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Ciné-Concerts / Autour de l’orgue / Luxembourg Festival 2013 Mercredi / Mittwoch / Wednesday 13.11.2013 20:00 Grand Auditorium Wolfgang Mitterer orgue, electronics Backstage après le concert / im Anschluss an das Konzert Grand Foyer Coproduction Cinémathèque de la Ville de Luxembourg et Philharmonie Luxembourg Dans le cadre de Luxembourg Festival Film: L’Homme à la caméra (Der Mann mit der Kamera) (1929) Dziga Vertov scénario, réalisation Wolfgang Mitterer musique (2013, commande / Kompositions- auftrag Internationale Stiftung Mozarteum Salzburg, Philharmonie Luxembourg et Wiener Konzerthaus) L’homme à la caméra Un film de Dziga Vertov Jacques Aumont (2007) Ce nom déjà, Dziga Vertov, est tout un programme: Dzig-dzig, c’est l’onomatopée de la toupie; Vertov vient d’un verbe russe qui signifie «tourner». Échangeant contre ce pseudonyme, au mi- lieu des années dix, son nom plus ordinaire de Denis Kaufman, le jeune poète et musicien témoignait d’un goût furieusement futuriste pour le mouvement sans fin. Or, ce garçon épris de mo- dernité découvrit le cinéma en même temps que la Révolution. Intimement converti, dès octobre 1917, à l’utopie communiste, il devint presque aussitôt ce que nous appellerions aujourd’hui un réalisateur de films documentaires; mais son premier souci, dès lors incessant, fut de s’assurer qu’il ne ressemblait pas aux «cinéastes, troupeau de chiffonniers qui fourguent assez bien leurs vieilleries» (comme il l’écrira en 1925). Il assignait en effet au cinéma un rôle tout autre que de se substituer, fût-ce avec ta- lent, au théâtre ‹bourgeois›. De ses premiers films sur la guerre civile jusqu’aux obscurs films éducatifs et scientifiques de la fin de sa vie, Vertov resta toujours fidèle à une idée didactique et militante du cinéma: faire des films, c’est penser à un specta- teur que l’on veut convaincre, éduquer, aider à comprendre le monde. Mais en même temps, et parfois jusqu’à la contradiction flagrante, faire des films c’est aussi, c’est avant tout faire œuvre formelle: poète et musicien il avait commencé, poète il restera, jusqu’au bout, dans son souci de l’art – raffiné jusqu’à la sophis- tication – du cadrage et du montage. Vertov n’est pas un documentariste, pas un réalisateur d’actuali- tés, malgré les heures et les heures de films consacrés à la situa- tion du moment, parfois sur le mode du journalisme le plus im- 3 médiat. Vertov n’est pas non plus un pur formaliste, qui ferait du cadrage léché et du montage virtuose pour l’amour de l’art. Et bien sûr, il se défie comme de la peste de tout ce qui sent la lit- térature; raconter une histoire en cinéma, pour lui, est non seu- lement inutile, voire dangereux, mais de mauvais goût. Qu’est-il donc? Eh bien, il est tout cela à la fois, mais en y ajoutant (‹dia- lectiquement›, à coup sûr) le trait supplémentaire, à la fois per- sonnel et impersonnel, à la fois politique et poétique, qui fait de ses plus grandes réussites des exemples majeurs de cet idéal si difficile et exigeant: l’essai filmé. Réalisé à la toute fin des années 1920, alors que l’Amérique, et à sa suite l’Angleterre, l’Allemagne, la France même convertissent leur cinéma au parlant, et que le théâtre filmé revient plus fort que jamais, L’Homme à la caméra est le plus abouti de ces essais. Dernier film muet de Vertov, il marie savamment le document pris sur le vif, le reportage quasi mis en scène, la ‹caméra-trot- toir› avant la lettre, et un discours élaboré, parfois compliqué jusqu’au rébus. Au total, c’est à la fois un témoignage de pre- mière main sur la vie quotidienne en Union soviétique à la veille de la glaciation stalinienne, un poème complexe où abondent les figures rhétoriques, et un véritable manifeste en faveur du ‹ci- né-œil›, ce cinéma purifié de toute tentation littéraire et théâtrale que Vertov a toujours prôné. Une journée dans une grande ville soviétique, de l’aube au cré- puscule, observée par un homme avec une caméra, lequel est le héros du film. Il part au travail tandis que tout dort encore, et nous en fait découvrir tous les aspects. L’industrie, le commerce et les communications, le mariage, le divorce, la naissance et la mort, un accident du travail et les secouristes, le sport et les loi- sirs: autant de séquences et de saynètes enchaînées et entremê- lées. Mais en même temps, l’homme à la caméra nous fait une démonstration de l’art du cinéaste. On le voit en train de tour- ner, on suit le film dans la salle de montage, et même, jusque dans la salle de cinéma où il enchante les spectateurs qui se voient tels qu’en eux-mêmes. Le tout culmine dans un tour- billon d’images, où l’espace et le temps sont dépassés et recréés. 4 Film: L’Homme à la caméra (1929) Vers la fin de sa vie, dans les années cinquante, alors que l’aca- démisme l’avait emporté sur les écrans soviétiques, Vertov ex- pliqua que ce film, souvent critiqué pour son soi-disant forma- lisme, avait été une expérience, destinée à éprouver les pouvoirs les plus élevés du cinéma, et non à constituer un modèle de film idéal. Déclaration prudente, mais qui dit une vérité de ce film sans égal, où l’expérimentation convoque toutes les possibili- tés de faire autre chose qu’un ‹ciné-drame›, mais n’aboutit à rien d’imitable. Le plus évident opposé du drame, c’est ce qui relève du docu- ment. La ville où l’on passe une journée imaginaire est, elle aus- 5 si, une ville imaginaire, ou plutôt composite: elle mêle des vues de Moscou, Kiev et Odessa. Pourtant, cette Cité soviétique em- blématique est plus réelle, à sa manière, que chacun de ses modèles: c’est qu’elle est vue, non par un œil humain, mais par un œil hybride, combinant l’humain et le mécanique. Le ‹ciné- œil› de Vertov peut tout voir, idéalement, jusqu’à comprendre les ressorts cachés de ce qu’il voit: telle est la croyance, irrationnelle en son cœur comme toute croyance, sur quoi se fonde cette ré- vélation du réel. L’homme à la caméra est partout, il voit tout, dans l’indiscrétion la plus totale. Une jeune femme revêtant ses dessous, une femme qui accouche, un couple qui divorce, une sans-logis qui dort sur un banc, des clochards passent sous son objectif fureteur au même titre que des ouvriers, des sportifs, des néo-bourgeois de la NEP (‹Nouvelle politique économique› mise en place en URSS à partir de 1921). Tout cela n’est pas toujours aussi spontané que le programme le voudrait (la jeune femme qui fait ses ablutions, au début du film, a évidemment été mise en scène). Mais l’ambition du cinéaste est d’amenuiser autant que faire se peut la distance avec le monde qu’il montre, jusqu’à coïncider avec lui, se fondre en lui. Malgré sa bigarrure et ses contradictions, la Cité est décrite comme une société transparente: transparente au regard du cameraman, du cinéma, mais aussi et surtout, transparente au regard de tous, et c’est pourquoi les spectateurs, à la fin, seront si contents: ils ne sont rien d’autre, justement, que les représen- tants de ce corps social que le cinéma s’est donné à tâche de fi- gurer. À travers cette description d’une ville, le film esquisse donc une société idéale, celle où chacun saura ce que font tous les autres. Il la décrit pour la rendre à tous ses membres, en organisant la circulation infinie des images; en même temps, il la décrit aussi pour aider à la changer, pour la rendre meilleure (plus commu- niste). Travailleur dans un monde de travailleurs, l’homme à la caméra ne cache pas ses présupposés ni ses préjugés. S’il voit mieux que d’autres c’est qu’il dispose d’un outil, le cinéma, qui est lucide par nature. Mais voir est une chose, montrer en est 7 une autre, qui repose sur un souci de convaincre et suppose qu’on en a les moyens. Pour Vertov, le moyen est tout désigné: montrer, c’est monter; la longue et démonstrative séquence de la salle de montage – où l’on voit une femme (la compagne du cinéaste) figer le temps, l’analyser puis le faire redémarrer – le dit fort bien: monter, c’est manipuler, c’est maîtriser le flux de la réalité, et surtout lui donner son sens. Monter un film de ‹ciné- œil›, c’est prétendre dire le vrai, ce que le réel est incapable de dire par lui-même, mais que le cinéaste ‹kinok›, grâce à son su- per-œil et aussi à son impeccable conscience politique, saura y trouver et y désigner. Cela peut prendre des formes assez banales, parfois un peu lourdes. Ainsi, des comparaisons entre les bourgeoises que l’on coiffe, poudre, manucure et les ouvrières aux mains abîmées, au visage noirci (et aussi, un peu plus loin, les ouvrières blondes et joyeuses qui fabriquent dans l’allégresse et à un rythme d’enfer des emballages de cigarettes); plus subtilement, ce sera la famille bourgeoise qui prend une calèche à la sortie de la gare, quand les travailleurs partent à pied, et qui du coup va devenir la proie désignée de l’homme à la caméra. Cela peut se faire plus discret, au point d’être en certains endroits, devenu quasi illisible pour nous. Tout le monde, sans doute, peut comprendre la métaphore qui, vers le début du film, lie l’éveil de la femme et l’éveil de la ville (avec d’insistants parallèles comme l’eau qui arrose les pa- vés et celle qui réveille un visage…).