Jaouad Agudal- Enjeux Et Usages Sociaux De L'espace Bidonvillois
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
OPERIS Revue d’études thématiques en sciences humaines Vol. 1- N°1- Espace public & société Enjeux et usages sociaux de l’espace bidonvillois Agudal Jaouad Doctorant, FLSH, Mohammedia-Casablanca, Maroc C.E.D: Espaces, Sociétés et Cultures. F.D : la sociologie des mutations sociales et développement. Introduction Au Maroc, la colonisation a changé profondément la configuration de la ville traditionnelle. Avant le protectorat (1912-1956), la population marocaine était majoritairement rurale et les principales villes étaient peu peuplées1. À partir des années1930 et 1942 la population des villes s’accroît considérablement à cause de l’exode rural. Devant des flux migratoires intensifs, la médina, principale forme urbaine précoloniale, se trouve incapable d’absorber les nouveaux citadins. Ainsi, apparaissent des bidonvilles et avec eux des nouvelles logiques d’occupation de l’espace de la ville. L’occupation de l’espace urbain de la ville à l’époque coloniale suit des logiques différentes. Si les villes nouvelles font objet d’une politique urbanistique et architecturale bien définie, les médinas et les bidonvilles se développent à la marge des normes établies2. Pour la médina, l’attitude des pouvoirs coloniaux est justifiée par la nécessité de respecter l’éthos des populations autochtones/musulmanes3. L’objectif est seulement d’empêcher sa croissance4. Quant aux bidonvilles, l’action 1 Montagne, R. Révolution au Maroc. Rabat : Université Mohammed V-Agdal. Publications de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, 2015 2 L’aménagement des nouveaux espaces en faveur des citadins marocains n’a eu lieu qu’à partir de 1946 avec l’architecte Michel Ecochard. 3Cette politique s’inscrit dans le sillage de la politique générale adoptée par le résident général Luis Hubert Gonzalve Lyautey. Selon cette conception, il vaut mieux respecter les traditions et les coutumes des populations autochtones dans les différents aspects de la vie, y compris l’aménagement. Voir dans ce cadre Rachik, A. Ville et pouvoirs au Maroc. Casablanca : Editions Afrique Orient, 1995 4 Khatibi, A. Chemins de traverse : essais sociologiques. Rabat : université Mohammed V-Agdal. Publications de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, 2002 1 OPERIS Revue d’études thématiques en sciences humaines Vol. 1- N°1- Espace public & société des autorités coloniales consiste à organiser uniquement leur expansion et non pas leur éradication5. Au lendemain de l’indépendance (1956), l’’Etat marocain redéfinit sa politique à l’égard des bidonvilles suite aux émeutes urbaines qu’a connues plusieurs villes. Les émeutes de 1981, 1984, 1990 ont poussé les pouvoirs publics à revoir profondément la politique et la planification urbaine6. Dans ce contexte socio-politique tendu, les Programmes de Développement Urbain (PDU) sont adoptés. Ils ciblent trois villes: Rabat, Kenitra et Meknès. Ces programmes conçus pour restructurer in situ et réhabiliter les bidonvilles avaient des effets indésirables: la création d’autres poches de bidonvilles, le morcellement des baraques pour que les membres du ménage bénéficient des titres fonciers ou pour vendre les baraques aménagées à une clientèle de plus en plus croissante. Les pouvoirs publics se trouvent alors incapables de contrôler cette dynamique et revoient à chaque fois leurs modalités d’action et le nombre des ménages attributaires. Nous montrerons, dans cet article, comment l’articulation des dynamiques globales et des locales restructure la configuration des enjeux à l’échelle d’un bidonville situé à la périphérie de la ville de Meknès. Par l’analyse des modalités d’occupation et d’appropriation de l’espace bidonvillois, nous montrerons comment l’ordre social établi fait objet de contestation, de manipulation et de redéfinition permanente de la part des acteurs sociaux. La situation géographique du bidonville Nzala Raddaya 5 Benzakour, S. Essai sur la politique urbaine au Maroc 1912-1975.Casablanca : Les éditions maghrébines, 1978, p. 95 6 Rachik, A., op. cit. 2 OPERIS Revue d’études thématiques en sciences humaines Vol. 1- N°1- Espace public & société Nzala Source : goolemaps : 28.03.2015 1. Dynamique de l’action publique et dynamique de l’espace bidonvillois Au lendemain de l’indépendance, les bidonvilles préoccupent manifestement les pouvoirs publics. La fin des années 1970 atteste de l’émergence d’une action publique claire à l’égard de ces territoires. Dans le cadre d’un partenariat entre les pouvoirs publics et la Banque Mondiale trois PDU furent mis en place7.L’objectif fut la restructuration in situ et la réhabilitation des bidonvilles ciblés. La volonté d’éradiquer les bidonvilles fut renforcée avec la création de l’Agence Nationale de lutte contre l’Habitat insalubre (1984) et la mise en place du gouvernement de l’alternance (1998-2002)8. Cette tendance se renforce par l’adoption du Plan National de lutte contre l’Habitat Insalubre (2001), du Programme Villes sans Bidonvilles (2004) et de l’Initiative Nationale de Développement Humain (2005). Malgré les efforts déployés pour éradiquer les bidonvilles, ces derniers persistent dans bien de villes. Le Programme Villes sans Bidonvilles (PVB) avait pour but leur éradication à l’horizon de 2010. Il vise à fournir un logement décent aux 270.000 ménages bidonvillois. Ce nombre atteint, après actualisation, 380.714 ménages. Sur un total de 85 villes concernées, seulement 55 villes sont déclarées villes sans bidonvilles. Les dynamiques propres à ces territoires constituent, entre autres, les principaux facteurs explicatifs des retards enregistrés. Les baraques émergent ici et là et le nombre de ménages bidonvillois suit la même cadence. Ainsi, un programme 7Dans ce cadre, trois Projets de Développement Urbain ont été mis en place dans : douar Douma à Rabat, Saknia à Kenitra et Bordj Moulay Omar et Sidi Baba à Meknès. 8 Navez-Bouchanine, F, dir. Effets sociaux des politiques urbaines. L’entre-deux des politiques institutionnelles et des dynamiques sociales. Paris : Editions Karthala, 2012 3 OPERIS Revue d’études thématiques en sciences humaines Vol. 1- N°1- Espace public & société censé éradiquer les bidonvilles produit paradoxalement des effets émergents9. Il nourrit chez des catégories sociales démunies, et parfois chez des catégories moyennes, l’espoir d’accéder à la propriété du logement. La ville de Meknès figure parmi les premières villes marocaines touchées par les bidonvilles. Depuis les années 1930 ces derniers ne cessent de gagner l’espace urbaine de la ville. Si le principal bidonville, Borj Moulay Omar, a fait objet des tentatives de recasement depuis, une politique plus claire n’a été formulée à l’égard des bidonvilles de Meknès qu’en 1980. Deux bidonvilles furent ciblés par le PDU: Borj Moulay Omar et Sidi Baba. Ces deux bidonvilles regroupent à eux seuls 42. 197 habitants sur une population bidonvilloise totale de 69. 997 habitants. Ce programme ambitieux n’a pas pu résorber tous les bidonvilles de la ville. Il a même encouragé l’émergence des petits et moyens bidonvilles. Pour cette raison, les pouvoirs publics ont adopté en 1990 un autre projet pour recaser et reloger les habitants de ces bidonvilles. Il s’agit de l’opération Marjane. Lors de son inauguration en 1992, le roi Hassan II a affirmé que cette opération doit éradiquer définitivement les bidonvilles de la ville ismaïlienne (Meknès). Cette opération avait comme objectif le recasement et le relogement de 4031 ménages. Bidonvilles existants avant l’opération Marjane Source : évaluation des politiques publiques en matière de résorption de l’habitat insalubre : le cas de Meknès (p.56) Après cette opération le nombre des bidonvilles dans la ville a été réduit significativement sans qu’ils disparaissent définitivement. 9 Boudon, R. 2004. La place du désordre. Paris : Quadrige : puf, 2004 4 OPERIS Revue d’études thématiques en sciences humaines Vol. 1- N°1- Espace public & société Bidonvilles existants après l’opération Marjane Source : évaluation des politiques publiques en matière de résorption de l’habitat insalubre: le cas de Meknès (p. 68) Dans le cadre du PVB, le contrat de la ville a concerné les trois communes urbaines de la ville : Meknès, Toulal et Ouislane. L’objectif est l’éradication des bidonvilles à l’horizon de 2006. Le nombre total des ménages concernés est 7110 environ. En 2007, 5.539 ménages habitant les baraques ont bénéficié des opérations de recasement sur un nombre total de 7.278 ménages, ce qui correspond à un taux de résorption de 76 %. En 2013, le taux d’avancement du recasement des ménages concernés par le PVB au niveau de la ville dépasse 87%. Cette difficulté de mettre terme aux bidonvilles dans la ville renvoie à la dynamique propre à ces territoires (la prolifération des baraques et des ménages, la résistance des bidonvillois à la démolition de leurs baraques lorsqu’il s’agit de leur déplacement loin du centre de la ville), au statut du foncier/ site d’accueil (terres collectives, terres militaires, terres d’Etat, terres privées) et à la diversité des opérateurs concernés par la construction des unités d’habitation et le relogement/recasement des habitants (Al Omrane, E.r.a.c Centre Sud d’Aménagement et Construction Meknès, Agence de Logement et d’Equipement Militaire). Si la ville de Meknès figure parmi les villes les plus avancées dans la résorption des bidonvilles, certaines poches y persistent encore, dont Nzala Raddaya. Ce bidonville est considéré par les responsables locaux comme un « point noir », un refuge des guetteurs, des opportunistes et des nomades urbains10. Avant qu’il soit 10 Selon la déclaration d’un responsable dans le département de la politique de la ville. 5 OPERIS Revue d’études thématiques en sciences humaines Vol. 1- N°1- Espace public & société surpeuplé, le bidonville abrite peu de ménages. Un enquêté natif du douar affirme que le nombre de ménages était seulement 36 ou 40 environ. Les principales habitations étaient des maisons en dur. L’apparition des baraques et l’arrivée des nouveaux ménages remontent aux années 1990 suite à la mise en place de l’opération Marjane.