LA OCCITANE

Au cours des XII et XIIIe siecles, de 1130 a 1300, les cultivent l'amour épuré serge Caulet lafin'amors-et idédisent les valeurs féodales. De cour en cour, de chfiteau en chfiteau ils allaient, proclamant les hauts faits des rois et des seigneurs dont ils recherchaient la protection. 11s louaient aussi les vertus et la beauté des grandes dames exaltant l'amour qu'ils leur témoignaient. Pour cela ils utilisaient trois formes poétiques: - La canso o&ils exprimaient l'amour dans la forme particuliere de l'amour cour- tois, - Le inventes qui est la traitant dans les formes de la canso tout autre sujet que I'amour, - Enfin la qui est un débat politique. Meme dans les campagnes les troubadours sont restés des poetes de salon a l'exception de , peut-etre. Ils utilisent donc les memes temes ponr exprimer I'amour réaliste dans les par exemple. Autant que dans les cansos ils célébraient lefin'amor tenus qu'ils étaient de la mezura envers les dames, les troubadours et les barons se mon- traient peu respectueux 2 l'égard de la vertu des jeunes filles qu'ils rencontraient dan~les campagnes. Les pastourelles, albas, romances sont des petites scenes dramatiques dialoguées, d'un caractere plus narratif que lyrique. Ce n'est qu'un genre mineur auprks des "grands gen- res poétiques". Le procédé est tres souvent le meme: un seigneur rencontre une jenne bergere et veut la séduire, la bergere devenant ainsi le symbole de toutes les tentations érotiques. Dans la majorité des cas la vilaine se tire de ce mauvais pas avec beaucoup d'a-propos. Jean Audiou ne releve qu'une dizaine de pastourelles tournant A la confusion de la jeune fille sur les vingt-quatre qu'il a recueillies. Marcabru, jongleur et poete gascon, pléibéien d'origine, exerqa son activité littéraire de

ANNALS 2000-01 1139 2i 1150.11 la pratiqua dans les cours du Midi mais également en Espagne auprks du comte de Barcelone, Raimond Berenguer 111, mais aussi et surtout auprks d'Alphonse VI1 dit "I'Empereur", roi de Castille. 11 n'était pas insensible au parfait amour$nfin'amor qu'il élhejusqu'au divin: "Eh,fin'amor, source de bonté, toi qui éclaire le monde entier, j'im- plore ta merci. Défends-moi des peines [de I'enfer]. Par toi j'espkre 2tre guidé." Cependant c'est peut-2tre a cause de ses racines paysannes que nous devons a Marcabnt la plus ancienne pastourelle qui nous soit parvenue: "L'autrier jost'una sebissa". C'est un dialogue entre un cavalier et une jolie bergkre dont il veut abuser. A chacune de ses pro- positions pour la séduire la vilaine "la villageoise" repousse ses avances avec heaucoup d'esprit. Ves leis vinc per la planissa: "Toza, fi m'eu, res faitissa, Do1 ai gran del ven que'us fissa" -"Senher, so dis la vilana, Merce Deu e ma noyrissa, Pauc m'o pretz si.1 vens m'enssa Qu'alegreta sui e sana." (Vers elle je vins par la plaine: "Jouvencelle, lui dis-je, créature enchanteresse, j'ai grand deuil que le vent vous pique." - "Sire, dit la vilaine, grace 2i Dieu et a ma nourrice peu me cbaut que le vent m'échevkle, car je suis joyeuse et saine".) Le galant, pour la flatter, veut lui reconnaitre une certaine noblesse d'origine: -"Toza de gentil afaire, Cavaliers fon vostre paire Que.us engenret en la maire, Tan fo.n corteza vilana, C'on plus vos gart m'etz belaire, E per vostre joy m'esclaire, Si fossetz un pauc humana!" (-"Jeune fille de noble condition, c'est un chevalier qui fut voire pkre, qui vous engendra en [votre] mkre, tant il naquit courtoise vilaine; car plus je vous regarde, plus vous me semblez belle et votre possession me rend joyeux, si seulement vous étiez plus humaine.") Au coniraire, non sans fierté, la bergkre revendique son ascendance paysanne: -"Senher, mon linh e mon aire Vey revertir e retraire Al vezoig e a I'araire, Senher, so dis la vilana,

ANNALS 2000-01 Mas tals se fai cavalgaire C'atrestal deuiria faire Los seis jorns de la semana." (-"Sire, tout mon lignage et toute ma famille, je vois retoumer et revenir a la beche et a la charrue. Mais, Seigneur [me] dit la vilaine, te1 se donne pour chevalier, qui devrait faire comeeux pendant les six jours de la semaine.") C'est ainsi que la conversation va amusante et spintuelle pendant 15 strophes. En conclu- sion la jeune fille lui donne une lecon: (-"C. ..] Sire, selon raison, le fou cherche occasion de faire folie, et le courtois courtoise aventure, et le vilain cherche la vilaine; ou mesure n'est pas observée le bon sens fait défaut, prétend la gent ancienne.") Enfin le seigneur finit par s'éloigner sous les moqueries de la jeune fille qui ne manquait ni de bon sens ni d'humour. Pierre d'Auvergne se considérait come le meilleur du monde jusqu'a la venue de Giraut de Borneil. 11 le reconnait lni-meme: "Giraut était le troubadour le mei- lleur de tous ceux qui vivaient avant et apres lui, pour cette raison il s'est appelé le «Maitre des Troubadours» (Mestre des Trobadors). Ce n'était pas l'avis de tous, mais par le talent poétique, I'abondance et la vaiété de son oeuvre, il n'en est pas moins parmi les meilleurs: "Onginaire de la région d'Excideuil en Dordogne, peut-etre du hameau de Bourneix, Giraut de Borneil fait partie de la brillante phalange des grands chanteurs limousins qui continue occupper le premier rang dans la poésie occitane i la fin du XII&siecle." (E. Hoepffner) Dans I'unique pastourelle qu'il nous a laissée, Giraut nous relate la rencontre d'un cava- lier et d'une pastourelle L'autrier; lo primer jorn d'Aost. 11 est triste car son amie l'a laissé: De bon'ami'ay netsieira Que fos fin'e vertadieira Qu'eras me sui departitz D'una fals'abetaritz Que.m fa campjar ma carrieira, E f0ra.m capdels e guitz Si no fos tan volatieira. ("[. ..] il me manque une bonneamis, sincere et franche, car je me suis éloigné maintenant d'une trompeuse perfide qui me fait changer ma route, et qui m'eíit été seigneur et guide, si elle n'etait pas si volage.")

ANNALS 2000-01 La jeune fille compatissante propose de le consoler: -"Senher, ges non es arditz Qnar del mal que'us es fugitz Temetz que pueis vos enqieira. Mas, pus tan m'es abelhitz Sojomem en est'ombrieira." (-"Sire, vous n'etes guere hardi, car vous craignez que le mal qui s'est éloigné de vous, vienne vous chercher par la suite, mais puisque vous me plaisez tant, allons nous reposer sous cet omhrage." Lui repousse froidement les avances de la galante bergere: -"Taza, N'Escaruenh'es guitz De pretz, que'm det companhieira Cortez', e fin'amaintz Per que'l mals me fug a tieira." (-"Jouvencelle, Dame Escarueuha est guide de ménte, [elle] qui me donna compagne courioise et fidele amante: aussi suis-je completement débarrassé du mal [dont je souf- frais].") On ne retrouve aucune autre allusion a dame Escaruenha dans I'oeuvre de Giraut de Bomeil. En fait cette pastourelle est une canso d'une fome peu ordinaire ou l'auteur fait connaitre sa fidélité a la dame volage par un renversement de r6le. Les oeuvres des uoubadours de la deuxieme moitié du XIIe siecle approximativement de 1250 a 1280 furent assez médiocres. Deux seulement émergent hrillamment: le Narbonnais Guiraud Riquier dit "le demier des Troubadours" et le Catalan Cerven dit "de Girona". Riquier a laissé une profusion d'écrits qu'il a eu l'heureuse idée de dater et qui s'éche- lonne de 1254 a 1292. 11 pratique volontier l'épitre en vers ou il excelle, mais ses pastou- relles lui inspirerent ses plus heureuses trouvailles. Elles foment un roman qui s'échelonne sur plusieurs années. CHornrne, c'est l'auteur, et la hergere se rencontrent dans diverses circonstances au cours de leur vie: En 1260: L'autre jorn, m'anava. Elle est fiancée: Cautre jom, m'anava Per una nheira, Solez delichan, Qu'Amors me menava

ANNALS 2000-01 Per aital maneira Que pesses de chan; Vi gaya bergeira Bell'e plazenteira, Sos anhels gardan. [...] ("L'autre jour, j'allais le long d'une riviere, seul me réjouissant, car la maniere dont me traitait Amour me donnait envie de chanter. Je vis une gaie pastourelle, belle et avenante qui gardait ses agneaux.") En 1262: L'autrie~trobey la bergeira d'antan. Elle est mariée: L'auttier, trobey la bergeira d'antan; Saludei la, e respos mi la bella, Pueys dis: "Senher, cum avetz estat tan Qu'ieu no.us ai vist? Ges m'amors no.us gragella?" -"Taza, si fa, mai que no fas semblan." -"Senher, i'afan per que podez sufrir?" -"Taza, tals es qu'assi m'a fag venir" ("L'autre jour, je recontrais la bergere d'antan; je la saluai et la belle répondit A mon salut: puis elle [me] dit: "Seigneur, comment &es-vous resté si longtemps sans que je vous voie? Mon amour ne vous tente point? ..." -"Si, jeune fille, plus queje ne le montre" -"Seigneur, comment pouvez-vous supporter le chagrin [d'une séparation]?" "Jeune fille, il est te1 qu'il m'a fait venk ici" -"Et moi Seigneur je vous cherchais.") En 1264: Gaya pastorelha: Gaya pastorelha Trobey l'autre dia, En una ribeira, Que per caut la belha Sos anhels tenia Desotz un'ombreira: Un capelh fazia De flors e sezia Sus en la fresquiera. ("Je rencontrai l'autre jour une aimable pastourelle, au bord d'une riviere, car, en raison de la chaleur, la belle tenait ses agneaux sous un ombrage: elle faisait une couronne de fleur, et elle était assise plus haut, au frais." En 1267: L'autriec trobei la bergeira. Elle a un enfant:

ANNALS 2000-01 L'autrier, trobei la bergeira Que d'autra vez ai trobada, Gardan anhels, e sezia E fon de plazen maneira; Pero mont fon cambiada, Quar un effant pauc tenia En sa fauda, que dusmia, E filava cum membrada.

("L'autre jour, je trouvai la bergere que j'ai rencontré d'autres fois; elle gardait des agne- aux, et était assise. Elle fut d'agréables mauieres, mais elle était fort changée, ear elle tenait sur ses genoux un petit enfant qui donnait, et elle filait comme une personne sen- sée." Les raisons invoquées par la bergere, toujours victoneuse, varient suivant les situations. Cerven (de Girona), contemporain de Riquier, laissa la plus imposante oeuvre qu'un trou- badour ait produite: 119 pieces doni 114 poésies lynques qui s'échelonnent de 1259 a 1282. Originaire de Cervera, non loin de Lleida, il doit certainement son sumom de Girona l'e- rreur d'un copiste. Pierre IIi d'Aragon protégeait un certain Guilelmus de Cervera, mimus et joculotor, auteur des Proverbis; ne serait-ce pas le meme persounage? Je ne sais. 11 ne voyagea gukre, ses protecteurs furent toujours les memes: Jacques 1 d'Aragon, le Conquérant, son fils Pierre, appelé YInfant (I'Enfan) avant son avenement au tr6ne en 1276, puis Pierse 111, le roi (lo Reis) jusqu'en 1285. 11 dédia aussi quelques éloges au vicomte Ramon Folch VI de Cardona (1233-1276), son épouse puis a sa veuve Sybille d'Ampurias appelée aussi "damn'als Carts", la dame aux chardons. Dans Entre Lerid'et Belvis une des quatre pastourelles qu'il eomposa, Cerverí relate l'a- venture qui lui es¡ anivée avec une jeune bergere qui lui avait promis son amour s'il lui rendait la bete qu'il avait caehée. Entre Lend'e Belvis Pres d'un nu, entre dos jardis, Vi ab une , Un pastor vestit de terlis, E jagren entre flors de lis, Baysan sotz l'erba novela. E anc una pastora pus bella, Pus cuynda ne pus ysnela,

ANNALS 2000-01 No crey que fos, ne no m'es vis C'a mos oyls tan plazen ne vis En Franca, ne en Castela. ("Entre Lerida et Belvis, prks d'un ruisseau, entre deux jardins, je vis, en compagnie d'une bergere, une patre vetu de treillis. Ils étaient étendus entre des fleurs de lis, et se baisaient en l'herbe nouvelle. Je ne crois pas qu'il y eut jamais bergere plus belle, plus gracieuse ni plus vive, et il ne me semble pas que j'en aie jamais vu d'aussi agréable devant mes yeux, ni en France, ni en Castille.") Mais une fois I'animal rendu elle s'esquive malicieusement: -"Seyner, cauz'es costumada; No.us meraveyllets s'eu vos men, C'ab mi us n'an mentit may de cen, E son vos gen escapada. Prendre deu hom sa soldada Sempre que l'es autreyada; Car qui temps a, e temps aten, Pert son temps trop nesciamen, E femna es lcu cambiada". ("Seigneur, c'est une chose habituelle; ne soyez pas surpris si je vous mens, car plus de cent vous ont menti, avec moi, et je vous ai gentiment échappé. 11 faut toujours prendre son salaire, au ssit6t qu'il est octroyé; car celui qui a [bien] le temps et qui tarde, perd trop sottement son temps, et femme a t6t fait de changer.") Avec plus d'imprudence, la toza de Cerven nous rappelle celle de Marcabru. Les XIV et XVe siecles furent une période de décadence pour la langue d'oc: la guerre contre les Albigeois en est une des causes. Alors que la lyrique occitane paraissait en déclin, sept notables toulousains et un notaire de la cour de viguier voulurent l'empecher de mourir et fonderent en 1323 une compagnie tres gaie: la Sobregaya Companhia des VTI trobadors de Tolosa. Ils se donnkrent pour but de codifier les rkgles du langage et celles de la versification, de perfectionner leur art, d'épurer indirectement les moeurs, provocant ainsi une atmosphkre rigoriste, morale et religieuse. Cependant la Sobregaya Companhia apparaissait aux yeux de certains comme le conservatoire de la culture occitane qui con- trebalancait I'action de l'université francaise. La renaissance de la littérature languedocienue éveilla chez quelques bons esprits la nos- talgie d'un passé prestigieux et les incita & contrecarrer sans cependant prendre de grands risques la morale officielle, toutes les fois qu'elle s'opposait au rétablissement intégral des valeurs anciennes dans le domaine de I'amour et de la poésie.

ANNALS 2000-01 Mais, sous l'influence de l'Église, on exigeait que I'exaltatiou amoureuse y tournat ?ila célébration de la vertu. Ainsi les oeuvres profanes devaient recevoir le cachet de l'ortho- doxie dans le conplet fonal qui devait etre adressé i Dieu et plus fréquemment A la Vierge Marie représentant l'idéal féminin. il est ceriain que heaucoup de troubadours devaient regretter le temps ou l'amour pour honnete qu'il fut en principe, conservait une tonalité charnelle assez insistante et ou la beauté physique de la feme, et non seulement la pureté de son coeur, était le principal moteur de I'enthouaiasme poétique de i'amant. C'est Goudouli qui en 1617 exprime I'amour qu'il ressent pour la seule femrne qu'il ait aimé et qu'il nomme Liris dans ses pastourelles. On ne peut cependant lui donner un pré- nom féminin. On sait cependant qu'il l'avait rencontrée au domaine de Secourieu pres d'Auterive, propriété alors des Caulet de Tournefeuille. La mort prématuré de la jeune fille mit fin ?i leur idylle et ?i l'union matrimoniale projectée. Le ton badin qu'il emploie lorsqu'il évoque sa bien aimée occulte mal la peine qu'il éprou- va toute sa vie. (extrait du Ramelet moundi; Prumi2roflouret0, 1617 et trad. De R. Nelli La Poésie occi- tane. Paris. Seghers, 1972). La pastouro Liriz es ta jantio et poulido Que s'en posco trouba jouts la capo del cel; As fredous qu'elo fa sur un ayre noubel La sereno de mar se troubario rabido.

La berg2re Liris est si gente et jolie Qu'on ne peut trouver mieux sous la chape du ciel, Des fiedons qu'elle fait avec un air nouveau La sir2ne de mer se trouverait ravie.

D'un quicom de beziat sa paraulo seguido, Un guignou frizoutat que se tors en anel, Un lambrec amourous qu'escapo de soun e1 Sur tout autro beautat la tenen acoumplido.

Un rien d'exquis mtlé h tout ce qu'elle dit, Le frisson bien tourne qui se tord en anneau, Et l'éclair amoureux s'echappant de son oeil, Sur tour autre beauté font la sienne accomplie

ANNALS 2000-01 Simple mes coutinaut es soun habillomen, Et d'aqui me reben un gran countentomen Car ata1 e10 par plus gentilo et bragardo.

Simple, mais atrayant est son habillement De quoi il me revient un grand contentement: Elle parait ainsi plus gentille et piquante.

Douncos en preferan le naturel A l'art Taleau qu'en coumpagnio la bezi sense fard Yeu bouldrio cap et cap la beze sense fardo.

Aussi, moi quipréfere a l'art le naturel SitGt queje la vois, en compagnie, sans fard, Sans hardes je voudrais la voir en tete a tete.

On trouve ici tout le mani6risme baroque. (extrait du Ramelet moundi, trad. Robert Laffont. Baroques occitans. Avignon. Aubanel. 1974) Ah! Soulel de mous els, se jamay sur toun se Yeu podi foumpa dous poutets plaze Yeu fare ta gintet que duraran tres Houros.

Ah! Soleil de mes yeux, si jamais sur ton sein Je peux humer dew; baisers par plaisir Je les ménagerai tant, qu'ils dureront trois heures.

C'est A Guirault Bedout, poete gascon, que nous devons Dorimont qui se plaint de la berghre Jacqueline. Dous aire deu men Gers e tu, douce ribere, Oun mous oueils an jetat u5 nbere de plous, E bousauts, arberets, qui couneguets ma bere, Coundats-lou mas doulous. Dow; air de mon Gers, et toi, douce rivihre 0i mes yeux ont versé une rivikre de pleurs Et vous, petits arbres qui connaissaient ma belle, Contez-Eui mes douleurs.

ANNALS 2000-01 Secretari d'amou, qui sabes ma tritesse, E qui, per m'escouta, camines lentement Amu, bigne, berge, quan bejats ma mastresse, Digats-lou moun turment. Secrétaire d'amour qui connais ma tristesse Et quipour m'écouter chemines lentement Ruisseau, vigne, verger; quand vous verrez ma maitresse Dites-lui non tourment.

Mes perque se facha de mile cops de dagues Que sous oueils courroussats tiren A tout moment, Push, que lou qui se plats A recerca las plagues Endure justement. Mais pourquoi se fdcher des mille coups de dague Que ses yeux courroucés donnent h tout moment, Puisque celui qui aime a rechercher les plaies Endure justement.

La pene qui dab jou mouris e ressuscite Hé beze que mous maus soun reprouchats A tort: Push que jou boi mouri per qui hugis ma bite, Jou meriti la mort. La peine qui avec moi se meurt et ressuscite Montre que mes malheurs son dénoncés a tort: Puisque je veux mourir pour qui hit mu vie, Je mérite la mort.

E si no podi parla dab ma bergeire, Are que sa rigou me deffen de gouari, Jou Ieschi quouate bers dessus aqueste peire, Prume que de mouri. Et si je ne peux parler avec ma bergPre Maintenant que sa rigueur empeche ma guérison, Je laisse quatre vers sur cette pierre Avunt que de mouri~

ANNALS 2000-01 Les Caritas de Besies est un spectacle en occitan que le public languedocien appréciait particuli&rement. C'est un magre plaze d'avere une mestresse Que paguo l'amitié d'une estrange nidesse, Et creire de gaigna son cor ambe lou temps Aquo's voule mordy la lune amb las dens, Fa de souhaits en vain, de castels en Espaogne, Nourry dedins lou cor une horrible maganio, Perdre lou jugeamen, lou sens et la raou Quitta la libertat per semettre en pnsou, Rendre mille devers h Cloris que nous brave, De libre que l'on ez deveny son esclave. Houroux cent millo fes un simple pastourel Qu'on a pus d'autres soings que mena son troupel! Ont ez tirat lou temps qu'apuyat sur I'oulettou Yeou fasio chaque jour mille sauts sur l'herbeto, Ont ez tirat lou temps qu'h I'abnc d'un tonral Yeou bevio sans soucy lou vy de mon baral? Hurouse libertat d'ana per la campagno Sans ave dins lou cor l'amourouse magnano! C'est un maigre plaisir d'avoir une maitresse Qui paie votre amitié d'une étrange rudesse! Croire gagner son coeur avec le temps, N'est-ce pus vouloir mordre la lune avec les dents, Faire des souhaits en vain, des chdteaux en Espagne, Nourrir au fond du coeur une affreuse douleui: Perdre le jugement, le sens et la raison, Abandonner la libertépour se jeter en prison, Rendre mille devoirs a Cloris qui nous nargue, Et de libre que l'on est devenir son esclave? Heureux cent mille fois un simple berger Qui n'a d'autre souci que de conduire son troupeau! 0u est passé le temps, lorsque, appuyé sur ma houlette Je faisais chaque jour mille gambades sur l'herbe? 0u est passé le temps, lorsque a I'abri du talus, Je buvais, insouciant, le vin de ma barrique? Heureuse liberté d'aller par la campagne Sans avoir dans le coeur les douleurs de l'amour!

ANNALS 2000-01 La tradition veut que ce soit un certain Lafulido gentilhomme limousin qui soit I'auteur de Capiote piece typique du théatre occitan des XVII et XVIIIe siecles. Capiote, jeune paysan, est amoureux de la fille d'un riche propriétaire du voisinage, Hauzane. Cette demiere fait patienter son amoureux car elle redoute la nuit de noce: "ma hoyte ey si petite / Per votre calamar, que you perdray la vite" (mon étui est si petit / Pour votre chalumeau queje perdrai la vie). Je laisse le soin h ceux qui seraient intéressés pae cette "pastourelle limousine" de la traduire eux-memes! Dans le II&Tome deL'Histoire et Antologie de la littérature occitane - L'Age du Baroque, 1570-1789, paru aux Presses du Languedoc, voici ce que dit Philippe Gardy: "Au cours du XVIIIe siecle l'occitan désormais largement repoussé du c6te du peu- ple, de la nature, voire de l'inculture ou de la sauvagerie, devint pour ceux qui 1'é- crivent aussi bien que pour ceux qui apprécient le spectacle dépaysant, une sorte de langage omemental: celui de scenes pastorales dont le réalisme de départ parfois incontestable (comme chez Cyprien Despoumn) est tks vite converti en stéréoty- pe. Bergers et bergeres dans un décor qui suggere la reverie, célehrent ou déplorent leurs amours et leur existence champetre." La pastorale toulousaine de Jean-Joseph Cassanea de Mondonville, originaire de Narbonne est représentée devant le roi Louis XV en 1754 h Fontainehleau. Mondoville, qui occupa l'importante fonction de maitre de chapelle du roi, sacrifie dans cette fantaisie chantée et dansée, au gout du temps pour les mievreries amoureuses. LP Devin da village, i'opéra de Jean-Jacques Rousseau, date de 1752; il est adapté en occitan des 1755 par le Toulousain Cousse de Latomy sous le titre: Le Sourcié de la lando. Fortement matinée de frangais littéraire largement émaillé de formules empruntées h Godolin la langue de Daphnis et Alcimadure se veut prestigieuse. La hergerie d'époque, ici, rejoint une tentati- ve d'écriture "noble" de I'occitan. Extrait de Daphnis et Alcimadure, pastorale languedocienne, 1, 3: Daphnis (airé) D'un pichot trait pus pounchut qu'un'alz&no Lou diu nenet, ambé sa hiro d'or, Lou joun de l'an m'a dounat per estréno Mai de cent cops tout h traher da1 cor. Que soun surprés coumo jou nou soüi mor! Noun podi pus, despéy qu'h la mal'houro, Ey rancountrat aquél malin énfan; N'abio per cour qu'uno jouino pastouro, Pus helo qu'él, que tout en fadéjan, D'un pichot trait, etc.. .

ANNALS 2000-01 D'un petit trait plus pointu qu'une alhne, Le dieu-enfant, avec sa Peche d'or, Le jour de I'an, m'a donné pour étrenne Plus de cent coups en plein coeur: Je suis tour étonné de ne pas ttre mort! Je n'en puis plus, depuis qu'a la male heure J'ai rencontré cet enfant malicieux; 11 n'avait pour l'accompagner qu'une jeune berghre Plus belle que Eui qui, tout en badinant, Alors qu'il tirait sur moi, lui tenait la main D'un petit trait.. . C'est dans le meme style naaif que Fabre d'Eglantine natif de Carcassonne écrivit en francais Il pleut, il pleut bergire. Beaucoup de travaux féminins étaient a pretexte des chants populaires: la jeune fille est amoureuse au naturel parfois, mais généralement comme l'imaginaire masculin se la représentait. La vie pastorale si développée en Languedoc fut tres t6t poétisée. La jeune bergere, seule dans la garrigue que son amoureux allait rejoiudre quand il était de repos fut le teme favo- ri de ces poésies campagnardes d'alors. On ne doit pas s'étouuer que les pastorales les plus simples soient des dialogues galants entre bergers et bergeres, ainsi que des cbants A filles a marier te1 celui-ci que l'on enteudait du c6té de Montpellier: Maridats-vos, pastoreletas Maridats-vos, car es lo temps -Bela rosa!- Maridats-vos, car es lo temps Bela rosa del printemps! (Mariez-vous, bergeres 1 mariez-vous, car c'est le temps 1 Belle rose! I mariez-vous, car c'est le temps 1 Belle rose du printemps!) Souvent la jeune fille est courtisée par un seigneur, mais apres la Révolution le galant est un "monsieur de la ville" auquel elle préfere son Janot ou son Colas. Leur seus remonte A ces anciennes pastourelles des troubadours: Quan auzi d'una bergieira Lo cban, just'uu plaissaditz ... (Quand j'entendis le chant d'une bergere 1 le long d'une haie [.. .]) Comme écrivait dans L'autrier, lo primer jorn d'aost (5,6), ou Gui d'Ussel dans L'autrier cavalcaa (4,7)

ANNALS 2000-01 E vi denan me Una pastorella ... Que chantet mout gen. Voici une chanson de bergere qui doit dater du XV111e siecle. Genta pastoreleta Vos voldria dire un mot S'aqua se pot. Sietats-vos sus I'erbeta, Genta pastoreleta; Pausats vostre fagot ,,,,...... Le fagot que ieu porti Es un pauc espinos E dangeros: Mossur, iu vos "exhorti", Mossur, mesfisats-vos Prenets garda als boissons ... (Gentille bergere, je voudrais vous dire un mot 1 s'il se peut; / asseyez-vous sur I'herbette / gentille bergere; posez votre fagot. [. ..] Le fagot queje porte est un peu épineux 1 et dan- gereux; / Monsieur, je vous en pnui; / Monsieur méfiez-vous; / prenez garde aux bessons épineux. ) Le Monsieur voulant plaire a la belle charge sur son dos le fagot épineux mais il n'ose se plaindre. Parfois la bergere moqueuse propose au Monsieur de jouer al dinieu, c'est-2-dire & "pile ou face". Guillaume IX utilise des équivoques du meme genre sur le jeu de des: Mossur, me tendretz escusada Per que ma maire m'a cndada Quand tomarets deman maitin Trobaretz la pastora aici. (Monsieur, vous m'excuserez; / ma mere m'a appelée; / quaud vous reviendrez demain matin 1 vous trouverez la bergere ici.) Le lendemain la jeune fille 2 sa fenetre se moque du soupirant: Se te tenia, gentia pastora Se te tenia, a la mema ora Ta maire paria plan cridar Que te daissaria pas anar.

ANNALS 2000-01 (Si je te tenais gentille pastoure 1 si je te tenais A la meme heure 1 ta mere pourrait bien crier, 1je ne te laisserais pas allet) Ce theme a déja été développé dans Entre Lerid'et Belvis par Cerverí de Girona. La mora- le est toujours la meme: "11 faut battre le fer quand il est chaud."

L'esprit gaulois qui nous anime prete parfois des sentiments différents $t la jeune fille si le garcon n'est pas osé et ne profite pas de l'occasion qui lui est offerte. Dans la région du Gard au XVIIIe siecle on chantait la chanson francaise suivante: Bergere, que tu es aimable Voudrois-tu venir jouer: Nous jouerons ton pucelage; Je te le voudrais bien gagner. La bergere prit les cartes: Elle se mit a jouer Mais la charmante bergere, Son berger elle a gagné. Le berger prend sa houlette: 11 s'enfuit dans son troupeau; Mais la charmante bergere Carreta par son manteau.

Alors le berger s'écrie: Hélas, hélas! Quell malheur, Qu'une channante bergere M'aye [sic] ravi mon honneur. Que dira-t-on dans nos villages? Que dira-t-on dans nos maisons? -Ha! Va! Lourdeau de village, tu as perdu ton renom.

11 esta peu pres certain que nos pastourelles remontent des temes tres anciens, mais elles ont subi l'influence des diverses époques oi~elles ont été reprises et particulierement celle du XVIII* siecle, pour certaines le francais s'est substitué a l'occitan.

ANNALS 2000-01 Bibliographie Audiau, Jean. La Pastourelle dans la poésie occitane du Moyen-Age. Slatkine. Geneve. 1973. Gardy, Philippe. Histoire et Antologie de la littérature occitane. L'Age du Baroque, 1570- 1789. Tome 11. Presses du Languedoc. Hoepffner, Emest. Les Troubadours. Nelly, René. "La littérature populaire en Languedoc". Folklore. núm. 3. Automne 1958. Histoire du Languedoc. Hachette Littérature. 1974. L'érotique des Troubadours.

Josep Ribot

ANNALS 2000-01