes de cent ans nommées siècles offrent néanmoins une sorte d’avantage lorsqu’elles touchent à leur fin : le panorama qu’elles proposent, le temps l’a éla- gué, et cela dans tous les do- maines : religieux, politique, scien- tifique, artistique... Les brumes se dissipent, la visibilité s’accroît. Et si l’on regarde en arrière le champ hérissé de ronces de la littérature, on peut mieux distinguer les écri- vains qui, au fil des décennies, ont creusé une perspective durable, car ils apportaient quelque chose d’unique et d’inimitable. Parmi ceux-ci, nous pouvons af- firmer désormais que le Sicilien Leonardo Sciascia a pris définitive- ment place dans l’histoire des lettres de son pays ; et que son prestige ne cesse de grandir dans la mesure où il nous manque, car les dons du conteur étaient aussi ex- ceptionnels que les dons de l’ob- servateur de la réalité immédiate, décrivant souvent à chaud les évé- nements politiques de la Péninsule, et frappant si juste qu’il lui arrivait de les devancer. De sorte qu’à par- tir du début des années 70, son œuvre était reçue comme les pré- dictions d’un astrologue – et pas seulement en Italie, alors que, pour le principal, son œuvre est une vi- brante et superbe analyse du Sud, SCIANNA FERDINANDO/MAGNUM depuis les mythes et légendes qui fondent la « sicilianité » jusqu’à la Mafia. La Mafia, dont il disait que la simple étymologie contient toute l’histoire de la Sicile, et qu’il suffi- sait, pour s’en convaincre, de consulter certain dictionnaire de 1868, où l’on présente le mot Leonardo Sciascia comme un néologisme importé par les Piémontais, dans le sillage de Garibaldi. A moins qu’il ne vînt de la Toscane, où « maffia », avec deux « f », signifie misère, et « smaferi », sbires – le dictionnaire soutenant que ces deux termes configurent le type même que l’on appelle, en Sicile, le mafioso : «La et la comédie du pouvoir misère exploitée par des sbires : peut-on mieux résumer trois siècles de “sicilitude” ? » tion de Voltaire, de Stendhal et village natal, Racalmuto, pour Le grand écrivain que l’écrivain possède en matière tuel, tout à l’image de son héros, Leonardo Sciascia, qui est mort celle de Pirandello, pour lui la plus s’établir à Palerme et se pencher de composition, ainsi que sa per- un inspecteur de police féru de Vol- en 1989, était né soixante-huit ans importante, et même traumati- non plus sur des cahiers d’élèves sicilien, dont on publie tinence et son ingéniosité dans l’art taire et de Borges – dont on re- sante. Mais, la France s’étant mêlée mais sur de vieux textes historiques de tirer de l’érudition, qui est l’art trouve souvent les traces, ainsi que tôt de son destin, ce fut à travers exhumés à la grande bibliothèque le premier volume de la mémoire, la substance même celles de Savinio –, mais où il décri- « Si Stendhal avait eu un film de Marcel L’Herbier, Feu de la ville où, longtemps, il passa de ses fictions. vait les divers courants politiques Mathias Pascal, que Pirandello ren- ses journées. Comme si, remontant des œuvres complètes, Cette négligence de l’opinion, italiens, de l’extrême droite à le temps d’accomplir voya à Sciascia les images de sa vie les siècles, il espérait découvrir surtout évidente lors de la parution l’extrême gauche, s’acheminant de quotidienne, une vie tissée par le cette erreur primordiale, ce déclic admirait un de L’Affaire Moro, fit qu’un jour pair vers un pareil terrorisme dans son voyage en Sicile, regard obsédant des « autres », qui a bien dû se produire à un mo- Sciascia, qui, jamais, ne faisait de l’exercice du pouvoir. avec le jeu dramatique de l’être et ment donné de l’histoire de la Si- Pirandello obsédé par commentaires sur les articles Sciascia voyait les gauchistes ita- comme il l’avait tant du paraître, et l’égarement de cile, pour aboutir à ce désordre ap- consacrés à ses livres, s’en plaignit liens comme des catholiques vieux l’identité... Ce sont bien là des paremment sans remède dans l’île, l’égarement de – dans l’intimité – avec un timide jeu, fanatiques, funèbres, qui au- désiré, il aurait thèmes qui ne cesseront pas de où gens d’Eglise et mafiosi se par- agacement, parce qu’il ne lui sem- raient rejoint l’Eglise par troupeaux hanter l’œuvre de Sciascia, et c’est tagent depuis toujours le pouvoir. l’identité, le jeu blait pas juste d’ignorer la diffé- entiers si celle-ci n’avait eu une probablement pu à Pirandello que l’écrivain doit leur De cette enquête qui, au reste, rence entre son récit, fruit d’une telle hâte de se mettre au goût du première expression littéraire : Les ne prendra pas fin, est sortie l’hal- dramatique de l’être longue investigation d’ordre intel- jour, puisque leur plus profond écrire “Le Guépard” Paroisses de Regalpetra. lucinante galerie de personnages lectuel, et les comptes rendus de désir était d’interdire, de porter Cela dit, il soutenait que son rap- qu’on trouve dans Le Conseil et du paraître. C’est l’affaire que l’on pouvait lire dans partout l’Inquisition : « Nous vivons un siècle plus tôt. » port avec la Sicile appartenait plus d’Egypte (1963), Mort de l’Inquisiteur les journaux. un âge de criminalité diffuse et à l’ordre du ressentiment que du (1964), La Controverse liparitaine un peintre implacable C’est que Sciascia, comme Vitto- anonyme. » plus tôt à Racalmuto, une bour- sentiment ; qu’il vivait la Sicile (1969), L’Evêque, le Vice-Roi et les rini, croyait qu’il est dans la nature Or la polémique provoquée par gade devenue « Regalpetra » dans comme une souffrance, sans l’ai- Pois chiches (1972), La Corde folle du pouvoir, de l’Eglise, intime de l’homme de s’attendre à Le Contexte suscita chez les jeunes son premier ouvrage, pour ainsi mer, mais, peut-être, au-delà de (1970), recueil d’essais brefs où ce que peut-être le mot, un mot, communistes un mouvement de dire, officiel : Les Paroisses de Regal- l’amour que tant de Siciliens pré- Sciascia rappelle que la culture sici- du fascisme, de toutes soit capable de transformer la sympathie. Ils prirent sa défense et, petra, chronique effroyable et fé- tendent lui porter. Depuis qu’il lienne eut toujours la Sicile comme substance d’une chose, ou dévoiler au moment du référendum sur le roce de cette bourgade de « brac- écrivait, il n’avait fait que parler du matière et comme objet – la singu- les attitudes la fausseté d’une idée fixe, et qu’il divorce, Sciascia décida de se cianti » – ceux qui n’ont que la pouvoir, de l’Eglise, du fascisme et, larité exacerbée de la Sicile –, ce est dans la nature intime de l’écri- joindre à eux et, par conséquent, force de leurs bras –, où il était ins- d’une manière générale, de toutes qui ne l’empêcha pas de refléter « mafieuses » de vain de le croire avec assiduité et au PCI. tituteur dans les années 50, quand les attitudes « mafieuses » de la souvent le destin de l’Italie, voire fermeté. A l’époque – c’était en 1976 –, on la démocratie-chrétienne régnait classe politique italienne. A son de l’Europe. Observation égale- la classe politique Un peu comme Balzac, qui pouvait croire que le PCI était vrai- sans partage sur la Péninsule. ment juste pour l’œuvre croyait que le roman pouvait faire ment un parti communiste « dif- Sciascia avait eu la chance de Hector Bianciotti de Sciascia. Il suffit, pour italienne concurrence à l’état civil, et beau- férent », et Sciascia accepta de faire faire des études supérieures et, sur- s’en convaincre, de lire ces coup comme son cher Stendhal, partie de sa liste municipale, à Pa- tout, de découvrir dans la biblio- avis, la Sicile était un microcosme essais de La Corde folle où il parle Sciascia promenait un miroir non lerme, dans l’espoir de contribuer à thèque de l’une de ses tantes, qui exceptionnel, et celle décrite par de Pirandello, de Salvatore Giulia- Sciascia, les deux plus grands écri- pas le long d’une route, mais dans mettre fin au pouvoir douteux de la était institutrice, le Paradoxe sur le Lampedusa dans Le Guépard, une no, des fêtes religieuses, ou des vains engagés restaient Gide et les dédales empestés des puissants. démocratie-chrétienne qui s’in- comédien, de Diderot, les Pam- abstraction géographique et clima- poètes du XVIe siècle, d’un vice-roi Bernanos, en ce que le premier, qui Ne condamnant pas, n’absolvant crustait depuis plus de trente ans. phlets, de Paul-Louis Courier, Casa- tique, soustraite au temps et à l’his- espagnol, ou de ce merveilleux ba- se sentit un moment communiste, pas : constatant. Comme Tchek- Une expérience qui ne dura que nova et Manzoni, ainsi que quel- toire : « Si Stendhal avait eu le ron Pisani qui, directeur, à Palerme, écrivit la vérité sur l’Union sovié- hov, lorsqu’il décrivait des voleurs dix-huit mois : dès la première réu- ques écrivains siciliens, disait-il temps d’accomplir son voyage en Si- de la Maison royale des fous, libéra tique ; et le second, qui était de chevaux, ne croyait pas néces- nion, un communiste influent avait avec un petit sourire : Verga, cile, comme il l’avait tant désiré, il ses pensionnaires de leurs chaînes, catholique, écrivit contre le monde saire d’ajouter qu’il est mal de d’emblée déclaré : « Nous ne vou- De Roberto. Il y a de plus mauvais aurait probablement pu écrire joua avec eux des pièces de catholique qui exaltait la croisade voler, et que c’était là l’affaire des lons pas faire le procès du passé. » maîtres : entre douze et quatorze Le Guépard un siècle plus tôt. » théâtre, rendit hommage à celui de Franco. tribunaux. Un autre roman avait succédé au ans, il n’allait pas en avoir d’autres. Pour compléter le catalogue de qui tua à coups de bâton un gar- En fait, l’œuvre de Sciascia Comme on l’a déjà signalé, toute Contexte, trois ans plus tard, en Mais, soudain, il se prend d’une ces lectures qu’il reprendrait sans dien brutal ; et qui, ne pardonnant découle de ce que Vittorini – lequel publication de Sciascia était un 1974 : Todo modo – expression es- grande passion pour D’Annunzio cesse, sa vie durant, rappelons que, pas à ses concitoyens d’avoir sifflé niait qu’un écrivain puisse s’enga- événement à la fois littéraire et po- pagnole empruntée à saint Ignace – passion qui s’éteint dès qu’il dans sa bibliothèque, ont pris place le Cosi fan tutte, de Mozart, en 1811, ger dans un sens plutôt que dans litique, fortement attendu. La polé- de Loyola et signifiant « par tous les s’aperçoit que D’Annunzio était Dante, Boccace, Guicciardini (qui fit exécuter peu après, à ses frais et un autre avec un résultat valable – mique déclenchée par la parution moyens » –, bâti, comme le pré- toujours tombé du mauvais côté, le conduisit à déceler de la bêtise pour lui seul, La Flûte enchantée, appelait un « engagement naturel », du Contexte – Cadavres exquis, dans cédent, sur un canevas de roman du côté du nationalisme, du fas- chez Machiavel), Montaigne, Pas- n’admettant dans la salle que l’Al- agissant sur l’écrivain en dehors de la version cinématographique de policier, admirable d’ingéniosité, cisme. Par parenthèse : lorsque, cal, Tolstoï, Gide, Flaubert, Savinio lemand traducteur du livret en vers sa volonté et le rendant porteur – dura de longs où l’on voit un groupe de démo- bien des années plus tard, il lut et Borges – sa fascination pour le latins... spontané d’une expérience collec- mois ; et si des critiques de crates-chrétiens se retirer, pour Malraux, il eut l’impression de dé- siècle des Lumières demeurant in- Ecrivain engagé, Sciascia ? tive. Et cette œuvre, si homogène l’extrême gauche allèrent jusqu’au mener à bien des exercices spiri- couvrir un D’Annunzio qui était tacte. Les « lumières », pour lui, re- Certes, il était et se sentait engagé que ses titres pourraient se fondre dénigrement pur et simple, les tuels, dans un hôtel-couvent géré tombé du bon côté : il considérait présentaient l’idéologie d’une – mais avec lui-même et d’autres dans un seul ouvrage intitulé communistes ne se départirent de par un prêtre qui a lu tous les livres L’Espoir comme l’un des grands bourgeoisie paisible et intelligente « lui-même », aimait-il à souligner. La Comédie du pouvoir, colle telle- leur prudence contrariée qu’en rai- et qui, virtuose du paradoxe, parle livres de notre temps. qui a inventé le droit, la raison, la Et d’ajouter : « Que vivent les intel- ment à la réalité, y trouve de si im- son de l’éloge inattendu de la avec la même aisance de vins ou de Guéri donc de la fréquentation justice. En dépit de Rousseau, qui, lectuels engagés, mais à condition médiates résonances, que la cri- Literatournaïa Gazetta. saint Augustin, de la pierre philo- livresque du barde qui se disait à ses yeux, se trouve à l’origine de qu’ils s’engagent toujours contre le tique a vite pris l’habitude de Certes, Sciascia ne ménageait sophale, de Sartre ou d’un Christ « affaibli par l’amour et par la vie tout le mal moderne. prince, contre le pouvoir, contre les s’arrêter au sujet de ses livres, tout personne dans ce roman qui était, peint par Odilon Redon, et pouffe horizontale », Sciascia a la révéla- Dans les années 60, il quitta son Eglises, fussent-elles les leurs ! » Pour en passant sous silence la science en apparence, un conte intellec- si on lui demande son avis sur la LeMonde Job: WIV0799--0005-0 WAS LIV0799-5 Op.: XX Rev.: 18-02-99 T.: 08:08 S.: 111,06-Cmp.:18,08, Base : LMQPAG 37Fap:100 No:0077 Lcp: 700 CMYK

littératures LE MONDE / VENDREDI 19 FÉVRIER 1999 / V b réhabilitation du Diable ordonnée « Que vivent les 1950 ; et La Sicile, son cœur, 1952 −, comment l’obscure machinerie que livraisons par Paul VI. lui-même s’est empressé de les ex- l’on appelle « psychologie des pro- Il y a dans Todo modo – porté à intellectuels engagés, clure de toute publication ulté- fondeurs » n’est qu’une combinai- b L’ÉCRIVAIN ET SON TRADUCTEUR l’écran avec succès par – rieure. En 1987, dans 12 + 1, en- son de ruses, de misérables men- Qu’il soit considéré comme le porteur d’eau de la littérature, le une spectaculaire gymnastique in- mais à condition qu’ils quête autour de D’Annunzio et songes, la littérature de Sciascia cheval de trait de la culture ou un passeur génial, le traducteur tellectuelle – et des crimes à foison. l’une de ses maîtresses, il recopie représente un effort admirable, est devenu un acteur indispensable de la vie littéraire malgré la Et si Sciascia laisse au lecteur le s’engagent toujours – en prose ! – des vers du poète l’un des plus grands de notre faiblesse de la rémunération accordée à son travail. S’il vit dans soin d’en découvrir le ou les au- « pour que rien ne se perde de leur époque, pour restituer la réalité à l’ombre des auteurs, il a choisi cette place. Mais de plus en plus teurs, ce n’est pour lui qu’une fa- contre le prince, folie et de leur atrocité, car la prose la réalité, et sortir l’homme de son d’écrivains choisissent aussi leur traducteur. Une relation privilé- çon de souligner que, dans les al- ne pardonne pas ». Aveu révélateur magma de petites illusions senti- giée s’instaure. Il est d’ailleurs symptomatique que la plupart des lées politiciennes, où c’est le grand contre le pouvoir, de sa méfiance à l’égard de la poé- mentales, le conviant à faire face termes servant d’appréciation à la traduction ressortissent au vo- capital qui arme la main des assas- sie, dont la cadence, la musique, la aux désillusions de la raison. cabulaire amoureux : fusion, exaltation, fidélité, trahison. Cela sins, n’importe qui peut être appelé contre les Eglises, confirmation réciproque des rimes « Oui, je suis sceptique, avouait-il. n’empêche pas les interrogations, les doutes ou même les àtuer. emportent l’adhésion du lecteur Je crois donc que les seules choses conflits − mais toujours l’enthousiasme est là. La traduction n’est Or, comme l’observe Mario Fus- fussent-elles avant qu’il n’ait saisi le sens des qui soient sûres en ce monde, ce sont pas une science, elle est un état d’esprit, « indice infaillible du ni- co, maître d’œuvre de cette admi- mots ? les coïncidences. J’ai appris cela chez veau culturel d’un pays », comme le dit Ossip Mandelstam. C’est rable édition, à propos d’Actes rela- les leurs ! » Plus que de la poésie, on dirait Borges et chez Savinio. Ces deux pour mieux nous faire connaître leur travail qu’est publié ce livre tifs à la mort de Raymond Roussel, si que Sciascia se méfie du pouvoir écrivains de génie m’ont appris à regroupant interviews, lettres, manuscrits, ainsi qu’un choix de Sciascia était un lecteur d’histoires acoustique de la versification. Il douter de tout. Même de l’impro- cinquante photos (ouvrage publié sous la direction de Marion policières, non seulement «il se l’eût publiée, la théorie du noyau tient à la vérité, tout en étant bable. » Graf, éd. Zoé, 292 p., 158 F [24,08 ¤]). P. Des servait de cette forme de récit pour constitué de protons et de neu- convaincu que l’expression de la Ce n’est pas tous les jours qu’il exposer certains problèmes de socié- trons qui prit le nom du physicien vérité est, quelle que soit la vigi- fait bon désespérer. Mais dans le b PANAMA AL BROWN, d’Eduardo Arroyo té qu’il voulait mettre en lumière et allemand, dont, au reste, Majorana lance de l’écrivain, scrupuleu- désespoir de Sciascia, il y a de la Avant d’être consacré comme peintre, Eduardo Arroyo s’adon- dénoncer, mais du roman policier il allait devenir l’ami, à Leipzig. sement ambiguë. jubilation. nait au journalisme sportif, spécialiste de boxe. C’était vraiment retenait peut-être aussi l’exigence A la veille de la guerre, Majorana En se consacrant à une manière pour lui le « noble art ». Parmi les pugilistes de tous les temps, il d’expliquer la part de mystère que les quitte Naples, où il enseigne à de mise en doute systématique de ૽ Parmi les titres cités, trois ne chérit Alfonso Brown (1902-1951), dont le père, ancien esclave du faits les plus anodins en apparence l’Institut de physique, faisant par- la version officielle des faits ; en figurent pas dans ce premier volume Tennesse émancipé par Lincoln, s’était installé au Panama peuvent comporter, quitte à re- venir au directeur de celui-ci, et à mettant à nu les préjugés, les mes- des Œuvres complètes : Le Contexte, comme boulanger. Les ouvriers des entreprises de construction connaître (...) que l’écriture ne peut sa propre famille, deux lettres où quineries, les fausses raisons par Todo modo et La Disparition de Majo- du canal fournissaient un contingent élevé d’amateurs de boxe. toujours servir à révéler la vérité, ce croyant fait part de son inten- lesquelles on justifie, individuelle- rana. On peut les lire, les deux pre- Au cours de son adolescence, Al eut l’occasion d’échanger des mais qu’elle peut aussi bien contri- tion de se suicider. Muni de son ment ou collectivement, un miers dans « Folio », et tous trois coups avec Kid Norkfold, Young Wills et autres vedettes de buer à constater l’impossibilité d’éta- passeport et de tout l’argent de son comportement ; en démontrant dans « Biblos », Gallimard. l’époque. Arroyo a passé cinq ans de son existence à reconstituer blir la vérité ». compte en banque – précaution la vie de cet artiste, génie du poing droit, syphilitique, noir et Sciascia, ou son narrateur, n’ar- surprenante pour un désespéré... –, homosexuel, qui séduisit le Tout-Paris, turfistes, peintres et écri- rive que très rarement dans le lieu il s’embarque pour Palerme. Mais, ŒUVRES COMPLÈTES − Monsieur le député, vains, dont Jean Cocteau. Par son style précis, son goût des du récit, comme le policier sur le à peine arrivé, il envoie un télé- traduit par Maurice Darmon détails concrets, le peintre-écrivain parle aux sens et frappe le de Leonardo Sciascia. lieu du crime, par une porte déro- gramme et une nouvelle lettre − A chacun son dû, lecteur d’une manière immédiate qui entraîne l’adhésion, même bée. Il nous en impose par les annonçant son retour. Ed. établie, préfacée traduit par Jacques de Pressac de ceux qui détestent la brutalité de la boxe (Grasset, 302 p., apparences logiques de ses déduc- On ne le verra plus jamais. A-t-il et annotée par Mario Fusco. − La Controverse liparitaine, 128 F [19,51 ¤]). R. Ca. tions et de son invention analy- été enlevé ? Ou, face au cauchemar Fayard, 1 007 p., 390 F (59,45 ¤). traduit par Jacques de Pressac tique ; ce qui l’intéresse n’est pas le qu’est la découverte de la puis- Ce premier volume (1956-1971) − L’Evêque, le Vice-Roi et les Pois b LE VOYAGE SÉDENTAIRE, de Gonzalo Celorio coupable, mais l’exploration d’une sance atomique dans l’Europe de contient : chiches, Le Mexicain Gonzalo Celorio s’abandonne avec élégance à la situation, d’un « contexte ». Hitler et de Mussolini, a-t-il préféré − Les Paroisses de Regalpetra, traduit par Jacques de Pressac manie du passéisme dans un livre fourre-tout où il a réuni des Ainsi, dans l’étude serrée qu’il disparaître – tout en restant en traduit par Mario Fusco − La Corde folle, textes nostalgiques. Pour donner de la cohérence à ces mélanges, fait du dossier de police sur la vie ? A-t-il demandé asile dans un − Les Oncles de Sicile, traduit par Jacques de Pressac il leur attribue un thème commun : l’espace, ou plutôt les es- mort, à Palerme, de l’auteur de couvent, comme le suggère le traduit par Mario Fusco et Alain Sarrabayrouse paces qu’il occupe, son bureau, sa maison – bien attirante –, son Locus solus ; ou dans cette prodi- témoignage d’un religieux ? − Le Jour de la chouette, − Actes relatifs à la mort de quartier au marché coloré, mais aussi la salle enfumée du bar gieuse enquête qu’est La Dispari- On a souvent dit de Sciascia qu’il traduit par Juliette Bertrand Raymond Roussel, Leon où l’on pouvait entendre les rois de la rumba et, dans une tion de Majorana : Ettore Majora- manquait de poésie, qu’il n’en avait − Le Conseil d’Egypte, traduit par Giovanni Joppolo description puissante et vindicative, la cathédrale de Mexico. na, le physicien de génie qui, pas le sens. Certes, si ses premières traduit par Jacques de Pressac et Gérard-Julien Salvy Evocation d’un Mexico encore vivable, avant que les bulldozers vraisemblablement, aura mis au tentatives littéraires ont été d’ordre − Mort de l’inquisiteur, − La Mer couleur de vin, ne sacrifient les anciens hôtels, quand les intellectuels n’avaient point, avant que Heinsenberg ne poétique − Fables de la dictature, traduit par Mario Fusco traduit par Jacques de Pressac pas encore découvert les charmes canailles de la musique cubaine, et même quand des Indiens enchaînés gâchaient le mor- tier pour bâtir la cathédrale. Laissant aller sa rêverie, ressuscitant de vieilles amitiés, exhalant quelques rages, Celorio parle de lui- même en égotiste distingué et dresse son portrait, celui d’un Rencontres avec le Sicilien des Lumières homme généreux et sympathique (traduit de l’espagnol – Mexique – par Marie-Ange Brillaud, Atelier du Gué, 11300 Ville- Un témoignage du romancier, traducteur et ami de Leonardo Sciascia longue d’Aude, 170 p., 100 F [15,24 ¤]). J. Sn i-février 1972, Rome, attendait en haut des marches, amu- b J’AI TROP REGARDÉ LES ÉTOILES, de Jean Colombier hall de l’Hôtel Medi- sé par notre escalade, compagnon Employé dans une banlieue de Mons, au Bar des Sports, chargé terraneo. Par télé- milanais de Savinio (cf. Ville, j’écoute des jeux, Robert Léglantine, quinquagénaire, n’est que Monsieur phone, nous avons ton cœur), ami de Cocteau qui l’ad- PMU. Sa vie se résume en peu de mots : il ne s’y passe rien. Dans fixéM ce rendez-vous : je n’ai encore mirait tant, admiré aussi par Unga- sa solitude, il se sent vieux, laid. Un soir, le hasard est dans sa jamais rencontré le Sicilien des Lu- retti, Moravia, Julien Green, Audi- boîte à lettres sous l’aspect de billets. Cinquante mille francs. Un mières. Quand je le hèle, un peu roi- berti... et, en silence, il m’invita à peu plus tard, une autre enveloppe avec promesse de trois cent di dans la révérence et l’attente − ma regarder les œuvres : Fabrizio Cleri- mille, une adresse et une photo. Un contrat pour éliminer une première interview, proposée à ci, c’était lui, m’offrit ainsi sa noble « bête nuisible » : un Turc, Cengiz Angay dit Ali le jobard. Premier Maurice Nadeau pour La Quinzaine et créatrice amitié... Par ses silences mystère. Un autre se révèle encore plus troublant. Le commandi- littéraire −, il se tourne vers moi dans devant les faits ou les phrases, Leo- taire inconnu sait tout de la vie de Léglantine, que rien ne prédis- son élégant costume trois-pièces nardo Sciascia savait transmettre pose à devenir tueur, mais qui se rend à l’adresse, fait la connais- gris, cravate, et ses yeux se plissent d’un coup d’œil admiration, ou in- sance d’Ali. Pourquoi tuer ce frère en misère qui semble non de méfiance sur l’inconnu, comme dignation, ou compassion, ou iro- seulement savoir ce qu’on attend de Léglantine, mais l’accepter, deux meurtrières horizontales. Je dis nique incrédulité. voire le souhaiter ? Partant du portrait d’un anti-héros, l’auteur mon nom. Une bonté infinie éclaire Un soir, à Rome, après dîner, nous transporte avec brio en Pologne, puis au bord de la mer son visage à la Edward G. Robinson place Campo dei Fiori, autour de Egée, tout au long de chapitres où se dessinent peu à peu la et il me demande de sa voix ronde, minuit − Sciascia n’aime guère veil- complexité de personnages riches de secrets. On ne peut parler douce et retenue si j’ai préparé des ler, il préfère se coucher au plus tard que de bel art pour définir ce talent à restituer des ambiances qui questions. Je lui en présente onze à neuf heures, « mais passée cette évoquent la vie perdue d’un solitaire, le petit monde d’un bar de que j’ai élaborées la veille. Il me dit heure, je peux tenir toute la nuit !... » banlieue, un bistro à dockers sur la Baltique. Ou à suggérer les d’attendre, qu’il doit monter quel- − et un rire de pudeur lui fend le vi- états d’âme de ces étrangers qui s’enivrent d’espoirs dont ils ques minutes dans sa chambre. Le sage. Nous sommes au pied de la savent l’inanité (Calmann-Lévy, 320 p., 120 F [18,29 ¤]). P.-R. L. temps d’un expresso, il redescend, statue de Giordano Bruno, Leonar- ses réponses à la main : neuf feuil- do, Ignazio Buttita, Rafael Alberti et lets à en-tête de l’hôtel qu’il me moi. Dans une ténèbre carava- donne, sans une seule rature, de son gesque, des ombres se rapprochent écriture pleine, nette et droite, si li- de nous, silencieuses s’éloignent ou sible et reconnaissable sur les enve- demeurent. Buttita, grand poète si- loppes timbrées couleur brique que cilien, écrivant et disant dans sa j’ai devant les yeux, une écriture qui langue de Sicile, a une voix de sten- n’a pas varié jusqu’à la fin de sa vie... tor (qui me fait penser à celle de Ce- A Milan, où je me trouvais fin fé- sare Zavattini) et il commence d’im- vrier 1989 avec Antoine Gallimard proviser à très hautes et belles − l’éditeur et l’auteur de Pirandello et vibrations quelques vers à Giordano la Sicile envisageaient tous deux de Bruno... Bûcher... Inquisition... réaliser l’album Pirandello pour La Eglise... Flammes... Œuvre de bron- Pléiade − Leonardo Sciascia m’offrit ze... Vérité... Dans sa langue de Ca- Le Chevalier et la Mort, accompagné dix, Alberti lui répond sur la souf- de ces mots, entre autres, écrits sur france et l’injustice, le bronze et la page de garde : « De Sicilien à Si- l’exil, l’ignorance, la science, la reli- cilien. » Les mêmes jambages que gion, le peuple : Sciascia, penché à dix-sept ans avant. Et en cette année Feuillet manuscrit de Leonardo Sciascia mon oreille, me traduit doucement 1989, les douloureuses dialyses per- le poète enflammé... dront la bataille contre ses batail- pensées courtes méconnaissant les Louis Courier, Voltaire et Diderot Il y eut viale Scaduto à Palerme, lons de cigarettes fumées à la fin réalités de l’Italie continuent de sou- jouent dans la tête de Sciascia qui, Naples avec Francesco Rosi, Paris comme on se tue. tenir les insoutenables justiciers des par ce « simple discours », réussit à rue Vauquelin, Renato Guttuso, Il venait de publier Il Contesto (fin carnavals idéologiques montrés par créer une atmosphère métaphy- Bagheria et le port de barques à sec Sciascia, et dont il me par- sique jusque chez les policiers qui avec le photographe Ferdinando Jean-Noël Schifano lait dans les rues mena- veillent, debout dans notre dos, à ce Scianna ; la villa des Monstres où çantes de Rome, et qu’il an- que nous ne sortions rien de nos passait l’homme de la Raison... A la 1971), premier volet de la célèbre tri- nonçait ou décortiquait dans ses poches, pas même l’ombre d’un Noce, campagne d’Agrigente, dans logie qui se poursuit avec Todo Mo- livres, pour qui savait ou voulait crayon. sa maison-noix toute blanche, il do (« Tu veux savoir, me dit-il un bien les lire. Le même jour, ou un autre de ces écrivait surplombant une vigne dont jour, alors que ce n’était clair pour Au Parlement italien où il siège en années où je rejoignais souvent Leo- les grappes étaient pressées pour les personne et que l’on se pose encore tant que député radical, un matin il nardo à Rome (de la fin 1972 à 1982, amis. Lui, sans trêve, il ferraillait la question, qui assassine ?... Le m’invite, avec l’écrivain Vincenzo j’habitais Naples), l’homme et l’écri- avec les mensonges des pouvoirs et peintre !... ») et Candido, la plus fé- Consolo, à l’écouter. Il m’en sou- vain le plus honnête, le plus pur, le de leurs serfs, sous le regard attentif, roce et la plus pudique des autobio- vient comme si c’était hier. D’une plus limpide que j’aie connu, nous unique, aimant de Maria, son graphies. En somme, l’Italie des an- voix monocorde qui dessine des ara- cherchions tous deux des livres chez épouse, qui veille maintenant sur nées 70 que nous vivions, celle des besques d’ironie, il interpelle la les antiquaires. Derrière la place Na- ses livres et sur sa mémoire... « Cca compromis éternels et des fana- Chambre afin que l’on sache sur vone, en face de l’hôtel Raffaele, il sutta’un ci chiovi » (1). tismes extrêmes qui menèrent au quels critères les carabiniers arrêtent me fit acheter Il Capitano Ulisse d’Al- meurtre d’, et de tant les voitures pour les contrôler dans berto Savinio, première, introuvable (1) Cette expression sicilienne désigne d’autres innocents, meurtre préparé les campagnes siciliennes : le édition, et un livre fondamental sur une vie sans tache, ni corrompue, ni douillettement par des intellectuels conducteur ? la cylindrée ? la plaque la Sicile, non traduit en France pour- corruptible. Voir Œil de chèvre, qui s’en sont bien tirés par rapport minéralogique ? le chargement vi- tant, Questa Sicilia de Sebastiano page 49 de l’édition française, collec- aux morts, à leur famille, à certains sible ou caché ? la direction que Aglianò (Mondadori, 1950). Nous tion « De l’Italie » que j’avais fondée étudiants poussés aux armes par prend le véhicule ? sa tenue de fîmes quelques mètres dans la via chez Fayard à la demande de Claude leurs célébrissimes professeurs et ré- route ? sa vitesse ? sa lenteur ? sa dell’Anima et il m’invita à monter, Durand, lequel, il y a presque trois duits, aujourd’hui, à la mendicité er- couleur ? un sur quatre ? sur dix ?... fumant et ahanant, l’escalier inter- lustres déjà, envisageait de publier rante. A Paris, des penseurs aux Quels sont donc les critères ?... Paul- minable d’un grand peintre qui nous l’opera omnia de Leonardo Sciascia. LeMonde Job: WIV0799--0006-0 WAS LIV0799-6 Op.: XX Rev.: 18-02-99 T.: 08:04 S.: 111,06-Cmp.:18,08, Base : LMQPAG 37Fap:100 No:0078 Lcp: 700 CMYK

VI / LE MONDE / VENDREDI 19 FÉVRIER 1999 littératures b

livraisons b H. P.LOVECRAFT, CONTRE LE MONDE, CONTRE LA VIE, Stefan Zweig à l’épreuve de Michel Houellebecq Quatre ans avant Extension du domaine de la lutte, roman de la révulsion permanente, description misanthrope de contempo- Le romancier viennois excellait dans l’art d’admirer. Les portraits rains robotisés, Michel Houellebecq avait abattu ses cartes dans cet essai (aujourd’hui réédité) qui débutait ainsi : « La vie est dou- qu’il a faits de ses amis et de ses proches le confirment loureuse et décevante. Inutile, par conséquent, d’écrire de nouveaux romans réalistes. Sur la réalité en général, nous savons déjà à quoi HOMMES ET DESTINS nous en tenir et nous n’avons guère envie d’en apprendre davan- (Menschen und Schicksale ; tage. L’humanité telle qu’elle est ne nous inspire qu’une curiosité Europaïsches Erbe) mitigée. » de Stefan Zweig. Ce livre sur le peintre de la dégénérescence génétique apparaît Traduit de l’allemand comme un premier roman dont Lovecraft serait le seul person- par Hélène Denis-Jeanroy. nage, héros d’un « matérialisme absolu », gentleman de province Belfond, 226 p., 109 F (16,61 ¤). en qui la haine raciale provoque une transe poétique. Houellebecq y dit aussi, en passant, que « le style n’a, en lit- arfois, dans des mo- térature, pas la moindre importance », et que le secret du génie de ments de doute, on se Lovecraft est d’avoir « réussi à transformer son dégoût de la vie en demande si Stefan Zweig une hostilité agissante ». Il se défend d’avoir poussé sa fascination est vraiment ce bio- pour le maître de l’horreur jusqu’au rejet de ce qui a trait à grapheP hors pair, cet écrivain sus- l’argent et au sexe, mais s’honore d’avoir subi l’influence de ce ceptible en quelques pages d’accé- puritain inhibé, dans l’utilisation de termes et concepts scien- der au cœur du destin des tifiques (éd. du Rocher, « Les Infréquentables », 134 p., 89 F personnages qui ont requis son at- [13,56 ¤]). J.-L. D. tention. Tout était trop facile pour lui : que pouvait-il entendre aux b ROVERANDOM, de J. R. R. Tolkien tourments de ces hommes ou de C’est parce que son jeune fils Michael avait perdu sur la plage des ces femmes saisis par une folie vacances l’un de ses jouets préférés, un petit chat miniature en meurtrière ou en proie aux vertiges plomb, que Tolkien inventa pour le consoler cette histoire d’un de l’autodestruction, lui qui exer- petit chien qui, pour avoir mordu le mollet du magicien Artaxer- çait une telle maîtrise sur son exis- xès, est envoyé sur la Lune, puis dans le royaume sous-marin des tence que, la nuit même où il déci- sirènes... da d’y mettre un terme, il eut On est loin ici de Bilbo le hobbit ou du Seigneur des anneaux. Les encore l’amabilité de jouer aux pérégrinations du chien Rover sur les deux faces de la Lune, puis échecs avec des amis venus lui dans le palais de la dame-des-flots, sont bien plus proches d’Alice rendre visite à l’improviste ? Quel- au pays des merveilles et flirtent avec le nonsense. ques heures plus tard, il avalait une

Rover ne rencontre-t-il pas dans chacune de ses villégiatures un fiole de poison. Nul n’avait pu, ce WILLIAM VERLAG AG, ZURICH IN « ZWEIG STEFAN » ÉD. STOCK chien s’appelant comme lui Rover ? Ne découvre-t-il pas sur la soir-là, deviner son inquiétude. Stefan Zweig en compagnie de Joseph Roth à Ostende, en juillet 1936 face cachée de la Lune des enfants qui rêvent, et notamment Alors, pour s’assurer que l’admi- Fistondeux, l’alter ego de Michael ? Le conte tire par moments ration intense qu’on vouait au ro- nous aussi, comptions parmi ses ami de Proust et député d’extrême poche, passant ses nuits auprès de vers le comique un peu saugrenu, avec par exemple l’anecdote du mancier viennois était bien fondée, proches ou ses amis. « Jamais, nous droite. Le 29 novembre 1923, Phi- filles perdues, Philippe Daudet est serpent de mer, et fait la part très belle au règne animal. Ecrit en on ouvre Hommes et destins, un re- dit-il, on ne pourra reconnaître plei- lippe Daudet, âgé de quatorze ans, comme saisi par l’amok, cette crise 1927, il n’a été publié qu’en 1998. Il n’a rien pourtant d’un fond de cueil de textes peu connus rédigés nement un créateur si l’on n’évoque s’enfuit de la maison paternelle non de folie meurtrière classique en tiroir... Il est illustré de dessins de l’auteur qui donnent à rêver et entre 1911 et 1939. Dans cette gale- pas simultanément l’image de sans avoir dérobé auparavant une Malaisie à laquelle Zweig a déjà ajoutent à son charme naïf. (Christian Bourgois, traduit de rie de portraits, on rencontre quel- l’homme. » Cette image, parfois, est somme importante à ses parents. Il consacré une nouvelle hallucinante l’anglais par Jacques Georgel, 136 p., 80 F [12,19 ¤]). J. Ba. ques figures familières : Otto un peu affadie, comme si un excès a décidé de partir pour Le Havre, (1). On comprend qu’il ait été fasci- Weininger, le jeune philosophe an- d’admiration – pour Rilke notam- puis de s’embarquer pour le Cana- né par la course à la mort de ce b UNE SALE RUMEUR, tisémite, que Zweig croisa à ment – ou de proximité – pour da. Notre aventurier qui a pris pour jeune garçon. Sans doute en a-t-il d’Anne Fine l’Université de Vienne ; Theodor Schnitzler – altérait sa voix. pseudonyme Pierre Bouchamps se même parlé avec l’homme qu’il ad- Bridie, Liddy, Stella et Heather ont toujours été d’accord, «la Herzl qui l’encouragea à publier ses Il excelle, en revanche, à retracer trouve alors entraîné en l’espace de mirait le plus au monde, Sigmund loyauté entre sœurs l’emportait toujours sur la loyauté envers les pe- premières nouvelles dans la Neue des destins chaotiques, comme ce- quelques jours dans un drame qui Freud. tits copains, les amants et les maris ». Jusqu’au jour où ça craque, Freie Presse ; Gustav Mahler déjà lui de Verlaine, exotiques comme aura pour dénouement sa mort. « Partout où nous essaierons de ça grince, ça pleure, ça explose. Parce que Stella a entendu dire à l’agonie ou encore Joseph Roth celui de Lafcadio Hearn, subtile- Une mort mystérieuse au- progresser dans le labyrinthe du que l’homme que Liddy va épouser, et qui sera donc le beau-père qu’il dépeint comme une réincarna- ment décalés comme celui de jourd’hui encore, car on ne sait pas cœur humain, son intelligence conti- de ses enfants, est peut-être pédophile et qu’elle l’a dit à Bridie et tion autrichienne du Job biblique. Proust, ou qui lui sont familiers s’il s’est suicidé ou s’il a été abattu nuera à éclairer notre route », dira- à Heather mais pas à Liddy, pour ne pas lui gâcher la vie. Heather Zweig est présent à chaque ligne comme celui de Nietszche dont il par la police après avoir pris t-il à propos de Freud le 26 no- n’y croit pas mais Birdie est horrifiée. Les maris, les amis s’en comme s’il poursuivait avec eux un évoque, à travers sa correspon- contact avec les milieux anarchistes vembre 1939 au crématorium de mêlent ou se mettent à l’abri du grain. dialogue que ni l’exil, ni la maladie, dance, l’amitié qui le liait à Franz dans le but d’assassiner une per- Londres. Ce sera son dernier hom- Bref, une affreuse histoire de famille comme Anne Fine les aime, ni même la mort ne pourraient ja- Oberbech. Mais le plus inattendu sonnalité politique et, pourquoi mage au maître et à l’ami. mais à laquelle il manque ces recoins de cruauté auxquels elle mais interrompre. Mais il a la déli- est encore le texte qu’il a consacré pas, son propre père. Griffonnant Roland Jaccard nous a délicieusement habitués (traduit de l’anglais par Domi- catesse de ne pas forcer le trait, de au jeune Philippe Daudet, petit-fils des poèmes baudelairiens, errant nique Kugler, éd. de L’Olivier, 268 p., 110 F [16,76 ¤]). M. Si livrer ses confidences comme si, d’Alphonse et fils de Léon Daudet, dans Paris un pistolet dans la (1) Stock, 1979.

b AINSI SOIENT-ILS, de Neil Bartlett bbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbb C’est un livre étrange, l’histoire d’un amour entre un jeune homme et un autre plus âgé qui frise tantôt le pathos tantôt la crudité ou une sorte de lyrisme absurde, un livre qui peut paraître délicieusement baroque ou romantique, plein de cruauté et de compassion, beau aussi, original, inattendu, mais qui choit paral- « La mort change tout » Légendes lèlement de façon lourdingue, comme une actrice qui rate sa sor- tie de scène, qui s’effondre dans le rideau, arrachant aux specta- teurs des cris étouffés ou des fous rires incontrôlables, sans que Accompagnant un recueil d’essais, deux romans de Dorothy Allison explorent l’on sache bien si la traduction est en cause ou si les correspon- dances d’une langue à l’autre n’étaient pas vraiment possibles sans complaisance l’envers du rêve américain scandinaves (traduit de l’anglais par Gilles Cohen-Solal, Actes Sud, 394 p., 149 F [22,71 ¤]). M. Si « travaillant dur, déguenillés mais l’inceste, mais surtout il dépasse le RETOUR À CAYRO propres et intimement honorables », et simple témoignage par une puis- LES SAGAS LÉGENDAIRES b GEISHA, d’Arthur Golden (Cadedweller) les autres. « Les hommes buvaient et sance d’évocation, un tempo éton- de Régis Boyer. Il faut, pour devenir geisha, accepter une longue pauvreté, des de Dorothy Allison. étaient incapables de garder un tra- nant et l’affirmation paradoxale Les Belles Lettres, humiliations, la solitude sentimentale et pas mal de gifles : avec Traduit de l’anglais vail ; les femmes, invariablement en- d’une véritable joie de vivre malgré « Vérité des mythes », 320 p., de la chance, on peut un jour obtenir son diplôme et peut-être par Michèle Valencia. ceintes avant le mariage, devenaient misère et violence. Dans le cas de l’in- 140 F., (21,34 ¤). réussir. L’auteur, soigneusement respectueux des traditions, a ré- Belfond, 450 p., 129 F (19,66 ¤). rapidement usées, grosses et vieilles ceste, la situation est généralement digé ce reportage en nous épargnant vulgarité et érotisme de pa- d’avoir trop travaillé et porté trop d’en- compliquée par des interrogations nlassable passeur de la litté- cotille. Vous saurez tout sur les innombrables cordonnets qui en- L’HISTOIRE DE BONE fants (...). Nous n’étions ni nobles ni re- insolubles de la part de la victime ; rature scandinave, Régis ferment le corps derrière une cuirasse de lingerie, tout sur le (Bastard out of Carolina) connaissants, ni même pleins d’espoir. c’est souvent elle qui éprouve le plus Boyer exerce son œil critique financement de cette interminable formation professionnelle, de Dorothy Allison. Travailler, économiser, lutter ou se de culpabilité, et puis comment par- sur les sagas légendaires is- tout sur les enchères fiévreuses pour un pucelage notoire. Quant Traduit par Michèle Valencia. battre pour quoi ? Nous avions eu les donner à une mère un silence plus ou landaisesI (fornaldarsögur) du à l’intrigue, elle rappelle plaisamment le meilleur Dickens : une 10/18, 416 p., 65 F (9,90 ¤). générations précédentes pour nous ap- moins complice ? XIIIe siècle, dont le sujet remonte aux lente et patiente conquête du pouvoir par une pauvresse aux prendre que rien n’avait jamais chan- « La mort change tout, écrit Doro- temps païens antérieurs à la coloni- yeux splendides qui finira au Waldorf Astoria (traduit de l’anglais PEAU gé et que ceux qui avaient tenté d’y thy Allison dans Peau, la mort est le sation de l’île (879). On a longtemps par Annie Hamel, Lattès, 524 p., 139 F [21,19 ¤]). J. Sn de Dorothy Allison. échapper avaient échoué. » point à partir duquel si elle n’a pas déjà lu ces textes dans une perspective Traduit par Nicolas Milon. été revendiquée, la justification de- romantique, comme l’expression de b LE JOUEUR DES TÉNÈBRES, de Louis Owens Balland, 300 p., 99 F (15,09 ¤). ENFANCE EN RAVAGE vient possible. » « La mort change l’âme primitive d’un peuple, perpé- La menace est multiforme : un vent, l’ombre d’un grizzly, une L’Histoire de Bone, le premier ro- tout », ce sont aussi les premiers mots tuée par la tradition orale. Grand silhouette. Elle poursuit l’homme, Cole McCurtain, un métis eut-on jamais changer ? man de Dorothy Allison, évoque une de Retour à Cayro, le plus achevé de égratigneur des « mythes » qui d’Indien, professeur dans une université, sur laquelle plane un Tirer un trait sur son passé enfance dévastée, celle de Ruth Anne ses romans, l’histoire de Delia, une courent sur cette civilisation, Régis autre danger, celui d’un tueur en série. pour repartir à zéro, chan- Boatwright, qui fait une entrée sen- jeune femme qui abandonne un mari Boyer prouve sur pièces l’élabora- Louis Owens raconte comment le héros et ses alliés affrontent, ger à ses propres yeux et sationnelle et prématurée dans violent et deux gamines dont la plus tion littéraire complexe de ces sagas, déjouent et finalement apaisent la menace, tout en poursuivant surtoutP parvenir à modifier le regard l’existence sur une route de Caroline jeune a moins d’un an, pour suivre relevant les emprunts à la littérature une enquête sur des assassinats d’étudiantes. L’ambition de l’au- d’autrui ? La question hante tous les du Sud. A bord d’une vieille Chevro- Randall Pritchard et son groupe de médiévale contemporaine et aux teur est d’utiliser le suspense pour affiner l’étude psychologique livres de Dorothy Allison et est pro- let s’est entassée toute une famille de rock Mud Dog. En route pour la Cali- grands poèmes eddiques antérieurs. et la dénonciation politique. Cherokee lui-même, il puise abon- bablement à l’origine de son désir joyeux ivrognes pour aller chercher, à fornie, entre défonce et concerts, De- L’intertextualité et les vagues réfé- damment dans l’histoire et la culture amérindiennes. Mais le d’écrire : « Ce que j’ai toujours redou- l’aéroport, un cousin démobilisé. A lia devient l’égérie du groupe, une rences historiques nourrissent ces maître mot de cette histoire est « culpabilité ». té, c’est d’être ce que les gens pensent l’arrière, une gamine de quinze ans sorte de Janis Joplin avec qui il arrive œuvres compensatoires, censées McCurtain a envers sa fille une dette d’amour, une dette sacrifi- de moi, le jouet consentant de mon enceinte de huit mois somnole. Elle qu’on la confonde. Elle a une fille de divertir le lecteur islandais médiéval cielle envers son frère défunt, une dette historique envers ses an- beau-père, celle qui a trahi sa mère, va passer à travers le pare-brise Randall. Le jour où celui-ci se tue en et convoquer les grands archétypes cêtres massacrés. Ce thriller ambitieux est aussi l’histoire d’une l’allumeuse perfide de celle que j’aime, quand le conducteur perd le contrôle moto, Delia décide de retourner à héroïques au moment où l’horizon guérison, une thérapie indienne (traduit de l’anglais – Etats-Unis la honte suprême de ma famille, une du véhicule. Ainsi naît Ruth Anne, Cayro, tenter de reconstituer une fa- historique s’obscurcit. Tout en – par Danièle et Pierre Bondil, Albin Michel, 332 p. 130 F gouine blanche et pauvre du Sud, une surnommée Bone à cause de son as- mille, avec en tête le plus grand suc- conservant le style laconique carac- [19,81 ¤]). J. Sn salope, raciste, stupide, qui ne sait pas pect malingre. Petite « bâtarde » tou- cès de Mud Dog, Diamonds and Dirt, téristique de la saga, elles déve- ce qu’elle fait », écrit-elle dans Peau, jours montrée du doigt, elle dispose « une chanson sur la culpabilité et l’ex- loppent souvent des thèmes b LE FRÈRE À LA BAGUE, de Jean-Claude Bologne un recueil d’essais où il est question pourtant d’un rempart contre la mé- piation ». Mais comment se faire ac- – comiques, érotiques ou merveil- Eliséens, figuristes, discernants... le XVIIIe siècle n’a pas manqué aussi bien de l’art de confectionner chanceté du monde, l’amour mala- cepter dans une petite ville de Geor- leux – qui restent marginaux dans les de sectes. Les convulsionnaires de Saint-Médard restent les plus un gode-ceinture et de l’évolution du droit mais sincère de sa mère et de gie où c’est le pasteur qui décide de autres types de sagas, jouant ainsi célèbres. Dans le cimetière de cette paroisse parisienne, sur la mouvement lesbien aux Etats-Unis toute sa joyeuse tribu, particulière- tout ? Comment reconstituer une fa- un rôle d’exutoire. Mais à ceux qui tombe de Pâris, diacre janséniste, on annonce des miracles. des que du roman. Si ces textes, confé- ment de ses tantes. La situation des mille avec la fille d’un rocker et sa de- attendent au tournant trolls, nains et scènes d’hystérie s’y déroulent, divers supplices s’y pratiquent. rences diverses ou remarques pra- femmes n’est pourtant pas la plus en- mi-sœur qui organise des croisades walkyries, Régis Boyer propose un Jean-Claude Bologne fait revivre ce rassemblement d’illuminés et tiques sont d’un intérêt très inégal, ils viable dans ce milieu, Bone l’apprend contre l’avortement ? Comment « paganisme bien tempéré », révéla- d’escrocs sur fond de relations orageuses entre deux frères on ne permettent de comprendre pour- à ses dépens au contact d’un beau- comprendre et pardonner et faire ad- teur de la mentalité du XIIIe siècle peut plus différents, Armand Arouet, trésorier à la Chambre des quoi Dorothy Allison est passée du père qui lui rend la vie impossible. mettre qu’on a changé ? Les romans chrétien. Sans chercher à construire comptes, amoureux fou d’une Angélique et aussi fou de dévotion, militantisme à la littérature. Le succès de l’histoire de Bone aux de Dorothy Allison ne sont ni miséra- une typologie systématique, il mène et François-Marie qu’on ne nomme plus que d’un nom, Voltaire. Née en 1949 à Greenville en Caro- Etats-Unis, le livre a été finaliste pour bilistes ni béatement optimistes. Ils une fine analyse des motifs légen- Balançant entre le roman historique et le feuilleton en honneur line du Sud, elle appartient à cette ca- la National Book Award en 1992, sont humains. Ils disent que la vie est daires, nourrie de l’étude des textes au XIXe siècle, le récit décrit l’histoire de ces frères ennemis et des tégorie de petits Blancs paumés «à comme celui, récemment des toujours plus compliquée que et d’une lecture, parfois distanciée, secrets de leur famille en restituant l’atmosphère d’une époque qui on a appris à être fiers de ne pas Cendres d’Angela de Frank McCourt, l’image qu’on s’en fait, que chacun des travaux de Dumézil et des fol- où se mêlent et se combattent un obscurantisme séculaire et être noirs et à avoir honte d’être est le signe du renouveau d’une litté- d’entre nous est pétri de contradic- kloristes. Un travail qui s’attache au- l’épanouissement des Lumières. pauvres ». Une sorte de racaille irré- rature sociale qui explore, sans tions et mérite la justification du re- tant à la signification des mythes et C’est passionnant de bout en bout et cela ne va pas sans éveiller cupérable qui n’a de place nulle part complaisance, l’envers du décor gard sincère et mensonger de la litté- du récit légendaire qu’à l’histoire des quelques échos contemporains (éditions du Rocher, 282 p., 119 F et surtout pas en littérature. Car il y a américain. Le livre de Dorothy Alli- rature. genres littéraires. [18,14 ¤]). P.-R.L. deux sortes de pauvres, les bons, son aborde sans tabous le thème de Gérard Meudal Fabienne Dumontet LeMonde Job: WIV0799--0007-0 WAS LIV0799-7 Op.: XX Rev.: 18-02-99 T.: 08:04 S.: 111,06-Cmp.:18,08, Base : LMQPAG 37Fap:100 No:0079 Lcp: 700 CMYK

la chronique LE MONDE / VENDREDI 19 FÉVRIER 1999 / VII de Roger-Pol Droit b

LA RELIGION DES ORIGINES Domaine de recherches floues qu’on ne le croyait naguère. d’Emmanuel Anati. Des traits que l’on jugeait discri- Bayard, 126 p., 99 F (15,09 ¤). savantes, la préhistoire minants – bipédie, usage d’outils, La science impure pratiques funéraires – sont désor- L’HOMME DES ORIGINES est aussi source mais attestés chez des espèces Savoirs et fictions autres que l’Homo sapiens. Bref, au en préhistoire de rêveries multiples. lieu d’un nette rupture séparant de Claudine Cohen. l’animal de l’homme, on rencontre Seuil, « Science ouverte », Peut-on entièrement aujourd’hui – déconcertantes, dif- 314 p., 149 F (22,71 ¤). ficiles à se représenter – une mul- séparer, dans ce type titude de passerelles, d’êtres hy- es origines sont un vaste brides, d’embranchements et pays. Le temps y est im- de connaissances, d’intermédiaires, un foisonnement L mobile, les croyances de carrefours et de chemins de tra- toutes semblables. Il fut savoirs et fictions ? verse. Le mérite de Claudine Co- donc une époque sans âge, se hen est d’arpenter ce labyrinthe, plaît-on à croire, où les humains de retracer notamment les itiné- eurent à peu près tous une vie La longue histoire de ce mythe raires inattendus qui mènent à la analogue. Même habitat som- du monde primitif s’est nourrie à science présente. Cela nous vaut maire et mêmes outils grossiers, mesure des progrès accomplis par une promenade plaisante et let- mêmes aliments et mêmes ter- les philologues, les archéologues, trée. On retiendra en particulier le reurs, mêmes rites et mêmes fêtes, les naturalistes. Entre Buffon et chapitre consacré aux romans dictés ensemble par la similitude Cuvier, le temps de la nature se évoquant la préhistoire. En effet, des travaux et des jours. A l’ar- creuse vertigineusement. Avec le certains trouvent dans la vie de rière-plan du morcellement que déchiffrement du sanskrit et la nos ancêtres de quoi brosser quel- nous connaissons, il est tentant naissance des études indiennes, ques sagas vaguement lestes. Ainsi d’imaginer cette plage très an- l’histoire de la littérature et celle Rosny Aîné publie-t-il en 1897 No- cienne et lisse, espace sans diffé- de la philosophie voient reculer maï, amours lacustres, tandis que rences ni aspérités, fond primor- leurs frontières historiques. La Léon Lambry décrit Rama, la fée dial des cultures. A la bigarrure de constitution d’un savoir concer- des cavernes, en attendant que l’histoire contrevient l’unité imagi- nant la « préhistoire » a ravivé les Henry-Jacques Proumen ose pour naire des commencements. fantasmagories relatives à la vie sa part, en 1934, ce titre à retenir : Contre la dure pluralité des des origines. L’absence de docu- Eve, proie des hommes. langues et des mythes, le rêve du ments, la rareté des traces, le flou On aurait tort de croire que ces monde premier offre une simplici- des repères sont autant de portes fantasmagories ne sont que déli- té rassurante. ouvertes à la fiction. Les savoirs catesses fin de siècle, échauffe- Ce rêve lui-même a une histoire. progressant, la tentation des ori- ments de demi-savants pour de A partir de la Renaissance, dès que gines n’a pas pour autant disparu. néolithiques demi-mondaines. Ces le monde des civilisations se révéla Le petit livre d’Emmanuel Anati en archives enseignent autre chose vraiment disparate, creusé d’his- est la preuve. Ce savant italien, au- que les ardeurs de messieurs à bé- toires dissemblables et habité de teur de nombreuses publications, sicles s’enflammant à l’idée des peuples distincts, les gens de sa- est un des grands spécialistes de « âges farouches ». Elles rap- voir, en Europe, se mirent à per- l’art rupestre. Il a notamment dé- unité fondamentale des croyances à boucher avec la trame de la fic- cette inondation universelle ? », pellent plutôt combien, dans de fectionner l’image d’un « monde couvert dans le désert du Néguev relie souterrainement les hommes tion les trous de la connaissance. écrit Johann-Jakob Scheuchzer en vastes secteurs, la science est im- primitif » où toutes les mytholo- la montagne sacrée d’Har Karkom préhistoriques et ceux que nous Le nouvel essai de Claudine Co- 1730. pure. Il s’y glisse des fantasmes. Ni gies trouvaient leurs sources. Ces et dirige des archives mondiales observons. En l’absence de toute hen, qui fait suite à son travail sur Depuis, comme le souligne par effraction ni par hasard. Pas siècles d’outre-histoire ont permis rassemblant les peintures sur preuve contraignante, le doute Le Destin du mammouth (1), insiste Claudine Cohen, la configuration même de manière parasite. Au à des théoriciens de l’âge classique roches. subsiste. Pourquoi ne pas imaginer sur cette intrication de la narra- de la discipline s’est fortement contraire : quand il s’agit des (Court de Gébelin, Bailly) de Dans des pages très accessibles, en effet que les peuples des temps tion et des observations, sur ce modifiée. Au cours des dernières autres et des ailleurs, il se pourrait rendre équivalents les panthéons il expose sa conviction de l’exis- préhistoriques – sur des millé- mélange incessant des mythes et décennies, la réflexion sur l’évolu- que la part du rêve soit constitu- de l’Inde et de la Grèce, les rites tence d’une « religion des ori- naires, sous des climats distincts – des réalités dans la constitution du tion biologique de la « famille hu- tive, inséparable des rigueurs mé- chinois et les sagas scandinaves, gines », dont les croyances d’au- aient eu des conceptions fort dif- savoir des paléontologues. Ainsi maine » a changé de cadre tempo- thodiques et des classements ré- les rives de l’Amazone et celles de jourd’hui porteraient encore férentes les uns des autres, même les fossiles retrouvés dans les rel : elle porte à présent sur glés. Bouvard et Pécuchet, qui la Vistule. Ainsi, alors que voya- parfois la marque. Qu’il s’agisse de si leurs silex se ressemblent ? Sans Alpes passent-ils, au XVIIIs siècle, plusieurs millions d’années. Son sont un temps victimes d’un accès geurs, missionnaires et savants dé- l’au-delà et de l’immortalité de doute est-ce un puissant besoin pour des preuves du Déluge. cadre spatial s’est également de préhistorite aiguë, en ré- couvraient la dispersion des l’âme, des rites de passages liés à qui fait regimber devant les rup- « Car, comment tous ces Animaux, transformé : Indonésie, Chine, chappent par la déception : ces cultures et accentuaient de jour en la naissance et à la mort, de la mé- tures, esquiver les éclats d’une his- particulièrement les Poissons de Afrique, Moyen-Orient sont deve- sciences, concluent-ils, sont « dé- jour l’éclatement des univers hu- moire du premier exode humain à toire fragmentée. Mer, pourroient-il se trouver dans nus de hauts lieux de trouvailles. fectueuses ». Voilà des garçons mains, il appartenait aux rêveries travers les continents, du souvenir Il convient aussi de compter des endroits si éloignés de la mer, et Enfin, la définition même de trop sérieux. sur les origines d’effacer ces frac- de cataclysmes climatiques qui ont avec cette nécessité propre – par- même dans les entrailles des mon- l’homme, les frontières qui le sé- tures en reconstituant une unité noyé les terres autrefois émergées, tagée par la paléontologie et quel- tagnes fort hautes, comme sont parent d’autres espèces, sont de- (1) 1994. Voir Le Monde du 9 décembre perdue. Emmanuel Arnati soutient qu’une ques autres disciplines – qui incite celles de la Suisse, si ce n’est par venues plus complexes et plus 1994.

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livraisons

Clinton en victime La ruée vers l’os b LA PRÉHISTOIRE, de Marcel Otte, Denis Vialou et Patrick Plumet Ce manuel destiné à un public de jeunes universitaires a le mérite Nichole Bacharan démonte le piège judiciaire L’histoire de l’Homme et l’évolution de cette de retracer la préhistoire de l’humanité, de ses origines, il y a quel- que 3 millions d’années, au seuil des 10 000 ans avant notre ère. Le tendu par Kenneth Starr au président américain discipline racontées par Yves Coppens format, qui convient parfaitement à l’illustration didactique (ta- bleaux, croquis, schémas), est plus heureux encore pour le LE PIÈGE mettre cette prémisse : Clinton a été LE GENOU DE LUCY des genres – pose quelques pro- deuxième volet, que Denis Vialou consacre à l’art paléolithique. La Quand la démocratie victime d’un piège que lui a tendu L’histoire de l’Homme blèmes. De registre d’abord : le brève contribution finale de Patrick Plumet, en poste à Montréal, perd la tête l’extrême droite républicaine. et l’histoire de son histoire mince glossaire proposé en an- est la plus originale (« La préhistoire de l’Amérique du Nord et de de Nichole Bacharan. C’est ce traquenard que raconte de Yves Coppens. nexe est loin de préciser tous les l’Arctique »). Un ensemble composite donc, mais utile (éd. De Seuil, 200 p., très bien Nichole Bacharan dans Le Ed. Odile Jacob, 256 p., termes délicats rencontrés, mais Boeck Université, 372 p., 260 F). 89 F (13,56 ¤). Piège, récit recomposé de quatre an- 139 F (21,19 ¤). les éléments autobiographiques, nées et demie d’une invraisemblable comme les évocations de Lucy, b CORRESPONDANCE, de Marguerite de Valois ’est entendu : l’Arkansas saga qui finira par la mise en exa- n 1974, Yves Coppens co- fossile ou mythe, sont totalement Inlassablement Eliane Viennot décape l’image convenue de la est un Etat pauvre, reculé, men du président par la Chambre dirigeait avec Donald Jo- accessibles. De ton ensuite : Cop- reine Margot, renforcée naguère par l’adaptation du livre de Du- C à l’origine refuge de des représentants, puis par son ac- E hanson et Maurice Taieb pens a une récurrente propension mas par Chéreau. Auteur d’une remarquable « somme » sur la grands bandits, plus tard quittement – haut la main − par le la mission internationale à l’autocélébration dans la partie dame (Payot, 1993), elle publie aujourd’hui les quelque 662 lettres terre de stations thermales fréquen- Sénat. Le scénario est complexe. Il qui exhuma de l’Afar éthiopien les où il expose sa conception de la qui nous sont parvenus de la « perle des Valois », rédigées entre tées par Al Capone et sa suite, para- touche aux particularités du sys- restes préhistoriques les plus uni- discipline, mais sa vivacité et son 1569 – Marguerite n’est alors que la sœur de Charles IX – et 1614 dis des jeux et des champs de tème politique et judiciaire améri- versellement connus : ceux de Lu- humour savent corriger ce réflexe – la première épouse d’Henri IV, conspiratrice habile dans sa jeu- courses ; bref, c’est un Etat du Sud cain, à des procédures singulières. cy. Depuis, le savant est devenu d’orgueil. Reste une introduction nesse, dissuade peu avant sa mort le fils de son amie, la duchesse où l’on n’a pas la même conception Les protagonistes du drame sont professeur au Collège de France, vivante qui conte l’histoire natu- de Nevers, de suivre son exemple. Ce n’est pas le moindre para- qu’en Nouvelle Angleterre de la né- nombreux. La politologue Bacha- titulaire de la chaire de paléoan- relle comme une saga pleine de re- doxe de ce corpus où La Mole et Bussy, ses amant et héros, sont cessaire séparation entre affaires ran, qui connaît son Amérique, re- thropologie et de préhistoire ; il a bondissements, de fausses pistes absents, Brantôme, si décisif pour la transformer en mémorialiste, publiques et affaires privées. On y a fait le parcours du procureur, re- signé nombre d’ouvrages de vul- et de mystère, qui porte aussi à à peine présents, et les grands des figures officielles rarement per- des pratiques qui rappellent plus trace ses obsessions et celles de son garisation, fort bien reçus de la cri- tout un chacun un message d’es- çues comme des proches, mis à part ses frères. On mesure la part l’Amérique centrale, par exemple, équipe − tous hommes, tous blancs, tique comme du public et conseille pérance et d’humilité. de ses interventions politiques (qu’elle tente de Nérac de contrôler que la région de Boston. Le jeune tous ultra-conservateurs − et la mo- volontiers les romanciers scrupu- Ph.-J. C. la Gascogne en 1580 ou négocie sa répudiation et la fin de son exil gouverneur Bill Clinton et son avo- tivation centrale qui sera la leur : leux (Debout dans le ventre blanc auvergnat) comme la perte d’un témoignage précieux sur l’époque cate d’épouse, Hillary Rodham, pi- une haine absolue de Bill et de Hil- de silence, troisième volet du ro- (1) Lucy, la femme verticale, Flamma- puisque la reine interrompit ses Mémoires trente ans avant sa dis- lier du plus gros cabinet d’avocats lary Clinton et de ce qu’ils repré- man préhistorique de Pierre Pelot, rion, 1998. parition (éd. Honoré Champion, 680 p., 550 F). Ph.-J. C d’affaires de la capitale, Little Rock, sentent. Sous le vent du monde, vient de pa- n’ont donc pas forcément opéré Nichole Bacharan ne cède à au- raître chez Denoël). Il livre au- dans la plus grande transparence cun syndrome du complot pour ex- jourd’hui avec Le Genou de Lucy, dans l’affaire dite du Whitewater : pliquer le passage du Whitewater à dédié à son fils Quentin, plus jeune un projet immobilier, dont ils l’affaire Lewinsky, par l’intermé- que Lucy de quelque trois millions étaient tous deux actionnaires, vite diaire du procès Paula Jones : il y a d’années, un regard composite et en faillite et mal secouru par la bien eu piège. Il y a bien eu totale personnel sur ce qu’il nomme joli- Caisse d’épargne de la ville, manipulation et instrumentalisation ment lui-même « la ruée vers l’os ». elle-même bénéficiaire de fonds de Mme Jones par deux groupes de Pour Quentin, Yves Coppens a publics... l’extrême droite républicaine, la rassemblé en faisceaux conver- Mais, in fine, les Clinton ont perdu Fondation Bradley et le Rutherford gents sa conception de l’histoire de l’argent dans cette aventure. Et, Institute, contre le président. Long- de l’Homme, l’historique de cette in fine, après 30 millions de dollars temps, la presse américaine n’y croi- science neuve qui n’en finit plus de d’enquête, de pressions sur nombre ra pas. Lorsque Hillary Clinton dira, réviser ses éphémères certitudes, de malheureux, de chantage sur des en 1998, que son mari est la victime une esquisse d’autobiographie, un familles entières, d’écoutes télépho- « d’une vaste conspiration d’extrême portrait de la fameuse Lucy, qui niques et autres pratiques qu’on droite », les journaux les plus sérieux n’est certes pas la plus vieille penserait réservées à la lutte contre la ridiculiseront. femme du monde, mais « le sque- le grand banditisme, le procureur Et puis deux journalistes du New lette le moins incomplet d’une pré- « indépendant » Kenneth Starr n’a York Times, Don van Natta Jr. et Jill histoire parmi les plus anciennes ». rien trouvé ni prouvé contre les Abramson, vont remonter au cœur Sans oublier en final, récréation Clinton dans le Whitewater. Alors, de l’histoire : la manière avec la- mutine ou nécessaire concession à on ne comprend rien à ce qui a sui- quelle le juge Starr a pu établir la la poésie des origines, l’étonnante vi, rien à cette invraisemblable liaison entre ces trois affaires, Whi- postérité de cette improbable traque lancée contre Clinton par le tewater, Lewinsky et Jones. A les lire aïeule, morte, à vingt ans à peine, juge Starr, qui, mandaté pour en- − et personne ne les a encore noyée, comme un démenti inutile quêter sur cette affaire immobilière démentis − et à lire Nichole Bacha- à l’aventure humaine à venir, selon et uniquement celle-là, va étendre ran, on conclut aussi au piège, sans la vision lyrique et somptueuse son investigation à la vie sexuelle du hésiter. d’Andrée Chédid (1). président, si l’on se refuse à ad- Alain Frachon Un tel plan – et un tel brassage LeMonde Job: WIV0799--0008-0 WAS LIV0799-8 Op.: XX Rev.: 18-02-99 T.: 08:04 S.: 111,06-Cmp.:18,08, Base : LMQPAG 37Fap:100 No:0080 Lcp: 700 CMYK

VIII / LE MONDE / VENDREDI 19 FÉVRIER 1999 chroniques b DROIT INTERNATIONAL Bricolage international b par Philippe Simonnot b par Daniel Vernet

Toutefois, ces deux principes fondamentaux de la ethnique de l’individu frustré ou déçu par les UN MONDE SANS SOUVERAINETÉ vie internationale moderne ne sont pas aussi contre-performances de l’Etat ou de la mondialisa- Pourquoi diable Les Etats entre ruse et responsabilité absolus qu’il y paraît. Il existe une pression de tion ». Or, pour retrouver une part de légitimité, de Bertrand Badie. l’universalisme qui oblige les Etats à adhérer à les gouvernants acceptent parfois « d’ethniciser Fayard, 306 p., 135 F (20,58 ¤). des traités qui contredisent parfois la conception l’Etat », au risque de brader encore plus leur sou- « souveraine » qu’ils se font du droit. En outre, veraineté. Face à des acteurs internationaux obéit-on aux lois ? es élections des députés au Parlement de ces accords peuvent être utilisés par des acteurs nombreux et nouveaux, les Etats deviennent Strasbourg, le 13 juin, comme toutes les non-étatiques pour revendiquer le respect par eux-mêmes « des agents du postmodernisme ». échéances européennes, vont donner l’Etat des engagements internationaux qu’il a Il en résulte une impression de « bricolage » L souscrits. La manière dont les dissidents sovié- dans l’organisation de la vie internationale. La ESSAIS DE THÉORIE DU DROIT l’occasion aux défenseurs patentés de la de Norberto Bobbio. souveraineté nationale de faire entendre leur tiques se sont servis dans les années 70-80 du multiplicité des stratégies coïncide avec la proli- Traduit de l’italien par Michel Guéret voix. Avant de se lancer dans des plaidoyers en chapitre « droits de l’homme » des accords fération des acteurs, les Etats s’affaiblissent, avec la collaboration faveur de ce que Bertrand Badie nomme « une d’Helsinki est exemplaire à cet égard. Et les Etats résistent en passant des compromis, voire se ren- de Christophe Agostini, fiction », ils seraient bien avisés de lire l’ouvrage occidentaux se sont sentis habilités à demander – forcent en retournant à leur profit les armes de préface Riccardo Guastini, que ce professeur de sciences politiques consacre timidement – des comptes aux dirigeants sovié- leurs adversaires. « De ce brassage, écrit Bertrand Bruylant (67, rue de la Régence, 1000 Bruxelles, diff. : LGDJ) aux relations internationales. Ils y trouveraient tiques sur ce même chapitre. Badie, dérivent des institutions nouvelles... et des 290 p., 320 F (48,78 ¤). matière à réflexion sur ce qui n’est même pas un C’était le début du « droit d’ingérence » qui ambiguïtés. » Ni domination d’une hyper-puis- combat d’arrière-garde, puisque « l’âge d’or de la s’est peu à peu transformé en « devoir d’ingé- sance ni multipolarité, le « monde sans souverai- ans la querelle interminable qui oppose les partisans du droit souveraineté n’a jamais existé », et quelques pré- rence ». Personne ne s’étonne, explique Bertrand neté » s’invente sous nos yeux dans un chaos peu naturel au positivisme juridique, nul doute que le grand misses sur l’articulation des nouvelles solidarités, Badie, « qu’on en remontre au Brésil quand il pra- rassurant. Au moins est-il clair que la nostalgie juriste italien Norberto Bobbio occupe une place éminente. citoyenne, transnationale et identitaire. tique la déforestation massive (...). On s’indignerait de l’ordre « souverain » est une chimère. D Mais il ne faut pas trop demander. Même fic- au contraire que les puissances occidentales Non seulement parce que sa production scientifique comprend plus de mille titres portant sur tous les domaines de la philo- tive, l’idée de souveraineté « fonctionne ». Elle n’aillent point faire la police quand un massacre se sophie du droit et de la philosophie politique. Mais aussi parce que, offre une intelligibilité – trompeuse – de la réalité produit dans l’Afrique des Grands Lacs que les ૽ Signalons également : Mondes rebelles, de Jean- grand connaisseur de l’œuvre majeure de Hans Kelsen, il a réussi d’une mondiale. Réduite à son noyau dur, « puissance forces de l’OTAN n’arrêtent pas Karadzic pour le Marc Balencie et Arnaud de La Grange. Mouve- certaine manière à la dépasser. Aussi bien convient-il de saluer chapeau ultime et perpétuelle », selon Jean Bodin, elle faire juger par un tribunal international... ». Ou ments de guérillas, milices ethniques ou parti- bas la publication de ce recueil de textes, rendus ainsi accessibles au fournit un principe d’explication pratique qui a que des forces internationales ne surveillent pas sanes, groupes terroristes, formations paramili- lecteur français. résisté au temps. Après 1945 encore, elle a consti- l’application d’un accord sur le Kosovo, pour- taires ou mafieuses... Sur plus de 1 500 pages, les Pour mesurer l’enjeu d’une dispute malheureusement trop souvent tué le principe d’organisation de la société inter- rait-on ajouter. Mais cette implication internatio- auteurs passent en revue, continent par cantonnée dans le domaine de la science juridique, et rendue parti- nationale. Le concept, dont Bertrand Badie nale ne va pas de soi. Elle se heurte non seule- continent, pays par pays, toutes les révoltes culièrement absconse par le jargon utilisé, il suffit de rappeler que pour montre toute l’incertitude, a la vie dure. Quand ment à la vieille conception de la souveraienté contre tous les ordres établis. Ils ont d’autant Kelsen (1881-1973), fondateur au début du siècle de l’Ecole positiviste les responsables des Etats européens transfèrent nationale ; elle butte aussi sur les hésitations des moins d’a priori idéologiques que la fin de la divi- de Vienne, et auteur de la fameuse Théorie pure du droit, tout Etat, à Bruxelles ou à Francfort la responsabilité de la acteurs internationaux à assumer une responsa- sion du monde en deux blocs a rendu caduques même la pire des dictatures, est un Etat de droit. Et lui qui, en raison de monnaie, ils se refusent à reconnaitre une perte bilité. les explications univoques et simplistes. Il faut ses origines, devra fuir devant la barbarie nazie, n’hésitera pas à de souveraineté. Au contraire, ils disent en Ce déplacement de la souveraineté vers la res- donc aller rechercher dans chaque cas les causes pousser sa logique jusqu’à affirmer : « Du point de vue de la science juri- attendre un renforcement d’une souveraineté qui ponsabilité devrait être, selon Bertrand Badie, le particulières, sans se laisser aveugler par des dique, le droit (Recht) sous le régime nazi était le droit. Nous pouvons le transcenderait celle des Etats-nations. « Que vaut futur principe d’organisation de la vie internatio- principes universels réducteurs. Chaque « fiche » regretter, mais nous ne pouvons nier que ce fût le droit. » Face à de telles la souveraineté nationale comme valeur absolue nale, si l’on veut éviter une « dérive » qui mena- est construite sur le même schéma : contexte his- assertions, les jurisnaturalistes( ?) ont eu beau jeu de réduire le positi- dès lors que, depuis 1945, quelque trente-cinq mille cerait les valeurs, marquerait la victoire de l’utili- torique, acteurs, carte, données de base, biblio- visme à une idolâtrie de l’Etat. traités ont été signés par les Etats qui, par défini- taire et de la technique, de l’identification graphie. Ce gros volume encyclopédique, que Le premier mérite de Noberto Bobbio est de définir avec clarté les tion, doivent respecter leurs engagements interna- ethnique sur les communuatés politiques. En nous avions salué dans Le Monde des livres du positions de chaque camp : le jusnaturalisme( ?) distingue le droit tionaux jusqu’à les placer au-dessus de leurs lois ? » attendant, le monde se trouve dans une phase 10 janvier 1997, est aujourd’hui réédité dans une positif du droit naturel, lequel est fondé sur la « nature » des choses et On objectera que ces traités internationaux intermédiaire et indécidable où les Etats se col- version revue et augmentée, et apparaît comme des hommes ; il soutient la supériorité du second sur le premier. Et l’on ont été librement signés par des Etats « souve- tinent avec d’autres partenaires, d’une part les un véritable ouvrage de reférence (présenté par peut donc faire appel du premier en se référant au second. Le positi- rains » et que la plupart admettent la non-ingé- réseaux transnationaux avec lesquels ils Jean-Christophe Ruffin, Michalon, 1 566 p., 220 F visme juridique n’admet pas cette distinction et affirme qu’il n’existe rence dans les affaires intérieures de ces Etats. cherchent à composer, en outre, « l’imaginaire [33,53 ¤]). pas de droit en dehors du droit positif. Pour le jusnaturaliste, on doit obéir aux lois uniquement lorsqu’elles sont justes – mais qui sera juge de leur justesse ? La maxime fondamentale du positivisme juridique est POLITIQUE que l’on doit obéir aux lois en tant que telles. La justice est un « idéal b par Thierry Bréhier Au péril d’une droite malade irrationnel », elle n’est pas un problème dont peut s’occuper la science. La théorie du droit, dans la mesure où elle prétend être une science, doit s’en désintéresser. D’où un des principaux intérêts de son livre qui velle candidature Chirac ne devienne inéluc- Après avoir rappelé ces principes, Bobbio n’en est que plus à l’aise CHRONIQUE D’UN NAUFRAGE permet de se remémorer une histoire récente table », Alain Juppé, qui n’admet « jamais avoir pour répondre aux accusations des jusnaturalistes. D’abord, remarque- PROGRAMMÉ risquant de sombrer dans l’oubli, tant ses commis une grosse bêtise », Nicolas Sarkozy, qui t-il, il est faux historiquement que la doctrine de l’obligation morale de Philippe Reinhard. rebondissements et son accélération pourraient ne « pense qu’à monter sur la plus haute marche d’obéir aux lois positives soit un apanage du positivisme. Une telle Albin Michel, 372 p., 130 F (19,81 ¤). faire perdre de vue ses prémices. du podium républicain », Edouard Balladur, doctrine a été affirmée par les théories traditionnelles du droit naturel. Le passé permet de comprendre le présent et « animé d’un violent désir de revanche » ; « les En fait cette doctrine n’appartient à aucun des deux camps, elle dérive « Seigneur, protégez-moi de mes amis. Mes de prévoir un avenir qui, en l’espèce, ne semble francs-tireurs de l’armée morte », Alain Madelin, simplement de la constatation, aussi vieille que la philosophie du droit, ennemis, je m’en charge ». Jacques Chirac, qui guère encourageant. Cette chronique offre ainsi dont la « stratégie passe par une candidature à qu’aucun ordre juridique ne peut se soutenir en se fiant uniquement à goûte tant les formules lapidaires de la sagesse de perpétuelles remises en perspective bien la présidence de la République », François Bay- l’obéissance arrachée par la crainte de la sanction. populaire, ne pourra que lancer cette prière s’il venues. Pour son auteur, tout commence lors rou, dont « l’ambition est servie par une volonté Ensuite, le positivisme n’a jamais enseigné, selon Bobbio, qu’il fallait lit le dernier ouvrage de Philippe Reinhard, de l’élection présidentielle de 1974 quand impressionnante ». obéir aux lois parce qu’elles étaient justes en tant que telles, mais parce cette Chronique d’un naufrage programmé qui Jacques Chirac a « trahi » le gaullisme en per- L’animosité qui oppose tous ces hommes de que justes ou injustes, bonnes ou mauvaises, elles servent à réaliser des raconte et explique le fiasco actuel de la droite, mettant la victoire de Valéry Giscard d’Estaing pouvoir entre eux n’a, pour Philippe Reinhard, valeurs sans lesquelles aucune société ne pourrait survivre. Le maître alors que tout lui semblait promis après son au détriment de Jacques Chaban-Delmas. Et le qu’une seule cause : l’élection du président de italien rappelle encore que les postulats éthiques du positivisme juri- écrasante victoire des législatives de 1993. Un « naufrage » était annoncé par les conditions la République au suffrage universel. Cet obser- dique, l’égalité, l’ordre, la sûreté, ont été élaborés au XVIIIe siècle par récit masochiste, en fait, car l’auteur n’a jamais de la campagne présidentielle de 1995. Ses ami- vateur-acteur est de ceux qui jugent que tout le des penseurs libéraux, de Montesquieu à Kant, pour poser une barrière camouflé que c’est à cette famille politique qu’il tiés balladuriennes ne l’empêchent pas de sou- mal vient de cette compétition élyséenne qui au despotisme. En Italie, dans les années fascistes, la résistance à l’arbi- appartenait. Enarque, il a préféré la liberté ligner les erreurs commises par le premier « domine la vie politique française au point de traire fut conduite par des juristes au nom de ces mêmes postulats. qu’offre le journalisme à qui adore arpenter les ministre-candidat, mais ce sont, bien entendu, l’écraser ». Et si, pour l’heure, la gauche n’en est Bobbio participa lui-même à ce combat. Il est vrai que ce raisonnement couloirs parlementaires à la réserve qu’impose les moyens utilisés par le vainqueur qu’il pas trop malade, dans l’autre camp l’arrivée appliqué au positivisme étonnera dans la mesure où la science du droit, une carrière de haut fonctionnaire. Centriste de dénonce en démontrant, sans difficulté, que ses d’une nouvelle génération n’a pas mis fin au comme toute science, se veut en principe éthiquement neutre – wert- cœur et de raison, il a été, un temps, attiré dans promesses ne pouvaient qu’entraîner l’échec traditionnel combat des chefs dont la droite a freiheit, pour reprendre l’expression fameuse de Max Weber. Mais pour la sphère chiraquienne, étant même membre du gouvernement Juppé. tant pâti dans les années 80. Bien au contraire. notre auteur, la prétention à la neutralité éthique est tout bonnement du cabinet du chef du gouvernement de la pre- Le plus inquiétant pour la droite est la série En accroissant le nombre des chefs de bande, « infondée ». mière cohabitation. de portraits qu’il dresse de ceux qui la dirigent elle l’a rendu moins maîtrisable et plus san- Bobbio est certes plus convaincant quand il nous montre abondam- Les amours déçus se transforment facilement ou qui ambitionnent de le faire : Jacques Chirac glant, rendant fort improbable une alliance sin- ment que les partisans du droit naturel sont loin d’avoir toujours pris le en haine inexpiable. Aujourd’hui, Philippe dont la « force » est de « ne jamais s’embarras- cère contre l’adversaire commun. parti de la résistance à l’oppression, de la défense de la personne contre Reinhard déteste Jacques Chirac. L’homme, le ser d’aucune contradiction » ; ceux qui « contri- Le drame est qu’ainsi, comme le fait remar- les prétentions de l’Etat, de la liberté individuelle contre l’asservisse- chef de parti, le président. Son livre n’est pour- buent à compliquer l’intrigue », Valéry Giscard quer Philippe Reinhard, l’« alternance poli- ment de la loi. « Les morales les plus différentes, écrit notre auteur, ont tant pas seulement un règlement de comptes. d’Estaing, qui veut « prendre sa revanche sur tique » risque d’être « interdite pour long- parfois trouvé refuge, selon les époques et les occasions, dans le giron du Le véritable acte d’accusation en sorcellerie 1981, fût-ce par personne interposée », Charles temps ». Ce n’est sain pour personne. Et droit naturel » : aussi bien l’égalité de tous les hommes que la nécessité qu’il dresse est nourri de faits, d’annecdotes Pasqua, qui « consacre toute son énergie à puisque, comme il l’écrit, la droite « est de l’esclavage, l’excellence de la propriété individuelle que celle de la qu’il n’a pas simplement regardés en observa- contredire le président de la République ». Fran- l’homme malade de notre démocratie », son communauté des biens, le droit à la résistance que le devoir d’obéis- teur, car il fut aussi, parfois, un acteur discret. çois Léotard, qui « laisse à sa famille un héritage « sauvetage » est effectivement « une grande sance. Et de citer le livre d’un autre juriste italien démontrant que le Cela lui permet, en tout cas, de connaître par- judiciaire » ; les « Atrides du RPR », Philippe cause nationale ». Faudrait-il, encore, qu’elle y jusnaturalisme a toujours été et ne peut être, par sa nature, c’est bien le faitement son sujet quand il parle de la droite. Séguin, qui cherche « à empêcher qu’une nou- mette un peu du sien ! cas de le dire, qu’une éthique de la loi opposée à une éthique de la liberté (1). Enfin, insiste Bobbio, Kelsen est lavé lui-même de tout étatisme SOCIETE puisqu’il a lui-même affirmé le primat du droit international et œuvré Blues des banlieues pour la dissolution de la souveraineté étatiste. b par Michèle Aulagnon Reste la grande question de la nature même d’un gouvernement et de ce qui le distingue en droit d’une bande de brigands, et qui justifie « la surdélinquance d’une minorité de jeunes Fran- drogues, sont à une heure de route. Non seule- l’obéissance aux lois. Pour un jusnaturaliste, la réponse est évidente. LA GUERRE DES RUES çais d’origines maghrébine et africaine ». Et Jean- ment les dealers font vivre le quartier et leur Pour un positiviste, elle se trouve dans un vieil adage latin utilisé par le de Christian Jelen. Pierre Chevènement serait, pour Christian Jelen, le famille, mais ils font figure d’exemples pour les philosophe anglais John Austin : ex facto oritur ius. Le droit est ce qui est Plon, 238 p., 120 F (18,3 ¤). seul homme politique à avoir pris conscience «de plus jeunes, prenant la place des « grands frères » habituellement observé. Autrement dit, à la longue, le pouvoir se trans- l’ampleur du drame qui couve, de la menace d’une des années 80 qui prônaient l’intégration. forme en droit. « Existe-t-il un droit sans pouvoir ? », demande Bobbio. L’AUTODAFÉ DES QUARTIERS minorité croissante de “sauvageons” ». Mais toutes les banlieues ne s’embrasent pas, et A quoi on pourrait répondre par une autre question : existe-t-il un de Christophe Colinet. Beaucoup plus mesurée est l’enquête menée à tous les jeunes ne sont pas des délinquants. Les six pouvoir sans droit ? Ed. Imago, 140 p., 110 F (16,8 ¤). Maubeuge par Christophe Colinet, journaliste à filles françaises d’origine étrangère dont le portrait La Voix du Nord. Originaire de cette région où tous est brossé par Valérie Dumeige et Sophie Ponche- (1) Pietro Piovani, Giusnaturalismo ed etica moderna, Laterza, Bari, 1961. FRANÇAISES les indicateurs sociaux sont au rouge, Christophe let dans Françaises ont grandi entre deux pays, de Valérie Dumeige et Sophie Ponchelet, Colinet est revenu y vivre alors que la majorité des entre deux cultures. Elles ont quitté le Sénégal, le bbbbbbbbbbbbbbbbbbb Ed. Nil, 262 p., 120 F (18,3 ¤). jeunes qui tirent leur épingle du jeu scolaire en Vietnam, l’Algérie ou la Roumanie, très jeunes, partent. « Pour celui qui reste en Sambre, l’insertion avec leurs parents et ont aujourd’hui entre vingt et PASSAGE EN REVUE a délinquance des mineurs a été l’objet professionnelle n’existe pas ou presque pas », écrit-il vingt-cinq ans. Certaines d’entre elles ont vécu d’une polémique entre Jean-Pierre Chevè- dans L’Autodafé des quartiers. « En une vingtaine dans ces banlieues dites difficiles, et y ont été heu- b « Les Cahiers du judaïsme » L nement, ministre de l’intérieur, et Elisa- d’années, la Sambre est passée d’une génération ter- reuses, souffrant de devoir quitter le cocon familial Succédant aux Nouveaux Cahiers (1965-1997), la revue de l’Alliance israé- beth Guigou, garde des sceaux. Les rifiée par le spectre du chômage à une nouvelle jeu- pour leurs études. Toutes restent très attachées à lite universelle, Les Cahiers du judaïsme, dont c’est le troisième numéro, chiffres des crimes et délits commis par les nesse dont les éléments les plus marginalisés estiment leur communauté et à leurs parents. Elles sont plus proposent opportunément la réflexion d’une universitaire israélienne, mineurs n’ayant cessé d’augmenter depuis 1994, le que travailler honnêtement est la dernière chose à que conscientes des sacrifices qu’ils ont dû faire Raya Cohen, sur « Le génocide arménien dans la mémoire collective ministère de l’intérieur réclamait davantage de fer- faire. » pour les élever et leur permettre une véritable inté- juive ». On y apprendra avec intérêt à quel point fut sensible l’influence du meté alors que le ministère de la justice souhaitait En 1975, la Sambre comptait 51 900 emplois. En gration. livre de Franz Werfel, Les Quarante jours du Musa-Dagh – datant de 1933 et davantage de moyens pour « rééduquer » les 1995, ce chiffre était divisé par deux, atteignant D’origines et de cultures différentes, Oumi, consacré à l’écrasement d’une révolte d’Arméniens en 1915 –, sur les jeunes concernés. Le débat a été clos avec tout juste les 26 000. Parallèlement, le nombre de N’Deye, Viana, Cristina, Naïma et Anne ont su jeunes révoltés juifs de Varsovie en 1942, même si, par la suite, le caractère l’annonce d’un renforcement des moyens de la chômeurs explosait, passant de 2 000 à 15 000. A profiter du système scolaire. Les unes deviendront inouï de la Shoah apparut aux assiégés du ghetto. On constatera, à l’aide police et de la justice. Maubeuge, le cœur des violences urbaines se situe des championnes d’athlétisme, une autre s’accro- des échos qu’en rapporte l’auteur de l’article, qu’en Israël aussi, le débat Mais qui sont ces jeunes auteurs de violences ? dans le quartier Sous-le-Bois, 8 000 habitants, où le chera à l’école, seul moyen d’échapper à un mode sur la spécificité du génocide juif fait rage depuis le début des années 90. A Christian Jelen, journaliste au Point, décédé alors taux de chômage culmine à 30 %, frappant essen- de vie traditionnel où les filles accomplissent signaler également, un dossier consacré à la réalité juive dans la France qu’il venait de terminer son dernier livre sur La tiellement les moins de vingt-cinq ans. Episodique- l’essentiel des tâches domestiques, une dernière d’aujourd’hui et la publication d’un texte inédit de Sartre, sous la forme Guerre des rues, s’insurge contre le fait qu’on parle ment, le quartier s’embrase, les voitures brûlent, créera une association pour les jeunes venus de d’une conférence prononcée le 3 juin 1947, à l’invitation de l’Alliance, par des jeunes « alors que selon les études de criminolo- les affrontements avec les forces de l’ordre se mul- son pays. Aucune ne prétend incarner à elle seule l’auteur des Réflexions sur la question juive ; texte suivi d’un commentaire gie, environ 5 % des 15-29 ans sont responsables de tiplient. Mais l’enquête de Christophe Colinet dis- la communauté dont elle est issue. Mais leurs par- très critique du directeur de la revue, le sociologue Pierre Birnbaum 50 % des crimes et délits commis par ces groupes sèque l’économie parallèle qui s’est mise en place cours, leurs rêves et leurs déceptions finissent par (Les Cahiers du judaïsme, no 3, 75 F [11,43 ¤], 45, rue La Bruyère, d’âge ». Mais son propos est plus que polémique dans de tels quartiers, d’autant plus facilement que esquisser le portrait, complexe, de ces jeunes filles 75009 Paris). N. W. dans la mesure où l’auteur n’hésite pas à évoquer les Pays-Bas, source d’approvisionnement en issues de l’immigration. LeMonde Job: WIV0799--0009-0 WAS LIV0799-9 Op.: XX Rev.: 18-02-99 T.: 08:04 S.: 111,06-Cmp.:18,08, Base : LMQPAG 37Fap:100 No:0081 Lcp: 700 CMYK

essais LE MONDE / VENDREDI 19 FÉVRIER 1999 / IX b Gabriel Tarde, le sociologue retrouvé Son passé de juge d’instruction puis de criminologue, ses incursions dans de multiples disciplines et, surtout, sa rivalité avec Durkheim pour fonder la sociologie ont desservi ce socio-philosophe. La réédition de ses œuvres permet de redécouvrir une pensée plus que jamais contemporaine

MONADOLOGIE n’enseigne pas une sociologie qui se- sophique qui comprend Spinoza, l’adaptation (coproduction créa- ET SOCIOLOGIE rait d’« un mauvais exemple ». Il faut Leibniz, Nietzsche, Bergson, son trice). Sa sociologie en résulte, il le de Gabriel Tarde. bien voir que l’enjeu n’est pas successeur au Collège de France ; dit en commandant à la science so- Préface d’Eric Alliez, mince : choisir pour la discipline et Gilles Deleuze le retrouve dans ciale de reconnaître « son domaine Postface de Maurice Lazzaratto, naissante le statut scientifique le plus un bref commentaire lorsqu’il propre de répétitions, son domaine Institut Synthélabo, 152 p., conforme à l’esprit des sciences alors théorise les relations entre diffé- propre d’oppositions, son domaine 84 F (12,80 ¤). pratiquées et traiter du social dans rence et répétition. Deux des clefs propre d’adaptation ». Au premier, une période où les luttes idéolo- de la construction tardienne d’un il impute le caractère imitatif de la LES LOIS SOCIALES giques, politiques et sociales sont in- monde dont le social n’est qu’une vie sociale et de la vie psycholo- de Gabriel Tarde. tenses. Les deux rivaux ne se partie ou un aspect. C’est sur l’infi- gique ; au deuxième, les formes Préface d’Isaac Joseph, trouvent pas dans une situation nitésimal, sur les éléments provi- principales de la « lutte » (dis- Institut Synthélabo, 152 p., égale. Durkheim, ancien élève de soirement reconnus derniers cussion, concurrence, guerre) ; au 94 F (14,33 ¤). l’Ecole normale supérieure et agrégé − l’atome chimique, la cellule vi- troisième, les transformations qui de philosophie, est dès le départ bé- vante, l’individu social −, dont l’ex- résultent des dérogations indivi- out commence par une néficiaire d’une position et de rela- ploration ne cesse de révéler la duelles, des innovations, des inven- confrontation inégale entre tions universitaires, et, âgé de moins grande complexité, et non sur les tions surtout et de leur imitation. un aîné et un cadet qui se de trente ans, il a la charge du nou- Sur ce dernier point, «il T veau cours de « science sociale et pé- Georges Balandier s’agit de surprendre sur le vif sont donnés un même but : fonder la sociologie, en faire une dagogie » à l’université de Bordeaux. et par le menu » les change- science neuve, la science de toutes Il a lié sa vie intellectuelle à la socio- systèmes constitutifs d’ensembles, ments sociaux « pour comprendre les sciences. L’aîné, Gabriel Tarde, logie. d’organisations subordonnant ce les états sociaux » et non pas l’in- perdra cette bataille des commence- Tarde n’a ni la même formation – qu’ils incorporent que Tarde établit verse. Là où Durkheim identifie des ments alors que son livre le plus il a étudié le droit – ni le même par- sa cosmogonie. « choses sociales », des groupes connu, Les Lois de l’imitation (1890), cours professionnel ; il a une curiosi- C’est là où il situe l’origine de structurés, des institutions, de la lui apporte la notoriété et les der- té précoce qui le porte vers la philo- l’inépuisable multiplicité du réel, contrainte, des états sociaux déter- nières années de sa vie la reconnais- sophie, mais il accède à la sociologie de la création continuée de nou- minants, il identifie des acteurs in- sance institutionnelle par l’élection en quelque sorte par un détour. Il a veau qui fait de la dynamique de la dividuels, des « citoyens infinitési- au Collège de France et à l’Institut. Le une longue carrière de juge d’ins- différenciation la génératrice des maux », des affects et des affinités, cadet, Emile Durkheim, bien que truction à Sarlat, sa ville natale, puis choses et de leur devenir. Mais, afin de la spontanéité dans l’interaction l’éloignement universitaire en pro- est nommé directeur de la statistique de lier ce qui apparaît sous l’aspect et une évolution créatrice. vince puis l’accès à la sociologie à la judiciaire au ministère de la justice – de la dispersion et du changement, Il est difficile de le suivre dans Sorbonne par une porte étroite ne là même où Durkheim enverra son il recourt à deux procédés. D’une toutes ses explorations, d’ac- facilitent pas son projet, sortira victo- neveu Marcel Mauss effectuer les re- part, à ce qui a été qualifié de psy- compagner ses survols. Il est resté rieux de cet affrontement. Il est alors cherches statistiques nécessaires à la chomorphisme universel, repor- le mal classable, il préfigure mais il

devenu pour longtemps le fondateur rédaction du Suicide. Gabriel Tarde DR/IN « DE L’HISTOIRE ET LA PHILOSOPHIE GABRIEL TARDE » tant non pas à un univers de est souvent méconnu de ceux dont de l’école française de sociologie ap- est d’abord connu par ses publica- choses, mais de « petits êtres » qui il fut l’annonciateur, il s’engage sur puyée sur une revue, L’Année sociolo- tions relatives à la criminologie, au c’est la publication des œuvres de porter dans une « féerie d’idées ». sont des « agents » et dont les «va- les mauvais chemins lorsqu’il ima- gique, l’initiateur inlassable d’une droit et à la philosophie pénale, et Tarde en cinq volumes qui signale Dans l’autre, Les Lois sociales, il riations infinitésimales » sont des gine une « bio-politique univer- science moderne du social dont il dé- c’est aux Archives d’anthropologie cri- l’événement. Elle incite à recher- souligne ce qui fait lien entre ses « actions », un univers où se mani- selle ». Mais on voit ce qui peut ac- finit les domaines et la méthode en minelle qu’il réserve des articles où se cher les raisons qui justifient cette thèses sur l’imitation, l’opposition feste des « volontés, des desseins », tualiser sa pensée, la place en précisant les règles. Il a acquis une précise et se développe sa théorie so- neuve curiosité pour le « plus philo- universelle et la logique sociale, et où opèrent des forces mesurables aujourd’hui occupée par la sociolo- autorité intellectuelle et morale qui le ciologique. Son passé de crimino- sophe des sociologues ». Deux des donc entre trois de ses principaux assimilables au désir et à la gie du minuscule et du quotidien, fait considérer comme une sorte de logue le suit, ses incursions dans les volumes, incorporant les com- ouvrages. Il apparaît ainsi comme croyance. C’est le passage au pan- par la considération des phéno- grand instituteur de la République. sciences et dans de multiples disci- mentaires de spécialistes actuels, le briseur des barrières dressées psychisme, à l’occasion duquel mènes de communication, d’opi- Entre les deux prétendants la plines déconcertent. Malgré son af- viennent de paraître. Ils préparent entre monde vivant et monde inor- Tarde laisse libre cours à son ima- nion, de foule, de suggestion et de confrontation passe par des phases firmation d’avoir pour but la fonda- complémentairement à la redécou- ganique, nature et société, philoso- gination, au jeu des métaphores et contagion imitative (1). aiguës sans que les relations soient tion d’une « sociologie pure », il reste verte du socio-philosophe oublié, à phie de la nature et éthique. des analogies, c’est ce qui donne rompues. Durkheim voit en Tarde mal localisable dans le champ des l’accueil d’une œuvre qui peut s’ac- Là où Durkheim sépare – le so- son angle d’attaque à la critique (1) La récente publication de la corres- son principal rival, il critique ses sciences sociales. Cette ambiguïté le corder pour une part à la pensée cial dans sa réalité propre et son durkheimienne. D’autre part, pondance de Durkheim adressée à son thèses avec violence, notamment dessert, elle a conduit à l’oubli de son du temps présent. Dans l’un, Mo- autonomie, la sociologie en tant Tarde identifie trois principes qui neveu, Marcel Mauss, éclaire le milieu dans Le Suicide (1897). Il exprime son œuvre et laissé le terrain libre aux nadologie et sociologie, se révèle que savoir positif indépendant de permettent à la science de maîtri- sociologique français lorsque la disci- contentement de le savoir « casé » durkheimiens. l’ancrage philosophique, la consti- la philosophie –, Tarde unifie et ser « la diversité ondoyante du pline se constitue. Tarde y est évoqué : au Collège de France, en espérant Le retour d’intérêt est récent ; il tution d’une science sociale à partir « sociologise » l’univers car tout y réel » : la répétition (production Lettres à Marcel Mauss, d’Emile Durk- qu’il s’en tienne à la définition de sa se marque par quelques rééditions d’une métaphysique, voire d’une fait « société ». Il s’inscrit lui- simplement conservatrice), l’oppo- heim, présentées par Philippe Besnard chaire, « Philosophie moderne », et durant ces dernières années. Mais cosmogonie où Tarde se laisse em- même dans une généalogie philo- sition (rapport des forces) et et Marcel Fournier, PUF, 593 p., 248 F.

bbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbb Lamaze, correcteur de Bible D’une gaie sagesse Déjouant les fatalités de la Genèse, le pionnier de l’accouchement sans Michel Onfray mêle une nouvelle fois avec jubilation ses curiosités douleur trouve en Caroline Gutmann, sa petite-fille, une biographe intellectuelles et ses goûts hédonistes

mille de la haute bourgeoisie, naissance de leurs enfants promet- mère. Les lecteurs de Michel simple caprice subjectif », mais LE TESTAMENT épouse à jamais enamourée, ba- tait aux mères, il y a peu de temps LES VERTUS DE LA FOUDRE Onfray retrouveront ici la dans une perspective volonta- DU DOCTEUR LAMAZE fouée, mais aussi forte qu’il est, en encore. Dès ses débuts − d’où son « Journal hédoniste », même jubilante « sagesse » riste et révolutionnaire propre- médecin accoucheur. vérité, faible et vulnérable. Louise, aura −, Fernand Lamaze s’est atta- tome II d’un écrivain qui ne se paie pas ment nietzschéenne, qui exclut de Caroline Gutmann. la non conformiste, deviendra pour ché à dédramatiser, à humaniser la de Michel Onfray. de mots, réfute les faux-sem- l’autocomplaisance, l’approxi- Ed. Lattès, 278 p., l’auteur la plus exquise des grands- préparation et le déroulement des Grasset, 376 p., 136 F (20,73¤). blants, les conformismes de mation et la nébuleuse sensua- 120 F (18,29 ¤). mères, veuve aux souvenirs en- naissances avant d’aller plus loin et tout bord et orchestre ses goûts liste. chantés. Destinées toutes pre- de libérer les femmes d’un acquies- omme il l’avait fait, en hédonistes comme ses curiosi- C’est une sagesse gaie, al- ntrépide, indignée, une enfant nantes, originales, souvent boule- cement général à la malédiction bi- d’admirables pages, tés intellectuelles, les uns et les lègre, mais issue d’une rigou- de douze ans se précipitait, versantes, celles des amis et de la blique. Il avait alors soixante ans. C dans le premier tome autres avides, jubilants, em- reuse discipline de pensée, qu’il voilà des années, dans les lo- parentèle qui traversent et forment Inspirée d’expériences découvertes de son « Journal hédo- preints d’une rayonnante sen- procure ; le pessimisme même I le destin de Fernand Lamaze, issu, lors d’un voyage professionnel en niste » (Le Désir d’être un vol- sualité et d’une franchise gail- est d’un velouté ombré chez ce caux de RTL où l’on venait d’insulter la mémoire de son grand- lui, d’une lignée de rudes paysans URSS, sa méthode de l’accouche- can, Grasset, 1996), Michel On- larde. « conjurateur des hypothèses père, qu’elle n’avait pourtant pas lorrains, fiers souvent d’une acces- ment sans douleur fit scandale, fray assoit ce nouveau volume Venu à la philosophie par idéalistes, spiritualistes et reli- connu. Aujourd’hui, la même Caro- sion au rang d’instituteur. Nous le mais permit aux femmes de refuser sur une évocation intime : il ac- l’Antiquité et sous la férule de gieuses ». La séduction des line Gutmann, armée cette fois rencontrons d’abord étudiant toute passivité, de faire appel à leur compagne un jour sa mère aux Lucien Jerphagnon, Michel On- écrits de Michel Onfray tient d’un magnifique don d’écrivain, fait pauvre « monté » à Paris où, pour pouvoir de décision, à leur volonté services des archives de l’assis- fray, quel que soit son sujet dans son art de célébrer les surgir, palpitant de vie, ce Fernand financer ses études de médecine, il et de contrôler cette aventure de tance publique pour qu’elle y d’étude, de l’éloge des péchés bonheurs de la vie, hors de Lamaze, médecin déjà célèbre fait office de surveillant dans un si- leur propre corps. On voit quels ta- découvre la vérité sur sa propre capitaux à celui de la musique tout leurre, en la libérant des entre les deux guerres et, dès 1951, nistre et sulfureux Institut des bous furent enfreints. On peut ima- mère qui l’a abandonnée. Pages contemporaine ou à la célébra- codes et servitudes auxquels pionnier de l’accouchement sans sourds et muets, mais aussi de ser- giner l’enthousiasme et les résis- cruelles et fortes qui renvoient tion du gaz lacrymogène, prône doctrines sociales et idéolo- douleur. Illustre, internationale- veur dans un bouge, de croque- tances ! Et le prix que l’initiateur à la propre enfance de l’auteur « la liberté, le souci et l’usage de giques voudraient la soumettre. ment adulé, viscéralement voué à mort et même de... dame de eut à payer. Qu’il paie encore : un tributaire de celle subie par sa soi entièrement soumis au pur et Pierre Kyria ce dont il avait fait un sacerdoce, il compagnie d’une riche Améri- étrange silence s’est fait autour de fut sacrifié à son art, trahi et pra- caine ! Il sera précepteur de Jean lui, auquel ne fut pas étranger l’in- tiquement assassiné. Derrière ce Gutmann, dont le père, banquier térêt qu’ont eu certains de masquer personnage légendaire et qui eût mélomane aux mille vocations et le scandale de sa mort due à l’hypo- passionné Balzac, sa petite-fille dé- qui se suicidera à l’entrée des Alle- crite brutalité stalinienne de ceux couvre, nous faisant suivre les mands en 1940, deviendra son ami qui lui avaient été professionelle- émouvantes étapes de sa quête, un le plus cher, tandis que Jean, bien ment associés. homme complexe et paradoxal, des plus tard, épousera Anne-Marie La- De ses triomphes à son calvaire, événements et des faits qui ré- maze, devenant ainsi le gendre du Caroline Gutmann nous rend très veillent toute une constellation fa- docteur, puis le père de Caroline. proche l’homme de science, miliale, toute une époque, un passé comme elle rend attachant son en- qu’ils éclairent et troublent à la fois. PIONNIER tourage. A respecter certaines la- Implacable, fervente, avec humour, C’est presque par hasard, par ré- cunes, certaines questions laissées elle traque les traces qui survivent à signation (il avait espéré devenir sans réponses, à refuser de tout ex- celui dont elle est la descendante : neurologue, ses moyens lui avaient pliquer, elle nous offre d’autant photos, témoins, documents, mais interdit de poursuivre d’aussi plus présent, plus poignant cet aussi ses propres souvenirs d’une longues études), et c’est assez tar- homme et ses failles : la précision fraîcheur évocatrice, tout impré- divement que Lamaze rencontrera même du récit exige ces quelques gnés des lieux et surtout des êtres sa vocation d’obstréticien et s’illus- trous noirs, cette part d’ombre in- familiers à l’admirable mais non trera pour longtemps comme le déchiffrable, cette part d’inachève- toujours exemplaire docteur La- plus exceptionnel, le plus réputé ment qui constitue les êtres vivants maze. d’entre eux. Il découvrira là sa na- et les distingue des héros factices. Tout au long de sa vie, le voici ture véritable, une passion, une ob- Chaleureux et farouche, Fernand puissant et fragile, captif de son session et s’y adonnera, pratiquant Lamaze frémit dans ses pages de- exigeante liberté, homme de carac- « son art comme il respirait, ac- puis ses débuts tourmentés jusqu’à tère et d’éthique, mélancolique et compagnant la parturiente pendant ses réussites glorieuses et sa mort paillard, dépressif et bon vivant, son travail, la guidant dans les mys- tragique, au point que cette biogra- marqué par la guerre de 14, apoli- térieuses métamorphoses de son phie très documentée, étayée sur tique et proche des communistes, corps, reprenant son souffle avec elle, des informations des plus exactes, ami des plus fidèle, homme à épousant ses souffrances ». On a ou- se lit aussi comme un très beau femmes, mais pas à la sienne, blié, aujourd’hui, ces souffrances, roman. Louise, issue d’une importante fa- l’angoisse, les affres mêmes que la Viviane Forrester LeMonde Job: WIV0799--0010-0 WAS LIV0799-10 Op.: XX Rev.: 18-02-99 T.: 08:04 S.: 111,06-Cmp.:18,08, Base : LMQPAG 37Fap:100 No:0082 Lcp: 700 CMYK

X / LE MONDE / VENDREDI 19 FÉVRIER 1999 enquête Des nouvellesb de l’« Homo biographicus »

Genre tenu pour tion morale fortement didactique. dhal, et rendu les leurs aux Luther [1928], Rabelais [1942]) sub- Decaux (Blanqui). Au vu du succès Il faut donc attendre plus de « Grands Hommes en robe de vertiraient radicalement le genre commercial, inespéré, le ton était mineur il y a encore seize siècles pour que la biogra- chambre » de Dumas (Jules César, s’ils s’en réclamaient. La leçon de donné et les sirènes devinrent irré- phie change de vocation. L’impri- Henri IV, Louis XIII et Richelieu), Michelet, qui remettait en vision- sistibles. vingt ans, la mé, au cœur du débat d’idées, c’est la critique littéraire qui a le naire le peuple au premier rang Ainsi, depuis vingt ans le genre, permet de confronter des ou- plus vite compris l’intérêt du genre des préoccupations de l’historien, longtemps tenu pour mineur, biographie suscite un vrages copieux jusqu’à l’indi- repensé, qui autorise le mélange ne s’était pas perdue. C’est par voire ringard, séduit tous les édi- A vec malice, l’écrivain gestion, qui ne craignent ni les du récit de la vie, de l’essai sur l’enquête prosopographique que teurs, qui multiplient les collec- britannique E. M. Forster distin- véritable engouement partis pris tapageurs ni les options l’œuvre, de digressions person- le tenant de la « nouvelle his- tions, débauchent les historiens les guait trois types de personnages : polémiques mais dont le nombre nelles, jusqu’à permettre même toire » a retrouvé le métier du bio- plus sourcilleux, accueillent lea- l’homo sapiens (homme réel), l’ho- auprès du public. pléthorique atteste la soif de re l’identification au modèle. L’histo- graphe, tenu avec une inenta- ders politiques et essayistes op- mo fictus (invention romanesque) pérage et de décantation après la rien reste plus prudent et le lexico- mable bonne conscience pour un portunistes, campés dans des (im) et l’homo biographicus (cas inter- Histoire, typologie, formidable remise en cause des graphe circonspect : Littré définit sous-genre quasi déshonorant. postures de carnaval, jouent la médiaire du héros biographié). valeurs qui a accompagné la biographie comme une « sorte Soucieux de défricher de nou- concurrence effrénée sans que Aujourd’hui, le dernier modèle est problème juridiques, l’épisode révolutionnaire. La mo- d’histoire qui a pour objet la vie veaux « territoires », pour re- l’état de la documentation, géné- plus fréquenté que jamais, sédui- nographie s’impose avec l’affirma- d’une seule personne ». Une singu- prendre la formule du collectif di- ralement invariant, justifie ces ré- sant conjointement – et c’est une Salon... Enquête sur tion romantique, émancipée des larité suspecte à l’heure où l’his- rigé par Jacques Le Goff et Pierre cidives obstinées. A ce jeu-là, conjonction inédite – romanciers normes antiques qui en limitaient toire aspire à un statut scienti- Nora, Faire de l’Histoire (1974), Cléopâtre, Henri IV ou François Ier et historiens, journalistes et poli- un phénomène l’extension : si la renommée de fique, mais qui a le mérite de l’historien étudie les sénateurs ro- ne sont guère menacés que par tiques, comme si l’exercice, ga- leurs auteurs a conservé ses lec- disqualifier les stéréotypes rhéto- mains, les ingénieurs du roi, les Jean Moulin – pas moins de cinq geure réelle ou leurre destiné à éditorial teurs à la Vie de Rossini, de Sten- riques hérités des Lumières. Avec notables du Premier Empire ou les titres consacrés au résistant en couvrir travestissements person- l’irruption du rôle de l’inconscient, régents de la Banque de France moins d’un semestre –, Napoléon nels ou transferts contestables, personnel ou collectif, tel que les sans renier sa démarche, affinant et de Gaulle étant plus sûrement était une panacée. l’œuvre ». Les hagiographies écrits de Schopenhauer, Dostoïev- tout au plus ses méthodes. Il ren- annexés par les récits roma- Le genre n’a rien de neuf, et si le médiévales, même les vies re- ski, Nietzsche, Freud enfin le ré- contre ainsi des destins individuels nesques. Dans bien des cas on est mot n’apparaît qu’au début du visitées à la Renaissance, re- vèlent, l’option anecdotique et dont il se prend à vouloir exhumer cependant loin des exigences spé- XVIIIe siècle, repris d’un mot grec prennent le schéma, qui psychologique, jusque-là privilé- le souvenir. cifiques de la biographie repensée, attesté tardivement (vers 500), le connaît une fortune nouvelle giée, est de plus en plus contestée Ainsi Georges Duby, André comme si la large notoriété récit d’une vie, comme le fait de avec la traduction des Vies des et les historiens, réticents, aban- Chastel ou André Miquel ont-ils promise à un historien connu l’écrire, remonte à l’Antiquité. A hommes illustres (1559) de Plu- donnent le genre aux littéraires, révélé Guillaume Le Maréchal, le jusque-là de ses seuls pairs suffi- l’obscur navigateur carien Scylax, tarque par l’humaniste Jacques dont la manière renouvelait le ton cardinal Louis d’Aragon ou le sait à passer outre des codes auteur d’une vie du tyran Héracléi- Amyot, précepteur des derniers (Stefan Zweig, André Maurois, prince syrien Ousâma, « Inconnus rigoureux de sa pratique : combien dès, rédigée en grec au VIe siècle Valois – signalons toutefois l’ap- Marcel Brion, Henri Guillemin de Louis XIV ou de avant notre ère, semble-t-il. Sans parition du genre des bio- n’ont toutefois plus de successeurs Philippe-Jean Catinchi Napoléon qui ne doute est-il issu de l’épigraphie fu- bibliographies, inauguré par la à leur mesure, peut-être parce que tranchent pas sur néraire, de l’éloge funèbre ou du Bibliothèque de La Croix du les savants ont, depuis, réinvesti le de l’Histoire » (c’est le titre d’une les plus antiques références sans goût dynastique des puissants Maine (1584). Avec l’absotisme terrain avec un bonheur de plume éphémère collection de Fayard), convaincre d’une légitime pour célébrer, détailler et re- vient le temps des Eloges exal- parfois qui rend sans intérêt les où Bernard Guénée a retracé pérennité ?Rien de tel, en re- composer leur généalogie. tant la piété, le savoir ou la sa- tentatives moins informées et pas quatre vies de prélats de l’au- vanche, avec la démarche person- Le monde médiéval le réserve gesse des hommes célèbres, nécessairement mieux compo- tomne médiéval, de l’inquisiteur nelle de Pierre Assouline. Avec peu ou prou aux saints : la popula- qu’illustrent Perrault, Fontenelle sées). Bernard Gui, dépris des fables du constance ce journaliste brosse rité inouïe de la Légende dorée, re- et nombre d’anonymes avec la L’anathème comme le panégy- Nom de la Rose, à l’« historien » et depuis vingt ans par touches le cueil de Jacques de Voragine, est multiplication des académies, rique ne sont pas de mise pour témoin Thomas Basin (Entre paysage de l’histoire culturelle de telle qu’on trouve des traces de ses des premiers Dictionnaire his- l’historien, qui accepte la forma- l’Eglise et l’Etat, 1987). ce siècle, loin des oukases nou- récits édifiants jusque dans la fa- torique (1752) et Histoire de tion d’un panthéon civique à de Toutefois, l’engouement popu- veaux de cette spécialité récem- meuse Bibliothèque bleue sous la littérature française seules fins didactiques, sélection- laire reste fort pour un genre ment promue. l’Ancien Régime. Et si, en marge (1740), où l’exactitude nant les figures-étapes indispen- considéré comme frivole, dégagé De Gaston Gallimard à Jean Jar- des très politiques figures de compte moins que la sables d’une mythologie nationale des leçons éthiques de sa vocation din, d’Albert Londres à Daniel- l’évêque martyr Thomas Becket et rhétorique, au service dont l’Etat républicain a besoin première pour ne plus séduire que Henri Kahnweiler, de Simenon à du roi français Louis IX, l’excep- d’une préoccupa- (Lavisse) mais qui ne requalifie pas par sa facture fluide, faite d’anec- Hergé, c’est, après le coup d’éclat tionnel statut de François d’Assise l’option biographique, abandon- dotes et de témoignages agencés de Monsieur Dassault (Balland), fixe en dogme le rêve d’une his- née aux polygraphes, académi- sans perspective critique, et ses une histoire singulière de notre toire immédiate – le rappel biogra- ciens et autres nostalgiques des choix conventionnels (rois, reines, temps que tisse Pierre Assouline, phique composé par le dominicain hagiographies dynastiques. Le pré- grands ministres et soldats fa- où l’on peut gager que les rares Bonaventure devait être la seule jugé défavorable se renforce en- meux). Sa relégitimation récente domaines encore négligés – mu- version autorisée de la vie du Po- core dans le sillage de l’école des par le retour des universitaires sur sique, photo, architecture ou verello –, il faut attendre la Re- Annales : symbole même d’une le terrain déserté a accru encore chanson – pourraient livrer bien- naissance pour que savants et ar- conception traditionnelle du pas- son audience. tôt les éclairages manquants. Héri- tistes, souverains et guerriers sé, où chronologie et grands Après l’étourdissant succès du tier, plus encore que Jean Lacou- partagent un traitement aussi spé- hommes priment sur les structures Louis XI de Paul Murray Kendall ture, de ce goût de la manière cifique, les vidas du XIIIe siècle, no- et les masses et où batailles et trai- (Fayard, 1974), suivirent les biogra- personnelle qui fit la signature tices consacrées aux plus fameux tés occupent prioritairement le de- phies de Philippe le Bel, de Jean Fa- d’un Maurois ou d’un Zweig, As- troubadours quasiment toutes vant de la scène, contribuant ainsi vier (1978), ou de Catherine de Mé- souline réconcilie la rigueur et l’in- anonymes, n’étant guère que des aux héroïsations convenues, l’ap- dicis, d’Ivan Cloulas (1979), portés vention. Sorte de Coppens de l’Ho- esquisses introductives à l’œuvre proche biographique ne reçoit au- aux premiers rangs des best-sellers mo biographicus, puisque ce du poète, fiables pour l’origine so- cun tribut de Marc Bloch, et ceux, comme les ouvrages, issus de tra- lecteur de Marcel Schwob sait aus- ciale et géographique du trouba- apparents, de Lucien Febvre (Phi- ditions plus contestées, de Jean si que les Vies imaginaires peuvent dour le plus souvent, mais des plus lippe II et la Franche-Comté [1911], Orieux (Talleyrand) ou Alain être les plus belles... romanesques sur sa vie amou- reuse, recomposée sur la matière des chansons. En vogue au XVIIe siècle, le genre trouve alors son identité Les limites imposées par la justice (l’anglais biography est attesté en 1683, près de quarante ans avant son équivalent français). Le genre e biographe peut-il tout Entre souci de vérité qui évoquaient les écarts conju- faire confiance à l’auteur qui Laurent Greilsamer (3) consi- se dilate aux préoccupations ency- dire, sauf l’essentiel ? gaux de son défunt mari, et no- s’impose des limites dictées par dère que le métier de biographe clopédiques et universelles chères Dans quelles conditions et respect de la vie tamment ses régulières visites une rigueur intellectuelle et mo- nécessite « tact, respect et diplo- au XIXe siècle (Louis-Gabriel Mi- L aux prostituées – menaçait de rale ? Pour Pierre Assouline (2), matie ». Pour lui, la tentative du peut-il espérer travailler chaud entreprend dès 1811 sa mo- à la rédaction d’un ouvrage sans privée, la marge de faire saisir l’ouvrage. il y a chez le biographe « du flic, biographe « d’aller au plus près numentale Biographie universelle redouter les invectives des bio- Mais un éditeur ne doit-il pas de l’indic et de l’éboueur » et de la vérité » ne doit pas être ancienne et moderne, inachevée graphés, ayants droit – voire des manœuvre du mise à mal par la justice : «je malgré ses 85 volumes, dont l’écho tiers ? Dans quelles mesures un préférerais renoncer », si tel s’entend encore dans les formi- éditeur peut-il prendre le risque biographe est était le cas. Toute vérité serait dables entreprises contempo- de publier une biographie sus- alors bonne à dire ? « Oui, ex- raines de Jean Maitron, le Diction- ceptible de déplaire sans de plus en plus étroite plique Alain Quella-Villéger (4), naire biographique du mouvement craindre les foudres de la jus- L’arsenal juridique dès lors qu’elle éclaire de façon ouvrier français et son tice ? Y a-t-il et doit-il y avoir alerter les éditeurs sur le risque pertinente l’œuvre de l’artiste complément international). Toute- une véritable dissension entre qu’ils prennent – tant en termes biographé ». fois, dans le sillage du mouvement biographes et juristes, entre li- financiers qu’en termes Quatre « pans du droit » permettent d’intenter un procès à un Reste que la justice française romantique, la rhétorique sociale berté d’expression et respect de d’images – en publiant une bio- éditeur et/ou un auteur : – une des plus coercitives au cède bientôt devant le portrait du la vie privée ? graphie non autorisée ». b L’utilisation de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse monde en ce qui concerne la seul individu – notons que c’est C’est avec une acuité toute Si la saisie de l’ouvrage est un permet de combattre un écrit à caractère diffamatoire – c’est-à-dire protection des droits de la per- alors qu’apparaît le sens moderne particulière que ces questions se cas encore exceptionnel, la sup- portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne – et/ sonnalité – risque de compro- de l’autobiographie. posent aujourd’hui tant, depuis pression de passages, la ou injurieux. mettre la publication de biogra- De telles fluctuations ont natu- quelques années, ces affaires condamnation aux dommages- b L’article 9 du code civil s’applique à la protection de la vie privée. phies, sauf à être des rellement brouillé les pistes. Long- sont de plus en plus souvent intérêts, la publication de la Le concept de vie privée recouvre, entre autres, l’identité de la per- hagiographies ou des bio temps en vigueur, même suivies de portées devant la justice. En condamnation ou l’insertion de sonne (patronyme véritable et adresse), sa vie sentimentale, conju- graphies dites autorisées. façon parfois peu scrupuleuse, les outre, le magazine profession- rectificatifs sont devenues pro- gale et sexuelle ainsi que ses convictions religieuses et politiques. Emilie Grangeray normes spécifiques héritées de nel Livres Hebdo a ouvert – de- cédés courants. Et il est naïf de C’est ainsi que, l’année dernière, Catherine Deneuve a notamment l’époque romaine ont survécu à puis maintenant un an – une croire que les frais engagés dans obtenu la suppression de six passages dans le Truffaut de Serge (1) Avocat au barreau de Paris, auteur Suétone et Plutarque, dont les Vies chronique juridique. De même, une procédure sont compensés Toubiana et Antoine de Baecque. notamment de Le Droit d’auteur et des douze Césars et les Vies paral- alors que le mensuel Lire consa- par l’effet d’annonce du scan- b Le droit à l’image, s’il ne fait l’objet d’aucun texte de loi spéci- l’édition (éditions du Cercle de la lèles fixent la référence : le texte crait un dossier spécial au sujet dale – la condamnation aux fique, permet pourtant à quiconque de s’opposer à la reproduction de librairie, 1998) est bref au regard du flot majes- (novembre 1998), le premier Sa- dommages et intérêts se mon- ses traits, que ce soit sous forme de photo ou de dessin, et cela même (2) Auteur de nombreuses biogra- tueux de l’histoire générale, privi- lon de la biographie – à Nîmes tant en moyenne à 50 000 F lors d’une manifestation publique. Son invocation, qui handicape l’il- phies dont : Hergé (Gallimard légie les particularités concrètes du 5 au 7 février – organisait un (7 622 ¤). Pourtant c’est parfois lustration de la couverture comme le cahier photo, participe large- « Folio », 1998), Simenon (Gallimard, du parcours individuel à force débat sur le thème : « Biogra- jusqu’à la parution même qui ment du développement exponentiel des procès aujourd’hui. « Folio », 1996). d’anecdotes exemplaires, tout en phies : des livres au tribunal ». est remise en cause. La biogra- b Les droits qui protègent la propriété littéraire et artistique (3) Auteur notamment de Hubert séparant clairement l’évocation du L’enjeu est en effet de taille. phie de James Lord consacrée à s’exercent sur le droit de citation. Quant à la citation d’inédits, c’est Beuve-Méry : 1902-1989 (Fayard, 1990) caractère et des événements aux- Comme le souligne Me Emma- Giacometti a ainsi dû attendre un casse-tête pour celui qui désire publier romans inachevés, jour- et Le Prince foudroyé, la vie de Nicolas quels le modèle est mêlé, dichoto- nuel Pierrat (1), « les juges dis- douze ans avant de pouvoir être naux et correspondances. de Staël (Fayard, 1998) mie qui annonce l’inépuisable suc- posent d’une palette de sanctions publiée en France. Sa veuve E. G. (4) Auteur notamment de Pierre Loti cès du diptyque « l’homme et suffisamment dissuasive pour – choquée par certains passages (Aubéron, 1998). LeMonde Job: WIV0799--0011-0 WAS LIV0799-11 Op.: XX Rev.: 18-02-99 T.: 08:04 S.: 111,06-Cmp.:18,08, Base : LMQPAG 37Fap:100 No:0083 Lcp: 700 CMYK

enquête LE MONDE / VENDREDI 19 FÉVRIER 1999 / XI b Des habits neufs pour la bio ?

’hésitant pas à inventer un genre qui devrait N avoir quelque peine à faire école, le médié- viste Jacques Le Goff a fait preuve d’audace avec son mémorable Saint Louis (1996), où il étudie da- vantage le « phénomène de mé- moire » collective qu’un parcours individuel. La formule, qui suppose un corpus limité mais consistant, ne semble, au regard de l’historien, pouvoir ne s’appliquer guère qu’à Abélard, Frédéric II de Hohens- tauffen et François d’Assise... Est-ce ce qui autorise certains historiens encore réticents envers la contrainte biographique à ré- cuser l’approche que leurs éditeurs persistent à promouvoir ? Ainsi, ni La Mélancolie du pouvoir, de Joël Cornette, ni La Sagesse et le Mal- heur, de Denis Crouzet, ne sont à proprement parler des biographies d’Omer Talon et de Michel de L’Hospital, ce qui n’apparaît pas si crûment dans leur présentation. Le plus malicieux reste Alain Corbin, qui, en tenant la gageure de réali- ser la biographie d’un parfait in- connu, Le Monde retrouvé de Louis- François Pinagot (Flammarion, 1998), a accompli le rêve d’« his- toire totale » cher aux Annales dans le domaine suspect de la bio- graphie. L’angle, intellectuellement des plus convaincants, porte toute- fois en germe la prise de

ILLUSTRATIONS : NICOLAS VIAL conscience de la vanité de toute re- construction psychologique. L’his- torien, en poursuivant la chimère, Des vies cède alors à la tentation du roman- Les recettes du succès cier.

dans les Arènes PARTI PRIS a biographie serait-elle casions qui permettent de lancer Denis Maraval pour des succès imprévisibles, tel le Reste la possibilité de redéfinir a une forme apparentée au un livre », évoquant notamment Zita de Jean Sévillia (Perrin), joli- minima un genre si encombré. jackpot pour les éditeurs les vagues de commémorations Fayard et Laurent ment conduit, tiré à l’origine à ’est un peu comme le nu- D’aucuns tronquent arbitrairement L dont la mode résiste aux suren- 2 500 exemplaires et qui a large- méro zéro d’un journal », le parcours, comme Henry Dougier aujourd’hui ? On serait tenté de le croire, vu le rythme chères. Si la règle privilégie l’ini- Theis pour Plon ment dépassé les 30 000 ventes. C dit Charles Robillard, et Michel Boyer, en charge chez des parutions sur le marché na- tiative de l’éditeur, soucieux de Souhaitons, à l’échelle des Etudes l’un des inventeurs de ce Autrement de la récente collection tional. Sans doute n’a-t-il jamais reprendre « tel personnage jusque- expliquent sur quels creusoises, le même miracle au co- Salon de la biographie, dont la « Naissance d’un destin », qui été aussi soutenu, puisque désor- là pas, peu ou mal traité », elle lonel Roudaire et à son projet de première édition s’est tenue à s’abritent derrière la contestable mais le genre excède largement le n’interdit pas d’entendre le désir critères reposent leurs mer saharienne, à Gérard Dubost, Nîmes du 5 au 7 février. Tout affirmation de François Mauriac : territoire traditionnel des poli- personnel de tel ou tel d’entre- publié par la Société des sciences n’était pas parfait, en effet. Si les « L’enfance est le tout d’une vie, tiques et des princes, des favo- prendre une biographie précise. choix de sujets naturelles et archéologiques de la lectures, organisées par Chantal puisqu’elle nous en donne la clef. » rites et des saints, des hommes de Le cas de Laurent Theis est plus Creuse (146 F à l’ordre de la So- Atlani, étaient de grande qualité et Après un astucieux balancement lettres et des artistes, pour gagner éclairant : auteur d’un Dagobert et d’auteurs ciété CCP Limoges 106 17 S), dont les rencontres avec des bio- Trotsky/Staline, dû à Jean-Jacques celui longtemps négligé des en- (Fayard, 1982) et d’un Clovis le projet de fertilisation des graphes, dans les Arènes, très plai- Marie, dernières illustrations en trepreneurs et des hommes d’af- (Complexe, 1996) qui font réfé- chotts, pour être resté un mirage, santes, la « grande librairie de bio- date de ce déterminisme, John Ken- faires, Michelin ou Rothschild, Ci- rence, il prépare un Robert le est inattendu, obscur ou décrié, méritait qu’on en fît l’histoire. graphies », répartie en plusieurs nedy et Richard Nixon, tous deux si- troën ou Renault... Pieux à paraître cet automne. Si plus le biographe gagne à être Reste à comprendre le succès stands, toujours dans les Arènes, gnés de Claude Moisy (208 p. et Maître reconnu du domaine, les deux premiers titres furent le surprenant (ainsi avec François constant d’un genre aux réalisa- était un peu en désordre, avec en 192 p., 89 F chacun). D’autres Fayard est certainement avec Per- fruit de commandes d’éditeur, Furet convainc-t-il Jean-Denis tions si inégales. Est-ce encore le évidence des travaux mineurs et adoptent le parti pris de se limiter à rin l’éditeur le plus investi sur ce c’est lui qui a proposé de traiter le Bredin d’écrire son Joseph Cail- rattrapage d’un ancien retard de bien caché le Proust de Painter, par un angle de vue, comme les brefs que la logique commerciale roi de l’an mil. Le médiéviste a laux pour Hachette) ; il arrive, l’édition française ? La facilité exemple. volumes de la collection « Curri- commande de considérer comme sauté sans état d’âme le pas qui plus rarement, que l’auteur soit toujours plus grande à trouver Quant au colloque au Carré culum », dirigée chez Liana Levi un créneau. Directeur littéraire de fait un biographe : « Sortir des ca- pressenti sans qu’aucun sujet ne des signataires, puisque même les d’art, les 5 et 6, autour de la ques- par Emmanuelle Thoumieux- la maison de la rue des Saints- tégories habituelles, écrire pour un soit encore envisagé – on mise politiques postulent (Séguin, Bay- tion biographique, il était un peu Rioux ; dernier titre, Toutankha- Pères, Denis Maraval justifie la autre public, plus large » que celui alors sur la plume du biographe rou, Lang, Sarkozy) ? chaotique. Des interventions re- mon, de Patricia Rigault (156 p., production de ce type spécifique qu’il connaissait jusque-là, pour magnifier le sujet de son Le plébisciste doit corres- marquables – en particulier celles 78 F [11,89 ¤]), en attendant un pro- d’approche par la nécessité de c’étaient autant de défis faits choix. Un tiers des titres naissent pondre à une perception mar- des biographes Alain Buisine, metteur Greta Garbo, de Jean La- « faire le truchement entre des his- pour séduire un universitaire suf- cependant de la démarche in- chande très stricte. Fort mal re- Jean-Luc Steinmetz, Jacques couture, inaugurant pour l’occa- toriens de métier et le public, fisamment atypique pour modi- verse : on lui a proposé ainsi di- présentée dans le catalogue des d’Hondt ou de Françoise Gaillard sion la possibilité de coédition (à composé aussi d’universitaires et fier les règles du jeu si l’intelli- rectement un Maurepas comme livres au format de poche, la bio- (sur Sartre et le biographique) – paraître fin mai). de chercheurs ». La parution ce gence du sujet le demande. un Louis XII qu’il va prochaine- graphie est un objet clairement étaient noyées dans des tables Même subjectivité pour Chris- mois d’un Saint Augustin (de Aujourd’hui éditeur chez Plon, il ment publier. identifié en librairie, un solide ar- rondes prenant parfois des allures tophe Pincemaille chez Payot, qui Serge Lancel), d’une Espagne de distingue deux cas de figure : Il semble donc qu’il y ait moins gument de cadeau, comme de de conversations anodines. Cela traite de prévisibles figures de Philippe II (de Joseph Pérez) et deux tiers des biographies qu’il des règles que des usages, qui compte-rendu pour tous les sup- dit, les questions soulevées ont proue d’un point de vue qu’il en- des premiers volumes de monu- publie sont des commandes où le n’épargnent pas au lecteur des ports critiques, qui ne résisterait montré la pertinence de l’initiative tend surprenant : un Edouard VII à mentales biographies de Zola (par sujet arrêté conduit à débaucher textes mal troussés, signés d’au- bien que dans son format origi- et fourni des thèmes pour de nom- paraître bientôt permettra d’en ju- Henri Mitterand) et Beaumar- l’auteur adéquat, avec quelques teurs contestables sur des sujets nel. breuses années à venir. ger. Rien de très neuf en revanche, chais (par Maurice Lever) donne usages paradoxaux – plus le héros peu folichons. Mais, à l’inverse, Ph-J. C. Josyane Savigneau toujours chez Payot, dans la collec- une idée de l’industrie. Pour la tion « Biographie » confiée à So- douzaine de titres qu’il publie phie Bajard, au vu du premier titre, chaque année, Denis Maraval Henri VIII. Le Pouvoir par la force, commande le plus souvent l’ou- de Bernard Cottret (464 p., 150 F La biographie, un genre encore littéraire ? [22,86 ¤]). Rien de révolutionnaire vrage une fois le sujet arrêté ; il s’agit de convaincre « l’auteur le non plus dans le parti pris de Bel- plus qualifié et le plus compétent, iographe, est-ce un mé- constituent des questions qui fois étranges. Ainsi, un seizièmiste un certain moment de sa relation fond, qui ouvre sa nouvelle collec- historien de métier, de franchir le tier, une vocation ? Et la semblent s’être dissipées. reconnu, Frank Lestringant, auteur avec le sujet, la posture du bio- tion, « La vie amoureuse », par un pas de la biographie ». Si l’on en biographie littéraire est- On écrit donc des biographies. de plusieurs essais sur cette graphe : ainsi de Michel Surya à François Ier. Le Chevalier de l’amour, B signé Claude Dufresne (264 p., croit le nombre de récidivistes elle un genre défini par Les éditeurs passent commande, un période, a-t-il dû renoncer à un propos de Georges Bataille (Seguier, (Jean Favier, Jean Tulard, Ivan l’adjectif ou bien un chapitre de œil sur le calendrier des commé- livre sur Agrippa d’Aubigné – deux 1987, et Gallimard, 1992), de Chris- 99 F) : le public n’en attendra que Cloulas ou Michel Duchein), l’édi- l’histoire et de la science des morations, l’autre sur les terrains biographies du poète des Tragiques tophe Bident avec un Maurice ce simple plaisir de lecture et cette teur semble efficace. Bien sûr, œuvres ? Autrement dit, la littéra- encore inexploités. De fait, comme ayant paru récemment – et, faisant Blanchot (Champ Vallon, 1998) qui saveur parfois épicée de l’anecdote cette façon de procéder suppose ture doit-elle contenir la biographie le remarquait Alain Buisine − lui- un long saut hors de ses compé- pose, jusqu’à l’une de ses extrêmi- qui ont ruiné la réputation du qu’on se donne du temps – «cinq comme l’une de ses nombreuses même auteur, notamment, d’un tences d’origine, écrire une vie... tés, la question de la validité du genre aux yeux des universitaires, ou six ans en moyenne », précise demeures, ou accepter d’être, par Verlaine (Tallandier, 1995) et d’un d’Alfred de Musset, excellente au geste biographique, ou encore, avant qu’ils n’y sacrifient parfois. Maraval, qui « essaie de travailler elle, à partir d’une extériorité Pierre Loti (idem, 1998) – lors d’un demeurant (Flammarion, 836 p., dans le domaine de l’érudition ma- Somme toute, les seuls cas réel- en amont et d’anticiper sur les oc- neutre, regardée, jaugée, appro- colloque à Cerisy, en août 1990 sur 169 F [25,76 ¤]). De même, Marie- niaque, d’une sorte de connais- lement notables au rang des nou- chée ? « Le biographique », « on assiste Anne Lescouret, après des biogra- sance totalisante du sujet, de Jean- veautés sont les premières investi- Le développement récent et (...) à un phénomène fort symptoma- phies de Rubens (J.-C. Lattès, 1990) Jacques Lefrère avec son Isidore gations méthodiques sur les grands considérable de la biographie litté- tique : depuis quelque temps les et d’Emmanuel Levinas (Flamma- Ducasse (Fayard, 1998). Raconter la contemporains. Mais, là, l’historien raire en tant que catégorie édito- meilleurs spécialistes universitaires rion, 1994), vient-elle de publier un vie d’un écrivain, c’est, non pas se est plus réservé que le journaliste, riale, d’une certaine façon, répond de tel ou tel écrivain, après lui avoir ouvrage sur Goethe (Flammarion), cacher derrière son sujet, mais faire qui s’attache moins aux politiques, à ces questions. En les annulant. consacré depuis des décennies dont on fête cette année le œuvre en son propre nom. En ce hypothétiques futurs grands du Car, du côté des éditeurs, la de- maintes analyses idéologiques, esthé- deux cent cinquantième anniver- sens, la démarche de Sartre écri- XXe siècle, qu’aux hommes de mande est forte, pressante, à la me- tiques, stylistiques, littéraires, dé- saire de la naissance (1749). Ce qui vant L’Idiot de la famille représente lettres et aux artistes. La rapidité sure de celle, supposée ou réelle, cident de couronner leur effort cri- dessine, pour le moins, un curieux une sorte de point limite ou de mo- d’exécution requise, comme la ca- des lecteurs. Ainsi, sous cette pres- tique par une biographie (...). Après itinéraire. « L’art du biographe dèle absolu du geste biographique. pacité de synthétiser intelligem- sion, la biographie peut, de quel- toute une vie d’exclusive attention à consiste dans le choix », pensait Finalement, au-delà des ques- ment, expliquent moins cet écart que manière, s’affranchir de la litté- l’écriture, le critique littéraire n’a Marcel Schwob... tions de méthode et d’intérêt, en que le corpus requis. rature, aussi bien comme art que maintenant d’autre empressement Bien sûr, si le « désir biogra- marge du débat sur l’utilité ou la lé- Un fonds privé livré pour la pre- comme problématique. Raconter, que de devenir le grand biographe phique » apparaît souvent aléatoire gitimité des approches biogra- mière fois, le tour professionnel de avec plus ou moins de bonheur, la de son écrivain ». Il y a là, bien sûr, et induit par la demande éditoriale, phiques de la littérature, une ques- l’investigation, la garantie de la vie d’un écrivain n’est pourtant pas un désir légitime de reconnais- rien n’empêche qu’il naisse et aug- tion demeure, une question que non-ingérence des héritiers ou un geste neutre, qui n’engagerait sance, dont la voie est tracée par mente à la lumière de l’écrivain fré- tous ces gros livres – on est loin des ayants droit, et les conditions sont que le savoir-faire, la méthode et la les éditeurs. Mais il y a aussi, de la quenté. Si l’on doit s’interroger sur merveilleuses Vies brèves de l’un réunies pour la réussite de ces bio- compétence de celui qui l’ac- part de ceux qui ont les instru- ce désir, on ne peut, de cette inter- des créateurs du genre, l’Anglais du graphies « pionnières » qui ont ré- complit. La théorie littéraire d’un ments pour y réfléchir, un déficit de rogation, déduire un jugement a XVIIe siècle John Aubrey – ne de- cemment permis de mieux côté − dont le reflux après l’en- pensée sur la nature et les implica- priori sur le travail accompli. De vraient pas occulter : celle des fi- connaître Marguerite Yourcenar, gouement pour les sciences du tex- tions du geste biographique. plus, il est des cas où le désir, mal- gures possibles du biographe, écri- Michel Foucault ou Marguerite Du- te dans les années 60 et 70 est Les conséquences de ce déficit et gré tout, commande, où c’est la vain de l’ombre certes, mais auteur ras. Chance en partie refusée à Fer- net −, et de l’autre le rapport in- du passage de l’étude universitaire connaissance intime et préalable à part entière. nand Braudel ou Roland Barthes. time, personnel, avec une œuvre, spécialisée à la biographie sont par- qui conduit celui qui va prendre, à P. K . Ph-J.C. LeMonde Job: WIV0799--0012-0 WAS LIV0799-12 Op.: XX Rev.: 18-02-99 T.: 08:05 S.: 111,06-Cmp.:18,08, Base : LMQPAG 37Fap:100 No:0084 Lcp: 700 CMYK

XII / LE MONDE / VENDREDI 19 FÉVRIER 1999 actualités b L’EDITION FRANÇAISE Khalil Gibran, les prophéties d’un esthète b Ramsay. Reprise en novembre 1998 par le distributeur-diffuseur A l’occasion des diverses manifestations organisées par l’Institut du monde arabe autour du Liban, une importante exposition a été Vilo, la maison de littérature générale – fondée en 1976 par consacrée à l’écrivain et peintre, tandis que les éditions Arfuyen publient une belle traduction de ses poèmes arabes Jean-Pierre Ramsay – redémarre ses activités en se concentrant ésitant entre la pein- et voyage à travers le Moyen- devenant une figure singulière sont vagues et abstraits, mais non la mièvrerie, du plaisir sans sur la fiction, les essais, les docu- ture et la littérature, Orient et l’Europe, avant de rega- des cercles d’esthétique et de dépourvus de grandeur et de amour, un éloge de la folie ments et les ouvrages de cinéma. Gibran (1883-1931) se gner Boston où sa mère meurt. réflexion politique liés au monde générosité. Son manuel de d’amour, de l’absolu, mais aussi Entouré notamment de Françoise fit d’abord connaître Ses peintures (1), de style préra- arabe et à l’Europe. Dès 1918, il sagesse n’est donc pas encore du corps et des sens, sublimés par Sansom, Zeline Guéna et Chantal commeH artiste, à Paris et à phaélite, sont exposées, tandis publie en anglais The Madman, écrit – il est vrai qu’une première l’âme et par la vie naturelle où Terroir, Jean-Claude Gawsewitch New York avant la première qu’il découvre les œuvres de recueil de fables morales (2). Et, version avait été esquissée en l’individu perd toute attache au – qui dirige la maison – prévoit guerre mondiale. Il cherchait à Nietzsche et de Walt Whitman. avant que le Prophète, en 1923, ne arabe dès 1898 –, à son retour au monde : « As-tu comme moi pris la de publier de 30 à 35 livres par exprimer une sensualité lyrique, Grâce à l’aide d’une admira- fasse de lui un homme célèbre, il Liban on peut dire qu’une même forêt / pour maison, refusé les an. Par ailleurs, c’est Ramsay qui où la nudité et l’angélisme se trice, Mary Elizabeth Haskell, qui compose en 1919, un long poème inspiration guide ses poèmes où palais ? » sortira dans la collection « Coup confondaient curieusement dans sera l’une de ses nombreuses égé- en arabe, Les Processions, où sont sont préfigurés les dialogues édi- René de Ceccatty de gueule » le pamphlet de des paysages tourmentés, inspirés ries (la dernière, une intellectuelle présents les grands jalons de sa fiants, mais aussi parfois para- Dominique Jamet intitulé Mon- de son Liban natal. Mais c’est syro-libanaise vivant en Egypte, « philosophie ». doxaux : dès qu’un moralisme (1) L’Institut du monde arabe en a pré- sieur le Président... Je vous fais une avec son livre, Le Prophète, qu’il May Ziadé, perdra la raison à la rigide menace, l’écrivain dilet- senté un certain nombre lettre. En contrat chez Plon, il connut une notoriété internatio- mort de Gibran), il s’installe à LIVRE-CULTE tante se ressaisit dans des élans (2) Le Fou, traduit par Anis Chahine, s’était vu signifier par Olivier nale peu commune : dès sa sortie Paris, en 1908, où il rencontre On peut voir que sont déjà en lyriques. Mille et Une Nuits, no 126, 1996. Orban que sa lettre ouverte chez Knopf à New York, en 1923, Rodin et des peintres pompiers place les obsessions du futur Comme Salah Stétié qui a tra- (3) Ed. La Renaissance du livre (160 p., n’était – malgré une relecture sur Le Prophète rencontra un succès qu’il va admirer et imiter. Son moraliste : défiance à l’égard des duit (de l’anglais) et remarquable- 245 F.). Le volume contient une cen- épreuves par des avocats – « pas inattendu, confirmé par d’innom- œuvre picturale, désormais inspi- passions, mais aussi de tout mani- ment présenté Le Prophète (3), taine d’illustrations en couleurs, publiable » en raison de son brables traductions. rée de William Blake, mais aussi, chéisme, refus des religions insti- Adonis consacre un poème-pré- œuvres de Gibran, documents photo- caractère diffamatoire et inju- Immigré d’origine chrétienne et hélas, de Puvis de Chavannes et tuées, affirmation mais aussi face aux Processions que vient de graphiques, fac-similés et reproduc- rieux envers Jacques Chirac. de langues arabe et anglaise, Kha- d’élèves de Gustave Moreau, est redéfinition polémique de la traduire avec lui (de l’arabe) Anne tions de peintures admirées par l’écri- b Joëlle Losfeld récupère ses lil Gibran fut élevé par sa mère disparate. Son admiration pour liberté, retour à la nature dans la Wade-Minkowski (4). Un lecteur vain. Il existe des traductions auteurs. Jean-François Lamu- seule, venue avec lui et ses autres Léonard et Michel-Ange le lignée de Thoreau et de Whitman, attentif appréciera la beauté françaises du Prophète dans la quasi- nière – président-directeur géné- enfants aux Etats-Unis, à Boston, conduit à un néoacadémisme principes de fraternité, mise en (française) de vers simples et totalité des collections de poche. ral de Payot-Rivages – a cédé, quand il a une douzaine d’années. déconcertant, tandis que ses cause des systèmes politiques et justes, où s’expriment une ironie Citons, notamment, celles d’Anne « pour un montant raisonnable », Le père, marchand de moutons, essais, nouvelles, poèmes, cri- législatifs, horreur des conven- désenchantée (« Tu vois quelqu’un Wade-Minkowski en « Folio », de l’intégralité du fonds et des copy- est resté au pays. A l’âge de tiques littéraires, articles et pro- tions et des apparences, des biens de sobre et de vigilant, étonne-toi ! Guillaume Villeneuve en « Mille et rights de Joëlle Losfeld à Hugues treize ans, il rencontre un esthète, verbes se ressentent d’une sorte matériels, du travail aliénant, du / La lune va-t-elle prendre refuge Une Nuits », de Jean-Pierre Dahdah en de Saint-Vincent qui dirige les le photographe et éditeur Fred d’exaltation humaniste, œcumé- familialisme, célébration d’un sous une nuée gonflée de pluie ? »), « Librio » et en « J’ai lu », de Camille éditions Mango où elle est entrée Holland Day, avec lequel il entre- nique, libertaire, antinationaliste, pansensualisme sous le contrôle une critique virulente des Aboussouan en « Points ». comme directrice littéraire en tient une amitié passionnée et qui anticonformiste qui lui vaut les de la raison et du respect mutuel. accommodements de la religion (4) Le Livre des Processions, traduit de décembre 1998 (voir « Le Monde le photographie dans des atti- foudres de l’Eglise maronite. Gibran n’a toutefois pas encore (« Celui qui aspire au Paradis éter- l’arabe et commenté par Anne Wade- des livres » du 22 janvier). Payot- tudes d’éphèbe évanescent et Il commence par écrire en arabe le ton évangélique qui fera de son nel est un ignorant : / Il craint de Minkowski et Adonis, éd. Arfuyen, Rivages garde en revanche la trouble. Il s’initie à la peinture et à à New York où il s’établit défini- Prophète un livre-culte, à vrai dire voir le feu s’enflammer. »), de la bilingue, 35, rue Le Marois, jouissance d’une vingtaine de la poésie, mais retourne au Liban tivement dans la 10e Rue, en 1910, intemporel, tant ses principes loi, de la force, de la veulerie, de 75016 Paris, 96 p., 95 F. titres en poche. Joëlle Losfeld s’est déclarée « ravie » du bon bbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbb déroulement des négociations qui ont abouti le 5 février. b Lecture et culture. Catherine A L’ETRANGER Trautmann, ministre de la culture et de la communication, qui fait Missoula via Saint-Malo de la lecture des jeunes et de leur accès à la culture écrite « l’une ichel Le Bris en rêvait depuis plusieurs 27 février à Missoula. Michel Le Bris y animera d’abord Le Chacal va à Madrid des priorités de l’action de son années : jumeler Saint-Malo avec Mis- une conférence intitulée « Quand la Californie était ministère », vient de confier à soula, petite ville paumée au fin fond du française... », inspirée des recherches qu’il a menées Andrew Wylie, dit « Le Chacal », le plus redouté des agents cette fin une mission d’expertise Montana – Etats-Unis –, 40 000 habi- pour la rédaction de son roman Les Flibustiers de la littéraires américains, va ouvrir un bureau à Madrid pour et de réflexion à Danielle Taesch, tants,M cinquante écrivains résidents. Réaliser un parte- Sonore, évocation de l’épopée des insurgés de la révolu- s’attacher des auteurs espagnols et surtout d’Amérique latine. conservateur général des biblio- nariat entre le festival Etonnants Voyageurs et la ville- tion de 1848 dans l’Ouest californien (Flammarion, voir Il représente déjà de nombreux auteurs japonais (grâce à un thèques, directrice des biblio- légende, Q.G. symbolique (nombre d’entre eux vivent à « Le Monde des livres » du 12 décembre 1998), puis il partenariat avec l’agence Orion), et bien entendu des grands thèques municipales de Mul- mille kilomètres de là, dans le Wyoming ou le Nouveau- sera reçu par Mike Kadas, maire, Robert Sims Reid, écrivains anglais ou américains comme Philip Roth, Salman house. C’est en septembre que Mexique) des écrivains américains inclassables, rudes écrivain et shérif, Susan Talbot, consul honoraire. A Rushdie, Saul Bellow, Norman Mailer, Oliver Sachs, Martin cette dernière devrait remettre à buveurs et amoureux fous des grands espaces, parmi l’issue de cet accord, conclu aussi avec l’Université de Amis ou David Mamet, ainsi que des écrivains décédés, de John Mme Trautmann un ensemble de lesquels Jim Harrison, Thomas McGuane, Rick Bass, Missoula, ses professeurs (Lois Welch pour la littérature Cheever à Jorge Luis Borges, William Burroughs, Allen Gins- propositions. Dan O’Brien, James Crumley, Larrie Brown, et les contemporaine, Maureen Kernow pour la littérature berg, André Malraux ou . b Nouvelle collection. Après Indiens Louis Owens, James Welch, Sherman Alexie, française), Saint-Malo accueillera en mai prochain (du avoir développé une ligne de tex- Louise Erdrich. Réunir les pionniers – de tous horizons, 20 au 24) certains des auteurs présents lors de la signa- b GRANDE-BRETAGNE : la poésie au féminin tes classiques sous la direction de de Redmond O’Hanlon à Salman Rushdie, de Hanif ture des accords (Robert Sims Reid, Jon Jackson, James Les deux principaux postes voués à la poésie en Angleterre, René Khawam, les éditions Kureishi à Ben Okri – d’une littérature aventureuse, les Crumley, Kevin Canty), tandis qu’une « semaine fran- celui de Poet Laureate – qui a été refusé par Tony Harrison, L’Esprit des péninsules lancent maîtres de la « world fiction » qui assument d’être de çaise » sera organisée l’an prochain à l’Université de laquelle a adressé un poème à la fois virulent et cocasse à la « Péninsules arabes », une collec- plusieurs cultures à la fois, écrivains des cinq continents, Missoula. Pour son anniversaire, le festival Etonnants reine Elisabeth, publié par le quotidien The Guardian – et la tion consacrée à la littérature et les forcenés de la pêche à la truite, les ranchers, gar- Voyageurs organise par ailleurs cette année un jume- direction littéraire de poésie chez l’éditeur Faber & Faber sont arabe contemporaine. Dirigée diens de moutons, ex-cow-boys de rodéo, prospecteurs lage avec le centre culturel français de Sarajevo, dirigé à pourvoir. Le premier qui consiste à faire office de poète offi- par François Zabbal et Jabbar de pétrole, charpentiers... tous ces mavericks, indomp- par Francis Bueb : une trentaine d’écrivains, de journa- ciel de la Cour est surtout honorifique et, compte tenu des Yassin Hussin, les premiers titres tés, écrivains de la nature et de la bourlingue. listes, d’étudiants, d’enseignants seront les invités de aventures de la famille royale, peu facile à tenir ; le deuxième sont : Le Saignement de la pierre, Ce sera chose faite cette année, à l’occasion des dix Saint-Malo durant une quinzaine de jours. en revanche est nettement plus important. L’un comme l’autre d’Ibrahim Al-Khoni, Villes sans ans de Saint-Malo. Un accord sera conclu les 25 et Jean-Luc Douin ont toujours été tenus par des hommes, mais deux femmes palmier, de Tarek Eltayeb, et Un sont candidates : Carol Ann Duffy et Jo Shapcott. lieu nommé Komeit, de Najem bbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbb Wali. b Moisson de prix b Prix littéraires. Le prix Saint- b LES 26 FÉVRIER, 5 ET 75003 Paris, tél. : 01-44-54-53-00). Le prix Juan Rulfo d’un montant de 30 000 F (45734,73¤) a été Valentin a été remis pour la pre- AGENDA 12 MARS. CERVANTES. A Paris, b DU 2 AU 13 MARS. JEUNESSE. décerné par Radio France International au jeune écrivain mière fois, lors de la deuxième Le Loup du faubourg propose une A Bordeaux, la librairie Comptines chilien Marcelo Leonart. Le prix de littérature pour la jeunesse édition du Saint-Valentin Film b JUSQU’AU 30 JUIN. DELERM. lecture de L’Ingénieux Hidalgo Don et la médiathèque Les Colonnes de de l’American Library Association a été attribué au livre de Festival de Luchon (Haute- A Paris, le Petit-Hébertot propose, Quichotte de la Manche, de Miguel Blanquefort organisent, à l’occa- Louis Sachar, Holes, qui raconte l’histoire d’un adolescent Garonne). Il a été attribué à Vir- dans une mise en scène de France de Cervantes, par Denis Bolusset sion de leur vingtième anniversaire, condamné pour un crime qu’il n’a pas commis. L’action se situe ginie Despentes pour Les Jolies Jolly, une lecture-spectacle du – accompagné par la chanteuse rencontres, expositions et spec- dans un centre de détention. L’écrivain de science-fiction, Choses (Grasset). texte de Philippe Delerm : La Pre- Maria Licata et la flûtiste Ernestine tacles. L’évolution de la littérature Anne McCaffrey, a reçu le Margaret Edwards Award pour mière Gorgée de bière et autres Bluteau (21, rue de la Roquette, pour la jeunesse fera plus parti- l’ensemble de son œuvre. Le Prix de la paix Erich Maria plaisirs minuscules (78 bis, bd des 75011 Paris, réservations au 01-40- culièrement l’objet de débats les 10 Remarque doté de 12 700 euros a été attribué cette année au RECTIFICATIF Batignolles, 75017 Paris, réserva- 21-90-95). et 11 mars (rens. : Centre régional romancier iranien Huchang Golchiri, l’un des initiateurs de tions au 01-44-70-06-69). b LE 26 FÉVRIER. LORAND GAS- des lettres d’Aquitaine, 139, bd du l’appel de 134 intellectuels signé en 1994 en faveur de la liberté b La dernière ligne de l’article de b LE 22 FÉVRIER. BANDE DES- PAR. A Paris, le Centre d’étude Président-Wilson, 33200 Bor- d’expression et de la création d’une association littéraire indé- Michel Contat sur le livre de SINÉE. A Paris, Vincent Hein pré- des poétiques de l’université Paris- deaux). pendante en Iran. Nadine Fresco, Fabrication d’un sentera la singularité du travail de XII organise un colloque sur antisémite (« Le Monde des Jean-Christophe Menu, éditeur de Lorand Gaspar, sous la direction livres » du 12 février), au sujet de bandes dessinées (à 19 h 30, biblio- de Jérôme Thélot (salle des thèses Paul Rassinier parlait de son thèque publique d’information, de l’université Paris-XII, Créteil, « dévouement catastrophique », et tipi, piazza du Centre Georges- rens. : Daniel Lançon, 1, cours de non de son « dévoiement » Pompidou, 75004 Paris). l’Armorial, 37000 Tours, tél./ fax : 02-47-61-89-94). b LES 27 ET 28 FÉVRIER. MÉDI- TERRANÉE. A Antibes, les Troi- sièmes Journées du livre méditer- ranéen seront l’occasion de rencontres, spectacles, expositions et animations pour les enfants. L’Italie et la littérature italienne seront à l’honneur (chantier naval Opéra, 06600 Antibes, tél. : 04-93- 74-99-86). b LE 2 MARS. LECTURE. A Paris, la Maison de la poésie organise une lecture du Conclave du Chauvet, de Laurent Jaffro par Jeanne Balibar (à 20 h 30, 157, rue Saint-Martin,