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26 EXPOSITION L’héritage du paysagisme d’Ant

Sise entre Parme et Modène, célèbre l’un de ses plus illus- tres citoyens, Antonio Fontanesi (1818-1882). Parfois surnommé «le Corot italien», c e paysagiste déli- cat et singulier a longtemps vécu à Genève. Dans la Botte, il a aussi marqué plus d’un artiste. A raison!

La Solitudine (1875). Du pur Fontanesi: clairs-obscurs entre ciel nuageux et terre sombre, luminosité diffuse, arbres et personnage esseulés. © Musei Civici di Reggio Emilia.

ans sa ville natale, Reggio Emi- l’ayant précédé – de Giotto à Tiepolo, grand talent. «Père de beaucoup de D lia, Antonio Fontanesi est une «une épidémie de génies», selon Paul fils et fils de nombreux pères», dé- gloire régionale au même titre que Le Veyne –, il est souvent déprécié mal- clara justement D’Annunzio au sujet Corrège – oooh, les voluptés du doux gré de récentes réévaluations, comme de Fontanesi. Corrège! – et L’Arioste, poète de l’Or- l’ont démontré la spectaculaire expo- Cet artiste solitaire est en effet un lando Furioso, best-seller de la Re- sition sur le romantisme aux Gallerie point d’articulation singulier qui, naissance. De même l’Italie, sa patrie d’Italia, en face de la Scala, ou celle en sans être révolutionnaire ou cardinal, d’origine, dont ce peintre romagnol cours aux Musei San Domenico de permet de passer de certains peintres souhaitait l’unité, engagement payé Forlí, non loin de Reggio Emilia, sur anciens à d’autres plus modernes au prix fort d’un nomadisme fruc- l’Ottocento. sans qu’il soit réductible à aucun tueux (voir encadré page 28), le con- d’entre eux. Cela fait son originalité naît et l’apprécie. VASTE INFLUENCE «et ne le rend pas aussi aisément clas- Mais peut-être la péninsule transal- Quoi qu’il en soit, l’exposition des sifiable que de prime abord», estime pine n’est-elle pas pleinement cons- Musei Civici de Reggio Emilia, placée Elisabetta Farioli, également direc- ciente de son importance, pour ne sous la responsab ilité d’une triade de trice des Musei Civici. rien dire du reste de l’Europe... Pour- commissaires, Virginia Bertone, Eli- L’intitulé de cette mostra, soucieuse quoi donc? La faute en partie à la ré- sabetta Farioli et Claudio Spadoni, a d’exactitude et intelligemment faite,

DÉCOUVERTE putation picturale du 19e siècle ita- l’insigne mérite de relever le legs hau- est une invite à prendre la mesure de lien: en regard des siècles fabuleux tement estimable de ce paysagiste de l’importance de cet artiste à travers AI 2019 16 M 26-29_expo_Fontanesi_EM20.qxp_Mise en page 1 13.05.19 15:18 Page27

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ver», écrivit purement et simplement Volpedo à son ami Angelo Morbelli, autre très bon divisionniste (brève et belle rétro à l’occasion des cent ans de sa mort aux Galleria d’Arte Mo- derna de jusqu’au 16 juin). Une salle, la plus éclatante de l’accro- chage, indique l’influence directe de Fontanesi sur la génération d’artis- tes qui le talonna: le recueillement émouvant de Novembre se ressent comme le point de convergence entre Vittore Grubicy de Dragon, Volpedo et Mor belli, soit la crème du postim-

pressionisme italien. Il n’y a jamais © Fondazione Torino Musei - Galleria d’arte Moderna. de hasard. Et ici beaucoup de beautés grâce à de délicats coloris violets, des remarquable pastel sur le château de Il mulino (vers lumières diffuses, des touches sym- Chillon, dont on voit une reproduc- 1858). Douceur bolistes. tion photographique à Reggio Emi- vespérale drapée dans un silence lia, un aperçu qui se dévoile comme apaisant. EXILÉ À GENÈVE un songe de beauté. Et, probable- Comment situer Fontanesi? «Même ment, une imprégnation assez pro- si on le connaît assez bien, il y a en- fonde d’un Etat alors sous la coupe core beaucoup à dire sur lui», jauge radicale, ce qui devait correspondre Elisabetta Farioli. «Et à découvrir», à la sensibilité politique «progres- ajoute Ilaria Campioli, spécialiste de siste» de l’artiste en exil. la photographie et membre du co- «Même si l’on en sait peu sur sa vie mité scientifique de privée, hormis un cet événement. No- «Père de beaucoup caractère changeant, tamment sur son sé- avec des hauts et des jour au Japon et ses de fils et fils de bas, selon son élève et l’influence qu’il exerça: Antonio Fon- quinze ans passés à nombreux pères.» biographe Marco Cal- tanesi et son héritage. Celui-ci est im- Genève qui, «étrange- derini, il semble que pressionnant. Il va de Pellizza da Vol- ment, ne lui a jamais consacré d’ex- Fontanesi ait eu un chagrin d’amour pedo à Alberto Burri en passant par position alors qu’il y tissa nombre à Genève. Durant sa période suisse, Carlo Carrá et Felice Casorati pour de relations. Notamment avec les il a surtout travaillé son art et voya- ne rien dire de la foule d’avis positifs peintres François Diday et Alexandre gé», souligne Ilaria Campioli. Malgré d’historiens de l’art dont l’immense Calame, le philhellène Jean-Gabriel l’appel de métropoles comme et Roberto Longhi, pourtant guère ten- Eynard, qui lui commanda une série Londres, où il admire Turner et Cons- dre avec l’Ottencento. de vedute, des vues de sa propriété à table, et l’attrait de l’école de Barbi- Beaulieu, ou encore Victor Brachard», zon, qu’il fréquente (Corot, Millet, PEINTRE SOLITAIRE un nom qui évoque la papeterie Bra- Troyon, etc.), le Romagnol à l’âme Fameux pour son icône ouvrière Il chard, adresse bien connue des Ge- bucolique et itinérante préfère rester Quarto Stato, Volpedo, «bien plus nevois. quinze ans sur les bords helvétiques connu que Fontanesi en Italie», poin- En effet, Fontanesi a laissé plus d’une du Rhône. «Il peint aussi en Savoie et te Elisabetta Farioli, est la figure de trace dans la cité du bout du lac Lé- dans le Dauphiné, aux alentours de proue du postimpressionisme italien man. De belles lithographies sur la Crémieu, Morestel et Optevoz, aux nommé, de l’autre côté des Alpes, du vieille ville. Un album sur Genève, côtés de son ami François-Auguste terme bien plus précis de division- Promenade pittoresque par A. Fonta- Ravier.» Avant de retourner en Italie nisme. «Fontanesi m’aida à me trou- nesi, paru à des fins touristiques. Un et de tenter l’ave nture au Japon (voir 26-29_expo_Fontanesi_EM20.qxp_Mise en page 1 10.05.19 11:16 Page28

28 Reggio Emilia, Genève, , ... 1818 Antonio Fontane- ans d’amitiés, de travail et de voyages en Suisse, en et si naît le 23 février à à Londres. En 1859, prend part à la seconde guerre d’indépen- Reggio Emilia. dance qui débouche sur le royaume d’Italie. Septième enfant d’une 1861 A , participe à la première exposition nationale famille pauvre. A 14 ans, de l’Italie souveraine. Rencontre les Macchiaioli (littéralement: il s’inscrit à l’école com- «les tachistes»), des pré-impressionistes transalpins. munale des beaux-arts. 1865 Quitte la Suisse et garde des liens avec ses amis gene- Un professeur, Prospe- vois. S’établit à Florence. Professeur à Lucques, puis un poste ro Minghetti, le sou- important à l’Académie Albertina de Turin (1869). tient. 1870-1875 Malgré des critiques souvent acerbes, i l rencontre Années 1840 Scéno- le succès avec ses toiles majeures, Aprile et Bufera imminente, graphe au théâtre com- dans des expositions de taille à Turin et Vienne. munal. Fréquente le Ca- 1876-1878 A Tokyo, il est l’un des premiers Occidentaux à en- fé dei Svizzeri où se réu- seigner la peinture européenne. Au Japon, il semble avoir laissé nissent artistes et intel- une empreinte qu’on devine encore difficilement. «Dans sa BD © Musei Civici di Reggio Emilia. lectuels favorables aux Les gardiens du Louvre, le grand auteur Jiro Taniguchi fait figu- idéaux du Risorgimento et à l’unité de l’Italie. rer Corot et... Fontanesi!», révèle Ilaria Campioli. 1848 «Printemps des peuples»: l’Europe s’enflamme. Il s’enga- 1882 Rentré malade d’Extrême-Orient, il décède le 17 avril à ge dans l’armée piémontaise contre l’Empire d’Autriche. Echec Turin. Dernières années amères: sentiment d’incompréhension militaire. Comme d’autres, il s’exile. artistique et d’abandon. 1850 S’établit à Genève. Vit au n°18 de la Grand-Rue, dans le 1901 La IVe Biennale de Venise le sort d’un oubli relatif. «Heu- même imm euble que l’écrivaine anglaise George Eliot. Quinze reux l’artiste qui naît une fois mort», disait Fontanesi. n TK

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© Fotografo: Enrico Rossi/Musei Civici Reggio Emilia

p. 28). Genève, cité au cœur de l’Eu- sité), petites pensées’», sourit Elisa- tons) – une mélancolie diffuse harmo- Un aperçu de rope, dans une Suisse qui est elle- betta Farioli. nisée par un sentiment de solitude l’exposition même une sorte de pays-carrefour au Fo ntanesi manifesta aussi un intérêt prégnante. Antonio Fontanesi e la sua ereditá. centre du Vieux Continent. Il y a là pour les découvertes scientifiques sur une donnée géograph ique qui parti- la couleur et l’optique dues au chi- RÉALISME CLAIR-OBSCUR A gauche cipe du destin de Fontanesi, paysa- miste français Chevreul. Cela le dé- Si les chiaroscuri de Fontanesi, son Ingresso di un tempio a giste certes d’origine italienne, mais marqua des Macchiaioli, un mou- sens turnérien des atmosphères et Tokyo (1878). finalement peintre très européen qui, vement toscan pré-impressionniste, son réalisme à la Courbet, qui l’ap- grâce à un parcours cosmopolite, avec lesquels il entra en contact sans préciait au demeurant beaucoup, re- échappa au provincialisme étouffant pour autant qu’on puisse l’assimiler gardaient du côté de l’école de Barbi- qui menaçait alors les beaux-arts de à Giovanni Fattori et co nsorts. Com- zon, son paysagisme est avant tout le son pays natal. me les impressionnistes français, «les fruit solitaire d’une veine remarqua- Macchiaioli estimaient que certaines blement fluide, un rien symboliste et, LUMIÈRE POUDRÉE choses ne s’apprennent pas, qu’elles une fois de plus: sans surcharge pic- Parti du paysagisme (pour y demeu- se ressentent comme de la poésie pu- turale. rer), «un style de peinture perçu com- re, tandis que Fontanesi pensait que Cette singularité, telle un point d’af- me secondaire au 19e siècle», rappel- l’une et l’autre ne se contredisent pas», firmation artistique, à l’image de son lent de concert Eli- remet en perspective personnage esseulé de La Solitudine, sabetta Farioli et Ila- Un paysagisme Elisabetta Farioli. un de ses chefs-d’œuvre les plus si- ria Campioli, Fonta- clair-obscur, au Alors, Fontanesi, élec- gnificatifs, fait qu’il ne peut se réduire nesi n’a cessé d’évo- tron libre d’un Otto- à un Corot, auquel on l’a souvent com- luer sans qu’une pé- réalisme atmosphé- cento plus européen paré, qui serait venu d’Italie. Le mot riode de sa peinture rique, fluide, un qu’italien? Oui. Dans de la fin sera donc forcément provi- ne prenne vraiment zeste symboliste. son œuvre, il y a un soire. Il vient de la plume du maestro le dessus sur les au- lointain souvenir des Roberto Longhi: «Une exposition de tres. Ce qui est marquant, c’est sa vo- leçons de la peinture hollandaise. Mais Fontanesi à côté de Corot serait la lonté de ne jamais finir complète- dans ses toiles, où la lumière pou- seule à résister». Osons cet ajout: «...et ment ses toiles. S’il admirait la pein- dreuse provient toujours de l’arrière à faire plus que rivaliser». n ture hollandaise, il devait en appré- de ciels brouillés ou en partie nua- Thibaut Kaeser cier plus les atmosphères que le souci geux, on n’observe point de préciosi- Antonio Fontanesi e la sua ereditá. Da Pe- de la minutie. «Il n’aimait pas ce qui tés à s’en abîmer la rétine. S’impose lizza da Volpedo a Burri. Reggio Emilia, Pa- est trop précis et détaillé. Pennelli pic- d’abord un cadre pastoral sans idéa- lazzo dei Musei, via Spallanzani 1. Ma-ve: coli, pensieri piccoli, disait-il: ‘Petits lisation habité d’une poignée de per- 10h-13h, sa-di: 10h-19h. En juillet, ma-ve: pinceaux (pour l’idée de méticulo- sonnages et d’animaux (bœufs, mou- 21h-23h, sa-di: 10h-19h. Jusqu’au 14 juillet.