La Révolution française Cahiers de l’Institut d’histoire de la Révolution française

13 | 2018 Pratiques et enjeux scientifiques, intellectuels et politiques de la traduction (vers 1660-vers 1840) Volume 2 – Les enjeux scientifiques des traductions entre Lumières et Empire

Patrice Bret et Jean-Luc Chappey (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/lrf/1863 DOI : 10.4000/lrf.1863 ISSN : 2105-2557

Éditeur IHMC - Institut d'histoire moderne et contemporaine (UMR 8066)

Référence électronique Patrice Bret et Jean-Luc Chappey (dir.), La Révolution française, 13 | 2018, « Pratiques et enjeux scientifques, intellectuels et politiques de la traduction (vers 1660-vers 1840) » [En ligne], mis en ligne le 22 janvier 2018, consulté le 24 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/lrf/1863 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lrf.1863

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Les sciences et les techniques ont particulièrement participé et bénéficié des renouvellements historiographiques dont la question des traductions a été l’objet, comme il a été dit dans l’introduction générale des actes du colloque « Pratiques et enjeux scientifiques, intellectuels et politiques de la traduction (vers 1660-vers 1840) » (voir le numéro précédent de la revue, 12|2017). Jusqu’alors, hormis les retraductions de la science grecque en à partir de l’arabe au Moyen Âge, puis dans les langues vernaculaires à partir du latin ou du grec à la Renaissance, ou les traductions de quelques grands textes emblématiques de la « révolution scientifique » moderne, cette question avait été négligée par les historiens des sciences et des techniques, tandis que les traductologues se tenaient à l’écart de spécialités apparemment trop complexes ou rébarbatives. Depuis deux décennies surtout, grâce à la question plus large des transferts culturels signalée plus haut, celles des langues savantes, de la translation et de l’adaptation de textes scientifiques d’un espace linguistique à un autre se sont posées, assez naturellement pour les espaces culturellement les plus éloignés, puis au sein même de la mosaïque linguistique européenne et de ses prolongements coloniaux non négligeables.

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SOMMAIRE

Pratiques et enjeux scientifiques, intellectuels et politiques de la traduction (vers 1660-vers 1840) – vol. 2 – Les enjeux scientifiques des traductions entre Lumières et Empire Patrice Bret et Jean-Luc Chappey

Dossier d'articles

Grec ancien et modernité : l’officier militaire-traducteur et la constitution de l’État hellénique (1830-1860) Konstantinos Chatzis

Les traductions des textes techniques destinées aux officiers des armes savantes (Italie– / France–Italie, 1750-1840) Lorenzo Cuccoli

Les artilleurs traducteurs et leurs ennemis. La première traduction italienne du Traité élémentaire de Lavoisier à Naples Corinna Guerra

Entre France et Italie, le mémoire en faveur de l’inoculation de La Condamine Yasmine Marcil

“…who has had the courage and ambition to learn Swedish”. The Handlingar of the Swedish Academy of Sciences in 18th century European translations, adaptations, and reviews Ingemar Oscarsson

Suède, Europe, Japon : Le botaniste Carl Peter Thunberg sur le marché international Marie-Christine Skuncke

Tradition et traduction. L’évolution de la science militaire hongroise de la fin du XVIIe siècle au début du XIXe siècle Tóth Ferenc

Les traductions de traités scientifiques européens en Chine au XVIIe siècle : enjeux des langues et des disciplines Catherine Jami

Creating Italian medicine. Language, politics and the Venetian translation of three French medical dictionaries in the early 19th century Maria Conforti

Varia

Brissot et la république en acte Régis Coursin

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Pratiques et enjeux scientifiques, intellectuels et politiques de la traduction (vers 1660-vers 1840) – vol. 2 – Les enjeux scientifiques des traductions entre Lumières et Empire

Patrice Bret et Jean-Luc Chappey

1 Les sciences et les techniques ont particulièrement participé et bénéficié des renouvellements historiographiques dont la question des traductions a été l’objet, comme il a été dit dans l’introduction générale des actes de ce colloque1. Jusqu’alors, hormis les retraductions de la science grecque en latin à partir de l’arabe au Moyen Âge, puis dans les langues vernaculaires à partir du latin ou du grec à la Renaissance, ou les traductions de quelques grands textes emblématiques de la « révolution scientifique » moderne, cette question avait été négligée par les historiens des sciences et des techniques2, tandis que les traductologues se tenaient à l’écart de spécialités apparemment trop complexes ou rébarbatives. Depuis deux décennies surtout, grâce à la question plus large des transferts culturels signalée plus haut, celles des langues savantes, de la translation et de l’adaptation de textes scientifiques d’un espace linguistique à un autre se sont posées, assez naturellement pour les espaces culturellement les plus éloignés3, puis au sein même de la mosaïque linguistique européenne4 et de ses prolongements coloniaux non négligeables 5. La traduction scientifique a maintenant trouvé pleinement sa place naturelle aux côtés des traductions littéraires, philosophiques, juridiques, diplomatiques et autres, dans des projets éditoriaux nationaux ou internationaux en cours de publication (Histoire des traductions en langue française coordonnée par Yves Chevrel et Jean-Yves Masson6) ou à paraître (History of Translation Knowledge sous la direction de Lieven D’hulst et Yves Gambier).

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2 Malgré la division en deux volumes de La Révolution française des actes du colloque « Pratiques et enjeux scientifiques, intellectuels et politiques de la traduction (vers 1660-vers 1840 », il est clair que la science n’est absente des enjeux intellectuels et politiques ni des sociétés et nations européennes, ni des colonies américaines en marche vers l’indépendance,ni des civilisations extra-européennes. À divers degrés, certains articles auraient d’ailleurs pu prendre place dans l’un ou l’autre volet, tels ceux de Feza Günergün sur la première traduction scientifique du français en turc, dans le numéro 12, ou de Catherine Jami sur les traductions des traités scientifiques européens en chinois et en mandchou au XVIIe siècle, dans le présent numéro. Ce dernier article pose les enjeux des langues et disciplines, notamment sous l’empereur Kangxi au début de la dynastie mandchoue des Qing, mais les enjeux politiques sont forts et le contrôle impérial prégnant, comme cela a été le cas pour les traductions qui fondent la modernisation de la Russie par Pierre le Grand et se poursuivent sous Catherine II7. D’une façon ou d’une autre, dans tous les pays, les traductions d’ouvrages scientifiques sont d’ailleurs également soumis à la censure8.

3 Dans un monde de plus en plus ouvert, les sciences et les arts mécaniques sont indissociables du progrès de l’esprit humain dans l’Europe des Lumières, de l’ Encyclopédie et de la Révolution. Au cours des premières décennies du XIXe siècle, les traductions scientifiques se multiplient dans les pays où les sciences modernes se sont développées tardivement, tels le Portugal – surtout après le transfert de la cour à Rio de Janeiro en 1807-18089, les pays neufs comme la Grèce ou ceux qui s’ouvrent délibérément aux sciences occidentales comme l’Empire ottoman et sa province autonome d’Égypte ou le Japon, avant même l’ouverture du milieu du siècle et l’ère Meiji10, chacun forgeant avec plus ou moins de bonheur une nouvelle langue scientifique nationale selon des modalités variables11. Dans la plupart de ces pays, comme dans les pays européens, les officiers des armes savantes et les professeurs d’écoles militaires prennent l’initiative de fournir des traductions scientifiques ou sont invités à le faire12. À bien des égards, le mouvement de traduction scientifique est lié à l’institutionnalisation des corps savants et des écoles d’ingénieurs13 et, plus généralement, à la mise en place des États modernes. Mais, à l’image de la popularité de la science dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la société y participe plus largement et les auteurs de traductions scientifiques sont également recrutés parmi les savants – des savants de second ordre comme des savants importants en début de carrière, à l’instar de Buffon – et les amateurs liés aux académies de province.

4 En France, sous l’Ancien Régime, le Bureau des interprètes du ministère des Affaires étrangères est parfois mis à contribution pour la traduction de langues européennes rares, comme le suédois. À défaut de poste, des traducteurs sollicitent un titre, tel Jean- François Fontallard auprès de l’Académie royale des sciences, avant d’exercer à la Maison des mines14. Mais, plus encore à partir de la Révolution française, les institutions scientifiques recrutent également des bibliothécaires qui font aussi office de traducteurs. Parallèlement, l’apprentissage des langues vivantes se développe dans les principaux pays producteurs de sciences. Des centres de traduction se mettent en place, comme à l’université de Greifswald, en Poméranie suédoise, pour traduire en allemand non seulement la science suédoise15, mais aussi la science française, avec Christian Ehrenfried Weigel (1748-1831), traducteur de Guyton de Morveau et de Lavoisier. Malgré la puissance de l’édition scientifique parisienne16, la province joue un rôle moteur, notamment autour de l’académie de Dijon, pour traduire depuis le latin,

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l’anglais, l’allemand, le suédois et l’italien, ainsi que pour publier la partie étrangère de la Collection académique, au début de la seconde moitié du siècle, puis avec le « Bureau de traduction de Dijon », qui instaure en France, pour la chimie et la minéralogie, de nouvelles normes en la matière pour la presse, avec la pratique systématique de la traduction intégrale, de l’indication de l’original et de l’annotation critique17. Mieux, la traduction implique de plus en plus souvent des relations avec l’auteur et des réseaux transnationaux18. L’enjeu scientifique est considérable : il ne s’agit plus désormais pour les journaux savants d’annoncer des résultats ou de livrer des « extraits », insuffisants pour la circulation des informations, mais bien de fournir aux savants, comme cela se fait déjà pour les livres, le contenu des mémoires.

5 Ainsi, en sus des correspondances privées entre savants, la science en train de se faire à travers l’Europe circule publiquement en France plus rapidement que la science officielle publiée dans les recueils académiques comme Histoire et mémoires de l’Académie royale des sciences, qui présentent avec plusieurs années de retard les travaux des seuls académiciens parisiens, ou la série dite des Savants étrangers, qui n’offre qu’une sélection de travaux présentés à l’académie par ses correspondants de province ou d’autres savants extérieurs à l’institution. À partir des années 1770, le crédit symbolique réel apporté par l’onction académique dans ces recueils s’efface devant la concurrence de journaux auxquels la traduction fournit la matière nécessaire pour assurer une périodicité plus rapide, même pour des journaux de plus en plus spécialisés. Le modèle allemand des Chemische Annalen mensuelles de Lorenz Crell, est suivi, en France, par les Annales de chimie de Guyton de Morveau, Lavoisier et leurs collaborateurs ; ils n’obtiennent qu’une périodicité trimestrielle à leur sortie en 1789, mais la Révolution leur apporte, à partir de 1791, la périodicité mensuelle souhaitée dès l’origine19, qui sera celle des Annales des mines fondées en 1794. Ainsi, alors que décline le système académique classique, que les disciplines s’autonomisent et que la professionnalisation des sciences s’amorce, le changement de nature de la traduction participe au changement de nature de la presse savante vers la presse scientifique. Les enjeux scientifiques de la traduction rejoignent ses enjeux intellectuels, sociaux et politiques.

NOTES

1. La Révolution française, 12/2017, https://journals.openedition.org/lrf/1714 2. Scott L. MONTGOMERY, Science in translation. Movements of Knowledge through Cultures and Times, Chicago, University of Chicago Press, 2000. 3. Pascal CROZET et Annick HORIUCHI (dir.), Traduire, transposer, naturaliser : la formation d’une langue scientifique moderne hors des frontières de l’Europe au XIXe siècle, , L’Harmattan, 2004. 4. D. GORDIN et Kostas TAMPAKIS (dir.), « The Languages of Scientists », 53:4 (décembre 2015) ; Bettina DIETZ (dir.), « Translating and translations in the history of science », Annals of Science, 73:2 (juin 2016) ; Sietske FRANSEN, Niall HODSON et Karl A.E. ENENKEL (dir.), Translating Early Modern Science, Leyde, Brill, 2017.

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5. Par exemple, avant de l’être dans la métropole, le Traité élémentaire de chimie de Lavoisier (1789) a commencé à être traduit en espagnol par Vicente Cervantes et publié en 1797 à Mexico pour les besoins du Real Seminario de Mineria (Lavoisier, Tratado elemental de chimica, réédition avec introduction de Patricia Aceves, Mexico, Universidad Autonoma Metropolitana-Xochimilco, 1990). Voir aussi Patrice BRET, « Journaux savants et traduction : les références européennes dans la presse de Nouvelle-Espagne », dans Pierre-Yves Beaurepaire (dir.), La communication en Europe, de l'âge classique au siècle des Lumières, Paris, Belin, 2014, p. 123-128.

6. Trois volumes parus pour la période du XVe au XIXe siècle (Lagrasse, Verdier, 2012-2015) ; un quatrième à paraître pour le XXe siècle. 7. Irina GOUZÉVITCH, « De la Moscovie à l'Empire russe : le transfert des savoirs européens », SABIX. Bulletin de la Société des Amis de la Bibliothèque de l’École polytechnique, no 33 (2003), numéro spécial. 8. Voir l’article de Yasmine Marcil dans ce numéro. 9. Voir Luis SARAIVA, « The Beginnings of the Royal Military Academy of Rio de Janeiro », Revista Brasileira de História da Matemática, Vol . 7, no 13 (2007), p. 19-41 ; Lorelai KURY, « Les sciences utiles dans un journal encyclopédique : O Patriota (Rio de Janeiro, 1813-1814) », La Révolution française, 2/2012, https://journals.openedition.org/lrf/539

10. Sur les limites de la traduction pour les transferts techniques, voir Yumiko OHYAMA, « Traduire les concepts techniques entre espaces culturels différents : la mise en œuvre de la Description de la fabrication des bouches à feu dans le Japon de la fin de l’époque d’Edo », communication inédite au colloque « Pratiques et enjeux scientifiques, intellectuels et politiques de la traduction (vers 1660-vers 1840) », décembre 2012.

11. Voir Pascal CROZET et Annick HORIUCHI, op. cit., et dans ce numéro l’article de Konstantinos Chatzis. 12. Voir dans ce numéro les articles de Lorenzo Cuccoli, Corinna Guerra, Konstantinos Chatzis. 13. Voir Konstantinos CHATZIS, « Traduire et enseigner les langues étrangères à l’Ecole des ponts et chaussées durant le directorat de Prony (1798-1839) », dans Patrice Bret et Jeanne Peiffer (dir.), La traduction comme dispositif de communication dans l’Europe moderne, Paris, Hermann, sous presse.

14. Isabelle LABOULAIS, « Naturaliser la “science des mines” : les enjeux de la traduction à la Maison des mines (1794-1814) », ibid.

15. Andreas ÖNNERFORS, « Les Voyages de Thunberg en allemand : la naissance laborieuses d’une traduction », ibid. 16. Sabine JURATIC, « Traduction francophone, édition scientifique et communication savante au siècle des Lumières : premiers enseignements d’une enquête en cours », ibid. 17. Voir l’article d’Ingemar Oscarsson dans ce numéro et P. BRET, « “Enrichir le magasin où l’on prend journellement” : la presse savante et la traduction à la fin du XVIIIe siècle », dans Jeanne Peiffer, Maria Conforti, Patrizia Delpiano (dir.), « Les journaux savants dans l’Europe moderne. Communication et construction des savoirs », Archives internationales d’histoire des sciences, vol. 63, fasc. 170-171 (2013), p. 359-381. 18. Patrice BRET, « Stratégies et influence d’une traductrice : Mme Picardet et le Traité des caractères extérieurs des fossiles d' Gottlob Werner », dans Adeline Gargam et Patrice Bret (dir.), Femmes de sciences de l'Antiquité au XIXe siècle : réalités et représentations, Dijon, Editions universitaires de Dijon, 2014, p. 177-208

19. Patrice BRET, « Les origines et l’organisation éditoriale des Annales de Chimie (1787-1791) », dans Œuvres de Lavoisier. Correspondance. — Vol. VI (1789-1791), sous la direction de Patrice Bret. Paris, Académie des sciences, 1997, p. 415-426 (Annexe II).

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Dossier d'articles

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Grec ancien et modernité : l’officier militaire-traducteur et la constitution de l’État hellénique (1830-1860) Ancient Greek and Modernity: the figure of Military Officer-Translator, and the Building of Modern Greek State (1830-1860)

Konstantinos Chatzis

1 Le rôle des usages du passé dans la naissance et la consolidation des nations modernes issues des révolutions américaine et française a déjà été largement souligné par des historiens et autres spécialistes en sciences humaines1. Il en va de même de la place des savoirs scientifiques et techniques dans le fonctionnement de l’État rationnel qui émerge à l’époque classique, avant de s’affirmer toujours davantage jusqu’à nos jours, qu’il s’agisse de l’État fiscal-militaire de l’époque prérévolutionnaire2, de l’État accompagnant les révolutions industrielles du XIXe siècle et du début du siècle suivant, de l’État colonial ou, plus près de nous, de l’État des complexes militaro-industriels de la Guerre froide3. Le cas de la Grèce contemporaine, dotée d’un État indépendant en 18324, illustre, à sa modeste échelle, ce qui vient d’être énoncé. Qu’il s’agisse de l’Antiquité ou des périodes historiques plus récentes, le rôle joué par le passé et les lectures dont il a fait l’objet – à travers l’idée d’une continuité, réelle ou supposée, peu importe ici – dans la construction de l’identité nationale du pays au XIXe siècle, voire au- delà, est un thème largement exploré par plusieurs travaux5. D’autres chercheurs, moins nombreux il est vrai, se sont penchés sur la place des ingénieurs et des savants dans la construction du jeune royaume6. Cette contribution souhaite établir un pont entre ces deux pans de travaux, qui, force est de le constater, sont installés le plus souvent dans une ignorance mutuelle.

2 Tout en admettant le poids du passé sur la façon dont les habitants de la Grèce contemporaine, une partie importante des élites du jeune royaume du moins, se sont représenté leur présent et imaginé leur avenir au XIXe siècle, nous aimerions déplacer la

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focale afin d’explorer un autre type de rapport, nettement moins symbolique et bien plus fonctionnel, entre l’État grec moderne et l’Antiquité. Pour ce faire, nous nous intéresserons ici à une figure particulière, celle de l’officier militaire-traducteur.

3 Durant les trois premières décennies de l’existence de l’État grec indépendant, les officiers grecs vont s’illustrer moins dans les champs de bataille et plus dans la vie intellectuelle du pays. Bénéficiant déjà d’une formation scientifique et littéraire solide à l’École militaire, le seul établissement de formation technique de niveau universitaire en Grèce pendant longtemps, plusieurs d’entre eux vont compléter leurs études à l’étranger, en Allemagne et, surtout, en France. Rien d’étonnant à ce que, durant les années 1830-1860, plusieurs officiers signent en grec, comme traducteurs ou comme auteurs d’une œuvre plus personnelle, plusieurs ouvrages et articles relatifs aux sciences et techniques modernes, y compris l’art du commandement militaire. Pour réaliser ce travail, ils ont dû mobiliser massivement leur connaissance du grec ancien et leur familiarité avec la littérature de leurs ancêtres afin de rendre en grec moderne des centaines de termes scientifiques et techniques de l’époque. Pour la Grèce du XIXe siècle, la connaissance approfondie d’une langue morte, produit d’un passé lointain – ici le grec ancien –, et les besoins fonctionnels de l’État moderne, tourné quant à lui vers la planification de l’avenir, sont allés de pair7. Qui sont ces officiers ? Quel a été le bagage littéraire et scientifique acquis lors de leurs études à l’École militaire et dans les divers établissements scientifiques et techniques qu’ils ont fréquentés à l’étranger ? Quelles stratégies et quels supports de traduction ont-ils adoptés ? Quel a été le résultat de leurs efforts ? Voici une série de questions auxquelles cette contribution s’attache à apporter des éléments de réponse.

Traduire, une longue tradition

4 Loin de constituer une curieuse exception, l’activité de traduction à laquelle se livrent de nombreux militaires durant la période 1830-1860 s’inscrit dans une longue tradition. Cultivée pour beaucoup au sein de réseaux diasporiques installés dans plusieurs pays européens8, cette tradition remonte au début du XVIIe siècle et s’intensifie pendant la période dite des « Lumières néohelléniques » (vers 1770 - vers 1820)9, alors que la création de l’État grec indépendant, en 1832, la prolonge tout au long du XIXe siècle en lui insufflant un nouvel élan. Ainsi, entre le début des années 1770 et le déclenchement de la guerre pour l’indépendance en 1821, plus de cent vingt ouvrages imprimés (sur plus de deux mille livres publiés en grec pendant la même période10) – des traductions ou des compostions plus personnelles à partir d’ouvrages étrangers – véhiculant des contenus scientifiques sont publiés en grec, à Vienne et à Venise pour l’essentiel11. À ces ouvrages viennent s’ajouter, comme véhicules supplémentaires de connaissances scientifiques en direction des terres de langue grecque, plusieurs manuscrits ainsi que la production de périodiques, à l’instar de la revue intitulée Ermis o Logios, publiée à Vienne à partir de 181112. La formation d’un État indépendant en 1832, entité certes chétive – en 1840, le royaume grec ne compte que quelques 850 000 habitants – mais destinée, aux yeux de ses élites du moins, à devenir « le satellite de l’Occident et le soleil d’Orient13 », déclenche une machine de production langagière.

5 En effet, l’adoption massive d’institutions occidentales14 à partir des années 1830 nécessite une avalanche de mots, qui manquent au grec de l’époque, pour nommer, décrire et faire fonctionner au quotidien ces nouvelles réalités15. Même s’il faut la

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prendre avec une certaine précaution, la déclaration d’un contemporain, selon lequel, jusqu’au milieu du siècle, la justice, l’armée et la marine avaient à elles seules ressuscité plus de huit mille mots du grec ancien16, reflète une réalité incontestable, captée aussi par toute une série d’autres témoignages. Face aux flots incessants de nouveaux mots, les auteurs des dictionnaires de l’époque multiplient les éditions du fruit de leur travail. La mise en regard des deux éditions successives du monumental dictionnaire de la langue grecque de Skarlatos Vyzantios (1798-1878)17 révèle que, entre 1839, année de la publication originale, et 1852, date de la parution de la seconde édition, l’ouvrage en question a vu, en l’espace d’une douzaine d’années seulement, son volume augmenter de quelques cent trente pages grand format, remplies à ras bord avec des mots forgés dans l’intervalle de temps qui sépare les deux éditions18. L’introduction du terme de « socialisme » dans la langue grecque illustre, à son tour, la vitesse avec laquelle on se met à la page des dernières évolutions intellectuelles venues de l’Occident : mis en circulation en France au tout début des années 1830, le terme est déjà rendu en grec sous la forme « koinonismos » – de « koinonia », le mot grec pour la notion de société – en 183319.

6 Cette production langagière, qui se déploie à l’occasion de la traduction d’ouvrages étrangers, mais aussi lors de la production de compositions plus personnelles, s’appuie, tout en l’alimentant de son côté, sur une infrastructure technique d’une ampleur et d’une qualité qu’on a souvent du mal à s’imaginer aujourd’hui. À commencer par la première décennie du XIXe siècle, une flopée de grammaires de la langue grecque20, de méthodes d’apprentissage de langues étrangères, mais du grec ancien également21, et surtout une recrudescence de dictionnaires, signés par des hellènes mais aussi par des hellénistes étrangers, inondent le marché du livre grec. Dictionnaires de la langue grecque, moderne et ancienne, dictionnaires bilingues (grec-français, grec-allemand, grec-anglais, ou bien encore grec-latin), dictionnaires trilingues (mettant notamment en regard le « grec moderne, le grec ancien et le français22 », ou le « grec moderne, le français et l’allemand23 »), voire dictionnaires traitant de quatre langues (anglais, français, grec moderne et ancien24, par exemple), toutes les combinaisons imaginables semblent alors possibles25.

7 Comme nous l’avons dit, cette hyperactivité langagière26 est largement stimulée par les besoins fonctionnels d’un État et d’une société qui, les yeux rivés sur les pays occidentaux, ne cessent d’expérimenter massivement des institutions, des idéologies et des comportements nés d’abord en dehors des frontières du jeune royaume grec. Mais force est de constater que la création de nouveaux termes ne procède pas uniquement d’un manque à combler et d’un vide à remplir. On puise, en effet, dans le patrimoine langagier des ancêtres et on recourt massivement à des néologismes non pas seulement pour nommer des réalités inédites mais aussi parce que le mot déjà disponible est considéré comme n’étant pas, ou pas suffisamment, « grec ». En exhumant des mots du grec ancien ou en inventant de nouveaux termes à coups de radicaux ayant pour origine la langue des « anciens », on procède alors à une gigantesque opération de « purification » de la langue de l’époque (voir infra), dans la volonté de chasser de son corps les très nombreux emprunts étrangers, d’origine européenne ou turque, qui l’avaient envahie au fil des siècles, soit tels quels, soit « hellénisés » à l’aide, le plus souvent, d’une modeste désinence grecque ajoutée à la forme originale : la « gazeta » (le journal) devient ainsi « efimeris » (VS 1839) ; le « spitali » (l’hôpital), « nosokomeion » (VS 1839, « l’endroit où on soigne les maladies ») ; le « ministros » (ministre), « ypourgos » (VS 1839) ; l’« avokatos » (avocat), « dikigoros » (« celui qui

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parle au tribunal ») (VS 1839) ; la « posta » (la poste), « tachydromeion » 27 ; etc. Même les noms propres n’échappent pas à cette fougue d’« hellénisation ».

L’officier militaire-traducteur grec, 1830-1860

8 Les officiers militaires-traducteurs de la période 1830-1860 se fondent donc dans une tradition qui les précède et les englobe, et qu’ils enrichissent, à leur tour, par leurs propres contributions. Qui sont-ils ? Et où ont-ils faits leurs armes ? À part une poignée d’officiers déjà formés à l’étranger avant de rejoindre leurs corps respectifs – pour l’essentiel, le corps de l’artillerie et le corps du génie, fondé en 1829 et responsable, jusqu’à la fin des années 1870, de tous les travaux publics du royaume –, la majorité écrasante des membres de notre groupe est sortie de l’École militaire en Grèce. Créée en 1828, celle-ci est alors organisée par des militaires français28. Peu nombreux – entre 1831 et 1860 (inclus) seulement cent trente-huit élèves ont réussi à passer avec succès l’épreuve scolaire, moins de cinq par an en moyenne29 –, ces militaires constituent une élite sociale et intellectuelle, une sorte de Bildungsbürgertum grecque 30, dont les membres, porteurs de valeurs telles que la méritocratie, font preuve d’une éthique exigeante quant aux missions à assurer et mêlent compétences techniques spécialisées et culture générale, les deux au service de l’intérêt et de la grandeur de la nation.

9 Très vite, l’École militaire se transforme en établissement de niveau universitaire, à côté de l’université d’Athènes, fondée en 1837, et offre à ses élèves un programme d’enseignement scientifique et technique étendu – au milieu du siècle, les élèves sont diversement occupés du lundi au samedi, entre 5 h 30 du matin et 9 h 30 du soir –, assez proche de celui fourni par le système polytechnicien, l’École polytechnique elle-même et deux de ses écoles d’application en particulier, l’École des ponts et chaussées et l’École de l’artillerie et du génie. Mais, spécificité de l’établissement grec, les langues occupent une place plus qu’importante dans le cursus. Grec moderne, mais aussi grec ancien et français (thème et version) sont enseignés de façon intensive tout au long de la scolarité, qui varie, pour notre période, entre huit (au début de la période) et six ans. Ainsi, selon le programme de l’année scolaire 1849/1850, les élèves de la 1re classe (les débutants) ont huit heures de leçons de grec et cinq heures de français par semaine, alors que leurs aînés de la 3e classe continuent à étudier le grec et le français à raison de cinq et quatre heures par semaine respectivement31,32.

10 Ayant déjà acquis une formation scientifique et technique de base solide sur le sol natal, plusieurs officiers continuent leurs études à l’étranger, en Allemagne et, surtout, en France. De 1837 à 1864, on comptabilise plus d’une douzaine d’officiers passés par l’École polytechnique de Paris. Nombre d’entre eux vont continuer leurs études à l’École des ponts et chaussées, alors que, pour la seule année 1864-65, on enregistre treize ingénieurs du génie et trois artilleurs qui sont à l’étranger pour parfaire leurs connaissances33. Perfectionnement qui, pour un certain nombre d’entre eux du moins, n’a pas été toujours une expérience indolore. Ainsi, dans une lettre envoyée à l’ambassadeur grec à Paris en mai 1852, l’ingénieur du génie Leonidas Vlassis (né en 1828), boursier du gouvernement hellénique à l’École polytechnique, expose les difficultés qu’il éprouve pour réaliser sa mission. Malgré les leçons de français reçues lors de son passage à l’École militaire dans son pays natal, sa maîtrise de cette langue laisse, selon ses propres dires, à désirer. Qui plus est, en tant qu’étranger, Vlassis est renvoyé, lors des cours magistraux, au dernier banc de l’amphithéâtre de

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l’établissement parisien, loin du professeur, alors que, privé de plusieurs notes de cours lithographiées distribuées à ses camarades français, il n’est pas autorisé non plus à participer aux expériences de chimie et aux petites classes assurées par les répétiteurs34.

11 Malgré ces difficultés, à en juger par les performances observées, nombreux sont les officiers qui ont pu finalement dominer une, voire plusieurs langues étrangères, sans oublier la maîtrise de leur propre langue nationale, et produire une œuvre considérable de traducteur des termes étrangers en grec. Il semblerait que ce travail de traduction et de création de lexiques grecs en matière de sciences et de techniques a été inauguré dès la création de l’École militaire, en 1828, par deux professeurs de l’établissement notamment. Le premier, Skarlatos Soutzos (1806-1887), professeur à l’École entre 1830-1832, rejeton d’une grande famille de Phanariotes35 ayant fait ses études à l’École militaire de Bavière (Munich) et à l’université de Munich36, a créé, d’après des témoins de l’époque, plusieurs des termes dont il avait besoin pour ses cours d’artillerie, de fortification et de topographie37. Dimitrios Stavridis (1803-1866), diplômé de l’École polytechnique de Vienne, a fait ce même travail pour ses propres cours de mécanique, d’architecture et de géométrie descriptive. Parallèlement, des traducteurs anonymes procèdent au jour le jour à la création de glossaires spécialisés relatifs aux missions de différents bureaux qui composent à l’époque le ministère de l’Armée38.

12 Ce travail de traduction collective, dont les traces écrites sont dispersées et souvent indisponibles aujourd’hui, commence à devenir visible dans la seconde moitié des années 1830, avec la parution des premiers documents signés par des officiers de différentes armes, des traductions ou des livres directement composés en grec, souvent sous forme de résumés, de compilations et de recompositions d’ouvrages étrangers. Un quart de siècle plus tard, en 1860, on peut compter plus d’une cinquantaine d’ouvrages, dédiés souvent au roi, couvrant un éventail thématique très large, des mathématiques à l’art du commandement et l’histoire militaire, en passant par les différents champs d’activité de l’ingénieur du génie militaire, de l’officier de l’artillerie ou de celui de l’armée de terre39. Mais ce travail de traduction et de création de lexiques grecs se fait aussi dans les colonnes de plusieurs revues, de durée de vie assez courte en général, que des groupes d’officiers commencent à éditer à partir du milieu des années 1830. D’après les témoignages de contemporains, la première de ces revues a été Eforos Stratiotikos, laquelle, née en 1834, disparut quelques mois plus tard. Onisandros, périodique fondé en 1864, est la dernière revue militaire qui commence à paraître à la fin de la période qui nous intéresse ici40.

13 Parallèlement à ce travail de traduction intense, comprenant production d’ouvrages et publication de revues, les tentatives de systématisation se font aussi de plus en plus nombreuses. Ainsi, des listes de termes et d’expressions font leur apparition, souvent dans les revues en question41 ou à la fin d’ouvrages rédigés par ces officiers42, alors que, en 1847, un dictionnaire trilingue « français-grec-allemand » exclusivement consacré aux sciences et arts militaires voit le jour43. Cet ouvrage est signé par un officier de l’artillerie du nom de Grigorios Alexandros Chantseris (ou Chantzeris) (vers 1816 – vers 1870). Portant le nom d’une grande famille de Phanariotes, le jeune Grigorios, né à Constantinople, avait bénéficié d’un séjour d’études en Allemagne (Munich), où il a étudié les sciences militaires ainsi que l’allemand, le français et le latin, avant d’intégrer en Grèce le corps des artilleurs vers le milieu des années 183044. Pour confectionner son ouvrage, fort de quelques trois cents pages, l’auteur, d’après ses

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propres dires, s’est largement appuyé sur un autre dictionnaire bilingue, « français- allemand » cette fois, publié en 1829 par Friedrich Gustav von Rouvroy (1771-1839), membre d’une famille de militaires comptant en son sein plusieurs artilleurs connus et directeur de l’Académie royale militaire saxonne à partir de 182145. Comme plusieurs des ouvrages publiés par nos officiers, le dictionnaire de Chantseris est dédié au roi et a pu voir le jour grâce au lancement d’une souscription à laquelle ont répondu favorablement quelques cent quatre-vingt-dix individus et quatorze institutions, dont la maison royale (avec dix souscriptions) et le ministère de l’Armée (trente-cinq souscriptions)46. Amoureux de la Grèce antique, animé par un désir ardent de mettre le patrimoine langagier et scientifique de ses ancêtres au service du présent de la nation, Chantseris va s’illustrer comme l’auteur de plusieurs ouvrages imposants consacrés à la création des lexiques scientifique et technique47, lesquels, tout en étant très appréciés par ses contemporains dans leur ensemble48, ne manqueront pas de déclencher, pour l’un d’entre eux en particulier, une controverse portée jusque dans l’espace public de l’époque (voir infra).

Des termes adaptés : entre modèles hérités, choix nouveaux et conflits

14 Traductions, ouvrages de facture plus personnelle, articles dans des revues, dictionnaires spécialisés, la moisson pour la période 1830-1860 apparaît plus que riche, surtout si on la place dans son contexte historique, celui d’un petit État qui émerge d’un paysage dévasté après plusieurs années de guerre contre l’Empire ottoman et qui a été aussi affecté par des querelles intestines. L’espace dont nous disposons et l’ampleur de la tâche rendent impossible toute tentative d’analyse systématique, aussi courte qu’elle soit, du groupe de nos officiers-traducteurs et de l’ensemble de leur production. Contentons-nous de quelques remarques d’ordre général et d’une série d’illustrations.

15 Tout d’abord, et sans grande surprise, c’est la France, pays dont la langue est intensément enseignée à l’École militaire et destination privilégiée de nombreux officiers-traducteurs (voir supra), qui fournit, pour l’essentiel, la matière première à nos traducteurs. Ainsi, pour bâtir son ouvrage sur des techniques de fortification passagère publié en 1845, Vasileios Sapountsakis (1811-1901) s’inspire du traité classique de Nicolas-Pierre-Antoine Savart (1765-1825) paru une vingtaine d’années auparavant49. Pour confectionner son propre ouvrage sur les différents types d’armes, l’artilleur Ioannis Rizos mobilise les compétences du polytechnicien et membre de l’Académie des sciences Guillaume Piobert (1793-1871), auteur d’un ouvrage à succès intitulé Traité d’artillerie théorique et pratique, publié d’abord en 1836 avant de connaître plusieurs éditions50. Son collègue Vlassis Valtinos préfère, quant à lui, traduire le cours de balistique d’un autre ingénieur-savant français de l’époque, collègue et collaborateur de Piobert au demeurant, le polytechnicien Isidore Didion (1798-1878)51. Portant sur un sujet « civil », l’art de la conception et de l’entretien de routes, l’ouvrage signé par l’ingénieur du génie Nikolaos I. Soutsos est aussi largement d’inspiration française52. Partageant un faible pour la culture française, ces officiers-traducteurs semblent avoir entrepris leur travail de traduction et de construction de glossaires grecs le plus souvent de leur propre initiative, même si parfois le produit final de leurs efforts est contrôlé par une commission avant que l’institution militaire ne donne son aval pour une utilisation éventuelle de leur travail53.

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16 En suivant la règle générale adoptée par les traducteurs grecs en vue de bâtir un vocabulaire scientifique et technique dans leur langue maternelle au XIXe siècle, les solutions de la translittération et de la transcription phonétique, pratiquées, par exemple, comme stratégie possible dans d’autres aires culturelles et linguistiques54, sont écartées de façon systématique. Quand l’officier-traducteur ressent le besoin de créer un nouveau terme grec – besoin souvent signalé au lecteur par la présence du terme étranger, mis entre parenthèses –, considérant que le stock de lexiques déjà établi n’est pas satisfaisant, il se met à explorer deux options : soit emprunter à un auteur ancien le mot qu’il lui faut – en donnant souvent la référence exacte de l’œuvre qui a fourni le terme –, soit, surtout si la recherche lexicographique en direction des textes anciens se solde par un échec, forger un terme inédit en s’inspirant des mots et des racines du grec ancien55. Voici deux exemples qui illustrent ce travail de fabrication de nouveaux termes. Le mot détritus est un terme qui a une signification précise dans le domaine de l’entretien des routes empierrées : il dénote les produits de l’usure de la route suite au passage des voitures. Le traducteur grec du terme, ne se contentant pas des traductions existantes telles qu’on les trouve dans plusieurs dictionnaires « français-grec » de l’époque, propose le néologisme « lithotrimma », terme qu’on rencontre dans plusieurs documents signés par des officiers du génie datant des années 1850. Il s’agit d’un terme composé des mots « lithos » (pierre) et « trimma » (ce qui est produit après frottement, écrasement), ce qui fait de « lithotrimma », littéralement « poussière (grain) de pierre », un mot qui nomme de façon transparente le phénomène physique dénoté56. L’autre exemple intéressant est la traduction du mot écluse. L’officier-traducteur d’un article français consacré aux travaux du canal de Suez, après avoir longuement expliqué pourquoi il a hésité à faire appel aux mots du grec ancien « kleithra », « kleisiai » ou « kleisiades » (des grandes portes), qui figurent comme traductions possibles du terme d’écluse dans les dictionnaires de l’époque, va finir par forger le néologisme « ydraiora », à partir des mots « ydor » (eau) et « aiora » (le dispositif qui retient un objet dans l’air)57.

17 Ni « lithotrimma » ni « ydraiora » ne font partie du vocabulaire grec actuel. Tous les deux seront parmi les nombreux vaincus de cette « lutte pour la reconnaissance », pour utiliser l’expression du philosophe, dont ont fait l’objet les différentes propositions de traduction en grec du même terme étranger. Comment nos officiers-traducteurs accueillent-ils le travail de leurs collègues ? Si les échanges d’amabilités et les félicitations croisées semblent l’emporter, des conflits, parfois violents, n’en sont pas moins enregistrés. Nous avons vu que le grec ancien est la source d’inspiration première pour les traducteurs grecs en général, les officiers en particulier, dans leurs efforts de créer des glossaires spécialisés, dans le domaine des sciences et des techniques entre autres. Cependant, cette volonté d’« hellénisation » ne concerne pas uniquement ces vocabulaires spécialisés, mais participe d’un mouvement plus général visant à « purifier » la langue grecque, dans sa version vernaculaire et a fortiori lettrée, de toutes les influences étrangères, sans pour autant revenir purement et simplement au grec ancien.

18 Cette opération d’« épuration », qui débouche sur la création d’une forme archaïsée du grec moderne, nommée « katharévousa », a été un succès, selon ses propres critères en tous cas58. Peu nombreux, par rapport au stock initial et à la situation d’origine, sont, en effet, les termes qui ont résisté à cette opération d’hellénisation visant à doter les habitants du jeune royaume d’une langue digne de leurs ancêtres59. Parmi les rescapés

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de l’opération, on trouve, au milieu du XIXe siècle, une série de termes et d’expressions employés dans les différents commandements militaires, à l’instar de » halte » ou de « marche »60. Mais il y a plus. Pour certains officiers, une grande partie de ces commandements, souvent des traductions littérales des commandements français, sont certes rendus en grec, mais au prix de plusieurs barbarismes et solécismes payés à son corps défendant par la langue d’arrivée. Chantseris (voir supra) entreprend alors dans les années 1850 un travail de révision radicale de ces commandements pour les rendre conforme au « génie », d’après l’idée que l’auteur s’en fait évidemment, de la langue grecque. Mais la publication, en 1860, d’un ouvrage qui compte plus de quatre cents pages61, est loin de remporter les suffrages de ses collègues, qui semblent lui réserver majoritairement un accueil plutôt hostile. Les nouveaux commandements proposés par Chantseris sont jugés trop proches du grec ancien, et, de ce fait, compliqués à retenir par les gradés et, surtout, difficiles, voire impossibles, à comprendre par les soldats, lesquels, contrairement aux officiers, ne maîtrisent ni la « katharévousa », la langue lettrée, ni, a fortiori, la langue de leurs illustres ancêtres. Une controverse aux termes violents, portée dans l’espace public, va opposer alors Chantseris et une série d’autres officiers, parfois plus gradés que lui, au sujet de ce qu’est un « bon » commandement militaire62. Ce sont les adversaires de Chantseris qui auront gain de cause sur ce point précis.

Conclusion

19 Entre 1830 et 1860, plusieurs officiers de l’armée grecque ont échangé l’épée pour la plume en traduisant ou en produisant des textes de facture plus personnelle pour rendre accessibles au public grec – leurs collègues en premier lieu – des connaissances théoriques et des savoirs pratiques parus d’abord dans une langue étrangère. Leur langue maternelle s’est trouvée de ce fait enrichie, de façon éphémère ou permanente, de nombreux nouveaux items linguistiques. Les quelques coups de sonde tentés ici donnent une première idée de cette production, dont l’analyse systématique attend encore son historien63. Mais, même au terme de ce parcours limité par l’espace disponible, quelques premières remarques d’ordre général émergent.

20 Trouver des militaires impliqués dans le processus de construction et le fonctionnement de plusieurs institutions et sphères d’activité de l’État « rationnel » au XIXe siècle, l’enseignement technique par exemple, n’a rien d’extraordinaire et, ici, le cas grec se range dans une longue liste contenant les noms de plusieurs pays à travers le globe64. Que des militaires soient aussi les auteurs d’ouvrages relatifs à leur champ professionnel – les sciences et les techniques modernes en faisant partie – est également un phénomène commun à plusieurs histoires nationales. Il en va de même de la question de la circulation des hommes et des objets, des pratiques et des savoirs, à l’origine de la création d’espaces transnationaux : à l’instar de collègues d’autres pays, les officiers-traducteurs grecs ont, en effet, souvent traversé, physiquement et/ou intellectuellement – par l’intermédiaire de leurs lectures –, les frontières nationales pour aller à la rencontre de connaissances et de savoir-faire déposés d’abord dans des langues autres que la leur.

21 Tout en se fondant dans un paysage plus large, le cas grec n’en présente pas moins une série des caractéristiques propres, lesquelles, si elles ne le rendent pas unique, lui confèrent à coup sûr une physionomie particulière et le dotent de plusieurs traits

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diacritiques, au sein de la famille des nations européennes du moins. Plus qu’ailleurs, le poids du passé, dont la grandeur est si unanimement célébrée par les autres membres de la famille dont on aspire à faire partie, a probablement ici lourdement pesé sur les épaules du jeune État-nation. Et c’est à travers la question de la langue que les rapports, réels mais surtout revendiqués et souhaités, entre les habitants de la Grèce moderne et les Grecs anciens ont trouvé un lieu d’élaboration et d’expression particulièrement intenses. Le travail de traduction et de production des nouveaux lexiques effectué par nos officiers dans le domaine des sciences et des techniques s’inscrit dans ce dialogue entre présent et passé, l’alimente, mais s’en sert aussi. Comme nous l’avons vu, la connaissance approfondie d’une langue morte (ici le grec ancien), produit d’un passé lointain, d’un côté, et, de l’autre, les besoins fonctionnels de l’État moderne, tourné quant à lui vers la gestion du présent et la planification de l’avenir, sont ici allés de pair. Est-ce que le travail des officiers grecs visant à créer des glossaires qui portent en eux, de façon inextricablement mêlée, aspects symboliques (identitaires) et fonctionnels constitue une particularité nationale ? Là comme ailleurs, la multiplication des études de cas et leur mise en regard constituent la voie la plus sûre à suivre pour obtenir des réponses solides à ces questions.

NOTES

1. Voir, à titre d’exemple, les ouvrages suivants et leurs bibliographies : Éric HOBSBAWM et Terence O. RANGER (dir.), The Invention of Tradition [1983], Cambridge, Cambridge University Press, 2012 ; Anne-Marie THIESSE, La création des identités nationales. Europe XVIIIe-XXe siècle [1999], Paris, Éditions du Seuil, 2001 (coll. Points) ; Stefan BERGER et Chris LORENZ (dir.), Nationalizing the Past: Historians as Nation Builders in Modern Europe, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2010. 2. Pour l’expression « État fiscal-militaire », voir John BREWER, The Sinews of Power: War, Money and the English State, 1688-1783, Knopf, New York, 1989. 3. Au milieu d’une littérature de plus en plus foisonnante, citons sans prétention d’exhaustivité : Éric H. ASH (dir.), Osiris, vol. 25, Expertise and the Early Modern State, 2010 ; Carol E. HARRISON et Ann JOHNSON (dir.), Osiris, vol. 24, National Identity: The Role of Science and Technology, 2009 ; Brett M. BENNETT et M. HODGE (dir.), Science and Empire: Knowledge and Networks of Science across the British Empire, 1800-1970, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2011 ; Patrick CARROLL, Science, Culture, and Modern State Formation, Berkeley, University of California Press, 2006 ; Audra J. WOLFE, Competing with the Soviets: Science, Technology, and the State in Cold War America, Baltimore, The John Hopkins University Press, 2012. 4. Voir la somme récente d’Olivier DELORME, La Grèce et les Balkans, 3 vol., Paris, Gallimard, 2013, le premier tome notamment ; Thomas W. GALLANT, Modern Greece, Londres, Arnold, 2001.

5. Voir à titre indicatif : Roderick BEATON et RICKS (dir.), The Making of Modern Greece: Nationalism, Romanticism and the Uses of the Past (1797-1896), Farnham, Ashgate, 2009 ; Eleni BASTEA, The Creation of Modern Athens: Planning the Myth, Cambridge, Cambridge University Press, 2000 ; Antonis LIAKOS, « The Construction of National Time: The Making of the Modern Greek Historical Imagination », Mediterranean Historical Review, vol. 16, no 1, 2001, p. 27-42 ; Victor ROUDOMETOF, « Invented Traditions, Symbolic

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Boundaries, and National Identity in Southeastern Europe: Greece and Serbia in Comparative-Historical Perspective 1830-1880 », East European Quarterly, vol. 32, no 4, 1998, p. 429-468. Le cas grec est traité (brièvement) dans une perspective comparative dans l’ouvrage d’Anthony D. SMITH, The Cultural Foundations of Nations: Hierarchy, Covenant, and Republic, Oxford, Blackwell, 2008, p. 160-166 et passim.

6. Yiannis ANTONIOU, Michalis ASSIMAKOPOULOS et Konstantinos CHATZIS, « The National Identity of Inter-war Greek Engineers: Elitism, Rationalization, Technocracy, and Reactionary Modernism », History and Technology, vol. 23, no 3, 2007, p. 241-261 ; Foteini ASSIMACOPOULOU, Konstantinos CHATZIS et Georgia MAVROGONATOU, « Implanter les “Ponts et Chaussées” européens en Grèce : le rôle des ingénieurs du corps du Génie, 1830-1880 », Quaderns d’Història de l’Enginyeria, vol. X, 2009, p. 331-350 ; Konstantinos CHATZIS, « La modernisation technique de la Grèce, de l'indépendance aux années de l'entre-deux-guerres : faits et problèmes d'interprétation », Études Balkaniques, vol. 40, no 3, 2004, p. 3-23. 7. Sur ce point, voir aussi les analyses de Foteini ASSIMACOPOULOU, « I techniki orologia sta stratiotika periodika tou 19ou aiona: provlimata ermineias », Neoellinika Istorika, vol. 3, 2013, p. 219-240. 8. Sur la diaspora grecque : Ioannis K. CHASIOTIS, Olga KATSIARDI-HERING et Evrypidi A. AMPATZI (dir.), Oi Ellines sti Diaspora, 15os-21os. ai., Athènes, Vouli ton Ellinon, 2006 ; Dimitris TZIOVAS (dir.), Greek Diaspora and Migration since 1700: Society, Politics and Culture, Farnham, Ashgate, 2009. 9. Paschalis M. KITROMILIDES, Enlightenment and Revolution: The Making of Modern Greece, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2013 ; Konstantinos Th. DIMARAS, Neoellinikos Diafotismos [1977], Athènes, Ermis, 1993 (6e éd.). 10. Peter MACKRIDGE, Language and National Identity in Greece, 1766-1976, Oxford, Oxford University Press, 2009, p. 70-71. 11. Pour une analyse de cette production et de son contexte historique : Efthymios NICOLAIDIS, « Les livres qui ont introduit les sciences dans le monde grec au siècle des Lumières », Revue d’histoire des sciences, vol. 40, no 3-4, 1987, p. 367-376 ; Efthymios NICOLAIDIS, Science and Eastern Orthodoxy. From the Greek Fathers to the Age of Globalization, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2011 ; Georgia PETROU, « Translation Studies and the History of Science: The Greek Textbooks of the 18th Century », Science & , vol. 15, 2006, p. 823-840 ; Manolis PATINIOTIS, « Textbooks at the Crossroads: Scientific and Philosophical Textbooks in 18th Century Greek Education », Science & Education, vol. 15, 2006, p. 801-822. 12. George N. VLAHAKIS, « The Greek Enlightenment in Science: Hermes the Scholar and its Contributions to Science in Early Nineteenth-Century Greece », History of Science, vol. 37, 1999, p. 319-346. 13. L’expression date de l’extrême fin des années 1850 ; elle est citée par Gunnar HERING, Ta politika kommata stin Ellada, 1821-1936 [1992], 2 vol., Athènes, MIET, 2004, p. 460. 14. Sur l’organisation de l’État grec durant les premières décennies de son existence, voir : Stefanos P. PAPAGEORGIOU, Apo to genos sto ethnos: i themeliosi tou Ellinikou kratous, 1821-1862, Athènes, Papazisi, 2005 (2e éd.) ; Kostas KOSTIS, « Ta kakomathimena paidia tis istorias ». I diamorfosi tou Neoellinikou kratous, 18os-21os aionas, Athènes, Polis, 2013. 15. Sur le cas de la science du droit, l’un des piliers sur lesquels va s’appuyer le jeune État grec en voie de constitution dans ses efforts d’intégrer le cercle des nations développées, voir plusieurs contributions dans Vassilis PANAYOTOPOULOS, Roxane ARGYROPOULOS et Triantafyllos SCLAVÉNITIS (dir.), La Révolution française et l’hellénisme moderne : Actes du IIIe colloque d’histoire (Athènes 14-17 octobre 1987), Athènes, Centre de Recherches Néohelléniques, 1989 ; Nikolaos PANTAZOPOULOS, « Georg Ludwig von Maurer: i pros evropaïka protypa oloklirotiki strofi tis neoellinikis

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nomothesias » [1968], dans Id., Neoelliniko kratos kai Evropaïki Koinotita. O katalytikos rolos ton Vavaron, Athènes, Parousia, 1998, p. 93-240. 16. Cité par Konstantinos Th. DIMARAS, « Lexikografia kai ideologia », introduction à l’ouvrage de Stefanos A. KOUMANOUDIS, Synagogi neon lexeon ypo ton logion plastheison apo tis aloseos mechri ton kath’imas chronon (Prolegomena K. Th. Dimara), Athènes, Ermis, 1998 (1re éd. : 1900), p. vii-lxiii (p. lxi). 17. Sur Skarlatos Vyzantios et son œuvre, voir rapidement : Georgios MPAMPINIOTIS, « I kath’imas elliniki dialektos », To Vima, 8 mars 1998 (http://www.tovima.gr/opinions/article/?aid=96896). 18. Skarlatos D.VYZANTIOS, Lexikon epitomon tis Ellinikis Glossis, syntethen men ypo Skarlatou D. tou Vyzantiou epi ti vasei panton ton achri toude ekdedomenon Ellinikon lexikon…, Athènes, Ek tis Typografias tou aftou Andreou Koromila, 1839 (1454 p.) (cité par la suite comme VS 1839) ; S. D. VYZANTIOS, Lexikon tis Ellinikis Glossis syntethen men ypo Skarlatou D. tou Vyzantiou epi ti vasei panton ton achri toude ekdedomenon Ellinikon lexikon idios de tou en Parisiois…, 2 vol., Athènes, Ek tis Typografias Andreou Koromila, 1852 (1582 p.) (cité par la suite comme VS 1852). 19. Viky KARAFOULIDOU, I glossa tou sosialismou. Taxiki prooptiki kai ethniki ideologia ston Elliniko 19o aiona, Athènes, Vivlioarama, 2011, p. 36-51 notamment. 20. Le grand helléniste Émile Legrand (1841-1903) mentionne pas moins de douze traités de grammaires de « grec vulgaire » (grec moderne) parus dans diverses langues entre 1805 et 1839, tout en admettant, à juste titre, que sa liste n’est pas exhaustive : Émile LEGRAND, Grammaire grecque moderne, suivie du panorama de la Grèce d’Alexandre Soutsos publié d’après l’édition originale, Paris Maisonneuve et Cie Libraires-Éditeurs, 1878. Plusieurs de ces grammaires sont stockées sous forme digitale aux adresses suivantes : http://anemi.lib.uoc.gr/ (site du « Digital Library of Modern Greek Studies ») ; http://www.epset.gr/en/Digital-Content/Digital-Libraries (Portail des Librairies publiques grecques). 21. Pour le cas du français, voir Élisabeth PAPAGÉORGIOU-PROVATA, « La Révolution française dans les livres d’enseignement français dans les premières décennies du XIXe siècle : Chrestomathies », dans V. PANAYOTOPOULOS et al. (dir.), La Révolution française et l’hellénisme moderne, op. cit., p. 507-518. Plusieurs ouvrages destinés à l’apprentissage de langues étrangères ainsi qu’à la maîtrise du grec ancien, publiés dans la première moitié du XIXe siècle, peuvent être consultés aux adresses données à la note 20. 22. Voir, par exemple, Skarlatos D. VYZANTIOS, Lexikon tis kath’imas Ellinikis dialektou, methirminevmenis eis to Archaion Ellinikon kai to Gallikon…, Athènes, Ek tou epi ton idiot. ergon tmimatos tis Vasil. Typografias, sans date [1835]. 23. Citons Johann-Adolf Erdmann SCHMIDT, Neon Lexikon procheiron Aplo-Ellinikon – Gallikon kai Germanikon, En Leipsia, Para Edouardo Koummer, 1838. 24. C’est le cas de Georgios THEOCHAROPOULOS, Vocabulaire classique, Français, Anglais, Grec moderne et ancien/Onomastikon Klassikon Tetraglosson Gallagglograikellinikon, Munich, sans nom d’éditeur, 1834. 25. Plusieurs de ces dictionnaires sont consultables sur les sites de la Digital Library of Modern Greek Studies et du Portail des Librairies publiques grecques, indiqués dans la note 20. Notons que deux dictionnaires de l’époque ont fait récemment l’objet d’une réédition anastatique. Il s’agit de la deuxième édition (1852) du dictionnaire de S. VYZANTIOS, Lexikon tis Ellinikis Glossis syntethen men ypo Skarlatou D. tou Vyzantiou epi ti vasei panton ton achri toude ekdedomenon Ellinikon lexikon idios de tou en Parisiois…, op. cit. (Athènes, Ekdoseis Epikairotita, sans date) ; et du dictionnaire signé par Johann-Adolf Erdmann SCHMIDT (1769-1851), intitulé Epitomon lexikon tis Ellinikis glossis, kata to stereotypon tou Germanou I.A.E. Smiditiou, Athènes, Ek tou Typografeiou Em. Antoniadou, 1851 (Athènes, Eleftheri Skepsis, 2004). 26. Stefanos A. Koumanoudis (1818-1899), l’auteur d’un ouvrage monumental enregistrant mot après mot quelques soixante mille termes forgés par les lettrés grecs du milieu du XVe à la fin du XIXe siècle, écrit à propos d’un terme proposé au début des années 1890 : « nous sommes

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insatiables quand il s’agit de créer des mots, encore et toujours des mots » (S. A. KOUMANOUDIS, Synagogi neon lexeon ypo ton logion plastheison apo tis aloseos mechri ton kath’imas chronon, op. cit., p. 512 ; notre traduction). 27. Skarlatos D. VYZANTIOS, Dictionnaire Grec-Français et Français-Grec/Lexikon Ellino-Gallikon kai Gallo- Ellinikon, Athènes, Imprimerie d’André Coromélas, 1856 (2e éd.). 28. Sur le corps du génie et l’École militaire, voir : Konstantinos CHATZIS, « Des ingénieurs militaires au service des civils (1829-1878) : les officiers du génie en Grèce au XIXe siècle », dans Konstantinos CHATZIS et Efthymios NICOLAIDIS (dir.), Science, Technology and the 19th Century State: The Role of the Army, Athènes, Centre de Recherches Néo-helléniques, 2003, p. 69-90 ; F. ASSIMACOPOULOU et al., « Implanter les ‘Ponts et Chaussées’ européens en Grèce : le rôle des ingénieurs du corps du génie, 1830-1880 », op. cit. Quand nous ne précisons pas nos sources d’information, nous nous appuyons sur ces deux publications, qui mentionnent aussi la (maigre) littérature secondaire sur le sujet. Signalons que le livre de référence sur la création de l’École militaire est Andreas KASTANIS, I Stratiotiki Scholi ton Evelpidon kata ta prota chronia tis leitourgias tis, 1828-1834, Athènes, Ellinika Grammata, 2000. De cet historien, sur le même sujet, on peut lire en anglais : Andreas KASTANIS, « The Teaching of Mathematics in the Greek Military Academy during the First Years of its Foundation (1828-1834) », Historia Mathematica, vol. 30, 2003, p. 123-139. 29. Nos calculs sont réalisés d’après les listes nominatives annuelles contenues dans Epameinontas K. STASINOPOULOS, I Istoria tis Scholis ton Evelpidon. Epochi Kapodistria kai Othonos, Athènes, 1933. 30. Sur la notion de Bildungsbürgertum et son usage dans l’historiographie, voir Jürgen KOCKA, « Modèle européen et cas allemand » [1993], dans Id. (dir.), Les bourgeoisies européennes au XIXe siècle, Paris, Éditions Belin, 1996, p. 7-47. 31. Pour placer les informations dans un contexte comparatif, voici quelques données au sujet de l’enseignement des langues étrangères au sein du système polytechnicien. Selon le programme d’enseignement pour l’année scolaire 1832-1833, les polytechniciens reçoivent des cours d’anglais et d’allemand durant la seconde année de leurs études à hauteur de trente-quatre leçons (pour un total de quatre heures pour une leçon et l’étude de cette leçon) pour chaque matière (Annuaire de l’École royale polytechnique, pour 1833, Paris, Bachelier, 1832, p. 144, p. 138 et passim). C’est l’allemand qui est enseigné à l’École de l’artillerie et du génie de Metz dans les années 1830 (Ordonnance et Réglemens [sic] concernant l’École d’application de l’artillerie et du génie, Metz, De l’Imprimerie de S. Lamort, 1831, p. 10). Juste après sa réorganisation de 1804, l’École des ponts et chaussées propose à ses élèves des « conférences » d’italien et d’allemand. Plus tard, on va ajouter des « conférences » sur l’anglais. Sur l’enseignement des langues étrangères à l’École des ponts, voir, pour le moment, les informations éparses trouvées dans Margaret BRADLEY, A Career Biography of Gaspard Clair François Marie Riche de Prony, Bridge-Builder, Educator and Scientist, Lewiston, The Edwin Mellen Press, 1998, p. 274, 286, 294-295, 301 et 323 (l’auteur s’appuie sur des documents d’archive). Dans une note rédigée en 1830, on apprend que « jusqu’à ce jour », les élèves de l’établissement « se sont montrés entièrement dépourvus » de zèle et d’assiduité pour l’étude des langues étrangères (M. BRADLEY, A Career Biography of Gaspard Clair François Marie Riche de Prony, Bridge-Builder, Educator and Scientist, op. cit., p. 295). Sur l’enseignement de l’anglais à l’École des ponts, on peut aussi consulter l’ouvrage publié par le « maître de langues » Alexander SPIERS, Étude raisonnée de la langue anglaise ou grammaire raisonnée, cours de versions et dictionnaire raisonné du texte dans l’ordre des matières, Paris, Baudry, 1840 (4e éd.). Notons enfin que l’enseignement du français fait partie du curriculum des Écoles militaires aux États-Unis dans la première moitié du XIXe siècle (Konstantinos CHATZIS et Thomas PREVERAUD, « La présence française dans la formation des ingénieurs américains durant les deux premiers tiers du XIXe siècle : aspects institutionnels et intellectuels », Artefact. Techniques, Histoire et Sciences humaines, no 5, 2017, p. 113-126).

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32. Pour l’emploi du temps : Archives générales de l’État : Genika Archeia tou Kratous/Othoniko/ Ypourgeio Stratiotikon, F 409. Aux origines de l’École militaire, l’enseignement du français s’appuyait sur un traité de grammaire rédigée par le professeur du français de l’établissement, Stefanos PAPPAS, Stoicheia tis Gallikis grammatikis tou Lomon. Metafrasthenta kai tropopoiithenta pros chrisin tis Ellinikis neolaias, Nauplie, Ek tis Ethnikis Typografias dieftynomenis ypo Pavlou Patrikiou, 1831 (plusieurs éditions dans les années 1830 et 1840). D’autres professeurs de français à l’École militaire durant la période 1830-1860 ont publié à leur tour des méthodes d’apprentissage de cette langue. Voir, par exemple : A. ERKOULIDIS, Eisigitis tis Gallikis Glossis…, Egine, Ek tis Ethnikis Typografias diefthynomenis ypo Apostolidou Kosmitou, 1831 (2e éd. 1838) ; K. KAMVIOLOS, Galliki Grammatiki itoi nea methodos pros ekmathisin tis Gallikis Glossis. Meros Proton Technologikon, Athènes, Ek tou Typografeiou X.N. Philadelfeos, 1853. Sur l’enseignement du grec pendant les premières années du fonctionnement de l’institution, voir A. KASTANIS, I Stratiotiki Scholi ton Evelpidon kata ta prota chronia tis leitourgias tis 1828-1834, op. cit., p. 92-99 et passim. On peut se faire une idée de l’enseignement du grec (dans sa partie « grammaire ») dans les années 1840 grâce au livre de P. LIVADAS, Stoicheia tis Ellinikis grammatikis, syntachthenta pros chrisin ton mathiton tis en Peiraiei Strat. Scholis…, Athènes, Ek tou Typografeiou K. Antoniadou, 1848. 33. Archives générales de l’État, Genika Archeia tou Kratous/Othoniko/Ypourgeio Stratiotikon, F 444, « Katalogos ton en ti allodapi ekpaidevomenon Kon Axiomatikon ». 34. Archives générales de l’État, Genika Archeia tou Kratous/Othoniko/Ypourgeio Startiotikon, F 435 (« Mathitai eis tin allodapin 1851-53 »), Lettre de Leonidas Vlassis à l’ambassadeur du gouvernement grec à Paris, datée du 5/17 mai 1852 [les deux dates correspondent au calendrier julien, en usage dans la Grèce de l’époque, et au calendrier grégorien]. 35. Joëlle DALÈGRE, Grecs et Ottomans 1453-1923. De la chute de Constantinople à la disparition de l’Empire Ottoman, Paris, L’Harmattan, 2002. 36. Sur Soutzos (orthographié aussi comme Soutsos), voir A. KASTANIS, I Stratiotiki Scholi ton Evelpidon kata ta prota chronia tis leitourgias tis, 1828-1834, op. cit., p. 152-153. Le livre en question contient plusieurs notules biographiques sur les élèves et professeurs de l’École militaire pendant les premières années de son existence. 37. Voir : Anonyme [Christos Vyzantios (1805-1877)], « Peri tis stratiotikis philologias », Efimeris tou Stratou Apomachos, 30 septembre 1860, p. 329-344 (p. 335-336 notamment) ; Vasileios SAPOUNTSAKIS, Stoicheiodis pragmateia peri tis proskairou ochyromatikis, pros chrisin tou Ellinikou Stratou eranistheisa ypo V. Sapountsaki, Athènes, Typois K. Ralli, 1845, p. ιθ (p. xix). 38. Anonyme, « Peri tis stratiotikis philologias », op. cit., p. 336. 39. Pour repérer ces ouvrages, nous avons utilisé deux bases de données bibliographiques en ligne : http://anemi.lib.uoc.gr/ ; et (surtout) http://www.benaki.gr/bibliology/19.htm 40. On trouve une première présentation de différentes revues jusqu’en 1860 dans : Anonyme, « Peri tis stratiotikis philologias », op. cit., p. 336-338. Sur ces revues, sujet qui mérite une étude systématique, outre l’article que nous venons de citer, voir, pour le moment, les annotations dans F. ASSIMACOPOULOU, « I techniki orologia sta stratiotika periodika… », op. cit. 41. Voir par exemple : Apomachos, 30 octobre 1857, p. 210-215. 42. Voir, par exemple, V. SAPOUNTSAKIS, Stoicheiodis pragmateia peri tis proskairou ochyromatikis, pros chrisin tou Ellinikou Stratou, op. cit., p. 256-263. 43. Grigorios Alexandros CHANTSERIS, Lexikon ton stratiotikon epistimon kai technon, ek tis Gallikis glossis eis tin Germanikin kai tin Ellinikin, pros chrisin ton Axiomatikon tou Ellinikou Stratou, Athènes, Typois X. Nikolaïdou Philadelfeos, 1847. 44. Konstantin KOTSOWILIS, « Oi Ellines foitites tou Monachou (apo 1826 eos 1844). Die griechischen Studenten in München (von 1826 bis 1844) » : http://kotsowilis.blogspot.fr/ 2015/08/1826-1844die-griechischen-studenten-in.html (consulté le 20 novembre 2017) ; Anton J.

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J. Frh. v. SCHÖNHUEB, Geschichte des königlich bayerische Cadetten-Corps…, Druck von J. Deschler in der Vorstadt Au., Munich, 1856. 45. Stephen SUMMERFIELD, « The Important Family of Saxon Artillery Officers, the Rouvroys », Smoothbore Ordnance Journal, no 1 (07), août 2010, p. 1-4. 46. Sur la pratique de la souscription dans le cas des livres publiés en grec au XVIIIe siècle et aux premières décennies du siècle suivant, voir Philippos ILIOU, Istories tou ellinikou vivliou, Hérakleion, Panepistimiakes Ekdoseis Kritis, 2005. 47. Nous avons repéré cinq autres ouvrages de l’auteur, le dernier, paru en 1870, étant une publication post-mortem. 48. Antonios Th. IPITIS, Lexikon Galloellinikon kai Ellinogallikon epistimonikon kai technikon oron..., t. A, Athènes, 1895, p. 5-6. Deux ouvrages de Chantseris figurent dans la courte liste bibliographique du travail lexicographique de S. KOUMANOUDIS, Synagogi neon lexeon ypo ton logion plastheison apo tis aloseos mechri ton kath’imas chronon, op. cit., p. 1147. 49. Il s’agit selon toute vraisemblance du traité de Nicolas SAVART, Cours élémentaire de fortification, à l’usage de MM. les élèves de l’École spéciale militaire…, Paris, Anselin et Pochard, 1825 (2e éd.) (V. SAPOUNTSAKIS, Stoicheiodis pragmateia peri tis proskairou ochyromatikis, pros chrisin tou Ellinikou

F0 F0 Stratou, op. cit., p. 69 68 (p. 18)). 50. Guillaume PIOBERT, Traité d’artillerie théorique et pratique. Précis de la partie élémentaire et pratique, Paris, Leneveu, 1836 (une 3e édition va paraître chez Bachelier en 1852) ; Ioannis RIZOS, Mathimata oplikis syntethenta epi ti vasei diaforon xenon stratiotikon syggrammaton, Athènes, Ek tis Typografias K. Ralli, 1847, p. ιβ (p. 12). 51. Isidore DIDION, Valistikis stoicheiodi mathimata para I. Didion antisyntagmatarchou tou pyrovolikou … metafrasis ek tou Gallikou para Vlassiou Valtinou, anthypolochagou tou pyrovolikou, Athènes, Ek tou Typografeiou D. Ath. Mavrommatoi, 1854 (Isidore Didion, Cours élémentaire de balistique, adopté par M. le Ministre de la Guerre pour l’enseignement des élèves de l’École spéciale militaire de -Cyr, Paris, Librairie militaire de J. Dumaine, 1852). Sur Piobert et Didion, leurs travaux scientifiques et leur enseignement, voir Bruno BELHOSTE et Antoine PICON (dir.), L’École d’application de l’artillerie et du génie de Metz (1802-1870). Enseignement et recherches, Paris, Musée des Plans-Reliefs, 1996 (plusieurs textes). Rappelons que, à la même époque, les Français traduisent aussi beaucoup dans le domaine de l’artillerie à partir de l’allemand. Voir Patrice BRET (avec la collaboration de Norbert VERDIER), « Sciences et Techniques », dans Yves CHEVREL, Lieven D’HULST et Christine LOMBEZ (dir.), Histoire des traductions en langue française. « XIXe siècle, 1815-1914 » , Lagrasse, Verdier, 2012, p. 927-1007 (p. 980-982 notamment). 52. Nikolaos I. SOUTSOS, Mathimata Odopoiias, Athènes, Ek tis Typografias Io. Aggelopoulou, 1855 (1856 sur la couverture) (l’auteur a publié un second ouvrage sur le même sujet en 1875). 53. Voir par exemple, V. SAPOUNTSAKIS, Stoicheiodis pragmateia peri tis proskairou ochyromatikis, pros

F0 F0 chrisin tou Ellinikou Stratou, op. cit., p. 69 68 (p. 18). 54. Sans souci d’exhaustivité, citons : Pascal CROZET et Annick HORIUCHI (dir.), Traduire, transposer, naturaliser : la formation d’une langue scientifique moderne hors des frontières de l’Europe au XIXe siècle, Paris, L’Harmattan, 2004, où les différents chapitres de l’ouvrage traitent principalement des cas japonais et chinois (sept contributions), avec un second pôle constitué par les cas de l’Égypte, de la Turquie et de l’aire de culture ourdoue (trois études) ; Pascal CROZET, Les sciences modernes en Égypte. Transfert et appropriation, 1805-1902, Paris, Geuthner, 2008; Scott L. MONTGOMERY, Science in Translation. Movements of Knowledge Through Cultures and Time, Chicago, The University of Chicago Press, 2000 (les ch. 5 et ch. 6 sont consacrés au Japon) ; David WRIGHT, Translating Science: The Transmission of Western Chemistry into Late Imperial , 1840-1900, Leiden, Brill, 2000 ; Fan XIANGTAO, « Scientific Translation and its Social Functions: A Descriptive-Functional Approach to Scientific Textbook Translation in China », The Journal of Specialised Translation, no 7, janvier 2007, p. 43-73.

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55. Pour plus de développements sur ces points et une série d’autres exemples, voir : Konstantinos CHATZIS, « Écrire la statique graphique en “grec”, 1890-1990 », dans Robert CARVAIS, André GUILLERME, Valérie NÈGRE et Joël SAKAROVITCH (dir.), Édifice et artifice, histoires constructives, Paris, Picard, 2010, p. 191-197 ; Id., « Écrire les sciences de l’ingénieur en grec : autour de deux livres pionniers en matière de technologie antisismique », Études Balkaniques, vol. 43, no 2, 2007, p. 111-124. 56. Voir Emmanouil MANITAKIS, Egcheiridion tou Michanikou Somatos, itoi syllogi nomon, V. diatagmaton…, Athènes, Ek tou Typografeiou K. Antoniadou, 1859, p. 112 ; N. SOUTSOS, Mathimata Odopoiïas, op. cit., p. 122. 57. A. PRAÏDIS, « Peri diaskafis tou isthmou tou Suez, ek tou Gallikou », Efimeris tou Stratou Apomachos, 30 juillet 1861, p. 555-570 ; 15 septembre 1861, p. 609-624 (p. 613-614 en particulier). 58. Sur la « katharévousa », devenue la langue officielle de l’État grec jusqu’en 1976, ainsi que sur sa place dans l’histoire de la langue grecque, voire celle du pays, voir : P. MACKRIDGE, Language and National Identity in Greece, 1766-1976, op. cit. ; Geoffrey C. HORROCKS, Greek: A History of the Language and its Speaker, Oxford, Wiley-Blackwell, 2010 (2e éd.) ; Herni TONNET, Histoire du grec moderne, Paris, L’Asiathèque, 2011 (3e éd.). 59. Notons que la question de la « pureté » de la langue grecque (question portant à la fois sur les critères définissant cette « pureté » et sur le degré de réussite de l’opération de la « purification »), signe que l’opération d’« hellénisation » (du vocabulaire, de la syntaxe…) n’est pas allée aussi loin que certains le souhaiteraient, revient périodiquement sur la scène intellectuelle depuis le XIXe siècle. Pour un témoignage des débats qui ont eu lieu dans les années 1980, voir, par exemple, Giannis M. KALIORIS, Paremvaseis II: Glossika, Athènes, Exantas, 1986, qui contient aussi des excursions historiques. 60. La première opération d’« hellénisation » des commandements pour l’infanterie à partir du règlement français semble avoir eu comme auteur Christos NIKOLAÏDIS, Kanoniki periechousa tin gymnastikin kai praktikin tou pezikou stratevmatos, metafrastheisa ek tou gallikou eis tin graikikin glossan, Génève, Ek tis Typografias P.A. Vonnantou, 1824. Voir aussi les informations contenues dans Anonyme, « Peri tis stratiotikis philologias », op. cit., p. 330-334. 61. Grigorios Alexandros CHANTSERIS, Peri ton en tais askisesi kai tais taktikais kinisesi tou stratou paraggelmaton, meta simeioseon, martyrion kai parapompon, Athènes, Typois X. Nikolaïdou Philadelfeos, 1860. 62. Voir par exemple la « recension » de l’ouvrage de Chantseris, à l’époque capitaine, par le colonel Georgios Karatzas, le directeur de l’École militaire : G. KARATZAS, « Peri ton stratiotikon paraggelmaton », Efimeris tou Stratou Apomachos, 1er juin 1860, p. 243-248 ; 15 juin 1860, p. 249-260 ; 15 septembre 1860, p. 313-327. Chantseris répondra de façon véhémente aux critiques de Karatzas, qui figure parmi les souscripteurs du livre incriminé (G. A. CHANTSERIS, Peri ton en tais askisesi kai tais taktikais kinisesi tou stratou paraggelmaton, op. cit., p. 405), dans les colonnes du journal Aion (no 1916, 1er septembre 1860). L’auteur avait déjà répondu, toujours dans Aion (n o 1898), à une autre note critique anonyme parue dans le journal Athina (n o 2886, 23 juin 1860). Précisons que le débat qui va opposer Chantseris et ses détracteurs ne sera pas la seule controverse portant sur des matières scientifiques qui sera portée dans la presse de l’époque. Pour un autre exemple, autour des statistiques cette fois, voir Konstantinos CHATZIS, « “Sous les yeux de l’Occident”. Statistique et intégration européenne au XIXe siècle, l’exemple de la Grèce », Histoire & Sociétés, no 21, mars 2007, p. 8-17 (p. 16 notamment). 63. Celui-ci peut s’inspirer des travaux déjà cités dans les notes, auxquels on ajoutera les contributions, et leurs bibliographies, qui forment le récent ouvrage collectif dirigé par Y. CHEVREL et al. (dir.), Histoire des traductions en langue française, op. cit., ainsi que les travaux d’Irina Gouzévitch sur le cas russe (voir, par exemple, I. GOUZÉVITCH, « De la Moscovie à l’Empire Russe : le transfert des savoirs européens », Bulletin de la SABIX, no 33, mai 2003).

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64. Voir, par exemple, deux travaux de synthèse : Barton C. HACKER, « Engineering a New Order: Military Institutions, Technical Education, and the Rise of the Industrial State », Technology and Culture, vol. 34, no 1, 1993, p. 1-27 ; Michael MANN, The Sources of Social Power, vol. 2: The Rise of Classes and Nation-States, 1760-1914, Cambridge, Cambridge University Press, 2012 (2e éd.), chapitres 11 à 14 en particulier.

RÉSUMÉS

Durant les trois premières décennies de l’existence de l’État grec indépendant (1832), les officiers grecs vont s’illustrer moins dans les champs de bataille et plus dans la vie intellectuelle du pays. Un grand nombre d’entre eux signent alors en grec, comme traducteurs ou comme auteurs d’une œuvre plus personnelle, plusieurs ouvrages et articles relatifs aux sciences et techniques modernes, y compris l’art du commandement militaire. Pour réaliser ce travail, ils ont dû mobiliser massivement leur connaissance du grec ancien et leur familiarité avec la littérature de leurs ancêtres afin de rendre en grec moderne des centaines de termes scientifiques et techniques de l’époque. Qui sont ces officiers ? Quel a été le bagage littéraire et scientifique acquis lors de leurs études à l’École militaire et dans les divers établissements scientifiques et techniques qu’ils ont fréquentés à l’étranger ? Quelles stratégies et quels supports de traduction ont-ils adoptés ? Quel a été le résultat de leurs efforts, en matière de constitution de l’État grec moderne en particulier ? Voici une série de questions auxquelles cet article s’attache à apporter des éléments de réponse.

During the first three decades after Modern Greece gained its independence (1832), Greek military officers would less distinguish themselves in the battlefields and much more in the intellectual life of the country. Indeed, many of them authored in Greek, as translators or authors of a more personal work, several books and articles on modern science and technology. To do so, they had to make use of their knowledge of Ancient Greek as well as their acquaintance with the literature of their ancestors on science and technology in order to render in Modern Greek hundreds of scientific and technical terms of the time. Who were these officers? What was the literary and scientific background they acquired at the Greek Military Academy and at the various European higher education establishments in which they pursued their studies? What translation strategies and conduits had they adopted and resorted to? What was the result of their efforts, especially regarding Greek state building? Here is a series of questions to which this article seeks to provide some answers.

INDEX

Mots-clés : État grec, officier militaire, traduction, XIXe siècle Keywords : Greek State, military officer, translation, 19th century

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AUTEUR

KONSTANTINOS CHATZIS IFSTTAR/LATTS

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Les traductions des textes techniques destinées aux officiers des armes savantes (Italie–France / France–Italie, 1750-1840)

Lorenzo Cuccoli

Je tiens à remercier Patrice Bret et Maria Pia Casalena pour leurs précieuses suggestions.

1 La littérature technique militaire a joué un rôle important pour accompagner les réformes des armes savantes, de leur enseignement et de leurs matériels dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et les premières décennies du XIXe siècle, époque à laquelle la France a constitué un modèle avec l’École du génie de Mézières, fondée en 1748, et l’artillerie nouvelle de Gribeauval, développée et mise en place, non sans une forte résistance, au lendemain de la Guerre de Sept Ans1. Il en est de même d’ouvrages hostiles aux doctrines en place, qui n’ont pas trouvé en France un écho suffisant pour les supplanter, mais ont pu rencontrer un succès plus grand à l’étranger, comme la « fortification perpendiculaire » de Montalembert en Allemagne ou aux États-Unis2. La traduction a joué un rôle non négligeable dans la diffusion de ces ouvrages, mais l’historiographie a porté peu d’attention aux traductions de textes techniques militaires en général, pourtant fort nombreuses, à leur genèse et à leur impact, comme à la personnalité des traducteurs et à leurs motivations3.

2 Ce silence est particulièrement regrettable pour les traductions réalisées dans ce domaine, dans les deux sens, entre la France et l’Italie, pour éclairer les échanges et les influences mutuelles entre ces espaces linguistiques, à cette époque de bouleversements politiques et militaires qui allaient conduire aux guerres révolutionnaires et impériales et, à terme, à l’unité italienne. En revanche, depuis peu, l’historiographie italienne a commencé à s’intéresser concrètement aux médiations et aux transferts culturels transnationaux entre la seconde moitié du XVIIIe siècle et le Risorgimento4. En nous insérant dans cette tradition d’études, nous proposons ici une étude de cas des circulations et transferts entre la France et la péninsule italienne, plus

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spécialement consacrée aux dynamiques relatives aux corps savants entre le milieu du XVIIIe siècle et celui du XIXe. Comment ces traductions participent-elles des dynamiques des Lumières, de la Révolution française et de l’émergence du Risorgimento ?

3 Après avoir présenté les logiques d’établissement du corpus en cherchant à identifier d’éventuelles spécificités des traductions à l’usage des armes savantes, nous examinerons tour à tour celles du XVIIIe siècle, antérieures à la Révolution française, puis celles du XIXe siècle. Enfin, par l’étude de traductions des années 1830 faites par des civils, nous chercherons à vérifier la validité de spécificités de la traduction militaire à cette époque.

Établissement et analyse du corpus

4 Cette étude porte sur les traductions de l’italien en français et du français en italien des textes techniques destinés aux officiers de l’artillerie et du génie entre 1750 et 1840. Les traductions de l’italien en français ont été repérées dans les recueils publiés par Giovanni Dotoli et Vito Castiglione Minischetti pour les XVIIIe et XIXe siècles5. La liste des traductions du français en italien a été établie à partir du catalogue unique italien ICCU6.

5 Les principes suivants ont présidé à l’inclusion d’un ouvrage dans le corpus. Pour les textes eux-mêmes : tout d’abord, seules les monographies ont été retenues, à l’exclusion des articles de périodiques ; ensuite, l’ouvrage devait être « technique » dans une acception large, en incluant les manuels de service, de physique appliquée, de balistique et d’ingénierie, mais en excluant les mathématiques pures7 ; enfin, il devait être destiné, dans sa traduction et, de préférence, pour l’original, aux officiers ou élèves du génie ou de l’artillerie. Quant aux traducteurs, ils devaient être officiers de ces armes savantes ou à défaut officiers d’une autre arme ayant un intérêt pour la technique : Pampani et Zener constituent des « hybrides », le premier appartenant aux ingénieurs-géographes, qui étaient liés au génie, et le deuxième étant capitaine des milices, qui contenaient des bombardiers, tandis que de Flavigny appartenait à la cavalerie. Les auteurs eux-mêmes se révèlent être des officiers des armes savantes ou des professeurs des écoles militaires. On est donc en présence d’œuvres qui, avec des exceptions, circulaient dans une sorte de circuit clos au sein des corps respectifs.

6 À ce corpus intègre sont joints également deux ouvrages de Bernard Forest de Bélidor (1693-1761) qui ont été traduits en italien par des civils. Cette apparente exception aux critères généraux de sélection pour des textes de la première moitié du XVIIIe siècle, qui connaissent une nouvelle actualité avec des rééditions commentées au début du XIXe siècle, s’explique par leur importance et par l’intérêt que représente l’utilisation, par des ingénieurs civils, de textes destinés aux ingénieurs militaires. Ce cas particulier nous permet également, in fine, de vérifier la spécificité, ou non, de la traduction militaire dans les textes techniques destinés aux officiers des armes savantes.

Tableau 1 – Traductions de l’italien en français

Auteur Traducteur Traduction Édition originale

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Papacino Examen de la poudre, Amsterdam, Marc- Esame della polvere, Torino, Flavigny d’Antoni Michel Rey, 1773 Stamperia reale, 1765

Principes fondamentaux de la construction des places, avec des Dell’architettura militare per le Réflexions propres à démontrer les regie scuole teoriche d’artiglieria, e perfections & les imperfections de celles fortificazione. Libro terzo in cui si Papacino Flavigny qui sont construites ; un nouveau Système contengono le regole della d’Antoni de Fortification sur toute espèce de ligne ; fortificazione difensiva, e delle & une nouvelle Théorie des Mines, mine per le piazze di guerra, Londres et Paris, Ruault – Jombert le Torino, Stamperia reale, 1759 fils – L’Esprit, 1775

Institutions physico-méchaniques, à l’ Instituzioni fisico-meccaniche per Papacino [Cusset de usage des écoles royales d’artillerie et du le regie scuole d’artiglieria e d’Antoni Montrozard] génie de Turin, Strasbourg, Bauer et fortificazione, Torino, Stamperia Treuttel, 1777, 2 vol. reale, 1773-1774, 2 vol.

Dell’artiglieria pratica per le Regie Scuole d’artiglieria, t. II, Papacino Cusset de Du Service de l’artillerie à la guerre, Incumbenze degli artiglieri in d’Antoni Montrozard Paris, L. Cellot, 1780 tempo di guerra, Torino, Stamperia Reale, 1775

Dell’uso delle armi da fuoco per le Papacino De l’Usage des armes à feu, Paris, regie scuole teoriche d’artiglieria, e Saint-Auban d’Antoni Lambert, 1785 fortificazione, Torino, Stamperia Reale, 1780

Tableau 2 – Traductions du français en italien

Auteur Traducteur Traduction Édition originale

L’artiglieria per principj, e per L’Artillerie raisonnée, contenant la raziocinio. Trattato che contien la description & l’usage des différentes descrizione, e l’uso delle diverse bouches à feu, avec les principaux bocche da fuoco, e i principali mezzi, moyens qu’on a employés pour les che si sono adoperati per perfectionner, la théorie & la pratique Le Blond Zener perfezionarle, La Teoria, e la pratica des mines, & du jet des bombes, et l’ delle Mine, e del Getto delle Bombe, e essentiel de tout ce que l’artillerie a tutto ciò, che l’Artiglieria ha di più de plus intéressant depuis l’invention importante dopo il trovato della de la poudre a canon, Paris, C.-A. polvere da Cannone, Venezia, Jombert, 1771 Antonio Locatelli, 1773, 2 vol.

Piccolo manuale del cannoniere ossia Petit manuel du canonnier, ou istruzione generale concernente il instruction générale sur le service de Anonyme Anonyme servigio di tutte le bocche da fuoco in toutes les bouches à feu, en usage uso nell’artiglieria tradotto dal dans l’artillerie, Paris, Magimel, An francese, Milano, Margaillan, 1804 II (1793-1794)

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Colpo d’occhio Per distinguere, e Coup d’œil pour distinguer et classer classificare le differenti parti della les différentes parties de la science Scienza Militare, o dell’Arte della militaire ou de l’Art de la guerre sur Guerra sopra terra, ed in particolare Dembarrère Pampani terre, surtout pour reconnoître l’ per riconoscere l’estensione e l’ étendue et l’influence de celles qui influenza di quelle, che appartengono appartiennent à l’arme du génie, all’arma del Genio, Pavia, Bolzani, Paris, Magimel, 1801 1805

Traité de l’Artillerie, ou des Armes et Machines en usage à la Guerre, Memorie d’artiglieria, Pavia, Le Blond Corso Depuis l’invention de la Poudre, Giovanni Capelli, 1805 Paris, C.-A. Jombert, 1743

L’Artillerie raisonnée, contenant la description & l’usage des différentes bouches à feu, avec les principaux moyens qu’on a employés pour les perfectionner, la théorie & la pratique Le Blond Corso Ibidem des mines, & du jet des bombes, et l’ essentiel de tout ce que l’artillerie a de plus intéressant depuis l’invention de la poudre à canon, Paris, C.-A. Jombert, 1771

Ibidem [diverses autres Le Blond Corso [divers autres mémoires] traductions8]

Traité du mouvement des projectiles, Trattato del moto de’ projetti appliqué au tir de bouches à feu, Lombard Pacces applicato al tiro delle bocche a fuoco, Dijon, Imprimerie de L. N. Napoli, Masi, 1816 Frantin, 1796

Tavole del tiro de’ cannoni e degli Tables du tir des canons et des obici con una istruzione sulla Lombard Pacces obusiers, avec une instruction sur la maniera di servirsene, Napoli, Masi, manière de s’en servir, s.l., 1787 1816

Instruction sur la balistique, à l’usage Poumet (ou Biondi Istruzione sulla balistica, Livorno, des élèves du Corps royal d’État- Augoyat) Perelli Pozzolini, 1827 major, Paris, Anselin et Pochard, 1824

von Decker Traité élémentaire d’artillerie, à l’ Trattato elementare d’artiglieria per [trad. Biondi usage des militaires de toutes les l’uso dei militari di tutte le armi, Ravichio de Perelli armes, Paris, F.-G. Levrault, 1825, 3 Livorno, Giulio Sardi, 1830, 3 vol. Peretsdorf et vol. Nancy]

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Trattato teorico e pratico delle Traité théorique et pratique Lamy Novi batterie, Napoli, Reale Tipografia des Batteries, Paris, Anselin et della Guerra, 1830 Pochard, 1827

Cours élémentaire de fortification, à l’ Corso elementare di fortificazione ad Biondi usage de MM. les élèves de l’École Savart uso delle scuole militari, Livorno, Perelli spéciale militaire, Paris, Anselin et Giulio Sardi, 1830-1831, 4 vol. Pochard, 1825, 4 vol.

Trattato di pirotecnìa militare Anonyme Traité de pyrotechnie militaire, comprendente tutti i fuochi artifiziati [trad. Biondi comprenant tous les artifices de da guerra. Versione italiana con Ravichio de Perelli guerre en usage en Autriche, Paris, riduzione di pesi e misure, Livorno, Peretsdorf] F.-G. Levrault, 1824 Giulio Sardi, 1831

Tableau 3 – Traductions du français en italien par des civils

Auteur Traducteur Traduction Édition originale

La scienza degli ingegneri nella direzione delle La Science des ingénieurs dans la opere di fortificazione e d’architettura civile, conduite des travaux de Mantova, Fratelli Negretti – Milano, Bélidor Masieri fortification et d’architecture Gaspare Truffi, 1832, 2 vol. – Firenze, presso civile, Paris, F. Didot frères, gli editori, 1832, puis Livorno, Giulio Sardi, 1830 1834

Architecture hydraulique, ou L’art Architettura idraulica : ovvero Arte di condurre, de conduire, d’élever et de innalzare e regolare le acque pei vari bisogni Bélidor Soresina ménager les eaux pour les della vita, Mantova, fratelli Negretti – différens besoins de la vie, Paris, Firenze, presso gli editori, 1835-1839, 4 vol. F. Didot, 1819, 2 vol.

Analyse du corpus

7 Le corpus retenu – seize ouvrages traduits dans les deux sens, auxquels il faut rajouter les deux de Bélidor, que l’on considérera à part dans le corpus – ne prétend pas former un recensement exhaustif, mais il est pleinement significatif en ce qu’il fournit une idée du nombre congrue des traductions dans ce domaine9. Il est remarquable que cinq seulement de ces ouvrages soient traduits de l’italien vers le français, que leur publication soit restreinte à une courte période d’une douzaine d’années (entre 1773 à 1785), et qu’ils concernent un même et unique auteur (tableau 1). Au contraire, les onze traductions du français en italien (tableau 2) s’étalent sur l’ensemble de la période en se regroupant souvent autour de moments et d’espaces particuliers : une seule traduction dans la seconde moitié du XVIIIe siècle à Venise ; trois entre 1804 et 1805 dans la République italienne et le Royaume d’Italie, dont un recueil de plusieurs mémoires publiés séparément dans la langue d’origine ; deux en 1816 dans le Royaume des Deux- Siciles ; et six entre 1827 et 1831, surtout en Toscane, auxquelles il faut ajouter les deux

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traductions de Bélidor, de 1832 à 1839 dans le Royaume Lombardo-Vénitien et en Toscane. Tous les principaux anciens états italiens étaient donc concernés, sauf le Piémont et les États du Pape. Comparé à l’ensemble des traductions en langue française, ce corpus peut sembler assez restreint, mais il est plutôt consistant par rapport au total des ouvrages traduits en langue italienne. Le cadre temporel paraît approprié pour l’identification de la France comme modèle dans le domaine des armes savantes – modèle qui deviendra politiquement suspect à partir de la Révolution française. Il en est de même pour la centralité de la figure de l’ingénieur (y compris l’artilleur) – centralité certes reconnue en France, notamment depuis la Révolution, beaucoup moins dans la plupart des états italiens, cependant avec une intégration progressive dans la vie publique et scientifique justement à partir des années 1830.

8 On remarque une majorité d’ouvrages plutôt dédiés aux artilleurs, avec douze ouvrages traitant de balistique10 et du service du canon11 ; un manuel de physique et mécanique est explicitement destiné aux élèves des deux corps12 ; tandis que seulement trois œuvres relatives surtout à l’architecture militaire et à la fortification sont réservées au génie13, auxquelles on peut rajouter les deux traités de Bélidor.

9 Concernant les auteurs traduits, le célèbre artilleur et savant piémontais Alessandro Vittorio Papacino d’Antoni (1714-1786), directeur des écoles royales d’artillerie et de fortifications de Turin, est non seulement le seul auteur italien à être traduit, mais également celui qui est le plus traduit, avec cinq ouvrages différents. En second lieu, Guillaume Le Blond (1704-1781), professeur de mathématiques des Enfants de France, est traduit deux fois, en 1773 et 1805, ainsi que l’ingénieur militaire Bernard Forest de Bélidor, de 1832 à 1839. Tous les autres auteurs n’ont été traduits qu’une fois. Il s’agit majoritairement d’officiers des corps savants : pour le génie, le général de division Jean Dembarrère (1747-1828) ; pour l’artillerie, l’ancien colonel Joseph Ravichio de Peretsdorf (1767-1844)14, les capitaines Benjamin Poumet15 et Jean-Nicolas Lamy. On retrouve aussi un capitaine d’infanterie, mais professeur de fortification à l’École spéciale militaire, Nicolas-Pierre-Antoine Savart (1765-c.1825). Karl von Decker (1784-1844), enfin, était quant à lui major dans l’état-major prussien.

10 Les traductions concernent autant des ouvrages relativement récents que des ouvrages plus anciens, avec une moyenne un peu supérieure à dix ans et un minimum de deux ans16.

11 Quant aux traducteurs, le plus prolifique est le lieutenant d’artillerie Ferdinando Biondi Perelli, avec quatre ouvrages. Suivent trois lieutenants-colonels, avec deux traductions chacun : pour la cavalerie, Gratien-Jean-Baptiste-Louis Vicomte de Flavigny17 (1740-1783), et, pour l’artillerie, le chevalier Cusset de Montrozard18 et Giovanni Battista Pacces, également auteur d’un traité sur les batteries19. Le cas de loin le plus fréquent est celui des militaires qui ne traduisirent qu’un ouvrage : on a cité les cas « hybrides » des capitaines Gabriele Zener et Giulio Pampani, auquel on doit aussi deux écrits d’arpentage et d’ingénierie hydraulique20 ; on retrouve ensuite des officiers d’artillerie : le lieutenant-général Jacques-Antoine Baratier, marquis de Saint-Auban, et les capitaines Antonio Corso et Pietro Novi. L’unique traducteur anonyme, celui du Petit manuel du canonnier, était très probablement un officier d’artillerie, compte tenu du caractère strictement technique de ce texte – d’où la décision de l’intégrer dans le corpus. Les traducteurs civils de Bélidor – Luigi Masieri et Basilio Soresina – étaient docteurs en physique et mathématiques.

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12 Si l’on examine les grades des traducteurs, on remarque une bipartition nationale étonnante : si les trois traducteurs français sont tous des officiers supérieurs, cinq des six traducteurs italiens sont des officiers subalternes, lieutenants ou capitaines – seul Pacces fait exception. Cela nous renseigne sur les motivations probables des traducteurs : pour les officiers de grade inférieur, une traduction utile pouvait sans doute faire espérer une promotion. Ainsi trouve-t-on fréquemment, pour les traducteurs italiens, des dédicaces à un personnage puissant, directement lié aux promotions, tel le commandant du corps ou le ministre de la guerre21. Indépendamment de leur grade, les traducteurs pouvaient entreprendre des traductions à l’usage des écoles militaires, soit parce qu’ils étaient eux-mêmes responsables de l’instruction (c’est le cas de Pacces22 et de Biondi Perelli), soit sous l’impulsion de leurs supérieurs (c’est le cas de Montrozard23), les deux motivations pouvant évidemment coexister chez le même traducteur.

13 La distribution des traductions appelle plusieurs remarques. Il faut souligner au préalable l’énorme écart quantitatif d’imprimés à caractère militaire entre la France et l’Italie. La culture militaire française, et particulièrement celle des armes savantes, était dominante en Europe et, donc, dans la péninsule pendant la période considérée, même eu égard aux différentes politiques conduites en la matière par les États italiens. La production « italienne » dans ce domaine était au contraire assez limitée, d’où l’absence de traductions de l’italien en français, à l’exception des cinq ouvrages de l’artilleur et savant piémontais d’Antoni, qui eut une renommée européenne. Le faible développement des publications militaires en Italie, en raison du faible intérêt des États italiens pour les questions militaires avant les guerres de la Révolution – si l’on excepte justement le Piémont – peut expliquer l’absence quasi-totale de traductions du français vers l’italien dans ce domaine, ainsi que la connaissance du français, longtemps langue hégémonique en Europe, parmi les officiers des armes savantes. La « rééducation militaire » de l’Italie passa donc par l’influence française, ce dont témoignent les quelques traductions d’ouvrages, sorties entre 1804 et 1805, et même les deux traductions napolitaines de 1816, qui parurent peu après la mort du roi Joachim- Napoléon Murat. Le dernier groupe de traductions (six entre 1827 et 1831) paraît surtout lié à l’initiative de l’artillerie toscane. Cependant, on peut y voir également le reflet du renouvellement de la science italienne dans ces années-là, dont la Toscane était alors le centre d’impulsion24. L’adaptation des œuvres de Bélidor pour l’ingénierie civile dans la même Toscane et en Lombardie dans les années 1830 s’inscrit dans la même dynamique et paraît être liée au processus de professionnalisation des ingénieurs25.

14 Notons également que le corpus retenu révèle à la fois la croissance et les tendances du marché du livre : si, en France, la plupart des traductions sont éditées à Paris, en Italie, la seule traduction du XVIIIe siècle sort à Venise, principal centre pour l’imprimerie de langue italienne ; prend la relève à partir de l’époque napoléonienne et jusqu’aux années 1840, ce qui se reflète dans notre corpus avec trois ouvrages sortis entre Milan et la ville universitaire de Pavie, située à proximité, pendant la période napoléonienne ; trois textes témoignent de la vitalité de Naples et quatre de celle de Livourne, en Toscane, un centre important à la fois pour les échanges culturels et pour la circulation des imprimés26. La Lombardie et la Toscane sont au premier plan également pour les traductions de Bélidor.

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Les spécificités de l’édition militaire

15 Afin de bien comprendre les enjeux de la traduction de ce type de texte, il faut d’abord se placer dans le contexte spécifique de l’édition militaire. La décision de publier un texte à caractère militaire ne dépendait pas seulement de sa qualité et de son intérêt auprès du public, mais aussi de son opportunité par rapport à un contexte – qu’il soit national, international, éditorial. Il s’agissait, parfois, de la circulation de savoirs d’État. Ainsi, la situation de guerre ou de paix (au moins continentale) joue un rôle essentiel, comme la position de l’auteur par rapport aux institutions militaires : Est-il intégré dans ces dernières ? Vise-t-il une intégration ? Se positionne-t-il en contestateur ? En tout cas, les imprimés ne sont que la face visible de centaines de manuscrits qui circulaient au sein des corps ; de même, les traductions d’imprimés étrangers ne sont qu’une partie de celles qui pouvaient être commissionnées mais qui restaient souvent manuscrites. Pour les officiers des armes savantes, plus scolarisés et à qui le service demandait le plus de connaissances scientifiques et techniques, la circulation de textes était particulièrement intense et absolument nécessaire. D’ailleurs, cette même scolarisation jouait en faveur de la connaissance des langues française et italienne et de la lecture de l’original quand il pouvait être disponible. Aussi n’est-il pas surprenant de trouver un faible nombre de traductions, par rapport à la quantité globale d’imprimés en la matière. En revanche, la traduction était aussi le moyen de rendre les ouvrages plus aisément disponibles dans un pays étranger.

16 L’intérêt des traductions rédigées par ces officiers réside dans le fait qu’ils faisaient quotidiennement face à des opérations de « traduction » : en tant qu’intermédiaires dans la hiérarchie militaire et technique, ils devaient constamment traduire des réflexions, des ordres, des instructions, des rapports ou des projets, etc., et interpréter la réalité en utilisant leurs langues propres, celles des sciences et du dessin. Typique de ces corps savants, l’interpénétration permanente entre pratiques et fonctions militaires, d’un côté, et pratiques et fonctions technico-scientifiques, de l’autre, portait également ces officiers à un curieux mélange entre le respect de l’autorité, qu’elle soit militaire ou scientifique, et la nécessité de la critique. Largement dominant dans les traductions que nous avons examinées, le respect de l’autorité est marqué très souvent par l’effacement du traducteur et sa fidélité scrupuleuse au texte original. Les observations et les critiques sont très rares et réservées au paratexte. En l’occurrence, cela concorde parfaitement avec les conclusions des historiens qui ont travaillé sur les traductions en général ou sur la censure au cours de la même période27. Il n’y aurait donc pas, à ce titre, de spécificité de la traduction technique militaire.

I. La domination des traductions de l’italien au XVIIIe siècle

17 On traduit donc davantage du français vers l’italien qu’en sens inverse et, cependant, on observe une bipartition parmi le XVIIIe et le XIXe siècle : au XVIIIe, le sens prévalent est celui de l’italien en français, tandis que, au XIXe, cette veine se tarit, avec une inversion de tendance marquée qui, de toute évidence, est liée à la présence française en Italie.

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Plusieurs traducteurs français pour un unique auteur italien : Papacino d’Antoni

18 Le premier agrégat est constitué par les traductions de l’italien en français, sorties entre 1773 et 1785 dans le contexte de la « révolution balistique » et des débats autour des réformes de Gribeauval. Il s’agit de cinq ouvrages d’un même auteur : directeur des écoles royales d’artillerie et de fortifications de Turin, Papacino d’Antoni est devenu célèbre pour ses expériences sur la balistique intérieure et extérieure, qui s’inscrivent dans cette « révolution balistique » du XVIIIe siècle, fondée sur les travaux de Benjamin Robins et Leonhard Euler et dont les écoles de Turin furent les premières en Europe à accueillir le « changement de paradigme28 ». En effet, la balistique en était transformée d’une science galiléenne qui n’était applicable qu’aux mortiers à une science newtonienne applicable à toutes les bouches à feu. Cela impliquait une emphase nouvelle posée dans la préparation des artilleurs sur le calcul différentiel et intégral, particulièrement visible dans le texte le plus théorique, les Institutions physico- méchaniques.

19 L’importance des expériences de Papacino d’Antoni est remarquée par le marquis de Saint-Auban (1712-1783), un proche de Buffon, Franklin, Condorcet et Perronet, vétéran des guerres de Succession de Pologne et d’Autriche et de la guerre de Sept Ans29 : On sera sans doute étonné du nombre et des différentes expériences qui ont été faites en grand sur chacun des objets, de la rigueur, de la précision et de l’exactitude qu’on y a employées, afin de pouvoir asseoir sur les résultats, des jugements positifs, irrévocables et sans retour. On ne sera pas moins étonné des sommes immenses qu’il en a dû en coûter pour faire en grand ces diverses épreuves. C’est ainsi cependant que les vérités se découvrent, que les Arts et les Sciences parviennent à un plus haut degré de perfection30.

20 Le vicomte de Flavigny souligne également la valeur scientifique de ces traductions au regard de l’autorité acquise dans le domaine militaire par leur auteur : « Les Œuvres de M. d’Antoni méritent d’être connues dans toutes les Langues et de tous les Savants31. » De fait, l’Examen de la poudre est présent dans la bibliothèque de savants tels que Lavoisier32, mais surtout, à l’exception de son traité de fortification, toutes ses traductions furent utilisées dans les écoles régimentaires françaises d’artillerie, et cela au moins jusque dans les premières décennies du XIXe siècle, puisque le Comité central de l’artillerie considère encore en 1820 qu’elles doivent figurer dans les bibliothèques de ces écoles33. Ces œuvres étaient donc considérées comme nécessaires pour la formation même des officiers, ce qui explique la nécessité de la traduction. Ceci est explicité notamment dans le « Discours Préliminaire » des Institutions physico- méchaniques, par Montrozard en 1777 : « Ces Institutions Physico-Mécaniques correspondent parfaitement au plan d’instruction, qu’on a voulu établir dans nos écoles après la paix34. » Il précise d’ailleurs que l’initiative de la traduction revenait à ses supérieurs, responsables de l’instruction des écoles35. En effet, cet ouvrage a incontestablement un but pédagogique, en privilégiant les expériences sur le calcul, malgré le recours, parfois, à des mathématiques de haut niveau, comme le calcul intégral36. La principale intervention personnelle du traducteur se limite au « Discours Préliminaire », dans lequel il exprime son souhait d’imiter le modèle piémontais, alliant l’expérimentation à la formation mathématique poussée. Le texte lui-même est traduit fidèlement dans un style élégant, mais Montrozard y corrige néanmoins quelques

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formules mathématiques, tout en commettant lui-même des erreurs dans les conversions de mesures37… La traduction Du Service de l’artillerie à la guerre, du même Montrozard en 1780, est la seule où l’on relève une mise à jour systématique du texte dans les notes de bas de page, car elle intègre la réforme du matériel français réalisée par Gribeauval. Le traducteur considère important de traduire cet ouvrage après tant d’années de paix, mais il s’engage en revendiquant explicitement la supériorité de l’« artillerie nouvelle » française par rapport aux modèles précédents38, notamment en termes de mobilité, en campagne, grâce au train d’artillerie (« Rien n’est si roulant et en même temps si solide. Aussi l’artillerie peut aujourd’hui passer partout, et aller si vite que l’armée39. »), comme sur le champ de bataille, grâce aux innovations : « L’artillerie de campagne de France, est aujourd’hui si mobile, les canonniers ont été si exercés pendant la paix, et ils ont d’ailleurs tant d’avantages avec leur bricoles, pour la manœuvrer lestement, qu’il n’y a pour ainsi dire, point de terrain qui puisse retarder les opérations40. » Ainsi, les deux traducteurs-artilleurs représentent les deux parties du débat, puisque le marquis de Saint-Auban fut, au contraire, l’un des principaux opposants aux réformes de Gribeauval. Les autres traductions sont de qualité inférieure et les traducteurs bien plus effacés : la main du traducteur de Flavigny41 se trouve surtout dans le titre des Principes fondamentaux de la construction des places, avec l’insistance sur la nouveauté du système de fortification et de la théorie des mines qui a clairement un but promotionnel. Mais, en général, une certaine négligence peut être relevée : l’Examen de la poudre de Flavigny contient non seulement quelques imprécisions, qui compromettent la compréhension du texte, mais également beaucoup d’erreurs dans les formules mathématiques42. Bien qu’en moindre quantité, de telles erreurs sont également présentes dans la traduction de De l’Usage des armes à feu réalisée par Saint-Auban43. Toutes ces traductions comportent, enfin, des simplifications syntaxiques pour passer de la complexité de la langue italienne à la « langue de la clarté ».

21 Toutefois, quelques altérations volontaires du texte par le traducteur peuvent être opérées. Ainsi, une intervention significative de Flavigny dans l’Examen de la poudre a pour but de masquer l’absence de collaboration entre les corps d’artillerie français et piémontais. En traitant des expériences sur les charges de poudres nécessaires dans une pièce d’artillerie, d’Antoni affirme : Questo scopo di stabilire quale sia la carica, con cui si ha il tiro più lungo, siccome ha mosso gli Artiglieri Piemontesi a fare molte sperienze, così ha rivolto la scuola dell’Artiglieria Francese a farne delle altre, delle quali brameremmo pure poterne fare il paragone con quelle, che si sono descritte finora, null’altro essendo delle medesime a notizia nostra pervenuto, se non il credersi, che ne’ pezzi di gran calibro sia questa carica circa 3/8 del peso della palla44.

22 On pourrait ainsi traduire au pied de la lettre ce passage, qui dénote la tension entre la libre communication des données scientifiques et les éventuelles restrictions de la circulation des informations militaires : Beaucoup d’expériences ont été faites par les artilleurs piémontais dans le but d’établir quelle est la charge avec laquelle on tire plus loin. L’école d’artillerie française en a également fait d’autres, qu’on aimerait bien pouvoir comparer avec celles décrites jusque-là, mais la seule information qui nous soit parvenue, est que l’on croit que, dans les pièces de grand calibre, cette charge est d’environ 3/8 du poids du boulet.

23 Or, Flavigny se contentait de traduire : « Les Artilleurs Piémontais ne sont pas les seuls qui aient fait des expériences pour découvrir les charges qui donnent les plus longues

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portées ; mais ce qui en est parvenu jusqu’à présent à ma connaissance45… » Il ne faisait donc ici aucune référence explicite aux expériences françaises ni commentaire qui pût éclairer le lecteur français sur ce point, soit qu’il gardât le secret sur leurs résultats, soit qu’il n’en eût lui-même pas connaissance, puisqu’il n’appartenait pas au Corps royal de l’Artillerie. Mais l’occultation ne concernait finalement que ces résultats et leur non-communication puisque, dans la même page, on explicite qu’il s’agissait : « des expériences faites par les François46. ».

Une unique traduction du français en italien

24 Dans le seul ouvrage traduit en italien du français dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, L’Artillerie raisonnée de Guillaume Le Blond, le traducteur Gabriele Zener, capitaine des ordinanze (milices) de la République de Venise, assurait que : « n’ayant pu souffrir, que ce travail, quel qu’il soit, ne se bornât qu’à une simple traduction… peu satisfait, du seul nom d’interprète, j’ai voulu enrichir l’œuvre de tables, de figures et de notes importantes, tirées des meilleurs sources47 ». Il s’agissait manifestement de sa part d’une stratégie pour élargir le cercle de ses lecteurs potentiels : par cet enrichissement personnel, le traducteur espérait pouvoir attirer tous les artilleurs, et non pas simplement ceux qui ne connaissaient pas assez la langue française pour lire l’original. Le traducteur s’engageait aussi, si son entreprise était couronnée de succès, à traduire deux autres ouvrages du même auteur – ce qui n’eut jamais lieu. Ceci pourrait s’expliquer non seulement par l’absence de public pour ce type d’ouvrages, mais également par la nature même de la traduction proposée, qui ne maintenait que partiellement ses promesses : elle se contente de calquer l’original, en maintenant fidèlement sa structure, sans rajout ni coupure48. Même si le traducteur a eu soin de rajouter de nombreuses notes (cent soixante au total), plus des trois quarts d’entre elles concernent les conversions de mesures49, indispensables au lecteur italien, alors que la majorité des traducteurs se contentaient des tables de conversions. Deux notes seulement expriment une critique. Dans la plus importante, Zener s’abstient de prendre parti dans un « conflit » entre trois autorités : Le Blond attribuait la méthode de placer plusieurs niveaux de fourneaux de mine dans un siège, afin de multiplier l’effet des mines explosive, à Vallière, mais le chevalier de Folard en avait écrit « de façon, qu’il paraît, qu’il eut été le premier à le deviser. Moi, je transcris ici ses propres mots en français, pour que chacun puisse juger soi-même50. » Finalement, seule une vingtaine de notes comportent des additions ou des explications. Les additions étaient essentiellement extraites des œuvres déjà citées par l’auteur (Saint-Rémy, Bélidor, Folard, l’Encyclopédie), mais que ne connaissait pas nécessairement le lectorat italien, qui pouvait ne pas posséder ces œuvres, si populaires fussent-elles. Tout en demeurant neutre, Zener avait également ajouté des extraits par d’autres auteurs faisant autorité, tels que Vallière et Dulacq, procédant par accumulation érudite plutôt que par une approche critique.

II. La présence française et le Risorgimento

25 Entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle, la présence française en Italie favorisa la circulation des hommes et des savoirs, y compris dans le domaine militaire. Le modèle français, notamment en ce qui concerne les armes savantes, se fit dominant pendant

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l’époque napoléonienne, Bonaparte lui-même étant issu de l’artillerie. Le processus d’acculturation militaire de l’Italie se fit également par le biais des traductions. Il n’est pas surprenant que celles-ci soient attestées dans des territoires qui demeurent formellement indépendants, comme la République italienne et le Royaume d’Italie. Ce modèle scientifique et technique – et souvent politique – fut durablement présent dans la première phase du Risorgimento, même après le départ des Français, notamment jusqu’aux années 1830.

La République Italienne et le Royaume d’Italie

26 Pendant la République Italienne et les premiers mois du Royaume d’Italie, on observe une forte concentration de traductions, avec trois traductions d’ouvrages français en deux ans (1804-1805). Cet accroissement s’explique, comme on l’a vu, par la présence française, mais aussi par la nouvelle centralité acquise par le domaine militaire, avec la formation de la nouvelle armée italienne. Cette période et ce contexte, en effet, se révèlent cruciaux, car, dans l’organisation des corps savants italiens, beaucoup sont des officiers exilés, notamment napolitains, qui contribueront par la suite au rayonnement du modèle français dans la péninsule51.

27 Le premier texte, strictement technique, reste anonyme – tant pour l’auteur que pour le traducteur. En 1804, la traduction du Petit manuel du canonnier sortit également à Milan. On peut supposer que cette entreprise répondait à la nécessité d’un manuel portatif, puisqu’il ne comptait que cent vingt pages, soit le dixième des mille deux cents pages de l’œuvre la plus largement consultée pour le service, l’Aide-mémoire à l’usage des officiers d’artillerie de France attachés au service de terre du général Gassendi. Celui-ci ne fut jamais traduit, mais nous n’avons pas d’informations sur l’usage du Petit manuel du canonnier, qui n’a pas été commandé pour la bibliothèque de la nouvelle école régimentaire d’artillerie, pourtant créée à Pavie la même année52. Une traduction du même texte par l’artilleur Pietro De Angelis est signalée : elle sortit en 1810 à Naples, mais l’on a perdu les traces de cette œuvre53.

28 Une autre traduction de cinquante-trois pages seulement, sortie en 1805, fut celle du texte écrit par le général Dembarrère du Coup d’œil pour distinguer et classer les différentes parties de la science militaire ou de l’Art de la guerre sur terre, sorte de panégyrique des ingénieurs militaires. Ne pouvant plus servir activement, mais visant une place dans le génie, le capitaine Giulio Pampani54 (1757-1810) en dédia sa traduction au ministre de la guerre ; il atteignit partiellement son objectif l’année suivante en entrant dans les sapeurs. Enfin, l’autre traduction retrouvée pour la période napoléonienne est celle d’un ouvrage de peu d’intérêt, les Memorie d’Artiglieria, de soixante pages, publié, en 1805 également, par le lieutenant en second de l’artillerie italienne Antonio Corso : il s’agit d’un recueil de mémoires sur l’artillerie de « plusieurs auteurs français »55, mais dont la moitié est en fait extraite de l’ouvrage de Le Blond précédemment cité – même si rien n’indique que Corso ait eu accès à la traduction de Zener – et d’un autre texte du même auteur56. Là encore, à l’exception de courtes préfaces, les deux traducteurs, Pampani et Corso, s’abstiennent de toute intervention dans le texte traduit.

29 Nous savons en outre que, en 1812, un ouvrage plus consistant avait obtenu du ministère de la guerre l’autorisation d’impression. Apparemment, il aurait été imprimé en deux cent quatre-vingt exemplaires au moins, mais les traces de ses deux volumes ont été perdues : il s’agit des Élémens de topographie militaire de l’ingénieur prussien

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Hayne57. Or, la traduction réalisée par le lieutenant d’artillerie Luigi Fortis était fondée sur le texte français du capitaine du génie Bayart, et non sur l’édition originale en allemand. On a donc ici un premier cas de retraduction.

Les traductions pour l’artillerie du royaume des Deux-Siciles

30 Si l’agrégat des trois traductions qui précèdent apparaît plus significatif pour leur datation que pour le contenu, en revanche les trois traductions publiées dans le royaume des Deux-Siciles sont importantes également à cause de leur contenu scientifique et technique. Les deux premières sont publiées en 1816, juste après que les Français aient été chassés du Royaume. Elles témoignent cependant de l’intérêt persistant pour leurs méthodes, qui avaient notablement enrichi l’artillerie napolitaine58. Le Traité du mouvement des projectiles, appliqué au tir de bouches à feu et les Tables du tir des canons et des obusiers de Jean-Louis Lombard présentaient respectivement le cadre théorique et les outils fondamentaux de la balistique extérieure, qui avaient été utilisées pour le pointage des canons tout au long des guerres de la Révolution et de l’Empire59 et constituaient en quelque sorte un couronnement de la « révolution balistique ». Leur traduction fut entreprise par le lieutenant-colonel d’artillerie napolitain Giovanni Battista Pacces60, professeur à l’école d’application d’artillerie de Capoue. Le fait que, jusque-là, ces textes avaient été utilisés en français confère sans doute à ces traductions un caractère d’adaptation « nationale ».

31 On reste dans le même cadre pour le Traité théorique et pratique des Batteries du capitaine d’artillerie Lamy, traduit en italien par son homologue napolitain Novi en 1830. Ce texte répondait au besoin spécifique d’un traité sur la construction des batteries, en France comme dans le royaume des Deux-Siciles, où le tirage du traité publié par Pacces en 1813 était épuisé61. Le traducteur souligne la valeur du texte de Lamy et la nécessité de le faire traduire pour en assurer la diffusion dans le royaume, entreprise à laquelle il avait été encouragé par ses collègues et supérieurs62. Ce patronage officiel est d’ailleurs évident d’après l’éditeur même de cette traduction : la Reale Tipografia della Guerra. Le traité de Lamy est sans doute le texte dans lequel la main d’un traducteur italien est la plus visible. Tout d’abord il fit, comme Zener, les conversions des mesures, en les insérant cependant dans le texte et en supprimant ainsi les mesures originales – ce qui constitue un cas unique dans notre corpus. Ce choix, qui rétrécissait le nombre de lecteurs potentiels, puisqu’ils devaient avoir connaissance des mesures napolitaines, renforce cependant le caractère national de la traduction et son usage pratique. Ensuite, son intervention dans ses notes de commentaires insérées en fin d’ouvrage est significative. Il s’agit de dix-neuf notes couvrant au total vingt-trois pages et à peu près équitablement réparties entre des notes où le traducteur exprime son opinion, des additions et des explications63. Les notes d’explication pouvaient détailler des calculs ou des démonstrations géométriques, ce qui, une fois encore, ne pouvait pas manquer de poser des problèmes de compréhension à un lectorat moins instruit que celui existant en France. Il y a enfin des prises de position du traducteur par rapport à certaines questions techniques qui, parfois, contrastent avec celles de l’auteur. Par exemple, Novi contestait la méthode proposée par Lamy pour calculer la distance de tir d’une pièce, basée sur la différence entre la vitesse de la lumière et celle du son : non seulement Lamy ne tenait pas compte des dernières expériences faites par le Bureau des Longitudes sur la vitesse du son, mais il suggérait de compter ses propres battements

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cardiaques pour déterminer une minute, en assumant arbitrairement soixante pulsations par minute. Cependant, Novi ne trouvait rien de mieux que de suggérer l’usage d’une montre à seconde64.

La réactivité de la Toscane

32 L’agrégat de quatre traductions réalisées par le lieutenant Ferdinando Biondi Perelli entre 1830 et 1831 au bénéfice des cadets de l’artillerie toscane, dont il avait en charge l’instruction, participe de la persistance de ce modèle français dans le domaine technique, d’autant plus que l’impulsion a été donnée par Giuseppe Giannetti, commandant du corps et ancien officier du Royaume d’Italie65. On peut y voir aussi un symptôme du renouvellement de la vie scientifique italienne, notamment en Toscane, où Livourne s’impose comme un véritable centre de l’édition et des échanges.

33 En effet, deux des quatre textes sont des retraductions de l’allemand, ce qui témoigne du fait que le français pouvait encore être une langue intermédiaire dans cette première moitié du XIXe siècle 66. Ces deux retraductions sont le Traité de pyrotechnie militaire, comprenant tous les artifices de guerre en usage en Autriche et le Traité élémentaire d ’artillerie, à l’usage des militaires de toutes les armes, par Karl von Decker.

34 Le premier était en fait une retraduction cachée, car Biondi Perelli ne mentionnait nulle part la traduction française qu’il avait utilisée, celle de l’ancien colonel Maurice- Joseph-Didier Ravichio de Peretsdorf67 : il se contentait d’ajouter au titre « versione italiana » (version italienne). Biondi Perelli traduit pourtant très fidèlement la version française, en ajoutant les mesures toscanes dans le texte à côté des mesures françaises, alors qu’il fournissait seulement des tables de conversion dans les autres ouvrages. Par ailleurs, ses interventions sont limitées au paratexte, notamment avec l’adjonction d’une longue note par laquelle il juxtapose à la version française, critique sur l’efficacité des fusées Congrève, une source anglaise, également traduite par lui, qui en exposait en détail les avantages68. Le traducteur évitait ainsi de prendre parti, tout en présentant une opinion opposée à celle de l’auteur.

35 Le Traité élémentaire d’artillerie de Decker, en revanche, fut publié en italien en 1830 à partir de sa traduction française par deux artilleurs : le même Ravichio de Peretsdorf et le capitaine Nancy. Il s’agissait là d’une œuvre collective conçue au sein du corps de l’artillerie française, puisque les traducteurs avaient collaboré avec le général de division Gassendi, auteur de l’Aide-mémoire déjà mentionné, ainsi qu’avec le colonel Marion, inspecteur des fonderies69. Le texte original fut ainsi réaménagé, avec des additions et des coupures pour l’adapter aux besoins de l’artillerie française. Cette polyphonie de l’édition française, qui tient aux notes écrites par ces quatre officiers, a été strictement conservée dans la traduction italienne, car Biondi Perelli ajouta seulement six notes pour les trois volumes70. Son unique critique n’est d’ailleurs pas dénuée de visées nationales : alors que les auteurs présentent la France comme le berceau de l’art de la fortification, le traducteur observe : « Chacun sait que les Français ont appris des Italiens les fortifications et que Vauban s’attribua les inventions du bolonais De Marchi71. » Il est d’ailleurs intéressant de comparer les notes d’origine des quatre officiers français, car les critiques sont presque exclusivement exprimées par les officiers les plus gradés, le colonel Marion et le général Gassendi. Une fois encore, c’est donc la déférence qui prime, et l’on comprend mieux l’absence d’interventions du lieutenant italien, qui se limita à traduire très fidèlement.

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36 Cette fidélité à la version source est un trait qui caractérise Biondi Perelli, comme en témoignent ses autres traductions : son intervention dans le Cours élémentaire de fortification par Savart se limitait tout au plus à quelques pages de définitions supplémentaires ou à l’abréviation d’un chapitre72. Notons que, hormis le Traité de pyrotechnie militaire, ces ouvrages étaient généralement moins destinés aux artilleurs qu’aux officiers des autres armes. Cela témoigne sans doute d’un niveau inférieur de l’instruction de l’artillerie toscane par rapport à l’artillerie française. Ceci est confirmé par la « Préface du traducteur » de l’Instruction sur la balistique, dans laquelle Biondi Perelli explique avoir choisi ce traité parce qu’il s’agit du seul qui suive les lois de Galilée « sans recourir au calcul intégral ou différentiel », et puisse résoudre les problèmes « par le moyen d’une seule équation » et sans tables de logarithmes73. De fait, un demi-siècle après les œuvres de d’Antoni, qui avaient été traduites de l’italien pour leur caractère novateur dans le cadre d’un changement de paradigme de la balistique entre les sciences galiléenne et newtonienne, comme on l’a dit plus haut, on traduisait encore du français des œuvres qui demeuraient dans le paradigme galiléen, mais qui avaient au moins l’avantage de la simplicité.

37 Il n’empêche que l’envergure des travaux de Biondi Perelli – qui au total traduisit quatorze volumes – fut appréciée. L’éminent écrivain militaire Mariano d’Ayala considère que » ce sont parmi les meilleures traductions vers l’italien d’ouvrages techniques militaires, et parmi les premières à contribuer à la restauration de la langue militaire italienne74 ». Ainsi, par la traduction, ce personnage aujourd’hui totalement méconnu aurait contribué de façon notable à la culture militaire du Risorgimento.

III. Les traductions des ingénieurs civils : Bélidor

38 Si les traducteurs militaires d’ouvrages techniques se caractérisent, globalement, par leurs interventions, souvent limitées, dans le paratexte, qu’en est-il des civils confrontés à la même tâche ? C’est ce qu’on peut appréhender à travers les traductions de Bélidor : ses ouvrages, destinés à l’origine aux ingénieurs tant militaires que civils, sont en effet explicitement « convertis » pour les ingénieurs civils dans le Lombardo-Vénitien et en Toscane, ce qui est emblématique de l’évolution de ces professions – dans une dynamique qui est d’ailleurs bien connue75. En effet, les opportunités offertes par le libre exercice de la profession d’ingénieur civil, dans le contexte du renouvellement de la culture technique et scientifique et d’une réorganisation des structures universitaires, expliqueraient ces entreprises76 et, par conséquent, la « longévité » de Bélidor, plus importante en Italie qu’en France. Bélidor publia La Science des ingénieurs en 1729 et l’Architecture hydraulique entre 1737 et 1739. Ces ouvrages connurent une fortune remarquable et leurs dernières éditions en France eurent lieu, respectivement en 1830 et en 1819, par Claude-Louis-Marie-Henri Navier (1785-1836), académicien des sciences, professeur et, surtout, célèbre ingénieur des Ponts-et-Chaussées. Ces éditions conservaient « intact » le texte de Bélidor, mais en l’enrichissant d’un remarquable apparat de notes de critique et de mises à jour. Ce choix de Navier relevait du désir de préserver la valeur pratique du texte, tout en signalant les nombreuses erreurs théoriques qu’il contenait, eu égard aux importants progrès enregistrés en la matière depuis l’époque de sa publication77. Or, en Italie ces textes ne furent traduits qu’à partir de ces dernières éditions : en 1832 pour La Science des ingénieurs, et entre 1835 et 1839 pour l’Architecture hydraulique. Ces ouvrages

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faisaient partie de la collection Bibliothèque choisie de l’ingénieur civil, dirigée par l’ingénieur milanais Giuseppe Cadolini, qui comprenait aussi les traductions des textes de l’ingénieur des Ponts-et-Chaussées Sganzin et des architectes Quatremère de Quincy et Rondelet. Ceci prouve donc que l’école d’ingénieurs française est bel et bien restée un véritable modèle en Italie, bien au-delà de l’époque napoléonienne et du contexte militaire.

39 Or, il est certain que le destinataire de ces ouvrages est avant tout l’ingénieur civil : dans la traduction de La Science des ingénieurs par Luigi Masieri, le type de note le plus fréquent est l’explication des termes militaires élémentaires, parmi lesquels « batterie », « à l’épreuve de la bombe », « chemin couvert », « cortine » et « tenaille »78. La particularité des éditions italiennes, par rapport aux éditions françaises, réside dans le fait que l’apparat critique de Navier se trouve séparé du texte79. Ainsi, dans La Science des ingénieurs, trois textes sont juxtaposés : d’abord, celui de Bélidor qui apparaît largement périmé ; ensuite, l’appendice, rajouté par le traducteur, qui contient les mémoires d’ingénieurs milanais80 ; enfin les notes de Navier. La deuxième édition, de 1840, casse cette tripartition, l’appendice étant désormais mélangé aux notes de Navier, peut-être pour en renforcer l’autorité. C’est également le choix de Basilio Soresina, traducteur de l’Architecture hydraulique : ses notes et celles de Cadolini sont également séparées du texte et mélangées à celles de Navier81. Mais cette nouvelle entreprise éditoriale rencontra en 1836 des problèmes en raison de la mort de Navier, celui-ci n’ayant pu commenter les tomes successifs de cette œuvre. Dans le tome II de 1837, le traducteur s’engageait vis-à-vis des souscripteurs à rédiger lui-même un apparat critique, en priant ses lecteurs de lui « épargner les conséquences d’une comparaison82 ». En réalité, il s’y soustrait lui-même, puisque les tomes II, III et IV ne contiennent que la traduction du texte de Bélidor, obsolète et sans aucun paratexte. Ce qui frappe le plus dans ces éditions italiennes, c’est l’acceptation, quoique masquée, de l’erreur. Dans l’« Avertissement » du tome II, il est admis naïvement que les erreurs de Bélidor, « nous l’espérons, ne sont pas dans notre traduction83 » – ce qui revient à souligner l’absence de contrôle. Cette « confession » peut aisément être comparée à la déclaration d’intentions formulée dans la « Note des Éditeurs » de La Science des ingénieurs de 1832 : On trouvera également signalées ici et là les erreurs très fréquentes et de tout genre de l’édition française de 1830 (dirigée par un certain Navier et publiée par un certain Didot), qui a religieusement copié les fréquentes erreurs commises dans l’édition de Charles-Antoine Jombert, pour obtenir l’indulgence de tous ceux qui, inexorables dans leur jugement des éditions italiennes, sont prêts à prendre pour argent comptant les éditions étrangères84.

40 Or, s’il y a des corrections par rapport à l’édition française – ce qui ne semble pas être le cas –, elles ne sont sûrement pas signalées. De même, dans la deuxième édition de 1840, il n’y a aucune trace de plusieurs corrections d’erreurs annoncées dans la » Préface » par rapport à la première édition85. Les deux éditions ne diffèrent que par quelques notes marginales86 et par l’addition de nombreux articles dans l’appendice. Cela relève probablement plus de la logique commerciale et d’une certaine paresse des traducteurs que du respect de l’auteur. C’est cependant un aspect important, même dans un contexte non-militaire : pour ces ingénieurs confrontés au problème de la réélaboration d’une culture dominante, il semble que la connaissance procède par accumulation plutôt que par critique.

41 Telle serait une conclusion que l’on pourrait tirer de l’ensemble du corpus. En règle générale, la préservation du texte original prime sur l’opération de transfert

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linguistique pour des nécessités différentes ou nouvelles. Il ne semblerait donc pas y avoir de spécificité de la traduction technique militaire, ni a priori de la traduction technique. L’analyse concorde en effet avec les conclusions des historiens qui ont travaillé sur les traductions en général ou sur la censure : dans la période considérée, le commentaire, si présent, se limite au paratexte. Cela relève de plusieurs facteurs : tout d’abord, du respect affiché envers l’autorité militaire et scientifique ; ensuite, de l’habitus d’écriture administrative dans l’exposé formaté des activités quotidiennes et de la correspondance de bureau, où souvent l’intervention n’est possible que par addition en marge ; enfin, de certaines contraintes éditoriales, qui imposent parfois des espaces ou des délais réduits. Les traducteurs militaires ne s’efforcent pas d’adapter le savoir, même quand leurs écrits sont destinés aux élèves ingénieurs ou artilleurs87. À partir de ce corpus, il ne semble pas y avoir de corrélation particulière entre le grade du traducteur et son degré d’intervention dans le paratexte, ni entre ce dernier et la période de la traduction88. De leur côté, les traducteurs civils opèrent d’une façon similaire. Civils ou militaires, la plupart des traducteurs de ce corpus sont des techniciens qui abdiquent leur rôle d’intermédiaire, en se contentant de l’invisibilité.

42 En ce qui concerne la distribution des traductions, elle reflète l’usage et la compréhension des langues française et italienne, la diffusion et la réception d’un modèle, piémontais d’abord, et surtout d’un modèle français. Bien qu’il ne soit plus politiquement neutre depuis la Révolution française, ce dernier connaît pourtant un rayonnement durable dans le domaine des transferts culturels à partir du début du XIXe siècle. Ses liens avec le Risorgimento sont profonds mais complexes, a fortiori dans le cas de techniques militaires. Il est donc à regretter d’autant plus que les informations sur l’usage de ces traductions soient si limitées.

43 En tout cas, ces traductions participent du processus de professionnalisation des ingénieurs dans l’espace italien, qu’ils soient militaires ou civils. Le processus ne commence pas avec la Révolution – comme le démontre le cas du Piémont – mais il connaît un essor avec sa pénétration dans l’espace italien. La République italienne puis le Royaume d’Italie notamment constituent à la fois un pôle d’attraction et un creuset pour les ingénieurs militaires de la péninsule89. Il n’est donc pas anodin que l’inversion de tendance dans les traductions commence à partir de cet espace, pour se poursuivre pendant le Risorgimento.

NOTES

1. Ken ALDER, Engineering the Revolution: Arms and Enlightenment in France, 1763-1815, Princeton (NJ), Princeton University Press, 1997. 2. Janis LANGINS, Conserving the Enlightenment, French Military Engineering from Vauban to the Revolution, Cambridge, Massachusetts et Londres, M.I.T. Press, 2003. En France, ce système a fortement inspiré l’ingénieur Julienne de Belair, dont les Élémens de fortification ont été traduits et abrégés par Jonathan Williams, chef des ingénieurs américains et premier directeur de West Point. Cf. Patrice BRET, L’État, l’armée, la science. L’invention de la recherche publique en France, 1763-1830, Rennes, PUR, 2002, p. 381.

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3. Voir par exemple Michèle VIROL, « La traduction des ouvrages des ingénieurs : stratégies d’auteurs, pratiques des libraires et volonté des princes (1600-1750) », dans Artefact. Techniques, histoire et sciences humaines. L’Europe technicienne XVe-XVIIIe, Rennes, PUR, n° 4, 2016, p. 181-195, ou, dans le présent volume, les articles de Ferenc TOTH pour la Hongrie ou de Kostas CHATZIS pour la Grèce. 4. Les indications les plus précieuses pour cette période se trouvent dans des études d’histoire de l’édition : Luigi Mascilli MIGLIORINI, Gianfranco TORTORELLI (dir.), L'editoria italiana nel decennio francese. Conservazione e rinnovamento, Milano, FrancoAngeli, 2016 ; ainsi que dans des travaux sur la censure : Domenico Maria BRUNI, “Con regolata indifferenza, con attenzione costante” Potere politico e parola stampata nel Granducato di Toscana (1814-1847), Milano, FrancoAngeli, 2015). Voir aussi Lorenzo CUCCOLI, « Le armi dotte tra Francia e Italia 1796-1814 », thèse de l’Università di Bologna et de l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, 2012. 5. Giovanni DOTOLI, Vito CASTIGLIONE MINISCHETTI (dir.), Les traductions de l'italien en français au XVIIIe siècle, Fasano, Schena – Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2003 ; id., Les traductions de l'italien en français au XIXe siècle, Fasano, Schena – Paris, Presses de l’Université de Paris- Sorbonne, 2004. 6. http://opac.sbn.it/opacsbn/opac/iccu/avanzata.jsp 7. Qui méritent une étude à part : par exemple, Corso di mattematiche ad uso delle scuole militari compilato dai professori di mattematiche Allaize, Billy, Puissant, Boudrot, Livorno, dalla tipografia e litografia di Giulio Sardi, 1830-1831, 4 vol., traduit par Ferdinando Biondi Perelli ou encore les manuels classiques de Bossut et Bézout ou celui, plus ancien, de l’abbé Deidier, Elementi generali delle principali parti delle matematiche, necessarj ancora all'artiglieria, e all'arte militare, Venezia, Modesto Fenzo, 1761-1762, traduit par Arduino et Matteo Dandolo. Les traducteurs de ces œuvres n’étaient d’ailleurs à l’évidence pas des militaires. 8. Dell’arme odiernamente usate in guerra ; Nomenclatura delle altre parti del cannone ; Tavola delle dimensioni, e peso dei cannoni ; Diametro esteriore delle canne da fucile, moschettone, carabina, pistolla, e del loro peso, e prezzo ; Annotazioni concernenti il fucile ; Delle materie che compongono la polvere da guerra, e da caccia ; Della fabbricazione, e prova della polvere ; Esercizio in dettaglio del pezzo di cannone da 4 per l’istruzione dei cannonieri principianti. 9. Voir les recherches en cours de Maria Pia Casalena. Nous écartons dans le tableau quelques autres traductions attestées, que nous signalerons dans le texte, mais dont aucun exemplaire n’a pu encore être repéré dans les bibliothèques italiennes. 10. Alessandro Vittorio PAPACINO D’ANTONI, Esame della polvere, Torino, Stamperia reale, 1765 ; Alessandro Vittorio PAPACINO D’ANTONI, Dell'uso delle armi da fuoco per le regie scuole teoriche d'artiglieria, e fortificazione, Torino, Stamperia Reale, 1780 ; Jean-Louis LOMBARD, Tables du tir des canons et des obusiers, avec une instruction sur la manière de s'en servir, s.l., 1787 ; Jean-Louis LOMBARD, Traité du mouvement des projectiles, appliqué au tir de bouches à feu, Dijon, Imprimerie de L. N. Frantin, 1796 ; [Benjamin POUMET], Instruction sur la balistique, à l'usage des élèves du Corps royal d'État-major, Paris, Anselin et Pochard, 1824 11. Alessandro Vittorio PAPACINO D’ANTONI, Dell'artiglieria pratica per le Regie Scuole d'artiglieria, e fortificazione, t. II, Incumbenze degli artiglieri in tempo di guerra, Torino, Stamperia Reale, 1775 ; Guillaume LE BLOND, L'Artillerie raisonnée, contenant la description & l'usage des différentes bouches a feu, avec les principaux moyens qu'on a employés pour les perfectionner, la théorie & la pratique des mines, & du jet des bombes, et l'essentiel de tout ce que l'artillerie a de plus intéressant depuis l'invention de la poudre a canon, Paris, C.-A. Jombert, 1771 ; [anonyme], Petit manuel du canonnier, ou instruction générale sur le service de toutes les bouches à feu, en usage dans l’artillerie, Paris, Magimel, An II (1793-1794) ; Antonio CORSO (éd.), Memorie d’artiglieria, Pavia, Giovanni Capelli, 1805 ; Jean-Nicolas LAMY, Traité théorique et pratique des Batteries, Paris, Anselin et Pochard, 1827 ; Joseph RAVICHIO DE

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PERETSDORF (éd.), Traité de pyrotechnie militaire, comprenant tous les artifices de guerre en usage en Autriche, Paris, F.-G. Levrault, 1824. 12. Alessandro Vittorio PAPACINO D’ANTONI, Instituzioni fisico-meccaniche per le regie scuole d'artiglieria e fortificazione, Torino, Stamperia reale, 2 vol., 1773-1774. 13. Alessandro Vittorio PAPACINO D’ANTONI, Dell’architettura militare per le regie scuole teoriche d’artiglieria, e fortificazione. Libro terzo in cui si contengono le regole della fortificazione difensiva, e delle mine per le piazze di guerra, Torino, Stamperia reale, 1759 ; Jean DEMBARRERE, Coup d’œil pour distinguer et classer les différentes parties de la science militaire ou de l’Art de la guerre sur terre, surtout pour reconnoître l'étendue et l'influence de celles qui appartiennent à l'arme du génie, Paris, Magimel, 1801 ; Nicolas-Pierre-Antoine SAVART, Cours élémentaire de fortification, à l'usage de MM. les élèves de l'École spéciale militaire, Paris, Anselin et Pochard, 1825 [éd. orig. 1812]. 14. Qui était l’éditeur d’un manuscrit autrichien, révisé et complété par des annotations du capitaine d’artillerie Vergnaud. 15. Antoine-Marie Augoyat (1783-1864), l’autre auteur présumé du texte, était capitaine du génie. 16. Pour LE BLOND : L'Artillerie raisonnée…, op. cit. et La Science des ingénieurs dans la conduite des travaux de fortification et d'architecture civile, Paris, F. Didot frères, 1830. 17. Flavigny allait traduire aussi, de l’espagnol, William Bowles, Introduction à l'histoire naturelle et à la géographie physique de l'Espagne, Paris, L. Cellot et Jombert fils jeune, 1776, et Correspondance de Fernand Cortès avec... Charles-Quint, sur la conquête du Mexique, En Suisse, Libraires associés, 1779. 18. Il s’agit probablement de Jean-Baptiste-Gaspard Cusset, seigneur de Montrozard. 19. Giovanni Battista PACCES, Trattato ragionato sulle diverse batterie, Napoli, tipografia del Consiglio di Stato, 1813. 20. Giulio PAMPANI, Breve metodo per stimare i terreni, e fabbriche con in fine il modo pratico per difendersi dalle inondazioni de' fiumi, ed altre cose necessarie ad istruzione di quelli, che s'incamminano in tali professioni, Ferrara, Giovanni Antonio Coatti, 1780 ; PAMPANI, Risposta data da Giulio Pampani a varj suoi amici intorno l'interogazione fattagli, se v' abbia modo di riparare gl' argini de fiumi dalle corrosioni dell'acqua, danneggiando poco, o nulla le campagne adiacenti, [Ferrara, 1781]. 21. Notamment le ministre de la guerre Pino pour Pampani et les commandants du corps d’artillerie Paolo Calori et Giuseppe Giannetti pour Corso et Biondi Perelli, respectivement. 22. Voir Giovanni Battista PACCES, « All’intelligente lettore », dans Lombard, Tavole del tiro de’ cannoni e degli obici, Napoli, Masi, 1816. p. 5. 23. Voir CUSSET DE MONTROZARD, « Discours Préliminaire », dans d’Antoni, Institutions physico- méchaniques, Strasbourg, Bauer et Treuttel, 1777, vol. I, p. III. 24. Marco MERIGGI, « Prove di comunità. Sui congressi preunitari degli stati italiani », in Storia d’Italia, Annali 26. Scienze e cultura dell’Italia unita, Torino, Giulio Einaudi, 2011 p. 7-36. 25. Michela MINESSO, L'ingegnere dall'età napoleonica al fascismo, in Storia d'Italia. Annali 10. I professionisti, Torino, Giulio Einaudi, 1996, pp. 261-267. Luigi BLANCO (dir.), Amministrazione, formazione e professione: gli ingegneri in Italia tra Sette e Ottocento, Bologna, Il Mulino, 2000. 26. Maria Iolanda PALAZZOLO, « Geografia e dinamica degli insediamenti editoriali » et Mario INFELISE, « La nuova figura dell’editore », dans Gabriele Turi ( dir.), Storia dell'editoria nell'Italia contemporanea, Firenze, Giunti, 1997, respectivement p. 11-54 et p. 55-76. 27. Sur les traductions pendant le Premier Empire voire les recherches en cours de Maria Pia Casalena. Sur la censure voire Domenico Maria BRUNI, “Con regolata indifferenza, con attenzione costante” Potere politico e parola stampata nel Granducato di Toscana (1814-1847), Milano, Franco Angeli, 2015. 28. Brett D. Steele souligne l’influence de d’Antoni : Brett D. STEELE, « Muskets and Pendulums : Benjamin Robins, Leonard Euler and the Revolution in Ballistics », Technology and Culture, 35, 1994, no 1-2, p. 348-382 ; STEELE, « Military “Progress” and Newtonian Science in the Age of

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Enlightenment », dans Brett D. Steele, Tamera Dorland (dir.), The Heirs of Archimedes. Science and the Art of War through the , Cambridge-London, MIT Press, 2005, p. 361-390. 29. Voir la « Notice historique sur les Services, les Ouvrages et la Vie privée de M. le Marquis de Saint-Auban, Commandeur de l’Ordre Royal de Saint-Louis, Lieutenant-Général des Armées du Roi », dans D’ANTONI, De l'Usage des armes à feu, op. cit., p. 3-36. 30. Jacques–Antoine Baratier, marquis DE SAINT-AUBAN, « Avertissement sur la traduction », dans Alessandro Vittorio PAPACINO D’ANTONI, De l’Usage des armes à feu, Paris, Lambert, 1785, p. 39. 31. FLAVIGNY, « Avant-Propos », dans D’ANTONI, Examen de la poudre, Amsterdam, Marc-Michel Rey, 1773 32. Marco BERETTA, Bibliotheca Lavoisieriana: The Catalogue of the Library of Antoine Laurent Lavoisier, Florence, Leo S. Olschki, 1995, p. 200. 33. Gaspard-Herman COTTY, « Notice historique sur le Corps Royal d’Artillerie », dans Cotty, Encyclopédie méthodique. Dictionnaire de l'artillerie, Paris, chez Mme veuve Agasse, 1822, p. 272 et 275. 34. Voir CUSSET DE MONTROZARD, « Discours Préliminaire », op. cit., p. III. Et pourtant, dans le titre, le traducteur précise qu’il s’agit des écoles royales d'artillerie et du génie « de Turin », ce qui allait de soi dans l’original. 35. Même si, au début, il avait entrepris la traduction tout seul « pour [s’]exercer dans une langue, dans laquelle on s’apercevra facilement [qu’il] débute ». Voir CUSSET DE MONTROZARD , « Discours Préliminaire », op. cit., p. III-IV. 36. D’Antoni envisageait toutefois un public plus large que celui des élèves des écoles militaires de Turin. Il souhaitait ainsi que « ce qui appartenait à peu de gens se répande à tous, et que ce qui était presque privé, devienne commun et profite à chacun ». Voir D’ANTONI, Instituzioni fisico- meccaniche, op. cit., vol. I, p. v: « si diffonda su tutti, e ciò, ch’era di pochi proprio, e quasi privato, comune divenga, e di pubblica ragione, e profitto a chicchessia ». 37. D’ANTONI, Du Service de l'artillerie à la guerre, Paris, L. Cellot, 1780, p. 15. 38. D’ANTONI, Du Service de l'artillerie à la guerre, op. cit., p. 14, dans l’« Introduction et plan de l’ouvrage », puis dans les notes aux p. 21, 191, 306, 307, 313, 330, 369 et 371. Les 115 notes sont ainsi reparties : 28,70 % sont constituées de l’expression de l’opinion du traducteur ; 28,70 % sont constituées de notes d’explications ; 20 % sont des mises à jour ; 7,83 %, des conversions ; 6,96 %, des additions ; 6,09 %, des descriptions des usages français. 39. Ibid., p. 21. 40. Ibid., p. 306. 41. Flavigny, qui avait participé à la guerre de Sept Ans, fut en mission en Piémont entre 1772 et 1773. Voir le Dictionnaire de biographie française, t. 13, Paris, Letouzey et Ané, 1971-1975, colp. 1506-1507. 42. On peut notamment en trouver aux pages 142, 157, 191, 206, 211, 216, 222, 228, 234 et 236. 43. Le décès du traducteur quand il allait terminer le travail pourrait expliquer l’absence de l’index et de l’adresse au lecteur, qui ne furent pas traduits, et peut-être aussi de notes du traducteur. Cf. « Notice historique sur les Services, les Ouvrages et la Vie privée de M. le Marquis de Saint-Auban, Commandeur de l’Ordre Royal de Saint-Louis, Lieutenant-Général des Armées du Roi », dans D’ANTONI, De l'Usage des armes à feu, p. 35. 44. D’ANTONI, Esame della polvere, op. cit., p. 121. 45. D’ANTONI, Examen de la poudre, op. cit., p. 109-110. 46. Ibid., p. 110. 47. Gabriele ZENER, « Avis du traducteur » , dans Guillaume LE BLOND, L' artiglieria per principj, e per raziocinio, Trattato che contien la descrizione, e l’uso delle diverse bocche da fuoco, e i principali mezzi, che si sono adoperati per perfezionarle, La Teoria, e la pratica delle Mine, e del Getto delle Bombe, e tutto ciò, che l’Artiglieria ha di più importante dopo il trovato della polvere da Cannone, Venezia, Antonio

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Locatelli, 1773, vol. I,., p. x-xi : « non ho io potuto sofferire, che questa mia fatica, qualunque siasi, si ristringesse ad una nuda, e semplice Traduzione... poco contento del solo nome d’Interprete, ho io voluto arricchir l’Opera di Tavole, di Figure, e di Note importanti, cavate da’ fonti migliori ». 48. L’index analytique, cependant, n’est pas présent dans la version italienne. 49. 123 notes (76,88 %) concernent les conversions de mesures ; 18 (11,25 %) sont des additions ; 17 (10,63 %) des explications et 2 (1,25 %) des critiques. Dans le deuxième volume (car la traduction en italien avait été réalisée en deux volumes), on rajoutait encore la traduction des deux textes, l’un sur l’histoire du corps d’artillerie en France et l’autre sur ses écoles régimentaires. 50. Le Blond, L' artiglieria per principj, e per raziocinio, op. cit., vol. II, p. 124 ; « in modo, che parrebbe, che fosse stato egli il primo ad immaginarlo. Io qui trascrivo le sue stesse parole in Francese, perché possa ognuno veder meglio da sé la cosa » – Ibid., p. 75). Dans l’autre note de critique, le traducteur précise qu’il suivait la première édition de 1761, la deuxième comprenant des coquilles (Ibid., p. 124). 51. Lorenzo CUCCOLI, « Le armi dotte tra Francia e Italia 1796-1814 », op. cit. 52. Archivio di Stato di Milano, fonds Ministero della guerra, carton 122 : Inventario Generale delle Bocche a fuoco, Modelli, Armi bianche e da fuoco, Giuochi d'Armi, Macchine, Strumenti, Cordaggi, Biblioteca, e Generi Diversi esistenti nella Scuola Teorico Pratica d'Artiglieria in Pavia all'Epoca del 15 Marzo Anno 1804, e 3° della Repubblica Italiana. 53. Mariano D’AYALA, Bibliografia militare italiana antica e moderna, Torino, Stamperia Reale, p. 144. 54. Pampani avait été ingénieur civil au service vénitien, puis du Pape, avant d’entrer dans le Bureau topographique napolitain. Il entreprit sa carrière militaire comme ingénieur-géographe dans la république napolitaine en 1799 et fut exilé en France. Il servit dans l’armée de la République italienne comme ingénieur-géographe de 1802 à 1804. 55. Antonio CORSO, « Il traduttore a’ suoi fratelli d’arme » (« Le traducteur à ses frères d’armes »), dans Corso (dir.), Memorie d’artiglieria, op. cit., p. 1.. Voir note . 56. Il s’agit de LE BLOND, Traité de l’Artillerie, ou des Armes et Machines en usage à la Guerre, Depuis l’invention de la Poudre, Paris, C.-A. Jombert, 1743. 57. Ou instruction détaillée sur la manière de lever à vue et de dessiner avec promptitude les cartes militaires, Paris, Magimel, 1804. Voir dans l’Archivio di Stato di Milano, fond Ministero della guerra, carton 2849, la lettre du lieutenant en second Luigi Fortis au Ministre de la guerre, Mantoue, 23 mars 1812, ainsi que la note de Beroaldi, chef de la 3e division du ministère de la guerre, Milano, 18 juillet 1812. 58. Notamment depuis la mission à Naples du général Pommereul entre 1787 et 1795, qui y avait introduit de nouvelles techniques de fonte, ainsi que le système Gribeauval. 59. Sur les contributions de Lombard et ses tables, voir Brett D. STEELE, « Military “Progress” and Newtonian Science in the Age of Enlightenment », art. cit., p. 376-378, et Brett D. STEELE, « Muskets and Pendulums: Benjamin Robins, Leonard Euler and the Revolution in Ballistics », art. cit., p. 376-377. 60. Pacces était chargé de l’instruction des lieutenants élèves d’artillerie depuis 1810 dans le Royaume de Naples de Murat. Le traducteur analyse, dans sa préface (Giovanni Battista Pacces, « All’intelligente lettore », dans LOMBARD, Tavole del tiro de’ cannoni e degli obici, op. cit., p. 5-13), les avantages et les inconvénients de la méthode de Lombard et de ses tables de tir, en soulignant la nécessité de faire converger la théorie et l’expérience. C’était à peu près aussi l’avis du même Lombard dans sa « Préface » du Traité du mouvement des projectiles. Pacces ne rajoute pas de notes au traité, son intervention étant limitée à l’insertion des errata corrige français dans le texte. Cependant, il rajoute quatre notes aux Tables du tir des canons et des obusiers : deux de mises à jour, une d’explication et une d’addition.

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61. En ce qui concerne la France, Lamy affirme que le seul traité utile sur la question est l’Aide- mémoire à l’usage des officiers d’artillerie de France attachés au service de terre du général Gassendi. Voir Jean-Nicolas LAMY, « Prefazione » (Préface) dans Trattato teorico e pratico delle batterie, Napoli, Reale Tipografia della Guerra, 1830, p. V. Il « oublie » l’œuvre de ses collègues Ravichio von Peretsdorf et Nancy, publiée seulement un an auparavant et qui, cependant, n’était pas adaptée au nouveau système Vallée, qui avait remplacé le système Gribeauval en 1827 : voir Maurice-Joseph-Didier RAVICHIO DE PERETSDORF, Anne-Philibert-François-Claude NANCY, Traité théorique et pratique de la construction des batteries, Paris, F.-G. Levrault, 1826. En ce qui concerne le royaume des Deux Siciles, Novi fait réference au Trattato ragionato sulle diverse batterie de Pacces : Pietro NOVI, « Il Traduttore a chi legge » (Le traducteur au lecteur), dans LAMY, op. cit., p. III. Pour l’ouvrage de Pacces, cf. note . 62. Ibid., p. III. « Pubblicatosi intanto in Francia il trattato delle batterie del Signor J. N. Lamy Capitano del Corpo Reale di Artiglieria di quel Regno, gli elogi che distinti Uffiziali dell’Arma qui ne faceano, ci indussero a credere che utile sarebbe stato il recarlo nell’italiano idioma, onde renderne agevole lo acquisto. E fummo in ciò incoraggiati e da’ compagni, e da’ superiori puranco, i quali utile e lodevole intrapresa la reputavano. » (« Ayant été publié en France le traité des batteries de Monsieur J. N. Lamy, capitaine du Corps Royal d’Artillerie de ce Royaume, les éloges qu’en firent ici différents officiers de cette arme nous amenèrent à penser qu’il aurait été utile de le traduire en italien, afin d’en favoriser l’achat. On a été encouragé dans cette entreprise par des camarades et même par des supérieurs, qui ont réputé l’entreprise utile et louable. »). 63. Les notes de Novi sont constituées par 6 additions (31,58 %), 5 explications (26,32 %) et 6 notes (31,58 %) où le traducteur exprime son opinion. Dans deux d’entre elles, il se limite à constater qu’il n’a pas suffisamment d’informations sur le nouveau système d’artillerie française, de sorte qu’il ne peut pas donner son évaluation d’un passage du texte. Ainsi, pour la première, écrit-il : « In Francia si sono fatti importanti cambiamenti alle macchine di artiglieria, ma da noi non se ne conoscono ancora le particolarità. » (« En France d’importants changements ont été faits dans les machines de l’artillerie, mais chez nous, on n’en connait pas encore les détails. » ; NOVI, « Note del traduttore », dans LAMY, op. cit., p. 194). Il faut remarquer qu’il s’agit du seul livre traduit que nous ayons repéré sur l’artillerie datant de 1827 ou après et, donc, qui prenne en compte le nouveau système Vallée, ceux traduits par Biondi Perelli ayant comme date-limite 1825. Les notes de Novi ne concernent que la première partie de l’ouvrage, celle sur les batteries « permanentes », qui occupent du reste la plus grande partie de l’ouvrage, celle sur les batteries mobiles ne constituant qu’une vingtaine de pages. Novi rajouta cependant à cette deuxième partie des instructions de Fréderic II de Prusse à son artillerie. Voir « Istruzione per la mia Artiglieria sulla maniera di dirigere i suoi fuochi nelle occasioni : data a’ 10 Maggio 1782 », dans « Note del traduttore », Ibid., p. 211-215. Ces instructions, quoique datées, avaient une valeur pratique, et étaient en fait à peu près énoncées par Lamy dans ses « Precetti » (Préceptes) le troisième à la page 178, le quatrième à la page 179, les huitième, neuvième et dixième à la page 181. 64. Novi, « Note del traduttore », op. cit., p. 201. 65. Auquel sont dédiés tous ces ouvrages. Biondi Perelli traduit également en 1831 les Cours de mathématiques (voir note ). Ces cours étaient a priori destinés aux officiers de la ligne, mais il est probable que, comme les quatre autres textes traduits, ils aient été également destinés aux élèves d’artillerie toscane. 66. Sur le français comme langue intermédiaire, voir Giovanni DOTOLI, « Bibliothèque des traductions de l’italien en français du XVIe au XXe siècle. Un parcours de l’Europe de la culture. », dans Les traductions de l’italien en français du XVIe au XXe siècle, actes du colloque international (Monopoli, 4-5 octobre 2003), Fasano, Schena, 2004, p. 7-35, et Pascal CASANOVA, La République mondiale des Lettres, Paris, Seuil, 2008.

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67. Ravichio de Peretsdorf avait été au service piémontais et autrichien avant de passer au service français, où il était archiviste des bureaux de l’artillerie et du génie au ministère de la guerre. 68. Ibid., p. 106-109. Il s’agissait d’un passage de Robert Simmons, The Sea-gunner's Vade-mecum, London, Steel & co., 1812, p. 206-209. Biondi Perelli éliminait également la Préface du traducteur et l’Avis pour rajouter des Prénotions historiques. 69. « Avertissement », dans VON DECKER, Traité élémentaire d'artillerie, op. cit., vol. I, p. i-ii. 70. Il ajouta une note d’explication, deux notes de conversion des mesures, une note de critique et deux notes bibliographiques (l’une de ses traductions et l’édition des Œuvres du général Montecuccoli par Ugo Foscolo). 71. VON DECKER, Trattato elementare d’artiglieria per l’uso dei militari di tutte le armi, Livorno, Giulio Sardi, 1830, vol. II, p. 178 : « E’ noto ad ognuno che i Francesi hanno dagl’Italiani appreso le fortificazioni e che Vauban a se stesso attribuì le invenzioni di De Marchi bolognese ». 72. Biondi Perelli rajoute des Definizioni (Définitions) (p. 1-29), essentiellement tirées du Dizionario Militare (Dictionnaire militaire) de Giuseppe Grassi et quatre pages d’Appendice alle definizioni (Appendice aux définitions), vraisemblablement écrites par lui. Il signale également qu’il a abrégé le chapitre IV, « Del modo di dirigere e incassare i fiumi » (De la façon de diriger et encaisser un fleuve) : voir Nicolas-Pierre-Antoine SAVART, Corso elementare di fortificazione ad uso delle scuole militari, Livorno, Giulio Sardi,,vol. I, 1830, p. 98. Dans cet ouvrage en quatre volumes, les notes de l’auteur et de l’éditeur français (le lieutenant-général du génie Pierre-Alexandre-Joseph Allent) sont mêlées. 73. Ferdinando BIONDI PERELLI, « Prefazione del traduttore », dans Benjamin POUMET, Istruzione sulla balistica, Livorno, Pozzolini, 1827, p. 3-4. Biondi Perelli motive sa traduction par « l’absence de tout traité en langue toscane sur la balistique qui soit facile à comprendre pour les officiers de toute arme, et particulièrement de l’artillerie » (« La mancanza in idioma toscano di un trattato sulla balistica tale che per la sua facile intelligenza riuscisse adattato agli uffiziali di ogni arma ed utile in special modo a quelli d’artiglieria »). Dans cette même préface, Biondi Perelli louait les Cours de mathématiques à l'usage des écoles impériales militaires, qu’il traduisit par la suite, parce qu’il évitait presque d’utiliser le calcul différentiel et intégral. Dans ce texte, on trouve deux notes du traducteur : une addition (p. 18-21) et une critique (p. 21-23). 74. Mariano D’AYALA, Bibliografia militare italiana antica e moderna, op. cit., p. 144. D’Ayala fait référence particulièrement aux deux retraductions. 75. Hélène VÉRIN, La gloire des ingénieurs : L’Intelligence technique du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel, 1993 ; Patrice BRET, Irina GOUZEVITCH (dir.), La mise en place de la communauté internationale d’ingénieurs dans la première moitié du XIXe siècle, Paris, CRHST, 1997. 76. Maria Iolanda PALAZZOLO, « Geografia e dinamica degli insediamenti editoriali », dans Gabriele Turi (dir.), Storia dell'editoria nell'Italia contemporanea, op. cit., p. 27. Sur les opportunités offertes pour la libre profession d’ingénieur dans le Lombardo-Vénitien, voir Bruno GIORDANO, Gli ufficiali della scuola militare di Modena (1798-1820): una ricerca prosopografica, Soveria Mannelli (CZ), Rubbettino, 2008, p. 144-146. 77. Charles C. GILLISPIE (dir.), Dictionary of Scientific Biography, New York, Charles Scribner’s Sons, vol. I, 1981. 78. Dans l’édition de 1832, on trouve 3 notes de mises à jour (6,25 %) ; 9 d’additions (18,75 %) et 36 d’explications (75 %), dont 20 (41,67 % du total) pour des termes propres aux ingénieurs militaires. Elle fut imprimée d’abord à Milan, à Mantoue et à Florence (où le premier volume seulement fut imprimé, tandis que le deuxième le fut à Livourne en 1834). Une seconde édition sortit en 1840, avant qu’une troisième ne fut publiée à Milan et Naples en 1875-1876.

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79. À tel point que, dans les deux cas, sa traduction fut aussi publiée séparément : Claude-Louis- Marie-Henri NAVIER, Note del signor Navier ingegnere di ponti e strade alla scienza degli ingegneri di Belidor, [s.l., s.d.] ; NAVIER, Note ed aggiunte del signor Navier ingegnere di ponti e strade alla architettura idraulica di Bernardo Belidor, Mantova, Negretti, 1843. 80. Notons qu’en marge du texte de Bélidor, on trouve toutefois quelques notes du traducteur, qui sont cependant souvent des explications ou des additions, ainsi que des renvois aux notes de Navier. 81. Bernard Forest DE BELIDOR, Architettura idraulica, Mantova, fratelli Negretti, vol. I, 1835. 82. DE BELIDOR, Architettura idraulica, Mantova, presso gli editori, 1837, vol. II, p. VIII, Avvertimento : « Risparmiare le conseguenze di un confronto. » 83. Ibid., p. vii : « errori che vogliamo sperare non sieno nella nostra traduzione. » 84. DE BELIDOR, La scienza degli ingegneri nella direzione delle opere di fortificazione e d'architettura civile, Mantova, Fratelli Negretti – Milano, Gaspare Truffi, 1832, vol. I, p. XI, « Nota degli Editori » : « Si troveranno pure accennati qua e là i moltissimi errori d’ogni fatta dell’edizione francese del 1830 (diretta da un Navier e pubblicata da un Didot) che ha religiosamente copiati i non pochi di quella di Carlo-Antonio Jombert del 1739 : valessero almen questi ad ottenerci indulgenza presso tutti coloro che inesorabili nel giudicare delle edizioni italiane sono prontissimi a trovare tutt’oro nelle straniere. » 85. DE BELIDOR, La scienza degli ingegneri, Milano, Perelli e Mariani, 1840, « Prefazione » : « On trouvera également corrigées plusieurs erreurs de la 1ère édition italienne, erreurs inévitables dans des œuvres de longue haleine, dérivant en partie des nombreuses erreurs de tout type de l’édition française de 1830 » (« Si troveranno pure corretti varj errori corsi nella 1° edizione italiana, errori inevitabili in opere di lunga lena, e che derivarono in parte dai moltissimi d’ogni fatta dell’edizione francese del 1830 »). 86. Ainsi, si une note a été supprimée, quatre autres ont été rajoutées, dont deux sont des additions au texte et deux contiennent les critiques suivantes : « La dite opinion n’est que celle de Bélidor » (« La qual opinione resti tutta a carico del Belidor ») ; « Bélidor fait référence à son époque » (« Belidor si riferisce al tempo suo »). 87. Explicitement, dans le cas d’une des traductions de Montrozard, des quatre de Biondi Perelli et de deux de Pacces, soit sept sur seize. Bien évidemment, le nombre d’ouvrages effectivement présents dans les écoles est supérieur (voire par exemple note ). 88. Trois traducteurs interviennent plus significativement que les autres dans le paratexte : le lieutenant-colonel Montrozard dans Du Service de l’artillerie à la guerre, et les capitaines Zener et Novi. On ne retrouve donc certes pas les deux lieutenants, mais il en va de même avec le seul lieutenant-général. Les traductions concernées sont datées de 1773, 1780 et 1830. 89. CUCCOLI, « Le armi dotte tra Francia e Italia 1796-1814 », op. cit. ; GIORDANO, Gli ufficiali della scuola militare di Modena, op. cit.

RÉSUMÉS

L’article examine les traductions de l’italien au français et du français en italien des ouvrages techniques destinés aux officiers des armes savantes entre 1750 et 1840. Il en résulte une prévalence des traductions du français, mais avec une bipartition nette : au XVIIIe siècle, on traduit plutôt de l’italien, tandis que, au XIXe, on traduit plutôt du français. Les traducteurs, qui

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sont des officiers, souvent des armes savantes, peuvent écrire à l’usage d’écoles militaires et/ou viser une promotion. Ils restent cependant presque toujours très effacés, en se contentant d’intervenir dans le para-texte. Le respect du texte et de l’autorité militaire et scientifique de l’auteur demeure largement dominant, les critiques étant très rares, tandis que les additions dans le para-texte sont assez fréquentes.

The article examines the translations from Italian to French and from French to Italian of technical texts written for the use of military engineers and artillery officers from 1750 to 1840. Translations from French to Italian dominate over the whole period, with a distinctive divergence between the 18th century, with its prevalence of translations from Italian, and the 19th, marked by the opposite trend. The translators are officers, often from the technical corps: they may write for military schools, but also in order to seek promotion. They remain largely invisible, confining their presence to the paratext. Respect for the text and for the military and scientific authority of the author is predominant, criticism being rare, while additions in the paratext are quite frequent.

INDEX

Mots-clés : traductions, génie, artillerie, français, italien Keywords : translations, engineering, artillery, French, Italian

AUTEUR

LORENZO CUCCOLI Membre associé de l’IHMC Université de Bologne

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Les artilleurs traducteurs et leurs ennemis. La première traduction italienne du Traité élémentaire de Lavoisier à Naples

Corinna Guerra

Texte traduit de l’anglais par Sylvie et Patrice Bret, que je remercie infiniment.

1 Dans un mémoire rédigé durant les premiers mois de la Révolution française, le chimiste Antoine Laurent Lavoisier (1743-1794) écrit : « Depuis que l’usage des armes à feu a été généralement établi en Europe, la fabrication et la distribution des poudres, la recherche et l’amas du salpêtre sont devenus un attribut incommunicable de la souveraineté, non seulement en France, mais encore dans tous les autres gouvernements, sous quelque forme qu’ils existent […] la disette, l’exportation ou le mauvais emploi des poudres, aujourd’hui de première nécessité, exposerait une nation entière à succomber sous les attaques de ses ennemis1. » Comme Lavoisier, lui-même à la tête de la Régie des poudres et salpêtres, nombre de chimistes et artilleurs de cette période s’intéressaient à des questions liant la science et le domaine militaire, et chacun s’efforçait à sa façon de contribuer à l’emploi et à l’efficacité des munitions. Dans ce contexte, le Royaume de Naples présente un mode d’intervention différent et original : pour le perfectionnement de l’artillerie, un professeur de chimie et un capitaine d’artillerie s’associèrent pour donner la traduction d’un livre, le Traité élémentaire de chimie de Lavoisier, publié à Paris en 1789, livre qui marque la naissance de ce qu’on appelle alors la « nouvelle chimie2 ». Cet ouvrage majeur fut publié pour la première fois en italien par Gaetano Maria La Pira et Luigi Parisi, dès le mois de janvier 1791, pour offrir aux cadets de l’Académie royale militaire de la Nunziatella, à Naples, l’occasion exceptionnelle de l’étudier3.

2 Quels furent le contexte, les enjeux et les effets de cette traduction ? L’analyse de son histoire est intéressante sous plusieurs aspects : le choix étonnant de traduire, non un manuel pédagogique classique, mais un texte qui rompait avec la tradition ; le fait que

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cette traduction fut, pour le Royaume de Naples, une première dans laquelle le hasard a tenu une place importante, ne serait-ce que par l’expérience personnelle de chacun des auteurs qui entreprirent de traduire ce manuel à l’intention des artilleurs napolitains ; enfin, la réception de la traduction, et ses retombées imprévues.

3 Naples avait déjà une importante tradition dans le domaine de la traduction et, parmi les traductions scientifiques, on peut remarquer un certain succès éditorial de celles traitant de la chimie dans la seconde moitié du XVIIIe siècle 4. En 1782 on a eu la traduction des Eléments de chymie théorique et des Eléments de chymie pratique par Pierre Joseph Macquer, qui avaient été publiés à Florence pour la première fois en 1774. Deux ans plus tard, l’éditeur Porcelli publiait une deuxième traduction italienne du Dictionnaire de chymie, toujours par Pierre Joseph Macquer5, avec des notes et de nouveaux articles de Giovanni Antonio Scopoli6, auteur de la première traduction italienne à Pavia, et Giuseppe Vairo, premier titulaire de la chaire de chimie de l’université de Naples7. La même année, la maison d’édition dirigée par Amato Cons publia la traduction des Eléments de minéralogie docimastique de Balthazar Georges Sage, mais encore plus intéressante est la parution, toujours en 1784, de la traduction de l’un parmi les ouvrages les plus importants de la chimie pneumatique du siècle, les Experiments and Observations on different kinds of Air de Joseph Priestley. Cependant, toujours pour la chimie pneumatique, mais peut-être encore plus intéressant en relation avec le Traité élémentaire de Lavoisier, à Naples, une jeune dame, Mariangela Ardinghelli (1728-1825), avait traduit en 1756 pour la première fois en italien la Vegetable Staticks de Stephen Hales. La valeur scientifique de cette entreprise est majeure si l’on considère que Lavoisier ne connaissait pas l’anglais, sinon par l’aide de sa femme. Cet ouvrage exerça donc une ample influence sur Lavoisier, dans la mesure où il eut également l’opportunité de l’étudier dans la traduction française publiée par Georges Louis de Buffon8. Enfin, l’éditeur Porcelli s’occupa en 1787-1788 de la réimpression de la traduction faite à Florence par Fabbroni des Opuscola Physicae et Chimiae de Bergman. Parmi cet ensemble de traductions celles de Macquer et de Bergman furent soigneusement et largement diffusées.

4 Cette liste pour souligner que, même s’il y avait à Naples un marché et un réseau assez établis de traductions chimiques, celle effectuée à l’Académie militaire reste un cas particulier qui mérite une analyse plus attentive, car le rôle joué ici par les traducteurs revêt la plus haute importance.

5 En effet, en réalisant la publication de Lavoisier, les deux traducteurs napolitains ont non seulement opéré l’introduction d’idées et d’ouvrages étrangers dans le Royaume, mais ont aussi posé deux actes politiques plus ou moins explicites. D’une part, il s’agit d’enseigner la « nouvelle chimie », alors qu’elle n’était pas encore le système adopté par la majorité des chimistes ; d’autre part, ils travaillent à cette traduction précisément dans les années les plus risquées à Naples pour afficher des idées nettement françaises, ou jacobines, comme elles sont souvent appelées dans le Royaume.

6 Donc, deux professeurs d’une école militaire à Naples, qui était à la périphérie scientifique si l’on considère le cercle des auteurs des découvertes majeures de l’époque en chimie, décident de faire étudier officiellement à leur élèves les nouvelles idées de Lavoisier. Cet acte de critique du système établi de la discipline s’exerce par la traduction, en italien, du manuel qui avait réformé l’enseignement de la chimie en France ; le fait de réaliser avant tous les autres collègues italophones cette traduction

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dénote en même temps une volonté de faire date, en attachant leurs noms à la diffusion de la nouvelle chimie en Italie. Pourtant, l’historiographie mentionne souvent la traduction que Vincenzo Dandolo publia à Venise9 environ six mois après comme la première traduction en italien du Traité élémentaire. Dans les deux cas, comme le montrera l’article, on est en face d’une volonté de s’approprier l’originalité de l’ouvrage de Lavoisier, mais les enjeux politiques dans ces deux zones de la péninsule italienne eurent une influence prépondérante dans la genèse, le développement et la diffusion des deux traductions.

7 En outre, la Révolution française joue un rôle différentié dans la réception de ces deux traductions.

8 À Naples, les artilleurs s’engagent avec un produit intellectuel de la France révolutionnaire dans un Royaume effrayé par les effets de la Révolution. Lavoisier lui- même était un fonctionnaire de la République révolutionnaire et, même si cette dernière l’a guillotiné en 1794, pour le gouvernement napolitain, la simple mention du chimiste français constituait une menace. Cela aura des conséquences non négligeables au lendemain de la chute de la République napolitaine (23 janvier-19 juin 1799), au moment où émerge une tentative de reproduire les fastes révolutionnaires français à l’ombre du Vésuve. Au-delà du symbole politique, les deux napolitains aspiraient plus encore à révolutionner l’enseignement de la chimie à l’Académie militaire par les moyens d’un laboratoire où pourraient enfin être reproduites à Naples toutes les expériences décrites dans le Traité : ce laboratoire était en cours d’installation précisément à l’époque du travail de traduction. De l’autre côté de la péninsule, Dandolo était parfaitement inséré dans le contexte révolutionnaire établi avec l’arrivée des Français dans le nord de l’Italie, et son engagement pour la diffusion des idées françaises aida remarquablement sa carrière politique dans les années suivantes.

9 La réception de la chimie lavoisienne en Italie constitue en soi une problématique intéressante selon plusieurs niveaux d’enquête, celle-ci dépassant largement le seul cadre scientifique, car il faut d’abord tenir compte de la considérable pluralité des réalités territoriales10, puis analyser du point de vue de l’histoire matérielle des sciences comment, dans chaque territoire, la querelle entre les partisans de deux systèmes a évolué, ainsi que le rôle joué par les caractéristiques propres au territoire et aux personnages impliqués. Ainsi donc, le débat sur la nature des deux premières traductions italiennes du Traité élémentaire permet d’enrichir l’historiographie de la diffusion de la révolution chimique en Europe. Elle permet par la même occasion d’expliciter les facteurs hétérogènes qui expliquent la destinée d’une traduction d’un texte de chimie11.

10 Cette complexité oblige à se départir d’une image unitaire de la diffusion des idées de la « nouvelle chimie » parmi les savants italiens, mais la seule analyse de chacun de ces cas ne suffit pas à fournir une interprétation complète du phénomène : souvent les parcours vers la doctrine lavoisienne dans les différents territoires s’entrecroisaient, comme dans le cas des deux traductions du Traité presque simultanées. En travaillant sur l’introduction de la révolution chimique dans le Royaume de Naples, j’ai pu m’apercevoir que les majeures difficultés pour la décrire venaient du manque d’un laboratoire universitaire institutionnel, qui aurait fourni des archives sur le développement officiel de l’enseignement de la discipline. Le premier laboratoire créé avec un but pédagogique explicite fut celui de l’école militaire où les deux professeurs travaillaient à la première traduction du Traité. On peut reconstruire un peu la

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circulation des idées lavoisiennes dans le domaine militaire par la découverte des conditions matérielles qui ont abouti à ce projet éditorial. Beaucoup d’informations à ce sujet sont à trouver dans les préfaces, postfaces et appareils de notes de la publication napolitaine, où Dandolo apparaît, sans être jamais nommé, comme l’auteur de critiques sans fondement à la première traduction. En revanche, on n’a pas encore eu l’occasion de repérer les attestations originales de ces critiques vénitiennes, mais, par le croisement des références qui émergent dans les notes et chapitres d’autres livres contemporains, il est possible de comprendre l’existence d’une tension entre les traducteurs, même si les noms sont « poliment » évités.

11 Cet article essaie de faire la lumière sur les facteurs qui ont favorisé la conception de cette première traduction italienne à Naples, en soulignant le poids politique de ce choix pour la diffusion de la « nouvelle chimie » dans le royaume méridional et pour le destin des deux traducteurs et de l’Académie Nunziatella. Tout cela sera relu avec un certain regard vers la deuxième traduction publiée à Venise, de l’autre coté de la péninsule italienne, dans l’objectif de démontrer que l’écart de six mois entre les deux n’était pas un détail insignifiant et qu’il n’est certainement pas perçu comme tel par les savants contemporains.

Le choix du texte

12 La traduction de La Pira et Parisi a pour titre complet Traité élémentaire de chimie avec de nouvelles figures et une nouvelle méthode, expliqué selon les découvertes modernes, traduit en italien et destiné au Corps royal de l’artillerie et du génie de Naples. Bien que Lavoisier ait publié son traité à des fins pédagogiques12, celui-ci n’était pas du tout considéré comme un manuel d’enseignement de la chimie lorsqu’il fut traduit deux ans plus tard. En effet, les manuels incarnent la codification d’une science, ils résument les concepts par une exposition logique souvent assez rigide, qui progresse du simple au complexe13. C’est pour cela qu’ils sont d’autant plus intéressants comme sources quand ils sont rédigés pendant les périodes de renouvellements disciplinaires, comme c’est le cas pour la chimie de la fin du XVIIIe siècle, qui a été le théâtre d’une rapide série de découvertes. En outre, Lavoisier publia son ouvrage plutôt tardivement en comparaison de la diffusion de ses nouvelles idées dans les traités de chimie qui paraissent à partir des années soixante-dix. Chaque manuel préexistant à la date du 1789, donc, nous offre l’opportunité de connaître de façon simple et directe la diffusion des nouvelles idées parmi les étudiants et les amateurs débutants, en discutant autant des doutes que des convictions associés à l’engouement pour les nouveautés venues de la France.

13 Il faudrait ajouter que jusqu’à ce moment-là les manuels de chimie étaient moins fréquents qu’aujourd’hui, car, avant la révolution chimique, la chimie ne formait essentiellement qu’une partie de l’enseignement de la médecine ou de l’histoire naturelle, pour lesquelles spécialités les étudiants pouvaient juger qu’il n’était pas essentiel de disposer de manuels. Cependant, après la codification d’un langage propre, la nomenclature chimique publiée en 1787 et plusieurs découvertes cruciales, la chimie acquit le statut de discipline autonome, vers lequel elle tendait déjà depuis le XVIIe siècle14.

14 De nombreuses hypothèses peuvent être avancées sur le choix des Napolitains, mais, comme la communauté scientifique italienne avait une certaine familiarité avec la langue française et que celle-ci était l’une des disciplines enseignées à l’Académie

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royale militaire de Naples, la décision de publier ce livre exprimait clairement la volonté de diffuser la nouvelle doctrine lavoisienne. Depuis les années 1770, les enseignants de cette jeune école militaire étaient, en effet, encouragés à publier leurs propres manuels, mais non des traductions15.

15 La Pira et Parisi n’avaient d’ailleurs aucune expérience de la traduction, et seul le premier en eut une seconde plus tard, traduisant du français un ouvrage de chimie appliquée en 180416. Mais il est clair qu’ils savaient combien il était important pour les artilleurs d’étudier la chimie17. Pour fabriquer lui-même la poudre, par exemple, l’artilleur-chimiste devait sélectionner le soufre, le salpêtre et le charbon ; en particulier, il devait pouvoir choisir, entre diverses essences végétales, celle qui donnerait la poudre la plus légère et la moins dense pour obtenir l’inflammation la plus rapide. Il devait aussi connaître le comportement du « fluide élastique » dont dépendait essentiellement la force explosive.

16 Les sciences physiques pouvaient aussi enseigner aux artilleurs comment moudre à la perfection les poudres – sans quoi les composants risquaient de ne pas être intégrés dans les bonnes proportions et de nuire à l’effet explosif –, leur permettre de décider quel était le meilleur mélange pour les canons, qu’ils soient en fonte de fer ou en bronze (un alliage de cuivre et d’étain). L’utilisation de la chimie et de la physique dans l’artillerie ne s’arrêtait pas là. Le bois des affûts d’armes à feu, par exemple, devait être solide et durable, résistant à l’humidité et ne faisant pas d’échardes. Ce n’est que par l’acquisition des notions de ces sciences que l’artilleur pouvait comprendre les dysfonctionnements et trouver lui-même la solution aux problèmes18.

La traduction : une première au Royaume de Naples

17 Compte tenu du contexte territorial et culturel dans lequel vivaient La Pira et Parisi, la rapidité de leur traduction est remarquable. Le texte qui devait à la fois marquer une étape dans l’histoire de la chimie et devenir le symbole de la chimie moderne fut d’abord traduit en italien par des artilleurs qui, comme il a été dit, avaient besoin d’étudier la chimie. À une époque où cohabitaient différents systèmes de cette discipline19, à peine Lavoisier avait-il fourni un manuel à la communauté que les Napolitains prirent l’initiative de l’adopter. Ainsi qu’ils l’écrivirent dans l’épître dédicatoire datée de janvier 1791, ils trouvaient dans ce texte une clarté vraiment rare à cette époque, ainsi qu’un ordre et une précision grâce auxquels la chimie devenait compréhensible pour tous : « en raisonnant hors des théories et expériences des chimistes les plus fameux et en apportant une heureuse révolution à la chimie, [Lavoisier] a pratiquement hissé [la chimie] à une nouvelle vie ; et il réussit à débrouiller ces nœuds, éclairer ses obscurités et, grâce à cela, une telle faculté est aujourd’hui aux mains non seulement des hommes cultivés et des savants, mais aussi des femmes de quelque esprit20. »

18 Au début de cette révolution dans la chimie, comme le disent les deux traducteurs dans la Préface, tout le monde, y compris les vieux chimistes français, était contre Lavoisier. Malgré cela, Lavoisier poursuivit ses recherches car il était convaincu que les choses fondées sur la raison trouvent toujours quelqu’un pour les diffuser, même si elles rencontraient l’opposition de personnes qui se pensent sages21. Parmi ces partisans potentiels, les cadets artilleurs devaient travailler avec des réactions chimiques et avaient besoin d’acquérir le plus rapidement possible le système le plus efficace et le

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plus compréhensible. En comparant les recherches de Lavoisier et celles de Carl von Linné (1707-1778) en botanique22, les auteurs montrent qu’ils ont conscience de l’existence d’autres « systèmes chimiques » qui n’étaient pas encore complètement discrédités à cette époque23.

19 Pourtant les deux Napolitains décidèrent de diffuser cet ouvrage par la traduction. En fait, ils firent au moins deux traductions, car il faut bien considérer deux modes de traduction. Ils traduisirent d’abord du français en italien. L’un des piliers de la révolution de la chimie lavoisienne était l’introduction de la nouvelle nomenclature des substances chimiques en 178724, et cette dernière impliquait l’apparition de nombreux termes qui n’existaient pas dans le langage scientifique italien. Alors que les étudiants débutants devaient fournir de gros efforts pour apprendre les termes transposés en italien, la version italienne offrait aux lecteurs expérimentés l’opportunité d’acquérir un nouveau langage chimique qui convoyait des théories, des concepts et un vocabulaire nouveaux.

20 Cette traduction, publiée à Naples en janvier 1791, fut la première édition italienne constituée par deux volumes d’environ trois cent vingt pages chacun et neuf tables d’illustrations25. Pourtant, ce texte resta pratiquement inconnu26 et celui qui allait être considéré comme « l’édition italienne du Traité » fut imprimé à Venise par Vincenzo Dandolo (1758-1819) six mois plus tard27. En tant que pharmacien et politicien, Dandolo avait un monopole implicite sur la traduction de la « nouvelle chimie ». De fait, quatre mois après cette parution seulement, une seconde édition fut publiée à Venise avec l’ajout de deux textes – le premier sur la respiration et le deuxième sur la transpiration – qui avaient été envoyés à Dandolo par Lavoisier lui-même. L’historien Allen Debus suppose que la traduction « napolitaine » avait été supplantée par le texte de Dandolo, puisque ce dernier fut même réimprimé à Naples en 1800. Debus affirme aussi que, à partir de cette époque, la chimie se développa si vite que l’intérêt pour les deux traductions disparut à la même vitesse.

21 En revanche, comme on le montre dans cet article, le destin de chacune de ces traductions fut différent, dans la mesure où elles virent le jour dans des contextes différents et furent utilisées pour des objectifs différents, ce que montre clairement l’analyse des traducteurs et de leur public. À ce stade, il suffit de savoir que les traducteurs napolitains publièrent leur travail en deux volumes, à l’instar de l’original français28, tandis que la traduction vénitienne parut en quatre volumes : aux deux volumes de traduction de la version originale, Dandolo ajouta l’Analyse des affinités chimiques, par Guyton de Morveau29, et un glossaire de l’ancienne et de la nouvelle nomenclature. Surtout, chaque volume était accompagné d’une multitude de notes30.

Le rôle du hasard et l’expérience personnelle des traducteurs

22 Gaetano Maria La Pira31 (mort en 1824) était professeur de chimie pour l’Armée et l’Artillerie royales et, plus tard, pour la Manufacture royale de porcelaine. Quant à Luigi Parisi, il était capitaine-commandant du corps de l’Artillerie royale. Plus tard, il fut membre de l’Institut national de la République napolitaine32 et, pour cette raison, fut accusé de conduite équivoque lors des épisodes révolutionnaires de 1799 qui conduisirent à l’éphémère République de Naples33. En 1781, il avait bénéficié d’une bourse financée par le roi Ferdinand IV pour les jeunes officiers artilleurs34 et avait eu

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alors l’opportunité de suivre des cours à Strasbourg, avant que Friedrich Ludwig Schurer (1764-1794) y enseignât la chimie lavoisienne à partir de 178935.

23 Au moment où La Pira et Parisi travaillaient, il y avait à l’Académie royale militaire une forte concentration de savants chimistes et minéralogistes. Le naturaliste et vulcanologue Scipione Breislak (1750-1826) y enseignait, ainsi que François René Jean de Pommereul (1745-1823), qui avait été appelé de France pour réorganiser l’artillerie36. Pommereul préparait alors le Dictionnaire de l’Artillerie de l’Encyclopédie méthodique, pour lequel Lavoisier et ses collègues de la Régie des poudres et salpêtres rédigeaient les articles relevant de leur domaine37. En même temps, il fit, en 1791, une compilation d’ Un vocabulaire français-italien pour les artilleurs, pour faciliter l’apprentissage des nouvelles structures et du nouveau système d’artillerie, et traduisit les Essais minéralogiques sur la solfatare de Pouzzole de Breislak (1792), puis ses Voyages physiques et lythologiques dans la Campanie (1801)38.

24 Pour ces raisons, il apparaît donc que la première traduction du Traité élémentaire de Lavoisier en Italie se fit dans une école militaire du sud de la péninsule notamment suite à une série d’événements fortuits. Ce fut tout à fait par hasard, en effet, que Parisi avait étudié la nouvelle chimie avec une bourse d’études à l’étranger, alors que la science était l’un des premiers fondements d’une large série de réformes dans lesquelles l’armée napolitaine s’était engagée depuis les années 178039. L’Académie royale militaire devenait « un véhicule pour le développement scientifique et culturel en même temps que pour le progrès et le renouveau de la bureaucratie40. » Les innovations introduites dans le domaine militaire visaient toutes à professionnaliser l’armée, apportant notamment dans les armes savantes des connaissances pour les rôles que les officiers devaient assumer, et brisant le lien entre la noblesse et la carrière militaire41. Les cadets de l’Académie étaient désormais soumis à des examens deux fois par an et n’étaient admis à l’examen final que s’ils avaient excellé en science42.

25 Pour autant, cette traduction du manuel français ne peut être considérée uniquement comme la combinaison d’événements fortuits. Même si La Pira et Parisi étaient, dans une certaine mesure, des traducteurs amateurs, ils prirent à cœur de faire reconnaître la valeur de leur édition du Traité élémentaire et le sérieux de leur contribution à la diffusion de la chimie lavoisienne. Ainsi, alors que la « Préface » du premier volume n’avait d’autre but que d’éclairer les thèmes et problématiques du texte, le second volume de la traduction napolitaine, publié en 1792, commence par un « Avis aux amateurs de chimie43 ». Dans ce texte, La Pira et Parisi définissent leur position par rapport à Dandolo, sans jamais citer son nom, ce qui en fait, en l’état actuel de la recherche, pratiquement le seul document qui témoigne de la rivalité des deux versions italiennes du Traité élémentaire. Ils y écrivent : « Ce travail sera totalement différent de celui du Traducteur Vénitien. Celui-ci croit éclairer la chimie de Lavoisier par quelques notes qui obscurcissent la gloire de l’auteur et également celle des Italiens. Ledit Traducteur signale au public par une note particulière quelques erreurs très mineures de la traduction napolitaine44. »

26 En résumé, Dandolo les accuse de n’avoir pas distingué des substances différentes par des noms différents. Les Napolitains veulent montrer qu’il fut lui-même le premier à ne pas respecter cette distinction avec des « suffixes » et n’avait donc aucune raison de « publier une remarque sarcastique » contre eux, d’autant que son objection est fausse et clairement motivée par son intérêt personnel. Au reste, les deux traducteurs affirment ne pas se sentir offensés par le jugement porté par Dandolo, vu la manière

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dont il a traité Lavoisier lui-même dans ses notes. Ils attribuent toutes les accusations vénitiennes à des fautes d’orthographe et d’impression, reportées dans l’errata, que Dandolo semble avoir négligé. Au contraire, ils préfèrent s’abstenir de décrire « les terribles fautes faites par le traduction vénitien [ ; ] en outre, » écrivent-ils « un volume complet ne suffirait pas à détailler les erreurs à la fois dans la compréhension et l’orthographe45 », sans compter ses notes totalement stériles46. La Pira et Parisi concluent avec un optimisme ironique que « le traducteur lui-même promet de publier une seconde édition. Nous espérons qu’elle ne concernera pas que le frontispice. S’il la complète, il s’occupera sans doute de corriger ses erreurs et de gommer ses fautes ; alors il deviendra à nos yeux un chimiste digne47. »

Un public et une place pour la traduction

27 L’« Avis aux amateurs de chimie » commence par une déclaration de La Pira et Parisi, que l’on suppose avoir répété toutes les expériences de Lavoisier dans le laboratoire de l’Académie royale militaire. De fait, ils en firent même davantage avec une étude des organismes en vue d’un troisième volume qui semble n’avoir jamais été publié. À Naples, les artilleurs furent les premiers étudiants en chimie qui purent bénéficier d’un laboratoire d’enseignement48. Il semble en effet que le laboratoire fut installé à l’initiative de La Pira et Parisi, mus par leur foi dans la théorie de Lavoisier et suivant l’exemple de l’École des poudres et salpêtres que celui-ci avait formée en s’attachant à lier toujours la pratique à la théorie49. Des documents relatifs à la création du laboratoire de l’Académie de la Nunziatella – l’accord du gouvernement, la construction, les dépenses, le choix des professeurs – sont conservés dans la section militaire des Archives nationales de Naples. Ce travail méticuleux pour le laboratoire s’intensifia en 1792. Il est intéressant de noter que le laboratoire de chimie de l’Académie royale des sciences et belles-lettres, qui avait été fondée en 1780, était réservé aux seuls étudiants en médecine depuis son achèvement en avril 1786, après de nombreuses demandes du Professeur Guiseppe Melchiorre Vario50. Toutefois la fonction première de ce laboratoire n’était pas l’enseignement.

28 La création du laboratoire de chimie de l’Académie militaire de la Nunziatella fut la dernière phase d’une série de réformes dans le milieu de l’enseignement militaire. Entre 1770 et 1786, plusieurs institutions militaires furent créées pour entraîner les cadets des familles nobles : l’Académie royale (1769-1774), le Collège militaire royal de la Nunziatella (1773-1779) et le Collège royal « Ferdinandien » à la Nunziatella (1779-1786). Ces institutions devinrent plus tard l’Académie royale militaire connue sous le nom de la Nunziatella en 1786-178751. Cette académie possédait une bibliothèque d’environ vingt-cinq mille volumes, même si l’artillerie, le génie et la marine avaient l’habitude d’avoir leur propre bibliothèque, la plus ancienne appartenant à la section d’artillerie. À côté d’un large choix de textes de mathématiques et de physique figuraient les actes de toutes les académies européennes52. En 1789, fut ajouté un pensionnat militaire, tenu par les « Piaristes ». C’est là qu’enseignait Carlo Lauberg, alias Charles Laubert (1762-1834), plus connu comme président de la République napolitaine de 1799, établie sur le modèle de la République française53.

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Le devenir de la traduction

29 Le cas extrême de Laubert, chimiste et professeur d’une école militaire accédant à la tête d’un gouvernement francophile, n’est pas totalement isolé. La grande majorité des chimistes qui ont promu la révolution chimique en Italie s’engagea aussi dans la révolution politique concomitante et, en 1799, l’Académie de la Nunzatiella pouvait être considérée comme jacobine. Aussi, lorsque le roi Ferdinand IV Bourbon remonta sur le trône, beaucoup d’entre eux furent exilés ou condamnés et l’Académie fut fermée54.

30 L’Académie de la Nunziatella fut rétrogradée en simple pensionnat pour les orphelins militaires. Comme une école primaire, le pensionnat fut dirigé par le lieutenant-colonel Giuseppe Saverio Poli (1746-1825), universitaire et auteur des célèbres Éléments de Physique expérimentale en cinq volumes publiés de 1781 à 180255. Ce manuel eut aussi une édition vénitienne publiée en 1794 par Dandolo. Dans les chapitres de chimie, Dandolo ajoute des notes très longues et très détaillées, pour faire croire que cette édition était un moyen de présenter la nouvelle chimie. En réalité, Poli, qui était un proche contemporain de ses collègues napolitains traducteurs de Lavoisier, appartenait à l’école phlogistique. Critiquant « l’idée générale sur les gaz », Poli écrit : « Celui qui voudrait apprendre des termes nouveaux les trouverait dans le Traité élémentaire de chimie du susnommé Lavoisier, publié il y a peu à Paris et traduit à Naples en 179156. » À cette observation de Poli, Dandolo répliqua par une remarque appréciative sur Lavoisier, mais sans faire la moindre référence à la traduction napolitaine mentionnée par Poli, même si nous savons que Dandolo l’avait vue.

31 Ce passage dans le texte d’un professeur de l’Académie militaire suggère que même ceux qui n’étaient pas favorables à la « nouvelle chimie » considéraient la traduction des artilleurs comme un texte de référence. Le manuel de Poli eut beaucoup de succès. On sait, par exemple, qu’il était utilisé par Alessandro Volta (1745-1827) à l’université de Pavie.

32 En 1806, la situation politique change à nouveau avec l’arrivée des Français à Naples57 : l’école militaire fut fermée et, pendant d’environ dix ans, ils se sont occupé du réaménagement de l’enseignement dans le royaume, par l’installation de structures essentielles comme le laboratoire universitaire de chimie58 ou le jardin botanique. Toutefois, en raison de l’importance de l’artillerie, les Napolitains et les Français optèrent pour une solution similaire à celle adoptée avant la guerre, à savoir la réunion des quatre armes différentes dans une seule école. Le cursus durait cinq ans. Il y avait neuf professeurs : trois Piaristes, quatre officiers et deux civils laïcs, l’un d’eux étant Saverio Macri (1754-1848) professeur de chimie59.

33 Macri n’avait pas reçu d’éducation militaire. Il avait fait ses études à la faculté de médecine, mais, en 1793, il avait publié les Éléments de chimie théorique et appliquée adressés à l’Académie royale militaire, dans lesquels il marquait ses distances avec la « nouvelle chimie ». Devenu professeur de médecine et d’histoire naturelle à l’Université de Naples, il supprima de la deuxième édition, en 1805, toute la partie dans laquelle il exprimait ses doutes. Bien qu’il semblait désormais rallié à Lavoisier, puisqu’il consacrait son premier volume – dédié à la théorie – aux principes fondamentaux et aux opérations de la chimie pneumatique, Macri commence son traité avec des affinités typiques de la tradition de l’école phlogistique, ce qui témoigne de son manque de formation lavoisienne60. Très prudent, il nomme toujours pneumatistes les chimistes lavoisiens et expose en termes généraux la chimie antiphlogistique, même

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si, paradoxalement, il suggère à tort que le système de Lavoisier « s’écroule de jour en jour ». En bref, il était convaincu que, en dépit des efforts des chimistes pneumatiques, le savoir transmis par les anciens chimistes n’était pas réellement caduc. Non sans difficulté, Priestley, Klaproth, Delamétherie et des savants moins célèbres entendaient ainsi montrer qu’un phénomène chimique pouvait s’expliquer aussi bien par l’ancienne théorie de Stahl que par la nouvelle théorie antiphlogistique. Dans sa préface, Macri concluait en disant que les jeunes étudiants devaient apprendre aussi bien dans les vieux ouvrages que dans les nouveaux, afin de posséder un savoir complet.

34 À ce stade, il semble raisonnable de penser que, dans un contexte moins francophile61 – je fais ici particulièrement référence aux actions liées à l’épisode De Expulsione Gallorum de Naples qui avait déjà commencées en 1793 –, Macri essaya d’abord de rédiger un manuel de chimie pour l’armée qui soit moins « français » que le Traité élémentaire traduit par La Pira et Parisi. Dans la seconde édition, au contraire, il considère les expériences de chimie pneumatique comme les plus convaincantes62. Mais il convient d’observer que le texte s’adresse alors à de « jeunes étudiants diligents », et non aux cadets de l’Académie militaire.

35 Ainsi, la première traduction italienne du Traité élémentaire de chimie de Lavoisier faite à l’Académie royale militaire de la Nunziatella témoigne du grand intérêt et d’un souci réel pour la recherche en chimie dans le Royaume de Naples à la fin du XVIIIe siècle. Le contexte social et politique de l’école d’artillerie eut sans doute un rôle essentiel dans cette recherche. Toutefois, malgré la critique de Dandolo, mieux inséré dans le monde savant, et la renommée de sa propre traduction du Traité, l’édition de La Pira et Parisi n’a certainement pas été ignorée de leurs contemporains et la recherche en cours montre que leur texte n’a pas disparu sans laisser de traces. Le débat avec leur rival vénitien n’est que l’une d’elles, même si, contrairement à lui, les traducteurs napolitains ne voulaient pas critiquer ouvertement et préféraient laisser leurs lecteurs juger par eux-mêmes laquelle des deux traductions était fautive en mettant face à face l’original de Lavoisier et un contre-sens de Dandolo (voir figure ci-dessous). Deux siècles plus tard, le lecteur peut ainsi encore décider si l’on doit ou non rendre justice à la réputation des deux artilleurs.

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Critique de la traduction de Dandolo dans celle de La Pira et Parisi en 1792 (t. II, p. xii) Biblioteca Nazionale di Napoli “Vittorio Emanuele III”

NOTES

1. Mémoire sur le service des poudres et salpêtres, rédigé à la fin de 1789 ou en janvier 1790. Œuvres de Lavoisier publiées par les soins du Ministre de l'Instruction Publique. Paris, Imprimerie Nationale, 1892, vol. 5, p. 703.

2. Antoine Laurent LAVOISIER, Traité élémentaire de chimie, présenté dans un ordre nouveau et d’après les découvertes modernes, Paris, Cuchet, 1789, 2 vol. 3. A. L. LAVOISIER, Trattato elementare di chimica con nuovo metodo esposto dopo le scoperte moderne e con figure […] tradotto in italiano per uso del corpo regale di artiglieria e del genio di Napoli, traduit par Gaetano LA PIRA et Luigi PARISI, Naples, Donato Campo, 1791-1792, 2 vol. 4. Antonio BORRELLI, « Editoria scientifica e professione medica nel secondo Settecento », dans Editoria e cultura a Napoli nel XVIII secolo, Anna Maria Rao (éd.), Naples, Liguori, 1998, p. 757. 5. Pierre-Joseph MACQUER, Dizionario di chimica nel quale si contiene la teoria, e la pratica di questa scienza, la sua applicazione alla fisica, alla scienza naturale, alla medicina, e alle arti dipendenti dalla chimica. Di Pietro Giuseppe Macquer, Dottore in Medicina, Socio dell’Accademia delle Scienze della Società Reale di Medicina, Professore di Chimica al Giardino del Re &cc. Nuova traduzione italiana, secondo la novella edizione francese dall’Autore riveduta, e considerabilmente accresciuta; alla quale si aggiungono le note, e i nuovi articoli di Giovanni Antonio Scopoli, Consigliere di S.M.I.R.A. per gli affari delle Miniere, p. Professore di Chimica, e Botanica nell’I. R. Università di Pavia, e Socio di varie Accademie; con altre note, e con altri nuovi articoli di Giuseppe Vairo, Dottore in Medicina, Professore Primario di Chimica della Regia

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Università di Napoli, e Socio di diverse Accademie, Naples, Giuseppe-Maria Porcelli libraio, e stampatore della Reale accademia militare, 1784-1786, 10 vol. 6. P.-J. MACQUER, Dizionario di chimica (…) tradotto dal francese e corredato di note e di nuovi articoli da Giovanni Antonio Scopoli, Pavia, nella Stamperia del R.I. Monastero di S. Salvatore per Giuseppe Bianchi, 1783-1784. 7. Corinna GUERRA, Lavoisier e Parthenope. Contributo ad una storia della chimica del regno di Napoli, Naples, Società Napoletana di Storia Patria & Istituto Italiano per gli Studi Storici, 2017, chapitre V. 8. Henri GUERLAC, Hales, Stephen, in DBS, New York 1970, vol. VI, p. 35-48. Pour la traduction napolitaine : C. GUERRA, Circulation as Translation of Books, p. 986-989. Sur les traductions scientifiques en général Pascal DURIS, Traduire la science. Hier et aujourd’hui, Pessac, Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine, 2008. 9. Antoine Laurent LAVOISIER, Trattato elementare di chimica presentato in un ordine nuovo dietro le scoperte moderne; con figure: del sig. Lavoisier (...) recato dalla francese nell'italiana favella e corredato di annotazioni da Vincenzo Dandolo veneto, Venise, dalle stampe di Antonio Zatta e figli, 1791-1792, 4 vol. 10. Raffaella SELIGARDI, Lavoisier in Italia. La comunità scientifica italiana e la rivoluzione chimica, Florence, Leo S. Olschki, 2002 ; Marco BERETTA, « Gli scienziati italiani e la rivoluzione chimica », Nuncius, 2, 1989, p. 119-145. 11. Patrice BRET, «The letter, the dictionary and the laboratory: translating chemistry and mineralogy in eighteenth-century France », Annals of Science, 73, 2, 2016, p. 122-142. 12. Bernadette BENSAUDE-VINCENT, « A view of the chemical revolution through contemporary textbooks: Lavoisier, Fourcroy and Chaptal », British Journal for the History of Science, 23, 1990, p. 435-460. 13. Corinna GUERRA, « Prima del Traité élémentaire (1789): Lavoisier in due manuali di chimica napoletani », dans Le scienze nel Regno di Napoli, Roberto Mazzola et Manuela Sanna (éd.), , Aracne, 2009. Thomas Kuhn (1922-1996) considérait les manuels comme l’instrument principal de la “science normale” : T. KUHN, La struttura delle rivoluzioni scientifiche. Come mutano le idee della scienza, trad. par A. CARUGO, Turin, Einaudi, 1969, p. 166-167 ; éd. originale : The Structure of , Chicago, 1962. 14. Bernadette BENSAUDE-VINCENT, Antonio GARCIA-BELMAR, José Ramon BERTOMEU, L’émergence d’une science des manuels. Les livres de chimie en France (1789-1852), Paris, Archives Contemporaines, 2003, p. 436. 15. Le Duc de Toritto proposa de publier sous le nom de l’Académie royale les traités rédigés par ses professeurs « pour leur donner l’occasion de se couvrir de gloire et de donner du crédit à la nouvelle institution royale parmi les nations » (« per stimarli alla gloria e per maggiormente accreditare presso delle nazioni estere la nuova Reale fondazione »), Archivio di Stato di Napoli, Segreteria di Stato di Casa Reale, Inv. Fasc. 1339, Inc. 3/12/1772. En outre, l’Ordinanza ed istruzione di Sua Maestà per la Reale Accademia Militare, nella Reale Stamperia, Naples, 10 mars 1770, envisageait que le directeur des cours de sciences eût la responsabilité de publier les textes utilisés par les professeurs pendant les quatre années de cours : voir Mariano D’AYALA, Napoli militare, Naples, Stamperia dell’Iride, 1847, p. 95. 16. R. O’REILLY, Saggio sull'imbiancamento colla descrizione del nuovo metodo d'imbiancare per mezzo del vapore, dopo il processo di Chaptal e sua applicazione alle arti, Naples, Stamperia Reale, 1804.

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17. Ken ALDER, Engineering the Revolution arms and Enlightenment in France, 1763-1815, Princeton (N. J.), Princeton university press, 1997. Patrice BRET, L'État, l'armée, la science, l'invention de la recherche publique en France 1763-1830, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002. 18. Giuseppe MASTROMATTEJ, Della fisica e della chimica necessarie all’artiglieria, Naples, Raffaele Lanciano, 1773. 19. Ferdinando ABBRI, « Una grande controversia scientifica: l'impatto del Traité di Lavoisier nel contesto italiano », Rendiconti dell'Accademia nazionale delle Scienze detta dei XL. Classe di scienze fisiche, matematiche e naturali, 16, 1, 2, p. 193-200. 20. « dietro le teorie, ed esperienze de’ Chimici più segnalati speculando, ed inducendo nella Chimica una felice rivoluzione, quasi ad una nuova vita ha saputo innalzarla; ed ha saputo per modo dicifferarne i nodi, e rischiararne le oscurità, che oggi una tal facoltà trovasi non che fra le mani de’ dotti uomini, e scienziati, ma delle donne di qualche spirito eziando », LAVOISIER, Trattato elementare di chimica, op. cit., Prefazione (Naples, 30 janvier 1791), t. I, p. VII. 21. Ibid., p. X-XI.

22. Giulio BARSANTI, Les fondements de la botanique : Linné et la classification des plantes, Paris, Vuibert, 2005. 23. Par exemple : Ferdinando ABBRI, « Priestley e A.L. Lavoisier: il diverso significato di uno stesso esperimento », dans Silvano Tagliagambe et Antonio di Meo (éd.), Scienza e storia: analisi critica e problemi attuali, Rome, Editori riuniti, 1980, p. 147-167. 24. Louis-Bernard GUYTON DE MORVEAU, Antoine-Laurent LAVOISIER, Antoine François FOURCROY, Claude Louis BERTHOLLET, Méthode de nomenclature chimique, Paris, Cuchet, 1787. 25. Sur l’histoire matérielle du livre : Roger CHARTIER, La main de l’auteur et l’esprit de l’imprimeur. XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 2015. Sur les bibliothèques : Vincenzo TROMBETTA, « Bibliothèques Napolitaines. » dans J. Boutier; B. Marin; A. Romano (éd.), Naples, Rome, Florence. Une histoire comparée des milieux intellectuels italiens (XVIIe-XVIIIe siècles), Rome, École Français de Rome, 2005, p. 689-695. 26. Allen G. DEBUS, « A forgotten chapter in the introduction of the new chemistry in », Ambix, 11, 1963, p. 153-157 ; Ferdinando ABBRI, « Lavoisier e Dandolo. Le edizioni italiane del Traité », Annali dell’Istituto di Filosofia della Facoltà di Lettere e Filosofia dell’Università di Firenze, VI, 1984, p. 163-182 ; ID., « Chimica e artiglieri: Lavoisier e la cultura scientifica napoletana », dans Paolo Amat di San Filippo (éd.), Atti del VI Convegno di Storia e Fondamenti della chimica, Cagliari, 4-7 October 1995, p. 245-258. 27. Dandolo eut une carrière politique durant la période napoléonienne : Vincenzo GIORMANI, « Vincenzo Dandolo: uno speziale illuminato nella Venezia dell'ultimo '700 », L'Ateneo veneto: rivista bimestrale di scienze, lettere ed arte», a. 175, vol. 26, no 1-2, 1988, p. 59-130. 28. Même s’il existe un petit nombre de versions en un seul volume : Douglas MCKIE, « On some pre- publication copies of Lavoisier’s Traité (1789) », Ambix, 9, 1961, p. 37-46. 29. Le titre complet est Esame delle affinità chimiche e di tutti i relativi sistemi de' più celebri chimici d'Europa. Opera del sig. Morveau. Recato dalla francese nell'italiana favella da Vincenzo Dandolo veneto coll'aggiunta di alcune annotazioni, che serve di supplemento alla traduzione del Trattato elementare di chimica del sig. Lavoisier. Louis-Bernard GUYTON, « L’illustre chimiste de la République », Annales historiques de la Révolution française, 1, 2016, no 383 30. Madame Lavoisier traduisit ces notes en français pour son mari : Ferdinando ABBRI, « Chimica e artiglieri », art. cit., p. 250. 31. Carmine COLELLA, « Gaetano Maria La Pira, un eclettico rappresentante della chimica napoletana agli albori della “nuova chimica” », Atti Accademia Pontaniana, Naples, N.S., LXIV, 2015, p. 251-302.

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32. Anna Maria RAO, « L’Istituto Nazionale della Repubblica Napoletana », Mélanges de l'École française de Rome. Italie et Méditerranée, t. 108, no 2, 1996, p. 765-798. 33. Anna Maria RAO, Napoli 1799 fra storia e storiografia: atti del convegno internazionale, Napoli, 21-24 gennaio 1999, Naples, Vivarium, 2002. 34. Biblioteca Nazionale di Napoli, Ms Prov 107, Nota degli individui destinati a passare in Francia, 26 juin 1787. 35. Ferdinando ABBRI, « Chimica e artiglieri », art. cit., p. 252. 36. Il séjourna dans le Royaume de Naples de 1787 à 1795. Voir aussi Franco VENTURI, « L’italia fuori d’Italia », dans Storia d'Italia. III. Dal primo Settecento all'Unità, Turin, Einaudi, 1973, p. 1142 et 1167; ID., Settecento riformatore, Turin, Einaudi, 1969-1990, V, 1, p. 165-166, 723-724. 37. Patrice BRET, Lavoisier et l’Encyclopédie méthodique : le manuscrit des régisseurs des poudres et salpêtres pour le Dictionnaire de l’Artillerie (1787), Florence, Leo S. Olschki (coll. « Biblioteca di Nuncius. Studi e testi », 28), 1997, notamment p. 22-26. 38. Scipion BREISLAK, Essais minéralogiques sur la solfatare de Pouzzole par Scipion Breislak [...] traduit du manuscrit italien par Francois de Pommereul, Naples, chez Januier Giaccio, 1792 ; ID., Voyages physiques et lythologiques dans la Campanie ; suivis d'un mémoire sur la constitution physique de Rome [...] et accompagnés de notes, par le général Pommereuil [sic], Paris, Dentu, Imprimeur-Libraire, Palais du Tribunat, galeries de bois, no 240, an XI/1801, 2 vol. Voir aussi Isola di Capri manoscritti inediti del conte della Torre Rezzonico, del professore Breislak, e del generale Pommereul pubblicati dall'abate Domenico Romanelli con sue note, Naples, Tipografia di Angelo Trani, 1816. 39. Dans les années 1770, il y eut un grand nombre d’ordonnances en matière d’éducation publique, par suite des nouveaux besoins créés par l’expulsion des jésuites en 1767. Lettere di Bernardo Tanucci a Carlo III di Borbone (1759-1776), Istituto per la storia del risorgimento, LIX, 1969, p. 576 ; Nino CORTESE, « Il Collegio Militare di Napoli », dans Il Mezzogiorno e il Risorgimento italiano, Naples, Libreria Scientifica Editrice, 1965, p. 224-225.

40. Anna Maria RAO, « Esercito e società a Napoli nelle riforme del secondo settecento », Studi storici. Rivista trimestrale dell’Istituto Gramsci, 28, juillet-septembre 1987, p. 624. 41. Elvira CHIOSI, « Il Regno dal 1734 al 1799 », Storia del Mezzogiorno, IV, II, Rome, 1986, p. 412-413. 42. Ordinanza cit., p. 25; 41-71, cité par Anna Maria RAO, Esercito e società cit., p. 636, note 50. 43. Avviso agli amatori della chimica. 44. « Questo travaglio sicuramente differirà moltissimo da quello che ha fatto il Traduttore Veneto, il quale si è creduto di illustrare la Chimica di Lavoisier con alcune note, che oscurano la gloria dell’autore, e degl’Italiani ancora. Il detto Traduttore ha indicato al pubblico con un avviso particolare alcuni lievissimi errori scorsi nella traduzione Napolitana », LAVOISIER, Trattato elementare di chimica, op. cit., t. II, p. vii-viii. 45. Ibidem, p. xi. 46. Les traducteurs napolitains ne furent pas les seuls à critiquer Dandolo. L’Abbé Giuseppe Olivi avait déjà observé en 1791 que les notes de Dandolo étaient trop nombreuses, au point de lasser l’attention du lecteur. Dandolo avait totalement oublié l’impartialité du traducteur : Vincenzo GIORMANI, « 1793: Vincenzo Dandolo e l’insegnamento della nuova chimica al teatro La Fenice di Venezia », in Atti del IX Convegno Nazionale di Storia e Fondamenti della Chimica, 2001, p. 161, note 4. 47. LA PIRA et PARISI « Lo stesso Traduttore promette pubblicare una seconda edizione: noi vogliamo auguragli che non facci toccare questa sorte al solo frontespizio: ma se sarà eseguita, vedremo allora forse corretti i suoi errori, e purgati i suoi difetti, per considerarlo un Chimico Benemerito ». LAVOISIER, Trattato elementare di chimica, op. cit., t. II, p. xii. 48. ASN, Segreteria di guerra, fasc. 10, inc. 1, cité par Antonio BORRELLI, « Editoria e professione medica nel secondo Settecento », in Editoria e cultura, op. cit., p. 759, note 75. Lavoisier lui-même

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avait son célèbre laboratoire à l’Arsenal : Marco BERETTA, Storia materiale della scienza: dal libro ai laboratori, Milano, B. Mondadori, 2002, p. 294.

49. Patrice BRET, « La enseñanza durante la revolución química en el Arsenal: el curso de Gengembre en la escuela de pólvora (1785) », in Patricia Aceves Pastrana (éd.), Las Ciencias Químicas y Biológicas en la fomarción de un mundo nuevo, Mexico, Universidad Autonoma Metropolotana, Unidad Xochimilco, 1995, p. 49-62 ; ID., L’État, l’armée, la science. L’invention de la recherche publique en France, 1763-1830, Rennes, Presses universitaires de Rennes (coll. Carnot), 2002, p. 209-221. 50. ASN, Casa Reale Antica, fs. 1553 (1786). 51. Renata PILATI, La Nunziatella. L'organizzazione di un'Accademia militare 1787-1987, Naples, Guida, 1987 ; Giuseppe CATENACCI (éd.), Il Real Collegio Militare della Nunziatella. Catalogo della mostra documentaria di Napoli (maggio 2000-aprile 2001), Naples, Museo Storico – Scuola Militare Nunziatella – Istituto Italiano per gli Studi Filosofici, 2000. 52. Dell'Istituto della R. Accademia militare di Napoli: lettera al cav. C., Naples 1790, p. XLIII-XLIV.

53. Giovanni GENTILE, Opere complete. Storia della Filosofia italiana dal Genovesi al Galluppi. Seconda edizione con correzioni ed aggiunte, Milan, Fratelli Treves editori, 1930, vol. I, ch. III, « Carlo Lauberg », p. 121 ; Gabriella BOTTI, Sulle vie della salute. Da speziale a farmacista- imprenditore nel lungo Ottocento, Bulogne, Il Mulino, 2008, p. 262 ; Jean Chrétien Ferdinand HOEFER, Nouvelle biographie générale Paris, Didot, 1857, p. 874.

54. Maria Antonietta MARTULLO ARPAGO (éd.), L’accademia militare della Nunziatella dalle origini al 1860, Naples 1987, p. 19. ASN, Segreteria di guerra, fs. 11, fasc. 76, f. 1, p. 20. Voir aussi : Dispaccio di Giovanni Acton al cardinale Fabrizio Ruffo, vicario generale nel Regno di Napoli, sui motivi che hanno indotto il re a “sopprimere” la reale Accademia Militare, De la rade de Naples, 23 juillet 1799, ASN, Segreteria di Guerra, fs. 11, fascic. 76, f. 1 ; et A seguito dello scioglimento della Reale Accademia militare, la Giunta dei Generali comunica al cardinale Fabrizio Ruffo, la consegna al colonnello Michele Candrian di macchine, libri ed altri oggetti appartenenti al re, Naples, 24-31 juillet 1799, ASN, Segreteria di Guerra, fs. 11, fascic. 77, ff. 1r-3v. 55. Précisément 1781, 1787, 1789, 1792 et 1802. Poli avait une grande considération pour La Pira comme chimiste. Au début de 1800, il lui proposa d’essayer de dérouler le Herculanensis papyrus au moyen du gaz acide acéteux : Mario CAPASSO, « Per la storia della papirologia ercolanese », Symbolae Osloenses: Norwegian Journal of Greek and Latin Studies, Vol. 71, 1996, p. 147-155. Cet essai de La Pira constitue le premier recours à la science en la matière. 56. « Chi fosse vago di nuove denominazioni, potrà rinvenirle nel trattato elementare di chimica del testé mentovato sig. Lavoisier, pubblicato in Parigi non ha guari, e poi tradotto in Napoli nel 1791 », Giuseppe Saverio POLI, Elementi di fisica sperimentale, edizione prima veneta arricchita d’illustrazuioni dell’abate Antonio Fabris e di Vincenzo Dandolo, 5 vol., Venise, Stella, 1793-1794, t. III, lez. XVI, art. I. Je remercie Angelo Bassani pour un échange fructueux sur ce passage. 57. Saverio RUSSO (éd.), All'ombra di Murat: studi e ricerche sul decennio francese, Bari, Edipuglia, 2007. 58. Corinna GUERRA, « Le premier laboratoire de chimie de l’université de Naples était-il français ? », dans P.-M. Delpu, I. Moullier, M. Traversier (éd.), Le royaume de Naples à l’heure française (1806-1815). Revisiter le « decennio francese », Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, à paraitre.

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59. « Elogio di Saverio Macrì », dans Rendiconto delle adunanze e de’ lavori dell’Accademia napoletana delle Scienze sezione della Società Borbonica, VII, 1848, t. 8. 60. Lavoisier pensait que les affinités n’étaient pas un sujet pour les débutants et critiquait les premiers cours de chimie qu’il avait reçus de La Planche : « Dès le premier jour, il nous parlait d’affinités, ce qu’il y a de plus difficile à entendre dans la chimie », B. BENSAUDE-VINCENT, « A view of the chemical revolution », op. cit., p. 457, Appendix 2 ; Corinna GUERRA, « Prima del Traité élémentaire (1789): Lavoisier in due manuali di chimica napoletani », dans Roberto Mazzola et Manuela Sanna (éd.), Le scienze nel Regno di Napoli, Rome, Aracne, 2009, p. 145-167. 61. Pour une histoire détaillée de l’épisode de l’expulsion des Français de Naples, voir Roberto ZAUGG, « Guerra, rivoluzione, xenofobia: l'espulsione dei francesi dal Regno di Napoli (1793) », dans Franco Salvatori (éd.), Il Mediterraneo delle città. Scambi, confronti, culture, rappresentazioni, Rome, Viella, 2011, p. 299-321. 62. Saverio MACRÌ, Elementi di chimica per uso della gioventù studiosa, Seconda edizione accresciuta, Naples, Stamperia Simoniana, 1805, p. 271.

RÉSUMÉS

La première traduction du Traité élémentaire de chimie par Lavoisier a été publiée à Naples, éditée par deux artilleurs en 1791. G.M. La Pira et L. Parisi ont traduit ce manuel avec le but pratique d’améliorer l’enseignement de la chimie de l’artillerie royale. Cette catégorie d’étudiants a été la première au Sud de l’Italie à avoir bénéficié d’un laboratoire afin d’étudier la chimie. Cela souligne l’importance de la chimie consacrée à des fins militaires, comme cela a été démontré par le laboratoire de Lavoisier à l’Arsenal, mais, dans le Royaume de Naples, les artilleurs ont été les seuls savants qui ont pu travailler en chimie avec tous les moyens nécessaires. Quelles sont les différences entre le texte français original, la traduction napolitaine et les autres traductions en italien ? En 1799 il y eut la République napolitaine, de courte durée (23 janvier-19 juin 1799), puis, de 1806 à 1815, le Royaume de Naples a été gouverné par les Français, ce qu’on appelle le Decennio francese. Il devrait être très intéressant pour les historiens de la chimie de savoir ce qui est arrivé dans l’enseignement scientifique et l’univers de la recherche des corps militaires. Finalement, qu’est-il arrivé durant ces deux événements cruciaux aux artilleurs qui s’étaient distingués en ayant été les premiers à adopter la « nouvelle chimie » à Naples ?

The first Italian translation of the Traité élémentaire de Chimie by Lavoisier was published in Naples, edited by two artillerymen in 1791. G.M. La Pira and L. Parisi translated this textbook with the practical aim of improving the learning of chemistry by the Royal artillery corps. This group of military students was the first in the South of Italy to have a laboratory at its disposal to study chemistry. The importance of chemistry for military purposes is abundantly evident, as we learned by the example of the laboratory of Lavoisier at the Arsenal, but, in the Kingdom of Naples, the artillerymen were the only scholars who had the means to study chemistry with a full range of resources. What are the differences between the original French text, the Neapolitan translation and the other Italian translations? In 1799, the short-lived Neapolitan Republic (January 23–June 19 1799) was in power, then, from 1806 to 1815 the Kingdom of Naples was subsumed during the “French decade.” It should be of

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particular interest for historians of chemistry to know what happened in the realm of science, teaching and research among the men of this military corps: during these crucial events, what happened to the artillerymen who were the first to translate and adopt the “nouvelle chimie”?

INDEX

Mots-clés : censure, manuels de chimie, Naples, Révolution napolitaine, écoles militaires Keywords : censorship, chemistry textbooks, Naples, Neapolitan Revolution, military schools

AUTEUR

CORINNA GUERRA LabEx Hastec (France) University College London (Royaume-Uni)

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Entre France et Italie, le mémoire en faveur de l’inoculation de La Condamine

Yasmine Marcil

1 L’intérêt pour l’inoculation de la variole croît au milieu du XVIIIe siècle1, alors que la petite vérole, ou variole, sévit tout au long du siècle et dans toute l’Europe de manière endémique et épidémique. La croissance démographique des villes et la déficience générale d’hygiène expliqueraient largement les épidémies récurrentes2 (pour ne donner l’exemple que d’une seule ville, Paris est fortement touchée en 1716-1718, 1723, 1753, 1762-1763, 1796)3. La variole, qui se caractérise par une éruption pustuleuse, est une maladie très contagieuse, dont le taux de mortalité est variable4. Touchant plus particulièrement les enfants, elle n’épargne en fait personne5. A la fin des années 1720, une cure préventive, l’inoculation de la variole, est expérimentée à Londres. Cette méthode à but prophylactique, importée du Levant, consiste à mettre sous la peau d’un sujet sain de petites quantités de pus prélevé de pustules d’un malade de la variole, l’inoculé devenant ainsi réfractaire à cette maladie6. Son introduction n’est pas sans susciter des débats : aux objections à caractère religieux, s’ajoute la désapprobation de quelques médecins, qui y voient la mise en cause des théories médicales basées sur le refus de l’introduction de corps étrangers dans un corps sain. La discussion reprend au milieu du XVIIIe siècle, mais avec plus d’ampleur et de vivacité, et se poursuit durant toute la seconde moitié du siècle. Largement traitée, l’inoculation est partout : dans des livres, des périodiques, des pamphlets, des poésies7 et des pièces de théâtre 8, et est même à l’origine d’accessoires de mode vestimentaire9. Pour autant, le risque de mourir suite à une inoculation reste un obstacle important à sa diffusion massive10.

2 En 1754, au moment où l’académicien Charles-Marie de La Condamine11 se lance dans la défense de l’inoculation, celle-ci est encore largement méconnue hors des milieux médicaux. Présenté lors d’une séance publique de l’Académie royale des sciences, son Mémoire sur l’inoculation de la petite vérole est remarqué et devient rapidement accessible en librairie puisqu’il est édité plusieurs fois en français12 et traduit en plusieurs langues13. Il n’est pas le seul à publier à ce sujet14, mais La Condamine s’inscrit

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résolument dans une démarche propagandiste visant à convaincre de l’intérêt et de la fiabilité de cette opération médicale. Défenseur de cette cause jusqu’à la fin de sa vie (1774), La Condamine publie plusieurs ouvrages à ce sujet. Toutefois, le premier d’entre eux est celui auquel il accorde le plus d’importance, comme en témoigne son attention à en corriger les éditions successives. Au long de cet article, nous nous intéresserons aux premiers mois de son implication en faveur de l’inoculation, tant son investissement éditorial est riche, aussi bien en France qu’en Italie. Parti outre-Alpes à la fin de l’année 175415, soit quelques mois après son discours à l’Académie, il y séjourne au moment de la parution des deux traductions en italien de son texte. Son mémoire, par ses différentes éditions italiennes et françaises parues entre 1754 et 1756, offre donc l’occasion de s’interroger sur l’écriture en action de son auteur, ainsi que sur les adaptions dues aux éditeurs ou aux traducteurs. Autant que les contextes éditoriaux locaux, la renommée du savant voyageur et son réseau ont favorisé les traductions rapides du mémoire et donc la circulation de la question de l’inoculation. Ainsi son séjour italien doit-il être mis en perspective afin de questionner les formes de son intégration dans les espaces savants et mondains, qui sont autant de lieux où il peut défendre sa cause. Les opérations de traduction seront donc envisagées avant tout ici dans l’épaisseur des relations sociales nouées par le savant.

Le lancement de la campagne : avril 1754

3 Le 24 avril 1754, La Condamine défendit publiquement l’inoculation afin d’enrayer la petite vérole, lors d’un discours prononcé à l’Académie royale des sciences. Ce n’était pas la première fois que l’académicien en parlait au sein de cette assemblée, mais il en était resté jusque là aux témoignages. Il avait eu en effet l’occasion de faire des observations directes des bienfaits de cette technique lors de ses deux voyages au Levant (en 1731-1732) et en Amérique du sud (en 1735-1744) : il les avait mentionnées dans les discours lus à l’Académie des sciences suite à ces déplacements, ainsi que dans les deux récits publiés à la suite de l’expédition au Pérou16. Ainsi, il nota que, au cours de ce dernier voyage, en décembre 1743, « La petite vérole faisoit alors un ravage affreux au Parà parmi les Indiens, à qui elle est presque toûjours mortelle, quand ils l’ont naturellement, & qu’elle ne leur est pas communiquée par insertion : opération qui a très-bien réussi au Parà avant & depuis mon passage17 ». Sa conviction s’ancrait donc sur des observations et non pas seulement sur des récits de seconde main.

4 En avril 1754, La Condamine donnait une ample visibilité à son plaidoyer en le prononçant lors de la rentrée publique de l’Académie – devenue une sorte d’événement mondain18 – avant de le présenter une nouvelle fois aux seuls académiciens19. Ce fut un succès. Dans le Journal des savants comme dans la confidentielle Correspondance littéraire de Grimm, on souligne que son discours a été vivement applaudi20. Le savant obtint le droit de faire publier son mémoire à part tout en conservant la possibilité d’être publié ultérieurement dans les Mémoires de l’Académie royale des sciences 21. Cette édition autonome assura une circulation rapide de ses idées. Mais, avant de paraître sous forme de livre, son mémoire fut d’abord publié intégralement dans le Mercure de France de juin 175422. C’est donc d’abord grâce à un périodique que son texte est connu du public. Or, La Condamine n’ignore pas que la presse périodique est une tribune idéale pour faire connaître son plaidoyer. Il bénéficie là de l’expérience d’une longue dispute, encore virulente à cette date, avec le mathématicien Pierre Bouguer (1698-1758). Les deux

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savants, qui avaient fait équipe pour mener des mesures astronomiques au Pérou, se disputaient ouvertement depuis leur retour en France à propos des résultats de leurs travaux. Ne parvenant pas à s’entendre pour une publication commune, ils se querellèrent publiquement23. Pour La Condamine, cette affaire eut plutôt un effet positif sur sa renommée et lui assura une forte visibilité au moment où il s’engagea dans la défense de l’inoculation.

5 En 1754, son discours paraît également sous forme de livre à Paris (chez Durand), sous le titre de Mémoire sur l’inoculation de la petite vérole, et connaît immédiatement une contrefaçon, éditée à La Haye (Nicolas Van Daalen, 1754). Si les trois publications de son discours en 1754 sont quasi identiques, les éditions postérieures sont en revanche différentes. Le Mémoire se révèle en effet un texte singulièrement mouvant, le savant l’ayant constamment remanié au fil des éditions successives. Or, dans le cadre de cette enquête sur les adaptations liées aux traductions en italien du mémoire, ce fait est d’importance, car celles-ci se basent non sur le texte de 1754, mais sur celui imprimé en 1755 à Avignon.

Un texte remanié : Avignon, 1755

6 Le 28 décembre 1754, le savant français quitte Paris pour se rendre en Italie. Lors de son étape à Avignon, en janvier-février 1755, il s’entend avec l’imprimeur François- Barthélémy Mérande (né vers 1720, décédé en l’an II/1793) pour produire une nouvelle édition de son Mémoire. Il profite ainsi du fait que la ville ne fait pas alors partie du royaume de France pour éditer son ouvrage, hors des cadres de la juridiction française. D’abord libraire, Mérande ne s’était tourné vers l’imprimerie qu’à partir de 1754 ; néanmoins il était reconnu dans le milieu du livre avignonnais24. La Condamine en est sans doute satisfait car il lui confie quelques années plus tard la publication de son Second mémoire sur l’inoculation (1761).

7 Son séjour avignonnais se révèle fort utile. Le mathématicien y rencontre les princes Corsini25, qui lui font bénéficier de leurs felouques pour la traversée d’Antibes à Gênes et lui offrent l’hospitalité de leur palais florentin. La Condamine reçoit aussi un très bon accueil de la margrave de Bayreuth, sœur du roi de Prusse, Frédéric II26, qui séjourne à Avignon pour des raisons de santé avant de se rendre elle aussi en Italie (en compagnie de son mari)27. La margrave est la dédicataire de la nouvelle édition « corrigée & augmentée » du Mémoire. L’épître dédicatoire, assez brève, célèbre une souveraine clairement investie dans la lutte contre les préjugés et témoigne implicitement de son engagement en faveur de la cause défendue dans l’ouvrage, l’inoculation. Le choix de cette dédicataire s’intègre dans une stratégie publique de La Condamine. Outre la protection de l’Académie, il avait désormais le soutien d’une souveraine, qui séjourna en Italie au même moment que lui et qu’il eut l’occasion de retrouver à plusieurs reprises. L’impression de l’édition avignonnaise n’étant pas achevée au moment de son départ, il s’en fait parvenir ultérieurement, à Rome, « deux douzaines » d’exemplaires28.

8 L’annonce d’une nouvelle édition « augmentée » ne correspond pas seulement à un affichage publicitaire. L’académicien est effectivement intervenu à plusieurs reprises dans son texte, le modifiant et l’accroissant de plusieurs pages29. C’est dans la dernière partie de son ouvrage (structuré en trois parties) qu’il apporte le plus long supplément30 . Il y précise le déroulement d’une inoculation, point sur lequel il était resté allusif dans la première édition du Mémoire. Il y insiste aussi sur l’efficacité de

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cette méthode présentée comme bénigne et sans danger, ce qui le conduit à affirmer qu’« on ne meurt point de l’inoculation31 ». Cette nouvelle édition lui permet aussi de souligner la méconnaissance de cette méthode32 et d’enrichir son argumentation : en apportant de nouveaux exemples prouvant la validité de la méthode33 et en insistant sur le fait qu’il a été « témoin » d’inoculations ou de leurs effets en Amérique du sud et à Constantinople34 : « J’ai vû des Marseillois à Constantinople faire inoculer leurs enfans avec le plus grand succès35 ». La force de son texte tient à de tels témoignages d’expériences d’inoculations ainsi qu’à l’importance des considérations d’ordre statistique. S’appuyant sur l’ouvrage du médecin et secrétaire de la Royal Society de Londres, James Jurin (1684-1750), qui donnait aux statistiques une place importante (afin de cerner l’incidence de la variole sur le cours général de la mortalité), La Condamine s’est orienté dans cette voie, au point qu’il déclare que l’inoculation est « un pur problème de probabilité36 ». Ces chiffres prouvant le très faible taux de mortalité lié à l’inoculation, le savant français considérait qu’il fallait tenter sa chance et ainsi se protéger à vie contre la petite vérole37. Enfin, tout au long de cette nouvelle édition, on trouve des modifications apportant une précision, corrigeant un fait ou une date ou reformulant le style. Il modifie le ton de quelques passages, se fait plus incisif à l’égard du lecteur, parfois directement interpellé (« hésitez-vous encore sur le choix ? »). Finalement, La Condamine considérait l’édition d’Avignon comme une « bonne édition de [son] mémoire sur l’inoculation38 ».

Deux traductions en 1755

9 En Italie, la parution des différentes éditions de son mémoire coïncide avec les lieux où La Condamine a séjourné et donc avec les contacts qu’il y a établis. Arrivant à Gênes par la mer, comme beaucoup de voyageurs, il se rend à Florence et à Rome, puis, de là, fait un crochet à Naples39. De retour à Rome rapidement, il y séjourne quasiment un an, jusqu’en avril 1756, avant de retourner tranquillement en France en passant par Venise, Turin, le Mont-Cenis et Genève. Son séjour se déroule dans des conditions souvent très confortables : à Rome, il est logé au palais Farnèse, et reste constamment avec l’ambassadeur de France, le comte de Stainville, y compris durant la villégiature estivale à Frascati (où il retrouve les Margrave de Bayreuth). À ces opportunités s’ajoutent des relations nouées grâce à sa sociabilité parisienne. Ainsi, il séjourne quelques jours à Livourne en mars 1755 chez l’homme de lettres, ami de , Filippo Venuti (1706-1768) avec lequel La Condamine est en contact épistolaire depuis 1750 (date du retour en Italie de Venuti)40. Or, ce dernier s’avère un personnage central pour la circulation du Mémoire sur l’inoculation de la petite vérole. Non seulement il en est l’un des traducteurs, mais il est aussi le promoteur de sa publication. D’abord publié dans le périodique dont Filipo Venuti est à la fois le co-fondateur et l’éditeur, le Magazzino toscano d’istruzione e piacere (1754-1757), il est ensuite publié sous forme de livre41. Les deux formes de publication sont imprimées à Livourne par le même imprimeur, « Antonio Santini e Compagni ».

10 Puis très rapidement, fin juin, paraît une nouvelle traduction, réalisée à l’instigation du cardinal Silvio Valenti Gonzaga (1690-1756), secrétaire d’État du pape Benoît XIV (1675-1758). Introduit auprès du cardinal grâce à l’ambassadeur de France, La Condamine a pu le rencontrer peu de temps après son arrivée à Rome. À cette occasion, il lui offre son Mémoire sur l’inoculation (Avignon, 1755) 42, que le cardinal Valenti

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s’empresse de faire traduire en italien par un de ses secrétaires, l’abbé Petroni : il lui en remet en effet six exemplaires dès le 30 juin. La Condamine est également reçu en audience par le pape, qui montre de l’intérêt pour son mémoire et l’approuve sans prendre néanmoins position officiellement sur l’inoculation. Cette seconde traduction est publiée à Rome chez des imprimeurs réputés et proches du cardinal Valenti, les frères Paolo et Niccolò Pagliarini43. Mais elle ne paraît pas avec leur adresse. La page de titre annonce en effet une impression à Lucques (chez I. Venturini). Ceci s’explique, selon La Condamine, par la nécessité « d’abréger quelques formalités qui pouvoient en retarder la publication »44 et témoigne sans doute de la prudence de la Curie romaine sur cette question45.

11 Cette traduction de Petroni est aussi publiée à Florence, avec l’adresse de l’imprimeur Giovan Paolo Giovannelli, qui est alors l’un des trois grands imprimeurs florentins. Ce dernier imprime aussi le Giornale dei Letterati di Firenze (1742-1762) 46 dont le principal rédacteur, Francesco Raimondo Adami, soutient fermement l’inoculation. Mais il s’agit là encore très certainement d’une fausse adresse, tant la maquette est identique avec celle de Lucques.

12 Très rapidement, la traduction de Petroni est également reprise par un imprimeur napolitain, Benedetto Gessari, plus particulièrement spécialisé dans l’édition d’ouvrages médicaux47. Puis, plus tard, en 1761, on la retrouve à Venise dans une édition vendue par Domenico Deregni, qui profite de la parution du second mémoire de La Condamine pour proposer un recueil de textes soutenant l’inoculation48.

Une traduction soignée, Livourne 1755

13 Effectuant leur traduction pratiquement au même moment, Venuti et Petroni n’ont sans doute pas pu consulter le travail que l’autre réalisait. Ils ont d’ailleurs opéré des choix différents, dont témoigne la page de titre puisque l’un choisit de traduire Mémoire sur l’inoculation de la petite vérole par Memoria sull’inoculazione del vajuolo (Venuti), et l’autre par Memoria sull’ innesto del vajuolo (Petroni). Le terme « innesto » renvoie à l’idée d’une « greffe » qu’elle soit botanique ou chirurgicale. Mais, au XVIIIe siècle, il est aussi employé comme un synonyme d’« inoculazione »49. L’emploi d’« inoculazione » est sans doute la marque de la proximité de Venuti avec la langue française. Vicaire général de l’abbaye de Clairac, près d’Agen, Filippo Venuti a en effet résidé en France de 1738 à 175050. Il y a alors mené une intense activité littéraire. Cet attachement au français, l’a sans doute rendu sensible au terme utilisé dans cette langue pour désigner la nouvelle méthode prophylactique contre la petite vérole. Or, comme le note La Condamine lui- même, le terme « inoculation » s’impose en français : « L’insertion de la petite vérole [est une] opération généralement plus connue aujourd’hui sous le nom d’Inoculation […]51 ». Ce terme (qui vient du latin « inoculatio »), utilisé depuis le XVIe siècle en horticulture pour désigner une forme de greffe, se généralise en français, sous l’influence de l’anglais, pour désigner la transmission artificielle de la variole à un sujet sain52. Le médecin suisse Théodore Tronchin, dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, signale également la généralisation de ce terme : l’inoculation est un « nom synonyme d’insertion [qui] a prévalu pour désigner l’opération par laquelle on communique artificiellement la petite vérole, dans la vue de prévenir le danger & les ravages de cette maladie contractée naturellement53 ». En italien, le terme « inoculazione » ne s’est pas imposé comme en français car on trouve aussi

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communément celui d’« innesto » (et plus rarement « innestagione » et « innestamento »54).

14 L’épître dédicatoire de l’édition de Livourne témoigne de la proximité de Venuti et de La Condamine. Rédigée en français, elle est signée par le savant français, qui trouve ici l’occasion d’exprimer sa reconnaissance envers le lettré italien. Les deux hommes se sont sans doute rencontrés à Paris, peut-être par l’intermédiaire de Montesquieu, qu’ils connaissent tous deux. La Condamine séjourne chez Venuti55, bénéficiant ainsi de son important réseau. Ce dernier est en effet très engagé dans la vie culturelle de Livourne. Divulgateur, soucieux de la propagation des savoirs, Venuti est à l’initiative de plusieurs lieux alimentant le débat culturel : il fonde une bibliothèque et crée un périodique ; il devient président d’une académie (l’Accademia etrusca de Cortone), en fonde une autre (la Società Botanica) ; il tient un salon chez lui ; il participe à l’édition italienne à Lucques de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert56. Avec le Magazzino toscano d’istruzione e di piacere (1754-1757), auquel il participe activement, Venuti propose un périodique à caractère encyclopédique. Il y publie régulièrement des traductions qui sont, à ses yeux, un des outils de la circulation des savoirs. Sa traduction, annotée, du Mémoire de La Condamine, illustre son engagement en faveur de l’inoculation57. Plus tard, il traduit aussi le second mémoire du Français sur l’inoculation (1759). Ces deux traductions s’inscrivent dans un climat favorable : l’inoculation n’était pas inconnue à Livourne. Principal port du grand-duché de Toscane, Livourne était alors un lieu d’échanges et de circulation des idées. C’était notamment l’une des étapes importantes en Méditerranée des Anglais. Ainsi, en 1755, l’inoculation avait déjà été introduite par des marchands anglais, mais il semble que celle-ci n’ait été pratiquée qu’au sein de la communauté anglaise. Il s’agit donc bien, par le biais de cette traduction, de promouvoir une pratique médicale encore circonscrite, bien qu’elle rencontre l’adhésion de plusieurs médecins toscans, dont Giovanni Targioni Tozzetti et le chirurgien Giuseppe Cei. Dans la péninsule italienne, l’intérêt pour cette méthode est précoce, mais restreint à certains lieux58. Le livre de La Condamine et sa publication dans un périodique deviennent donc des moyens de promouvoir l’inoculation auprès des autorités. L’académicien français est en outre intervenu personnellement auprès de celles-ci : lors de son séjour à Florence, il rencontre le comte de Richecourt, régent du grand-duc de Toscane59, et le convainc, selon le Giornale de’ Letterati, de l’opportunité de cette méthode pour endiguer la maladie60. Richecourt s’y montre en effet favorable puisqu’il encourage le médecin florentin Targioni Tozzetti (1712-1783) à réaliser des inoculations à Florence. Pratiquées en 1756, elles sont l’objet d’un ouvrage paru l’année suivante61. Ce livre permet à son tour de faire connaître l’opération en s’appuyant sur des inoculations réussies localement. Targioni Tozzetti, qui fait part de son enthousiasme pour cette technique médicale (« uno tra i più interessanti e fecondi acquisti, che abbia fatto la Medicina nel corrente secolo »62), présente La Condamine comme l’une des personnes les plus importantes pour la médecine63. Le savant français, qui n’a jamais prétendu être médecin, a été salué (du moins du côté des partisans), pour avoir défendu publiquement une technique médicale nouvelle (en Europe)64.

15 L’édition livournaise du Mémoire reprend également des expériences et des connaissances locales. La dédicace de La Condamine et une note de Venuti réinscrivent en effet le propos du savant français dans le cadre italien. Dans son épître adressée à Venuti, l’académicien l’avait invité expressément à ajouter deux témoignages montrant

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le succès de cette méthode65. Et, de fait, l’abbé italien ajoute dans sa traduction une longue note à leur sujet66, insistant plus particulièrement sur les inoculations pratiquées dès 1750 par le médecin Domenico Peverini, à Citerna, dans les États pontificaux67. Ce dernier témoignage est promis à un bel avenir, car repris dans différents périodiques comme L’Année littéraire, le Giornale de’ Letterati, ainsi que dans l’ Encyclopédie de Diderot et d’Alembert et l’Encyclopédie méthodique68. En bon médiateur, Venuti se montre aussi attentif aux nouvelles publications sur l’inoculation en Europe. Ainsi, il insère un exemple d’inoculation extrait d’un périodique britannique69 et il annonce la parution de L’Inoculation justifiée du médecin suisse Tissot 70. Venuti joue donc à Livourne un rôle clé d’échanges et de circulation. Son engagement en faveur du Mémoire et ses réseaux ont sans aucun doute assuré une forte assise à l’intérêt pour celui-ci en Toscane.

La large circulation de la traduction de Rome

16 Contrairement à celle de Venuti, la traduction de l’abbé Petroni, bibliothécaire personnel de Valenti71, a été exécutée sans consulter La Condamine. Effectuée à la demande du cardinal Silvio Valenti, cette traduction est précédée, sans surprise, d’une dédicace adressée à ce personnage et signée par l’imprimeur Niccolò Pagliarini. Si La Condamine bénéficie de l’assentiment du pape, c’est donc par le biais de son secrétaire particulier que l’Église manifeste publiquement son soutien à cette cause72. Il est vrai que Valenti Gonzaga est un acteur important de la politique d’ouverture de Benoît XIV. Érudit, particulièrement intéressé par les sciences, collectionneur de tableaux et bibliophile, le cardinal a joué un rôle important dans la promotion de la vie scientifique à Rome73. Il a des contacts fréquents avec des savants italiens et étrangers. Il est aussi le principal protecteur du Giornale de’ Letterati (1742-1759), et donc un proche des frères Pagliarini, qui publient ce périodique romain74. Niccoló Pagliarini ne pouvait donc que rendre un éloge particulièrement appuyé à Valenti dans cette épître. En ce qui concerne plus précisément l’inoculation, il est précisé que le cardinal se veut l’introducteur en Italie du débat sur cette question importante, encore discutée à l’académie des sciences de Paris. Nul doute que le soutien et la protection de Valenti ont assuré au mémoire de La Condamine une grande visibilité dans la péninsule italienne.

17 Écrites dans des niveaux de langue différents, les deux traductions ne s’adressaient sans doute pas aux mêmes lecteurs : familier de la langue française, lettré, Venuti donne une traduction dans un style très soigné, accentuant le ton parfois emphatique de La Condamine ; celle de Petroni vise, elle, l’efficacité. Ce dernier publie une traduction très proche du texte initial, pratiquement littérale. Néanmoins, il supprime parfois une phrase redondante75 ou une interrogation, brisant l’élan rhétorique de phrases de La Condamine au profit d’un texte plus clair, plus concis76. Il rend ainsi le texte accessible au plus grand nombre de lecteurs, en adéquation avec le but indiqué dans l’épître d’un souhait de divulgation de l’inoculation. L’abbé Petroni a ainsi dans l’ensemble respecté à la fois le sens du texte77 et les intentions du cardinal Valenti. Il ne s’est autorisé l’ajout que d’une seule note, destinée à rappeler que seules les autorités religieuses étaient à même de décider la conformité ou non de l’inoculation avec les principes du catholicisme. Dans une lettre à son ami La Beaumelle, La Condamine témoigne d’ailleurs de sa satisfaction de cette traduction78. L’enjeu de la traduction

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était tout différent pour Venuti. Ce dernier témoignait non seulement de son engagement public en faveur de l’inoculation, mais d’une maîtrise stylistique digne d’un homme de lettres. Aussi n’hésite-t-il pas à intervenir régulièrement dans le texte initial. Dans son épître, La Condamine l’avait d’ailleurs encouragé à apporter « tous les changemens & toutes les corrections » qu’il lui plairait. Venuti ajoute régulièrement un ou plusieurs mots, usant de métaphores, redoublant les effets des phrases du Français79. Ces modifications peuvent avoir pour objet d’apporter plus d’intelligibilité (ainsi, à l’explication sur la méthode utilisée en Chine pour se protéger de la variole, il ajoute que celle-ci se pratique comme on prise le tabac en Europe, « come il tabacco »80), mais, dans l’ensemble, Venuti met plutôt en valeur ses talents de lettré.

18 La traduction de Petroni connaît une plus large diffusion puisque rééditée à Naples et à Venise à l’instigation de deux imprimeurs qui ont chacun signé une nouvelle épître dédicatoire pour leur publication. Un tel geste témoignait du fait que le coût de l’édition était à leur charge81. Il s’agit clairement pour le Napolitain Benedetto Gessari d’une opération commerciale lui permettant d’accroître son offre en livres médicaux82. Comme en témoignent l’épître dédicatoire et la préface, cette contrefaçon s’inscrit dans un contexte napolitain particulier, lié à l’intérêt porté à l’inoculation à Naples suite aux premières expérimentations d’inoculation en 175483, et peut-être aussi au séjour de l’académicien français dans cette ville en juin 175584. La médecine commence alors à revêtir plus d’importance dans les Lumières scientifiques napolitaines. Cet intérêt se marque notamment par le dynamisme de l’édition à caractère scientifique85 et une ouverture aux savoirs européens. On publie et traduit en effet les livres des plus célèbres savants italiens et étrangers. Ainsi, Gessari, imprimeur spécialisé en médecine, publie dans les années 1750 des livres des célèbres Haller, Friedrich, Boerhaave ou Pringle, publiés en latin ou traduits en italien (langue qui finit par s’imposer auprès des médecins et des naturalistes86). L’intérêt pour l’inoculation croît à Naples dans les années 1760, lié notamment aux épidémies survenues entre 1758 et 1764. Cela se traduit, dans le secteur éditorial, par les publications en italien des ouvrages de Tissot, Boissier de Sauvages, La Condamine, de Haen et Mead. Pour sa part Gessari traduit l’ Avis au peuple sur sa santé de Tissot et le Second Mémoire sur l’inoculation de La Condamine, manifestant une nouvelle fois son appui à l’inoculation87. Dans la préface de la traduction du premier mémoire, ce soutien était même très explicite : les médecins étaient expressément invités à pratiquer cette opération salutaire et il était fait appel à leur engagement politique et civique88. Les éditions napolitaines des deux mémoires de La Condamine ne sont en aucun cas des publications isolées, elles doivent plutôt être comprises comme des choix avertis d’un imprimeur connaissant les goûts de son lectorat. En médecine (ainsi qu’en chimie et en physique expérimentale), Naples est ouverte aux débats européens de la seconde moitié du XVIIIe siècle.

19 L’édition vénitienne de 1761 s’inscrit encore plus nettement dans une démarche d’incitation à la pratique de l’inoculation. Il est en effet difficile de la considérer uniquement comme une édition pirate supplémentaire, tant plusieurs médecins sont impliqués dans la publication de l’ouvrage. L’imprimeur Domenico Derigni semble bien à l’initiative du projet. Grâce à une lettre écrite par le médecin vénitien Pietro Orteschi (1744-1791), on apprend en effet que Derigni a décidé de son propre chef de rééditer le mémoire de La Condamine. L’initiative est bienvenue aux yeux d’Orteschi, mais il aurait préféré que l’imprimeur reprenne la traduction de Livourne, jugée meilleure que l’autre89. En fait, Derigni a envisagé dès le départ la publication d’un recueil comprenant plusieurs textes, dont les deux mémoires sur l’inoculation de La

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Condamine90. Orteschi prend finalement part à ce recueil en traduisant le second mémoire paru à Genève en 1759. Le recueil proposait aussi des documents narrant des cas d’inoculations pratiquées localement91. L’imprimeur Derigni remercia publiquement Orteschi de sa participation au recueil en demandant au médecin vénitien Giovanni Pietro Pellegrini (1737-1816) de rédiger une dédicace célébrant Orteschi. Il plaçait ainsi la réception de son recueil sous une autorité appropriée. Pellegrini, qui se livra sans surprise à un plaidoyer en faveur de l’inoculation, appuya son apologie par la mention d’inoculations réalisées en Istrie92. Ce projet de traduction devait, selon lui, clairement servir la visibilité d’une pratique reconnue et prouvée partout en Europe et devait engager ses lecteurs à se faire inoculer. Partisan de l’inoculation, Orteschi continua à défendre cette position dans le périodique qu’il créa quelques années plus tard, le Giornale di medicina (1763-1773).

20 La reconnaissance de l’importance du texte de La Condamine en Italie ne se mesure pas seulement au nombre d’éditions de ses traductions, elle est aussi liée à la manière dont il a été reçu, réapproprié et repris dans les années qui suivent. Or, à travers cette enquête, on mesure combien l’intérêt du milieu médical pour cette publication s’accroît au fil des éditions. Traduit par deux personnes étrangères à la médecine, et ayant des objectifs différents, son mémoire est finalement récupéré par des éditeurs à Naples et à Venise qui visent un public de médecins et le font circuler dans ce milieu. L’analyse de l’appropriation de ce texte en Italie conforte en outre l’utilité d’une adaptation au contexte local pour assurer la visibilité de l’ouvrage. Hormis l’édition publiée à Rome, toutes les autres parutions du mémoire de La Condamine ont inclus l’ajout d’exemples d’inoculations pratiquées en Italie. Aux yeux des traducteurs et éditeurs, comme de La Condamine, il fallait un ancrage local afin de souligner l’intérêt précoce des médecins italiens pour cette pratique, et donc convaincre de sa fiabilité et de son bien-fondé. Le cas du Mémoire sur l’inoculation illustre parfaitement le fait que les traductions participent à la circulation des idées nouvelles et des débats au milieu du siècle, ainsi qu’à la diversification des publics93. Le livre de La Condamine est ensuite repris par des médecins comme Saverio Manetti (1723-1784) et Giovanni Calvi (1721-1780), ardents défenseurs de l’opération, qui ont largement cité ou emprunté les arguments du Mémoire dans leurs propres ouvrages94. Pour ces médecins, le livre de La Condamine est devenu un ouvrage de référence pour convaincre de l’efficacité de l’inoculation.

NOTES

1. Je tiens à remercier Maria Conforti pour ses très utiles conseils. 2. Selon Dominique BOURY, au XVIIIe siècle, « Le recul de la peste ouvre un espace à d’autres pathologies meurtrières : la variole, tout d’abord ». Dominique BOURY, « Épidémies et épizooties au siècle des Lumières : au seuil de la géographie médicale », Corpus. Revue de philosophie, 2008, no 54, p. 47-65. 3. Catriona SETH, Les rois aussi en mouraient. Les Lumières en lutte contre la petite vérole, Paris, Éditions Desjonquères, 2008 ; Pierre DARMON, La longue traque de la vérole : les pionniers de la médecine préventive, Paris, Perrin, 1986, p.57. Pour un autre exemple de ville régulièrement touchée par la

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variole au XVIIIe siècle, se reporter au cas très bien documenté de Padoue : Giorgio ZANCHI et Monica PANETTO, « Nella terraferma veneta tra vaiolazzazione e vaccinazione : Padova », dans Antonio Tagarelli, Anna Piro et Walter Pasini (dir.), Il vaiolo e la vaccinazione in Italia, vol.3, Villa Verucchio, La Pieve Poligrafica Editore, 2004, p.1305-1336. 4. Certaines formes de la variole étaient bénignes (elles n’occasionnaient que quelques boutons, sans laisser de cicatrices). À l’inverse, d’autres formes, dites confluentes ou hémorragiques, étaient le plus souvent mortelles. Entre ces deux cas extrêmes, il y a toute une palette de cas, avec des séquelles variables : cicatrices, surdité ou malvoyance. Cf. Jean-Baptiste FRESSOZ, « Comment sommes-nous devenus modernes ? Petite histoire philosophique du risque et de l’expertise à propos de l’inoculation et de la vaccine, 1750-1800 », dans Sezin Topçu, Cécile Cuny, Kathia Serrano-Velarde (dir.), Savoirs en débat : perspectives franco-allemandes, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 197-225.

5. Pierre DARMON, La variole, les nobles et les princes. La petite vérole mortelle de Louis XV, Bruxelles, Editions Complexe, 1989. 6. Cette technique repose sur l’observation qu’une personne ne contracte plus la variole après en avoir été atteint. De nombreux débats portent sur la manière d’insérer la petite vérole, c’est-à-dire le liquide prélevé de pustules d’une personne atteinte de cette maladie. Cf. Hervé BAZIN, L’histoire des vaccinations, Paris, John Libbey Eurotext, 2008 ; Antoinette EMCH-DÉRIAZ, « L’inoculation justifiée… vraiment ? », Canadian Bulletin of Medical history, 1985, vol.2, no 2, p. 237-263.

7. Sur ce sujet, Catriona SETH, op. cit., chap.6, p.175-206. 8. C’est, par exemple, La fête du château, divertissement mêlé de vaudevilles & de petits airs par M***, Représenté pour la première fois par les comédiens italiens ordinaires du Roi, le 25 septembre 1766, Paris, Duchesne, 1766. 9. C. Seth décrit précisément le bonnet à l’inoculation, coiffure lancée par Marie-Antoinette dans les années 1770, ainsi que des rubans à l’inoculation parus, eux, dès les années 1750. Cf. Cathriona SETH, op. cit., p.292-298. 10. En 1760, le taux de mortalité liée à la pratique de l’inoculation, en Angleterre, s’élève à 4 %. Cf. Maria Anna CAUSATI VANNI, « Il vaiolo nelle storia », dans Antonio Tagarelli, Anna Piro et Walter Pasini (dir.), Il vaiolo e la vaccinazione in Italia, vol.1, Villa Verucchio, La Pieve Poligrafica Editore, 2004, p. 84. 11. Astronome et géographe, Charles-Marie La Condamine (1701-1774) n’est pas médecin. En 1754, au moment il se lance dans la défense de l’inoculation, c’est en savant reconnu, membre de l’Académie des sciences depuis 1730. Sa notoriété tient à sa participation à l’une des deux grandes expéditions organisées par l’Académie des sciences afin de mesurer le globe terrestre, celle envoyée au Pérou en 1735. Revenu seul par la forêt amazonienne, il publie immédiatement le récit de cette traversée de l’Amérique du sud dans une Relation qui remporte un grand succès. Charles-Marie de LA CONDAMINE, Relation abrégée d’un voyage fait dans l’intérieur de l’Amérique méridionale, Veuve Pissot, Paris 1745. 12. Charles-Marie de LA CONDAMINE : Mémoire sur l’inoculation de la petite vérole. Lu à l’Assemblée publique de l’Académie Royale des sciences, le Mercredi 24 Avril 1754, Paris, Durand, 1754 ; Mémoire sur l’inoculation, La Haye, Nicolas Van Daalen, Librairie de Hoogstraart, 1754 ; Mémoire sur l’inoculation de la petite vérole. Lu à l’Assemblée publique de l’Académie Royale des Sciences, le Mercredi 24 Avril 1754, Troisième édition, Corrigée & augmentée par l’Auteur, Avignon, F.B. Mérande, 1755. Dans les notes qui suivent, nous faisons référence à cette édition. 13. Il est traduit en anglais, danois, italien, néerlandais et suédois en 1754 ou 1755 et en portugais en 1762. Le mémoire avait été traduit en espagnol par Rafael Osorio en 1757,

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mais n’a pas été publié car José Amar, membre de la Haute-Cour de médecine d’Espagne, en avait interdit la publication. Sur ce dernier point, cf. Liliana SCHIFTER, Patricia ACEVES, Patrice BRET, « L’inquisition face aux Lumières et à la Révolution française en Nouvelle-Espagne : le dossier et le procès d’Esteban Morel (1781-1795) », Annales historiques de la Révolution française, 2011, no 3, p. 103-127. La nouvelle de cette traduction en espagnol était pourtant publique puisqu’elle avait été annoncée dans l’ Année littéraire en septembre 1755 : « Je souhaite qu’on leur fasse le même honneur qu’au Mémoire de M. de la Condamine qu’on a traduit en Anglois, en Espagnol, & tout récemment en Italien par les soins du cardinal Valenti, Camerlingue & Secrétaire d’Etat du Pape régnant ». cf. Année littéraire, 5 septembre 1755, tome 5, p. 283. 14. Parallèlement à l’ouvrage de La Condamine, paraissent également en 1754 : James KIRKPATRIK, The Analysis of Inoculation ; comprizing the history, theory and practice of it, Londres, J. Millan etc., 1754 ; Charles CHAIS, Essai apologétique sur la méthode de communiquer la petite vérole par inoculation, La Haye, p. de Hondt, 1754 ; Samuel TISSOT, L’inoculation justifiée ou Dissertation pratique et apologétique sur cette méthode, Lausanne, M. M. Bousquet, 1754. 15. Le motif officiel de ce voyage en Italie est une nécessité de santé. Cf. Yasmine MARCIL, « Entre voyage savant et campagne médicale : le séjour en Italie de La Condamine (1755-1756) », Diciottesimo secolo (à paraître en 2018). 16. Charles Marie de LA CONDAMINE, « Observations mathématiques et physiques faites dans un voyage de Levant en 1731 & 1732 », Histoire de l’académie royale des sciences avec les Mémoires de mathématique et de physique tirés des registres de cette Académie, année 1732, Paris, Imprimerie royale, 1735, p. 316 ; « Relation abrégée d’un voyage fait dans l’intérieur de l’Amérique méridionale, depuis la côte de la Mer du Sud, jusqu’aux Côtes du Brésil & de la Guyane, en descendant la rivière des Amazones », Ibid., année 1745, Paris, Imprimerie royale, 1749, p. 477-479. Ce discours est aussi imprimé, avec le même titre, sous la forme d’un livre en 1745 (Paris, Veuve Pissot). Enfin, il publie : Journal du voyage fait par ordre du roi à l’équateur : servant d’introduction historique à la Mesure des trois premiers degrés du Méridien, Paris, Imprimerie royale, 1751. 17. C. M. de LA CONDAMINE, Journal d’un voyage, op. cit., p. 199. 18. À propos des séances publiques de l’Académie, Roger Hahn note que les discours étaient toujours soigneusement préparés et choisis. Cf. Roger HAHN, L’anatomie d’une institution scientifique. L’Académie des sciences de Paris, 1666-1803, Bruxelles, éditions des Archives contemporaines, 1993 (1re éd, 1971), p. 102. 19. Commencée le 30 avril, la lecture de son mémoire s’étale sur trois séances, pour s’achever le 8 mai.

20. Friedrich Melchior GRIMM, Correspondance littéraire, tome 1, 1753-1754, édition critique de Ulla KÖLVING, Ferney-Voltaire, Centre international d’étude du XVIIIe siècle, 2006, p. 190 (1er mai 1754, no 9) et Journal des savants, juillet 1754, p. 309. 21. On peut lire dans le procès-verbal de la séance du 8 mai 1754 : « Mr de la Condamine a demandé la permission de faire imprimer a part et présentement son Mémoire sur l’ Inoculation de la petite vérole, sans renoncer au droit de le faire imprimer dans les Mémoires de 1754. Sur quoi l’Académie ayant êté aux voix, il a êté décidé qu’il pourroit le faire imprimer maintenant à part, tel qu’il le lit actuellement, et qu’il sera néanmoins imprimé dans le volume de 1754. Sous la condition d’y joindre les additions qu’il pourra y faire d’ici à ce temps, et qu’il sera tenu de lire à l’Assemblée avant cette second impression ». Procès-verbal de l’Académie royale des sciences-Paris, 1754, vol.73, p. 205.

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22. Mercure de France, juin 1754, t. II, p. 64-126. Le Mercure de France consacre un article à l’« Assemblée publique de l’Académie royale tenue le 24 avril 1754 » dans lequel, après avoir rendu compte globalement de la séance, sont donnés un extrait de chacun des deux autres discours lus lors de cette séance et le mémoire in-extenso de La Condamine. Le Mercure de France avait annoncé : « Cet ouvrage a eu un si grand succès, il roule sur un objet si piquant, & il est tourné d’une manière si agréable, que nous avons désiré de pouvoir le communiquer en entier au Public & l’Auteur s’est rendu à nos instances ». Mercure de France, juin 1754, t. II, p. 57. 23. Yasmine MARCIL, « La presse et le compte rendu de récits de voyage scientifique : le cas de la querelle entre Bouguer et La Condamine », Sciences et Techniques en Perspective, 1999, no III, 2 (2e série), 285-304. 24. J.-B. Mérande est installé comme libraire imprimeur de 1754 à 1767, date à laquelle il vend son fonds. Celui-ci est avant tout orienté, comme les autres libraires de la ville, vers l’édition de livres religieux. Cf. René MOULINAS, L’imprimerie, la librairie et la presse à Avignon au XVIIIe siècle, Grenoble, PUG, 1974, p. 164-167. 25. Bartolomeo (1729-1792) et Lorenzo (1730-1802) Corsini achèvent alors leur voyage de formation en Europe, commencé le 22 avril 1752. Cf. Jean BOUTIER, « L’institution politique du gentilhomme. Le “Grand Tour” des jeunes nobles florentins, XVIIe-XVIIIe siècles », Istitutuzioni e società in Toscana nell’età moderna. Atti delle giornate di studio dedicate a Giuseppe Pansini (Florence, 4-5 déc. 1992), Rome, Pubblicazioni degli Archivi di Stato, 1994, p. 257-290. 26. Rome, Biblioteca Corsiniana, Ms Cors. 2497-4 : « Lettre de Bartolomeo Corsini, à son père 14 février 1755, Avignon ». On apprend dans cette lettre qu’elle est venue à Avignon pour des raisons de santé : « che è venuta in questo paese sperando trovare un clima più favorevole alla sua salute, ed al suo delicatissimo temperamento ». 27. « […] j’ai eu l’honneur de faire ma Cour a Avignon [à la margrave], et de qui j’ai recu l’accueil le plus flatteur […] » : Bâle, Bibliothèque universitaire de Bâle, L la 685, Epistolae ad Bernouillios (Gothanus) Condamine, p. 223-224, « Lettre de La Condamine à Jean Bernoulli, 26 janv. 1755, Antibes ». Les margraves voyagent sous le nom de comte et comtesse de La Mark. 28. Bâle, Bibliothèque Universitaire de Bâle, Ms L la 685, Epistolae ad Bernouillios (Gothanus) Condamine, p. 231-233, « Lettre de La Condamine à Jean Bernoulli, 17 mars 1756, Rome ». 29. Bien que le nombre de pages soit identique, 74 pages, la mise en page plus resserrée de l’édition de Mérande a permis d’ajouter de nombreux paragraphes. 30. Il s’agit des pages 55 à 60 de la troisième partie du Mémoire. 31. C. M. de LA CONDAMINE, Mémoire sur l’inoculation…, op. cit., p. 59. 32. Ainsi, il ajoute : «Les papiers publics, tout nos journaux littéraires semblent depuis 30 ans s’être condamnés au silence sur cet article, je vois tous les jours avec surprise des gens fort instruits d’ailleurs pour qui les bruits défavorables à l’inoculation répandus en 1724 & 1725, sont les nouvelles les plus récentes qu’ils en ayent reçus » et il ajoute plus loin « Ce n’est pas le seul exemple qui prouve combien on est ordinairement mal instruit en France des nouveautés utiles aux progrès des sciences & des arts & au bien de l’humanité, quand elles prennent naissance hors du Royaume ». C. M. de LA CONDAMINE, Mémoire sur l’inoculation…, op. cit., p. 15. 33. Il insère deux nouveaux exemples page 35, précisant à chaque fois la manière dont il a recueilli les témoignages. 34. Il insiste sur le fait qu’il a été personnellement témoin d’inoculations dans les colonies portugaises d’Amérique du sud (p. 61) et à Constantinople (p. 70). 35. C. M. de LA CONDAMINE, Mémoire sur l’inoculation …, op. cit., p. 70.

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36. Jean-Baptiste FRESSOZ, « Comment sommes-nous devenus modernes ? Petite histoire philosophique du risque et de l’expertise à propos de l’inoculation et de la vaccine, 1750-1800 », art. cit.. Selon Fressoz, l’usage de telles données ne répond pas seulement à un souci de rationalité et de méthodologie. En présentant l’inoculation comme « un pur problème de probabilité », La Condamine, qui n’est pas médecin, chercherait à faire valoir sa propre « expertise » dans une affaire médicale. Néanmoins, soulignons que La Condamine n’est pas novateur en ce domaine. La statistique fait alors son entrée dans le domaine de la philosophie médicale. Ainsi La Condamine comme Tronchin se sont appuyés sur les données chiffrées de Jurin. Sur ce point, cf. Gilles BARROUX, Philosophie, maladie et médecine au XVIIIe siècle, Paris, H. Champion, 2008, p. 169-175. 37. Selon G. Barroux, on compte, entre 1766 et 1800, soixante à soixante-dix mille inoculés en France, et environ deux cents mille en Angleterre. G. BARROUX, op. cit., p. 180. 38. Bâle, Bibliothèque Universitaire de Bâle, Ms L la 685, p. 237-239, Epistolae ad Bernouillios (Gothanus) Condamine, « Lettre de C. M. de La Condamine à Jean Bernoulli, 15 janvier 1757, Etouilli ».

39. Gilles BERTRAND, Le grand tour revisité. Pour une archéologie du tourisme : le voyage des Français en Italie, milieu XVIIIe siècle-début XIXe siècle, Rome, École Française de Rome, 2008, p. 96, note 36. 40. C’est ce dont témoigne une lettre de La Condamine, envoyée en 1752, concernant des envois de livres. Cf. Cortona, Biblioteca comunale e de l’Accademia etrusca, Ms 497, Lettere e documenti della famiglia Venuti : f o 155, « Lettre de La Condamine à Filippo Venuti, 27 nov. 1752, Paris ». 41. Cf. Magazzino toscano d’istruzione e piacere, avril à juillet 1755. 42. C. M. de LA CONDAMINE, Lettres de M. de La Condamine à M. le Dr. Maty sur l’état présent de l’inoculation en France, Paris, Prault, Pissot, Durand, Panckoucke, 1764, p. 175-176 43. L’imprimerie des frères Paolo et Nicolò Pagliarini fait partie des presses célèbre à Rome. Les frères Pagliarini ont acquis l’imprimerie à l’enseigne di Pallade et éditent des ouvrages prestigieux comme les Saggi di dissertazioni de l’Accademia etrusca di Cortona. Ils publient aussi les Notizie letterarie oltramontane (1742-1744), un périodique qui marque leur adhésion à la politique de Benoît XIV. En 1745, les Notizie deviennent Giornale de’letterati (1742-1759). Ce périodique évolue entre 1750 et 1759 vers des positions jansénistes. À l’influence du cardinal Valenti Gonzaga se substitue alors celle des Passionei. Cf. Vittorio Emanuele GIUNTELLA, Roma nel settecento, Bologna, Cappelli, 1971, pp.127-129.

44. C. M. de LA CONDAMINE, Mémoires pour servir à l’histoire de l’inoculation de la petite vérole, lus à l’Académie royale des sciences en 1754, 1758 et 1765, p. 85. 45. Sur la position de l’Église et du pape, cf. Bianca FADDA, L’innesto del vaiolo : un dibattito scientifico e culturale nell’Italia del Settecento, Milano, Franco Angeli Editore, 1983, p.62. 46. Renato PASTA, Editoria e cultura nel Settecento, Florence, Leo S. Olschki, 2007 (1re éd. 1997), p. 16. 47. Il paraît sous le titre suivant : Memoria sull’innesto del vajuolo. Napoli, Benedetto Gessari, 1755. Sur cet imprimeur, cf. Antonio BORRELLI, « Editoria scientifica e professione medica nel secondo Settecento», dans Anna Maria Rao, Editoria e cultura a Napoli nel XVIII secolo, Naples, Liguori editore, 1998, p. 737-762.

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48. Ce recueil comprend les deux discours de La Condamine, le texte du grand médecin florentin, Targioni Tozzetti, et une lettre du chirurgien Gio. Paolo Centenari. Il paraît sous le titre de : Due Memorie sull’innesto del vajuolo, del signor de La Condamine, trad. dal francese, con l’aggiunta delle relazioni d’innesti di vajuolo fatti in Firenze nel 1756, del signor Giovanni Targioni Tozzetti, Venise, Domenico Deregni, 1761.

49. Article « innesto », dans Enrico MARCOVECCHIO, Dizionario etimologico storico dei termini medici, Impruneta, Festina lente, [1993], p. 465. 50. Anna Maria, ANDILORO ROSADONI, « Filippo Venuti traduttore : tra educazione ed ermeneutica », Atti e memorie della Accademia Petrarca di Lettere, Arti e Scienze, nuova serie. Vol. 46, anno 1983-1984, p. 21-47. 51. C. M. de LA CONDAMINE, Mémoire sur l’inoculation…, op. cit., p. 3. 52. Le premier ouvrage imprimé en français employant ce terme à propos de la petite vérole est celui du médecin La Coste, Lettre sur l’inoculation de la petite vérole…, Paris, C. Labottière, 1723. En anglais, c’est celui du médecin Emanuele Timoni qui en donne la première attestation, en 1714.

53. Théodore TRONCHIN, article « Inoculation », dans et Jean le Rond d’Alembert, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Paris, Briasson, Le Breton, Durand, 1765, vol. VIII, p. 757. À ce sujet, cf. Gilles BARROUX, op. cit., p. 151-184. 54. « Innestagione » est employé pour traduire « insertion » dans la traduction en italien de l’ouvrage d’Angelo Gatti Nuove riflessioni sulla pratica dell’inoculazione, Venezia, Li Figluoli di Antonio Pinelli, stampatori ducali, 1768. Il est précisé, page XXXII que « L’innestagione è l’applicazione del veleno vaiuoloso a qualche parte del corpo umano ». C’est dans le même ouvrage que l’on peut lire le terme « innestamento » (p. XXXIII et p. LIII). 55. Cortone, Biblioteca comunale e de l’Accademia etrusca. Ms 497, Lettere e documenti della famiglia Venuti, fo 155, « Lettre de La Condamine à Filippo Venuti, 27 nov. 1752, Paris ». 56. Pierre MUSITELLI, « Filippo Venuti, ami de Montesquieu et collaborateur de l’édition lucquoise de l’Encyclopédie », Dix-Huitième siècle, 2006, no 38, p. 429-448 ; Stéphane VAN DAMME, « Capitales européennes et circulations intellectuelles », dans Pierre-Yves Beaurepaire et Pierrick Pourchasse (dir.), Les circulations internationales en Europe. Années 1680-années 1780, Rennes, PUR, 2010, p. 437-452. 57. F. Venuti tenta de répandre à Livourne la pratique de l’inoculation : il fit publier dans le Magazzino toscano plusieurs contributions de médecins qui prouvaient la validité d’une telle pratique pour prévenir la maladie. On doit noter ici la Memoria sull’inoculazione de La Condamine et la Lettere di Giusepe Cei, professore di chirurgia indirizzata a monsig. Proposto di Livorno. À propos de ce périodique, cf. Elena GREMIGNI, Periodici e almanacchi livornesi secoli XVII-XVIII, publié dans Quaderni della Labronica, décembre 1996, no 69, p. 65-97. 58. Dès 1715, est publié à Venise, le premier ouvrage sur l’inoculation dans la péninsule italienne, par le médecin Giacomo Pilarino, puis on note en 1725, la parution de la traduction du livre de l’Anglais Maitland à Florence, Relazione del Signor Maitland dell’innestare il vajuolo. Cf. Bianca FADDA, op. cit., p.49. 59. En 1737, le grand-duché de Toscane revient à François-Étienne de Lorraine (1737-1765), époux de Marie-Thérèse d’Autriche (1717-1780). Résidant à Vienne, il est représenté à Florence par un conseil de régence, dirigé notamment par Dieudonné- Emmanuel de Nay de Richecourt (1694-1759).

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60. « [...] essendo stato nel 1755. in Firenze il Sig. de la Condamine, tenne più volte discorso del felice esito di questi Innesti con sua Eccellenza il Sig. Conte di Richecourt, il quale pienamente informato di quanto importanza fosse pel pubblico ben il rendere comune ed accetto a tutta la Toscana l’uso dell’innesto del vaiuolo [...]». Novelle letterarie, 10 juin 1757, no 23, colonne 351. 61. Giovanni TARGIONI TOZZETTI, Relazioni di innesti di vaiolo fatti in Firenze nel’autunno dell’anno 1756, Firenze, Andrea Bonducci, 1757. Cf. Bianca FADDA, op. cit., p. 67.

62. Giovanni TARGIONI TOZZETTI, Relazioni di innesti..., op. cit., p. 1.

63. Tiziano ARRIGONI, Uno scienziato nella Toscano del settecento. Giovanni Targioni Tozzetti, Firenze, Edizioni Gonnelli, 1987, p.101. 64. La Condamine note ainsi dans son Mémoire : « Je ne m’engagerai point dans une dissertation sur un sujet qui exige de profondes connaissances dans la Médecine théorique & pratique […] ». C. M. de LA CONDAMINE, Mémoire sur l’inoculation…, op. cit., p. 56. 65. La Condamine mentionne les deux inoculateurs dans son épître, il s’agit d’un « médecin de province » (Domenico Peverini) et d’une « dame illustre » (la marquise Bufalini). 66. Dans un courrier daté du 27 avril 1755, Venuti informe La Condamine de la bonne réception des données concernant ces cas d’inoculation : « J’ay reçu de Cittá di Castello un beau détail des opérations de ce médecin et de cette dame que j’insérerai dans une note de ma traduction ». (AD Eure : 42 J 525, Archives de la famille Montigny, non folioté) 67. Venuti publie notamment une lettre rédigée par ce médecin (envoyée par l’entremise du marquis di Petrella, offrant ainsi toutes les garanties de la validité de ce témoignage). Domenico Peverini affirme avoir réalisé, avec le médecin Evangelisti, plus de deux cents inoculations. Peverini procède à de nouvelles inoculations en 1755 à Città di Castello et à Sienne (septembre 1755). 68. Année littéraire, 1755, tome VI, « Lettre de La Condamine », p. 26-48 ; Magazzino toscano, février 1756, p. 563, Giornale de’ Letterati (Roma), juillet 1755, p. 193-197. Théodore TRONCHIN, article « inoculation », dans Denis Diderot et Jean le Rond d’Alembert, Encyclopédie…, op. cit., vol. VIII, p. 755 ; article « Inoculation », Encyclopédie méthodique. Médecine, Paris, Agasse, 1798, vol. 7, p. 607. 69. Cet extrait est inséré page 36. Ce n’est pas une pratique exceptionnelle : on trouve régulièrement dans le Magazzino toscano des articles extraits de périodiques anglais tels que The Gentleman’s Magazine et The Universal Magazine.

70. Samuel TISSOT, L’Inoculation justifiée, ou Dissertation pratique et apologétique sur cette méthode, avec un Essai sur la muë de la voix, Lausanne, M. M. Bousquet, 1754. Venuti fait part de cette publication dans deux notes de bas de page, situées pages 20 et 23. Bien que, dans une lettre adressée à La Condamine, Venuti ait décrit cet ouvrage comme un quasi plagiat du Mémoire de l’académicien français, nous ne retrouvons pas une telle critique dans le Magazzino toscano. « J’ay recouvré un exemplaire du livre de M r Tissot imprimé à Lausanne sur ce même sujet 1754. Il aura bien de la peine de se défendre du soupçon de vous avoir pillé. Il faudrait pourtant que vous le vissiez ». (A.D. Eure : 42 J 525, Archives de la famille Montigny, non folioté).

71. Maria Pia DONATO, « Profilo intelletuale di Silvio Valenti Gonzaga nella Roma di Benedetto XIV », dans Raffaella Morselli et Rossella Vodret (dir.), Rittrato di una collezione. Pannini e la Galleria del Cardinal Silvio Valenti Gonzaga, Genève-Milan, Skira, 2005, p.83. L’abbé Petroni est probablement Prospero Petroni (1716-1785), qui travailla à la bibliothèque vaticane. 72. Valenti s’engage clairement en faveur de cette cause. Il accorde protection à un des médecins qui pratique l’inoculation dans plusieurs villages des États de l’Église : G.B. Lunadei. Cf. Bianca FADDA, op. cit., p. 61.

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73. C’est lui qui a institué, à l’Université de Rome, une chaire de chimie destinée à Luigi Giraldi, une autre de physique expérimentale assignée au père François Jaquier et une de mathématiques à Thomas Le Sueur. 74. Maria Pia DONATO, « Gli strumenti della politica di Benedetto XIV : il giornale de’ Letterati (1742-1759) », dans Marina Caffiero, Giuseppe Monsagrati (dir.), Dall’erudizione alla politica. Giornali, giornalisti ed editori a Roma tra XVII e XX secolo, Milan, Angeli, 1997, p. 39-62. 75. Petroni ne traduit pas, par exemple, la phrase suivante : « c’est un instrument de mort, qui frappe sans distinction d’âge, de sexe, de rang, ni de climat » (Mémoire sur l’inoculation…, op. cit., p. 1) 76. Par exemple : « Qui peut nous empêcher de recueillir les fruits de ce bienfait de la Providence ? tel est l’objet des recherches […] » devient sous la plume de Petroni : « Non potendoci esser impedito il raccogliere i frutti di questo benefizio della Provvidenza, su tale oggetto [...] ». (Mémoire sur l’inoculation…, op. cit., p. 2) 77. Exceptionnellement, on peut relever une inflexion au sens du propos de La Condamine, lorsqu’il note, page 50, « juste aveu des adversaires », au lieu de « selon l’aveu des adversaires », témoignant d’une prise de position, ou au moins d’une hésitation, contre l’inoculation. 78. Dans cette lettre datée du 2 juillet, alors qu’il n’a pas encore eu entre les mains la traduction réalisée par Venuti, La Condamine note : « Cette eminence [le cardinal Valenti] m’a fait une galanterie, je lui presentai mon Mémoire sur l’inoculation, il l’a fait traduire et imprimer en italien à Rome sous le nom de Luque, et à mon retour de Naples il m’en a donné quatre exemplaires. Il y avoit deja 15 jours que cela étoit fait. La traduction est fort bien, il y en avoit deja une autre dans le Magazin toscan en plusieurs mois consecutifs. Je doute que celle là soit aussi bonne, je ne l’ai pas vue ». « La Condamine à La Beaumelle, Frascati, 2 juillet 1755 », LB 2320, dans Correspondance générale de La Beaumelle, IX, 1755, éditée par Hubert Bost, Claude Lauriol et Hubert Angliviel de La Beaumelle, Oxford, The Voltaire Foundation, 2013. Je remercie Claude Lauriol de m’avoir signalé cette lettre. 79. Par exemple, le propos suivant de La Condamine, « Répondre à des objections faciles à détruire », se transforme en une plus longue séquence : « rispondere a quelle obbiezioni e difficoltà che si fanno contro all’inoculazion del Vajolo, quantunque elleno siano molto facili a distruggersi » (alors que Petroni a traduit littéralement par : « rispondere a Objezioni facili a distruggersi ») (Mémoire sur l’inoculation…, op. cit., p. 29). 80. Dans son histoire de l’inoculation, La Condamine explique qu’« on communiquait la petite vérole à la Chine sans incision & par le nez, en faisant respirer la matière des boutons desséchés réduite en poudre ». (Mémoire sur l’inoculation..., op. cit., p.3-4) 81. Marco PAOLI, La dedica. Storia di una strategia editoriale, Lucques, Maria Pacini Fazzi editore, 2009, p. 311-344. 82. Comme le note Patrice Bret, la traduction devient dans la seconde moitié du XVIIIe siècle une « affaire de marché de la librairie ». Cf. Patrice BRET, « Le défi linguistique de l’Europe des Lumières. La traduction creuset des circulations scientifiques internationales (années 1680- années 1780) », dans Pierre-Yves Beaurepaire et Pierrick Pourchasse (dir.), Les circulations internationales..., op. cit., p. 336. 83. Maria Anna CAUSATI VANNI, « Il vaiolo nelle storia », dans Antonio Tagarelli, Anna Piro et Walter Pasini, Il vaiolo e la vaccinazione in Italia, vol.1, Villa Verucchio, La Pieve Poligrafica Editore, 2004, p. 55-100. L’épître est en effet dédiée à un chirurgien exerçant à Naples, G. Aubery, remarqué par Eustachio de Laviefville (vers 1682-1754), vice-roi de Sicile de 1747 à 1754. Aubery exerce la charge de premier chirurgien de la reine.

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84. Antonio BORRELLI, « Dall’innesto del vaiolo alla vaccinazione jenneriana : il dibattito scientifico napoletano », Nuncius. Annali di storia della scienza, 1997, XII, 1, p. 67-85. 85. Parmi ceux qui œuvrent en faveur de ce renouvellement, on compte Antonio Genovesi, Bartolomeo Intieri et Fortunato Bartolomeo de Felice. Cf. Antonio BORRELLI, « Editoria scientifica e professione medica nel secondo Settecento », dans Anna Maria Rao (dir.), Editoria e cultura a Napoli nel XVIII secolo , Naples, Liguori editore, 1998, p. 737-762. Néanmoins, malgré de telles personnalités et leur engagement, on ne peut pas parler à Naples d’un fait social et culturel collectif. Cf. Jean BOUTIER, Marina CAFFIERO, Brigitte MARIN, Antonella ROMANO, « Perspectives : Naples, Rome, Florence en parallèle », dans Jean Boutier, Brigitte Marin et Antonella Romano (dir.), Naples, Rome, Florence. Une histoire comparée des milieux intellectuels italiens (XVIIe-XVIIIe siècles), Rome, École française de Rome, 2005, p. 672. 86. Isabelle PLANTIN, « Langues », dans Michel Blay et Robert Halleux, La science classique XVIe-XVIIIe siècle. Dictionnaire critique, Paris, Flammarion, 1998, p. 75-83. 87. L’accroissement des livres de médecine continue à Naples dans les années 1770, à un moment de fort engagement de l’État dans le renouveau des institutions culturelles et de l’enseignement (fondation d’une école de médecine). À la fin du XVIIIe siècle, la médecine intéresse aussi un public large. Ainsi les nouveaux livres sont-ils signalés dans des périodiques généraux comme le Giornale letterario di Napoli. Cf. Antonio BORRELLI, « Editoria scientifica e professione medica nel secondo Settecento », dans Anna Maria Rao (dir.), Editoria e cultura a Napoli nel XVIII secolo, Naples, Liguori editore, 1998, p. 737-762, et Fania OZ-SALZBERGER, « The Enlightenment in translation: Regional and European Aspects », European review of history, 2006, n°3, 385-409. 88. Orteschi y invite plus particulièrement les médecins de province qui ont, selon lui, la possibilité de mener plus sereinement des expériences. 89. Il qualifie l’édition romaine de « mauvaise traduction ». Biblioteca civica Gambalunga - Rimini, Epistolario Bianchi, b.36, « Lettre de Pietro Orteschi à Giovanni Bianchi, Venise, 5 juillet 1760», citée par Bianca FADDA, op. cit., p. 186-188. 90. Au début des années 1760, le Second Mémoire de La Condamine sur l’inoculation fut donc un texte convoité par les imprimeurs dans la péninsule puisque, nous l’avons vu, Gessari le fit également paraître à Naples et que Venuti l’avait déjà publié à Livourne en 1759. 91. Le recueil comprend notamment une lettre du chirurgien G. P. Centenari à propos d’inoculations réalisées en 1758 : « Lettera di Gio. Paolo Centenari Chirurgo di Pirano in risposto ad una interrogativa del dottore Giampaolo Pellegrini sul proposito degl’Innesti da lui fatti in quella Terra nel 1758», Due Memorie sull’innesto del vajuolo..., op. cit, p. 107-113. 92. Il fait allusion aux inoculations pratiquées par Centenari, cf. note précédente. 93. Raymonde MONNIER, « Traduction, transmission et révolution : enjeux rhétoriques de la traduction des textes de la conception républicaine de la liberté autour de 1789 », Annales historiques de la Révolution française, 2011, no 2, p. 29-50. 94. Saverio MANETTI, Della inoculazione del vajuolo, Firenze, Andrea Bonducci, 1761; Giovanni CALVI, « Dédicace», in Tre consulti, fatti in difesa dell’innesto del vaiuolo da tre Dottissimi teologhi toscani viventi e dedicati dall’Editore all’eminentissimo principe il sig. cardinale Ignazio Michele Crivelli, Milan, Giuseppe Galleazzi, 1762.

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RÉSUMÉS

L’intérêt pour l’inoculation de la petite vérole, ou variole, au XVIIIe siècle en Europe se caractérisa par d’importants débats, au sein et en dehors des milieux médicaux. À partir d’avril 1754, date de son discours en faveur de l’inoculation à l’Académie royale des sciences, le savant La Condamine y participa activement et s’engagea dans une campagne visant à convaincre de la fiabilité de cette opération médicale. Rapidement imprimé, réédité, traduit et commenté, son Mémoire sur l’inoculation de la petite vérole constitua un élément clé de son engagement. Au fil de ses éditions, son texte évolua en raison des corrections de son auteur, mais aussi (et c’est sur celles-ci que porte l’article) des interventions des traducteurs et éditeurs, qui ajoutèrent notamment témoignages d’inoculations et préfaces. Cette étude, qui porte sur les traductions et éditions en italien du Mémoire (publiées, pour la majorité d’entre elles, lors du séjour en Italie de La Condamine, de 1755 à 1756), cherche à cerner les adaptions d’un texte pour sa circulation auprès de lecteurs nouveaux.

The interest in the inoculation of smallpox in the eighteenth century in Europe was characterized by important debates, within and outside medical circles. From April 1754, date of his speech in favor of inoculation to the Académie royale des sciences, the scientist La Condamine was strongly involved there and engaged in a campaign to convince of the reliability of this medical operation. Quickly printed, republished, translated and commented, his Mémoire sur l’inoculation de la petite vérole was a key element of his commitment. In the course of these editions, his text evolved because of the author’s own corrections, but also (and this is the subject of this article) of interventions from the translators and publishers, who added in particular accounts of inoculations and forewords. This study, which is about the translations and editions in Italian of the Mémoire (published, for the majority of them, during La Condamine’s stay in Italy, from 1755 to 1756) seeks to define the adaptations of a text for its circulation towards new readers.

INDEX

Keywords : inoculation, translation, France, Italy, La Condamine Mots-clés : inoculation, traduction, France, Italie, La Condamine

AUTEUR

YASMINE MARCIL CIM (EA1484)Université Paris 3 -Sorbonne nouvelle

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“…who has had the courage and ambition to learn Swedish”. The Handlingar of the Swedish Academy of Sciences in 18th century European translations, adaptations, and reviews

Ingemar Oscarsson

1 The history of the Proceedings (Handlingar in Swedish) of the Royal Swedish Academy of Sciences dates back to 1739. Published as a quarterly journal, they presented original papers in “mathematics, natural sciences, economy, useful arts and manufactures” and combined the qualities of a first-rate scholarly organ with the practical-utilitarian aims of the Academy, which was founded in order to stimulate the economic development of the country by cultivating, as it was expressed in its founding texts, “only those sciences and arts that serve the common good”. Thus the journal was to a considerable degree designed to reach an audience beyond the learned circles; contributions from amateurs and aspiring academics were accepted and the issues were energetically marketed, addressing a varied readership such as provincial estate and ironworks owners, well-to-do-farmers, etc. During most of the 18th century, some five hundred copies were printed and—as far as can be judged—also sold out.1

2 This prestigious journal was not the first scholarly periodical in Sweden, not even the first one in the vernacular. But it reached an unprecedented level of distribution and national importance. With justification and pride, one of the learned society’s founding fathers called Handlingar “the pillars of the Academy and the apples of its eyes”.2 At home, it was a mighty stimulus for scientific and technological interests and activities. Outwardly, it played a major part in making Swedish natural sciences something of an export branch, and the European translations, extracts, reviews etc. were numerous—

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somewhat paradoxically, it can be said, given the intentions of the Academy and the domestic discourse of Handlingar.3

A German edition with offshoots

3 Most notable among the translations was the complete German edition of all the years from the beginnings in 1739 up to 1790, Der Königl. Schwedischen Akademie der Wissenschaften Abhandlungen aus der Naturlehre, Haushaltungskunst und Mechanik. It was published from 1749 by the Leipzig, later Göttingen, mathematician and historian of mathematics Abraham Gotthelf Kästner, seemingly without any support from the Academy in Stockholm, where the prospect of an authorised foreign edition was now and then discussed, but never carried into effect. Instead, it was Kästner who did it, even if it is a bit unclear whether he was the true initiator or not; in his foreword to the first volume, Kästner indicated some distance to the project by saying that he had “ been asked” to give an introduction to the translation (“zu deren gegenwärtiger Übersetzung eine Vorrede von mir verlanget wurde”).4 In any case, the edition had a good market for many years, greatly appealing to “those engaged in the German economic development and public utility undertakings in the Age of Enlightenment” (“den in der gemeinnützig-ökonomischen Aufklärung Engagierten in Deutschland”).5 Through the decades, Kästner’s version became something of an institution of its own, reducing the need a matter for other similar enterprises, notwithstanding the fact that there were scores of single translations, abstracts, and reviews also in other German collections and periodicals.6 For obvious reasons, they were not least frequent in the publications that were based on “Swedish” soil, i.e. in Swedish Pomerania (with Greifswald and Stralsund), a region that gives a remarkable historic example of cross- cultural competence and activity (including, in this particular context, a slightly ungenerous attitude from some judges towards the non-Pomeranian Kästner).7

4 As far as more or less regular translations are concerned, it is also worth mentioning that the first eight years (1739–1746) were translated in their entirety to Danish, mostly —as it seems—after Kästner’s edition.8 About two hundred articles from Handlingar in medicine, from the period 1739–1772, appeared in Dutch in a four volume edition, Geneeskundige Verhandelingen aan de sweedsche academie medegedeeld (Leiden, 1775–1778); in this case, Kästner was without doubt the original instigator. A number of Dutch translations could as well be seen in the series Uitgezogte Verhandelungen uit de nieuwste werken van de societeiten der wetenschappen in Europa en van andre geleerde mannen (Amsterdam, 1757–1765).9

5 More remarkable in its way was a Latin translation, Analecta Transalpina, with two volumes containing a comprehensive but not complete edition of Handlingar for the years 1739–1752, about 180 articles, and which was published in 1762 by the Pezzana printing house in Venice. The translator was an exiled Prussian, Joannes Ernest Crüger, and his work—like those mentioned above—seemingly based on the Kästner edition. In any case his Praefatio, with its lengthy discussion of the usefulness of natural sciences and of the Swedish efforts in the field, is nothing but a slightly abridged version of Kästner’s Vorrede from 1749.10

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“The translation, the most convenient way”

6 As regards Kästner himself, he started his long-term project assisted by a German with better knowledge of Swedish, a certain C. M. Holzbecher, who was in reality the sole translator of the first two volumes of Abhandlungen.11 Kästner soon took personal responsibility for the rendering, however, and eventually mastered the language well enough to considerably expand and amend the Swedish-German dictionary that was at his disposal. The criticism that he had to endure, at least initially, from Greifswald’s quarters is difficult to evaluate; no real analysis of his edition of Handlingar and its fundaments has been made.12

7 In his 1749 foreword, Kästner talked pragmatically about the diffusion of scholarly news and useful experiences. Those who wanted to instruct and enlighten their countrymen, he said, had always better done that in the vernacular (“in der ihnen bekannten Sprache”). If other nations wanted to benefit from the same findings, they had two options, of which the most convenient one (“der bequemste Weg”) always was to make use of translations, provided that these were produced by skilled and faithful interpreters.13 And the faithful translator, Kästner implied, did not make any judgment or selection concerning the value or general interest of what he had undertaken to transmit from one language to another.

8 Thus, any belief that Swedish experiences could be useful only in their own country would be refuted in this collection, he said. Many of the articles in Handlingar were totally independent of their geographical origin, others could—in his opinion—be put into practice abroad with only small changes, and no reader should disapprove even if he met articles that seemed to be completely and narrowly indigenous. In travel literature, Kästner metaphorically argued, we read with interest about the naivety of the savage peoples and the follies of the civilised ones; in the same spirit, we should inform ourselves about Swedish things that might be of no practical use to us, but which give proof of the special knowledge and patriotic thinking of the Swedes.

9 If Kästner here, to begin with, simply wanted to notify his audience of the fact that his edition of Handlingar would be a complete one (which it indeed was), he also used the opportunity to rather eloquently formulate a notion of the cultural intermediary’s role and responsibility—a notion seemingly in conformity with the “ethics of accuracy” that has been said to characterise the epoch’s German translation practice.14

La francophonie: a slower reception

10 In comparison with the impact of Handlingar in the German cultural area, its reception was slow and for a long time only scattered or fragmentary in the francophone sphere, here understood as the period’s scholarly literature in French, whether published in France itself or not. The reasons for this cannot be discussed here and are not easily identified, given the fact that there was no lack of contacts or cooperations between French and Swedish scientists. For decades, the largest cohort of foreign members of the Swedish Academy of Sciences was the French one, and the Secretary of the Academy for many years up to 1783, the astronomer Pehr Wargentin, had scores of French acquaintances and correspondents.

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11 Nor did it, for many years, make any difference that Wargentin commissioned a special agent in Paris, the preacher at the Swedish Embassy, Frédéric-Charles Baër (1715–1793). This Alsatian theologian had excellent contacts, both in the Académie des Sciences and in the circle around Journal des Savants, and in the 1750s and 1760s he regularly supplied one of the journal’s editors, Alexis-Claude Clairaut, with much general information on Swedish science and with several volumes of Handlingar. Clairaut had a Nordic inclination insofar as he had been a member of the Maupertuis grade measurement expedition in the 1730s; he seems to have had at least some knowledge of Swedish.15 Neither this nor Baër’s lobbying had, however, any apparent effect on what was covered in the Journal des Savants during the editorship of Clairaut (up to 1765) or in the next following years.

12 Much the same can, in reality, be said about la francophonie in general and its scholarly publications, into which the contents of Handlingar trickled their way only slowly, partially, and—for several years—almost exclusively in the form of reviews or abstracts, not as real translations. The years up to (and including) 1747 were, in 1747–1748, presented by the esteemed Bibliothèque raisonnée des ouvrages des savans de l’Europe (Amsterdam, 1728–1753), in short abstracts article by article; these reviews seem to have been the very first ones in French.16 They also bear some interest as there are reasons for attributing them—which has not been tried before—to a certain author, the outstanding physiologist and botanist Albrecht von Haller, himself a member of the Swedish Academy of Sciences, definitely capable of reading Swedish, a prolific and outspoken critic and also, in these petty summaries, now and then allowing himself a remark of good-natured acidity (“Mr. Polhem has not found it to be under his dignity to inform the public of an invention on how to draw a quantity of wine from the barrel without descending into the cellar”).17

13 In the next decades, registers of the articles in Handlingar, or more or less detailed accounts of their contents, appeared from time to time in the Mercure danois (Copenhagen, 1753–1760), in Le nouvelliste œconomique et littéraire (The Hague, 1754– 1761), and in Journal œconomique, ou Mémoires, notes et avis sur l’agriculture, les arts, le commerce […] &c. (Paris, 1751–1772), where in 1765 a handful of real translations were also published, not to mention a few other scattered examples.18

A notable introduction: the d’Holbach–Roux Recueil

14 As we will see, the efforts of Baër eventually came to bear some fruit. Before that, however, appeared what can be called the first really remarkable presentation in French of Handlingar and, together with it, of Acta literaria Sueciae, the Latin proceedings of the Royal Society of Sciences in Uppsala. This was a collection in two volumes, presented in 1764, edited and translated (although anonymously) by Paul-Henri d’Holbach and Augustin Roux, the Recueil des Mémoires les plus intéressants de Chymie et d’Histoire naturelle […], or the “most interesting” of what had been published by the two academies between 1720 and 1760, a total of forty-nine articles over more than six hundred pages, translated partly from the Latin of the Uppsala publication, partly from German versions (most certainly after Kästner).19 Still no first-hand translations, as we can see, but, according to the translators, their French versions , were nevertheless “littérale; c’est essentiel dans les Ouvrages [de] cette espèce”. There is even, in their foreword, a subtext of remorse, a feeling of being unduly late. German and even English

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translations already existed, they remarked; but now there was, at last, a French one as well, hopefully–they said–to the benefit of their countrymen.20

15 It is noteworthy that the Holbach-Roux Recueil appeared at about the same time as Holbach’s markedly Sweden-saturated articles on “Minéralogie” and “Minéraux” in the 10th volume of the Diderot-d’Alembert Encyclopédie (1765). It bears witness that, during these years, he had his eyes very much fixed on Swedish natural sciences, and its mineralogy in particular. In this, his interest was nothing but symptomatic; Swedish mineralogy had begun to reach a wider audience, and in the next decades a number of European translations and editions were published of works like Johan Gottschalk Wallerius’ Mineralogia (1747) and Axel Fredrik Cronstedts epoch-making Försök till mineralogie (1758; French translation in 1771, Essai d’une nouvelle minéralogie).21 Also the Holbach-Roux collection is principally devoted to chemistry and mineralogy, with many contributions by leading authors like Wallerius, Cronstedt and Georg Brandt, and with several articles markedly up-to-date.

“I translate almost all these texts freely”

16 At about the same time, in the first half of the 1760s, we can see another French- Swedish intermediary appear, Louis-Félix Guinement de Kéralio, officer by profession and lecturer at the École militaire, characterized by Jean Sgard as filled with a bienveillance universelle typical for his epoch (“si courante en son temps”) but, surprisingly enough for a Frenchman, “steadily fixed at Sweden”.22 Whatever the reasons, Kéralio learned to read and (decently) write Swedish, made acquaintances with academics and publishers and began to call on the Swedish Embassy, although Wargentin’s agent Baër saw him as a rival and repeatedly belittled his person and his knowledge of Swedish. In February 1763, Baër sent a new book to Wargentin, Kéralio’s Collection de différens morceaux sur l’histoire naturelle & civile des pays du Nord […], sourly remarking that he did not value it very much, but that the Ambassador, the Count Ulrik Scheffer, had commissioned him to deliver it.23 A few years later, responding to Wargentin’s wish for an opinion on Kéralio’s person, Baër remarked that he had got his merits cheaply (“à peu de frais”), adding: “entre nous soit dit, c’est un sujet très mince”.24

17 His Collection is no compilation of the same kind as the Holbach–Roux Recueil, but a mixture of texts from many different areas of knowledge, evidently published in the hope that it would gain him a footing in distinguished circles in Sweden.25 Addressing Wargentin (February 1763), he talked flatteringly of the Stockholm Academy, stating that the penchant for the useful and the true, which was its distinctive feature, was every day propagating itself also in France (“le goût de l’utile et du vrai qui en fait le caractère, se répand tous les jours en France”26). His collection is clearly composed in order to give French readers an impressive picture of the Nordic countries, and mainly Sweden, its history and culture, and, from this point of view, it is not very astonishing to meet, in his foreword, an interpretation policy in drastic contrast to the attitudes of translators like Kästner, Crüger or Holbach-Roux, and much more in accordance with the French tradition of “beautiful infidelity”: “I translate almost all these texts freely: sometimes I add something, often I cut something out. I devote myself uniquely to useful things, and I try to present them in an agreeable manner, without troubling myself too much with that of my authors”.27

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18 In 1772, Kéralio re-entered the arena with another collection, Mémoires de l’Académie Royale des Sciences de Stockholm […], a sturdy volume of 544 pages in the Panckoucke series Collection académique, very comprehensive with about four hundred articles, but edited in a singular , all items being presented only as rather short abstracts or “abrégés” and arranged in a thematical way that makes it difficult (maybe even impossible) to see in what order they were originally published in Handlingar.28 Here, too, Kéralio took the liberty of selecting what he judged applicable or not applicable in a French setting, formulating his principles with supreme abandon and in words that no doubt could have provoked an animated debate with A. G. Kästner, had an opportunity been given—it is easy to see the ideological abyss between the utilitarian rationalist and the unprejudiced cultural explorer (although it should be noted, as well, that Kéralio was fully aware of Kästner’s edition and made a reference to it in his Avertissement). Notwithstanding the richness of the articles in Handlingar, Kéralio said, it was impossible to make them interesting and useful in France without shortening them, and all those experiences, descriptions, etc. that were peculiar to Sweden, “et inutiles ailleurs”, had been omitted, together with things that were not especially new or contained too many “répétitions, exposés, frases [sic], détails inutiles”. All that was new and important for the common benefit had, on the contrary, been carefully accounted for, he stated.29

19 “I want to promote your views on well-doing and humanity by contributing to spread them in all the rest of Europe. My wish has been to make myself useful […] with the help of your precious products”, Kéralio poured out his compliments when paying his respects to Wargentin.30 Not much later, the reward came: in early 1774 he was elected corresponding member of the Royal Swedish Academy of Sciences.31

Journal des Savants: from simple indexes to real extraits

20 At this point, it is time to return to the industrious Baër, who from 1769 succeeded in getting some footing in Journal des Savants. What the journal, now with his assistance, began to publish was only a rolling index of the article titles and authors in Handlingar; it meant, nevertheless, that more light was shed upon the Swedish proceedings than before, and all the years 1766–1774 were duly notified and every item registered. It was also underlined that the editors had wanted, for some time, to give the readers some real extraits from Handlingar, but, as they were written in a language “almost unknown in all the rest of Europe”, it could, so far, be no more than a simple title index—a hint, probably, of the difficulties in finding a competent translator.32

21 In January 1779, however, the journal began to present more ample reviews of Handlingar, and these reviews were to continue for the next decade, representing a coverage that, in quantity and regularity, surpassed what was devoted to other comparable publications. At last, the editors had found someone willing to learn Swedish well enough, a certain abbé Vasseur, whose work was bestowed with much open praise from his editors—a very rare paratextual element in the otherwise impersonal and formal Journal des Savants. No less than four times in 1779 and 1780 he was explicitly honoured for having had the “courage and intellectual ambition” (“le

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courage & l’émulation”) to learn Swedish and make himself capable of enriching the contents of the journal.33

22 Even if this coverage was much more intensive than before, it was at the same time more patchy. It took up many pages in Journal des Savants for a decade; nevertheless, only five years of Handlingar were reviewed in full, namely 1774–1776 and 1780–1781, in all about one hundred and fifty reviews of the same number of articles. The pioneering Vasseur continued his work until the beginning of 1785, with some help of Baër and the versatile astronomer (among other things) Jérôme de Lalande, who also must have been tolerably capable of reading Swedish. Then charge was taken by none less than Kéralio, who, from this time onwards, seems to have stepped in as one of the editors of Journal des Savants, at least as one of its regular writers.

Journal de Physique and the Dijon translators

23 It goes without saying that this policy change and the appearance in 1779 of a Swedish- reading reviewer did not come by pure chance. There was a similar tendency also in other parts of French academic circles during the last half of the 1770s and the first years of the 1780s, in particular due to the fact that Swedish chemists had begun to be internationally observed, in line with the already well-known mineralogists; Patrice Bret significantly speaks about “[la] brusque importance de la chimie et de la minéralogie suédoise”.34 Bret underlines the all-European scope of this influence, but here are a few French examples: the first volume of Torbern Bergman’s Latin Opuscula, which was translated to French and published by Louis-Bernard Guyton de Morveau in 1780, and in the next year Carl Wilhelm Scheele’s treatise on “air and fire”, in a translation from the German by Philippe-Frédéric de Dietrich, Traité chimique de l’air et du feu (1781).35

24 The most important French vehicle for this breakthrough was, however, the influential Journal de Physique (or Observations sur la Physique, sur l’Histoire Naturelle et sur les Arts). Its editor since 1771, the abbé Rozier, seems to have made contact with Wargentin already in 1772 or 1773, and a few translations of Torbern Bergman and others were published in the next years, upon which followed, in the 1780s, the remarkable period of the Dijon group of translators headed by Guyton de Morveau. He had begun a regular correspondence with Bergman and was aware that the abbé Mongez, now the chief editor of Journal de Physique, was looking for a regular Swedish translator.

25 The immensely active Guyton group in Dijon eventually included five or six members capable of translating from Swedish, the most active of them all being Claudine Picardet, Guyton’s assistant, friend, and later wife. During the 1780s and the first years of the 1790s, this group had some thirty-five Swedish articles published in Journal de Physique, most of them taken from Handlingar and reflecting the work of more than a dozen authors, starring first and foremost Carl Wilhelm Scheele. One could talk about a certain suecomania or perhaps more precisely Scheelemania in Dijon, reaching its peak in 1785, when twenty-one of Scheele’s articles were published in a separate collection, Mémoires de Chymie, some of which had been published before in Journal de Physique, others in Lorenz von Crell’s German Chemische Annalen, and most of them translated by the outstanding Claudine Picardet.36

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The realities of a reviewer

26 It is clear, then, that there was, from around 1780 and for several consecutive years, a considerable influx of Swedish natural sciences in French scholarly publications, most conspicuously manifested in the Dijon translations and—beside this—the introduction of regular reviews of Handlingar in Journal des Savants.

27 As to the two reviewers mainly in charge here (Lalande being hors concours), neither Vasseur nor Kéralio can be associated with any special expertise in any branch of natural history, this said with some reservation for the elusive Vasseur, who might have had some knowledge in chemistry.37 His successor, Kéralio, had, as we have seen, engaged himself in diverse branches of authorship, although mostly in compiling and translating. As reviewers in Journal des Savants, both of them had to primarily adopt the role of the versatile, generally educated intermediary, capable of writing on many different things in conformity with the universal character of their periodical platform (where there was, during the second half of the 18th century, considerably more room for the natural sciences than before).

28 We know that the final decades of the 18th century saw an increasing specialization and professionalization in the learned world as a whole, and consequently in the learned public sphere as well. Patrice Bret has analysed what this meant for a traditional publication like Journal des Savants, judging it rather critically. This periodical pursued, perhaps too long or in vain, its routine policy of giving extraits of scholarly works, often no more than translations of the summaries, and short, anonymous “Nouvelles littéraires”. What it could have done, Bret says, is either to have increased its rhythm of publication, thus becoming a weekly and assuming a role as a real news organ for the learned world, or—if continuing as a monthly—to have given room for “un contenu de plus en plus spécialisé dans lequel la médiation du journal respecte le texte original”, thus becoming a journal for real translations.38 Its editors did not have, however, either the penchant or the means “de rivaliser avec la réactivité du groupe dijonnais et la spécialisation scientifique du Journal de physique”.39

29 As regards this “réactivité”, or alertness, one can add that at least some savants became slightly annoyed by this rush for fresh experiences. In February 1786, Johan Carl Wilcke, the then Secretary of the Swedish Academy of Sciences, told Scheele that “they [the Dijon translators] would like to get access to the originals before they are printed here, but that won’t do; it is too much to expect that, if the author himself does not allow it”. To get one’s papers printed in Handlingar, as the first step, was—according to Wilcke—“the best way of promulgating what you have to say”. And Scheele replied, a few months before his death, that Lorenz von Crell, the German chemist and publisher, would also like to have “news in chemistry before they have been printed here—but he will not have them”.40

30 On the other hand nothing indicates that the learned community in general should not have been interested in gaining publicity for their findings without unnecessary delay. In that respect, Journal des Savants could not claim to be the most alert of the period’s media, and its coverage of Handlingar is a symptomatic example. Already from the start in 1779, it was suffering from a considerable lag, resulting in a permanent delay of four years or more between the Swedish originals and the reviews in Journal des Savants. Thus, Vasseur several times abstained from reviewing an article because it had already appeared in full in Journal de physique (as was the case with some

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of Scheele’s contributions).41 And when, in February 1786, Lalande gave a review in Journal des Savants of Scheele’s Mémoires de Chymie and told the reader that it contained twenty-seven articles, he highlighted a collection that gave a fresher impression of Scheele’s research than the continuous reviews in his own journal. The 1785 volume of Mémoires de Chymie held articles as recent as from 1783, whereas the Savants reviews in 1785 and 1786 were still labouring with the years 1780 and 1781 of Nya Handlingar (that was the title from 1780).

Kéralio: a more active assessment

31 By that time, Kéralio had made his entrance as the regular reviewer, only to furthermore expand the time difference between the original and the extrait. Whatever the reason was, he did not manage to review any year of Handlingar later than 1781, and it was not until 1789 that his last review of the Swedish publication could be seen in print, with a lag of no less than eight years—something absurd from a journalistic point of view, especially in comparison with the standards that had begun to be set in the distribution of learned texts and news items.

32 There might have been external reasons—among other things, the fact that Kéralio was in these years partaking in another project of publishing, as one of the editors of Panckoucke’s Encyclopédie méthodique. But it is also possible to see his work in Journal des Savants as—in some respects—an attempt at adjusting to what was going on in the learned public sphere in general, and in Journal de Physique in particular. Looking at how he set about his reviewing, one definitely gets the impression that he tried to make something more of the task than merely saying a few words about each and every item in the original. That each and every item should be mentioned had become the rule, and Kéralio duly covered all the forty or so articles presented in the 1781 issue of Nya Handlingar. One can also see in his work an ambition to assess and review the originals more actively, and to emphasize what he found particularly valuable. Consequently his reviews differ considerably in volume and in proportion to the originals.

33 That also means that a number of his reviews became something of their own, something that I would like to call adaptations of the originals. To begin with, they bear witness about a diligent and painstaking work, albeit with selected originals; there were several articles that Kéralio could brush away with a few words, but if the author was a Bergman, a Scheele or a Wilcke, or if the subject matter was especially relevant for him, the presentation was executed at length and with much accuracy.

34 In such cases, the review became a hybrid or mixture of summarizing, abstracting, and paraphrasing elements, alternating with streaks of pure translation. Concerning their volume, they were often stretched to comprise two thirds or more of the originals. At the same time they preserved certain significant rhetoric or paratextual elements reminding the reader of the fact that “this is, at least formally, a review”; the most conspicuous one being the necessary replacement of all first-person forms with the third-person or one passive form or another.

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A practice of adjusting and adapting

35 I have not examined all of Kéralio’s reviews equally carefully, but I have made controls of a dozen or so articles where his adaptation amounts, in number of words, to between sixty and seventy-five per cent of the original, and of two articles that constitute complete translations. In the adaptations, the writer uses a variety of techniques in style and construction of the article, in some cases “simply” shortening the original without fundamentally changing its character. This is always easier done when the original has more or less the structure of a narrative, as in the following example, where Kéralio deftly boils down Samuel Ödmann’s description of the black guillemot (Cepphus grylle), taking “redundant” elements away (here marked in bold) and typically adjusting the author’s grammatical person to his own medium:42

Kéralio

Ödmann (from the Swedish) L’Uria est un oiseau du Nord : on le trouve en grand nombre au Spitsberg, The black guillemot is a Northern bird, most numerous at au Groenland, en Islande, dans la Spitsbergen, Iceland, and Groenland, but it can also be partie méridionale de la Baltique, & seen in the southern part of the Baltic and on the coasts of sur les côtes d’Ecosse & d’Angleterre. Scotland and England. […] The guillemot lives in colonies ; [...] L’Uria va par bandes de quinze à twelve to twenty couples share each mountain cleft. I vingt. Il pond ses oeufs sur le rocher have never found more than two eggs in their nests ; nud dans quelque enfoncement qui they lay them without any bedding on the rock, puisse les mettre en sûreté ; on n’en preferably in a small crevice that gives some protection. trouve jamais que deux ensemble. Ils The eggs are the same size as hens’ eggs ; the female is sont de couleur grise & ont des much smaller than a hen. Their colour is light grey with grandes taches noires. M. Odman n’en black spots, similar to ink that has been spilled out. a jamais vu dans le sable comme M. These spots are more coherent at the thicker end of Pontoppidan dit qu’on en trouve en the egg. I have never seen them laying their eggs ashore, Norwege. [...] Cet oiseau vient à terre as Mr. PONTOPPIDAN indicates as their habit in Norway. […] le printems, dès que les glaces ne In spring, the bird goes ashore, as soon as the ice permits l’empêchent plus, mais il ne it, but does not haste with the egg-laying. On June 13, this commence pas sitôt sa ponte. On en year, most eggs were quite fresh-laid, and I have seen trouve des oeufs tout frais vers le 13 eggs, taken on June 22, on which the mother had brooded Juin, & on en a vu le 22 du même mois no more than six days. plusieurs nids que les mères avoient à peine couvé six jours.

36 In other cases, where the original has a more elaborated or complicated structure, and/ or can be judged as not easily accessible for non-specialists or a more general audience, Kéralio presents a more resolutely (re)arranged and (re)structured version of the original. This he does by adding a short explanatory introduction of his own, already summarising, in the beginning of the review, the findings that will be presented; then by concentrating, or simply omitting, or, if possible, literally translating various parts of the original, thus creating a hybrid of abstract, review, and translation. Thus in his version of a bulky Wilcke article in the field of thermodynamics, “Essai sur la quantité spécifique du feu […]”, Kéralio initially takes pains to explain the problem put forward, then translates large parts of the original, with much specific terminology but also with

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omissions of some tables and numerical data, and finally sums up and simplifies Wilcke’s lengthy discussion in the end.43

37 Equally representative is his rendering of another article of Wilcke’s, “Expériences sur l’élasticité & la répartition de la chaleur [...]”, where he uses a similar technique of compressing, explaining, taking short-cuts, and partially translating, constantly—as in the previous example—in the role of the impartial recapitulator: “Ces expériences lui ont fait conclure…”; “M. Wilcke examine ensuite les opinions des Physiciens…”; “Il est evident, dit-il…”, “M. Wilcke applique ensuite la théorie aux météores qu’on observe dans l’atmosphère terrestre…”; etc.44 Objectivating and “foreignizing” phrases like these were, to be sure, typical for the whole genre of abstracts or extraits in the learned journals; what makes Kéralio’s versions special is how extensive they are, compared to the originals, and the substantial elements of pure translation.45

38 The two texts that Kéralio gave in versions that can be seen as translations in a regular sense were by Scheele and Bergman respectively, namely Scheele’s ”Des parties constituantes du tungsten” (Journal des Savants, June 1786, with a commentary by Bergman) and Bergman’s “Étain de Sibérie métallisé avec le soufre” (July 1789)46. In these versions, there are no reconstructions of the texts, short-cuts or similar changes; the originals are given in full and in roughly the same number of words. Even here, however, we meet the rhetoric marks that indicate their place in a reviewing journal. “I have not been able to get hold of more than a small amount of this rare product of the reign of minerals”, Bergman wrote–in his original – of the “Siberian tin”. Kéralio, in his role as the faithful translator who had, nevertheless, to yield to the mode of his medium, duly announced that “M. Bergman, n’ayant eu qu’une très petite quantité de cette rare production du règne mineral, n’a pu determiner […]” (“Mr Bergman, having acquired only a very small amount of this rare product of the mineral reign, could not determine [...]”).47

39 A little intriguing fact is that both articles that Kéralio thus translated in full had also been translated by Claudine Picardet and made public in Journal de physique a few years earlier (February 1783 and May 1783, respectively). The Scheele article, in the Picardet version headlined “Mémoire sur les parties constituantes de la Tungstène, ou Pierre pesante”, had also been reprinted in the above-mentioned collection Mémoires de Chymie in 1785.48 This did not restrain Kéralio from presenting versions of his own, as true to the originals as those given by Picardet and in some respects even more literal, because Kéralio stuck to the same Latin terms for some elements as the Swedish authors, whereas Picardet throughout made use of French equivalences (e.g., in the Scheele article, acéte barotique for terra ponderosa acetata, muriate d’étain for stannum salitum, etc.).49 This is, one can presuppose, in line with the fact that she was, together with Guyton, actively working for the development and renovation of the chemical vocabulary.50

40 The Kéralio translations came late compared to the Picardet versions, but they nevertheless speak of a certain ambition, maybe also of a desire to take up a little competition with the Dijon group. With his above-mentioned substantial adaptation of Wilcke’s “Essai” on the specific quantity of heat in solid bodies, he also managed to get closer in time, as the text in Journal des Savants (August 1785) came only a few months after the translation by Grossart de Virly in Journal de physique.51 Kéralio’s predecessor, Vasseur, had—as we have seen—deliberately abstained from reviewing some articles that had before been translated in Journal de Physique; Kéralio did not do it the same

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way. Now, at last, and in contrast to his attitudes in the early, above-mentioned separate collections, it seems to have been a real incentive for him to stand out as one of the “real” translators, in spite of the delays and stylistic adjustments that were imposed upon him by the conditions of his medium.

Some questions of style

41 The most conspicuous of these medium-dependent adjustments is, as has already been pointed out, the necessary conversions, in both adaptations and translations, of all first-person forms, which had to be replaced with the third person (including the impersonal “on” used as synonymous with “je” or “nous”) or suppressed-person passives. Through this, the text was certainly to some extent ”foreignized”, but not necessarily transformed as to its structure and overall mode of presentation. Changes of this latter kind were, however, inevitable in what here is called adaptations, the most typical ones being Kéralio’s thoroughly re-arranged versions that could, in volume, come close to the originals.

42 This becomes particularly noticeable in adaptations of those articles that can, with some reason, be compared to what has been called the “English” scientific style, a style that—roughly defined—continued all through the 18th century a tradition that had its roots in Philosophical Transactions and that was characterized—it has been said—by “the persistence of narrative and epistolary conventions, the continued presence of the explicitly personal and social […], and a continued tolerance for emotional expression”. 52 In Handlingar there were, and had “always” been, a considerable number of narrative, often broadly descriptive, common sense-tuned articles in much the same tradition, a style that seemingly did not suit Kéralio’s preferences very well. A good example is his adaptation of the ornithologist Pehr Gustaf Tengmalm’s “Notes on the Red-backed Shrike, a little Bird of Prey” (Journal des Savants, June 1786), a very lively and colourful narrative that often exposes the researcher’s physical presence and emotions (“My astonishment was beyond description, when I…”; “Many times I have had the birds in my clothes, when examining their nests”, etc.).53 As for Kéralio, he both here and in other similar cases gave a version that was not only inevitably abridged, but also more colourless, neutral in tone, and impersonal, with almost no traces of the original’s very palpable author. Kéralio had good practical reasons for being more concise, but it does not seem too far-fetched to talk as well about an inclination towards a more polished or “correct” style and a classicist bienséance.

43 Of the authors here primarily in question, there was one, namely Scheele, in whose texts the researcher’s physical person is often clearly perceptible, although in its own peculiar way. Many of his articles are rather linear narratives of experimental procedures, which was not unusual in contemporary scientific presentations, but Scheele’s persona as a writer is often a very plain, straight-forward and almost naïve one, distinguished not least by an abundant use of the first person: ”I found that I had to check what M. Baume says about silicon…”; ”Therefore I took an ounce of…”; ”Then I dissolved this substance…”; ”Now I began to wonder whether…”; ”Therefore I mixed the dried silicon…”; ”I repeated this attempt seven times…”, etc.54

44 This predilection had its exceptions, however, and in the above-mentioned article that was translated by both Picardet and Kéralio the experimental procedure is, for a change, almost entirely depicted in the passive (”A little amount of tungsten was grated

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and mixed with…”, etc.). What mode of presentation did his two French interpreters prefer? The answer is that both opted to replace nearly all of the passive forms with active ones. Kéralio, who had to stick to the third-person, at first introduced the reader to “M. Scheele” and “ce savant chymiste”, then consistently used “on” (synonymous with “il”). The tendency is the same in Picardet: more than twenty times she changed Scheele’s passives to “je”, a few times “on”, and sometimes created passages where the first-person forms literally stumbled upon each other, in contrast to the passives of the original:55

Picardet Scheele (from the Swedish) Quand l’acide de la tungstène est calciné dans When the acid of tungsten is burnt in a crucible, it un creuset, il perd la propriété de se dissoudre loses the quality of being dissolvable in water. That dans l’eau. La couleur bleue qu’il prend avec the acid has a disposition to absorb the phlogiston les flux vitreux prouve qu’il est disposé à can be seen from the blue colour, which it displays attirer le phlogistique. En conséquence, je in a vitreous flux [produced by a blowpipe]. For mêlai l’acide sec avec un peu d’huile de lin, & this reason, the dry acid was mixed with a little je l’exposai à un feu violent dans un creuset linseed oil, and put in a closed crucible in a strong luté. Après le refroidissement, l’acide se fire. After cooling, the acid was found to be black, trouva noir, mais du reste n’étoit pas changé. but otherwise unchanged. Also one part of dry acid Je mêlai pareillement une partie d’acide sec was mixed with two parts sulphur, and distilled ; avec deux parties de soufre, & je distillai. Je the sediment was again mixed with two parts of mêlai au résidu deux autres parties de soufre, sulphur, and [again] distilled ; then the acid took a qui fut de même sublimé : l’acide se trouva grey colour, but was otherwise unchanged. alors de couleur grise ; mais au surplus, il n’avait éprouvé aucun changement.

45 Bergman, in his article on “Siberian tin” that was also translated by both Kéralio and Picardet, alternates between passive forms (mostly) and the first person, which he uses seven times. Also in his case, both Picardet and Kéralio chose to even more accentuate the researcher’s person and actions, both of them doubling the number of personal pronouns (“je”, “il/on”). The following excerpts are intended to give at least some idea of how the original and the two French renderings, respectively, vary in their use of active and passive forms:56

Bergman (from the Swedish) Among some minerals that I have recently received from Russia, it was found in a little capsule a few small pieces that at first sight so much resembled our artificial aurum mosaicum that I, in the beginning, thought that it was artificially made. Through a closer examination, however, it was made clear that the substance in question sat as a crust around a metallic, white nucleus […], which, when it was gratted with a knife, was found to be quite porous and gave a black powder. These qualities, together with a white, volatile calcium that appeared when the substance was tried in fire, have no doubt given cause for defining the nucleus as antimony, which was written in a note that was enclosed. […] The experiments, which will now be presented, prove clearly enough that there does not exist any antimony, but that both the nucleus and its crust contain only tin and sulphur, and a tinge of copper.

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Picardet Kéralio Dans une collection de minéraux que je reçus dernièrement de Rissland [ !], il se trouva dans Parmi des minéraux qu’il avoit reçus de Russie, il une boîte quelques petits morceaux, qui, au trouva quelques morceaux ressemblans à l’or premier coup-d’oeil, ressembloient à l’or mosaïque artificiel, et les prit d’abord pour un mussif, au point que je crus d’abord qu’ils produit de l’art ; mais, en les considérant avec étoient faits par art : Mais après un examen plus d’attention, il trouva que cette substance plus approfondi, je vis que cette matière étoit étoit composé d’une écorce, et d’un noyau ayant comme une croûte autour d’un noyau [...], l’éclat métallique [...], qui gratté avec un canif ressemblant à un métal blanc, qui, après avoir étoit friable, et donnoit une poudre noire. Ces été entamé au couteau, étoit une couleur tout- circonstances, jointes á celle d’une chaux blanche à-fait changeante, et qui donna une poudre volatile que l’action du feu faisoit élever, avoient noire. Ces circonstances, jointes à une chaux sans doute induit ceux qui envoyoient ces blanche volatile, avoient sans doute fait penser morceaux, à les prendre pour de l’antimoine, et à que c’étoit de l’antimoine ; et en effet, leur donner ce nom sur l’étiquette. [...] Les l’étiquette en portoit le nom. [...] Les épreuves auxquelles il fut soumis aussi-tôt expériences que je vais rapporter, démontrent prouvent suffisamment qu’il ne contient point suffisamment qu’il n’y a point ici d’antimoine ; d’antimoine et qu’il n’y a dans l’écorce et le noyau mais que le noyau et la croûte qui l’entoure que de l’étain et du soufre avec une légère portion tiennent seulement de l’étain et du soufre, et de cuivre. un peu de cuivre.

46 The examples given so far cannot be used for any far-reaching conclusions, but as they all show a tendency in Picardet towards favouring the first-person, and with it a more active and perceptible role in the text for the author/scientist, one begins to wonder (to use the words of Scheele) if this might be, in her case, part of a recurrent stylistic pattern. Obviously, it is here impossible to pursue an analysis of all the one hundred and twenty-one translations from different languages that she had published in Journal de Physique in the years 1782–1787, but we can, for the sake of simplicity, focus on her work with Scheele, definitely one of her main objects, and widen the analysis to all her translations from Scheele’s Swedish originals.57

47 We then find that in this corpus of seventeen articles (about 140 pages in the original prints), the first-person forms have a much more predominant position in Picardet’s translations than in Scheele’s originals.58 As already remarked, the latter often chose to write in the first-person, but his French interpreter quite regularly reinforces this stylistic streak, thereby strongly accentuating the researcher’s personal presence and physical activity in the procedures described. Of the seventeen articles, there are thirteen in which Picardet’s first-person forms outnumber Scheele’s, in some cases hugely, and only one where the situation is the reverse. As regards the overall proportions, Picardet does not quite double the number of Scheele’s first-person forms, but the ratio is high (about 5:3), and there are many individual passages that can be added to the previous examples, likewise giving proof of a consistent stylistic tendency: 59

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Scheele (from the Swedish) Now the procedure was reversed : I Picardet mixed a little iron sulphate with the lye of Je répétai ces experiences d’une autre manière : je blood, which then became yellow, and mêlai un peu de vitriol de fer à la lessive de sang, qui poured some of the mixture in a flask that alors devint jaune, et je versai une portion du was filled with acid air [carbonic acid]. mêlange dans un ballon que j’avois précédemment The next day, it was poured into a rempli d’acide méphitique. Le lendemain je versai solution of iron sulphate, then the lye was cette liqueur dans une dissolution de vitriol de fer ; j’y saturated with acid in superabundance, ajoutai de l’acide par surabondance, et j’obtins de and then I got a considerable amount of cette manière une grande quantité de Bleu de Prusse. Prussian blue. Into the same lye, in which I Dans la même lessive de sang, dans laquelle j’avois had dissoluted a little iron sulphate, some dissous un peu de vitriol de fer, je mêlai d’autres more of other acids was poured than what acides en plus grande quantité qu’il n’étoit nécessaire was needed for saturation, upon which a pour la saturation, et ayant ajouté de la dissolution de solution of sulphate was added, and then I vitriol, il se forma sur-le-champ du Bleu de Prusse. instantly got Prussian blue.

A contextual conclusion

48 The examples that have been brought forward here and subjected to a very simple analysis are few, but even so the material seems to convey some not-too-insignificant information on late 18th century scientific writing and of how it could vary in practice. Also, in general, the comparative analysis of texts contributing to cultural transfers through translations, adaptations, and the like, is of interest as it not only brings into focus the complicated question of conveying “meaning”, but also throws light upon stylistic norms that may differ from one social and cultural context to another.

49 Thus, the micro-analysis carried out here seems to uncover a certain stylistic disposition that is more characteristic for the translations than for the originals, namely Picardet’s (in particular) ambition to more strongly mark the author/scientist’s personal presence in his experimental reports. The material is limited, but so far the figures are unequivocal, and perhaps we can also give them a place in a larger context, namely by throwing some light upon them with the help of a relevant historical survey, Communicating Science: The Scientific Article from the 17th Century to the Present (2002), by Alan G. Gross, Joseph E. Harmon, and Michael Reidy. In this broad study, the authors have examined the major trends in 18th century scientific prose, finding among other things clearly observable “[shifts] from the scientist to his science, and from subjective to objective prose”, supported “by the rise in suppressed-person passives and the decrease in personal pronouns and names, subject pronouns and names”.60 These changes, they pursue, were more pronounced in the French scientific culture than in the English or German ones, because of a higher degree in France of specialization and professionalization.61

50 On the other hand—as has already been mentioned—there was, all through the century, what Gross, Harmon, and Reidy describe as a “persistence of epistolary and narrative forms, and [a] continued intrusion of the personal”; and even if this is more valid for the English material than for the French, it can with some reason be applied also upon the latter one.62 It is not difficult, one can add, to find texts in Journal de Physique by

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authors and translators other than Picardet that can be compared to hers as regards an active, first-person-tuned way of communicating science, even texts that—a little more surprisingly—indicate what the researchers in question call the “continued tolerance for emotional expression”, manifested for example in an open-hearted letter (1785) from an enthusiastic entomologist: “I love the larvae of the quince butterflies […]; they are delightful to look upon, and they have given me many curious observations”.63

51 Nevertheless, the bulk of data collected and presented in detailed tables by Gross, Harmon, and Reidy undisputably show that both the emotional nuances and the stylistic features that we are here in particular looking for, or “Personal pronouns/ names”, were on the whole considerably less conspicuous in the French texts than in the English and German ones, and also that, correspondingly, the French texts had the largest amount of “suppressed-person passives”64.

52 With this larger context in mind, it is even more interesting to reflect upon the work of Claudine Picardet and her predilection for a more personal and active narrative mode than what was–often enough–found in the originals. In this, at least, we see an interpreter with something of a profile of her own, perceptible straight through many highly qualified tasks. It is true, though, that the limited material here taken into consideration does not allow us to stretch this judgment into calling her atypical or deeply original; nor do we know what it meant for her as an individual contributor that the Dijon “bureau de traduction” was always, to a degree, a collective enterprise, where the translations were, as Patrice Bret puts it, “examined and validated under Morveau’s expert supervision”.65 Judging solely from the manifest results of her work, it seems nevertheless possible to regard her as an unconventional and purposeful representative of her metier, the craft of scientific translation as it was practised in the cultural environment to which she belonged.

NOTES

1. Sten LINDROTH, Kungl. Svenska Vetenskapsakademiens historia 1739–1818, I:1, Stockholm–Uppsala, 1967, p. 127–128; Ingemar OSCARSSON, ”Hyperborean Transactions: A Survey of Swedish Learned Periodicals in the 18th Century“, in Archives internationales d’histoire des sciences, vol. 63/2013, Turnhout, Brepols, 2013, p. 110–114. 2. LINDROTH, op. cit., p. 112 (quoting Mårten TRIEWALD). 3. The quotation in the article title: in Journal des Savants (May 1779, p. 300), one of its translators from - Swedish, the abbé Vasseur, is praised for his “courage & emulation d’apprendre le suédois”. 4. A. G. KÄSTNER, ” Vorrede zur deutschen Uebersetzung” (unpag.), in Der Königl. Schwedischen Akademie der Wissenschaften Abhandlungen aus der Naturlehre, Haushaltungskunst und Mechanik, I, Hamburg–Leipzig, G. C. Grund & A. H. Holle, 1749. 5. Holger BÖNING and Emmy MOEPPS, Hamburg. Kommentierte Bibliographie der Zeitungen, Zeitschriften, Intelligenzblätter, Kalender und Almanache sowie biographische Hinweise zu Herausgebern, Verlegern under Druckern periodischer Schriften. Von den Anfängen bis 1765, in Holger BÖNING, Deutsche Presse.

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Biobibliographische Handbucher zur Geschichte der deutschsprachigen periodischen Presse von den Anfängen bis 1815, I:1, Stuttgart–Bad Cannstatt, Frommann–Holzboog, 1996, column 559. 6. A general account of the translations, foreign reviews, etc. of Handlingar and other publications of the Academy during the 18th century is given by Arne HOLMBERG in Kungl. Vetenskapsakademiens äldre skrifter i utländska översättningar och referat, Uppsala– Stockholm, 1939, p. 1–74. It should be observed that I am talking only about Handlingar. As to other branches of Swedish scientific literature in the same epoch, there would be much more to account for; a few examples are given in the article.

7. Andreas ÖNNERFORS, “Translating discourses of the Enlightenment: transcultural language skills and cross-references in Swedish and German eighteenth-century learned journals”, in Stefanie Stockhorst (ed.), Cultural Transfer through Translation: The Circulation of Enlightened Thought in Europe by Means of Translation, Amsterdam–New York, Rodopi, 2010, p. 209–229; HOLMBERG, op. cit., p. 7.

8. HOLMBERG, op. cit., p. 20–21. This translation was published by J. F. Pelt in Copenhagen from 1757 to 1765, in eight volumes under the title Det kongelige svenske Videnskabers Academies oeconomiske, physiske og mechaniske Afhandlinger. The translator was a physician, Johan Pauli or Paulli.

9. HOLMBERG, op. cit., p. 29–31 The extensive Leiden translation was made by Jan Bernard Sandifort, Doctor of Medicine in The Hague. 10. Crüger’s name appears only in a rare variant edition of the Analecta,, preserved in the Biblioteca Nazionale Centrale di Firenze (HOLMBERG, op. cit., p. 32, footnote). 11. HOLMBERG, op. cit., p. 6–7. Kästner even at first mistook Holzbecher for being a Swede (also a hint, perhaps, that the project was not originally his). 12. HOLMBERG, op. cit., p. 7, 42–43. It is significant, in its own way, that the German Wikipedia article on Kästner does not mention his version of Handlingar: http://de.wikipedia.org/wiki/ Abraham_Gotthelf_K%C3%A4stner 13. “Lehren, die wir unter unsern Landesleuten ausbreiten wollen, werden am besten in der ihnen bekannten Sprache vorgetragen. Glauben andere Völker, daraus Vortheil zu schöpfen, so sind ihnen die beyden Arten bekannt, wie sie solches theilhaftig werden können. Die Uebersetzung, der bequemste Weg, erfordert nur, dass man sich auf die Geschicklichkeit und Treue ihres Verfertigers verlassen darf“ (“Vorrede zur deutschen Uebersetzung“, Abhandlungen etc., Hamburg–Leipzig 1749, unpag.).

14. Stefanie STOCKHORST, “Introduction. Cultural transfer through translation: a current perspective in Enlightenment studies”, in Stockhorst (ed.), op. cit., p. 11 (where the reasoning, it is true, primarily concerns the belles-lettres). 15. Baër’s work as a commissioner for the Academy is reflected in detail in his letters to Wargentin, in Collection Wargentin, E I:11, The Royal Swedish Academy of Sciences (KVA), Stockholm. About Clairaut’s understanding of Swedish: BAËR to Wargentin, 16 May 1760 (Coll. Wargentin, KVA). 16. Bibliothèque raisonnée etc. t. 38:1, 38:2, 39:1, 41:1; HOLMBERG, op. cit., p. 23. 17. “Mr. Polheim n’a pas dédaigné de donner part au Public d’une invention pour tirer du tonneau une quantité de vin sans descendre dans la cave” (Bibl. raisonnée etc., 38 :2 [April–June 1747], p. 65). On Haller as a contributor to the Bibliothèque raisonnée, see Dictionnaire des journaux 1600–1789, revised version at http://dictionnaire- journaux.gazettes18e.fr/journal/0169-bibliotheque-raisonnee (2017-10-04). There are also textual details that point to Haller as the reviewer, e.g. personal recollections of the Clausthal mines, close to Göttingen where Haller resided.

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18. HOLMBERG, op. cit., p. 23–25. The 1765 translations in Journal œconomique (of articles as old as from 1751): p. 133–140, 173–178, 223–229, 279, 423–424. HOLMBERG, op. cit., p. 24, erratically names them as mere reviews. 19. [Paul-Henri D’HOLBACH and Augustin ROUX], Recueil des mémoires les plus intéressans de chymie et d'histoire naturelle contenus dans les Actes de l'Académie d'Upsal et dans les Mémoires de l'Académie de Stockolm [sic], publiés depuis 1720 jusqu'en 1760. Traduits du Latin & de l’Allemand, I–II, Paris, Didot Le Jeune, 1764. No examination has been made of what German texts d’Holbach-Roux might have used; given what complete German versions there existed up to 1764, it is beyond doubt that Kästner was the “original”. 20. [HOLBACH-ROUX ], Recueil etc., I, “Avertissement du traducteur” [sic], p. VII.

21. A. F. CRONSTEDT, Essai d’une nouvelle minéralogie, traduit du suédois et de l’allemand de M. Wiedman [Gregers Wiedmann], Paris, Didot Le Jeune, 1771. In Hjalmar FORS, Mutual Favours : The Social and Scientific Practice of Eighteenth-Century Swedish Chemistry, Uppsala 2003, p. 72, it is remarked that Wallerius had been considered by some as “old-fashioned”, but that he was nevertheless translated by the radical d’Holbach. 22. Jean SGARD, “Louis Félix Guynement de Kéralio : traducteur, académicien, journaliste, intermédiaire”, Dix-huitième siècle, 1/2008 (no. 40), p. 43. 23. BAËR to Wargentin 18 February 1763 (Coll. Wargentin, KVA). 24. BAËR to Wargentin, undated (Coll. Wargentin, KVA). According to a later note on the letter, it may have been written in 1778 but is most likely considerably older than that. 25. [L.-F. GUINEMENT DE KÉRALIO], Collection de différens morceaux sur l’histoire naturelle & civile des pays du Nord, sur l’histoire naturelle en general, sur d’autres sciences, sur différens arts; traduits de l’allemand, du suédois, du latin, avec des notes du traducteur, par M. de Kéralio […], I, Paris, R. Davidts, undated [1762 or 1763] (the second volume never appeared). Also available at http://gallica.bnf.fr/ark:/ 12148/bpt6k1041609c 26. KÉRALIO to Wargentin, 10 February 1763 (Coll. Wargentin, KVA). 27. “Je traduis avec liberté presque tous ces écrits. J’ajoute quelquefois, je retranche souvent. Je m’attache uniquement aux choses utiles, & je tâche de les présenter d’une manière qui soit agréable, sans me trop embarrasser de celle de mes auteurs.” –On the belles infidèles and contemporary translation theory in general: STOCKHORST, op. cit., p. 10–11. 28. Mémoires de l’Académie royale des sciences de Stockholm, concernant l’Histoire Naturelle, la Physique, la Médecine, l’Anatomie, la Chymie, l’Œconomie, les Arts, &c., traduit par M. de Kéralio etc., Paris, Panckoucke, 1772. 29. “[…] quelque riches qu’ils soient, on ne pouvoit les rendre intéressants & utiles en France qu’en les abrégeant. […] Ainsi, dans cet abrégé, dont l’unique objet est le progrès des arts & des sciences, les expériences, les réflexions, les descriptions d’histoire naturelle & de topographie, propres à la Suède & inutiles ailleurs […] ont été suprimés. […] Les expériences & observations nouvelles & importantes sur les connoissances d’utilité générale […] ont été conservées avec soin.” 30. “J’ai voulu seconder vos vues ultérieures de bienfaisance et d’humanité en contribuant à les répandre dans la reste de l’Europe. J’ai désiré de me rendre utile [...] avec vos précieuses productions” ; KÉRALIO to Wargentin, 18 November 1772 (Coll. Wargentin, KVA). 31. KÉRALIO to Wargentin, 15 March 1774 (Coll. Wargentin, KVA). 32. “Nous aurions désiré de donner au Public un Extrait détaillé de ces Mémoires dont plusieurs sont fort intéressans, mais comme ils sont écrits dans une Langue presque inconnue à tout le reste de l’Europe, nous sommes bornés malgré nous à un simple énoncé des matières […]”; Journal des Savants, December 1769, p. 872.

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33. Journal des Savants, January 1779, p. 24; May 1779, p. 300; November 1779, p. 743; May 1780, p. 273. There is no information concerning the abbé Vasseur in the sources that have been accessible to me.

34. Patrice BRET, “‘Enrichir le magasin où l’on prend journellement’. La presse savante et la traduction à la fin du XVIIIe siècle”, in Archives internationales d’histoire des sciences, vol. 63/2013, Turnhout, Brepols, 2013, p. 362–363. 35. It has been stated (by James R. Partington) that Claudine Picardet in reality translated the greater part of the Guyton edition of Torbern BERGMAN’s Opuscula. (Patrice BRET, “Les promenades littéraires de Madame Picardet: la traduction comme pratique sociale de la science au XVIIIe siècle”, in P. Duris (ed.), Traduire la science : hier et aujourd-hui, Pessac, Maison des sciences de l'homme d'Aquitaine, 2008, p. 134).

36. Ample information on the Dijon circle in BRET, op. cit. 2008, p. 125–152, as well as in BRET, op. cit. 2013, P. 360–381, as well as in Patrice BRET, “The letter, the dictionary and the laboratory: translating chemistry and mineralogy in eighteenth-century France”, in Annals of Science, 2016 (vol. 73:2), p. 122–142. 37. “Note de M. Maquer [Pierre Macquer]” with reply from Vasseur (Journal des Savants, May 1779, p. 308–309, and November 1779, p. 754, respectively), concerning Vasseur’s use (in the January 1779 issue) of the term magnésie for magnesium instead of manganese. Macquer meant that magnésie should be used for magnesium sulfate (Epsom salt); Vasseur’s reply indicates at least some expertise. 38. BRET, op. cit. 2013, p. 373 (…“a gradually more specialized content in which the journal, as the intermediary, respected the original text”). 39. Ibid. (…“to compete with the responsiveness of the Dijon group and the scientific specialisation of the Journal de physique”). 40. WILCKE to Scheele 27 February 1786, and SCHEELE to Wilcke, 12 March 1786, quoted from Carl Wilhelm OSEEN, Johan Carl Wilcke. Experimental-fysiker, Uppsala, 1939, p. 339–340. It can be seen in their correspondence that Scheele several times, in the 1780s, received an issue of Journal de Physique from Wilcke, probably as a loan of the copy of the journal that was kept by the Royal Academy of Sciences. Scheele also once said that he would start subscribing to the journal himself, but he never did. – The growing rush for rapid translation is underlined also by BRET, op. cit. 2016, p. 131, p. 137. 41. For example in the January 1784 issue, p. 36: “Observations sur le spath fusible, par M. Scheele. La traduction de ce mémoire se trouve dans le cahier du Journal de Physique du mois d’Avril 1783”, without further comment. 42. “L’Uria grille”, Journal des Savants, December 1787, p. 871–872, after Samuel ÖDMANN, “Uria Grylle, Grissla”, in Nya Handlingar, July–Sept., 1781, p. 231–232. Original Swedish text (ÖDMANN): “Grisslan är en Nordisk Fogel, och träffas ymnigast vid Spitsbärgen, Is- och Grönland. Den ses dock i södra delen af Östersjön; samt på Skottska och Engelska kusterna. […] Grisslan lefver hos oss i samhälle. 12 til 20 par bo i en bärgs-skrefva. Jag har aldrig funnit flera än 2 ägg i deras bon; dem de lägga utan bädd på bara klippan, dock hälst i någon spricka, som gifver skygd. Äggen äro stora som höns-ägg, modren är mycket mindre än en höna. De äro til färgen ljusgrå med stora svarta fläckar, liknande utslaget bläck. Desse fläckar blifva emot äggets större ända sammanflytande. […] Jag har aldrig sett dem värpa i sand, som Hr. PONTOPPIDAN säger ske i Norrige. […] Grisslan går om Våren i land, men skyndar ej med värpningen. I år d. 13 Junii voro flera Grisslors ägg aldeles friska, och jag har sett ägg, tagne d. 22 Junii, på hvilka modren knapt legat 6 dygn”.

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43. “Essai sur la quantité spécifique du feu contenu dans des corps solides, & sur sa mesure”, Journal des Savants, August 1785, p. 531–539, after Johan Carl WILCKE, “Rön, om Eldens specifica myckenhet uti fasta kroppar, och des afmätande”, in Nya Handlingar, January–March, 1781, p. 49–78. 44. “Expériences sur l’élasticité & la répartition de la chaleur, considérées relativement à l’ascension & au refroidissement des vapeurs dans l’air raréfié”, Journal des Savants, July 1786, p. 462–468 (after Johan Carl WILCKE , “Rön om Varmens spänstighet och fördelning, i anledning af ångors upstigande och kyla, uti förtunnad luft”, in Nya Handlingar, April–June, 1781, p. 143–163). 45. “Foreignizing” (as a term for translations “reminding the reader that the text comes from elsewhere”) after Peter BURKE, “The Circulation of Historical and Political Knowledge between Britain and the Netherlands, 1600–1800: The Place of Translations”, in Harold J. COOK and Sven DUPRÉ, Translating Knowledge in is the Early Modern Low Countries, Zürich, LIT Verl., 2012, p. 41–42. 46. ”Des parties constituantes du tungsten, Journal des Savants, June 1786, p. 420–425 (after SCHEELE, “Tungstens bestånds-delar”, in Nya Handlingar, April–June 1781, p. 89–98, including BERGMAN’s addition), and “Étain de Sibérie métallisé avec le soufre”, Journal des Savants, July 1789, p. 459–462 (after BERGMAN, “Försvafladt Tenn från Siberien”, in Nya Handlingar, October–December 1781, p. 328–332). 47. BERGMAN, op. cit., p. 331 and in “Étain de Sibérie métallisé avec le soufre”, Journal des Savants, July 1789, p. 461, respectively. 48. The SCHEELE article in Journal de Physique, February 1783, p. 124–130 (including the BERGMAN addition), and in Carl Wilhelm SCHEELE, Mémoires de chymie : Tirés des Mémoires de l’Académie Royale de Sciences de Stockholm etc., I, p. 81–93 ; the BERGMAN article, “Description de l’Étain sulfureux de Sibérie”, in Journal de Physique, May 1783, p. 367–370. The Swedish data are given in footnote 46 above. 49. Both examples in SCHEELE, op. cit. [Journal de Physique, Febr. 1783], p. 127. 50. BRET, op. cit. 2008, p. 140, and BRET, op. cit. 2016, p. 140–141. 51. The Dijon version, “Observations sur la quantité de chaleur spécifique des corps solides, et sur la maniére de la mesurer”, was published in Journal de Physique, April and May 1785 issues, p. 256–268 and p. 381–389, respectively. 52. Alan G. GROSS, Joseph E. HARMON and Michael REIDY, Communicating Science: The Scientific Article from the 17th Century to the Present, Oxford–New York, Oxford Univ. Press, 2002, p. 69. 53. Pehr Gustaf . TENGMALM, “Anmärkningar vid Lanius Collurio, en liten Rof-Fogel”, in Nya Handlingar, April–June 1781, p. 98–105. 54. SCHEELE, “Rön och Anmärkningar om Kisel, Lera och Alun” [”Observations and Remarks on Silicon, Clay, and Alum”], in Handlingar, January–March 1776, p. 30–35. This article was only briefly reviewed, by Lalande, in Journal des Savants, May 1780, p. 27. 55. SCHEELE, “Tungstens bestånds-delar”, in Nya Handlingar, April–June 1781, p. 93–94, and “Mémoire sur les parties constituantes de la Tungstène”, in Journal de Physique, February 1783, p. 127. Original Swedish text (SCHEELE): “När Tungstens-syra brännes i digel, mister hon egenskapen at sedan uplösas i vatten. At syran är benägen at attrahera phlogiston, ses af blå färgen, som hon visar uti glas-flussar. I anledning häraf, blandades torra syran med litet Linolja, och sattes uti luterad digel i stark eld. Efter afsvalning, fans syran svart, men eljest oförändrad. Likaledes blandades en del torr syra med 2 delar svafvel, och destillerades derifrån: Residuum blandades åter med 2 delar svafvel, som också drefs derifrån; syran blef då grå til färgen, men för öfrigt oförändrad”.

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Picardet, in another part of her translation (p. 125), uses a similar concentration of the third person “on”, synonymous with “je”. 56. The excerpts from BERGMAN, 1781, p. 329; [KÈRALIO], “Étain de Sibérie minéralisé avec le soufre”, in Journal des Savants, July 1789, p. 459–460 ; [PICARDET], “Déscription de l’Étain sulfureux de Sibérie” etc., in Journal de Physique, May 1783, p. 368. Original Swedish text (BERGMAN): ”Ibland en hop mineralier från Ryssland, som jag nyligen bekommit, träffades i en liten capsel några små bitar, som vid första åskådandet så liknade vårt artificiela aurum mosaicum, at jag i början äfven trodde det samma igenom konst vara tilverkadt. Men genom närmare granskning befans, at detta ämne satt såsom en skorpa omkring en […] metallisk, hvitglänsande kärna, hvilken med knif skrapad fans helt lös och gaf svart pulfver. Desse omständigheter, tillika med en hvit flyktig kalk, som vid undersökning i eld visar sig, hafva utan tvifvel gifvit anledning, at hålla kärnan för Antimonium, hvilket uti medfölljande påskrift honom tillägges. […] De försök, som strax skola anföras, bevisa tilräckeligen, at här intet Antimonium är närvarande, utan både i kärna och omgifvande skorpa allenast tenn och svafvel, samt en ringa smitta af koppar”. 57. On the total number of Picardet’s translations in Journal de Physique: BRET, op. cit. 2013, p. 368. 58. The SCHEELE volume Mémoires de Chymie (I–II, Dijon–Paris, 1785) contains sixteen Picardet translations from Swedish originals. The seventeenth article here in question is ”Sur le sel essentiel de la noix de Galle”, in Journal de Physique, January 1787, p. 57–59, after "Om Sal essentiale gallarum”, in Nya Handlingar, January–March 1786, p. 30–32. 59. SCHEELE, “Försök, beträffande det färgande ämnet uti Berlinerblå” [”Experiments concerning the colouring substance in Prussian blue”], Nya Handingar, October–December 1782, p. 264–275; Picardet’s translation, “Essai sur la matière colorante du Bleu de Prusse”, here quoted from Mémoires de Chymie, II, Dijon–Paris, 1785, p. 145–146. Original Swedish text (SCHEELE): “Nu omvändes de anförde försöken ; jag blandade nemligen litet Järn-vitriol til Blodluten, som då blef gul, och slog något af blanningen uti en kolf, som var upfyld med luftsyra. Dagen derpå, slogs denna lut til en solution af Järn-vitriol, sedan mättades luten med öfverflödig syra, och då fick jag en ansenlig mängd Berlinerblått. Til samma blodlut, hvaruti jag hade uplöst litet Järn-victril, slogs af andra syror något mera, än som til mättning behöfdes, och sedan tilblandades Vitriol-solutionen, då jag strax bekom Berlinerblått”. 60. GROSS, HARMON and REIDY, op. cit., p. 81. 61. GROSS, HARMON and REIDY, op. cit., p. 77–78, p. 91. 62. GROSS, HARMON and REIDY, op. cit., p. 71. 63. “J’aime les chenilles du coignassier […]; leur robe est agréable á voir, et elles m’ont fourni des observations curieuses” ; M. HETTLINGER, “Seconde lettre [...] sur une phalène hermaphrodite”, Journal de Physique, April 1785, p. 268. 64. GROSS, HARMON and REIDY, op. cit., p. 78 (table 4.1.). 65. BRET, op. cit. 2016, p. 130.

ABSTRACTS

The article gives a survey of European translations and reviews, during the 18th century, of the Proceedings (in Swedish Handlingar) of the Royal Swedish Academy of Sciences, which was founded in 1739 and in the same year began to publish its proceedings as a quarterly journal. In this

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publication, strictly scholarly aims were combined with practical–utilitarian qualities that made it an instrument for the economic development of the country, but also bestowed it a somewhat paradoxical penetration abroad. This latter impact was to begin with mainly seen in the German- speaking area, and a complete German version of all the years up to 1790 was continuously published. There also appeared a considerable number of partial translations to Danish, Dutch and even Latin. In France, the knowledge of Handlingar grew with the rising reputation of, in particular, Swedish chemistry and mineralogy, to the fame of which the journal also largely contributed. A great number of its articles were, in the 1770s and 1780s, translated for the renowned Journal de Physique, primarily by Claudine Picardet, and by means of reviews and adaptations highlighted in Journal des Savants, primarily by Louis-Félix Guinement de Kéralio. The article finally discusses some of the stylistic features of the translations and reviews produced by these prolific Swedish–French cultural intermediaries.

Cet article étudiera les traductions et comptes-rendus de lecture, réalisés au cours du XVIIIe siècle, des Actes (en suédois, Handlingar) de l’Académie royale suédoise des sciences, qui a été fondée en 1739 et, la même année, a commencé à publier ses actes dans une revue trimestrielle. Dans cette publication, les objectifs purement académiques étaient associés à des qualités pratiques et utilitaires, en faisant un instrument pour le développement économique du pays, mais lui donnant également, de façon assez paradoxale, une portée internationale. Ce second effet devait d’abord se manifester dans l’espace germanophone et une version allemande complète est parue en continu pour toutes les années jusqu’à 1790. Un nombre considérable de traductions partielles a aussi été produit en danois, néerlandais et même latin. En France, la connaissance des Handlingar s’est étendue en même temps qu’augmentait la réputation des sciences suédoises, en particulier de la chimie et de la minéralogie, à la gloire desquelles la revue a d’ailleurs largement contribué. Un grand nombre de ses articles, des décennies 1770 et 1780, a été traduit pour le réputé Journal de Physique, principalement par Claudine Picardet, et mis en valeur, par le biais de comptes-rendus de lecture et d’adaptation, dans le Journal des Savants, surtout grâce à Louis-Félix Guinement de Kéralio. Cet article abordera enfin certaines des caractéristiques stylistiques des traductions et des comptes-rendus produits par ces prolifiques intermédiaires culturels entre la France et la Suède.

INDEX

Mots-clés: Académie royale des sciences de Suède, Actes, Périodiques savants, Traductions, comptes-rendus, Journal de Physique, Journal des Savants, Claudine Picardet, Louis-Félix Guinement de Kéralio Keywords: Royal Swedish Academy of Sciences, Proceedings, Scholarly journals, Translations, reviews, Journal de Physique, Journal des Savants, Claudine Picardet, Louis-Félix Guinement de Kéralio

AUTHOR

INGEMAR OSCARSSON Centre of languages and literature Lund University

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Suède, Europe, Japon : Le botaniste Carl Peter Thunberg sur le marché international

Marie-Christine Skuncke

1 de Linné, le botaniste et médecin suédois Carl Peter Thunberg (1743-1828), est le seul savant européen à avoir visité et décrit le Japon au XVIIIe siècle1. Ses ouvrages, traduits en plusieurs langues, ont connu une large diffusion en Europe et ont eu un retentissement au Japon. On l’a surnommé « le père de la botanique japonaise ». Le cas individuel de Thunberg permet d’éclairer les pratiques de la traduction entre langues européennes à la fin du XVIIIe siècle, et aussi d’élargir l’horizon vers l’Asie.

2 Après de solides études de médecine et d’histoire naturelle à l’université d’Uppsala, puis à Paris, Thunberg entreprend en 1772 un long voyage vers l’Extrême Orient. Il a pour mission d’envoyer des arbres et arbustes vivants du Japon à Amsterdam, au Jardin botanique (Hortus Medicus) et à trois riches amateurs de plantes, membres de l’oligarchie au pouvoir dans la cité. L’empire japonais est fermé aux Européens au XVIIIe siècle, à l’exception de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, et Thunberg voyage en qualité de chirurgien au service de la compagnie. En cours de route, il visite des territoires de l’empire colonial néerlandais : la province du Cap en Afrique du Sud, où il demeure trois ans, Java et Ceylan. Il passe quinze mois au Japon en 1775-1776, cantonné la plupart du temps dans la minuscule île de Deshima, à Nagasaki, résidence des marchands hollandais. Partout, même au Japon, grâce à ses échanges avec des interprètes à Nagasaki et des médecins de cour à Edo (aujourd’hui Tokyo), il assemble de vastes collections sur lesquelles il va baser sa carrière : plantes surtout, insectes, monnaies, livres, etc.

3 De retour en Suède en 1779, Thunberg fait une ascension fulgurante à l’université d’Uppsala. En cinq ans, il passe de simple démonstrateur de botanique à titulaire de la chaire de médecine et de botanique – celle de son maître Linné – qu’il occupera pendant quarante-quatre ans, de 1784 à sa mort2.

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4 Thunberg publie énormément, en suédois et en néo-latin ; sa bibliographie comprend près de 580 titres3. Il s’agit en grande partie de textes scientifiques, descriptions de familles ou d’espèces nouvelles de plantes ou d’insectes selon le système de Linné, mais aussi de textes destinés à un public plus large, un récit de voyage surtout, publié en suédois en quatre volumes de 1788 à 1793. Andreas Önnerfors a étudié en détail la genèse des deux traductions allemandes de ce livre4.

5 La diffusion des textes de Thunberg soulève plusieurs questions. Dans quelle langue choisit-il de publier ses ouvrages ? En latin ? Ou en langue vernaculaire qui nécessite des traductions ? Pour celles-ci, dans quelle mesure l’auteur est-il capable de contrôler la version de ses œuvres qui est publiée à l’étranger, et quels rôles respectifs jouent les traducteurs, les rédacteurs et les éditeurs-libraires ? Sur le plan textuel, quelles sont les relations entre original et traductions ? Trois temps seront abordés dans cette étude : d’abord un aperçu de la diffusion européenne des monographies scientifiques et articles de Thunberg, puis une présentation de celle de son récit de voyage, où nous nous concentrerons sur les versions françaises, et enfin sera évoquée sur une publication japonaise au début du XIXe siècle.

Monographies scientifiques et articles

6 Le néo-latin demeure vivace dans le domaine de la botanique. C’est dans cette langue que Linné a élaboré sa nomenclature et écrit ses œuvres majeures, et Thunberg suit l’exemple de son maître5. Il rédige en latin sa monographie sur les plantes du Japon, la Flora Japonica (1784), publiée stratégiquement à Leipzig pour atteindre le public savant européen, puis – au début du XIXe siècle ! – la Flora Capensis consacrée à l’Afrique du Sud, éditée successivement à Uppsala, Copenhague et Stuttgart (1807-1823)6. Ces œuvres sont diffusées en Europe sans passer par la traduction.

7 Tantôt en latin, tantôt en suédois, Thunberg écrit des quantités d’articles pour les mémoires de sociétés savantes, réglant le choix de la langue sur la pratique des sociétés auxquelles il s’adresse – par exemple, le suédois pour l’Académie des sciences de Stockholm, mais le latin pour l’Académie Impériale des Sciences de Saint-Pétersbourg. Outre la botanique et la zoologie, les textes touchent aussi l’économie : ainsi une étude sur la production de la cannelle à Ceylan, une autre sur la numismatique (un discours sur les monnaies japonaises), etc.7 De nombreux articles sont traduits vers d’autres langues : néerlandais, allemand, anglais, français, russe. Quelques exemples le démontrent :

8 Les Pays-Bas d’abord, avec deux traductions qui s’inscrivent dans un jeu d’échanges entre Thunberg et ses patrons et collègues. L’un des riches collectionneurs d’Amsterdam auxquels le Suédois a envoyé des plantes rares pendant son voyage, Jean Deutz, remercie Thunberg de ses services en le faisant élire membre de la Société des sciences à Haarlem, dont il est directeur. En même temps, Deutz demande au naturaliste Martinus Houttuyn de traduire un article de Thunberg sur les Cycas pour les mémoires de la Société de Haarlem. Houttuyn traduit en néerlandais le manuscrit latin de Thunberg, non sans manifester son irritation contre son écriture minuscule, et, ainsi, la publication originale a lieu en néerlandais en 17828. Le botaniste suédois, en signe de reconnaissance pour les services de Houttuyn, donne son nom à une plante japonaise, la Houttuynia. Houttuyn, à son tour, remercie Thunberg en le faisant élire membre de la Société des sciences de Vlissingen, et il publie dans les mémoires de cette

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société une traduction néerlandaise de l’article de Thunberg sur la cannelle, dont l’original avait paru en suédois dans les mémoires de l’Académie des sciences de Stockholm9.

9 La Grande-Bretagne ensuite. Dans les mémoires de la Royal Society à Londres, les Philosophical Transactions, on lit en 1780 un article impeccablement imprimé en suédois, un « bref extrait d’un journal tenu par le docteur Thunberg » pendant son voyage et son séjour au Japon ; les Transactions donnent une traduction anglaise en appendice10. Il s’agit d’un texte non spécialisé, un chapelet de détails exotiques sur le Japon : le costume, les coiffures, les parasols… Comment se fait-il que le vénérable périodique britannique publie un article en version originale suédoise avec une traduction anglaise ? Encore une fois, les textes s’inscrivent dans un jeu d’échanges au sein des réseaux de Thunberg. Le personnage principal est le naturaliste Joseph Banks, puissant président de la Royal Society. Il est entouré de collaborateurs suédois, Daniel Solander, élève de Linné, et Jonas Dryander, qui a été condisciple de Thunberg à Uppsala. Thunberg voit en Banks un patron potentiel. Il lui rend visite à Londres à son retour du Japon, lui fait la cour, lui envoie des plantes japonaises rarissimes. Banks, de son côté, publie des articles du voyageur dans les Transactions. En 1780, les collaborateurs suédois du président de la Royal Society ont dû veiller à l’impression du texte suédois et à la traduction anglaise.

10 Avec la parution de la version anglaise dans les Transactions, le petit article de Thunberg sur le Japon est soumis aux mécanismes du marché. Une traduction française dans le Journal Encyclopédique, en 1781, est reprise la même année dans l’Esprit des journaux. Une traduction allemande, fondée elle aussi sur la version anglaise, paraît dans l’almanach de poche de Göttingen pour l’année 1782, imprimé fin 178111. En deux ans, passant du format in-quarto pour les Philosophical Transactions à in-octavo pour les journaux de langue française et in-16 pour l’almanach de Göttingen, les nouvelles de Thunberg sur le Japon atteignent le public anglophone, francophone et germanophone.

Le récit de voyage et ses transformations

11 Thunberg tarde à écrire son récit de voyage, Resa uti Europa, Africa, Asia12. Le premier tome (1788) relate ses voyages en Europe et en Afrique du Sud, le second (1789) en Afrique du Sud et à Java. En 1791 paraît enfin un volume entièrement consacré au Japon, le troisième tome, quinze ans après la visite de Thunberg. Le quatrième tome, en 1793, comprend la suite de son séjour au Japon et son retour en Europe par Java et Ceylan. Pour les lecteurs européens, l’ouvrage offre donc un attrait majeur : il n’existe pas de description de première main du Japon depuis la visite de l’Allemand Engelbert Kaempfer dans les années 169013. Sur l’empire nippon et sur les autres pays qu’il traverse, Thunberg apporte des observations de tous ordres : botaniques et zoologiques, mais aussi météorologiques, linguistiques, ethnographiques, etc.

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Le récit de voyage de Thunberg, version originale, page de titre : Carl Peter Thunberg, Resa uti Europa, Africa, Asia, Förrättad Åren 1770 – 1779, vol. 1, Upsala [à compte d’auteur], 1788. Source : Uppsala universitetsbibliotek.

12 Cependant, son livre, publié à compte d’auteur sans passer par un éditeur professionnel, présente des faiblesses. La structure est confuse : l’auteur oscille entre récit chronologique et sections thématiques ; il recopie souvent des textes qu’il a publiés antérieurement, et les redites sont nombreuses. Thunberg accumule les faits, mais ne donne guère d’analyses. L’illustration est pauvre, bien inférieure à celle du récit de Kaempfer, dont une édition allemande est parue dans les années 177014. Les gravures sont peu nombreuses et leur qualité laisse à désirer – l’université d’Uppsala ne dispose pas de graveur professionnel. Le troisième tome, celui qu’on attendait, sur le Japon, ne contient pas une seule planche, le quatrième offre quatre planches seulement représentant des objets japonais.

13 Le récit de voyage, écrit Roger Chartier, est « l’un des genres les plus conquérants » au XVIIIe siècle 15. Il n’est donc pas étonnant que le livre de Thunberg soit rapidement traduit. En l’espace de quatre ans, de 1792 à 1796, on voit paraître deux traductions allemandes, une traduction anglaise qui connaît plusieurs éditions, et deux traductions françaises. En Allemagne comme à Londres et à Paris, deux équipes rivales sont en compétition. Sur le marché allemand, comme l’a montré Andreas Önnerfors, le traducteur Christian Heinrich Groskurd à Greifswald et l’éditeur berlinois Johann Karl Philipp Spener sont talonnés par le naturaliste Johann Reinhold Forster à Halle, rédacteur d’une collection de récits de voyages, son traducteur Kurt Sprengel et leur éditeur berlinois Christian Friedrich Voss16. À Londres, le traducteur Charles Hopson, un médecin, fait la course avec une équipe d’amateurs appartenant à un réseau swedenborgien ; les détails sont obscurs, mais il semble que Hopson l’ait emporté17. À

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Paris, enfin, un projet centré autour du libraire Benoît d’André est en concurrence avec une publication éditée par le libraire Jean-Jacques Fuchs.

14 Devant le texte assez informe de Thunberg, les traducteurs et rédacteurs adoptent plusieurs stratégies : • Réduction du texte à un seul volume. C’est le cas de la version allemande de Forster, et de la première version française, publiée par Fuchs. • Traduction du livre entier en quatre volumes (ou deux volumes doubles), mais avec une structure plus nette. C’est ce qui se passe pour l’édition allemande de l’équipe Groskurd– Spener et pour la traduction anglaise. • Publication en quatre volumes, mais réécriture et expansion du texte original. C’est le cas de la deuxième version française, éditée par Benoît d’André (ou Dandré).

15 Il est intéressant d’examiner dès lors les deux versions françaises, le texte abrégé paru chez Fuchs en 1794, et, surtout, la version étendue publiée par d’André en 179618. Pour cette dernière, une série de quarante-deux lettres manuscrites de Benoît d’André à Thunberg entre 1791 et 1797, découvertes en 2013 à la Bibliothèque universitaire d’Uppsala par l’auteur de cet article, permet de reconstituer en grande partie la genèse du livre19. Pour le texte édité par Fuchs, par contre, l’unique source dont nous disposons est le volume imprimé.

16 En novembre 1791, le libraire-éditeur d’André offre à Thunberg en termes flatteurs de publier une traduction française de son livre, incité par la « celebrité de [son] Nom » et son rang de « savant du premier ordre ». Grâce à « l’Universalité de Notre Langue », lui dit-il, ses ouvrages seraient bientôt répandus « dans le Monde entier ». D’André propose à Thunberg de faire traduire son récit à Uppsala, « meme en mauvais français », par une personne qui sera rémunérée par le libraire. Le texte sera ensuite « perfection[né] » à Paris par « un savant, et habile Botaniste » (il ne révèle pas son nom). Les planches de l’original seront gravées à Paris par « les plus habiles Artistes ». Il y aura une dédicace à Thunberg et un portrait de lui en tête de l’ouvrage, aux frais du libraire. D’André demande au Suédois d’envoyer sa correspondance soit par la poste, soit, de préférence, par l’ambassade de France à Stockholm, et de l’adresser au « Departement de la Suède aux Bureaux des Affaires étrangères ». Il se présente comme « Libraire de la Société Royale de Medecine de Paris », et se réclame de l’autorité du secrétaire de celle-ci, l’anatomiste Vicq d’Azyr, médecin du roi et de la reine20.

17 Les lettres de d’André en 1791-1792 suggèrent qu’il a accès, pour transmettre sa correspondance, à des personnes haut placées, probablement grâce à son protecteur Vicq d’Azyr, et dispose de moyens financiers non négligeables. Cependant, en pleine tourmente révolutionnaire, les changements institutionnels se succèdent. À plusieurs reprises, d’André donne à Thunberg de nouvelles instructions concernant le ministère et le ministre auxquels il devra adresser ses envois. En Suède, l’ambassade de France à Stockholm ferme, et Thunberg doit désormais passer par le consul de France à Göteborg, Delisle, ami de d’André21. Malgré les bouleversements politiques, pourtant, les affaires continuent ; pendant l’année 1793, d’André n’écrit pas moins de dix-huit lettres à Thunberg. Il évite de parler politique, mise à part une allusion en septembre 1792 aux « mouvements terribles » qui secouent le pays22. La Société Royale de Médecine est dissoute en août 1793. En décembre de cette année, le libraire informe Thunberg que les lettres doivent désormais lui être envoyées personnellement au nom de « Citoyen Dandré Libraire, Rue du Cimètiere [sic] St André des Arts » ; il a modifié l’orthographe de son nom, adoptant la forme plébéienne « Dandré »23.

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18 Thunberg, de son côté, avait accepté l’offre initiale de d’André et recruté un Français domicilié en Suède pour traduire son ouvrage, un certain Villeneuve. D’André envoie à Thunberg cent cinquante riksdaler suédoises à verser au traducteur pour les trois premiers volumes, une somme considérable. Il reçoit le premier volume de la traduction en janvier 1793 et la trouve abominable : Villeneuve ne sait pas un mot de français, Thunberg ne doit pas lui donner un liard de plus ! D’André va être obligé de « faire rédiger toute la traduction à neuf » par son rédacteur, à grands frais pour lui- même. Thunberg recrute un deuxième traducteur, qui meurt, puis un troisième, qui termine le dernier volume. Un manuscrit est longtemps perdu dans les bureaux d’un ministère, mais finit par être retrouvé. En juin 1794, d’André a enfin reçu de Suède la traduction complète24.

19 Pour le libraire parisien, cependant, le texte constitue une partie seulement du livre ; d’André attache une grande importance à l’illustration visuelle, mais il se heurte à des difficultés. Premier problème, le portrait de l’auteur. Le professeur suédois ne possède pas d’image de lui-même – à la différence de son maître Linné, Thunberg n’a pas de relations dans le monde artistique suédois. Il envoie à Paris deux dessins que d’André trouve très mal exécutés, « même contre les principes de l’art ». Le libraire les transmet à son « grand, et habile Dessinateur »25. Celui-ci, explique d’André deux mois plus tard, a choisi « le milieu » entre les deux dessins envoyés par Thunberg, « faisant voir dans vos yeux le caractère savant qui les anime »26.

20 Deuxième problème, les planches. Celles-ci font l’objet de longues discussions entre Thunberg, d’André et son rédacteur, dont le nom est enfin révélé par le libraire en 1794 : il s’agit de Jean-Baptiste Lamarck, qui a obtenu l’année précédente une chaire de zoologie au Muséum d’histoire naturelle27. D’André s’est procuré les planches de l’original suédois par l’intermédiaire du traducteur allemand de Thunberg, Groskurd, et les trouve « très mal gravées ». Le libraire parle avec dédain de « vos médiocres artistes » ; il réclame des dessins, ou au moins des descriptions qui puissent servir de directives aux dessinateurs et graveurs parisiens28. Avant tout, il faut davantage de planches sur le Japon, à la fois dans le troisième volume, qui n’en contient pas, et dans le quatrième. D’André désire des illustrations botaniques et zoologiques inédites – « quelqu’oiseau rare, et inconnu », quelque papillon – accompagnées de détails scientifiques précis, par exemple « l’endroit, et le nom du terroir » où Thunberg a cueilli ses plantes. « Ces descriptions, et figures plaisent infinim[en]t aux amateurs d’histoire naturelle », explique-t-il29. Le libraire vise un produit haut de gamme pour un lectorat instruit et aisé. Le rédacteur Lamarck, par l’intermédiaire de d’André, demande également une carte géographique du Japon et des « objets œconomiques », plantes pour la teinture, trempe de l’acier, porcelaine… Thunberg envoie des propositions supplémentaires : illustrations botaniques – ainsi un thuya japonais (Thuja dolabrata) –, dessins d’objets japonais – perruques, miroir –, etc.30. En été 1794, la publication du récit de voyage semble proche. Mais, le 1er août 1794, quelques jours après la chute de Robespierre, d’André tombe gravement malade et l’entreprise est retardée31.

21 Le libraire parisien correspond avec des collègues dans le monde de l’édition germanophone, et il collabore avec Groskurd, le traducteur de Thunberg à Greifswald. En mai 1792, d’André avait envoyé des nouvelles alarmantes à Uppsala : il avait eu vent d’une entreprise rivale à Paris, une traduction française fondée sur une version abrégée allemande en cours de préparation à Berlin (c’est-à-dire la version de Forster). Pour court-circuiter les projets concurrents à Berlin et à Paris, d’André avait demandé à

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Thunberg de retarder la parution de l’édition originale du quatrième volume de son récit, afin que le dernier volume en suédois, la traduction allemande de Groskurd et la version française de d’André puissent être publiées simultanément32. Hélas pour le libraire, ceci s’avère impossible, et la traduction française rivale sort en 1794, avant la sienne.

22 Le Voyage en Afrique et en Asie, publié en un volume in octavo par le libraire Fuchs, est un produit anonyme. D’après la préface, le traducteur avait commencé par travailler sur l’original suédois, mais, trouvant le style de l’auteur insoutenablement prolixe, il a choisi de suivre la version allemande abrégée de Forster, en conservant toutefois certaines parties de l’original omises par ce dernier. La page de titre présente l’ouvrage comme « servant de suite au voyage de D. Sparmann [sic] » – il s’agit du naturaliste suédois Anders Sparrman, disciple lui aussi de Linné, qui a publié un récit de ses voyages en Afrique du Sud. De fait, il n’existe aucune relation séquentielle entre les textes de Sparrman et de son collègue Thunberg, mais les deux auteurs sont des voyageurs suédois et le livre de Sparrman a été traduit en français avant celui de Thunberg33. Le traducteur anonyme interpole dans le corps du texte un passage tiré de l’Allemand Kaempfer sur la fabrication du papier au Japon, ainsi que des observations sur le Japon extraites du Voyage en Sibérie du botaniste Johann Gottlieb Georgi 34. L’édition française de 1794, amalgamant des textes sur les mêmes thèmes mais sans rapports historiques, est un exemple de la logique du marché dans la production des récits de voyages.

23 L’entreprise de d’André, cependant, se poursuit. Depuis sa maladie en août 1794, le libraire n’envoie à Thunberg que des lettres sporadiques, d’une écriture déformée par la paralysie. En septembre 1795, il annonce que le Voyage de Thunberg va paraître d’ici la fin du mois ; deux mois plus tard, il écrit qu’il y aura une deuxième édition35. La firme Dandré (avec la nouvelle orthographe) publie en effet deux éditions du livre de Thunberg, l’une en quatre volumes in octavo, l’autre en deux volumes in quarto. Le titre est le même, Voyages de C. P. Thunberg, au Japon, par le Cap de Bonne-Espérance, les Isles de la Sonde, &c, ainsi que la date : « An IV (1796) ». Exceptées les différences de pagination et de mise en page dues à la différence de format, les deux éditions paraissent identiques36. En tête du premier volume, on trouve un frontispice correspondant au projet original de d’André : un portrait gravé de Thunberg, portant le costume national suédois et l’Ordre de Vasa, dans une ovale entourée de deux plantes nommées en son honneur, la Thunbergia capensis et la Thunbergia javanica ; sous le portrait, une dédicace en latin, « À Carl Peter Thunberg, Professeur de Botanique à Uppsala, Chevalier de l’Ordre de Vasa, homme de mérite37 ». La page de titre, par contre, réserve une surprise. Lamarck, qui figurait en qualité de « rédacteur » dans les lettres du libraire jusqu’à sa maladie, est relégué au deuxième rang, en tant que responsable de « la partie d’Histoire naturelle ». Le premier rang revient à « L. LANGLES », qui est présenté comme traducteur, rédacteur, et auteur de « notes considérables sur la Religion, le Gouvernement, le Commerce, l’Industrie et les Langues de ces différentes contrées, particulièrement sur le Javan et le Malai ».

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À gauche : Le récit de voyage en version française, page de titre : Voyages de C. P. Thunberg au Japon, Par le Cap de Bonne-Espérance, les îles de la Sonde, &c., [réd.] L. Langlès & J. B. Lamarck, vol. 1, Paris, Benoît Dandré, an IV [1796], édition in octavo. À droite : Thunberg, Voyages..., vol. 1, Paris, Benoît Dandré, an IV [1796] : frontispice. Source : Uppsala universitetsbibliotek.

24 Alors que Lamarck est naturaliste, Louis-Mathieu Langlès est linguiste, conservateur des manuscrits orientaux à la Bibliothèque nationale. En 1795, il a fondé dans le cadre de celle-ci l’École des langues orientales. Il a dû entrer dans l’équipe de d’André entre le 1er août 1794, quand le libraire est tombé malade, et octobre 1795, date indiquée par Langlès dans sa « Préface du Rédacteur ». Les sources manquent quant à la raison de son implication dans le projet de traduction, mais l’ouvrage imprimé montre qu’il a joué un rôle prépondérant38. Dans sa préface, il se pose en « traducteur » – affirmation contestable puisqu’il a accès à la traduction française complète envoyée par Thunberg – et surtout en « rédacteur »39. Ce dernier titre est hautement justifié. Sous la direction de Langlès, l’original plutôt maladroit de Thunberg est transformé. Le corps du texte est entièrement restructuré, divisé en « Parties » et « Chapitres » qui suivent en partie la traduction allemande de Groskurd. En même temps, on assiste à une expansion de l’original. Des notes en bas de page par Langlès, et par Lamarck pour l’histoire naturelle, expliquent, commentent et contredisent les assertions de Thunberg dans le corps du texte. Langlès ajoute des sections de sa plume dans les chapitres sur Java, en particulier une étude de l’ancienne langue « javane », distincte du malai dont traite Thunberg, avec un bref vocabulaire. Il met en appendice une adaptation du discours du Suédois sur les monnaies japonaises40.

25 Le récit original de Thunberg met l’accent sur ses expériences personnelles et contient peu de références à d’autres auteurs. Langlès, par contre, place le texte du professeur suédois dans un contexte global et adopte une perspective comparatiste. Il rassemble des informations sur l’Asie à partir de sources à la fois asiatiques et européennes, avec une compétence linguistique qui devait être unique en France à l’époque. Il se repose par exemple sur les mémoires en néerlandais de l’Académie des sciences de Batavia

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(l’actuelle Jakarta, capitale de l’empire colonial néerlandais), sur ceux en anglais de la Société asiatique de Calcutta, et sur d’« anciennes Lettres latines » de missionnaires. Il présente ses sources dans une bibliographie annotée de près de cinquante pages à la fin du dernier volume, une mine d’informations41. Sa préface commence par une comparaison entre la Chine, « exclusivement livrée aux lettres et aux sciences spéculatives » et devenue pour cette raison la proie d’autres pays, et le Japon, resté fidèle à ses anciennes lois, actif, inconquis et libre. Il digresse sur l’histoire comparée des religions, suggérant une « identité […] entre les cultes anciens et modernes de l’Asie et de l’Europe »42.

26 Langlès ne perd pas de vue les intérêts de la jeune République française. L’alliance de celle-ci avec les Hollandais (conséquence de la création de la République batave en 1795) pourrait, dit-il, ouvrir pour la France l’accès au commerce avec le Japon, jusqu’alors réservé à la Compagnie néerlandaise43. L’édition de Langlès illustre deux tendances observées par Jean-Luc Chappey et Virginie Martin dans les traductions françaises de l’époque44. D’une part, le traducteur confère à l’ouvrage original une dimension universelle, dans un processus à la fois de « circulation des savoirs en Europe et [de] leur thésaurisation en France », selon les deux auteurs. D’autre part, le texte original est républicanisé. Langlès affirme que l’enseignement des langues orientales – sa propre branche – permettrait d’étendre le commerce français en Asie et, en même temps, d’y diffuser les valeurs de la République. Dans une note à propos d’un passage chez Thunberg sur le roi de Suède Gustave III, le rédacteur loue l’assassin de celui-ci, « l’intrépide et immortel Ankastrom45 » (le nom correct est Anckarström).

27 Les illustrations constituaient une préoccupation majeure pour d’André. Elles sont à la fois plus nombreuses et de meilleure qualité technique que dans l’original. En plus du frontispice, le libraire a fait graver une nouvelle vignette de la vue du Cap de Bonne Espérance au début de l’ouvrage. Toutes les planches de l’édition suédoise sont reproduites, et le dernier volume, dans l’édition in-octavo, ne contient pas moins de onze planches nouvelles : quatre d’entre elles représentent des objets japonais et cingalais, entre autres les perruques et le miroir japonais envoyés par Thunberg ; sept sont consacrées à l’histoire naturelle, notamment une plante japonaise, le Lobelia radicans, mais pas le thuya dont il avait été question dans la correspondance. De plus, d’André reproduit les planches du discours sur les monnaies japonaises.

28 Thunberg, dans une lettre au jardinier André Thouin à Paris en 1796, se plaint que son Voyage en traduction française est « bien vitieux, avec beaucoup d’errata et de meprises46 ». Les interventions de Lamarck ont dû particulièrement le contrarier. À l’époque, celui-ci n’a pas encore publié les travaux zoologiques où il formule ses hypothèses sur le transformisme, mais c’est un botaniste renommé – et il appartient au camp anti-linnéen en France. Il a publié une Flore françoise, il est responsable de plusieurs volumes sur la botanique dans l’Encyclopédie méthodique de Panckoucke47. Pour la traduction française de Thunberg, ses interventions dans les notes concernent des questions de nomenclature : il donne les noms scientifiques des plantes et animaux mentionnés en langue vernaculaire dans le corps du texte, et il discute – et souvent corrige – les observations de l’auteur suédois. Il ajoute aussi des descriptions scientifiques en français des animaux et plantes représentés dans les planches d’histoire naturelle du dernier volume48.

29 Au total, le récit de voyage de Thunberg est métamorphosé dans la version française de d’André – Langlès – Lamarck : structure nette, enrichissement de l’illustration visuelle,

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révision de l’information botanique et zoologique. L’ouvrage français ouvre des perspectives sur l’histoire des civilisations, en même temps qu’il s’inscrit dans la promotion de la République française. Bien que Thunberg et son éditeur aient mené une correspondance serrée pendant deux ans et demi, l’influence de l’auteur sur le résultat final est minime. Elle est nulle en ce qui concerne l’édition française parue chez Fuchs en 1794. Pourtant, ce sont les traductions – en français, en allemand, en anglais – qui font connaître le récit du Suédois sur le marché international. Notons que, si des équipes rivales sont en concurrence dans trois capitales européennes, on assiste aussi à une collaboration à travers les frontières. En pleine Révolution française, un libraire parisien envisage une publication simultanée du récit de Thunberg à Uppsala, Berlin et Paris.

Retour au Japon

30 Tournons-nous, pour terminer, vers le Japon. Près d’un demi-siècle après la visite de Thunberg, un chirurgien militaire allemand au service des Pays-Bas, Philipp Franz von Siebold, débarque à Nagasaki en 1823. Il apporte dans ses bagages la Flora Japonica de Thunberg ainsi que, probablement, son récit de voyage dans l’édition française de 1796.

31 Au début du XIXe siècle, les élites intellectuelles, et aussi les autorités japonaises, manifestent un intérêt croissant pour la « science hollandaise », c’est-à-dire les sciences occidentales, en japonais « Rangaku »49. Von Siebold est autorisé à ouvrir une école de médecine près de Nagasaki. L’un de ses élèves, un brillant jeune botaniste originaire de Nagoya, se nomme Itō Keisuke. Lorsque celui-ci termine ses études chez von Siebold en 1828, l’Allemand lui donne en cadeau d’adieu la Flora Japonica. L’année suivante, Itō Keisuke, à 26 ans, publie à Nagoya une adaptation très libre du livre de Thunberg, le Taisei Honzō Meiso, synthèse de connaissances botaniques européennes et extrêmes-orientales. Itō Keisuke deviendra un patriarche de la botanique japonaise (il mourra en 1901 à 98 ans), et les travaux de Thunberg constitueront une « référence fondamentale » lorsqu’un Département de botanique sera créé à l’Université impériale de Tokyo après la Restauration Meiji. Le Taisei Honzō Meiso contient un portrait de Thunberg, gravé sur cuivre et non sur bois comme c’est la coutume50. Ce portrait, qui fait connaître les traits du Suédois aux lecteurs japonais, est une reproduction méticuleuse du frontispice de l’édition française de 1796, fruit des hypothèses d’un dessinateur et d’un graveur parisiens à partir de deux médiocres dessins suédois : Thunberg tel qu’il devrait l’être.

Conclusion

32 Il est temps de revenir aux questions posées au début de cet article. Chez le botaniste Thunberg, le choix de la langue est lié, d’une part, au genre – néo-latin pour les monographies scientifiques, suédois pour le récit de voyage – et, d’autre part, aux pratiques des revues qui publient ses articles – par exemple latin pour les Actes de l’Académie impériale des sciences à Saint-Pétersbourg, mais aussi suédois et anglais pour les Philosophical Transactions à Londres en 1780 et néerlandais pour des revues de sociétés savantes aux Pays-Bas. Ces derniers cas nécessitent des traductions, du suédois ou du latin, qui s’inscrivent dans le cadre d’échanges de services au sein des réseaux

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scientifiques de Thunberg ; l’auteur peut compter sur la fidélité des versions de ses collègues.

33 La langue suédoise dans laquelle Thunberg écrit son récit de voyage est peu répandue en Europe. L’ouvrage est traduit en allemand, anglais et français. Il ne l’est pas en néerlandais, bien que l’auteur traite des colonies néerlandaises d’Afrique et d’Asie, du comptoir de Deshima et de la mission néerlandaise à Edo. Pour les versions françaises, nous venons de le voir, l’influence de l’auteur sur le résultat final est minime ou nulle. Dans le cas de l’édition de 1796, dont les sources permettent de suivre en détail la genèse, les traducteurs jouent un rôle secondaire ; nous ne connaissons même pas le nom de la personne qui a complété le travail de traduction en Suède. L’initiative de la publication vient du libraire parisien d’André, et ce sont les rédacteurs, Lamarck et, surtout, Langlès, qui ont déterminé la structure et le contenu de l’ouvrage publié. Pour les versions anglaise et allemandes, les sources permettent d’affirmer que le contrôle de l’auteur est nul dans deux cas : d’une part la traduction londonienne, d’autre part l’édition berlinoise en un volume, où le rédacteur Johann Reinhold Forster a joué un rôle prépondérant. Dans un cas seulement, l’édition berlinoise en deux volumes doubles, Thunberg a pu suivre régulièrement le processus de publication grâce à sa correspondance avec le traducteur allemand Groskurd. La proximité géographique et politique a dû faciliter les contacts : la ville de Greifswald où demeure Groskurd fait partie du royaume de Suède51.

34 Si deux traductions, celle de Groskurd et la version anglaise, suivent de près le texte suédois de Thunberg, l’original est transformé dans les trois autres traductions. Le cas du botaniste suédois suggère que le récit de voyage, dans l’Europe du XVIIIe siècle, est un texte malléable qui peut être comprimé ou élargi à volonté, au gré des rédacteurs et éditeurs. Il y aurait ici matière à une enquête systématique sur les traductions de récits de voyage en Europe. Il faut noter, pour terminer, la transformation sur le sol japonais de l’œuvre scientifique maîtresse de Thunberg, la Flora Japonica, au début du XIXe siècle. Loin d’être un imitateur passif, le jeune auteur du Taisei Honzō Meiso refond l’ouvrage en 1829 à la lumière des derniers progrès de la science européenne et extrême-orientale.

NOTES

1. Le présent article est basé sur ma monographie Carl Peter Thunberg, Botanist and Physician : Career-Building Across the Oceans in the Eighteenth Century, Uppsala, Swedish Collegium for Advanced Study, 2014. Le livre a été écrit dans le cadre d’un projet financé par la fondation Riksbankens Jubileumsfond à Stockholm, « Carl Peter Thunberg, Europe and Japan », auquel a également participé Andreas Önnerfors. Je tiens à remercier le Swedish Collegium for Advanced Study et son directeur Björn Wittrock, ainsi que l’Institut de littérature de l’Université d’Uppsala et sa directrice Ann Öhrberg, qui ont accueilli successivement mes recherches sur Thunberg. 2. Pour une présentation détaillée de la carrière de Thunberg, voir Marie-Christine SKUNCKE, CARL PETER THUNBERG, BOTANIST AND PHYSICIAN : CAREER-BUILDING ACROSS THE OCEANS IN THE EIGHTEENTH CENTURY, UPPSALA, SWEDISH COLLEGIUM FOR ADVANCED STUDY, 2014.

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3. Voir L. C. ROOKMAAKER & INGVAR SVANBERG, « BIBLIOGRAPHY OF CARL PETER THUNBERG (1743-1828) », SVENSKA LINNÉSÄLLSKAPETS ÅRSSKRIFT, 1992-1993, P. 7-71. 4. Andreas Ö NNERFORS, « LES VOYAGES DE THUNBERG EN ALLEMAND : LA NAISSANCE LABORIEUSE D’UNE

TRADUCTION », À PARAÎTRE DANS PATRICE BRET, JEANNE PEIFFER (DIR.), LA TRADUCTION COMME DISPOSITIF DE

COMMUNICATION DANS L’EUROPE MODERNE, PARIS, ÉDITIONS HERMANN, HISTOIRE DES SCIENCES, SOUS PRESSE (ÉTUDE DANS LE CADRE DU PROJET « CARL PETER THUNBERG, EUROPE AND JAPAN », VOIR NOTE 1).

5. Sur l’importance du latin en botanique au XVIIIE SIÈCLE, VOIR FRANÇOISE WAQUET, LE LATIN OU L’EMPIRE

D’UN SIGNE, XVIE-XXE SIÈCLE, PARIS, ALBIN MICHEL, 1978, P. 116-117. 6. Flora Japonica, Lipsiae, J. G. Müller, 1784. Flora Capensis […], vol. I, fasc. 1-3, Upsaliae, 1807, 1811 et 1813 (publié probablement à compte d’auteur, imprimé par l’imprimerie de l’université d’Uppsala) ; Flora Capensis […], Hafniae, Gehrhard Bonnier, vol. II, fasc. 1-2, 1818 et 1820, et vol. I, 1824 ; Flora Capensis […], [réd.] J. A. Schultes, Stuttgardtiae, J. G. Cotta, 1823. 7. Mémoires de l’Académie des sciences de Stockholm (K. Vetenskaps Academiens Handlingar / Nya Handlingar, sigle KVAH) : plus de 60 articles en suédois. Saint-Pétersbourg : par exemple « Fumariae quatuor novae species e Regno Japonico […] », Nova Acta Academiae Scientiarium Imperialis Petropolitanae, 12, 1801, p. 101–104 (selon Rookmaaker & Svanberg 1992-1993, p. 47). Cannelle : « Anmärkningar vid Canelen ; gjorde på Ceylon », KVAH (Nya Handlingar), vol. 1, 1780, p. 55-66. Monnaies japonaises : Inträdes-Tal, Om de Mynt-Sorter, Som i äldre och sednare tider blifvit slagne och varit gångbare Uti kejsaredömet Japan […], Stockholm, K. Vetenskaps-Academien, 1779. 8. Jean Deutz (1743-1784) : lettres à Thunberg, 9 mars et 9 octobre 1780, G 300 g, Uppsala Universitetsbibliotek ; voir D. O[nno] WIJNANDS, « THE LETTERS OF MAARTEN HOUTTUYN TO CARL PETTER THUNBERG (1780–1790) », PROCEEDINGS OF THE KONINKLIJKE NEDERLANDSE AKADEMIE VAN WETENSCHAPPEN, 93:1, 1990, P. 78, 82 NO 1. MARTINUS HOUTTUYN (1720-1798) : LETTRE À THUNBERG, 17 SEPTEMBRE 1781, DANS WIJJNANDS 1990,

P. 81. ARTICLE DE THUNBERG : « BESCHRYVING VAN TWEE NIEUWE SOORTEN VAN PALMBOOMACHTIGE GEWASSEN, UIT

JAPAN EN VAN DE KAAP DER GOEDE HOPE […] », VERHANDELINGEN, UITGEGEEVEN DOOR DE HOLLANDSCHE MAATSCHAPPYE DER WEETENSCHAPPEN, TE HAARLEM. XX:2, HAARLEM, 1782, P. 419-434. 9. Houttuynia, Wijnands, 1990, p. 85 (KVAH 1783). Société de Vlissingen, Wijnands, 1990, p. 86, 88. Traduction néerlandaise de l’article sur la cannelle (voir ci-dessus note 7) : Rookmaaker & Svanberg, 1992-1993, p. 31 (no 108, 1785). 10. « Ett kort utdrag af en Journal, hållen på en resa til och uti Kejsaredömet Japan, gjord af Doctor Thunberg åren 1775 och 1776, skrifvit til Herr Joseph Banks, Præses uti Royal Society, i London », et traduction anglaise, « Translation of a short Extract from a Journal kept by C. p. Thunberg, M. D. during his Voyage to, and Residence in, the Empire of Japan, in a Letter addressed to the President », Philosophical Transactions, vol. LXX, part I, London, Royal Society, 1780, p. 143-156 (en suédois) ; Appendix, p. i-viii (en anglais). Sur les relations entre Thunberg et le cercle de Joseph Banks, voir SKUNCKE, CARL PETER THUNBERG, OP. CIT., P. 176-185, 197-198. 11. Journal encyclopédique ou universel, 1er octobre 1781, VII:1, p. 111-119. Esprit des journaux, novembre 1781, p. 223-232. « Das Neueste von Japan », dans Taschenbuch zum Nutzen und Vergnügen fürs Jahr 1782, Göttingen [1781], p. 1-15, d’après une édition fac-similé du Göttinger Taschen-Calender pour l’année 1782, Mainz, Dieterisch’sche Verlagsbuchhandlung, 1995. Voir SKUNCKE, CARL PETER THUNBERG, OP. CIT., P. 200-201. 12. Resa uti Europa, Africa, Asia, förrättad Åren 1770-1779, 4 vol., Upsala [à compte d’auteur], 1788-1793. Pour une présentation générale, voir SKUNCKE, CARL PETER THUNBERG, OP. CIT., P. 253-257, ET

CARL JUNG, KAROSS UND KIMONO. ‘HOTTENTOTTEN’ UND JAPANER IM SPIEGEL DES REISEBERICHTS VON CARL PETER THUNBERG

(1743–1828), (DISS. ZÜRICH), STUTTGART, FRANZ STEINER VERLAG, 2002.

13. Sur le Japon et l’Europe, voir par exemple Jacques PROUST, L’EUROPE AU PRISME DU JAPON, XVIE-XVIIIE SIÈCLE, PARIS, ALBIN MICHEL, 1997.

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14. Engelbert KAEMPFER, GESCHICHTE UND BESCHREIBUNG VON JAPAN, HRSG. CHRISTIAN WILHELM DOHM, 2 VOL., LEMGO, 1777-1779 (ÉDITION FAC-SIMILÉ, STUTTGART, 1964). 15. Roger CHARTIER, « LES LIVRES DE VOYAGE », DANS HENRI-JEAN MARTIN ET ROGER CHARTIER (DIR.), HISTOIRE DE L’ÉDITION FRANÇAISE, II. LE LIVRE TRIOMPHANT, 1660-1830, PARIS, PROMODIS, 1984, P. 216. 16. ÖNNERFORS, « LES VOYAGES DE THUNBERG EN ALLEMAND », OP. CIT. TRADUCTIONS ALLEMANDES : REISEN IN AFRIKA UND ASIEN, VORZÜGLICH IN JAPAN […], AUSZUGSWEISE ÜBERSETZT VON KURT SPRENGEL […] UND MIT ANMERKUNGEN BEGLEITET VON JOHANN REINHOLD FORSTER, BERLIN, VOSS, 1792, ET REISE DURCH EINEN THEIL VON EUROPA, AFRIKA UND ASIEN, HAUPTSÄCHLICH IN JAPAN, IN DEN JAHREN 1770 BIS 1779, FREY ÜBERSETZT VON CHRISTIAN HEINRICH GROSKURD, 2 VOL., BERLIN, HAUDE UND SPENER, 1792-1794. 17. SKUNCKE, CARL PETER THUNBERG, OP. CIT., P. 260-262. TRAVELS IN EUROPE, AFRICA, AND ASIA PERFORMED BETWEEN THE YEARS 1770 AND 1779, 4 VOL., LONDON, W. RICHARDSON & J. EGERTON, VOL. 1-3, [1793] ; F. & C. RIVINGTON, VOL. 4, 1795. 18. Voyage en Afrique et en Asie, principalement au Japon […] : Servant de suite au voyage de D. [sic] Sparmann, Paris, Fuchs, an III [1794]. Voyages au Japon, Par le Cap de Bonne-Espérance, les îles de la Sonde, &c, Paris, Benoît Dandré, an IV [1796], deux éditions, 4 vol. in-8o et 2 vol. in-4o. 19. Benoît d’André (Dandré) à Thunberg, G 300 b, Uppsala Universitetsbibliotek. Les dates de naissance et de mort de d’André sont inconnues – e-mail de Sabine Juratic à l’auteure, 4 décembre 2013. 20. D’André à Thunberg, 21 novembre 1791. Félix Vicq d’Azyr : Nouvelle biographie générale : depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, Paris, Firmin Didot frères, t. 46, 1866, col. 89-91. 21. Adresses à Paris : d’André à Thunberg, 18 mai 1792 (Ministre de l’Intérieur Roland, pour Vicq d’Azyr), 18 novembre 1792 (Ministre Lebrun). Consul Delisle (ou De l’Isle), 18 novembre 1792 et passim. Sur Yves Joseph Noël Clemenceau de Lisle (1727-1821), en poste en Suède de 1767 à 1800, voir Anne MÉZIN, LES CONSULS DE FRANCE AU SIÈCLE DES LUMIÈRES (1715-1792), PARIS, MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, 1997, P. 205. 22. 10 septembre 1792. 23. 2 décembre 1793. 24. 12 mars 1792 (Villeneuve) ; 26 octobre 1792 (150 riksdaler) ; 11 janvier 1793 (premier volume arrivé) ; 29 novembre 1793 (deux traducteurs après Villeneuve) ; 3 et 14 juin 1793 (manuscrit perdu et retrouvé) ; 23 juin 1794 (quatrième volume complet). 25. 12 mars 1792, 14 mai 1792, 10 septembre 1792 (citations tirées de cette dernière lettre). 26. 18 novembre 1792. 27. 20 janvier 1794. 28. 29 juin 1792. 29. 20 janvier et 7 février 1794 ; voir aussi 10 septembre 1792, 30 avril 1793. 30. 29 novembre 1793 et 20 janvier 1794. 31. Deux lettres sans date [printemps 1795]. 32. 18 mai 1792, 29 juin 1792. Voir aussi 21 novembre 1791, sur C. G. Murr à Nuremberg, et, sur Murr, ÖNNERFORS, « LES VOYAGES DE THUNBERG EN ALLEMAND », OP. CIT. 33. Voyage en Afrique et en Asie, 1794, Préface. Anders SPARRMAN, RESA TILL GODA HOPPS-UDDEN, SÖDRA POL- KRETSEN OCH OMKRING JORDKLOTET, SAMT TILL HOTTENTOTT- OCH CAFFER-LANDEN, ÅREN 1772-76, VOL. I, STOCKHOLM, 1783. TRADUCTION FRANÇAISE PAR PIERRE LE TOURNEUR : VOYAGE AU CAP DE BONNE-ESPÉRANCE ET AUTOUR DU MONDE AVEC LE CAPITAINE COOK, ET PRINCIPALEMENT DANS LE PAYS DES HOTTENTOTS ET DES CAFFRES, PAR ANDRÉ SPARRMAN, PARIS, BUISSON, 1787, 2 VOL. 34. Voyage en Afrique et en Asie, 1794, Kaempfer, p. 442-448. Georgi : p. 425-442. 35. D’André à Thunberg, 12 septembre et 9 novembre 1795.

36. Voyages de C. P. Thunberg…, 1796 ; outre « BENOÎT DANDRÉ, LIBRAIRE–ÉDITEUR », LA PAGE DE TITRE INDIQUE LES LIBRAIRES PARISIENS GARNERY ET OBRÉ. LA BIBLIOTHÈQUE UNIVERSITAIRE D’UPPSALA POSSÈDE UN EXEMPLAIRE DE L’ÉDITION IN-OCTAVO, SUR LAQUELLE SE BASENT MES RÉFÉRENCES ; LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE DE STOCKHOLM

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POSSÈDE LES DEUX ÉDITIONS ; LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE POSSÈDE L’ÉDITION IN-QUARTO, DONT LE PREMIER VOLUME EST EN LIGNE (WWW.GALLICA.BNF.FR). 37. « CAROLO PETRO THUNBERG, / BOTANICES P.P. / Upsalensi, Equiti de Wasa, bene merito » (traduction libre). Portrait dessiné par Notté et gravé par François Denis Née. 38. Sur Louis-Mathieu Langlès (1763-1824), voir l’article de Frédéric HITZEL DANS DICTIONNAIRE DES ORIENTALISTES DE LANGUE FRANÇAISE DE L’IISMM-KARTHALA, PARIS, ÉD. FRANÇOIS POUILLON, [2008], DEUXIÈME ÉDITION, 2010, P. 559. SELON JEAN-LUC CHAPPEY (E-MAIL À L’AUTEUR, 16 JUILLET 2013), LA PUBLICATION DES VOYAGES DE THUNBERG POURRAIT PARTICIPER DE LA STRATÉGIE DE LANGLÈS POUR JUSTIFIER ET LÉGITIMER SON ACCESSION À LA DIRECTION DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE EN OCTOBRE 1795. 39. Voyages de C. P. Thunberg…, op. cit., vol. I, p. iv-v. 40. Sections ajoutées : Java, vol. II, p. 288-323 (sur la langue « javane », vol. II, p. 292-307) ; « Traité des monnaies, poids et mesures du Japon », vol. IV, p. 359-386 (une traduction allemande du discours suédois a pu servir d’intermédiaire, voir SKUNCKE, CARL PETER THUNBERG, OP. CIT., P. 199). 41. Sources : Préface du Rédacteur, vol. I, p. x-xi. Références abondantes dans les notes. « Notice alphabétique et raisonnée des ouvrages cités dans les Notes du Rédacteur », vol. IV, p. 417-462. 42. Préface, vol. I, p. i-ii et vi-x. 43. Préface, vol. I, p. iii-iv.

44. Jean-Luc CHAPPEY ET VIRGINIE MARTIN, « À LA RECHERCHE D’UNE “POLITIQUE DE TRADUCTION” : TRADUCTEURS ET TRADUCTIONS DANS LE PROJET RÉPUBLICAIN DU DIRECTOIRE (1795-1799) », LA RÉVOLUTION FRANÇAISE [EN LIGNE], 12 | 2017, HTTP://JOURNALS.OPENEDITION.ORG/LRF/1732, (MIS EN LIGNE LE 15 SEPTEMBRE 2017, CONSULTÉ LE 27 NOVEMBRE 2017). 45. Langues orientales : vol. III, p. 2-3, note. Anckarström : vol. I, p. 71, note. 46. Thunberg à André Thouin, 11 novembre 1796, Ms. 1989, Muséum d’histoire naturelle, Paris. 47. Pour le débat sur Linné en France au début de la République française, voir Jean-Luc CHAPPEY, DES NATURALISTES EN RÉVOLUTION. LES PROCÈS-VERBAUX DE LA SOCIÉTÉ D'HISTOIRE NATURELLE DE PARIS (1790-1798), PARIS,

ÉDITIONS DU CTHS, 2009, P. 18-37. SUR LAMARCK BOTANISTE, VOIR PAR EXEMPLE PASCAL DURIS, LINNÉ ET LA FRANCE

(1780-1850), GENÈVE, DROZ, 1993, P. 146-151 ; SUR SON RÔLE DANS LA CONTROVERSE LINNÉ–BUFFON, VOIR PIETRO CORSI,

LAMARCK. GENÈSE ET ENJEUX DU TRANSFORMISME, 1770-1830, PARIS, CNRS ÉDITIONS, 2001. 48. Citoyen Lamarck, « Explication des figures » [d’histoire naturelle], vol. IV, p. 348-358. 49. Sur le « Rangaku », voir par exemple Jacques PROUST, L’EUROPE AU PRISME DU JAPON, OP. CIT., CH. VII ;

LEONARD BLUSSÉ ET AL. (DIR.), BRIDGING THE DIVIDE : 400 YEARS THE NETHERLANDS – JAPAN, LEIDEN, HOTEI PUBLISHING &

HILVERSUM, TELEAC/NOT, 2000, CH. 5–7 (SUR PH. F. VON SIEBOLD, 1796-1866, P. 113, ARTICLE DE HARM BEUKERS). 50. Sur von Siebold, Itō Keisuke (1803-1901), et le Taisei Honzō Meiso (Nagoya [1829] ), y compris le portrait de Thunberg, voir l’analyse de Richard C. RUDOLPH, « THUNBERG IN JAPAN AND HIS FLORA

JAPONICA IN JAPANESE », MONUMENTA NIPPONICA, VOL. 29, NO. 2, 1974, P. 172-178 ; SKUNCKE, CARL PETER THUNBERG, OP.

CIT., P. 274-282. THUNBERG SOUS LA RESTAURATION MEIJI : YOJIRŌ KIMURA, « THUNBERG AND THE FLORA OF JAPAN », DANS C. P. THUNBERG’S DRAWINGS OF JAPANESE PLANTS : ICONES PLANTARUM JAPONICARUM THUNBERGII […], [RÉD.] Y. KIMURA & V. P. LEONOV, TOKYO, MARUZEN CO., 1994, P. 333 (« THE BASIC REFERENCE FOR BOTANICAL RESEARCH »). 51. Sur Greifswald et la Poméranie suédoise, voir l’étude d’Andreas ÖNNERFORS, CI-DESSUS, NOTE 4.

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RÉSUMÉS

Le botaniste et médecin suédois Carl Peter Thunberg (1743-1828) est le seul savant européen à avoir visité et décrit le Japon au XVIIIe siècle. Ses ouvrages, traduits en plusieurs langues, ont connu une large diffusion en Europe. La première partie de la présente étude aborde ses monographies scientifiques en latin, dont la Flora Japonica (1784), ainsi que ses articles, publiés tantôt en latin, tantôt en langue vernaculaire. La deuxième partie est consacrée aux traductions européennes de son récit de voyage dans les années 1790, mettant l’accent sur les versions françaises. Une série de lettres manuscrites envoyées à Thunberg à Uppsala par Benoît Dandré (ou d’André), éditeur-libraire à Paris pendant la Révolution, permet de suivre de près la genèse de l’édition française de 1796. La troisième partie de l’article évoque brièvement une adaptation japonaise de la Flora Japonica, le Taisei Honzō Meiso d’Itō Keisuke, (1829), qui fit connaître le botaniste suédois au Japon.

The Swedish botanist and physician Carl Peter Thunberg (1743-1828) was the only European scientist who visited and published his observations of Japan in the eighteenth century. His works were translated into several European languages. The first part of this article is devoted to the diffusion of his scientific monographs in Latin (including the Flora Japonica, 1784) and that of his articles, published either in Latin or vernacular languages. The second part is devoted to the European translations of his travel account, concentrating on the French versions. A series of manuscript letters to Thunberg from his publisher in Paris during the French Revolution, the bookseller Benoît Dandré (or d’André), makes it possible to follow in detail the genesis of the French 1796 edition. The third part briefly presents a Japanese adaptation of Thunberg’s Flora Japonica, Itō Keisuke’s Taisei Honzō Meiso (1829), which made the Swedish botanist famous in Japan.

INDEX

Keywords : Translation, Carl Peter Thunberg, Japan, natural history, travel literature Mots-clés : Traduction, Carl Peter Thunberg, Japon, histoire naturelle, récit de voyage

AUTEUR

MARIE-CHRISTINE SKUNCKE Institut de littérature, Université d’Uppsala.

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Tradition et traduction. L’évolution de la science militaire hongroise de la fin du XVIIe siècle au début du XIXe siècle

Tóth Ferenc

1 Avant d’aborder le sujet principal de cette étude, il paraît indispensable de souligner quelques particularités de l’histoire hongroise qui exercèrent une forte influence sur l’évolution de la science militaire hongroise, ainsi que sur les différents mouvements de traduction d’ouvrages. Il convient d’abord de préciser le contexte. Au cours d’un « long XVIIIe siècle », l’histoire hongroise connut des bouleversements considérables : les guerres turques et la libération du pays (1661-1699), les mouvements anti-Habsbourg des révoltés hongrois (1670-1711), les tentatives d’intégration du Royaume de Hongrie dans la Monarchie autrichienne (1711-1790) et le renouveau des mouvements nationaux avec les grandes réformes (1790-1848). Dans le cadre de cette étude, nous nous proposons de présenter les principaux mouvements et personnages qui jouèrent un rôle important, par le biais des traductions de textes, dans la formation d’une pensée militaire moderne qui eut une influence considérable sur la genèse du mouvement national moderne.

2 Malgré son histoire mouvementée, une caractéristique fondamentale restait constante en Hongrie durant la période examinée : les élites hongroises essayaient de développer soit une large autonomie politique et institutionnelle à l’intérieur des pays de la Monarchie habsbourgeoise, soit une indépendance politique et militaire, notamment à l’époque de la guerre menée par le prince François II Rákóczi (1703-1711)1. Il en résulta que la question de la défense du pays, ainsi que celle du développement de la science militaire restaient au cœur de ces mouvements. Une seconde particularité réside dans les affaires linguistiques et culturelles hongroises. La Hongrie de cette époque était un pays multiethnique et polyglotte. Hormis la population hungarophone, il y avait des minorités allemandes, roumaines, slaves et autres qui coloraient la situation linguistique. En plus, la langue hongroise, d’origine finno-ougrienne et comportant

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beaucoup d’éléments turcs et ouralo-altaïques, restait très difficile d’accès aux populations ne parlant pas cet idiome. La langue hongroise avait en outre des variantes régionales et le long processus de création d’une langue littéraire commune se déroula également dans la seconde moitié de la période étudiée ici. L’emploi du latin dans l’administration (jusqu’en 1844 !) et d’autres langues, comme l’allemand ou le français, dans les différents secteurs scientifiques était tout à fait courant dans les différentes régions du Royaume de Hongrie. Néanmoins, le désir de disposer d’ouvrages en hongrois existait déjà depuis longtemps et cela favorisait aussi les traductions, en particulier dans le domaine militaire2.

3 Au début du XVIIe siècle, les changements économiques, sociaux et politiques, ainsi que les conflits militaires transformèrent radicalement les guerres européennes. Cette transformation de grande envergure, appelée « révolution militaire » (Military Revolution) dans la littérature contemporaine, était accompagnée et favorisée par la croissance spectaculaire des ouvrages militaires, ainsi que leur expansion en Europe grâce à l’imprimerie3. Au cours du XVIIe siècle, on compte environ cinq cents titres d’ouvrages militaires, publiés à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. La Hongrie suivait de loin ce mouvement. Si nous voulons découvrir les raisons du manque d’ouvrages militaires dans ce pays, il faut prendre en considération que l’unité politique et territoriale du Royaume de Hongrie avait disparu après la bataille de Mohács en 15264 et suite aux occupations ottomanes (1541-1699) : la moitié du royaume était passée sous la domination des Habsbourg, la Transylvanie était devenue vassale de l’Empire ottoman et la partie centrale du pays était occupée directement par les Turcs. À partir de cette date, on ne pouvait parler d’armée hongroise qu’en Transylvanie, les affaires militaires de la Hongrie royale étant gérées depuis Vienne. Ces divisions politiques se sont accompagnées d’une longue période de guerres, sur environ cent cinquante ans, qui avait causé des pertes humaines et matérielles énormes. Ainsi, les ressources nécessaires manquaient pour l’établissement d’une armée permanente moderne aussi bien en Hongrie qu’en Transylvanie. En outre, les circonstances politiques et militaires empêchaient également la constitution d’une armée importante. Les forces armées hongroises étaient majoritairement composées d’unités levées en fonction des obligations féodales et périodiques. Elles représentaient une valeur militaire plus faible, une composition et une manière de combattre moins efficace que les armées occidentales. Tandis que, en Europe occidentale les guerres (les sièges et les batailles) étaient menées par des armées bien disciplinées et équipées d’armes à feu ainsi que d’armes blanches, la défense des confins militaires, dans l’Empire des Habsbourg, était assurée par une armée majoritairement composée de cavalerie légère caractérisée par une tactique irrégulière (reconnaissance, guerres de partis, embuscades)5.

Nicolas Zrínyi et son œuvre

4 En Hongrie, même dans les années 1650, Nicolas Zrínyi pouvait prendre ombrage de certaines réflexions puisque « les autres nations écrivent des livres sur le commandement des armées, et nous, nous en rions : combien de savoir-faire et de métiers faut-il pour cela ? »6. Au XVIIe siècle, face à la riche palette de la littérature militaire occidentale, celle de la Hongrie restait bien pauvre. Cela ne signifiait pas que la Hongrie était à l’écart des mouvements de la pensée militaire européenne ou bien

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que personne, en dehors de Zrínyi, ne s’occupait des problèmes militaires du Royaume de Hongrie ou de la Transylvanie. Dans les correspondances princières ou seigneuriales, dans les archives familiales, parmi les feuilles volantes, dans les mémoires et propositions de l’administration centrale de Vienne on retrouve des traductions hongroises qui influencèrent l’évolution de la langue militaire hongroise du XVIIe siècle7.

5 Nicolas Zrínyi était l’arrière-petit-fils du « héros de Szigetvár », qui portait les mêmes nom et prénom et dont il immortalisa la mémoire dans une épopée intitulée le Désastre de Sziget8. Il naquit en 1620 en Croatie et devint orphelin très jeune. Son éducation fut alors confiée à Pierre Pázmány, l’archevêque de Strigonie9, qui le plaça dans des établissements tenus par des jésuites. Ayant acquis une large culture humaniste, Zrínyi fit également un voyage d’études en Italie, en 1636, qui détermina sa vocation d’homme de lettres. Il participa aux opérations militaires de la fin de la guerre de Trente Ans contre les Suédois. Il fut nommé général par l’empereur en 1646 et, l’année suivante, ban de Croatie. Cette dignité lui permit de diriger l’organisation de la défense des frontières militaires hungaro-croates contre les Turcs. Il s’avéra aussi un stratège et écrivain remarquable. Outre ses œuvres poétiques ou dramatiques, il rédigea des ouvrages militaires (Petit traité de campagne, Le preux capitaine) et devint ainsi le père fondateur de la pensée militaire hongroise moderne10.

6 Grâce à la riche bibliothèque de son château de Csáktornya, Zrínyi possédait une documentation considérable. Il put ainsi rédiger des ouvrages originaux sur le modèle des traités militaires occidentaux, traités dont il assura également la traduction. Nous connaissons deux traductions de sa plume. La première est un traité de Charles Quint sur la levée d’un régiment d’infanterie. Dans ce texte, nous trouvons des mots étrangers adaptés en hongrois (du latin, de l’allemand, de l’italien, du français), tels que mustra ( Muster all.), generális (général), tracta (traité), ainsi que des mots hongrois d’origine étrangères comme kapitány (capitaine) et darabont (trabant all., satellite). Le second ouvrage traduit par Zrínyi est un traité de Lazare Schwendi sur le service militaire. On y trouve d’autres nouveautés terminologiques, comme lármahely (Alarmplatz all., place d’armes), hadnagy ( Rittmeister all., capitaine de cavalerie), kvártélymester ( Quartiermacher all., quartier-maître), strázsamester ( Wachmeister all., sergent). Ces textes attestent bien de l’influence des premières traductions sur le vocabulaire militaire hongrois11.

7 L’activité scientifique militaire de Zrínyi exerçait une influence considérable sur la littérature militaire hongroise. II Batthyány, fils d’Adam Ier Batthyány, le compagnon d’armes et successeur de Zrínyi comme ban de Croatie, commença, dans les années 1690, la rédaction d’un ouvrage militaire en hongrois intitulé Mars Politicus12. Cet ouvrage fragmentaire est d’autant plus intéressant qu’il continue le genre du discours militaire inspiré par les recueils d’aphorismes et de miroirs royaux favorisés par Zrínyi. On y voit également une forte volonté de l’auteur de s’exprimer en langue hongroise qui met davantage en relief la réussite des ouvrages de Zrínyi. Le processus commencé sous l’influence de Zrínyi s’amplifia durant la guerre d’indépendance de François II Rákóczi. Le prince Rákóczi s’inspira considérablement des idées de Zrínyi afin de régulariser son armée. Les règlements militaires acceptés par la diète de 1707 dérivaient du Petit traité de campagne de Zrínyi. En 1705, toujours à l’époque de la guerre d’indépendance de Rákóczi, le général Simon Forgách publia le texte du Remède contre l’ turc, dédié au prince Rákóczi13.

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L’influence de la guerre d’indépendance du prince François II Rákóczi

8 Le prince François II Rákóczi s’intéressa vivement à ce sujet. Dans ses ouvrages autobiographiques, tout comme dans ses Mémoires et ses Confessions, il publia ses réflexions militaires. Sa bibliothèque de Rodosto témoigne de son intérêt pour l’art militaire et on y trouve, entre autres, les ouvrages historiques les plus populaires en cette matière, notamment l’Histoire de Polybe de Folard, les Commentaires de Monluc et les Discours de La Noue14. Les premiers échecs de la guerre d’indépendance du prince Rákóczi montraient bien l’incapacité des officiers de son armée à résister à la puissante armée impériale. Comme il ne pouvait pas les remplacer par d’autres, les officiers étrangers (français) étant isolés dans son armée, il décida de réorganiser la direction de son armée. Il fonda, en 1707, un corps d’élite – Nemesi Társaság (« la compagnie des jeunes nobles ») – destiné aux postes d’officiers et qui devaient recevoir une formation sous son contrôle personnel. Accordant une importance à la formation théorique, il fit imprimer un livre de Zrínyi et consulta longuement ses officiers français sur les problèmes de la tactique militaire. Il composa également un ouvrage en hongrois dont le titre en français serait « L’école d’apprentissage de l’homme de guerre », datant des années 1707-1708. Les fragments de ce manuscrit comprennent deux chapitres probablement originaux du prince et deux autres empruntés à l’ouvrage de François de La Vallière intitulé Pratique et maximes de la guerre (La Haye, 1693) 15. Son chef d’œuvre dans le domaine de la mise en ordre de son armée fut le règlement militaire, Regulamentum universale, qui fut même voté par la diète d’Ónod en 1707. Le texte juridique comporte les règles fondamentales créant et organisant l’armée des rebelles hongrois : la levée des troupes, les différentes armes, l’organisation interne, le ravitaillement et le paiement des troupes, etc. Néanmoins, la réalité était souvent bien loin des souhaits du prince exprimés dans cette loi qui, pour l’essentiel, resta lettre morte16.

9 Après la fin de la guerre d’indépendance hongroise, une partie des anciens combattants hongrois s’installèrent en France et sur le territoire de l’Empire ottoman, notamment dans la petite ville de Rodosto, sur le littoral de la mer Marmara. Certains entrèrent comme agents au service de la diplomatie de la France ou de la Sublime Porte. Les Hongrois, dont la langue ressemblait au turc, apprirent celle-ci avec une facilité inouïe et acquirent ainsi une assez bonne réputation comme interprètes de fortune17. Plusieurs entre eux se distinguèrent comme d’excellents traducteurs d’ouvrages.

10 Clément Mikes, le secrétaire du prince Rákóczi dans son exil à Rodosto, fut un traducteur infatigable. Il traduisit au moins douze ouvrages de la langue française en hongrois. Son chef d’œuvre, les Lettres de Turquie18, fut également composé d’extraits d’ouvrages français traduits en hongrois. Les travaux de Mikes furent publiés bien après la mort de leur auteur mais, par leur valeur et leur influence littéraire, contribuèrent fortement à l’évolution des langue et littérature hongroises du XVIIIe siècle19.

11 Un autre traducteur hongrois appartenant à l’émigration politique fut le célèbre renégat Ibrahim Müteferrika (1674/75-1747), fondateur de la première imprimerie dans l’Empire ottoman. D’après les témoignages des archives de l’ancien palais des sultans du Topkapi Sarayi, il fut employé comme interprète en hongrois, mais il eut également plusieurs missions diplomatiques importantes20. Durant l’activité de son imprimerie,

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Ibrahim Müteferrika publia dix-sept ouvrages en vingt-deux volumes. Son ouvrage intitulé Usul el-Hikem fî Nizâm el-Ümem (Pensées sages sur le système des peuples) fut très probablement composé d’extraits traduits d’ouvrages militaires occidentaux. Plus tard, cet ouvrage fut même traduit par le comte Charles Emeric de Reviczky21 sous le titre de Traité de la tactique ou méthode artificielle pour l’ordonnance des troupes, publié en 1769 à Vienne et la même année également à Paris. Cet ouvrage fut rédigé par Ibrahim Müteferrika après la révolte de Patrona Halîl, le chef des janissaires révoltés en 1730 pour montrer les points faibles du système politique et militaire de l’Empire ottoman22.

12 Issu de l’émigration politique, François baron de Tott (1733-1793) fut incontestablement l’expert militaire le plus connu en activité au XVIIIe siècle dans l’Empire ottoman. Durant la guerre russo-turque (1768-1774), il réalisa des réformes importantes à Constantinople. Notamment, il fit construire des forts sur les Dardanelles et le Bosphore, réorganisa l’artillerie turque et fonda une nouvelle école de mathématiques pour laquelle il traduisit lui-même des ouvrages militaires français afin de préparer ses leçons23.

Le mouvement national à l’époque des Lumières

13 Contrairement aux siècles précédents, dominés par la langue latine, celui des Lumières fut caractérisé par une extraordinaire variété linguistique et par l’épanouissement de la langue française. Cette effervescence linguistique provoqua également en Hongrie un bouillonnement culturel et incita les intellectuels à réagir. Conscients du recul de la langue latine en Europe et de l’incapacité du hongrois d’exprimer avec précision les termes scientifiques et les idées modernes, les écrivains hongrois de l’époque commençaient à réfléchir sur la rénovation de leur langue maternelle dans le domaine scientifique, y compris la science militaire, particulièrement importante pour la noblesse hongroise. L’impératrice-reine Marie-Thérèse reconnut également la nécessité des réformes et facilita la formation d’une élite militaire hongroise. L’institution centrale de la formation militaire de la noblesse hongroise fut la Garde du corps nobiliaire hongroise fondée en 1760 à Vienne. Les membres de la Garde, délégués directement par les comitats, recevaient un traitement durant cinq ans et pouvaient bénéficier du rayonnement culturel de la ville de Vienne. Celle-ci était alors une splendide résidence impériale et une véritable ville de cour en pleine transformation. Du point de vue des idées françaises, Vienne jouait alors un rôle d’intermédiaire entre la France et la Hongrie. Ce rôle, déjà démontré dans le cas des idées des Lumières et des idées religieuses (jansénisme, richerisme etc.), ne peut être que réaffirmé dans le domaine militaire. De plus, la francophonie vivante de la capitale impériale ne fit qu’accélérer l’influence de la pensée française sur la jeunesse hongroise. C’est une époque de fourmillement d’idées intense dont témoigne à l’envi la grande quantité d’ouvrages traduits par des Hongrois. Les premiers projets de modernisation et de perfectionnement de la langue hongroise vinrent des membres de la Garde nobiliaire hongroise, dont le chef de file était l’écrivain Georges Bessenyei. Ce dernier s’écria dans un pamphlet en 1778 : « Jamais une nation ne parvint à la science qu’en sa langue maternelle, et non pas en langue étrangère24 ». À leur entreprise se joignirent les poètes David Baróti Szabó, Jean Batsányi et François Kazinczy, qui devinrent par la suite les chefs du mouvement de rénovation. Ils fondèrent la revue Musée Hongrois à Kassa en 1788, principal organe de diffusion de leurs idées.

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14 Le mouvement de modernisation linguistique débuta avec la traduction massive des œuvres d’auteurs classiques et modernes. Dans un article publié en 1789, le poète Jean Batsányi souligna que « les nations qui brillent aujourd’hui avaient commencé par traduire ». Il y donna même les règles de la traduction : précision, fidélité au style et au contenu. Les premières pièces de théâtre jouées dans les grandes villes hongroises étaient également des pièces étrangères traduites. Du point de vue juridique, la traduction était libre de droits car le code civil hongrois d’alors (Corpus Juris) ne comportait aucun article sur la protection des œuvres littéraires et scientifiques (copyright)25. Le programme de modernisation fut aussi une réaction nationale à la politique de germanisation (uniformisation) de Joseph II. Après la découverte de la conjuration des « jacobins hongrois » en 1794, les représailles des autorités autrichiennes décimèrent le mouvement des réformateurs progressistes, mais François Kazinczy survécut et en devint le chef charismatique. Désormais, ce fut lui qui dirigea les progrès de la modernisation linguistique par le biais d’une correspondance étendue avec l’intelligentsia hongroise. Deux grands courants s’établirent dans le mouvement. Il y avait tout d’abord les néologues (novateurs), qui s’assignaient comme objectifs d’enrichir et d’embellir la langue, de la libérer des lourdeurs qui en estompaient la force expressive. Ils suivaient les règles grammaticales qui présidaient à la formation de mots nouveaux dans les langues européennes. Ils appliquaient fréquemment la dérivation, en ajoutant à un radical un suffixe, empruntés tous deux au fonds primitif de la langue, souvent pour traduire en hongrois un terme abstrait ou technique latin, allemand ou français (par ex. batterie/üteg26). Bien que beaucoup d’expressions maladroites ne soient pas parvenues à s’intégrer dans la langue hongroise, celle-ci s’est enrichie de plus de dix mille mots nouveaux27 durant un siècle d’activité novatrice.

15 La période allant de 1825 jusqu’à la révolution et guerre d’indépendance de 1848-49 s’appelle en Hongrie « l’ère des réformes ». C’est alors que les penseurs les plus éclairés, des nobles ayant fait des études dans les pays occidentaux, des bourgeois cultivés ou de simples officiers de fortune ayant combattu à l’étranger, se mobilisèrent en faveur de la modernisation de leur patrie. Parmi les motifs les plus importants de ce mouvement, l’état vulnérable de la défense hongroise fut au premier rang. La défaite de l’ancien système de la levée en masse féodale hongroise, la fameuse insurrection nobiliaire28, en particulier lors de la bataille de Raab en 1809, mit en cause la pensée militaire traditionnelle, qui favorisait l’emploi de la cavalerie, surtout la cavalerie légère (les fameux hussards hongrois) et dévaluait le rôle de la discipline lors des opérations militaires. De telle sorte, la nouvelle génération des officiers hongrois devint plus ouverte aux idées occidentales à l’époque de la publication du chef-d’œuvre de Clausewitz.

16 Le premier ouvrage scientifique militaire, intitulé Hadi tudomány (Science militaire), parut à Pest en 1807 de la plume de Joachim Szekér (1752-1810). Malgré l’originalité incontestable de ce travail, on peut y retrouver plusieurs extraits traduits des grands auteurs militaires prussiens. Les années 1807 et 1808 furent marquées par les préparatifs de la guerre contre Napoléon en Hongrie. Ce fut alors qu’une autre compilation de science et d’histoire militaires vit le jour à Pest grâce à un lieutenant de l’armée insurgée hongroise, Jean Jung. L’ouvrage en question porte le titre A Hadi Mesterséget tárgyazó szükségesebb tudományoknak summás előadása (Présentation sommaire des sciences nécessaires au métier militaire) et s’inspire des textes traduits des grands auteurs français et allemands de la fin du siècle des Lumières. Une

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traduction majeure de l’époque fut exécutée par le capitaine Ladislas Jakkó, qui publia en 1809 à Pest le chef d’œuvre d’Adam Heinrich Dietrich Bülow (Geist der neueren Kriegssystems, Hambourg, 1799) sous le titre de Az uj hadi tudomány lelke (L’esprit du système militaire nouveau). Cette nouvelle vague de traductions militaires fut renforcée par la fondation de l’Académie militaire Ludovika à Pest en 1808. Aussitôt, un ouvrage pour la formation des officiers y fut publié par le lieutenant Michel Alexandre Tanárky, qui fut d’ailleurs un excellent traducteur des ouvrages de l’archiduc Charles29.

17 Ces nombreux officiers se spécialisèrent dans la science militaire et rédigèrent leurs pensées en langue hongroise. Ils reconnurent que, outre l’importance du rayonnement des génies, comme Napoléon, les efforts de nombreux petits penseurs furent également nécessaires pour la lente poursuite des progrès de la science militaire. Ces penseurs puisaient dans l’histoire militaire universelle et hongroise, la littérature scientifique militaire, les phénomènes militaires de leur temps, ainsi que dans leurs propres expériences militaires. Dans leurs ouvrages, datant de différentes périodes, nous retrouvons aussi bien les résultats scientifiques originaux que les traductions, transformations et compilations d’ouvrages scientifiques étrangers. En 1817, une nouvelle revue scientifique intitulée Tudományos Gyűjtemény (Recueil Scientifique) fut fondée pour diffuser des comptes rendus, recensions d’ouvrages et traductions d’auteurs anciens et modernes30.

18 Le 3 novembre 1825, le comte Étienne Széchenyi, capitaine du 4e régiment de hussards, offrit lors d’une séance de la diète hongroise un an du revenu de ses domaines pour la fondation de l’Académie hongroise des sciences, où la science militaire occuperait une sous-section de la section des mathématiques. Le comte Ladislas Festetich accorda dix mille florins dans sa lettre de don du 27 juin 1826 « pour le perfectionnement des sciences militaires dans notre chère Patrie » et pour les appointements annuels d’un membre ordinaire dont la tâche consisterait en « la traduction en hongrois des ouvrages scientifiques militaires des nations anglaise, française, russe, allemande et les autres européennes qui en sont dignes sous la surveillance de la Société savante ». Entre 1830 et 1848, les membres militaires de l’Académie hongroise des sciences – notamment le capitaine Charles Kiss, un officier académicien qui se distingua tout particulièrement lors de la guerre d’indépendance hongroise (1848-1849), le capitaine Gustave Szontagh, le lieutenant-colonel du génie Georges Baricz, le capitaine et juge militaire François Kállay, le général major Jean Lakos, le major Michel Alexandre Tanárky, le lieutenant Jean Korponay et le colonel Lazare Mészáros – se distinguèrent dans l’introduction des sciences militaires en Hongrie, ainsi que dans leur perfectionnement. On pourrait y ajouter le nom de beaucoup d’autres écrivains militaires, dont le bombardier Éméric Raksányi, le sous-lieutenant Jean Czecz et le caporal Joseph Virág, qui voulurent lancer – sans autorisation – une revue intitulée Tudományos Hadász (Le militaire savant) en 1836. Dans les périodiques de cette époque, nous trouvons beaucoup d’essais d’auteurs militaires hongrois qui traitaient souvent de divers sujets des affaires militaires, à un niveau comparable aux auteurs européens connus31.

19 La pensée napoléonienne dominait les premières décennies du XIXe siècle en Hongrie également. C’est ce qu’indique la traduction des Maximes de guerre de Napoléon par Charles Kiss (1793-1866), publiée en sept parties dans une revue scientifique de province (Felső Magyar-Országi Minerva). Son grand adversaire, l’archiduc Charles, bénéficiait également d’honneurs académiques considérables : en 1832, un projet de

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traduction de ses œuvres complètes fut déposé à l’Académie hongroise des sciences. Par contre, l’influence de la pensée clausewitzienne fut lente et difficile à démontrer. Faute d’analyses systématiques des bibliothèques privées des officiers supérieurs de cette période, et en l’absence de recherches philologiques exhaustives des manuscrits personnels des grands penseurs militaires de l’ère des réformes, nous devons nous contenter de la présentation de quelques cas caractéristiques qui illustrent l’impact des écrits de Clausewitz. Le premier écrivain militaire à reconnaître la grande valeur de son chef d’œuvre fut Charles Kiss. L’Académie hongroise des sciences, depuis sa fondation en 1825 par le comte Széchenyi, préconisait le développement des sciences comme les mathématiques, considérées comme utiles pour la défense de la patrie. Charles Kiss, premier membre militaire de l’Académie, participa activement aux débats philosophiques sur la nature des sciences de la guerre. Dans ce débat, il y avait trois conceptions : la première rangeait les sciences militaires dans les mathématiques, la deuxième, avec Jomini, les classait dans la catégorie des arts, tandis que la troisième conception les inscrivait parmi les sciences à part entière. Kiss adhéra à cette troisième conception en soulignant l’importance de l’ouvrage philosophique et analytique de Clausewitz32.

20 Un autre combattant du même mouvement laissa un manuscrit que nous pouvons considérer comme la première tentative de traduction de Clausewitz en hongrois. Il s’agit d’un jeune officier d’artillerie (bombardier) de l’armée royale et impériale, Émeric Raksányi (1818-1849), qui reconnut pour la première fois l’importance primordiale de la pensée de Clausewitz, ainsi que la nécessité de sa diffusion parmi le public hongrois. Il composa plusieurs écrits dans lesquels il contribua à l’élaboration d’un nouveau vocabulaire militaire hongrois, un des buts des officiers académiciens de cette époque. Il faisait partie d’une jeune génération de penseurs militaires qui soutenaient la cause des réformes et l’idée de la création d’une armée nationale hongroise, et qui furent les premiers propagateurs de la pensée des grands auteurs militaires modernes, tels que Bülow, l’archiduc Charles, Jomini et Clausewitz. Dans ses écrits intitulés Kalászok a hadtudomány mezején (Épis dans le champ de la science de la guerre), parus dans la revue Századunk en 1840, Raksányi présente un traité sur la guerre, l’armée et la science de la guerre. Dans ce texte, il essaie de présenter en langue hongroise les thèses du Vom Kriege de Clausewitz. Il utilisa surtout les deux premiers livres, qui décrivent la nature et la théorie de la guerre. Le jeune auteur hongrois ne se contenta pas de traduire les pensées de base du penseur prussien, mais il essaya de les développer et de les adapter à la situation dans laquelle la Hongrie se trouvait dans la première moitié du XIXe siècle. L’étude de Raksányi, malgré son caractère de compilation, constitue un jalon important dans la pensée théorique militaire hongroise et dans la diffusion des idées de Clausewitz33.

21 En conclusion, nous pouvons constater une évolution lente, mais irrésistible, de la langue hongroise dans le domaine des sciences militaires. Le début du mouvement était lié à l’œuvre du comte Nicolas Zrínyi, premier penseur militaire hongrois, qui s’inspira des théoriciens italiens, allemands et français et qui laissa une littérature militaire fondamentale en hongrois à la fin du XVIIe siècle, une référence pour les penseurs ultérieurs. La seconde étape de l’évolution se situe à l’époque de la guerre d’indépendance hongroise (1703-1711) du prince François II Rákóczi, qui lui-même traduisit des ouvrages militaires français en hongrois. L’émigration hongroise issue du mouvement de Rákóczi continua en quelque sorte ce travail par de nombreuses

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traductions. Le siècle des Lumières en Hongrie fut également caractérisé par la présence de la langue française et de la langue allemande, qui influencèrent profondément la terminologie militaire hongroise à travers les traductions complètes ou partielles des grands ouvrages de l’époque. Même si les élites hongroises étaient plurilingues, la modernisation de la langue hongroise devint une volonté politique. Le grand tournant vint à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle lorsqu’un programme national pour l’élaboration d’une langue scientifique hongroise fut fixé. La fondation de l’Académie militaire Ludovika (1808) et de l’Académie hongroise des sciences (1825) renforça l’organisation institutionnelle et encouragea la traduction des grands ouvrages occidentaux qui étaient à l’origine de la science militaire hongroise moderne.

NOTES

1. Ferenc TÓTH (dir.), Correspondance diplomatique relative à la guerre d'indépendance du prince François II Rákóczi (1703-1711), Paris-Genève, Champion-Slatkine, 2012. 2. Sur les premiers traducteurs hongrois: Ildikó JÓZAN, Mű, fordítás, történet. Elmélkedések. (Oeuvre, traduction, histoire. Réflexions), Budapest, Balassi, 2009, p. 23-37. 3. Voir sur le phénomène de la révolution militaire: Geoffrey PARKER, The Military Revolution, Military Innovation and the Rise of the West 1500-1800, Cambridge, 1989. 4. Sur la bataille de Mohács : János B. SZABÓ et Ferenc TÓTH, Mohács 1526, Soliman le Magnifique prend pied en Europe centrale, Paris, Economica, 2009. 5. Ferenc TÓTH, « L’évolution de la tactique de hussards au XVIIIe siècle en Europe », dans Choc, feu, manœuvre et incertitude dans la guerre, Pully (Centre d’histoire et de prospective militaires), 2011, p. 45-49. 6. Citation du 36e aphorisme du Vitéz hadnagy (Le preux capitaine) de Miklós ZRÍNYI, dans Összes művei (Œuvres complètes), Budapest, 2003, p. 306. 7. Árpád MARKÓ, « Adalékok a magyar katonai nyelv fejlődéstörténetéhez I. Közlemény » (Contributions à l’histoire de l’évolution de la langue militaire hongroise, Première partie), Hadtörténelmi Közlemények, 1958 no 1-2, p. 148-157. 8. Jean HANKISS, Lumière de Hongrie, Budapest, 1935, p. 66-69. Voir également István LÁZÁR, Histoire illustrée de Hongrie, Budapest, 1992. p. 69. Cet ouvrage a été récemment traduit en français : La Zrínyiade ou Le Péril de Sziget, épopée baroque du XVIIe siècle, traduction et notes de Jean-Louis Vallin, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2015. 9. La ville d’Esztergom en Hongrie (Strigonium en latin). 10. Gábor HAUSNER, « Nicolas Zrínyi et la littérature militaire hongroise au XVIIe siècle », dans Hervé COUTAU-BÉGARIE et Ferenc TÓTH (dir.), La pensée militaire hongroise à travers les siècles, Paris, Économica, 2011, p. 61-84. 11. Árpád MARKÓ, « Adalékok a magyar katonai nyelv fejlődéstörténetéhez II » (Contributions à l’histoire de l’évolution de la langue militaire hongroise, seconde partie), Hadtörténelmi Közlemények, 1958, no 3-4, p. 205-206. 12. Mars Politicus seu Maximae ac observationes Politicae Martiales ex Variis famosorum Ducum Exemplis desumpter. Az Az Okos Hadviselő avagy Bölcs Hadakozásnak Külömbfele hires neves Had viselök Peldaibul

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Szarmazot okos maximai es Tudománya, Magyar Országos Levéltár (Archives nationales hongroises, Budapest), Les archives de la famille princière de Batthyány de Körmend, Memorabilia no 1341/D. 13. István CZIGÁNY, « Pensée scientifique et pratique militaire dans le royaume de Hongrie dans la première moitié du XVIIIe siècle », dans Hervé COUTAU-BÉGARIE et Ferenc TÓTH (dir.), La pensée militaire hongroise à travers les siècles, op. cit., p. 86-89. 14. Béla ZOLNAI, « II. Rákóczi Ferenc könyvtára » (La bibliothèque de François II Rákóczi), Magyar Bibliofil Szemle 1925/26, p. 15-16. 15. Cf. Éva V. WINDISCH, « Rákóczi Ferenc ismeretlen hadtudományi munkája » (Un ouvrage militaire inconnu de François Rákóczi), Irodalomtörténeti Közlemények 1953, p. 29-56. 16. Imre BÁNKÚTI (dir.), Rákóczi hadserege (L’armée de Rákóczi), Budapest, 1976, p. 151-154. 17. Voir à ce sujet l'opinion de Charles de Chambrun, ancien ambassadeur de France à Constantinople : « M. de Tott (François), comme tous les Hongrois, avait une facilité incroyable pour apprendre les langues étrangères ; il est vrai que le hongrois, langue ouralo-altaïque, truffée de mots turcs, s'apparente au parler des peuples ottomans », Charles de CHAMBRUN, À l'école d'un diplomate. Vergennes, Paris, 1944, p. 89. 18. Voir l’édition récente de cet ouvrage en français: Jean BÉRENGER, Thierry FOUILLEUL, Krisztina KALÓ, Ferenc TÓTH et Gábor TÜSKÉS (dir.), Kelemen Mikes: Lettres de Turquie, Paris, Honoré Champion, 2011. 19. Sur les traductions de Mikes voir Lajos HOPP, A fordító Mikes (Mikes, le traducteur), Budapest, Universitas, 2002. 20. Cf. Ferenc TÓTH, « Ibrahim Müteferrika, un diplomate ottoman », Revue d’histoire diplomatique, 2012/3, p. 283-295 21. Charles-Éméric Reviczky (1737-1793), homme cultivé et polyglotte qui occupait des postes diplomatiques importants (Varsovie, Berlin, Londres) dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Il s’intéressa vivement à la science militaire et collectionna des rapports et mémoires français d’importance militaire pendant ses séjours à l’étranger. Cf. Ferenc TÓTH, « Charles Emeric de Reviczky : diplomate, penseur militaire et bibliophile de l’époque des Lumières », dans Guy SAUPIN et Éric SCHNAKENBOURG (dir.), Expériences de la guerre et pratiques de la paix. De l’Antiquité au XXe siècle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013, p. 169-180. 22. Ibrahim MÜTEFERRIKA, Traité de la tactique ou méthode artificielle pour l’ordonnance des troupes, Vienne, Trattern, 1769. 23. Frédéric HITZEL, L’Empire ottoman XVe-XVIIIe siècles, Paris, Les Belles Lettres, 2001, p. 264. Voir également Avigdor LEVY, « Military Reform and the Problem of Centralization in the Ottoman Empire in the Eighteenth Century », Middle Eastern Studies, Vol. 18, No. 3 (Jul., 1982), p. 10. 24. Ildikó JÓZAN, Mű, fordítás, történet. Elmélkedések. (Oeuvre, traduction, histoire. Réflexions), Budapest, Balassi, 2009, p. 38. 25. Charles KECSKEMÉTI, La Hongrie des Habsbourg Tome II de 1790 à 1914, Rennes, PUR, 2011, p. 68-69. 26. Le verbe hongrois üt signifie battre en français. 27. Charles KECSKEMÉTI, La Hongrie des Habsbourg op. cit., p. 69. 28. Les origines du système de l’insurrection nobiliaire remontent à la Bulle d’Or du XIIIe siècle, qui mentionne le devoir personnel des nobles de guerroyer en cas de nécessité (insurrection personnelle). L’insurrection nobiliaire était, au XIVe siècle, de caractère féodal, tandis qu’elle se transforma au siècle suivant en un système de défense nobiliaire général. Dans un premier temps, les dignités ecclésiastiques et séculières s’engageaient à lever des troupes en fonction de leurs moyens pour la défense du pays. Le système de levée en masse nobiliaire obligeait tous les nobles, en fonction de leurs moyens également, à lever des soldats et à fournir armements, munitions et vivres pendant la durée des campagnes. Cette nouvelle forme du système de l’insurrection nobiliaire intégrait une grande masse de serfs dans les armées en élargissant considérablement les couches militarisées de la société hongroise.

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29. Tibor ÁCS, A reformkor hadikulturájáról (De la culture militaire de l’ère des réformes), Piliscsaba, MTI, 2005, p. 99-101. 30. Voir à ce sujet: Tibor ÁCS, Haza, hadügy, hadtudomány. (Patrie, affaires militaires, science militaire), Budapest, Honvédelmi Minisztérium, 2001, p. 5-210. Voir également László PÁSZTI, « Hadi tzikkelyek, tábori utasítások és a többiek… Magyar hadtudományi munkák bibliográfiája », 1790-1849. (Articles militaires, instructions de campagne et autres… Bibliographie des ouvrages hongrois d’art militaire, 1790-1849) Hadtörténelmi Közlemények, 3/CXX, 2007, p. 1005-1081. 31. Tibor ÁCS, « Les directions de la pensée militaire hongroise au XIXe siècle » dans Hervé COUTAU- BÉGARIE et Ferenc TÓTH (dir.), La pensée militaire hongroise à travers les siècles, op. cit., p. 155-156. 32. Tibor ÁCS, A reformkor hadikulturájáról (De la culture militaire de l’ère des réformes), op. cit., p. 68-71. 33. Tibor ÁCS, « Clausewitz első magyar átültetési kísérlete » (Le premier essai de traduction hongroise de Clausewitz), dans Gábor Hausner (dir.) Az értelem bátorsága. Tanulmányok Perjés Géza emlékére (Le courage de l’intelligence. Mélanges à la mémoire de Géza Perjés), Budapest, 2005. p. 19-29. Voir également Ferenc TÓTH, « La réception de Clausewitz en Hongrie », Stratégique no 97-98 (2009) p. 175-184.

RÉSUMÉS

Le sujet de cette étude porte sur les changements de conception dans la pensée militaire hongroise à travers un long XVIIIe siècle. La première partie de cette évolution concerne l’œuvre du comte Nicolas Zrínyi, premier grand penseur hongrois modern qui s’inspire des penseurs italiens et français et qui laisse une littérature militaire fondamentale en hongrois à la fin du XVIIe siècle, une référence incontournable pour les penseurs ultérieurs. La seconde étape de l’évolution se situe à l’époque de la guerre d’indépendance hongroise (1703-1711) du prince François II Rákóczi, qui lui-même traduit des ouvrages militaires français en hongrois. Le siècle des Lumières en Hongrie est également caractérisé par la présence de la langue française et aussi de la langue allemande qui influencent profondément la terminologie militaire hongroise. Le grand tournant vient à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle où un programme national de l’élaboration d’une langue scientifique hongroise est fixé. Cela se traduit sur la création de nouveaux concepts hongrois dans l’esprit d’une politique linguistique puriste. On assiste alors à une dualité des termes techniques (d’origine étrangère et hongrois) qui persiste très longtemps dans la littérature militaire.

The topic of this study is about the changes of the Hungarian military though during a long 18th century. The first part of this evolution concerns the activity of the count Nicolas Zrínyi, the first modern Hungarian military writer inspired by the Italian and French thinkers and who leaves us important military works in Hungarian language which became an essential reading for the next generations. The second stage of this evolution is situated in the period of the Hungarian war of independence (1703-1711) of the prince Francis Rákóczi II who translates himself French military works into Hungarian. The era of enlightenment is also characterized by the presence of French and German languages which deeply influenced the Hungarian military terminology. The great change takes place at the end of the 18th and in the beginning of the 19th centuries when the national program of the elaboration of the new scientific Hungarian language is set up.

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It manifests himself by the creation of new Hungarian concepts in the spirit of a purist linguistic policy. We are witnessing an upsurge of dual technical terminology (in foreign languages as well as in Hungarian) which continues persistently in the military literature.

INDEX

Mots-clés : histoire de la traduction, histoire hongroise à l’époque moderne, pensée militaire, histoire de la langue hongroise, guerres d’indépendance hongroise Keywords : history of translation, early modern Hungarian history, military though, history of Hungarian language, Hungarian wars of independence

AUTEUR

TÓTH FERENC Research Center for the Humanities – Institute of History Hungarian Academy of Sciences

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Les traductions de traités scientifiques européens en Chine au XVIIe siècle : enjeux des langues et des disciplines

Catherine Jami

1 Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les jésuites ont été les principaux intermédiaires entre l’Europe et l’Asie orientale. C’est dans le cadre de l’entreprise missionnaire catholique en Asie, sous patronage portugais, qu’ils s’établissent au Japon dès les années 1550, puis, en 1583, en Chine, où ils sont encore présents en 1773, lorsque le pape dissout la Compagnie de Jésus1. Dans l’Empire du Milieu, les sciences jouent un rôle particulier dans la mission. Leur enseignement et leur pratique permettent dès l’abord aux jésuites de susciter l’intérêt des lettrés : ils établissent une relation de maître à disciple avec certains d’entre eux, se présentant comme des « lettrés d’Occident » ; ils jouent ensuite le rôle d’experts au Bureau de l’astronomie (Qintianjian 欽天監), institution impériale où ils sont chargés de réformer le calendrier ; enfin, ils pénètrent à la cour en cette même qualité. Même si des savoirs scientifiques ont été utilisés dans d’autres missions d’Asie à des fins d’évangélisation2, la Chine présente à cet égard un caractère frappant : les sciences mathématiques transmises par les jésuites y deviennent des savoirs impériaux. Au XVIIIe siècle, sans pour autant se convertir au catholicisme, tous les savants versés dans ces sciences les prennent en compte dans leurs travaux, que ce soit pour se les approprier, en adopter sélectivement certains aspects ou les rejeter3.

2 Cette vaste diffusion des savoirs venus d’Europe en Chine s’explique notamment par l’essor du marché du livre que connaît cette dernière au XVIe siècle4. C’est ce qui permet aux jésuites de diffuser par la voie de l’imprimé non seulement leurs enseignements religieux, mais aussi des savoirs profanes dont ils apparaissent comme les détenteurs. Leurs ouvrages en chinois classique, dont les premiers sont imprimés dès les années 1590, sont rarement présentés comme des traductions ; plutôt que d’introduire l’œuvre d’un ou plusieurs individus, ces ouvrages constituent un large ensemble visant à présenter aux lettrés chinois la religion catholique, l’Europe et ses traditions savantes

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comme un tout indissociable. Cet ensemble constitue ce que certains – les missionnaires et les lettrés convertis – appellent les « études célestes » (tianxue 天學) ; d’autres – notamment les lettrés qui sont, au contraire, soucieux de dissocier les sciences mathématiques des autres composantes de l’enseignement des jésuites – préfèrent le terme d’« études occidentales » (xixue 西學).

3 Dans la chronologie chinoise, la période qui nous intéresse est marquée par un changement de dynastie : en 1644, Pékin tombe aux mains des Mandchous. C’est la date retenue dans l’historiographie comme marquant le passage de la dynastie Ming (1368-1644) à la dynastie Qing (1644-1911) ; mais la conquête de l’empire Ming par les Mandchous et la stabilisation de la nouvelle dynastie durent en fait plus de quatre- vingts ans (1619-1681)5. Les Qing incorporent la Chine dans un vaste empire multilingue où le mandchou est l’une des quatre langues officielles (il y en aura cinq à partir du milieu du XVIIIe siècle) 6. Les jésuites qui résident à Pékin apprennent la langue des conquérants, à l’exemple de certains hauts fonctionnaires chinois, comme lesquels ils entrent au service de la nouvelle dynastie, au Bureau de l’astronomie. C’est alors que leurs traités d’astronomie prennent un caractère officiel : ils établissent les fondements de nouvelles méthodes pour calculer le calendrier. Or, le calendrier, qui prescrit le rythme de toute l’activité humaine, est dans la Chine impériale une prérogative du souverain. Ce dernier, intermédiaire entre le cosmos et le domaine humain, est garant de l’harmonie qui doit régner entre les deux. Le calendrier chinois devait répondre à de multiples exigences : non seulement c’était un système luni-solaire, ce qui le rendait beaucoup plus complexe que les systèmes julien et grégorien, purement solaires, mais la version complète du calendrier présentée chaque année à l’empereur devait contenir des prédictions des mouvements planétaires et des éclipses de soleil et de lune. Il s’agissait en fait d’un système astronomique complet7. Au cours des deux millénaires de la période impériale, le système astronomique utilisé pour calculer le calendrier a été réformé à maintes reprises. Le besoin d’une telle réforme ayant été ressenti dès la seconde moitié du XVIe siècle, les jésuites se sont donné les moyens de la mettre en œuvre8.

4 Les rivalités commerciales et diplomatiques européennes en Asie ont elles aussi des conséquences directes sur la mission jésuite : en 1688, cinq jésuites français envoyés en Chine sous le patronage direct de Louis XIV, sans l’accord du roi du Portugal, arrivent à Pékin9. Outre leur travail missionnaire, certains d’entre eux deviennent savants de cour et précepteurs de l’empereur. Tout en cherchant à promouvoir « la science française » auprès de celui-ci, ils ont pour tâche d’informer l’Académie royale des sciences de Paris sur la Chine. C’est la première enquête systématique sur l’empire commanditée depuis l’Europe, et dont les résultats sont publiés pour la plupart en français au cours du XVIIIe siècle10. Elle donne lieu à l’amplification du mouvement de traductions du chinois vers les langues européennes, mouvement déjà amorcé avec des ouvrages comme le Confucius sinarum philosophus, publié à Paris un an avant l’arrivée des jésuites français à Pékin, qui donne une traduction latine des trois textes attribués à Confucius alors étudiés en Chine par les candidats aux examens11. Certains des jésuites français arrivés à Pékin en 1688, et après, donnent des traductions chinoises et mandchoues de textes européens tout en participant à ce mouvement de traduction de la Chine vers l’Europe, mis en lumière et finement analysé par Wu Huiyi dans son ouvrage récent12. Pourtant, ce mouvement n’en est pas moins disjoint de celui qui nous intéresse ici, qui va dans la direction inverse et prend son essor un siècle plus tôt, obéissant à une dynamique

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différente. Aucune étude comparable à celle de Wu Huiyi n’en a été faite à ce jour, même s’il y a des travaux remarquables sur certaines traductions portant sur les savoirs profanes13.

5 Deux questions seront abordées ici. D’une part, il est intéressant de suivre l’évolution des langues sources et cibles des traductions ; dans un premier temps celles-ci se font toujours à partir du latin, langue savante de l’Europe, vers le chinois classique, langue savante de l’Asie orientale ; le français et le mandchou entrent en jeu plus tard, pour les raisons qu’on vient d’expliquer. D’autre part, le devenir des traductions est lié à la dynamique et aux configurations propres aux domaines de savoir auxquels elles se rattachent. Dans ce qui suit, nous examinerons ces deux questions à travers deux exemples : la géométrie et l’anatomie. Outre les traités imprimés et manuscrits identifiés comme des traductions qui ont été conservés et leurs sources européennes, les journaux des jésuites, leur correspondance et, plus rarement, les archives impériales permettent de reconstituer les conditions dans lesquelles certaines traductions ont été menées à bien. Ces sources de natures diverses permettent de dégager les enjeux savants, religieux, politiques et culturels de la traduction de traités scientifiques, et l’évolution de ces enjeux.

Des « études célestes » à l’astronomie impériale

6 (1552-1610) est le premier jésuite qui a séjourné longuement en Chine : il s’y installe en 1583 et y reste jusqu’à sa mort. C’est lui qui a construit, à l’usage des lettrés chinois comme des lecteurs européens, l’image du missionnaire comme « lettré d’Occident14 ». Il a décrit les circonstances dans lesquelles a été faite la traduction des six premiers livres des Éléments de géométrie d’Euclide, qu’il avait étudiés au Collège romain avec Christoph Clavius (1538-1612), auteur d’une édition latine de cet ouvrage et fondateur de l’enseignement des mathématiques dans les collèges de la Compagnie de Jésus15 : ... Paul, ayant tous les jours donné une heure pour entendre les leçons du père Matthieu, profita tant par le soin & diligence d’icelui qu’il coucha en très beau langage chinois ce qu’il avait jusques alors pu comprendre. Il mit donc clairement & nettement en un an les six premiers livres des Eléments en chinois. Car cette langue ne manque pas de mots pour bien expliquer le sens de toutes nos sciences16.

7 Paul était le nom de baptême de Guangqi 徐光啟 (1562-1633), haut fonctionnaire converti qui a joué un rôle essentiel dans la protection et la promotion du christianisme en Chine. Il est notamment à l’initiative de la réforme du calendrier chinois. Ce que Ricci décrit ici n’est pas un travail en collaboration entre deux savants sur un pied d’égalité, mais un enseignement, dans lequel il est le professeur et Xu l’élève, sur le modèle du Collège romain où Clavius dictait son cours. C’est parce qu’il a bien compris la leçon quotidienne, et parce qu’il est un lettré accompli, que Xu peut rédiger en chinois ce que lui transmet Ricci17. La page de titre de leur traduction, intitulée Jihe yuanben 幾何原本 (1607), indique d’ailleurs que l’ouvrage a été « traduit oralement » (kouyi 口譯) par Ricci et « reçu par écrit » (bishou 筆受) par Xu. Cette dernière expression évoque un autre précédent : la traduction de sutras bouddhistes des langues indiennes dans la Chine médiévale, qui se faisait également en collaboration entre une personne comprenant la langue source et une personne sachant écrire la langue cible, qui « recevait par écrit » l’enseignement de la première18.

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8 Pour les lecteurs du Jihe yuanben, Ricci évoque la traduction avec modestie dans son avant-propos, soulignant que, s’il est capable de donner un enseignement oral, la mise par écrit aurait été hors de sa portée sans l’aide d’un savant tel que Xu Guangqi19. On peut en effet penser que la contribution de ce dernier a été indispensable, notamment parce qu’une grande partie du vocabulaire technique a dû être créée par les deux hommes. Il est vrai que les textes mathématiques chinois ne contenaient pas jusque là de termes pour désigner les objets de la géométrie : point, ligne, surface, solide, angle, cercle... De plus, ces textes étaient en général construits comme des séries de problèmes regroupés suivant les algorithmes utilisés pour leur résolution20. Le vocabulaire métamathématique des Éléments n’avait pas d’équivalent en chinois. Des termes ont donc dû être créés pour rendre « axiome », « postulat », « définition », « proposition », et « démonstration ». Alors que la première série de termes est définie dans l’ouvrage, figures à l’appui, la seconde ne l’est pas : un lecteur européen des Éléments comme Ricci, qui a abordé ce texte dans le cadre d’un enseignement, avait auparavant rencontré ces notions en classe de logique. C’est pourquoi, si la terminologie géométrique en chinois moderne a retenu presque tous les termes créés par Ricci et Xu, le vocabulaire décrivant la structure du texte euclidien n’a guère été réutilisée21. Le fait que leur traduction a été l’objet de commentaires et de réécritures tout au long du XVIIe siècle révèle à la fois l’intérêt qu’elle a suscité et les difficultés éprouvées par des lecteurs qui, contrairement à Xu Guangqi, l’abordaient en dehors de tout contexte d’étude avec un maître22. Il faut chercher là, plutôt que dans la traduction elle-même, les raisons des réserves de certains savants qui ont lu Euclide en Chine au XVIIe siècle quant à la forme de l’ouvrage.

9 L’histoire du terme qui signifie aujourd’hui « géométrie » en chinois, jihexue 幾何學 (littéralement, « étude du jihe ») est révélatrice à cet égard. Le mot jihe est utilisé dans un des énoncés d’un certain nombre de traités mathématiques anciens, avec le sens de « combien »23. Il apparaît dans le titre de la traduction chinoise d’Euclide, et juste avant les définitions du Livre I : 凡曆法地理樂律算章技藝工巧諸事有度有數者皆依頼十府中幾何府屬。凡論幾何 先從一㸃始自㸃引之為線線展為面面積為體是名三度。 Pour autant que les choses ayant trait aux systèmes astronomiques, à la géographie, à l’harmonie musicale, au calcul, aux arts et aux techniques comportent nombres et grandeurs, elles relèvent toutes de l’une des dix catégories, la catégorie quantité (jihe). Lorsqu’on traite de quantité, on commence avec un point. Le point est prolongé en une ligne ; la ligne est développée en une surface ; la surface est accumulée en solide. Cela s’appelle les trois grandeurs24.

10 D’autres occurrences de jihe dans les écrits chinois de Ricci confirment qu’il a choisi ce terme pour rendre la catégorie aristotélicienne « quantité ». Mais, contrairement à la géométrie euclidienne, la philosophie aristotélicienne, dont certains aspects ont été présentés par les jésuites, n’a guère trouvé d’écho en Chine25. Le terme jihe en est donc venu à désigner le contenu du Jihe yuanben, c’est-à-dire la géométrie euclidienne26. Ce terme a été adopté dans le même sens au Japon et en Corée.

11 La traduction d’Euclide en 1607 fait-elle figure de modèle ou d’exception parmi les écrits scientifiques des jésuites en Chine ? Pour tenter de répondre à cette question, tournons-nous vers la Première collection d’études célestes (Tianxue chuhan 天學初函), publiée en 1626, qui regroupe une vingtaine d’ouvrages publiés par les jésuites depuis leur établissement en Chine. Cette collection est divisée en deux parties. La première est consacrée aux « principes » (j’emploie ici la traduction reçue de li 理, qu’on pourrait

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définir comme un ordre inhérent aux choses, principe d’organisation immanent27), la seconde aux « objets concrets » (qi 器). La première comprend neuf ouvrages ; elle s’ouvre sur un Résumé des études occidentales (Xixue fan 西學凡) qui donne un aperçu du cursus des universités européennes. Parmi les sept titres qui suivent, certains comportent des traductions de textes qui se rattachent à la culture humaniste, comme l’Enchiridion d’Epictète et les Sententiæ et exempla (un recueil de sentences d’auteurs latins comme Cicéron et Sénèque) d’André de Resende28. Les cinq autres ouvrages traitent de morale, de philosophie naturelle et de religion ; ils n’ont pas été identifiés comme des traductions à ce jour. On sait en revanche que le plus célèbre d’entre eux, Le Sens réel de « Seigneur du ciel » (Tianzhu shiyi 天主實義, 1603 ; Tianzhu était un terme utilisé pour traduire « Dieu » en chinois), un dialogue dans lequel Matteo Ricci se met en scène face à un lettré chinois, s’appuie sur un texte antérieur du même genre qui avait été lui-même composé directement en chinois29. On trouve enfin un abrégé de géographie, intitulé Mémoire sur les régions extérieures au [champ] du géographe impérial (Zhifang waiji 職方外紀, 1623), qui décrit les continents alors connus ; la représentation sphérique de la terre qu’il propose était nouvelle pour les lecteurs chinois.

12 La seconde partie de la Première collection d’études célestes comporte dix traités. Hormis le premier, consacré à l’hydraulique, c’est de mathématiques et d’astronomie qu’il y est question. La lecture de ces traités et leur comparaison avec les œuvres de Clavius, le professeur de mathématiques de Ricci, révèle que six d’entre eux en sont issus ; pourtant, le nom de Clavius n’y apparaît guère. De plus, si sept ouvrages ont pour co- auteur un jésuite, seuls deux sont présentés comme des traductions : le Jihe yuanben et un court ouvrage de géométrie pratique. Dans les autres cas, la parenté plus ou moins proche qui apparaît à la lecture avec un texte latin n’est pas signalée sur la page de titre. Si l’on en croit ce qui y est indiqué, le collaborateur jésuite transmet (shou 授), explique (quanshuo 譔說) ou répond (xiuda 修荅), tandis que le collaborateur chinois s’exerce (yan 演), note ( ji 記) ou corrige ( ding 訂). On voit que, dans premières décennies de la mission jésuite, la traduction n’est pas mise en avant comme le moyen de donner à lire aux lettrés chinois l’Europe, la religion catholique et les savoirs scientifiques dont sont porteurs les jésuites. Le choix de traduire le texte euclidien n’en est que plus révélateur de la valeur particulière que lui accordait Ricci.

13 En 1629, les jésuites de Pékin commencent à travailler à la réforme du calendrier chinois, sous la supervision de Xu Guangqi. Dans les années qui suivent est imprimée une deuxième série de traités scientifiques en chinois. Ils sont rassemblés sous le titre de Livres calendaires de [l’ère] Chongzhen (Chongzhen lishu 崇禎曆書), ère qui correspond au règne du dernier empereur de la dynastie Ming (1628-1644) ; en 1644, quelques titres sont rajoutés à cette collection qui est réimprimée et renommée Livres calendaires suivant la nouvelle méthode occidentale (Xiyang xinfa lishu 西洋新法曆書). Ici encore, les sources latines de certains de ces traités ont été identifiées ; on compte notamment parmi elles des ouvrages de Tycho Brahe et l’Astronomia danica (1622) de Longomontanus30. Un nouveau traité de géométrie, les Méthodes essentielles de géométrie (Jihe yaofa 幾何要法, 1631), sera inclus dans les Livres calendaires suivant la nouvelle méthode occidentale de 1644. Ce traité a été a été « exposé oralement » (koushu 口述) par Giulio Aleni (1582-1649), lui-même ancien élève du Collège romain, et « reçu par écrit » (bishou 筆受) par un lettré. En effet, il ne s’agit pas d’une nouvelle traduction, mais d’un abrégé de celle réalisée en 1607, dont sont retenues essentiellement les constructions31. On a là un exemple du fait que les ouvrages publiés par les jésuites de Chine forment un corpus cohérent. Il faut également noter que les Méthodes essentielles de géométrie ne sont

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pas structurées sous forme logico-déductive ; elles donnent plutôt les résultats et méthodes de géométrie euclidienne nécessaires pour comprendre l’astronomie présentée dans les autres volumes composés pour la réforme du calendrier. Ce choix reflète une évolution dans la hiérarchie entre les savoirs : les mathématiques telles qu’elles sont pratiquées au Bureau de l’astronomie sont un simple outil au service de l’astronomie.

14 Même si l’astronomie est désormais au premier plan des sciences pratiquées par les jésuites en Chine, au cours des deux dernières décennies de la dynastie Ming, les jésuites qui ont travaillé à la réforme de l’astronomie ont également réalisé des traductions relevant de la philosophe naturelle. Ainsi, Johann Schreck (1576-1630), qui avait étudié la médecine en France et en Italie et avait été membre de l’Accademia dei lincei avant son entrée dans la Compagnie de Jésus, a-t-il « traduit librement » un traité d’anatomie, le Résumé de la théorie occidentale du corps humain (Taixi renshen shuogai 泰西 人身說概) ; celui-ci a été « retouché et corrigé » par Bi Gongchen 畢拱辰 ( ?-1644), qui l’a publié en 164332. L’identification de la source européenne est sujette à controverse33. Un autre ouvrage de la même époque, dû essentiellement à Giacomo Rho (1592-1638), l’ Explication illustrée du corps humain (Renshen tushuo 人身圖說, vers 1637), a été identifié comme une traduction sélective de l’Anatomie (1561) d’Ambroise Paré, faite à partir de la version latine contenue dans le Thesaurus chirurgiæ (Francfort, 1610). Cette traduction a circulé sous forme de manuscrit34. Le fait que ces traductions ont été menées à bien indique qu’il existait un intérêt certain pour le sujet parmi certains lettrés chinois. Cependant, leur devenir est à l’opposé de celui des traités de mathématiques et d’astronomie : bien que lues et commentées par quelques lettrés ou praticiens de la médecine, elles n’ont guère influencé la pratique de la médecine et la représentation du corps humain dans les théories médicales chinoises35.

15 Cela peut s’expliquer par trois raisons. Tout d’abord, en médecine, les « études occidentales » ne viennent répondre à aucun besoin spécifique ; en termes d’efficacité, la médecine européenne ne présentait guère de supériorité sur la médecine pratiquée en Chine à l’époque. En second lieu, la représentation anatomique du corps humain était difficile à concilier avec celle qui prévalait dans la médecine chinoise. Enfin, la médecine, et toute la philosophie naturelle, étaient beaucoup plus directement reliées à la religion chrétienne. Ainsi, à la même époque où ces deux traités ont été composés, l’anatomie humaine était également présentée dans un ouvrage intitulé Sur la providence divine (Zhuzhi qunzheng 主制群徵, 1636), traduction du De providentia numinis (1613) de Leonard Lessius. Le premier chapitre donne une description de l’anatomie humaine en utilisant sa complexité comme argument en faveur de la création des êtres humains par une puissance divine ; l’âme y est décrite comme étroitement liée aux nerfs36. Des motivations et arguments explicitement liés à la propagande religieuse sont donc intégrés au discours savant sur le corps humain. Il y a là un contraste net avec le cas des mathématiques et de l’astronomie, domaines dans lesquels les préfaces font certes l’éloge des jésuites et des études occidentales, mais le corps des textes, la plupart du temps très techniques, est exempt de toute considération religieuse. Les préfaces des Livres calendaires de l’ère Chongzhen ne comportent d’ailleurs aucune référence au christianisme. La mise au service de la dynastie des études occidentales par Xu Guangqi a commencé à les détacher de l’entreprise missionnaire. Cette dissociation apparaît déjà, à ce stade, comme une condition de leur intégration aux savoirs chinois.

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Les langues des sciences à la cour des Qing

16 Comme on l’a vu, la réforme du calendrier, préparée au service du dernier empereur Ming, est appliquée non par celui-ci, mais par les conquérants mandchous, lorsqu’ils prennent Pékin en 1644. Johann Adam Schall von Bell (1592-1666), l’un des artisans de la réforme, devient alors directeur du Bureau de l’astronomie. Le calendrier préparé chaque année sous sa responsabilité est promulgué dans trois des quatre langues de l’empire : chinois, mandchou et mongol37. La quatrième langue, le tibétain, a alors un statut particulier, puisque les Mandchous pratiquent le bouddhisme tibétain, de même que les Mongols qui s’étaient ralliés à eux avant la conquête de la Chine. Schall et ses successeurs utilisent le mandchou autant que le chinois dans le cadre de leurs fonctions ; ainsi les mémoires prédisant des phénomènes comme les éclipses qu’ils soumettent sont bilingues, comme beaucoup de documents produits par les fonctionnaires de l’époque38.

17 À l’exception des années 1664-1669, le Bureau de l’astronomie reste placé sous la responsabilité d’un missionnaire jusqu’au début du XIXe siècle39. À côté de cette fonction administrative, les jésuites sont employés au Département de la maison impériale (Neiwufu 內務府), pour des travaux techniques et artistiques allant de la fabrication de canons à la cartographie, l’horlogerie et la peinture40. Ainsi, le centre de gravité des activités savantes des jésuites se déplace-t-il durablement vers la cour : le patronage des études occidentales n’est désormais plus le fait d’un haut fonctionnaire chinois comme Xu Guangqi, mais de l’empereur. Sous le règne de Kangxi (r. 1662-1722), quelques jésuites deviennent les précepteurs du souverain et de ses fils. Les sujets enseignés, qui font l’objet de traités, répondent à une demande qui reflète certes les besoins de l’État mandchou, mais aussi la curiosité de Kangxi. Dans le cadre de l’entreprise impériale de création d’un corpus de littérature dans la langue des conquérants41, le mandchou devient une langue d’enseignement et de savoir techniques.

18 Les activités d’enseignement et de traduction des jésuites nous sont surtout connues par ce qu’ils en disent dans leur correspondance et dans les ouvrages qui paraissent en Europe à l’époque dans le cadre de la propagande de la mission, alors que celle-ci est en quête de nouveaux protecteurs. Ainsi, (1623-1688), successeur de Schall au Bureau de l’astronomie, a donné une description détaillée de « toutes les sciences mathématiques [qui] présentent un spécimen de leur art à l’Empereur » dans un ouvrage en latin publié à Dillingen (Bavière) en 1687 ; il y dépeint « l’astronomie [qui] marche parmi elles comme une reine vénérable »42. Ces spécimens sont pour la plupart des objets et dispositifs techniques ; l’intérêt que l’empereur leur porte l’incite à étudier des sujets plus théoriques comme la géométrie euclidienne : Lorsque l’empereur apprit de moi que les livres d’Euclide formaient les premiers éléments de toute la science mathématique, il voulut immédiatement que les six premiers livre d’Euclide, qui avaient été traduits en chinois par le p. Matteo Ricci, lui soient expliqués […]. Bien qu’il sût fort bien le chinois […], il voulut néanmoins que l’Euclide chinois fût traduit en mandchou, pour en tirer davantage d’aide. Puisque les dignitaires utilisent en général la langue mandchoue, et qu’elle est d’usage fréquent dans presque tous les ministères, il m’envoya aussi, par une faveur exceptionnelle, un professeur, l’un des serviteurs de sa maison, pour m’enseigner la langue mandchoue43.

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19 C’est donc pour entreprendre la traduction de la géométrie euclidienne du chinois vers le mandchou que Verbiest étudie la langue maternelle de l’empereur. Sa traduction n’a pas été conservée. Traduire du chinois en mandchou, activité qui peut sembler surprenante pour un missionnaire, était tout à fait banal à la cour : pour Kangxi et ses successeurs c’était l’un des principaux moyens d’enrichir le corpus d’écrits dans la langue de leurs ancêtres, laquelle ne s’écrivait que depuis la fin du XVIe siècle.

20 À côté des sciences mathématiques, Verbiest et ses confrères procurent à Kangxi des objets relevant des savoirs naturalistes et médicaux, accompagnés d’explications écrites. Ainsi a-t-il rédigé, probablement en 1685, un court traité sur L’Origine et l’usage de la pierre qui absorbe le poison ; le texte est conservé à la fois en chinois (Xidushi yuanyou yongfa 吸毒石原由用法) et en mandchou (Hi du ši wehe i turgun be fetehe baitalara be tucibuhe), sans qu’on puisse dire jusqu’à maintenant quelle version a été rédigée en premier, ni identifier une source européenne unique dont ce texte aurait été tiré44. Les traductions scientifiques auxquelles les jésuites ont travaillé n’ont donc pas toutes pour langue source une langue européenne et pour langue cible le chinois classique ; le bilinguisme (chinois et mandchou) de ces textes techniques est un signe de la volonté du souverain de les intégrer dans les savoirs impériaux.

L’enseignement des jésuites français

21 La mort de Verbiest coïncide avec l’arrivée à Pékin des cinq jésuites français envoyés par Louis XIV. Deux d’entre eux, Jean-François Gerbillon (1654-1707) et (1656-1730), s’établissent à Pékin. Ils y apprennent le mandchou, puis le chinois, avec des professeurs désignés par Kangxi, dans le but de lui enseigner les sciences – tâche qu’ils partagent avec Antoine Thomas (1644-1709), jésuite flamand de la mission portugaise45 –, mais aussi la philosophie. Si l’on en croit Gerbillon, le choix de la langue d’enseignement fait l’objet d’un consensus entre les professeurs et leur élève : […] je [dis à l’empereur] que quand nous aurions bien apris le Tartare, le p. Bouvet & moi, nous pourions lui faire des leçons de matématiques ou de philosophie d’une maniére fort claire et fort nette, parce que la langue Tartare surpasse de beaucoup la langue Chinoise, en ce que celle-ci n’a ni conjugaisons, ni déclinaisons, ni particules pour lier les discours, au lieu que dans celle-là elles sont fort communes. L’Empereur parut prendre plaisir à ce discours, & se tournant du côté de ceux qui l’environnoient : cela est vrai, leur dit-il, & ce défaut rend la langue Chinoise beaucoup plus dificile que la Tartare46.

22 Les missionnaires qui apprenaient les deux langues s’accordaient à trouver le mandchou plus facile que le chinois. En effet, l’écriture mandchoue est alphabétique ; son apprentissage est donc beaucoup plus rapide que celle du chinois. D’autre part, on peut penser que les jésuites, rompus à la composition de longues périodes latines, se sentaient en terrain plus familier en mandchou, langue flexionnelle dans laquelle les phrases sont souvent longues, qu’en chinois, langue dans laquelle seule la syntaxe indique la fonction des mots. L’approbation par l’empereur des propos de Gerbillon a une dimension politique : alors que le chinois classique est la langue savante, et que Kangxi, dont la langue maternelle est le mandchou, s’est donné pour maîtres de grands lettrés de son temps pour étudier les classiques et l’histoire, les propos de Gerbillon lui donnent l’occasion d’affirmer le statut de sa langue maternelle comme véhicule de savoir47.

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23 Le premier résultat de l’apprentissage du mandchou par Gerbillon et Bouvet est un court traité sur la digestion des aliments, composé au début de l’année 1690 avec l’aide de leurs professeurs, et sur lequel l’empereur porte lui-même des corrections. Il applique là une méthode semblable à celle pratiquée sur les textes que lui préparent les tuteurs impériaux (rijiang guan 日講官) qui le guident dans l’étude des classiques chinois. C’est ainsi que sont composés les ouvrages qui donnent l’interprétation impériale de ces classiques ; ils sont ensuite imprimés et diffusés dans l’empire, afin que les fonctionnaires prennent modèle sur l’empereur dans leurs études48. Cette éducation confucéenne de l’empereur prend un sens particulier dans le contexte de la dynastie Qing : les Mandchous, ayant conquis et occupant la Chine, l’administrent avec l’aide des élites lettrées chinoises. La construction de l’image d’un empereur qui prend modèle sur les sages de l’antiquité chinoise par l’étude est donc d’une importance cruciale à cette période, où la dynastie étrangère doit prouver sa légitimité auprès des élites chinoises. Pour en revenir aux jésuites travaillant à la cour, l’adoption de cette manière de travailler, où l’élève corrige ce que le professeur a écrit, renverse la relation traditionnelle d’autorité du maître vis-à-vis de l’élève telle qu’elle s’était tissée entre Ricci et Xu Guangqi au moment de la traduction des Éléments d’Euclide dans la première décennie du XVIIe siècle.

24 Les jésuites français ont à cœur de présenter à l’empereur les « découvertes […] des Sçavans de l’Academie Royale, qui se sont distinguez […] par-dessus toutes les autres nations »49. Ils traduisent en mandchou, à partir du latin ou du français, des ouvrages d’auteurs liés d’une manière ou d’une autre aux sciences sous le patronage du roi de France. Pour enseigner la philosophie à Kangxi, Gerbillon et Bouvet traduisent certains passage de la Philosophia vetus et nova de Jean-Baptiste Du Hamel (1623-1706), prêtre de l’Oratoire, qui a été le premier Secrétaire de l’Académie royale des sciences50. En 1693, lorsque Bouvet doit présenter l’anatomie à Kangxi de manière systématique, il entreprend de traduire l’Anatomie de l’homme de Pierre Dionis (1643-1718), qui a été démonstrateur d’anatomie au Jardin du Roy51.

25 Reprenant l’enseignement de géométrie commencé par Verbiest, les Français changent de manuel, utilisant les Elémens de géométrie (1671) d’Ignace Gaston Pardies (1636-1673), qui avait été professeur de mathématiques au collège jésuite de Paris. Ce manuel est dédié aux savants de l’Académie royale des sciences. Dans sa préface, l’auteur se montre critique envers la tradition d’enseignement des mathématiques instaurée par Clavius, dans laquelle le texte euclidien sert de manuel :

26 Car il faut remarquer qu’une des choses qui rendent difficile & ennuïeuse la lecture d’Euclide & des Auteurs ordinaires, c’est que dans l’exactitude rigoureuse qu’ils ont de ne laisser passer sans démonstration rien de ce qui se peut démontrer, pour facile qu’il paroisse d’ailleurs, il arrive souvent que ce qui eust été clair, si on se fust contenté de le proposer à l’esprit, tel qu’il paroist naturellement, devient difficile & embarrassé, lorsqu’on veut le reduire à une démonstration réguliére.52

27 C’est la progression pédagogique et non la déduction logique qui structure l’ouvrage de Pardies. On trouve un écho de sa critique d’Euclide dans la préface de l’empereur à la traduction de Gerbillon et Bouvet : 利瑪竇所著因文法不明後先難解故另譯。 Dans [l’ouvrage] écrit par Matteo Ricci, la méthode de composition n’est pas claire ; il est donc difficile de distinguer ce qui vient en premier de ce qui vient ensuite. C’est pourquoi nous avons fait une autre traduction53.

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28 Pour mener à bien leur traduction, Gerbillon et Bouvet sont assistés par l’ancien professeur de mandchou de Verbiest54, et utilisent la version mandchoue des Éléments d’Euclide élaborée par ce dernier. Le vocabulaire de la géométrie euclidienne en mandchou semble donc avoir été élaboré à partir du chinois, et non du français : sur l’un des exemplaires de la traduction mandchoue, les termes géométriques chinois sont ajoutés entre les colonnes du texte mandchou (le mandchou s’écrivant verticalement, comme le chinois classique). De plus, dans certains cas, la transcription phonétique des termes chinois a été préférée à une traduction sémantique, pratique alors courante ; c’est le cas pour le titre de l’ouvrage, Gi ho yuwan ben bithe (bithe signifie « livre »), et pour le nom des points sur les figures géométriques55.

29 La traduction mandchoue de l’ouvrage de Pardies (qui n’est pas exhaustive) est achevée en 1690 ; elle est à son tour traduite en chinois l’année suivante, toujours par Gerbillon et Bouvet. Cette traduction, qui va dans la direction inverse de celle de Verbiest et de la plupart des traductions faites sur ordre de l’empereur dans d’autres domaines, est un préalable à la circulation du manuel au-delà de la maison impériale, parmi les lettrés. Dans les années 1710, la version chinoise des Élémens de géométrie de Pardies est remaniée par des savants chinois travaillant sous le patronage d’un des fils de Kangxi, pour être intégrée aux Principes essentiels de mathématiques, de composition impériale (Yuzhi shuli jingyun 御製數理精蘊, 1723), une somme de mathématiques qui est diffusée dans l’empire pour encourager l’étude des mathématiques par les fonctionnaires56. De même que la publication de l’interprétation des classiques par Kangxi et ses tuteurs servait à diffuser l’orthodoxie impériale, les Principes essentiels représentent une définition impériale des mathématiques devant faire autorité. L’ouvrage continue d’être officiellement considéré comme la base de la culture mathématique jusqu’au XIXe siècle.57

30 La comparaison du manuel impérial avec les Élémens de géométrie et un examen des textes des traductions mandchoue et chinoise des années 1690 montrent que, si la traduction n’est pas intégrale, elle est fidèle. En mandchou et en chinois comme en français, le nouveau manuel de géométrie tranche sur le modèle euclidien par son langage concret et imagé. Pour en donner un aperçu, mettons en regard la définition du cercle telle qu’on la trouve dans Euclide (Livre I, définition 15), et dans cet ouvrage (I. 10), avec leurs traductions chinoises respectives. Voici d’abord la version latine de Clavius : Circulus est, figura plana sub vna linea comprehensa, quæ peripheria appellatur ; ad quam ab vno puncto eorum, quæ intra figuram sunt posita, cadentes omnes rectæ lineæ inter se sunt æquales58. Un cercle est une figure plane contenue dans une seule ligne, qui est appelée circonférence, vers laquelle toutes les lignes droites à partir de l’un des points de la figure sont égales.

31 Cette définition est rendue en chinois par Ricci et Xu : 圜者一形於平地居一界之間。自界至中心作直線俱等59。 Un cercle est une figure sur un terrain plat, demeurant dans une limite ; les lignes droites tracées de la circonférence vers le milieu sont toutes égales.

32 Sans prétendre jauger la qualité du travail de Ricci et Xu sur cette phrase, on peut noter ici une légère infidélité au style euclidien. En effet, la notion de « figure plane » (plana superficies, que Xu et Ricci traduisent littéralement par ping mian 平面) a été introduite plus haut, à la définition 7 du livre I, mais, dans la définition du cercle en chinois, c’est le terme non technique « terrain plat » (ping di 平地) qui est utilisé. De plus, là où

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Euclide mentionne « l’un des points de la figure », qui est nommé « centre » à la définition suivante, Ricci et Xu emploient à nouveau un terme non technique, « milieu » (zhongxin 中心)60. Cette infidélité ne semble pas avoir empêché les lecteurs chinois de manipuler des cercles en géométrie – sans doute parce que, comme les lecteurs d’Euclide dans d’autres langues, ils savaient ce qu’est un cercle avant de lire l’ouvrage. Un siècle après Clavius, Pardies introduit le cercle de manière bien différente : Si nous imaginons une ligne ab attachée par le bout au milieu de la ligne dc, & que de plus nous fassions mouvoir cette ligne autour du point a ; quand elle sera revenuë au lieu d’où elle avoit commencé à se mouvoir, l’extrémité b aura décrit une ligne courbe qui s’appelle Cercle, ou plûtost Circonférence du cercle : car à proprement parler, le Cercle est tout l’espace renfermé dans cette circonférence61.

33 La définition donnée dans les Principes essentiels de mathématiques (qui ne diffère des manuscrits des années 1690 que par un ou deux caractères) suit d’assez près le texte de Pardies : 凡有一線以此線之一端為樞,復以此線之一端為界旋轉一周即成一圜。如甲乙一 線以甲端為樞乙端為界,旋轉復至乙處即成乙丙丁戊之圜此圜線謂之圜界圜界内 所積之面度謂之圜62。 Soit une ligne ; prendre une extrémité de cette ligne comme pivot, et prendre à nouveau l’autre extrémité de cette ligne comme limite, la faire tourner d’un tour, on obtient un cercle. Soit la ligne AB, prendre l’extrémité A comme pivot et l’extrémité B comme limite, la faire tourner jusqu’à revenir en B, alors on obtient le cercle BCDE. Cette ligne circulaire s’appelle circonférence. La surface comprise dans cette circonférence s’appelle cercle.

34 En chinois (et en mandchou) comme en français, le cercle est construit à partir d’un segment de droite qu’on fait tourner autour de l’une de ses extrémités, alors qu’il était donné comme existant chez Euclide. Alors que Pardies invoque l’imagination pour représenter le processus par lequel on peut construire un cercle, le texte chinois décrit simplement l’action de faire pivoter une ligne. En revanche les traducteurs ont respecté le choix de Pardies de nommer cercle la surface parcourue par la ligne, et non la circonférence qui délimite cette surface, alors que pour Euclide, c’est bien cette circonférence (une ligne et non une surface) qui constitue le cercle63. Ce n’est donc pas seulement par son approche imagée et son choix d’éviter « l’exactitude rigoureuse » qu’il estime nuisible à la compréhension que Pardies se distingue d’Euclide.

35 Cet exemple montre que le processus de traduction n’est pas toujours en lui-même générateur de distance ou de perte de sens : la deuxième traduction est plus fidèle que la première. La distance paraît plus grande entre l’Euclide latin de Clavius et les Élémens de Pardies, ou entre les deux textes chinois, qu’entre chacun des textes européens et sa version chinoise. Cela suggère que l’évolution de la géométrie en Chine au XVIIe siècle a pu être tributaire de celle de l’enseignement de cette discipline en Europe. Peut-être le texte d’Euclide n’était-il pas plus adapté aux fils des élites européennes formés dans les collèges jésuites qu’il ne l’était au goût de l’empereur de Chine64.

La circulation restreinte des traductions mandchoues

36 Si l’on en juge par sa diffusion et son influence en Chine, la traduction du manuel de Pardies apparaît comme un succès. Les autres traductions en mandchou faites par les jésuites français ont connu un sort très différent. On a dit plus haut que, en 1693,

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Bouvet avait entrepris la traduction d’un traité d’anatomie à la demande de Kangxi ; mais le jésuite n’a jamais achevé ce travail, sans doute parce que l’empereur l’envoya en France la même année. Dans les années 1710, Kangxi réitère sa demande, cette fois à l’un des jésuites français ramenés de France par Bouvet en 1697, Dominique Parrenin (1665-1741). Ce dernier est chargé de « traduire en langue tartare une anatomie complète et un corps de médecine65 ». Il reprend alors le travail commencé par Bouvet. Parrenin rapporte des propos de l’empereur qui suggèrent que ce dernier a un point de vue ambivalent sur l’anatomie : Je vois, bien, me dit-il, qu’il y aura à traiter des matières peu honnêtes, et qu’étant Religieux vous pourriez les omettre, ou n’en parler qu’en termes impropres, et dès lors inutiles ; c’est pour cela que je vous ai associé deux médecins habiles qui traiteront les matières que vous trouverez moins convenables à votre profession ; car je prétends, ajouta-t-il, que l’on n’omette rien ; outre que nous ne manquons pas d’expressions modestes, c’est que le public doit retirer un grand avantage de ce livre, et qu’ il doit contribuer à sauver, ou du moins à prolonger la vie ; ce n’est pas un livre à être montré aux jeunes gens : ainsi les figures ne doivent être vues que de ceux qui partageront avec vous le travail66.

37 Kangxi n’aurait donc jamais eu l’intention de rendre ce traité accessible au « public » auquel il est pourtant convaincu qu’il pourrait être bénéfique. On voit transparaître ici un trait qu’on retrouve ailleurs chez l’empereur : pour lui les savoirs utiles peuvent être l’objet d’un monopole, et non d’un partage67. Pendant cinq ans, Parrenin travaille à la traduction de l’Anatomie de Pierre Dionis, avec l’aide de « trois mandarins des plus habiles, deux écrivains dont la main étoit excellente, deux peintres capables de tracer les figures, des tireurs de ligne, des cartonniers etc.68 » Une terminologie anatomique mandchoue est créée au fur et à mesure. Dans sa correspondance, Parrenin souligne la richesse de cette langue, comme Ricci l’avait fait à propos du chinois : « Mais y a-t-il suffisamment de termes en la langue tartare pour faire de semblables traductions ? Je réponds qu’il y en a assez, et même de reste69 ».

38 Les illustrations du traité mandchou sont empruntées à l’Anatome quartum renovata (1677) de Thomas Bartholin70. Comme vingt ans plus tôt, le texte est présenté au fur et à mesure de sa rédaction à l’empereur, qui le corrige de sa propre main. Le travail de traduction est l’occasion d’échanges avec Kangxi ; ainsi, lorsque Parrenin présente la circulation sanguine, l’empereur lui fait parvenir une statue de bronze sur laquelle sont dessinés les méridiens de l’acupuncture, demandant au jésuite de comparer ce réseau à celui des vaisseaux sanguins. À cette occasion, la dissection est évoquée : en Chine, elle est pratiquée de manière exceptionnelle. Pour Kangxi, elle ne saurait d’ailleurs l’être que sur le cadavre de criminels, et certainement pas en public71. La traduction une fois achevée, il décide que seuls trois exemplaires manuscrits en seront conservés, dans ses trois résidences ; il sera « permis aux curieux de les aller lire dans la bibliothèque, mais avec défense de les emporter ou de les transcrire72 ». Seuls ceux qui ont accès aux bibliothèques privées de l’empereur et qui savent lire le mandchou sont donc en position de consulter cette anatomie : comme la dissection, la description du corps humain qui en découle est impropre à être livrée au public, pour des raisons qui ont trait à la décence et non à des représentations irréconciliables du corps humain. Moins de dix exemplaires en sont aujourd’hui conservés, pour la plupart hors de Chine73.

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39 La traduction de traités scientifiques par les missionnaires jésuites de Chine fait partie d’une entreprise d’introduction des savoirs européens. Il ne s’agissait pas de faire connaître telle œuvre ou tel auteur en particulier, mais plutôt un ensemble de savoirs faisant partie d’un édifice cohérent. À cet égard, la traduction des Éléments de géométrie d’Euclide revêt un caractère d’exception : Euclide (en chinois Oujilide 歐幾里得) est en effet le seul auteur européen autre que les missionnaires dont le nom apparaît dans le catalogue de la grande bibliothèque que l’empereur Qianlong (r. 1736-1795) fera compiler dans les année 178074. Les autres ouvrages portant sur les « études occidentales » qui figurent dans cette bibliothèque ont pour auteurs des jésuites. La traduction du manuel de Pardies, quant à elle, a été intégrée à un volumineux manuel attribué à l’empereur Kangxi en personne.

40 Hormis les quelques remarques des jésuites citées plus haut, les traducteurs n’ont guère, à ma connaissance, laissé de réflexion sur leurs méthodes de traduction et sur les difficultés qu’ils ont pu rencontrer. Si on laisse de côté la protestation modeste de Ricci au sujet de son incapacité à mettre par écrit en chinois classique ce qu’il explique oralement, ces remarques suggèrent que les langues cibles, aussi étrangères qu’elles soient à celles dans lesquelles ils ont eux-mêmes acquis les savoirs qu’ils transmettent, ne leur semblent pas présenter d’obstacle insurmontable.

41 Le contraste entre le cas de la géométrie et celui de l’anatomie est révélateur des devenirs très différents des savoirs présentés par les missionnaires suivant les champs dont ils relevaient. À une extrémité du spectre, on peut parler du succès des sciences mathématiques : la traduction de 1607 des Éléments d’Euclide a circulé largement parmi les lettrés versés en mathématiques, qui l’ont lue, commentée et parfois réécrite. Le second traité, traduit sous patronage impérial, est venu s’ajouter, et non se substituer, au premier ; au XVIIIe siècle, les savants ont accès à l’un et à l’autre, et tous deux figurent dans la bibliothèque impériale de l’empereur Qianlong. À l’autre extrémité, l’anatomie, qui, comme la géométrie, connaît deux moments de traduction, reste marginale. Non seulement la traduction mandchoue est restée ignorée, mais la traduction chinoise des années 1630 ne semble avoir eu que très peu d’influence sur les savants qui s’intéressent à la médecine et sur la pratique médicale. Ce contraste révèle à la fois la pertinence plus grande des sciences mathématiques au regard des besoins de l’administration de l’empire et de la curiosité des lettrés, et leur moindre difficulté d’intégration. L’anatomie est à la fois moins utile et moins acceptable, d’une part parce qu’elle est difficilement conciliable avec la représentation du corps humain qui domine en Chine à l’époque, d’autre part parce qu’elle est associée à la dissection, une pratique alors considérée comme contraire à la morale – comme elle l’était en Europe deux siècles plus tôt. Géométrie et anatomie ont un point commun, à savoir le caractère indispensable de l’image dans les ouvrages qui en traitent ; or, ce sont les images anatomiques qui sont le plus difficilement intégrables dans les savoirs chinois. Cette dimension visuelle dépasse le champ de la présente contribution, qui s’est limitée à la traduction textuelle ; elle mériterait d’être étudiée pour la géométrie comme pour l’anatomie75.

42 Le rôle de la langue mandchoue dans l’introduction des « études occidentales » en Chine est révélateur de l’ambivalence de cette langue dans l’empire des Qing. Son usage limite certes la circulation des informations et des savoirs, mais il reflète aussi le souci des empereurs de préserver la langue de leurs ancêtres et d’en faire une langue savante. L’étude des traductions met ainsi en lumière le fait que la réception des

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sciences introduites par les jésuites a été profondément marquée par le bouleversement politique et culturel qu’a représenté en Chine l’établissement de la domination mandchoue.

NOTES

1. Sur la Compagnie de Jésus dans l’empire portugais, voir Dauril ALDEN, The Making of an Enterprise : the in Portugal, Its Empire, and Beyond, 1540-1750, Stanford, Stanford University Press, 1996 ; sur la mission jésuite au Japon, voir Charles B. BOXER, The Christian Century in Japan, 1549-1650. 3e édition, Manchester, Carcanet, 1993 ; sur la mission jésuite de Chine, voir Liam Matthew BROCKEY, Journey to the East : the Jesuit Mission to China, 1579-1724, Cambridge, Mass., Belknap Press of Harvard University Press, 2008, Florence HSIA, Sojourners in a Strange Land. Jesuits and their Scientific Missions in Late Imperial China, university of Chicago press, 2009, ainsi que l’ouvrage de synthèse de Nicolas STANDAERT (dir.), Handbook of in China. Vol. 1: 635-1800, Leiden, Brill, 2001. 2. Les jésuites firent aussi usage des sciences au Japon, où ils enseignèrent notamment la cosmologie ; HIRAOKA Ryuji 平岡隆二, Nanban kei uchuron no gententeki kenkyu 南蛮系宇宙論の原 典的研究, Fukuoka, Kashoin, 2013. 3. Nicolas STANDAERT, Handbook, op. cit., p. 689-704. 4. Voir Joseph p. MCDERMOTT, A Social History of the Chinese Book : Books and Literati Culture in Late Imperial China, Hongkong, Hong Kong University Press, 2006, notamment p. 62-75 ; Cynthia J. BROKAW, Commerce in Culture: The Sibao Book Trade in the Qing and Republican Periods. Cambridge, Mass., Harvard University Press, 2007. 5. Frederic E. WAKEMAN JR., The Great Enterprise : The Manchu Reconstruction of Imperial Order in Seventeenth-Century China. Berkeley, University of California Press, 1986. 6. Voir Peter C. PERDUE, China Marches West : the Qing Conquest of Central Eurasia, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 2005, p. 24. 7. Christopher CULLEN, Heavenly Numbers : Astronomy and Authority in Early Imperial China, Oxford, Oxford University Press, 2017.

8. Willard PETERSON, « Calendar reform prior to the arrival of missionaries at the Ming court », Ming Studies 21 (1968), p. 45-61.

9. Isabelle LANDRY-DERON, « Les mathématiciens envoyés en Chine par Louis XIV en 1685 », Archive for the History of Exact Science 55 (2001), p. 423-463. 10. Voir Isabelle LANDRY-DERON, La Preuve par la Chine: la “Description” de J.-B. Du Halde, jésuite, 1735, Paris, Editions de l’EHESS, 2002. 11. Confucius Sinarum philosophus : sive Scientia sinensis latine exposita. Studio & opera Prosperi Intorcetta, Christiani Herdtrich, Francisci Rougemont, Philippi Couplet. Eximio missionum orientalium & litterariae reipublicae bono e Bibliotheca regia in lucem prodit, Paris, 1687 ; voir Thierry MEYNARD S.J. (éd.), Confucius Sinarum Philosophus (1687). The First Translation of the Confucian Classics, Rome : Monumenta Historica Societatis Iesu, 2011. 12. Huiyi WU, Traduire la Chine au XVIIIE siècle. Les jésuites traducteurs de textes chinois et le renouvellement des connaissances européennes sur la Chine (1687-ca. 1740), Paris, Honoré Champion, 2017.

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13. Citons notamment Peter M. ENGELFRIET, in China: the Genesis of the First Chinese Translation of Euclid’s Elements, Books I-VI (Jihe yuanben, , 1607) and its Reception up to 1723, Leiden & Boston, Brill, 1998 ; Joachim KURTZ, « Anatomy of a Textual monstrosity: Dissecting the Minglitan (De Logica, 1931) », in Federica CASALIN (dir.), Linguistic Exchanges between Europe, China and Japan, Rome, Tiellemedia, 2008, p. 35-57 ; John B. SAUNDERS and Francis R. LEE, The Manchu Anatomy and its Historical Origin, Taipei, Li Ming Cultural Enterprise Co, 1981. 14. Sur l’impression suscitée par Ricci chez certains lettrés chinois, voir Jacques GERNET, Chine et christianisme. Action et réaction, Paris, Gallimard, 1982, p. 28-30. Les jésuites de Chine ont donné un récit de l’établissement de la mission, d’abord publié en latin, puis traduit en français, dans lequel transparaît cette image ; Matthieu RICCI et Nicolas TRIGAULT, Histoire de l’expédition chrétienne au Royaume de la Chine 1582-1610, Paris, Desclée de Brouwer, 1978 (1617). La biographie la plus récente de Ricci est : Ronnie Po-Chia HSIA, A Jesuit in the Forbidden City: Matteo Ricci (1552-1610), Oxford University Press, 2012. 15. Antonella ROMANO, La Contre-réforme mathématique : constitution et diffusion d’une culture mathématique jésuite à la Renaissance (1560-1640), Rome, École Française de Rome, 1999 ; Sabine ROMMEVAUX, Clavius : une clé pour Euclide au XVIE siècle, Paris, Vrin, 2005. 16. Matteo RICCI et Nicolas TRIGAULT, Histoire..., op. cit., p. 570. 17. Sur la traduction en chinois de textes mathématiques comme résultat d’un enseignement, voir Catherine JAMI, « Teachers of Mathematics in China : the Jesuits and their Textbooks (1580-1723) », Archives internationales d’histoire des sciences 52 (2001), p. 159-175. 18. Voir Erik ZÜRCHER, The Buddhist Conquest of China : the Spread and Adaptation of Buddhism in Early Medieval China, Leiden, Brill, 2007, p. 202-203. 19. Peter M. ENGELFRIET, Euclid in China, op. cit., p. 459. 20. L’ouvrage paradigmatique de l’écriture mathématique dans la Chine ancienne a été traduit en français : Karine CHEMLA et GUO Shuchun, Les Neuf chapitres : le classique mathématique de la Chine ancienne, Paris, Dunod, 2004 ; pour une comparaison entre la structure des textes mathématiques chinois et celle des Éléments de géométrie, voir Christopher CULLEN, « How Can We Do the Comparative History of Mathematical Proof? Proof in Liu Hui and the Zhou Bi », Philosophy and the History of Science: A Taiwanese Journal 4, no 1 (1995), p. 59-94. 21. Pour une analyse de la langue du Jihe yuanben, voir Peter M. ENGELFRIET, Euclid in China, op. cit., p. 138-154. 22. Peter M. ENGELFRIET, Euclid in China, op. cit., p. 350-431 ; voir aussi Jean-Claude MARTZLOFF, « Éléments de réflexion sur les réactions chinoises à la géométrie euclidienne à la fin du XVIIe siècle : le Jihe lunyue de Du Zhigeng vu principalement à partir de la préface de l’auteur et deux notices bibliographiques rédigées par des lettrés illustres », Historia Mathematica 20, n o 2 (1993), p. 160-179. 23. Karine CHEMLA et GUO Shuchun, Les Neuf chapitres, op. cit., p. 935. 24. Peter M. ENGELFRIET, Euclid in China, op. cit., p. 138-139, où il donne une traduction anglaise de ce passage. 25. Joachim KURTZ, « Anatomy of a textual monstrosity », op. cit. 26. Peter M. ENGELFRIET, Euclid in China, op. cit., p. 138-141. 27. Anne CHENG, Histoire de la pensée chinoise, Paris, Le Seuil, 1997, p. 447-450. 28. Nicolas STANDAERT (dir.), Handbook of . Vol. 1: 635-1800, Leiden, Brill, 2001, p. 604-605. 29. Matteo RICCI, Le Sens réel de « Seigneur du ciel », traduit du et annoté par Thierry MEYNARD, S.J., Paris, Les Belles Lettres, 2013, p. XVI-XVIII. 30. Keizo HASHIMOTO, Hsü Kuang-ch’i and Astronomical Reform : the Process of the Chinese Acceptance of Western Astronomy, 1629-1635, Osaka, Kansai University Press, 1988.

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31. Catherine JAMI, « Giulio Aleni’s Contribution to Geometry in China: the Jihe yaofa », dans Tiziana LIPPIELLO and Roman MALEK (éd.), « Scholar from the West »: Giulio Aleni S.J. and the dialogue between Christianity and China, Nettetal, Steyler Verlag, 1997, 553-572. 32. Bi Gongchen, haut fonctionnaire, a corrigé de la même manière plusieurs ouvrages des jésuites : Arthur W. HUMMEL, Eminent Chinese of the Ch’ing Period, 1644–1912, 2 vols, Washington, D.C., U.S. Government Printing Office, 1943, vol. 2, p. 621-622 ; pour la date de publication, je suis la base de données Chinese Christian Texts https:// www.arts.kuleuven.be/sinologie/english/cct (accès le 26 novembre 2017).

33. HONG Seongyeoul洪性烈, « Taixi renshen shuogai diben yanjiu chutan 《泰西人身說概》底本 研究初探 », Zhongguo kejishi zazhi 中國科技史雜誌34, no 2 (2013), p. 143-158. 34. Nicolas STANDAERT, « A Chinese translation of Ambroise Paré’s Anatomy », Sino-Western Cultural Relations Journal, 21 (1999), p. 9-33. 35. Nicolas STANDAERT, Handbook, op. cit., p. 792-793. 36. Ibid., p. 790-791. 37. Noël GOLVERS, The Astronomia Europaea of Ferdinand Verbiest, S.J. (Dillingen, 1687): Text, translation, notes and commentaries, Nettetal, Steyler Verlag, 1993, p. 63. 38. Voir par exemple le mémoire prédisant l’éclipse de lune du 25 mars 1671, dont un exemplaire est conservé à la Bibliothèque Maurits Sabbe, Leuven, Belgique : P IG 112 K VERB, 1671 ; reproduction : http://www.jesuitica.be/images/info/moon_stitched.jpg (consultée le 14 janvier 2014) ; un autre se trouve à la British Library, Londres : OIOC, Or. 74.b.6 ; sur l’usage du mandchou comme langue de communication administrative, voir Pamela Kyle CROSSLEY, and Evelyn S. RAWSKI, « A Profile of the Manchu Language in Ch’ing History », Harvard Journal of Asiatic Studies 53, no 1 (1993), p. 63-102 et 70-74. 39. Sur le « procès du calendrier » (1664-1669), qui a failli être fatal à la mission, voir Catherine JAMI, « Revisiting the Calendar Case (1664-1669): Science, Religion, and Politics in Early Qing Beijing », Korean Journal of History of Science 37, no 2 (2015), p. 459-477. 40. Nicolas STANDAERT, Handbook, op. cit., p. 752-779 et 823-850. 41. Pamela Kyle CROSSLEY et Evelyn S. RAWSKI, « A Profile of the Manchu Language », op. cit., p. 90-100. 42. Noël GOLVERS, The Astronomia Europaæ, op. cit., p. 101, 102-129. 43. Noël GOLVERS, The Astronomia Europaæ, op. cit., p. 99. 44. Ulrich LIBBRECHT, « Introduction of the lapis serpentinus into China », Orientali Lovaniensia periodica, 18 (1987), p. 209-237 ; Lode TALPE, « The Manchu text of the Hsi-tu-shih 吸毒石, or lapis serpentinus », Orientali Lovaniensia periodica, 22 (1991), p. 215-234. 45. Catherine JAMI, The Emperor’s New Mathematics, op. cit., p. 180-213. 46. Jean-Baptiste DU HALDE, Description geographique, historique, chronologique, politique et physique de l’empire de la Chine et de la Tartarie chinoise, 4 vols, La Haye, Henri Scheurleer, 1736, vol. 4, p. 265. 47. Catherine JAMI, The Emperor’s New Mathematics, op. cit., p. 156-159. 48. Ibid., p. 73-74. 49. Joachim BOUVET, Portrait historique de l’empereur de la Chine présenté au roy, Paris, Estienne Michallet, 1697, p. 153. 50. Jean-Baptiste Du Hamel, Philosophia vetus et nova ad usum scholæ accomodata, in regia Burgundia olim pertractata, 4 vols, Paris, Etienne Michallet, 1678 ; voir Catherine JAMI, The Emperor’s New Mathematics, op. cit., p. 144-146. 51. Nicolas STANDAERT, Handbook, op. cit., p. 789 ; Pierre DIONIS, L’anatomie de l’homme suivant la circulation du sang et les dernières découvertes, Paris, Laurent d’Houry, 1690 ; Rafael MANDRESSI, « Le corps des savants: sciences, histoire, performance », Communications 92 (2013), p. 51-65 et 57. 52. Ignace Gaston PARDIES S.J., Élémens de géométrie, Paris, Sébastien Mabre-Cramoisy, 1671, p. x.

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53. Cité par Catherine JAMI, The Emperor’s New Mathematics, op. cit., p. 176-177. 54. Jean-Baptiste DU HALDE, Description, op. cit., vol. 4, p. 273. 55. Catherine JAMI, The Emperor’s New Mathematics, op. cit., p. 166-167. 56. Ibid., p. 330-333. 57. Ibid., p. 382-384. 58. Christophorus CLAVIUS, Euclidis Elementorum libri XV..., Rome, Apud Vicentium Accoltum, 1574, p. 12. 59. Peter M. ENGELFRIET, Euclid in China, op. cit., p. 163. 60. Il y a d’autres infidélités de ce type dans le texte chinois ; voir par exemple Peter M. ENGELFRIET, Euclid in China, op. cit., p. 159. 61. Ignace Gaston PARDIES, Elémens de géométrie..., Paris, Sébastien Mabre-Cramoisy, 1671, p. 3-4. 62. Yuzhi shuli jingyun 御製數理精蘊, 1723, I.2, p. 3b. 63. Il faut noter que, dans le vocabulaire mathématique français d’aujourd’hui, le terme « cercle » désigne plutôt la ligne appelée « circonférence » par Pardies que la surface contenue dans cette circonférence. 64. Catherine JAMI, « Teachers of Mathematics in China », op. cit. 65. Lettres Édifiantes et Curieuses, 34 vols, Paris, Nicolas Le Clerc, 1702-1776, vol. XVII, p. 446. 66. Ibid., p. 446-447.

67. Catherine JAMI, « Western learning and imperial scholarship: the Kangxi emperor’s study. » East Asian Science, Technology and Medicine 27 (2007), p. 146–172. 68. Lettres Édifiantes et Curieuses, op. cit., p. 447. 69. Ibid., p. 448. 70. Hartmut WALRAVENS, « Medical knowledge of the Manchus and the Manchu Anatomy », Études mongoles et sibériennes, 27 (1996), p. 359-374. 71. Lettres Édifiantes et Curieuses, op. cit., vol. XVII, p. 461-462. 72. Ibid., p. 464-465. 73. Catherine JAMI, « Western Learning and Imperial Control: The Kangxi Emperor’s (r. 1662-1722) Performance », Late Imperial China 23, no 1 (2002), p. 43 ; WALRAVENS, « Medical knowledge of the Manchus », op. cit., p. 371-374. 74. Siku quanshu 四庫全書 ; voir R. Kent GUY, The Emperor’s Four Treasuries: Scholars and the State in the Late Ch’ien-lung Era, Cambridge, Mass., Council on East Asian Studies Harvard University, 1987. 75. Voir l’analyse de la « traduction d’un diagramme » dans Huiyi WU, Traduire la Chine, op. cit., p. 270-279.

RÉSUMÉS

Au XVIIe siècle, dans le cadre de leur entreprise d’évangélisation, des missionnaires jésuites introduisent en Chine certains savoirs scientifiques européens. Dans les dernières décennies de la dynastie Ming (1368-1644), des ouvrages présentant ces savoirs sont publiés, dont certains sont des traductions. Après l’avènement de la dynastie mandchoue des Qing (1644-1911), de nouvelles traductions sont effectuées, sous patronage impérial. Le mandchou s’ajoute alors au chinois classique comme langue cible, alors que le français devient une langue source. L’analyse de traductions d’ouvrages de géométrie euclidienne et d’anatomie permet de mettre en lumière les

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conditions de la réception de savoirs importés d’Europe en Chine dans différents domaines et les enjeux intellectuels, culturels et politiques qui sous-tendent cette réception.

During the 17th century, Jesuits missionaries introduced into China some elements of European scientific knowledge as part of their evangelisation enterprise. During the last decades of the (1368-1644), a number of works expounding this knowledge were published, some of which were translations. After the advent of the Manchu Qing dynasty (1644-1911), more translations were made, under imperial patronage. Manchu became one of the target languages, whereas French became a source language. Analysing the translations of works on Euclidean geometry and on anatomy sheds light on the reception of knowledge imported from Europe into China in different fields, and on the intellectual, cultural and political stakes that underlay this reception.

INDEX

Mots-clés : traduction, Chine, jésuites, sciences, géométrie, anatomie Keywords : translation, China, Jesuits, sciences, geometry, anatomy

AUTEUR

CATHERINE JAMI CNRS / Chine, Corée, Japon – UMR 8173

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Creating Italian medicine. Language, politics and the Venetian translation of three French medical dictionaries in the early 19th century1

Maria Conforti

1 Scientific and technical dictionaries published in the early 19th century are only a part of the broader genre of scientific communications, including a variety of diverse publications – ‘encyclopaedic’ and specialised journals, books and booklets, as well as works published in periodical instalments. While the boundaries of this ‘cloud’ of information hovering over Europe and the Americas may be difficult to define, its role was probably crucial in transforming and shaping sciences, scientific practices, and their uses. Articles and case reports, as well as various fragments of information— written by and addressed to an audience that consisted mainly of professionals in different scientific disciplines—were exchanged, copied, commented and translated, with little regard for authorship, and sometimes even for accuracy. In many instances, dictionaries functioned as hubs of exchange between different genres: by offering translations, excerpts, or even reproductions of texts that were already published in other media, they enlarged their readership and facilitated their diffusion. Medical prints loomed large in the output of many publishing enterprises engaged in producing these hybrid genres, a fact that comes as no surprise when one considers the numbers and comparative weight of medical professionals in the scientific world of revolutionary and Restoration Europe.2

2 Three well-known and vastly diffused Italian medical dictionaries were published in Venice—even though Italy did not yet exist as a political entity at the time—beginning with the 1820s and continuing until the 1860s: the Dizionario Compendiato, the Classico and the Economico.3 They were the result of the cooperation between a shrewd and very successful publisher, Giuseppe Antonelli (1793–1861), and the physician Mosè Giuseppe

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Levi (1796–1859), two representatives of a group of bourgeois and learned professionals. The three Dizionari distinctly show a pattern of evolution from simple translations from the French, the European leading language—and civilization—for science and medicine, to an increasingly complex textual collage. Foreign and French texts were translated in Italian and published alongside Italian texts, or with strong injections of contributions by Italian authors, coming from books and booklets, pamphlets and journals—the ‘cloud’ of scientific information we were referring to. Foreign techniques, achievements, and scientific innovations were thus heavily Italianised, and not only from the linguistic point of view.

3 The Venetian printing press has a long and glorious history.4 At the beginning of the 19th century, this glory was rapidly fading away, as was the political prominence of the Serenissima, no longer an independent Republic. However, the Venetian publisher Giuseppe Antonelli was, arguably, the founder of the largest and most successful publishing enterprise in Restoration Italy.5 As it has been pointed out, he had an ‘industrial’ vision of his , mainly publishing in instalments and by association.6 And even if his scientific and medical prints have unjustly been downplayed, and considered devoid of intellectual depth and meaning, he contributed both to the diffusion in Italy of foreign medical culture and to the development and diffusion of Italian medical culture itself, by helping in the creation and circulation of a reliable corpus of works concerning scientific doctrines and healing practices.7 It is true that Antonelli’s best known prints, celebrated for their intellectual meaning, are neither scientific nor medical. Starting in 1836, he published the Nova scriptorum latinorum bibliotheca, a collection of annotated Latin texts, and the Biblioteca degli scrittori latini, its successful Italian translation. This was more or less the same operation as the one he had already experimented with in the previous years by publishing translated French medical dictionaries. Even the French publisher of the original texts was the same, the prestigious Panckoucke firm.8 However, there is no reason at all to consider the medical dictionaries less intellectually challenging or interesting than the collection of Latin texts. They were at the centre of highly controversial issues, such as the balance to be found between the developing biological disciplines and clinical medicine, the professional issues concerning surgeons and physicians, or the lively linguistic discussions concerning the creation of scientific neologisms.

4 Mosé Giuseppe Levi, Antonelli’s contemporary by a small number of years, was in fact the main protagonist of the compilation and diffusion of the medical Dizionari. A Jew by religion, born in Guastalla, he received an excellent medical education at Padua University, where he was a pupil of the physician and scientist Valeriano Luigi Brera (1772–1840). Levi was a good practitioner, but he gained a high reputation as an even better translator and journalist.9 His works and his letters show the extent of the network of learned practitioners he participated in, and that was crucial for his work at the Dizionari.10 Antonelli published the whole of his works. Levi lived in what was arguably the most integrated Jewish community in Northern Italy.11 As Levi’s and Asson ’s cases show, they felt not only Venetian, but Italian. However, even if they were active, and in many cases respected, members of their civic community, Jews were in fact walking a fine line between assimilation and rejection. In 1837, for instance, Levi was the object of a report by the Austrian police concerning his behavior when his young son died during the cholera epidemics. He was accused of a public manifestation

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of bereavement, something “persone eterodosse” (heterodox persons) were not supposed to be permitted to express.12

5 But Levi and Antonelli also lived and worked in the wake of the political turmoil of the end of the 18th century and the beginning of the 19th century, which had seen the end of the Serenissima as an independent state, and its submission for a short period of time to French power, before its annexation by the Austrian empire. Despite this, or probably because of the end of the glorious Republic, a new class of bourgeois professionals, among them many medical practitioners, many of them Jews, was emerging. Venice shared with other Italian regions a controversial, ambivalent relation to French culture and civilization, admired at the time of the Revolution, resented and almost rejected when the French, in Napoleonic times, had become invaders and conquerors rather than fellow citizens engaged in the destruction of the Ancien Régime.13

6 By offering a space in their compilations to a wide array of previous publications (some of them dating to the last decades of the 18th century) Levi and Antonelli also contributed to the diffusion and knowledge of works that were not written by academic physicians but by surgeons, pharmacists, and other practitioners, often working in hospitals, who were emerging as one of the most active, and upwardly mobile, sections of the medical professions.14 In what follows, I will briefly deal with the thriving milieu of Venice’s scientific and medical journalism, in order to contextualize the Dizionari which was translated and compiled by Antonelli and Levi, and in particular their controversial relation with French language and science. I will then present the attempts, in the first half of the century, by Levi himself and some of his friends and followers, and especially the Veronese Michelangelo Asson (1802–1877), at creating an Italian medical language and science—a political attempt that can be explained by the development of the Italian Risorgimento and of an Italian ‘national’ culture.

Vindicating Italian as a scientific language

7 In order to better contextualize Antonelli’s and especially Levi’s work, as well as their preoccupation with the creation of a specific dictionary for Italian medicine, we may begin by looking at a different genre, the learned periodicals, and at a different generation, the one that preceded Levi’s. In May 1836, Francesco Aglietti (1757–1836) died in Venice. A physician and a journalist, he had participated in two well-known periodicals. The first, the Giornale per servire alla storia della medicina di questo secolo (1783–1800), was founded with two colleagues, Stefano Gallini (1756–1836), who left it in 1786 to begin a successful academic career in Padua, and with Antonio Gualandris (?– 1798), later to become Protomedico in Feltre.15 It had a specific medical character, and it has been celebrated as one of the first, if not altogether the first, of its kind in Italy.16 However, Aglietti’s second—and solitary—enterprise, a learned and nominally general or ‘encyclopaedic’ journal, the Memorie per servire alla storia letteraria e civile (1793–1800), was also rich in scientific annotations.17 The two journals were published by Antonio Fortunato Stella.

8 After his death, Aglietti’s life was the object of two conflicting biographies, the first by Paolo Zannini and the second by Levi himself. Zannini stressed Aglietti’s engagement in the numerous scientific societies active in the city, and particularly in medical journalism, and also gave a list of those who collaborated in the first and second journals that he directed.18 Their abrupt end in 1800 is not explained by the biographer,

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but arguably there were political reasons for their discontinuation. Zannini, who was a pupil and a long-time friend of Aglietti, also mentioned a project the latter did not have the time to complete, namely, the Italian translation, with the addition of a wealth of new cases, of Giovan Battista Morgagni’s De sedibus et causis morborum (1761), the work that has become famous as the foundation of pathological anatomy.19 Journalism and translations—in this case from the Latin, whose scientific primacy was rapidly losing ground—were closely associated and often practiced by the same persons, many of them physicians. Aglietti’s culture was still typical of the late Enlightenment: he believed in introducing, to the reluctant Italian public, science and medicine that came from abroad. The effort of translating Morgagni’s difficult Latin pointed to the necessity of circulating the work of the founder of pathological anatomy—by now a French and Scottish discipline—in a wider circle than the one of academically educated physicians.

9 Levi’s work on Aglietti, that its author labelled a eulogy, was allegedly approved by Levi ’s friend and colleague Michelangelo Asson, who was to become one of the strongest advocates of the creation of an Italian medicine and medical language.20 This work was more politically oriented than Zannini’s. At times, it was also harshly critical of the eulogized. The two necrologies are good illustrations of the transition from a generation of physicians still engaged in late Enlightenment cosmopolitanism to another one more interested in the Italian national revival. Levi mentions Aglietti’s bent for Jacobinism, criticizing his brief and youthful flirtation with what he calls ‘libertinism’, saying that he had let himself be trapped by those who encouraged an indecent liberty.21 But he also remembers his support for the use of vaccination, as well as his preoccupation for public health and welfare in the city of Venice.22 In this instance, Levi repeatedly uses the word “patria”, motherland, in reference to Venice but also, ambiguously, to Italy as a whole. This was a rather brave move at the time: Aglietti, in Levi’s intentions, was to be seen as a Venetian hero, but also, and perhaps even more, as an Italian one. This is also apparent from Levi’s detailed account of Aglietti’s participation in a number of scientific institutions, especially the Italiano Istituto di scienze, lettere ed arti, an academy created in revolutionary times in 1797 and whose name changed in Imperial Regio Istituto del Regno Lombardo Veneto when Venice became a part of the Austrian empire.23

10 Aglietti’s journalistic activities were analysed in close details by Levi, as was the physician’s love for the arts: he had been a friend of Antonio Canova.24 Levi underlines Aglietti’s proficiency in languages: he knew not only Latin, but also English and French. 25 However, on this specific point, Levi became overtly critical of Aglietti’s works, whose clarity and elegance he admired, but whose richness in foreign expressions he found almost intolerable. In a remarkable digression, he reported at length a conversation between Aglietti and himself. Allegedly, he had told the older, respected practitioner, that, in writing, he should have used the style and language of the best scientific authors of the Italian tradition: Lionardo Di Capua, Magalotti, Redi, Cocchi, Galilei. These authors were all from the 17th century, and Tuscan, or—in the case of Di Capua, who was Neapolitan—employing a heavily Tuscanised Italian. Against Aglietti’s style and language, Levi vindicated the importance and richness of Italian, that must not be presented, he said, like a poor girl who might need somebody who could offer her marriage, or at least a dowry. In fact, Levi insisted, Italian language had a long history, beginning in the Trecento, and ought to be treated as it deserved: as a noble and independent woman, whose honesty could not be doubted. He concluded on a rather

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strident note, accusing Aglietti of having made Italian instead a “zambracca”, a prostitute who accepted anyone—that is, any and every word or expression coming from other languages.26 Aglietti was seemingly not offended, and the two went on in their conversation to discuss medical portraits and engravings, as well as ancient and rare books, and book collecting in general.

11 Levis’ preoccupation with words, and with the status of Italian as a learned and scientific language, was by no means only a linguistic issue. In his Ricordi, a collection of brief biographies of Venetian physicians of the late 18th and early 19th centuries that he published in 1835,27 he began with a polemic against the French, “our neighbors beyond Piedmont.”28 Not content with extolling the virtues and merits of their motherland, they were scorning Italians and Italy itself, calling it “the land of remembrances”, and seldom, if ever, acknowledging Italian discoveries or achievements. The Biographie universelle, Levi remarked, was in fact almost totally limited to eulogies of French authors. This went so far that the illustrious physician Giovanni Rasori (1766–1837) had been reported as recently dead in the text, while he was still living, as attested by his correspondence with Levi himself.29 The Ricordi were thus born from the wish of its author to contribute to revamping the neglected glory of Italian science, beginning with Venice, one of its most important centres. It is remarkable, in this instance, that many practitioners remembered by Levi in his work belonged to the vast, and comparatively yet unexplored, world of practicing physicians, surgeons, apothecaries and pharmaceutical chemists. This is a feature that would show up also in Levi’s other works, translations and compilations, and especially in the Dizionari, where a wealth of small works, articles, and simple case reports were used to integrate the skeleton provided by the French original. Venice at the time had no university—in fact, its medical practitioners had developed a complicated relationship with Padua and its fame, lengthy history, and intellectual prowess in the field of medical studies. This may account for the strong practical, anti-bookish orientation of medical mentality in the city, reflected in Levi’s collection of biographies. Aglietti and his fellow practitioners, as well as those of the younger generation, as Levi or Asson, were engaged in a battle for the introduction of pathological anatomy as a crucial discipline in medical theory and practice, as opposed to the ongoing systematic and theoretical temptation shown by late 18th century medicine, and best represented by the case of Brownism. But the central role played by ‘practical’ disciplines also points to the intended public of the dictionaries, and offers a clue to the understanding of their fortune and extraordinary diffusion in Italy.

French and Italian in the Dizionario compendiato (1827–1830) and the Dizionario Classico (1835–1846)

12 The Dizionario compendiato delle Scienze Mediche, published from 1827 onwards, is the first work of this kind published by Levi and Antonelli.30 The original work, the Dictionnaire abrégé des sciences médicales, had been published by Panckoucke in fifteen volumes, between 1821 and 1826. It is easy to underestimate the impact of this and other works by this publishing firm specialised in European science and medicine. As it has been said, Panckoucke’s dictionaries “epitomize the transition between the encyclopaedic and the positivist modes in the medical sciences.”31 In comparing the Dizionario compendiato to its French original, one finds altogether new entries: many of

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them are geographical and pertain to the Italian medical landscape, e.g. Abano, a celebrated place for mineral waters and therapeutic baths.32 All the additions and the new entries are kept anonymous.33 The translation is accurate.34

13 Levi’s name is not to be found on the title page—where one can only read the names of the French authors who contributed to the original—nor anywhere else in the volumes. Levi’s fame as a translator was yet to come, or, possibly, he still preferred to seek fame by other means than by the somewhat ‘minor’ activity of translator and compiler. The dedicatee of the work is Aglietti, who, as already mentioned, acted as an operatic “padre nobile”, a Nestor, in Levi’s words, to the community of Venetian progressive physicians. Throughout the seventeen volumes of the Dizionario compendiato Levi remained anonymous, but the Prefazione del traduttore that can be read before the first volume is interesting, because it was in itself a manifesto of Levi’s, and possibly Antonelli’s, interest in linguistic issues, in a spectrum that goes from the technical to the overtly political and nationalistic.

14 Levis’ brief introduction tackled the difficulties and the issues related to his translation of French scientific and medical articles. He aptly mentioned Melchiorre Cesarotti (1730-1808), whose theories and practice of translations had been the staple for Italians wishing to transform a language best known for its musical and literary uses into a reliable scientific instrument.35 He also offered a detailed justification for his effort in translating from the French by always using Italian roots (e. g., in words such as anidina, brounismo, cranioscopia…). He also insisted on the double use he made of words and expressions coming from the learned academic world, alongside those used by practitioners, who were not considered of a lower standing anymore, but who would still not know about Latin or Greek derivations. So, for instance, the French astriction was translated by astrizione, used in practice, and by stringimento, more educated. French, in Levi’s mind, was an inescapable point of departure for the establishment of an Italian medicine, not only in linguistic issues, but more broadly in scientific and cultural ones. But, in actual fact, Levi’s work moved from a simple translation to a more meaningful attempt at defining a canon or dictionary of Italian medical words.

15 This is apparent also by the first—and last—text in the work that is signed by Levi. At the end of the seventeenth and last volume, one can read a note addressed to the reader by the translator.36 The note is followed by a meaningful list of words to be avoided or rejected when writing about medicine, either because they are un-Italian, or un-medical, or altogether unnecessary. Others are to be used with due parsimony, and these include artificial neologisms or, again, words that have a different meaning in Italian from the one assigned them by some medical authors writing under the influence of foreign languages.37

16 In 1835, Levi and Antonelli followed up with another medical dictionary, the Dizionario classico di Medicina.38 This is a translation, with meaningful additions, of the Dictionnaire de Médecine published in Paris from 1821 to 1828.39 While more research is needed to assess the reason and timing of this second translation, it may be argued that the success of the compendiato triggered the decision. This time, however, both the French and the Italian version avoided anonymity, with signed entries resembling short articles. The Italian Prefazione dell’editore was a passionate vindication of the importance of Italian medicine, an aspect that, while also present in the Compendiato, was not as prominent as it was to become. This time, indeed, Levi and Antonelli proceeded to a systematic integration of the French entries with contributions coming from a vast

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array of Italian medical works. The names of French contributors were thus followed by a proud list of the works of the “illustrious” Italians, whose activity and indeed identity is in some cases very difficult to retrace.40 I have dealt elsewhere with this list, in itself a compendium of sorts of medical activity in Italy in the period from the last decades of the 18th century to the 1830s—a period that has received scant or no attention by historians, and that deserves a thorough analysis, especially in regard to medical specialities such as anatomy, surgery, and anatomical pathology.41 Antonelli explicitly asked professors of medicine in the peninsula to offer their works, so that they could be placed in the right alphabetical entry.42 This was arguably a measure of caution, since we do not know how many of the contributions were voluntary and how many were simply copied from past publications. Many of the Italian authors were already dead at the time. However, their number is impressive and it gives an idea of the thriving activity of clinics as well as experimenters. It is remarkable that the vast majority of the works were written by medical men living in Northern Italy, with some exceptions for Roman anatomists and Neapolitan naturalists. Equally remarkable is the number of contributions that came from other scientific genres, especially journals. This points to the porosity, indeed lack of a separation, between different kinds of periodical publications: journals on the one side, and dictionaries and other systematic works published at regular intervals, on the other.

17 In the first volume, an Avvertimento, unsigned but possibly again written by Levi, was a justification for the use of the dictionary form to present a full discussion of medical science. The Avvertimento echoed the long history of medical compendia, culminating in the early modern commonplace book, that is, a list or repertory of meaningful entries and quotations that learned medics used as a memory aid as well as a practical handbook.43 Levi and Antonelli’s project, however, had a broader scope, to actively participate in the creation of an Italian medical language, but also, and more ambitiously, to the renovation of Italian medical culture. This was meant as a political action, as a contribution to the Italian Risorgimento and unification. It also was meant to be a vindication of the Italian medical tradition, formerly one of the strongest in Europe, and that could still have a claim to excellence, at least in some centres such as Padua or Pavia. Levi and Antonelli were thus engaged in making ‘Italian’ what had previously been French, or simply cosmopolitan. They achieved this goal by developing an original translation method, that has elicited the attention of historians of the Italian language, but also, and perhaps mainly, by inserting Italian works and contributions in French dictionary entries.44 At the same time, by republishing in their Dizionari works by Italian authors that had been originally meant for little-known, or illustrious, journals, or for pamphlets and books published at a local level, Antonelli and Levi contributed to the creation of a wider Italian medical and scientific space, potentially open to authors living in the different states of the Italian peninsula. They were in no way isolated or alone, but theirs was one of the most systematic and successful efforts in this direction.45

18 In 1851, Antonelli and Levi published yet another medical dictionary, their last, the Economico.46 This time, the names of contributors were given without national distinctions: the title page mixed French and Italian names in alphabetical order. The Proemio began in an elegiac mood, remembering past history and past dictionaries published by the two of them in the “polished” medical Italian language that Italy deserved.47 The Economico followed the pattern of its predecessor, and was compiled by the successive addition of different texts, whose source, this time, was almost never

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specified—a procedure that was, and still is, likely to drive the diligent reader or scholar almost crazy. Accordingly, this dictionary did not receive good reviews. An anonymous A. G. G., publishing on the Venetian L’età presente in 1858, gave a harsh judgment of the text, because of its French derivation, and especially because of the method that had been followed in compiling it, a method likely to confuse the mind of the reader with a disorderly heap of doctrines, essays and additions.48 Arguably, behind this review we may see a political stance, or even an attempt at crushing the competition in the editorial market. However, the age of casual heaping of news and of easy-going compiling was finished and Antonelli’s Dizionario economico was one of the casualties on the road towards other, more scientifically-minded translations, especially from German, that dominated the Italian medical scene in the second half of the 19th century.

Toward 1848: from an Italian medical language to the history of Italian medicine

19 The role of the Congressi degli Scienziati Italiani in shaping a common and national Italian scientific identity has been repeatedly underlined.49 Held from 1839 to 1847 in different localities, including Florence and Naples, Pisa and Venice, crossing borders and political loyalties, they represented a sort of prefiguration of the issues, debates and problems a unified scientific Italy would face in the 1660s. The 1847 congress, the ninth of the series, was held in Venice in September, only some months before the political upheaval of 1848. Levi participated in the Congresso, and so did one of his most loyal friends and followers, the Veronese Michelangelo Asson (1802-1877), possibly also a Jew, and yet another friend and follower of Aglietti, and a regular contributor to Antonelli’s printing house.50 Asson, like Levi, was a hospital physician in Venice, writing on cholera and surgery, and later the author of a number of works on the history of medicine and literature.51 Asson’s contribution, Intorno la formazione di un gran codice di medicina, ossia di un dizionario delle scienze mediche originale italiano,52 was examined by a commission of benevolent colleagues, among them Levi himself.53 In fact, Asson’s project was something more than a dictionary, and at least one of those called to judge it, Levi, was implicated in it. However, the “gran codice originale italiano” never materialized, and the two, Levi as well as Asson, went on with their activity as translators.54 This was by no means their only project or engagement: in the following year, the ominous 1848, Asson was fighting on the front line of the Venetian anti-Austrian upheaval that ended tragically.

20 In 1868, four years before his death, and seven years after the unification of Italy, Asson published a brief lesson, On the present state of surgery in Italy, that is to be read as a testament or balance of his activity, in the form of a communication to the Ateneo Veneto, one of the scientific societies in his hometown.55 Here, he was more cautious than in his previous works, and eventually able, after many years of dutiful patriotism, to show his awareness of the shortcomings and failures of surgical practice in his country. He insisted on the necessity of regular publication of a bibliography giving account of Italian works on surgery, a task he was willing to undertake; and he remembered his proposal for an institution that could reconstruct the history of Italian medicine by means of “exact biographies, compiled, in each city, by its best physicians, and collected by a central committee through the work of provincial commissions.”56

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This was the same task undertaken by Levi with his Ricordi.57 He also went back to his proposal of 1847 for a Dizionario delle scienze mediche originale italiano, describing it as follows: A work that might describe the national character, by means of the most exact and well ordained biographical and historical studies; by means of the methods and criteria adopted by our national philosophy in the institution of doctrines, that is, by observation, experience, and strict induction; by means of enquiries on the climate and endemics specific to each Italian province, and of their special production and therapeutic efficacy; and finally, by means of a common medical legislation, something impossible to attain at the time.58

21 The past glory of Italian achievements in the fields of surgery and pathological anatomy, in Asson’s opinion, were a sad comparison to their current state; however, those who persisted in extolling only foreign countries were still his enemies. In a passionate defence, he blamed those Italians who called scientific Italy “la terra dei morti”, the land of the dead, or even “la terra dei mai vivi”, the land of those who were never alive, thus forgetting the past, when European nations flocked to Italian schools to get their education.

22 However, he said, this did not detract from the acknowledgment of the progress in the medical disciplines that had gone on in other countries—not in France, as one may expect, but in Germany. The admiration for German achievements, he said, had become exaggerated to the point of abuse. This had happened not only in Italy, but in France as well.59 The controversial subjects were changing, in fact, and the myth of ‘Latin’ science and medicine was already under construction, while Germany was now holding the place of excellence in the sciences that had been France’s preserve in the first decades of the century. Unsurprisingly, the umbrella of Hippocrates was invoked in order to limit the pretensions of the histologists ‘à la’ Laennec, now Germans. Clinical activity at the bedside, privileging specific (that is, individual) “diatheses”, temperaments or constitutions, was opposed to laboratory medicine and histology. This motif would have a long, and even sinister, history in Italy; constitutional medicine was to become one of the means by which Fascism legitimated medical racism. However, Asson also underlined that histology, much admired by Germans, was in fact Italian, coming from no less than Malpighi. It was a melancholic conclusion of Asson’s career that his passionate effort to build, through translations and study, a ‘new’ and innovative Italian medical science should end with what would have been called, in the Fascist era, “rivendicazioni nazionali” (national vindications) of the Italian priority of discoveries unjustly attributed to foreign authors. But these developments were yet to come. In a move that was common to a great number of physicians and medical authors of his time, Asson used history as a strong support of the claims of Italian medicine to excellence, and also as a means of exploring the diversity of Italian local cultures. Only after a long historical and ideological introduction did he finally proceed to a detailed catalogue of the events and advancements in surgery in Italy in the 1850s and 1860s, where regional and local schools all received due attention, from Turin to Sicily.

23 The history of Levi’s and Antonelli’s translations from the French medical dictionaries can only be understood against the backdrop of a country, Italy, in transition. Politically, Italy moved from French domination during the revolutionary and Napoleonic years, to the Restoration, when the hopes for a united Italy slowly began to grow. Scientifically and culturally, Italy shifted from a commitment to the cosmopolitan ideals of the Enlightenment to a national rhetoric that included the re-

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invention of a tradition, even decades before the actual political unification. Medicine was the discipline that had ensured Italy a place of pride in European science throughout the Renaissance and the early modern era. However, the heritage it had left was controversial and difficult to reconstruct. Venice was an ideal point of departure, both because of the proximity to one of the most important academic centres in the country, Padua, and because of the rich tradition of its printing press. Moreover, Venice had a bourgeoisie that was comparatively more active and open than in other centres, with the possible exception of Milan, as Levi’s and Asson’s cases show: they were two integrated, learned and respected Jews; this shows that while religious prejudices were still alive in Northern Italy, they were not as strong as in previous times.

24 However, no unified and integrated “Italian medicine” had yet existed in the real world. As it happened in many other disciplinary fields, the so-called Italian medical tradition was such mainly, if not only, because of the unifying factor of language; instead, a multitude of medium-size centres in the peninsula had produced a lively and often diverse array of local traditions and research styles, be they academic, theoretical, or centred on practical medicine.60 Despite the passion with which Levi vindicated its dignity, the one point these different traditions had in common, the language, was in itself controversial and unsettled, also because of strong regional variations within Italian. However, up to the late 18th century, many medical texts, especially in the fields of observations and cases, anatomy, surgery, midwifery and pharmacy, had been written in Italian, while Latin remained the language in use for academic exchanges. Levi’s and Antonelli’s dictionaries well show how translations also meant creating a new Italian, a scientific language modelled on the French, but also able to overcome the extreme diversity, in terms of both geography and practices, of medical Italian. Unification implied uniformity, something very difficult to attain, as the 1870s would show, but worth attempting. This was also a way to vindicate the Italian vernacular tradition of practical medicine and surgery, and to use it in order to create a ‘new’, unified Italian medicine—and its history.

NOTES

1. I wish to thank the anonymous referees and Alexis Darbon for their helpful comments and suggestions. 2. W. F. BYNUM, S. LOCK, and R. PORTER (eds.), Medical journals and medical knowledge: historical essays, London, Routledge, 1992; Thomas BROMAN, “The Habermasian Public Sphere and Science in the Enlightenment”, History of Science, 36, 1998, pp. 123–149, and id., The Transformation of German Academic Medicine, 1750–1820, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, esp. ch. III. On the prehistory of the medical dictionaries, Roselyne REY, “La vulgarisation médicale au XVIIIe siècle : le cas des dictionnaires portatifs de santé”, Revue d'histoire des sciences, 1991, Tome 44 n°3–4, pp. 413–433; on scientific dictionaries, Pietro CORSI, Lamarck. Génèse et enjeux du transformisme 1770-1830, Paris, CNRS éditions, 2001, ch. 1; on dictionaries and biographies, Jean-Luc CHAPPEY, Ordres et désordres biographiques. Dictionnaires, listes de noms, Réputation des Lumières à Wikipedia,

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Seyssel, Champ Vallon, 2013. For a list of Italian specialized dictionaries, p. ZOLLI, Biblioteca dei dizionari specializzati italiani del XIX secolo, Firenze, Olschki, 1973. 3. ZOLLI, Biblioteca, op. cit., pp. 61–63. 4. For a brief introduction, see Linda L. CARROLL, “Book Publishing and the Circulation of Information”, in Eric R. Dursteler (ed.), A Companion to Venetian History, 1400-1797, Leiden, Brill, 2013, pp. 651–674. 5. Marino BERENGO, “Editoria e tipografia nella Venezia della Restaurazione. Gli esordi di Giuseppe Antonelli”, in Silvia Rota Ghibaudi e Franco Barcia (eds.), Studi politici in onore di Luigi Firpo, vol. III ricerche sui secoli XIX-XX, Milano, Angeli 1990, pp. 357–379. 6. Ibid., pp. 368–371. 7. Ibid., p. 378. 8. Many works deal with the founder and first years of the Panckouckes: Suzanne TUCOO-CHALA, Charles-Joseph Panckoucke et la librairie française de 1736 à 1798. Pau, Marimpouey Jeune, et Paris, Touzot, 1977; R. Darnton, The Business of Enlightenment. A Publishing History of the Encyclopédie, Cambridge, Mass., and London, Belknap Press, 1979 ; see also Roger CHARTIER, “L'ancien régime typographique : réflexions sur quelques travaux récents”, Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 36e année, 2, 1981, pp. 191–209. 9. Alessandro PORRO, “Mosé Giuseppe Levi”, in Dizionario Biografico degli Italiani, vol. 64, Roma, Istituto dell’Enciclopedia Italiana, 2005, pp. 773–775. 10. Maurizio RIPPA BONATI, “Presentazione di una raccolta inedita di lettere pervenute tra il 1815 e il 1835 a Moisè Giuseppe Levi, medico pratico veneziano”, Acta medicae historiae Patavina, 5, 1984, pp. 103–119. 11. On Venice in the revolutionary and Restoration era, Marco MERIGGI, Potere e istituzioni nel Lombardo-Veneto pre-quarantottesco, Bologna, Il Mulino, 1981; Mario ISNENGHI and Stuart WOOLF (eds.), Storia di Venezia. L'Ottocento e il Novecento, Roma, Istituto dell'Enciclopedia Italiana, 2002; Giuseppe GULLINO and Gherardo ORTALLI (eds.), Venezia e le terre venete nel Regno Italico. Cultura e Riforme in età napoleonica, Venezia, Istituto Veneto di Scienze Lettere ed Arti, 2005. 12. Carte segrete e atti ufficiali della polizia austriaca in Italia dal 1° giugno 1814 al 22 marzo 1848, vol. III, Capolago, Tip. Elvetica, and Torino, Tip. Patria, 1852, pp. 16–17. 13. For an overview, Michael BROERS, “Cultural Imperialism in a European Context? Political Culture and Cultural Politics in Napoleonic Italy”, Past and Present, 170, 2001, pp. 152–180. 14. Toby GELFAND, Professionalizing Modern Medicine. Paris Surgeons and Medical Science and Institutions in the 18th Century, Westport, Connecticut, and London, Greenwood Press, 1980; Marcus ACKROYD, Laurence BROCKLISS, Michael MOSS, Kate RETFORD, and John STEVENSON, Advancing with the Army. Medicine, the Professions and Social Mobility in the British Isles 1790–1850, Oxford, Oxford University Press, 2008. 15. On Stefano Gallini, see Alessandro PORRO, Dizionario Biografico degli Italiani, vol. 51, Roma, Istituto dell'Enciclopedia Italiana, 1998, ad vocem; see also Michelangelo ASSON, “Di Stephano Gallini e della sua fisiologia”, Giornale Veneto di Scienze Lettere ed Arti, vol. XXI, 1863, p. 680; on Gualandris very few news in Giuseppe VEDOVA, Biografia degli scrittori padovani, Padova, Coi tipi della Minerva, 1831, ad vocem. 16. Arturo CASTIGLIONI, Gli albori del giornalismo medico italiano, Trieste, Tipografia del Lloyd Triestino, 1923. 17. The journal has articles on mineralogy, chemistry, economy and, obviously, medicine, but also on life sciences (a lengthy review, probably by Aglietti himself, deals with Erasmus Darwin's works). On the Memorie, see Marino BERENGO, Introduzione, in Giornali veneziani del Settecento, ed. by M. Berengo, Milano, Feltrinelli, 1962, p. 70. 18. Paolo ZANNINI, Biografia di Francesco Aglietti, Padova, coi Tipi della Minerva, 1836, pp. 7–8. 19. Ibid., p. 14.

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20. Mosè Giuseppe LEVI, Delle lodi di Francesco Aglietti, medico e letterato veneziano, Venezia, tipografia Antonelli, 1836. 21. “accalappiare dalle utopie degli scalzati banditori di lascivissima libertà”, ibid., p. 12. 22. Ibid., pp. 12–13. 23. Ibid., p. 18. 24. Ibid., pp. 26–29. 25. Ibid., p. 10. 26. Ibid., p. 36. 27. Mosé Giuseppe LEVI, Ricordi intorno agli incliti medici chirurghi e farmacisti che praticarono la loro arte in venezia dopo il 1740, Venezia, Antonelli, 1836; see also the extremely positive review by F. M. Marcolini of this work and of Aglietti's life, in Biblioteca Italiana o sia Giornale di Letteratura, Scienze ed Arti compilato da varj letterati, t. LXXXVI, anno XXII, 1837, pp. 253–258. 28. “I nostri vicini d'oltre Piemonte”, LEVI, Ricordi, op. cit., p. 1. 29. “terra delle ricordanze”, Ibid., p. 2. 30. Dizionario compendiato delle Scienze Mediche, ossia Epitome del grande Dizionario medico composto dai signori Adelon, Alibert, Barbier [et al.] epilogato da parte degli stessi compilatori. Prima traduzione riveduta e corretta, con varie giunte spettanti alla italiana medicina, teorica, pratica, e legale, Venezia, dalla tipografia di Giuseppe Antonelli, 1827–1830, 17 tomi, 34 fascicoli. The Dizionario compendiato is followed by three volumes of Supplimenti, published between 1830 and 1832. 31. Charles C. Gillispie, Science and Polity in France: The Revolutionary and Napoleonic years, Princeton University Press, 2004, p. 38. 32. Dictionnaire abrégé des sciences médicales de MM. Adelon, Alibert, Barbier [et al.], C.L.F. Panckoucke éditeur, 1821–1826. 33. On anonymity in science, see Mario Biagioli, Peter Galison (eds.), Scientific Authorship. Credit and Intellectual Property in Science, New York and London, Routledge, 2003. 34. Another Italian edition of the same dictionary is published in Milan by Fontana in 1820–1830. The two editors, Lorenzo Martini and Giorgio Ricci, were also interested in the difficult relations between the French model and the Italian language. 35. On Italian and its relation to foreign languages at the time, Luca SERIANNI, Il primo Ottocento: dall'età giacobina all'Unità, Il Mulino 1989 (a volume of the series Storia della lingua italiana, edited by Francesco Bruni); Gianfranco FOLENA, Volgarizzare e tradurre, Torino, Einaudi, 1991; Silvia MORGANA, “L'influsso francese”, in Luca Serianni and Pietro Trifone (eds.), Storia della lingua italiana, vol. III, Le altre lingue, Torino, Einaudi, 1994, pp. 671–716. 36. “Al Lettore benevolo - Il volgarizzatore”, Dizionario compendiato, t. XVII, part II (1730), pp. 333– 335. 37. “da escludersi affatto perché non italiane, nè di arte medica, o non necessarie; o da adoprarsi con parsimonia perché neologismi non indispensabili; o da usarsi perché pertinenti al nostro favellare, ma però in senso diverso di ciò che suole annettervi da taluno degli scrittori di medicina”, ibid., p. 337. 38. Dizionario classico di Medicina interna ed esterna (o di Chirurgia e d’Igiene pubblica e privata) composto da Adelon, Andral, Beclard [et al.]. Prima traduzione italiana di M. G. Levi dottore in Medicina e Filosofia; membro del veneto Ateneo, ec. con parecchie giunte spettanti alla medicina teorica e pratica, in ispezieltà italiana, Venezia, Giuseppe Antonelli editore, 1835–1846 (with Supplementi). 39. Dictionnaire de Médecine par MM Adélon, Béclard, Biett [et al.], Paris, chez Bechet jeune, 1821– 1828. 40. “Delle opere principali spettanti ai più illustri professori italiani di medicina, colle quali vuolsi arricchire la presente traduzione”, ibid., t. I, pp. xiii–xviii.

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41. Maria CONFORTI, “Compendiato, Classico, Economico. Tre dizionari filosofici franco-italiani nella prima metà dell'Ottocento”, in Eugenio Canone (ed.), Lessici Filosofici di età moderna. Linee di ricerca, Firenze, Olschki, 2012, pp. 137–154, Appendice. 42. “agli esercenti tutti italiani dell’arte medica nobilissima acciocché [...] vogliano graziarci dei loro lavori sulle discipline mediche, che noi collocheremo per esteso quali ci verranno trasmessi nella nicchia ripettiva”, Dizionario classico, t. I (1835), p. IX. 43. “I principali moventi che produssero la nostra associazione, e diedero incominciamento alla nostra intrapresa sono, la bramosia di giovare alla scienza medica, raccogliendo in un’opera unica e breve tutte le sue reali ricchezze; il vantaggio che trova ciascuno di noi nel fare, componendola, la revista dell’arte che pratica o professa”, Dizionario Classico, t. I (1835), p. XXIV. See also Ann BLAIR, “Humanist Methods in Natural Philosophy: The Commonplace Book”, Journal of the History of Ideas, 53, 1992, pp. 541–551. 44. Luca SERIANNI, “Lingua medica e lessicografia specializzata nel primo Ottocento”, in La Crusca nella tradizione letteraria e linguistica italiana, Firenze, Accademia della Crusca, 1985, pp. 255–287. 45. See also the Enciclopedia delle scienze mediche, ossia Trattato generale, metodico e compiuto dei diversi rami dell'arte di guarire prima traduzione italiana di M. G. Levi, Venezia, G. Antonelli 1834–47, in 118 fascicoli; reviewed by Michelangelo ASSON, “Analisi dell’Enciclopedia delle scienze mediche”, Antologia medica, 1834 (I semestre), pp. 565–570. 46. Dizionario economico delle scienze mediche compilato da M. G. dottor Levi, Venezia, Antonelli, 1851– 1860, voll. I–IV. 47. “Scorsero ormai 25 anni dacchè pubblicammo il primo Dizionario delle Scienze mediche che vide l’Italia nella sua propria e tersa favella, e 18 dal comparire del nostro secondo”, ibid., vol. I (1851), p. V. 48. “la mente si perde nella vaga congerie di dottrine e di aggiunte che inondano questo libro, e ne formano un confuso repertorio di oscure o troppo vaste monografie”, L’età presente, giornale politico-letterario, Venezia, 10 luglio 1858, p. 31. 49. An overview by Maria Pia CASALENA, “Una scienza utile e patriottica : i congressi risorgimentali degli scienziati, 1839-1847”, Passato e Presente, 24, n. 68, 2006, pp. 35–60. 50. On Asson Loris PREMUDA, in Dizionario Biografico degli Italiani, vol. 4, Roma, Istituto dell’Enciclopedia Italiana, 1962, pp. 452–453. 51. Michelangelo ASSON, Sulla sapienza anatomica e chirurgica d'Omero,Venezia, dalla stamperia Andreola, 1856; id., Intorno le conoscenze biologiche e mediche di Dante Alighieri, Venezia, tip. Antonelli, 1861. 52. Museo Galileo, Florence, Archivio Riunioni degli scienziati italiani (1839–1862), Congresso di Venezia. IX. Sezione di medicina, ms. 29.14. 53. Museo Galileo, ms. 29.26. 54. Asson participated instead in a new translation: Biblioteca del medico pratico o compendio generale di tutte le opere di clinica medica e chirurgica, di tutte le monografie, di tutte le memorie di medicina e chirurgia pratiche, antiche e moderne, pubblicate in Francia e fuori, composto da una societa di medici sotto la direzione del dott. Fabre, versione italiana arricchita di note a cura dei signori M. Asson e G. Cohen, Venezia, tipi di Pietro Naratovich editore, 1845–1864. 55. Michelangelo ASSON, Sullo stato attuale della chirurgia in Italia. Memoria letta nelle Adunanze 18 giugno e 2 luglio del Veneto Ateneo, Venezia, tip. Antonelli, 1868. 56. “fondare la storia della medicina nostra sulla base di esatte biografie stese, nelle singole città, de' proprj illustri medici e, per mezzo di commissioni provinciali, raccolte poi da un comitato centrale”, ibid., p. 7. 57. See infra. 58. “opera dalla quale io voleva derivare l'impronta nazionale da' più esatti e bene ordinati studj storici e biografici; dall'uso dei criteri e del metodo della filosofia nazionale per istituire le

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dottrine, cioè dall'osservazione, dall'esperienza, dalla più stretta induzione; dalle indagini sugl'influssi del clima e delle endemie proprie delle varie provincie d'Italia, non che sugli speciali prodotti e e mezzi terapeutici da quelle somministrati; e infine da tentativi allora impossibili ad attuare d'una comune medica legislazione”, ibid. , p. 7. 59. “fu tirata ad abuso”, ibid., p. 3. 60. The debate on the origins and periodization of an Italian cultural and scientific space has been extremely lively and is not yet concluded. See, for example, Salvatore De Renzi, Storia della medicina in Italia, Napoli, tip. Filiatre-Sebezio, 1845–48. For a recent assessment, Claudio Pogliano, Francesco Cassata (eds.) Scienze e cultura dell'Italia unita, Torino, Einaudi, 2011.

RÉSUMÉS

Trois dictionnaires médicaux italiens bien connus et largement diffusés ont été publiés à Venise à partir des années 1820 et jusqu’aux années 1860 : le Dizionario Compendiato, le Classico et l’ Economico. Ils étaient traduits du français et étaient le résultat de la coopération entre un éditeur à succès et très perspicace, Giuseppe Antonelli (1793-1861), et le médecin Mosè Giuseppe Levi (1796-1859), deux représentants d’un groupe de professionnels bourgeois et savants. Les trois Dizionari montrent distinctement un modèle d’évolution allant des simples traductions du français, la principale langue européenne pour les sciences et la médecine, à un collage textuel de plus en plus complexe. Les dictionnaires de Levi et Antonelli montrent bien comment traduire signifiait aussi créer un nouvel italien, un langage scientifique calqué sur le français, mais aussi capable de surmonter l’extrême diversité, en termes de géographie et de pratiques, de l’italien médical.

Three well-known and vastly diffused Italian medical dictionaries were published in Venice in the 1820s, continuing until the 1860s: the Dizionario Compendiato, the Classico and the Economico. They were translated from the French and were the result of the co-operation between a shrewd and very successful publisher, Giuseppe Antonelli (1793–1861), and the physician Mosè Giuseppe Levi (1796–1859), two representatives of a group of bourgeois and learned professionals. The three Dizionari distinctly show a pattern of evolution from simple translations from the French, the European leading language—and civilisation—for science and medicine, to an increasingly complex textual collage. Levi’s and Antonelli’s dictionaries show well how translations also meant creating a new Italian, a scientific language modelled on the French, but also able to overcome the extreme diversity, in terms of both geography and practices, of medical Italian.

INDEX

Mots-clés : traductions scientifiques, dictionnaires médicaux, Mosè Giuseppe Levi Keywords : scientific translations, medical dictionaries, Mosè Giuseppe Levi

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AUTEUR

MARIA CONFORTI Sapienza Università di Roma

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Varia

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Brissot et la république en acte

Régis Coursin

Introduction

1 « Malgré toutes vos précautions », nous dit Jacques-Pierre Brissot, « votre moi physique, moral, ne se glissera-t-il pas, ne percera-t-il pas dans tous vos jugements1 ? » Cette affirmation s’inscrit bien en deçà d’un relativisme philosophique à la Spinoza2. Il faut la voir comme une invitation à dévoiler ce moi pour mieux comprendre le propre de ses pensées, indissociable de l’être qui pense et de son cheminement dans la vie, non exclusive au champ intellectuel. En d’autres termes, pour comprendre la pensée, il est nécessaire de comprendre la biographie et de divulguer les différentes couches du moi que recouvre la figure apparente et omniprésente du penseur. Ayant étudié Brissot de près pour peindre le tableau des « Lumières radicales », Jonathan Israel n’a pas adopté la même position. Il postule que la pensée de Brissot, comme celle de ses contemporains, ne peut être pleinement comprise qu’une fois inscrite dans une idée plus grande. Cette idée est pour lui l’esprit philosophique, qui s’est plus tard dédoublé sur le plan politique en esprit républicain. Si ces postulats n’ont rien d’aberrant et semblent tout à fait pertinents à la vue des évènements qui se sont déroulés dans le dernier quart du XVIIIe siècle, l’articulation de ces termes n’a cependant rien d’évident en soi et doit être mise à l’épreuve des faits à partir d’une conscience située dans l’expérience vécue. Nous tâcherons de le faire par le biais d’un vécu, précisément celui de Brissot.

2 Le but de cet article n’est pas de poser les limites de l’approche d’Israel. Nombreux sont ceux qui l’ont déjà fait3. Il ne s’agira pas non plus de le prendre comme interlocuteur pour évoquer la conception républicaine de Brissot, son rapport avec Spinoza, ou le lien encore trop méconnu entre républicanisme et spiritualité. Cet article tâchera plutôt de mesurer son propos sur la prime importance de l’idéologie sur les transformations sociales et institutionnelles à partir d’une démarche inverse à la sienne : non pas réaliser une compilation d’idées afin de situer les philosophes dans les pensées puis dans l’esprit philosophique, mais comprendre l’esprit philosophique à travers son incarnation dans la vie et les idées d’un de ses philosophes. Car, si la vérité

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philosophique se trouve dans la simplicité et dans l’idée, la vérité scientifique se cherche quant à elle dans la nuance et en situation.

3 Là où Israel achoppe le plus dans la lecture qu’il nous donne de Brissot, c’est dans son parti pris événementiel. Complètement absorbé dans l’étude de la période révolutionnaire, jamais il ne le situera en dehors de ce cadre temporel pour tenter d’y apporter une vision processuelle et générique, comme il a pu le faire, même de manière limitée, pour Spinoza dans ses Lumières radicales4. La deuxième objection renvoie aux réquisits de la démarche contrefactuelle, invitant les historiens à analyser les choses « à partir de ce qu’elles font traverser » et non « à partir de leur issue »5. Israel dresse le portrait d’une ascension linéaire de Brissot, progressive, reliant presque naturellement le destin du journaliste du Patriote français à celui du révolutionnaire républicain 6. Lorsque Israel convoque le passé de Brissot (sur la base de ses écrits prérévolutionnaires), c’est pour montrer la cohérence de sa trajectoire, ainsi que la convergence entre ses paroles et ses actes, entre le philosophe et le révolutionnaire. Or, cela ne s’impose pas de fait et demeure encore insuffisamment interrogé. Une étude réflexive plus diachronique nous montre rapidement qu’il n’en est rien. D’autant que cette interprétation, trop surdéterminée par la politique, réintroduit sur le terrain positif et scientifique les débats normatifs et idéologiques de l’époque, à savoir si Brissot était ou non un « vrai » républicain. Il ne s’agit donc pas de s’y positionner, simplement de comprendre les dédales parcourus par cet intellectuel qui a couru la carrière de la philosophie, de la jurisprudence et du journalisme, pour terminer en politique.

4 L’objectif de cet article est donc de nuancer la position de Jonathan Israel à partir d’une étude « trajective » de Brissot. J’emprunte cette épithète au géographe Augustin Berque pour mettre l’emphase sur les processus d’interactions réciproques entre l’objectif (le donné d’avance) et le subjectif (la manière de le changer et de se l’approprier)7. Prenant Brissot pour médium, nous tâcherons de restituer la particularité de son parcours philosophico-politique afin de montrer comment sa trajectoire républicaine est plus indexée à son cheminement individuel qu’à son positionnement philosophique. D’autant qu’une telle démarche permet également de dévoiler les contextes sociaux multiples de sa trajectoire et celle d’autres expériences individuelles8. Trois thèses seront ici avancées : la première est que les Lumières ne peuvent se résoudre au domaine de l’esprit ; la seconde est qu’elles vont bien au-delà du postulat républicain, même si, dans le cas de Brissot, c’est à travers ce paradigme qu’il entrevoit sa réalisation ; la troisième est que l’esprit républicain, combiné avec l’esprit philosophique, s’inscrit pour ce personnage et pour d’autres dans l’horizon d’une réactualisation de la république.

La république par les lettres, 1774-1784

La république non advenue

5 Jacques-Pierre Brissot fut élevé au sein d’une famille pieuse qui lui offrit une éducation libérale. Cette éducation fut décidée par sa mère qui, aux dires de son fils, « était déterminée à y dépenser sa fortune, bien convaincue que nous donner une bonne éducation et les vraies connaissances, c’était nous donner la vraie richesse9 ». Cette position n’était aucunement partagée par son père, qui le faisait savoir, souvent

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rudement. Il reçut un enseignement scolastique, d’abord chez son oncle, curé d’Écublay, puis chez un maître de pension, et enfin au collège de Chartres. Brissot nous relate dans ses Mémoires comment son apprentissage des lettres fut difficile et douloureux. Moins en raison des matières étudiées que de la méthode utilisée, qu’il qualifie de « barbare10 ». L’impression générale qu’il nous donne lorsqu’il évoque son éducation est indissociable du conflit. Même lorsqu’il voyait dans la plupart de ses maîtres l’affection d’un père11 et travaillait avec ardeur pour obtenir leur reconnaissance, il se dit a posteriori victime d’un enseignement qui le condamnait au psittacisme. L’« éveil », comme Brissot l’appelle12, vint d’un de ses camarades, Nicolas- François Guillard, qui avait été « nourri par son père dans la lecture des meilleurs poètes, de Corneille, de Voltaire, de Racine, élevé de bonne heure au-dessus des préjugés religieux par les ouvrages de Diderot et de Rousseau13 ». Il lut tous les ouvrages qui avaient formé l’esprit de son ami et qui lui « firent ouvrir les yeux ». Désormais, s’affranchir de ses préjugés religieux était devenu pour lui « un degré pour devenir un homme14 ».

6 Son éducation avait été décidée par sa mère afin de lui offrir un avenir plus clément, contrairement à la vie de cuisinier que menait son père et avait menée lui-même son grand-père15. Brissot prit très tôt conscience de cette intention et hérita de ce désir de promotion sociale inculquée par sa mère. C’est « l’amour de la gloire », nous dit Brissot, « qui, dès l’âge de neuf ans, me faisait travailler la nuit dans mon lit, qui me faisait feuilleter les livres latins et dévorer les histoires. J’avais sans cesse sous les yeux l’image des grands hommes qui s’étaient rendus célèbres par leurs écrits16. » En 1782, il écrit : « Je n’avais point d’autres buts que de briller, et pour briller dans tout, je voulus tout apprendre, tout savoir. […] Telle a été dans ma jeunesse l’histoire de mes travaux. La vanité fut mon premier mobile ; le désir de fortune fut le second, quand je sentis les besoins nombreux qui m’entouraient17. » À quinze ans, il intègre l’étude du procureur « le plus renommé de Chartres », Louis-Henri Horeau18. Mais Brissot avait choisi un autre terrain de prédilection que celui du barreau chartrain pour acquérir fortune et gloire. « Mon génie secret me promettait de bien plus hautes destinées19 » se disait-il secrètement, destinées qu’il entrevoyait dans le monde parisien des sciences et des lettres. À l’âge de dix-neuf ans, Brissot tente un coup de force. Nolleau, procureur au Parlement de Paris, était de passage à Chartres. Il lui envoie une lettre dans laquelle il sollicite une place dans son étude, à laquelle il joint sa première réflexion philosophique Sur le droit de propriété et sur le vol considérés dans la nature. Piqué par l’audace et par l’esprit de ce jeune homme, il lui proposa un poste de premier clerc, que Brissot s’empressa d’accepter : « j’allais enfin demeurer dans une ville que je regardais comme le centre des sciences, comme un théâtre digne de moi20. »

7 Brissot arrive à Paris le 20 mai 1774. Il ambitionne de conquérir sa place dans le grand monde21, à gagner les honneurs et la richesse par les lettres et la jurisprudence. Mais ce à quoi il aspire avant tout, c’est de goûter au bonheur des savants. Le monde des lettres se targue depuis Érasme d’être une république, un espace de liberté, d’égalité et de solidarité, où l’indépendance et l’esprit critique règnent en maître. La France était une de ses « colonies22 », mais, dans l’esprit, elle n’avait pas de frontières. Brissot avait fait l’expérience de cette république des lettres avant même de rejoindre la capitale, à travers ses lectures, qui marquent le début de son émancipation spirituelle et amorcent son entrée dans le monde de la philosophie. Il avait entrevu, à travers sa relation avec ses camarades du collège que furent Guillard, Charles Blot, Édmond Philippe Bridel et

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Jérôme Pétion, ce à quoi peut ressembler une communauté de savants, mue par la chaleur de l’échange et le désir de connaître. Avant même de quitter Chartres, Brissot partage cette image de la république des lettres qu’il recherchera assidûment une fois arrivé à Paris. D’abord dans le salon du procureur Nolleau, son employeur, qui rassemblait quelques têtes connues de la Comédie française, ainsi que des esprits cultivés comme Simon Linguet. Il avait eu ses entrées dans le salon de Charles-Simon Favart grâce à son ami Guillard, fréquenta quelquefois le salon de Mme Lecouteulx et celui de Mme Agron de Marsilly. Il rédigea quelques articles pour les Annales politiques, civiles et littéraires de son mentor, Simon Linguet, d’autres pour le Dictionnaire Ecclésiastique de toute la France de Pierre-Armand Hennique de Chevilly. Il écrivit « de petites brochures sur les matières qui fixaient alors les esprits23 » afin de se procurer quelque argent, car, nous dit-il, pour « vivre indépendant, je ne me reposais que sur ma plume, et il fallait écrire souvent, pour vivre tous les jours. […] Point de métier plus misérable que celui de livrier, comme dit Rousseau. […] On a beau dire qu’il n’y a point de déshonneur à vivre de sa plume ; non sans doute ; mais quand on s’accoutume à faire trafic de sa pensée, on se montre philosophe, non pas pour l’être, mais pour avoir de l’argent, et c’est ainsi qu’on avilit le plus sublime emploi de l’homme24. » Il envoie, fin 1777-début 1778, son ébauche sur le Pyrrhonisme universel à d’Alembert, mais ne reçut qu’« une réponse bien sèche ». Sa lettre respirait, à ses yeux, « l’énergie et la tristesse d’un homme ardent pour les sciences, pour la vérité […] ; mais malheureux, recherchant un appui, un ami, des secours enfin pour s’élancer dans la carrière qu’il brûlait de parcourir25 », mais il ne récolta que de minces encouragements, que Brissot avait traduits en indifférence puis en frustration. Et cela s’amplifiera avec le temps. Malgré sa débauche de travail, il ne parvenait pas à percer dans le monde des lettres, qui continuait à l’ignorer, quand il ne l’attaquait pas tout bonnement sur des arguments indignes du philosophe. Vivant dans une situation d’extrême indigence, dégoûté par le spectacle de l’afféterie et des chicanes, victime des plaisanteries que certains littérateurs avaient faites sur sa naissance26, sa croyance en une république des lettres « philosophique », libre, égalitaire, indépendante et guidée par la raison avait été sérieusement entachée. Et cela se ressentait dans ses agissements et ses relations. En 1777, il rédige en compagnie de Guillard son Pot-Pourri, étrennes aux gens de lettres, un libelle attaquant des salonnières qui avaient accordé leurs faveurs au « bel esprit » plutôt qu’à l’esprit vrai27 – allant jusqu’à outrager l’une d’entre elles parce qu’elle avait eu « le tort de jouer la précieuse28 ». À cette époque, il côtoyait de près le cercle du Journal Français connu pour mener « une guerre ouverte contre tout le parti encyclopédique, les soldats et les chefs29 ».

8 Brissot évoluait dans la partie basse et bohémienne de la république des lettres, celle qui était restée à la marge de son incorporation30. Elle était la face cachée de l’idéal qu’elle prônait, son ubac. Brissot avait pourtant été prévenu par Linguet, qui lui avait déconseillé de s’engager dans cette « affreuse carrière » qu’est la littérature, car « c’est une vraie sirène, elle perd tous ceux qu’elle séduit, à moins qu’ils n’aient, comme nos écrivains du jour, un front d’airain, un cœur encore plus dur, et un esprit souple dans la même proportion31 ». Il avait pris conscience que la réalité du monde des lettres parisien était très loin du message porté par sa philosophie. Il avait fait l’expérience de la trahison de la parole et de la république des Lumières, inclusive et généreuse en principe, mais exclusive et limitée en pratique. Depuis lors, Brissot ne cessera de dénoncer l’aristocratie intellectuelle qui s’était arrogé le droit de régner sur le Parnasse littéraire et, par extension, son usurpation, son imposture et son despotisme.

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La république à conquérir

9 Il a fallu attendre avril 1778 pour que l’horizon de Brissot s’éclaircisse. Il avait été approché par le propriétaire du Courrier de l’Europe pour s’occuper de sa réimpression à Boulogne-sur-Mer. Las de vivre dans un « bourbier32 », il accepta cet emploi, qui lui laissait du temps libre pour élever sa pensée et rédiger ses ouvrages. Sa compagnie et son esprit furent appréciés par les grandes maisons boulonnaises, dont la famille Dupont, avec qui il se lia d’affection. À son retour à Paris en septembre 1779, il bénéficia de la recommandation de Marie-Catherine Dupont pour faire la rencontre de Edmé Mentelle, professeur de géographie à l’École militaire et historien officiel du comte d’Artois, qui sera pour Brissot d’un secours précieux. Lui et sa femme tenaient un salon qui était « le rendez-vous des talents et des arts : l’esprit y trouvait toujours de nouvelles instructions et des amusements nouveaux33 ». Il fréquentait toute une panoplie de beaux esprits, tels que Fourcroy, Sage, Laplace, Charles, Lavoisier, Pougin, Elie de Beaumont, Clementi, Desforges d’Hurecourt, Garat, Mercier, Lacretelle, Villar, Perreau, Miolan, Pahin de la Blancherie, Pelleport. Cette société lui plaisait assez, d’autant qu’il pouvait partager et alimenter son engouement philosophique avec son amante Félicité Dupont, qui venait de déménager chez Mentelle. C’était à ses yeux « une des époques les plus heureuses de [sa] vie34 ».

10 Il s’était donné un plan de conduite afin d’acquérir une position sociale honorable. Alors qu’il venait d’être reçu avocat au Parlement de Paris depuis près d’un an, il publia un pamphlet acerbe qu’il avait intitulé Un indépendant à l’Ordre des avocats, dans lequel il révélait les vices de ce corps où « rien n’a été oublié pour ôter au génie son ressort, aux esprits leur activité, pour […] faire de tous les membres […] un troupeau d’esclaves35 ». Cette prise de position publique souleva un tollé au sein du barreau parisien, duquel il fut évincé en 1782. Il se consacre de nouveau entièrement à l’étude de la philosophie et à la profession d’auteur, s’imaginant « pouvoir acquérir en même temps une fortune et une grande réputation36 ». « La célébrité de J. J. [Jean-Jacques Rousseau] est ce qui m’encourage à les suivre » explique-t-il à Félicité Dupont le 30 mai 1782, et « c’est que par eux je puis acquérir une fortune qui me procure promptement le bonheur que nous désirons, et que nous cherchons tous deux »37. Il utilise ses connaissances en matière de jurisprudence pour chercher la reconnaissance de ses pairs philosophes, à la fois par les prix académiques et par le concours d’autres patriotes acquis à ses idées réformatrices. C’est le cas de Whil van Irhoven van Dam, à qui Brissot s’adresse au printemps 1782 sous la recommandation de Mentelle afin de publiciser en Hollande sa Théorie des lois criminelles38. Si leurs rapports semblent froids aux débuts, ils évoluent assez vite, puisque van Irhoven van Dam s’engage auprès de Brissot à faire ses « meilleurs efforts pour rendre la Bibliothèque criminelle connue dans ma patrie », parce que leur « siècle éclairé le demande, le bonheur des hommes le veut, et notre devoir nous l’ordonne39 ». Mais ces quelques encouragements ne parvenaient pas à dissiper la déception qu’il éprouvait à l’encontre du monde de lettres. C’est à ce moment que Brissot intègre pleinement la Franc-maçonnerie, qui est pour lui une république d’un autre genre dans laquelle la fraternité serait véritablement en acte.

11 C’est entre 1781 et 1782 que Brissot fut admis aux « Neuf Sœurs », la loge philosophique par excellence du monde parisien40. Déjà initié dans les alentours de 1778 aux secrets de l’« Art Royal » à la loge « La Bienfaisance », il réussit là un grand coup en devenant un frère à talent. En effet, n’est pas admis qui veut. Pour intégrer cette loge prestigieuse

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(celle de Voltaire et de Franklin, sous les auspices de Mme d’Helvétius), il fallait avoir démontré son engagement dans l’avancement et la diffusion des idéaux humanistes. Ces accointances maçonniques avaient déjà permis à Brissot d’approfondir ses connaissances en physique et en métaphysique, notamment via sa correspondance avec Clavier du Plessis, alors versé dans la « science hermétique ou alchimique41 », ou via ses rencontres avec Étienne-Claude de Marivetz, auteur en 1780 d’une Physique du monde assez proche du mesmérisme42. C’est d’ailleurs par le truchement du second que Brissot fait la rencontre en 1780 d’un autre frère, Jean-Paul Marat43. Les deux hommes partageaient la même aversion à l’endroit du pinacle académique pour une quête de reconnaissance non assouvie. Marat menait depuis son cabinet un combat de flanc contre l’Académie des Sciences au sujet de ses recherches sur l’électricité et la lumière, en tâchant de gagner son duel sur le terrain de l’opinion publique. À écouter Brissot, ils se lièrent très vite d’une « étroite amitié44 ». Marat aide Brissot dans la rédaction de son ouvrage De la vérité, ou méditations sur les moyens de parvenir à la vérité dans toutes les connaissances humaines, et semble lui avoir prodigué ses conseils dans la confection et la réalisation de son projet muséal45.

12 À partir de 1781-1782, le destin de Brissot dans le monde des lettres est indissociable de la franc-maçonnerie. Elle lui sert de support et de ressort, de passerelle et de tremplin, tant par son réseau relationnel que par sa vocation spirituelle, afin de poursuivre ses recherches philosophiques et de les inscrire dans les préoccupations utilitaires de son temps. Brissot avait côtoyé, deux ou trois ans auparavant, le « Musée » de Pahin de la Blancherie, un précurseur en la matière, qui ne semble avoir aucun lien direct avec cette société. Il y avait d’ailleurs apporté sa contribution en rédigeant quelques articles pour ses Nouvelles de la République des lettres et des arts, qui s’inscrivaient très franchement à la suite du périodique éponyme créé par Pierre Bayle il y avait près d’un siècle. Dès que Brissot intègre les « Neuf Sœurs », il se met à fréquenter les espaces muséaux qui lui étaient affiliés. C’est le cas notamment du « Musée de Paris », présidé par Court de Gébelin et dédié aux lettres et aux sciences humanistes, et celui de Pilâtre de Rozier, qui se consacrait quant à lui aux sciences pures et appliquées. Et c’est probablement fort du soutien de ces deux présidents que Brissot eut l’idée de fonder son propre musée, le « Lycée », qui propagerait les lumières non plus à Paris, mais à Londres.

13 Le choix de s’exiler répondait à des motivations philosophiques, puisque sa liberté d’expression était protégée par la Constitution britannique, mais on ne saurait également écarter des raisons plus terre-à-terre. En effet, Brissot allait rechercher outre-Manche la fortune et la gloire qu’il n’avait pu récolter en France, ternie depuis son éviction du barreau en 1782. Villar, un de ses associés dans ce projet, partageait son enthousiasme en lui expliquant qu’il « ne serai[t] point étonné d’y trouver à acquérir tout à la fois de la fortune et de la gloire46 ». Le « Lycée », à l’image de ses devanciers, s’appuyait sur trois piliers : un bureau de correspondance, des nouvelles imprimées et une « Assemblée des savants de toutes les nations », le tout formant une « Confédération universelle des amis de la liberté et de la vérité47 ». Sollicité par Brissot afin de participer à son entreprise muséale, le propriétaire de la Société Typographique de Neuchâtel (S.T.N.), le baron d’Ostervald, avait demandait à Friederich von Freudenreich, directeur de la Société économique de Berne, son opinion sur la question. L’avis qu’il en donne en dit beaucoup sur les intentions et les ambitions de Brissot :

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À son âge, se créer juge compétent, et cela dans le sens le plus étendu, dans toutes les parties de la philosophie, de la politique et de la législation, s’ériger en nouvel Archimède qui veut réunir dans un seul foyer assez de rayons pour anéantir dans l’Europe entière les préjugés des peuples, l’empire des usages, les abus qu’ont enfanté le pouvoir et l’intérêt ; inviter tous les observateurs répandus sur la surface du globe à former une république dont, de fait, dans son Prospectus, il se crée dictateur, [c’est] annoncer un degré de confiance en ses propres forces dont un jeune littérateur français est seul capable48.

14 Pour réaliser son plan, Brissot avait réussi à tisser un réseau relationnel conséquent. Villar avait parlé à Condorcet, un de ses « amis particuliers49 », puis à Suard, à Garat, à Lally-Tollendal et, surtout, à d’Alembert. Élie de Beaumont, qui s’était rendu célèbre depuis l’affaire Calas et avait obtenu en retour les hommages de Voltaire, s’était également impliqué dans ce projet. Brissot nous dit que ce dernier « haïssait le despotisme, [qu’]il voulait contribuer à le renverser et de sa plume et de sa fortune. Il ne devait pas être seul dans cette honorable entreprise. Une société d’hommes célèbres obligée de garder le secret, mais dont il répondait, promettait les secours les plus étendus50. » Tout le monde […] s’intéressait à mon projet ; c’étaient des comtes russes, des princesses polonaises, des académiciens, des ambassadeurs, tous ses amis intimes et qui devaient nous appuyer. D’Alembert avait écrit à Berlin, d’Argental en Toscane, un autre à Vienne, et La Harpe m’avait recommandé particulièrement dans sa correspondance en Russie. D’un autre côté, Madame de Genlis en avait parlé au duc de Chartres51, et celui-ci, qui partait avec Sillery pour l’Italie, devait nous servir et nous prôner. Enfin, tous les jours Villar avait des audiences avec des ministres, une fois avec Vergennes, une autre avec Mirosmesnil, puis avec Lenoir ou Sartines, et au besoin il aurait été parler directement au roi ! Que ne pas espérer avec un tel soutien52 ?

15 Et ses appuis allaient prendre une nouvelle dimension avec son voyage en Suisse. Il comptait se rendre à Neuchâtel afin de conclure une entente avec la S.T.N., mais aussi pour « chercher des amis qui partageassent [s]es idées, et y établir des relations et des correspondances53 ». Et c’est ce qu’il fit. Il s’arrêta d’abord à Lyon, de la mi-mai à la mi- juin 1782, pour s’entretenir avec son ami Charles Blot, qui le mit en contact avec Servan de Sugny, ancien avocat-général au Parlement de Grenoble, Pierre Poivre, voyageur naturaliste et ancien intendant de l’île de France et de l’île Bourbon, et Prost de Royer, jurisconsulte, également ancien lieutenant général de la Police de Lyon. Il poursuivit sa route jusqu’au château de Ferney, pour y faire son « pèlerinage » comme il l’appelle54, en compagnie de David Marat, le frère de Jean-Paul. Arrivé à Genève quelques jours avant l’arrivée des troupes franco-bernoises, il fut accueilli par le républicain Francis d’Ivernois, qui le présenta aux « chefs du parti populaire55 », notamment Clavière, du Roveray, Vieusseux, Grenus, Dentand, Vernes, Senebier et Anspach. Il poursuivit son périple vers Neuchâtel, où il rencontra Ostervald bien sûr, mais aussi Pierre Alexandre du Peyrou, ancien ami de Rousseau, chez qui il y retrouve Clavière, du Roveray, Vieusseux, Vernes et Mercier. Afin de profiter de cette « société chérie56 », il se loue une chambre à Peseux, là où les républicains genevois avaient trouvé refuge. Brissot relate cette rencontre sous les plus beaux jours : « Mes journées s’écoulaient délicieusement dans cette société […] ; nous les prolongions fort avant dans la nuit ; nous ne nous quittions jamais qu’avec peine ; et chaque jour semblait ramener un nouveau plaisir, quoique le seul plaisir de chaque jour fût de se voir, de converser, de s’épancher mutuellement. Il fallut faire ses adieux ; je me consolais en pensant que bientôt je reverrais Clavière et sa famille en Angleterre57. » Ces rapports d’intimité qu’il avait

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cultivés avec Clavière ont sans doute été favorisés par leur appartenance à la franc- maçonnerie, puisque ce dernier était membre de la loge des « Amis Réunis », la même que son ami Clavier du Plessis. Clavière lui ouvrit d’ailleurs des pistes pour bonifier le financement de Desforges d’Hurecourt en recommandant Brissot auprès du banquier d’origine genevoise, Théophile Cazenove, qu’il rencontra effectivement à Amsterdam en août 1782, mais sans grand succès cependant58.

16 C’est à ce moment précis, lorsque la république des lettres de Brissot se formalise et se concrétise, que ce dernier commence à exprimer ses premières idées républicaines, quoique de manière éparse et non systématique. Il le fera surtout à travers sa Théorie des lois criminelles, publiée en 1781, puis dans les tomes 3 et 4 de sa Bibliothèque philosophique du législateur, du politique, du jurisconsulte, parue l’année suivante. Il n’est pas inutile de rappeler que sa réflexion autour de sa Théorie des lois criminelles avait été engagée à la suite de la question posée en 1781 par la Société économique de Berne. Brissot n’attendit pas la publication des résultats pour publier ses réflexions (synonyme de disqualification). C’est d’ailleurs grâce à cet ouvrage qu’il gagne la reconnaissance de la « Société provinciale des arts et des sciences » d’Utrecht, qui le reçut membre la même année59, et qu’il entrevoit l’horizon de la postérité par l’intermédiaire de son ami Blot, alors en lien avec « M. Sala » (probablement l’avocat Manuel Santurio Garcia Sala), qui adresserait « par une voie sûre » un exemplaire de sa Théorie à Beccaria60.

La république comme résolution

17 Expérience – conscientisation – revendication : c’est dans cet ordre qu’on peut résumer le parcours de Brissot, depuis les difficultés et les écueils rencontrés à Chartres et à Paris, leur lecture réflexive par le filtre philosophique de l’époque, jusqu’à leur conversion en une quête normative teintée de républicanisme, qui n’est autre au final qu’une tentative de substituer la dissonance éprouvée en harmonie retrouvée. C’est ainsi que l’homme de lettres transforme son manque en oppression subie, puis en protestation et en aspiration politique. De ce processus, quatre traits feront le propre du républicanisme de Brissot.

18 La première caractéristique, et certainement la plus essentielle, est la lutte que le républicain doit mener contre le despotisme afin de restaurer un ordre de société qui respecte les droits naturels de l’homme. On pourrait même dire que la république telle que pensée par Brissot est à la fois l’image contraire et inversée de la monarchie actuelle. Cette identité oppositionnelle est un élément fondamental pour comprendre sa conception de la république, partant de l’ordre social monarchique et de la nécessité de le réformer pour le retourner vers une forme de société plus pure et plus vraie. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre pourquoi Brissot disait que tous les efforts de d’Ivernois « tendaient à maintenir sa constitution primitive et à réformer les abus qui s’étaient glissés dans l’administration de la justice criminelle61 », lui qui disait avoir vu par quels degrés cette république « est tombée de son état premier à l’état d’esclavage où ses aristocrates le réduisent aujourd’hui62 ». Pour lui, le gouvernement des hommes ne pouvait se faire autrement que « conformément aux préceptes de la Loi naturelle63 ». Le projet de constitution de la Pennsylvanie qu’il s’était procuré empêchait justement une telle dérive, puisqu’il proposait d’instituer une puissance législative en Amérique afin de balancer l’autorité du gouvernement64. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le

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gouvernement républicain était selon lui bien supérieur au gouvernement monarchique65.

19 Brissot dénonce le despotisme monarchique dans son entier, c’est-à-dire qu’il ne se résout pas à son volet « ministériel ». Ce despotisme existe à travers le « despotisme de l’ordre [des avocats]66 », le despotisme académique qui « flétrit le génie en voulant le courber67 », mais aussi le despotisme ecclésiastique et « théocratique68 ». Brissot avait attaqué ce dernier type dans ses Lettres philosophiques sur Saint-Paul, rédigées en 1782. Les vérités que Saint-Paul avait apportées à l’univers ouvrent, selon lui, « la porte au despotisme » parce qu’il « change le sceptre bienfaisant du monarque, en un glaive de tyran »69. À cela, il lui préférait la religion naturelle, « supérieure à tous les autres cultes », car elle interpelle immédiatement les hommes sur la vérité de l’ordre des choses : « vois, entends, contemple-toi, toi-même, et reconnais ton maître »70. En faisant cela, Brissot réalise une attaque en règle de toutes les institutions intermédiaires de la société monarchique, accusées de corrompre l’ordre naturel des choses. Brissot avait fait personnellement les frais de ces institutions intermédiaires et s’était directement buté à elles. Dans le monde littéraire, comme nous le savons maintenant, mais également, et originellement, dans son milieu familial. D’abord, parce que c’est par son truchement qu’il avait fait siens les dogmes chrétiens qui l’avaient maintenu dans l’ignorance. Ensuite parce qu’il avait subi « l’esprit infernal du sacerdoce71 » qui s’était insinué entre sa famille et lui par le biais de l’abbé Delangle, qui y avait semé « la zizanie » pour mieux « en recueillir les fruits »72.

20 S’il s’agit de « rendre à l’homme ses droits73 » et d’installer, comme le suggérait le code de Pennsylvanie, le modèle d’un bon gouvernement, c’était uniquement dans le but de procurer à son peuple le plus grand bonheur. C’est là la deuxième caractéristique du républicanisme de Brissot, et la première en terme positif, le prix de l’aliénation de la liberté naturelle de l’homme74. Le code de Pennsylvanie incarnait le mieux selon lui ce trait propre à son siècle, « fruit de la propagation des lumières philosophiques », comme la « gloire nationale » était le propre des anciens et « la gloire des chefs » le propre des modernes75. Là où le bonheur règne en maître, il y a peu besoin de lois pénales, car il y a peu de crimes. La constitution républicaine c’est d’abord cela, assurer le bonheur de ses membres, « l’objet de toute société76 ». Il est important de souligner ici que cette constitution vient sanctionner par le droit ce qui revient à l’individu de droit. Et il n’est pas question pour Brissot d’attendre qu’une telle constitution existe pour poursuive cette fin. Il la recherchera avidement pour lui dans ses lectures de jeunesse, dans la reconnaissance de ses maîtres du collège, puis dans celle de ses pairs illustres, dans l’approfondissement de ses connaissances dans les sciences, les arts et les lettres, dans sa courte carrière au barreau parisien, dans l’amour familial et conjugal qu’il est en train de trouver chez les Dupont, dans sa solitude et les rêveries que lui procurent ses longues marches champêtres. Cette quête du bonheur était double : elle pouvait se réaliser à la manière d’un Rousseau, hors-du-monde, comme Brissot avait lui-même fait l’expérience en visitant l’île de Saint-Pierre, « la Thébaïde d’un philosophe77 », mais aussi à la manière d’un Voltaire, dans-le-monde, que Brissot convoitait depuis son arrivée à Paris, sans pouvoir cependant y arriver, et qui se manifestait dans la quête des deux valeurs cardinales que furent la fortune et la gloire.

21 Ce bonheur, Brissot le recherchera en premier lieu dans son endroit de prédilection, le monde des lettres, présumé incarner les idéaux républicains. On sait ce qu’il en sera. Même si « la philosophie a ramené l’égalité parmi tous les hommes », même s’« il y a de

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l’honneur chez le roturier comme chez le seigneur »78, l’incorporation avait dévoyé et trahi la parole grande et généreuse des Lumières pour reproduire en son sein la hiérarchie, les distinctions et les privilèges. Nous arrivons ici au troisième point : l’égalité. « Point de distinction entre les criminels » tonne Brissot dans sa Théorie des lois : « ils doivent être également punis. Un noble criminel a perdu son rang en le devenant »79. Il s’agit pour Brissot de réactualiser l’égalité civile dictée par la nature80, mais aussi l’égalité politique, la prochaine étape qui vient d’être réalisée outre- Atlantique, mais qu’il n’est toujours pas question de franchir actuellement en France, qui doit d’abord s’atteler à instituer la première81. Brissot souligne d’ailleurs en 1785 que cette égalité était originellement celle de l’Église, puisque le Christ n’assigna à ses apôtres « ni diocèses, ni cures, il ne fonda point d’ordres de fainéants, ni de classes de prélats fastueux82 », voulant « que l’égalité régnât parmi ses disciples83 ». Nous revenons encore une fois au même thème récurrent : l’histoire des droits est celle d’une longue marche vers la décadence.

22 L’égalité devant la loi est un moyen au service de la recherche du bonheur. Les contraintes et les obligations sociales qui se sont instituées ne sont utiles que pour servir cette fin, car « si dans ce contrat l’un s’oblige à obéir, c’est que l’autre s’oblige à le rendre heureux84 ». Dans cette perspective, le roi de France est aussi amovible que le sont les représentants de la République américaine. « Tout homme est né libre » nous dit Brissot, « nul n’a droit de commander à un autre ; et s’il est des chefs, c’est la force ou la volonté de leurs sujets qui les a élevés sur le trône : c’est cette volonté qui les en déplace ; car ils n’y sont qu’à ces conditions ; ces conditions sont d’être bons, d’être justes […]. Dieu même cesserait d’être Dieu, s’il n’était pas bon ; et l’on voudrait qu’un roi injuste fût immuable ! »85. Il faut se rappeler que le roi et ses sujets, qu’ils soient nobles ou roturiers, sont unis dans l’Ancien Régime par une économie du don qui impose au premier de servir son peuple et aux seconds de servir leur roi, chacun à leur manière86. La théorie du contrat social est pour Brissot la nouvelle autorité sur laquelle repose cette économie du don87, le quatrième point de son républicanisme. Cette substitution a des implications radicales, puisqu’elle a le pouvoir de destituer le sujet du roi pour couronner ou plutôt restaurer le citoyen comme sujet et d’instaurer une chaîne mutuelle d’obligation entre ce dernier et son gouvernement. Lorsque celle-ci est brisée, la société devient despotique et le citoyen esclave88. De l’avis de Brissot, le contrat social doit répondre aux quatre exigences que sont le consentement libre, l’amovibilité de la puissance royale, la recherche du bonheur et la rupture des obligations entre les citoyens et son gouvernement en cas de non-respect de ses engagements89. Tel est le fondement de la souveraineté populaire, garantie et actée en république, puisque « la voix de l’individu se compte pour quelque chose90 » et que « le magistrat n’agit en quelque sorte qu’en présence du citoyen91 ». En élevant le peuple comme fondement de l’autorité politique, en ramenant la société à cet état primitif, Brissot déclare à la manière des Américains que « le peuple seul a le droit essentiel et exclusif de se gouverner et de régler son administration intérieure ; que tous les pouvoirs émanent de lui ; qu’il a le droit d’élire ses officiers ; que chaque membre peut exiger de la société d’être protégé par elle dans la jouissance de sa vie, de sa liberté, de sa propriété, etc.92 » Mais il est toutefois important de préciser que le bon gouvernement n’est pas tant indexé au gouvernement du peuple qu’au gouvernement d’un peuple éclairé93. Le peuple est donc conjugué au conditionnel, et la figure qui lui correspond le plus est celle de l’homme de raison, qui élit ses représentants qui parlent

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le mieux son langage, contrairement aux démocraties, sources de tumultes et d’« orages dangereux94 ».

23 Avant son départ pour Londres, Brissot avait acquis l’essentiel de sa conception républicaine, qu’il confirmera et étoffera plus tard dans ses ouvrages, ses lettres, ses prospectus, ses comptes rendus ou procès-verbaux qu’il rédigera dans le cadre de ses sociétés philosophiques et philanthropiques. Depuis son voyage en Suisse et sa rencontre avec les représentants genevois, Brissot avait pris conscience que la philosophie avait un droit de regard dans la politique, idée qu’il développera lors de son séjour londonien. Il nous le dit clairement dans son Philadelphien à Genève, publié en 1783 : « la régénération de l’esprit de liberté […] fut occasionnée par l’esprit philosophique qui s’introduisait en Europe vers la fin du siècle passé, et qui tourna le regard vers la politique95 ». D’autant que les personnalités qu’il fréquentera étaient elles aussi impliquées à leur manière dans le combat républicain contre la dérive tyrannique de la monarchie anglaise.

La république par la politique

24 Brissot rejoint Londres en décembre 1782 en vue de mettre sur pied son « Lycée ». De là, il va étendre considérablement son réseau philosophique. Il avait bénéficié de l’aide de Marat, qui avait probablement fait le voyage avec lui96, de Villar et de Prost de Royer, qu’ils l’avaient mis en relation avec quelques hommes de lettres. Mais il semble que la plupart de ses relations londoniennes lui ont été données, de manière directe ou indirecte, par Clavière et par le cercle républicain genevois. C’est sans doute à eux que Brissot doit sa rencontre avec William Petty, qui occupait à ce moment-là le poste de Premier ministre. Il nous rapporte une discussion qu’il avait eue chez lui, avec Barré, trésorier de la Marine britannique, proche du cercle encyclopédique français et du baron d’Holbach, mais aussi de Marmontel, d’Alembert et Morellet97. Il accueillait, dans ses propriétés de Londres, de Wycombe ou de Bowood des têtes connues comme Priestley et Price, Franklin, Badcock, Bentham, Romilly, Mirabeau, Dumont, d’Ivernois et les économistes Benjamin Vaughn et Adam Smith. C’est aux Genevois que Brissot doit aussi ses liaisons avec William Murray, Lord Chef de la Justice et membre du Parlement, chez lequel il fut invité98 et auquel il se lia d’amitié99. C’est très certainement dans de tels cercles, acquis aux idées républicaines, que Brissot fait la connaissance de l’historienne Catharine Macauley-Graham. Il nous dit avoir reçu d’elle un « accueil amical100 », elle qui « ne parlait qu’avec enthousiasme du gouvernement anglais et de la nécessité de le réformer pour le conduire à une perfection où il pouvait atteindre101 ». C’est dans ce cadre qu’elle avait rejoint le parti d’opposition dirigé par Charles James Fox, dans le seul but d’« amener des réformes utiles à la liberté102 ». Elle était aussi membre de la « Society for Constitutional Information », une association extra- parlementaire prônant des réformes constitutionnelles de fond (suffrage universel masculin, élections législatives annuelles, vote à bulletin secret, extension des droits d’éligibilités, etc.103). Elle menait son combat autant en amont qu’en aval, publiant et distribuant un nombre considérable de brochures politiques afin de sensibiliser l’opinion publique. Cette association recevait l’appui du club des « Honest Whigs104 », dans lequel on retrouvait Franklin, John Cartwright, John Jebb, Granville Sharp, Jean Hyacinthe de Magellan, certains membres de la « Society for the Encouragement of Arts, Manufactures, and Commerce » (œuvrant aux avancées industrielles et

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scientifiques de l’Angleterre) – comme les frères Shipley – et de la « Royal Society » – comme Price et Priestley.

25 Fort de ce cercle relationnel versé dans la philosophie et engagé dans la politique, Brissot avait eu l’occasion de rencontrer Edward Gibbon, Paul-Henry Maty, Jeremy Bentham et David Williams. Maty était le président de la très baconienne « Royal Society105 », bibliothécaire du British Museum et fondateur de la New Review. C’est grâce à lui que Brissot se lie avec plusieurs savants, dont Richard Kirwan, qui, à son tour, le met en contact avec Priestley, Magellan, les membres de la « Society for the Encouragement of Arts, Manufactures, and Commerce » et ceux de la « Lunar Society » (connus pour leur engagement scientifique et réformateur106). Pour ce qui est de l’origine de ses liaisons avec Bentham, les choses sont moins sûres. Peut-être via Lord Shelburne, avec qui Bentham est en relation, ou via la parution du compte rendu de ses Principes de Législation sur les lois pénales que Brissot publie dans le premier numéro de sa Correspondance universelle de décembre 1782. Toujours est-il que les deux hommes s’étaient fortement liés d’amitié107 et discutaient régulièrement sur les législations anglaises et françaises.

26 En ce qui concerne David Williams, la situation est toute aussi floue. Il est l’une des premières personnes que Brissot contacte108. Il est d’ailleurs possible que ce soit Williams qui ouvre à Brissot les portes de la « Society for Constitutional Information », lui qui dispense des cours de droit à ses membres. Les deux hommes se fréquentent assidûment, conversent souvent ensemble, s’échangent leurs livres et avaient même envisagé de partager ensemble un local. Grâce à l’aide de son épouse Félicité, Brissot avait traduit et publié en 1783 ses Lettres sur la liberté politique. On peut ajouter à cela qu’ils sont en parfaite communion spirituelle : Williams avait fondé avec Franklin la « Deistic Society » qui se donnait pour vocation d’offrir une liturgie à la philosophie109. Elle résonnait très franchement avec les thèses maçonniques chères à Brissot, notamment autour de la croyance d’une Intelligence suprême110. Après avoir fréquenté cette société, Brissot disait d’elle que c’était « la première fois que le théisme avait un culte aussi pur que lui, qu’on le célébrait avec des cérémonies. Dans ces assemblées, M. Williams y prêchait de vrais sermons philosophiques »111. D’autant que, à écouter Nicholas Hans, il semble que Williams était connecté à la loge des « Neuf Sœurs112 ».

27 L’embastillement de Brissot dans la nuit du 11 au 12 juillet 1784 mit un point final à son entreprise du « Lycée », à son séjour londonien et, dans la foulée, à son ambition d’y faire fortune. La Police de Paris l’avait soupçonné d’avoir participé avec Pelleport à la parution du libelle Le diable dans un bénitier et profita de son retour en France pour l’interroger à ce sujet. Elle le libéra deux mois plus tard, le 13 septembre. Quelques semaines auparavant, il avait été emprisonné à Londres pour dette à la demande de Cox, son imprimeur, et probablement de Desforges d’Hurecourt, son bailleur de fonds, qui l’accusait d’avoir détourné l’argent destiné au « Lycée ». Au final, son expérience londonienne l’avait endetté à hauteur de vingt-cinq mille livres.

28 Pour ce qui est de la gloire, ce n’était toujours pas le cas, même s’il s’en approchait grâce aux honneurs reçus par ses pairs. Son plus grand bénéfice est sans nul doute à voir du côté de son réseau relationnel. Celui-ci s’était renforcé à Londres par ses nouvelles accointances avec les « jacobins anglais113 », qui venaient confirmer, développer et influencer ses idées philosophiques en matière de réformes institutionnelles et sociales. Macauley lui avait montré « les abus des monarchies » et le poussait à « n’adore[r] que le gouvernement républicain »114 ; Paine, qu’il côtoyait115,

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l’initiait à sa vision du républicanisme et à l’importance de la représentation. Pour comprendre l’agitation intellectuelle de Brissot, il faut situer à sa juste mesure le contexte de son séjour. Il avait vécu la guerre d’indépendance américaine depuis son centre contesté, et nombreuses étaient ses relations à avoir pris parti en faveur de la révolution, publiquement ou non. Les évènements outre-Atlantique avaient déchiré le vernis de neutralité que la philosophie avait cultivé envers le politique, et nombre de salons et de cercles savants dans lesquels il évoluait avaient été pénétrés par la question, jusqu’à se positionner explicitement. L’amour de la vérité n’était plus suffisant pour maintenir l’harmonie des intérêts et de la discussion, l’enjeu du moment les dépassait tous : la réactualisation du constitutionnalisme britannique. La révolution américaine était pour eux un contrecoup à l’échelle impériale de la décadence de la monarchie anglaise, avec ses implications métropolitaines. Si les griefs étaient différents, la lutte était commune : révolutionnaires américains et opposants parlementaires anglais faisaient bien partie d’un même mouvement de protestation globale contre la dérive monarchique du parlementarisme britannique.

La république dans la monarchie

29 Jonathan Israel montre à travers les Lumières radicales comment le tumulte intellectuel des années 1650-1680 fut à l’origine de la « crise de la conscience européenne116 ». L’analyse de Keith Michael Baker sur la transformation de la culture politique d’Ancien Régime dans la seconde moitié du XVIIIe siècle nous permet de comprendre comment s’est opéré le glissement du concept de « crise » à celui de « révolution »117. L’accroissement significatif des tensions internes entre l’ordre monarchique et les forces philosophiques contestataires avait ouvert la voie à des mutations profondes et irréversibles. Ces tensions, que le premier était incapable de juguler118, étaient révolutionnaires en cela qu’elles retournaient la culture contre lui. De l’avis de Baker, ce travail de sape, même s’il s’enracinait dans l’esprit républicain, était loin de parler d’une seule voix, traversé qu’il était par plusieurs versions divergentes elles-mêmes mises en tension.

30 Le temps était donc à la subversion, mais une subversion diffuse et subreptice qui se réalisait au sein même de l’armature symbolique de la monarchie par le renversement de la signification même des notions de justice, de raison et de volonté, aux fondements de l’autorité royale119. Cette tactique discursive se jouait ainsi des représentations dominantes afin de redistribuer la légitimité à leur endroit. Baker y voyait la marque d’une pénétration du langage des Lumières dans deux versions distinctes du républicanisme, chacune revendiquant à sa manière sa prise de distance vis-à-vis des cadres convenus. La première, d’inspiration classique, s’inscrivait en droite ligne de la tradition républicaine de l’Antiquité, reposant entre autres sur les concepts de vertu, de bonté, de volonté, de participation active des citoyens, mais aussi de décadence et de corruption (Rousseau, Mably, Saige). La seconde, dite moderne, faisait quant à elle la part belle aux droits individuels, à la représentation, au commerce, au progrès et à la raison (Turgot, Paine, Condorcet). L’un mettait l’emphase sur la communauté politique, l’autre sur ses membres, conçus à la fois comme citoyens et individus.

31 Loin d’être contradictoires, ces deux paradigmes se recoupaient sur de nombreux points120. Le courant du progrès et le tournant radical attribué au républicanisme moderne pouvaient déjà être identifiés dans la pensée républicaine anglaise du XVIIe

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siècle, que l’on range traditionnellement dans la tradition classique. La question est bien sûr de savoir si les modèles républicains de contestation dans la seconde moitié du XVIIIe siècle étaient assez étanches pour ne pas aboutir à des versions croisées, et disons-le hybrides, de républicanisme. Car si certains philosophes incarnaient typiquement chacune de ces moutures, il en existait d’autres qui les avaient associés de manière originale pour aboutir à une version propre du républicanisme. Et parmi eux, il y avait Brissot. Sa vision républicaine était le fruit de la tension dialectique entre ses deux versions qui aboutissait dans les faits à une synthèse dynamique : il parlait de corruption pour se rapporter à la décadence de la vertu, mais aussi des droits de l’homme ; il évoquait la nature, la bonté et le bonheur moins pour convoquer les institutions qui les altèrent que la liberté capable de les renouveler ; il en appelait à la volonté et à la souveraineté populaire, mais pour promouvoir l’exercice du pouvoir par l’intermédiaire des représentants éclairés de la Nation ; et, lorsqu’il invoquait le commerce, ce n’était pas pour réaliser une attaque en règle de sa légitimité et de son essence, mais pour dénoncer les monopoles qui consumaient son esprit, faisaient le lit du luxe et de l’oisiveté, pour défendre en retour sa libéralisation, seule capable de répartir naturellement les richesses de la nation.

32 Le républicanisme de Brissot, dès 1784, était donc le composé de plusieurs sources. Source rousseauiste en premier lieu, qui poussait le philosophe à jouer un rôle actif au service du roi et du gouvernement, lui qui était le plus à même de les conseiller grâce à sa connaissance des « faits généraux »121. Sources anglaises, à la fois philosophiques et politiques, puisque les pensées d’un Milton, d’un Price, d’un Paine et d’une Macaulay avaient autant influencé Brissot122 que les tactiques et les manières de faire du cercle néo-whig, tant dans sa volonté de sensibiliser et d’éduquer l’opinion publique que d’infléchir en amont sur les actions du gouvernement. Sources écossaises par le truchement d’Adam Smith, puisque le commerce, en introduisant graduellement l’ordre et le bon gouvernement, pouvait bien se réconcilier avec la république123. Mais aussi sources françaises, aussi surprenant soit-il, puisque, de l’avis de Johnson K. Wright, c’est par le biais des promoteurs de la thèse nobiliaire que l’humanisme civique fit son entrée en France dès le début du XVIIIe siècle124. D’ailleurs, l’argument du retour à l’âge d’or de la constitution antique de la tradition maçonnique du rite écossais, de laquelle Brissot était proche, se retrouvait chez les représentants genevois dans leur projet d’établir en 1782 une « Nouvelle Genève » en Irlande125, ainsi que chez David Williams dans son idée d’adapter l’ancienne version de la constitution saxonne à l’actuelle constitution anglaise126. Dans ce sens, parler de républicanisme trajectif pour renvoyer aux différentes variantes et traditions dont Brissot s’est directement imprégné à travers son parcours de vie semble tout à fait approprié pour décrire l’hybridité de son républicanisme, accouchant d’un objet politique nouveau articulant la dimension classique et la dimension moderne, ou les notions de justice, de raison et de volonté pour parler comme Baker.

33 La révolution culturelle évoquée par cet auteur ne se matérialisait donc pas uniquement dans les pensées, les idées ou les discours, mais, comme Brissot nous le montre, dans un vécu. Le monde incorporé des lettres constituait le terreau de ses pensées, de ses idées et de ses discours. Le moment originel où il fit l’expérience de la république était pour lui indissociable du mensonge, de l’illusion d’intégration. Les Voltaire, les d’Alembert et les Suard avaient troqué à ses yeux leur devoir de liberté et de vérité pour les honneurs et les pensions. Si donc les Hautes Lumières avaient entamé la légitimité de la monarchie, leur élection au Parnasse littéraire, qui venait consacrer

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le choix de l’opinion publique, avait tempéré leurs ardeurs et leurs attaques. L’ordre monarchique jouait donc tout aussi stratégiquement que les philosophes. Elle rendait coup pour coup. Mais, pour des hommes de lettres comme Brissot, la lutte continuait. Celle-ci pouvait se voir à travers ses pamphlets acerbes publiés contre les salonnières et les académiciens, ses ouvrages de jurisprudence, ses articles journalistiques, ses prises de positions philosophiques, sa contribution probable à un libelle qui salissait la Police de Paris, sa participation aux concours des académies de province, autant de brèches dans l’ordre monarchique, qui reposait sur l’opinion publique et que Brissot, comme ses pairs, voulait « maîtriser127 ». Le combat de l’opinion publique renvoyait à une guerre de position par interposition dans laquelle gouvernement et philosophes étaient engagés dans des batailles de légitimité permanentes, alimentées par la succession et la fréquence des affaires du moment. Mais il nous montrait également une autre lutte plus feutrée du côté du camp philosophique. Il est vrai que, dans les premières décennies de la seconde moitié du XVIIIe siècle, les Lumières avaient influencé et actualisé le républicanisme en faisant percoler leur idéologie progressive avec le langage oppositionnel du second, initiant un discours sur la transformation prochaine de la société. Mais, aux temps de Brissot, le nouveau statut du philosophe avait bien modulé son discours. La disjonction entre les paroles des Lumières et le discours républicain, avec les actes posés par les sommités philosophiques, renforçait l’idée de la geste congénitalement corruptrice de la monarchie, qui avait réussi à faire plier ses détracteurs par le biais de quelques gratifications. Cette trahison avait impulsé un deuxième moment républicain dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, celui de sa réactualisation face à la dérive du premier. Ce que Brissot nous dit, c’est que, si la première génération des Hautes Lumières était tombée dans le piège de la séduction, les basses Lumières de la seconde génération prenaient le relais de la lutte en évoluant dans les marges de l’Ancien Régime. Le monde des lettres dans lequel il évoluait était en cela un espace liminal, ni tout à fait en dehors des institutions culturelles de l’Ancien Régime, ni entièrement autonome, pris entre le légal et le clandestin, comme en atteste son expérience au Courier de l’Europe, au barreau parisien, aux « Neuf Sœurs » et celle du « Lycée ».

La république par l’Atlantique, 1784-1788

La république en suspens

34 L’embastillement de Brissot en juillet 1784 avait porté un sérieux coup d’arrêt à sa carrière philosophique. S’il aspirait toujours à gagner fortune et gloire, il se devait de choisir un autre milieu, exempt de tout soupçon. Possiblement grâce à Mentelle, Brissot réussit en 1785 à s’attirer les bonnes grâces du chancelier du duc d’Orléans, le marquis du Crest. Ce dernier l’invite au Palais-Royal le 15 avril 1785128. La nature de leur commerce se précise par la suite dans une lettre datée du 15 octobre 1785, dans laquelle le marquis du Crest confirme l’entente passée et fixe les émoluments de Brissot à 1 500 livres par mois129. Brissot s’empresse d’accepter son offre130. Une position dans la chancellerie du premier prince de sang pouvait enfin le sortir de l’instabilité et de l’indigence dans lesquelles il était toujours empêtré. Il occupe la fonction de secrétaire- général de la chancellerie, un poste qui nécessite l’emploi, selon ses dires, d’« un homme intelligent, honnête, et versé dans plusieurs parties, dans les affaires contentieuses, celles des finances et dans le droit ; il faut encore qu’il sache rédiger des

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mémoires131 ». Dans les faits, il sera impliqué dans plusieurs dossiers. Il œuvre tout d’abord à l’établissement de sociétés philanthropiques dans les apanages du duc d’Orléans. Destinées à lutter contre la mendicité, elles étaient pour Brissot l’empreinte de l’« esprit public ». Dans son discours d’admission à la société philanthropique d’Orléans prononcé en novembre 1786, il peint cet esprit comme « celui qui ne détache jamais son intérêt de celui de ses semblables ». Il en profite pour faire un court éloge du gouvernement républicain, qui est à ses yeux celui de la bonne foi, de la justice, de l’honneur, de la reconnaissance et de « toutes les autres vertus qui anoblissent une nation »132. Quelques mois plus tard, il participe à la réhabilitation commerciale du Palais-Royal. Pour cela, il prend la direction de la Hollande en septembre 1787 en compagnie du chancelier et de Clavière afin de négocier un emprunt auprès de grands banquiers. Si l’on suit les pistes de Claude Perroud, il est possible qu’ils évaluassent en même temps la possibilité de remplacer le stathouder Guillaume V par le duc d’Orléans, ou de le nommer à la tête du duché du Brabant, très certainement auprès des patriotes hollandais133. Les deux opérations n’eurent pas le succès escompté.

35 Toujours en 1787, Brissot participe aux doubles intrigues du marquis du Crest. Les deux hommes préparaient conjointement le projet de former un parti d’opposition au sein du Parlement de Paris, avec le duc d’Orléans à sa tête, calqué sur l’exemple britannique134 (sans savoir exactement qui de du Crest et de Brissot eut cette initiative). Il ne fait aucun doute que le modèle peint par Brissot fut influencé dans l’esprit, la rhétorique et le savoir-faire par sa fréquentation des dissidents politiques londoniens. Brissot voit ce futur parti comme celui des « défenseurs du peuple contre l’administration » qui ne pourrait obtenir de l’influence et un ministère « qu’en se rendant agréables au peuple, redoutables aux ministres et nécessaires au roi »135. Il s’agissait d’infléchir la monarchie vers plus de parlementarisme et, progressivement, vers le constitutionnalisme. Au même moment, le chancelier du duc d’Orléans briguait le ministère occupé par Loménie de Brienne. Brissot intervient directement dans ce jeu de pouvoir. Il écrit à cet effet une brochure, Point de banqueroute, afin de discréditer la politique économique du ministre, et qui eut pour principal effet de le renvoyer tout droit à son exil londonien.

36 Il faut savoir également que le Palais-Royal était le cœur de la franc-maçonnerie française. Il est très probable que cela ait joué un rôle dans l’admission de Brissot au sein de la chancellerie d’Orléans, d’autant qu’il sera initié à une des loges qui lui est attachée, celle de « La Candeur »136. Pendant que Brissot se rapproche du Palais-Royal, il commence à s’intéresser au magnétisme animal et aux sociétés maçonniques qui en faisaient la promotion. Il sollicite en 1785 un rendez-vous avec Nicolas Bergasse, qui était alors un des hommes forts de la « Société de l’Harmonie Universelle ». Il le rencontre, puis le fréquente sur une base quasi quotidienne. Les deux hommes se côtoyaient notamment chez Guillaume Kornmann, qui tenait salon à ce sujet, et où l’on pouvait retrouver La Fayette, Clavière, Gorsas, Carra, Duval d’Eprémesnil, Sabathier de Cabre et Duport. En mars 1784, le roi avait formé un comité chargé d’évaluer la validité scientifique du mesmérisme, composé de membres de la Société Royale de Médecine, de l’Académie Royale des Sciences et de la Faculté de Médecine de l’Université de Paris. Trois mois plus tard, il conclut au charlatanisme. Un tel verdict devait particulièrement résonner dans l’esprit de Brissot, déjà sensibilisé à la censure académique. En 1786, il prit la défense du magnétisme animal dans son Mot à l’oreille des Académiciens de Paris dans lequel il attaque leur « despotisme impérieux137 ». Son association aux thèses

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mesmériennes allait donc au-delà de l’intérêt scientifique et spirituel qu’il suscitait en lui. C’était mener le combat pour la réforme de l’institution académique, et à l’écouter, pour lutter contre le despotisme politique : « Bergasse ne me cacha pas qu’en élevant un autel au magnétisme, il n’avait en vue que d’en élever un à la liberté. “Le temps est arrivé, me disait-il, où la France a besoin d’une révolution. Mais vouloir l’opérer ouvertement, c’est vouloir échouer ; il faut, pour réussir, s’envelopper du mystère ; il faut réunir les hommes sous prétexte d’expériences physiques, mais, dans la vérité, pour renverser le despotisme.” »138 Il faut toutefois mesurer l’engouement que charrie le propos de Brissot. Que certains de ses membres aient des affinités républicaines, cela ne fait aucun doute. Qu’ils profitent de cette façade pour intriguer, il est permis de le croire. Que l’ensemble, Brissot y compris, fomente en son sein une « révolution » paraît exagéré. Quoi qu’il en soit, le mesmérisme était pour lui une occasion de plus de renouveler ses attaques contre l’institution académique et son esprit de persécution.

37 À sa sortie de la Bastille le 13 septembre 1784, Brissot prit refuge à Paris chez son ami Clavière, alors engagé dans toutes les affaires financières du moment. Il faisait partie d’une nébuleuse associative réunissant Cazenove, Delessert, Dupont de Nemours et tantôt Calonne, tantôt le marquis de Breteuil. Le groupement pariait à la baisse sur les différents effets financiers. Les talents littéraires de Brissot étaient utiles dans ces opérations spéculatives, tout comme ceux de Mirabeau. Le but de la manœuvre était d’informer l’opinion publique de la valeur réelle des actions afin de créer une panique générale, puis une vente massive, permettant à Clavière et consorts de racheter les titres dépréciés et de réaliser à terme une confortable plus-value. C’est dans ce cadre que Brissot rédige en 1786 sa Dénonciation au public d’un nouveau projet d’agiotage puis sa Seconde lettre contre la compagnie d’assurance, pour les incendies à Paris.

38 La complicité de Clavière et de Brissot allait aboutir à la création d’une association synthétisant leur vision du commerce mondial et leur spiritualité maçonnique, voir magnétique. La « société Gallo-américaine » voit le jour en janvier 1787, réunissant également Crèvecœur, Bergasse et Mirabeau. Son but était de « concilier les intérêts de tous les hommes et de toutes les nations139 », d’« embrasse[r] dans sa vue principale le bonheur de l’humanité140 » et de « former un centre de lumières pour tous les européens qui voudront s’instruire de la situation et des progrès des États-Unis141 ». Cette société s’apparente à une version commerciale de son défunt « Lycée », œuvrant à l’établissement d’institutions utiles qui seront autant de ponts à « une communication perpétuelle142 ». Les deux hommes avaient été marqués par les idées du « profond Smith143 » et étaient au fait que la bataille de la jeune République américaine passait également par la finance et l’emprunt144. L’édification d’une telle société allait dans le sens de la mise en place d’une économie républicaine, parallèlement et contre le despotisme mercantile, où la lutte pour l’établissement d’un commerce prospère résonnait avec celle contre le monopole et le privilège des compagnies145. L’abolitionnisme représentait un autre versant de cette lutte.

39 La traite et l’esclavage étaient pour Brissot non seulement contre nature, mais le symbole des abus et des dérives de l’arbitraire royal. Ce positionnement correspondait à son itinéraire. Pahin de la Blancherie, le quaker anglais James Philips, puis la « Society for the Abolition of the Slave Trade » avaient chacun joué un rôle déterminant dans sa sensibilisation à la question noire. À peine cette société fut-elle créée que Brissot était invité à en rejoindre les membres. Il connaissait déjà certains d’entre eux : c’était le cas de Philips, très certainement de Granville Sharp, William Wilberforce et Josiah

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Wedgwood. Lorsqu’il s’exila à Londres de novembre 1787 à février 1788 en compagnie du marquis du Crest, il avait bénéficié des recommandations du métis Joseph Bologne de Saint-Georges, qu’il côtoyait au Palais-Royal, pour pénétrer ce cercle militant. Ce n’est que quelques jours après son retour en France qu’il fonde avec Clavière le doublon parisien de la société abolitionniste londonienne. Il ne serait pas trop excessif de la qualifier de succursale, tellement cette dernière prend sa devancière londonienne pour modèle, dans sa structure organisationnelle, dans ses stratégies rhétoriques, mais aussi probablement dans son « expérience dans le développement d’entreprise, la recherche de financement, […] dans l’édition et la distribution » de brochures, comme le pense Seymour Drescher146. Elle reprenait également ses procédés tactiques, agissant simultanément sur l’opinion publique et sur le gouvernement par le biais de ses membres qui avaient accès aux différents ministères. Tactique très « whiggish » s’il en est.

La république réalisée

40 Le 3 juin 1788, Brissot part du Havre-de-Grâce en direction de Boston. La motivation première de son voyage en Amérique était de récolter les informations nécessaires afin de déterminer la faisabilité d’une spéculation financière sur la dette américaine pour le compte des banquiers Clavière, Cazenove et Stadnisky147. Mais il ne fait aucun doute qu’il voulait également voir à quoi pouvait ressembler la république réalisée, faire la connaissance des quakers de Pennsylvanie dont ses « Amis » anglais lui avaient tant parlé, en profiter pour tisser des relations avec les sociétés abolitionnistes d’Amérique et pour envisager une future émigration. Aussitôt arrivé en rade de Boston, l’engouement de Brissot est immédiat : « Asile de l’indépendance, je te salue148… »

41 De son périple de près de huit mois sur le continent américain, il en retira un ouvrage qu’il publie en 1791, Nouveau Voyage dans les États-Unis de l’Amérique Septentrionale. Il y retrace son parcours, fait état de ses impressions, publie ses informations accumulées ici et là, et mentionne ses rencontres, dont la grande partie d’entre elles a désormais sa place dans le panthéon des « pères fondateurs ». Il entre en contact avec John , chez lui à Braintree149, où il croise pour la première fois Richard Price. Dans le sein de ce foyer, il lui paraissait « être aux premiers temps décrits par Homère150 » et « Horace dans sa belle ode151 ». Il avait visité l’arrière-pays bostonien, s’était arrêté à Roxbury chez William Heath, « un de ces dignes imitateurs du Cincinnatus Romain ». C’est en sa compagnie qu’il se rappela « ce mot de Curius : que l’or n’était point nécessaire à celui qui savait se contenter d’un pareil dîner. Avec cette simplicité, on est digne de la liberté ; on est sûr de la conserver longtemps. »152 Cette simplicité, il la voyait également chez Samuel Adams et chez John Hancock. Il disait d’ailleurs du premier qu’il était « sincèrement idolâtre du républicanisme », qu’il avait l’« excès des vertus républicaines »153, et du deuxième qu’il était toujours aussi animé de l’« esprit de patriotisme » qu’au « commencement de l’insurrection »154. Son intégration à la haute société bostonienne allait être couronnée par le président de l’« American Academy of Arts and Sciences » qui lui proposa de devenir l’un de ses membres155.

42 Arrivé à New York, il rencontra les meilleures têtes de la ville, dont John Jay, Rufus King, Thomas Mifflin, Alexander Hamilton et James Madison156. Il eut le plaisir d’être convié à dîner chez Hamilton et Madison, voyant dans le premier « l’air méditatif d’un profond politique », et dans le second « l’air déterminé d’un républicain »157. Il dit

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également avoir fait la connaissance de Cyrus Griffin, alors président du Congrès, chez qui il fut invité, et où l’on « but peu de vin », preuve de la tempérance de ce pays, « vertu par excellence des républicains »158. Il avait pu assister à une réunion de la « New York Manumission Society », fort de la recommandation de la société abolitionniste londonienne159. À Philadelphie, il fut accueilli par Benjamin Rush, lui qui était « si humain, si éclairé160 », et qui voyait dans le combat abolitionniste un moyen de lutter contre « la tyrannie britannique en Amérique161 ». Il eut le privilège de rencontrer la personnalité la plus éminente du moment, l’inégalable Benjamin Franklin. Brissot dresse de lui le portrait d’un « grand homme, si longtemps le précepteur des Américains, et qui a si glorieusement contribué à leur indépendance162 ». Il avait eu la chance « de le voir, de jouir de sa conversation, au milieu de ses livres, qu’il appelle encore ses meilleurs amis163 », et à qui il attribue « les caractères du vrai philosophe164 ». Ce dernier lui avait fait rencontrer les membres de la société abolitionniste philadelphienne, composée par une grande majorité de quakers, qui, semble-t-il, connaissaient déjà Brissot via son Examen critique des voyages dans l’Amérique septentrionale de M. le marquis de Chastellux, publié deux ans auparavant. Il se plaisait réellement dans cette société et dans cette ville, qui conviendrait le mieux pour une potentielle immigration de lui et de sa famille165. Pour finir ce tour d’horizon, Brissot rencontre George Washington dans sa demeure à Mont Vernon, où il resta trois jours et fut comblé « d’amitiés166 » : « vous l’avez souvent entendu comparer à Cincinnatus ; la comparaison est exacte » nous dit-il167. Puis de renchérir : « Tacite a fait de Germanicus un portrait où l’on retrouve beaucoup de traits de Washington168 », car « c’est le modèle d’un républicain ; il en offre toutes les qualités, toutes les vertus169 ».

43 Son voyage aux États-Unis permet à Brissot de mettre à l’épreuve son réseau républicain et d’en mesurer toute l’étendue. Car avant même d’inclure de si grands noms dans son cercle relationnel, faut-il encore avoir les recommandations nécessaires pour qu’ils lui soient accessibles. Il est évident que Brissot les avait, car il n’avait ni la réputation ni le temps pour se créer de si belles entrées. Il avait bénéficié d’une lettre de recommandation de La Fayette, destinée à son ami et frère maçon George Washington170, et d’autres de ses relations londoniennes, dont ses amis abolitionnistes. Rappelons-nous que Brissot fait la connaissance de Richard Price chez John Adams et que nombre de radicaux anglais, comme Price, Priestley ou Macauley, jouissaient d’un lien solide, étroit et de longue date avec les patriotes américains171. Si l’on s’en tient à l’exemple de Macauley, elle entretenait une correspondance régulière avec Benjamin Rush à partir de 1769, un an après qu’elle et son frère se soient impliqués ouvertement dans les évènements de 1768172, puis avec Benjamin Franklin, Samuel et John Adams et Georges Washington173. Au final, Brissot avait retrouvé dans ce milieu, qui prenait l’Atlantique pour terrain et qui reliait Paris, Genève, Londres, Amsterdam, Boston, New York et Philadelphie, la république réellement existante, celle qui élevait en action les idées qu’elle prônait.

Conclusion

44 Le but de cet article était de tracer les contours d’une trajectoire des Lumières, en pensée et en acte. Ce n’est pas tant l’esprit philosophique qu’il s’agissait d’étudier en soi, mais la manière dont il s’incarne pour soi, à travers une trajectoire individuelle, et la manière dont cet esprit se confronte à la réalité. Cet esprit philosophique qui plane

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sur le dix-huitième siècle occidental n’existe qu’à travers une conscience située dans une expérience vécue qui lui donne chair, sens et consistance. Dans le cas de Brissot, cet esprit est indissociable de Descartes, Bayle, Bacon, La Mettrie, Malebranche, Condillac, Helvétius, d’Holbach, Diderot, Voltaire, Gordon, Evans, Sidney, Milton, Dryden, , Walpole, Beccaria, sans compter les classiques de l’antiquité grecque et romaine, et, bien sûr, Rousseau, le premier qui lui fit tomber le bandeau des yeux. Il est clair que l’esprit philosophique a insufflé en lui le germe de l’esprit critique puis de l’émancipation, qui a d’abord fait de lui un apostat puis un paria. Il est certain qu’il devait croire absolument au bien-fondé de la philosophie et de son monde pour accepter la rupture de ses liens familiaux, et tenter de retrouver la chaleur d’un foyer dans les sociétés d’esprit parisiennes.

45 À travers la trajectoire philosophique de Brissot, cet article nous permet de rendre compte d’autres parcours de vie mus par l’esprit philosophique, dans d’autres contextes, qui se sont déroulés ailleurs et autrement. L’intérêt de cette perspective nous permet de mesurer une acception fort généralisatrice comme celle d’Israel, qui tend à penser que l’âge des révolutions démocratiques fut le résultat des « Lumières radicales174 », et qui pense ces Lumières uniquement par le prisme des idées. Dire que l’esprit philosophique a réintroduit de l’entropie dans les sociétés monarchiques occidentales est chose différente, encore faut-il en évaluer le degré et ses implications. L’homme de raison n’était pas exempt de sentiments plus terre-à-terre. L’esprit philosophique n’était pas seul au monde, il était dans-le-monde et, en tant que tel, il était lié à l’esprit de « frustration175 » et à celui de « persécution176 » qui a pu mener l’homme de lettres à épouser l’esprit républicain, comme ce fut le cas de Brissot. La lutte contre l’oppression était d’abord et avant tout une expérience de vie avant d’être celle de sa prise de conscience et de sa mise en perspective philosophique. Mais l’esprit républicain était bien l’une des manifestations de la rencontre des Lumières avec la société monarchique et de la distorsion entre l’esprit du temps et l’ordre institué. Car si la philosophie avez amené Brissot vers la république, nombreux furent les mailles de sa trame républicaine qui ne l’étaient pas, et nombreux furent ses compagnons de route qui ne partagèrent pas son engouement : c’est le cas de Guillard, de Linguet, de Pelleport, de Mentelle, de Bergasse, de La Fayette, du marquis du Crest. Encore faut-il préciser qu’il n’était pas nécessaire de se dire « républicain » pour faire siennes et promouvoir des valeurs et des idées républicaines. Une analyse circonstanciée nous montre que l’homme de lettres pouvait également être habité par des considérations moins philosophiques et plus pragmatiques, comme le fut Brissot dans sa quête de fortune et de gloire. Là encore, l’esprit républicain n’est pas isolé d’un esprit de carrière et de promotion sociale qui nous oblige à rendre compte de son double mouvement d’association et de dissociation vis-à-vis de l’ordre monarchique. Avant le 22 juin 1791, son républicanisme n’était pas aussi facilement dissociable de la monarchie pour la simple raison que ces deux termes que l’on oppose conventionnellement aujourd’hui pouvaient très bien être associés.

46 D’abord dans sa première phase, dirait-on, de 1766 à 1778, où son esprit philosophique s’intègre, ou du moins aspire à s’intégrer, aux institutions monarchiques. C’est en tant que clerc, d’abord à Chartres puis à Paris, que Brissot développe sa réflexion philosophique en matière de jurisprudence. Quant à sa philosophie, elle est teintée de scepticisme177, très certainement inspirée par son professeur de philosophie au collège de Chartres, l’abbé Thierry, puis par son rousseauisme, comme le montrent

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respectivement ses deux écrits de jeunesse, l’un sur le Pyrrhonisme universel et l’autre sur ses Recherches sur le droit de propriété et sur le vol. Puis sa réflexion, influencée cette fois-ci par Guillard, Linguet et le parti anti-encyclopédique, sera colorée par un ton journalistique proche de l’irrévérence, de plus en plus acide en raison des nombreux écueils sur lesquels il bute pour percer dans la république des lettres.

47 Dans un deuxième temps, de 1779 à 1782, il manifeste une volonté de se faire reconnaître dans le monde institué des lettres, qu’il soit officiel et académique, ou privé, par le biais des salons, des musées, des clubs, des loges ou via d’autres sociétés d’esprit. Notons qu’il aiguise ses connaissances et ses réflexions philosophiques depuis l’Hôtel de Mayence et la protection de son mentor, Edmé Mentelle. Précisons encore qu’il le rencontre grâce aux recommandations de Marie-Catherine Dupont, sa future belle-mère, et au second degré via Swinton, le propriétaire du Courier de l’Europe, sans qui Brissot n’aurait jamais décidé de s’installer à Boulogne-sur-Mer. Mentelle lui ouvre son réseau de relations, composé d’esprits éminents, et le met en contact avec van Irhoven van Dam. De là, il entretient une image respectable, tout en développant la solidarité et l’esprit philosophique dans le sein bienveillant de la Franc-maçonnerie.

48 Le premier tournant date de 1782, moment de son voyage suisse et de sa rencontre avec les républicains genevois. Il partage et alimente avec eux son esprit républicain, qui n’est pas autre chose que l’esprit philosophique appliqué à la politique. Grâce à eux, et surtout à Clavière, il place son entreprise du « Lycée » sous les meilleurs auspices. Même si son projet de financement par certains banquiers amstellodamois échoue, il bénéficie dès son arrivée à Londres d’un réseau relationnel de premier plan en la personne de Maty, Macauley-Graham, Lord Mansfield, Lord Shelburne, Paine, Gibbon, Bentham, Williams et Kirwan. À travers l’exemple britannique, il voyait comment la science et la philosophie pouvaient s’opposer à la dérive tyrannique de la monarchie.

49 Le deuxième tournant survient deux ans plus tard avec son embastillement de juillet à septembre 1784. Après cela, et jusqu’en 1787, il fera profil bas. Il se rapproche de Clavière et de ses entreprises spéculatives pour jouer avec Mirabeau le rôle de prête plume. Probablement grâce au soutien de Mentelle et à son appartenance maçonnique, Brissot intègre la chancellerie du duc d’Orléans, sous les auspices du marquis du Crest et de ses ambitions ministérielles. Évoluant dans le giron de Clavière, Brissot fréquente Mirabeau, Crèvecœur, Condorcet et La Fayette, et rencontre Jefferson chez lui à Paris178.

50 Le troisième et dernier tournant avant la survenance des évènements révolutionnaires est la proclamation des États-généraux, qui mettent un terme à son voyage américain et à son projet d’installation à Philadelphie. Il y avait rencontré les grands hommes qui avaient façonné cette jeune république, les John Adams, Benjamin Franklin, John Jay, Alexander Hamilton, George Washington, James Madison, George Clinton. Dans une lettre non datée, mais écrite probablement entre 1789 et 1790, Arbaud de Montalet demande à Brissot pourquoi il demeurait encore en France, s’il était « fidèle et conséquent » avec ses principes. Il l’encourageait à fuir « avec [sa] femme et [ses] enfants à Philadelphie, [là où] la paix, la vertu, le bonheur qui en est inséparable sont bien au-dessus des chimères de la gloriole et de la frénésie d’une vaine réputation179 ». Ce que nous dit cette trajectoire, c’est que Brissot cherche à acter la république, d’abord par la philosophie, dans le monde des lettres et la franc-maçonnerie, de 1774 à 1784, ensuite par l’Atlantique et là où elle avait triomphé, en Amérique, et, enfin, lorsque les premiers signes d’une ouverture du régime monarchique se fit sentir, en France, en 1789.

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51 Si l’esprit philosophique avait mené Brissot vers l’esprit républicain180, l’inverse, soutenu par Israel181, n’était pas vrai, du moins de l’avis de Brissot. Dans son discours De la Vérité, il affirmait que « l’esprit républicain n’est pas cependant toujours propre à favoriser la découverte de toutes les vérités182 ». Les exemples de républiques qui avaient été corrompues étaient nombreux : il suffisait de penser à l’Angleterre, aux Provinces-Unies, à Venise et, récemment, à Genève pour s’en convaincre. La république n’est pas en soi le garant de la vérité. Elle est simplement à ses yeux le gouvernement qui, d’essence, la facilite. Le piège de la république, comme de tout régime, est de se dénaturer jusqu’à être menacé par le despotisme, véritable peste politique. L’intégrité de la république perdure tant que sa visée est celle du bien public et de l’intérêt général, tant qu’elle dépasse le particulier, la nation y compris, pour épouser l’univers dans son entier. Car c’est uniquement dans cet espace que se déploie pleinement « ce sentiment de bienfaisance et de liberté […], [ce] devoir de l’étranger qui pense, qui regarde tous les hommes comme des semblables183 ». Ce républicanisme cultivé par Brissot, et que l’on retrouve chez lui dès 1784, subvertit l’idée du patriotisme « comme les anciens l’entendaient184 » pour en faire un cosmopolitisme185. C’est pourquoi la patrie de Brissot, depuis 1784 et son embastillement, passait par l’Atlantique, c’est-à- dire par Londres, Boston, Philadelphie et New York, parce que c’était dans les sociétés qu’il y fréquentait qu’il se sentait vraiment heureux, y puisant par la même les nouvelles ressources pour son républicanisme.

52 Cette dissociation entre esprit philosophique et esprit républicain explique pourquoi des personnes emplies du premier comme Brissot, La Fayette, d’Éprémesnil, Clavière, Marat, Carra, Williams, Macauley et le duc d’Orléans pouvaient très bien s’entendre et se côtoyer en toute amitié avant la Révolution française. Promouvoir des réformes, quel que soit son degré d’affinité avec les idées républicaines, était suffisant à ce moment pour démontrer son esprit philosophique, ce sentiment bienveillant d’être utile à sa société grâce à ses connaissances. L’important était de transcender les particularités afin de poursuivre un bien commun universel. Il renvoyait à un sens commun éclairé, qui avait mis fin à l’entente traditionnelle entre le savant et le politique pour en établir une nouvelle entre la philosophie et la politique. L’important était de lutter contre le despotisme monarchique au nom du bonheur de l’humanité et de la liberté universelle, et d’agir dès à présent pour un renouvellement global de l’ordre monarchique. L’esprit philosophique était donc moins le principe actif de l’esprit républicain que la cheville ouvrière de l’esprit républicain appliqué à la monarchie, le réformiste qui pouvait réunir des personnages aux visées programmatiques différentes, divergentes et, plus tard, contradictoires.

53 Ce réformisme défendu par Brissot et ses compagnons de route était autant pensé qu’acté. Il est vrai qu’il s’agissait d’un réformiste élastique, tantôt « modéré », tantôt « radical ». Mais, au temps de Brissot, la philosophie n’avait plus rien d’uniquement contemplatif, elle était pleinement praxique, c’est-à-dire également active et utilitaire, car elle œuvrait pour le bien public. Toutes les sociétés dans lesquelles il était impliqué depuis son embastillement étaient traversées par cette nécessité. Mettre sur pied de simples sociétés littéraires ne suffisait plus pour répandre la vérité. Il était temps de la réaliser, que ce soit à travers la « Société philanthropique » d’Orléans, de Chartres ou de Lyon, la « Société Gallo-américaine », la « Société des Amis des Noirs », et probablement à travers le salon Kornmann. Le temps était à la réforme, et il était temps de la provoquer, que ce soit dans le domaine des lettres, de la morale, de la

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jurisprudence, de la philanthropie, du commerce ou de la traite. C’est ce qui explique pourquoi Brissot continuait à entretenir des relations avec certains académiciens de provinces, certains ministres, certains membres du Parlement de Paris et même avec un prince de sang. Le projet républicain de Brissot était intégré à la société française d’Ancien Régime philosophiquement parlant, puisque la monarchie était un donné à dépasser de l’intérieur, mais aussi pragmatiquement parlant, parce que c’était uniquement dans ce cadre qu’il pouvait trouver la fortune et la gloire. Jamais Brissot n’a justifié l’utilisation de la violence avant 1789, exception faite pour les insurgés américains, parce que le bouleversement y était général186. Dans le cas contraire, il fallait plutôt favoriser les réformes partielles et bien tempérées. C’était le cas de la traite et encore plus vrai de l’esclavage, dont l’abolition devait être graduelle, autrement dit conforme à la raison187. Olivier Grenouilleau parle à raison de l’abolitionnisme comme un « radical réformisme188 », c’est-à-dire « radical dans son projet et réformiste dans la méthode189 ». C’est en cela que Brissot nous montre que, avant 1789, voire 1791, il n’existe pas de frontières entre les Lumières « modérées » et « radicales », unifiées en esprit et en acte, mais aussi tiraillées entre la fidélité à leurs principes et la recherche d’une noble position. C’est pourquoi le « patriotisme » de Brissot passe du philosophique et du spirituel au politique et au temporel ; la patrie espérée par lui n’est plus uniquement « celle de la vérité190 », mais de « l’amour de soi, de son bien-être, du pays où l’on a ce bien-être, des lois qui le protègent, des citoyens qui le partagent, de la liberté qui l’honore, de la réflexion qui l’étend191 ». En principe, cette patrie était l’univers, mais, en pratique, Brissot avait du mal à savoir quel pays pouvait lui offrir cette liberté qu’il chérissait tant, de même que cette réputation, qui le hantait toujours. Ici, ambition personnelle et projet républicain ne font qu’un.

54 Brissot nous a également montré comment la distinction entre républicanisme classique et moderne perdait à son endroit de sa pertinence, nous poussant à l’inverse à les relier dialectiquement. De sa pénétration dans la république symbolique des lettres à son voyage dans la république instituée en Amérique, son esprit républicain rend compte de l’avènement d’une culture politique nouvelle192 qui autorise la renaissance de la république. Si les réalités sociales sont indexées à la dimension symbolique, celle- ci ne prend son sens que dans le vécu de chacun et dans l’appropriation que chacun en fait. Ces significations symboliques, même pour un philosophe comme Brissot, ne peuvent se calquer sur les modèles des écoles de pensée, même si, à des degrés divers, elles en découlent. Fernand Dumont appelait cela la « culture seconde », soit l’« objectivation du mouvement réflexif de la culture »193, le moment où le « sujet reprend le sens où il est immergé pour le reformuler194 » et où il appose sa signature sur son monde et sur son milieu. Homi K. Bhabha dirait à son tour que Brissot, à travers « le langage de la critique », « dépasse ces fondements de l’opposition et ouvre un espace de traduction […] qui n’est ni l’un ni l’autre »195, ni tout à fait républicain, ni entièrement monarchique, et, pour ce qui est de la première prémisse, ni classique, ni moderne. C’est ainsi que dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, le processus de dédoublement de la culture politique monarchique sur elle-même, déjà engagé auparavant, se réalise dans le dialogue engagé avec l’esprit républicain, quel que soit son rapport à la tradition. Après s’être inscrit dans le donné de son tissu symbolique, il le crée, ou plutôt le re-présente. C’est pourquoi la culture monarchique et la culture républicaine sont dialectiquement liées, la seconde s’accumulant dans la mémoire et l’imaginaire commun de la première. Aucune distanciation sans pré-position. C’est cela la

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stylisation, et c’est en cela que Brissot possède son propre style républicain, indissociable du parcours de vie sur lequel il repose.

55 Un des plus grands mérites de l’analyse de Baker est d’avoir mis l’emphase sur l’« acte de puissance et de créativité intellectuelles » de l’esprit philosophique républicain, qui, couplé à des décennies de « désagrégation des attributs […] [de] la notion d’autorité royale »196, a progressivement opéré un transfert de l’autorité discursive. Si l’acte parle de pouvoir, comme Hannah Arendt le soutient197, alors l’acte républicain, en actualisant l’esprit républicain, ne fait pas que survivre au temps, il concurrence et offre une authentique alternative au pouvoir actuel. Pour ceux qui, comme Brissot, projettent la république dans les futurs du passé dont l’enjeu est bien présent, l’idée républicaine vise alors à « les améliorer en accord avec l’esprit du temps198 ». Cette posture renvoie tout à fait à la conception benjaminienne du matéralisme historique, c’est-à-dire à la nécessité pour chaque époque de partir à la « conquête de la tradition, contre le conformisme qui est en train de la neutraliser199 ». La renaissance de la république à laquelle participe Brissot n’est donc pas une reproduction, elle est une traduction, c’est-à-dire une tentative de dissoudre une dissonance primordiale dans l’ordre du langage200. L’esprit républicain est, en ce sens, une parole qui refait autorité, autrement dit qui autorise un acte républicain, point de départ d’une réalité républicaine nouvelle. Ceci renvoie à la richesse lexicale de l’acte, à la fois actum, acté, fait, et actus, l’action d’acter et de faire. La république repose donc pour Brissot sur les contingences de son temps et ne peut être convoquée que de manière circonstanciée201. En aucun cas il ne s’agit pour lui de rétablir une république pastiche des modèles passés, une république singeuse : « Il serait donc aussi absurde » nous dit-il « que Paris eût les mœurs de la vieille Rome ou de Sparte, que celle-ci eût eu celles de Paris. Ne cherchons point de modèle hors de nous-même, et n’allons pas surtout copier des cadres de législation faits pour d’autres pays, d’autres circonstances202. »

56 La république était donc en cela triplement en acte : d’abord parce que ses membres fondaient leur propre autorité sur la base du droit naturel et/ou du contrat social203, actualisant la décadence de l’ordre monarchique et la croissance de l’ordre républicain ; ensuite parce que ceux-ci ne se contentaient pas d’attaquer l’ordre institué, ils mettaient directement en pratique les principes de liberté, d’égalité, de solidarité, d’indépendance et d’esprit critique entre eux, à travers leurs sociétés, leurs clubs, leurs loges, leurs comités, leurs salons ou leurs rencontres informelles ; enfin, parce que, pour des individus comme Brissot, qui avaient été les victimes du mensonge d’intégration de la république des lettres, elle représentait le milieu de la parole et de la communion retrouvée, milieu de reconnaissance et de renaissance de l’identité. La république atlantique dans laquelle Brissot se retrouvait montrait comment il était possible pour des républicains de créer leur propre communauté de conscience, de troquer les sociétés monarchiques et leurs règles données d’avance pour une communauté élective, traversée par la conscience de former ensemble une communauté. Ce mouvement réflexif montrait comment une conscience historique était en mesure de se donner un autre sens pour relancer et réactiver la conscience politique depuis les marges de la monarchie.

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NOTES

1. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, « Article VIII. Prix sur l'Histoire proposé par M. l'Abbé Raynal », in Correspondance universelle sur ce qui intéresse le bonheur de l'homme et de la société, vol. 2, no 1, 1783, p. 57. 2. Spinoza pensait que les catégories de « bien » et de « mal » et, par extension, celles de « juste » et d'« injuste », de « vrai » et de « faux », de « bon » et de « mauvais » ne pouvaient exister dans l'absolu. Elles étaient au contraire indexées à un sens éthico-normatif variable d'une société à une autre dans l'espace et dans le temps (Jonathan I. ISRAEL, Les Lumières radicales. La philosophie, Spinoza et la naissance de la modernité (1650-1750) (trad. C. NORDMANN et J. ROSANVALLON), Paris, Éditions Amsterdam, 2005, p. 200). 3. Pour les versions françaises de la critique des « Lumières radicales », voir notamment le numéro 13 de Lumières dirigé par Jean MONDOT et Cecile RÉVAUGER. Au sujet des critiques de Democratic Enlightenment et de ses principales réponses, voir Jonathan I. ISRAEL, « A Reply to Four Critics », in H-France Forum, vol. 9, no 5, 2014, p. 77-97. De même, pour son ouvrage Revolutionary Ideas, voir Jonathan I. ISRAEL, « A Response to Jeremy Popkin's Review of Jonathan Israel. Revolutionary Ideas », in H-France Review, vol. 15, no 67, 2015, p. 1-14. 4. Jonathan I. ISRAEL, Les Lumières radicales, op. cit., p. 202-212. 5. Quentin DELUERMOZ et Pierre SINGARAVÉLOU, Pour une histoire des possibles. Analyses contrefactuelles et futurs non advenus, Paris, Seuil, 2016, p. 274. 6. Jonathan I. ISRAEL, Revolutionary Ideas. An Intellectual History of the French Revolution from The Rights of Man to Robespierre, Oxford et Princeton, Princeton University Press, 2014 7. Augustin BERQUE, Ecoumène. Introduction à l'étude des milieux humains, Paris, Belin, 2000, p. 160-161, Augustin BERQUE, « Milieu et motivation paysagère », in Espace géographique, vol. 16, no 4, 1987, p. 243, et Augustin BERQUE, Les raisons du paysage, Paris, Hazan, 1995, p. 22. 8. George E. MARCUS, « Ethnography in/of the World System : The Emergence of Multi-Sited Ethnography », in Annual Review of Anthropology, vol. 24, 1995, p. 110. 9. Claude PERROUD (dir.), J.-P. Brissot. Mémoires (1754-1784), Tome I, Paris, Librairie Alphonse Picard & Fils, 1911, p. 29. 10. Ibid., p. 33-34. 11. Ibid., p. 33. 12. Ibid., p. 37. 13. Ibid., p. 35. 14. Ibid., p. 36-37. 15. Suzanne D'HUART, Brissot. La Gironde au pouvoir, Paris, Éditions Robert Laffont, 1986, p. 17. 16. Claude PERROUD (dir.), J.-P. Brissot. Mémoires, op. cit., tome I, p. 1. 17. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, De la vérité, ou méditations sur les moyens de parvenir à la vérité dans toutes les connaissances humaines, Neuchâtel, 1782, p. 5-7. 18. Également « bailli du Chapitre cathédral en deux seigneuries, et lieutenant particulier d'une mairie laïque », actif gestionnaire des biens des corps privilégiés : Michel VOVELLE, Ville et campagne au XVIIIe siècle, Chartres et la Beauce, Paris, Éditions sociales, 1980, p. 40. 19. Claude PERROUD (dir.), J.-P. Brissot. Mémoires, op. cit., tome I, p. 42. 20. Ibid., p. 65-66. 21. Robert DARNTON, « Dans la France prérévolutionnaire : des philosophes des Lumières aux ʽRousseau des ruisseauxʼ », in Bohème littéraire et révolution. Le monde des livres au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 2010, p. 49.

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22. Françoise WAQUET, « Qu'est-ce que la République des Lettres? Essai de sémantique historique », in Bibliothèque de l'école des chartes, vol. 147, no 147, 1989, p. 489. 23. Ibid., p. 103. 24. Claude PERROUD (dir.), J.-P. Brissot. Mémoires, op. cit., tome I, p. 2-3. 25. Ibid., p. 121. 26. Ibid., p. 25-26. 27. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Pot-pourri. Etrennes aux gens de lettres, Londres, 1777 28. Op. cit., p. 104. 29. Ibid., p. 88. 30. Robert DARNTON, « Dans la France prérévolutionnaire : des philosophes des Lumières aux ʽRousseau des ruisseauxʼ », in Bohème littéraire et révolution, op. cit., p. 47-82. 31. « Linguet à Brissot. Paris, 1776 », in Claude PERROUD (dir.), Jacques-Pierre Brissot, Correspondance et papiers, Paris, Libraire Alphonse Picard & Fils, 1911, p. 1. 32. Op. cit., p. 140. 33. Ibid., p. 179. 34. Ibid., p. 185. 35. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Un indépendant à l'Ordre des avocats, sur la décadence du barreau de France, Berlin, 1781, p. 35. 36. Op. cit., p. 195. 37. AN 446AP/1, dossier 2, Lettre de Brissot à Félicité, Lyon, le 30 mai 1782. 38. AN 446 AP/1, dossier 1, van Irhoven van Dam à Brissot, Utrecht, le 31 mai 1782. 39. AN 446 AP/1, dossier 1, van Irhoven van Dam à Brissot, Utrecht. 40. Louis AMIABLE, Une Loge maçonnique d'avant 1789, La R.*. L.*. Les Neuf Sœurs, Paris, Félix Alcan Editeur, 1897, p. 4, et Nicholas HANS, « UNESCO of the Eighteenth Century. La Loge des Neuf Sœurs and Its Venerable Master, Benjamin Franklin », in Proceedings of the American Philosophical Society, vol. 97, no 5, 1953, p. 517. 41. AN 446AP/1, dossier 1, Lettre de Brissot à Clavier du Plessis, 1779. 42. Robert DARNTON, La fin des Lumières. Le mesmérisme et la Révolution, Paris, Libraire académique Perrin, 1984, p. 97. 43. Marat avait été initié à la loge londonienne l'« Espérance » le 15 juillet 1774 : Jacques DE COCK (dir.), Marat avant 1789, Lyon, Éditions fantasques, 2003, p. 47. 44. Claude PERROUD (dir.), J.-P. Brissot. Mémoires, op. cit., tome I, p. 196. 45. Jean-Paul MARAT, « Traits destinés au portrait du jésuite Brissot », in Annales révolutionnaires, vol. 5, no 5, 1912, p. 687. 46. « Villar à Brissot. 15 mars 1783 », in Claude PERROUD (dir.), Jacques-Pierre Brissot, Correspondance et papiers, op. cit., p. 47. 47. Claude PERROUD (dir.), J.-P. Brissot. Mémoires, op. cit., tome I, p. 339. 48. « Lettre de Friederich von Freudenreich à Ostervald, Berne, le 11 août 1782 », retranscription consultable sur le site de Robert DARNTON, A Literary Tour de France, p. 263 : http:// www.robertdarnton.org/sites/default/files/brissot_consolidated.pdf (consulté le 4 août 2015). 49. « Villar à Brissot. 24 septembre 1783 », in Claude PERROUD (dir.), Jacques-Pierre Brissot, Correspondance et papiers, op. cit., p. 74. 50. Claude PERROUD (dir.), J.-P. Brissot. Mémoires, op. cit., tome I, p. 240-241. 51. Brissot demande à Ostervald d'envoyer deux cents exemplaires de son Prospectus du Lycée de Londres chez le duc de Chartres, « Lettre de Brissot à Ostervald. Paris, ce 22 septembre 1782 », in Robert DARNTON, A Literary Tour de France, loc.cit. 52. Claude PERROUD (dir.), J.-P. Brissot. Mémoires, op. cit., tome I, p. 240p. 242-243. 53. Ibid., p. 244. 54. Ibid., p. 281.

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55. Ibid., p. 272. 56. Ibid., p. 299. 57. Ibid. 58. AN 446 AP/7, Lettre de Clavière à Brissot, 29 août 1782. 59. « Brissot à Ostervald. Paris, ce 2 juillet 1781 » in Robert DARNTON, A Literary Tour de France, loc.cit. 60. AN 446 AP/1, dossier 1, Lettre de Blot à Brissot, Lyon, le 25 septembre 1781. 61. Claude PERROUD (dir.), J.-P. Brissot. Mémoires, op. cit., Tome I, p. 260-261. 62. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Le Philadelphien à Genève, ou Lettres d'un Américain sur la dernière révolution de Genève, sa Constitution nouvelle, l'émigration en Irlande, etc. pouvant servir de tableau politique de Genève jusqu'en 1784, Dublin, 1783, p. 5. 63. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Les moyens d'adoucir la rigueur des lois pénales en France, sans nuire à la sûreté publique, Châlons-sur-Marne, Seneuze, 1781, p. 15. Voir également son « Discours sur l'administration de la justice criminelle, Prononcé par M. S. [Servan, avocat-général] », in Bibliothèque philosophique, du législateur, du politique, du jurisconsulte, tome 2, Berlin, 1782, p. 129-130, sa Théorie des lois criminelles, op. cit., tome 1, p. 206-207, et Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Le sang innocent vengé, ou Discours sur les réparations dues aux Accusés innocents. Couronné par l'Académie des Sciences et Belles-Lettres de Châlons-sur-Marne, le 25 août 1781, Berlin, 1781, p. 9. 64. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, « Réflexions sur le code de Pennsylvanie », in Bibliothèque philosophique, du législateur, du politique, du jurisconsulte, tome 3, Berlin, 1782, p. 249. Sur l'importance pour Brissot de suivre l'exemple du modèle républicain américain : Pierre SERNA, « Le pari politique de Brissot ou lorsque le Patriote Français, l'Abolitionniste Anglais et le Citoyen Américain sont unis en une seule figure de la liberté républicaine », in La Révolution française [En ligne], no 5, 2013, http:// http://journals.openedition.org/lrf/1021 (consulté le 16 novembre 2016). 65. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Théorie des lois criminelles, tome I, Utrecht, 1781, p. 110. 66. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, « De la décadence du barreau français », in Bibliothèque philosophique du législateur, du politique, du jurisconsulte, tome 6, Berlin, 1782, p. 396-397. 67. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Pot-pourri. Etrennes aux gens de lettres, op. cit., p. 75. 68. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Théorie des lois criminelles, tome 2, Berlin, 1782, p. 22. Margaret souligne l'importance de considérer les Lumières radicales, et leur hostilité au pouvoir royal, dans leur versant politique et religieux : Margaret C. JACOB, « The Radical Enlightenment and Freemasonry: Where We Are Now », in Philosophica, no 88, 2013, p. 13-29, et Margaret C. JACOB, Strangers Nowhere in the World. The Rise of Cosmopolitanism in Early Modern Europe, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2006, p. 95-121. 69. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Lettres philosophiques sur Saint Paul, op. cit., p. 29. 70. Ibid., p. 52. 71. Claude PERROUD (dir.), J.-P. Brissot. Mémoires, op. cit., Tome I, p. 29. 72. Ibid., p. 109. 73. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, « Réflexions sur le code de Pennsylvanie », in Bibliothèque philosophique, op. cit., p. 234. 74. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Lettres philosophiques sur Saint Paul, op. cit., p. 85. 75. Op. cit., p. 238-239. 76. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, « Prospectus. Correspondance universelle sur ce qui intéresse le bonheur de l'homme et de la société », in Bibliothèque philosophique, op. cit., tome 3, p. 5. 77. Claude PERROUD (dir.), J.-P. Brissot. Mémoires, op. cit., tome I, p. 297. 78. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Théories des lois criminelles, op. cit., p. 134. 79. Ibid.

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80. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, « Article III. A Sketch, etc. ou Essai sur le Code à faire en Amérique. London, 1784 », in Journal du Licée de Londres, vol. 2, no 3, 1784, p. 154. 81. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, « Réflexions sur le code de Pennsylvanie », in Bibliothèque philosophique, op. cit., p. 235. 82. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, L'autorité législative de Rome anéantie, ou Examen rapide de l'histoire et des sources du droit canonique, dans lequel on prouve ses incertitudes, ses abus et la nécessité de lui substituer pour la discipline de l'Eglise, des Lois simples, 1785, p. 54. 83. Ibid., p. 51-52. 84. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Lettres philosophiques sur Saint Paul, op. cit., p. 85. 85. Ibid., p. 29. 86. Jay M. SMITH, The Culture of Merit : Nobility, Royal Service, and the Making of Absolute Monarchy in France, 1600-1789, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1996, p. 25. 87. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Lettres philosophiques sur Saint Paul, op. cit., p. 84. 88. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, « Réflexions sur le code de Pennsylvanie », in Bibliothèque philosophique, op. cit., p. 248, et Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Le sang innocent vengé, op. cit., p. 9. 89. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Lettres philosophiques sur Saint Paul, op. cit., p. 84-89. 90. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Le Philadelphien à Genève, op. cit., p. 26. 91. Note de Brissot dans le « Discours sur l'humanité des juges dans l'administration de la justice criminelle », in Bibliothèque philosophique, du législateur, du politique, du jurisconsulte, op. cit., tome 3, p. 86. 92. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, « Réflexions sur le code de Pennsylvanie », in Bibliothèque philosophique, op. cit., tome 3, p. 245. 93. Ibid., p. 244. 94. Ibid., p. 237. 95. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Le Philadelphien à Genève, op. cit., p. 10-11. 96. « Brissot à Marat. Lyon, 6 juin 1782 », in Claude PERROUD (dir.), Jacques-Pierre Brissot, Correspondance et papiers, op. cit., p. 35. 97. Charles R. RITCHESON, « The Earl of Shelburne and Peace with America, 1782-1783 : Vision and Reality », in The International History Review, vol. 5, no 3, 1983, p. 329. 98. AN 446 AP/6, dossier 2, Lord Mansfield à Brissot, Londres, le 15 juillet 1783. 99. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, « Discours de l'éditeur servant de conclusion », in Bibliothèque philosophique op. cit., tome X, p. 348, ainsi que Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, « Article III. A Sketch… », art. cit. 100. Claude PERROUD (dir.), J.-P. Brissot. Mémoires, op. cit., tome I, p. 346-347. 101. Ibid., p. 347. 102. Ibid. 103. Eugene Charlton BLACK, The Association : British Extraparliamentary Political Organization, 1769-1793, London, Oxford University Press, 1963, p. 61. 104. Verner W. CRANE, « The Club of Honest Whigs : Friends of Science and Liberty », in The William and Mary Quarterly, vol. 23, no 2, 1966, p. 210. 105. Richard SORRENSON, « Towards a History of the Royal Society in the Eighteenth Century », in Notes and Records of the Royal Society of London, vol. 50, no 1, 1996, p. 29. 106. Jenny GRAHAM, « Revolutionary in Exile : The Emigration of Joseph Priestley to America 1794-1804 », in Transactions of the American Philosophical Society, New Series, vol. 85, no 2, 1995, p. 10, Isaac KRAMNICK, « Eighteenth-century Science and Radical Social Theory : The Case of Joseph Priestley's Scientific Liberalism », in Journal of British Studies, vol. 25, no 1, 1986, p. 1-30, et Robert E. SCHOFIELD, The Lunar Society of Birmingham : a Social History of Provincial Science and Industry in Eighteenth Century England, Oxford, Clarendon, 1963.

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107. AN 446AP/6, dossier 2, Bentham à Brissot, Londres, le 10 juillet 1783, et « Lettre de Brissot à Bentham, 25 juin 1783 », in Claude PERROUD (dir.), Jacques-Pierre Brissot, Correspondance et papiers, op. cit., p. 59. 108. AN 446AP/10, Williams à Brissot, Londres, le 20 janvier 1783. 109. Nicholas HANS, « Franklin, Jefferson, and the English Radicals at the End of the Eighteenth Century », in Proceedings of the American Philosophical Society, vol. 98, no 6, 1954, p. 407-408. 110. David WILLIAMS, Liturgy on the Universal Principles of Religion and Morality, London, 1776, p. x. 111. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, « Article IV. Liberté Politique de l'Angleterre. Examen de L'opinion de Montesquieu, de Blackstone, de M. Delolme, Examen sur la Liberté du Dr Priestley, (1) et sur les Lettres de M. Williams, publiées récemment sur le même Sujet (1) Représentation du Peuple, ses abus, etc. », in Journal du Licée de Londres, vol. 1, no 5, 1784, p. 315-316. 112. Nicholas HANS, « UNESCO of the Eighteenth Century. La Loge des Neuf Sœurs and Its Venerable Master, Benjamin Franklin », art.cit., p. 519. 113. Carl B. CONE, The English Jacobins: Reformers in Late 18th Century England, New York, Scribner, 1968 114. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, « Article VIII. Prix sur l'Histoire proposé par M. l'Abbé Raynal », in Correspondance universelle sur ce qui intéresse le bonheur de l'homme et de la société, vol. 2, no 1, p. 57. 115. AN 446AP/2, dossier 1, Brissot à Mentelle, La Bastille, 18 juillet 1784. 116. Jonathan I. ISRAEL, Les Lumières radicales, op. cit., p. 39-48. 117. Keith Michael BAKER, « Transformations of Classical Republicanism in Eighteenth-Century France », in The Journal of Modern History, vol. 73, no 1, 2001, p. 45. 118. Keith Michael BAKER, Au tribunal de l'opinion. Essai sur l'imaginaire politique au XVIIIe siècle (trad. L. Évrard), Paris, Payot, 1993, p. 163-164 et 221. 119. Ibid., p. 179. 120. Christopher HAMEL, « L'esprit républicain anglais adapté à la France du XVIIIe siècle : un républicanisme classique ? », in La Révolution française [En ligne], no 5, 2013, http:// journals.openedition.org/lrf/997 (consulté le 16 novembre 2016). 121. Michael SONENSCHER, « Republicanism, State Finances and the Emergence of Commercial Society in Eighteenth-century France – or from Royal to Ancient Republicanism », in Martin VAN GELDEREN et Quentin SKINNER (dir.), Republicanism : A Shared European Heritage, vol. II: The Values of Republicanism in Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 284. 122. Rachel HAMMERSLEY, The English Republican Tradition and Eighteenth-Century France : Between the Ancients and the Moderns, Manchester et New York, Manchester University Press, 2010, p. 174-184. 123. Donald WINCH, « Commercial Realities, Republican Principles », in Martin van Gelderen et Quentin Skinner (dir.), Republicanism : A Shared European Heritage, vol. II, op. cit., p. 297. 124. Johnson K. WRIGHT, « The Idea of a Republican Constitution in Old Regime », in Martin VAN GELDEREN ET QUENTIN SKINNER (dir.), Republicanism : A Shared European Heritage, vol. I: Republicanism and Constitutionalism in Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 290. 125. Richard WHATMORE, « Saving Republics by Moving Republicans : Britain, Ireland and 'New Geneva' During the Age of Revolutions », in History, vol. 102, no 351, 2017, p. 400. Il n'est également pas inutile de rappeler que l'association de la république avec la monarchie n'avait rien de contradictoire pour les représentants genevois notamment, qui considéraient l'Empire britannique comme un lieu approprié pour rebâtir la république, et pour Francis d'Ivernois, qui avait dédié son Tableau historique et politique des révolutions de Genève dans le dix-huitième siècle à sa majesté très-Chrétienne, Louis XVI, roi de France et de Navarre en 1782. 126. Michael SONENSCHER, « Republicanism, State Finances and the Emergence of Commercial Society in Eighteenth-century France – or from Royal to Ancient Republicanism », in Martin VAN GELDEREN et Quentin SKINNER (dir.), Republicanism : A Shared European Heritage, vol. II, op. cit., p. 286.

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Granville Sharp, un futur allié de Brissot dans le combat abolitionniste, défendra le même projet de constitution dans son « Memorandum on a Late Proposal for a New Settlement to be Made on the Coast of Africa, August 1783 », in An Account of the Constitutional English Polity of Congregational Courts : and more particularly of the great annual Court of the People, called The View of Frankpledge, Wherein the whole Body of the Nation was arranged into regular Divisions of Tithings, Hundreds, &c., deuxième édition, London, 1786, p. 263-281. 127. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, De la vérité, op. cit., p. 225. 128. AN 446 AP/3, dossier 4 no 31, marquis du Crest à Brissot, Paris, le 15 avril 1785. 129. AN 446 AP/3, dossier 4 no 34, marquis du Crest à Brissot, Paris, le 15 octobre 1785. 130. AN 446 AP/4, dossier 1, Brissot au marquis du Crest, Paris, 1786. 131. Ibid. 132. AN 446AP/4, dossier 1 n o 17, Discours à la société philanthropique d'Orléans sur l'Esprit public, novembre 1786. 133. Claude PERROUD, « Notice sur la vie de Brissot », in Claude PERROUD (dir.), Jacques-Pierre Brissot, Correspondance et papiers, op. cit., p. xliv. 134. « Brissot au marquis du Crest », in Claude PERROUD (dir.), Jacques-Pierre Brissot, Correspondance et papiers, op. cit., p. 154. 135. Ibid., p. 152. 136. Jean-André FAUCHER et Achille RICKER, Histoire de la franc-maçonnerie en France, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1967, p. 180. 137. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Un mot à l'oreille des Académiciens de Paris, 1786, p. 7. 138. Claude PERROUD (dir.), J.-P. Brissot. Mémoires, op. cit., tome 2, p. 54. 139. « Deuxième Séance, du 9 janvier 1787 », in Claude PERROUD (dir.), Jacques-Pierre Brissot, Correspondance et papiers, op. cit., p. 108. 140. Ibid., p. 109. 141. « Prospectus de la Société Gallo-Américaine », in Claude PERROUD (dir.), Jacques-Pierre Brissot, Correspondance et papiers, op. cit., p. 117. 142. AN 446 AP/5, dossier 2, n o 152, « Esquisse d'un club ou assemblée, ou meeting Gallo- américaine ». 143. Étienne CLAVIÈRE et Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, De la France et des États-Unis, ou De l'Importance de la Révolution de l'Amérique pour le bonheur de la France, des Rapports de ce Royaume et des États-Unis, des Avantages réciproques qu'ils peuvent retirer de leurs liaisons de Commerce, et enfin de la situation actuelle des États-Unis, Londres, 1787, p. ii. 144. Koen STAPELBROEK, « Neutrality and Trade in the Dutch Republic (1775-1783) : Preludes to a Piecemeal Revolution », in Manuela ALBERTONE et Antonio DE FRANCESCO (dir.), Rethinking the Atlantic World. Europe and America in the Age of Democratic Revolutions, Basingstoke et New York, Palgrave Macmillan, 2011, p. 111. 145. [Jacques-Pierre BRISSOT], « Quatrième lettre sur la dette nationale ; considérée relativement à la guerre de la Turquie », Point de Banqueroute, ou lettre à un créancier de l'État, sur l'impossibilité de la Banqueroute Nationale, et sur les moyens de ramener le Crédit et la Paix, Londres, 1787 p. 87. 146. Seymour DRESCHER, Abolition. History of Slavery and Antislavery, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, p. 214. 147. « Contrat de Brissot avec Clavière, Cazenove et Stadinski, pour sa mission aux États-Unis », in Claude PERROUD (dir.), Jacques-Pierre Brissot, Correspondance et papiers, op. cit., p. 180-181. Ceci est confirmé dans une lettre que Clavière adresse à Brissot : « J'ai grand besoin que quelque grand succès vienne à mon secours, car depuis longtemps je dépense beaucoup et je ne gagne rien. Je viens d'acheter une Compagnie à Suresnes qui lorsque tout sera payé me coûtera plus de 105 000 livres tournois. […] Faites donc, mon cher ami, que ces affaires en papiers américains prennent une tournure qui nous soit profitable » : AN 446 AP/5, dossier 4, no 1. Voir également la « Lettre V

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de M. Clavière à M. Brissot de Warville », in Jacques Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Nouveau voyage, op. cit., p. 32. 148. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Nouveau Voyage dans les États-Unis de l'Amérique Septentrionale, Fait en 1788, tome 1, Paris, 1791, p. 91. 149. Ibid., p. 146. 150. Ibid., p. 374. 151. Ibid., p. 150. 152. Ibid., p. 151. 153. Ibid. 154. Ibid. 155. AN 446 AP1, dossier 2, no 118. Lettre de Brissot à Félicité, Boston, 1er octobre 1788. 156. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Nouveau Voyage, op.cit, tome 1, p. 241. Voir également « Brissot à Clavière. New York, 15 août 1788 », dans Claude PERROUD (dir.), Jacques-Pierre Brissot, Correspondance et papiers, op. cit., p. 202. 157. Ibid., p. 245. 158. Ibid., p. 248. 159. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Nouveau voyage, op. cit., tome 2, p. 46. 160. Jacques-Pierre Brissot DE WARVILLE, Nouveau voyage, op.cit., tome 1, p. 310. 161. John A. WOODS, « The Correspondence of Benjamin Rush and Granville Sharp 1773-1809 », in Journal of American Studies, vol. 1, no 1, 1967, p. 3. 162. Jacques-Pierre Brissot DE WARVILLE, Nouveau voyage, op.cit., tome 1, p. 311. 163. Ibid. 164. Ibid., p. 312. 165. AN 446 AP/1, dossier 2, Brissot à Félicité Dupont, New York, le 19 septembre 1788. 166. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Nouveau voyage, op.cit, tome 2, p. 270. 167. Ibid., p. 265. 168. Ibid., p. 263. 169. Ibid., p. 270. 170. « La Fayette à Washington, en faveur de Brissot. 25 mai 1788 », dans Claude PERROUD (dir.), Jacques-Pierre Brissot, Correspondance et papiers, op. cit., p. 192. 171. Carla H. HAY, « American Revolution », The Historian, vol. 56, n 2, 1994, p. 301. Voir également Colin BONWICK, English Radicals and the American Revolution, Chapel Hill, 1977, et John SAINSBURY, Disaffected Patriots. London Supporters of Revolutionary America, 1776-1782, Montréal, McGill-Queen's University Press, 1987. 172. Initiés par la Chambre des Communes, et par son refus de valider l'élection de John Wilkes. 173. Ibid., p. 306-312. 174. Jonathan I. ISRAEL, Les Lumières radicales, op. cit., p. 103, Jonathan I. ISRAEL, Revolutionary Ideas. An Intellectual History of the French Revolution from The Rights of Man to Robespierre, Oxford et Princeton, Princeton University Press, 2014, p. 695-708, Jonathan I. ISRAEL, « Democracy and Equality in the Radical Enlightenment : Revolutionary Ideology before 1789 », in Manuela ALBERTONE et Antonio DE FRANCESCO (dir.), Rethinking the Atlantic World, op. cit., p. 46-60, Jonathan I. ISRAEL, Revolution of The Mind. Radical Enlightenment and the Intellectual Origins of Modern Democracy, Oxford et Princeton, Princeton University Press, 2010, et Jonathan I. ISRAEL, Enlightenment Contested : Philosophy, Modernity, and the Emancipation of Man 1670-1752, Oxford, Oxford University Press, 2006, p. 26-42. 175. Guy CHAUSSINAND-NOGARET, La noblesse au XVIIIe siècle. De la féodalité aux Lumières, Bruxelles, Éditions Complexes, 1984, p. 23. 176. Voir Robert DARNTON, « Dans la France prérévolutionnaire : des philosophes des Lumières aux ʽRousseau des ruisseauxʼ », in Bohème littéraire et révolution, op. cit., p. 57-82.

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177. Sébastien CHARLES, « Scepticisme et politique. Le cas Jacques-Pierre Brissot de Warville », in Tangence, no 106, 2014, p. 11-28. 178. AN 446 AP/6, dossier 1, Jefferson à Brissot, Paris, 1er septembre 1786. 179. AN 446 AP/5, dossier 5, Lettre de d'Arbaud de Montalet à Brissot, sans date. 180. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Nouveau voyage, op. cit., tome I, p. 16 181. Jonathan I. ISRAEL, Revolutionary Ideas, op. cit., p. 24. 182. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, De la vérité, op. cit., p. 256. À la page suivante, Brissot se rappelle que « ce bon patriote [genevois] aurait volontiers mis le reste du monde aux fers, pourvu que Genève eût été libre, tandis que le vœu de la philosophie est de répandre la liberté par tout l'univers. J'ai donc raison de dire que l'esprit républicain nuit doublement à l'esprit philosophique ». 183. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Tableau de la situation actuelle des anglais dans les Indes orientales, et de l'État de l'Inde en général, no 1, Londres, Cox, 1784, p. 14. 184. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Un défenseur du peuple à l'Empereur Joseph II, Dublin, 1785, p. 33. 185. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, De la vérité, op. cit., p. 14. 186. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, « Réflexions sur le code de Pennsylvanie », in Bibliothèque philosophique, op. cit., p. 240. 187. « Séance tenue le mardi 8 avril 1788, no 2 rue de Grammont », in Marcel DORIGNY et Bernard GAINOT, La société des Amis des Noirs 1788-1799. Contribution à l'histoire de l'abolition de l'esclavage, Paris, Éditions de l'UNESCO, 1998, p. 128. 188. Olivier GRENOUILLEAU, La Révolution abolitionniste, Paris, Gallimard, 2017, p. 201-251, et Olivier (PÉTRÉ-)GRENOUILLEAU, « Abolitionnisme et démocratisation », in Olivier (PÉTRÉ-)GRENOUILLEAU (dir.), Abolir l'esclavage. Un réformisme à l'épreuve (France, Portugal, Suisse, XVIIIe-XIXe siècles), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 13. 189. Olivier (PÉTRÉ-)GRENOUILLEAU, « Les facteurs de l'abolitionnisme occidental. D'une démarche explicative à une approche compréhensive », in Droits, vol. 1, no 51, 2010, p. 100. 190. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, De la vérité, op. cit., p. 42. 191. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Un défenseur du peuple à l'Empereur Joseph II, op. cit., p. 33. 192. Annie JOURDAN, « La république d'avant la République (1760-1791). Voyages français en terres de liberté », in Gilles BERTRAND et Pierre SERNA (dir.), La République en voyage 1770-1830, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013, p. 52. 193. Fernand DUMONT, Le lieu de l'homme. La culture comme distance et mémoire, Montréal, Editions HURTUBISE HMH, 1971, p. 54. 194. Fernand DUMONT, Les idéologies, Paris, Presses Universitaires de France, 1974, p. 119. 195. Homi K. BHABHA, Les Lieux de la culture. Une théorie postcoloniale (trad. F. Bouillot), Paris, Éditions Payot et Rivages, 2007 p. 64. 196. Keith Michael BAKER, Au tribunal de l'opinion, op. cit., p. 179. 197. Hannah ARENDT, La condition de l'homme moderne, Paris, Calman-Lévy, 1961, p. 259. 198. Quentin DELUERMOZ et Pierre SINGARAVÉLOU, Pour une histoire des possibles, op. cit., p. 256. 199. Walter BENJAMIN, « Sur le concept d'histoire », in Sur le concept d'histoire, Paris, Payot et Rivages, 2013, p. 60. 200. Antoine BERMAN, L'âge de la traduction. « La tâche du traducteur » de Walter Benjamin, un commentaire, Paris, Presses Universitaires de Vincennes, 2008, p. 40. 201. Pierre SERNA, « Le pari politique de Brissot ou lorsque le Patriote Français, l'Abolitionniste Anglais et le Citoyen Américain sont unis en une seule figure de la liberté républicaine », art.cit. 202. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Théorie des lois criminelles, op.cit, tome 1, p. 210.

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203. Cette conception renvoie au sens arendtien de l'acte, à la fois comme geste concepteur et conséquent : Hannah ARENDT, La condition de l'homme moderne, op. cit., p. 259.

RÉSUMÉS

Le rapport entre esprit philosophique et esprit républicain est au cœur des dernières grandes études sur la Révolution française. C’est notamment le cas de celle de Jonathan Israel, qui aborde la question par les idées. Cet article vise à nuancer cette approche en donnant la part belle au vécu et en portant son attention sur l’un des protagonistes de la Révolution, Jacques-Pierre Brissot. L’intérêt est moins de formuler une critique des thèses d’Israel sur les ferments de la Révolution que d’ouvrir les recherches sur les trajectoires républicaines avant l’avènement de la République, indissociables du parcours de vie, du cheminement philosophique et des profondes mutations du républicanisme dans l’imaginaire politique de l’Ancien Régime. En faisant cela, il nous sera non seulement possible de relier pensées et actions, mais aussi de restituer toute l’originalité du républicanisme de Brissot, pris entre ses influences philosophiques et ses expériences politiques à Genève, Londres, Paris, Amsterdam, Boston et New York, entre les institutions monarchiques et le projet républicain, et entre la tradition classique et la tonalité moderne de ce dernier. En articulant l’ensemble de ces dimensions et en introduisant la république par le bas, il nous sera possible de révéler la portée d’une république informelle, transnationale et réellement existante dans laquelle Brissot évoluait, lui permettant d’enrichir sa vision philosophique et ses tactiques politiques en vue de les appliquer au contexte et aux circonstances nationales de son époque.

The link between the philosophical and republican spirits is at the core of the last great studies on the French Revolution. This is the case of the Jonathan Israel’s analysis, which broaches the subject from above, through ideas. This article aims to nuance this approach by focusing on the life on one of the protagonists of the Revolution, Jacques-Pierre Brissot. The interest is not so much to express a critical account on the thesis of Israel on the germ of the Revolution as to open researches on republican trajectories before the advent of the Republic, inseparable from the development and deep mutations of republicanism and the thought processes that led to it in the political imaginary of the Ancien Regime. By doing so, it will serve not only to rely thoughts and acts but also to reproduce the originality of Brissot’s republicanism, caught between his philosophical influences and political experiences in Geneva, London, Paris, Amsterdam, Boston and New York, between the monarchical institutions and the republican project, and between the classical tradition and the modern tones of the latter. Articulating all these dimensions and defining the republic from below, it is possible to unveil the significance of an actually existing, transnational and informal republic from which Brissot was able to improve his philosophical vision and political tactics in order to apply them in the national context and circumstances of his time.

INDEX

Keywords : Jacques-Pierre Brissot, republic, republicanism, Enlightenment, history from below Mots-clés : Jacques-Pierre Brissot, république, républicanisme, Lumières, histoire par le bas

La Révolution française, 13 | 2018 201

AUTEUR

RÉGIS COURSIN Chercheur postdoctoral Université de Montréal (CERIUM/REDTAC)

La Révolution française, 13 | 2018