Yves Klein : La Majorité Posthume
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Yves Klein 3 mars/ 23 mai Musée national d'art moderne Yves Klein : la majorité posthume «Ne posez pas de questions. On ne vous mentira pas.» Elizabeth Bowen. Yves Klein est né en 1928, il est mort visuellement autre ou des actes — qui prématurément en 1962 . La presque ne sont pas encore des happenings — totalité de son oeuvre appartient aux mais lui apparaissent comme une années cinquante, elle commence la preuve de forfanterie infantile et le deuxième moitié du xxe siècle. laissent sans mots, sans attirance, et dédaigneux L'adolescence, la jeunesse de Klein, . Pourtant, Klein né à Nice, est méditerranéen et aussi français que c'est l'École de Paris, l'abstraction géo- Paul Valéry — et c'est extraordinaire métrique, l'art informel ou l'art brut et comme on peut passer des poésies et «l'engagement» . Tout de suite son des textes de l'un à la peinture et même oeuvre s'écarte de ce climat, de ses aux écrits de l'autre, sans changer facilités, de ses contraintes . Elle est d'esprit ou de registre. L'oeuvre de Klein radicale par rapport à l'époque et sera sera solaire, lumineuse — classique, perçue dès les années soixante en équilibrée, parfaitement définie, visuel- France et dans le monde comme une lement, dans son déroulement rapide, ouverture, sur l'art conceptuel et ulté- ses moments successifs et par aussi les rieurement par une fraction du public et nombreux écrits qu'il a laissés et la des artistes comme une préfiguration prolongent mieux que tout autre et nous d'un certain retour, une réintroduction entretiennent des projets qui nous sem- de la forme humaine dans la peinture. blent utopiques simplement parce que Pour Klein, peindre, créer et vivre — une Klein mort à 34 ans n'a pas eu le temps oeuvre et une image de soi — forment de les réaliser. une unité indissociable . Une situation La vie quotidienne de Klein fut une vie qu'il exprime, ne perd jamais de vue, et de discipline et de pauvreté. A l'excep- vit comme un guerrier viril : debout, tion de ses quelques amis, Claude combattant, destructeur de formes dé- Pascal, Arman, Jean Tinguely, Martial passées, sans vie, caduques ; brûlant le Raysse ; de Pierre Restany, d'Iris Clert; passé, l'avenir, à chaque étape de vie de sa famille qui l'aidait, de ses extrêmement brève. compagnes, de Rotraut Uecker qu'il En premier, il s'agissait pour Klein de épousa et dont il eut un fils Yves né quelques mois après sa mort, sa vie et concevoir une oeuvre qui se détache de son oeuvre rencontrèrent critiques, dé- l'eau tiède et de l'actualité ; qui soit dain, sarcasmes . La discipline du judo neuve et surprenante et affirme un refus, l'entraîna vers une plus grande dans cette immédiate après-guerre, fin conscience de soi devant cette distance d'une époque où il est très jeune, où des autres ; son appartenance aux Rose- Paris découvre avec retard et réticence Croix rendit plus concrète l'identification l'abstraction géométrique, Klee, et l'art qu'il pressentait, et recherchait, de la vie, informel que Fautrier ou Hartung de l'esprit et de l'espace — du vide, de avaient mis sur pieds avant guerre. Le l'immatériel à l'univers, au cosmos. grand public est fidèle à Braque, à Enfant et jeune homme, il regarde le ciel, Bonnard, à Matisse, ou à Chagall . Sartre la mer et le signe, de l'autre côté — et Camus délibèrent sur l'engagement. appropriation sans geste de l'envers Cette fin d'une époque et ce début d'une invisible par un nom, par un voeu. autre est un état contradictoire qu'il incarne d'autant mieux qu'il porte en lui Sa vie quotidienne, ses ambitions : le toute les contradictions et qu'il est lui- rejet ou la dérision, le constat genre même issu du milieu artistique parisien. chiens écrasés de la culture : le peintre «Tout le monde voit avec son affectivité au rouleau, celui, plaisanterie, qui vend mieux qu'avec n'importe quel autre sens du rien — il n'est que de lire les critiques /.../. Je crois appartenir à la civilisation d'art, à l'exception de quelques-unes . Le de l'image car je suis peintre et fils de rejet de ses contemporains ne peintres». compense ni l'affection de sa famille ni les certitudes de ses amis peintres ou Voilà, et par lui, la situation clairement sculpteurs . Avec Tinguely, il partage le posée . Deux choses, pourtant. Le mot constat irrémédiable de l'éphémère image n'a plus le même sens, il a quitté . Les cendres, son obsession, l'éphémère, le chevalet et « l'engagement », Klein s'y sont une constante, le retour à l'octave. refuse avec des mots ou en termes Grégoire de Nysse le disait «l'homme d'actes politiques . II est peintre et ses vit d'une vie morte dans un monde refus il les incarne par la peinture, ses scellé par la mort » . D'où l'éclat qu'Yves prises de positions esthétiques, par ses Klein recherche et veut aussi pur que idées qui dépassent les conventions du possible : le bleu de l'aventure mono- jour. D'où l'incompréhension du grand chrome — immarcescible; aussi direct public devant la nouveauté d'une oeuvre que possible sans le concours du geste de peindre mais traces humaines ex- pressives ainsi se présentent les anthro- rassemble une centaine d'ceuvres, de pométries faites avec des femmes pin- très nombreux documents et les chefs- ceaux; traces mordues par le feu, en d'oeuvres essentiels. Elle s'efforce de bordure du vide, les feux couleurs — ou répondre à une double attente : celle du traces de couleurs entraînées par les public européen, et du public américain. pluies, les cosmogonies. Éclat final, les C'est pourquoi elle a circulé aux États- feuilles d'or à peine attachées au sup- Unis avant d'être montrée à Paris — à port, doré à la feuille, les peintures Houston, à Chicago, à New York. A monogold. l'attente de deux générations : celle des contemporains de Klein et celle qui l'a A chaque étape de son travail, presque suivie — l'une et l'autre la connaissant désespérément, Yves Klein cherche à mal dans son ensemble . La simplicité réconcilier l'anti-peinture avec la pein- d'un parcours cohérent a été adopté ture (les monochromes) ; l'art sans l'art pour montrer l'ensemble de l'oeuvre qui (les zones de sensibilité immatérielle); respecte la volonté de l'artiste, les l'acte rituel avec le quotidien (l'illumina- différents moments de sa création . Une tion de l'Obélisque de la place de la première grande salle réunit des docu- Concorde); le théâtre du Vide (la photo- ments qui nous familiarisent avec la vie graphie conceptuelle du Saut dans le de Klein, ses recherches, son travail — vide, l'appropriation d'une journée du quelques oeuvres préparatoires, des oeu- monde par la publication d'un journal, vres en collaboration . La salle suivante «Dimanche», qui n'existe pas). évoque les expositions à la galerie de Chaque étape de l'oeuvre est une mar- Colette Allendy et de la galerie Iris Clert : che, un mouvement vers, vers autre nucleus de toute l'oeuvre à venir. Nous chose et plus grand détachement. découvrons ensuite l'immense salle des Quand Yves Klein élit le monochrome, il grands monochromes bleus . Elle donne exprime son détachement par rapport à l'ampleur d'une réussite exemplaire. la peinture traditionnelle et l'abstraction Cette imprégnation de l'espace par le géométrique : le tableau, dans sa plus bleu . Plus loin, les deux petites salles de grande absence ~i . tableau, devient la «Ci-git l'espace» et de «la forêt d'é- réconciliation de la couleur, du silence, ponges» nous conduisent aux grandes et de l'espace . Le bleu monochrome du «anthropométries» et aux «feux cou- tableau, uniforme, à distance du mur, leurs». La salle des « reliefs planétaires» est silence et couleur, imprégnation de et des «cosmogonies» conduisent aux l'espace et non pas surface unie décora- tableaux «monogolds» qui précèdent le tive et bleue . Et là où le public ne voit, à grand triptyque qui est l'oeuvre clé et l'époque, qu'une simplification infantile, majeur de Klein : synthèse du virtuel et et manifeste sa dérision, négative, Klein du réel, de la lumière et de matière, de la annonce bien des oeuvres des années couleur et de l'immatériel par les trois soixante tant en France qu'en Amérique. couleurs bleu, rose et or, projection de Les oeuvres conceptuelles et minimales, l'espace et du mur. les performances ont leur origine chez Cette exposition rétrospective d'Yves Klein, dans son sens impeccable du rite, Klein a été présentée en partie au Rice devant public préparé (je pense au piano Museum de Houston ; au Museum of de John Cage) tel qu'il apparaît lors de la Contemporary Art de Chicago : au Solo- soirée des anthropométries de la galerie mon R. Guggenheim de New York où fut d'art internationale avec Symphonie réalisée à cette occasion une oeuvre monoton de Pierre Henry . Le siècle posthume de Klein exécutée selon les bascule dans sa deuxième moitié et instructions de l'artiste par « l'Internatio- Yves Klein en est l'un des premiers nal Klein Bureau» : une immense sur- artistes. La parfaite cohérence de son face monochrome de pigment bleu oeuvre, sa continuité, est à l'image du outremer d'environ soixante mètres car- corps taoiste où tout est lié et indissocia- rés . Cette itinérance de la rétrospective ble — spiritualité que les hippies recher- Klein fut placée sous le Haut Patronage cheront quelques années plus tard.