Litteratures Essais
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
LeMonde Job: WIV0799--0001-0 WAS LIV0799-1 Op.: XX Rev.: 18-02-99 T.: 06:45 S.: 111,06-Cmp.:18,08, Base : LMQPAG 37Fap:100 No:0073 Lcp: 700 CMYK LITTERATURESb ESSAIS VENDREDI 19 FÉVRIER 1999 PRÉHISTOIRE LA BIOGRAPHIE La Chronique de Historique, typologie, problèmes Roger-Pol Droit juridiques, Salon... Enquête sur un page VII genre qui ne cesse de susciter l’engouement EDUARDO MANET pages X et XI le Feuilleton JEAN RISTAT LEONARDO SCIASCIA GABRIEL TARDE de Pierre Lepape page II page III pages IV et V page IX bbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbb Walser, la volonté d’impuissance Romans ou petites dans les rues des villes, et, avec plus Retour dans la neige, constituent le pre- teux, pour candide plutôt que complète- cent gueux préférés », ajoutait Benja- d’insistance, sur les chemins de traverse mier volume des proses publiées entre ment retors, pour plutôt droit que courbe min. Rappelons également que Kafka proses, les livres de d’une campagne transfigurée. 1899 (Walser avait alors vingt et un ans) et pour malheureusement plutôt insigni- prisait beaucoup l’écrivain suisse, qu’il Dès lors, comment peut-il se faire et 1929 (date de son internement dans fiant qu’important et considérable. » lisait en éclatant de rire. l’écrivain suisse de que le charme étrange consigné et dé- un établissement psychiatrique, qui ne Toujours les oppositions... Ces guirlandes et ce rire ne doivent ployé dans toutes ces pages agisse tou- prendra fin qu’à sa mort, le jour de Univers enchanté aussi, rédimé par cependant pas faire oublier le caractère langue allemande jours ? Quelle est cette voix inimitable Noël 1956), dans des journaux et revues la volonté d’impuissance, que la mé- pathétique des écrits de Robert Walser, i l’on devait qualifier le qui, tout en modulant le même air sans et dont seule une partie fut reprise en chanceté et la malignité ont déserté. et singulièrement de toutes ces pages sont autant de voyages monde de Robert Walser, il faudrait prestige apparent, parvient à maintenir Chez Walser, le « prince du de prose qui semblent jetées au vent, Savoir recours aux catégories élémen- le lecteur sous un tel enchantement Patrick Kéchichian monde » est charmant, prime- comme un appel. « Dans un certain dans un monde taires et paradoxales dont il use lui- qu’il en redemande, ravi, ne se lassant sautier. Il tient son pouvoir de sens, nous sommes tous meurtris, nous ne même à satiété, fondant sur elles, jamais ? volumes par l’écrivain. En association dénier tous les pouvoirs. Mais il reste faisons que nous habituer à passer outre féerique aux contours comme sans y penser, une esthétique et Les trois livres qui paraissent au- avec les Archives Walser de Zurich, les un prince, comme Walser lui-même cette réalité trop délicate, qui au quoti- une morale existentielles : le petit et le jourd’hui rassemblent des courtes éditions Zoé projettent ainsi de tra- auquel la littérature donne des ailes ! dien ne peut être tolérée et qui, par d’une inquiétante grand, le bon et le méchant, le doux et proses – d’une page à une dizaine – de duire l’ensemble de ces textes. Marie, Walter Benjamin notait, en 1929, que conséquent, ne doit pas exister. » le violent, le puissant et le fragile, le Walser. Le premier, Les Rédactions de enfin, est un bref récit datant de mai « la guirlande est le modèle de ses Le lecteur, séduit, se surprend à ré- candeur. Un univers riche et le pauvre... Tous les livres de Fritz Kocher, réunit trois ensembles 1916. phrases ». « L’idée qui les traverse en va- pondre à cet appel. Walser, et ses l’écrivain suisse de langue allemande, composés et publiés par l’écrivain en Y aurait-il deux Walser ? L’auteur des cillant est un fainéant, un gueux et un gé- « gueux », devient son semblable, son aux pouvoirs romans ou petites proses, sont des 1904 (Les Rédactions), 1913 (Petits Essais) romans, qui publia entre 1906 et 1909 nie, comme les héros des proses de Wal- prochain. « Le fou » n’est plus un voyages, ou plus exactement des pro- et 1914 (Histoires). Certains des textes de trois livres répondant à cette appella- ser. Il ne sait du reste montrer que des étranger, mais un frère. Avec son profil étrangement menades dans ce monde de contrastes ce volume, comme l’admirable « Kleist tion – Les Enfants Tanner, Le Commis et “héros”, incapable de se détacher du bas, son humilité définitivement or- mystérieusement réconciliés. Monde à Thoune », avaient déjà été traduits L’Institut Benjamenta, traduit par personnage principal, et s’en est tenu à gueilleuse, Walser touche à l’universel. enchanteurs féerique et pourtant naturel, dont l’in- par Jean-Claude Schneider (Sur quel- Marthe Robert dès 1960, chez Grasset ses trois romans précoces pour ne vivre quiétante candeur, au lieu de nous pro- ques-uns et sur lui-même, Gallimard, –, auxquels il faut ajouter Le Brigand, désormais que dans la fraternité de ses (1) Tous chez Gallimard. jeter dans un au-delà inconsistant, « Arcades », 1993). Les vingt-cinq tex- écrit en 1925, mais publié de manière nous ramène incessamment ici-bas, tes regroupés sous le titre de l’un d’eux, posthume (1). Au moins trois autres ro- mans furent détruits par l’écrivain. Le LES RÉDACTIONS RETOUR DANS LA NEIGE second Walser serait celui des quelque DE FRITZ KOCHER Proses brèves, I mille cinq cents courtes proses suivi de de Robert Walser. commandées ou acceptées par les jour- HISTOIRES Traduit par Golnaz Houchidar, naux berlinois et suisses, puis parfois et de PETITS ESSAIS préface de Bernhard Echte. rassemblées en recueils : contes, fables, (Fritz Kochers Aufsätze. Ed. Zoé (Genève, diff. Harmonia histoires, rêves éveillés, fantaisies auto- Geschichten. Aufsätze) Mundi), 144 p., 98 F (14,94 ¤). biographiques, « essais » – mais il ne de Robert Walser. faut pas se laisser troubler par ce mot, Traduit de l’allemand MARIE l’essayiste n’étant pas moins fantaisiste (Suisse) par Jean Launay. de Robert Walser. que l’écrivain. A l’exception des Rédac- Gallimard, Traduit par Jean Launay tions de Fritz Kocher, qui sont juste anté- « Du monde entier », (bilingue). rieures aux romans, les autres livres de 342 p., 130 F (19,81 ¤). Ed. du Rocher 96 p., 34 F (5,18 ¤). proses ont été publiés – jusqu’en 1925 – après la période romanesque. Cette séparation est pour une bonne part artificielle. Si l’on prend les ro- mans, on peut aisément détacher des pages qui ressembleraient alors, comme des sœurs, aux proses. A l’in- verse, il n’est pas difficile d’imaginer les courtes histoires de Walser dévelop- pées jusqu’à devenir des romans. En fait, l’écrivain semble n’avoir aucun souci de la forme, encore moins du ro- man en tant que tel ; plus précisément, il néglige d’y penser. En ce début de siècle où l’esthétique romanesque va connaître une profonde révolution, il reste à l’écart. Robert Musil, l’un des te- nants de cette « révolution », avait per- çu cette marginalité ; il écrivait en 1914 que, au « jeu littéraire », Walser substi- tuait un « jeu humain, plein de souplesse, de rêverie, de liberté et qui offre toute la richesse morale de ces journées d’oisiveté, inutiles en apparence, où nos convictions les plus fermes se défont en une agréable indifférence ». Négligence. Indifférence. Oisiveté. L’écriture de Walser paraît obéir à ces injonctions d’une existence livrée à elle- même, abandonnée à « un indicible quelque chose ». L’obéissance est d’ail- leurs la plus constante de ses tenta- tions : ce qui donne à l’existence walsé- rienne une bien singulière figure... Pourtant, derrière cette paresse, ce va- gabondage permanent qui ne veut souffrir aucune contrainte, sinon celle qu’il a librement consentie, une voix se compose, un style s’élabore, savam- ment aérien, un monde vient au jour. Monde inquiétant disions-nous, à force de frôler la folie, de déraisonner avec entrain et enthousiasme. Les autopor- traits abondent, qui montrent « le fou ». Celui-ci, dans Marie : «Je me tiens moi-même pour un type plutôt bon, ROBERT WALSER ARCHIV ROBERT WALSER bête, honnête que mauvais, malin et dou- LeMonde Job: WIV0799--0002-0 WAS LIV0799-2 Op.: XX Rev.: 18-02-99 T.: 08:14 S.: 111,06-Cmp.:18,08, Base : LMQPAG 37Fap:100 No:0074 Lcp: 700 CMYK II / LE MONDE / VENDREDI 19 FÉVRIER 1999 le feuilleton de Pierre Lepape b elle, la nostalgie n’est pas son fort : elle espère. Espérer, D’AMOUR ET D’EXIL c’est aussi savoir que le pire peut arriver. Le triomphe d’Eduardo Manet. du cynisme, le délayage de la révolution dans le Grasset, 280 p., 126 F (19,21 ¤). tourisme et la prostitution et même le retour en arrière, au temps où Cuba était le bordel de luxe des Etats- rand théologien du XIIe siècle, salué comme Unis, surveillé par des maquereaux galonnés et sangui- le nouvel Augustin, originaire, on ne sait naires. Berta prend ce risque-là, celui du futur, insépa- trop, de Saxe, de Lorraine ou de Flandres, La Havane rable de tout projet. Elle s’y sacrifie. Et Manet est aussi mais installé à Paris, Hugues de Saint-Victor avec elle, comme il est avec Leonardo. L’exil, c’est aussi Gécrivait : « Raffiné est l’homme pour qui la patrie est ce va-et-vient de la conscience et du cœur et l’impossi- douce, courageux celui pour qui tout sol est une patrie, bilité de faire cesser ce mouvement. mais parfait est celui pour qui le monde entier est un Eduardo Manet est un excellent auteur de théâtre. exil. » Saint-Victor aurait pu préfacer le dernier roman Les soixante-huitards et leurs vieux parents se d’Eduardo Manet.