Véra TRAILL Le Camp
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Vera GOUTCHKOFF (1906-1987) Aquarelle la baraque 6 sous la neige The Cup of Astonishment Traduction de l'ouvrage sur le Camp de Rieucros (Lozère) par Sandrine BAUMLE et Jacques VACQUIER 1 La nouvelle autobiographique écrite par Vera : " The Cup of Astonishment ", a été finie de rédiger dans l'hiver 1943-1944*. Elle n'a pas, conformément au désir de l'auteur, vocation a être diffusée. La traduction ci-après doit permettre, dans un cercle familial restreint , de rétablir la vérité sur les évènements vécus entre août 1939 et juillet 1941 par Véra TRAILL née GOUTCHKOFF. Déformé, sinon ignoré, parfois mis en doute, son témoignage précis, confirmé dans ses moindres détails par les recherches des documents d'archives, présente un intérêt inégalé pour cette période au Camp de Rieucros et à Mende. Ces pages complètent le travail généalogique entrepris au début des années 2000 et un peu plus tard sur Véra et sa famille**. Traduction : Sandrine BAUMLÉ août - novembre 2016 Notes de bas de page et annexes : J.V. * Dans la première partie Le Camp , au chapitre X, elle écrit en parlant de ses codétenues : " Elles passent maintenant leur cinquième hiver dans le Camp ". ** Dans la descendance de Barthélemy VACQUIER dit "Le Majorquin" (~1680 -1761), la branche GOUTCHKOFF ne nous a été connue qu'en 2003 après la visite qu'ont fait à Frontignan Victor et Judy VACQUIER descendants de Pierre, émigré avec ses frères en Russie entre 1833 et 1835 et grâce aux contacts informatiques qui ont suivi dès le début 2004 avec Diane AUSTIN (1941-2016) puis Nicolas et André GOUTCHKOFF. 2 Vera T. Mirsky THE CUP OF ASTONISHMENT LONDON THE CRESSET PRESS 1944 3 POUR MASHA * Première édition Novembre 1944 par the Cresset Press Ltd., 11 Fitzroy Square, London, W.1 imprimé par the Shenval Press, London et Hertford Ce livre est produit en complète conformité avec les autorisations de restrictions en cours * Publié sous le pseudonyme de Vera T. MIRSKY, et dédié à sa fille Marie TRAILL (Macha), ce livre de Vera TRAILL née GOUTCHKOFF retrace quelques mois de sa vie (septembre 1939 - juin 1941). Vera GOUTCHKOFF (1906-1987) a fait, comme son père, l'objet d'une étude biographique particulière dans le travail généalogique réalisé par J.V.. Les notes de bas de page sont toutes, elles aussi, de J.V.. 4 SOMMAIRE PARTIE PAGE I LE CAMP 7 II RESIDENCE FORCEE 59 III RESIDENCE FORCEE A DEUX 97 IV RESIDENCE FORCEE A TROIS 131 V LA FIN DU MONDE 173 VI HOTEL CLERMONT, MARSEILLE 179 VII VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT 199 Ajouts 2016 Attention : Les annexes ci-après qui n'existent pas dans l'édition originale ont été ajoutées, pour aider à la compréhension et replacer l'ouvrage dans son contexte, de même que les notes de bas de page. ANNEXES 235 Sur le camp de Rieucros 235 Sources et Bibliographie 239 Remerciements 240 5 "Voici ce que dit le Seigneur Yahvé : Tu boiras la coupe de ta sœur, coupe large et profonde " EZECHIEL 1 1 Les versets d'où provient le titre du livre sont dans Ezéchiel 23 : 32 - 33 : Voici ce que dit le Seigneur Yahvé : Tu boiras la coupe de ta sœur, coupe large et profonde, Qui fera rire et gouailler, tant est belle sa mesure. Tu seras remplie d'ivresse et de douleur : C'est une coupe de stupeur et d'effroi, La coupe de ta sœur Samarie. La Sainte Bible, éditions Maredsous, imprimatur : Namur, 29 décembre 1949 ; p.1141. 6 PREMIÈRE PARTIE LE CAMP I Le Camp 2 se dressait sur une montagne 3. La ville de U. 4 s'étalait plus loin dans la vallée. En regardant en haut à droite, vous pouviez voir le camp aussitôt que vous sortiez de la ville. Apparaissait en premier le bâtiment administratif, un petit carré blanc ; sa silhouette se détachant sur la sombre forêt de pins. Puis plus bas, vous pouviez discerner une ligne brune zigzagante de rectangles plus longs en forme de briques : les baraques. Après une demie heure de marche sur un chemin de pierres escarpé, vous vous trouviez devant un portail fermé à clef. De chaque côté du portail courait du fil barbelé. Si vous, présumé visiteur, appeliez ou frappiez, un gardien sortait d'une petite baraque en bois derrière le portail et si vous lui montriez votre laissez-passer délivré par le Commissaire Spécial 5 à la préfecture de U., il vous laissait entrer. Vous gravissiez le sentier. Le fil barbelé courait parallèlement sur votre gauche, les baraques étaient alignées sur votre droite. Vous les passiez, les unes après les autres. Il y en avait dix, longues, basses et marrons. Si le temps était au beau, vous trouviez le chemin plein 2 Le camp de Rieucros en Lozère, conséquence du décret loi du 12 novembre 1938, a été créé sous la IIIe République par le gouvernement DALADIER. Le Président LEBRUN signe le décret le 21 janvier 1939. D'abord utilisé pour l'internement d'hommes : Républicains espagnols, Allemands antifascistes des Brigades Internationales... Il est affecté le 17 septembre suivant aux femmes et le 18 octobre 1939, il devient camp de rassemblement (plus tard dit " de concentration ") pour étrangères. L'auteur fait partie des 84 premières femmes transférées de la prison de la Petite Roquette à Paris (Archives Nationales, fonds de Moscou). Il sera fermé le 13 février 1942 et les détenues transférées à Brens près de Gaillac dans le Tarn mais Vera l'ignore lorsqu'elle rédige son livre. 3 Véra a pris des précautions pour masquer les lieux et surtout les personnes. Ainsi si le camp se trouve en réalité au bas du versant exposé à l'ouest du vallon de Rieucros, elle le situe ici sur une montagne (voir note suivante). 4 The cup of astonishment est écrit et publié durant la Seconde guerre mondiale. Il est paru à Londres en novembre 1944 (mais écrit environ un an avant) alors que la guerre n'est pas encore finie, il faut donc alors rester prudent. Outre les libertés prises avec la réalité dans le cadre d'un texte "romancé" quoique en très grande partie autobiographique, c'est, en raison des dangers de l'époque, un roman "à clés". Les recherches dans les archives prouvent l'exactitude de la quasi totalité du texte. U. désigne la ville de Mende alors peu connue (U. comme Unknow). Le nom du Camp, Rieucros, n'apparaît jamais et les noms des personnes ont été, en général, modifiés Vera se désigne sous le nom de Marina T. sans doute en hommage à son amie la poétesse Russe Marina TSVETAÏEVA (1892-1941) qu'elle a connue dans le mouvement Eurasien dans les années vingt. 5 Robert CALLET a été nommé commissaire stagiaire à Mende le 16 juillet 1935, nommé sur place commissaire de police de 4e classe le 11 août 1936, puis 3e classe le 21 décembre 1936. Il est ensuite Commissaire spécial de police à compter du 1er juin 1937. Le commissariat spécial est créé à la Préfecture à Mende en juin 1937. On trouve son attestation de non appartenance à la religion juive datée du 12 novembre 1940. Il est promu commissaire spécial de 2e classe le 1er juillet 1938. Son affectation à Rive de Gier (Loire) est rapportée au 31 juin 1941. Il est affecté au service des RG de Saint Etienne (Loire) à compter du 1er juillet 1942. Différents rapports semblent indiquer qu'il apporte une aide aux étrangers (AD Lozère 2W 3089 dossier individuel). 7 de femmes marchant lentement par deux ou trois, qui montaient et descendaient, montaient et descendaient. D'autres étaient assises sur des bancs devant les baraques, tricotant sans doute. Quelques-unes portaient le long vêtement, informe, marron fourni par le camp. Il n'était pas obligatoire mais il permettait de préserver les vêtements personnels et il était porté par deux catégories de femmes : les très pauvres qui n'avaient rien d'autre à se mettre et les optimistes qui considéraient que leurs vêtements étaient préservés pour le jour où elles seraient libérées. Le camp abritait six cents femmes 6. Vous ne pouviez pas les voir toutes ; cependant si le temps était sec, beaucoup d'entre elles étaient dans le petit bois derrière les baraques. S'il pleuvait, vous ne pouviez pas les voir du tout, à l'exception d'une ou deux se dépêchant d'aller ou de revenir des latrines, des châles ou des couvertures sur la tête et des sabots en bois aux pieds. Mais aussi pressées qu'elles soient en raison de la pluie, leur démarche était lente et maladroite à cause des sabots qui s'enfonçaient dans la boue argileuse. Toutes les autres étaient à l'intérieur des baraques. L'infirmerie était une baraque en bois exactement similaire aux neuf autres. De l'extérieur, vous ne pouviez pas les différencier. A l'intérieur, il n'y avait pas de différence non plus. Des planches, une épaisse fumée, une odeur de navets et de paille pourrie et des femmes : minces ou grosses, jeunes ou vieilles, agitées ou moroses, étendues, accroupies, bricolant, trébuchant les unes sur les autres, écrasant les pieds des autres, gémissant, grognant, se plaignant, hurlant dans différences langues. Vingt-trois langues si je compte bien, avec une forte prédominance de l'espagnol, l'allemand et le français, ce dernier étant utilisé comme la langue "diplomatique" entre personnes de différentes nationalités. Los quatro 7 générales, los quatro générales, los quatro gé-né-ra-les, mamita mia, que se han alzado, que se han alzado... chante Maria-Carmen en espagnol 8. « Ferme-la pour l'amour de dieu » gémit Hilde en français avec un accent allemand.