8HISTOIRE VIVANTE LA LIBERTÉ VENDREDI 6 JUIN 2014 Coupe du monde: la folie des grandeurs FOOTBALL • Des budgets exponentiels, une surenchère extrême entre pays candidats, des scandales de corruption… Comment le Mondial en est-il arrivé là? L’analyse du professeur Alfred Wahl, spécialiste de l’histoire de la FIFA.

PROPOS RECUEILLIS PAR DÉTRÔNER PASCAL FLEURY Le budget global de la LA FIFA? Coupe du monde, qui La FIFA pourrait- tournait autour de elle être détrônée 7milliards de dollars par un organisme en 2010 en Afrique du concurrent? «Ce Sud, devrait dépasser problème s’est déjà les 15 milliards au posé en 1999», Mondial du Brésil qui débute dans une se- rappelle l’historien maine, puis grimper à plus de 30 milliards Alfred Wahl. «Une dans quatre ans en Russie et même gicler première menace à 200 milliards au Qatar en 2022! Com- est apparue ment expliquer une telle inflation des lorsque l’UEFA a coûts? Et la Fédération internationale de annoncé qu’elle football association (FIFA) ne devrait-elle pourrait organiser pas changer ses standards pour enrayer le championnat pareille folie des grandeurs? L’historien d’Europe des na- Alfred Wahl, professeur émérite de l’Uni- tions tous les deux versité de Metz et auteur d’une récente ans. Deuxième me- «Histoire de la Coupe du monde de foot- nace: un projet de ball» 1, nous livre son analyse. Entretien. création par un groupe privé d’un Les budgets des Coupes du monde ne championnat d’Eu- cessent de gonfler. Votre explication? rope des grands Alfred Wahl: Lors de la première Coupe clubs champions. du monde en Uruguay en 1930, c’est C’est alors que l’Etat local qui a pris en charge tous les a frais, y compris ceux des équipes partici- lancé le projet d’or- pantes: voyage et séjour. Il a construit un ganiser le Mondial grand stade, le Centenario. Cela s’est ar- tous les deux ans à rêté là. Ensuite, les budgets ont évolué en titre d’avertisse- fonction de deux réalités: la première, en ment. Depuis, le relation avec la montée de la notoriété de danger de concur- l’événement «Coupe du monde», la se- rence semble conde en relation avec le rythme de la La ville de Natal, dans le Nordeste brésilien, s’est équipée pour 190millions de francs d’un stade de 42000 places assises. L’Estadio das écarté.» PFY croissance de l’économie en général. Dunas accueillera 4 matches pendant le Mondial. Surdimensionné pour les clubs locaux, il pourrait devenir un éléphant blanc. KEYSTONE Cette combinaison explique l’évolution du budget: une croissance régulière mais dans des proportions modestes de 1930 à Les dépenses d’organisation pèsent aussi de poser leur candidature. La Suisse tions. En fait, elle en a théoriquement les par exemple, accueille un musée du Mon- 1962, puis un saut quantitatif de 1966 à sur les coûts… (1954), la Suède (1958) ou le Chili (1962) moyens: il lui suffirait de nommer avec dial de 1930, et Joao Havelange l’a qualifié 1998, et une démesure avec le Mondial Depuis trois décennies, des travaux d’in- sont désormais exclus de la compétition soin le collège des personnes appelées à de monument historique du football. de Corée-Japon en 2002, le plus coûteux frastructure sont systématiquement en- à laquelle se livrent les Etats riches de- choisir la fédération organisatrice pour jusqu’alors. Depuis, les chiffres ne ces- trepris par les villes hôtes avant les puis déjà 30 ans. qu’il se prononce selon d’autres critères Au Qatar, on parle de stades démonta- sent de prendre l’ascenseur. Coupes du monde. L’amélioration de l’ac- que financiers… bles, qui pourraient être offerts ensuite à cès aux stades a conduit à la construction «Avec la surenchère, les des clubs nécessiteux. Est-ce réaliste? La hausse des coûts s’explique en parti- d’aéroports et d’autoroutes. Depuis les at- En attendant, des Le Qatar fait feu de tout bois pour conser- culier par la construction de stades tou- tentats du 11 septembre 2001, la sécurité petits pays ne peuvent stades surdimen- ver l’organisation du Mondial de 2022! Il y jours plus luxueux. Les exigences sévères des joueurs et des supporters a aussi été sionnés se mettent à a déjà eu des tentatives plus modestes de la FIFA n’arrangent pas la facture… renforcée. Les joueurs ont droit à une pro- plus être candidats» croupir à peine d’utilisation de stades pour d’autres mani- Elles portent surtout sur la sécurité dans tection rapprochée. Les rencontres impli- ALFRED WAHL quelques années festations, pour amortir les investisse- les stades. Il a fallu d’abord que les stades quent la mobilisation de milliers de poli- après le Mondial. Un ments et permettre la maintenance. Ainsi, disposent de places exclusivement as- ciers équipés de façon coûteuse: hélicop- beau gaspillage… le Stade de France (1998) est partielle- sises censées éviter les mouvements de tères et autres moyens d’intervention. La FIFA ne pourrait-elle pas changer ses On ne peut pas généraliser. Certains ment modulable pour autoriser l’organi- foule. Puis la pose de grilles a été imposée standards pour enrayer cette folie des stades vieillissent naturellement et finis- sation de spectacles de masse. Cela im- pour empêcher toute invasion du terrain L’augmentation des coûts ne s’explique-t- grandeurs? sent par être abandonnés pour leur vé- plique seulement des interventions au bas depuis les tribunes. Solution abandonnée elle pas aussi par le mode d’attribution A priori, vouloir enrayer cette folie des tusté, comme le Silverdome de 1975 à De- des tribunes. Un démontage intégral? A suite à l’écrasement de spectateurs contre des Coupes du monde, qui induit une sur- grandeurs me semble aussi utopique troit (Mondial en 1994). D’autres, édifiés quel coût? J’y vois plutôt une opération de ces grilles. A cela s’ajoutent les normes enchère de la part des pays candidats? que d’espérer freiner la course au profit en des lieux écartés, risquent effective- séduction désespérée de la part du Qatar. I standards pour l’évacuation rapide des Oui, autant sinon plus que pour les Jeux d’un système capitaliste régi par les lois ment de se retrouver sans perspective au- 1 «Histoire de la Coupe du monde de football – stades. Ces exigences n’ont pas empêché olympiques: la concurrence effrénée qui de la concurrence. C’est une course au delà du Mondial. C’est vraisemblable- Une mondialisation réussie», Alfred Wahl, Ed. l’édification de stades à l’architecture ori- sévit pour l’organisation du Mondial gigantisme à laquelle se livrent toutes les ment déjà le cas en Corée et en Afrique du Peter Lang, 2013. Et «FIFA 1904-2004, Le siècle ginale. Comme celui de Séoul, qui rap- conduit à la démesure. Ce qui est grave, grandes firmes vivant, de près ou de loin, Sud. En revanche, certains stades sont de- du football» collectif, Ed. du Cherche Midi, 2004 pelle un cerf-volant de papier et exprime c’est qu’elle interdit désormais à des fé- du football. Pour la contrer, la FIFA de- venus des mythes, illustrant l’histoire du > Voir aussi «La véritable histoire des Coupes du la spécificité culturelle de la Corée. dérations de pays d’envergure modeste vrait réglementer dans toutes les direc- football. Le Centenario de Montevideo, monde», dimanche sur RTS2. Quand la FIFA ne pouvait pas se payer les ballons

La FIFA n’a pas toujours été une fectivement, lors du tournoi final Le véritable boom a finalement eu sur pied une association chargée puissance financière… en Uruguay en 1930, la FIFA a dû lieu en 1950, au Brésil… d’obtenir des actions de propa- Alfred Wahl: La FIFA a été fondée compter sur les ballons fournis Le tournoi final au Brésil en 1950 gande dans les consulats étran- en 1904. Elle regroupait quelques par les équipes qualifiées. Pour la a produit des bénéfices specta- gers pour attirer les touristes aux- fédérations européennes à l’ori- finale, l’arbitre belge, Jan Lange- culaires. Cela s’explique par les quels des excursions étaient gine, dont celle de Suisse. Parmi nus, aurait même tiré au sort le affluences considérables dans les proposées entre les matches. Des ses objectifs premiers transcrits ballon du match entre celui des stades et notamment dans celui timbres et écus ont été émis, des dans ses statuts figurait la création Argentins et celui de l’équipe de Maracana à Rio, construit objets souvenirs ont été estampil- d’une compétition internationale d’Uruguay. Selon la presse, les pour la circonstance avec 150000 lés «Coupe du monde». entre les sélections des fédérations joueurs uruguayens, vainqueurs places. Subitement, la FIFA s’est Les Suisses ne manquaient affiliées. Celles-ci payaient une co- de la Coupe, étaient alors beau- mise à engranger des montants pas d’idées. Pour l’anecdote, la tisation à la FIFA. Mais dans un coup mieux lotis que la FIFA: ils inconnus jusque-là. Le secrétaire corporation des coiffeurs a pro- premier temps, l’essentiel de ses auraient chacun reçu une maison général Ivo Schricker a pu écrire posé –ou imposé –àses clients revenus provenait d’un pourcen- individuelle. Mais après 1930, tout à l’inamovible président Jules Ri- une coupe «match» doublée d’une tage de 1% perçu sur les recettes change pour la FIFA. Les rencon- met: «Nous sommes riches!» friction «spéciale». On voit l’aspect des rencontres internationales. Il y tres de la phase des éliminatoires encore artisanal, avec des profits a cent ans, en 1914, la FIFA déte- deviennent de plus en plus nom- C’est sur cet acquis qu’a eu lieu en plutôt modestes pour l’économie nait en caisse la faible somme de breuses. Et la FIFA peut désormais Au Mondial de 1954 au stade du Wankdorf à Berne, une bagarre 1954 le Mondial en Suisse. L’occa- suisse et la FIFA. On est alors au 3000 florins hollandais. Jusqu’en percevoir un pourcentage de 10% avait éclaté sur le terrain lors du match Hongrie-Brésil. sion de roder de nouvelles sources début des retransmissions télévi- 1932, elle ne possédait ni siège sur les bénéfices du Mondial. A l’époque, la sécurité était encore très amateure… KEYSTONE de financement? sées de l’Eurovision qui révolu- permanent, ni employé. Lors du Mondial en Suisse, le co- tionneront le Mondial. PFY Dès la 2e Coupe du monde, la FIFA mité d’organisation présidé par Lors de la Coupe du monde de commence à faire des bénéfices. que les bénéfices de l’ensemble dio. La presse sportive et les mi- Thommen, également président Histoire vivante Du lundi 1930 en Uruguay, la FIFA n’a On réalise qu’il est possible de des matches internationaux de lieux touristiques en ont aussi pro- de la fédération nationale et vice- au vendredi même pas pu fournir les ballons… faire du profit avec le Mondial… toute l’année 1935. La compétition fité. Ensuite, avec la crise écono- président de la FIFA, a apporté de de 20 à 21 h C’est un récit peut-être légendaire, La Coupe du monde de 1934 en a généré des revenus financiers mique et la guerre, la FIFA a connu nombreuses innovations afin de comme l’histoire de la Coupe du Italie a rapporté 55778 francs inédits, en particulier grâce au ci- des difficultés de collecte. Les af- faire profiter l’industrie touris- Dimanche 21 h 45 Lundi 23 h 30 monde en compte tant. Mais ef- suisses à la FIFA, soit davantage néma et aux retransmissions ra- faires ont repris après 1945. tique et l’économie suisse. Il a mis Radio Télévision Suisse