Isolationnisme ou internationalisme: analyse comparative de la couverture médiatique de la résistance et de la collaboration en Europe occupée réalisée par le Chicago Tribune et le New York Times lors de la Deuxième Guerre mondiale

Mémoire

Philippe Martin

Maîtrise en histoire - avec mémoire Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Philippe Martin, 2020

Isolationnisme ou internationalisme : analyse comparative de la couverture médiatique de la résistance et de la collaboration en Europe occupée réalisée par le Chicago Tribune et le New York Times lors de la Deuxième Guerre mondiale

Mémoire

Philippe Martin

Sous la direction de :

Talbot Charles Imlay, directeur de recherche

Résumé du mémoire

Ce mémoire compare la couverture médiatique de la résistance et de la collaboration en Europe occupée réalisée par le Chicago Tribune et le New York Times lors de la Deuxième Guerre mondiale. Notre analyse s’inscrit dans une période voyant une métamorphose profonde du rôle des États-Unis sur la scène internationale; l’isolationnisme traditionnel étant écarté au moment de l’intervention militaire américaine dans le conflit en décembre 1941 et abandonné, au terme de la guerre, avec le rôle clé du pays dans la fondation d’une nouvelle organisation internationale. Les deux quotidiens retenus pour cette étude, en plus de se démarquer par leur importance nationale, présentent des perspectives opposées au sujet de cet enjeu majeur. Le Chicago Tribune, proche idéologiquement du parti républicain et critique acharné du président Roosevelt, est catégoriquement opposé à la participation des États-Unis au conflit avant l’attaque sur Pearl Harbor et milite pour un retour à l’isolationnisme traditionnel une fois la victoire acquise. De son côté, le New York Times, appuyant généralement le parti démocrate et les politiques de Roosevelt, apparaît en faveur d’une neutralité orientée dès le début du conflit et présente la fondation d’une nouvelle organisation internationale comme un objectif de guerre essentiel. Dans le contexte particulier de l’activité de la presse en temps de guerre, la censure et le patriotisme limitant les critiques au sujet de la position officielle du gouvernement, les relations du gouvernement américain avec les mouvements de résistance et les collaborateurs représentent des éléments notables sur lesquels les quotidiens étudiés présentent des perspectives souvent opposées. Notre mémoire montre donc en quoi les positions très différentes du Chicago Tribune et du New York Times au sujet de la participation américaine au conflit et, surtout, du rôle des États-Unis dans le monde ont influencé leur couverture médiatique des résistants et des collaborateurs en Europe occupée.

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Abstract

This thesis compare and contrast the Chicago Tribune’s and New York Times’ coverage of resistance and collaboration in German-occupied Europe during World War II. Our study concerns a period which saw a profound transformation of the ’ role on the international scene. Indeed, the United States’ military intervention in the conflict in December 1941 and, especially, its key role in establishing a new intergovernmental organisation marked the end of American isolationism. Both selected newspaper, besides their national readership, present opposite perspectives about this important debate. The Chicago Tribune, ideologically close to the Republican Party and unrelenting critic of president Roosevelt, is adamantly opposed to American involvement in the war until the and advocate for a return to isolationism after victory. For its part, the New York Times, generally supportive of the Democratic Party and of Roosevelt’s policies, is in favor of helping the Allies from the start of the conflict and presents the establishment of a new intergovernmental organisation as a crucial war aim. In the specific context of journalism in wartime, when censorship and patriotism minimize criticisms of the government’s official position, the American government’s relationships with resistance movements and collaborators are significant subjects about which the studied newspapers often present contrasting point of views. Our thesis present how the Chicago Tribune’s and New York Times’ very different stances about American involvement in World War II and, especially, the United States’ role in the world influenced their coverage of resistance and collaboration in German-occupied Europe.

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Table des matières

Résumé du mémoire ...... ii Abstract ...... iii Remerciements ...... v Introduction ...... 1 Chapitre 1 : Comparaison générale quantitative de la couverture médiatique de la résistance et de la collaboration réalisée par le New York Times et le Chicago Tribune ..... 19 Chapitre 2 : L’Europe occupée avant l’entrée en guerre des États-Unis ...... 24 Chapitre 3 : De l’entrée en guerre des États-Unis jusqu’à l’opération Torch ...... 34 Chapitre 4 : De l’opération Torch à l’armistice italien ...... 44 Chapitre 5 : De l’armistice italien à D-Day ...... 56 Chapitre 6 : D-Day et ses suites ...... 72 Chapitre 7 : Combats aux frontières allemandes ...... 87 Chapitre 8 : Invasion de l’Allemagne et fin de la guerre en Europe ...... 112 Conclusion ...... 124 Bibliographie ...... 133 Annexes ...... 136 Tableau 1 ...... 136 Graphique 1 ...... 137 Graphique 2 ...... 138 Graphique 3 ...... 138 Graphique 4 ...... 139 Graphique 5 ...... 139 Tableau 2 ...... 140

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Remerciements

Je remercie tout particulièrement mon directeur de recherche, monsieur Talbot Charles Imlay, pour ses précieux conseils et commentaires, son appui continuel et son aide inestimable. Je tiens aussi à exprimer ma gratitude à madame Johanne Daigle et monsieur Pierre-Yves Saunier pour leurs nombreux conseils et l’intérêt qu’ils ont porté à ma recherche dans le cadre du séminaire de maîtrise. De même, je suis reconnaissant envers les membres de mon jury d’évaluation, madame Deborah Barton et monsieur Greg Robinson, pour leurs judicieux commentaires.

De plus, je remercie sincèrement ma famille, particulièrement mes parents, madame Claude Corriveau et monsieur Michel Martin, et mes amis pour leur soutien constant lors de la réalisation de ce mémoire.

Philippe Martin Août 2020

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Introduction

Le sujet

L’invasion de la Pologne par l’Allemagne le 1er septembre 1939 marque le début de la Deuxième Guerre mondiale en Europe. Sur la scène européenne, le 8 mai 1945, la capitulation sans condition de l’Allemagne aux Alliés met un terme à près de six ans de violence sans précédent1. Ce conflit global se démarque, entre autres, par la mort d’environ 50 millions de civils; un état de fait pouvant, en grande partie, être imputé à la brutalité des politiques d’occupation de l’Allemagne nazie dans les territoires conquis. Si, parmi ces politiques brutales, autant Hollywood que l’historiographie accordent une place prépondérante à l’Holocauste, l’occupation allemande se caractérise aussi par la répression envers les résistants, la discrimination à l’endroit d’autres minorités ethniques et les atrocités commises contre les civils dans le cadre d’opérations militaires, particulièrement sur le front de l’Est. Or, parallèlement à cette violence envers les civils, une partie de la population des pays occupés choisit de collaborer avec l’envahisseur allemand, par conviction idéologique, par opportunisme politique ou par crainte de représailles, et aide même, parfois, celui-ci à mettre en pratique ses politiques d’occupation brutales. Au cours du conflit, les quotidiens des pays alliés, conscients dans une certaine mesure de la violence contre les civils dans les territoires occupés par l’Allemagne, traitent de ce sujet.

L’activité de la presse dans les démocraties libérales lors de la Deuxième Guerre mondiale s’inscrit dans un contexte particulier de censure et de propagande. En effet, par patriotisme, les grands quotidiens américains appuient la participation de leur pays au conflit et contribuent même à populariser celui-ci auprès de la population2. Or, si la presse américaine s’implique activement dans le programme de propagande du gouvernement, les différents quotidiens présentent aussi des perspectives distinctes au sujet de diverses thématiques liées

1 Il faut attendre le 20 mai 1945 avant de voir la capitulation des dernières unités allemandes. Sur le front de l’Est, de nombreux soldats allemands poursuivent le combat pendant quelques jours, malgré la capitulation officielle de l’armée, car ils souhaitent traverser les lignes de l’Armée rouge afin pouvoir se rendre aux Alliés occidentaux et, de ce fait, éviter la captivité aux mains des Soviétiques. 2 Voir : Eugene Secunda. Selling War to America. Washington DC, Westport, 2007, 231 pages. Et Frederick Voss. Reporting the War. Washington DC, Smithsonian Institution, 1994, 218 pages.

1 au conflit comme les relations entre les Alliés et les résistants ou les collaborateurs. Afin de s’intéresser à la couverture médiatique du sort des civils dans les territoires occupés par l’Allemagne réalisée par les quotidiens américains, nous comparerons les portraits présentés par le New York Times et le Chicago Tribune. En plus d’être respectivement les deux quotidiens les plus lus à New York et à Chicago, les deux villes les plus peuplées aux États- Unis à cette époque, ces deux journaux se distinguent par leur contexte « national » et leur idéologie politique. En effet, ils sont chacun proches idéologiquement d’un important parti politique américain, sont dirigés par des individus engagés dans l’arène politique et se démarquent par leur tirage et leur influence sur la scène nationale.

À l’aube de la Deuxième Guerre mondiale, le New York Times se distingue par sa diffusion nationale, plus d’un quart de ses lecteurs n’appartenant pas au public local, ses ressources et son influence politique autant à l’étranger que sur la scène nationale3. Propriété de la famille juive-américaine Ochs-Sulzberger, sur le plan politique, il s’inscrit généralement dans une perspective proche du Parti démocrate4. En effet, il appuie souvent les politiques de Franklin D. Roosevelt, particulièrement sur le plan international, et endosse sa candidature lors de trois des quatre élections présidentielles auxquelles il participe. Si, lors de l’élection présidentielle de 1940, le New York Times endosse le candidat républicain Wendell Willkie, il est important de noter que celle-ci représente un cas particulier; Wilkie étant un ancien membre du parti démocrate et prônant des politiques similaires à Roosevelt5. À la suite de la victoire du président sortant, le New York Times continue d’appuyer une part significative de ses politiques, particulièrement après l’entrée en guerre des États-Unis en décembre 1941, et endosse sa candidature lors de l’élection présidentielle de 1944. En effet, il louange particulièrement le bilan de Roosevelt sur la scène internationale et le recommande à ses lecteurs comme le meilleur candidat afin de mener la guerre à bon terme et d’assurer que la victoire des Alliés mène à une paix durable.

3 Laurel Leff, Buried by the Times, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p. 10. 4 Tim Luckhurst, « An Unworkanle Policy which Encourages the Enemy to Fight to the Last Gasp », Journalism Studies, vol. 1, 2014, p. 6. 5 Willkie à l’image de Roosevelt, prône des politiques visant à aider la Grande-Bretagne dans sa lutte contre l’Allemagne et propose une politique intérieure plutôt progressiste; comptant même conserver la majorité des réformes du New Deal. Il se distingue de ce fait de l’influente aile isolationniste et conservatrice du parti républicain. Ainsi, plutôt qu’un rejet de ses positions idéologiques traditionnelles, la décision du New York Times d’endosser Willkie résulte de son insatisfaction envers l’échec de Roosevelt à relancer complètement l’économie du pays et, particulièrement, de sa franche opposition envers la décision sans précédent du président sortant de briguer un troisième mandat.

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De son côté, le Chicago Tribune exprime des opinions proches du Parti républicain6. Son orientation idéologique s’inscrit dans la ligne tracée par le colonel Robert R. McCormick, son propriétaire, un partisan de l’isolationnisme et un adversaire acharné de Roosevelt7. Sous la tutelle de McCormick, propriétaire à compter des années 1920, le Chicago Tribune connaît un essor important; devenant le premier journal de la ville et développant un lectorat national important. Évidemment, ce quotidien endosse le candidat républicain défait lors des quatre élections présidentielles auxquelles Roosevelt participe. En 1940, il dénonce les visées centralisatrices du président sortant et condamne sa décision de se présenter pour un troisième terme sans égard pour la tradition. Le quotidien accuse Roosevelt de conspirer afin de faire intervenir les États-Unis dans la guerre et présente Wilkie comme le candidat pouvant assurer la paix et permettre le retour de la prospérité8. S’étant attaqué quotidiennement au bilan économique et à la conduite de la guerre du président pendant son troisième mandat, le Chicago Tribune endosse avec enthousiasme la candidature de Dewey en 1944. Il est présenté par ce quotidien comme un candidat en mesure de restaurer la prospérité économique du pays et, surtout, un patriote qui favorisera les intérêts des États-Unis au-delà de ceux de ses alliés lors des négociations de paix.

La Deuxième Guerre mondiale voit une métamorphose du rôle des États-Unis sur la scène internationale; l’isolationnisme traditionnel du pays étant abandonné en faveur d’une vision interventionnisme. L’étude comparative de la couverture médiatique réalisée par le New York Times et le Chicago Tribune lors de cette période de transformation est très intéressante car leurs visions du rôle des États-Unis sont aux antipodes. Au début du conflit, jusqu’au choc de la défaite de la France, si le New York Times est plus ouvertement favorable aux démocraties libérales, les deux quotidiens traitent de ce conflit comme d’une guerre européenne. Par la suite, le quotidien new-yorkais défend la position du président, à savoir que les États-Unis ne peuvent permettre à l’Allemagne de vaincre la Grande-Bretagne. Si une intervention militaire n’est pas encore considérée, le New York Times est favorable à une

6 Luckhurst, op. cit., p. 5. 7 Voss, op. cit., p. 38. 8 Il est intéressant de noter que, si le Chicago Tribune se range résolument derrière Wilkie, celui-ci, en raison de la parenté de sa pensée politique avec les démocrates, n’est évidemment pas le candidat souhaité par ce journal promouvant une idéologie isolationniste et conservatrice.

3 aide économique et matérielle croissante. À l’inverse, jusqu’à l’attaque japonaise sur Pearl Harbor, le Chicago Tribune se méfie de toutes formes d’aide américaine aux Britanniques; craignant que les intérêts économiques des États-Unis en Grande-Bretagne ne deviennent si importants qu’ils n’auront pas d’autre choix que d’intervenir militairement afin d’assurer sa victoire. À la suite de Pearl Harbor, les deux quotidiens appuient la participation américaine au conflit, le Chicago Tribune se ralliant par patriotisme à la position du gouvernement, mais présente des optiques différentes au sujet des objectifs de guerre du pays. Selon le New York Times, à la suite de la défaite de l’Allemagne, identifiée comme l’ennemi principal des Alliés, les États-Unis ne doivent pas se replier sur leur isolationnisme traditionnel, à l’inverse des décisions prises au terme de la Première Guerre mondiale, mais, plutôt, jouer un rôle phare au sein d’une organisation internationale qui assurera le maintien de la paix. Si le Chicago Tribune reconnaît l’importance de vaincre l’Allemagne nazie, il souhaite que cette victoire soit accomplie de manière à limiter le plus possible les pertes de vies américaines. Partisan d’un retour à l’isolationnisme au terme du conflit, il soutient qu’il revient aux pays européens de résoudre leurs différends politiques internes et externes une fois l’Allemagne vaincue. Dans le cadre de notre mémoire, nous analyserons en quoi les positions politiques très différentes de ces deux quotidiens ont influencé leur couverture respective des questions liées à l’occupation allemande; celles-ci s’inscrivant dans une période charnière du débat au sujet du rôle que les États-Unis doivent jouer dans le monde.

L’historiographie

L’historiographie pertinente peut être divisée en quatre champs de recherche, à savoir l’histoire des médias, l’histoire politique, l’histoire des représentations et l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale. Premièrement, l’histoire des médias représente un vaste champ de recherche et plusieurs historiens se sont intéressés aux développements et à l’évolution de la presse, de la radio, du cinéma, de la télévision et d’Internet. Dans notre recherche historiographique, nous avons privilégié les études générales accordant une importance prépondérante au cas américain car elles sont plus pertinentes pour notre mémoire. La somme de Lyn Gorman et David McLean ainsi que l’ouvrage de Rodger Streitmatter s’intéressent

4 au développement des médias de masse entre le milieu du XIXe siècle et la fin du XXe siècle9. Gorman et McLean affirment, entre autres, que la presse, en tant qu’outil de propagande et de moyen de conserver le moral de la population, joue un rôle essentiel en temps de guerre10. En ce qui concerne directement notre sujet de recherche, ils soutiennent que, au fil de la guerre, la presse américaine dénonce de plus en plus les atrocités commises par les Allemands dans les territoires occupés11. De son côté, Streitmatter conclut notamment que, grâce à leur capacité d’influencer l’opinion publique, les médias ont joué un rôle significatif dans le façonnement de l’histoire américaine12. Surtout, ces ouvrages montrent que l’action de la presse aux États-Unis pendant la Deuxième Guerre mondiale s’inscrit dans le cadre plus large de l’ère du développement des médias de masse.

Par ailleurs, plusieurs historiens des médias se sont particulièrement intéressés aux spécificités de la pratique médiatique lors de la Deuxième Guerre mondiale. En effet, en temps de guerre, même dans une démocratie libérale comme les États-Unis, les médias évoluent dans un climat de censure et de propagande qui a un impact significatif sur leurs activités. Or, les historiens s’étant intéressés à cette question, notamment Frederick Voss, Eugene Secunda et Tim Luckhurst, arrivent à des conclusions similaires; par patriotisme, la presse participe volontairement au programme de censure et de propagande imposé par le gouvernement américain à la suite de l’entrée en guerre du pays et joue un rôle significatif afin de populariser le conflit auprès de la population13. Selon Secunda, dans le climat revanchiste créé par l’attaque sur Pearl Harbor, même le Chicago Tribune, traditionnellement isolationniste et opposé à Roosevelt, contribue à l’effort de guerre et modère ses critiques envers le président démocrate; la victoire apparaissant plus importante que les conflits politiques intérieurs14. De même, Clayton Laurie, s’intéressant spécifiquement au fonctionnement de cette propagande médiatique, montre que les quotidiens américains

9 Lyn Gorman et David McLean, Media and Society in the Twentieth Century, Malden, Blackwell Publishing, 2003, 284 pages. Et Rodger Streitmatter. Mightier Than the Sword, Boulder, Westview Press, 2008, 323 pages. 10 Gorman, op. cit., p. 5. 11 Ibid., p. 98. 12 Streitmatter, op. cit., 323 pages. 13 Voir : Secunda, op. cit., 231 pages., Voss. op. cit., 218 pages Et Luckhurst, op. cit., p. 1 à 17. 14 Secunda, op. cit., p. 154.

5 instrumentalisent l’outrage provoqué par Pearl Harbor afin de mobiliser la population pour la guerre15.

Ainsi, l’historiographie montre que les grands quotidiens américains adoptent une position favorable à la guerre, contribuant même à « vendre » celle-ci, une fois leur nation entrée dans le conflit. Dans cette optique, il apparaît logique qu’ils insistent sur la répression envers les résistants par les forces allemandes et collaboratrices afin de réaliser leur objectif de populariser la guerre; une hypothèse que nous tâcherons de vérifier. Aussi, si l’historiographie montre que les quotidiens américains adoptent une attitude favorable à la guerre à compter de décembre 1941, il convient d’étudier en quoi l’entrée en guerre des États- Unis marque une transformation significative dans la couverture médiatique de la résistance et de la collaboration réalisée par le New York Times et le Chicago Tribune. Dans cette perspective, nous tâcherons notamment de vérifier si ce dernier, opposé à une intervention militaire américaine jusqu’à Pearl Harbor, a minimisé les informations à propos de la brutalité de la répression nazie envers les résistants afin de conforter ses lecteurs dans leurs positions isolationnistes et s’il a tâché de présenter des portraits positifs des régimes collaborateurs, entre autres de la France de Vichy, afin que ceux-ci soient favorables à une fin des hostilités en Europe. À l’inverse, le New York Times, favorable, dès les premiers mois du conflit, à une aide américaine aux démocraties libérales européennes, insistait-il sur la répression envers les populations des pays occupés et condamnait-il les régimes collaborateurs, tout en héroïsant les mouvements de résistance, afin de préparer la population américaine à une éventuelle intervention militaire des États-Unis?

D’autre part, la production scientifique reliée aux portraits dans la presse du sort des civils dans les territoires occupés par l’Allemagne concerne surtout un débat historiographique précis, à savoir les causes du silence de la plupart des quotidiens occidentaux face à l’Holocauste. Les études publiées avant les années 1990, notamment celle de Michael Balfour, expliquent généralement ce silence par le fait que les Alliés, souhaitant réaliser une stratégie de propagande réaliste, censurent les informations à propos de la « solution finale »

15 Voir : Clayton Laurie, The Propaganda Warriors: America's Crusade Against , Kansas City, University Press of Kansas, 1996, 352 pages.

6 jusqu’en 1944, année de la découverte des camps de concentration, car elles apparaissent trop irréalistes16. Or, plusieurs études récentes rejettent cet argument. Un courant historiographique très influent aux États-Unis, entres autres défendu par David S. Wyman, soutient plutôt que la presse a camouflé les informations liées à l’Holocauste en raison de l’antisémitisme très présent aux États-Unis à cette époque et affirme que les Juifs américains portent une grande partie du blâme lié à l’Holocauste17. De leur côté, Deborah Lipstadt et, surtout, Laurel Leff insistent sur ce premier aspect; le silence de la presse américaine ne s’expliquant pas par un manque de renseignement18. En fait, les propriétaires du New York Times, conscients du climat d’antisémitisme régnant aux États-Unis, ont sciemment limité les informations sur ce sujet afin d’éviter que leur position favorable à une intervention contre l’Allemagne soit perçue comme de la solidarité juive19. De plus, s’intéressant à la manière dont ce quotidien a camouflé l’Holocauste, Leff propose une approche méthodologique intéressante en accordant une attention particulière au positionnement des articles au sein d’un quotidien. En effet, si le New York Times publie plusieurs dizaines d’articles sur ce sujet pendant la guerre, ceux-ci sont généralement enfouis près de la rubrique nécrologique. Toutefois, au-delà de ces pistes méthodologiques essentielles, il nous a rapidement apparu que l’historiographie au sujet du portrait de l’Holocauste dans la presse américaine était déjà très étayée. De ce fait, il semblait judicieux de renoncer à l’analyse de ce sujet afin de nous intéresser plus en profondeur à des thèmes moins développés, à savoir la couverture médiatique de la résistance et de la collaboration en Europe occupée.

Ayant retenu les thèmes de la couverture médiatique de la résistance et de la collaboration réalisée par le Chicago Tribune et le New York Times, il convient d’illustrer les différents débats historiographiques entourant ces sujets complexes. En effet, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, une vaste littérature scientifique au sujet des résistants et des collaborateurs en Europe occupée, particulièrement en France, s’est développée. Or, dans le cadre de notre mémoire, nous nous sommes surtout intéressés à des études plutôt récentes, notamment celles de Tony Judt, de Mark Mazower et de Julian Jackson, illustrant la

16 Voir : Michael Balfour, Propaganda in War 1939-1945: Organisation, Policies and Publics in Britain and Germany, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1979, 520 pages. 17 Voir : David Wyman (ed.), The World Reacts to , Baltimore, John Hopkins University Press, 1996, 981 pages. 18 Voir : Deborah Lipstadt, Beyond Belief: The American Press and the Coming of The Holocaust, New York, Touchstone, 1993, 384 pages. et Leff, op. cit., 428 pages. 19 Leff, op. cit., p. 13.

7 complexité des questions au sujet de ces thèmes et la difficulté de définir résistants et collaborateurs; plutôt qu’une simple opposition entre résistants de la première heure et collaborateurs résolus, la réalité sur le terrain étant composée de zones grises où la majorité de la population des pays occupés évoluait tandis que de nombreux collaborateurs ont éventuellement rallié la résistance20. Ainsi, avant 1944, la population des pays occupés étant majoritairement attentiste tandis que les résistants et les collaborateurs représentaient des minorités, il apparaît qu’un mythe de la résistance se serait développé à travers l’Europe après la libération. De plus, ces auteurs montrent que les résistants et les collaborateurs ne doivent pas être vus comme des mouvements monolithiques. Or, Mazower, notamment, se positionne dans le débat historiographique au sujet de la contribution de la résistance à la victoire alliée. S’il affirme que, à l’exception des importantes activités de guérilla sur le front de l’Est, elle n’a pas eu un impact stratégique majeur, il reconnaît son importance symbolique. Par ailleurs, son étude souligne qu’une véritable collaboration selon les modèles en Europe de l’Ouest était impossible en Europe de l’Est et en Pologne car les Allemands étaient déterminés à faire disparaître ces pays.

Ces études nous donnent plusieurs pistes afin de mieux percevoir la complexité et les ambiguïtés des phénomènes de la résistance et de la collaboration. Il sera intéressant d’étudier dans quelle mesure la couverture médiatique réalisée par le New York Times et le Chicago Tribune reflète ces nuances. De plus, les questions du mythe de la résistance et de la contribution réelle de la résistance à l’effort de guerre nous amènent à nous interroger pour savoir si les quotidiens étudiés, particulièrement le New York Times, ont exagéré son apport, surtout avant 1944, dans un objectif de « vendre » la guerre à la population américaine.

Par ailleurs, la question de la perception du conflit contre l’Allemagne par la population américaine intéresse depuis plusieurs années les historiens des représentations. L’historiographie traditionnelle présente la Deuxième Guerre mondiale comme une « bonne guerre » à laquelle la population américaine participe de façon enthousiasme en raison de motifs idéologiques; le gouvernement, avec l’appui des médias, ayant réussi à créer le mythe

20 Voir : Tony Judt, « The Past is Another Country » dans Istvan Deak et al. The Politics of Retribution in Europe, Princeton, Princeton University Press, 2000, p. 293-323., Mark Mazower, Hitler’s Empire, New York, Penguin Press, 2008, 725 pages. Et Julian Jackson, France: The Dark Years, Oxford, Oxford University Press, 2003, 660 pages.

8 d’une guerre entre le monde libre et la tyrannie21. Or, ce courant historiographique traditionnel est de plus en plus remis en question. Les études récentes rappellent le caractère isolationniste d’une grande partie de la population américaine à l’aube de l’entrée en guerre des États-Unis et le fait que, même après l’intervention américaine dans le conflit, plusieurs politiques de Roosevelt, particulièrement sa position de reddition sans condition dans le débat au sujet du sort à réserver à l’Allemagne, sont ouvertement remises en question par certains quotidiens, notamment le Chicago Tribune, et une frange significative de la population. Par exemple, Steven Casey affirme que si, à la suite de l’entrée en guerre des États-Unis, la population est favorable à la guerre contre le Japon, plusieurs Américains remettent en doute la nécessité de combattre l’Allemagne22. C’est seulement en 1943, les médias ayant éveillé la population à la réalité de la brutalité du régime nazi, que la population devient de plus en plus acquise à cette idée23.

Dans le cadre de ce mémoire, nous tâcherons de montrer en quoi l’opposition du Chicago Tribune aux politiques internationalistes de Roosevelt a influencé le portrait des résistants et des collaborateurs réalisé par ce quotidien. Est-ce que, en raison de motifs politiques, le New York Times aurait été plus porté que le Chicago Tribune à instrumentaliser la répression contre les résistants et à dénoncer la réalisation d’accord avec les collaborateurs? À l’inverse, il convient de vérifier si ce dernier a limité quelque peu les informations au sujet de la répression envers les résistants afin que ses lecteurs soient plus enclins à envisager des négociations avec l’Allemagne et la réalisation d’ententes avec les gouvernements dans le but d’accélérer la victoire alliée et de limiter les pertes de vies américaines.

L’étude de l’action politique des gouvernements en exil pendant la Deuxième Guerre mondiale représente aussi un champ de recherche intéressant pour notre mémoire; les médias des Alliés occidentaux apparaissant comme des partenaires indispensables afin que les gouvernements en exil puissent sensibiliser l’opinion publique à leur cause. La production scientifique sur ce sujet est dominée par les études s’intéressant au mouvement France libre.

21 Voir : John Morton Blum, V Was for Victory: Politics and American Culture during World War II, New York, Harcourt Brace Jovanovich, 1976, 372 pages. Et Richard Polenberg, War and Society: The United States, 1941-1945, New York, Praeger, 1980, 298 pages. 22 Voir : Steven Casey, Cautious Crusade, Oxford, Oxford University Press, 2001, 302 pages. 23 Ibid, p. XXI.

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Emmanuelle Loyer et Raoul Aglion montrent que la presse américaine représente une alliée indispensable afin de permettre la diffusion des idées de France libre et a joué un rôle significatif dans le rejet de Vichy ainsi que dans la reconnaissance de France libre par Washington en 194224 25. Si cette campagne est menée par des quotidiens traditionnellement critiques envers le gouvernement Roosevelt, même le New York Times participe à celle-ci26. La France étant au centre de la couverture de la résistance et de la collaboration réalisée par les quotidiens étudiés, nous analyserons leur présentation de l’évolution des relations complexes entre le gouvernement Roosevelt, le régime de Vichy et les mouvements de résistance français. Or, consulté à titre comparatif, l’ouvrage de George Kacewicz présente une perspective complètement différente27. En effet, l’auteur montre que la presse britannique a contribué au discrédit du gouvernement polonais en exil dans l’opinion populaire28. Cette campagne médiatique négative apparaît nécessaire car la Pologne doit être sacrifiée pour le bien de l’alliance avec l’Union soviétique. Cet ouvrage nous amène à nous questionner afin de déterminer si les quotidiens américains étudiés ont adopté une ligne éditoriale similaire afin de limiter l’opposition populaire aux sacrifices de mouvements de résistance démocratiques en Europe de l’Est et en Europe centrale au profit de l’alliance avec les Soviétiques. Ainsi, la mise en relief de ces études suggère que, en raison de facteurs géopolitiques, la couverture de la résistance réalisée par les quotidiens américains diffère considérablement selon la nationalité des résistants en question. Nous tâcherons donc d’analyser l’ampleur et les causes de cette apparente dissonance.

Questionnement

Dans le cadre de ce mémoire, nous tâcherons de vérifier l’hypothèse selon laquelle la couverture médiatique des résistants et des collaborateurs réalisée par les deux grands journaux américains étudiés se distingue en raison de leurs positions politiques, notamment leur conception du rôle que les États-Unis doivent jouer sur la scène internationale. Dans ce

24 Voir Emmanuelle Loyer, Paris à New York, Paris, Hachette, 2005, 497 pages. Et Raoul Aglion, De Gaulle et Roosevelt, Paris, Plon, 1984, 294 pages. 25 L’ouvrage d’Aglion se révèle une source d’information particulièrement riche, l’auteur, un avocat ayant contribué à la reconnaissance de France libre par les États-Unis, appuyant son expérience personnelle par une vaste recherche historique. 26 Aglion, op. cit., p. 140. 27 George Kacewicz, Great Britain, the Soviet Union and the Polish Government in Exile, Londres, Martinus Nirhoff Publishers, 1979, 255 pages. 28 Ibid., p. 15.

10 but, nous réaliserons une analyse comparant la façon dont le New York Times et le Chicago Tribune ont traité de la résistance et la collaboration lors de la Deuxième Guerre mondiale. La décision de s’intéresser aux portraits des résistants et des collaborateurs s’explique par l’abondance d’articles dans les sources à propos de ces sujets, le niveau d’avancement moindre de la recherche historique concernant cet aspect de l’étude des activités de la presse pendant la guerre et, surtout, l’opposition comparative logique entre ces deux thèmes. Or, à ce stade de l’étude, il convient de poser ce que le Chicago Tribune et le New York Times, ainsi que nous, par extension, entendaient par « résistants » et « collaborateurs ». Il apparaît que les quotidiens étudiés ont identifié comme « résistants », à travers des termes tels que « resistants », « patriots », « rebels », « partisans », « », les différents individus, organisations et mouvements des pays occupés ayant résisté, militairement ou passivement, à l’envahisseur allemand autant sur le terrain qu’en s’exilant afin de poursuivre le combat au côté des Alliés. Plus précisément, nous traiterons, entre autres, de la couverture médiatique des activités des cellules de résistance locales, des forces de guérilla ainsi que des armées et des gouvernements en exil. Parallèlement, le Chicago Tribune et le New York Times ont notamment présenté les milices fascistes, les forces de police et les membres de l’administration des États quislings, la presse pro-fasciste et les collaborateurs industriels en tant que « collaborateurs »; les qualifiant, entre autres, de « collaborators », « Quislings », « traitors » ou « renegades ». Ainsi, au sens large, ils définissaient comme « collaborateurs » les franges de la population des pays occupés ayant activement contribué à l’effort de guerre allemand, s’étant impliquées dans la mise en place et le maintien de régimes pro-nazis ou ayant manifesté leur appui envers ces gouvernements.

En s’intéressant à divers paramètres, tels que les positions idéologiques et politiques d’un quotidien, sa position face à l’Allemagne au début de la guerre et le contexte changeant du conflit, nous comparerons l’évolution de la couverture de la résistance et de la collaboration réalisée par le New York Times et le Chicago Tribune lors de la Deuxième Guerre mondiale. Nous chercherons à vérifier si le premier, supportant généralement les politiques de Roosevelt et sa vision internationaliste du rôle des États-Unis, est plus enclin à rapporter la répression envers les résistants dans le but de « vendre » la guerre que le Chicago Tribune, lequel a milité jusqu’à l’attaque de Pearl Harbor afin que les États-Unis restent à l’écart du

11 conflit et, lorsque la participation américaine est devenue inévitable, prêché pour un retour à l’isolationnisme traditionnel une fois la victoire acquise. Aussi, nous étudierons en quoi ces visions opposées influencent leur couverture des mouvements de résistance. En effet, pour le New York Times, ceux-ci sont des partenaires potentiels afin de bâtir une nouvelle organisation internationale qui assurera la paix. Dans cette optique, il apparaît primordial que les mouvements de résistance favorables aux démocraties occidentales prennent le contrôle politique des pays libérés. En revanche, nous anticipons que le Chicago Tribune prône de soutenir les mouvements de résistance qui peuvent causer le plus de dommage à l’Allemagne, peu importe leur idéologie; l’avenir politique des pays libérés représentant un enjeu secondaire. De même, nous comparerons les portraits des collaborateurs réalisés par les quotidiens étudiés. Le Chicago Tribune présentera sans doute les collaborateurs selon une perspective très différente de son homologue; les ententes avec d’anciens collaborateurs représentant une façon d’écourter la guerre et de sauver des vies américaines. Parallèlement, nous analyserons en quoi l’entrée en guerre des États-Unis marque une rupture dans la couverture médiatique des résistants et des collaborateurs réalisée par les quotidiens étudiés, notamment dans le cas d’un journal isolationniste comme le Chicago Tribune.

Parallèlement, nous tâcherons d’analyser si la couverture médiatique de la résistance et de collaboration réalisée par les quotidiens étudiés varie entre les différents pays d’Europe occupée. Nous vérifierons en quoi des facteurs déterminants comme l’emplacement géographique d’un pays et ses liens culturels avec les États-Unis, l’ampleur de la présence militaire américaine dans celui-ci, le niveau d’information disponible, la censure et son importance stratégique pour l’effort de guerre allié ont influencé la couverture médiatique de ses résistants et de ses collaborateurs réalisée par le Chicago Tribune et le New York Times.

Les sources

Dans le cadre de notre mémoire, nous avons étudié un vaste corpus de sources comprenant l’ensemble des parutions du New York Times et du Chicago Tribune entre le 1er septembre 1939 et le 31 mai 1945. En effet, afin de réaliser une analyse comparative précise et représentative, il est nécessaire d’étudier la couverture médiatique de la résistance et de la

12 collaboration présentée par les quotidiens sélectionnés pendant l’ensemble de la Deuxième Guerre mondiale. Or, étant donné l’ampleur de ce corpus de sources, il s’est avéré indispensable de procéder à un échantillonnage. Selon les ouvrages méthodologiques consultés, si l’échantillon peut être constitué de façon aléatoire ou définie, l’essentiel est de conserver la même logique à travers l’ensemble de la recherche29. Au cours du processus de constitution de notre échantillon, nous avons envisagé plusieurs méthodes différentes. Finalement, nous avons établi un échantillon composé d’un numéro sur quatre publié par les quotidiens étudiés pendant les mois où se sont déroulés des moments charnières de l’activité des résistants et des collaborateurs en Europe occupée. Ainsi, à titre d’exemple, pour le mois de septembre 1939, nous avons étudié les éditions du 1er, 5, 9, 13, 17, 21, 25 et 29 septembre publiées par quotidiens étudiés. Nous avons identifié ces moments charnières par un processus de croisement entre l’historiographie et une recherche préliminaire par mots clés dans les archives des quotidiens étudiés. Au final, nous avons délimité notre échantillon à une parution sur quatre du New York Times et du Chicago Tribune pour les 31 mois sélectionnés, soit un total de 496 numéros30.

En guise d’exemples, nous avons, entre autres, identifié comme moments importants les mois de juin et juillet 1940, lesquels voient la défaite de la France, l’organisation du régime de Vichy et la naissance du mouvement de France Libre, d’octobre 1941, théâtre de la première grande vague de résistance à travers l’Europe occupée, de décembre 1941, lieu de l’entrée en guerre des États-Unis, de novembre et de décembre 1942, marqués par la campagne américaine en Afrique du Nord et des évènements comme l’accord des Alliés occidentaux avec l’ex-vichyste Darlan et le sabordage de la flotte de Toulon, de septembre 1943, théâtre de l’armistice italien, de juillet, d’août et de septembre 1944, marqués par les activités importantes des maquis français lors de la libération de leur pays et le soulèvement de Varsovie en Pologne, de décembre 1944 et janvier 1945, lieu de la guerre civile grecque opposant les résistants monarchistes et communistes, ainsi que d’avril et de mai 1945, lesquels voient la fin de la guerre en Europe.

29 Barrie Gunter, Media Research Methods, Londres, SAGE Publications, 2000, p. 56. 30 La Deuxième Guerre mondiale s’est étendue sur 69 mois entre septembre 1939 et mai 1945.

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Par ailleurs, notre corpus de sources est facilement accessible en ligne. En effet, l’ensemble des parutions du Chicago Tribune entre 1857 et 1991 ainsi que tous les numéros du New York Times entre 1851 et 1950 ont été numérisés et sont disponibles dans les archives digitales de ces quotidiens, à savoir Chicago Tribune Archives et Times Machine.

D’autre part, lors de l’analyse de notre corpus de sources, nous avons considéré plusieurs facteurs spécifiques liés à l’étude de la presse. En effet, lors du processus de rédaction d’un article, l’auteur et le quotidien pour lequel il travaille sont influencés par des variables comme le contexte de production et le public cible31. Si, pendant la Deuxième Guerre mondiale, les journaux américains sont soumis à la censure, lors de l’analyse des numéros publiés par les quotidiens étudiés avant l’intervention militaire des États-Unis dans le conflit, il convient de considérer qu’ils sont rédigés dans un contexte différent; la dissidence avec la position officielle du gouvernement étant bien plus courante en temps de paix. Par ailleurs, les quotidiens cherchent à publier des articles répondant aux attentes de leur public cible et, même dans le contexte particulier de l’activité de la presse en temps de guerre, ils proposent des perspectives distinctes à propos de divers aspects du conflit s’inscrivant dans l’optique idéologique de leur lectorat. Ainsi, le Chicago Tribune continue, dans la mesure permise par la censure et le patriotisme, de critiquer les politiques de Roosevelt sur la scène américaine et à l’échelle internationale tout en militant pour un retour à l’isolationnisme traditionnel à la suite de la victoire. De son côté, le New York Times tâche de présenter une analyse approfondie des évènements à l’échelle internationale et, bien que généralement en faveur de la vision internationaliste du président, n’abandonne pas sa liberté d’opinion. Il critique parfois les décisions prises par le gouvernement, notamment au sujet de ses relations avec de Gaulle et de sa position ambivalente à la suite de l’armistice italien.

Méthode de traitement des sources

Dans le cadre de ce mémoire, nous avons étudié notre corpus de sources selon une double méthode quantitative et qualitative. Nous avons procédé à une analyse quantitative des différents numéros du New York Times et du Chicago Tribune composant notre échantillon

31 Jennifer Holt et Alisa Perren, Media Industries: History, Theory and Method, Oxford, Wiley-Blackwell, 2009, p. 25.

14 afin d’établir l’évolution au fil du conflit du poids médiatique accordé par chacun de ces quotidiens à la couverture de la résistance et de la collaboration. Cette analyse quantitative a aussi permis d’identifier les pays qui étaient au centre de cette couverture et de comparer leur poids médiatique respectif. Si certains pays, notamment la France, occupent constamment une place prépondérante dans cette couverture, ce poids médiatique fluctue grandement au fil des moments charnières pour la majorité des pays occupés. Par ailleurs, à travers une analyse qualitative, reposant principalement sur l’étude du langage et du contenu des articles répertoriés, nous avons tâché de comparer les perspectives des quotidiens étudiés à propos des deux aspects de notre problématique et d’analyser l’impact de leur positionnement idéologique respectif sur ces différentes prises de position.

En premier lieu, nous avons dépouillé tous les numéros du New York Times et du Chicago Tribune composant notre échantillon afin de dresser un inventaire des articles traitant de la résistance ou de la collaboration. Puis, nous avons répertorié plusieurs paramètres indispensables pour chacun de ces articles, notamment le sujet, le type d’article, sa taille et son emplacement au sein du numéro ainsi que des notes à propos du langage et du contenu. Pour chacun des 31 mois sélectionnés dans le cadre de notre échantillonnage, nous avons ensuite procédé à une analyse comparative de la couverture réalisée par les deux quotidiens étudiés. Ainsi, pour un mois donné, nous avons comparé le nombre d’articles par pays au sujet de la résistance et de la collaboration répertoriés dans le New York Times et le Chicago Tribune et, surtout, l’emplacement et la taille de ces articles afin de mettre en relief le poids médiatique accordé par les quotidiens étudiés aux deux aspects de notre problématique. En effet, il convient de rappeler que notre stratégie de recherche quantitative a été inspirée par la méthode employée par Leff. Si elle répertorie un nombre relativement important d’articles au sujet de l’Holocauste dans le New York Times, son ouvrage montre que la plupart de ces articles ne sont que de petites rubriques, souvent enfouies près de la section nécrologique32. De ce fait, il apparaît que la taille et, surtout, l’emplacement des articles à propos d’un sujet donné sont souvent plus représentatifs de son poids médiatique que la simple récurrence33.

32 Leff, op. cit., p. 3. 33 Ibid., p. 5.

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Ainsi, la mention régulière d’un sujet dans les premières pages d’un quotidien ou dans les éditoriaux est synonyme d’un poids médiatique considérable.

Aussi, nous avons employé une méthode qualitative fondée sur l’analyse du langage et du contenu des articles répertoriés afin de déterminer les perspectives des quotidiens étudiés face à nos thèmes. Le langage employé par un auteur et le contenu de son article, à travers le choix des faits retenus et la manière de les présenter, étant le reflet de son idéologie, cette portion de notre analyse comparative nous a permis d’étudier les motivations sous-jacentes aux fluctuations des portraits des résistants et des collaborateurs réalisés par le New York Times et le Chicago Tribune34. Ce type d’analyse permet de déceler la propagande camouflée à travers des articles à prime abord à caractère informatif35. À titre d’exemple, l’usage récurrent de termes comme « shameful », « traitors » ou « » pour référer aux membres du gouvernement de Vichy dans le New York Times reflète le mépris qu’il cherche à inspirer envers les collaborateurs. Nous avons accordé une grande importance aux termes utilisés afin d’héroïser ou de démontrer l’inefficacité des résistants et à ceux employés afin de condamner ou d’excuser les collaborateurs. De plus, grâce à l’analyse du contenu, à travers l’observation de la sélection des faits et de la manière de présenter l’information, nous établirons une adéquation entre le message présenté dans un article et les motivations de l’auteur; le message reflétant ses opinions et ses valeurs. De même, le fait que les éléments absents dans un texte soient particulièrement révélateurs de l’idéologie d’un auteur ou d’un quotidien représente un autre élément essentiel de l’analyse du contenu36. Nous avons donc tâché d’identifier quels éléments du sort des résistants et des collaborateurs sont souvent occultés par les quotidiens étudiés et d’interpréter les motivations qui expliquent cet état de fait. Or, contrairement à l’analyse quantitative, les méthodes qualitatives laissant une place significative à l’interprétation et ne donnant pas de réponses absolues, l’étude de l’historiographie fut essentielle afin d’interpréter judicieusement notre corpus de sources37.

34 Anders Hansen et David Machin, Media and Communication Research Methods, Londres, Palgrave Macmillan, 2013, p. 112. 35 John Street, Mass Media, Politics and Democracy, Londres, Palgrave Macmillan, 2001, p. 21. 36 Bonnie Brennen, Qualitative Research Methods for Media Studies, New York, Routledge, 2013, p. 207. 37 Ibid., p. 203.

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Plan du mémoire

Afin de réaliser une analyse comparative globale de l’évolution de la couverture des résistants et des collaborateurs présentée par ces deux quotidiens lors de la Deuxième Guerre mondiale, nous nous intéresserons à l’ensemble de la durée du conflit en Europe, à savoir entre septembre 1939 et mai 194538. Sur le plan géographique, nous traiterons de la couverture médiatique de l’occupation allemande en Europe et, dans une moindre mesure, en Afrique du Nord. De ce fait, nous nous intéresserons à la couverture de la résistance et de la collaboration dans l’ensemble des pays occupés ou annexés par l’armée allemande au fil du conflit, notamment l’Autriche, les Sudètes et la partie tchèque de la Tchécoslovaquie, la Pologne, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Belgique et la zone nord de la France, certaines parties de la Yougoslavie, les Pays baltes et certaines régions de l’Union Soviétique, et dans ceux dirigés par des régimes complices ou fantoches, tels que la Slovaquie, la Norvège, la France de Vichy, la Serbie, la Croatie, la Grèce et l’Albanie. Nous nous intéresserons aussi au cas particulier du Danemark39. En revanche, la couverture médiatique de la résistance et de la collaboration dans les pays alliés avec l’Allemagne, comme l’Italie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie et la Finlande, ou sympathisants, tels que l’Espagne, ne sera pas analysée. Cependant, nous nous intéresserons au sort des résistants et des collaborateurs de certains de ces pays à la suite de leur occupation partielle par l’armée allemande. Nous référons, entre autres, à la République de Salo en Italie du Nord, dès septembre 1943, à la Hongrie de Ferenc Szalasi, à compter d’octobre 1944, ainsi qu’aux tentatives éphémères de l’Allemagne de conserver une partie des territoires roumains, finlandais et bulgares, entre août et novembre 1944.

Dans un premier chapitre, nous effectuerons une comparaison quantitative globale des portraits des résistants et des collaborateurs réalisés par le New York Times et le Chicago Tribune afin de présenter certaines conclusions générales préalables à notre analyse par période. Puis, la suite de notre développement se divise en sept chapitres s’intéressant à

38 Notre champ d’étude s’étendra jusqu’à la fin mai 1945 car, malgré la capitulation sans condition de l’Allemagne aux Alliés le 8 mai, particulièrement en Tchécoslovaquie et en Yougoslavie, des unités allemandes poursuivent le combat pendant quelques jours. 39 Le Danemark se distingue des autres pays occupés car, pendant toute la durée de l’occupation, les envahisseurs allemands ont laissé le roi et le gouvernement démocratiquement élu en place.

17 différentes périodes chronologiques dans lesquels nous comparerons les couvertures de nos deux sujets d’étude présentées par les quotidiens étudiés. Cette division chronologique est balisée par des moments charnières marquant une certaine transition dans l’évolution de la couverture médiatique de la résistance et de la collaboration. Le deuxième chapitre traite de la période entre le début du conflit, en septembre 1939, et l’entrée en guerre des États-Unis en décembre 1941. Or, la majorité de l’Europe n’étant pas encore sous occupation allemande avant les conquêtes du printemps 1940, notre analyse lors de cette période s’étendra surtout entre juillet 1940 et décembre 1941 alors qu’une éventuelle intervention militaire apparaît de plus en plus inévitable pour nombre d’Américains. Le troisième chapitre porte sur les premiers temps de la participation américaine à la Deuxième Guerre mondiale, moment où les troupes américaines ne sont pas encore engagées dans des opérations terrestres contre la . Le quatrième chapitre traite de la période, s’étendant de novembre 1942 à août 1943, pendant laquelle la campagne d’Afrique du Nord est au centre de l’effort militaire américain contre l’Allemagne. Par la suite, avec l’armistice italien de septembre 1943 et le début de la guerre civile dans ce pays, le focus médiatique se déplace vers la campagne d’Italie, principal théâtre d’opération en Europe entre septembre 1943 et mai 1944. Le cinquième chapitre s’intéresse à cette étape du conflit. Notre sixième chapitre couvre la période s’étendant entre D-Day, en juin 1944, et septembre 1944, théâtre de la libération de la France et d’une vague de révolte sans précédent à l’échelle européenne. Dans le septième chapitre, nous nous intéressons à une étape du conflit, entre octobre 1944 et mars 1945, où l’offensive des Alliés occidentaux stagne aux frontières de l’Allemagne tandis que les questions du rôle politique que les mouvements de résistance doivent jouer dans les pays libérés et du sort à réserver aux collaborateurs prennent une place prépondérante dans l’actualité à travers des évènements comme la guerre civile grecque et les procès de collaboration en France. Le huitième chapitre porte sur les derniers mois du conflit alors que les troupes américaines envahissent l’Allemagne et que les derniers vestiges de l’Empire nazi tombent les uns après les autres.

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Chapitre 1 : Comparaison générale quantitative de la couverture médiatique de la résistance et de la collaboration réalisée par le New York Times et le Chicago Tribune

En premier lieu, nous établirons une comparaison générale quantitative de la couverture médiatique de la résistance et de la collaboration en Europe occupée réalisée par le New York Times et le Chicago Tribune au cours de la Deuxième Guerre mondiale.

Sans équivoque, le New York Time consacre une attention médiatique beaucoup plus importante que le Chicago Tribune à la résistance et à la collaboration en Europe occupée. En effet, dans le cadre de notre échantillonnage, nous avons répertorié 3 651 articles pour le premier, soit 76 % des articles retenus, contre seulement 1 178 dans le deuxième; un état de fait indispensable à considérer lors de notre analyse. Logiquement, nous avons aussi répertorié beaucoup plus d’articles en première page, 583 (75 % des articles retenus) comparativement à 191, et d’éditoriaux, 194 (80 % des éditoriaux relevés) contre 48, traitant de nos sujets d’étude dans le New York Times. Surtout, le Chicago Tribune présente proportionnellement moins d’éditoriaux au sujet de la résistance et de la collaboration que son homologue, c’est-à-dire 4 % au lieu de 5 % des articles retenus. Un constat logique compte tenu des visions opposées du rôle des États-Unis dans le monde défendues par ces deux quotidiens. La grande majorité des éditoriaux dans le Chicago Tribune est consacrée à l’analyse de la politique intérieure américaine. À l’inverse, le New York Times énonce quotidiennement son opinion au sujet d’évènements se déroulant sur le plan international.

D’autre part, les chapitres suivants montreront que l’ampleur de la couverture médiatique consacrée par le Chicago Tribune à la résistance et à la collaboration fluctue grandement au fil des périodes étudiées tandis qu’elle est beaucoup plus constante dans le New York Times. L’échelle de variation de la proportion d’articles en première page et d’éditoriaux parmi les articles répertoriés est particulièrement révélatrice. Pour les sept périodes étudiées, cette proportion varie de 10 % à 28 % d’articles en première page et de 2 % à 8 % d’éditoriaux dans le quotidien du colonel McCormick comparativement à une fluctuation beaucoup plus

19 stable de 14 % à 20 % d’articles en première page et de 4 % à 7 % d’éditoriaux dans son homologue.

Tel qu’illustré dans le tableau 1 (voir annexes, p. 136), pour le Chicago Tribune, les périodes lors desquelles la résistance et la collaboration reçoivent l’attention médiatique la plus importante par mois sont celles des combats aux frontières allemandes, de l’invasion de l’Allemagne et de D-Day et ses suites. Il apparaît donc que l’invasion de l’Europe de l’Ouest par les Alliés occidentaux a entraîné une hausse significative du poids médiatique consacré aux activités des résistants et des collaborateurs par ce quotidien. À l’inverse, la période précédant l’intervention militaire américaine dans le conflit voit une couverture beaucoup moins importante de ces thèmes (1,18 % des articles répertoriés par mois étudié comparativement à 2,3 % pour la période suivante). De même, pour le New York Times, les trois périodes suivant D-Day sont celles pour lesquelles nos sujets d’étude obtiennent l’attention médiatique la plus importante par mois. L’invasion de l’Europe de l’Ouest par les Alliés occidentaux a donc aussi entraîné une augmentation significative du poids médiatique consacré aux résistants et aux collaborateurs par le quotidien new-yorkais; les périodes précédentes représentant une proportion bien moindre des articles retenus comme l’illustre le tableau 1. Or, il est important de noter que, à la différence du Chicago Tribune, l’entrée en guerre des États-Unis ne semble pas marquer une rupture significative dans l’ampleur de la couverture de la résistance et de la collaboration réalisée par le New York Times (1,36 % des articles répertoriés par mois étudié pour la période avant cette intervention militaire comparativement à 1,9 % pour la période suivante). Dans les chapitres trois et quatre, nous tâcherons de développer sur cette différence importante dans la couverture médiatique de nos sujets d’étude réalisée par ces quotidiens. Néanmoins, pour les deux quotidiens étudiés, il apparaît que l’ampleur de la couverture médiatique consacrée à la résistance et à la collaboration augmente constamment au cours du conflit.

Dans un autre ordre d’idées, au terme de l’analyse quantitative de notre corpus de sources, il apparaît que le Chicago Tribune (74 % des articles répertoriés contre 26 %) et le New York Times (72 % contre 28 %) ont consacré une part beaucoup plus importante de leur couverture médiatique à la résistance qu’à la collaboration. Fait intéressant, la période de l’Europe occupée avant l’entrée en guerre des États-Unis représente l’apogée de l’importance

20 médiatique proportionnelle accordée à la collaboration par les quotidiens étudiés; ce sujet étant quasiment aussi couvert que la résistance dans le New York Times (48 % contre 52 %) et le Chicago Tribune (44 % contre 56 %), seul exemple de cet état de fait pendant l’ensemble des sept périodes étudiées. En effet, les politiques du régime de Vichy sont un sujet particulièrement traité par les quotidiens étudiés pendant cette période. À l’inverse, le poids proportionnel de la couverture médiatique au sujet de la collaboration semble décliner, bien que non linéairement, à la suite de l’invasion de l’Italie par les Alliés; les mouvements de résistance accentuant leurs activités tandis que les États collaborateurs chutent les uns après les autres ou voient l’illusion de leur indépendance s’estomper.

Par ailleurs, autre constat apparent à la suite de l’analyse quantitative de notre échantillonnage, autant pour le Chicago Tribune que le New York Times, le poids médiatique des différents pays de l’Europe occupée dans la couverture des résistants et des collaborateurs est très variable et plutôt déséquilibré (voir graphique 1 en annexes, p. 137). Plus spécifiquement, tel qu’illustré par les graphiques 1 et 2 (voir annexes, p. 137 et p. 138), la France est de loin le pays pour lequel la résistance et la collaboration sont le plus couvertes par le Chicago Tribune. L’Italie, à la suite de l’armistice, obtient aussi une part importante d’attention médiatique à propos de ces sujets. En effet, nous avons relevé en moyenne au moins 1 article par jour étudié au sujet des résistants et des collaborateurs dans ce pays. La résistance et la collaboration en Pologne, en Yougoslavie et en Hongrie, à la suite de l’occupation allemande de mars 1944, bénéficient d’une couverture médiatique significative dans ce quotidien; en moyenne au moins un article sur nos sujets d’étude ayant été répertorié à chaque deux jours étudiés pour ces pays. La Tchécoslovaquie, la Norvège, les Pays-Bas, la Belgique, la Grèce, la Bulgarie et la Roumanie sont les sujets d’une couverture mineure dans le Chicago Tribune; c’est-à-dire que nous avons relevé au moins une moyenne de plus d’un article traitant de la résistance ou de la collaboration par mois étudié. Le déséquilibre entre les pays pour lesquels les actions des résistants et des collaborateurs sont les plus couvertes par ce quotidien et ceux où elles le sont moins est d’autant plus apparent si on s’intéresse aux articles en première page et aux éditoriaux. En effet, la France (49,5 % du nombre total; 3,28 articles en première page par mois étudié) est au premier rang, suivie de l’Italie (17 %; 2,46). La Pologne (8 %; 0,48), la Yougoslavie (6,5 %; 0,48), la Hongrie (4 %; 0,8) et la Roumanie

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(2 %, 0,5) sont les seuls autres pays dont les membres de ces groupes sont mentionnés dans un nombre considérable d’articles en première page répertoriés. De même, près de la moitié des éditoriaux relevés dans le Chicago Tribune concerne la France (46 % du total, 0,76 éditorial par mois étudié). La Pologne (19 %, 0,29) et l’Italie (8,5 %, 0,31) sont les seuls autres pays pour lesquels nos sujets d’étude obtiennent une moyenne d’au moins un éditorial relevé à chaque quatre mois étudiés.

De son côté, tel qu’illustré dans les graphiques 1 et 3 (voir annexes, p. 137 et p. 138), le New York Times accorde aussi une position centrale à la France dans sa couverture médiatique de la résistance et de la collaboration. La Pologne, la Yougoslavie et l’Italie reçoivent également une part importante d’attention médiatique. Les actions des résistants et des collaborateurs en Tchécoslovaquie, en Norvège, aux Pays-Bas, en Belgique, en Grèce et en Hongrie obtiennent une couverture significative dans ce quotidien tandis qu’il accorde un poids médiatique mineur au sort des membres de ces groupes en Slovaquie, en Autriche, au Danemark, en Croatie, en Albanie, en Union soviétique, en Bulgarie, en Roumanie et en Finlande. À l’image du constat posé pour le Chicago Tribune, bien que dans une moindre mesure, le déséquilibre entre les pays pour lesquels la résistance et la collaboration sont les plus couvertes par le New York Times et ceux où elles le sont moins est plus marqué au sein de notre échantillonnage d’articles en première page et d’éditoriaux. Sans surprise, une proportion très importante des articles en première page relevés concerne la France (38,5 % du nombre total; 7,76 articles en première page par mois étudié) tandis que nos sujets d’étude obtiennent au moins 2 articles en première page par mois étudié pour les cas de l’Italie (7,5 %; 3,38), de la Hongrie (5 %; 2,9) et de la Pologne (11 %; 2,1). La Yougoslavie (8 %; 1,88), la Grèce (4,5 %; 1,08), la Roumanie (2 %; 1,5) et la Bulgarie (2 %; 1,38) sont les seuls autres pays pour lesquels les résistants et les collaborateurs sont mentionnés en moyenne dans au moins un article en première page par mois étudié. De même, le quotidien new- yorkais présente en moyenne plus de deux éditoriaux par mois étudié au sujet de la résistance ou de la collaboration française (43 % du nombre total, 2,86 articles par mois étudié) et italienne (13,5 %, 2). La Pologne (9,5 %, 0,58), la Yougoslavie (7,5 %, 0,6), la Grèce (6,5 %, 0,52), la Hongrie (2 %, 0,4) et la Roumanie (1 %, 0,25) sont les seuls autres pays

22 avec une moyenne d’au moins un éditorial sur ces thèmes relevé à chaque quatre mois étudiés.

Ainsi, il apparaît que l’Autriche, la Slovaquie, le Danemark, le Luxembourg, Monaco, la Croatie, l’Albanie, les Pays baltes, l’Union soviétique, et la Finlande représentent des éléments marginaux dans la couverture des deux angles de notre mémoire réalisée par le Chicago Tribune et le New York Times; en moyenne moins d’un article sur ces pays par mois étudié ayant été relevé dans au moins l’un des deux quotidiens étudiés. Conséquemment, nous avons généralement accordé une attention très limitée à la couverture de la résistance et de la collaboration dans ces derniers pays lors de notre étude.

D’ailleurs, il apparaît que la proportion d’articles consacrés à la résistance et à la collaboration est très variable à l’échelle des différents pays étudiés comme l’illustrent les graphiques 4 et 5 ainsi que le tableau 2 (voir annexes, p. 139 et p. 140). Plus précisément, en nombre absolu, la France est de loin au 1er rang autant pour la couverture de la résistance que celle de la collaboration dans les quotidiens étudiés. En ce qui concerne la résistance, la Pologne obtient le 2e poids médiatique le plus important, suivie de la Yougoslavie au 3e rang, de l’Italie au 4e rang et de la Grèce au 5e rang. Ensuite, la Tchécoslovaquie et les Pays-Bas sont à égalité au 6e rang dans le Chicago Tribune et le New York Times tandis que la Norvège et la Belgique sont respectivement au 8e et 9e rang. Parallèlement, soulignons notamment que l’Italie est au 2e rang au sujet de l’importance de la couverture médiatique de la collaboration réalisée par les quotidiens étudiés. La Hongrie est à égalité au 2e rang dans le quotidien du colonel McCormick et au 4e rang dans le quotidien new-yorkais tandis que la Norvège est au 4e rang dans le premier et au 3e rang dans le deuxième. L’analyse des articles en première page et des éditoriaux répertoriés dans le Chicago Tribune et le New York Times montre une échelle semblable par rapport à l’importance proportionnelle des pays étudiés dans leur couverture de la résistance et de la collaboration en Europe occupée. Logiquement, dans le cadre de notre analyse qualitative, nous nous intéresserons donc principalement à leur couverture des résistants français, polonais, yougoslaves, italiens et, dans une moindre mesure, grecs, tchécoslovaques, néerlandais, norvégiens et belges ainsi que des collaborateurs français, italiens, hongrois et norvégiens.

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Chapitre 2 : L’Europe occupée avant l’entrée en guerre des États-Unis

Dans ce premier chapitre de notre analyse qualitative, nous nous intéresserons à la couverture de la résistance et de la collaboration réalisée par les quotidiens étudiés entre l’invasion de le Pologne par l’Allemagne en septembre 1939 et novembre 1941, période précédant l’intervention militaire américaine. Plus précisément, dans le cadre de notre échantillonnage, nous avons étudié les mois d’octobre 1939, marqué par les derniers combats en Pologne, d’avril 1940, théâtre de l’invasion de la Norvège, de juin et juillet 1940, voyant l’armistice franco-allemand, l’ascension du régime de Vichy et les débuts de France libre, d’octobre 1940, marqué par les débuts de la collaboration organisée entre Vichy et l’Allemagne, de mars 1941, lieu du coup d’État antinazi en Yougoslavie, de juin 1941, théâtre du début de l’invasion allemande de l’Union soviétique et de l’offensive des troupes françaises libres et britanniques sur la Syrie vichyste, et d’octobre 1941, dominé par la première grande vague de résistance à travers l’Europe occupée. Cette période, marquée par la conquête de la majorité de l’Europe par l’Allemagne, assistée par ses alliés et les États collaborateurs, voit des tentatives croissantes des mouvements de résistance intérieure et des gouvernements et armées en exil afin de s’opposer à la domination allemande. Or, si, avant la défaite de la France, les grands quotidiens américains perçoivent cette guerre comme un conflit européen, même le New York Times n’envisageant pas une intervention militaire des États-Unis, à partir de l’été 1940, ils présentent des perspectives de plus en plus distinctes sur le rôle que les États-Unis doivent y jouer. En effet, jusqu’à l’attaque de Pearl Harbor, le Chicago Tribune reste opposé à une intervention militaire américaine, voyant même d’un bon œil le conflit entre l’Allemagne fasciste et l’Union soviétique communiste. Le quotidien new-yorkais semble se résoudre progressivement à l’avis qu’une intervention militaire est inévitable; les États-Unis ne pouvant permettre la défaite d’un partenaire économique aussi important que la Grande-Bretagne. Dans ce chapitre, nous analyserons donc l’influence de leur position respective sur leur couverture de la résistance et de la collaboration. Notons que, en raison de l’attention médiatique apportée aux politiques des régimes collaborateurs de Quisling en Norvège et, surtout, de Pétain en France, le poids médiatique consacré à la résistance et de la collaboration est beaucoup plus équilibré que la moyenne dans le Chicago Tribune (56 % contre 44 %) et le New York Times (52 % contre 48 %) au cours de cette période.

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Lors du mois d’octobre 1939, si des mouvements de résistance intérieure concertés n’ont pas encore été organisés, les quotidiens étudiés s’intéressent dans un ordre de grandeur variable à la continuation des combats en Pologne et à la formation d’un gouvernement polonais en exil. Le Chicago Tribune se pose en faveur de la paix et tâche de montrer que les Allemands font des efforts en ce sens40. De ce fait, il ne s’intéresse pas beaucoup aux initiatives des Polonais (3 articles relevés) afin de poursuivre la lutte. À l’inverse, la couverture médiatique réalisée par le New York Times montre qu’il anticipe que la guerre opposant l’Allemagne à la Grande-Bretagne et la France ne fait que commencer. Ainsi, il s’intéresse beaucoup plus que son homologue à la continuation des combats en Pologne et à l’organisation du gouvernement et de l’armée polonaise en exil (10 articles retenus). Notons que nous avons répertorié très peu d’articles au sujet de la résistance polonaise lors du reste de cette période; un état de fait pouvant s’expliquer car, au printemps 1940, les derniers soldats polonais poursuivant le combat ayant été tués, devant la brutalité de la répression allemande, les résistants ont adopté la stratégie d’organiser un réseau sous-terrain et d’attendre le moment propice avant de passer à l’offensive41.

D’autre part, au mois d’avril 1940, l’invasion de la Norvège entraîne un changement de focus dans la couverture réalisée par les quotidiens étudiés. En effet, l’ampleur de l’attention médiatique consacrée par les quotidiens étudiés à l’invasion de la Norvège et à l’ascension subséquente du gouvernement Quisling voit la résistance et, surtout, la collaboration dans ce pays obtenir un poids médiatique significatif au cours de notre première période d’étude. En effet la collaboration norvégienne représente respectivement le 3e et le 5e aspect le plus traité par le Chicago Tribune (10 % des articles répertoriés, 1,57 article par mois étudié) et le New York Times (4,5 %, 2,6) au cours de cette période. De plus, 50 % des articles au sujet de la collaboration dans ce pays retenus dans le quotidien du colonel McCormick et 26 % de ceux dans son homologue ont été publiés lors de celle-ci tandis qu’il en a été de même pour 31 % des articles au sujet de la résistance norvégienne répertoriés dans le premier et 29 % de ceux dans le deuxième. Si, dès avril, la défaite de la Norvège est présentée comme un fait accompli par le Chicago Tribune, le New York Times présente beaucoup plus d’articles au sujet de la

40 « Neither War nor Peace », Chicago Tribune, 21 octobre 1939, p. 12. 41 Mazower, op. cit., p. 471-472.

25 résistance continue des soldats norvégiens (15 articles répertoriés, dont 8 en première page, contre 1), lesquels poursuivent le combat malgré leur infériorité numérique et la trahison des collaborateurs. Solidaire à la cause du Danemark et de la Norvège, il dénonce les envahisseurs allemands et présente deux articles au sujet d’Américains d’origine scandinave qui s’engagent comme volontaires afin de libérer le pays de leurs ancêtres. Par ailleurs, surtout en octobre 1940, les quotidiens étudiés s’intéressent au programme de nazification que Quisling tâche de réaliser en Norvège par l’entremise de l’abolition des syndicats, de la censure et de l’arrestation de ses opposants. Or, notons que dans le contexte de la vague de résistance du mois d’octobre 1941, le New York Times présente l’adresse du commissaire nazi Terboven, appelant les Norvégiens à obéir au gouvernement Quisling s’ils veulent retrouver leur indépendance après la guerre, comme un signe de désespoir. Un an plus tard, il apparaît donc que ce programme de nazification s’est avéré un échec.

Puis, en juin 1940, l’armistice franco-allemand entraîne la France à l’avant-plan de la couverture du conflit réalisée par les quotidiens étudiés. En effet, bien que seulement étudiés pendant six des huit mois retenus dans le cadre de cette première phase du conflit, l’étude des politiques du régime de Vichy, la participation des troupes collaboratrices et des résistants français au conflit et, dans une moindre mesure, les efforts de Charles de Gaulle afin d’organiser la résistance dominent la couverture de nos sujets d’étude réalisée par le Chicago Tribune et le New York Times; la collaboration et la résistance françaises étant de loin respectivement les 1er et 2e aspects obtenant l’attention médiatique la plus importante dans le quotidien du colonel McCormick (32,5 % des articles répertoriés, 6 articles par mois étudié et 22 %, 4) et son homologue (33 %, 22 et 16 %, 10,7). En fait, 25 % de l’ensemble des articles au sujet de la collaboration française répertoriés dans le deuxième 19 % de ceux relevés dans le premier l’ont été pendant cette période.

Dans un premier temps, les quotidiens étudiés s’intéressent à la résistance continue d’une partie de l’armée française malgré la décision du gouvernement de demander un armistice; le New York Times louangeant particulièrement ces efforts. Attestant de sa volonté à poursuivre le combat à partir de l’Empire, ces journaux s’intéressent à l’appel gaulliste à poursuivre la lutte et au regroupement conséquent de soldats français en Grande-Bretagne.

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Par ailleurs, l’analyse de notre corpus de source montre que, alors que l’effondrement de la France représente un choc important aux États-Unis, les quotidiens étudiés présentent des positions assez différentes au sujet de l’armistice. Le Chicago Tribune est plutôt neutre et refuse de condamner unilatéralement l’Allemagne42. Un éditorial défend, entre autres, la décision d’Hitler de faire signer l’armistice à Compiègne43. Le New York Times affirme ouvertement son opposition à l’armistice et, malgré son incertitude au sujet du rôle que la France jouera dans le reste du conflit, ses espoirs que de nombreux Français poursuivront la lutte44. Notons que, encore à ce jour, le débat se poursuit pour savoir si le gouvernement français aurait réalistement pu continuer la guerre à partir de l’Afrique du Nord45.

Puis, au cours du mois de juillet, les quotidiens étudiés s’intéressent aussi aux conséquences de l’attaque britannique contre la flotte française à Mers-el-Kébir pour les collaborateurs et les résistants français; le New York Times, particulièrement, accordant une attention médiatique significative à ce sujet (7 articles relevés, dont 3 en première page et 1 éditorial). Il apparaît que, si Vichy dénonce l’attaque et rompt ses relations avec la Grande-Bretagne, de Gaulle défend l’intervention des Britanniques tandis que des marins et des soldats français continuent de se rallier à sa cause. Le quotidien new-yorkais présente l’attaque comme une tragédie regrettable mais stratégiquement nécessaire46.

Par ailleurs, la couverture des évènements de juin et de juillet 1940 réalisée par les quotidiens étudiés met de l’avant leurs perspectives à propos de futurs acteurs importants de la collaboration française comme Pétain et Laval. Ainsi, le Chicago Tribune (6 articles répertoriés, dont 2 en première page et 1 éditorial) et, particulièrement, le New York Times (10 articles, dont 3 en première page et 1 éditorial) consacrent un poids médiatique important à l’organisation du régime de Vichy. Insistant sur la censure, les procès d’État et la mise en place d’associations de jeunes inspirées du modèle nazi, le quotidien du colonel McCormick illustre le caractère dictatorial de ce régime. Il critique particulièrement les procès de culpabilité pour la défaite, les associant à des règlements de compte47. Le New York Times

42 David Darrah, « France Orders Mourning Today as Fight Ceases », Chicago Tribune, 25 juin 1940, p. 9. 43 « The Reunion in Compiegne », Chicago Tribune, 25 juin 1940, p. 10. 44 « Agony of the Third Republic », New York Times, 21 juin 1940, p. 18. 45 Jackson, op. cit., p. 122. 46 « The French Navy », New York Times, 5 juillet 1940, p. 12. 47 « State Trial in France », Chicago Tribune, 29 juillet 1940, p. 10.

27 montre aussi le caractère dictatorial du gouvernement Pétain, relevant notamment son inspiration nazie, les procès d’État et les pouvoirs importants du maréchal, mais ne le condamne pas sans équivoque. Or, à ce stade du conflit, malgré leurs critiques, les quotidiens étudiés ne remettent jamais en doute la légitimité du gouvernement de Vichy. Fait intéressant, si, dès l’été 1940, ils critiquent le caractère dictatorial du gouvernement de Vichy, Mazower montre que la droite française ne voyait pas la chute de la Troisième République d’un mauvais œil, tandis que Pétain était perçu de façon générale comme un symbole d’unité48.

Dans le contexte de l’entrevue de Montoire, le début de la collaboration organisée économique et politique entre l’Allemagne et Vichy représente le principal sujet par rapport à la collaboration couvert par le Chicago Tribune (5 articles relevés) et le New York Times (14 articles, dont 2 en première page et 1 éditorial) au cours du mois d’octobre 194049. Le quotidien new-yorkais, notant les arrestations de communistes et la place de l’antisémitisme dans le programme vichyste, affirme que Pétain « …is expected to sign an agreement making certain territorial concessions…and bringing vanquished France into line economically, politically and militarily with the . »50. Ce quotidien condamne ainsi le programme de nazification entrepris par Vichy. Notons que, selon Jackson, contrairement à la perspective présentée par les quotidiens étudiés, particulièrement le New York Times, lors des premiers mois du régime, l’antisémitisme et l’anticommunisme de Vichy ne sont pas motivés par des idées collaboratrices mais sont plutôt des positions cadrant dans le programme de la Révolution nationale51. Les politiques collaboratrices du gouvernement de Vichy continuent de dominer la couverture médiatique de nos sujets d’étude réalisée par le Chicago Tribune (3 articles relevés) et le New York Times (13 articles, dont 1 en première page) au mois de mars 1941. Le premier s’intéresse notamment aux lois antisémites mises en place par le gouvernement Pétain et à l’internement de 50 000 prisonniers étrangers en sol français. Plus encore, le second développe sur les politiques collaboratrices de Vichy, notamment le programme antisémite et la coopération économique avec l’Allemagne, particulièrement la production de matériel militaire pour l’armée allemande. Or, malgré cet

48 Mazower, op. cit., p. 418. 49 Jackson, op. cit., p. 174. 50 Daniel Brigham, « French to Give Axis Land and Bases », New York Times, 25 octobre 1940, p. 1. 51 Jackson, op. cit., p. 150.

28 agenda collaborateur, le New York Times, à l’image de l’administration Roosevelt, refuse encore de condamner unilatéralement Vichy. En effet, il insiste sur la popularité de Pétain et relève son opposition au Japon sur la question de l’Indochine.

Dans le même ordre d’idées, au mois de juin 1941, les quotidiens étudiés réalisent leur bilan de la première année du gouvernement de Vichy. Le Chicago Tribune, encensant particulièrement le maréchal, dresse un bilan très positif de sa première année au pouvoir : « …has accomplished an unbelievable amount of rehabilitation of France. France as a nation is on his feet again after the most terrible defeat in its history. »52. De son côté, le New York Times présente un bilan beaucoup plus ambivalent et exprime sans équivoque son soutien pour la cause de France libre. En effet, ce quotidien affirme que la défaite de la France a permis aux adversaires de la démocratie de prendre le pouvoir et pose que Vichy cherche à blâmer la Grande-Bretagne et à prétexter la défense de l’Empire afin de justifier un programme de coopération accrue avec l’Allemagne53. Néanmoins, il se garde toujours de condamner Pétain. Or, encore en octobre 1941, quelques mois avant l’entrée en guerre des États-Unis, le Chicago Tribune continue de dresser un portrait plutôt positif de Pétain; insistant, entre autres, sur ses efforts afin de mettre fin à la répression contre ses concitoyens en appelant à l’arrêt des attentats et en s’offrant comme otage54. À l’inverse, le New York Times illustre un certain rapprochement entre Vichy et l’Allemagne nazie; celui-ci rapportant notamment la rédaction d’articles par Déat et Laval louant les victoires allemandes en Union soviétique. Or, ce quotidien note tout de même l’existence de sources de tension entre Vichy et l’Allemagne; Pétain refusant, entre autres, de permettre le retour de Laval au pouvoir et, impressionné par sa résistance en Syrie, de remplacer Weygand en tant que commandant des troupes vichystes en Afrique. Ainsi, à la fin de cette période, si, à la différence du Chicago Tribune, dont la position ne semble pas avoir beaucoup évolué depuis l’armistice de juin 1940, le quotidien new-yorkais est de plus en plus critique envers le régime vichyste, à l’instar du gouvernement Roosevelt, il se refuse encore à le condamner unilatéralement.

52 David Darrah, « France on Feet as Petain Regime Ends First Year », Chicago Tribune, 17 juin 1941, p. 4. 53 The United Press, « Leahy Sees Petain on Collaboration », New York Times, 5 juin 1941, p. 5. et « France’s Tragic Year ». New York Times, 17 juin 1941, p. 20. 54 David Darrah, « Petain Reported Offering Self as Nazi Hostage », Chicago Tribune, 25 octobre 1941, p. 7.

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Parallèlement, dès octobre 1940, affirmant son soutien pour les résistants français, le New York Times (3 articles, dont 1 éditorial) accorde une certaine attention médiatique aux efforts du général de Gaulle afin de mobiliser l’Empire français sous la bannière de France libre. Surtout, au mois de juin 1941, le Chicago Tribune (7 articles retenus, dont 1 en première page) et, particulièrement, le New York Times (24 articles, dont 6 en première page et 3 éditoriaux) accordent un poids médiatique important à l’invasion de la Syrie vichyste par des troupes françaises libres et britanniques. Si le quotidien du colonel McCormick relève l’ampleur de la participation de France libre à cette campagne (plus de 400 000 hommes), il exprime son désaccord envers la stratégie gaulliste qui a entraîné des combats fratricides : « …forcing Frenchmen to shot at Frenchmen. »55. De son côté, le New York Times, appuyant cette campagne plus clairement, soutient que la population locale est favorable aux Alliés et que les soldats français libres jouent un rôle prépondérant. Surtout, bien que déplorant ces combats fratricides entre Français, il rejette la responsabilité sur Vichy en raison de son association de plus en plus étroite avec l’Allemagne56. Or, le débat sur la « culpabilité » pour les combats fratricides en Syrie se poursuit à ce jour. Si Mazower semble, en partie, montrer le bien-fondé des critiques du Chicago Tribune envers la stratégie gaulliste en illustrant que l’invasion de la Syrie a certainement contribué à pousser Pétain vers une collaboration plus étroite, il en est autrement pour Jackson57. Celui-ci affirme que l’accord entre Darlan et l’Allemagne permettant aux nazis d’utiliser des aéroports en Syrie a entraîné l’invasion des Forces françaises libres58. Notons que, au cours de cette période, les quotidiens étudiés n’accordent pas beaucoup d’attention aux activités de la résistance intérieure française; celle- ci se concentrant sur le recrutement et la propagande tandis que les attaques sont rares59.

Par ailleurs, à partir du printemps 1941, alors que l’Allemagne nazie étend son emprise aux Balkans, les quotidiens étudiés traitent des actions des résistants et des collaborateurs, particulièrement yougoslaves et grecques, dans le cadre de cette invasion. En effet, à compter de l’occupation de la Yougoslavie en mars, le New York Times, notamment, accorde un poids médiatique significatif aux efforts de la résistance yougoslave (4,7 articles relevés par mois

55 David Darrah, « French Battle British Army in Syria », Chicago Tribune, 9 juin 1941, p. 1. 56 « Battle for Syria », New York Times, 9 juin 1941, p. 38. 57 Mazower, op. cit., p. 423. 58 Jackson, op. cit., p. 180. 59Ibid., p. 403.

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étudié). Surtout, à la fin du mois de mars 1941, les efforts de la Yougoslavie afin de rester hors de la sphère d’influence de l’Allemagne, notamment le coup d’État réalisé par les opposants à la signature du traité avec le Reich, deviennent un sujet significatif dans la couverture médiatique de la résistance réalisée par le New York Times (7 articles répertoriés, dont 4 en première page et 3 éditoriaux). Ce quotidien se positionne sans équivoque en faveur des opposants au traité60. Plus encore, dans le contexte de la vague de résistance du mois d’octobre 1941, le Chicago Tribune (4 articles répertoriés) et, particulièrement, le New York Times (10 articles, dont 1 en première page) accordent un poids médiatique significatif à la guerre de guérilla en Yougoslavie, opposant les forces d’occupation et les milices collaboratrices aux Chetniks et aux résistants communistes, et, dans une moindre mesure, en Grèce. Le Chicago Tribune témoigne de l’efficacité de la guérilla yougoslave et grecque; des renforts allemands considérables devant être envoyés afin d’aider les troupes italiennes et bulgares à pacifier les Balkans. La couverture réalisée par le New York Times illustre aussi l’efficacité des mouvements de résistance yougoslaves et grecques tout en témoignant des tentatives allemandes afin de réprimer la guérilla par des bombardements et l’exécution d’otages. Or, il apparaît que ces combats n’opposent pas seulement les fascistes aux résistants mais voient aussi des affrontements fratricides entre communistes et nationalistes.

Parallèlement, à partir de juin 1941, les quotidiens étudiés accordent une certaine attention médiatique aux actions des résistants lors de l’invasion de l’Union soviétique par la Wehrmacht. Il apparaît, entre autres, qu’à compter d’octobre 1941, les Soviétiques mettent sur pied des armées polonaise et tchécoslovaque en exil afin d’appuyer l’Armée rouge. Si, pendant les premiers mois de combats en Union soviétique, le New York Times insiste sur la volonté généralisée de la population soviétique de résister à l’envahisseur, il faut noter que l’attention médiatique accordée par les quotidiens étudiés aux résistants soviétiques apparaît plutôt limitée dans la mesure où la guerre sur le front de l’Est se démarque par une violence sans précédent : « Hundreds of thousands of civilians were shot or hanged and thousands of villages burned as the Germans and their local auxiliaries chased the elusive partisans. »61. Toutefois, en 1941, le fait que la résistance soviétique n’était pas encore organisée et se

60 Anne O’Hare McCormick, « Courage to Be Free Impels Serbs to Defy Hitler », New York Times, 29 mars 1941, p. 14. 61 Mazower, op. cit., p. 140.

31 manifestait surtout par des initiatives locales explique peut-être, en partie, le poids médiatique limité consacré par les quotidiens étudiés à ce sujet62.

Surtout, au-delà de leurs positions distinctes au sujet du rôle que les États-Unis doivent jouer dans le conflit, les quotidiens étudiés montrent que le mois d’octobre 1941 voit la première grande vague de résistance à travers l’Europe occupée; les difficultés allemandes en Union soviétique redonnant espoir aux résistants63. Dans ce contexte, les activités des mouvements de résistance prennent une place importante au sein de la couverture médiatique de la guerre réalisée par le Chicago Tribune (9 articles relevés, dont 1 éditorial) et le New York Times (17 articles, dont 4 en première page et 1 éditorial). Ces quotidiens attestent du caractère paneuropéen de cette vague de révolte en publiant plusieurs articles au sujet des attaques de résistants et de la répression allemande conséquente dans de nombreux pays, notamment la France, la Tchécoslovaquie et la Norvège. Ils s’intéressent particulièrement aux attentats de Nantes et de Bordeaux (3 articles relevés dans le Chicago Tribune et 8, dont 2 en première page et 1 éditorial, dans le New York Times), lesquels provoquent une vague d’arrestations en France en réponse à l’assassinat du général Holtz. Le New York Times (5 articles, dont 2 en première page) met aussi l’emphase sur la campagne de répression menée par Heydrich en réponse à l’essor du sabotage en Tchécoslovaquie; plus de 1000 Tchèques ayant été exécutés pendant le mois d’octobre. Or, ce quotidien présente cette vague de résistance comme le résultat de l’affaiblissement des armées d’occupation allemandes en raison de l’invasion de l’Union soviétique. De ce fait, la minorité de collaborateurs ne peut plus contrôler la population tandis que la brutalité allemande échoue à réprimer la révolte64. Le New York Times apparaît plutôt ambivalent au sujet des actions des résistants; déplorant leurs conséquences pour la population mais reconnaissant leur nécessité. De son côté, le Chicago Tribune qualifie souvent les attaques de la résistance d’attentats. Néanmoins, il condamne la campagne de répression entreprise par Heydrich afin de mater les résistants tchèques, la qualifiant de « drumhead justice », et les actions analogues des forces d’occupation en Norvège65. En effet, ce quotidien argumente que la répression brutale exercée par les forces

62 Mazower, op. cit., p. 167. 63 Ibid., p. 482. 64 Daniel T. Brigham, « Nazi Troop Shift Spurs Rebellion », New York Times, 5 octobre 1941, p. 28. 65 « Germans Shoot 58 More Czechs to Smash Plot », Chicago Tribune, 1er octobre 1941, p. 6.

32 d’occupation en Norvège attise plutôt la révolte66. Notons que, si, dans le contexte de cette première vague de révolte, les quotidiens étudiés affirment que la répression allemande est contreproductive, Mazower, citant notamment l’exemple de la Tchécoslovaquie sous Heydrich, affirme qu’elle s’est souvent révélée un facteur limitatif efficace67.

Somme toute, au cours de cette première période étudiée, à travers le spectre de l’analyse de la couverture de la résistance et de la collaboration réalisée par le Chicago Tribune et le New York Times, il apparaît que les perspectives du conflit présentées par ces quotidiens évoluent différemment. À la fin l’été 1940, en dépit de ses critiques envers le gouvernement Pétain, le Chicago Tribune ne condamne pas ouvertement l’Allemagne nazie et envisage encore moins une intervention américaine dans cette « guerre européenne »68. À l’inverse, le quotidien new-yorkais, s’il ne milite pas encore en faveur d’une intervention militaire américaine, exprime sans équivoque son soutien envers les Alliés et les résistants, particulièrement pour le général de Gaulle et les Français souhaitant poursuivre la lutte. Il reste que le choc de la défaite et de la capitulation soudaine de la France modifie drastiquement les perspectives des médias américains au sujet de cette guerre. En effet, la couverture du New York Times, de plus en plus critique des régimes collaborateurs, même de Vichy, ainsi que de l’Allemagne nazie et ouvertement favorable aux résistants comme aux Alliés, indique que ce quotidien, à l’image de l’administration Roosevelt, semble se résoudre progressivement à une éventuelle intervention militaire américaine dans le conflit. De son côté, le Chicago Tribune, fidèle à sa position isolationniste, est beaucoup plus neutre; présentant même la guerre entre l’Allemagne fasciste et l’Union soviétique communiste comme une évolution positive pour les Américains. Moins critique des collaborateurs, ce dernier quotidien blâme le gouvernement français de 1939 pour la défaite et les malheurs de la France, celui-ci ayant entraîné le pays dans une guerre inutile, et semble conserver une certaine sympathie pour le régime de Pétain. À l’inverse, il critique régulièrement les méthodes des résistants, particulièrement au moment de l’invasion de la Syrie vichyste. Même au mois d’octobre 1941, malgré son intérêt accru pour la résistance, il reste résolument non-interventionniste.

66 « Breeding Barbarism », Chicago Tribune, 21 octobre 1941, p. 12. 67 Mazower, op. cit., p. 8 et 244. 68 « A Continent of Hatreds », Chicago Tribune, 9 juillet 1940, p. 10

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Chapitre 3 : De l’entrée en guerre des États-Unis jusqu’à l’opération Torch

Pour ce troisième chapitre, nous nous sommes intéressés à la couverture de la résistance et de la collaboration réalisée par les quotidiens étudiés entre décembre 1941 et octobre 1942, c’est-à-dire de l’intervention militaire américaine dans le conflit au début de l’opération Torch. Plus précisément, dans le cadre de notre échantillonnage, nous avons étudié les mois de décembre 1941 et de janvier 1942, marqués par l’entrée en guerre des États-Unis, de mai et juin 1942, théâtre de l’invasion de Madagascar vichyste par des troupes britanniques et de l’assassinat d’Heydrich par des commandos tchèques, et d’août 1942, voyant des vagues de résistance en France et en Yougoslavie. Lors de cette période, marquée par l’organisation de l’intervention militaire américaine et représentant un tournant important dans le conflit en raison de victoires majeures des Alliés sur les différents fronts, notamment Moscou, Midway et El Alamein, les quotidiens étudiés présentent des perspectives distinctes au sujet du rôle que les États-Unis doivent jouer dans ce conflit et de leurs objectifs de guerre. Or, entre décembre 1941 et octobre 1942, alors que les victoires alliées encouragent les mouvements de résistance à accroître leurs activités et que les États collaborateurs, notamment la France de Vichy, conservent encore une certaine autonomie, il apparaît que la proportion d’articles consacrés à la résistance et de la collaboration est plus équilibrée que la moyenne dans le Chicago Tribune (64 % contre 36 %) et dans le New York Times (64 % contre 36 %).

En premier lieu, soulignons que le mois de décembre 1941 représente un tournant important, particulièrement en ce qui concerne le Chicago Tribune, dans la couverture des mouvements de résistance et de collaboration en Europe occupée réalisée par les quotidiens étudiés. En effet, si, au début de décembre 1941, le quotidien du colonel McCormick, excusant même la campagne de répression en France, ne condamne pas encore unilatéralement l’Allemagne, à la suite de l’attaque japonaise sur Pearl Harbor, il appuie ouvertement la guerre contre l’Empire du Soleil levant et, dans une moindre mesure, celle contre le Troisième Reich69. Parallèlement, au cours de ce mois, l’Armée rouge réussit à arrêter momentanément l’offensive nazie sur le front de l’Est devant Moscou; une victoire entraînant une certaine

69 David Darrah, « France’s First Goal: Get Rid of Nazi Occupation », Chicago Tribune, 1er décembre 1941, p. 8. Et « Japan’s Perfidy Unites the American People », Chicago Tribune, 9 décembre 1941, p. 1.

34 modification du rapport de force dans la guerre en Europe et représentant un élément de motivation pour les insurgés dans les pays occupés. Or, il apparaît que, pendant la période suivant l’entrée en guerre des États-Unis, les politiques du gouvernement de Vichy et de France libre et la participation des résistants et des collaborateurs français au conflit dominent la couverture médiatique de nos sujets d’étude réalisée par le Chicago Tribune et le New York Times. En effet, la collaboration et la résistance française sont respectivement au 1er et au 2e rang quant à l’ampleur du poids médiatique consacré aux différents aspects de nos sujets d’étude autant dans le quotidien du colonel McCormick (30,9 % des articles relevés, 8,4 articles par mois étudié et 20,6 %, 5,6) que dans son homologue new-yorkais (25,5 %, 17,6 et 20,6 %, 14,2). De fait, 23 % des articles au sujet de la collaboration française répertoriés dans le premier et 18 % de ceux dans le deuxième l’ont été pendant cette période.

L’ampleur de la couverture médiatique consacrée à la résistance et à la collaboration françaises par les quotidiens étudiés lors de cette période nous permet de comparer leurs positions au sujet du gouvernement de Vichy et de France libre. Au moment de l’entrée en guerre des États-Unis, le Chicago Tribune rapporte des rapprochements importants entre le gouvernement Pétain et l’Allemagne, particulièrement un accord selon lequel Vichy céderait des bases africaines aux Allemands en échange de la libération de prisonniers de guerre et de la réduction des frais d’occupation. Or, si les relations entre les Français et l’occupant sont plutôt neutres, il apparaît que la neutralité de Vichy dans le conflit, une prise de position ambivalente, frustre de nombreux français indépendamment de leur allégeance70. De son côté, moins nuancé sur ce sujet, le New York Times présente désormais le gouvernement Pétain comme un outil du régime nazi71. En ce sens, il cite, entre autres, le retour de partisans de la collaboration, dont Laval, au sein du gouvernement vichyste et les négociations évoquées par son homologue. De plus, ce quotidien dénonce l’hypocrisie du maréchal Pétain72. Or, le New York Times anticipe que l’intervention américaine dans le conflit, la destruction du mythe de l’invincibilité allemande et la répression contre la population française rendra plus difficile pour Vichy de populariser la collaboration. Dans ce contexte, il avance que France libre serait en train de gagner la guerre de propagande en Afrique du

70 David Darrah, « France’s First Goal: Get Rid of Nazi Occupation », Chicago Tribune, 1er décembre 1941, p. 8. 71 « Whittling Down Freedom », New York Times, 1 décembre 1941, p. 18. 72 Pertinax, « Vichy’s Problems Grow with War », New York Times, 17 décembre 1941, p. 12.

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Nord malgré le prestige personnel de Darlan et de Pétain ainsi que l’attrait de la promesse vichyste d’obtenir la libération des prisonniers de guerre.

Dans le même ordre d’idées, à la suite de l’entrée en guerre des États-Unis, malgré la réaffirmation de neutralité de Vichy, le New York Times appuie la saisie de navires vichystes par la marine américaine73. Au mois de janvier 1942, ce quotidien montre que le gouvernement vichyste continue de collaborer de plus en plus étroitement avec l’Allemagne; celui-ci annonçant désormais après le fait les exécutions dans la zone occupée. Or, il apparaît que l’entrée en guerre des États-Unis pousse le Chicago Tribune à renier ses sympathies pour Vichy et à adopter une position assez semblable à son homologue. En effet, en mai, les quotidiens étudiés, notant le retour de Laval au pouvoir, montrent que la France de Vichy continue de s’enligner dans l’orbite de l’Allemagne. Plus précisément, le New York Times, présentant Pétain comme un pantin, soutient que le retour de l’impopulaire Laval au pouvoir s’explique par l’abandon de l’Allemagne de ses espoirs de rallier la population française à sa cause74. Les quotidiens étudiés illustrent donc bien le fait que le retour de Laval au gouvernement marque une rupture pour le régime de Vichy : « Despite the absence of Doriot and Déat, Laval’s government was markedly more collaborationist than its predecessors. »75. Aux mois de juin et d’août 1942, ils présentent aussi une couverture détaillée des activités du gouvernement de Vichy, lequel organise sa coopération économique avec le conquérant et envoie des volontaires combattre sur le front de l’Est. Le New York Times montre que Laval tâche de positionner la France dans le camp de l’Axe définitivement; celui-ci écartant lentement Pétain du pouvoir et révisant même certains de ses décrets. Ce quotidien, particulièrement à travers un éditorial publié pour le deuxième anniversaire de l’armistice, condamne la collaboration et l’identifie comme un échec; un autre article rapportant même que seulement 1 000 prisonniers de guerre ont été libérés depuis l’ascension de Pétain76.

Parallèlement, les quotidiens étudiés s’intéressent aux relations complexes entre le gouvernement américain et le mouvement France libre; Roosevelt très sceptique envers

73 « We Seize French Ships », New York Times, 13 décembre 1941, p. 38. 74 « Hitler and Laval », New York Times, 13 mai 1942, p. 18. 75 Mazower, op. cit., p. 214. 76 « When Hitler Danced », New York Times, 17 juin 1942, p. 21.

36 l’utilité de Charles de Gaulle pour les Alliés, particulièrement à la lumière des interventions de France libre à Dakar et en Syrie, espérant toujours rallier Pétain à sa cause77. En premier lieu, mentionnons que, en décembre 1941, la libération des îles de Saint-Pierre et Miquelon par France libre, un projet controversé du général de Gaulle, exacerbe les tensions entre celui- ci et Roosevelt. Si les quotidiens étudiés présentent cette action comme un succès et témoignent de l’appui de la population des îles pour France libre, ils notent aussi les objections du gouvernement américain envers cette opération entreprise sans consultation avec les Alliés78. Au-delà des tensions dues à l’initiative du mouvement gaulliste à Saint- Pierre et Miquelon, le New York Times montre que, si les Nations unies se déclarent ouvertes à tous les gouvernements en exil combattant l’Axe, le cas de France libre pose problème car, malgré la contribution militaire de troupes françaises à l’effort de guerre allié, les États-Unis reconnaissent toujours Vichy comme gouvernement officiel. Encore au mois de mai 1942, la couverture réalisée par ce quotidien illustre que, malgré les efforts diplomatiques de France libre et l’appui américain pour l’invasion de Madagascar, rien n’indique que les États-Unis s’apprêtent à rompre leurs relations avec Vichy. De fait, l’étude de Jackson nous montre plutôt que les évènements de Saint-Pierre et Miquelon et l’invasion britannique de Madagascar sans consulter France libre ont détérioré les relations entre de Gaulle et les Alliés79. Par ailleurs, en juin, le Chicago Tribune affirme que de Gaulle a publié une charte dans laquelle il pose ses objectifs pour l’avenir du pays à la suite de la libération, à savoir, l’élection d’une assemblée nationale, punir les nazis et les « traitors » ainsi que la participation de la France à une organisation internationale80. Il apparaît que cette charte est le résultat d’une entente entre les chefs de la résistance découlant « of the most remarkable secret negotiations »81. De même, le New York Times rapporte l’annonce par de Gaulle de ce programme politique dans lequel il se positionne en parallèle à la Charte de l’Atlantique. Jackson montre que la Déclaration aux mouvements de Résistance à laquelle les quotidiens étudiés font référence représente une étape charnière dans l’union des mouvements de résistance intérieure français sous la bannière gaulliste; un processus qui sera achevé en 194382.

77 Jackson, op. cit., p. 394. 78 Ira Wolfert, « Free French Seize St. Pierre and Miquelon », New York Times, 25 décembre 1941, p. 1. 79 Jackson, op. cit., p. 394. 80 « De Gaulle Issues 5 Point Charter for New France », Chicago Tribune, 25 juin 1942, p. 7. 81 Ibid. 82 Jackson, op. cit., p. 436.

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D’autre part, entre décembre 1941 et octobre 1942, dans le cadre de leur importante couverture de la résistance et de la collaboration française, les quotidiens étudiés traitent de la participation des Forces françaises libres et des troupes vichystes à la guerre autant dans la métropole que dans les colonies. Notons tout d’abord que, à la suite de l’entrée en guerre des États-Unis, nous constatons un certain changement dans la présentation des résistants français dans le Chicago Tribune; ceux-ci étant plus souvent qualifiés de patriotes plutôt que de terroristes. Néanmoins, au mois de janvier 1942, si ce quotidien témoigne de plusieurs attaques de la résistance à travers la France, il continue tout de même d’employer occasionnellement le qualificatif terroriste afin de décrire ces actions. Il semble que, malgré l’intervention militaire des États-Unis, le quotidien du colonel McCormick n’approuve pas entièrement les méthodes des insurgés français.

Lors des mois de mai et d’août 1942, le sort des résistants en France métropolitaine prend une place considérable dans la couverture réalisée par le Chicago Tribune (3 articles relevés à chaque mois). Au-delà de l’évasion du général Giraud, ce quotidien rapporte une vague d’attentats et la violente réponse de l’Allemagne à travers les nombreuses exécutions d’otages. Or, citons, entre autres, un article rapportant que Laval prend des mesures afin de contrôler la violence antinazie, lequel décrit encore les résistants comme des terroristes83. De son côté, pendant toute cette période, le New York Times manifeste un intérêt marqué pour les activités de la résistance française dans la métropole et la répression allemande conséquente. Nous avons notamment relevé un nombre significatif d’articles sur ce sujet lors des mois de janvier, de mai et de juin 1942 (13 articles répertoriés au total, dont 3 en première page et 2 éditoriaux). Notons que, dans un éditorial publié en mai, ce quotidien exprime son appui pour les méthodes de la résistance française; affirmant que « Violence is the only means of protest for the patriotic Frenchman. »84. Au cours du mois de juin, le New York Times insiste sur l’unité grandissante entre les cellules de résistants français, de Gaulle étant de plus en plus rassembleur, et leur coordination accrue avec les Alliés; la résistance assistant notamment les Britanniques lors de raids85. Plus encore, lors du mois d’août, la couverture

83 David Darrah, « France to Take Drastic Action to Curb Anti-Nazi Agitators », Chicago Tribune, 9 août 1942, p. 2. 84 « Hitler and Laval », New York Times, 13 mai 1942, p. 18. 85 Pertinax, « Hitler and Laval », New York Times, 5 juin 1942, p. 8.

38 réalisée par ce quotidien (8 articles relevés, dont 1 en première page) montre que la France est le théâtre d’une vague d’attaques menées par des « patriotes »; le New York Times rapportant de nombreux assauts contre les troupes allemandes et plusieurs attentats à la bombe visant des chemins de fer ou des centrales de recrutement. Devant les activités croissantes de la résistance, un nombre significatif d’articles (4) relate l’arrestation de dizaines d’individus soupçonnés d’activités subversives par la Gestapo ou la police française, laquelle collabore beaucoup plus étroitement avec les Allemands à compter de mai 1942 en raison de l’entente Bousquet-Oberg86.

Par surcroît, au cours de cette période, le Chicago Tribune et le New York Times se sont intéressés à la participation des troupes vichystes et françaises libres à la guerre en Afrique du Nord et, surtout, à Madagascar. Au mois de janvier 1942, ces quotidiens attestent de la présence de soldats français libres aux batailles de Hellfire Pass et d’Halfazo. Or, en mai 1942, ils s’intéressent peu au rôle des troupes françaises lors de la guerre en Afrique du Nord; l’invasion britannique de Madagascar étant plutôt au centre de leur couverture du front africain du conflit. En effet, la prise de Madagascar, île vichyste, par des troupes britanniques obtient un poids médiatique significatif dans le Chicago Tribune (3 articles retenus, dont 1 en première page) et le New York Times (4 articles, dont 1 en première page et 1 éditorial) lors ce mois. Le premier, mentionnant que les Alliés craignaient que Laval permette aux Japonais d’installer des bases sur cette île stratégique, semble en faveur de l’opération87. De même, dans le contexte du retour de Laval au pouvoir, le deuxième énonce son appui pour cette opération et félicite les Alliés d’avoir devancé Vichy88. Plus encore, il est d’avis que cette mesure sera bien accueillie par la majorité des Français. Si le mois de juin 1942 voit une situation analogue pour le Chicago Tribune, le quotidien new-yorkais (5 articles retenus, dont 3 en première page) accorde une attention médiatique significative à la résistance des troupes françaises à une l’offensive allemande en Lybie; la bataille de Bir Hakeim représentant le premier succès militaire des Forces françaises libres contre les Allemands89.

86 Jackson, op. cit., p. 216. 87 Chesly Manly, « U.S. Backs Grab of French Isle to Foil Japan », Chicago Tribune, 5 mai 1942, p. 1. 88 « Madagascar », New York Times, 5 mai 1942, p. 20. 89 Jackson, op. cit., p. 394.

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Parallèlement, au cours de cette période, les quotidiens étudiés présentent la Yougoslavie comme le théâtre des mouvements de guérilla les plus actifs en Europe occupée. De fait, la résistance yougoslave représente le 4e aspect de nos sujets d’étude le plus couvert par le Chicago Tribune (8,1 % des articles retenus, 2,2 articles par mois étudié) et le New York Times (7,8 %, 5,4). En décembre 1941 et en janvier 1942, ils présentent des portraits élogieux des patriotes yougoslaves et, surtout, de leur leader, le général Mikhailovitch. Les deux quotidiens publient, entre autres, des articles semblables l’associant à un Robin des Bois moderne90. Dans ce contexte, le New York Times montre que les Italiens, les Croates et un nombre croissant de divisions allemandes ont échoué à supprimer la guérilla de Mikhailovich et présente cette campagne comme un prélude pour une rébellion à l’échelle européenne. Au mois de mai 1942, ce quotidien affirme que, grâce aux efforts de la guérilla, la Yougoslavie est devenue un second front; une situation compliquant l’offensive allemande en Union soviétique. Conséquemment, il apparaît que, afin de préparer la campagne de printemps sur le front de l’Est, l’Axe entreprend une nouvelle offensive en Yougoslavie et que, en réponse, Mikhailovitch doit retraiter dans les montagnes avec ses hommes. En juin, notons aussi que le Chicago Tribune louange la guerre de guérilla menée par les Yougoslaves mais critique le roi Pierre qui, plutôt que de combattre avec son peuple, profite d’un exil confortable seulement entrecoupé de discours91. Au mois d’août, la couverture réalisée par le quotidien du colonel McCormick montre que l’intense guerre de guérilla en Yougoslavie se poursuit; un article attestant, entre autres, de l’arrestation de 8 000 Serbes dans le cadre des efforts de l’Axe afin de mater cette révolte92. Plus encore, lors de ce mois, la guerre de guérilla en Yougoslavie obtient une couverture médiatique importante dans le New York Times (8 articles répertoriés, dont 1 éditorial). Plusieurs articles témoignent de la mort de centaines de combattants dans des lourds affrontements et des tentatives brutales des forces d’occupation afin de répondre à cette révolte. Ce dernier quotidien fait l’éloge de la guerre de guérilla menée par les Chetniks, dont les rangs atteindraient désormais le nombre de 400 00093. Il apparaît que ceux-ci auraient même libéré plusieurs régions, particulièrement

90 David Anderson, « General Leading Yugoslavs’ Fight Is Rewarded with Post in Cabinet », New York Times, 13 janvier 1942, p. 7. Et « Mikhailovitch, Serb Robin Hood, Named Minister of War », Chicago Tribune, 13 janvier 1942, p. 4. 91 « Black George’s Heir », Chicago Tribune, 29 juin 1942, p. 10. 92 « 20 More Put to Death by Nazis », Chicago Tribune, 25 août 1942, p. 2. 93 « Submarines Bear Aid to Yugoslavs », New York Times, 9 août 1942, p. 20.

40 la Bosnie. Ainsi, au terme de cette période, la Yougoslavie est présentée comme un second front par les deux quotidiens étudiés.

En contrepartie, malgré l’attention médiatique considérable accordée à la guerre sur le front de l’Est pendant cette période, les activités des partisans soviétiques obtiennent généralement un poids médiatique mineur dans les quotidiens étudiés. Néanmoins, le mois de juin 1942 apparaît comme une exception; le Chicago Tribune s’intéressant considérablement aux actions des partisans soviétiques, lesquels auraient notamment tué 7 000 Allemands dans le secteur de Leningrad (3 articles relevés, dont 1 en première page). Pour le New York Times, c’est plutôt le mois d’août qui représente l’exception; un nombre considérable d’articles (3, dont 2 en première page) louangeant les importantes activités de la guérilla soviétique dans le secteur de Leningrad et dans la forêt de Biransk94. En raison de ces exceptions, cette période marquée par des combats importants dans leur pays voit les activités des partisans soviétiques obtenir un poids médiatique plus important que lors du reste de la guerre, particulièrement en ce qui concerne le Chicago Tribune. En effet, 69 % des articles au sujet de la résistance soviétique répertoriés dans ce quotidien et 17 % de ceux dans le New York Times l’ont été entre l’entrée en guerre des États-Unis et l’opération Torch tandis que la résistance soviétique représente tout de même le 6e aspect de nos sujets d’étude le plus traité par le quotidien du colonel McCormick au cours de cette période (6,6 % des articles répertoriés, 1,8 article par mois étudié). Néanmoins, il semble que cette couverture médiatique ne rend pas justice à l’ampleur de la résistance soviétique; à la fin 1942, environ 100 000 partisans étant actifs derrière les lignes ennemies95.

D’autre part, entre l’entrée en guerre des États-Unis et les débuts de l’opération Torch, les quotidiens étudiés accordent aussi une attention médiatique significative à la résistance néerlandaise, notamment à la lutte continue des Indes néerlandaises contre l’invasion japonaise. En effet, cet aspect de nos sujets d’étude est respectivement le 5e et le 3e plus couvert par le Chicago Tribune (7,5 % des articles retenus, 2 articles par mois étudié) et le New York Times (8,1 %, 5,6). Dans ce contexte, 30 % des articles au sujet de la résistance

94 Ralph Parker, « Russians Again Pushed Back in Caucasus », New York Times, 13 août 1942, p. 1. 95 Mazower, op. cit., p. 489.

41 néerlandaise répertoriés dans le premier et 22 % de ceux dans le deuxième l’ont été au cours de cette période. En janvier 1942, dans le contexte de l’entrée en guerre des États-Unis contre le Japon, les quotidiens étudiés, particulièrement le New York Times (6 articles répertoriés, dont 4 en première page et un éditorial), louangent la contribution des Pays-Bas à la guerre dans le Pacifique. Soulignons notamment un éditorial publié en mai par le quotidien new- yorkais à travers lequel il exprime son admiration pour les Néerlandais combattant dans le Pacifique96. De plus, au cours de cette période, les quotidiens étudiés présentent aussi plusieurs articles au sujet des activités de la résistance intérieure néerlandaise, notamment le sabotage et des assassinats, et de la répression allemande conséquente.

De surcroît, surtout à la fin du mois de mai et en juin 1942, l’assassinat de Heydrich par des commandos tchèques et la campagne de répression allemande subséquente sont au centre de la couverture de la résistance réalisée par les quotidiens étudiés. Au cours de ces deux mois, nous avons respectivement relevé 3 et 10 articles, dont 2 publiés en première page, traitant de ces évènements dans le Chicago Tribune et le New York Times. En raison de l’attention médiatique accordée à cet épisode, notons que 35 % des articles au sujet de la résistance tchécoslovaque répertoriés dans le quotidien du colonel McCormick l’ont été entre l’entrée en guerre des États-Unis et l’opération Torch. Dans un contexte où les exécutions de revanche font plusieurs centaines de victimes, les quotidiens étudiés condamnent la campagne de répression allemande mais célèbrent le décès du numéro deux de la Gestapo. Le New York Times insiste sur le fait que cette crise voit le gouvernement fantoche tchèque renoncer aux derniers vestiges de son indépendance; celui-ci ne s’opposant pas à cette campagne de répression97. Fait intéressant, soulignons que Mazower affirme que la réponse draconienne des Allemands à l’assassinat d’Heydrich « … ensured there would be virtually no resistance in the Protectorate until the very end of the war. »98.

Somme toute, notre analyse de la couverture médiatique réalisée par les quotidiens étudiés entre l’entrée en guerre des États-Unis et l’opération Torch montre que cette période est marquée par plusieurs vagues de résistance à travers l’Europe; les victoires alliées redonnant

96 « To a Greater Holland », New York Times, 9 mai 1942, p. 12. 97 Daniel T. Brigham, « 18 More Czechs Executed by Nazis », New York Times, 1er juin 1942, p. 4. 98 Mazower, op. cit., p. 485.

42 espoir aux insurgés. Dans ce contexte, le New York Times, particulièrement, présente les campagnes de répression de la Gestapo comme futiles afin de contenir la résistance. En juin 1942, entre autres, il soutient que le système européen allemand est au bord de l’écroulement; le mouvement de révolte étant attisé par la brutalité des politiques de répression et l’impopularité de dirigeants fantoches comme Laval99. Parallèlement, notre analyse permet de constater que le Chicago Tribune s’intéresse de plus en plus aux activités des résistants à travers l’Europe et exprime un mépris croissant pour les collaborateurs. Néanmoins, il est apparent que, encore lors de cette période, le New York Times insiste beaucoup plus que son homologue sur la contribution des autres alliés, particulièrement de l’Union soviétique, et des mouvements de résistance à l’effort de guerre contre l’Allemagne. En effet, si l’intervention américaine dans le conflit a entraîné un intérêt accru du Chicago Tribune pour les activités des résistants et si, dans un éditorial publié en janvier 1942, il admet que les résistants joueront un rôle important dans la défaite de l’Allemagne, ce quotidien continue de militer en faveur d’un agenda politique américanocentriste100. Citons notamment un éditorial dans lequel ce quotidien présente un plaidoyer pour que les États-Unis annexent les îles japonaises, britanniques et françaises frontalières aux côtes américaines101. L’auteur présente cette ambition comme la récompense naturelle pour l’aide que les Américains apportent à la France conquise.

99 George Axelsson, « Germans Reveal Worries over Unrest in Europe », New York Times, 21 juin 1942, p. 79. 100 « Voices of Doom », Chicago Tribune, 13 janvier 1942, p. 12. 101 « Island Outposts », Chicago Tribune, 25 mai 1942, p. 10.

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Chapitre 4 : De l’opération Torch à l’armistice italien

Ce quatrième chapitre traite de la couverture de la résistance et de la collaboration réalisée par le Chicago Tribune et le New York Times entre novembre 1942 et août 1943, c’est-à-dire du début de l’opération Torch à l’armistice italien. Plus précisément, dans le cadre de notre échantillonnage, nous avons étudié les mois de novembre 1942, marqué par l’invasion de l’Afrique du Nord française par les Alliés, l’entente conséquente entre l’armée américaine et l’ex-vichyste Darlan, l’occupation de la zone libre par l’Allemagne et le sabordage de la flotte de Toulon, de décembre 1942, voyant l’assassinat du controversé Darlan, de février et de mars 1943, théâtre de la campagne alliée en Tunisie et de la formation, en Union soviétique, du gouvernement communiste polonais en exil, et de mai 1943, lieu de la victoire finale des Alliés en Afrique du Nord. Lors de cette période, marquée par le triomphe allié en Afrique du Nord et les succès soviétiques sur le front de l’Est, les grands quotidiens américains présentent des perspectives distinctes au sujet du rôle que les États-Unis doivent jouer dans ce conflit et sur la scène internationale à la suite de l’éventuelle défaite de l’Axe. Or, dans un contexte où l’invasion de l’Afrique du Nord française et ses conséquences amènent les résistants et les collaborateurs français à l’avant-plan de l’actualité médiatique, il apparaît que la proportion d’articles consacrés à la résistance et à la collaboration est plus équilibrée que la moyenne dans le Chicago Tribune (64 % contre 36 %) et dans le New York Times (68 % contre 32 %) au cours de cette période.

Premièrement, soulignons que le mois de novembre 1942 marque une importante transition dans le rôle des Américains dans le conflit; l’invasion de l’Afrique du Nord vichyste voyant la première intervention d’envergure de l’armée américaine dans la lutte contre l’Allemagne. La campagne alliée en Afrique du Nord étant au centre de l’actualité lors de de la période entre les débuts de l’opération Torch et l’armistice italien, il est attendu que les quotidiens étudiés consacrent un poids médiatique très important aux activités des résistants français et des vichystes pendant cette campagne. De fait, lors de cette période aussi marquée par les négociations entre Giraud et de Gaulle et des évènements comme l’entente entre Darlan et les Alliés, l’occupation de la zone libre par les Allemands et le sabordage de Toulon, la résistance et la collaboration française dominent la couverture de nos sujets d’étude réalisée par le Chicago Tribune (respectivement 43,4 % des articles répertoriés, 15,2 articles par mois

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étudié et 29,7 %, 10,4) et le New York Times (35,4 %, 35 et 22,1 %, 21,8). Ainsi, 25 % des articles au sujet de la résistance française répertoriés dans le quotidien du colonel McCormick et 20 % de ceux dans le quotidien new-yorkais l’ont été pendant cette période. Il en a été de même pour 28 % des articles au sujet de la collaboration française relevés dans le premier et 22 % de ceux retenus dans le deuxième.

Surtout, le contexte de l’invasion alliée de l’Afrique du Nord voit les quotidiens étudiés consacrer une attention médiatique significative au rôle des résistants français et des vichystes dans le conflit. En novembre 1942, les nombreux articles publiés par le Chicago Tribune (7, dont 2 en première page) et le New York Times (4 en première page) s’intéressant aux affrontements entre les troupes américaines et les vichystes témoignent surtout du peu d’opposition offerte par les troupes françaises. La couverture réalisée par le Chicago Tribune, insistant, notamment, sur le rôle du « legendary » général Giraud dans la révolte marocaine, atteste aussi de la participation de patriotes français aux combats102. De même, le quotidien new-yorkais louange celui-ci; le qualifiant de héros103. Fait intéressant, ce quotidien précise que les troupes françaises libres ne combattront pas en Afrique du Nord française afin d’éviter les combats fratricides. À l’inverse, au cours des mois de février et de mars 1943, le Chicago Tribune (9 articles relevés, dont 1 en première page) et le New York Times (13, dont 8 en première page) consacrent un poids médiatique significatif à la participation des troupes françaises libres à la campagne alliée en Tunisie. Ces quotidiens soutiennent qu’elles ont participé à des combats importants, tels que la prise du port de Nefta, et se sont distinguées par leur courage. Puis, en mai 1943, le Chicago Tribune (6 articles relevés, dont 3 en première page) et, particulièrement, le New York Times (10 articles, dont 5 en première page) consacrant un poids médiatique important à l’avancée finale des Alliés en Tunisie, attestent de la participation de troupes françaises à cette campagne. Affirmant que l’armée française a fait 25 000 prisonniers sur les 150 000 pris par les Alliés, ils illustrent l’ampleur de sa contribution. Le quotidien new-yorkais encense les forces de Giraud et de Leclerc et élabore sur leur rôle lors de cette offensive. Surtout, il exprime l’espoir que ces succès puissent accélérer la conclusion d’une entente essentielle entre Giraud et de Gaulle.

102 « Report Giraud Leads Revolt of Morocco French », Chicago Tribune, 9 novembre 1942, p. 7. 103 G. H. Archambault, « Enfin! Sums Up French Feeling », New York Times, 9 novembre 1942, p. 3.

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De même, le débat au sujet de l’accord entre les forces américaines et l’amiral Darlan, ancien collaborateur, reçoit une attention médiatique importante dans le Chicago Tribune (3 articles relevés, dont 2 en première page et 1 éditorial) et, surtout, dans le New York Times (14 articles, dont 7 en première page et 3 éditoriaux) lors du mois de novembre 1942. Les quotidiens étudiés témoignent du conflit politique entre les représentants de France libre et Darlan; ceux-ci refusant de reconnaître l’autorité du « no. 2 traitor of France » malgré son entente avec les États-Unis104. Plus encore, les Gaullistes argumentent que cet accord pourrait miner le moral des résistants dans la métropole. Or, le Chicago Tribune est très favorable à cet accord. Dans un éditorial, au-delà des préoccupations morales, il rappelle son utilité; celui-ci ayant permis de sauver des vies américaines105. En effet, l’amiral a pu mettre fin à la résistance des troupes vichystes au Maroc en raison de sa légitimité auprès d’elles. Ce quotidien critique la façon indécise avec laquelle Roosevelt a mené l’affaire et déplore la réaction négative de nombreux Américains face à cet accord. Il présente la réaction des Français libres comme illogique car ils ont besoin des États-Unis afin de libérer leur pays et parce qu’ils pourront juger Darlan après la guerre. De son côté, si le New York Times exprime ses doutes par rapport à cet accord, particulièrement l’absence des Français libres dans les négociations, il réaffirme sa confiance en la politique française du gouvernement américain malgré son étrangeté; soutenant qu’il n’est pas en train de confondre amis et ennemis mais de faire le nécessaire pour remporter la guerre106. Plus encore, dans un éditorial, ce quotidien convient que, ayant livré l’Afrique du Nord et de l’Ouest françaises aux Alliés, « As a collaborationist, Darlan has certainly served us better than he served the Nazis. » et félicite le gouvernement américain pour sa patiente préparation de ce tour de force : « For the past year at least our French policy was a conscious preparation for what we are now witnessing. »107. Néanmoins, le quotidien new-yorkais est plus compréhensif que le Chicago Tribune par rapport au scepticisme des résistants français108. Or, si l’accord a permis le ralliement de l’Afrique-Équatoriale française, Jackson montre qu’il est survenu trop tard afin

104 « De Gaulle Aids Refuse to Join Darlan in Deal », Chicago Tribune, 17 novembre 1942, p. 1. 105 « The Darlan Mystery », Chicago Tribune, 21 novembre 1942, p. 14. 106 « Our French Policy », New York Times, 17 novembre 1942, p. 24. 107 Anne O’Hare McCormick, « The Political Battle for Italy Has Begun », New York Times, 25 novembre 1942, p. 22. 108 Arthur Krok, « Stating, but not Solving, the French Puzzle », New York Times, 17 novembre 1942, p. 24.

46 d’empêcher les Allemands de s’installer en Tunisie et n’a pas permis de rallier la flotte française109.

En décembre 1942, notamment en raison de l’assassinat de Darlan par un nationaliste français, le débat au sujet de l’accord entre celui-ci et les Alliés reste au centre de la couverture médiatique présentée par le Chicago Tribune (6 articles retenus, dont 2 en première page et 3 éditoriaux) et le New York Times (11 articles, dont 2 en première page et 2 éditoriaux). Avant son assassinat, ils affirment que le ralliement de Darlan s’explique par son désir de « sauver » la France tout en rappelant qu’il a ordonné la libération des prisonniers politiques et la fin des lois discriminatoires envers les Juifs. Le Chicago Tribune continue d’affirmer son appui pour cet accord et de critiquer l’attitude de la population américaine et du président envers cet ex-collaborateur110. Or, à la suite de l’assassinat de Darlan le 24 décembre, ce quotidien présente pragmatiquement son décès comme la fin d’un problème111. À l’inverse, si le New York Times reconnaît la nécessité de l’accord et réitère sa confiance envers la politique française du président, il reste sympathique aux protestations de France libre112. Les éditoriaux publiés par ce quotidien présentent Darlan comme une solution militaire temporaire et proposent une réduction de ses pouvoirs113. Il publie aussi plusieurs articles présentant les détails de son assassinat et affirme que cet évènement complique la situation pour les États-Unis114.

Parallèlement, au cours de cette période, les quotidiens étudiés se sont surtout intéressés aux activités de la résistance dans la Métropole française à compter de mars 1943. En effet, le Chicago Tribune (3 articles répertoriés, dont 1 en première page) et, particulièrement, le New York Times (8 articles, dont 1 en première page) montrent que la France est le théâtre d’une vague de révolte lors de ce mois; la formation des premiers groupes de Maquis menant aux premières actions de résistance militaire par des groupes non-communistes115. Ces quotidiens, à l’image des études récentes, présentent cette vague de sabotage et d’attaques de

109 Jackson, op. cit., p. 225. 110 « Darlan in Africa », Chicago Tribune, 9 décembre 1942, p. 18. Et « Eisenhower and Darlan », Chicago Tribune, 17 décembre 1942, p. 16. 111 « Darlan Assassinated », Chicago Tribune, 25 décembre 1942, p. 1. 112 Anne O’Hare McCormick, « Dakar, the Generals and the Future of France », New York Times, 9 décembre 1942, p. 26. 113 « Darlan’s Statement », New York Times, 17 décembre 1942, p. 28. 114 « Darlan Shoot Dead by Frenchman in Algiers », New York Times, 25 décembre 1942, p. 1. 115 Jackson, op. cit., p. 452.

47 guérilla comme la réponse de la population française aux tentatives allemandes et vichystes de mobiliser 400 000 ouvriers pour le travail forcé116. Il apparaît que, pourchassés par la police vichyste, des milliers de jeunes fuient vers les Alpes afin de rejoindre des groupes de résistants plutôt que d’être mobilisés pour le travail forcé. Le New York Times, attestant de l’ampleur de la situation, rapporte que, Vichy ayant déclaré la loi martiale dans le sud-est de la France, les forces allemandes et vichystes préparent une offensive contre les fugitifs. En mai 1943, le Chicago Tribune montre que des milliers de jeunes français continuent de fuir vers les Alpes afin d’échapper à ce programme de mobilisation tandis que le New York Times, illustrant l’ampleur du mouvement de résistance en France, affirme que 50 000 Français ont été exécutés depuis l’armistice; un nombre risquant d’augmenter alors que les résistants accentuent leurs activités en prévision d’une invasion alliée.

D’autre part, l’ampleur de la couverture médiatique consacrée à la résistance et de la collaboration française par les quotidiens étudiés entre novembre 1942 et septembre 1943 permet de comparer leurs positions au sujet du mouvement France libre et du gouvernement de Vichy. Cette analyse de leurs positions est particulièrement intéressante lors de cette période où l’invasion de l’Afrique du Nord transforme les relations américaines avec Vichy et France libre. En effet, en raison de cette offensive alliée, « … the conditions which permitted Laval’s delicate balancing act of satisfying Germany while preserving French neutrality were finally shattered. »117. Premièrement, en novembre 1942, notons que l’invasion de la zone libre par l’Allemagne, en réponse à l’offensive alliée en Afrique du Nord, et le sabordage conséquent de la flotte de Toulon obtiennent une attention médiatique importante dans le Chicago Tribune (3 articles relevés, dont 1 en première page) et, particulièrement, dans le New York Times (9 articles, dont 1 en première page et 1 éditorial). Le quotidien du colonel McCormick montre que, dans le contexte de l’invasion alliée de l’Afrique du Nord française, Hitler a proposé des termes de paix immédiats à Vichy. Or, comme l’affirme un article publié le 29 novembre, le sabordage de la flotte de Toulon par les vichystes, mise en exécution d’un ordre datant de 1940, permet de préserver la neutralité de la France et d’éviter que la flotte tombe entre des mains étrangères118. De son côté, le New

116 Mazower, op. cit., p. 491. 117 Jackson, op. cit., p. 221. 118 « Reveal Toulon Fleet Sunk by Order from 1940 », Chicago Tribune, 29 novembre 1942, p. 1.

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York Times montre que l’invasion de la zone libre réduit encore plus l’autonomie de Vichy face à l’occupant allemand; accentuant la coopération économique et sa participation à la propagande antialliée. De même, il apparaît que Laval, ayant reçu des pouvoirs quasi- dictatoriaux de la part de Pétain, se range fermement dans le camp allemand119. Selon ce quotidien, l’indépendance de Vichy n’est plus qu’une façade. De plus, à travers un éditorial, il condamne l’occupation complète de la France et déplore le rôle des frais d’occupation dans celle-ci120. En somme, le New York Times dresse un portrait négatif de la collaboration française et tente de mettre en évidence la naïveté des dirigeants vichystes. Affirmant que « Collaboration on the French side was ever giving and never receiving. », il argumente que la propagande a été utilisée afin de camoufler cet état de fait121. À la suite du sabordage de la flotte de Toulon, ce quotidien fait l’éloge de cet acte, louangeant le « brave admiral » de Laborde, le responsable de l’opération, et liant cette action à la révolte à l’échelle européenne122. Fait intéressant, notons que le quotidien new-yorkais fustige les Américains qui avaient critiqué le maintien des relations diplomatiques entre leur gouvernement et Vichy; insistant qu’elles ont été maintenues afin de conserver une influence diplomatique auprès des vichystes et de faciliter l’obtention de renseignements au sujet de la situation stratégique en Europe occupée123.

Dans le même ordre d’idées, en décembre 1942, le New York Times (5 articles répertoriés, dont 1 en première page) continue d’accorder un poids médiatique significatif à la prise de contrôle de la zone libre par l’Allemagne et à ses conséquences pour le régime de Vichy; les pouvoirs de Pétain n’étant plus que symboliques124. Ce quotidien soutient que la France doit désormais fournir des ouvriers à l’Allemagne en plus d’une coopération militaire obligatoire. Dans le contexte de l’opération Torch, les quotidiens étudiés s’intéressent aussi à la rupture diplomatique entre le gouvernement américain et Vichy. Ils soutiennent que la population française, généralement opposée à Vichy et favorable à France libre, est heureuse de l’invasion américaine des colonies nord-africaines. De plus, le New York Times affirme que Giraud est perçu comme un héros et de Gaulle comme le véritable leader de la France en ces

119 « Laval Indicts U.S. on Africa, Pins Hope on Nazi Entente », New York Times, 21 novembre 1942, p. 1. 120 « Hitler, the Magnanimous », New York Times, 13 novembre 1942, p. 22. 121 G. H. Archambault, « Nazis Collaboration Defined », New York Times, 5 juin 1942, p. 139. 122 Edwin L. James, « Toulon Naval Suicide Shows Laval Is Wrong », New York Times, 29 novembre 1942, p. 138. 123 « Our Vichy Policy a Help, Hull Says », New York Times, 9 novembre 1942, p. 10. 124 Jackson, op. cit., p. 227.

49 temps troubles125. En février, en mars et en mai 1943, le quotidien new-yorkais et, dans une moindre mesure, le Chicago Tribune continuent de s’intéresser aux conséquences des revers allemands sur les relations entre le Troisième Reich et Vichy. Ils notent, entre autres, l’organisation du programme de mobilisation de travailleurs mis en place par Vichy; 300 000 ouvriers ayant déjà été transférés en Allemagne. Dans ce contexte, il apparaît que les milices, décrites comme peu importantes en nombre, tâchent de retrouver les 100 000 Français qui se sont cachés afin d’éviter la déportation pour travail forcé. Pour le New York Times, il ne fait aucun doute que Vichy est désormais un satellite de l’Allemagne. Un article suggère que le véritable objectif du programme de mobilisation « … is not so much to obtain labor as to remove from France all able-bodied men likely to join the forces of the when they decide to invade Europe. »126.

Concurremment, au cours de cette période, les quotidiens étudiés, particulièrement le New York Times, tâchent aussi de dresser un portrait positif de France libre et appellent les patriotes français à mettre leurs divisions de côté et à s’unir afin de libérer la mère patrie. En effet, le quotidien new-yorkais anticipe une lutte de pouvoir potentielle entre de Gaulle et Giraud. En ce sens, lors du mois de février 1943, il publie quelques articles (3) au sujet des négociations entre ces deux leaders de mouvements rivaux. De plus, se déclarant optimiste face au futur de la France, il fait l’éloge de l’idéologie de France libre et célèbre le ralliement progressif de la flotte française à la cause alliée127. Plus encore, en mars et en mai, le Chicago Tribune affirme que les deux hommes se rapprochent progressivement; Giraud ayant congédié deux membres de son entourage considérés comme des collaborateurs par France libre. Le New York Times, présentant ses espoirs que, lors des négociations à venir entre de Gaulle et Giraud, les ambitions personnelles n’entraveront pas cette union essentielle à la victoire alliée, approfondit sur cette question. Favorable à cette union, il présente de nombreux articles (15, dont 3 éditoriaux) visant à illustrer les efforts de Giraud afin de défasciser l’Afrique du Nord française et de répondre aux demandes de France libre. Puis, en mai, le New York Times célèbre les avancées dans l’unification des deux branches de la résistance française, notamment la décision gaulliste d’accepter la proposition de Giraud de

125 G. H. Archambault, « Enfin! Sums Up French Feeling », New York Times, 9 novembre 1942, p. 3. 126 G. H. Archambault, « Laval Wins New Loss », New York Times, 13 mai 1943, p. 4. 127 « The Marseillaise on Broadway », New York Times, 25 février 1943, p. 20.

50 former un comité de neuf pour gouverner128. Il perçoit cette union comme essentielle car, en plus de favoriser la planification de la suite de la guerre, elle aurait un effet très positif sur le moral des résistants français et minerait encore plus la crédibilité du régime vichyste. Notons aussi que le New York Times, présentant un portrait très positif du général Giraud, lui accorde notamment le crédit pour le ralliement de la Guinée française à la cause des Alliés. Néanmoins, il soutient que de Gaulle reste le symbole de la résistance en France métropolitaine. À l’inverse, lors de ce mois, les quotidiens étudiés ne semblent pas s’intéresser à l’union des mouvements de résistance français sous la bannière du Conseil national de la Résistance et à leur reconnaissance du général de Gaulle « as the single head of a French provisional government »; un état de fait plutôt logique compte tenu que ces négociations ont eu lieu en secret129.

Parallèlement, entre l’opération Torch et l’armistice italien, l’intérêt significatif apporté par les quotidiens étudiés à la guerre de guérilla en Yougoslavie nous permet de comparer leurs positions de plus en plus différentes au sujet de la stratégie que les Alliés devraient privilégier dans leurs relations avec les résistants de ce pays. Au cours de cette période, en raison de l’ampleur des activités de la guérilla yougoslave, le Chicago Tribune et le New York Times accordent une attention médiatique significative à la résistance dans ce pays; cet aspect de nos sujets d’étude étant respectivement le 5e et le 4e le plus traité par le premier (3,4 % des articles retenus, 1,2 article par mois) et le deuxième (4,3 %, 4,2).

Aux mois de novembre et de décembre 1942, le Chicago Tribune s’intéresse aux activités de la guérilla yougoslave; plusieurs centaines de milliers de résistants menant une guerre de guérilla à partir des montagnes et nuisant au ravitaillement allemand. Plus encore, la couverture des activités de la résistance yougoslave réalisée par le New York Times souligne sa contribution à l’effort de guerre allié. En effet, ce quotidien, attestant des nombreux succès récents des Chetniks et présentant Mikhailovitch comme un génie militaire, louange leur guerre de guérilla et affirme qu’ils aident grandement l’effort de guerre soviétique130. Néanmoins, les quotidiens étudiés notent la rivalité entre les mouvements de Mikhailovitch

128 « Toward a United France », New York Times, 25 mai 1943, p. 22. 129 Jackson, op. cit., p. 456. 130 « The Yugoslavs », New York Times, 21 novembre 1942, p. 12.

51 et de Tito; le New York Times avançant la possibilité que cette situation annonce un conflit fratricide131. Or, le quotidien new-yorkais déplore cette situation et rejette les accusations à l’endroit de Mikhailovitch présentées par les communistes et Moscou; soutenant qu’elles ne font que nuire à l’effort de guerre.

Dans le même ordre d’idées, au mois de février 1943, le quotidien new-yorkais renchérit dans ses efforts afin de dresser un portrait très détaillé et flatteur de la guerre de guérilla menée par les Chetniks de Mikhailovitch, décrit comme le « Serbian-born de Gaulle of the Balkans »132. Il le présente comme un expert de la guerre de guérilla et un résistant de la première heure. Or, il apparaît que, les Allemands menant une chasse à l’homme afin de le retrouver et plusieurs milliers de ses hommes ayant été exécutés depuis décembre, il a adopté une stratégie défensive en attendant un débarquement allié dans les Balkans. Toutefois, ce quotidien soutient que la regrettable rivalité divisant les résistants yougoslaves complique la planification d’une invasion des Balkans. Cette situation, proche de la guerre civile, apparaît d’autant plus explosive qu’elle divise les puissances alliées. De ce fait, un éditorial affirme qu’un accord entre les Alliés au sujet de la Yougoslavie serait préalable à une telle invasion133. En mars 1943, les quotidiens étudiés dressent un portrait détaillé de la guerre de guérilla en Yougoslavie; reconnaissant son ampleur, le Chicago Tribune affirme, entre autres, que « Heavy fighting is going on in Jugo-Slavia and for two months has tied up as many axis troops as has the war in Tunisia. »134. Or, dans une rupture avec la couverture médiatique réalisée depuis le début de l’insurrection, ce quotidien soutient que les partisans sont à l’avant-plan de cette guerre; les Chetniks attendant leur heure dans les montagnes. Un article encense notamment les partisans; mentionnant qu’ils retiennent douze divisions allemandes et les qualifiant de « skilfully prepared, well drilled »135. À l’inverse, si le New York Times rapporte qu’une importante offensive allemande a repoussé les Chetniks, sa couverture médiatique suggère que les forces de Mikhailovitch et de Tito sont autant impliquées dans la lutte contre l’occupant. Puis, en mai, si le New York Times reste assez favorable aux Chetniks, il affirme que Mikhailovitch a admis que ses forces combattent les

131 Harold Callender, « Yugoslavia’s Rift Only One Trouble », New York Times, 21 décembre 1942, p. 8. 132 C. L. Sulzberger, « Mikhailovitch Set to Mobilize 200,000 », New York Times, 5 février 1943, p. 1. 133 « The Balkan Road », New York Times, 5 février 1943, p. 20. 134 Sam Brewer, « 12 Axis Divisions Tied Up in Serbia by Red Partisans », Chicago Tribune, 21 mars 1943, p. 6. 135 Ibid.

52 partisans et atteste des tensions entre celui-ci et l’Union soviétique; les Soviétiques l’accusant de collaborer avec les troupes de l’Axe136.

En revanche, lors de cette période au cours de laquelle l’Armée rouge prend l’ascendant sur le front de l’Est grâce aux victoires de Stalingrad et de Kursk, l’intérêt des quotidiens étudiés envers les activités des partisans soviétiques fluctue grandement et reste plutôt restreint comparativement à d’autres secteurs où les activités de la résistance sont pourtant bien moins importantes. En effet, en appui à l’Armée rouge, « …the ’ sabotage operations tied up an increasing numbers of troops, slowed communications with the front and had an increasing impact on the course of the war itself. »137. Néanmoins, notons que, au mois de novembre 1942, le New York Times publie un article mentionnant que la guérilla soviétique est de plus en plus active; les partisans ayant tué plusieurs milliers de soldats allemands pendant ce mois138. De même, en mai 1943, il note, entre autres, que la guérilla soviétique a fait dérailler des trains dans la région de Kiev.

Plus encore, dans le contexte de la hausse des activités de la résistance intérieure polonaise et des tensions croissantes entre le gouvernement en exil de Londres et l’Union soviétique, notamment dues à la révélation du massacre de Katyn et à la création d’un gouvernement d’exilés communistes, la résistance polonaise représente le 3e aspect de nos sujets d’étude le plus traité par le Chicago Tribune (4,6 % des articles répertoriés, 1,6 article par mois) et le New York Times (6,3 %, 6,2) pendant cette période. En mars 1943, le quotidien new-yorkais rapporte que les forces d’occupation ont répondu à la résistance croissante en Pologne par la destruction de nombreux villages. De même, au mois de mai, ce quotidien traite des actions réalisées par les résistants locaux, notamment l’assassinat du chef de la Gestapo dans le pays. Parallèlement, dans le contexte de l’enquête sur le massacre de Katyn, le Chicago Tribune, toujours critique de l’Union soviétique, s’intéresse aux relations tendues entre le gouvernement polonais en exil et ce pays139. Plus encore, le New York Times (6 articles répertoriés, dont 1 éditorial) accorde un poids médiatique significatif à cette question; les

136 « Yugoslavs Admit War on Partisans », New York Times, 1er mai 1943, p. 8. 137 Mazower, op. cit., p. 490. 138 « Russians Hold Off Nazi Push in South », New York Times, 9 novembre 1942, p. 13. 139 « Foreign Papers Arouse British », Chicago Tribune, 21 mai 1943, p. 2.

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Alliés occidentaux tâchant de jouer les intermédiaires. Ce quotidien apparaît optimiste à la suite des gestes de conciliation entrepris par Staline et Sikorsky. Au sujet du massacre de Katyn, il propose la théorie que la révélation des informations sur les massacres commis par les Soviétiques en Pologne est un complot allemand afin de semer la zizanie entre les Alliés. De plus, ce quotidien soutient que « Poland…would have paid little attention to the Nazi’s charge, had it not been for a dispute over whether the 78,000 square of pre-war Poland, occupied by Russia in 1939, would be returned after the war. »140.

Ultimement, l’analyse du portrait de la résistance et de la collaboration en Europe occupée réalisé par les quotidiens étudiés entre l’opération Torch et l’armistice italien nous montre que leurs visions très différentes du rôle des États-Unis dans le monde influent grandement leurs perspectives au sujet de l’évolution du conflit. Il apparaît que, pendant cette période, parallèlement à sa couverture de la guerre dans le cadre de laquelle les résistants et les collaborateurs français obtiennent un poids médiatique très important en raison de l’invasion alliée de l’Afrique du Nord française et de l’occupation conséquente de la zone libre par l’Allemagne, le Chicago Tribune n’hésite pas à publier régulièrement des articles et des éditoriaux critiquant les ambitions de Roosevelt à l’échelle internationale et ses politiques nationales. Tel qu’illustré dans notre développement, ce quotidien critique notamment les positions du président face à l’accord avec Darlan et aux relations américaines avec France libre. De plus, malgré l’alliance des États-Unis avec l’Union soviétique, le Chicago Tribune conserve sa position antisoviétique; critiquant ouvertement ses ambitions territoriales, notamment en Pologne. En effet, entre autres à travers un éditorial publié en mars, dans le contexte du conflit entre les deux gouvernements polonais en exil, il présente sa conviction que les Soviétiques revendiqueront les frontières russes de 1914 au terme du conflit et affirme que les Alliés devront sacrifier l’indépendance des Pays baltes et de la Pologne141. À l’inverse, les éditoriaux répertoriés dans le New York Times continuent d’appuyer les politiques du président américain et mettent l’emphase sur la nécessité de ne pas faire la paix avec les fascistes avant la victoire. Fait intéressant, ces deux grandes lignes éditoriales se retrouvent quelque peu en contradiction au moment de l’affaire Darlan.

140 « Between Neighbors », New York Times, 9 mai 1943, p. 81. 141 « What Russia Demands », Chicago Tribune, 1er mars 1943, p. 14.

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Par ailleurs, la couverture du conflit réalisée par les quotidiens étudiés illustre l’ampleur du rôle joué par les mouvements de résistance à travers l’Europe occupée dans les succès des Alliés au cours de cette période. Dès novembre 1942, à travers un éditorial, le Chicago Tribune soutient que, alors que les chances de l’Allemagne de remporter la guerre diminuent, le soutien pour Hitler s’effrite progressivement, particulièrement en France et dans les Balkans142. De même, le New York Times montre que les récents succès alliés ont encouragé l’essor de mouvements de résistance à travers l’Europe occupée. Ce quotidien conclut le mois en affirmant qu’il a été très favorable aux Alliés, entre autres, grâce aux activités des résistants; citant notamment le sabordage de Toulon et la lutte menée par la guérilla yougoslave143. Renchérissant en février 1943, il publie quelques articles et éditoriaux présentant l’échec des nazis comme inévitable et mettant l’emphase sur le rôle des résistants dans celui-ci; leurs activités étant même identifiées comme un « second front ». En effet, en raison des victoires alliées, il apparaît que « The underground is more active than ever in all the conquered lands. »144. Le Chicago Tribune reconnaît aussi, bien qu’avec moins d’insistance, la contribution de la résistance à l’éventuelle défaite allemande. À titre d’exemple, citons une caricature publiée en première page en mars présentant l’Europe occupée comme une poudrière145.

142 « On Europe’s Anxious Seat », Chicago Tribune, 17 novembre 1942, p. 14. 143 « Allies on the Offensive », New York Times, 29 novembre 1942, p. 143. 144 Anne O’Hare McCormick « Premonitions of Spring on the Russian Front », New York Times, 13 mars 1942, p. 12. 145 « Reckoning Day Approaches », Chicago Tribune, 9 mars 1943, p. 1.

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Chapitre 5 : De l’armistice italien à D-Day

Notre cinquième chapitre s’intéresse à la couverture de la résistance et de la collaboration réalisée par le Chicago Tribune et le New York Times entre septembre 1943 et mai 1944, c’est-à-dire de l’invasion de l’Italie continentale, première campagne américaine sur le continent européen, et de l’armistice italien subséquent à l’offensive alliée en Europe de l’Ouest. Plus précisément, dans le cadre de notre échantillonnage, nous avons étudié les mois de septembre 1943, théâtre de l’armistice italien et de ses suites, d’octobre 1943, marqué par la libération de la Corse par les Forces françaises libres, de décembre 1943, voyant la proclamation d’un gouvernement provisoire yougoslave par Tito, et de mars 1944, lieu de l’occupation allemande de la Hongrie. Au cours de cette période, marquée par la division de l’Italie entre les partisans de l’armistice et les fascistes, la campagne italienne conséquente et les succès soviétiques sur le front de l’Est, les quotidiens étudiés présentent des perspectives distinctes au sujet du rôle que les États-Unis doivent jouer dans ce conflit et sur la scène internationale à la suite de l’éventuelle défaite de l’Axe. L’invasion alliée de l’Italie et, surtout, celle à venir de la France ainsi que les succès soviétiques poussant les résistants à travers l’Europe occupée à augmenter leurs activités tandis que les États collaborateurs tâchent de se retirer du conflit ou perdent l’illusion de leur indépendance, il apparaît que, à compter de cette période, la proportion d’articles consacrés à la résistance et à la collaboration devient beaucoup moins équilibrée dans les deux quotidiens étudiés. Plus précisément, entre l’armistice italien et D-Day, 83 % des articles relevés dans le Chicago Tribune et 78 % de ceux dans le New York Times concernent la résistance.

Sans équivoque, le mois de septembre 1943 marque une profonde rupture dans la couverture de la résistance et de la collaboration réalisée par les quotidiens étudiés. Pour la première fois du conflit, la France n’est pas le pays où les actions de ces groupes obtiennent l’attention médiatique la plus importante; l’armistice italien amenant l’Italie à l’avant-plan de la couverture réalisée par le Chicago Tribune et le New York Times. Ces quotidiens s’intéressent grandement aux actions des partisans de l’armistice et, à l’opposé, aux efforts des Allemands et des fascistes italiens afin de conserver le contrôle d’une partie de l’Italie. De ce fait, pendant la période entre l’armistice italien et D-Day, la résistance et la collaboration italiennes sont respectivement les 1er et 4e aspects de nos sujets d’étude les plus couverts par

56 le Chicago Tribune (24,2 % des articles répertoriés, 10,75 articles par mois étudié et 8,4 %, 3,75) et les 2e et 4e par le New York Times (16,6 %, 19,75 et 7,4 %, 8,75). Dans ce contexte, il apparaît que 55 % des articles au sujet de la résistance italienne répertoriés dans le quotidien du colonel McCormick et 37 % de ceux dans le quotidien new-yorkais l’ont été pendant cette période tandis que 47 % des articles au sujet de la collaboration italienne dans le premier et 34 % de ceux dans le deuxième ont été relevés au cours de celle-ci. Néanmoins, lors de cette période aussi marquée par la libération de la Corse par les Français libres, les négociations afin de déterminer les politiques du Comité français de libération nationale et, surtout, l’accroissement des activités de la résistance intérieure à mesure que l’invasion alliée de la France approche, les quotidiens étudiés continuent de consacrer un poids médiatique prépondérant à la résistance et à la collaboration françaises. En effet, ces aspects de nos sujets d’étude sont respectivement les 2e et 5e les plus traités par le Chicago Tribune (19,7 %, 8,75 et 7,3 %, 3,25) et les 1er et 5e par le New York Times (17,9 %, 21,25 et 7,2 %, 8,5).

Surtout, l’importante couverture de la résistance et de la collaboration italiennes réalisée par les quotidiens étudiés lors de cette période nous permet de comparer leurs perspectives au sujet de la république fantoche italienne et du gouvernement Badoglio. En septembre 1943, le Chicago Tribune (11 articles relevés, dont 5 en première page) et, particulièrement, le New York Times (25 articles, dont 7 en première page et 3 éditoriaux) accordent une attention médiatique très importante à la situation confuse en Italie à la suite de l’armistice; l’armée allemande et les fascistes italiens tâchant de conserver le contrôle d’une partie du pays tandis que le nouveau gouvernement italien s’oppose à leurs efforts. À la suite de l’armistice, les quotidiens étudiés rapportent que le gouvernement Badoglio a appelé les civils et les militaires italiens à résister aux allemands et attestent de la libération de Mussolini par des forces spéciales allemandes. À la fin du mois, il apparaît qu’un gouvernement fasciste dirigé par Mussolini a été établi en Italie. Celui-ci a répudié l’armistice et annoncé le projet de réorganiser une armée pour poursuivre le combat. Or, selon le quotidien du colonel McCormick, Mussolini est désormais un pantin des forces d’occupation allemandes146.

146 « Mussolini Returns to as Fascist Boss, Says Axis », Chicago Tribune, 29 septembre 1943, p. 5.

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Parallèlement, le New York Times, s’il dresse un portrait élogieux des soldats italiens combattant déjà au côté des Alliés, déplore que la lenteur des négociations ayant mené à l’armistice ait permis aux Allemands d’occuper la majorité du pays147. De ce fait, il soutient que les Alliés doivent clarifier le statut de l’Italie de Badoglio le plus rapidement possible. Le Chicago Tribune rapporte que cette question représente un problème pour les Alliés; l’Italie « libre » doit-elle être acceptée comme une alliée ou être traitée comme un territoire conquis148? Si le haut commandement conçoit qu’accepter officiellement l’Italie parmi les Alliés permettrait d’accélérer la chute de l’Allemagne, il craint que cette décision aliénerait les pays occupés alliés. Sans présenter d’opinion tranchée, ce quotidien reconnaît tout de même la participation italienne à l’effort de guerre allié. De son côté, citant le sceptre de Darlan, le quotidien new-yorkais montre que cette situation politique est très complexe; les politiciens libéraux étant réticents à coopérer avec Badoglio en raison de son passé fasciste. Or, plus décidé sur cette question que son homologue et présentant la décision des Italiens de demander un armistice aux Alliés comme un geste courageux, il argumente que les Alliés doivent accorder le statut de cobelligérant à l’Italie afin de bénéficier de son potentiel militaire et d’encourager les soldats italiens à combattre l’Allemagne plutôt qu’à capituler. De même, il affirme que cette décision montrerait aux autres satellites de l’Allemagne qu’ils peuvent rallier la cause alliée. Finalement, au mois d’octobre 1943, les quotidiens étudiés rapportent que les Alliés ont décidé de reconnaître l’Italie comme cobelligérante malgré les protestations des gouvernements grec et albanais en exil.

Pendant le mois d’octobre 1943, alors que le gouvernement Badoglio déclare la guerre à l’Allemagne, la situation politique en Italie reste au centre de la couverture du conflit réalisée par le Chicago Tribune (6 articles relevés, dont 4 en première page) et le New York Times (8 articles, dont 4 en première page). Surtout, la couverture de la résistance et de la collaboration italiennes réalisée par les quotidiens étudiés au cours de ce mois permet de comparer leurs perspectives au sujet de la question de l’opinion publique italienne et de la volonté des Italiens de combattre l’Allemagne. Le Chicago Tribune présente une entrevue avec Badoglio dans laquelle il soutient que le pays retournera vers la démocratie car la population est très

147 « Italy’s Turnabout », New York Times, 21 septembre 1943, p. 22. 148 John Thompson, « Co-Belligerent Status Seen as Italy’s Reward », Chicago Tribune, 29 septembre 1943, p. 9.

58 peu attachée au fascisme; dans le Nord, la population ne semblant pas enthousiasme envers le gouvernement fantoche tandis que la résistance s’organise149. Publiant aussi une entrevue avec Badoglio, le New York Times insiste également sur sa promesse de mettre un terme au fascisme en Italie et indique que, l’Italie ayant abandonné ses revendications territoriales en France, en Grèce et en Yougoslavie, des soldats italiens combattant même au côté des résistants de ces pays 150. Par ailleurs, ce quotidien affirme que la majorité des Italiens souhaitent seulement rester à l’écart des combats. Avançant que la population serait majoritairement favorable à une république, il soutient que la nature du régime Badoglio explique le manque d’enthousiasme des Italiens à son égard. Or, citant la promesse de Badoglio de mettre en place un gouvernement démocratique où les anciens leaders fascistes seraient exclus, le quotidien new-yorkais rapporte que Roosevelt a demandé à la presse italo- américaine de limiter ses critiques envers son gouvernement.

Par ailleurs, notons qu’en décembre 1943 et en mars 1944, contrairement à la situation aux mois de septembre et d’octobre 1944, les activités des résistants et des collaborateurs italiens ne sont plus au centre de la couverture médiatique réalisée par les quotidiens étudiés, particulièrement en ce qui concerne le Chicago Tribune. Le New York Times rapporte tout de même que le gouvernement Badoglio a entrepris une purge antifasciste. Or, il apparaît que, malgré tout, certains politiciens libéraux souhaitent les démissions de Badoglio et du roi. De son côté, en mars, le quotidien du colonel McCormick, fidèle à son habitude, publie notamment un éditorial décriant la décision de Roosevelt de céder le tiers de la flotte italienne à l’Union soviétique151. L’auteur argumente que cette décision est une façon injuste de récompenser le ralliement de l’Italie à la cause des Alliés.

De surcroît, particulièrement en septembre et en octobre 1943, alors que la campagne italienne est au centre de l’actualité médiatique, les quotidiens étudiés se sont aussi intéressés de façon significative à la participation des résistants et des collaborateurs italiens à celle-ci. En septembre 1943, ils affirment que l’Allemagne et les milices fascistes tâchent de refermer leur emprise sur l’Italie du Nord. À l’opposé, ils témoignent aussi d’une vague d’attaques de

149 « Democracy in Italy Pledged by Badoglio », Chicago Tribune, 5 octobre 1943, p. 1. 150 Herbert L. Matthews, « Badoglio Says Mussolini Alone Put Italy into War », New York Times, 25 octobre 1943, p. 1. 151 « Stalin and the Italian Ships », Chicago Tribune, 9 mars 1944, p. 12.

59 la résistance paralysant le ravitaillement ferroviaire. Dans ce contexte chaotique, citant notamment les mouvements de grève dans les villes industrielles du Nord et le fait que plusieurs soldats italiens combattent les Allemands, le New York Times affirme que l’Italie s’est majoritairement ralliée aux Alliés et décrit les collaborateurs fascistes comme un groupe marginal. Il présente le ralliement des Italiens comme un avantage certain pour les Alliés : « The rebellion may not count much as a military factor on our side, but the Germans have lost in one stroke a fleet, an army and the illusion that they had one willing ally in Europe. »152. Renchérissant sur le rôle important joué par les résistants lors de la campagne italienne, au cours des mois d’octobre et de décembre 1943, le New York Times accorde un poids médiatique significatif à l’organisation de bandes de guérilla dans le Nord de l’Italie et à la participation de soldats ou de résistants italiens aux opérations militaires alliées, notamment la bataille de Naples (14 articles relevés, dont 2 en première page et 1 éditorial). Soulignons, entre autres, un article rapportant que des soldats italiens pro-alliés ont subi des pertes importantes lors d’une attaque sur le mont Luango, lequel, s’il encense leur bravoure, ne peut s’empêcher d’insister sur le caractère suicidaire de cet assaut153. Par ailleurs, en mars 1944, ce quotidien s’intéresse surtout au mouvement de grèves en Italie du Nord, six millions de grévistes défiant le gouvernement fasciste154. Dans un éditorial, il identifie ce mouvement sans comparable en Europe comme un acte de guerre; l’armée allemande devant même intervenir afin d’assister les milices fascistes155. L’auteur argumente que ce soulèvement est la preuve définitive du courage italien souvent remis en question. De même, il réitère que la confusion au sujet du statut du gouvernement Badoglio au début de l’automne 1943 explique le manque de motivation manifesté par les Italiens lors des premiers mois de la campagne.

Dans un autre ordre d’idées, entre l’armistice italien et D-Day, si la France n’est plus seule au centre de la couverture de la résistance et de la collaboration réalisée par les quotidiens étudiés, ils accordent tout de même une attention médiatique significative au rôle des forces vichystes et françaises libres dans le conflit, notamment à l’invasion de la Corse et à la lutte en France métropolitaine. Aux mois de septembre et d’octobre 1943, le Chicago Tribune (7

152 « Hitler’s New War », New York Times, 17 septembre 1943, p. 20. 153 Herbert L. Matthews, « Italians Suffered Heavily in Battle », New York Times, 13 décembre 1943, p. 9. 154 Daniel T. Brigham, « Germans Combat Italian Strikers », New York Times, 5 mars 1944, p. 2. 155 « The Italians Strike », New York Times, 9 mars 1944, p. 16.

60 articles retenus, dont 1 en première page) et le New York Times (9 articles, dont 3 en première page et 1 éditorial) s’intéressent de façon significative à l’invasion de la Corse par des soldats français. Il apparaît que ces troupes sont débarquées en Corse en coordination avec un soulèvement local. Le New York Times note aussi la participation de soldats italiens pro- armistice à cette campagne. Or, ce quotidien insiste surtout sur l’importance symbolique de cette opération indépendante pour les Français156. En octobre, il apparaît que, les Français ayant libéré Bastia, la campagne tire à sa fin. Le Chicago Tribune illustre le rôle joué par la résistance locale dans ce succès; 1 000 soldats nazis étant morts de leurs mains tandis que des mots comme « courageous » et « gallant » sont utilisés afin de les décrire157. Surtout, les quotidiens étudiés établissent un contraste entre le courage manifesté par les partisans corses et l’inefficacité de l’armée italienne lors de cette campagne; 85 000 soldats italiens auraient permis à 20 000 Allemands de s’échapper avec peu de pertes. Le New York Times, particulièrement, donne donc foi au discours gaulliste condamnant les Italiens158.

Parallèlement, en septembre 1943, en raison du poids médiatique important accordé aux évènements en Italie et en Corse, les actions des résistants en France occupent une place secondaire dans la couverture réalisée par les quotidiens étudiés. Or, dès le mois d’octobre 1943, le Chicago Tribune (3 articles retenus) et le New York Times (4 articles) recommencent à s’intéresser de façon significative aux efforts des forces d’occupation et des collaborateurs afin de contrer la vague de résistance en France. En effet, il apparaît que « The rising tide of sabotage has driven the Germans and their Vichy collaborators to the sternest repressive measures, including new attacks on Jews and a decree giving the Garde Mobile the permission to shoot on sight. »; le tout se manifestant par des centaines d’arrestations quotidiennes par la Gestapo159. De plus, le Chicago Tribune atteste de la présence d’une armée de 80 000 partisans dans les montagnes du sud de la France160. Son homologue new- yorkais affirme que les Allemands auraient même envoyé des troupes d’élite afin de combattre ces groupes de guérilla. Or, il apparaît que ces chiffres seraient plutôt exagérés; Jackson estimant qu’il y avait 15 000 maquisards dans le sud de la France en octobre 1943

156 « Into Corsica », New York Times, 21 septembre 1943, p. 22. 157 Wes Gallagher, « 85,000 Italians Let 20,000 Nazis Escape From Corsica! », Chicago Tribune, 9 octobre 1943, p. 1. 158 « Crowds in Corsica Acclaim de Gaulle », New York Times, 9 octobre 1943, p. 6. 159 « Germans Increase French Repression », New York Times, 13 octobre 1943, p. 4. 160 P. E. Briquet, « Patriots Wage Sabotage thru French Cities », Chicago Tribune, 29 octobre 1943, p. 11.

61 et que plusieurs n’étaient pas des combattants161. Ainsi, ils ne représentaient pas encore une véritable menace pour l’occupant.

Si le Chicago Tribune n’accorde pas beaucoup d’attention médiatique aux activités de la résistance intérieure française lors des mois de décembre 1943 et de mars 1944, alors qu’une invasion alliée de la France est de plus en plus pressentie, le New York Times (9 articles répertoriés, dont 1 en première page) accorde un poids médiatique significatif aux efforts des résistants et, inversement, de l’occupant allemand et des collaborateurs afin de préparer le terrain pour cette offensive. Soulignons notamment un article citant l’assassinat de 30 membres de la milice dans une embuscade comme exemple, lequel affirme que les activités de la résistance ont augmenté devant la répression continue et l’approche d’une invasion alliée162. De même, ce quotidien soutient que le sabotage ferroviaire constant, la France étant quotidiennement le théâtre de deux douzaines d’attentats, nuit aux préparations allemandes. À ce stade du conflit, notons aussi que les Allemands considèrent désormais les Maquis comme une véritable menace militaire dans le sud du pays163. À l’opposé, le New York Times rapporte que les Allemands, en prévision d’une invasion, ont annoncé que ceux qui hébergent les soldats alliés seront exécutés tandis que la milice continue de pourchasser les résistants. Ainsi, alors que les Allemands semblent de plus en plus susceptibles de perdre la guerre et, conséquemment, plus enclin à la répression, les quotidiens étudiés montrent bien que cette période voit la résistance prendre de l’expansion et ses activités augmenter164.

D’autre part, l’étude de la couverture de la résistance française réalisée par le Chicago Tribune et le New York Times entre l’armistice italien et D-Day permet de comparer leurs positions au sujet du Comité français de libération nationale. À l’inverse, au cours de cette période, les quotidiens étudiés ne s’intéressent pas beaucoup aux politiques du régime de Vichy, lequel « existed in only the most nominal sense »165. En septembre 1943, ils mentionnent que de Gaulle a protesté contre l’exclusion de son pays dans les négociations avec l’Italie vaincue. Plus encore, le quotidien new-yorkais (7 articles répertoriés, dont 1 en

161 Jackson, op. cit., p. 484. 162 « Third Front in France », New York Times, 5 mars 1944, p. 66. 163 Jackson, op. cit., p. 529. 164 Ibid., p. 477 et 531. 165 Ibid., p. 530.

62 première page) approfondit sur les prises de position du Comité, lequel souhaite la formation d’un gouvernement français indépendant des Alliés. Il montre aussi que le Comité n’est pas uni; celui-ci étant divisé entre les gaullistes et les partisans de Giraud. Aux mois d’octobre et de décembre 1943, dans le contexte de la planification de l’invasion de l’Europe occidentale par les Alliés, les quotidiens étudiés continuent de s’intéresser aux politiques du Comité. Il apparaît que de Gaulle tâche de réaliser un rapprochement politique avec l’Union soviétique. Selon un éditorial publié dans le Chicago Tribune, il souhaite ce rapprochement afin d’éviter que la France demeure un satellite de la Grande-Bretagne à la fin du conflit166. De son côté, le New York Times, citant son arrivée en Corse, illustre que, acclamé par des foules importantes à travers l’île, de Gaulle apparaît comme un symbole de la résistance française unissant les patriotes de toutes allégeances politiques167. Surtout, le New York Times soutient qu’il y aurait seulement 50 000 collaborateurs parmi les 30 millions de Français et que « When the Allies actually land the 50,000 collaborationists will dwindle to nothing and the regular police will no longer obey orders. »168. Les études récentes montrent que ce quotidien avait bien identifié la faiblesse des collaborateurs à la veille de l’invasion alliée de la France; Mazower affirmant notamment que : « By the spring of 1944, the regime needed the assistance of the Milice to cling to power…and Pétain – still viewed sympathetically in much of the country – had lost all credibility as a national leader. »169.

Puis, en mars 1944, les quotidiens étudiés, particulièrement le New York Times (8 articles répertoriés, dont 1 en première page et 2 éditoriaux), accordent un poids médiatique important aux procès pour trahison organisés par le Comité, notamment à celui de Pierre Pucheu, ex-conseiller de Pétain ayant récemment rejoint les Alliés. À travers deux éditoriaux, s’il reconnaît la culpabilité de Pucheu et le fait que son exécution représente un message pour les collaborateurs, le New York Times présente ses doutes face à ce processus juridique, décrit comme « … a trial which seems from this distance to have been rehearsed and decided beforehand. », et insiste sur les similitudes avec les procès « de responsabilité pour la défaite » organisés par Vichy à la suite de l’armistice170. Ce quotidien affirme qu’il serait préférable

166 « France Seeks Escape from Britain », Chicago Tribune, 13 octobre 1943, p. 18. 167 « Crowds in Corsica Acclaim de Gaulle », New York Times, 9 octobre 1943, p. 6. 168 « Vichy Police Seize 21,651 in 3 Months », New York Times, 29 décembre 1943, p. 3. 169 Mazower, op. cit., p. 445. 170 « The Firing Squad », New York Times, 21 mars 1944, p. 18 Et Anne O’Hare McCormick, « Curtain Raisers Before the Final Act », New York Times, 13 mars 1944, p. 13.

63 d’attendre la fin du conflit avant d’organiser de tels procès. Or, il apparaît que de Gaulle, ne souhaitant pas affaiblir l’armée par une purge excessive, a décidé de condamner quelques personnalités connues, comme Pucheu, afin d’apaiser le désir de revanche et de justice de ses partisans171. Parallèlement, le quotidien new-yorkais montre que le Comité est le théâtre d’une crise politique au sujet de l’avenir de la France après la libération; soutenant que de Gaulle est le seul qui semble pouvoir préserver l’unité.

Par surcroît, lors de l’automne 1943, en raison de la modification du rapport de force dans les Balkans en faveur des résistants due à l’armistice italien, la guerre de guérilla en Yougoslavie obtient une couverture médiatique importante dans les quotidiens étudiés. En effet, autant dans le Chicago Tribune (15,7 % des articles répertoriés, 7 articles par mois étudié) que dans le New York Times (11,4 %, 13,5), la résistance yougoslave est le 3e aspect de nos sujets d’étude le plus couvert entre septembre 1943 et mai 1944. Dans ce contexte, 28 % des articles au sujet de la résistance yougoslave répertoriés dans le premier et 22 % de ceux dans le deuxième l’ont été entre l’armistice italien et D-Day.

Particulièrement au cours des mois de septembre et d’octobre 1943, la guerre de guérilla en Yougoslavie reçoit une attention médiatique importante de la part du Chicago Tribune (13 articles retenus, dont 3 en première page) et du New York Times (15 articles, dont 5 en première page et 2 éditoriaux). Ils s’intéressent notamment à la libération du port de Split par les Chetniks, qualifiés de patriotes, et aux importants combats impliquant les partisans à Sasak. De plus, les quotidiens étudiés, particulièrement le New York Times (6 articles relevés, dont 1 éditorial), attestent des combats en Grèce et en Yougoslavie entre l’armée allemande et les quelques 300 000 soldats italiens refusant de rendre leurs armes ou de prêter allégeance au nouveau gouvernement fasciste. Dans ce contexte, le quotidien new-yorkais identifie la perte du support des troupes italiennes dans les Balkans comme la plus importante conséquence de l’armistice pour l’Allemagne. Surtout, le New York Times soutient que les Balkans représentent véritablement un nouveau front172. Un éditorial insiste notamment sur cet état de fait; argumentant que, si les rapports des partisans et des Allemands au sujet de

171 Jackson, op. cit., p. 512. 172 « Germany Steals a March », New York Times, 29 septembre 1943, p. 20.

64 l’évolution des combats en Yougoslavie divergent grandement, la seule constante est que le pays est le théâtre de combats importants173. De même, le Chicago Tribune, relevant que les Allemands ont envoyé 21 divisions en Yougoslavie, un nombre semblable à celui engagé en Italie, présente ce pays comme un front à part entière. Néanmoins, le New York Times affirme que, si le support aérien allié pour les résistants doit s’accentuer, en raison des difficultés de communication, une invasion des Balkans ne semble pas dans les plans.

Par ailleurs, notons que, parmi les articles répertoriés dans le Chicago Tribune en octobre, plusieurs (5) mentionnent spécifiquement les combats importants entre les partisans et les troupes d’occupation tandis que seulement quelques articles mentionnent les Chetniks. Il semble donc que ce quotidien, soutenant que le mouvement de Tito s’est étendu à l’ensemble du pays, perçoit de plus en plus les partisans comme le fer de lance de la résistance yougoslave174. De même, la couverture réalisée par le New York Times lors de ce mois montre que les partisans sont désormais le principal mouvement de guérilla dans le pays; nous avons répertorié huit articles s’intéressant à leur participation à des combats majeurs contre seulement deux pour les Chetniks. Néanmoins, dans un éditorial, ce quotidien propose l’hypothèse que la planification d’une offensive alliée dans les Balkans pourrait expliquer « The somewhat puzzling inactivity of General Mikhailovitch’s patriot Yugoslav army in a critical period. »175. De plus, il louange tout de même la campagne de sabotage et de guérilla menée par les Chetniks en la qualifiant de « effective » et de « skillfully coordinated campaign »176.

Au mois de décembre 1943, les affrontements en Yougoslavie restent au centre de la couverture médiatique de la résistance et de la collaboration réalisée par le Chicago Tribune (6 articles répertoriés, dont 1 en première page) et le New York Times (8 articles, dont 1 en première page). Désormais, la couverture de la guerre de guérilla en Yougoslavie réalisée par le quotidien du colonel McCormick montre indubitablement que le mouvement partisan est à l’avant-scène de la lutte contre l’occupant. Alors que la radio allemande a reconnu son

173 « Balkan Puzzle », New York Times, 13 octobre 1943, p. 22. 174 « 2,000 Germans Taken Prisoner by Jugo-Slavs », Chicago Tribune, 25 octobre 1943, p. 3. 175 « Balkan Puzzle », op. cit., p. 22. 176 C. L. Sulzberger, « Nazi Convoy Sunk by Navy in Aegean », New York Times, 9 octobre 1943, p. 5.

65 ampleur, les articles publiés par ce quotidien rapportent, entre autres, que les partisans ont libéré la province croate de Kordun. Il apparaît que, en raison de son importance primordiale dans la lutte dans les Balkans, la Grande-Bretagne accorde la majorité de son support militaire et matériel au mouvement de Tito. Plus encore, un article rapporte que les Alliés et les partisans ont conclu une entente militaire en l’absence des Chetniks177. De même, la majorité des articles publiés par le New York Times concerne les activités des partisans (8 contre seulement 2 au sujet des Chetniks). La couverture réalisée par ce quotidien atteste de l’ampleur du mouvement de Tito, fort de 200 000 hommes comparativement à seulement 30 000 pour Mikhailovitch. Il apparaît que les partisans, décrits comme « well-organized », ayant repoussé la sixième contre-offensive allemande, ont pris l’offensive178. Dans ce contexte, les quotidiens étudiés rapportent la proclamation d’un gouvernement provisoire communiste dans les territoires libérés par Tito. De plus, le New York Times présente un bémol à l’association entre les partisans et l’Union soviétique; affirmant que, s’ils sont communistes, ils sont avant tout des nationalistes179.

Contrairement à la situation au cours des derniers mois, le Chicago Tribune n’accorde pas beaucoup d’attention médiatique à la guerre de guérilla en Yougoslavie lors du mois de mars 1944 (1 article répertorié). À l’inverse, le New York Times continue d’accorder une attention médiatique significative aux affrontements dans ce pays (6 articles retenus). Tous les articles publiés par ce quotidien s’intéressent aux efforts des forces de Tito, notamment lors de combats importants en Herzégovine. Néanmoins, il présente un article affirmant que les Britanniques amplifient l’apport des partisans, ceux-ci combattraient contre cinq divisions allemandes au lieu de quinze; dressant de ce fait un portrait plus nuancé que son homologue. En effet, il argumente que « Since the terrible reprisals inflicted by Germans troops on villages or hostages do not deter Marshal Tito from proceeding with the campaign, he get the preference over General Mikhailovitch, who wants to spare the lives of his people and makes his active contribution to the war conditional on a previous landing of British

177 « Allies Agree to Help Tito Fight in Jugo-Slavia », Chicago Tribune, 21 décembre 1943, p. 4. 178 « Germans Stress Balkan Troubles », New York Times, 21 décembre 1943, p. 7. 179 C. L. Sulzberger. « Partisans Stress Ties with Russia », New York Times, 25 décembre 1943, p. 5.

66 contingents. »180. De ce fait, encore au printemps 1944, le New York Times soutient que les Chetniks ne devraient pas être condamnés unilatéralement.

En outre, au cours de cette période voyant une importante évolution de leur couverture de la guerre de guérilla en Yougoslavie, les quotidiens étudiés s’intéressent aussi à la lutte politique entre les mouvements de résistance yougoslaves. Particulièrement lors du mois d’octobre 1943, le New York Times accorde un poids médiatique significatif à cette question (7 articles relevés, dont 2 en première page et 1 éditorial); les tensions entre les partisans et les Chetniks ne cessent d’augmenter. Fait intéressant, il apparaît que le roi Pierre et le gouvernement yougoslave en exil ont annoncé qu’ils reconnaissaient désormais, en plus du mouvement de Mikhailovitch, celui de Tito; un développement significatif attestant de la nouvelle réalité sur le terrain. Si le quotidien new-yorkais fait état des accusations de Mikhailovitch à l’encontre des partisans, à savoir collaborer avec les Allemands et s’être emparés de villes déjà libérées par les Chetniks afin de paraître plus efficace aux yeux des Alliés, il semble les écarter et insiste plutôt sur la participation active des partisans à la lutte contre l’occupant nazi. Citons notamment, le témoignage d’un correspondant de guerre, lequel présente les partisans comme des alliés importants plutôt que des endoctrinés communistes181. En somme, sans vraiment identifier de coupable dans cette lutte fratricide, ce quotidien déplore surtout que cette guerre civile naissante soit loin de son dénouement.

Puis, en décembre, le Chicago Tribune rapporte que, si Mikhailovitch affirme considérer les communistes comme des ennemis en raison de leur opposition au roi, la Grande-Bretagne adopte une position neutre face à ce conflit fratricide. Il apparaît que le roi Pierre ne s’est pas impliqué dans cette lutte car il était distrait par une affaire de cœur182. De son côté, le New York Times illustre la relation particulière du mouvement de Tito avec les Alliés occidentaux. Un article note notamment que « There was a period, lasting as late as the first half of 1943, during which the Chetnik-Partisan war had a nasty international aspect with the British clearly supporting Mikhailovitch and the Russians backing the Partisans…Now it is clear that the propaganda is becoming coordinated and it is not the Russians who have had to

180 Pertinax, « Civil War in Yugoslavia Predicted as Tito-Mikhailovitch Feud Issue », New York Times, 1er mars 1944, p. 4. 181 Daniel De Luce, « Yugoslavs Plead for more Arms », New York Times, 9 octobre 1943, p. 5. 182 Larry Rue, « Love Costs King Chance to Lead Slavs at War », Chicago Tribune, 25 décembre 1943, p. 5.

67 change. »; même la Grande-Bretagne accusant désormais les Chetniks de coopérer avec l’Allemagne183. Dans ce contexte, ce quotidien illustre bien le dilemme auquel les Alliés occidentaux sont confrontés : « King Peter’s Government is out of the picture as far as the Partisans go. Thus the Allied task in maintaining proper relations is somewhat difficult, for their formal diplomatic exchanges are with King Peter’s Government, although the bulk of material aid to Yugoslav Patriots now goes to Marshal Tito. »184. Or, en mars 1944, il montre que les pressions britanniques afin que le roi Pierre désavoue Mikhailovitch au profit de Tito n’ont pas encore donné de résultats.

Dans un autre ordre d’idées, en mars 1944, le Chicago Tribune (2 articles répertoriés, dont 1 en première page) et, particulièrement, le New York Times (5 articles, dont 2 en première page et 1 éditorial) présentent un récit détaillé des évènements en Hongrie; l’Allemagne ayant envahi ce pays en réponse au refus du gouvernement d’accroître sa participation militaire au conflit. Toutefois, le New York Times montre que des troupes régulières et des partisans continuent de résister avec succès aux tentatives allemandes d’occuper le pays185. Or, un article soutient aussi que cette invasion représente un avertissement pour les autres alliés de l’Allemagne qui seraient tentés de sortir du conflit. De fait, ce quotidien témoigne de l’opposition croissante des Bulgares et des Roumains envers leurs « alliés » allemands; des partisans bulgares et roumains ayant notamment rejoint l’armée de Tito186. Face aux évènements en Hongrie, le Chicago Tribune pose l’hypothèse qu’un sort analogue attend la Bulgarie et la Roumanie; l’Allemagne ne voulant pas perdre les ressources et les défenses naturelles de ses « alliés »187.

Parallèlement, entre l’armistice italien et D-Day, malgré l’importante couverture médiatique de la guerre sur le front de l’Est réalisée par les quotidiens étudiés, en règle générale, les activités des partisans soviétiques n’obtiennent pas beaucoup d’attention médiatique. Néanmoins, en octobre 1943, le New York Times témoigne du rôle important joué par les forces de guérilla soviétiques lors de l’offensive sur le Dnieper. De même, en décembre 1943,

183 C. L. Sulzberger, « Partisans Stress Ties with Russia », New York Times, 25 décembre 1943, p. 5. 184 « Partisans Receive Bulk of British Aid », New York Times, 9 décembre 1943, p. 11. 185 Daniel T. Brigham, « Germany Extends Grip on Satellites », New York Times, 25 mars 1944, p. 4. 186 C. L. Sulzberger, « Bulgarians Aiding Partisans », New York Times, 1er décembre 1943, p. 8. 187 « Report Nazis Take Hungary », Chicago Tribune, 21 mars 1944, p. 2.

68 il publie un article illustrant leur contribution à l’avancée soviétique : « Closely coordinating their activity with that of strong, highly disciplined Partisan forces, who often pinned down the enemy’s reserves by blocking vital roads and sometimes striking telling blows at the enemy’s rear areas… »188. Plus encore, en mars 1944, ce quotidien, à travers un article détaillé au sujet des activités de la résistance ukrainienne, affirme entre autres que « Yet here Jew and Gentile alike defied the enemy with indomitable courage. In few parts of the front have Partisans played a more active, decisive role than on the banks of the middle Dnieper. »189. Au cours des deux dernières années, il apparaît que des partisans ont mené une campagne de guérilla constante dans cette région. Ainsi, il semble que les actions des résistants soviétiques sont généralement rapportées longtemps après le fait; un constat allant dans le sens de notre hypothèse voulant que la difficulté pour les quotidiens étudiés d’obtenir des renseignements sur ses activités dans les territoires occupés expliquent leur couverture médiatique mineure de la résistance soviétique malgré son importance stratégique inégalée.

En revanche, lors de cette période, particulièrement en raison de l’attention significative accordée au conflit politique entre le gouvernement polonais en exil, appuyé par les Alliés occidentaux, et les résistants communistes, affiliés à Moscou, la résistance polonaise représente le 6e aspect de nos sujets d’étude le plus traité par le Chicago Tribune (5,1 %, 2,25) et le New York Times (6,5 %, 7,75). En octobre 1943, la couverture médiatique réalisée par le deuxième atteste de l’existence de deux mouvements de résistance intérieure rivaux dont les capacités militaires seraient en croissance. Dans ce contexte, ce quotidien soutient qu’il est important que les Alliés discutent de l’avenir de l’Europe de l’Est; la libération de la Pologne ne devant pas entraîner une guerre civile190. Puis, lors du mois de décembre 1943, à la lumière du projet soviétique d’annexer les Pays baltes, il illustre, entre autres, que le gouvernement polonais en exil craint que l’Union soviétique tâche de retracer la frontière entre les deux pays191. Plus encore, en mars 1944, les quotidiens étudiés, particulièrement le New York Times (4 articles relevés, dont 1 en première page), s’intéressent de façon significative aux tensions entre le gouvernement polonais en exil et l’Union soviétique. À la

188 Ralph Parker, « Russians’ Mobility Increased by Cold », New York Times, 13 décembre 1943, p. 3. 189 Ralph Parker, « Many Jews Killed in Cherkassy Area », New York Times, 5 mars 1944, p. 6. 190 « Rift among Poles Beclouds Parley », New York Times, 1er octobre 1943, p. 3. 191 James B. Reston, « Russia Seen Firm on New Frontiers », New York Times, 21 décembre 1943, p. 3.

69 lumière des conférences de Moscou et de Téhéran, ils montrent que la Grande-Bretagne et les États-Unis ont accepté l’annexion de la Pologne de l’Est par l’Union soviétique en échange du transfert de la Prusse orientale à la Pologne. Néanmoins, le Chicago Tribune identifie tout de même la question des frontières polonaises comme une source de conflit potentiel; le gouvernement en exil rejetant ce compromis et espérant toujours obtenir l’appui des États-Unis192. Or, les quotidiens étudiés rapportent que, l’Armée rouge approchant de la frontière polonaise, le gouvernement en exil a demandé à la résistance de coopérer; les insurgés ne devant pas provoquer une guerre civile.

Somme toute, la couverture de la résistance et de la collaboration réalisée par les quotidiens étudiés lors de cette période permet d’analyser l’évolution de leur vision du rôle des États- Unis dans le monde. Dans le contexte de l’armistice italien, le New York Times louange généralement la politique étrangère du gouvernement américain et présente une vision optimiste de l’évolution du conflit. Citons, entre autres, un éditorial publié en septembre 1943 encensant cette politique étrangère et condamnant ses critiques193. L’auteur affirme notamment que les Alliés ont empêché l’Allemagne de s’emparer de la flotte italienne en camouflant les négociations avec l’Italie. De plus, à travers sa couverture du conflit, particulièrement dans un éditorial publié en octobre, ce quotidien, citant notamment la progression des Forces françaises libres, soutient que le conflit a basculé en faveur des Alliés en l’espace d’un an194. Or, il faut tout de même souligner les critiques du New York Times à propos de la position ambiguë du gouvernement Roosevelt face au statut à accorder à l’Italie à la suite de l’armistice; un phénomène unique pendant le conflit. Bien que beaucoup moins élogieux envers le gouvernement Roosevelt, le Chicago Tribune reconnaît, notamment dans un éditorial publié en septembre 1943, que la reddition de l’Italie représente une avancée importante pour les Alliés; ce pays représentant une porte pour envahir le reste de l’Europe195. Or, en mars 1944, la couverture réalisée par les quotidiens étudiés est marquée par l’approche de l’invasion alliée de l’Europe de l’Ouest et l’avancée soviétique sur le front de l’Est; des circonstances voyant les résistants accentuer leurs activités. Dans ce contexte, ils montrent

192 Larry Rue, « Britain’s Honor Held at Stake in Polish Issue », Chicago Tribune, 5 mars 1944, p. 3. 193 « Italy’s Navy Surrenders », New York Times, 13 septembre 1943, p. 18. 194 « October: 1942, 1943 », New York Times, 21 octobre 1943, p. 26. 195 « The Time Grows Short, Herr Hitler », Chicago Tribune, 9 septembre 1943, p. 16.

70 que les différents gouvernements en exil d’Europe occupée, parfois rivaux idéologiques, planifient la réorganisation de leur pays à la suite de la libération; la Yougoslavie et la Pologne apparaissant comme les meilleurs exemples de cette lutte de pouvoir à finir. Dans ce contexte, le New York Times, plus nuancé sur ce sujet que son homologue, soutient que le reniement de Mikhailovitch au profit de Tito s’explique par le fait que l’Union soviétique a pris l’initiative sur le front balkanique. Rappelons que le Chicago Tribune, priorisant une fin rapide du conflit, avait été beaucoup plus prompt à transférer son appui aux partisans lorsque ceux-ci ont pris l’avantage sur leurs rivaux au cours de l’automne 1943.

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Chapitre 6 : D-Day et ses suites

Au cours de ce sixième chapitre, nous nous intéresserons à la couverture de la résistance et de la collaboration réalisée par les quotidiens étudiés entre juin et septembre 1944, c’est-à- dire de l’invasion alliée de la France jusqu’à l’arrivée des armées alliées occidentales aux frontières de l’Allemagne. Plus précisément, dans le cadre de notre échantillonnage, nous avons étudié les mois de juillet 1944, voyant notamment des combats importants dans le nord de la France, d’août 1944, marqué par l’invasion du sud de la France par les Alliés et la libération de Paris, et de septembre 1944, théâtre de la libération de Bruxelles et de l’échec du soulèvement de Varsovie. Au cours de cette période, marquée par la libération de la France et la vaste offensive parallèle de l’Armée rouge à l’est, les quotidiens étudiés accordent une attention médiatique inédite aux efforts des mouvements de résistance intérieure afin d’appuyer les avancées alliées. En effet, cette période voit les réseaux de résistants, lesquels se préparaient pour ce moment depuis plusieurs années, finalement passer à l’offensive : « Strikes, sabotage and armed attacks on German troops reached unprecedented levels, and the German themselves, fighting in both front and rear, brought mass terror and reprisals into areas that had so far been spared them. »196. Dans ce contexte, il apparaît que la proportion d’articles consacrés à la résistance et de la collaboration est plutôt déséquilibrée en faveur du premier thème autant pour le quotidien du colonel McCormick (83 % contre 17 %) que son homologue new-yorkais (77 % contre 23 %). Or, la victoire éventuelle semblant de plus en plus acquise, le Chicago Tribune et le New York Times, à travers leur couverture de la résistance et de la collaboration en Europe, présentent leurs opinions, souvent opposées, au sujet du rôle que les États-Unis devront jouer sur la scène internationale au terme du conflit.

Premièrement, il est important d’insister sur le fait que la libération progressive de la France par les Alliés est particulièrement au centre de la couverture médiatique de la résistance et, dans une moindre mesure, de la collaboration réalisée par les quotidiens étudiés au cours de cette période. En effet, ces aspects de nos sujets d’étude sont respectivement les 1er et 4e les plus couverts par le Chicago Tribune (27 % des articles répertoriés, 17 articles par mois étudié et 7,4 %, 4,67) et les 1er et 3e par le New York Times (25,7 %, 47,33 et 8,8 %, 16,33).

196 Mazower, op. cit., p. 508.

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Dans ce contexte, 17 % des articles au sujet de la résistance française relevés dans le premier et 16 % de ceux dans le deuxième l’ont été pendant cette période même si celle-ci ne compte que trois mois étudiés. Or, contrairement à la période analysée dans le chapitre précédent, au cours de l’été 1944, étant donné la position centrale accordée aux avancées alliées à l’ouest et à l’est, la campagne italienne et les politiques des gouvernements italiens pro-allié et collaborateur prennent une place plus secondaire dans la couverture de la résistance et de la collaboration réalisée par les quotidiens étudiés. Néanmoins, la résistance italienne reste tout de même le 5e aspect de nos sujets d’étude le plus traité par le Chicago Tribune (5,8 %, 3,67) et le New York Times (6,1 %, 11,33).

Au cours de l’été 1944, les quotidiens étudiés ont traité en profondeur des efforts de la résistance française afin d’appuyer l’offensive alliée dans leur pays. En juillet 1944, le Chicago Tribune (3 articles relevés) illustre leur ampleur : « The picture in France was one of widespread and growing ferment, with patriots hampering German defenses, communications and war industries despite tank artillery and aircraft attacks by the enemy. »197. Plus encore, le New York Times, accordant une attention importante aux efforts de la résistance française (12 articles répertoriés, dont 3 en première page et 1 éditorial), témoigne de la contribution majeure des cellules de résistance et des maquis à l’offensive alliée. Citons, entre autres, un article insistant sur le sabotage industriel et la guérilla dans le sud, laquelle occupe plusieurs divisions allemandes198. De même, ce quotidien soutient que « The French have proved themselves valuable allies in this first campaign on their home soil. »; ayant, notamment, recueilli des « priceless intelligence data » lors de la planification de cette campagne et combattu au côté des troupes alliés199. Dressant un bilan a posteriori de la contribution de la résistance lors des deux premiers mois de la libération de la France, Jackson est un peu plus nuancé : « …the fate of FFI operations,…, depended on the Germans. Where the Germans decided to crush the Resistance, they could always do so. Where this was not worth their while, the innumerable local Maquis operations, especially in the South, helped destroy what was left of Vichy’s authority. »200.

197 « Underground Belgian Forces Strike at Nazis », Chicago Tribune, 21 juillet 1944, p. 6. 198 « French Patriots Work near Front », New York Times, 9 juillet 1944, p. 10. 199 Harold Denny, « French Patriots Prove their Value », New York Times, 5 juillet 1944, p. 5. 200 Jackson, op. cit., p. 550.

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Dans le même ordre d’idées, au mois d’août 1944, le Chicago Tribune (9 articles répertoriés, dont 3 en première page) et le New York Times (21 articles, dont 7 en première page) consacrent une attention médiatique importante au rôle crucial joué par des centaines de milliers de résistants français afin d’appuyer le débarquement de troupes américaines et françaises dans le sud du pays et l’avancée alliée au nord. Développant plus que son homologue sur le rôle important joué par la résistance afin d’appuyer l’offensive alliée dans le nord, le quotidien new-yorkais montre que les Forces françaises de l’intérieur (FFI) contribuent aux opérations de nettoyage alliées et harcèlent constamment les lignes ferroviaires allemandes. Surtout, dans le sud, alors que le gouvernement de Vichy est relocalisé à Belfort, les quotidiens étudiés rapportent que les troupes françaises et américaines, supportées par les maquis, auraient notamment libéré Bordeaux, Marseille et Vichy. Un article publié par le Chicago Tribune à la fin du mois illustre le succès de l’offensive combinée des armées alliées et des maquis; les Allemands ayant perdu 55 000 hommes dans le sud de la France201. De plus, un correspondant affilié à ce quotidien soutient même que les résistants ont libéré plusieurs régions sans l’aide des armées alliées202. Or, notons que le New York Times attribue une part importe du mérite pour les succès des FFI à l’influence du général de Gaulle; celui-ci ayant restreint leur ardeur et prévenu des missions suicides203. En somme, les quotidiens étudiés insistent donc sur l’efficacité et l’ampleur de la contribution des résistants à l’offensive alliée dans le sud de la France lors du mois d’août. Il apparaît sans équivoque que « The military contribution of the Resistance to this stage of the Liberation was more important than during the period immediately after D-Day. »204.

Parallèlement, le Chicago Tribune (4 articles retenus, dont 3 publiés en première page) et, surtout, le New York Times (8 articles relevés, dont 3 en première page et 1 éditorial) consacrent une couverture médiatique importante au soulèvement entrepris par plusieurs dizaines de milliers de résistants français à Paris. Dans un éditorial, malgré la division des effectifs provoquée par ce soulèvement quelque peu prématuré aux yeux du haut

201 « Marseille Cleared of Nazis », Chicago Tribune, 29 août 1944, p. 1. 202 Charles S. Foltz, « Finds French Interior Calm under Patriots », Chicago Tribune, 25 août 1944, p. 3. 203 « De Gaulle Hailed in Cherbourg Talk », New York Times, 21 août 1944, p. 5. 204 Jackson, op. cit., p. 555.

74 commandement allié, le quotidien new-yorkais insiste sur son importance symbolique et identifie la résistance française comme la principale responsable de la libération prochaine de Paris205. Notons que les études récentes soutiennent aussi que ce soulèvement, lequel allait initialement à l’encontre des directives du haut commandement allié et du général de Gaulle, fut un important succès symbolique pour les insurgés et les FFI206. À la fin du mois, le New York Times rapporte que Leclerc et de Gaulle sont entrés à Paris avec des troupes régulières afin de renforcer leurs compatriotes déjà engagés contre les Allemands.

Puis, en septembre, la lutte des troupes régulières et des résistants français afin de poursuivre la libération de la France reste au centre de la couverture médiatique de la résistance réalisée par le Chicago Tribune (8 articles relevés, dont 2 en première page) et le New York Times (15 articles, dont 6 en première page et 1 éditorial). Ce dernier quotidien, particulièrement, témoigne du rôle clé joué par les soldats français et les maquis lors de cette campagne. Il illustre l’efficacité des FFI, lesquelles ont pris Nice, libéré Rouen et nettoyé Bordeaux, et encense les troupes régulières participant à la bataille de Belfort207. Il apparaît que les Français auraient capturé près de 50 000 des 82 000 prisonniers faits par les Alliés dans la région de Belfort. De plus, à travers un éditorial, citant l’apport des armées en exil, particulièrement française et polonaise, le quotidien new-yorkais présente la victoire décisive des Alliés dans le nord de la France comme le triomphe de la coopération militaire internationale208. Au final, s’il est difficile de quantifier la contribution de la résistance à la libération, il est évident que, même si les quotidiens étudiés ont peut-être exagéré son importance, ses actions, particulièrement dans le sud, ont grandement facilité l’invasion alliée de la France209.

D’autre part, à partir de septembre 1944, les quotidiens étudiés attestent de la participation de troupes belges, néerlandaises et polonaises aux offensives alliées en Belgique et aux Pays- Bas. Le New York Times insiste particulièrement sur le rôle des Polonais dans cette campagne (8 articles relevés, dont 6 en première page). De plus, les quotidiens étudiés montrent que les

205 « What Happened in Paris », New York Times, 25 août 1944, p. 12. 206 Mazower, op. cit., p. 510. Et Jackson, op. cit., p. 565. 207 « French Army Nears Spanish Frontier », New York Times, 1er septembre 1944, p. 1. 208 « Victories: Past and to Come », New York Times, 1er septembre 1944, p. 12. 209 Jackson, op. cit., p. 557.

75 résistants belges et néerlandais se révèlent une source d’aide essentielle pour les Alliés. Citons, entre autres, un article publié par le Chicago Tribune affirmant que la résistance néerlandaise a contribué à cette victoire américaine héroïque en empêchant le dynamitage du pont de Nijmergen210. De son côté, le quotidien new-yorkais insiste sur le rôle important joué par les résistants belges dans la libération de leur pays : « Belgian forces of the interior rose like warriors from the dragon’s teeth as the British advance forces rolled across the border. At each village and town the patriots were waiting in the outskirts. »211.

Par surcroît, parallèlement à leur couverture de l’offensive alliée en France, les quotidiens étudiés prennent position au sujet des politiques du Gouvernement provisoire de la République française; la question des négociations entre de Gaulle et les Alliés bénéficiant d’une attention médiatique particulière. En effet, surtout en juillet 1944, le New York Times consacre une couverture médiatique importante aux négociations entre de Gaulle et Roosevelt à propos de la décision du Comité de se proclamer gouvernement provisoire (8 articles relevés, dont 1 en première page et 1 éditorial). Or, à travers un éditorial, ce quotidien exprime son admiration pour le général et ses espoirs que sa visite aux États-Unis est annonciatrice de meilleures relations à venir entre les gouvernements français et américain212. Surtout, l’auteur soulève l’inquiétude que ces tensions minent le moral des combattants français et argumente que ce conflit politique n’est pas nécessaire car Roosevelt et de Gaulle partagent le même objectif, à savoir le renaissance d’une France souveraine et démocratique. De même, un autre article soutient que, les Alliés ayant entamé la libération de la France, ce conflit est désormais futile; les Français pourront bientôt choisir leur dirigeant bien qu’il semble acquis que de Gaulle jouera un rôle important dans le futur politique du pays213. Au final, celui-ci réussit à forcer la main à Roosevelt en le présentant devant un fait accompli; ses représentants dans les territoires libérés ayant déjà été acceptés comme l’autorité légitime par les commandants alliés sur le terrain214.

210 Robert Wilson, « Impossible to Capture Bridge, But Yanks Do It », Chicago Tribune, 25 septembre 1944, p. 6. 211 Drew Middleton, « British Capture Brussels and Antwerp », New York Times, 5 septembre 1944, p. 1. 212 « General de Gaulle’s Visit », New York Times, 5 juillet 1944, p. 16. 213 Edwin L. James, « De Gaulle Does Better and Washington also », New York Times, 9 juillet 1944, p. 73. 214 Jackson, op. cit., p. 552.

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Puis, au cours des mois d’août et de septembre, à la suite d’un accord entre la Grande- Bretagne, les États-Unis et l’Union soviétique, les quotidiens étudiés rapportent que la France sera reconnue comme une grande puissance lors des négociations d’après-guerre. Insistant surtout sur l’amélioration des relations entre de Gaulle et le président américain, le New York Times note le ton cordial de ces pourparlers et illustre les objectifs politiques du Gouvernement provisoire. Il apparaît notamment que de Gaulle, appuyé par la Grande- Bretagne, souhaiterait que la France obtienne une zone d’occupation en Allemagne. Or, le quotidien new-yorkais affirme que le Gouvernement provisoire ne souhaite plus demander la reconnaissance officielle des Alliés; étant plutôt d’avis que la faveur populaire lui accorde sa légitimité : « Hence it is believed to be up to those who erred –including in the French view, the United States Government- to make the amende honorable by granting that formal recognition that has so far been refused. »215.

Par ailleurs, les différents enjeux de politique intérieure auxquels le gouvernement de la France libérée est confronté, notamment les questions du désarmement de la résistance et de « l’épuration nationale », représentent des sujets couverts significativement par les quotidiens étudiés. En effet, particulièrement à la suite de la libération de Paris, de Gaulle tâche de « …bring the Resistance to heel and reassert the supremacy of the State. »216. Le New York Times est d’avis que le désarmement des résistants récalcitrants sera un problème relativement mineur : « The majority of the FFI,…, are level-headed patriots who are eager to return to the task of restoring Paris and France to a peaceful existence. »217. En septembre, le Chicago Tribune affirme que les FFI seront intégrées à l’armée régulière. Développant sur ce point, son homologue new-yorkais rapporte que seuls les volontaires rejoindront l’armée; certains résistants ne voulant pas suivre un entraînement militaire formel ou répugnant à combattre au côté d’anciens vichystes.

Dans le contexte politique trouble de la libération, notamment en août 1944, le New York Times s’intéresse aussi à la vague de procès organisés dans les villages libérés par les

215 Harold Callender, « French Seek no Wider Recognition of Provisional Regime from Allies », New York Times, 17 septembre 1944, p. 17. 216 Jackson, op. cit., p. 571. 217 « Paris Turned Over to Koenig’s Rule », New York Times, 29 août 1944, p. 3.

77 résistants français afin de juger les civils collaborateurs, particulièrement les délateurs et les femmes ayant fraternisé avec l’occupant. Plus encore, en septembre, le Chicago Tribune (7 articles répertoriés, dont 1 en première page) et le New York Times (4 articles) accordent un poids médiatique significatif à la chasse aux collaborateurs menée par la résistance française et le gouvernement. Alors que près de 7 000 collaborateurs ont été arrêtés dans la région parisienne pour avoir été membres d’organisations fascistes ou avoir participé à la propagande vichyste, les quotidiens étudiés attestent de l’importance de ce processus dans l’agenda politique du gouvernement français. Or, selon le Chicago Tribune, si cette chasse aux collaborateurs est supervisée par les autorités à Paris, en campagne, les maquis continuent de se faire justice218. De fait, à la suite de la libération de Lyon, les deux quotidiens étudiés présentent des témoignages illustrant que les maquis seraient en train de chasser et d’exécuter les derniers nazis et collaborateurs dans la ville219. Ainsi, ils illustrent le fait que, dans le sud «…where the Maquis was strong, Allied troops were absent, and German atrocities had been particularly violent. », plusieurs mouvements de résistance locaux ont une relation trouble avec l’autorité gaulliste220. Il est intéressant de noter que la majorité de l’attention médiatique consacrée à « l’épuration nationale » survient après la libération de la plupart de la France alors que les études a posteriori montrent plutôt qu’environ 9 000 des 10 500 exécutions dans ce pays ont eu lieu dans les semaines suivant D-Day, c’est-à-dire avant que le gouvernement tâche de prendre le contrôle de la purge221. Un état de fait qui pourrait s’expliquer car, au début de l’invasion alliée de la France, lors de la période de l’épuration sauvage, les quotidiens étudiés n’étaient peut-être pas au fait de l’ampleur de la purge menée en campagne par les maquis.

Alors que la libération de la France amène les développements politiques dans ce pays au centre de la couverture de la résistance et de la collaboration réalisée par les quotidiens étudiés, ceux-ci dressent des portraits plutôt distincts du général de Gaulle. Si ces quotidiens, particulièrement le New York Times, insistent généralement sur l’admiration de la population française pour de Gaulle, en septembre, le Chicago Tribune publie un éditorial très critique

218 Larry Rue, « Roster of Paris Purge Roundup Like Who’s Who », Chicago Tribune, 9 septembre 1944, p. 3. 219 A. C. Sewick, « 27 Lyon Bridges Blasted by Foe », New York Times, 5 septembre 1944, p. 3. Et Seymour Korman, « Maquis Mop Up Last Traitors at Lyon Hotels », Chicago Tribune, 5 septembre 1944, p. 2. 220 Jackson, op. cit., p. 574. 221 Judt, op. cit., p. 301. Et Jackson, op. cit., p. 577.

78 envers celui-ci. L’auteur accuse le général d’être resté à Londres à jouer aux politiciens pendant que d’autres prenaient les risques sur le terrain. Plus encore, déplorant l’assassinat de Darlan près de deux ans auparavant, il soutient que celui-ci a plus contribué à la cause des Alliés que les Gaullistes : « When Adm. Darlan…ordered the French colonial commanders to cease firing at the American and British landing boats, he did more for the allied cause than De Gaullists had done before then or have done since. »222. À l’inverse, le New York Times dresse un portrait favorable de Charles de Gaulle. Il soutient que les critiques du général seraient rares à l’exception des communistes : « Members of all groups,…, have said that it was General de Gaulle who saved France’s prestige in the world in 1940 and that there is virtually no opposition to his leadership. »223.

Dans un autre ordre d’idées, la campagne italienne n’est plus au centre de la couverture médiatique des affrontements en Europe réalisée par les quotidiens étudiés au cours de l’été 1944. Conséquemment, lors de cette période, nous avons seulement répertorié quelques articles au sujet de la résistance italienne dans le Chicago Tribune. En ce qui concerne le New York Times, juillet fait figure d’exception; au cours de ce mois, celui-ci consacrant tout de même un poids médiatique significatif aux attaques de partisans et aux grèves en Italie du Nord ainsi qu’à la participation de combattants italiens à l’offensive alliée sur la ligne gothique (7 articles relevés, dont 2 en première page et 1 éditorial). Néanmoins, un éditorial déplore le fait que « If a great part of Italy has now been liberated the deed has been done by American, British, Dominion and French troops with relatively little organized Italian assistance. »224. Or, au-delà de ses doutes envers les aptitudes militaires italiennes, le quotidien new-yorkais semble encore, du moins en partie, blâmer la politique italienne des Alliés lors de l’été 1943 pour leur faible participation au conflit. Puis, au cours des mois d’août et de septembre, les quelques articles répertoriés dans les quotidiens étudiés concernent surtout la participation de troupes et de partisans italiens à l’offensive alliée sur la ligne gothique, notamment dans le secteur de .

222 « De Gaulle in Paris », Chicago Tribune, 21 septembre 1944, p. 18. 223 Harold Callender, « French Seek no Wider Recognition of Provisional Regime from Allies », New York Times, 17 septembre 1944, p. 17. 224 « The Mills of the Gods », New York Times, 25 juillet 1944, p. 18.

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Parallèlement, particulièrement en juillet et en septembre 1944, le Chicago Tribune (6 articles répertoriés) et le New York Times (20 articles, dont 5 en première page et 3 éditoriaux) accordent un poids médiatique significatif à la participation des exilés français et, surtout, polonais à l’offensive alliée contre la ligne gothique. Le quotidien du colonel McCormick notamment dresse un portrait élogieux des efforts de l’armée polonaise en exil, « who distinguished themselves in the bloody Cassino fighting »225. De même, dans le contexte de libération de Pesaro par les troupes polonaises, son homologue illustre l’ampleur de la contribution de l’armée polonaise en exil à la campagne italienne : « In just over two months the vengeful Polish Corps has pushed 150 miles up the Adriatic coast, burying 2,500 Germans and capturing 3,170. »226. Au cours de l’été 1944, il apparaît donc que les troupes polonaises en exil, grâce à leurs actions lors de la campagne italienne, bénéficient d’une couverture particulièrement élogieuse dans les deux quotidiens étudiés, laquelle tranche avec le portrait beaucoup plus mitigé qu’ils ont dressé des résistants et des soldats italiens.

D’autre part, dans le contexte de la grande offensive soviétique de l’été 1944, nous avons étudié la couverture réalisée par le Chicago Tribune et le New York Times au sujet du rôle des résistants lors de cette campagne. Si, au mois de juillet, le quotidien du colonel McCormick présente le récit d’un groupement de communautés dans la région de Minsk qui a mené une guerre de guérilla contre l’armée allemande au cours des trois dernières années, malgré les importants combats en Ukraine et en Biélorussie au cours de cette période, nous avons seulement relevé un article attestant de la contribution de groupes de partisans à l’opération Bagration227.

Aux antipodes, alors que l’avancée de l’Armée rouge vers Varsovie provoque le soulèvement des résistants fidèles au gouvernement polonais en exil et exacerbe les tensions entre les exilés de Londres et leurs rivaux communistes, la résistance polonaise obtient un poids médiatique très important dans les quotidiens étudiés au cours de l’été 1944228. En effet, cet aspect de nos sujets d’étude est le 2e plus couvert par le Chicago Tribune (18,5 % des articles

225 « Allies Inch Up Italy », Chicago Tribune, 13 juillet 1944, p. 3. 226 « Poles Win Pesaro near Gothic Line », New York Times, 1er septembre 1944, p. 5. 227 Eddy Gilmore, « Guerrila Land Holds 3 Years Behind Nazi Lines », Chicago Tribune, 9 juillet 1944, p. 4. 228 Mazower, op. cit., p. 512.

80 répertoriés, 11,67 articles par mois étudié) et le New York Times (14,3 %, 26,33) tandis que 29 % des articles au sujet de la résistance polonaise relevés dans le premier et 22 % de ceux dans le deuxième l’ont été pendant cette courte période.

Surtout en août et en septembre, le Chicago Tribune (12 articles relevés, dont 1 en première page) et le New York Times (18 articles, dont 3 en première page et éditorial) accordent une attention médiatique importante au soulèvement entrepris par près de 25 000 résistants à Varsovie. Dès le début du soulèvement, le quotidien new-yorkais illustre la situation précaire des résistants polonais : « …inside the city Polish underground forces were engaged in a battle that promised to end in defeat and death unless help soon reached them from outside. ». Dans ce contexte, un article rapporte que le général Bor a appelé les Alliés à l’aide. Il apparaît que la Grande-Bretagne a répondu à cet appel en parachutant des armes aux « hard-pressed patriots »229. Le New York Times critique quelque peu le manque de coopération des Soviétiques, lequel complique cette opération logistique230. Or, à travers un éditorial, ce quotidien, bien que sensible à la cause des patriotes, citant des considérations stratégiques, soutient qu’il ne faut pas non plus condamner unilatéralement la décision des Soviétiques : « It is arguable that the Warsaw Poles should not have risen until they had keyed their movements with those of the Russians – which they obviously did not do. In their heroic haste they may have needlessly sacrificed many lives. »231. Dans le contexte où cette situation apparaît comme une source de tensions supplémentaires entre les deux mouvements polonais, cet éditorial soutient que les efforts héroïques des résistants de Varsovie ne devront pas être oubliés à la table des négociations d’après-guerre.

Finalement, à la fin du mois de septembre, les quotidiens étudiés rapportent que certains patriotes polonais continuent la lutte alors que l’artillerie soviétique a commencé à bombarder la ville. Dans ce contexte, à travers un éditorial, le Chicago Tribune, soutenant que la capitale polonaise serait déjà libérée si l’Union soviétique avait permis aux Alliés occidentaux de ravitailler efficacement les insurgés, condamne l’inaction des Soviétiques : « The result was the fruitless sacrifice of the underground army which had sprung into action

229 « Toward East Prussia », New York Times, 13 août 1944, p. 71. 230 « Poles in Warsaw to Die, Envoy Says », New York Times, 29 août 1944, p. 8. 231 « Tragedy in Warsaw », New York Times, 17 août 1944, p. 16.

81 in response to allied appeals. »232. Selon l’auteur, Staline ne désirait pas laisser aux nationalistes polonais l’occasion de jouer un rôle dans la libération et aurait même utilisé le soulèvement comme une opportunité afin d’éliminer une opposition potentielle à la réalisation de ses ambitions pour la Pologne. De son côté, le New York Times, louangeant les patriotes polonais, critique la décision soviétique de ne pas leur apporter d’aide et la contraste avec les actions des Alliés occidentaux : « A considerable number of British planes and some American planes dropped munitions and supplies to Bor’s men, but the Russians did not do so. The planes flying from London had a 2,000 miles trip out and back, whereas Russian airfields were close at hand. »233. Les Soviétiques affirment avoir pris cette décision car le soulèvement n’avait pas été coordonné avec l’Armée rouge. Or, l’auteur, montrant que le gouvernement en exil a présenté des preuves selon lesquelles l’Union soviétique avait été avisée préalablement, apporte un bémol à cette thèse soviétique. De plus, il apparaît que les insurgés de Varsovie : « …has been fighting with the aid of 100 tons of British arms, including 3,000,000 rounds of ammunition delivered by British-controlled aircrafts… »234. Ces chiffres contredisent donc les prétentions soviétiques selon lesquelles il était impossible de ravitailler la capitale polonaise.

Surtout, le contexte de l’offensive soviétique de l’été 1944 et, particulièrement, du soulèvement de Varsovie voit le conflit politique opposant le gouvernement polonais en exil et le Conseil national polonais bénéficier d’un poids médiatique très important lors de cette période; un état de fait nous permettant de comparer les perspectives des quotidiens étudiés sur cette question. Le New York Times, surtout, consacre une attention médiatique importante à ce litige (19 articles relevés, dont 2 en première page et 1 éditorial). Dès juillet, il soutient que la Pologne risque de sombrer dans la guerre civile à la suite de sa libération en raison de l’antagonisme entre les cellules de résistance affiliées à des gouvernements rivaux.235 Dans ce contexte, à travers un éditorial, il insiste sur l’importance d’une entente entre l’Union soviétique et le gouvernement polonais afin d’assurer la sécurité internationale après la guerre236. Encore en septembre, ce quotidien montre que, malgré des efforts de négociation

232 « Warsaw on the Fifth Anniversary », Chicago Tribune, 1er septembre 1944, p. 12. 233 Edwin L. James, « The Poles in Warsaw Fight a Tragic Battle », New York Times, 17 septembre 1944, p. 78. 234 « Warsaw Patriots Get 100 Tons of Aid », New York Times, 17 septembre 1944, p. 8. 235 « Civil War in Poland Forecast by Lance », New York Times, 1er juillet 1944, p. 4. 236 Anne O’Hare McCormick, « As the Red Armies Sweep toward Warsaw », New York Times, 5 juillet 1944, p. 16.

82 significatifs, alors que l’Armée rouge arrive aux portes de Varsovie, la tension entre les deux gouvernements polonais rivaux continue de monter; Lublin accusant même le gouvernement de Londres d’avoir commandité des assassinats dans les territoires libérés tandis que les éléments radicaux du gouvernement de Londres refusent toujours de réaliser un compromis au sujet des frontières 237. Dans ce contexte, le New York Times atteste des efforts des Britanniques et des Américains afin de résoudre ce litige; ceux-ci appelant, entre autres, le gouvernement Mikolajzyk à la retenue à l’aube d’une rencontre entre les quatre grands. Parallèlement, dans ce contexte de tensions, à travers un éditorial, le Chicago Tribune soutient que les États-Unis et la Grande-Bretagne ne sont pas prêts à entrer en guerre afin de protéger la Pologne des ambitions soviétiques238. Néanmoins, l’auteur critique la faiblesse de Roosevelt dans ses négociations avec Staline. Ainsi, si ce quotidien isolationniste ne souhaite certainement pas que les Américains soient entraînés dans une guerre contre l’Union soviétique, il présente les concessions du gouvernement sur le litige polonais comme un signe de faiblesse.

En outre, au cours des mois d’août et de septembre 1944, le Chicago Tribune (4 articles retenus, dont 2 en première page) et le New York Times (9 articles, dont 5 en première page et 1 éditorial) s’intéressent de façon significative à la situation en Roumanie; l’invasion soviétique ayant divisé le pays entre ceux souhaitant faire la paix avec les Alliés et ceux déterminés à continuer le combat au côté de l’Allemagne. La couverture réalisée par le Chicago Tribune montre que la capitulation du gouvernement a permis à l’Union soviétique et à ses alliés roumains de réaliser une avancée fulgurante dans ce pays. De même, à travers un éditorial, le New York Times présente la défection de la Roumanie comme un avantage important pour les Alliés; l’Allemagne ne pouvant permettre que ce pays se retire du conflit en raison de l’importance de son pétrole pour la machine de guerre nazie239. Plus encore, un autre article montre que les défections de la Roumanie et de la Bulgarie, privant l’Allemagne d’un million de soldats, ont amplifié la position déjà précaire des nazis sur le front de l’Est et dans les Balkans240. Il apparaît même que des troupes roumaines participent aux offensives

237 W. H. Lawrence, « Feud among Poles Growing Bitterer », New York Times, 17 septembre 1944, p. 27. 238 « Paying the Fiddler for Stalin’s Tune », Chicago Tribune, 1er août 1944, p. 8. 239 « Battleground in Rumania », New York Times, 25 août 1944, p. 12. 240 « Smashes 10 Miles over Transylvanian Border », New York Times, 29 août 1944, p. 1.

83 soviétiques en Pologne et en Hongrie. Or, notons que la couverture médiatique réalisée par les quotidiens étudiés au cours de l’été 1944 montre que, contrairement à la situation en Roumanie, le gouvernement pro-allemand est bien installé en Hongrie.

Dans un autre ordre d’idées, si dans le contexte des grandes offensives alliées en France et sur le front de l’Est, les quotidiens étudiés s’intéressent surtout aux actions des résistants impliqués dans ces combats, la guerre dans les Balkans continue de bénéficier d’une certaine couverture médiatique au cours de l’été 1944. En effet, particulièrement en septembre, ces quotidiens accordent une attention médiatique importante aux efforts des partisans yougoslaves et aux négociations afin d’unifier le mouvement de Tito et le gouvernement en exil. De ce fait, la résistance yougoslave est respectivement le 3e et le 4e aspect de nos sujets d’étude le plus traité par le Chicago Tribune (8,5 % des articles retenus, 5,33 articles par mois étudié) et le New York Times (6,9 %, 12,67). Dans ce contexte, 16 % des articles au sujet de la résistance yougoslave répertoriés dans le premier et le deuxième l’ont été pendant cette courte période. Or, il faut noter que la guerre menée en Yougoslavie par les partisans de Tito occupe une place secondaire dans la couverture médiatique réalisée par les quotidiens étudiés lors des mois de juillet et d’août. Malgré cette couverture plutôt restreinte de leurs actions, le Chicago Tribune louange les partisans, qualifiés de « highly effective », et affirme qu’ils se sont distingués lors de nombreux raids sur les îles dalmates241. En août, le New York Times présente notamment une analyse détaillée de la situation stratégique dans les Balkans. L’auteur soutient que les Allemands sont dans une position précaire : « The German’s only chance of alleviating this position at all is by continuing to encourage the Yugoslav, Greek and Albanian guerrillas to fight each other instead of their common enemy, but even this policy cannot last forever. »242. Comparant les affrontements dans les Balkans à ceux lors de la Première Guerre mondiale, cet article illustre que ce sont des groupes de guérilla, et non, des soldats occidentaux, qui mènent l’effort de guerre allié dans cette région.

D’autre part, lors du mois de septembre, dans le contexte de l’offensive déclenchée par les partisans de Tito afin de libérer Belgrade et de couper la retraite allemande, le Chicago

241 Astley Hawkins, « Daring Raiders Pry Nazis Out of Adriatic Isles », Chicago Tribune, 17 juillet 1944, p. 5. 242 C. L. Sulzberger, « Reich’s European Structure Is Rent by Balkan Fissures », New York Times, 13 août 1944, p. 75.

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Tribune (5 articles retenus, dont 1 en première page) et, particulièrement, le New York Times (12 articles, dont 3 en première page) consacrent à nouveau un poids médiatique important aux activités de la résistance en Yougoslavie. Il apparaît que les partisans, certains ayant fait jonction avec l’Armée rouge, sont en train de piéger 250 000 soldats allemands dans les Balkans. Les quotidiens étudiés affirment qu’ils ont libéré plusieurs villes dans la région de Belgrade et se sont emparés de Ravoa Gora, l’ancien quartier général de Mikhailovitch, lequel serait en fuite. Illustrant l’ampleur de la déroute de l’Axe en Yougoslavie, le New York Times affirme que « Under the impact of the Allies’ victory drive the Axis organization in Yugoslavia was reported tonight to be falling apart, with a general rising in Serbia, a revolt in Croatia and the disintegration of the Bulgarian occupation forces. »243.

Sur le plan politique, en juillet, la couverture réalisée par le Chicago Tribune et le New York Times atteste des tensions continues au sein du nouveau gouvernement yougoslave malgré l’union supposée entre les partisans de Tito et les éléments progressistes de l’ancien gouvernement en exil. En effet, ces quotidiens affirment que plusieurs éléments serbes protestent contre la répudiation de Mikhailovitch, les Chetniks se déclarant toujours loyaux à la cause alliée, tandis que Tito n’est pas satisfait de la représentation de son mouvement au sein du gouvernement. Or, dans le contexte de l’importante offensive des partisans et de l’Armée rouge au mois de septembre, le New York Times rapporte que le roi Pierre a demandé aux patriotes de s’unir sous la bannière de Tito. À la lumière de la coopération fructueuse entre les partisans et l’Armée rouge, un article illustre aussi que l’Union soviétique a accordé à Tito le statut de chef d’État d’un pays indépendant; une situation contrastant avec les relations des Soviétiques avec la Roumanie et la Pologne244.

Dans le contexte des combats importants dans les Balkans lors du mois de septembre 1944, le Chicago Tribune et, particulièrement, le New York Times (4 articles retenus, dont 1 publié en première page) accordent aussi une certaine attention médiatique aux efforts des mouvements de résistance grecs afin d’expulser l’occupant. Il apparaît que 40 000 résistants ont pris le contrôle du sud de la Grèce; les Allemands retraitant vers le nord. Les quotidiens

243 « Serb, Croat Risings Tighten Nazi Trap », New York Times, 1er septembre 1944, p. 1. 244 « Tito Opens Border for Russian Drive », New York Times, 29 septembre 1944, p. 10.

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étudiés montrent que cette offensive a été possible car, grâce à l’intervention des Alliés, les résistants communistes et nationalistes ont accepté de faire une trêve afin de chasser les Allemands de la Grèce. Sans équivoque, après avoir été à l’arrière-plan en juillet et en août, pendant le mois de septembre, la guerre dans les Balkans bénéficie donc à nouveau d’une couverture significative dans les quotidiens étudiés; l’avancée soviétique et les défections de la Roumanie et de la Bulgarie donnant un nouveau souffle aux campagnes des partisans.

En somme, la couverture médiatique réalisée par les quotidiens étudiés lors de l’été 1944 montre que, dans le contexte des grandes offensives alliées en France et sur le front de l’Est, cette période est marquée par une activité sans précédent des mouvements de résistance locaux qui voient l’heure de la libération approcher. Sans surprise, le New York Times insiste sur le rôle clé joué par les résistants dans les succès des Alliés en France et à travers le reste de l’Europe. Citons, entre autres, un éditorial publié au mois d’août dans lequel il affirme que la retraite générale des Allemands à travers l’Europe occupée est en grande partie due aux soulèvements des peuples conquis245. À l’inverse, notamment à travers un éditorial publié en septembre, le quotidien du colonel McCormick réitère que, malgré les prétentions britanniques, les États-Unis sont responsables de la majorité de l’effort de guerre allié246. De fait, si, à l’image de son homologue, le Chicago Tribune reconnaît le rôle important joué par les résistants, surtout polonais et français, dans les succès des Alliés à l’été 1944, il ne manque pas l’occasion de rappeler que cette contribution est possible grâce au support américain. Or, malgré le contexte du conflit, particulièrement avec l’approche des élections présidentielles américaines, le Chicago Tribune, isolationniste, et le New York Times, internationaliste, continuent de mettre de l’avant leurs visions différentes du rôle des États-Unis dans le monde. Dans ce contexte, le premier publie des éditoriaux très critiques envers Roosevelt; insistant notamment sur son ineptie dans ses négociations avec Staline247. Contrairement à son homologue, tel que l’a illustré notre analyse, le New York Times prend généralement la défense du gouvernement Roosevelt au sujet de questions comme ses relations avec de Gaulle et ses négociations avec l’Union soviétique à propos du litige polonais.

245 « The Great Opportunity », New York Times, 21 août 1944, p. 14. 246 « First in War », Chicago Tribune, 29 septembre 1944, p. 16. 247 « The Roosevelt Terms to Finland », Chicago Tribune, 21 septembre 1944, p. 18.

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Chapitre 7 : Combats aux frontières allemandes

Notre septième chapitre porte sur la couverture de la résistance et de la collaboration réalisée par les quotidiens étudiés entre octobre 1944 et mars 1945, c’est-à-dire du ralentissement de l’avancée alliée à l’ouest lors de l’automne 1944 jusqu’aux offensives finales du printemps 1945. Plus précisément, dans le cadre de notre échantillonnage, nous avons étudié les mois d’octobre 1944, théâtre des libérations d’Athènes et de Belgrade et du coup d’État pro-nazi en Hongrie, de novembre 1944, marqué par la libération de Strasbourg et la crise du désarmement des résistants belges, de décembre 1944, voyant les débuts de la et de la bataille des Ardennes, et de janvier 1945, lieu de la résolution de la crise en Grèce et de la libération de Varsovie. Cette période est donc marquée par des combats aux frontières de l’Allemagne et, surtout, par les conflits, politiques et armés, postlibération opposant les gouvernements revenus d’exil et les mouvements de résistance locale, particulièrement ceux d’orientations communistes, notamment en France, en Belgique et en Grèce248. De plus, dans un contexte où la majorité qui avait adopté une attitude attentiste pendant l’occupation tâche de rallier le camp des résistants au moment de la libération, de nombreux pays, à commencer par la France, sont le théâtre d’une importante chasse aux collaborateurs249. De ce fait, les actions des résistants à travers l’Europe continuent de bénéficier d’une attention médiatique très importante. Conséquemment, la proportion d’articles consacrés à la résistance et à la collaboration est très déséquilibrée en faveur de ce premier sujet autant pour le Chicago Tribune (77 % contre 23 %) que pour le New York Times (77 % contre 23 %). Or, il faut noter que, pendant les mois d’octobre et de novembre, la fin de la campagne électorale américaine et la réélection éventuelle de Roosevelt sont au centre de la couverture médiatique réalisée par les quotidiens étudiés. Le contexte électoral et le fait que la victoire éventuelle semble de plus en plus acquise amène le Chicago Tribune et le New York Times à présenter leurs opinions, souvent opposées, au sujet du rôle que les États-Unis doivent jouer sur la scène internationale au terme du conflit. Nous analyserons particulièrement en quoi ces perspectives influencent leur couverture des crises opposant les gouvernements revenus d’exil et les mouvements de résistance locale.

248 Mazower, op. cit., p. 518. 249 Judt, op. cit., p. 295.

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Premièrement, rappelons que, pendant cette période, si les offensives alliées, particulièrement à l’ouest, sont ralenties, elles restent au centre de la couverture réalisée par les quotidiens étudiés. De ce fait, compte tenu de l’attention médiatique importante accordée à la participation des troupes et des résistants français aux opérations alliées et aux politiques du gouvernement de Gaulle, particulièrement « l’épuration nationale », les négociations avec les Alliés et ses relations avec le mouvement de la résistance, les résistants et, dans une moindre mesure, les collaborateurs français continuent de bénéficier d’un poids médiatique prépondérant dans les quotidiens étudiés. En effet, ces aspects de nos sujets d’étude sont respectivement les 1er et 6e les plus traités par le Chicago Tribune (25,4 % des articles relevés, 17 articles par mois étudié et 7,3 %, 4,75) et les 1er et 5e par le New York Times (25,6 %, 56,25 et 6,3 %, 13,75). Conséquemment, 21 % des articles au sujet de la résistance française répertoriés dans le premier et 26 % de ceux dans le deuxième l’ont été pendant cette période.

Plus précisément, malgré le ralentissement de l’avancée alliée à l’ouest, lors des mois d’octobre et de novembre 1944, le Chicago Tribune (14 articles répertoriés, dont 5 en première page) et le New York Times (26 articles, dont 13 en première et 2 éditoriaux) accordent un poids médiatique important aux succès des troupes françaises impliquées dans de lourds combats dans les montagnes Vosges, en Alsace et à Belfort. En octobre, le quotidien new-yorkais rapporte, entre autres, que l’armée française a repoussé six contre- attaques dans les Vosges250. Plus encore, tâchant d’illustrer l’ampleur de leur contribution à l’offensive alliée, il affirme que les Français ont fait 60 000 prisonniers depuis le débarquement, soit 25 000 de plus que la 7e armée américaine251. Puis, lors du mois de novembre, les quotidiens étudiés témoignent des succès français en Alsace, particulièrement la libération de Strasbourg par la brigade du général Leclerc, appuyée par des maquis et des soldats américains. Le New York Times insiste aussi sur l’importance de la capture de Belfort par les forces du général de Tassigny, qualifiée de « The most spectacular success »; cette victoire et celles de Patton ayant ouvert la voie vers le Rhin252. De même, au cours des mois de décembre 1944 et de janvier 1945, alors que la bataille des Ardennes ramène les combats sur le front de l’Ouest au centre de la couverture médiatique réalisée par les quotidiens

250 « 7th Army 9 Miles from Belfort », New York Times, 1er octobre 1944, p. 1. 251 Raymond Daniell, « Germans Clinging to Antwerp Area », New York Times, 13 octobre 1944, p. 3. 252 « The French at the Rhine », New York Times, 21 novembre 1944, p. 24.

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étudiés, le Chicago Tribune (13 articles répertoriés, dont 9 en première page) et le New York Times (28 articles, dont 16 en première page et 2 éditoriaux) consacrent un poids médiatique important aux activités des troupes françaises. En décembre, le quotidien new-yorkais affirme notamment que les troupes de Tassigny ont repoussé de nombreuses contre-attaques allemandes et que d’autres unités françaises se sont distinguées dans les Ardennes. Puis, au cours du mois de janvier, les quotidiens étudiés rapportent, entre autres, que les Français ont repoussé une contre-offensive allemande en Alsace et poursuivent leur avancée vers le Rhin. La couverture réalisée par le New York Times illustre l’ampleur des succès français. Citons notamment un article affirmant que « The French struck a surprise blow for Alsace’s liberation with a new offensive… » et « …achieved complete surprise and still was pressing forward tonight against that tough German core known as the … »253.

D’autre part, le contexte postlibération voit les quotidiens étudiés accorder un poids médiatique très important aux politiques du gouvernement de Gaulle, à commencer par « l’épuration nationale ». En effet, au cours du mois d’octobre 1944, le Chicago Tribune (4 articles retenus, dont 1 en première page) et, surtout, le New York Times (9 articles, dont 1 en première page et 1 éditorial) consacrent un poids médiatique important à cette purge. Le premier mentionne notamment les exécutions de l’amiral Platon et de Pellacroix, deux ministres du gouvernement Pétain, et affirme que Laval, qualifié de « arch-collaborationist and beyond », ayant réussi à fuir en Allemagne, est condamné à mort in absentia254. De son côté, le New York Times montre, entre autres, que les cours civiles jugeront les individus accusés d’avoir été membres d’organisations vichystes ou d’avoir participé à la propagande fasciste. Par exemple, un article atteste de la condamnation à mort de George Suarez, éditeur du journal collaborateur Aujourd’hui255. Or, ce quotidien illustre les difficultés rencontrées par le gouvernement français dans ses efforts afin de contrôler le désir de vengeance des FFI en région; des cellules de résistance locale ayant mis sur pied des cours indépendantes afin de juger les collaborateurs. Fait intéressant, il condamne l’ampleur excessive de la purge : « It is no exaggeration to say that at present France is passing through a purge fever; … If carried to excess objective observers fear that this fever might stall the entire administration

253 « French Open Drive », New York Times, 21 janvier 1945, p. 1. 254 « Fugitive Laval Given French Death Sentence », Chicago Tribune, 21 octobre 1944, p. 4. 255 « Judges Mobilized in Paris for Purge », New York Times, 25 octobre 1944, p. 6.

89 of the country. »256. L’auteur soutient que, face à cette vague de purges touchant tous les milieux, même les résistants modérés seraient en faveur d’une certaine retenue.

Puis, lors des mois de novembre et de décembre, la couverture de la purge réalisée par le Chicago Tribune concerne surtout les procès de membres de la police ou de la milice257. Plus que son homologue, au cours de ces deux mois, le New York Times (13 articles répertoriés, dont 1 éditorial) accorde une attention médiatique significative à « l’épuration nationale », laquelle continue de toucher aux médias, aux milieux industriels et à l’armée. Or, ce quotidien soutient que la ferveur populaire pour le mouvement de purge semble s’estomper258. Néanmoins, le gouvernement reste confronté au problème d’empêcher les FFI de se faire justice, un général et un préfet de police ayant notamment été tués à Annery. En décembre, à travers un éditorial, le Chicago Tribune se prononce sur la question de la juridiction, après trois mois de purge, du crime de collaboration en France. Il remet en question cette loi en réitérant ses doutes face à la légitimité du gouvernement français actuel et en soutenant que la purge est surtout un moyen pour celui-ci de solidifier son emprise sur le pays : « The idea…is to get all the most effective opponents of the present regime out of the way and to terrorize the rest into silence... »259. Ainsi, attaquant la place de « l’épuration nationale » dans son programme, il présente un portrait très négatif du gouvernement de Gaulle. Moins critique, dans un éditorial, son homologue soutient tout de même que, si les tribunaux FFI sont de plus en plus sous supervision gouvernementale et que le nombre d’exécutions sommaires diminue de semaine en semaine, la situation à Marseille montre que ce contrôle reste encore très théorique : « If there is no open revolts against the decree to disarm the patriots, it is largely because it has not been carried out. »260. Or, tel que l’illustre Judt, encore aujourd’hui, les purges restent controversées autant en France que dans le reste de l’Europe261. Malgré ces critiques, la couverture réalisée par les quotidiens étudiés montre que les procès et les condamnations de collaborateurs se poursuivent au cours du mois de janvier 1945; le procès du royaliste notoire Charles Maurras étant au centre de l’actualité.

256 G. H. Archambault, « Purge in France Cuts Coal Output », New York Times, 29 octobre 1944, p. 9. 257 Robert Sage, « French Execute 2 Young Assassins of Former Official », Chicago Tribune, 29 novembre 1944, p. 8. 258 G. H. Archambault, « Opinion on Purge Varied in France », New York Times, 1er novembre 1944, p. 13. 259 « The Crime of National Unworthiness », Chicago Tribune, 29 décembre 1944, p. 10. 260 Anne O’Hare McCormick, « Violence Still Simmers in South of France », New York Times, 9 décembre 1944, p. 14. 261 Judt, op. cit., p. 300-301.

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De surcroît, notre analyse de la couverture réalisée par le Chicago Tribune et le New York Times lors de cette période permet de comparer leurs positions au sujet de la question controversée des négociations entre le gouvernement de Gaulle et les Alliés. En effet, surtout en octobre 1944, ces quotidiens, particulièrement le New York Times (13 articles relevés, dont 3 éditoriaux), s’intéressent aux efforts du général de Gaulle afin de faire reconnaître le Gouvernement provisoire par les Alliés et d’obtenir un siège à la table des négociations d’après-guerre. Le quotidien new-yorkais écarte les protestations de la presse française selon lesquelles les Alliés tardent trop à reconnaître le Gouvernement provisoire; celui-ci allant obtenir un siège sur le conseil de la nouvelle ligue internationale262. De plus, il apparaît que, même au sujet de la question de comment subvenir aux besoins des 500 000 travailleurs français revenus d’Allemagne, le Gouvernement provisoire, guidé par son désir d’indépendance, est récalcitrant à accepter l’aide des Alliés. Dans ce contexte, l’auteur semble critiquer quelque peu « the pride of the resistance elements » et « Gen. Charles de Gaulle sensitiveness »263. Plus encore, un autre article critique l’attitude de ce dernier envers les Alliés; affirmant que « …he made it perfectly clear that he regarded recognition as something long overdue, something to be taken as a matter of course;… »264. L’article conclut que « Above all, he is a French patriot exceedingly - some would say excessively- an jealous of what he considers France’s rights in the world and is unwilling to trust any other powers, however friendly they might be, to safeguard those rights. »; une attitude quelque peu problématique car la France a besoin de l’aide des Alliés afin de résoudre ses problèmes socioéconomiques. Or, un éditorial publié par ce quotidien se fait un peu plus conciliant; expliquant que la certaine ingratitude de la France envers les Alliés résulte de ses craintes de perdre sa place parmi les grandes puissances265. Sans surprise, dans un autre éditorial, le New York Times identifie la reconnaissance simultanée du Gouvernement provisoire par les États- Unis et la Grande-Bretagne comme un succès personnel significatif pour de Gaulle266. Fait intéressant, il apparaît que ces négociations s’invitent dans la campagne électorale américaine; le Chicago Tribune rapportant que Dewey s’est prononcé en faveur de la reconnaissance du gouvernement de Gaulle et de la présence de la France à la table des

262 Lansing Warren, « French Dejection Held Unjustified », New York Times, 1er octobre 1944, p. 4. 263 John MacCormack, « Aid for Displaced Held Up in France », New York Times, 13 octobre 1944, p. 7. 264 Harold Callender, « More than Recognition Demanded by de Gaulle », New York Times, 29 octobre 1944, p. 96. 265 Anne O’Hare McCormick, « French Fashions the Curious Mirror of Opinion », New York Times, 21 octobre 1944, p. 16. 266 Anne O’Hare McCormick, « Drama Attends Recognition of de Gaulle Regime », New York Times, 25 octobre 1944, p. 20.

91 négociations d’après-guerre267. À l’opposé, son homologue soutient que la population française, même les gaullistes convaincus, souhaite la réélection de Roosevelt; celui-ci étant admiré malgré ses conflits passés avec de Gaulle268.

Dans une moindre mesure, en novembre 1944, les quotidiens étudiés affirment que Churchill s’est engagé à restaurer la puissance militaire française et qu’une entente interalliée a établi que l’Allemagne serait divisée en quatre zones d’occupation, dont une supervisée par la France. À travers un éditorial, le New York Times insiste sur l’importance du support de la Grande-Bretagne pour les ambitions françaises : « …does far more than recognition of the Government to make the French feel that they are again a great nation... »269. Selon l’éditorialiste Anne O’Hare McCormick, la Grande-Bretagne est désormais plus favorable aux demandes françaises car elle a besoin de son alliance afin de faire contrepoids à l’Union soviétique en Europe. Cet argument semble particulièrement pertinent dans le contexte de la visite du général de Gaulle à Moscou afin d’établir un pacte d’assistance mutuelle avec les Soviétiques. Or, en décembre, le quotidien new-yorkais illustre bien le fait que, malgré son rapprochement avec l’Union soviétique, la France ne souhaite pas s’éloigner de la Grande- Bretagne et des États-Unis; celle-ci nécessitant leur aide afin de réaliser ses ambitions, notamment l’expansion de l’armée. Dans ce contexte, il présente un article détaillé affirmant que la décision du général de Gaulle de se rapprocher des Soviétiques s’explique, en partie, par sa frustration devant l’implication limitée de son pays dans une guerre qui se déroule à l’intérieur de ses frontières et par le fait que « French pride was injured by the western Allies’ delay in recognizing General de Gaulle’s regime and by the absence of western aid for a large French army. French pride was touched by Premier Stalin’s offer of an alliance as if France was already a great power with a mighty army. »270. Au final, le quotidien new-yorkais présente la signature de ce pacte d’assistance mutuelle comme un grand succès pour de Gaulle; l’Union soviétique s’étant déclarée en faveur d’un rôle prépondérant pour la France dans l’Europe d’après-guerre.

267 David Darrah, « Dewey’s Stand on France Wins Paris Approval », Chicago Tribune, 21 octobre 1944, p. 5. 268 Harold Callender, « U.S. Election Race Interests French », New York Times, 9 octobre 1944, p. 6. Et Harold Callender, « France Rejoices at Election News », New York Times, 9 novembre 1944, p. 14. 269 Anne O’Hare McCormick, « France and Britain Work for Stronger Ties », New York Times, 13 novembre 1944, p. 18. 270 Harold Callender, « German Offensive Absorbs French », New York Times, 21 décembre 1944, p. 4.

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Dans le même ordre d’idées, en janvier 1945, le New York Times (6 articles répertoriés, dont 2 en première page et 1 éditorial) accorde un poids médiatique significatif aux politiques du gouvernement de Gaulle afin de reconstruire l’armée française. Ce quotidien semble favorable à la campagne du général afin d’obtenir l’aide matérielle des Alliés dans le but de réaliser cet objectif; soutenant que son attitude parfois intransigeante s’explique par sa volonté de voir la France s’impliquer plus activement dans le conflit271. Plus encore, un éditorial, affirmant que huit nouvelles divisions françaises ont déjà rejoint le front, soutient que le projet d’armer 1,5 million de soldats français supplémentaires aura aussi des conséquences positives pour les Américains : « It should mean that if the war is prolonged, fewer American and British soldiers will have to be sent to the Continent. »272.

Parallèlement, la période postlibération en France voit les quotidiens étudiés s’intéresser aux relations tendues entre le gouvernement de Gaulle et certains éléments du mouvement de la résistance. Dès octobre 1944, le New York Times atteste du climat révolutionnaire en France; les FFI, à travers le conseil de la résistance, ayant une influence importante sur le gouvernement. Surtout en novembre, les quotidiens étudiés, particulièrement le New York Times (6 articles relevés), accordent un poids médiatique significatif aux efforts du gouvernement de Gaulle afin de ramener l’ordre en désarmant les résistants. En effet, le Chicago Tribune rapporte notamment l’instauration d’un projet de loi voulant restreindre le port d’armes en public à l’armée et à la police; le gouvernement souhaitant contrôler les bandes de partisans campagnardes. Son homologue new-yorkais montre que, si la majorité de la population et des mouvements de résistance sont en accord avec ce décret, il attise les tensions entre de Gaulle et les communistes273. Dans ce contexte de tensions, un article, rapportant le retour d’exil de Thorez, chef des communistes français, présente cette décision du général comme « … perhaps the greatest single gesture that he has as yet made for a rapprochement with the French Communists. »274. En effet, a posteriori, il apparaît que le retour de Thorez a grandement atténué les tensions entre les communistes et le gouvernement275. Or, au-delà de ces tensions, le New York Times positionne le problème du

271 Harold Callender, « French Still Hope for Fighting Role », New York Times, 5 janvier 1945, p. 4. 272 « The New French Army », New York Times, 9 janvier 1945, p. 18. 273 Harold Callender, « Paris Regime Wins in Crisis on Militia », New York Times, 1er novembre 1944, p. 13. 274 Harold Callender, « Thorez in Paris », New York Times, 29 novembre 1944, p. 9. 275 Jackson, op. cit., p. 576.

93 désarmement des milices dans le contexte plus large des difficultés économiques en France libérée. De nombreux jeunes désaffectés se tournent vers la milice et sont dans une situation paradoxale : « …the French are striving with all their power to do just the opposite of what they did before liberation; to repair locomotives, to restore communications, to obtain obedience to authority… »276. Puis, en décembre, la crise du désarmement des résistants semblant résolue, le New York Times (7 articles répertoriés, dont 1 en première page) s’intéresse de façon significative aux efforts des mouvements de résistance de gauche afin de jouer un rôle politique et à leurs relations avec le gouvernement gaulliste.

Également, le poids médiatique important accordé aux politiques du gouvernement français par les quotidiens étudiés lors de cette période permet de comparer leurs perspectives au sujet du général de Gaulle. Citons, entre autres, un éditorial publié en octobre 1944 par le Chicago Tribune à travers lequel ce journal, généralement critique envers le général, condamne sa décision de limiter temporairement la liberté de presse; affirmant que cette censure ne respecte pas les efforts des résistants : « During the years of German occupation the underground press in France, conducted by patriots who took their lives in their hands every time an issue was distributed, represented the best in the land. »277. À l’inverse, la couverture réalisée par le New York Times dresse un portrait plus positif du général de Gaulle; un article soutenant notamment que « …de Gaulle is a legendary figure to most of France and people swarm to see him,… »278. De même, dans un éditorial, ce quotidien compare avantageusement sa jeunesse avec « …the dead of France represented by the wraith of Marshal Pétain… »279. Il apparaît que la nouvelle génération de dirigeants dont il est le leader est guidée par un grand désir d’indépendance et souhaite voir la France reprendre sa place parmi les grandes puissances par elle-même. Toutefois, le quotidien new-yorkais présente cette attitude « indépendante » du général de Gaulle envers le gouvernement américain comme quelque peu ingrate, notamment en ce qui concerne ses plaintes au sujet du manque d’armement des troupes françaises280. Il apparaît donc que, si le New York Times présente un

276 Harold Callender, « Transition for France Is a Painful Process », New York Times, 5 novembre 1944, p. 97. 277 « Is this Liberty? », Chicago Tribune, 5 octobre 1944, p. 12. 278 Anne O’Hare McCormick, « De Gaulle Tours Normandy Towns ». New York Times, 9 octobre 1944, p. 5. 279 Anne O’Hare McCormick, « France Is Rejuvenated by Its Ordeal ». New York Times, 9 octobre 1944, p. 22. 280 Harold Callender, « More Than Recognition Demanded by de Gaulle ». New York Times, 29 octobre 1944, p. 96.

94 portrait généralement positif, voire admiratif, des gaullistes et de leur chef, il déplore tout de même leur ingratitude envers les États-Unis.

En outre, pendant cette période, particulièrement en novembre 1944, en raison de l’attention médiatique significative accordée à la crise opposant le gouvernement Pierlot aux mouvements de résistance à propos de leur désarmement, la résistance belge est un aspect de nos sujets d’étude beaucoup plus traité que lors du reste du conflit. En effet, 35 % des articles au sujet de la résistance belge répertoriés dans le Chicago Tribune et 26 % de ceux dans le New York Times l’ont été entre octobre 1944 et mars 1945.

En novembre, les quotidiens étudiés, particulièrement le New York Times (5 articles relevés, dont 2 en première page et 1 éditorial) illustrent que, à l’image de la France, la Belgique libérée est le théâtre de tensions entre le gouvernement, récemment revenu d’exil, et les mouvements de résistance, particulièrement les communistes. Plus précisément, le Chicago Tribune rapporte que 40 000 résistants communistes manifesteraient contre la décision du gouvernement belge d’ordonner aux résistants de rendre leurs armes ou de rejoindre l’armée régulière tandis que son homologue new-yorkais rapporte qu’ils militent aussi pour que le gouvernement Pierlot adopte certains éléments de leur programme, notamment une purge anticollaborateurs plus sévère281. À la fin du mois, bien que plus de 110 000 résistants ont rejoint l’armée et que 49 000 ont remis leurs armes, le New York Times soutient que le gouvernement est toujours confronté à des manifestations de plusieurs milliers d’individus. En réponse, il a interdit les manifestations et les grèves dans le pays, des mesures décrites comme « quasi-martial law ». Néanmoins, ce quotidien encense les efforts du premier ministre Pierlot afin de résoudre cette crise282. De plus, à travers un éditorial, il félicite le gouvernement belge pour sa décision de rompre avec sa politique de neutralité de l’avant- guerre et de chercher des alliés parmi les grandes puissances et illustre le contraste avec les priorités du gouvernement de Gaulle283. Par ailleurs, le New York Times montre que certains dirigeants alliés craignent que cette situation dégénère en un soulèvement. Or, Mazower soutient que, malgré l’ampleur de la crise du désarmement dans ce pays, à la différence de la

281 « Allies Will Back Belgian Disarming », New York Times, 17 novembre 1944, p. 4. 282 Ibid. 283 Anne O’Hare McCormick, « Belgium Seeks Strong Friends for the Future », New York Times, 1er novembre 1944, p. 22.

95 situation en Grèce, la majorité des résistants belges n’ont jamais eu l’intention de prendre les armes contre le gouvernement284. Néanmoins, à travers un éditorial citant particulièrement l’exemple de la Belgique, le Chicago Tribune condamne Staline; l’accusant de nuire à l’effort de guerre allié en n’appelant pas au calme les communistes à travers l’Europe285. L’auteur compare négativement le laisser-faire de Staline aux Alliés occidentaux qui ont accepté de faire un compromis au sujet de la situation politique en Yougoslavie. Puis, les tensions politiques en Belgique s’étant résorbées, ce pays n’obtient pas beaucoup d’attention médiatique lors des mois de décembre 1944 et de janvier 1945.

Dans un autre ordre d’idées, en raison de l’attention médiatique importante accordée à la participation des résistants polonais à la libération de leur pays et, surtout, au conflit politique opposant les gouvernements polonais de Londres et de Lublin et leurs commanditaires respectifs, la résistance polonaise apparaît comme le 2e aspect de nos sujets d’étude le plus couvert par le Chicago Tribune (13,8 % des articles retenus, 9 articles par mois étudié) et le New York Times (10,7 %, 23,5) entre octobre 1944 et mars 1945. De ce fait, 31 % des articles au sujet de la résistance polonaise répertoriés dans le premier et 26 % de ceux dans le deuxième l’ont été pendant cette période.

Lors du mois d’octobre, si nous avons seulement relevé un article dans le Chicago Tribune s’intéressant à la participation des troupes polonaises rouges à l’offensive soviétique actuelle, un article, rapportant l’ouverture d’une exposition à Chicago au sujet de la résistance polonaise, illustre l’ampleur du rôle joué par celle-ci au cours du conflit286. En effet, ce quotidien soutient, entre autres, que l’armée polonaise en exil est au sixième rang parmi les armées alliées en matière d’effectifs tandis que près de 500 000 résistants seraient actifs en Pologne. De son côté, alors que la révolte des résistants fidèles au gouvernement en exil semble avoir été réprimée, le New York Times accorde une attention médiatique significative à l’offensive de l’Armée rouge et des forces polonaises communistes, particulièrement dans le secteur de Varsovie (4 articles répertoriés, dont 2 en première page). Puis, en janvier 1945, ce quotidien s’intéresse à la libération de cette ville par l’Armée rouge et des troupes

284 Mazower, op. cit., p. 519. 285 « Belgian Unrest », Chicago Tribune, 21 novembre 1944, p. 14. 286 « Poland’s War Role Portrayed by Exhibit Here », Chicago Tribune, 1er octobre 1944, p. 2.

96 polonaises après cinq mois d’attente. Il insiste sur l’importance symbolique de cette victoire pour la résistance polonaise : « …Warsaw had been reduced to rubble by the Nazis’ savage repression of the Polish underground’s uprising last summer on the approach of the Red Army. Now broken and virtually uninhabited, it symbolized both Polish courage and Russian determination. ». Néanmoins, l’auteur, apportant un bémol, rappelle que, pour plusieurs, le long délai avant le déclanchement de l’offensive de l’Armée rouge sur la capitale s’explique par le fait que le gouvernement soviétique attendait la signature d’une entente au sujet de l’avenir politique de la Pologne287.

Surtout, lors des mois d’octobre et de novembre 1944, le Chicago Tribune (9 articles répertoriés, dont 1 en première page et 1 éditorial) et le New York Times (11 articles, dont 3 en première page) consacrent un poids médiatique significatif aux tensions politiques, notamment à propos de la question des frontières, opposant les gouvernements polonais de Londres et de Lublin et leurs commanditaires respectifs. Le 21 octobre, ces quotidiens rapportent que, malgré les critiques des gouvernements de Lublin et, surtout, de Londres, Staline et Churchill ont finalement conclu une entente au sujet de la Pologne288. Or, le quotidien new-yorkais affirme que ce compromis au sujet des zones d’influence en Europe de l’Est et dans les Balkans représente le sacrifice de la Pologne afin d’assurer les frontières de l’Empire britannique289. Fait intéressant, à l’approche de l’élection présidentielle, le Chicago Tribune souligne que Dewey lance des critiques voilées au sujet de la gestion de la question polonaise par Roosevelt290. De plus, il soutient que le peuple américain, surtout la communauté polonaise, souhaiterait que les États-Unis assurent la souveraineté de la Pologne et l’intégrité de ses frontières291. En fait, ce quotidien mentionne même que le gouvernement polonais en exil attendrait les résultats de l’élection américaine avant de prendre une décision au sujet de la proposition frontalière soviétique. Plus neutre, le New York Times rapporte tout de même les critiques de Dewey et affirme que le congrès américano-polonais a demandé au président de défendre l’intégrité territoriale polonaise292. Or, après la victoire de Roosevelt,

287 « On Poland’s Plains », New York Times, 21 janvier 1945, p. 63. 288 « Churchill and Stalin Tell of Achievements », Chicago Tribune, 21 octobre 1944, p. 1. 289 John MacCormac, « London Counts Gains of Moscow Agreement », New York Times, 29 octobre 1944, p. 96. 290 Hal Foust, « Dewey Blasts Secrecy over Poland’s Fate », Chicago Tribune, 9 octobre 1944, p. 1. 291 « American Poles Awaiting F.D.R. Idea on Borders », Chicago Tribune, 13 octobre 1944, p. 8. Et « Voters Demand a Free Poland, Rep. Day Avers », Chicago Tribune, 13 octobre 1944, p. 8. 292 « Dewey Demands Light on Poland », New York Times, 9 octobre 1944, p. 1.

97 les quotidiens étudiés rapportent que Mikolajczyk a démissionné car il n’a pas été en mesure de convaincre ses confrères d’accepter les frontières proposées par l’Union soviétique. Notons aussi que le Chicago Tribune tâche de présenter l’attitude de l’Union soviétique envers la Pologne comme quelque peu hypocrite. En effet, un article soutient que, si cette puissance présente la non-interférence dans les affaires internes des autres pays comme un point cardinal de sa politique étrangère, ses actions à propos de la question des frontières polonaises ne suivent pas ce principe293. De même, dans un éditorial, ce quotidien affirme sans équivoque que la Pologne ne peut pas faire confiance à l’Union soviétique294.

Sans surprise, au cours du mois de décembre, les quotidiens étudiés, particulièrement le New York Times (8 articles retenus, dont 1 en première page), s’intéressent aux suites du litige entourant l’avenir politique de la Pologne. À la suite du remaniement du gouvernement de Londres, les quotidiens étudiés, décrivant ce nouveau cabinet polonais comme beaucoup plus intransigeant, avancent que son ascension retardera la conclusion d’une entente avec les Soviétiques295. À l’inverse, le quotidien new-yorkais dresse un portrait très positif de Berut, le « peasant-born president of the Polish National Council », décrit comme un homme cultivé et respecté, tout en insistant sur la réforme agraire à venir296. Même le Chicago Tribune montre que le Comité polonais est en train de consolider son emprise sur le pays. Par ailleurs, revenant sur l’accord anglo-soviétique au sujet des frontières polonaises, les quotidiens étudiés, notamment celui du colonel McCormick, rapportent les protestations de nombreux politiciens américains face à cette apparente trahison du gouvernement polonais en exil par les Britanniques. Le New York Times, bien que moins critique envers cet accord, montre aussi que celui-ci, confirmant la perte du tiers de son territoire, représente un désastre pour le gouvernement polonais297. Surtout, ce quotidien soutient que ce litige frontalier représente un dilemme important pour le gouvernement américain; celui-ci étant confronté à deux mauvais choix : « We could risk an argument with Russia in the midst of the war. On the contrary if we argue with London and Moscow, we will undoubtedly be accused of surrendering in part the principles for which we entered the war. »298.

293 « Russia Says It Won’t Interfere in Other States », Chicago Tribune, 17 novembre 1944, p. 5. 294 « Test Case », Chicago Tribune, 25 novembre 1944, p. 10. 295 Clifton Daniel, « Poles Fill Cabinet Without Peasants », New York Times, 1er décembre 1944, p. 10. 296 « New Polish Regime early in 1945 Seen », New York Times, 13 décembre 1944, p. 9. 297 Herbert L. Matthews, « Balts in Rome See Countries Doomed », New York Times, 17 décembre 1944, p. 5. 298 Edwin L. James, « Polish Problem Gives Roosevelt Tough Issue », New York Times, 17 décembre 1944, p. 70.

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Encore en janvier 1945, les quotidiens étudiés, particulièrement le New York Times (5 articles répertoriés, dont 1 en première page), consacrent un poids médiatique significatif à la lutte politique entre le Comité polonais et le gouvernement en exil de Londres, particulièrement dans le contexte de l’autoproclamation du premier comme gouvernement provisoire. Or, le quotidien new-yorkais illustre bien l’ampleur du litige diplomatique provoqué par cette décision : « The new Government will present a thorny diplomatic problem for the United Nations, all of whom except the Soviet Union recognize the London Government as the legitimate Polish regime. »299. Dans ce contexte, un article note que les États-Unis sont dans une position difficile; la décision du gouvernement américain risquant d’accentuer les tensions entre les Alliés, et, de ce fait, de retarder la conclusion du conflit300. À la fin du mois, le New York Times soutient que la position américaine sur ce sujet reste ambiguë. Si les États- Unis continuent de reconnaître le gouvernement en exil de Londres, ils apportent une aide logistique considérable aux troupes polonaises communistes. D’ailleurs, le Chicago Tribune note les propos du représentant républicain O’Konski, lequel associe cette situation à un détournement du programme de prêt-bail par l’Union soviétique afin de populariser le gouvernement provisoire communiste et accuse Roosevelt d’avoir approuvé celui-ci301.

Parallèlement, pendant cette période, la couverture réalisée par les quotidiens étudiés, accordant une attention médiatique significative aux combats en Hongrie, atteste d’un pays divisé; des troupes hongroises combattant au côté de l’Armée rouge et d’autres continuant d’appuyer les forces d’occupation allemandes. Dans ce contexte, la résistance et, surtout, la collaboration hongroises sont des aspects de nos sujets d’étude très couverts entre octobre 1944 et mars 1945; la collaboration hongroise étant notamment le 5e plus traité par le Chicago Tribune (8,5 %, des articles retenus, 5,5 articles par mois étudié).

Lors du mois d’octobre, les quotidiens étudiés, particulièrement le New York Times (4 articles répertoriés, dont 2 en première page et 1 éditorial), s’intéressent au coup d’État mené par Ferenz Szalasi, décrit comme un fanatique pro-nazi, afin de garder la Hongrie dans la guerre.

299 W. H. Lawrence, « Lublin Polish Group Names Itself Provisional Regime », New York Times, 1er janvier 1945, p. 1. 300 « Washington Sees Lublin Difficulty », New York Times, 1er janvier 1945, p. 10. 301 « Assail Reported Red Use of U.S. Goods in Poland », Chicago Tribune, 5 janvier 1945, p. 5.

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Le quotidien new-yorkais est d’avis que cette action poussera le pays vers une guerre civile et rapporte que, la dissension se manifestant au sein de l’armée hongroise, la propagande soviétique tâche d’encourager les désertions302. Dans un éditorial, s’appuyant, entre autres, sur ces désertions, ce quotidien affirme que « …it seems unlikely that the Hungarian Army will long continue the struggle. Large bodies of troops are already reported to have laid down their arms, and others are reported moving on Budapest to oust the Nazi usurpers. »303. Au cours de ce mois, notons aussi que le Chicago Tribune (4 articles relevés, dont 1 en première page) et le New York Times (3 articles, dont 3 en première page) consacrent un poids médiatique significatif à la participation de troupes roumaines à la campagne de l’Armée rouge en Hongrie, notamment leur avancée vers Budapest. Plus encore que les quotidiens étudiés, Mazower illustre l’ampleur de la contribution des troupes roumaines à l’effort de guerre allié lors de cette période : « By the autumn of 1944, Romania had more troops fighting the Germans than the French did. »304.

Puis, lors des mois de novembre 1944, de décembre 1944 et de janvier 1945, les combats en Hongrie sont au centre de la couverture médiatique de la résistance et de la collaboration sur le front de l’Est réalisée par le Chicago Tribune (9 articles relevés, dont 2 en première page) et, surtout, le New York Times (22 articles répertoriés, dont 9 en première page et 1 éditorial). Les quotidiens étudiés illustrent que des soldats hongrois combattent pour les deux camps et attestent de l’ampleur de ces affrontements. En décembre, la libération de la Hongrie semblant proche, ils témoignent de la formation d’un gouvernement provisoire hongrois dans les territoires libérés par les Soviétiques305. Puis, en janvier, le New York Times rapporte que, si les vestiges de neuf divisions allemandes et hongroises combattent à Budapest, l’Armée rouge tient déjà les deux tiers de la ville et la majorité du pays. Dans ce contexte, le Chicago Tribune témoigne du déclanchement d’un soulèvement afin d’appuyer l’avancée soviétique dans la capitale hongroise. Or, à la fin du mois, si les troupes de l’Axe résistent toujours à Budapest, les quotidiens étudiés témoignent de la signature d’un armistice entre le gouvernement provisoire hongrois et les Alliés.

302 John MacCormac, « Coup Foils Horthy Peace Bid », New York Times, 17 octobre 1944, p. 9. 303 « Hungary Tries to Quit », New York Times, 17 octobre 1944, p. 22. 304 Mazower, op. cit., p. 365. 305 « Russians 9 Miles from Key Junction », New York Times, 9 décembre 1944, p. 9.

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D’autre part, surtout en octobre et en novembre 1944, parallèlement aux combats sur le front de l’Est, les quotidiens étudiés consacrent un poids médiatique important à l’organisation d’un gouvernement de coalition en Yougoslavie et à la campagne menée par les partisans yougoslaves, appuyés par l’Armée rouge, afin de libérer leur pays. Il apparaît que la résistance yougoslave est respectivement le 4e et le 6e aspect de nos sujets d’étude le plus traité par le Chicago Tribune (8,8 % des articles répertoriés, 5,75 par mois étudié) et le quotidien new-yorkais (5,8 %, 12,75). Dans ce contexte, 23 % des articles au sujet de la résistance yougoslave répertoriés dans le premier et 21 % de ceux dans le deuxième l’ont été pendant cette période. En effet, au cours des mois d’octobre et de novembre 1944, le Chicago Tribune (11 articles relevés, dont 1 en première page) et le New York Times (14 articles, dont 8 en première page) accordent une attention médiatique significative aux efforts des partisans, aidés par des troupes soviétiques, afin de libérer Belgrade et d’encercler les Allemands et les troupes collaboratrices encore en Yougoslavie. Lors du mois de novembre, le quotidien du colonel McCormick rapporte, entre autres, que les forces de Tito ont libéré Skopje tandis que son homologue affirme qu’elles se sont emparées du chemin de fer Athènes-Sarajevo. Fait intéressent, le Chicago Tribune mentionne aussi que Mikhailovitch a dû fuir en sous-vêtement afin d’éviter d’être capturé par les partisans; une image tranchant avec le portrait glorieux de celui-ci présenté par les quotidiens étudiés dans les premiers temps de l’occupation de la Yougoslavie306. Toutefois, notons que, lors des mois de décembre 1944 et de janvier 1945, le Chicago Tribune (1 article relevé) et le New York Times (5 articles) n’accordent pas un poids médiatique aussi important aux actions des partisans yougoslaves.

Parallèlement, dès octobre 1944, les quotidiens étudiés rapportent que Staline et Churchill ont convenu que le gouvernement yougoslave en exil et le Comité de la libération nationale formeraient un gouvernement de coalition jusqu’à la fin du conflit et que le peuple yougoslave déterminerait ensuite l’avenir politique du pays. Cependant, le New York Times montre que, malgré les efforts britanniques, l’unité reste à faire entre les exilés de Londres et Tito. Néanmoins, dans le contexte des combats continus entre les partisans et les Chetnik, il soutient que la dénonciation de Mikhailovitch par le roi Pierre représente une étape

306 « Chetnik Leader Flees Tito Men in Underwear », Chicago Tribune, 17 novembre 1944, p. 5.

101 importante dans ce processus de rapprochement307. Contrairement à la Pologne ou à la Grèce, la Yougoslavie semble donc à l’abri d’une guerre civile.

Dans le même ordre d’idées, notons que, si les affrontements en Yougoslavie n’obtiennent pas une attention médiatique significative en décembre et en janvier, les quotidiens étudiés, particulièrement le New York Times, s’intéressent aux efforts de Tito et Subasitch afin d’assurer l’implantation du nouveau gouvernement yougoslave et aux tensions entre le premier et le roi Pierre. Le quotidien new-yorkais note que, bien que la Yougoslavie semble être un terrain peu favorable pour le communisme en raison de son caractère agraire, « Despite undoubted areas of opposition, Marshal Tito enjoys a good deal of popular support… »308. Afin de consolider ce soutien populaire, Tito a mis sur pied un vaste effort de propagande. De son côté, Subasitch tâche de convaincre les dirigeants serbes d’avant-guerre de se rallier au gouvernement provisoire et d’apaiser leurs craintes au sujet de l’intransigeance de ce gouvernement309. Or, la couverture réalisée par le New York Times montre que ces critiques ne sont pas sans fondement; Tito ayant formé une nouvelle police secrète et entamé une chasse aux collaborateurs. Néanmoins, ce quotidien semble prêt à accorder le bénéfice du doute à ce nouveau gouvernement : « There is a strict censorship and criticism of the new regime is not countenanced, but this is not a new phase in the history of the Balkans. »310. Or, à la fin du mois de janvier, alors qu’une entente très fragile a été établie entre Tito et Pierre, à travers un éditorial, le Chicago Tribune se prononce candidement sur cette lutte de pouvoir en expliquant pourquoi le roi refuse d’accepter une régence et tente plutôt de rallier les forces anticommunistes yougoslaves : « Peter wants to keep his job and feels pretty certain that, if Tito is allowed to run the country for the next few months or years, there isn’t going to be any place for Peter in Yugoslavia. »311.

En décembre 1944 et en janvier 1945, la Dekemvriana, nom donné aux nombreux affrontements opposant les résistants communistes aux forces britanniques et aux militants nationalistes, obtient une attention médiatique importante dans les quotidiens étudiés. En fait,

307 « Agreement on the Balkans », New York Times, 29 octobre 1944, p. 94. 308 C. L. Sulzberger. « Tito’s Propaganda Combats his Foes », New York Times, 21 décembre 1944, p. 7. 309 Clifton Daniel. « Accord on Regime Opposed by Serbs », New York Times, 13 décembre 1944, p. 9. 310 C. L. Sulzberger. op. cit., p. 7. 311 « King Peter Holds Out », Chicago Tribune, 13 janvier 1945, p. 10.

102 en raison de l’importance du poids médiatique consacré à l’expulsion des troupes allemandes hors de la Grèce et, surtout, à ce conflit fratricide, la résistance grecque est le 3e aspect de nos sujets d’étude le plus couvert par le Chicago Tribune (9,6 % des articles répertoriés, 6,25 articles retenus par mois) et le New York Times (9,1 %, 20) pendant cette période. L’ampleur de l’attention médiatique consacrée aux activités des résistants grecs au cours de celle-ci contraste grandement avec la situation lors du reste du conflit; 44 % des articles sur cet aspect de nos sujets d’étude répertoriés dans le quotidien du colonel McCormick et 49 % de ceux dans son homologue l’ayant été lors de cette période.

Dès octobre 1944, le Chicago Tribune (3 articles retenus) et, surtout, le New York Times (9 articles, dont 2 en première page) accordent un poids médiatique important à la campagne menée par les troupes britanniques et les mouvements de résistance grecs afin de chasser les Allemands de la Grèce. Le quotidien du colonel McCormick montre que, alors que des renforts britanniques sont débarqués à Athènes, les Allemands retraitent du pays, laissant quelques milliers de troupes collaboratrices combattre les Britanniques et les résistants. De plus, son homologue new-yorkais affirme que la guérilla grecque harcèle constamment les forces allemandes en cours de retraite et argumente que la coopération efficace entre les soldats britanniques et les résistants facilite leur avancée rapide312. Finalement, 38 jours après le débarquement des renforts britanniques, les quotidiens étudiés rapportent que les résistants grecs et les Britanniques ont expulsé les Allemands du pays. Le New York Times insiste sur la rapidité de cette victoire : « It was an almost bloodless victory for Allied arms, for so eager were the Germans to clear out, and so well did the guerillas do their work, that British ground forces were unable to bring the rear guard to battle until they had overhauled the retreating columns in northern Greece. »313.

D’autre part, au cours des mois d’octobre et de novembre, la couverture réalisée par le New York Times montre qu’une guerre civile entre les résistants nationalistes (EDES) et communistes (ELAS) menace d’éclater en Grèce. En effet, malgré l’entente entre les Britanniques et l’ELAS, ce quotidien soutient que le labeur du gouvernement grec en exil et

312 « British in Greece Approach Corinth », New York Times, 9 octobre 1944, p. 9. 313 « Germans Chased from all Greece », New York Times, 5 novembre 1944, p. 1.

103 des Britanniques afin d’éviter le déclanchement d’une guerre civile n’est pas terminé; particulièrement, si la Grande-Bretagne souhaite restaurer la monarchie314. Dans ce contexte de tensions, il apparaît que l’ELAS s’est opposée à la politique gouvernementale de désarmer les résistants et continue d’opérer de façon indépendante. Fait intéressant, le New York Times présente un portrait plutôt ambigu des résistants communistes grecs. En effet, s’il semble que les officiers britanniques perçoivent les partisans comme des brigands, un article soutient que « It is most important to get on the record, however, that the Elas-Eam membership includes the finest type of young patriots. »315. Néanmoins, un autre article condamne les actions des combattants de l’ELAS : « The ELAS is the EAM’s fighting organization which, however, has fought the EDES far more than it fought the Germans, considering Greeks who are not connected with the EAM as no. 1 enemies. »316.

Surtout, à partir du mois de décembre 1944, la crise politique en Grèce, marquée par de nombreux affrontements, particulièrement à Athènes, entre les résistants communistes et les royalistes, appuyés par l’armée britannique, est au centre de la couverture médiatique réalisée par le Chicago Tribune (7 articles relevés, dont 2 en première page) et le New York Times (10 articles, dont 6 en première page). Les quotidiens étudiés montrent que les affrontements, qualifiés de guerre civile par le Chicago Tribune, ont débuté à la suite du refus des résistants communistes de se désarmer317. Le quotidien new-yorkais affirme que les communistes protestent aussi contre la monarchie et la présence britannique en Grèce. Or, la couverture réalisée par les quotidiens étudiés illustre l’ampleur de ces combats. Le Chicago Tribune atteste notamment d’importants affrontements à Athènes et d’une victoire majeure de l’ELAS à Preveza, consacrée par la désertions de 10 000 royalistes. Surtout, son homologue new-yorkais montre que, à la veille de Noël, l’ELAS est dans une position de force : « The Elas organization now emerges as the only major armed Greek forces of the mainland outside of the Athens and Piraeus areas. The hands of Elas leader have been strengthened in the long drawn-out negotiation with British General Scobie. »318. À l’inverse, les résistants nationalistes de l’EDES semblent avoir été éliminés en tant que force militaire.

314 « Agreement on the Balkans », New York Times, 29 octobre 1944, p. 94. 315 Milton Bracker, « British Restrain Greek Civil Strife », New York Times, 9 octobre 1944, p. 9. 316 « Papandreou Forms New Greek Cabinet », New York Times, 25 octobre 1944, p. 11. 317 « Greek Leftists Attack British Naval Offices », Chicago Tribune, 5 décembre 1944, p. 3. 318 A. C. Sedgwick, « Elas Troops Break Edes Rivals’ Might », New York Times, 25 décembre 1944, p. 5.

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Puis, au cours du mois de janvier 1945, le Chicago Tribune (4 articles relevés) et, surtout, le New York Times (11 articles, dont 3 en première page et 1 éditorial) accordent une attention médiatique significative aux négociations afin de mettre un terme aux affrontements opposant l’ELAS à l’armée britannique. Au début du mois, il apparaît que, dans le but de ramener la paix, le gouvernement Papandreou démissionne et que l’archevêque Damaskinos est assermenté comme régent. Le New York Times dresse un portrait très élogieux de ce dernier, insistant sur sa popularité générale et notant que, lors de l’occupation, il a sauvé des otages en s’offrant à leur place319. Or, les quotidiens étudiés montrent que les combats se poursuivent lors des négociations; les troupes britanniques étant notamment en train de reprendre le contrôle de la capitale. De même, le New York Times soutient que, malgré l’influence des communistes, les Britanniques séduisent progressivement la Grèce rurale en distribuant de la nourriture320. Finalement, le 13 janvier, les quotidiens étudiés attestent de la conclusion d’une trêve entre l’ELAS et l’armée britannique. À travers un éditorial, le quotidien new-yorkais présente sa vision de la crise grecque alors qu’elle tire à sa fin; celle- ci étant surtout décrite comme une tragédie. Il la qualifie de « one of the saddest episodes of the war », d’autant plus qu’elle déchire « … a people which had fought one of the most heroic wars in all history… », et soutient que l’avenir politique de la Grèce est secondaire; la priorité étant d’apporter de l’aide humanitaire à une population affligée par la guerre321. Néanmoins, ce quotidien qualifie souvent les combattants de l’ELAS de rebelles. Ainsi, il présente le gouvernement pro-britannique comme la source d’autorité légitime. Citons notamment un article présentant les résistants de gauche comme quelque peu antipatriotiques, lequel semble approuver l’anticommunisme du régent : « Leaders are to be found in the Eam and Elas ranks who would readily give away Greek Macedonia and would countenance, if not favor, the inclusion of that predominantly Greek area within the Yugoslav federation…»322.

De surcroît, lors des mois de décembre 1944 et de janvier 1945, les quotidiens étudiés s’intéressent aux impacts politiques de la crise grecque en Grande-Bretagne et aux États-

319 Pertinax, « New Greek Regent Noted for Courage », New York Times, 5 janvier 1945, p. 5. 320 A. C. Sedgwick, « British Overcome Greeks’ Antipathy », New York Times, 25 janvier 1945, p. 5. 321 « A Truce for Greece », New York Times, 13 janvier 1945, p. 10. 322 Pertinax,.op. cit., p. 5.

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Unis. En effet, en décembre, le Chicago Tribune rapporte que Churchill a obtenu le soutien du Parlement pour sa politique grecque et qu’il a conseillé au roi George d’accepter la régence d’un parti neutre afin de mettre fin à la guerre civile. Plus encore, le New York Times développe sur les efforts de Churchill afin de défendre sa politique grecque au cours de ce mois (5 articles relevés, dont 3 en première page et 1 éditorial). Fait intéressant, il note que, si les travaillistes déplorent la situation en Grèce, ils ne peuvent pas critiquer ouvertement la politique de Churchill car ils ne souhaitent pas fracturer la coalition de guerre323. Finalement, le 29 décembre, le New York Times argumente que, malgré son échec, le roi hésitant encore à accepter une régence, la visite de Churchill en Grèce a apporté une certaine légitimité à l’intervention britannique324. De même, dans un éditorial, ce quotidien félicite Churchill pour ses efforts diplomatiques : « Time alone will show whether its acceptance can provide a basis for establishing enough peace in Greece to make possible a free and fair election. But at least the record shows that Mr. Churchill has made a good try at solving this problem,… »325. Plus encore, l’auteur, réfutant les accusations voulant que la Grande-Bretagne cherche à imposer sa domination à la Grèce, affirme qu’elle souhaite seulement maintenir la stabilité dans sa sphère d’influence en Méditerranée, comparant ses actions à celles des Américains en Amérique centrale. De même, au début du mois de janvier, l’éditorialiste Anne O’Hare McCormick félicite Churchill pour sa visite diplomatique en Grèce, affirmant que « It took political as well as physical courage for Mr. Churchill to go to Athens. »; celui-ci étant intervenu afin de sauver son gouvernement qui aurait pu être renversé sur la question grecque326.

En revanche, en raison de l’ampleur de l’attention médiatique consacrée par les quotidiens étudiés aux affrontements à l’ouest, à l’est et dans les Balkans ainsi qu’aux crises opposant les résistants aux gouvernements revenus d’exil, les actions des résistants et des collaborateurs italiens ne bénéficient pas d’un poids médiatique important entre octobre 1944 et mars 1945. Néanmoins, en octobre, les quotidiens étudiés montrent que l’Italie du Nord serait le théâtre d’une vague de révolte importante; 200 000 patriotes italiens combattant huit

323 Clifton Daniel, « Laborite Leaders Hedge on Greece », New York Times, 13 décembre 1944, p. 10. 324 Raymond Daniell, « Churchill to Urge Regency in Greece », New York Times, 29 décembre 1944, p. 5. 325 « Britain and Greece », New York Times, 29 décembre 1944, p. 14. 326 Anne O’Hare McCormick, « Liberated Countries Posing Serious Problem », New York Times, 1er janvier 1945, p. 18.

106 divisions allemandes et la milice fasciste. Puis, en novembre et en décembre, le New York Times rapporte, entre autres, que de nombreux éléments fascistes se sont retranchés à Bologne et « … thus are terrorizing what is left of the population with arrests, tortures and killings such as Rome saw during the German occupation,… »327. Or, il soutient que ces soldats italiens sont peu motivés et prompts à la désertion328. Surtout, en janvier 1945, le quotidien new-yorkais publie un article détaillé affirmant que les partisans italiens ont développé un certain ressentiment pour les Alliés en raison du peu d’aide reçu et de l’incompréhension du haut commandement pour leur situation précaire329. Il semble que cet article avait présenté une bonne analyse de la situation; Mazower illustrant que, au cours de l’hiver 1945, les efforts des Allemands et des collaborateurs afin de combattre les résistants, le froid et, surtout, les erreurs des Alliés dans leurs relations avec les partisans voient ceux- ci décliner et seulement redevenir une force importante lors du dernier mois de l’occupation330. Aussi, à l’image de la période précédente, notons que malgré l’attention médiatique moindre accordée à la campagne italienne entre octobre 1944 et janvier 1945, les quotidiens étudiés publient tout de même quelques articles au sujet de la participation de troupes en exil, particulièrement polonaises, à cette campagne.

Dans le même ordre d’idées, au cours de cette période, les quotidiens étudiés, particulièrement le New York Times, consacrent aussi une certaine attention médiatique aux politiques du gouvernement italien. En novembre, dans le contexte de purges antifascistes à travers l’Europe libérée, le quotidien new-yorkais rapporte l’arrestation du général Roatta, un proche de Badoglio associé à la « ruthless repression of the activities of Yugoslav patriots »331. L’auteur soutient que « …this is the first time the Government has dared to go close to Premier Badoglio, who has been protected by an insurmountable Allied wall. ». Fait intéressant, le New York Times, toujours prompt à affirmer son appui pour le président, ne manque pas de mentionner que la presse italienne a célébré la réélection de Roosevelt, perçu comme un allié important pour la reconstruction du pays332. Surtout, en décembre 1944, ce quotidien accorde un poids médiatique significatif à la crise politique en Italie opposant les

327 « Terror Grips », New York Times, 17 novembre 1944, p. 3. 328 « Americans Smash Counter-Attack in Italy as Germans Retain Initiative near Bologna », New York Times, 5 décembre 1944, p. 11. 329 Milton Bracker, « Handling of Partisans Attacked », New York Times, 9 janvier 1945, p. 8. 330 Mazower, op. cit., p. 502. 331 « Former Aide of Badoglio Seized by Italian Police », New York Times, 17 novembre 1944, p. 4. 332 Herbert L. Matthews, « Italy Impressed by U.S. Example », New York Times, 9 novembre 1944, p. 14.

107 conservateurs de Bonomi et les socialistes de Ruini (5 articles répertoriés, dont 1 éditorial). À la suite de l’assermentation de Bonomi, un article argumente qu’elle a renforcé la monarchie au dépend du conseil de la résistance et des communistes333. Or, le New York Times est d’avis que cette crise est annonciatrice de conflits futurs entre le gouvernement et les mouvements de résistance à l’image de la situation dans les autres pays libérés 334. Dans le contexte de cette crise, il contraste la volonté d’ingérence britannique avec la position de laisser-faire adoptée par le gouvernement américain. Puis, lors du mois de janvier, ce quotidien (4 articles relevés) continue de s’intéresser aux politiques du gouvernement italien, particulièrement à ses efforts afin que l’armée italienne obtienne un plus grand rôle sur le front. Il apparaît que, malgré les craintes du gouvernement et la frustration populaire envers le traitement de l’Italie par les Alliés, la mobilisation s’est déroulée sans incident : « …no one can doubt the genuine desire of patriotic and politically conscious Italians to reconstitute their army and to fight the Germans. »335.

Au terme de cette analyse de la couverture de la résistance et de la collaboration italiennes réalisée par les quotidiens étudiés pendant cette période, il apparaît que le New York Times a accordé une attention médiatique beaucoup plus importante que le Chicago Tribune à ces aspects de nos sujets d’étude; la résistance italienne ayant même été le 4e aspect le plus traité par le quotidien new-yorkais (7,7 % des articles relevés, 17 articles par mois étudié). Ainsi, en raison de l’ampleur du poids médiatique consacré par le New York Times aux actions des combattants italiens et, surtout, aux politiques du gouvernement Bonomi, 32 % des articles au sujet de la résistance italienne répertoriés dans ce quotidien et 30 % de ceux traitant de la collaboration l’ont été entre octobre 1944 et mars 1945. À l’inverse, seulement 10 % des articles au sujet de la résistance en Italie retenus dans le Chicago Tribune et 16 % de ceux au sujet de la collaboration l’ont été au cours de cette même période.

Ultimement, entre octobre 1944 et mars 1945, la couverture des activités des résistants et des collaborateurs réalisée par le Chicago Tribune et le New York Times est dominée par les suites des offensives alliées de l’été 1944 et les crises dans certains pays récemment libérés,

333 Herbert L. Matthews, « Monarchists Gain in Italian Changes », New York Times, 9 décembre 1944, p. 6. 334 Herbert L. Matthews, « Bonomi Sworn In as Premier Again », New York Times, 13 décembre 1944, p. 8. 335 Herbert L. Matthews, « Italian Army Call Opens Peacefully », New York Times, 21 janvier 1945, p. 10.

108 particulièrement la France, la Belgique et la Grèce, opposant les résistants locaux aux gouvernements revenus d’exil. Dans ce contexte, ces quotidiens, particulièrement le New York Times, illustrent les liens entre ces différentes crises politiques. Le quotidien new- yorkais soutient, entre autres, que les crises politiques et les soulèvements dans les pays libérés s’expliquent par l’incapacité logistique des Alliés à répondre aux besoins de ces populations confrontées à la misère en raison de l’occupation : « Finding their lands ruined by their liberators, these empty-handed of food, fuel and kindred articles of relief, the resistance forces in these areas have reacted violently and naturally. »336. Ainsi, citant l’exemple de la Grèce et de la Belgique, ce quotidien montre que la distribution de nourriture représente un outil politique majeur pour les Alliés afin de prévenir des guerres civiles dans les pays libérés; cet argument assurant notamment la survie du gouvernement Pierlot et étant utilisé par les Britanniques afin de faire pression sur l’ELAS337.

Surtout, en janvier 1945, un éditorial rédigé par Anne O’Hare McCormick montre que la crise en Grèce est seulement l’exemple le plus marquant du problème créé par la présence de groupes armés souvent en désaccord avec les autorités alliées et les gouvernements revenus d’exil dans les pays libérés : « In every country young people have been urged to fight…With liberation comes the command to disband, disarm, obey the law and accept the Government established for them – usually by returning exiles who have not shared the experience of occupation. »338. Elle note que, même en France et en Belgique, la relation entre le gouvernement et les mouvements de résistance reste potentiellement explosive : « In France government is based on the resistance forces, so the patriots do not rebel; but the decree ordering them to give up their arms has not been put into effect…» et « In Belgium they are not a part of the Government, orders to disarm have been only partly carried out, and violent reaction is held in a dangerous suspense only by the presence of an Allied force… »339. Plus encore, l’Italie est présentée comme un pays où la situation risque de dégénérer une fois la libération achevée340. À travers cet éditorial, plutôt que de condamner les actions de ces anciens résistants comme un complot communiste, McCormick présente cette situation

336 Arthur Krock, « Need for Allied Unity Is Stressed by Events », New York Times, 17 décembre 1944, p. 70. 337 John MacCormac, « Relief a Political Factor », New York Times, 13 décembre 1944, p. 10. 338 Anne O’Hare McCormick, « Liberated Countries Posing Serious Problem », New York Times, 1er janvier 1945, p. 18. 339 Ibid. 340 Ibid.

109 comme une crise sociale. De ce fait, elle conclut que « Most of them are only nominal Communists, but unless they are fed, clothed, given work to do…they will certainly become militant …In dealing with them the Allies power are dealing with the future so far with singular lack of understanding, vision or political sense. »341.

Lors de cette période marquée par l’élection présidentielle de novembre 1944 et voyant le conflit approcher de son terme, les quotidiens étudiés mettent particulièrement de l’avant leurs visions différentes du rôle des États-Unis dans le monde. Dans un éditorial, notons que le New York Times, endossant, sans surprise, le parti démocrate pour l’élection de 1944, accuse, entre autres, Dewey d’avoir apporté un élément divisible en critiquant les politiques italienne et polonaise de Roosevelt342. De son côté, tel qu’illustré précédemment, le Chicago Tribune appuie sans équivoque les républicains et critique constamment la « faiblesse » de Roosevelt lors des négociations au sujet de la Pologne. Alors que la victoire des Alliés semble approcher, les quotidiens étudiés s’intéressent à la question de l’implication des États-Unis dans le futur de l’Europe et participent au débat au sujet de la Charte de l’Atlantique; celui- ci étant remis de l’avant par les crises de l’automne 1944. Le New York Times, fidèle à sa vision internationaliste, affirme que les États-Unis doivent s’investir dans la politique européenne afin que leur participation à la guerre ne soit pas vaine, contrairement à la Première Guerre mondiale343. À l’inverse, le Chicago Tribune souhaite que les États-Unis se retirent de l’Europe à la suite de la défaite allemande344. Surtout, à travers un éditorial publié en janvier 1945, il instrumentalise le laisser-faire de Roosevelt face au non-respect des principes de la Charte de l’Atlantique par Churchill et Staline, « Since his allies, Churchill and Stalin, began to make practical hash of the principles of the Atlantic Charter on the Baltic, in Poland, and in Greece, Mr. Roosevelt has been trying belatedly to convince the people of the United States that they should not take that celebrated document too seriously. », afin de rappeler son désaveu de ce document; le présentant comme un prétexte utilisé par Roosevelt afin de justifier l’entrée en guerre des États-Unis345. À l’inverse, son homologue new-yorkais, s’il reconnaît que les principes de la Charte de l’Atlantique ont été enfreints par la Grande-

341 Anne O’Hare McCormick, « Liberated Countries Posing Serious Problem », New York Times, 1er janvier 1945, p. 18. 342 « Our Enforcement of Peace Devolves Upon the President », New York Times, 5 novembre 1944, p. 99. 343 « America’s Responsibility », New York Times, 17 décembre 1944, p. 75. 344 « No Job for Us », Chicago Tribune, 13 novembre 1944, p. 14. 345 « The Atlantic Charter: an Obituary », Chicago Tribune, 5 janvier 1945, p. 12.

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Bretagne et l’Union soviétique, argumente que, rivalisant de prudence à la suite des expériences des deux dernières guerres, ces pays cherchent à assurer leur sécurité et que les grands principes doivent être écartés temporairement afin de permettre l’indispensable avènement des Nations unies346. De plus, à travers un éditorial publié en janvier 1945, le New York Times rappelle que, malgré les actions discutables de certains Alliés, notamment l’ingérence britannique en Grèce et l’imposition d’une entente unilatérale à la Pologne par l’Union soviétique, le plus important est que les Alliés sont en train de réaliser leurs objectifs principaux : «…let us be done with this talk that we have lost the cause for which we fight. We are winning that cause…with every step that take us closer to Berlin and Tokyo. »347.

Par ailleurs, les quotidiens étudiés présentent des visions très différentes de l’ampleur du rôle joué par les divers protagonistes dans les succès alliés. Si, au cours de cette période, le New York Times critique quelque peu l’ingratitude du gouvernement de Gaulle, il ne limite pas ses éloges envers la contribution des Français à l’effort de guerre allié. À l’inverse, le Chicago Tribune voit les États-Unis comme les grands responsables des victoires alliées et réduit la contribution des autres Alliés et des mouvements de résistance. Un éditorial publié par ce dernier quotidien illustre bien cette position et l’opinion que les autres pays devraient faire preuve d’une plus grande gratitude à l’égard des États-Unis : « In this war America has done ...most of the successful fighting on the western front in Europe, and at the same time has become the chief arsenal for all the allies. »348. Plus encore, à travers un éditorial publié en janvier 1945, le Chicago Tribune, présentant ses explications au sujet de l’incapacité des Alliés à remporter la guerre en 1944, soutient que les ambitions politiques du gouvernement de Gaulle et de l’Union soviétique ont miné l’effort de guerre allié : « The de Gaulle government of France instead of making its exclusive effort a military resurrection against the Nazis devoted itself to getting a political alliance with Russia, keeping an eye on its place in Europe after the war was won. » et « The Russians instead of devastating the sacred soil of Germany brought their fight with the Poles to a crisis and warded off Mr. Churchill’s effort to get a compromise. »349.

346 « The Atlantic Charter », New York Times, 21 décembre 1944, p. 20. 347 « The Cause for Which We Fight », New York Times, 5 janvier 1945, p. 14. 348 « Verbal Gratitude », Chicago Tribune, 25 novembre 1944, p. 10. 349 « The New Year and the Old », Chicago Tribune, 1er janvier 1945, p. 18.

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Chapitre 8 : Invasion de l’Allemagne et fin de la guerre en Europe

Ce dernier chapitre de notre mémoire s’intéresse à la couverture de la résistance et de la collaboration réalisée par les quotidiens étudiés en avril et mai 1945, c’est-à-dire lors des derniers mois du conflit en Europe. En effet, en avril et en mai, alors que les armées alliées ont franchi les frontières allemandes, leurs offensives finales, autant à l’ouest qu’à l’est, particulièrement la bataille de Berlin et le siège de Prague, et la capitulation sans condition de l’Allemagne aux Alliés le 7 mai dominent la couverture médiatique réalisée par les quotidiens étudiés. Dans ce contexte, les actions des résistants continuent de bénéficier d’une attention médiatique très importante; un état de fait reflété par la proportion d’articles consacrés à la résistance et à la collaboration répertoriés dans le Chicago Tribune (74 % contre 26 %) et dans le New York Times (76 % contre 24 %). Surtout, le contexte de la victoire alliée amène ces quotidiens à présenter leurs opinions, souvent opposées, au sujet du rôle que les États-Unis doivent jouer sur la scène internationale; cette longue et sanglante guerre étant désormais terminée.

Premièrement, lors des mois d’avril et de mai 1945, les armées alliées occidentales ayant finalement traversé le Rhin, le Chicago Tribune (9 articles relevés, dont 6 en première page) et le New York Times (20 articles, dont 11 en première page) accordent une attention médiatique importante à la participation de troupes françaises à l’offensive finale des Alliés en Allemagne. Il apparaît que la 1re armée française joue notamment un rôle important dans l’offensive alliée dans le sud de l’Allemagne; s’emparant, entre autres, de la région de Baden. Toutefois, le Chicago Tribune, rapportant que le haut commandement français a retardé l’avancée alliée en raison de son occupation continue de Stuttgart, apporte une nuance350. De plus, les quotidiens étudiés s’intéressent à l’offensive parallèle menée par l’armée françaises afin de libérer les dernières pochettes allemandes en France, notamment Bordeaux et La Rochelle. Notons qu’ils rappellent que les Français combattent avec des armes américaines. En effet, le quotidien new-yorkais illustre l’importance du programme de prêt-bail américain dans le réarmement de l’armée française; affirmant que « More than 225,000 men in the

350 « Allies Charge French Delay 7th Army Push », Chicago Tribune, 29 avril 1945, p. 6.

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French First Army and supporting units, and more than 15,000 in the French Air Corps, are being equipped largely with lend-lease supplies. »351.

Parallèlement, notre analyse de la couverture médiatique de la résistance et de la collaboration française réalisée par le Chicago Tribune et le New York Times permet de comparer leurs perspectives au sujet du gouvernement de Gaulle et du climat politique dans la France libérée. Encore en avril et en mai 1945, notons que les quotidiens étudiés, particulièrement le New York Times (11 articles répertoriés, dont 2 en première page), accordent un poids médiatique significatif à « l’épuration nationale ». Or, après la purge sauvage de la libération, cette période voit plutôt le gouvernement orienter ce mouvement vers quelques cas symboliques; un état de fait reflété par la couverture réalisée par les quotidiens étudiés352. En effet, les procès du général Henri Dentz, ancien commandant des troupes vichystes en Syrie et au Liban, et, surtout, du maréchal Pétain sont au centre de celle- ci. Si Pétain prétend avoir été un prisonnier des Allemands depuis la libération, un article publié par le quotidien du colonel McCormick démentit cette affirmation; notant que des SS l’ont escorté jusqu’à la frontière suisse353. Néanmoins, l’auteur soutient que le procès du maréchal pourrait se révéler problématique pour le gouvernement français; Pétain restant plutôt populaire. De même, le New York Times soutient que, si le procès in absentia planifié pour le 17 mai aurait été un automatisme, le retour de Pétain est « … not a cause for rejoicing in official circles. It was even suggested that the Germans had released him at this moment in order to complicate the political situation in France and to embarrass General de Gaulle. »354. Plus encore, un autre article illustre l’ampleur de ce problème; Pétain conservant un prestige considérable même s’il a été le dirigeant du pays « through four humiliating years of German occupation »355. Il apparaît que ce paradoxe s’explique par « … the dual career of Marshal Pétain. In the popular mind the Marshal was the hero of Verdun,… From the moment he accepted the German armistice terms, however, France began to divide over Pétain… as to whether the Marshal was simply an old man holding to arch-conservative legalistic principles or was indeed a native fascist all too ready to fall in with the Nazis New order for

351 « French Aid in War Put at $2,000,000,000 In Report on Lend-Lease and Reverse Pooling », New York Times, 25 avril 1945, p. 8. 352 Judt, op. cit., p. 302. 353 « Petain Surrenders to Swiss », Chicago Tribune, 25 avril 1945, p. 1. 354 Harold Callender, « Petain Surrenders to Face Paris Trial », New York Times, 25 avril 1945, p. 3. 355 « Petain Returns », New York Times, 29 avril 1945, p. 59.

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Europe. ». Or, affirmant que « Pétain supporters have said he was in reality playing a double game with the enemy; the French press last week cited records and documents which they said proved the idea a myth. », l’auteur identifie sans équivoque Pétain comme un collaborateur356. Puis, en mai, le New York Times note que la capture de plusieurs vichystes influents en Allemagne, dont Fernand de Brinon, donne un nouveau souffle à la purge des hautes sphères du gouvernement vichyste357. Or, ce quotidien atteste du soutien populaire continuel pour « l’épuration nationale », particulièrement dans les villes; les communistes et leur plateforme pro-purge, prônant, entre autres, l’exécution de Pétain, ayant été très populaires en milieu urbain lors des élections. Dans ce contexte, un article affirme que, malgré les espoirs du gouvernement de Gaulle, la purge pourrait encore s’éterniser pendant plusieurs mois358.

Dans une moindre mesure, au cours de cette période, dans le contexte des élections françaises, les quotidiens étudiés, particulièrement le New York Times, s’intéressent aux relations entre le gouvernement et les mouvements de résistance. En effet, en avril 1945, le quotidien new-yorkais se questionne sur le rôle que le mouvement de la résistance jouera dans le nouveau gouvernement. Il prévoit que la résistance perdra des sièges à l’Assemblée en faveur de la droite en raison d’un certain ressentiment populaire, particulièrement en campagne, envers « the excesses and violence of some Resistance elements »359. Ainsi, la tendance semble être à un retour vers les partis traditionnels et à une victoire pour de Gaulle360. Or, en mai, ce quotidien rapporte que, devant les succès inattendus de la gauche et du mouvement de la résistance lors des élections, de Gaulle s’est engagé à mettre de l’avant plusieurs aspects du programme de nationalisation défendu par ces groupes, particulièrement la prise en charge par l’État de la production du charbon et de l’électricité.

Dans le même ordre d’idées, au cours des mois d’avril et de mai 1945, le New York Times (16 articles retenus, dont 2 en première page et 1 éditorial) accorde un poids médiatique important aux politiques du gouvernement de Gaulle, notamment les négociations entre le

356 « Petain Returns », New York Times, 29 avril 1945, p. 59. 357 « De Brinon, Menetrel Placed in Paris Jail », New York Times, 21 mai 1945, p. 4. 358 « Industrialist Purge Launched in France », New York Times, 1er mai 1945, p. 12. 359 Dana Adams Schmidt, « Frenchmen Urge Delay in Election », New York Times, 1er avril 1945, p. 10. 360 Harold Callender, « 23,000,000 to Vote in France Today », New York Times, 29 avril 1945, p. 23.

114 gouvernement français et les puissances alliées. Dans ce contexte, à l’aube de la conférence de San Francisco, le quotidien new-yorkais montre qu’il est pressenti que la France s’alignera avec les trois grands; leur support lui étant essentiel afin de réaliser ses objectifs d’occuper une partie de l’Allemagne et de récupérer l’Indochine. En mai, s’il mentionne que la France a participé à la signature de l’armistice à Reims, ce quotidien montre que le gouvernement français reste sceptique par rapport à la volonté des États-Unis et de la Grande-Bretagne de voir leur pays reprendre son statut de grande puissance. Citons notamment un article affirmant que « These doubts have their roots in the history of the year following World War I when Britain and the United States aided Germany to recover. »361. Dans ce contexte, le New York Times soutient que la France doit être présente à la conférence qui organisera l’occupation de l’Allemagne. Or, de son côté, le Chicago Tribune publie deux éditoriaux critiquant ces politiques du gouvernement de Gaulle très ouvertement. L’un soutient que la France n’est pas reconnaissante pour la politique de prêt-bail américaine362. Plus encore, l’autre critique les objectifs du gouvernement, particulièrement son empressement à reprendre le contrôle de l’Indochine : « The first thought of the liberated government is, apparently, to resume control of a people subjugated by force. » et son attitude ingrate envers les Américains; citant l’exemple de la libération de l’Alsace : « Gen. de Gaulle made a point of ignoring that his divisions had any American assistance in the recovery of Alsace and Strasbourg. »363. Dans ce contexte, l’auteur argumente que la France cherche à profiter des sacrifices américains sur le front du Pacifique afin de réinstaurer son emprise coloniale en Indochine.

Ainsi, à travers l’attention médiatique importante accordée à la participation des troupes françaises et des FFI à l’offensive finale des Alliés et aux politiques du gouvernement de Gaulle, notamment ses efforts afin d’assurer le retour de la France parmi les grandes puissances et « l’épuration nationale », les quotidiens étudiés continuent d’accorder un poids médiatique très important à la résistance française. Néanmoins, si cet aspect de nos sujets d’étude est toujours le plus couvert, il est moins prédominant que lors des périodes

361 Harold Callender, « French Still Wary of Allies in Reich », New York Times, 13 mai 1945, p. 10. 362 « American Arms and European Booty », Chicago Tribune, 25 avril 1945, p. 16. 363 « Let the Owners Take Up Their Claims », Chicago Tribune, 13 avril 1945, p. 12.

115 antérieures (21,1 % des articles répertoriés dans le Chicago Tribune, 13,5 articles par mois étudié et 23,7 % dans le New York Times, 60).

Outre la situation en Europe de l’Ouest, au cours des derniers mois de la guerre, les quotidiens étudiés s’intéressent aussi au rôle des résistants et des collaborateurs lors de l’offensive finale de l’Armée rouge sur le front de l’Est. En avril 1945, le quotidien new-yorkais atteste notamment de la participation de troupes polonaises à cette campagne. Plus encore, lors du mois de mai, la majorité de l’attention médiatique accordée par le Chicago Tribune (3 articles répertoriés, dont 1 en première page) et le New York Times (6 articles, dont 3 en première page) à la participation des résistants à l’offensive finale de l’Armée rouge témoigne des efforts des insurgés et des soldats tchèques afin de libérer Prague et le reste de leur pays364. Si, selon les termes de la capitulation sans condition allemande, les combats sur le front de l’Est devaient cesser le 9 mai, il semble que, particulièrement à Prague, ceux-ci se poursuivent pendant quelques jours bien que des « …Czechoslovak patriots hoisted the flag of the Republic over liberated Prague. »365. Le 21 mai, les quotidiens étudiés publient un article attestant de l’ampleur du soulèvement mené par la résistance à Prague afin d’appuyer l’offensive soviétique : « Prague is recovering rapidly from the five days during which unarmed partisans grabbed guns and even tanks from startled Germans and held strategic parts of the city until the Russians arrived. »366. Alors que Benes fait son entrée dans la ville, il apparaît que 1 900 partisans ont été tués pendant le soulèvement. Au total, en raison de l’attention médiatique significative accordée par le New York Times aux efforts des résistants tchécoslovaques afin d’appuyer l’offensive de l’Armée rouge dans leur pays, 23 % des articles au sujet de la résistance tchécoslovaque répertoriés dans ce quotidien l’ont été pendant cette courte période.

Parallèlement, en avril et en mai 1945, les quotidiens étudiés continuent de consacrer un poids médiatique important aux tensions divisant les Alliés au sujet de la légitimité des gouvernements polonais rivaux. En effet, le New York Times (39 articles répertoriés, dont 9

364 « Russians Win Bratislava », New York Times, 5 avril 1945, p. 1. 365 « Final Soviet Gains End War in Europe », New York Times, 9 mai 1945, p. 2. 366 « Soviet Will Train, Equip Czech Army », New York Times, 21 mai 1945, p. 5. Et « Prague Nazis Still Being Dug Out by Czechs », Chicago Tribune, 21 mai 1945, p. 2.

116 en première page et 5 éditoriaux), particulièrement, s’intéresse beaucoup au débat opposant la Grande-Bretagne et les États-Unis à l’Union soviétique au sujet de sa demande d’inviter les représentants de Lublin comme gouvernement officiel à la conférence de San Francisco. Le quotidien new-yorkais montre que les États-Unis ont rejeté la demande soviétique car le gouvernement de Lublin n’a pas donné suite à l’entente entre les grandes puissances selon laquelle il devait intégrer des éléments démocratiques367. Dans ce contexte, ce journal présente la position soviétique au sujet de la Pologne comme intransigeante. À travers un éditorial encensant la première adresse de Truman au Congrès, le New York Times affirme que, malgré les efforts de celui-ci et de Molotov, après trois ans de négociation, la Pologne sera le seul des 47 membres des Nations unies non représenté à la conférence368. Fait intéressant, dans un éditorial, le Chicago Tribune, critiquant l’exclusion de la Pologne de ce sommet international, propose une rare louange pour la contribution d’un pays allié à l’effort de guerre : « The Poles have fought valiantly on every front. Nevertheless, they are unrepresented. »369. De son côté, son homologue new-yorkais exprime la crainte que l’exclusion de ce pays amène les autres nations à se questionner sur la possibilité de résoudre de tels dilemmes à travers une organisation internationale. Dans ce contexte, si ce quotidien semble en accord avec la position américaine au sujet du litige polonais, à travers un éditorial, l’auteur soutient qu’il est primordial que ce dilemme ne nuise pas au bon déroulement de la conférence; celle-ci devant permettre l’élaboration des mécanismes d’une nouvelle ligue des nations assurant la paix mondiale370. En mai la couverture réalisée par les quotidiens étudiés témoigne surtout de la présence continuelle du litige polonais à la conférence de San Francisco. Or, bien que cette question ait fait dévier les négociations lors de la première semaine de la conférence, le New York Times se déclare optimiste quant à la possibilité qu’elle puisse être résolue en coulisse par les grandes puissances371. De même, à la fin du mois, à travers un éditorial, il soutient que la conférence a été un succès malgré certaines sources de tension, particulièrement la question polonaise372.

367 Bertram D. Hulen, « U.S. and Britain Rebuff Moscow on Lublin Poles », New York Times, 1er avril 1945, p. 24. 368 « The President’s Address », New York Times, 17 avril 1945, p. 22. 369 « The Conference Opens », Chicago Tribune, 25 avril 1945, p. 16. 370 « The Conference », New York Times, 25 avril 1945, p. 22. 371 Anne O’Hare McCormick, « Hope of Polish Settlement Heartens Conference », New York Times, 5 mai 1945, p. 14. 372 « Report From San Fransisco », New York Times, 29 mai 1945, p. 14.

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Ainsi, dans le contexte de la conférence de San Francisco, à travers l’attention médiatique importante apportée au litige divisant les Alliés au sujet de la légitimité des gouvernements polonais de Londres et de Lublin, la résistance polonaise prend une place prépondérante au sein de la couverture des différents aspects de nos sujets d’étude lors des derniers mois du conflit. En effet, celle-ci est le 2e aspect le plus traité par le Chicago Tribune (15,6 % des articles répertoriés, 10 articles par mois étudié) et le New York Times (14,2 %, 36). De plus, 17 % des articles au sujet de la résistance polonaise relevés dans le premier et 20 % de ceux dans le deuxième l’ont été pendant cette courte période.

Plus au sud, dans les Balkans, l’intérêt marqué des quotidiens étudiés, particulièrement du New York Times, pour les actions des partisans en mai 1945, notamment la libération des dernières sections occupées du pays et la crise de Trieste, voit la résistance yougoslave continuer de bénéficier d’un poids médiatique significatif. En effet, cet aspect de nos sujets d’étude est respectivement le 6e et le 5e le plus couvert par le Chicago Tribune (7,6 % des articles relevés, 6 articles par mois étudié) et le quotidien new-yorkais (7,3 %, 18,5). La couverture réalisée par le New York Times notamment (5 articles retenus, dont 2 en première page) montre que la Yougoslavie est l’un des pays où les combats se poursuivent le plus longtemps après la reddition allemande. Finalement, le 17 mai, un article, notant la présence d’Ustashis et de Chetniks combattant au côté de l’armée allemande, affirme que « The last German forces resisting in Yugoslavia – and probably anywhere in Europe – have been forced to capitulate after three days’ heavy fighting… »373. Néanmoins, malgré ce contexte victorieux, le quotidien new-yorkais s’intéresse aussi au sort des Chetniks et montre que le gouvernement de Tito ne fait pas l’unanimité, autant en Yougoslavie qu’aux États-Unis. Alors que « At a press conference which frequently turned into bedlam, Serb followers of Gen. Draja Mikhailovitch offered aggressive challenge today to the Tito forces at the United Nations Conference. », un article rapporte que les membres de la « Serbian National Federation of America » ont affirmé que Mikhailovitch représenterait l’autorité légitime et dénoncé le gouvernement Tito, l’accusant d’avoir massacré 6 000 Serbes depuis janvier374. Plus encore, ce quotidien dresse un portrait tragique du sort de « Some 20,000 men, women

373 « Last Fighting Is Over », New York Times, 17 mai 1945, p. 7. 374 « Serbs Carry Issue of Tito to Parley », New York Times, 1er mai 1945, p. 13.

118 and children from the tattered forces of Gen. Draja Mikhailovitch, a mixture of regular Yugoslav Army soldiers and Chetniks,… » qui ont rejoint les lignes britanniques en Italie « …after a fearful trek that started more than six months ago, when Russian troops entered Serbia. »375.

Surtout, en mai 1945, le Chicago Tribune (9 articles relevés, dont 5 en première page) et le New York Times (8 articles, dont 3 en première page) accordent une attention médiatique importante à la crise politique due à l’occupation du port italien de Trieste par les partisans yougoslaves. Alors que plusieurs centaines d’Italiens manifestent en protestation à cette invasion, les quotidiens étudiés rapportent que les Américains se sont opposés à l’occupation de Trieste par les forces de Tito tandis que Bonomi a appelé les Alliés à occuper la ville jusqu’à l’élaboration d’une entente. Selon le New York Times, les Alliés ont plutôt permis à la Yougoslavie d’occuper la moitié de la ville si elle acceptait que la question de la suzeraineté de Trieste soit tranchée lors des conférences de paix376. Au final, le Chicago Tribune montre que, même à la fin du mois, malgré la pression des Alliés occidentaux, les Yougoslaves refusent toujours d’évacuer la région de Trieste.

Par surcroît, au cours de cette période, les quotidiens étudiés accordent un poids médiatique important aux évènements en Italie, notamment l’offensive menant à la capitulation des forces de l’Axe dans ce pays ainsi que l’exécution de Mussolini par des partisans. En fait, la résistance italienne est respectivement le 3e et le 6e aspect de nos sujets d’étude le plus traité par le Chicago Tribune (12,5 %, 8) et le New York Times (6,5 %, 16,5) lors des derniers mois du conflit. Il apparaît que, après qu’elles aient obtenu une position secondaire dans la couverture de nos sujets d’étude réalisée par le quotidien du colonel McCormick lors de l’été et de l’automne 1944, l’effondrement du régime fantoche italien redonne à la résistance et, dans une moindre mesure, à la collaboration dans ce pays une position prépondérante. À l’inverse, ces aspects ayant bénéficié d’une attention médiatique plus constante dans le New York Times, nous n’observons pas une telle rupture pour celui-ci.

375 « Mikhailovitch Units Enter British Lines », New York Times, 9 mai 1945, p. 9. 376 John MacCormac, « Compromise Seen in Trieste Crisis », New York Times, 17 mai 1945, p. 7.

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Sans surprise, lors des mois d’avril et de mai 1945, la campagne italienne revenant à l’avant- plan de la couverture médiatique réalisée par les quotidiens étudiés, le Chicago Tribune (11 articles répertoriés, dont 3 en première page et 1 éditorial) et le New York Times (21 articles, dont 3 en première page et 1 éditorial) accordent un poids médiatique significatif à la participation de troupes et de résistants italiens à l’offensive finale des Alliés en Italie et à la purge envers les anciens dirigeants fascistes menée par certains résistants à la suite de la victoire. Les quotidiens étudiés rapportent que des combattants italiens ont contribué, entre autres, à la libération de Bologne et de Milan. Le New York Times atteste particulièrement de l’ampleur du mouvement partisan en Italie du Nord, lequel comporte 200 000 hommes bien armés et organisés. Parallèlement, les quotidiens étudiés s’intéressent aussi à la purge antifasciste menée par les partisans; notamment à l’exécution de Mussolini377. Au début mai, le Chicago Tribune montre que, malgré les consignes du gouvernement, les partisans, ayant déjà exécuté le maréchal Grazani et Mussolini, poursuivent leur purge en Italie du Nord. Ce quotidien illustre que « The Partisans apparently feared, if the Duce were delivered to the Anglo-American, that his trial would be delayed and he would take advantage of any procrastination to find loopholes to escape capital punishment. »378. Or, à travers un éditorial, il condamne l’exécution de Mussolini par les résistants comme illégale même s’il reconnaît que ce châtiment était juste compte tenu de ses crimes379. De son côté, le New York Times insiste sur la brutalité de l’exécution du Duce : « The degradation to which the bodies of Mussolini, his mistress, Clara Petacci, and his fascist followers were subjected this morning, did not end in the muddy gutter. …were hanged up by the feet with wire from an exposed steel girder… »380.

Également, la couverture de la résistance et de la collaboration italienne réalisée par les quotidiens étudiés au cours de cette période permet de comparer leurs perspectives au sujet de la politique italienne. Au début du mois d’avril 1945, le New York Times s’intéresse surtout à la purge antifasciste menée par le gouvernement italien, laquelle est généralement décrite comme assez restreinte381. Ce quotidien note aussi les critiques du parti communiste italien

377 « Allies Confirm Graziani Capture », New York Times, 29 avril 1945, p. 13. 378 P. E. Briquet, « Reds Ride to Power in North Italy », Chicago Tribune, 1er mai 1945, p. 1. 379 « The Lyncher Lynched », Chicago Tribune, 1er mai 1945, p. 10. 380 « Graziani Reported Tried, Executed », New York Times, 1er mai 1945, p. 3. 381 « Fascist Trials Loom for », New York Times, 13 avril 1945, p. 13.

120 envers les élites traditionnelles : « …followed more or less familiar lines in his attack on the ruling class by declaring that Italy had not found among that class her de Gaulle and that, if she had her Tito, he had been kept from rising by that entrenched group. »382. Or, en mai, les quotidiens étudiés rapportent que des résistants italiens auraient installé des gouvernements communistes dans les villes libérées d’Italie du Nord. De plus, le New York Times montre que les autorités alliées et le gouvernement italien sont confrontés au problème de contrôler les pulsions vengeresses des partisans. Dans ce contexte, un article rappelle le problème récurrent de la démobilisation des résistants de gauche et de leurs ambitions, pas nécessairement partagées par le gouvernement, de jouer un rôle politique dans l’avenir du pays 383. À la fin du mois, le Chicago Tribune affirme que les partisans communistes refusent toujours de se démobiliser; prétextant poursuivre la défascisation du pays. Ainsi, la couverture réalisée par les quotidiens étudiés illustre bien que, lors des derniers mois du conflit, l’Italie est marquée par une purge d’une grande ampleur : « … most of the twelve to fifteen thousand persons shot for fascist or collaborationist activities at this time were dealt with before or during the weeks of final liberation. »384.

Dans un autre ordre d’idées, au cours de cette période, particulièrement lors du mois de mai, le New York Times (8 articles répertoriés, dont 1 en première page) et, dans une moindre mesure, le Chicago Tribune (3 articles, dont 2 en première page) consacrent un poids médiatique important aux actions des résistants et des collaborateurs lors de la libération de la Norvège, notamment à la purge menée par les patriotes. Ce premier quotidien atteste de célébrations à travers le pays et rapporte que le retour du gouvernement en exil et du roi approche385. Il apparaît que « The home front, which carried an underground battle throughout the occupation, was known to have started a full scale roundup of quislings,…»386. En effet, les quotidiens étudiés rapportent l’arrestation de plusieurs dizaines de collaborateurs, dont Jonas Lie, ministre de la police, et Quisling lui-même. Or, l’arrestation de Quisling est particulièrement médiatisée. Le Chicago Tribune affirme notamment que ce tristement célèbre dirigeant fantoche « …whose name has been added to

382 « Togliatti Accuses Catholic Priests », New York Times, 9 avril 1945, p. 8. 383 Milton Bracker, « Trieste Peaceful Despite Dispute », New York Times, 13 mai 1945, p. 9. 384 Judt, op. cit., p. 301. 385 John MacCormac, « Olaf Back in Oslo », New York Times, 9 mai 1945, p. 13. 386 Ibid.

121 the English language as a synonym for traitor, is in jail awaiting trial… » tandis que le New York Times soutient que « Vidkun Quisling was reported suffering megalomania in his Oslo prison but his mind was not so deranged that he will escape judgement for the crimes against his Norwegian countrymen. »387. Ainsi, les quotidiens étudiés illustrent bien que la purge est désormais à l’avant-plan de l’agenda du gouvernement et des résistants norvégiens.

Somme toute, la couverture des actions des résistants et des collaborateurs réalisée par les quotidiens étudiés lors des derniers mois du conflit en Europe permet de comparer leurs visions différentes du rôle des États-Unis dans le monde. Dans ce contexte de victoire annoncée, minimiser les pertes américaines restant au centre de sa plateforme, le Chicago Tribune publie notamment un éditorial suggérant que, les soldats américains combattant déjà le Japon, les autres Alliés et les résistants devraient se charger d’achever la guerre en Europe : « The French, The British and the Russians should have no difficulty in mopping up Hitler’s desperadoes and should have a keen incentive for it. »388. À l’inverse, tel que l’illustre un éditorial, le New York Times est d’avis que la chute de Berlin ne marquera pas la fin de l’implication militaire américaine en Europe : « That will come only when the last Nazi leaders is dead or captive, when the last German division is destroyed… »389.

Surtout, lors de cette période, à travers des débats comme le litige au sujet de la légitimité des deux gouvernements polonais rivaux, les quotidiens étudiés présentent leurs points de vue opposés de la conférence de San Francisco. Citons notamment un éditorial dans lequel le Chicago Tribune se montre très critique face à ce sommet; affirmant que la nouvelle organisation internationale condamnera les États-Unis à participer à d’autres guerres étrangères : « …the prime purpose of this league is to make certain that whenever the next war comes, wherever it is fought, and for whatever purpose, noble or base, we shall be in it with all our men and all our wealth at stake. »390. À l’inverse, le 21 mai 1945, Anne O’Hare McCormick dénonce le fait que, malgré la continuation de négociations productives à la conférence de San Francisco, la presse et la population s’intéressent plus à des sources de

387 « Doenitz Is Said to Yield Himmler », New York Times, 13 mai 1945, p. 8. Et Hal Foust, « 300,000 Nazis Around, but Oslo Is Happy », Chicago Tribune, 17 mai 1945, p. 1. 388 « Bring Them Home Alive », Chicago Tribune, 29 avril 1945, p. 18. 389 « The Battle for Berlin », New York Times, 21 avril 1945, p. 12. 390 « The Conference Opens », Chicago Tribune, 25 avril 1945, p. 16.

122 tension comme le litige polonais et la question de Trieste. Citant, entre autres, l’exemple de Trieste, elle affirme qu’une entente sur ces questions explosives est essentielle : « If Yugoslavia, Russia, Britain, France, the United States or any other power is permitted to seize liberated territory or dispose of liberated people outside of a general settlement and without the agreement of the war allies, than the hope of collective peace and still more of a collective system to maintain peace goes glimmering. »391.

Par ailleurs, alors que la guerre arrive à son terme, les quotidiens étudiés continuent de présenter des visions très différentes de l’ampleur du rôle joué par les différents protagonistes dans la victoire alliée. En effet, à l’inverse du New York Times, lequel insiste sur l’importance de la coopération entre les Alliés et les mouvements de résistance, le Chicago Tribune soutient que la victoire est majoritairement due aux Américains. En effet, dans un éditorial publié en avril, ce dernier exprime sans équivoque cette position; affirmant que « The world has never seen anything like the American military effort that has brought Nazi Germany to ruin. » et que « In ten and a half months the American army, with, by comparison, minor aid from our allies, seized virtually the whole industrial area that is the heart of Europe. »392. En plus de réduire l’ampleur de la contribution des autres Alliés et des résistants, l’auteur soutient que cette victoire a seulement été possible grâce à l’aide matérielle américaine : « Overlook the facts that the Russian army was made mobile by land-lease, that France’s token army was armed by America, that the British empire contingents depended heavily on the same sources of equipment. »393.

391 Anne O’Hare McCormick, « The Delegates Look Ahead From the Conference », New York Times, 21 mai 1945, p. 18. 392 « American Arms and European Booty », Chicago Tribune, 25 avril 1945, p. 16. 393 Ibid.

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Conclusion

En somme, à la lumière de notre analyse, alors que la Deuxième Guerre mondiale est le théâtre d’une métamorphose profonde du rôle des États-Unis sur la scène internationale, il apparaît que le Chicago Tribune, isolationniste, et le New York Times, internationaliste, conséquents avec leur vision respective de ce rôle, présentent des couvertures médiatiques très différentes de la résistance et de la collaboration en Europe occupée.

En premier lieu, l’emplacement géographique d’un pays n’a pas vraiment d’influence sur l’ampleur de la couverture médiatique que les quotidiens étudiés consacrent à ses résistants et à ses collaborateurs; l’hypothèse d’un clivage entre les pays d’Europe de l’Ouest et d’Europe de l’Est devant être écartée. Notre analyse semble plutôt confirmer la seconde hypothèse, à savoir que l’importance stratégique d’un pays dicte l’ampleur de la couverture médiatique que les quotidiens étudiés lui accordent; un état de fait d’autant plus marqué dans le Chicago Tribune. En effet, ce quotidien, consacre 74 % de sa couverture médiatique de nos sujets d’étude à la France, la Pologne, l’Italie, la Yougoslavie et la Hongrie. Si ces pays sont aussi au centre de la couverture de la résistance et de la collaboration réalisée par le New York Times, cet état de fait est un peu moins prononcé (66 % des articles retenus). Conséquent avec sa vision internationaliste, il présente un portrait plus équilibré entre les pays importants stratégiquement et les petits États occupés comme la Norvège, les Pays-Bas ou la Belgique. De même, tel qu’illustré lors de notre analyse, sa couverture médiatique de la résistance est bien plus importante et, aussi, plus constante à travers les différentes périodes étudiées. Bref, le New York Times ne s’intéresse pas seulement aux résistants d’un pays donné lors des moments où celui-ci représente un théâtre central dans le conflit.

Sans équivoque, la France, une grande puissance avant son occupation, est de loin le pays pour lequel les actions des résistants et des collaborateurs sont les plus traitées par les quotidiens étudiés. Particulièrement jusqu’à l’occupation de la zone libre par l’Allemagne, ils ont consacré un poids médiatique important aux politiques de la France de Vichy; ce pays représentant un allié ou un adversaire potentiel de grande importance. Parallèlement, les politiques du général de Gaulle afin de rallier les patriotes français, la contribution significative des armées françaises libres aux offensives alliées et les efforts essentiels de la

124 résistance intérieure afin de préparer la libération du pays ont obtenu une couverture médiatique prépondérante. De même, après la libération, les politiques du gouvernement français et la participation continue des troupes françaises au conflit dominent toujours la couverture de nos sujets d’étude réalisée par le Chicago Tribune et le New York Times; la France libérée représentant un allié important. L’Italie, un autre pays considéré comme une grande puissance, bien que moindre, à l’aube de la guerre, pointe, à la suite de l’armistice de 1943, au 2e rang dans les quotidiens étudiés; les actions des résistants et des collaborateurs italiens étant même plus couvertes que celles de leur homologue français lors de la période entre l’armistice italien et D-Day, alors que la campagne d’Italie est au centre de l’effort de guerre des Alliés occidentaux. De plus, en Europe de l’Est et dans les Balkans, la Pologne, en raison de la contribution de ses armées en exil, de l’ampleur de ses mouvements de résistance intérieure et, surtout, de son statut d’enjeu politique dans les relations entre les Alliés occidentaux et l’Union soviétique, la Yougoslavie, régulièrement présentée comme un front à part entière en raison de l’ampleur de la guerre de guérilla menée par les Chetniks et les partisans, et la Hongrie, théâtre d’importants affrontements entre pro-alliés et fascistes à compter de mars 1944, obtiennent aussi une position prépondérante dans la couverture médiatique réalisée par le Chicago Tribune et le New York Times.

Dans le même ordre d’idées, certains pays étudiés se démarquent par une couverture médiatique relativement importante mais périodique des actions de leurs résistants et collaborateurs; ce phénomène étant particulièrement apparent dans le Chicago Tribune. En effet, avant l’entrée en guerre des États-Unis, la Norvège bénéficie d’une couverture médiatique significative; un état de fait, entre autres, dû au statut de régime modèle pour les États collaborateurs subséquents associé au gouvernement Quisling. Citons, aussi, l’épisode de l’assassinat d’Heydrich par des commandos tchèques et la campagne de répression subséquente; lesquels amènent la Tchécoslovaquie au centre de la couverture de la résistance réalisée par les quotidiens étudiés en mai et en juin 1942. De même, les suites de la libération dans certains pays, à travers des crises opposant les mouvements de résistance de gauche aux gouvernements revenus d’exil et aux autorités alliées, les voient obtenir une position temporaire à l’avant-scène de la couverture médiatique réalisée par les quotidiens étudiés. Citons, notamment, la crise du désarmement des résistants en Belgique et, surtout, la

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Dekemvriana en Grèce. Or, le poids médiatique très limité consacré aux activités des résistants dans les zones occupées de l’Union soviétique doit aussi être mentionné d’autant plus qu’il apparaît sans équivoque que les mouvements partisans les plus importants et les plus nuisibles à l’effort de guerre allemand étaient sur le front de l’Est394. Sans pouvoir énoncer de réponses définitives à cette question, le fait que la majorité des articles répertoriés sur les actions des résistants soviétiques ont été publiés une fois leur territoire d’activité reconquis par l’Armée rouge suggère que les difficultés de la presse américaine à obtenir des informations sur leurs actions ont restreint cette couverture.

Par ailleurs, rappelons que lorsque l’Allemagne envahit la Pologne en septembre 1939, le Chicago Tribune, fidèle à l’isolationnisme américain traditionnel, est catégoriquement opposé à la participation des États-Unis à un conflit perçu comme une guerre européenne et accorde une attention médiatique minimale aux efforts des Polonais afin de poursuivre la lutte. Même après le choc de la défaite rapide de la France, ce quotidien, promouvant toujours la fin des hostilités, se refuse à condamner unilatéralement l’Allemagne et présente un portrait plutôt positif des régimes collaborateurs, particulièrement de la France de Pétain. En effet, s’il n’hésite pas à illustrer le caractère dictatorial de ce régime, ce quotidien, encensant particulièrement le maréchal, présente un bilan élogieux de sa première année au pouvoir. À l’inverse, du moins initialement, les Français qui souhaitent poursuivre le combat sont présentés comme des marginaux. Pendant la campagne syrienne, le Chicago Tribune exprime son désaccord pour la stratégie gaulliste qui a entraîné des combats fratricides. De fait, avant l’entrée en guerre des États-Unis, ce quotidien présente une vision plutôt ambivalente des activités des mouvements de résistance en Europe de l’Ouest; leurs attaques étant souvent qualifiées de terrorisme tandis que la répression allemande est condamnée. Cette couverture plutôt neutre de la résistance et de la collaboration est conséquente avec le fait que, jusqu’au lendemain de l’attaque sur Pearl Harbor, la participation américaine au conflit est impensable pour le Chicago Tribune.

De son côté, dès le début des hostilités, le New York Times soutient la position de neutralité orientée du président Roosevelt. De ce fait, pendant la période précédant l’entrée des États-

394 Mazower, op. cit., p. 516.

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Unis dans le conflit, il manifeste un bien plus grand intérêt pour les efforts des résistants et est beaucoup plus incisif dans ses critiques envers les collaborateurs. Surtout à la suite du choc de la défaite de la France, l’entrée éventuelle des États-Unis dans le conflit semble inévitable pour ce quotidien; les Américains ne pouvant permettre à l’Allemagne de vaincre la Grande-Bretagne. Logiquement, appuyant les Français souhaitant poursuivre la lutte, particulièrement le général de Gaulle, le New York Times accorde beaucoup plus de poids médiatique que son homologue à leurs actions. Dans ce contexte, il est favorable à des initiatives comme l’attaque britannique contre la flotte vichyste à Mers-el-Kébir et l’invasion de la Syrie vichyste par des troupes françaises libres et britanniques. En effet, ce quotidien rejette la responsabilité de ces combats fratricides sur Vichy en raison de son association de plus en plus étroite avec l’Allemagne. De même, il s’intéresse à l’augmentation constante des activités de la résistance aux Pays-Bas, en Norvège et en Pologne. Or, si le New York Times illustre le caractère dictatorial du gouvernement Pétain et condamne la coopération organisée avec l’Allemagne, il ne le critique pas sans équivoque et se garde de condamner le maréchal. Néanmoins, son bilan de la première année du régime de Vichy est beaucoup plus ambivalent que celui présenté par le Chicago Tribune.

Le mois de décembre 1941 représente un tournant important, particulièrement en ce qui concerne le Chicago Tribune, dans la couverture de la résistance et de la collaboration réalisée par les quotidiens étudiés. En effet, le quotidien du colonel McCormick, par patriotisme, doit se résoudre à appuyer l’intervention militaire américaine dans le conflit. Conséquemment, on constate un certain changement dans sa présentation des mouvements de résistance intérieure; ceux-ci étant de plus en plus souvent qualifiés de patriotes plutôt que de terroristes. De même, ce quotidien admet progressivement que les résistants joueront un rôle important dans la défaite de l’Allemagne. De son côté, le New York Times ne voit pas une telle rupture; celui-ci s’intéressant déjà de façon significative à nos sujets d’étude, approuvant les méthodes des résistants avec moins de réserve et insistant sur leur contribution à l’effort de guerre allié.

Si le Chicago Tribune s’est résigné à appuyer la participation américaine au conflit, il milite pour un retour à l’isolationnisme américain traditionnel une fois la victoire acquise et il est

127 catégoriquement opposé à ce que les États-Unis intègrent une organisation internationale à la suite de la guerre. Dans ce contexte, il semble percevoir, de façon plus ou moins avouée, les mouvements de résistance comme des ressources devant être utilisées afin de réduire la durée du conflit et limiter les pertes de vies américaines. Ainsi, à compter de l’automne 1943, lorsque le mouvement de Tito prend l’ascendant en Yougoslavie, le Chicago Tribune, malgré son anticommunisme notoire, n’hésite pas à militer pour que les Alliés occidentaux lui accordent un support militaire accru et à se distancer des Chetniks, desquels il présentait précédemment un portrait élogieux. En effet, l’avenir politique de l’Europe n’étant pas une priorité pour ce quotidien, il ne voit pas de problème à armer autant des résistants communistes que nationalistes dans les pays occupés malgré les risques de guerres civiles futures. Par conséquent, souhaitant le retrait le plus rapide possible des États-Unis hors de la scène européenne, le Chicago Tribune consacre seulement une attention médiatique importante aux conséquences de la libération si elles affectent directement l’effort de guerre allié comme les crises du désarmement des résistants belges ou français et, surtout, la Dekemvriana. De même, ce quotidien s’intéresse surtout aux collaborateurs lorsque les Alliés peuvent obtenir, en négociant avec certains « Quislings » prêts à rompre avec l’Axe, un avantage stratégique permettant d’accélérer leur victoire. Citons notamment l’exemple de l’affaire Darlan en novembre et décembre 1942. Le Chicago Tribune est grandement en faveur de cet accord, lequel, au-delà des préoccupations morales, a permis de sauver de nombreuses vies américaines.

D’autre part, à la suite de l’entrée en guerre des États-Unis, le New York Times cherche à promouvoir une position internationaliste, analogue à celle de Roosevelt, selon laquelle les Américains devront assumer un rôle important sur la scène internationale au terme du conflit afin d’assurer que leur participation n’ait pas été en vain; notamment, en s’investissant dans une organisation internationale devant assurer le maintien de la paix. De ce fait, ce quotidien accorde un poids médiatique beaucoup plus important et constant aux suites de la libération, particulièrement à travers sa couverture des actions politiques des mouvements de résistance dans les pays libérés, des nombreuses crises entre les gouvernements revenus d’exil et les résistants de gauche ainsi que des purges anticollaborateurs. En effet, le retour de gouvernements démocratiques libéraux et de la stabilité en Europe, particulièrement au sein

128 des sphères d’influence des Alliés occidentaux, est essentiel au projet de créer une grande organisation internationale. Dans ce contexte, lors des crises postlibération en France, en Belgique et en Grèce, ce quotidien, s’il exprime sa sympathie pour certaines des aspirations sociales des résistants ayant vécu l’occupation sur le terrain, affirme sans détour son soutien pour les gouvernements revenus d’exil. Citons notamment l’exemple de son portrait très positif du gouvernement Pierlot. Plus encore, le New York Times, bien qu’il reconnaisse que les principes de la Charte de l’Atlantique ont été enfreints par la Grande-Bretagne en Grèce et l’Union soviétique en Pologne, argumente que ces pays cherchent à assurer leur sécurité et que les grands idéaux doivent être écartés temporairement afin de permettre l’avènement des Nations unies. Ce souci pour l’avenir de l’Europe est aussi conséquent avec le fait que ce quotidien répudie les Chetniks en faveur du mouvement de Tito seulement en décembre 1943, bien après son homologue. En effet, encore à l’automne 1943, s’il reconnaît que les partisans sont désormais le principal mouvement de résistance en Yougoslavie, ce quotidien tâche tout de même de justifier l’inactivité des Chetniks. Or, même dans le contexte victorieux de mai 1945, il s’intéresse à leur sort et montre que le gouvernement de Tito ne fait pas l’unanimité, autant en Yougoslavie qu’aux États-Unis.

Après l’entrée en guerre des États-Unis, les critiques de la conduite de la guerre par le gouvernement américain devant être limitées à des questions qui ne démoraliseront pas la population, le sort à réserver aux collaborateurs ainsi que la relation entre les États-Unis et les mouvements de résistance, particulièrement à la suite de la libération, représentent certaines des questions dont les quotidiens peuvent débattre. Le débat au sujet de l’accord avec Darlan est un exemple notable de critiques du Chicago Tribune envers la politique officielle du gouvernement; ce quotidien condamnant l’indécision de Roosevelt face à cette question. À l’inverse, si le New York Times exprime ses doutes par rapport à cet accord, particulièrement l’absence des Français libres dans le processus de négociation, il réaffirme sa confiance en la politique française du gouvernement américain. Plus encore, au moment de l’armistice italien, ce quotidien louange la politique étrangère du gouvernement américain et condamne ses critiques; les Alliés ayant empêché l’Allemagne de s’emparer de la flotte italienne en camouflant les négociations avec l’Italie. Fait intéressant et quelque peu contradictoire avec leurs positions habituelles, le New York Times, critiquant même

129 l’incertitude des Alliés occidentaux, est plus décisif que le Chicago Tribune dans son appui afin d’accorder à l’Italie le statut de cobelligérant. Cette situation apparaissant comme la seule critique répertoriée émise par le New York Times envers le gouvernement américain, est-il possible que la présence d’une communauté particulièrement importante d’origine italienne à New York amène celui-ci à militer en faveur d’un pardon plus rapide pour l’Italie vaincue?

Par ailleurs, particulièrement en période électorale, les relations des États-Unis avec les résistants et les collaborateurs sont des aspects de la politique internationale de Roosevelt pouvant être attaqués par le Chicago Tribune dans sa croisade afin de miner les chances de réélection du président américain. Rappelons notamment les critiques répétées de ce quotidien, avant l’élection de novembre 1944, devant la position ambivalente de Roosevelt au sujet du litige frontalier polonais. Le Chicago Tribune tâche de présenter Dewey comme un président qui serait beaucoup moins flexible face à l’Union soviétique. À l’inverse, le New York Times, appuyant Roosevelt et sa conduite de la guerre, condamne plutôt le candidat républicain car, en critiquant la gestion du litige polonais par le président, il a apporté un élément de division en temps de guerre. Parallèlement, le quotidien du colonel McCormick instrumentalise aussi le laisser-faire de Roosevelt face au non-respect des principes de la Charte de l’Atlantique par Churchill et Staline dans leurs relations avec leurs adversaires respectifs parmi les résistants grecs et polonais afin de rappeler son désaveu de ce document et critique sévèrement l’exclusion des Polonais de la conférence de San Francisco. De son côté, le New York Times soutient plutôt qu’il est primordial que leur exclusion ne nuise pas au bon déroulement de ce sommet.

Par surcroît, les quotidiens étudiés ont des visions très différentes du rôle joué par les Américains pendant la guerre. Pour le Chicago Tribune, les États-Unis sont les grands responsables de la victoire des Alliés; les rôles des mouvements de résistance et, même, de la Grande-Bretagne et de l’Union soviétique, étant présentés comme secondaires. Si ce quotidien reconnaît la contribution significative des résistants français, yougoslaves et polonais, notamment, dans la libération de leur pays respectif, il affirme clairement que ces succès n’auraient pas été possibles sans l’aide américaine. De ce fait, pour ce quotidien, les

130 résistants sont redevables aux États-Unis. Ainsi, il présente constamment l’attitude revendicatrice et peu reconnaissante du général de Gaulle comme inacceptable. Le Chicago Tribune désapprouve particulièrement des critiques des Français libres à la suite de l’accord avec Darlan. Même à la suite de la libération, il continue de mettre en doute la légitimité du gouvernement de Gaulle; l’accusant d’utiliser la purge afin de consolider son emprise politique et d’avoir retardé la victoire des Alliés en priorisant le retour de la France parmi les grandes puissances au redressement militaire du pays. Or, à l’image de son homologue new- yorkais, il faut noter que, dans le contexte de la purge, le Chicago Tribune ne témoigne plus d’aucune sympathie envers les collaborateurs; Pétain étant, entre autres, condamné unilatéralement. Toutefois, il convient de rappeler une exception notable à la présentation américanocentriste de l’effort de guerre allié réalisée par ce quotidien. Particulièrement à compter de 1944, alors que le litige au sujet de l’avenir politique de la Pologne prend une position centrale dans l’actualité, il apparaît que le Chicago Tribune insiste régulièrement sur la contribution des soldats en exil et des résistants polonais fidèles au gouvernement de Londres. De même, à la différence du New York Times plus nuancé, il condamne sans réserve l’inaction soviétique lors du soulèvement de Varsovie; accusant Staline d’avoir utilisé le soulèvement comme opportunité afin d’éliminer une opposition potentielle. Or, particulièrement en période électorale, au-delà de l’admiration pour les Polonais, on peut déceler l’agenda anti-Roosevelt de ce quotidien derrière ce portrait élogieux; le Chicago Tribune condamnant la position du président comme trop flexible face aux demandes soviétiques mais n’étant certainement pas prêt à envisager une guerre contre l’Union soviétique afin d’assurer l’intégrité territoriale de la Pologne. De plus, la présence d’une importante communauté d’origine polonaise à Chicago a peut-être influencé le quotidien du colonel McCormick à présenter ce portrait très positif des résistants polonais fidèles au gouvernement de Londres.

À l’inverse, le New York Times, s’il ne diminue pas la contribution importante des États-Unis à l’effort de guerre allié, voit celui-ci comme une entreprise collective entre les Américains, les pays alliés et les mouvements de résistance. De ce fait, il consacre un poids médiatique plus important que le Chicago Tribune au rôle important joué par les différentes armées en exil, notamment les armées polonaises et les Forces françaises libres, et les groupes de

131 guérilla, particulièrement en Yougoslavie, en Grèce et en Italie, dans la victoire alliée. De même, si le New York Times note l’importance du programme de prêt-bail américain dans le réarmement de l’armée française, à la différence du Chicago Tribune, il n’instrumentalise pas cet état de fait afin de réduire sa contribution à la victoire alliée. De plus, le quotidien new-yorkais apparaît beaucoup plus solidaire par rapport aux revendications et aux objectifs des mouvements de résistance, notamment des gaullistes. En effet, il est, entre autres, compréhensif face au scepticisme des Français libre à la suite de l’accord avec Darlan et, dressant un portrait beaucoup plus positif du général, exprime régulièrement l’espoir de voir le conflit entre celui-ci et Roosevelt se résoudre. Or, critiquant parfois son insistance sur la reconnaissance officielle de son gouvernement et étant sceptique devant l’ampleur de la purge anticollaborateur en France, le New York Times n’appuie pas les politiques du général de Gaulle inconditionnellement. Néanmoins, ses critiques envers les revendications françaises sont généralement nuancées par un rappel du patriotisme du général et de la contribution des résistants français à l’effort de guerre allié.

Au final, il apparaît que les visions respectives du rôle des États-Unis dans le monde défendues par les quotidiens étudiés ont grandement influé leur couverture de la résistance et de la collaboration pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le Chicago Tribune, isolationnisme, présente un portrait de moindre envergure, dominé par les pays occupés importants stratégiquement et où le poids médiatique consacré aux différents aspects de nos sujets d’étude fluctue périodiquement au gré des évènements majeurs. De même, il présente des opinions très tranchées au sujet de plusieurs litiges relevés et ne manque pas une occasion de critiquer les décisions de Roosevelt au sujet des relations entre les États-Unis et les mouvements de résistance et les collaborateurs. La couverture de nos sujets d’étude réalisée par le New York Times, internationaliste, est plus complète, plus équilibrée entre les différents pays, marquée par une plus grande constante à travers les périodes analysées, plus nuancée dans ses prises de positions face aux divers litiges répertoriés et soutient généralement les politiques du gouvernement démocrate par rapport aux résistants et aux collaborateurs.

132

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Annexes

Tableau 1

Pourcentage des articles retenus répertoriés dans le Chicago Tribune et le New York Times par périodes étudiées

Périodes étudiées Articles retenus répertoriés Articles retenus répertoriés dans le Chicago Tribune dans le Chicago Tribune dans le New York Times (total et par mois étudié) (total et par mois étudié) (total et par mois étudié) L’Europe occupée avant l’entrée en guerre des États-Unis 9,4 % (1,18 %) 10,9 % (1,36 %) Entre l’entrée en guerre des États-Unis et l’opération Torch 11,5 % (2,3 %) 9,4 % (1,9 %) De l'opération Torch à l'armistice italien 14,9 % (3 %) 13,5 % (2,7 %) Entre l’armistice italien et D-Day 15,1 % (3,78 %) 13 % (3,25 %) De D-Day jusqu’à l’invasion de l’Allemagne 16 % (5,35 %) 15,1 % (5,05 %) Les combats aux frontières allemandes 22,1 % (5,52 %) 24,1 % (6,02 %) L’invasion de l’Allemagne allemandes 10,9 % (5,43 %) 13,9 % (6,93 %)

136

Graphique 1

Nombre d’articles retenus par mois étudié pour chaque pays dans le Chicago Tribune et le New York Times

50 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0

Chicago Tribune New York Times

137

Graphique 2

Pourcentage d’articles répertoriés par pays étudié dans le Chicago Tribune

Hongrie Autres Pologne Italie 3 % 7 % 11 % 10 % Tchécoslovaquie 3 % Norvège 4 % Union soviétique 1 % Grèce 5 %

Yougoslavie 9 % Belgique 2 % Pays-Bas France 3 % 42 %

Graphique 3

Pourcentage d’articles répertoriés par pays étudié dans le New York Times

Autres Hongrie Pologne 6 % 2 % 11 % Italie Tchécoslovaquie 9 % 4 % Union soviétique Norvège 1 % 5 % Grèce Danemark 5 % 2 %

Yougoslavie 8 %

Belgique 4 % Pays-Bas 5 % France 38 %

138

Graphique 4

Pourcentage des articles répertoriés dans le Chicago Tribune traitant de la résistance ou de la collaboration

100% 1 % 3 % 11 % 4 % 7 % 90% 23 % 29 % 80% 43 % 37 % 70% 60% 72 % 50% 99 % 97 % 89 % 96 % 93 % 40% 77 % 71 % 30% 57 % 63 % 20% 10% 28 % 0%

Résistance Collaboration

Graphique 5

Pourcentage des articles répertoriés dans le New York Times traitant de la résistance ou de la collaboration

100% 7 % 13 % 7 % 90% 15 % 20 % 22 % 80% 35 % 36 % 32 % 70% 60% 72 % 50% 93 % 87 % 93 % 40% 85 % 80 % 78 % 30% 65 % 64 % 68 % 20% 10% 28 % 0%

Résistance Collaboration

139

Tableau 2

Pourcentage par pays des articles retenus dans le Chicago Tribune et le New York Times traitant de la résistance ou de la collaboration

Pays étudiés Articles retenus Articles retenus Articles retenus Articles retenus Articles retenus dans le dans le dans le dans le dans le Chicago Chicago Tribune New York Times Chicago Tribune New York Times Tribune traitant traitant de la traitant de la traitant de la traitant de la de la résistance résistance résistance collaboration collaboration (nombre d'articles (nombre d'articles (nombre d'articles (nombre d'articles (nombre d'articles répertoriés par mois répertoriés par mois répertoriés par mois répertoriés par mois répertoriés par mois étudié) étudié) étudié) étudié) étudié) Pologne 14 % (3,87) 13,5 % (11,45) 0,3 % (0,03) 2,5 % (0,9) Tchécoslovaquie 4 % (1,13) 5 % (4,13) 0,3 % (0,03) 2 % (0,74) Slovaquie 0,3 % (0,1) 0,6 % (0,55) 1 % (0,1) 2 % (0,74) Autriche 1 % (0,3) 1 % (0,81) 1 % (0,1) 1 % (0,42) Norvège 3,5 % (0,97) 4,5 % (4,07) 7 % (0,76) 6,5 % (2,23) Danemark 1,5 % (0,37) 2,5 % (2,37) 0,6 % (0,07) 2,5 % (0,9) France 35,5 % (10,59) 33,5 % (30,41) 59,5 % (6,34) 48 % (16,93) Pays-Bas 4 % (1,13) 5 % (4,41) 1,5 % (0,14) 3 % (1,10) Belgique 2,5 % (0,79) 4 % (3,83) 2 % (0,24) 3 % (1,10) Yougoslavie 11,5 % (3,96) 9 % (9,68) 1,5 % (0,16) 3,5 % (1,48) Grèce 6,5 % (2,28) 6 % (6,52) 1,5 % (0,16) 1 % (0,52) Croatie 0,3 % (0,12) 0,70 % (1,26) 1,5 % (0,16) 4 % (1,62) Albanie 0,7 % (0,46) 0,5 % (1) 0 % (0) 0,1 % (0,08) Union soviétique 1,5 % (0,52) 2 % (1,88) 0,3 % (0,04) 1,5 % (0,56) Italie 9 % (6) 8 % (16,46) 10,5 % (2,46) 10 % (7,92) Hongrie 1,5 % (1,2) 0,8 % (2,1) 10,5 % (3,1) 5 % (5,2) Roumanie 1,5 % (1,1) 0,6 % (2,13) 0,6 % (0,25) 0,6 % (0,75) Bulgarie 1 % (0,8) 0,7 % (2,5) 1 % (0,38) 0,8 % (1) Finlande 1 %(1,14) 0,5 % (1,86) 0 % (0) 0,2 % (0,28)

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