fey d a e dult au & es adul tère er DISTRIBUTION : 1 Bertrand Alain mars Sophie Dion Chantal Dupuis Olivier Normand

Patrick Ouellet 26 Monika Pilon mars CONCEPTION : 1 6 Textes : Georges Feydeau 2 0 Mise en scène : Jacques Leblanc Assistance à la mise en scène : Jocelyn Paré Décor : Ariane Sauvé Costumes : Sébastien Dionne Lumières : Félix Bernier Guimond Musique : Fabrice Tremblay fey d a e dult au & es adul tère 44 LES CAHIERS DE LA BORDÉE / saison 2015-2016

LÉONTINE, bien nette : Écoutez, Moricet, quand on se marie, on se jure fidélité entre époux… MORICET, railleur : Oh ! c’est parce que le maire vous le demande. LÉONTINE, même jeu : N’importe. Tant que je croirai que mon mari tient son serment, je ne trahirai pas le mien ! MORICET, même jeu : Oui, « messieurs les Anglais, tirez les premiers ! » LÉONTINE : Voilà ! Ah ! par exemple, que demain seulement, il me soit prouvé que mon mari me trompe, qu’il a une liaison et je vous jure que c’est moi qui irai à vous et vous dirai : « Moricet, vengez-moi ! » MORICET, avec transport : Vrai ? Ah ! Léontine ! LÉONTINE, lui coupant son élan : Mais… comme je sais très bien que c’est une hypothèse impossible1… Extrait de Monsieur chasse !, acte III, scène I

En mars 2016, Georges Feydeau, le maître du vaudeville, fait sa toute première apparition à La Bordée, et de manière très festive et interactive. En effet, le ­public sera partie prenante du spectacle, puisque c’est lui qui décidera du déroulement de la soirée. Ainsi, les spectateurs, avec l’aide d’un maître de céré- monie, auront à choisir parmi un certain nombre de courtes comédies de l’au- teur. Les acteurs seront donc sur un pied d’alerte, car le programme ne sera jamais le même d’un soir à l’autre.

Dans une ambiance de de la « Belle Époque » parisienne, où chan- sons et numéros comiques vont alterner avec les textes de Feydeau, La Bordée ­propose donc une soirée de théâtre « à la carte », une soirée vivante, éclatée, remplie de surprises et de rebondissements, à l’image du théâtre de l’auteur.

1 Georges FEYDEAU, Théâtre complet, tome 1, , Classiques Garnier, 2011, p. 867. 44 LES CAHIERS DE LA BORDÉE / saison 2015-2016

Au menu

Dans les textes de Feydeau, le couple et l’institution du mariage sont r­ udement mis à l’épreuve. L’infidélité est souvent au rendez-vous. Les personnages ­veulent croire en l’amour, mais ils sont emportés par leurs soupçons, ils s’empêtrent dans des situations burlesques dominées par la méprise et le quiproquo. C’est le cas dans Monsieur chasse ! (1892), où Ducholet fait croire à son épouse, ­Léontine, qu’il va chasser, alors qu’en réalité, il part rejoindre sa maîtresse, la femme de son ami Cassandre. Léontine, de son côté, est courtisée par le ­docteur Moricet, dont elle refuse les avances jusqu’à ce qu’elle découvre l’imposture de son époux. Le hasard amènera les deux couples irréguliers à se rejoindre dans un même immeuble, le 40, rue d’Athènes.

Dans Le système Ribadier (1892), le mari infidèle, Ribadier, utilise non pas la chasse, mais un don d’hypnotisme pour se jouer de son épouse, Angèle, à qui il reproche sa jalousie excessive. Il faut préciser qu’elle a développé ce défaut après la mort de son premier mari en découvrant que ce dernier la trompait depuis des années. Ribadier croit qu’il ne pourra jamais éveiller les soupçons d’Angèle, puisqu’il l’endort avant ses escapades et ne la réveille qu’à son retour. Mais tout se gâte quand Thommereux, épris d’Angèle, revient d’exil pour lui déclarer son amour. Ne se doutant de rien, Ribadier confie ses secrets à­Thommer eux et lui offre même le gîte. Tout est maintenant en place pour que le « système » mis en place par Ribadier se dérègle.

C’est encore une situation d’adultère qui est le point de départ de ­l’intrigue de Gibier de potence (1883). L’herboriste Plumard veut se venger de sa femme, Pépita, chanteuse de music-hall, parce qu’elle le trompe avec son ami ­Taupinier. Il écrit donc au commissariat de police une lettre l’informant qu’un dangereux criminel se trouvera chez lui à dix-sept heures, heure à laquelle Taupinier vient habituellement rencontrer Pépita. Sur l’entrefaite se présente un certain ­Lemercier, admirateur de la chanteuse, qui ressemble étrangement à un meurtrier recherché par la police. Pendant que Pépita court avertir le commissaire, ­Taupinier, laissé seul avec le présumé assassin, se sent obligé de lui faire peur en se présentant lui-même comme un criminel, de quoi confondre le délégué du commissaire qui se présentera à l’appartement.

Dans d’autres courtes pièces, sans nécessairement qu’il y ait infidélité, ­Feydeau met en scène des couples bourgeois qui se disputent, souvent pour des bana­ lités. Par exemple, dans Mais n’te promène donc pas toute nue ! (1911), le député Ventroux reproche à sa femme de toujours se promener en tenue légère devant leur fils et leur domestique. La situation prend une tournure encore plus gênante quand un important industriel, M. Hochepaix, est reçu par Ventroux.

44 LES CAHIERS DE LA BORDÉE / saison 2015-2016

Feu la mère de Madame (1908), pour sa part, est une longue scène de ménage s’amorçant quand Yvonne est réveillée par son mari, Lucien, qui rentre très tard du bal des Quat’z’Arts. Cerise sur le gâteau de cette nuit houleuse : un messager­ commet une horrible méprise en leur annonçant la mort de la mère de Madame.

C’est la relation maître-valet qui est au centre de la pièce Dormez, je le veux ! (1897). Dans cette comédie, Justin, domestique au service de Boriquet, comme le protagoniste du Système Ribadier, a un don d’hypnotiseur. Il s’en sert non pas pour tromper une épouse, mais bien son maître, en particulier pour lui faire faire des tâches ménagères à sa place. Mais cette situation est mise en péril, puisque Boriquet envisage de se marier. Justin va tout mettre en œuvre pour empêcher ce mariage.

Enfin, Fiancés en herbe (1886) est une très courte pièce fantaisiste mettant en scène deux enfants, Henriette (neuf ans) et René (onze ans), qui sont en train d’apprendre Le corbeau et le renard, de La Fontaine, en attendant l’arrivée de leur institutrice. Ils vont vite délaisser la fable, qu’ils trouvent embêtante, pour se livrer à des réflexions sur l’amour et le mariage.

HENRIETTE : J’ai promis à papa que je l’épouserais. RENÉ : Mais on n’épouse pas son père !... HENRIETTE : Pourquoi donc ?... RENÉ : Parce qu’il est de votre famille. HENRIETTE : Quoi ! il a bien épousé maman ! Il me semble que c’est bien de sa famille. RENÉ : Ah ! oui, mais ça, c’est permis… on peut épouser sa femme2 ! Extrait de Fiancés en herbe

2 Ibid., p. 210. 55 LES CAHIERS DE LA BORDÉE / saison 2015-2016

GEORGES FEYDEAU (1862–1921)

Il y a des gens qui supposent qu’une pièce, parce qu’elle est légère d’allures et sans prétention, est aisée à construire. Ils ne soupçonnent pas tout ce qui concourt à sa réussite : et la prudence des préparations, et la surprise des coups de théâtre, et l’incident inattendu dont il faut corser l’exposition pour secouer les nerfs des blasés et les empêcher de crier dans les couloirs le jour de la répétition générale : « Nous avons vu ça cent fois. C’est crevant3 ! » Georges Feydeau

Né à Paris le 8 décembre 1862 au sein ses camarades, le ­Cercle des Casta­ d’une famille plutôt aisée, Georges gnettes, troupe avec laquelle il se fait ­Feydeau baigne dans les milieux lit- interprète de Molière et de Labiche. téraires dès son jeune âge. Son père, Il y présente également ses propres ­Ernest Feydeau, courtier en bourse monologues comiques, genre très en mais aussi écrivain, fréquentait le vogue à la fin duxix e siècle dans les monde des arts et des lettr­ es et salons parisiens. C’est d’ailleurs avec comptait parmi ses amis intimes ce genre que Feydeau entend se faire Gustave Flaubert, Alexandr­ e Dumas connaître du milieu théâtral. Partout fils, Théophile Gautier. Il n’est donc où il passe, le public est séduit par pas étonnant que le jeune Georges ses talents d’auteur, de comédien, et ait mani­festé très tôt un goût marqué même d’imitateur. pour le théâtre. On raconte qu’à six ans, après qu’on l’ait emmené pour la En 1882, à 19 ans, Feydeau fait jouer première fois au théâtre, il aurait écrit sa première pièce en un acte, Par la sa première pièce, avec l’appui de son fenêtre, devant un « vrai » public, et père, même si, pour ce faire, il devait non pas devant les invités choisis des négliger ses études. ­cercles littéraires et des salons. L’ac- cueil est excellent. Motivé, il récidive En 1871, il entre comme interne au l’année suivante avec Amour et piano lycée Saint-Louis, à Paris. Encouragé ainsi que Gibier de potence. En 1883, il par Henri Meilhac, célèbre auteur doit partir faire son service militaire, dramatique de l’époque, Feydeau mais il trouve quand même du temps continue de rédiger des pièces. À pour écrire Tailleur pour dames. l’âge de 14 ans, il fonde, avec un de

3 Propos de Georges Feydeau reproduits dans : Arlette SHENKAN, Georges Feydeau, ce méconnu, Montréal, Éditions Multimédia Robert Davies, 2001, p. 134. 55 LES CAHIERS DE LA BORDÉE / saison 2015-2016

De 1884 à 1886, il est secrétaire du de son époque. Toutefois, il devra se Théâtre de la Renaissance. Durant départir d’une bonne partie de ses cette ­période, il hésite entre la carrière acquisitions en 1901 et en 1903 à de comédien et celle d’auteur. Mais cause de difficultés financières, le succès de Tailleur pour dames en nulle­ment étrangères à son penchant 1886 l’incite à se consacrer plus que pour le jeu et la vie nocturne de Paris. jamais à l’écriture. Artiste accompli, En même temps, ses infidélitésfer­ ont Georges Feydeau s’intéresse aussi à en sorte qu’il sera obligé de quitter la peinture. Il prend des leçons du le domicile conjugal en 1909 (une portraitiste Carolus-Duran, dont il séparation qui aboutira au divorce épouse la fille en 1889. en 1916).

Après Tailleur pour dames en 1886, À partir de 1908, las d’écrire des Feydeau essuie plusieurs échecs, vaudevilles, Feydeau se consacre à et sa situation financière s’en trouve une série de « farces conjugales » affectée. Heureusement, le vent tourne en un acte, dans lesquelles il tourne en 1892 alors qu’il connaît son pre- en ridicule les mésententes dans les mier véritable triomphe avec couples. Feu la mère de Madame Monsieur chasse ! Suivront une série (1908) est la première de ces farces. de succès qui feront de l’auteur une Elle sera suivie, entre autres, de On célébrité : Champignol malgré lui purge bébé (1910), Mais n’te promène (1892), Le système Ribadier (1892), Un donc pas toute nue ! (1911) et Hor­ fil à la patte (1894), L’hôtel du libre- tense a dit : « Je m’en fous ! » (1916). échange (1894), Le dindon (1896). ­Peut-être inspiré par sa propre vie Déjà à cette époque, les comédies conjugale, Feydeau avait comme pro- de ­Feydeau traversent les frontières, jet de réunir ces farces sous le titre Du elles sont traduites en plusieurs mariage au divorce. langues et jouées ­partout en Europe et même aux États-Unis. En 1899, le En 1919, il projette l’écriture d’un succès de La dame de chez Maxim scénario de film pour Charlie est phénoménal. La pièce sera jouée ­Chaplin. Mais ce projet ne verra pas toute l’année et reprise en 1900. le jour puisque, la même année, les premiers troubles psychiques liés à Toutes ces années de gloire ont véri- la syphilis se font sentir. Ses fils l’ins­ tablement consacré Georges ­Feydeau tallent dans une maison de santé où comme le « maître du vaudeville ». il rendra l’âme deux ans plus tard, Elles lui ont aussi permis de s’enri­ le 5 juin 1921. Il laisse en héritage chir et de s’acheter des dizaines de plus d’une soixantaine de pièces et tableaux impressionnistes, faisant de monologues. lui un des plus grands collectionneurs­

55 LES CAHIERS DE LA BORDÉE / saison 2015-2016

Le maître du vaudeville importune, qui donne un caractère on ne peut plus burlesque aux situa­ On dit généralement de Georges tions dramatiques : « Quand je fais ­Feydeau qu’il est le « maître du une pièce, je cherche­ parmi mes vaudeville ». Le genre existait bien personnages quels sont ceux qui ne avant lui, mais il a su le réinventer en doivent pas se rencontrer. Et ce sont apportant la rigueur, la cohérence et ceux-là que je mets aussitôt que pos- la structure qui lui faisaient défaut. sible en présence4… » Il a aussi donné plus de vérité et de finesse aux fantoches stéréotypés Par ailleurs, pour Feydeau, les per- du vaudeville traditionnel, souvent­ sonnages et l’intrigue ne suffisent sans substance et sans lien avec pas pour faire une grande comédie. leur époque. Feydeau a puisé ses Le rythme et le mouvement sont personnages dans la réalité contem- essentiels. En tant que metteur en poraine. Ceux-ci sont devenus des scène, il dirigeait ses comédiens avec représentants de la « bonne société » une rigueur extrême et était sans parisienne du tournant du xxe siècle, pitié pour ceux qui ne respectaient qu’il a plongés dans des situations pas le tempo et le mouvement rapide totalement burlesques. C’est là toute qu’il avait prévus. L’abondance de l’originalité de l’auteur par rapport à didascalies5 dans ses textes ­témoigne ses prédécesseurs. ­d’ailleurs de sa méticulosité. Rien n’est laissé au hasard, et tous les Feydeau est aussi reconnu comme moindres détails s’intègrent dans une un as de l’intrigue. Cette intrigue, logique dramatique réglée comme elle repose d’abord sur le quipro- un système d’horlogerie : « Une fois quo. C’est en effet de la méprise que la donnée de départ acceptée, on naissent les situations comiques. chercherait en vain quelque faille On le voit, par exemple, dans Le sys- dans la série des causes et effets tème Ribadier, alors que l’essentiel­ trop souvent, mais à juste titre, com- de ­l’intrigue part du fait que le mari parée à une horlogerie sans défaut. confie, sans s’en douter, ses plus D’ailleurs, les personnages, saisis par grands secrets à son rival amoureux. cet infernal engrenage, se métamor- Une autre force que Feydeau exploite phosent eux-mêmes sur la scène en dans ses intrigues, c’est la rencontre simples éléments mécaniques6. »

4 Propos de Georges Feydeau reproduits dans : Arlette SHENKAN, Georges Feydeau, ce méconnu, op. cit., p. 137. 5 Didascalies : indications de jeu dans un texte dramatique, souvent en italique. 6 Extrait de la préface de Henry Gidel dans : George FEYDEAU, Pièces courtes, monologues, vaudevilles et comédies, Paris, Omnibus, 2008, p. IX. 55 LES CAHIERS DE LA BORDÉE / saison 2015-2016

Enfin, on pourrait penser que cette toujours défendu de faire parler ses rigueur alourdit les dialogues, mais personnages de manière « littéraire ». c’est tout le contraire qui se produit, Selon lui, le théâtre est un art vivant, car les précisions et les détails sont au et, comme il le dit, « dans la vie, on service du mouvement, de la dyna­ ne parle pas comme en littérature ». mique. Les répliques sont ­courtes, Le langage qu’il utilise pour ses dia- directes ; chaque geste, chaque mouve- logues sert donc exclusivement ment est prévu dans un souci d’écono- l’action, qui est « la base même du mie. Quant au ­langage, ­Feydeau s’est vaudeville ».

55 LES CAHIERS DE LA BORDÉE / saison 2015-2016

LA BELLE ÉPOQUE

L’apogée de la carrière de Georges Feydeau coïncide avec une période de l­’histoire européenne qu’on a nommée la « Belle Époque ». Elle s’étend de la toute fin du xixe siècle jusqu’au début de la Première Guerre mondiale. Elle est marquée par de grands progrès sociaux, économiques, scientifiques, et aussi par un foison­ nement culturel et artistique, qui profite surtout aux classes bourgeoises.

U ne période de prospérité

Après la guerre franco-allemande de 1870, la France connaît une période de paix relativement longue (quatre décennies), qui est favorable au développement et à la consolidation de son pouvoir. Le gouvernement met tout en œuvre pour imposer les valeurs républicaines. Si, d’un côté, on entretient un désir de revanche contre l’Allemagne, qui a annexé les territoires de l’Alsace et de la Lorraine, de l’autre, on calme les esprits en adoptant une série de lois pour favoriser la liberté d’expression, la liberté syndicale ainsi que la laïcité et la démocratisation de l’enseignement.

Un sentiment nationaliste s’affermit au sein de la population française, qui prend de plus en plus conscience de faire partie d’une grande puissance, un des plus grands empires coloniaux de son époque. Paris se développe et se modernise pour devenir le symbole du prestige national. L’avenir semble offrir toutes les possibilités­ à cette France qui s’épanouit. Prospérité, joie de vivre, insouciance sont dans l’air du temps, surtout après la dépression économique des années 1880.

Par ailleurs, la Belle Époque doit son nom surtout à une bourgeoisie qui profite pleinement de sa richesse, jouit des progrès et des divertissements culturels, voyage beaucoup. Paris est le terrain de jeu de cette classe aisée. C’est aussi dans cette France des privilégiés qu’est né Feydeau ; son père est issu d’une famille noble et travaille dans le monde de la finance (en plus de fréquenter les milieux littéraires). Les personnages de Feydeau proviennent justement de cette bourgeoisie qu’il connaît bien.

La bourgeoisie française est très hiérarchisée. C’est pourquoi il convient de distinguer­ la petite bourgeoisie (petits rentiers, fonctionnaires), la moyenne bourgeoisie (petits patrons, avocats, médecins) et la grande bourgeoisie de la finance et de la politique. Les plus riches bourgeois vivent au cœur de Paris, dans des hôtels particuliers, et animent de leur présence les salons, les récep- tions mondaines, les galeries d’art et les salles de spectacles.

55 LES CAHIERS DE LA BORDÉE / saison 2015-2016

Cette époque n’est cependant pas aussi « belle » pour une bonne partie de la population, qui vit dans la pauvreté et la précarité. C’est le cas notamment de nombreux ouvriers qui, malgré des améliorations de leurs conditions au début des années 1900, doivent encore supporter des journées de travail harassantes dans la crainte constante du chômage.

U ne période de progrès

Le climat qui règne au tournant du xxe siècle est marqué par l’optimisme et la croyance en un progrès de l’humanité qui se traduira par de nombreuses avancées technologiques et scientifiques. La tour Eiffel, plus haute tour jusqu’alors jamais construite, érigée lors de l’Exposition universelle de 1889 pour souligner le centenaire de la Révolution, devient l’emblème de ce progrès à l’échelle mondiale.

La biologie, la chimie, la médecine, la physique ont connu de véritables ­révolutions durant cette époque. Par exemple, en 1885, Louis Pasteur découvre le vaccin contre la rage. Trois ans plus tard, il fonde l’institut qui porte son nom, le premier centre de recherche scientifique. En 1903, Pierre et Marie Curie, de leur côté, partagent, avec Henri Becquerel, le prix Nobel de physique pour la découverte de la radioactivité. La Belle Époque, c’est aussi celle de ­nombreuses inventions qui allaient être déterminantes dans l’histoire du xxe siècle : le ­premier moteur à explosion, la première automobile, le premier film, le premier aéro- plane, le premier réseau de distribution de l’électricité, la première radio TSF (téléphonie sans fil), etc.

U ne période de divertissement et de créativité

Ce foisonnement d’idées trouve aussi son écho dans le monde artistique et cultur­ el. Paris est devenue la capitale mondiale du divertissement, de la mode et du loisir, pour ceux qui en ont les moyens, évidemment. C’est aussi une ­époque florissante pour les du quartier Pigalle, notamment le , qui a ouvert ses portes en 1889, et que le peintre Toulouse-Lautrec a immortalisé dans ses œuvres.

55 LES CAHIERS DE LA BORDÉE / saison 2015-2016

En peinture, plusieurs mouvements d’avant-garde voient le jour. Les impres- sionnistes ouvrent la voie aux cubistes, aux expressionnistes et à l’Art nouv­ eau. C’est l’époque des Monet, Cézanne, Renoir, Van Gogh, Gauguin, Matisse, Braque, Picasso. Auguste Rodin, de son côté, révolutionne la avec la liberté de ses formes. Sur le plan littéraire, certains se passionnent pour les technologies et les inventions, comme Victor Hugo, alors que d’autres voient plutôt dans la modernité la déchéance de l’homme, comme Guy de Maupassant.

La Belle Époque est aussi une période bénie pour le théâtre français. Depuis le milieu du xixe siècle, les Parisiens ont pris l’habitude de fréquenter les scènes de ce qu’on appelait le « Boulevard » (le boulevard du Temple, aussi surnommé le « boulevard du crime », à cause des histoires de meurtres qui y étaient présentées). On y jouait des mélodrames et des vaudevilles, genres qui plaisaient à un public­ bourgeois en quête de plaisirs et de légèreté. Au tournant du siècle, même si la vie du Boulevard s’est un peu effritée, Paris continue d’être un ­carrefour théâtral incontournable. On vient de partout pour applaudir ses comédiens chéris, comme Sarah Bernhardt, ou des auteurs comme Georges ­Feydeau, Georges Courteline ou Sacha Guitry.

Durant la même période, on assiste aussi à un renouvellement des genres au théâtre. Les auteurs de vaudeville connaissent toujours de francs succès, mais on s’oriente de plus en plus vers la comédie de mœurs, à la tonalité moins légère. Par ailleurs, André Antoine, en fondant le Théâtre-Libre en 1887, allait révolutionner l’esthétique théâtrale en insistant sur l’importance du réalisme sur scène pour donner au spectateur l’illusion qu’il assiste à une tranche de vie « authentique ». Il donne également une place centrale au metteur en scène qui, jusque-là, était surtout confiné à un rôle de technicien. Enfin, d’autres genres vont aussi s’affirmer, par exemple le symbolisme, qui propose un théâtre plus évocateur, et même le romantisme, qui fera un retour marqué en 1897 avec Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand.

55 LES CAHIERS DE LA BORDÉE / saison 2015-2016

L E VAudeVILLE

Il faut remonter aussi loin qu’au xve siècle pour retracer les origines du ­vaudeville, qui, à cette époque, n’était pas un genre dramatique. Il s’agissait plutôt d’un type particulier de chansons sur des airs populaires auxquels un certain poète, Olivier Basselin, aurait appliqué des textes satiriques. On aurait appelé ces chansons des « vaux-de-vire », en référence à la vallée de Vire, en Normandie, d’où était originaire le poète. Le terme s’est ensuite progressivement modifié pour devenir vaudeville.

Ce n’est qu’à la fin duxvii e siècle que le vaudeville fait son apparition sur les scènes de théâtre. Ce sont d’abord les Comédiens Italiens qui introduisent des chansons dans leurs spectacles, donnant naissance à un genre qu’on appelait « comédie en vaudeville ». Après l’expulsion des Comédiens Italiens de Paris, les vaudevilles sont repris par les théâtres de foire. À la veille de la Révolution de 1789, le vaudeville a ses propres salles et ses propres auteurs. Les sections parlées se mêlent de plus en plus aux chansons. Ces dernières ont comme fonction de résumer l’action, d’apporter des éclaircissements ou même de remplacer certains dialogues. Les amours contrariés, les scènes de ménage, les conflits entre générations sont des thèmes récurrents.

À partir de la fin du xviiie siècle, le vaudeville connaît un essor considérable, notamment parce que la population a besoin de se divertir après des années de révolution et de guerre. On retrouve deux types de pièces : le « vaudeville ­anecdotique », qui s’appuie sur un fait contemporain, et le « vaudeville-farce », qui parodie, par exemple, des opéras ou des drames. Si la qualité des produc- tions laisse souvent à désirer, les deux plus grands vaudevillistes du xixe siècle, avant Feydeau, soit Eugène Scribe et Eugène Labiche, réussissent, grâce à une structure dramatique plus rigoureuse, à donner du lustre au genre.

À partir de 1860, le vaudeville perd ses couplets chantés et se définit ­davantage comme une comédie gaie fondée sur le comique de situation. Le public commence­ toutefois à se lasser de ce genre et se tourne vers l’opérette et les revues, qui gagnent en popularité. Le terme vaudeville devient démodé et prend même une connotation péjorative. Comme on le sait, il faudra Georges Feydeau pour réinventer le genre, lui redonner ses lettres de noblesse et le faire entrer dans la postérité. Il en est l’auteur le plus génial, parce qu’il « incarne un vaudeville enfin débarrassé de tout complexe vis-à-vis du « grand art »7.

7 Jacqueline de JOMARON (sous la direction de), Le théâtre en France : du Moyen Âge à nos jours, Paris, Armand Colin, 1992, p. 698. 55 Pour en savoir plus…

FEYDEAU, Georges. Pièces courtes, monologues, vaudevilles et comédies, Paris, Omnibus, 2008.

FEYDEAU, Georges. Théâtre complet, 4 tomes, Paris, Classiques Garnier, 2011.

GIDEL, Henry. Georges Feydeau, Paris, Flammarion, 1991.

JOMARON, Jacqueline de (sous la direction de). Le théâtre en France : du Moyen Âge à nos jours, Paris, Armand Colin, 1992.

SHENKAN, Arlette. Georges Feydeau, ce méconnu, Montréal, Éditions Multimédia Robert Davies, 2001.

VIALA, Alain (sous la direction de). Le théâtre en France, Paris, Presses universitaires de France, 2009.

Quelques sites ­Internet :

http://www.alalettre.com/feydeau.php Information sur Georges Feydeau : biographie, œuvres

http://www.herodote.net/La_Belle_epoque_ -synthese-423.php Information sur la Belle Époque

http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/ vaudeville/100891 Information sur le vaudeville

55