LES NOUVEAUX REALISTES

Le mouvement Nouveau Réalisme a été fondé en octobre 1960 par une déclaration commune dont les signataires sont , , François DUFRÊNE, Raymond HAINS, Martial RAYSSE, Pierre RESTANY, , Jean TINGUELY, Jacques de LA VILLEGLE ; auxquels s’ajoutent CESAR, Mimmo ROTELLA, puis Niki de SAINT PHALLE et Gérard DESCHAMPS en 1961.

Ces artistes affirment s’être réunis sur la base de la prise de conscience de leur «singularité collective». En effet, dans la diversité de leur langage plastique, ils perçoivent un lieu commun à leur travail, à savoir une méthode d’appropriation directe du réel, laquelle équivaut, pour reprendre les termes de Pierre RESTANY, en un « recyclage poétique du réel urbain, industriel, publicitaire» (60/90. Trente ans de Nouveau Réalisme, édition La Différence, 1990, p. 76). Leur travail collectif: des expositions élaborées ensemble, s’étend de 1960 à 1963, mais l’histoire du Nouveau Réalisme se poursuit au moins jusqu’en 1970, année du dixième anniversaire du groupe marquée par l’organisation de grandes manifestations. Pour autant, si cette prise de conscience d’une « singularité collective» est déterminante, leur regroupement se voit motivé par l’intervention et l’apport théorique du critique d’art Pierre RESTANY, lequel, d’abord intéressé par l’art abstrait, se tourne vers l’élaboration d’une esthétique sociologique après sa rencontre avec Yves KLEIN en 1958, et assume en grande partie la justification théorique du groupe.

Le terme de Nouveau Réalisme a été forgé par Pierre RESTANY à l’occasion d’une première exposition collective en mai 1960. En reprenant l’appellation de « réalisme», il se réfère au mouvement artistique et littéraire né au 19e siècle qui entendait décrire, sans la magnifier, une réalité banale et quotidienne. Cependant, ce réalisme est «nouveau», de même qu’il y a un

1 Nouveau Roman ou une Nouvelle Vague cinématographique : d’une part, il s’attache à une réalité nouvelle issue d’une société urbaine de consommation, d’autre part, son mode descriptif est lui aussi nouveau car il ne s’identifie plus à une représentation par la création d’une image adéquate, mais consiste en la présentation de l’objet que l’artiste a choisi. C’est aussi à Pierre RESTANY que l’on doit d’avoir défendu le Nouveau Réalisme sur la scène internationale face à l’émergence d’un art américain, le , soutenu économiquement par un réseau de galeristes et de collectionneurs. Le Nouveau Réalisme a souvent été présenté comme la version française du Pop art américain. En réalité, il serait plus exact d'observer que, de part et d'autre de l'Atlantique, sont apparus à la même époque des travaux qui rompent avec l'abstraction en utilisant des éléments issus de la réalité quotidienne au sein de collages ou d'assemblages, renouant ainsi avec des pratiques issues du mouvement , mais dans des perspectives très différentes.

• ARMAN (1928, Nice – 2005, E.-U.): Armand Fernandez entreprend des études artistiques à l’École des arts décoratifs de Nice en 1946, puis à l’École du Louvre, à Paris, de 1949 à 1951. Entre temps, il se lie d’amitié avec Yves Klein, rencontré dans un cours de judo : celui-ci introduit Arman auprès du critique Pierre Restany pour former le groupe des Nouveaux Réalistes en 1960. Ses premières peintures, les Cachets, composent des images abstraites à partir d’empreintes d’objets trempés d’encre, jusqu’au jour où il prend conscience que l’objet lui-même peut être encore plus signifiant que son image ainsi reportée. C’est le début de son travail d’Accumulations qui rassemble de grandes quantités d’objets identiques fondus dans du plexiglas. L’accumulation préside au principe de la série des Poubelles, dont certaines parviennent à assumer le rôle de portrait, par exemple celui d’Yves Klein, personnalisé par la présence d’objets bleus. Ce procédé de l’accumulation de déchets est porté à son paroxysme lors de l’exposition du Plein, à la Galerie Iris Clert en 1960 : toujours très proche de son ami Klein, Arman répond ici à l’opération du Vide, exécutée dans la même galerie, deux ans auparavant. Parallèlement aux Accumulations d’objets quotidiens, et à la constitution d’une vaste collection d’art africain, une autre démarche artistique est associée au nom d’Arman : les Colères, actes de vandalisme souvent exécutés en public dont les reliques sont rassemblées pour constituer un tableau. Depuis les années 70, l’art d’Arman s’illustre par la réalisation de sculptures monumentales, comme Long Term Parking, réalisée en 1982 pour le parc de la Fondation Cartier de Jouy-en- Josas, œuvre composée de soixante voitures empilées dans une gangue de béton.

Chopin’s Waterloo, 1962, Morceaux de piano fixés sur panneau de bois, 186x302x48, Centre Georges Pompidou, Paris.

2 • Raymond HAINS (1926, Saint-Brieuc): Raymond Hains entre à l’École des beaux-arts de Rennes en 1945 pour étudier la sculpture, mais n’y reste que six mois, le temps d’y rencontrer Jacques de la Villeglé, autre futur affichiste du groupe des Nouveaux Réalistes. Il commence alors à réaliser des photographies à l’aide de lentilles déformées qui donnent de l’objet une image éclatée. Exposées en 1947, ces photographies constituent sa première exposition personnelle, à la Galerie Colette Allendy, à Paris. Dans les années qui suivent, Hains réutilise ce procédé pour réaliser des films expérimentaux; et c’est à l’occasion d’un tournage en 1949, où il se propose de filmer des affiches collées sur des murs de rues, que naît l’idée de se les approprier. En compagnie de Jacques de la Villeglé, il collecte des affiches publicitaires usées par des mains anonymes dans les rues de Paris. Mais ce n’est qu’en 1957 qu’ils présentent le résultat de leurs trouvailles, toujours à la Galerie Colette Allendy, dans une exposition intitulée Loi du 29 juillet 1881, titre qui fait référence à la législation du droit de l’affichage public. Après la création du groupe des Nouveaux Réalistes en 1960, Hains continue d’exposer des affiches lacérées, en compagnie des affichistes Villeglé, Dufrêne et Rotella. Parallèlement, dès 1959, il récolte des affiches sur leur support d’origine, bois et métal, qui lui permettent d’instaurer un dialogue entre le fond et les couleurs de l’image.

Panneau d’affichage, 1960, Affiches lacérées sur panneau de tôle galvanisée, 200x150, Centre Georges Pompidou, Paris.

• Yves KLEIN (1928, Nice - 1962, Paris) : Bien que ses parents aient été tous deux plasticiens, Yves Klein ne s’oriente pas immédiatement vers une carrière artistique. S’il peint spontanément durant son adolescence, c’est en subordonnant cette pratique à ses autres activités. En 1947, il s’initie au judo, méthode d’éducation intellectuelle et morale visant la maîtrise de soi. À l’occasion d’un de ses premiers cours, il rencontre Armand Fernandez, le futur Arman. En 1952 il part se perfectionner au Japon d’où il revient ceinture noire quatrième dan, grade qu’aucun Français n’a atteint à cette époque, avec l'objectif d'enseigner son art. La Fédération Française de Judo refusant de reconnaître son diplôme, il ouvre en 1955 sa propre école qu’il décore de monochromes. À court d’argent, il la ferme l’année suivante. En 1947, Yves Klein avait également découvert la mystique des Rose-Croix. Dès cette date, il peint des monochromes pour en faire des objets de culte, lit régulièrement la Cosmogonie, texte fondateur de l’ordre qui enseigne la connaissance par l’imagination, considérée comme la plus puissante des facultés humaines. C’est pourquoi en 1958, à la lecture de L’Air et les songes du

3 philosophe Gaston Bachelard, Klein décèle dans cet ouvrage un écho à sa propre pensée. En 1955, il expose au Club des solitaires, à Paris, des monochromes de différentes couleurs, sous le titre Yves, peintures. Il rencontre le critique d’art Pierre Restany : sa carrière de peintre est lancée. En 1957, il entame son «époque bleue», choix de couleur que confirme sa découverte, lors d'un voyage à Assise, des ciels de Giotto, en qui il reconnaît le précurseur de la monochromie bleue : uniforme et spirituelle. Le bleu trouvé par Klein est officialisé en 1960 lorsqu’il dépose le brevet de sa formule sous le nom de l’IKB. À partir de cette date, il devient un artiste de renommée mondiale, ce qui lui permet de co-fonder le Nouveau Réalisme, tout en poursuivant ses recherches personnelles.

Monochrome bleu (IKB 3), 1960, Pigment pur et résine synthétique sur toile marouflée sur bois 199x153, Centre Georges Pompidou, Paris.

• Daniel SPOERRI (1930, Galati, Roumanie) : Daniel Isaak Feinstein, plus tard Daniel Spoerri du nom de son oncle, passe son enfance en Suisse où, très jeune, il se lie d’amitié avec Jean Tinguely. Il commence d’abord une carrière de danseur à Zürich, Paris et Berne où il est danseur-étoile jusqu’en 1957. En 1960, alors qu’il collecte des ferrailles pour Tinguely, il a l’idée de coller les objets rassemblés en vrac sur un support qu’il redresse à la verticale, fixant ainsi dans la durée le dispositif d’un instant dû au hasard. C’est la naissance de ses tableaux-pièges qui, principalement, immortalisent des reliefs de repas, comme c’est le cas pour le Repas hongrois et autres dîners de l'exposition 723 ustensiles de cuisine. Cette entreprise culmine avec l’ouverture d’un restaurant permanent par Spoerri à Düsseldorf en 1968. Parallèlement aux tableaux-pièges, Spoerri développe l’idée de détrompe-l’œil, œuvres dans lesquelles il combine un tableau classique illusionniste, un «chromo», avec des objets ayant pour fonction de démystifier cette image, de la reléguer parmi les objets de la banalité. Daniel Spoerri vit actuellement en Toscane, où il a ouvert sa propre fondation dotée d’un parc de sculptures.

4 Repas hongrois, tableau-piège, 1963, Assemblage , Métal, verre, porcelaine, tissu sur aggloméré peint,, 103x205x33, Centre Georges Pompidou, Paris.

• François DUFRENE (1930/1982 – France): François Dufrêne naît à Paris en 1930. Il adhère au Mouvement Lettriste en 1946. Il se lie d'amitié avec Yves Klein en 1950, puis avec Hains et Villeglé en 1954. Il découvre en 1957 les "dessous" des affiches lacérées par les passants anonymes, constitués par les empreintes que les couches de papier laissent les unes sur les autres. Il les expose dès 1959, notamment à la Première Biennale de Paris. En 1960, il est invité à créer une "Salle d'Art dit Expérimental" au Salon Comparaisons. La même année, il contribue, avec Yves Klein, Tinguely, Arman, Hains et Villeglé à la fondation du premier groupe nouveau réaliste (Exposition Galerie Apollinaire à Milan) auquel se joindront successivement, pour former le "groupe" définitif, Spoerri et Raysse, César, Rotella, Nicky de St-Phalle, Christo, Deschamps. Il a participé à toutes les expositions et rétrospectives de ce "groupe". Depuis 1973, il montre également - dans le même esprit - des stencils et "dessous" de stencils ainsi que, depuis 1976, des "bibliothèques" en ouate de cellulose marouflée sur toile, d'un effet plastique tout différent. Il a par ailleurs exposé depuis 1977, outre la transcription visuelle (en 30 planches de 100 x 65) des structures sonores de sa "Cantate des Mots Camés", quelques dessins où se décèlent ses antécédents lettristes et son goût du calembour. Il adhère en tant que poète au Mouvement Lettriste dès 1946 et participe à toutes ses manifestations jusqu'en 1953. Après quoi sa production suit deux directions bien distinctes : •Les "crirythmes ultra-lettristes" explorent dans la voie d'un automatisme organique les possibilités vocales d'une musique concrète, forme d'expression fondée sur la spontanéité et sans partition d'aucune sorte, directement enregistrée au magnétophone. •Le "Tombeau de Pierre Larousse" ou "TPL" (1958) et ses Suites (Hurly burly-ric Rock, Récitativo all'italiana...) mettent en oeuvre un détournement des mots du dictionnaire à des fins purement phonétiques. Les "Comptines" et les "Chansons" ainsi que les "Inutiles Notules pour l'Optique Moderne de Daniel Spoerri" (1963) exploitent, quant à elles, les interférences du son, du sens et du non-sens - ou de leur faux et vrais semblants. Avec la Cantate des Mots Camés (1977) le but recherché était de faire lever la dimension sémantique sur la base de combinaisons syllabiques obligées. Le poème s'enfante "de lui-même" (il y aura mis plus de cinq ans...) à partir d'une syllabe mère et à travers des contraintes extrêmement strictes, un peu à la façon d'une fugue : chaque syllabe devant trouver son homophonie (à une distance maximale de cinq vers), la syntaxe, réintégrée, se voit toutefois, de

5 par les règles du jeu, réduite à quelques figures. Ici, comme de "raison", la Rime fait de la Cantate son chant de gloire. Il est l'auteur d'un film imaginaire sans écran ni pellicule "Tambours du jugement premier" (1952) présenté en marge du Festival de Cannes la même année puis en 1973, à l'Atelier de Création (France Culture), en 1981 dans le cadre de l'exposition Paris-Paris, au Centre Georges Pompidou et, en 1982, dans "Trente Ans de Cinéma Expérimental en France", Centre Georges Pompidou.

Surpoli Taille Coton, dessous d'affiches lacérées marouflées sur toile, 1977,100x81, Galerie Véronique Smagghe, Paris.

• Martial RAYSSE (1936, Golfe – Juan) Après des études littéraires, Martial Raysse réalise dès 1959 ses premiers assemblages en enfermant dans des boîtes transparentes de petits jouets, des objets de toilette, pour mettre en scène, sans façon, la charge d'émotion et d'intensité visuelle de ces bibelots froids. En 1960, ses Etalages-Hygiène de la vision d'ustensiles de ménage accrochés autour d'un balai- brosse, ou de produits solaires et de jouets de plage surmontés d'une effigie publicitaire, font entrer dans l'univers de l'art «un monde neuf, aseptisé et pur», celui des supermarchés et des publicités de la société de consommation. Cette réappropriation d'objets de la plus grande banalité le rapproche de la recherche d'Arman, Spoerri, Tinguely, avec qui il fonde en 1960 le groupe des Nouveaux Réalistes. Considéré bientôt comme le jeune créateur français le plus proche du Pop Art américain, Raysse participe de 1961 à 1966 à de nombreuses manifestations artistiques à travers l'Europe et l'Amérique. Après 1968, Raysse opère une mutation qui l'amène à rompre brusquement avec le circuit des marchands et des galeries et à se retirer dans le Midi. Au sein d'une communauté qu'il crée avec quelques amis, il produit des œuvres à l'aide de techniques artisanales, pour revenir ensuite à la peinture la plus traditionnelle.

Soudain l'été dernier, 1963, Assemblage: photographie peinte à l’acrylique et objets, 100x 225, Centre Georges Pompidou, Paris.

6 • Jacques VILLEGLE (1926/... – France): Jacques Villeglé étudie la peinture et le dessin à l'école des Beaux-Arts de Rennes où il fait la connaissance de Raymond Hains (1945), à qui le liera une complicité définitive. Il travaille quelque temps chez un architecte, où il se familiarise avec les questions d'urbanisme et d'espace public, avant d'étudier l'architecture à l'école des Beaux-Arts de Nantes (janvier 1947-décembre 1949). Dès 1947, il commence à récolter à Saint-Malo des débris du mur de l'Atlantique et des fers tordus, qu'il regarde comme des sculptures. À partir de décembre 1949, il limite son comportement appropriatif aux seules affiches lacérées. Pour lui, le véritable artiste est le «lacérateur anonyme», la collecte pouvant être effectuée par n'importe qui: il annonce ainsi le moment de la disparition de la figure de l'artiste, cédant la place au «collecteur» ou collectionneur. «Le prélèvement, dit-il, est le parallèle du cadrage du photographe», et lui-même se veut, comme Hains, simple collecteur de fragments qu'il ne fait que choisir et signer. En 1958, il rédige une mise au point sur les affiches lacérées intitulée Des Réalités collectives, préfiguration du manifeste du Nouveau réalisme; il est considéré comme l'historien du Lacéré anonyme, entité qu'il crée en 1959. En collaboration avec Raymond Hains, il réalise quelques films ainsi que Hépérile éclaté (publié en juin 1953), déformation photographique d'un poème phonétique de Camille Bryen.En février 1954, Villeglé et Hains font la connaissance du poète lettriste François Dufrêne, lui-même précurseur dans le domaine du travail sur les affiches lacérées dont il interroge l'envers (les «dessous»). Il les présente à Yves Klein, puis Pierre Restany et Jean Tinguely. Après leur participation commune à la première Biennale de Paris, ils constituent en 1960 le groupe des Nouveaux réalistes. En 1957, Villeglé fait la connaissance de Gérard Deschamps qui expose a la galerie Colette Allendy. Releveur de traces de civilisation, plus particulièrement lorsqu'elles sont anonymes, Villeglé imagine à partir de 1969 un «alphabet socio-politique» en hommage à Serge Tchakhotine, auteur en 1939 d'un essai intitulé Le Viol des foules par la propagande. Depuis 1957, l'œuvre sélective de Villeglé a fait l'objet de plus de 140 expositions personnelles en Europe et en Amérique, et l'artiste a participé à des manifestations collectives dans les cinq continents. Ses œuvres ont été acquises par les plus importants musées européens, américains et africains. Pourtant, en dépit du caractère novateur de sa démarche, le succès public a été long à venir. Ce n'est qu'à partir de la fin des années 1970 que Villeglé a pu vivre de son art, et il a fallu attendre 1998 pour que le musée national d'Art moderne fasse l'acquisition d'une de ses affiches lacérées. Le critique et romancier Bernard Lamarche-Vadel et la biographe de Roger Caillois, Odile Felgine, lui ont consacré des monographies en 1990 et en 2001, l'une éditée par Marval, l'autre par Ides et Calendes. Le lieu d'art contemporain de la ville de Saint Gratien (95) porte depuis le 24 septembre 2007 son nom.

Rue Jean Paris-Selesto, dé-collage, 1965, Collection Cindy and Lee Root, USA

7 • Jean TINGUELY(1925, Fribourg (Suisse) - 1991, Berne (Suisse): Après une scolarité de 1941 à 1945 à l’Ecole des arts décoratifs de Bâle, Jean Tinguely commence à construire des sculptures en fil de fer, proches de l’esprit surréaliste. En 1951, il épouse le sculpteur Eva Aeppli. Ayant fait la connaissance de Daniel Spoerri, alors danseur, il crée en 1953 un décor cinétique pour l'un de ses ballets. Ce travail annonce la fabrication de tableaux composés de reliefs peints dont certaines parties sont mobiles, que Tinguely expose pour la première fois à Paris, en 1954, à la Galerie Arnaud. Peu à peu, il introduit dans ses compositions des objets mobiles, comme des marteaux, qui procurent une dimension sonore à son travail. Installé à Paris, il rejoint le groupe d’artistes cinétiques de la Galerie Denise René, et fait la connaissance d’Yves Klein avec lequel il conçoit une exposition à la Galerie Iris Clert en 1958, Vitesse pure et stabilité monochrome. C’est par le biais d’Yves Klein qu’il participe au Nouveau Réalisme, entraînant avec lui Spoerri. À partir de 1959, il se lance frénétiquement dans la conception de machines, notamment des machines à dessiner ou à peindre abstrait, parodiant à sa façon la «rage de l’expression» revendiquée par une partie de l’abstraction. Mais la machine qui l’a rendu mondialement célèbre reste la gigantesque construction auto-destructrice, L’Hommage à New York, installée dans le jardin du Museum of Modern Art en mars 1960; ce fut l’occasion pour de composer un de ses plus beaux aphorismes: «Si la scie scie la scie Et si la scie qui scie la scie Est la scie que scie la scie Il y a Suissscide métallique.» Tout en prenant part aux activités collectives des Nouveaux Réalistes, il répond de plus en plus à des commandes publiques monumentales que l'on peut voir, par exemple en forêt de Fontainebleau (Le Cyclop), à Genève, à Bâle, ou encore à Paris avec la Fontaine Stravinski, réalisée en collaboration avec sa compagne Niki de Saint Phalle.

Baluba, 1961-1962, Installation avec du mouvement, métal, fil de fer, objets en plastique, plumeau, baril, moteur, 187x56,5 x45, Centre Georges Pompidou, Paris.

• CESAR (1921, Marseille - 1998, Paris): César Baldaccini est successivement élève à l’Ecole des Beaux-arts de Marseille et à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris jusqu’en 1948 où il est formé aux techniques traditionnelles de la sculpture. Après sa scolarité, rompant avec les techniques académiques pour des raisons initialement économiques, il réalise ses œuvres à partir de ferrailles qu’il assemble au

8 moyen de la soudure à l'arc. Ces sculptures, exposées pour la première fois en 1954, constituent la première exposition personnelle de César à la Galerie Lucien Durand à Paris. Plus emblématiques de son œuvre, les Compressions sont réalisées à partir de 1958, tout d’abord en utilisant des plaques de métal indifférenciées, puis à partir de voitures qu’il compresse en blocs rectangulaires. Cette opération aléatoire qui efface la subjectivité de l’artiste au profit de l’anonymat de la machine, ainsi que la référence aux «ready-mades» de Duchamp quant au matériau de base de l’œuvre, font de lui un des protagonistes du Nouveau Réalisme à sa création. Toutefois, César maîtrise très vite la technique des Compressions, ce qui lui permet de diriger ses travaux, pour aboutir au célèbre parallélépipède remis à la cérémonie des Césars du cinéma. Parallèlement aux Compressions, César, au cours des années 60, revient à la technique du bronze pour réaliser des figures humaines ou bien des parties du corps humain, comme le Pouce. En contrepoint aux Compressions, il réalise en 1967 sa première Expansion: il s’agit de laisser librement se répandre une mousse de polyuréthane qui se solidifie rapidement.

Ricard, 1962, Compression dirigée d'automobile, 153 x73x65, Centre Georges Pompidou, Paris.

• Mimmo ROTELLA (1918/2006 – Italie): En 1945, Mimmo Rotella commence une carrière de peintre à Rome. Après des débuts figuratifs, il élabore un mode d'expression picturale d'origine neo-géométrique. Il réalise sa 1ère exposition personnelle en 1951 à la Galerie Chiurazzi où il présente des œuvres abstraites et géométriques peu appréciées par la critique. En 1949, Mimmo Rotella invente une suite de paroles privées de sens, de sifflements, de sons, de nombres et d'onomatopées. Il appelle ce mode d’expression alternatif la poésie «épistaltique». Mimmo Rotella rencontre les artistes français exposant à Paris au Salon des Réalités Nouvelles en 1951. Durant un séjour comme artiste en résidence aux Etats-Unis, il fait la connaissance d'artistes comme Robert Rauschenberg, Claes Oldenburg, Cy Twombly, Jackson Pollock et Franz Kline. Il rencontrera également plus tard Willem de Kooning et Mark Rothko à Rome en 1960. En 1953, Mimmo Rotella traverse une période de crise, durant laquelle il cesse de peindre, convaincu que tout a déjà été fait en art. Il découvre alors l'affiche publicitaire comme moyen d'expression artistique et message de la ville. Il commence à coller sur la toile des morceaux d'affiches déchirées et expose pour la 1ère fois ses affiches lacérées en 1955, à l'occasion d'une «Exposition d'art actuel» à Rome. Son travail exploite le «double décollage», affiche arrachée de son support puis déchirée en atelier, et les arrières d'affiches. En 1958, avec la série Cinecittà, il travaille sur les affiches de cinéma dont il isole visages et silhouettes.

9 L’œuvre de Mimmo Rotella est reconnue et récompensée par de nombreux prix. En 1964, il est invité à la Biennale de Venise. En 1960, il adhère au mouvement du Nouveau Réalisme, bien qu'il n'ait pas signé officiellement le manifeste. Mimmo Rotella s'installe à Paris, où il élabore un procédé de production en série grâce à la projection d'images en négatif sur la toile émulsionnée, œuvre qu'il appelle Reportage ou Mec-art. Utilisant des produits typographiques, il réalise entre 1967 et 1973, les Art-typo, épreuves librement reproduites sur toile. Avec ce procédé, il s'amuse à superposer et à enchevêtrer les images publicitaires. «J'ai inversé mon ancienne façon de procéder : d'abord j'ai cherché à désintégrer, maintenant j'essaye de réintégrer cette matière, cette réalité». En 1990, Mimmo Rotella participe, au Centre Pompidou à Paris, à l'exposition «Art et Pub» et au Museum of Modern Art de New York à l'exposition «High and Low». Il est invité au Musée Guggenheim de New York en 1994 pour «Italian Metamorphosis», puis de nouveau au Centre Pompidou en 1996 dans «Face à l'Histoire», et au Museum of Contemporary Art de Los Angeles à l'occasion de l'expo «Halls of Mirrors». En 1999, le maire de sa ville natale, Sergio Abramo, prend un arrêté municipal l'autorisant à arracher librement les affiches sur le territoire de Catanzaro.

Hommage à Marilyn, 2004, sérigraphie et collages, 100x70.

• Gérard DESCHAMPS (1937/... – France): Né à Lyon, Gérard Deschamps y vit jusqu'en 1944 avant de s'installer à Paris jusqu'en 1970. Autodidacte, sa vocation pour la peinture se manifeste très tôt et il fréquente les galeries d'art de la rue de Seine à Paris. Il expose dès 1955 à la Galerie Fachetti à Paris. C'est à cette époque qu'il abandonne la peinture à l'huile qui, selon lui, manque de souplesse, pour se tourner vers des collages incorporant des photos d'objets issues du catalogue Manufrance. En 1957, il expose à la Galerie du Haut-Pavé à Paris ses premiers tableaux faits de chiffons et plissages qui annoncent le Nouveau réalisme. Début novembre 1957, il est mobilisé et envoyé pour 27 mois en Algérie, où il participe à la contre-attaque de 1958 et à l'opération «jumelles». Libéré en 1960, il rencontre Hains et Villeglé et intègre officiellement le groupe des Nouveaux Réalistes en 1961, un an après sa fondation officielle. Avec ses plissages, il désire rénover les débordements de tissus, qui selon lui, «furent les gardiens du souffle de l'art en Occident, même dans les périodes de décadence, en effet que serait la victoire de Samothrace sans sa mince tunique mouillée qui en fait l'ancêtre des voitures

10 compressées, réalisation ultime du plissage qui me fut soufflée par mon manque de moyens financiers». Il se spécialise dans les chiffons, les dessous féminins, trouvés chez un chiffonnier dénommé Chatton. Ces chiffons, puis les tissus d'essuyage industriels japonais envahissent ses ateliers à La Châtre et rue Gambetta à Paris. Ses compositions à base de dessous féminins – par exemple Le Rose de la vie, assemblage de culottes, corsets, soutiens-gorge, gaines et jarretelles à dominante rose – qui lui vaudront d'être censuré à plusieurs reprises. En 1961, il trouve une nouvelle mine de «tissus» de récupération aux Puces, les bâches de signalisation de l'armée américaine aux couleurs fluorescentes, puis à nouveau un stock chez un ferrailleur de la Bastille. Il expose aussi dès 1961 des chiffons japonais et belges issus de la publicité, des nappes de cuisine en plastique, des patchworks... Dans la même période, il utilise des plaques de blindage et des enveloppes de métal qui servent à isoler les réacteurs d'avions, marquées par des irisations de chaleur. En 1965, développant ses métaphores militaires, il crée les «bananes» en grillage métallique plissé et coloré, qui peuvent faire jusqu'à 8 mètres de long et rappellent les barrettes de décorations militaires. Il invente les effets de moirage grâce à la superposition des grilles métalliques. En 1970, en rupture avec le monde de l'art parisien, Gérard Deschamps s'installe totalement en Berry, à La Châtre, dans la maison de ses grands-parents. Son activité créatrice se poursuit, et sera à nouveau montrée régulièrement à partir de 1978 dans les expositions, et les galeries parisiennes et étrangères. Dès 1980 il témoigne de la société des loisirs avec ses panoplies ludiques, faites d'assemblages de maillots de bain, de ballons, de planches à voile ou skateboards, qui l'apparentent artistes du Pop art. Dans les années 1990, apparaissent des assemblages très colorés de ballons de plage entassés dans des filets, puis, en 2001, de skates-boards. Enfin dernièrement il expose ses Pneumostructures, assemblages, ou non, de bouées gonflables, de matelas pneumatiques ou autres liés à l'imaginaire enfantin.

Trade Mark, 1963, chiffons japonais montés sur châssis, 268x98, Courtesy Gallerie GP&N Vallois, Paris.

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