Ce Qu'on Apprend Vraiment En Grande École
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universités &grandes écoles Ce qu’on apprend vraiment en grande école Non, la vie intellectuelle ne s’arrête pas àlafin de la prépa. Les établissements proposent des contenus riches et variés ainsi qu’une ouverture sur l’entreprise DENIS ALLARD/REA ourquoi faire une école?Pour l’ins- le monde ressemble àune équation et que, tion quiamauvaise presse auprès de familles humanités: crire sur sa carte de visite ou pour hors les savoirs académiques, il n’y arien. Joli habituées àconfondre «travailler»et«être le retour en grâce se nourrir des enseignements qui y défi que de transformer, en trois ans, ces pre- assis àunbureau»… Or, voilà qui n’est pas un Les sciences humaines sont dispensés et se cultiver?En miers de la classe en «bons»managers, artis- loisir vain, mais une confrontation àdes réali- se font une place dans France, le but ultime d’une scolari- tes ou ingénieurs. téshumaineset comptablesque le planentrois l’emploi du temps P té est plus souvent d’«intégrer»un Aussi les écoles font-elles le pari d’ouvrir ces parties ne permet pas d’appréhender. Ils sont d’apprentis gestionnaires établissementprestigieuxque d’y étudier.Pen- têtes bien faites àd’autres plaisirs intellectuels nombreux, les jeunes patrons qui témoignent ou ingénieurs, avides de dant toute sa vie professionnelle, l’ex-étudiant que ceux des seuls apprentissages théoriques. danscespagesdetoutcequeleuraenseignécet- nourriture intellectuelle. se présentera comme un ancien de son école. Et Résoudre les problèmes, construire une disser- te expérience. Quant au séjour àl’étranger, on PAGE 2 même après… Alors qu’il présentait son «pacte tation:les lauréats des concours les plus presti- ne s’y attardera pas tant cette confrontation à éducatif», brouillond’une des priorités de son d’autres regards, d’autres façons de penser, est souvenirs d’anciens quinquennat, le 4mai 2010 àParis, François Gérer une association : perçue coMMeutile. Ils ont moins de 30ans Hollandefeignaitdes’étonnerqu’ontrouvejus- Bien sûr, les apprentissages techniques ont et sont managers, quedanslesavisdedécèsmentiondel’écolefré- voilà une confrontation aussi leur place en grande école. Oui, un éta- ingénieurs ou artistes. quentée à20ans!Cela révèle une bien curieuse àdes réalités que le plan blissementdemanagementenseignela comp- Six ex-étudiants racontent approche de nos établissements de prestige,et tabilité, et une école d’ingénieurs propose une comment leur école prouve que peu importe ce qui yest enseigné: en trois parties ne permet culture technique, mais ne les réduisons pas à afaçonné leurs aptitudes seul compte le nom. pas d’appréhender ces approches qui ont elles-mêmes changé et et leur état d’esprit. C’est dommage. D’autant plus dommage passent aujourd’hui par des pédagogies plus PAGE 14 qu’il se dit vraiment des choses intéressantes gieux du pays savent faire… Les bacheliers aus- participatives. dans les amphis des grandes écoles. Ces derniè- si, dans une moindre mesure. S’il ne fallait en choisir qu’une, l’idée àrete- les grandes écoles, res,quipourraientronronnereuégardau nom- Alors, place àdes apprentissages nouveaux, nir est que ces formations entendent, plus histoire critique bre de leurs candidats, s’efforcent d’innover, pas vraiment académiques, et qui pourtant qu’hier, construire un professionnel conscient Dans un entretien, d’inventer, de répondre intelligemment àla s’avèrentd’une grande richesse.Une ouverture de son environnement. Merci àEdgar Morin, l’historien Bruno Belhoste boulimie de connaissances d’étudiants surali- àl’éthique?Pas superflu, lorsqu’on parcourt quinousrépètedepuisdesdécenniesquel’édu- mesure forces et faiblesses mentés par les années «prépa». lesfaits diversdesdérives dansl’entreprise!Un cation doit être plus globale, si l’on souhaite de ce modèle de formation, Les lauréats des concours arrivent fatigués, peu de développement personnel?Pas si mal que les générations àvenir appréhendent un spécialité nationale depuis e gavésdeformulesdemathématiquesoud’éco- que les futurs managers se connaissent un peu peu mieux la complexité du monde! p le XVIII siècle. nomie, mais sûrs d’eux. Ils sont persuadés que mieux. Mais c’est surtout la gestion d’associa- Maryline Baumard PAGE 18 ENTRÉE GRATUITE LE SALON présentent GRANDESÉCOLES SAMEDI 17 &DIMANCHE18NOVEMBRE2012 INFOS &INSCRIPTION : www.salon-grandes-ecoles.com CITÉ DE LA MODE ET DU DESIGN En partenariat avec LESDOCKS 34quai d’AusterlitzPARIS Cahier du «Monde »N˚21095 daté Jeudi 15 novembre 2012 -Nepeut être vendu séparément universités 0123 &grandes écoles Enseignements 2 Jeudi 15 novembre 2012 Prépa, méca, compta? Philo, socio, anthropo! De plus en plus d’écoles d’art, de management et d’ingénieurs intègrent des cours de sciences humaines. Une façon, pour l’étudiant, de s’ouvrir l’esprit et de donner du sens àses aptitudes techniques ntre le faire et l’action, le com- plexe, l’imprévisible et le mou- vant, il faut agir sans avoir en maintousles éléments.L’hom- me d’action efficace est le E sage, rien de moins, martèle Yann Martin. Il alacapacité de tempori- ser et de jouer avec les circonstances. Ce n’est pas le technicien rationaliste convaincu qui sait ce qu’il faut faire.» Nous ne sommes pas en train de prépa- rer l’agrégation de philosophie, mais dans une conférence sur l’efficacité devantlesétudiantsdel’Ecolede manage- ment (EM) de Strasbourg. Ce point de vue, emprunté àArtistote aussi bien qu’à la philosophie chinoise, ne correspond pas «Onalongtemps formé des cadres, fantassins du système. Il fallait faire de l’argent et le cynisme apris le pas» Renaud Gaultier chargé de mission pour l’Ecole de management de Lyon et l’Ecole centrale audiscoursclassiqueducadrequi présen- te lesperformances de son entreprise. «Je ne suis pas là pour former des managers, maispourleurdonnerunrecul philosophi- que», explique Yann Martin, professeur de philosophie. Son cycle de douze conférences, mis en place en septembre aveclafaculté de phi- losophie de Strasbourg, résulte d’une envie très personnelle de la directrice de Dans la bibliothèque de l’Université catholique de Lille. l’école, Isabelle Barth. «Après une classe CEDRIC DHALLUIN/FEDEPHOTO POUR LE MONDE préparatoire durant laquelle j’avais beau- coup aimé la philosophie, j’ai vécu un choc L’atterrissage est parfois brutal dans le vent que le seul cours sans absent, c’est comme roi. On voit où cela nous amenés poursuitM.Gaultier. ACentraleLyon,les culturelenarrivantdansmonécoledecom- mondeprosaïque d’uneécole de commer- celui de philosophie.» en2008,constatesondirecteur,JeanChar- sciences humaines et sociales prennent merce, se souvient-elle. Passer de Spinoza ce, estime aussi Renaud Gaultier, respon- Les grandes écoles sont de plus en roin. Les enseignements de culture généra- ainsi une place de plus en plus essentiel- ouKantet deréflexionsélaboréesau“plus” sable du MSC («master of science»)IDEA plusnombreusesàintégrerdes matières le sont essentiels. Ils permettent de prendre le dans la formation. et au “moins” du marketingou de la comp- («Innovation Design, Entrepreneurship comme la sociologie, la philosophie, de la distance. Si cela peut déranger les «Pour êtredebonsmanagers,ilfautpou- tabilité, cela m’avait un peu désespérée. and Arts») créé par l’Ecole de manage- l’histoire ou les arts. Certaines parlent concepts en management ou en finance, voir donner du sens, renchérit Fernando Lorsquej’aiprisladirectionde l’école,je me ment de Lyon et l’Ecole centrale, qui rap- de «sciences humaines », d’autres c’est intéressant.» Le volume horaire Cuevas, professeur de philosophie àl’ESC suis aperçue que les choses n’avaient pas porte cette plaisanterie récurrenteàpro- d’«humanités»oude«culture généra- dépasse rarement deux ou trois heures Pau. Dans les entreprises, les cadresfont le beaucoup changé.» pos de la prestigieuse HEC : «Ondit sou- le». Indéniablement, les formations de par semaine, mais il offre une ouverture grand écart sans cesse. Autant offrir aux commerce sont plus généreuses que cel- aux étudiants qui le souhaitent jeunes qui se forment des outils de les d’ingénieurs. «Ces dernières sont «Onalongtempsformé des cadres,fan- réflexionautresqueles seulsgrillesd’analy- encore très imprégnées du modèle indus- tassins du système. Il fallait faire de l’ar- ses techniques.» triel du XIXe siècle, reconnaît un respon- gent et le cynisme apris le pas, estime La philosophie et la sociologie ne pro- sable d’une école d’ingénieurs. Si les Renaud Gaultier. La crise n’est pas une duisent pas de données quantifiables têtes de peloton jouent la variété des fatalité, mais résulte de la prise de déci- dans un tableau, mais elles permettent sujets, comme aux Ponts et Chaussées ou sion d’une foule de personnes. Il faut faire une réflexion de qualité, plaident en àl’école des Mines de Nancy, qui arefon- de la sociologie et de la finance pour com- chœur les responsables des formations. du son curriculum et inclut depuis quin- prendre l’alignement des décisions.» Le Cependant, la place plus importante faite ze ans une forte composante en humani- MSC qu’il dirige rassemble des cours aux humanités implique de remettre en tés, nombre d’écoles moins importantes d’anthropologie, de sociologie et de phi- cause les pédagogies traditionnelles de n’ont pas encore muté.» losophie, et propose aux étudiants de cesécoles.D’aprèsRenaudGaultier,«pour AAudenciaNantes,les «cours transver- s’interroger sur les enjeux sociaux et que cela soit efficace, il faut assurer de la saux»existent depuis les années 1990. sociétaux des techniques. «Cemaster transdisciplinarité. Ainsi, on ne voit plus «Dans les années 1970, 1980 et au début nous sert de test:l’idée est de diffuser à l’économie de la même manière.» p des années 1990, l’argent était considéré tout le campus ce questionnement», Christine Chaumeau Dans les écoles post-bac, les humanités font mûrir les jeunes élèves EMPOCHER son baccalauréat à gie, la sociologie ou l’histoire des cursus car elles permettent de Ce constat conduit également 18ans et ne plus être confronté à techniques, tout en pratiquant les questionner les matières techni- des écoles d’arts, telles que l’Ecole 97% des jeunes diplômés un texte philosophique?C’est mathématiques.