Les Tensions Identitaires, Thématiques Et Formelles Dans L'œuvre De Yasmina Khadra
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Jędrzej Pawlicki Les tensions identitaires, thématiques et formelles dans l’œuvre de Yasmina Khadra Praca doktorska napisana pod kierunkiem prof. dr. hab. Jerzego Lisa oraz dr Joanny Teklik w Instytucie Filologii Romańskiej UAM Poznań 2013 1 TABLE DES MATIÈRES Introduction…………………………………………………………...…………4 1. Le premier projet littéraire : éthique des exclus…………………………….18 2. La geste algérienne : légendes du peuple……………………….…………...34 3. La série policière : l’Algérie en déroute………………………………..……47 4. Le diptyque de la décennie noire : genèse de la violence………………..…..67 5. L’œuvre autobiographique : défense de l’intégrité………………………….89 6. Le tableau du XXIe siècle : nouveaux enjeux du terrorisme……………….127 7. La guerre de libération nationale : une Algérie plurielle…………………...146 8. Les formes brèves : devoir de rebondir…………………………………….170 Conclusion…………………………………………………………………….183 Bibliographie………………………………………………………………….189 2 Dans le présent travail, les œuvres citées seront signalées par les abréviations suivantes : Amen ! – A Houria – H La fille du pont – FDP El Kahira. Cellule de la mort – KCM De l’autre côté de la ville – DCV Le privilège du phénix – PP Le Dingue au bistouri – DAB La foire des enfoirés – FDE Le quatuor algérien (La part du mort, Morituri, Double blanc, L’automne des chimères) – QA Les agneaux du Seigneur – ADS À quoi rêvent les loups – ARL L’écrivain – E L’imposture des mots – IM Les hirondelles de Kaboul – HK Cousine K – CK Frenchy – F L’attentat – AT Les sirènes de Bagdad – SB La Rose de Blida – RB Ce que le jour doit à la nuit – JDN L’Olympe des Infortunes – OI L’équation africaine – EA Les chants cannibales – CC 3 INTRODUCTION De nombreuses raisons stimulent l’intérêt du public et de la critique pour la littérature algérienne de langue française : actualités sanglantes de l’Algérie, difficultés dans les relations algéro-françaises, commémorations de l’histoire (cinquantenaire de la guerre de libération nationale en 2012), montée des nouvelles générations des écrivains ou, tout simplement, goût pour les études francophones dans un monde voué au multiculturalisme. La spécificité linguistique de l’Algérie où coexistent quatre langues dont deux sont parlées (le berbère et l’arabe dialectal) et deux autres écrites (l’arabe classique et le français) contribue aussi à augmenter l’intérêt des chercheurs, soucieux d’analyser les multiples tensions qui en résultent. Il y a plusieurs composantes de l’identité algérienne dont l’arabité et l’islamité qui, à côté de la berbérité, de la judaïté et de la chrétienté, lui donnent ensemble une dimension méditerranéenne1. L’Algérie est donc un creuset de civilisations, un atelier du monde contemporain où un modus vivendi de différents héritages culturels s’élabore. Une telle expérience n’est jamais exempte de la violence qui se produit suite aux affrontements entre les diverses communautés ethniques et/ou culturelles. Les tensions culturelles et sociales trouvent leur reflet dans la littérature qui rend compte des déchirements dans l’histoire de l’Algérie au XXe siècle. Le siècle passé est une clé pour la compréhension de l’ « âme algérienne ». La guerre de libération nationale, les départs massifs des pieds-noirs, les premières années de l’indépendance, la construction de l’État moderne sur les ruines du colonialisme, la mise en place de l’idéologie panarabe et la guerre civile fournissent des thèmes aux auteurs qui construisent un système de références de la jeune nation. Il est complété par le recours aux grandes figures de l’histoire et de la résistance algériennes : émir Abd el-Kader, chef de la révolte contre l’armée coloniale au XIXe siècle, Messali Hadj, militant et père fondateur des premiers partis politiques algériens, cheikh Ben Badis, auteur du renouveau de l’islam en Algérie conformément au fameux slogan : « L’arabe est ma langue, l’Algérie est mon pays, l’islam est ma religion », et Ferhat Abbas, partisan d’une Algérie multiculturelle dont la carrière témoigne des impasses de la politique infructueuse de la métropole2. L’identité algérienne se crée dans un processus accéléré qui embrasse une cinquantaine d’années entre le 1 S. Benaïssa, « L’histoire d’un exilé de l’histoire », dans : B. Chikhi, M. Quaghebeur (dir.) Les écrivains francophones interprètes de l’Histoire. Entre filiation et dissidence, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, coll. « Documents pour l’Histoire de la Francophonie », 2006, p. 261. 2 A.-G. Slama, La guerre d’Algérie. Histoire d’une déchirure, Paris, Gallimard, 1996, p. 42. 4 déclenchement de la guerre de libération en 1954 et la fin de la guerre civile vers 2000. Cette accumulation d’événements cruciaux pour la condition contemporaine de l’Algérie et la mémoire collective de ses habitants provoque un foisonnement de textes susceptibles d’exprimer les drames et les ruptures vécus par les Algériens. C’est pourquoi l’apparition de la littérature algérienne de langue française est liée au processus d’émancipation dont l’aboutissement était la guerre de libération 1954-1962. La littérature algérienne est donc soumise aux tensions immanentes à toute littérature émergente et répond aux besoins de la communauté3. Sollicitée par l’élite algérienne francophone restreinte et la gauche française métropolitaine gagnée à la cause algérienne, elle bénéficiait de l’actualité pour s’imposer au public4. Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Mohammed Dib où Kateb Yacine forment la première génération des écrivains algériens qui doivent leur succès à l’intérêt éveillé chez le lectorat par les événements historiques. Qu’il s’agisse des récits quasi ethnographiques sur la vie quotidienne (Le fils du pauvre et La terre et le sang de Feraoun) ou des romans renversant les modèles narratifs et descriptifs du roman européen (Nedjma de Kateb), la lecture de la littérature algérienne en français était toujours déterminée par l’actualité, en dépit de la reconnaissance de ses qualités purement littéraires. D’où l’importance de Nedjma katébien qui, tout en gardant son caractère militant, est interprété aujourd’hui comme le texte renouvelant la littérature nationale. Le roman de Kateb permet à d’autres auteurs d’être reconnus en tant qu’écrivains et non seulement en tant qu’ethnologues ou chroniqueurs5. Le mérite de la première génération des écrivains algériens est d’introduire sur la scène romanesque l’Algérien, autochtone exclu jusqu’alors des œuvres des auteurs de la colonisation. Dans sa fameuse « trilogie algérienne » (La grande maison, L’incendie, Le métier à tisser), Mohammed Dib rend la parole à l’indigène et donne au public un tableau du quotidien du peuple de Tlemcen et des campagnes environnantes6. Il décrit l’éveil de la conscience individuelle chez les Algériens à la veille de la guerre de libération nationale. Mouloud Mammeri met l’accent sur les traditions kabyles et les mécanismes historiques tels que la colonisation et la décolonisation7. Né dans un petit village de la Grande Kabylie, il est connu surtout pour l’analyse de la situation d’un intellectuel colonisé qui essaie de renouer 3 C. Bonn, X. Garnier, J. Lecarme (dir.), Littérature francophone. 1. Le roman, Paris, Hatier, 1997, p. 185. 4 Comme le souligne Abdelkebir Khatibi, à l’époque, chaque maison d’édition veillait à avoir son « Arabe de service » ; A. Khatibi, Le roman maghrébin, Rabat, Société Marocaine des Éditeurs Réunis, 1979, p. 12. 5 M. M’henni, De la transmutation littéraire au Maghreb, Tunis, L’Or du Temps, 2002, p. 77. 6 C. Bonn, N. Khadda, A.Mdarhri-Alaoui (dir.), Littérature maghrébine d’expression française, Paris, Édicef, coll. « Universités Francophones », 1996, p. 52-53. 7 Ibidem, p. 44. 5 avec ses compatriotes et de rejoindre leur lutte pour la liberté (p. ex. Arezki dans Le sommeil du juste ou Bachir Lazrak dans L’opium et le bâton). En fait, la guerre de libération est un thème central pour de nombreux écrivains qui ont élaboré différentes approches de la révolution algérienne. Assia Djebar décrit la participation des femmes au combat dans Les enfants du nouveau monde ; Malek Haddad se penche sur les hésitations des intellectuels et la ferveur des jeunes (La dernière impression, Je t’offrirai une gazelle ou Le quai aux fleurs ne répond plus) ; Henri Kréa met en scène Djamal, jeune homme qui rejoint le maquis pour mettre fin à ses tourments (Djamal) ; le poète Jean Amrouche opte pour ceux qui luttent dans Le combat algérien8. Pourtant, la dynamique militante de la période de lutte pour l’indépendance a été vite remplacée par une dynamique contestataire à cause du coup d’État de Houari Boumédiène de 1965 et de l’affermissement du système du parti unique issu de la révolution algérienne9. Cette dynamique de contestation s’est renforcée dans les années 1970 ayant pour symbole La répudiation de Rachid Boudjedra qui dénonçait la violence de la génération des pères au pouvoir. Les événements des années 1980 ont aussi contribué à répandre l’impression que la littérature algérienne invente ses thèmes seulement en fonction de l’actualité. La montée de l’islamisme et son aboutissement dans la guerre civile ont placé l’Algérie encore une fois au centre de l’attention des observateurs. Compte tenu de l’opacité du conflit qui a opposé les forces d’État aux groupes islamistes, les écrivains de cette deuxième guerre d’Algérie ont joué le rôle des témoins dans un pays interdit aux journalistes10. Malgré les succès éditoriaux de Malika Mokkedem, Abdelkader Djemaï, Yasmina Khadra ou Boualem Sansal, leurs reconnaissance et légitimité sont problématiques, parce que tributaires de l’actualité, répétant ainsi le schéma de leurs prédécesseurs. Au début du XXIe siècle, la littérature algérienne a été questionnée par les événements du « Printemps arabe ». Les révolutions dans les pays nord-africains ont mis les écrivains dans une situation particulière : d’une part, ils ont pu répondre à la demande des œuvres censées expliquer les particularités de leurs pays et société, d’autre part, ils ont pris le risque d’être réduits au statut de témoins.