LES NOUVEAUX REALISTES Le mouvement Nouveau Réalisme a été fondé en octobre 1960 par une déclaration commune dont les signataires sont Yves KLEIN, ARMAN, François DUFRÊNE, Raymond HAINS, Martial RAYSSE, Pierre RESTANY, Daniel SPOERRI, Jean TINGUELY, Jacques de LA VILLEGLE ; auxquels s’ajoutent CESAR, Mimmo ROTELLA, puis Niki de SAINT PHALLE et Gérard DESCHAMPS en 1961. Ces artistes affirment s’être réunis sur la base de la prise de conscience de leur «singularité collective». En effet, dans la diversité de leur langage plastique, ils perçoivent un lieu commun à leur travail, à savoir une méthode d’appropriation directe du réel, laquelle équivaut, pour reprendre les termes de Pierre RESTANY, en un « recyclage poétique du réel urbain, industriel, publicitaire» (60/90. Trente ans de Nouveau Réalisme, édition La Différence, 1990, p. 76). Leur travail collectif: des expositions élaborées ensemble, s’étend de 1960 à 1963, mais l’histoire du Nouveau Réalisme se poursuit au moins jusqu’en 1970, année du dixième anniversaire du groupe marquée par l’organisation de grandes manifestations. Pour autant, si cette prise de conscience d’une « singularité collective» est déterminante, leur regroupement se voit motivé par l’intervention et l’apport théorique du critique d’art Pierre RESTANY, lequel, d’abord intéressé par l’art abstrait, se tourne vers l’élaboration d’une esthétique sociologique après sa rencontre avec Yves KLEIN en 1958, et assume en grande partie la justification théorique du groupe. Le terme de Nouveau Réalisme a été forgé par Pierre RESTANY à l’occasion d’une première exposition collective en mai 1960. En reprenant l’appellation de « réalisme», il se réfère au mouvement artistique et littéraire né au 19e siècle qui entendait décrire, sans la magnifier, une réalité banale et quotidienne. Cependant, ce réalisme est «nouveau», de même qu’il y a un 1 Nouveau Roman ou une Nouvelle Vague cinématographique : d’une part, il s’attache à une réalité nouvelle issue d’une société urbaine de consommation, d’autre part, son mode descriptif est lui aussi nouveau car il ne s’identifie plus à une représentation par la création d’une image adéquate, mais consiste en la présentation de l’objet que l’artiste a choisi. C’est aussi à Pierre RESTANY que l’on doit d’avoir défendu le Nouveau Réalisme sur la scène internationale face à l’émergence d’un art américain, le Pop Art, soutenu économiquement par un réseau de galeristes et de collectionneurs. Le Nouveau Réalisme a souvent été présenté comme la version française du Pop art américain. En réalité, il serait plus exact d'observer que, de part et d'autre de l'Atlantique, sont apparus à la même époque des travaux qui rompent avec l'abstraction en utilisant des éléments issus de la réalité quotidienne au sein de collages ou d'assemblages, renouant ainsi avec des pratiques issues du mouvement Dada, mais dans des perspectives très différentes. • ARMAN (1928, Nice – 2005, E.-U.): Armand Fernandez entreprend des études artistiques à l’École des arts décoratifs de Nice en 1946, puis à l’École du Louvre, à Paris, de 1949 à 1951. Entre temps, il se lie d’amitié avec Yves Klein, rencontré dans un cours de judo : celui-ci introduit Arman auprès du critique Pierre Restany pour former le groupe des Nouveaux Réalistes en 1960. Ses premières peintures, les Cachets, composent des images abstraites à partir d’empreintes d’objets trempés d’encre, jusqu’au jour où il prend conscience que l’objet lui-même peut être encore plus signifiant que son image ainsi reportée. C’est le début de son travail d’Accumulations qui rassemble de grandes quantités d’objets identiques fondus dans du plexiglas. L’accumulation préside au principe de la série des Poubelles, dont certaines parviennent à assumer le rôle de portrait, par exemple celui d’Yves Klein, personnalisé par la présence d’objets bleus. Ce procédé de l’accumulation de déchets est porté à son paroxysme lors de l’exposition du Plein, à la Galerie Iris Clert en 1960 : toujours très proche de son ami Klein, Arman répond ici à l’opération du Vide, exécutée dans la même galerie, deux ans auparavant. Parallèlement aux Accumulations d’objets quotidiens, et à la constitution d’une vaste collection d’art africain, une autre démarche artistique est associée au nom d’Arman : les Colères, actes de vandalisme souvent exécutés en public dont les reliques sont rassemblées pour constituer un tableau. Depuis les années 70, l’art d’Arman s’illustre par la réalisation de sculptures monumentales, comme Long Term Parking, réalisée en 1982 pour le parc de la Fondation Cartier de Jouy-en- Josas, œuvre composée de soixante voitures empilées dans une gangue de béton. Chopin’s Waterloo, 1962, Morceaux de piano fixés sur panneau de bois, 186x302x48, Centre Georges Pompidou, Paris. 2 • Raymond HAINS (1926, Saint-Brieuc): Raymond Hains entre à l’École des beaux-arts de Rennes en 1945 pour étudier la sculpture, mais n’y reste que six mois, le temps d’y rencontrer Jacques de la Villeglé, autre futur affichiste du groupe des Nouveaux Réalistes. Il commence alors à réaliser des photographies à l’aide de lentilles déformées qui donnent de l’objet une image éclatée. Exposées en 1947, ces photographies constituent sa première exposition personnelle, à la Galerie Colette Allendy, à Paris. Dans les années qui suivent, Hains réutilise ce procédé pour réaliser des films expérimentaux; et c’est à l’occasion d’un tournage en 1949, où il se propose de filmer des affiches collées sur des murs de rues, que naît l’idée de se les approprier. En compagnie de Jacques de la Villeglé, il collecte des affiches publicitaires usées par des mains anonymes dans les rues de Paris. Mais ce n’est qu’en 1957 qu’ils présentent le résultat de leurs trouvailles, toujours à la Galerie Colette Allendy, dans une exposition intitulée Loi du 29 juillet 1881, titre qui fait référence à la législation du droit de l’affichage public. Après la création du groupe des Nouveaux Réalistes en 1960, Hains continue d’exposer des affiches lacérées, en compagnie des affichistes Villeglé, Dufrêne et Rotella. Parallèlement, dès 1959, il récolte des affiches sur leur support d’origine, bois et métal, qui lui permettent d’instaurer un dialogue entre le fond et les couleurs de l’image. Panneau d’affichage, 1960, Affiches lacérées sur panneau de tôle galvanisée, 200x150, Centre Georges Pompidou, Paris. • Yves KLEIN (1928, Nice - 1962, Paris) : Bien que ses parents aient été tous deux plasticiens, Yves Klein ne s’oriente pas immédiatement vers une carrière artistique. S’il peint spontanément durant son adolescence, c’est en subordonnant cette pratique à ses autres activités. En 1947, il s’initie au judo, méthode d’éducation intellectuelle et morale visant la maîtrise de soi. À l’occasion d’un de ses premiers cours, il rencontre Armand Fernandez, le futur Arman. En 1952 il part se perfectionner au Japon d’où il revient ceinture noire quatrième dan, grade qu’aucun Français n’a atteint à cette époque, avec l'objectif d'enseigner son art. La Fédération Française de Judo refusant de reconnaître son diplôme, il ouvre en 1955 sa propre école qu’il décore de monochromes. À court d’argent, il la ferme l’année suivante. En 1947, Yves Klein avait également découvert la mystique des Rose-Croix. Dès cette date, il peint des monochromes pour en faire des objets de culte, lit régulièrement la Cosmogonie, texte fondateur de l’ordre qui enseigne la connaissance par l’imagination, considérée comme la plus puissante des facultés humaines. C’est pourquoi en 1958, à la lecture de L’Air et les songes du 3 philosophe Gaston Bachelard, Klein décèle dans cet ouvrage un écho à sa propre pensée. En 1955, il expose au Club des solitaires, à Paris, des monochromes de différentes couleurs, sous le titre Yves, peintures. Il rencontre le critique d’art Pierre Restany : sa carrière de peintre est lancée. En 1957, il entame son «époque bleue», choix de couleur que confirme sa découverte, lors d'un voyage à Assise, des ciels de Giotto, en qui il reconnaît le précurseur de la monochromie bleue : uniforme et spirituelle. Le bleu trouvé par Klein est officialisé en 1960 lorsqu’il dépose le brevet de sa formule sous le nom de l’IKB. À partir de cette date, il devient un artiste de renommée mondiale, ce qui lui permet de co-fonder le Nouveau Réalisme, tout en poursuivant ses recherches personnelles. Monochrome bleu (IKB 3), 1960, Pigment pur et résine synthétique sur toile marouflée sur bois 199x153, Centre Georges Pompidou, Paris. • Daniel SPOERRI (1930, Galati, Roumanie) : Daniel Isaak Feinstein, plus tard Daniel Spoerri du nom de son oncle, passe son enfance en Suisse où, très jeune, il se lie d’amitié avec Jean Tinguely. Il commence d’abord une carrière de danseur à Zürich, Paris et Berne où il est danseur-étoile jusqu’en 1957. En 1960, alors qu’il collecte des ferrailles pour Tinguely, il a l’idée de coller les objets rassemblés en vrac sur un support qu’il redresse à la verticale, fixant ainsi dans la durée le dispositif d’un instant dû au hasard. C’est la naissance de ses tableaux-pièges qui, principalement, immortalisent des reliefs de repas, comme c’est le cas pour le Repas hongrois et autres dîners de l'exposition 723 ustensiles de cuisine. Cette entreprise culmine avec l’ouverture d’un restaurant permanent par Spoerri à Düsseldorf en 1968. Parallèlement aux tableaux-pièges, Spoerri développe l’idée de détrompe-l’œil, œuvres dans lesquelles il combine un tableau classique illusionniste, un «chromo», avec des objets ayant pour fonction de démystifier cette image, de la reléguer parmi les objets de la banalité.
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