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LE MONDE DES LIVRES VENDREDI 2 NOVEMBRE 2001 LITTÉRATURE ET ROCK NOUVEAUX ANNÉES 1940 DICTIONNAIRE CULTUREL EDGAR MORIN pages II et III ÉCRIVAINS MEXICAINS Nationalistes bretons et affairistes DES SCIENCES La Méthode 5 page VII La prochaine génération monégasques Pour l’égalité des valeurs est en marche à l’heure de entre les savoirs page IV la tentation scientifiques et culturels nazie page VI a page V Romans du rock La collaboration dans tous ses états mu au rang SS de Brigadeführer, général de division. Ecouté des plus Retour sur le diplomate hautes instances nazies, il passe le plus clair de son temps à Berlin Otto Abetz et l’écrivain entre janvier et avril 1942. Ces lon- gues escapades au cœur du disposi- Robert Brasillach, tif de décision du IIIe Reich attestent figures du Paris occupé, a eux ouvrages à carac- le rang et l’influence du personnage. tère biographique reviennent sur la Elles sont aussi le signe d’une posi- DFrance de l’Occupation par le biais tion qui se fragilise. Abetz voit, en grâce à de jeunes d’acteurs importants du versant le effet, son étoile pâlir à Berlin. Cette plus noir de son histoire, le diploma- éclipse tient au fait qu’il a manœu- chercheuses exemptes te allemand Otto Abetz et l’écrivain vré pour le retour de Laval sans en La collaboration français Robert Brasillach. Le pre- avoir informé Ribbentrop. Ce der- du « regard français ». mier, œuvre d’une historienne autri- nier ne l’oubliera pas. Il a beau res- chienne, prend pour centre de gravi- serrer la collaboration avec Laval et Instructif té les années sombres, quand Abetz aggraver la persécution antisémite était à son zénith. Le second, qu’on en poussant à l’introduction de doit à une universitaire américaine, l’étoile jaune en zone occupée, son lective les traits d’un diplomate dis- place le curseur sur le début de l’an- discrédit s’accentue. tingué, marié à une Française, qui se née 1945, quand sonne l’heure des Convoqué et retenu à Berlin à la serait efforcé d’atténuer les violen- comptes pour Brasillach. Ces fin de 1942, il ne regagne Paris qu’un ces hitlériennes. L’ouvrage de Barba- regards, à la fois savants et exté- an plus tard pour négocier dans une ra Lambauer tord le cou à cette rieurs, utiles pour dépasser nos phase de tension extrême avec bluette en livrant toutes les pièces débats franco-français, attestent aus- Vichy. Cette ultime tractation, par d’un dossier fort lourd. Elle prend si qu’a vécu la biographie classique, laquelle il obtient que Pétain et ainsi le contre-pied d’Eberhard Jäc- qui déroulait sans accroc le fil d’une Laval restent en place, est son chant kel, qui, dans La France dans l’Euro- vie dont tous les moments étaient du cygne. Confiné après août 1944 pe de Hitler, paru en 1968, avait cam- équivalents. dans la surveillance du gouverne- pé Abetz en francophile et exécu- Né en 1903, Otto Abetz milite tôt ment fantoche de Sigmaringen, il tant de second ordre. Elle y a eu dans les mouvements de jeunesse n’est plus qu’un ambassadeur in par- d’autant plus de mérite qu’Abetz allemands. En 1930, il contacte à tibus pratiquant une caricature de ayant été, par sa fonction, mêlé à a Paris Jean Luchaire, briandiste con- collaboration. En décembre 1944, il toutes les facettes de la collabora- vaincu, animateur de Notre temps, est destitué non sans que Hitler lui tion, le chantier était immense. Avec où écrivent Pierre Brossolette et décerne peu après une haute distinc- une fougue contenue et une experti- Jean Prévost. Des rencontres entre tion. Arrêté en octobre 1945, il est se indiscutable, Barbara Lambauer jugé en juillet 1949 à ruine des représentations qui pas- Laurent Douzou Paris. Il a voulu, plai- saient du baume sur les plaies des Edgar Morin, de-t-il, « limiter les mémoires allemande et française. dégâts dans la mesure Avec pour toile de fond la même jeunes des deux pays s’ensuivent. En du possible ». Son avocat ne con- période et un même souci d’éclairer 1934, Abetz quitte son emploi de vainc pas en arguant « qu’il n’était un destin individuel, l’ouvrage professeur de dessin à Karlsruhe qu’un petit personnage dans la dépen- qu’Alice Kaplan, professeur de litté- pour un poste d’expert en questions dance étroite de chefs puissants et rature à Duke University, consacre à KEYSTONE françaises au bureau Ribbentrop. féroces ». Condamné à vingt ans de Brasillach emprunte à une veine Otto Abetz (au centre) quittant l’Hôtel du Parc, à Vichy Tout en s’alignant sur la doctrine prison, il rédige des Mémoires où per- composite et plus intuitive. L’auteur nazie, il cultive ses relations dans les ce une nostalgie irrépressible pour le rappelle, à grands traits et avec aux caciques du Front populaire muniste, on saura finalement peu de mythe ? Précisément non. Une figu- cercles intellectuels parisiens. Fin régime nazi. D’actifs réseaux font talent, le parcours de ce normalien (avec une haine recuite contre Geor- choses. Reste le procès lui-même. re exclusivement célébrée par sa 1935, le Comité France-Allemagne campagne pour sa libération. En devenu critique littéraire de L’Action ges Mandel et Jean Zay, qui seront Brasillach y tient la dragée haute à famille d’extrême droite, ce qui est voit le jour. La séduction dont use avril 1954, c’est chose faite. Jusqu’à française, puis rédacteur en chef de assassinés). Il vomit la République, l’accusation : « Je ne puis rien regret- bien le moins. Il est des mots qui Abetz touche ses limites en juin sa mort accidentelle, en 1958, il ten- Je suis partout. Prisonnier de guerre «vieille putain agonisante, garce véro- ter de ce qui a été moi-même. » Son tuent toute potentialité de mythe, 1939 quand, perçu comme l’agent tera de réhabiliter son image. en 1940, il est libéré en avril 1941 sur lée, fleurant le patchouli et la perte avocat se trompe de plaidoirie, aussi sûrement que les balles d’un d’influence qu’il est, on le déclare De fait, ce dignitaire du IIIe Reich, l’intervention d’Abetz. Le pamphlé- blanche». Mais le nœud du projet brillant quand il eût fallu convain- peloton d’exécution, tels ceux que persona non grata en France. qui excella à porter les couleurs taire devient un des hommes les d’Alice Kaplan est de reconstituer le cre. Quant à la pétition rédigée pour Brasillach écrivit au lendemain des Nommé ambassadeur d’Allema- nazies en affectant de s’en distan- plus en vue de la collaboration. Il procès de Brasillach clos par une réclamer la grâce de Brasillach, à grandes rafles de l’été 1942 quand il gne en août 1940, il revient à Paris cier, conserve dans la mémoire col- s’en prend violemment aux juifs, condamnation à mort exécutée le 6 l’initiative de Jean Anouilh, Marcel proclama la nécessité de « se séparer par la grande porte. Il veut rallier b février 1945. Elle s’intéresse donc à Aymé et François Mauriac, on sait des juifs en bloc et de ne pas garder de l’opinion française à la collaboration ses protagonistes, disséquant posi- que le général de Gaulle décida de petits ». et manipuler en souplesse le gouver- extrait tions et itinéraires individuels du pro- ne pas y céder. Il s’en justifia, de nement de Vichy, où Laval joue la cureur général et de l’avocat de Bra- façon elliptique quoique transparen- OTTO ABETZ ET LES FRANÇAIS carte allemande. L’ambassadeur tis- « … je dirai que je n’étais pas germanophile avant la guerre, ni même sillach, sondant les jurés. Pour évo- te, dans ses Mémoires de guerre,à de Barbara Lambauer. se patiemment sa toile, y prenant au début de la politique de collaboration ; je cherchais seulement l’inté- quer ces seconds rôles négligés, propos des écrivains condamnés à Fayard, 902 p., 30 ¤ (196,80 F). syndicalistes, patrons, acteurs politi- rêt de la raison. Maintenant, les choses ont changé; j’ai contracté, me l’auteur use de techniques à mi-che- mort : « S’ils n’avaient pas servi direc- En librairie le 6 novembre. ques et culturels. Le renvoi de Laval, semble-t-il, une liaison avec le génie allemand, je ne l’oublierai jamais. min des approches historique et tement et passionnément l’ennemi, je homme-univers le 13 décembre 1940, porte un coup romanesque. Partie sur leurs traces commuais leur peine, par principe. INTELLIGENCE Qu’on le veuille ou non, nous aurons cohabité ensemble ; les Français à cette stratégie collaboratrice au de quelque réflexion, durant ces quelques années, auront plus ou avec de maigres indices, elle furète Dans un cas contraire – le seul –, je ne AVEC L’ENNEMI plus haut niveau sans qu’Abetz relâ- moins couché avec l’Allemagne, non sans querelles, et le souvenir leur dans les archives privées et publi- me sentis pas le droit de gracier. Car, Le procès Brasillach che son jeu politico-culturel. Il tou- en restera doux. Les malheurs allemands ne sont pas précisément nos ques, sollicite les souvenirs de leurs dans les lettres, comme en tout, le (« The Collaborator. che à tout, apportant son concours malheurs et la patrie française a les siens, mais je ne sais d’où vient proches et sillonne leurs quartiers talent est un titre de responsabilité. » The Trial and Execution à la Légion des volontaires français, que ce sont des malheurs plus fraternels que ceux d’un autre pays. Le éventrés un peu à la façon du Modia- Alice Kaplan, qui ne cèle rien des of Robert Brasillach ») demandant, de son propre chef, que sentiment est là maintenant et si l’on veut savoir ce que je suis, il faut no de Dora Bruder, du Rouaud des monstrueuses pages noircies sous d’Alice Kaplan.