Éducation et sociétés plurilingues

43 | 2017 Varia

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/esp/1188 DOI : 10.4000/esp.1188 ISSN : 2532-0319

Éditeur Centre d'Information sur l'Éducation Bilingue et Plurilingue

Édition imprimée Date de publication : 1 décembre 2017 ISSN : 1127-266X

Référence électronique Éducation et sociétés plurilingues, 43 | 2017 [En ligne], mis en ligne le 01 août 2018, consulté le 24 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/esp/1188 ; DOI : https://doi.org/10.4000/esp. 1188

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SOMMAIRE

Éditorial Diversité linguistique, une réalité aujourd’hui ! Andrée Tabouret-Keller

Editoriale Diversità linguistica, oggi una realtà! Andrée Tabouret-Keller

Hommage à Marie-Thérèse Weber

Hommage à Marie-Thérèse Weber Comité de lecture d’ESP

Pour Marie-Thérèse Weber Françoise Morvant

Un exemple de plurilinguisme vécu au quotidien Marie-Thérèse Weber

Histoire et société

Accogliere uomini, accogliere parole. Lampedusa: una storia esemplare di ieri e di oggi. Giovanni Ruffino

Val d’Aoste

Les Sacs d’histoires : mode d’emploi Gabriella Vernetto

Situation actuelle du français en Val d’Aoste Enquête et résultats Tristan Hauff

Didactique & enseignement bi/plurilingue

Come rompere la routine e lavorare le competenze orali in classe di FLE raccontando una bella storia Luigi Zammartino

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Expériences & Recherches

Comment travailler sur les attentats terroristes en classe de langue ? Gérald Schlemminger

Deutsch lernen nach (und trotz) der Bildungsreform in Frankreich - eine Zwischenbilanz Laure Gautherot

Témoignage

De la magie des sons à la magie du monde Christiane Dunoyer

Débat

Langues et démocratie : un lien imprescriptible Gilbert Dalgalian

Compte rendu d’ouvrage

Dario Elia TOSI, Diritto alla lingua in Europa Giappichelli Editore, Torino, 2017, 416 p Luisa Revelli

Résumé d’HDR

Diffusion d’un classement académique en France : analyse des logiques sociales et des discours de presse sur le classement dit « de Shanghai ». Habilitation à Diriger des Recherches en Sciences de l’information et de la communication, soutenue le 6 juin 2017 à l’université Pari Est Créteil Christine Barats

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Éditorial Diversité linguistique, une réalité aujourd’hui !

Andrée Tabouret-Keller

1 Le Furet est une revue trimestrielle des professionnels de la petite enfance. Le titre du numéro 86 (septembre 2017) est Petite enfance et diversité, il est publié sous la direction de Christine Hélot (Université de Strasbourg) et comporte un épais dossier de 39 pages avec une vingtaine de textes informant et discutant des situations actuelles de la diversité linguistique. En quoi, il est proche des préoccupations de notre propre revue qui s’adresse « à toute personne concernée par les problèmes pédagogiques et de société posés par l’éducation plurilingue » (voir notre p. 2 de couverture). Profitons du Furet pour enrichir nos démarches. Et tout d’abord pour préciser notre vocabulaire. Deux grands courants idéologiques ont influencé aux 19ème et 20 ème siècles les jugements et la réflexion sur le bilinguisme, j’en présente deux exemples : l’un politique, c’est le traité européen des langues minoritaires ou régionales, l’autre scientifique, ce sont les travaux de psychologie du bilinguisme.

2 La Charte européenne des langues minoritaires ou régionale est un traité européen proposé sous l’égide du Conseil de l’Europe et adopté en 1992 par son Assemblée parlementaire : elle est destinée à protéger et à favoriser les langues régionales historiques en tant qu’aspect menacé du patrimoine culturel européen, et à favoriser l’emploi de ces langues dans la vie privée et publique : en 2017, vingt-cinq états l’ont signée et ratifiée et quatorze ne l’ont ni signée, ni ratifiée, la France l’a signée en mai 1999 mais ne l’a toujours pas ratifiée, malgré une promesse de campagne de François Hollande. Selon le recensement de l’enquête « Les langues de France » et de l’enquête « Famille » de l’INSEE (1999), portant uniquement sur les langues de la métropole, l’occitan comprend 1.670.000 locuteurs, les langues d’oïl 1.420.00, l’alsacien 900.000, le breton 680.000. En 2013, il est prévu de doter la France d’une charte nationale, destinée à protéger les droits individuels des locuteurs des langues régionales, chaque enfant devant pouvoir apprendre à lire et écrire dans sa langue maternelle mais le comité consultatif ne l’adopte pas (Rapport du comité consultatif, 2013). Il n’est question ni de bilinguisme, ni de diversité linguistique. L’idéologie politique sous-jacente est celle de l’unité de l’état, généralement qualifiée d’unité nationale (Tabouret-Keller, sous presse).

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3 L’exemple scientifique est celui de la persistance d’une idée fausse, bien identifiable pendant la période d’une centaine d’années, enjambant les 19ème et 20 ème siècles, la nocivité mentale du bilinguisme (Tabouret-Keller 2011).

4 L’argument de la nocivité fait autorité : il sera répété sans changement notable, par exemple par Leonard Bloomfield en 1927 ou Edouard Pichon en 1936. L’idéologie sous- jacente n’en est pas moins dominante : les mélanges sont néfastes pour l’homme, de la « solution finale » du régime nazi visant à l’extermination des Juifs aux recettes actuelles de la ségrégation des immigrés.

5 Le numéro du Furet sur lequel nous souhaitons attirer l’attention met en lumière la richesse extraordinaire de la diversité linguistique. Si l’on veut bien adopter la distinction mise en œuvre, soulignée par les experts du Conseil de l’Europe, entre multilinguisme et plurilinguisme, selon laquelle le plurilinguisme est un phénomène individuel et le multilinguisme un phénomène social, ce dernier s’avère une donnée incontournable de nos sociétés : les structures de la petite enfance, sont bien souvent multilingues parce qu’elles sont fréquentées par des enfants plurilingues et encadrées par un personnel plurilingue. Dès lors, comment inclure dès la petite enfance des formes d’hospitalité langagière et d’ouverture aux cultures autres ? ce numéro du Furet est riche de nombreux exemples qui illustrent que l’interaction langagière est cruciale, elle peut se dérouler dans une, deux ou plusieurs langues : un petit garçon franco- italien parle alsacien avec sa grand-mère, un enfant turc dans un école maternelle en Alsace. L’accueil de parents plurilingues en maternelle offre une ressource qui fait toute la différence : les enfants ne sont plus silencieux et acquièrent d’autant mieux la langue scolaire. Peu à peu, les pratiques évoluent, les chercheurs font connaître leurs travaux et l’on comprend mieux pourquoi et comment il faut lutter contre les inégalités envers les langues et les locuteurs. S’il est vrai qu’aujourd’hui un grand nombre de langues disparaissent, le moyen le plus sûr de ralentir cette évolution, c’est de les transmettre à nos enfants. Nos enfants et nos petits-enfants sont tous de petits polyglottes en herbe, quelles que soient les langues que nous leur parlons. « Alors, conclut Le Furet, ne les privons pas de cette richesse extraordinaire ! ». Avec quoi nous sommes d’accord, cherchons aussi à en témoigner.

BIBLIOGRAPHIE

TABOURET-KELLER A. Sous presse. The term « minority » in default : the European Charter for Regional or Minority Languages, the case of France and that of Alsace, Multilingua.

TABOURET-KELLER A. 2011. Le bilinguisme en procès (1840-1940), Limoges, Lambert-Lucas

INDEX

Keywords : bilingualism, plurilingualism, diversity, language rights, stereotypes, ideology Parole chiave : bilinguismo, plurilinguismo, diversità, diritti linguistichi, stereotypi, ideologia

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AUTEUR

ANDRÉE TABOURET-KELLER Université de Strasbourg

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Editoriale Diversità linguistica, oggi una realtà!

Andrée Tabouret-Keller

1 Le Furet è una rivista trimestrale dei professionisti della prima infanzia. Il titolo del numero 86 settembre 2017) è Petite enfance et diversité [Prima infanzia e diversità], pubblicazione diretta da Christine Hélot (professoressa all’Università di Strasburgo) e comporta un corposo dossier di 39 pagine con una ventina di testi che informano e discutono le situazioni attuali in materia di diversità linguistica. In questo si avvicina alle preoccupazioni della nostra rivista, che si rivolge “a chi si occupa dei problemi pedagogici e sociali dell’educazione plurilingue” (cfr. la seconda di copertina della nostra rivista). Approfittiamo del Furet per arricchire le nostre iniziative. E innanzitutto per precisare il nostro lessico. Due grandi correnti ideologiche hanno influenzato nel XIX e nel XX secolo i giudizi e la riflessione sul bilinguismo. Ecco un paio di esempî: l’uno politico, ovvero il trattato europeo delle lingue regionali o minoritarie, l’altro scientifico, vale a dire gli studi di psicologia sul bilinguismo.

2 La Carta europea delle lingue regionali o minoritarie è un trattato europeo proposto sotto l’egida del Consiglio d’Europa e adottato nel 1992 dalla sua Assemblea parlamentare: essa ha l’obiettivo di proteggere e favorire le lingue regionali storiche in quanto aspetto minacciato del patrimonio cultutale europeo, oltre che a favorire l’uso di tali lingue nella vita privata e pubblica: nel 2017 sono venticinque i Paesi che l’hanno firmata e ratificata, mentre quattordici non l’hanno né firmata, né ratificata. La Francia l’ha firmata in maggio 1999, ma non l’ha ancora ratificata, nonostante una promessa elettorale di François Hollande. Secondo il censimento dell’inchiesta “Le lingue della Francia” e dell’inchiesta “Famiglia” dell’INSEE (1999), che si riferisce unicamente alla metropoli, l’occitano comprende 1.670.000 locutori, le lingue d’oïl 1.420.000, l’alsaziano 900.000, il bretone 680.000. Nel 2013 si prevede di dotare la Francia di una carta nazionale, allo scopo di proteggere i diritti individuali dei locutori delle lingue regionali, poiché ogni bambino deve poter imparare a leggere e scrivere nella sua lingua materna, ma la commissione consultiva non la adotta (Relazione della commissione consultiva, 2013). Non parla né di bilinguismo, né di diversità linguistica. L’ideologia politica latente è quella dell’unità delo stato, qualificata generalmente come unità nazionale (Tabouret-Keller, in stampa).

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3 L’esempio scientifico è quello della persistenza du un’idea errata, ben rintracciabile in un periodo durato un centinaio d’anni a cavallo fra il XIX e il XX secolo: la nocività mentale del bilinguismo (Tabouret-Keller, 2011). L’argomento della nocività è autorevole: verrà ad esempio ripetuto senza cambiamenti rilevanti da Leonard Bloomfield nel 1927 o da Edouard Pichon nel 1936. Per giunta, l’ideologia latente è dominante: i miscugli sono nefasti per l’uomo, dalla “soluzione finale” del regime nazista che punta allo sterminio degli Ebrei alle attuali ricette di segregazione degli immigrati.

4 Il numero del Furet sul quale vorremmo attirare l’attenzione mette in luce la straordinaria ricchezza della diversità linguistica. Se vogliamo adottare la distinzione operata, e sottolineata dagli esperti del Consiglio d’Europa, tra multilinguismo e plurilinguismo (secondo la quale il plurilinguismo è un fenomeno individuale, mentre il multilinguismo è un fenomento sociale), quest’ultimo si rivela un dato indispensabile delle nostre società: le strutture per la prima infanzia sono spesso multilingui, poiché sono frequentate da bambini plurilingui e inquadrate da personale plurilingue. A questo punto, come includere fin dalla più tenera infanzia forme di ospitalità linguistica e di apertura verso culture diverse? Questo numero del Furet è ricco di esempi che mostrano che l’interazione linguistica è cruciale e può svolgersi in una, due o diverse lingue: un bambino franco-italiano parla in alsaziano con sua nonna; un bambino turco in una scuola materna in Alsazia. L’accoglienza di genitori plurilingui nella scuola materna offre una risorsa che fa tutta la differenza: i bambini non sono più silenziosi ed acquisiscono ancora meglio la lingua della scuola. A poco a poco le pratiche evolvono, i ricercatori fanno conoscere i loro studi e si capisce meglio perché e come lottare contro le diseguaglianze nei confronti delle lingue e dei locutori. Se è vero che oggi un gran numero di lingue scompaiono, il mezzo più sicuro per rallentare quest’evoluzione è di trasmetterle ai nostri figli. I nostri figli e i nostri nipoti sono tutti piccoli poliglotti in erba, indipendentemente dalle lingue con cui parliamo loro. “Allora, conclude il Furet, non priviamoli di questa ricchezza straordinaria!”. E noi non possiamo che sottoscrivere a quest’affermazione; cerchiamo anche di darne testimonianza.

BIBLIOGRAFIA

TABOURET-KELLER A. In stampa. The term «minority» in default: the European Charter for Regional or Minority Languages, the case of France and that of Alsace, Multilingua.

TABOURET-KELLER A. 2011. Le bilinguisme en procès (1840-1940), Limoges, Lambert-Lucas.

INDICE

Mots-clés : bilinguisme, plurilinguisme, diversité, droits aux langues, stéréotypes, idéologie Keywords : bilingualism, plurilingualism, diversity, language rights, stereotypes, ideology

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AUTORE

ANDRÉE TABOURET-KELLER Université de Strasbourg

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Hommage à Marie-Thérèse Weber

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Hommage à Marie-Thérèse Weber

Comité de lecture d’ESP

1 Dans ce numéro, l’équipe rédactionnelle d’Éducation et Sociétés Plurilingues se souvient de leur collègue et amie Marie-Thérèse Weber, qui a été une précieuse collaboratrice pendant de longues années. Entre le tout premier numéro (1996) et le n° 37 (2014), Marie-Thérèse a contribué vingt-six recensements d’ouvrages, participant ainsi à la diffusion des connaissances sur l’éducation et les sociétés à travers le monde.

2 En guise d’hommage à son engagement scientifique dans notre effort collectif de promouvoir le bilinguisme et les contacts entre personnes de cultures différentes, nous republions ici le petit article que Marie-Thérèse Weber a publié il y a cinq ans dans ESP « Un exemple de plurilinguisme au quotidien ».

3 Nous publions également le texte d’une de ses amies qui l’a bien connue et qui parle plus intimement de sa vie à Fribourg, de son travail et de ses intérêts. Les membres du comité de lecture se joignent à elle pour souligner sa gentillesse et sa discrétion, ses qualités humaines et professionnelles, en espérant que ce petit témoignage collectif apportera un peu de réconfort à sa sœur et à ses amis en Suisse et ailleurs.

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Pour Marie-Thérèse Weber

Françoise Morvant

1 Marie-Thérèse Weber est née le 2 juin 1935 à St-Aubin, une commune à laquelle elle restera attachée toute sa vie et où elle s’est fait de nombreux amis.

2 D’origine bernoise par son père et valaisanne par sa mère, Marie-Thérèse en a hérité un caractère bien trempé. Exigeante avec elle-même comme avec les autres, elle s’est toujours investie à fond dans tout ce qu’elle a entrepris. Tout au long de sa vie, elle a effectué de longues études principalement en histoire, en littérature, en psychologie et en pédagogie. Ses travaux et ses recherches ont été couronnés par une licence, suivie de deux doctorats, par un ouvrage consacré au pédagogue Léon Barbey et par de nombreuses publications notamment dans le Dictionnaire historique de la Suisse.

3 Parallèlement, elle s’est consacrée à l’enseignement, à Bex, à Aigle, Châtel St-Denis et Bulle ainsi qu’à Fribourg, au Collège Sainte-Croix, à l’Ecole normale et à l’ECDD. Car la pédagogie et la diffusion du savoir ont toujours été des thèmes de prédilection auxquels elle a consacré toute sa vie.

4 Très attachée à la connaissance des langues, Marie-Thérèse s’exprimait également avec aisance en allemand, en anglais et en italien. Elle a aussi fait de nombreuses recherches sur la question du bilinguisme et des enfants migrants, un sujet qui lui a toujours tenu à coeur. Mais les enfants et les adolescents n’ont pas été pour elle qu’un thème de recherche théorique. Marie-Thérèse a toujours été près des jeunes, non seulement de ses élèves, qu’elle avait toujours plaisir à rencontrer, mais aussi de tous ceux à qui, pendant ses moments de liberté, elle a accordé du temps et de l’attention pour les stimuler, leur transmettre ses connaissances et les aider à progresser dans leurs études.

5 Tout cela, Marie-Thérèse ne vous l’aurait probablement jamais dit, car, tout au long de sa vie, elle a fait preuve d’une grande retenue et d’une profonde modestie. Très croyante et fidèle pratiquante, elle a toujours été très respectueuse des autres.

6 A l’occasion, elle pratiquait l’humour, mais elle restait, là aussi, fidèle à elle-même, c’est-à-dire mesurée.

7 Mais à côté de l’étude et des livres, Marie-Thérèse a eu d’autres passions : les voyages dans de nombreux pays d’Europe et aux Etats-Unis, les musées et les cathédrales, la musique classique, les vacances en Valais pour y faire de longues promenades et, bien

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sûr, des escapades à St-Aubin, en compagnie de sa soeur cadette, Anne-Marie, dont elle s’est occupée depuis toute petite, car toutes deux étaient encore très jeunes lorsque leur père est décédé.

8 Le bonheur et le bien-être de sa sœur, pour qui elle avait une immense affection, ont été une préoccupation constante pour Marie-Thérèse. C’est à fin janvier 2015 que Marie-Thérèse, qui était atteinte dans sa santé, est entrée à la Résidence des Chênes, à Fribourg. Sa sœur l’a rejointe un mois plus tard.

9 Au cours de son séjour à la Résidence, Marie-Thérèse a dû subir diverses opérations auxquelles elle a fait face avec un courage et une volonté exemplaire. Mais en dépit de son état de santé, elle a pu ou su partager d’agréables moments, en compagnie de sa sœur, des amis qui venaient leur rendre visite, ainsi que du personnel de la Résidence, qui a toujours fait preuve de chaleur et d’humanité.

10 Marie-Thérèse s’en est allée au soir du 8 juin. Elle venait d’avoir 82 ans.

11 Merci Marie-Thérèse pour tout ce que tu nous as appris. Merci pour tout ce que tu nous as donné. Merci pour tout ce que tu nous as dit. Parfois du bout des lèvres. Et que nous avons accueilli du bout du cœur.

AUTEUR

FRANÇOISE MORVANT Juriste, Fribourg (Suisse)

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Un exemple de plurilinguisme vécu au quotidien

Marie-Thérèse Weber

Article paru dans Éducation et Sociétés Plurilingues n° 32, pp. 89-90, en 2012.

1 Sophia vit avec son mari Ali et leur fille Nejma1, âgée de douze ans, à Fribourg, ville suisse bilingue. Jeune femme dynamique, elle travaille, en tant que traductrice à Berne, ville voisine située en Suisse alémanique. Le parcours de vie et les activités professionnelles de Sophia illustrent un plurilinguisme vécu au quotidien.

2 Née à Berne d’une mère suisse alémanique et d’un père tunisien, Sophia, qui a un frère cadet, a passé les deux premières années de sa vie à Genève. La langue de communication de la famille était alors le français. Après ce séjour en Suisse, le couple partit avec ses enfants en Tunisie où la mère de Sophia tomba gravement malade. Sur ces entrefaites, le père décida d’aller avec les siens en Allemagne, espérant une meilleure prise en charge médicale de son épouse. C’est dans ce pays que la fillette fut pour la première fois confrontée au Hochdeutsch, mais elle y fréquenta une école francophone. En famille, la langue de communication était habituellement le français ; cependant, la maman parlait parfois en allemand à son mari. Les enfants, eux, s’adressaient le plus souvent en allemand à leur mère, tandis qu’entre eux ils communiquaient en français.

3 Sophia avait neuf ans quand sa mère mourut ; peu après, le père retourna avec ses enfants en Tunisie où ceux-ci poursuivirent leur scolarité en français. Le père de Sophia se remaria avec une Tunisienne qui avait deux enfants ayant à peu près le même âge que Sophia et son frère. L’arabe devint alors la langue utilisée en famille. Après l’obtention du baccalauréat français, Sophia revint en Suisse et vécut chez ses grands- parents maternels installés à Berne. Originaires de la Suisse centrale, ceux-ci, en plus du Hochdeutsch, parlaient un dialecte suisse alémanique. Sophia entreprit des études de biologie à l’université bilingue de Fribourg où elle suivit des cours en français et en allemand. Faisant la navette entre Berne et Fribourg, elle continuait d’habiter chez ses grands-parents. À la fin de ses études universitaires, elle épousa un Libanais qui avait

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déjà vécu plusieurs années à Berne où le jeune couple s’installa. De cette union naquit Nejma.

4 Trois ans plus tard, la famille déménagea à Fribourg. À l’exception de quelques mandats ponctuels, Sophia n’eut pas d’activité professionnelle jusqu’au moment où sa fille commença l’école primaire. En famille, on a toujours parlé arabe. Mais pour être initiée au français, Nejma fréquenta pendant deux ans, à raison de deux après-midis par semaine, une école maternelle accueillant des enfants francophones. À son entrée à l’école primaire francophone, elle n’eut aucune difficulté linguistique. Le programme, dès la troisième année scolaire, comprend aussi des leçons d’allemand et, à la fin de l’école primaire, Nejma sera initiée à l’anglais. La fillette passe la plus grande partie de ses vacances en Tunisie et au Liban dans sa famille, où elle parle arabe et est en contact avec la culture de ces pays-là. Quant à Sophia, elle travaille à 70 %, à Berne, dans une compagnie d’assurances en tant que traductrice allemand/français, français/allemand. En outre, vu ses connaissances linguistiques, particulièrement en arabe, elle est souvent appelée par la Croix-Rouge et Caritas, en sa qualité d’interprète communautaire, auprès de migrants, notamment pour des démarches administratives, des questions juridiques ou pour accompagner des patients chez le médecin, à l’hôpital. Ali, lui, travaille dans un milieu bilingue français/allemand, mais parle souvent arabe avec des amis.

5 Pour Sophia, l’apprentissage des langues s’est fait au gré des circonstances de la vie. Dès son enfance, elle a été plongée dans différentes cultures et s’en est imprégnée. À l’aise dans les divers milieux qu’elle fréquente, soit dans le cadre de son travail professionnel, soit durant ses loisirs, elle semble jongler avec les langues (arabe, français, allemand, dialecte suisse alémanique). Bien que par son domicile et ses activités professionnelles, elle baigne dans un environnement français/allemand, elle reconnaît que l’arabe reste pour elle la langue des émotions. Cette famille vit donc en harmonie avec différentes langues et cultures. La pratique du plurilinguisme fait partie de la vie quotidienne de Sophia et, heureux augure, du haut de ses douze ans, Nejma est déjà fort intéressée par l’apprentissage des langues.

NOTES

1. Prénoms fictifs.

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RÉSUMÉS

Les circonstances de la vie amènent les membres d’une famille à vivre dans plusieurs langues à la fois et en alternance.

Life circumstances cause the members of one family to lead a life in several languages, both simultaneously and alternatingly.

INDEX

Keywords : plurilingualism, life course, Switzerland, Tunisia, French, German, dialect, Arabic Mots-clés : plurilinguisme, parcours de vie, Suisse, Tunisie, français, allemand, dialecte, arabe

AUTEUR

MARIE-THÉRÈSE WEBER Professeur, Fribourg (Suisse)

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Histoire et société

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Accogliere uomini, accogliere parole. Lampedusa: una storia esemplare di ieri e di oggi.

Giovanni Ruffino

1 Per chi proviene dall'Africa, Lampedusa è la porta d'ingresso in Europa. Situata a 200 km dalla Sicilia e ancor meno dalla Tunisia, oggi è nota nel mondo per la generosità della sua gente nell'accogliere moltitudini di migranti provenienti dall'Africa in condizioni drammatiche. Io credo che questa disposizione all'accoglienza possa anche spiegarsi con la piccola storia di questo piccolo lembo di terra del Canale di Sicilia.

2 Se guardiamo al Mediterraneo con occhi da linguista, ci accorgiamo ben presto che le piccole isole meritano un discorso a parte: penso alle piccole isole della Sardegna - S. Antioco e S. Pietro -, alle isole della Campania, della Toscana, alle stesse Baleari e, infine, alle isole che circondano la Sicilia: le Eolie con Lipari, Ustica di fronte a Palermo, le Egadi con Favignana, e poi Pantelleria, Malta, le Pelagie con Lampedusa e Linosa.

3 Non si può parlare di Lampedusa senza parlare della Sicilia, e non si può parlare della Sicilia senza parlare del Mediterraneo.

4 Come ben si sa, la Sicilia è stata sin dall'antichità attraversata da correnti di lingua e cultura provenienti ora dal Nord (Normandia, Francia angioina), ora da ovest (Catalogna e Spagna), ora da Est (correnti bizantine e asiatiche), ora da Sud (Africa arabo-berbera). Lampedusa ne è partecipe di riflesso, ma la sua posizione linguistica ha una sua precisa fisionomia.

5 Se ci riferiamo alle correnti provenienti dall'Africa arabo-magrebina, Lampedusa e la Sicilia presentano condizioni analoghe. Ci sono casi in cui il dialetto lampedusano concorda con la sola Sicilia:

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6 con la Sicilia e l'Italia meridionale:

7 con l'intera penisola italiana:

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8 con la Sicilia e la Penisola iberica:

9 con la Sicilia, l'Italia meridionale, la Sardegna e la Penisola iberica:

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10 Ma al di là di queste corrispondenze areali, la situazione di Lampedusa ha una sua specificità, una singolare condizione determinata da ragioni storiche con conseguenze linguistiche.

11 Lampedusa è uno di quei luoghi in cui arrivi convinto di saperne abbastanza e da cui ti allontani carico di dubbi. Lampedusa è, in un certo modo, lo specchio in cui si riflettono contraddizioni e conflitti di questo nostro tempo, ma anche sintesi sorprendenti.

12 Nel passato, Lampedusa fu soprattutto un luogo di transito, priva di presenze abitative stabili, come rivelano i versi di Ludovico Ariosto (canto XL dell’Orlando Furioso), che fa di Lampedusa (Lipadusa) il teatro del decisivo duello tra Orlando, Oliviero e Brandimarte da un lato e Agramante, Sobrino e Gradasso dall’altro: D’abitazioni è l’isoletta vòta, piena d’umil mortelle e di ginepri ioconda solitudine e remota a cervi, a daini, a capriuoli, a lepri; e fuor ch’a piscatori, è poco nota, ove sovente a rimondati vepri sospendon per seccar l’umide reti: dormono intanto i pesci in mar quieti.

13 Terra di insediamenti più o meno effimeri (nordafricani, fenici, greci, romani, maltesi, siciliani e italiani del Sud). Terra di approdo e rifugio per cristiani in fuga dalle persecuzioni musulmane; per navi pirata, vascelli corsari, flotte crociate. Terra di eremiti di fedi diverse. Terra così remota da poterci impiantare una colonia penale dopo l'Unità d'Italia. Terra tanto vicina al continente africano da essere raggiunta da due missili libici al tempo di Gheddafi. Terra che alimenta ancora oggi due visioni contrapposte di una Lampedusa zona di frontiera da difendere e chiudere, e una Lampedusa, luogo in cui Europa e Africa s'incontrano, terra di confine da aprire a genti diverse, facendone laboratorio di cooperazione, di una visione mediterranea dell'Europa.

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14 Ecco perché la prima cosa che colpisce chi arriva a Lampedusa, purché sappia ascoltare, è un groviglio di voci che si intrecciano e si sovrappongono.

15 In questo contesto sociale, i pescatori esercitano una speciale funzione etica per la solidità dei valori che incarnano. Valori che discendono dalla storia del popolamento dell'isola, fatta di convivenze sofferte eppure rapidamente assimilate, come dimostra il particolare dialetto lampedusano.

16 E a questo proposito devo ricordare lo speciale saluto, tipico dei lampedusani: o cià! ‘fiato mio!’, che in Sicilia i genitori rivolgono ai loro bambini, ma che i lampedusani estendono all'intera cerchia amicale, e oltre.

17 Ma ora vado molto indietro con i miei personali ricordi e la mia esperienza di dialettologo.

18 Il mio primo viaggio a Lampedusa risale a oltre 40 anni fa, nell'imminenza di un congresso sulle condizioni linguistiche delle piccole isole del Mediterraneo1. Io - dialettologo alle prime armi - avevo programmato una relazione sul dialetto delle Pelagie, sicché dovetti esplorare la varietà lampedusana, allora del tutto sconosciuta. Sbarcando a Lampedusa avevo ben presente il quadro assai diversificato dei dialetti siciliani2, e andavo chiedendomi in quale tipologia linguistica avrei potuto includere quel dialetto.

19 Ascoltando e interrogando i lampedusani emergevano caratteristiche di un dialetto non classificabile all'interno del quadro delle varietà siciliane. Quello lampedusano era un dialetto nel quale convivevano caratteristiche trapanesi, palermitane, agrigentine, messinesi, eoliane, campane, persino nord-africane: un sincretismo linguistico non immaginabile, che aveva conquistato una sua stabilità3.

20 Tra le varietà dialettali conviventi a Lampedusa, spiccano le affinità con i dialetti messinesi, riconducibili a Lipari, nelle isole Eolie. Si intravede, inoltre, l'affiorare di certe isoglosse (che chiamerei micro-insulari) che congiungono Lipari a Lampedusa attraverso l'isola di Ustica4, le Egadi5 e in qualche caso Pantelleria6.

21 Ma a questo punto del nostro discorso occorre cercare di comprendere le speciali dinamiche che hanno determinato una situazione linguistica tanto singolare: occorre, cioè, risalire alle ragioni per le quali il dialetto di Lampedusa, nella sua struttura estremamente composita, si riconnetta a quelli che furono i momenti salienti del popolamento dell'arcipelago. Ed è anche singolare il fatto che un dialetto come quello lampedusano, che appare come il risultato dell'iniziale coesistenza di numerose varietà locali, si sia potuto stabilizzare in un tempo relativamente breve, come sistema di tutti i lampedusani. Ma bisogna pure dire che, ad accelerare tale processo di conguagliamento, avrà indubbiamente contribuito la grande coesione tra gli abitanti, in larga misura dediti ad una medesima attività lavorativa - la pesca -, tutti operanti entro gli stessi ristretti limiti spaziali, tutti solidali nella loro insularità.

22 Cos'era accaduto, dunque?

23 Era accaduto che il 18 settembre del 1843 due piroscafi della real marina borbonica, il "Rondine" e "L'Antilope", salparono dal porto di Palermo alla volta di Lampedusa. Su quei piroscafi viaggiavano 120 persone - uomini, donne, bambini - destinate a colonizzare l'isola7. L'opera di colonizzazione ebbe subito inizio con la costruzione di alcune strade e di un caseggiato colonico. Negli anni successivi continuarono a giungere altri coloni allettati dal proclama reale che assicurava denaro, terra e casa. Fu anche impiantata una colonia di domiciliati coatti, provenienti da tutta la penisola italiana.

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Molti di costoro finirono con lo stabilirsi a Lampedusa dopo aver sposato ragazze del luogo: si devono ad essi anche alcuni tratti settentrionali assimilati dal dialetto, come palanca o fregna.

24 Ma il fatto più interessante e significativo è dato dai viaggi circumsiciliani che iniziarono nella metà del XVIII secolo: eoliani che, nel 1759, viaggiavano su quattro barconi verso Ustica, allora disabitata. E poi, negli anni successivi, verso l'isola di Marettimo, nelle Egadi, e infine a Lampedusa e a Pantelleria. Una circolazione determinata da pressione demografica, crisi economiche, epidemie, che esclude l'isola maggiore, la Sicilia - che dovette essere percepita come uno sterminato continente - e si concentra su percorsi microinsulari.

25 Ritorno - per concludere - sulle riflessioni che proposi in occasione di uno degli ultimi Convegni della Società di Linguistica Italiana8: «Sono convinto che la vicenda – ardua, sofferente – del popolamento di Lampedusa possa contribuire a spiegare i tanti momenti di tolleranza e di apertura - l’umanità – dei lampedusani in un oggi ancor più arduo e lacerante, si manifesta anche nei giorni recenti. E malgrado tutto, si può dire che i discendenti dei “fuggitivi” di ieri guardano ai “fuggitivi” di oggi con occhio diverso da quello dei “continentali”, impartendo lezioni memorabili anche alla “padania” opulenta. Ancora una volta, le piccole isole si manifestano come luoghi aperti, nei quali il respiro ampio del mare prevale sulle angustie perimetrali, territoriali e anche mentali alimentate dal cinismo dei potenti, i quali pretenderebbero di farne ghetti orribili, prossimi – magari – alle ville sontuose il cui acquisto viene esibito alla stregua di miserabili slogan propagandistici. Angustie che non hanno però impedito nei secoli una sorta di migrazione microinsulare, che ha coinvolto Eolie e arcipelago campano, Ustica, Egadi, Pelagie, Pantelleria. E poi ancora le isole del medio e alto Tirreno. Migrazioni per mare, su affollati barconi, anche allora, che in qualche modo anticipano le drammatiche migrazioni intercontinentali di oggi.»

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NOTE

1. L’occasione era stata offerta dal VI Congresso internazionale dell’Atlante Linguistico Mediterraneo, tenuto a Palermo dal 7 all’11 ottobre 1975. In quella occasione presentai una relazione su Il dialetto di Lampedusa e Linosa, con particolare riguardo alla terminologia marinaresca, poi pubblicato nel “Bollettino” del Centro di studi filologici e linguistici siciliani, 13, 1977, pp. 358-382. 2. Così come risulta dal saggio fondamentale di Giorgio Piccitto, La classificazione delle parlate siciliane e la metafonesi in Sicilia, in “Archivio storico della Sicilia orientale”, IV, 1951, pp. 5-34. Il Piccitto aveva individuato le seguenti varietà areali: dialetti occidentali, distinti in dialetti trapanesi, palermitani e agrigentini occidentali; dialetti centrali, distinti in madoniti, nisseno- ennesi, agrigentini orientali; dialetti messinesi; dialetti catanesi-siracusani; dialetti sud-orientali. 3. Da una prima valutazione, su 34 tratti dialettali lampedusani esaminati, 6 richiamano le varietà siciliane occidentali, 7 quelle centrali, 11 quelle orientali, mentre 10 sono pansiciliani. 4. Cfr, G. Ruffino, Migrazioni insulari e riflessi linguistici. Il caso di Ustica, in “Studi offerti a Girolamo Caracausi”, Centro di studi filologici e linguistici siciliani, Palermo 1992, pp. 65-73. 5. Cfr. G. Ruffino, Le Egadi. Note storico-linguistiche, in “Languages of the Mediterranean”, a cura di G. Brincat, Malta 1994, pp. 150-154. 6. Fondamentali gli studi di Giovanni Tropea, condensati nel saggio lessicografico, pubblicato nel 1988 nella collana “Lessici siciliani” del Centro di studi filologici e linguistici siciliani, col titolo Lessico del dialetto di Pantelleria. 7. Una ricostruzione – con precisi riferimenti bibliografici – è contenuta in G. Ruffino, Il dialetto delle Pelagie e le inchieste dell’Atlante Linguistico Mediterraneo in Sicilia, Centro di studi filologici e linguistici siciliani, Palermo 1977, pp. 15-18. 8. G. Ruffino, Coesistenze e convergenze linguistiche nell’Italia pre- e post-unitaria, in “Coesistenze linguistiche nell’Italia pre- e postunitaria”, Società di Linguistica Italiana, Bulzoni, Roma 2012, pp. 17-31, a p. 29.

RIASSUNTI

Pour ceux qui viennent d’Afrique, Lampedusa est la porte d’entrée à l’Europe. À 200 km de la Sicile et encore moins de la Tunisie, le monde la connaît aujourd’hui pour la générosité de ses habitants qui accueillent les multitudes de migrants arrivant d’Afrique dans des circonstances dramatiques. L’auteur croit que cette capacité à accueillir peut s’expliquer entre autres par l’histoire de ce petit lambeau de terre du canal de Sicile. Si on considère la Méditerranée avec des yeux de linguiste, on se rend vite compte que ces petites îles méritent un discours spécifique. On ne peut parler de Lampedusa sans parler de la Sicile, et on ne peut parler de la Sicile sans parler de la Méditerranée.

For those coming from Africa, Lampedusa is the front door to Europe. Less than 200 ks from Sicily and even closer to Tunisia, it is known today the world over for the generosity of its inhabitants who welcome the multitudes of migrants arriving from Africa in dire circumstances. The author believes that the capacity to take in can be explained among others by the history of that small

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bit of land protruding into the canal of Sicily. If one looks at the Mediterranean with a linguist’s eye, one realizes that these small islands deserve a special mention. One cannot talk of Lampedusa without speaking of Sicily, and one cannot talk of Sicily without speaking of the Mediterranean.

INDICE

Mots-clés : Lampedusa, accueil, Europe, histoire, linguistique Keywords : Lampedusa, welcome, Europe, history, linguistics

AUTORE

GIOVANNI RUFFINO Università degli studi di Palermo (Italie)

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Val d’Aoste

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Les Sacs d’histoires : mode d’emploi

Gabriella Vernetto

1 L’école est confrontée à un contexte social multilingue et se voit de plus en plus obligée de prendre en compte la diversité des langues et des cultures présentes dans l’environnement de la classe. Ceci est d’autant plus vrai dans le contexte scolaire multilingue valdôtain qui est sensibilisé depuis longtemps au respect et à la valorisation du bagage linguistique familial de l’enfant, en considération de la vitalité des langues régionales dans la société italienne. Dans ce contexte, il est apparu prioritaire de chercher à favoriser l’ouverture aux langues et aux cultures, non seulement à celles que l’école a la vocation d’enseigner, mais aussi à celles de l’environnement familial et social des enfants. Le choix de promouvoir une éducation au plurilinguisme a motivé la recherche de méthodologies et de supports qui permettent de s’appuyer sur les compétences linguistiques des élèves pour les amener à découvrir le fonctionnement des autres langues et à développer des stratégies d’apprentissage.

2 Cet article se propose de faire le point sur le dispositif Sacs d’histoires utilisé dans les classes de l’école de l’enfance et élémentaire de la Vallée d’Aoste, dans le cadre d’activités de promotion de la diversité linguistique et culturelle et de valorisation des langues familiales des enfants.

Les Sacs d’histoires : les raisons du choix

3 Les orientations nationales italiennes de 2012 ont mis l’accent sur l’importance d’une approche plurilingue et interculturelle, à compter de l’école de l’enfance, qui permette à l’enfant de développer son identité en contact avec l’altérité et qui favorise la réussite scolaire de tous les élèves : All’alfabetizzazione culturale e sociale concorre in via prioritaria l’educazione plurilingue e interculturale. La lingua materna, la lingua di scolarizzazione e le lingue europee, in quanto lingue dell’educazione, contribuiscono infatti a promuovere i diritti del soggetto al pieno sviluppo della propria identità nel contatto con l’alterità linguistica e culturale. L’educazione plurilingue e interculturale rappresenta una risorsa funzionale alla valorizzazione delle diversità

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e al successo scolastico di tutti e di ognuno ed è presupposto per l’inclusione sociale e per la partecipazione democratica. (MIUR 2012 : 32)

4 La réforme du système bi-plurilingue valdôtain de 2016 (GROSSO 2017) a repris ces principes et les a adaptés au contexte local en introduisant la pratique des approches plurielles, et notamment de l’éveil aux langues, à partir de l’école de l’enfance. L’éveil aux langues et aux cultures, en effet, se propose de susciter des attitudes positives envers d’autres systèmes linguistiques, de valoriser l’idiome d’origine des élèves et d’ouvrir l’horizon de l’ensemble des apprenants à d’autres langues et cultures.

5 Le projet Sacs d’histoires, « Des contes dans nos langues », lancé en 2011 en Vallée d’Aoste, s’intègre dans cette perspective, la soutient et y engage les familles, car ce dispositif favorise l’implication des parents dans la transmission des langues familiales, et ce grâce à la prise en compte et à la reconnaissance de la/des langue(s) parlée(s) à la maison.

Les Sacs d’histoires : origine et évolution

6 Né en 1997 en Angleterre, en tant que support pour mieux apprendre l’anglais1, le dispositif Sacs d’histoires a évolué au Québec où il a pris une dimension bi-plurilingue d’ouverture et de valorisation des langues des élèves allophones. C’est en Suisse, en 2007, que cet outil est arrivé en Europe. Le concept s’est alors doté d’autres atouts pour motiver sa circulation dans les familles, grâce aux travaux de Christiane Perregaux et Elisabeth Zurbriggen, et de la Suisse il s’est répandu au Luxembourg, en France et en Vallée d’Aoste.

7 Le projet Sacs d’histoires en Vallée d’Aoste (Jullian 2013, Jullian et Vernetto 2016) a été mis en place grâce à un projet européen Comenius Regio2, « Des contes dans nos langues », réalisé en collaboration avec l’académie de Montpellier, et se caractérise par : • la prise en compte des langues et des cultures régionales : le français et les langues francoprovençales et Walser pour la Vallée d’Aoste, l’occitan et le catalan pour l’Occitanie ; • l’implication des enseignants et des élèves dans la création des contenus : les albums sont des productions originales des classes ayant participé à l’expérimentation et baignent, dans la plupart des cas, dans la culture locale. De l’histoire d’une péniche naviguant sur le canal du Midi (Occitanie), à la légende qui raconte l’origine du glacier du Ruitor (Vallée d’Aoste), chaque conte a été écrit et illustré par les élèves de classes pilotes.

8 Suite au succès et à la diffusion de ces premiers prototypes, d’autres Sacs d’histoires, sous le même label “Des contes dans nos langues”, sont en phase de réalisation en Vallée d’Aoste, selon les mêmes principes : la re-découverte de contes traditionnels, l’intégration dans le dispositif des langues régionales et l’originalité des productions graphiques des élèves.

Les Sacs d’histoires : les principes de fond

9 Le projet Sacs d’histoires se construit autour de livres multilingues pour enfants et, par la prise en compte des langues familiales, se propose de favoriser l’entrée dans la lecture et le développement du partenariat famille-école.

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10 Du point de vue pédagogique, il met l’accent sur la transmission familiale et le rôle éducatif que les parents peuvent jouer à l’école (Vernetto 2017), sur l’alliance éducative entre la famille et l’école (Jullian 2013), en inscrivant ce partenariat dans un véritable parcours qui respecte les responsabilités et les spécificités de chaque acteur dans son rapport à l’enfant : Non point un partenariat de substitution qui dépossède le maître de ses prérogatives ; non point un partenariat de compensation où quelques interventions récréatives viennent compenser les fastidieux cours du maître. Mais un véritable partenariat de complémentarité, préparé en commun, centré sur des acquisitions évaluées, respectueux des rôles de chacun. (Merieu 2002 : 61)

11 Du point de vue des compétences plurilingues, il ouvre aux langues familiales, indépendamment de leur statut à l’école et dans la société : L’éducation plurilingue, comme valeur, et comme principe d’organisation des enseignements en langues, est une partie constituante d’un projet qui se déploie dans un cadre englobant aussi bien les langues maternelles que les langues nationales, régionales ou minoritaires, étrangères…, qu’il s’agit alors de ne pas dissocier dans les enseignements. (Conseil de l’Europe 2007 : 71)

12 et il s’appuie sur la valorisation des connaissances des enfants en accordant une large place à la réflexion sur les langues à travers l’observation et, notamment, la comparaison, grâce aux albums plurilingues : Tout à la fois porteur de culturalité diverse et commune, de particularités sémantiques et scripturales, le livre bilingue/plurilingue ouvre à la comparaison sur les codes (développant des habiletés métalinguistiques), sur les rapports graphèmes/phonèmes et sur les aspects syntaxiques. Il constitue une nouvelle source de connaissance sur le monde et d’altérité linguistique où l’autre favorise la découverte de soi. Dans la perspective d’une reconnaissance socioculturelle et socio-langagière de tous les élèves et de leurs familles, le livre bilingue peut devenir un passeur de première importance. (Perregaux 2010 : 10)

Les Sacs d’histoires : les approches plurielles

13 Les activités que les enseignants mettent en place grâce au dispositif Sacs d’histoires sont en cohérence avec les principes des approches plurielles. Michel Candelier définit la notion d’approche plurielle comme : […] toute approche mettant en œuvre des activités impliquant à la fois plusieurs variétés linguistiques et culturelles. En tant que telle, une approche plurielle se distingue d’une approche singulière, dans laquelle le seul objet d’attention est une langue ou une culture particulière, prise isolément. (Candelier 2008 : 68)

14 et il en distingue quatre : l’approche interculturelle, l’éveil aux langues, l’intercompréhension entre langues apparentées, la didactique intégrée des langues.

15 Parmi ces quatre approches, l’éveil aux langues est bien évidemment celle qui mieux se prête à des activités en lien avec les Sacs d’histoires. Dans le cas spécifique d’application dans le cadre du projet franco-valdôtain, ce dispositif intervient dans un système qui prévoit l’enseignement précoce d’une deuxième langue (le français en Vallée d’Aoste, l’occitan et le catalan en Occitanie) et prend en compte d’autres langues que l’école n’a pas l’ambition d’enseigner, dans le but de valoriser le patrimoine linguistique familial de l’enfant.

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16 Même si elle n’est pas prévue expressément au départ, l’intercompréhension entre langues apparentées est favorisée par la présence, dans le dispositif, de plusieurs langues romanes : italien, français, francoprovençal, occitan, catalan. D’autres s’ajoutent grâce à la contribution des familles : roumain, espagnol, portugais, dialectes italiens. Les élèves remarquent facilement les liens de parenté entre tous ces idiomes et s’appuient sur les ressemblances pour mieux comprendre les contes dans des langues qu’ils ne connaissent pas.

17 Le côté linguistique est prépondérant dans le dispositif Sacs d’histoires, cependant les activités qui en découlent favorisent la décentration de l’apprenant et la construction de son identité en rapport avec l’altérité ainsi que prévu dans le cadre d’une approche interculturelle. Les nombreuses références aux cultures locales favorisent d’une part la découverte et l’appropriation, d’autre part l’élargissement et la confrontation (voir plus bas).

18 Enfin, dans des systèmes qui prévoient, à la fois, l’enseignement précoce de deux langues et l’éducation bilingue, il s’avère crucial d’agencer les enseignements de ces deux langues et de gérer l’alternance à différents niveaux. Dans le cadre de l’expérience valdôtaine, la langue de communication pour la mise en place des activités d’éveil aux langues et, donc, pour les Sacs d’histoires est, principalement, le français. Deuxième langue apprise à l’école et utilisée pour enseigner les autres matières, le français est une langue pivot pour aller à la rencontre d’autres idiomes d’origine latine comme l’italien, le francoprovençal, l’occitan et le catalan ; il appartient à l’aire gallo-romane comme le francoprovençal et l’occitan ; il est un trait d’union entre la culture locale et celle des pays francophones proches et lointains et constitue un élément facilitant le contact avec d’autres contextes multilingues ; parmi les langues romanes, c’est le français qui a la plus grande proximité géographique, lexicale et syntaxique avec l’anglais, favorisant ainsi le passage à la troisième langue enseignée et utilisée dans l’enseignement des matières dans le système scolaire valdôtain.

Les Sacs d’histoires : le contenu

19 Chaque Sac d’histoires se construit autour d’un conte et contient à son intérieur : des albums en version bilingue ou un album et ses versions en différentes langues ; un CD avec l’enregistrement audio de l’histoire dans toutes les langues concernées : ; un jeu simple, en lien avec l’histoire et que l’enfant utilise en famille ; un accessoire, un objet- surprise, permettant à l’élève de créer un lien affectif avec l’histoire et de la “vivre” : ; une fiche glossaire format A4 avec les mots-clés de l’histoire à traduire dans la langue de la famille : ; une lettre adressée aux parents et une liste du matériel pour qu’ils s’assurent que tout est remis dans le sac quand celui-ci revient à l’école.

20 Les différents supports visent des activités différentes à l’école comme en famille : • l’album sert pour raconter l’histoire, de manière classique, dans les langues de l’école et la/ les langue(s) familiale(s) ;le support audio favorise la découverte de sonorités différentes ; • le jeu constitue un moment ludique de réutilisation du lexique de l’album ; • l’objet-surprise, souvent des peluches, des marottes ou des marionnettes, permet à l’enfant de jouer l’histoire ; • la fiche glossaire est le trait d’union concret entre la famille et l’école et, par la découverte de mots-clés en plusieurs langues, donne lieu à des activités de comparaison en classe ;

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Les Sacs d’histoires : un voyage au fil des semaines

21 Les étapes principales de la mise en place du dispositif Sacs d’histoires sont : l’implication préalable des parents, la présentation du Sac et du conte à la classe, la tournée du Sac, les activités didactiques au retour en classe et l’événement final.

22 L’information des parents est capitale pour la bonne réussite du projet et le contact personnel serait souhaitable. Dans les Sacs distribués en Vallée d’Aoste, les enseignants trouvent un modèle de lettre en italien et en français adressée aux parents. Il vaudrait mieux, cependant, organiser une réunion d’information préalable au sujet du projet pour présenter le dispositif, l’organisation de la tournée du Sac et le rôle de la famille ; la réunion peut être l’occasion pour parler de l’importance du plurilinguisme et de la transmission des langues familiales. Éventuellement, les enseignants peuvent proposer la lecture de l’album et présenter le contenu de l’outil.

23 La découverte de l’album en classe est un autre point crucial du dispositif. Les stratégies sont multiples et peuvent varier en fonction de l’âge et du degré de familiarité des enfants avec l’outil. La première fois que les élèves utilisent le Sac d’histoires il faudra accorder plus de temps à sa présentation et à son fonctionnement. La dimension affective de sa découverte est importante et il serait opportun d’aménager des effets surprises : un personnage médiateur a envoyé le Sac ; les enfants le découvrent en arrivant en classe ; l’enseignant entre en classe avec cet objet mystérieux et invite les enfants à en explorer le contenu, à l’exception de l’objet- surprise qui aura été retiré. Certains enseignants ont fait le choix de tout montrer aux enfants, même la surprise, quand il s’agit de marottes qui servent pour raconter l’histoire, et ils ont préparé une nouvelle petite surprise que les enfants découvrent à la maison et qu’ils peuvent garder.

24 La présentation du conte peut varier aussi selon le contexte d’exploitation : • les supports : utiliser l’album pour raconter l’histoire, montrer les images au TNI/TBI, transformer les images en planches de kamishibaï3, utiliser la version sonore ou la version vidéo ; • la langue de présentation de l’album : en général, les enseignants présentent tout d’abord la version en français, mais rien n’empêche de partir d’une autre langue plus proche des enfants comme l’italien dans le cas de classes composées d’un nombre important d’élèves allophones, ou d’une langue présente dans la classe (francoprovençal, arabe, espagnol, …) ; • l’enchaînement des langues : là aussi, différentes pratiques cohabitent en fonction des objectifs de l’équipe d’enseignants : ; certains préfèrent utiliser uniquement la version française et laisser les enfants découvrir les autres langues à la maison, quitte à reprendre, pendant la tournée des Sacs, l’histoire dans d’autres versions linguistiques ; d’autres présentent l’histoire dès le départ en plusieurs langues, par exemple le français, l’italien et le francoprovençal4 ; • les lecteurs : la lecture ou la narration de l’histoire peut se faire à une ou à plusieurs voix et peut représenter l’occasion pour inviter en classe des locuteurs natifs : d’autres enseignants, du personnel scolaire, des parents, des frères ou des sœurs, des grands-parents, des stagiaires, des élèves plus âgés.

25 La présentation de l’album peut se faire dans le cadre d’un atelier lecture, moment intime et ludique de découverte de l’histoire qui laisse à une étape ultérieure sa didactisation. Au cours d’une séance de formation, une enseignante d’école de l’enfance a partagé une anecdote qui mérite une réflexion. Elle avait proposé à ses élèves la

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narration d’un conte et les enfants lui ont immédiatement rétorqué : « mais après, faut- il faire un dessin ? ». Si on intègre toute activité de lecture dans des parcours didactiques bien ficelés, ne court-on pas le risque d’enlever aux élèves le plaisir de lire et de transformer cet acte en pratique scolaire et rien de plus ? Cette réflexion s’avère particulièrement appropriée dans le cas des Sacs d’histoires qui attachent une attention particulière à la dimension affective et émotionnelle de la lecture.

26 Les activités de compréhension et d’appropriation de l’histoire sont diverses et variées. Du point de vue des compétences littéraires, les enseignants peuvent : • demander aux enfants de parler de l’histoire et de leurs passages préférés ; • leur poser des questions sur les personnages, les lieux et l’intrigue ; • leur faire dessiner un personnage ou en faire un modèle au cours d’un atelier bricolage ; • leur demander d’utiliser les images pour raconter l’histoire ; • les pousser à répéter l’histoire en utilisant des marionnettes, des marottes, des peluches.

27 Sous l’angle des compétences générales, selon une approche interculturelle et interdisciplinaire, il est possible d’exploiter les notes culturelles et de proposer aux élèves de faire des recherches, à l’aide de livres documentaires ou de vidéos, autour des : • personnages, par exemple le Drac dans l’histoire de La cornemuse languedocienne ; la Roumèque dans La toupie égarée ; la Géant dans Morena ; • lieux de l’histoire, le Canal du Midi et la Cité de Carcassonne dans l’album La péniche qui veut des couleurs : ; le pic du Canigó dans La souris qui cherchait un mari ; • aspects culturels, les landzette et les traditions du carnaval dans le conte de Cornetta ; les Walser dans Gune et Le dragon de Loo ; la musique et les instruments de musique traditionnels dans La cornemuse languedocienne et La souris qui cherchait un mari ; la fabrication artisanale des couleurs dans La péniche qui veut des couleurs ; les compétitions avec des animaux comme la course camarguaise et la bataille des vaches dans Monella ; • connaissances scientifiques, Le conte de l’edelweiss raconte la légende de l’origine de cette fleur, mais les élèves peuvent en découvrir les caractéristiques scientifiques ; Pourquoi les grenouilles ont une longue langue ? se prête à un approfondissement sur ces amphibiens, leur habitat et leur protection ; Le glacier du Ruitor présente l’origine mythique de ce glacier et les enfants pourraient chercher sa véritable origine ainsi que les problématiques liées à la fonte des glaces à l’ère du réchauffement climatique.

28 À tour de rôle, les enfants emportent le sac d’histoires à la maison. Ils peuvent le garder pendant trois jours / une semaine, en fonction du nombre d’élèves dans la classe et des Sacs que les enseignants souhaitent exploiter au cours de l’année scolaire. Le livre a déjà été présenté en classe, les enfants connaissent, donc, l’histoire et ils sont en mesure de la raconter aux parents avant de découvrir le livre dans d’autres langues. À la maison, la famille devrait prendre du plaisir autour du livre et des activités et découvrir l’objet-surprise. Il est important de préciser aux familles qu’il ne s’agit pas d’un travail scolaire, ni d’un devoir à la maison, mais d’un moment ludique de partage, de découverte, de communication et de jeu avec l’enfant. C’est d’ailleurs ce qui ressort des commentaires des parents, recueillis au cours de la phase d’expérimentation, ou des remarques faites aux enseignants ayant utilisé ce support : le plaisir de faire des activités en famille. Rares sont ceux qui l’ont considéré comme une besogne. La seule contrainte est celle de remplir le glossaire dans une langue de la famille ou étrangère.

29 Au retour des Sacs, de nombreuses exploitations pédagogiques peuvent être menées en classe et un travail important devrait être conduit autour des glossaires multilingues.

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La restitution du Sac peut faire l’objet d’un temps de parole au cours duquel l’enfant raconte son activité à la maison. Certains enseignants ont ajouté au Sac un petit cahier, le Livre d’Or, où les parents peuvent noter leurs réactions et les enfants dessiner ce qu’ils ont fait : c’est un excellent support pour pousser les élèves à s’exprimer et pour avoir un retour sur l’avis des parents.

30 Le travail autour des glossaires dépend de l’âge des élèves, des langues en jeu et des objectifs de l’équipe d’enseignants. Il peut porter sur : • le multilinguisme dans l’environnement de l’enfant : langues de l’école, de la famille, de la ville ou du village : ; les registres et les variétés de langues ; • le multilinguisme dans le monde : diffusion dans le monde, statut des langues dans les différents pays ; • la découverte des différentes langues : les langues qui se ressemblent, qui ont beaucoup d’amis, et les langues solitaires. Avec des élèves plus âgés, il est possible de travailler la notion de famille de langues et d’en construire l’arbre généalogique ; • les systèmes d’écriture : faire découvrir la diversité des écritures alphabétiques et non alphabétiques, le sens de l’écriture ; • la structure des langues au niveau lexical et morphologique : les synonymes, les emprunts, les signes diacritiques, les déterminants, le genre des noms, le pluriel...

31 Pour entretenir et développer les objectifs de l’opération, d’autres activités peuvent être prévues pendant la tournée des Sacs : • des séances de lecture avec des parents, des grands-parents ou des amis de la famille qui racontent l’histoire dans leur langue et qui parlent de leur pays / de leur culture ; • l’arbre à histoires où sont affichées les photocopies ou les photos des couvertures de tous les livres en différentes langues que les parents ont lus aux enfants ; • l’installation d’un coin de lecture et d’écoute dans la classe où les élèves ont la possibilité de découvrir des albums plurilingues accessibles en libre-service ;

32 et pour la clôture du projet : • des spectacles mettant en scène l’histoire du Sac en français et dans d’autres langues ; • un événement festif au sein de l’école : des ateliers de lecture où des parents racontent ou lisent des albums en différentes langues : des ateliers “cuisine du monde” pour découvrir les langues à travers le patrimoine gastronomique : ; une exposition de photos des différentes phases du projet ; une chorale mixte dans laquelle enfants et familles chantent les comptines et les chants appris au cours du projet ; des ateliers de graphisme et d’écriture du monde ; une exposition des affiches autour des glossaires multilingues.

Les Sacs d’histoires : un système d’accompagnement

33 Les Sacs d’histoires réalisés en Vallée d’Aoste peuvent être réservés et empruntés grâce à un système de prêt en ligne, disponible à l’adresse suivante : http:// www.crdl.scuole.vda.it/libri/login.php, et bénéficient d’un dispositif de rotation et de vérification du matériel. Les albums, les sacs et les objets qui les composent s’abîment facilement à cause du va-et-vient entre l’école et la maison et doivent être remplacés régulièrement.

34 Une partie du site des écoles valdôtaines, Webécole, recueille, en outre, toutes les informations nécessaires pour la mise en place d’un projet Sacs d’histoires : la version PDF de tous les albums en version bilingue, les traductions dans d’autres langues, les

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enregistrements sonores, les modèles des jeux, les glossaires, un kit pour les enseignants. Un canal YouTube présente la version sonore de ces contes dans les différentes langues et une émission de TV5 Monde Destination francophonie consacrée à la Vallée d’Aoste permet de mieux comprendre le fonctionnement du dispositif.

Les Sacs d’histoires : la fabrication

35 Au-delà des supports qu’il est possible d’emprunter en Vallée d’Aoste, tout enseignant peut faire le choix de créer lui-même des Sacs d’histoires adaptés à sa classe.

36 Le point de départ est le choix de l’album jeunesse en raison de son thème, mais également de son aspect ludique, permettant une expérience de la langue et des images comme sources de plaisir. Il faudra également tenir compte des capacités linguistiques des élèves et privilégier, surtout avec les petits, des textes à structures récurrentes, caractérisés par la répétition d’expressions qui facilitent la compréhension, la mémorisation, la reformulation comme, par exemple, les contes de randonnée. Le livre doit se prêter, enfin, à la mise en place d’activités corporelles, langagières, narratives, expressives et émotionnelles.

37 L’étape suivante est le choix des langues et différentes options se présentent : • choisir des albums dans le commerce qui apparaissent déjà en version bilingue, comme par exemple Je suis petite, moi ? de Nadja Wichmann, Philip Winterberg et Lena Hesse, publié chez CreateSpace Independent Publishing Platform ; • utiliser des albums qui sont édités dans différents pays et, donc, en plusieurs langues.

38 Pour des raisons de respect du droit d’auteur, il n’est pas possible de traduire des albums qui existent dans le commerce pour en faire des versions bilingues, c’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, la Vallée d’Aoste a fait le choix de réaliser et de publier ses propres albums. Il est, donc, possible de suivre la même démarche et de construire avec les élèves des livres plurilingues.

39 Une fois décidé l’album à exploiter et trouvées les versions en plusieurs langues, il faut procéder à la fabrication des éléments qui entrent dans la composition du Sac : le jeu, l’objet-surprise, le glossaire.

40 Il est possible d’impliquer les parents dans la réalisation des Sacs d’histoires, à partir de la confection du sac, du matériel et des activités qui composeront le sac. Dans ce cas, les parents pourront traduire et enregistrer l’histoire dans leur langue. Des élèves plus grands peuvent également devenir des acteurs du projet, en réalisant un Sac pour les petits et en participant dans les classes à des activités en rapport avec celui-ci.

Les Sacs d’histoires : le bilan du projet

41 Un bilan à la fin du projet serait souhaitable, surtout pour en évaluer l’impact sur les deux acteurs principaux : les parents et les élèves. Si, pour les parents, il est possible de faire recours à des enquêtes de satisfaction ou de leur demander de faire part de leurs commentaires au moyen d’un Livre d’Or ou de messages qui accompagnent le retour du sac, pour les élèves, les enseignants utilisent une activité du Portfolio européen des langues pour l’école primaire5. Il s’agit de la silhouette d’un enfant que les élèves doivent colorier en attribuant à chaque langue qu’ils connaissent une couleur différente. Elle doit être proposée avant le début du projet et à la fin pour permettre de

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vérifier l’évolution de la perception des élèves vis-à-vis de leur rapport au plurilinguisme. En général, au début du projet, les élèves pensent être en contact avec deux ou trois langues : ; à la fin toutes les silhouettes sont multicolores et le nombre des langues augmente considérablement.

Conclusion

42 Le bilan de l’utilisation des Sacs d’histoires est largement positif (Jullian et Vernetto 2015 ; Vernetto 2017) et d’autres supports sont utilisés (Vernetto 2016) et en phase de réalisation. En perspective, il est prévu d’exploiter d’autres potentialités de l’outil en élargissant la dimension plurilingue par la prise en compte des langues classiques, et notamment du latin en considération de la présence importante de langues romanes, de la langue des signes, du système d’écriture braille.

43 Il est envisagé d’ouvrir également à d’autres moyens d’expression et de communication, comme la musique et les arts plastiques, et à d’autres supports numériques. Un nouveau projet, Conter en plusieurs langues, autour de la sensibilisation à la diversité sonore et qui prévoit en plus l’utilisation d’une application plurilingue pour tablettes et smartphones, démarrera à la rentrée 2017 en Vallée d’Aoste, mais là … c’est une autre histoire qui mérite d’être racontée.

44 Notes

BIBLIOGRAPHIE

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VERNETTO G. 2017. Des parents conteurs ou comment faire entrer les langues familiales à l’école - sous presse.

Les Sacs d’histoires : http://www.crdl.scuole.vda.it/index.php/risorse-on-line/eveil-aux- langues/sac-d-histoire

Les versions vidéo en plusieurs langues : canal YouTube - https://www.youtube.com/channel/ UCASvFFsAQBVDG5PvVr8UhnQ

TV5 Monde - Emission Destination francophonie : le Val d’Aoste : http://www.tv5monde.com/ cms/chaine-francophone/Revoir-nos-emissions/Destination-Francophonie/Episodes/p-31317- lg0-Destination-Val-d-Aoste.htm

NOTES

1. Pour voir des exemples de Storysacks : http://www.literacytrust.org.uk/resources/ practical_resources_info/1751_story_sack_guide 2. Pour plus d’informations : http://www.crdl.scuole.vda.it/index.php/coop-internazionale/ comenius 3. Série de planches en papier qui racontent une histoire, chaque planche représentant un épisode du récit. Au recto, une illustration, visible du public ; au verso, un texte et la reproduction en miniature de l'image vue par le public. Le narrateur fait défiler les planches d'illustrations au fur et à mesure de la lecture de l'histoire dans un castelet en bois, appelé « butaï ». 4. Voir à ce propos la vidéo d’une enseignante de l’école de l’enfance de : http:// www.tv5monde.com/cms/chaine-francophone/Revoir-nos-emissions/Destination- Francophonie/Episodes/p-31317-lg0-Destination-Val-d-Aoste.htm 5. Le Portfolio européen des langues - modèle n. 65/2004 validé par le Conseil de l’Europe - peut être téléchargé librement à l’adresse suivante : www.scuole.vda.it/images/adattamenti/ primaria.zip

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RÉSUMÉS

Following a Comenius Regio European partnership set up in collaboration with the Montpellier school authorities, the Story Bags were experimented in the Valley as of 2011 and remain constantly in use in the schools of the Region, mainly at the kindergarden and elementary school levels. The article updates the ways they are applied in the classes, as part of the promotion of linguistic and cultural diversity and children’s home languages, stipulated in the new reform of the Region’s bi-plurilingual system.

Sperimentati in Valle d’Aosta, sin dal 2011, a seguito di un progetto di partenariato europeo Comenius Regio, realizzato in collaborazione con l’académie de Montpellier, i Sacs d’histoires sono regolarmente utilizzati nelle istituzioni scolastiche della regione, in particolare alla scuola dell’infanzia e primaria. L’articolo si propone di fare il punto sulle modalità di utilizzo nelle classi di questo strumento, nel quadro di attività di promozione della diversità linguistica e culturale e di valorizzazione delle lingue familiari dei bambini, previste dalla nuova riforma bi-plurilingue regionale.

INDEX

Keywords : plural approaches, childhood, home languages, family-school link, plurilingualism Parole chiave : approcci plurali, infanzia, legame famiglia e scuola, lingue della famiglia, plurilinguismo

AUTEUR

GABRIELLA VERNETTO Région autonome de la Vallée d’Aoste (Italie)

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Situation actuelle du français en Val d’Aoste Enquête et résultats

Tristan Hauff

1 En marge de notre mémoire sur les aspects phonologiques et sociolinguistiques actuels du français en Vallée d’Aoste (VDA), nous allons présenter un chapitre traitant de la situation actuelle de la langue, perçue notamment au travers d’interviews réalisés sur place. Ces entretiens d’une trentaine de minutes, ayant pour but d’établir un profil sociolinguistique des locuteurs francophones, nous ont en outre permis de rassembler des informations très intéressantes sur les attitudes et visions des Valdôtains quant à la situation actuelle du français dans leur région. 24 personnes ont été interviewées, de sexes, âges, milieux et langues maternelles différentes (italien ou francoprovençal).

2 Dans cet article, nous allons dessiner les contours de la situation sociolinguistique actuelle en VDA, en mettant naturellement l’accent sur la langue française, en prenant en compte les points de vue des locuteurs francophones valdôtains interviewés. Nous ferons premièrement le constat de l’utilisation réelle des langues de la VDA en nous appuyant sur des statistiques récentes. Puis, nous parlerons de la politique linguistique de la région au niveau éducatif et de la vie publique pour connaitre les grandes lignes de l’administration régionale vis-à-vis du français et répondre à cette question : Dans une VDA italianisée, comment se déroule la sauvegarde de la langue française dans la pratique ? Il convient donc aussi d’étudier le rapport direct qu’ont les locuteurs avec celle-ci : Sur quelles normes se base leur français en VDA, comment les locuteurs perçoivent-ils leur propre langue, et aussi quelles sont les attitudes linguistiques affichées par les Valdôtains quant au français.

Usage réel et statistiques : langue véhiculaire ou langue de contact

3 Pour nous rendre compte de la présence réelle des langues majoritaires de la VDA (italien, francoprovençal et français), nous allons nous appuyer sur une enquête

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réalisée par la Fondation Émile Chanoux en 2003, se présentant comme « le premier recensement linguistique réalisé en VDA depuis 1921 (date du dernier recensement comportant une question sur la langue) ». Cette enquête a pour but de « mettre en lumière la situation présente et la probable évolution future de la situation linguistique en VDA ». En tout, 7250 questionnaires ont été renvoyés par des locuteurs de toutes tranches d’âge et de toutes communes de la Vallée. En premier lieu, nous pouvons remarquer que 87,79 % des interrogés ont choisi de répondre à leur questionnaire en italien, contre 12,12 % en français (pourcentages pondérés). Quant à la question de la langue maternelle, 71,58 % des locuteurs déclarent avoir l’italien comme langue première, 12,16 % le francoprovençal et 0,99 % le français (1,09 % des personnes interrogées sont nées en France). Ces premiers résultats sont assez catégoriques : Le français n’est ni la langue véhiculaire ni la langue maternelle des Valdôtains. On note tout de même la présence non-négligeable du francoprovençal : 12,16 % l’ont comme langue maternelle, et 67,35 % affirment le connaître. Cependant, il est important de s’intéresser à d’autres aspects linguistiques qui caractérisent le français en VDA outre l’usage courant. En effet, il est intéressant de noter la vision culturelle et patrimoniale qu’ont les Valdôtains du français : si on leur demande à quel groupe linguistique ils estiment appartenir, on s’aperçoit que la langue française apparaît chez 8,4 % des interrogés (en plus d’autres langues pour la quasi-totalité). Lorsqu’il s’agit de la question « En quelle langue lisez-vous livres, revues, journaux ? », 23,94 % ont répondu « italien-français », ce qui confirme l’hypothèse que le français est bien présent sous d’autres formes que le véhiculaire (31,80 % ont de plus déclaré regarder la télévision en « italien-français »). Au niveau de l’éducation, 54,01 % choisiraient l’italien et le français comme langues d’enseignement, seuls 14,51 % ne choisiraient que l’italien.

4 La question que l’on se pose est donc : La VDA est-elle bilingue ? 78,36 % disent « bien » ou « assez bien » comprendre le français, 58,06 % affirment « bien » ou « assez bien » le parler, et les chiffres sont similaires quand il s’agit de le lire, et sont plus faibles lorsqu’il s’agit de l’écrire. Les conclusions que nous pouvons avancer à l’issue du sondage de la Fondation Chanoux sont les suivantes : le français n’est pas une langue véhiculaire, mais est connu par la majorité à des degrés différents. Il occupe donc une place spéciale dans l’espace linguistique et côtoie l’italien, qui est la langue dominante dans la grande majorité des domaines en VDA. Le francoprovençal, quant à lui, occupe une place importante dans les vallées reculées et est la langue d’usage d’une partie des Valdôtains. Dans beaucoup de communes de ces vallées, la majorité des locuteurs utilise l’italien et le francoprovençal comme langues de conversation. Exemple de la commune d’ (environ 600 habitants) à la question « Quelles langues et/ou quels dialectes utilisez-vous lorsque vous êtes avec vos amis ?”, 35,23 % ont répondu italien - francoprovençal (Patois) et 26,94 % francoprovençal (Patois)1.

Politique linguistique/Glottopolitique

5 Après avoir pris connaissance du degré d’usage des trois principales langues de la VDA, nous allons nous pencher sur la gestion officielle du français. En effet, la Région administrative a un grand rôle à jouer dans la conservation des langues locales. L’italien ne semble pas avoir besoin de faire l’objet de politique particulière, étant la langue première de la majorité des Valdôtains, alors que le français, n’étant au contraire pas langue véhiculaire, ne s’acquiert généralement pas par le contact social

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spontané. Il est dit que « la fonction didactique de l’enseignement est de contribuer à organiser et développer ces acquisitions par des apprentissages systématisés » (Blanchet 2012 : 164). Nous allons donc étudier le rôle de l’éducation dans le domaine de la glottopolitique (Blanchet 2012 : 156), pour ensuite nous pencher sur le rôle de la vie publique, pour voir comment le français y est utilisé.

Éducation

6 Si le français a un usage limité en VDA, la Région Autonome s’efforce de maintenir la langue française dans le paysage, notamment via l’éducation. Les recommandations données par le Conseil de L’Europe ayant pour but la généralisation de l’éducation bilingue et plurilingue, dans un document paru en 1998 (Les langues vivantes : apprendre, enseigner, évaluer), ont une grande influence. S’inspirant de ce texte, la stratégie éducative établie par la Région passe notamment par : « l’enseignement précoce des langues (italien et français en maternelle et l’anglais en primaire) », « l’usage véhiculaire des langues, particulièrement du français dans les disciplines » (Duc. Ed. 2001 : 3). Selon l’article 39 du Statut Spécial de la région, le français et l’italien sont enseignés à heures égales. En effet, l’école maternelle est régionalisée en 1972 avec pour ambition mixité et bilinguisme grâce à une méthode didactique spécifique. Des activités bilingues sont ainsi proposées (Cavalli 1998 : 28). Le même article émet aussi une ligne directrice facultative :

7 « Certaines matières peuvent être enseignées en français ». Cependant, il semble qu’il y ait un grand déséquilibre dans les écoles à ce sujet, car c’est à chaque établissement ou à chaque professeur de prendre l’initiative d’utiliser le français dans une autre matière, ce qui demande une bonne connaissance du français de la part du professeur (ce qui n’est pas systématique). Selon l’enquête sociolinguistique auprès des élèves de la dernière classe de l’enseignement obligatoire faite par Pascale Bertieux pour l’Université de Liège en 1982, à l’école moyenne, 18,5 % des élèves n’ont aucune matière enseignée en français, et 45,7 % en ont 6h par semaine. Ces statistiques sont en outre confirmées par une de nos témoins : « À l’école primaire peut-être qu’ils apprennent plus l’anglais que le français » (JB, locutrice de langue maternelle franco-provençale (FRPR).

8 Puis concernant les efforts des professeurs pour inclure le français à l’école : « il y a quelques-uns qui font plus, mais il y a beaucoup qui font rien » (JB, FRPR).

9 Le projet est là, les élèves sont compétents en français à des degrés différents, mais le constat de l’Institut Régional de Recherche Éducative (Costa, Sobrero 2006 : 69) nuance la politique linguistique : « La langue reste valorisée linguistiquement mais n’est pas valorisée dans le domaine de culture générale, vie quotidienne, compréhensions de disciplines non- linguistiques ». Ce constat nous montre bien que le français est solidement enraciné dans les écoles comme matière linguistique, mais que le manque d’ utilisation dans d’autres domaines qu’à l’école est un problème majeur pour le bilinguisme de la Vallée. De ce fait, des attitudes négatives peuvent être une conséquence de cette situation comme le dit un témoin : « il y a pas mal de jeunes qui ont une attitude de refus du français. C’est peut-être parce que l’école n’arrive pas à le véhiculer, à le proposer d’une façon plus brillante, plus active peut-être » (IM, FRPR).

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10 Le bilinguisme est alors dans ce cas éducatif, ce qui veut dire « que l’école est le contexte de référence pour l’apprentissage et l’acquisition du français » (Decime & Vernetto 2007 : 46). Une vérité qui est appuyée par un locuteur : « le français reste désormais une langue pour les écoles » (CC, FRPR).

Vie publique

11 Au niveau de l’administration, la région doit recruter si possible des fonctionnaires connaissant le français. Ceux-ci doivent passer un examen de connaissances en français, qui d’ailleurs entraîne une prime de bilinguisme, ce qui suit un « principe généralisé de compétence bilingue » (Louvin 2014 : 269). Cependant, il semble que l’utilisation du français soit assez restreinte dans l’administration2, et il n’y a pas de loi empêchant un fonctionnaire de répondre en italien à une question posée en français. On parle alors d’un droit de compréhension et non d’un droit de réponse en langue choisie. (ibid. : 269). En politique, les lois concernant la Région sont publiées dans les deux langues, et celles votées par le Conseil de la Vallée peuvent quant à elles être directement traitées en français (ibid. : 268). La parité est ainsi présente dans les textes fondamentaux de la Région, « tant pour la vie civile et les actes politiques et administratifs que pour la scolarisation » (Coste, Sobrero 2006 : 69).

12 Tous ces choix de politique linguistique peuvent être considérés comme « in vitro », traduisant la gestion du plurilinguisme par les institutions. Louis-Jean Calvet (1993) développe cette idée : « Si les choix ‘in vitro’ prennent le contre-pied de la gestion in vivo (gestion par le peuple) ou des sentiments linguistiques du locuteur, il sera difficile d’imposer à un peuple une langue nationale dont il ne veut pas » (p. 112). Cette citation peut faire penser à la situation actuelle et future en VDA, car la gestion par le peuple n’y est pas effective. Cependant, les sentiments linguistiques des locuteurs sont plus complexes, et seront traités dans la section suivante.

Norme, insécurité linguistique et hypercorrection

13 La section précédente nous a permis d’avoir une idée plus claire des statuts des langues de la VDA et de la situation de déséquilibre actuelle. Le français, présent surtout comme langue écrite, est donc principalement visible dans l’administration et dans l’enseignement. Comme nous l’avons vu auparavant, le système éducatif est un des derniers vecteurs de la langue française, mais il est aussi l’artisan de la standardisation de cette dernière.

14 C’est une réalité qui n’est d’ailleurs pas spécifique à la VDA mais qui se retrouve fréquemment (Deckert & Vickers 2011 : 39). La standardisation est en d’autres termes une idéologie du standard valorisant l’uniformité de la langue, avec sa forme écrite comme forme aboutie (Gadet 2007 : 27). Les enseignants n’étant majoritairement pas de langue maternelle française, c’est donc souvent comme une langue étrangère et non comme une langue pré-acquise que le français est enseigné. Les élèves sont ainsi traités comme « linguistiquement vides », à « remplir » par le français standard de référence (celui de Paris et du nord de la France), et non par un quelconque « français régional ». On peut mettre en parallèle la standardisation du français en VDA avec le cas français : « L’école française, par le biais des grammaires et des enseignants, tend à imposer à

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l’enfant une langue uniforme qu’il n’utilisera pas souvent ailleurs » (Boyer 1991 : 22). Si cette citation est vraie surtout pour la forme écrite du français, elle s’applique aussi pour la forme orale en VDA. En effet, la standardisation touche aussi bien l’écrit que l’oral. Afin d’illustrer cette standardisation nous pouvons prendre pour exemple une citation survenue pendant une conversation avec un lycéen (FP) : « À l’école moyenne, je disais nonante et ma professoresse m’avait dit que c’était pas faux en Belgique et j’ai continué à dire nonante parce que ma professoresse nous disait pas que c’était faux alors quand je suis allé dans le supérieur, la professoresse m’a dit ‘tu ne peux pas dire nonante’ et moi j’avais passé trois ans à dire nonante » (FC, de langue maternelle italienne (IT)).

15 Cet exemple nous montre ainsi un défaut de connaissances du français régional en VDA et des variantes voisines de la part de deux enseignants ignorant que cette variante faisait partie du français régional pour beaucoup et qu’elle est encore utilisée dans le Valais suisse voisin. Dans ce cas-ci, l’élève se retrouve alors contraint par la suite d’utiliser la forme normalisée.

16 La normalisation du français en VDA entraine des répercussions négatives pour les locuteurs, dont l’hypercorrection et l’insécurité linguistique. Celles-ci sont liées par le fait que « l’hypercorrectionisme témoigne d’une insécurité linguistique » (Calvet 1993 : 53). Lors des entretiens, nous pouvons en effet parfois observer une correction immédiate des chiffres « nonante, septante » par « quatre-vingt-dix, soixante-dix », qui sont des produits de la langue standard. Ces corrections sont majoritairement la raison non pas d’une recherche de forme prestigieuse mais plutôt de la forme « juste », et traduisent une crainte de « mal parler » (Py 2001 : 47) ou d’être « condamnés à l’erreur » (Cavalli, Coletta 2003 : 22). Pour reconnaître cette distance entre son propre idiolecte et le français « légitime », il faut donc que les locuteurs aient conscience de la différence, ce qui explique que la plupart de nos témoins ayant fait preuve d’insécurité linguistique soient ceux qui ont une bonne connaissance de la langue française, et ont tendance à sous-évaluer leur niveau face à une norme sociale externe représentée comme exigeante. Nous pouvons donc dire qu’il existe deux facteurs majeurs de l’insécurité linguistique en VDA (Cavalli, Coletta 2003 : 151) : 1. Le sentiment de ne pas avoir accès à la norme ; 2. L’absence de variété vernaculaire.

17 Ce contrôle assidu du français est une réalité en VDA, aussi bien au niveau du lexique, que de la qualité de l’expression, de la syntaxe, etc., et interroge l’avenir du français dans la région s’il n’existe pas de français non contrôlé vernaculaire présent dans l’espace linguistique. (Py 2001 : 47).

Attitudes linguistiques

18 Comme évoqué ci-dessus, le français fait l’objet d’une politique linguistique principalement « in vitro », administrée par les institutions, notamment éducatives. De ce fait, le français peut être perçu négativement par les locuteurs de la VDA, alors que d’autres le verraient comme une porte d’ouverture au monde, ou encore comme un symbole de leur identité. Nous allons à présent étudier ces différentes attitudes linguistiques que l’on trouve parmi les Valdôtains vis-à-vis du français. Nous allons nous appuyer sur les locuteurs interviewés sur le terrain ainsi que sur l’étude de

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l’Institut Régional de recherche éducative de la VDA en 2003 (Cavalli, Coletta et al. 2003).

19 Cette étude a synthétisé trois types d’attitudes principales face au français : Les attitudes esthétiques (« le français est une belle langue »), les attitudes fonctionnelles (utilité sociale par exemple) et les attitudes didactiques (« le français est plus ou moins difficile »), auxquelles nous ajouterons les attitudes historiques et identitaires (« le français est une langue du patrimoine du VDA qui m’appartient », ou au contraire, « le français est une langue étrangère qui n’est pas la mienne »). Par exemple : « Je n’ai pas une origine valdôtaine, donc non, je ne la vois pas (la langue française) comme une langue strictement liée à mes racines » (SM, IT) « Ma langue c’est le francoprovençal. Le français c’est une langue, c’est comme l’italien pour moi. […] pas ma langue. […] » (EM, FRPR)

20 En ce qui concerne les jeunes écoliers, il semble que les attitudes positives face au français viennent surtout de la part des locuteurs patoisants qui ont moins de difficultés à apprendre le français que leurs camarades italophones, pour qui l’apprentissage est plus difficile. Là, on retrouve surtout une attitude didactique qui prédomine chez les plus jeunes qui sont en voie d’apprentissage linguistique : « J’ai beaucoup de copains de classe qui parlent le patois et qui n’ont pas beaucoup de problèmes avec le français parce que le patois c’est très semblable au français, mais j’ai aussi beaucoup de copains de classe qui sont, euh, comme moi, qui ne parlent pas le patois et ils ont des problèmes à l’écrire. Et nous, nous n’aimons pas la grammaire française parce que nous la trouvons très difficile, mais les personnes, qui, qui n’ont pas de problèmes avec ça aiment le français parce que c’est une langue qui est facile pour eux, et, que, c’est une langue en plus. [..] et toutes les personnes comme moi ne l’aiment pas vraiment » (FC, IT)

21 Un changement d’attitude survient souvent plus tard. Là, certains voient un certain côté pratique dans la connaissance du français du fait de la proximité de territoires francophones, donc comme une « langue d’échange », surtout utile pour le tourisme, ou pour la famille et amis francophones. Cette perception est vécue par une majorité de nos témoins qui la nomment comme une des raisons principales de l’importance de la présence du français en VDA. « Je le vois comme une langue d’échange, ça veut dire, je l’utilise avec les étrangers, les touristes » (MC, IT). « C’est très important encore parce que pour moi, c’est un atout parce qu’on est tout près de la France, tout près de la Suisse […] C’est une langue d’échange, très vivante [...] (HS, FRPR) « C’est une langue que je parle avec des français, des francophones, ou sinon presque jamais » (MC, FRPR)

22 Les attitudes identitaires viennent quant à elles surtout de la part des locuteurs patoisants étant souvent plus ou moins engagés dans la conservation du patrimoine. Ceux-ci sont majoritairement des Valdôtains d’un certain niveau culturel qui se définissent pour certains comme des défenseurs du patrimoine, une minorité s’identifiant parfois à celle ayant protégé le français face au fascisme.

23 Nous pouvons montrer un exemple de cette attitude identitaire quand la question suivante a été posée à un locuteur : « Comment se traduit votre attachement au Val d’Aoste, par quelles actions, quelles pensées ? » « Oui, déjà en défendant les langues, ces langues (le francoprovençal et français), euh, et parce que je suis persuadé que lorsqu’on perd une langue, on perd la

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civilisation dont la langue est l’expression. Quand tu parles italien, tu penses italien. […] tu penses en tant qu’italien. Quand tu parles en français, tu penses en français, quand tu parles francoprovençal tu penses en valdôtain. C’est une représentation du monde qui est différente » (DF, FRPR)

24 D’autres témoins ont en outre exprimé une attitude similaire : « Historiquement c’est notre langue » (CA, FRPR) « Le français fait partie de tout ce qui appartient à la vallée d’Aoste » (JB, FRPR)

25 Une critique du système venant de ceux-ci qui a été relevée plusieurs fois est que le français est conservé pour sauvegarder le statut économique de la région, et non l’inverse. De plus, nous avons pu observer une critique même de la part de groupes engagés pour la sauvegarde du français : « Même les politiciens de l’Union Valdôtaine [….] dans le discours officiel ils parlent français et entre eux ils parlent patois et italien » (HS, FRPR)

26 Les Valdôtains peuvent donc se diviser en quatre catégories suivant leurs attitudes linguistiques (catégories inspirées de l’étude de l’IRRE-VDA, 2003 : 562) : 1. Ceux qui se considèrent francophones en considérant le français et le patois comme des langues du Val d’Aoste ; 2. Ceux qui se considèrent patoisants, et voient le français et l’italien comme des langues imposées ; 3. Ceux qui se considèrent italiens, et voient le français comme une langue « utile » (enthousiastes à orientation internationale) ; 4. Ceux qui se considèrent italiens et voient le français comme une langue imposée (sceptiques à orientation internationale).

27 Il existe donc plusieurs attitudes linguistiques3, mais si nous nous appuyons sur le sondage de la Fondation Chanoux, il apparait que la majorité (57,8 %) affirment être fiers ou assez fiers de parler français, et environ 69 % affirment qu’il est important ou assez important de connaître cette langue pour être valdôtain. D’autre part, on peut relever que plus de témoins interrogés ont répondu se sentir italien plutôt que de se sentir valdôtains et que seuls 2,01 % des interrogés ont répondu le français pour la langue à laquelle ils se sentent le plus attachés.

28 Donc, même si les attitudes divergent beaucoup, il semble que la majorité des Valdôtains voient dans le français un élément important de leur patrimoine, ou ayant du moins une certaine utilité. Si cette théorie s’applique surtout pour les Valdôtains ayant un sentiment identitaire prononcé, il semble que les immigrés étrangers ne voient pas le français comme une porte d’accès à l’intégration dans la société, et que de nombreux immigrés italiens voient quant à eux le français comme une langue qui leur est imposée (D’après nos expériences personnelles sur place relatées dans notre mémoire). Les attitudes négatives face au français semblent être courantes en VDA selon nos témoins qui déclarent : « Il y a un refus du français assez net » (MCC, IT) « Quand tu parles français on te regarde mal, quand tu parles patois encore pire » (MCF, FRPR) « L’attitude ‘à quoi ça sert’ » (IM, FRPR)

29 Un témoin (JB, FRPR) nous a en outre fait part d’expériences personnelles où des moqueries subies à son encontre, voire des « signes de racisme » qui se sont fait entendre vis-à-vis du français. Notamment à l’Université d’Aoste où le personnel n’a pas été en mesure de répondre en français.

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30 Malgré les 69 % cités ci-dessus, il est donc important de contraster ce chiffre avec l’usage réel de la langue française aujourd’hui dans la région, c’est- à-dire très restreint, limité à des contextes bien précis, et qui observe un déclin constant depuis la période fasciste.

Conclusion

31 Dans cet article, nous avons donc mis la langue française de la VDA en contexte et en perspective. Nous pouvons tirer quelques conclusions clés : Le français n’est pas langue véhiculaire en VDA. Il est connu à des degrés différents par une grande partie des Valdôtains, mais seule une minorité, souvent patoisante, le maîtrise vraiment. Cette maîtrise est presque toujours accompagnée d’une « raison » : identitaire, professionnelle, familiale, etc. Néanmoins, le français reste une des deux langues officielles de la région et fait l’objet d’une politique linguistique presque obstinée, notamment dans l’enseignement afin de conserver la langue dans le paysage valdôtain. Cette politique entraine des attitudes négatives dans certains cas, où des Valdôtains perçoivent le français comme une imposition, au contraire d’autres résidents engagés pour la protection de celui-ci, perçu comme un élément clé de leur patrimoine.

32 Le français est à présent langue seconde pour une partie des Valdôtains seulement, et langue étrangère apprise par le biais scolaire pour beaucoup. Nous n’assistons plus à une coexistence des deux langues mais à une survie du français face à la suprématie linguistique de l’italien. Malgré cela, le français est toujours présent officiellement et reste visible sur la scène valdôtaine. Si sa forme écrite est la plus manifeste de nos jours, nous rappelons qu’environ 58 % des Valdôtains ayant répondu au sondage de l’association Chanoux prétendent « bien » ou « assez bien » parler le français. Mais de quelle manière, et selon quelles normes ? Si nous nous sommes efforcés de passer en revue ce sujet, il semble que certains Valdôtains ne savent pas où situer leur français. Un témoin s’interroge : « On a une connaissance du français mais je n’arrive pas à comprendre à quel niveau » (RM, FRPR).

33 Afin de contribuer à une meilleure prise de conscience et à la reconnaissance du français régional de la Vallée d’Aoste, nous avons entrepris, en plus du travail de sociolinguistique présenté en partie dans cet article, une étude phonologique visant à répertorier officiellement le parler oral des Valdôtains dans notre mémoire (Hauff 2016), qui peut être consulté à l’adresse suivante : https://www.duo.uio.no/handle/ 10852/51526

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NOTES

1. http://www.fondchanoux.org/recherchelinguistique.aspx., 2013

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2. En effet, le cas où un fonctionnaire de la Région n’a pas été en mesure ou a refusé de nous répondre en français durant le séjour sur le terrain ne fut pas inhabituel. Une réalité qui nous a été confirmée par une locutrice, qui nous a raconté plusieurs épisodes notamment à l’Université d’Aoste où le personnel n’a pas été en mesure de lui répondre en français, tout en subissant des moqueries pour ce choix de langue (épisode relaté plus bas dans l’article) 3. Notons que les locuteurs interviewés dans le cadre de notre enquête sont tous francophones et ont pour la plupart une très bonne connaissance du français, ce qui implique souvent un engagement personnel dans l’apprentissage de la langue, traduit par des motivations identitaires, fonctionnelles ou encore familiales.

RÉSUMÉS

Se basant sur son mémoire universitaire, l’auteur traite de la situation actuelle de la langue en Val d’Aoste, perçue notamment au travers d’interviews réalisés sur place. Ses constats sur l’utilisation réelle des langues s’appuient sur des statistiques récentes et ses entretiens. La politique linguistique de la région au niveau éducatif et de la vie publique est scrutée pour connaitre les grandes lignes de l’administration régionale vis-à-vis du français et de répondre aux questions suivantes : dans une VDA italianisée, comment se déroule la sauvegarde de la langue française dans la pratique ; comment les locuteurs perçoivent leurs propres langues ; et quelles sont les attitudes linguistiques affichées par les Valdôtains quant au français.

Taking off from his Master’s dissertation, the author discusses the linguistic situation in the , as perceived in particular in the interviews he carried out there. He backs up his observations of the actual use of the languages by recent statistics and his interviewees’ declarations. The Region’s language policy both in education and administration is analyzed to get an idea of the general, official approach to French and to begin answering the following questions: in this Italianized Region, in what practical ways is the French language preserved; how speakers view their own languages; and what the attitudes towards French are, as expressed by the inhabitants themselves.

INDEX

Keywords : Aosta Valley, survey, language policy, attitudes, preserving the French language Mots-clés : Vallée d’Aoste, enquête, politique linguistique, attitudes, français en VDA

AUTEUR

TRISTAN HAUFF Université d'Oslo (Norvège)

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Didactique & enseignement bi/ plurilingue

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Come rompere la routine e lavorare le competenze orali in classe di FLE raccontando una bella storia

Luigi Zammartino

1 Storie e racconti partecipano attivamente alla costruzione della personalità dei nostri apprendenti e sono anche eccellenti mezzi pedagogici per il raggiungimento, sotto forma ludica, di obiettivi prestabiliti. Da anni lavoro le competenze orali della L2 lingua francese nelle classi della Secondaria Di Primo Grado raccontando storielle, ma l’idea di questo articolo nasce solo in seguito ad un atelier sul tema che ho animato in qualità di formatore dei formatori. Da un’indagine – circa 150 questionari somministrati ex post a formatori FLE di ogni ordine1 – risulta in percentuale maggiore che in classe si lavora l’orale a partire dalla comprensione di un testo scritto o attraverso uno scambio di domande e risposte tra insegnante e alunno o tra alunno e alunno, con la conseguenza che i discenti hanno spesso difficoltà a trovare le giuste parole e sono alquanto impacciati a comunicare in pubblico. Le prolungate pause dovute alle esitazioni dell’alunno che tarda ad esprimere la sua preferenza tra possibili soluzioni ad una domanda non stimolano l'apprendimento attivo, né un'autentica partecipazione alla lezione, contribuendo a distrarre e demotivare l’intera classe. Risulta altresì dall’indagine condotta, che oltre l’80% degli insegnanti intervistati non racconta storie spontanee in classe – magari anche inventate al momento – per arricchire e contestualizzare il lessico, la sintassi, la grammatica precedentemente affrontati, allo scopo di ripasso e favorire la didattica dell’orale; insomma non si dà voce a brevi e divertenti racconti, per fare della lingua straniera una cosa viva, aperta all’incontro e strumento di comunicazione prima che di studio, ma ci si affida comunemente al manuale e ai suoi esercizi interattivi. Eppure, senza effetti speciali, ma con le semplici modalità di seguito riportate, i docenti che hanno partecipato alla giornata di formazione, hanno giudicato la mia attività didattica di «ascoltare storielle e rispondere alle sollecitazioni del narratore» molto coinvolgente: • diviser la classe en trois équipes • expliquer le brouillon de prise de notes

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• expliquer comment répondre aux questions • présenter le règlement du tournoi parole • valider les points

2 La sana competizione è un mezzo utile per stimolare la motivazione ad apprendere. Far parte di una équipe valorizza e responsabilizza il discente. Dividendo pertanto la classe in 3 squadre, Bleu, Blanc e Rouge ad esempio, si permette al singolo alunno di portare avanti un progetto comune: «comprendere il più possibile la narrazione, per rispondere in maniera esatta al maggior numero di domande che di volta in volta verranno poste, al fine di contribuire al successo della squadra». Prendere appunti è anch’esso un passaggio fondamentale ed è compito dell’insegnante chiarirlo prima dell’inizio di ogni storia. Fissare nomi, numeri e passaggi cruciali del racconto, aiuta molto a ricordare, e farlo senza preoccuparsi delle regole scritte, induce l’apprendente a concentrare le sue attenzioni tutte sull’ascolto. Si dirà inoltre, prima di dare inizio al racconto, che lo stesso segue un andamento guidato e, poiché sotto forma di ridondanze e di ripetizioni saranno sottolineati i suoi momenti topici, l’apprendente-uditore avrà più di un’occasione per appuntarli. Questo non significa affatto che il racconto viene narrato più volte, ma che la narrazione avviene con frasi che si collegano tra di loro con una progressione che aggiunge di volta in volta dei dati, con differenze nel tono e nell’inflessione della voce, e con la capacità di specificare meglio le sensazioni con espressioni più pertinenti, centrando l’obiettivo di cogliere maggiori dettagli. Cruccio di noi insegnanti di Langue Vivante è anche l’ostinazione dei nostri alunni nel rispondere con monosillabi. Appunto per questo, è importante spiegare in modo chiaro come rispondere alle varie domande, rispettando sempre l’ordine degli elementi: soggetto, verbo e complemento.

3 Tipologie di domande e risposte a narrazione conclusa: • Formulata con Est-ce que, rispondere Oui o Non, e completare la risposta. • Formulata con C’est vrai o C’est faux, rispondere semplicemente Oui, c’est vrai, oppure Non, c’est faux. • Formulata su di un’ellissi narrativa, rispondere On ne sait pas.

4 Allenare gli apprendenti della L2 lingua francese a rispondere VRAI o FAUX, come a riconoscere le omissioni narrative rispondendo ON NE SAIT PAS, si avvezzano gli stessi alle procedure degli esami DELF2 per il raggiungimento delle competenze linguistiche secondo il Quadro Europeo Comune di Riferimento per le Lingue (QECRL). Anche il «turno di parola» è importante e farà parte di quel numero di regole da considerare. Prima di iniziare la narrazione è fondamentale che i nostri ragazzi abbiano chiaro quali regole devono rispettare e quali sanzioni sono previste per i trasgressori, così come quali sono i premi o i vantaggi per coloro che si comportano bene. Pertanto, la convalida dei punti è parte integrante dell’attività proposta. Si decide 1 punto per ogni risposta completa ed esatta, ½ punto per chi risponde esattamente senza rispettare la formulazione completa, e il punto passa all’altra équipe se il turno di parola è disatteso. Sulle regole pattuite non saranno ammesse eccezioni.

5 L’obiettivo primario dell’attività proposta è la partecipazione attiva della classe. Per permettere ciò ho affinato negli anni la tecnica e sono giunto alla conclusione che «il numero delle domande dovrà essere pari al numero dei componenti delle squadre». Solo in tal modo si è certi che tutti siano coinvolti. Essendo un’attività di squadra, è compito dei componenti la squadra stessa decidere chi dovrà rispondere alle domande più difficili o a quelle più tarate. È ammesso altresì un tutor per chi è confuso o

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demotivato, e questa risorsa aiuterà tutti a crescere. Un’attività didattica funziona del resto se in classe tutti sono coinvolti e non solo quelli più bravi o brillanti!

6 Ecco un esempio di attività narrativa svolta nelle classi prime (età media dei discenti 10/11 anni), periodo fine gennaio, della Secondaria di Primo Grado. Il francese nel curricolo d’Istituto è seconda lingua straniera, per un monte ore annuale di 66, suddivise in 2 ore settimanali; il livello linguistico è quello principiante. L’attività proposta tiene conto delle conoscenze pregresse dei discenti quali: se présenter et présenter quelqu’un; les parties du corps; la famille; les couleurs… Partendo da tali prerequisiti, lo scopo principale dell’attività è guidare lo studente verso un apprendimento autonomo: Dans cette histoire il y a deux personnages: un garçon et une fille! Le garçon s’appelle Antoine, … la fille Assuntina. Vous avez déjà très bien compris que le garçon, il est français et que la fille, elle est napolitaine! Antoine a vingt-deux ans, il est français, oui c’est vrai il est français … mais attention il habite Naples et il est chef dans le restaurant de sa famille. Sa famille se compose de cinq personnes, c’est- à-dire sa mère, son père, deux sœurs et lui. Antoine aime beaucoup sa famille et son travail! Assuntina a dix-sept ans et 364 jours, elle, demain, aura dix-huit ans! L’anniversaire d’Assuntina arrive demain, c’est-à-dire le 8 juillet! À l’occasion, son père, lui organise une grande fête, une immense fête, 290 invités plus ou moins! Oh là là… 290 invités… Assuntina est petite et mince, elle est très sportive: elle fait du tennis, de la natation et de l’équitation . Antoine ne pratique pas de sport! Antoine est grand et robuste, il a les yeux verts et les cheveux courts et noirs! Les cheveux d’Assuntina sont blonds et longs. Ses yeux sont bleus, bleus clairs comme la mer! Et … c’est à la mer qu’on fête l’anniversaire d’Assuntina! Une belle et grande fête de 290 invités… c’est au restaurant d’Antoine que le père d’Assuntina a tout organisé pour la fête de dix-huit ans de sa fille! Voilà… l’histoire prend du terrain… Au restaurant les invités mangent, il mangent beaucoup; dansent, il dansent beaucoup: chantent-ils? Ils chantent beaucoup! Il fait beau, il fait chaud … et dans le noir le gâteau arrive. Un gâteau à cinq étages au chocolat. Un, deux, trois, quatre, cinq étages… oh là là… Les 18 chandelles roses sont allumées … et le beau visage d’Antoine qui porte le gâteau s’illumine … ses yeux verts s’illuminent, ses cheveux noirs s’illuminent … Antoine porte le gâteau et tout le monde chante: bon anniversaire Assuntina … bon anniversaire à toi … mais … attention Assuntina est hypnotisée … elle regarde Antoine, elle regarde ses yeux verts… et Antoine, lui aussi, il est hypnotisé: il regarde Assuntina, il regarde ses yeux bleus clairs, il regarde ses cheveux blonds. BOOM … pour regarder fixement Assuntina, Antoine trébuche … et le gâteau tombe sur la tête du père d’Assuntina … Oh mon Dieu … le chocolat est partout … sur sa tête, dans ses oreilles, sur son nez … partout! Pour l’instant la narration s’ arrête …

7 Per avere un clima disteso e partecipativo, per migliorare l’attenzione e la comprensione, bisogna sfruttare al massimo tutti i margini di autonomia che l’insegnante ha a sua disposizione; pertanto la narrazione di storielle, per lavorare le competenze orali, in classe deve essere supportata da: • Du non verbal • De la voix • Des pauses • Des silences • Des regards

8 Gli studenti prestano molta attenzione ai nostri gesti e ai nostri movimenti. Giocare con la voce è uno dei nostri strumenti principali: spezza il ritmo della lezione e rompe la monotonia. Le nostre storie devono essere supportate quindi da stratagemmi di

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comunicazione non verbale, da sorrisi, da occhiate rasserenanti. Devono essere sostenute da gesti metaforici che descrivano i contenuti semantici che si stanno narrando o semplicemente corredate di gesti ritmici di battuta che scandiscano aspetti particolari del discorso. Le pause e i silenzi sono molto significativi ed è importante farli apprendere! Ma soprattutto le nostre storie devono avere l’aria d’essere improvvisate! Non bisogna leggerle: evitare di tuffare il capo nel testo – per intenderci – vuol dire molto, molto più di quanto non si pensi! Inoltre, raccontiamo solo storie divertenti; talvolta basta davvero poco per catturare l’attenzione. Se la protagonista della nostra storia fosse stata Marie-France o Chantal, cliché dei nostri manuali, avrebbe suscitato in una classe della provincia napoletana lo stesso interesse di una popolarissima Assuntina? Nelle nostre storie dunque facciamo entrare il retaggio dei nostri alunni: ritrovarsi nei racconti è il modo migliore per avvicinarsi e partecipare!

9 Alla fine della narrazione facciamo rimbalzare alla lavagna interattiva le varie domande: 1. Comment s’appelle le père d’Antoine? 2. C’est vrai qu’il fait mauvais temps? 3. Combien sont-ils les personnages de l’histoire? 4. Comment se compose la famille d’Antoine? 5. A-t-il, Antoine, des frères? 6. De quelle couleur sont les cheveux d’Assuntina? 7. Quel âge a Antoine? 8. Quand arrive l’anniversaire d’Antoine? 9. Quand arrive l’anniversaire d’Assuntina? 10. Combien sont-ils, plus ou moins, les invités? 11. Le restaurant se trouve-t-il à la montagne? 12. Où habite Antoine? 13. Antoine, est-ce qu’il est content d’être chef? 14. C’est vrai que les yeux d’Assuntina sont-ils marron? 15. Comment s’appelle le restaurant? 16. Etc. etc. etc.

10 Questa attività didattica permette all’insegnante una verifica orale completa (ascolto, comprensione e produzione) di ripasso dei principali argomenti trattati, coinvolgendo l’intera classe e impiegando un’unica ora di lezione, ma è anche un punto di partenza per la messa in opera di una quantità di successive esercitazioni interessanti all’interno di una classe o di consegne per il lavoro a casa. Se ad esempio in classe si è lavorato esclusivamente sulle competenze orali, a casa, viceversa, gli alunni potranno esercitarsi su quelle scritte, operando una breve produzione che va dalla semplice ma simpatica ricerca di «Donnez un titre au conte» oppure «Rédigez un texte bref» magari indicando il numero delle parole minime o massime da impiegare per fantasticare sul finale della storia!

11 Se desideriamo far sviluppare le competenze linguistiche ai nostri alunni, bisogna che il discente sia attivo nei suoi apprendimenti, vale a dire che le attività che noi insegnanti gli proponiamo abbiano del senso per lui e lo motivino a comunicare in L2. Raccontare storie e racconti, e dare soprattutto l’impressione che questi nascano e crescano dal nulla, porta gli alunni a familiarizzare con la pronuncia e la prosodia. Le strutture

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grammaticali presentate in questo contesto ludico, e ripetute ad oltranza, permettono il loro apprendimento in maniera implicita, la loro appropriazione e la loro memorizzazione senza noia. Raccontare storielle, per di più, fa sì che la comprensione linguistica avvenga soprattutto attraverso un canale emotivo e che il godimento promosso dall’ascolto lasci abbassare il filtro affettivo, con la conseguenza che quel sentimento di frustrazione generato di norma dal fatto di non conoscere il significato di tutte le singole parole sia in parte annullato. Infine, raccontare permette all’alunno di reperire degli indizi visuali e uditivi. Nella lingua materna un gran numero di questi sono necessari per giungere a diversi stadi di comprensione. Durante una sequenza di lingua straniera, per arrivare al senso l’alunno avrà bisogno dapprima di questi aiuti extra-linguistici, e tali possono essere dei gesti, delle particolari intonazioni effettuate dall’insegnane, o altrettanti espedienti che diano vita alla storia e che la rendono comprensibile.

NOTE

1. I questionari sono stati somministrati nell’ambito della giornata di formazione AU FIL DU FLE, 16/11/2016, organizzata dalla Associazione culturale italo-francese Francofil, in partenariato con l’Institut français-Italia e l’Institut français–Napoli, formazione rivolta a docenti di lingua francese degli istituti di ogni ordine e grado e docenti di discipline non linguistiche (DNL) secondo la metodologia CLIL/EMILE della regione Campania. 2. Gli esami DELF (Diplôme d'études en langue française) e DALF (Diplôme approfondi de langue française) sono composti da 6 diplomi indipendenti, di difficoltà progressiva, che corrispondono ai 6 livelli del Quadro Europeo Comune di Riferimento per le Lingue (QECR) prodotto dal Consiglio d’Europa. Sono 4 diplomi per il DELF e 2 per il DALF, ottenibili separatamente l’uno dall’altro, anche in centri d’esami diversi. Il DELF e il DALF sono costituiti da 4 prove che valutano le 4 competenze: comprensione e espressione orale, comprensione e espressione scritta. Entrambe le certificazioni sono sottoposte all’autorità di una specifica Commissione nazionale con sede presso il CIEP (Centre International d’Études Pédagogiques). I diplomi DELF e DALF sono senza limiti di validità e riconosciuti a livello internazionale.

RIASSUNTI

L’attention et la mémoire sont deux clefs de tout apprentissage. Travailler l’expression orale en approche communicative – à travers la narration d’histoires actives fondées sur les critères de questions posées, de prises de notes, de chevauchements de parole et interruptions – permet de développer l’attention, d’enrichir les productions langagières et d’évaluer les élèves sous une forme ludique. L’article propose une séance didactique d’une heure dans le cadre de l’enseignement du français deuxième langue vivante à des collégiens italiens de niveau débutant.

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Dans cette méthode, pratiques et contenus interagissent, ils sont sans cesse réflexifs l’un par rapport à l’autre, tout en favorisant la participation équitable des élèves et la progression des compétences d’interaction verbale, qui représente l’un des aspects les plus importants de l’acquisition d’une langue étrangère.

Concentration and memory are two keys to language learning. Working on oral expression in a communicative approach – telling lively stories by asking questions, taking notes, listening to everyone talk at the same time and interrupting – allows developing pupils’ concentration, enriching their verbal productions and evaluating them in a playful way. The article proposes one hour of didactics in a class of French as a foreign, living language, with Italian beginners in a secondary school. In this method, practices and content go together, constantly mirroring each other while insuring each pupil’s participation and improving their capacity to interact, which is one of the most valuable competences of foreign language acquisition.

INDICE

Mots-clés : narration d’ histoires, français langue étrangère en Italie, questionnaire, activité d’enseignement et d’apprentissage, collégiens Keywords : telling stories, French as a foreign language, questionnaire, teaching and learning, secondary school pupils

AUTORE

LUIGI ZAMMARTINO Istituto Tecnico Economico Statale "E. Caruso"-Napoli (Italie)

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Expériences & Recherches

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Comment travailler sur les attentats terroristes en classe de langue ?

Gérald Schlemminger

1 En tant que formateur de FLE (français langue étrangère) dans un établissement d’enseignement universitaire en Allemagne, la Pädagogische Hochschule de Karlsruhe, nous accompagnons une fois par semaine nos étudiants, futurs enseignants de FLE en Allemagne, dans une école d’application. À tour de rôle, l’un-e des étudiant-e-s fait cours ; l’enseignant titulaire de la classe de français et nous-mêmes l’observons. Après le cours, nous nous réunissons pour faire un retour sur la manière dont la séance s’est déroulée.

2 L’absence d’une étudiante nous a amené à la remplacer au pied levé devant les élèves. Ce « cours de remplacement » a eu lieu une semaine après une actualité bouleversante, les attentats terroristes à Paris, le 13 novembre 2015. Ces événements ont été repris comme sujet du cours.

3 Avant de présenter et analyser cette séance – qui, pour des raisons de formation, a été filmée – nous préciserons quelques invariants pédagogiques qui guident notre formation.

Quand l’actualité entre en classe de français langue étrangère

4 Nous présenterons les différentes phases du cours de FLE comprenant l’expression du ressenti des élèves classe de 5e (« 7. Klasse ») en rapport avec les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, la co-écriture d’un texte résumant ce vécu et la lecture- traduction d’un témoignage d’une victime des attentats.

5 La classe est composée de 19 élèves (10 garçons, 9 filles), âgés de 12 à 13 ans. Onze d’entre eux ont l’allemand comme première langue, 8 le turc. Ils suivent les cours de français depuis un an et trois mois et sont de niveau A1 (utilisateur élémentaire) selon le Cadre européen commun de référence pour les langues. Quinze élèves sont d’origine turque, issus de la 2e ou 3e génération d’immigration, ils sont de culture musulmane.

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Une élève est voilée. Les élèves sont motivés, participent, en général, activement au cours ; bien intégrés, ils maitrisent les codes et normes du système scolaire allemand. Ce sont des parents de la classe moyenne de Karlsruhe, ville de taille moyenne, qui envoient leurs enfants dans ce collège-lycée turc privé, reconnu par l’État fédéral de Bade-Wurtemberg.

Le « déclencheur de la parole »

6 Notre rôle habituel, dans cette classe, est celui de l’observateur qui accompagne ses étudiants, au nombre de cinq, lors de leur stage en pratique accompagnée. Nous sommes six jours après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris (pour l’accueil des élèves après les attentats, voir aussi Dubois & Sambe 2016).

7 Ce sont les circonstances exceptionnelles – maladie d’une étudiante et évènement sociétal exceptionnel – qui me poussent à vouloir assurer ce cours. Dans cette situation dramatique que vit mon pays, il me semble impensable de voir faire une leçon du manuel. Cela dit, j’ai vu la 7. Klasse seulement 5 fois comme observateur, je ne connais pas le nom de la plupart des élèves ; je n’ai pas pu mettre en place des lieux d’échange, des « institutions » de travail coopératif, etc. – Je me lance… J’ai juste le temps de choisir, d’une part, ce qu’on appelle en didactique de langue un « déclencheur de parole » – ici une image symbolisant les attentats à Paris (voir fig. 1) – et, d’autre part, la réaction à chaud d’une victime des attentats.

Figure « Marianne qui pleure » (Paris : Édition #LESCARTONS).

8 Afin de pouvoir mieux communiquer, nous demandons aux élèves de disposer leurs chaises en cercle. Puis nous distribuons une petite bande de scotch et quelques stylos feutres pour que chaque élève y écrive son prénom et la colle sur sa poitrine.

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Afin de pouvoir échanger et communiquer avec les élèves, il me semble indispensable que je puisse les appeler par leur prénom. Je me colle également une bande de scotch sur ma veste.

9 Cette mise en place dure quelques minutes. Nous posons ensuite le transparent de l’affiche « Marianne qui pleure » (fig. 1) sur le rétroprojecteur. Les élèves réagissent aussitôt et disent en français ou en allemand qu’il s’agit des attentats à Paris. Ils interprètent correctement le sens sémiotique de l’affiche : les couleurs de la France, le sous-titre qui fait référence à la date de l’attentant ; une personne qui pleure, le noir comme couleur du deuil. Qui est la personne qui pleure ? Nous expliquons que c’est une femme, Marianne, symbole de la France, du peuple français. Comme je ne suis pas sûr d’être compris, je dis que le symbole de l’Allemagne est l’aigle et demande quel est le symbole de la Turquie. Les élèves répondent : le croissant et l’étoile.

L’accueil des émotions et des ressentis

10 De façon un peu pesante et professorale, nous introduisons le sujet du cours : « Aujourd’hui, on va travailler sur l’attaque terroriste à Paris ». Pendant que nous préparons le transparent pour noter les réactions des élèves, nous entendons certains dire : • « Das haben die absichtlich gemacht » (Ils [les terroristes] l’ont fait exprès) • « Das haben die gemacht, damit die Franzosen mehr Angst haben » (Ils l’ont fait pour que les Français aient [encore] plus peur).

11 Nous enchaînons en reprenant et amplifiant le propos : « Bonne idée : “Ils l’ont fait exprès”. « Das haben sie absichtlich gemacht. » Comme je souhaite davantage connaître leur pensée, je pose des questions et l’échange suivant s’établit : • « Que pensez-vous de cette attaque ? Êtes-vous tristes ? »

12 Nous notons et reprenons en français ce que disent les élèves : • « Je suis triste, weil so viele gestorben sind. » (… parce que beaucoup [de personnes] sont mortes) • « Je suis triste parce que die böse sind. » (… parce qu’ils sont méchants) • Nous : « Qui est méchant, Arcan ? » (les noms des élèves ont été changés) • « Les terroristes » Par ma question « Êtes-vous tristes ? » j’induis de la compassion. J’aurais pu demander ce qu’ils ressentent face à l’attaque. Je ne le fais pas compte tenu de leur niveau de langue élémentaire et sachant qu’ils ont déjà travaillé sur l’expression d’émotions comme « je suis triste ».

13 Ensuite, Aslan dit (en allemand) que lorsqu’il y a des morts à Paris, tout le monde en parle. Mais dans d’autres pays, beaucoup plus de gens meurent (par des actes de guerre ou de terrorisme) et personne ne s’y intéresse. J’accueille ce désarroi, le note tout en lui demandant à quels pays il pense. • « Syrie wegen Krieg, Irak, Mali, Palestine » (La Syrie, à cause de la guerre…). Je sens qu’Aslan formule un sentiment d’injustice. Il me semble important non seulement d’accueillir ces propos mais, dans la mesure du possible, d’y apporter des éléments de compréhension : • Nous : « La question se pose : pourquoi parle-t-on de Paris ? Pourquoi on ne parle pas du Mali ? Pourquoi on ne parle pas de la Palestine ? Pourquoi on parle de Paris ? »

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14 Des réponses fusent : • « Wir wissen es halt nicht. » (Mais on ne le sait pas…). • « Doch ! » (Si !). • « Paris ist in Europa. Also haben die Menschen… [inaudible] » (Paris est en Europe. Alors les gens…). • Aslan : « Oh ! Aber Amerika…[inaudible] » (Mais les États-Unis…). • Beria: « Aber das ist ein Grund. Paris hat es auch für Amerika gemacht, als mal was in Amerika war. Und weil die denken, dass wir daran…[inaudible] » (Mais ce n’est pas une raison. Paris a [aidé] les États-Unis quand il y avait des évènements… Et parce qu’ils pensent que c’est notre…). Il m’est difficile d’ordonner ce flot de réactions, d’autant plus que je suis obligé de choisir celles qui me sont facilement et rapidement transposables dans un français simple et compréhensible pour les élèves. Je sélectionne du débat l’idée ce qui se profile pour moi comme un argument pertinent par rapport à l’intervention d’Aslan, celui du « mort/kilomètre » : « plus les victimes semblent éloignées, moins elles susciteront d’empathie ». Je transpose cette notion abstraite dans un contexte concret et facilement accessible et note sur le transparent : • « On parle de Paris parce que Paris est à 600 km de Karlsruhe ».

15 Et nous ajoutons oralement : • « La Syrie, c’est à 3000 km, la Palestine est à 4000 km. L’Irak est à 4000 km. C’est une explication. Comme c’est très loin, on en parle moins ; on en parle plus lorsque les évènements sont proches ».

16 Ensuite, Beria apporte l’information qu’en Allemagne, des terroristes ont été arrêtés au départ d’un avion. Elle continue : • « Es ist schon wichtig, darüber zu berichten, damit jeder weiss, was passiert. » (Il est très important d’en informer [les gens] afin que tout le monde sache ce qui se passe.)

17 Elle ajoute par là un argument supplémentaire concernant l’attitude de la presse et des médias face aux attaques. Je note sur le transparent seulement le fait qu’elle relate et non son argument, car je n’arrive pas à trouver une transposition simple en français.

18 Aslan intervient de nouveau : • « Vor ein paar Tagen haben [inaudible] gemacht, weil sie dachten, dass die Mosleme schlecht sind. » (Il y a quelques jours, les ? ? ont fait ? ? parce qu’ils pensaient que ce sont de mauvais Musulmans.)

19 Nous accueillons ses propos : • « On va le noter : “Des personnes pensent que les Musulmans sont des terroristes” ». Et nous ajoutons les commentaires : « C’est faux ! C’est absurde ».

20 Aslan exprime bien le désarroi des élèves face à l’amalgame très répandu entre la religion musulmane et les attaques. Par la suite, Selay apporte une explication pour faire la différence entre « croyants » et « terroristes ». Nous la notons en français : • « Les croyants (musulmans, chrétiens, juifs…) ne tuent pas. Les terroristes ne sont pas des croyants. Ils sont manipulés ». Je suis gêné par cette simplification d’un phénomène sociétal très complexe. Mais je ne sais pas comment le rendre compréhensible autrement dans un français facile. Pour éviter de le ramener au seul islam, j’apporte une généralisation en incluant toutes les religions monothéistes.

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21 Cet échange a duré une vingtaine minutes. Nous apportons le titre « Paris pleure » au texte. Je choisis ce titre pour faire le lien entre l’affiche « Marianne qui pleure » et le ressenti ainsi que les interrogations des élèves. À la fin de cette longue phase d’échanges et d’écriture collective, ma concentration baisse (et celle des élèves aussi).

22 Le résumé de l’échange avec les élèves donne la co-construction du texte suivant :

Paris pleure L’attentat des terroristes se passe le vendredi 13 novembre 2015. Je suis triste parce que des Français sont morts (les mots nouveaux sont soulignés). Je suis triste parce que les terroristes sont méchants. Ils ont tué 130 personnes. Il y a aussi beaucoup d’autres morts dans le monde. Mais on ne parle pas de ces morts en Syrie, en Turquie, au Mali, en Palestine, en Irak, en Ukraine… On parle de Paris parce que Paris est à 600 km de Karlsruhe. En Allemagne, la police a aussi arrêté des terroristes. Des personnes pensent que les Musulmans sont des terroristes. C’est faux ! C’est absurde. Les croyants (musulmans, chrétiens, juifs…) ne tuent pas. Les terroristes ne sont pas des croyants. Ils sont manipulés.

Figure « Paris pleure », texte commun de la classe 7.

23 Précisons que ce long échange, résumé en français dans un texte co-construit, ne correspond pas au dialogue maïeutique cher à la didactique des langues, technique qui consiste à amener l’apprenant à exprimer un (pré-)savoir qui permet de construire par la suite un nouveau savoir (langagier plus particulièrement).

L’appropriation du texte collectif

24 D’un point de vue pédagogique, il nous semble important de s’approprier ensemble ce texte pour saisir sa cohérence et éventuellement l’amender. La première phase consiste à relire ensemble, phrase par phrase, le texte. Comme il s’agit d’apprenants débutants, nous donnons le modèle, en insistant plus particulièrement sur la prosodie de l’énoncé, entre autres, pour apporter l’emphase, voire la gestuelle où cela est nécessaire, par exemple : « C’est faux ! » / « Les terroristes ne sont pas des croyants ». À la lecture du texte, je me sens, de nouveau, gêné par la simplification d’une pensée complexe : certes, les élèves musulmans de la classe se disent tous croyants. Cela dit, on peut appartenir à une culture (chrétienne, musulmane…), tout en étant laïc et respecter les règles fondamentales de la vie en société. Ici, je ne me sens pas capable d’aborder cette question d’une façon simple. En fait, la classe abordera ce sujet plus loin, au hasard de la prononciation du mot « musulman » …

25 Les élèves répètent la phrase ou l’énoncent individuellement ou collectivement si la prononciation d’un mot s’avère difficile. C’est le cas de la voyelle nasale du mot « musulman ». Nous introduisons un petit exercice : « Es-tu musulman ? » Réponse attendue : « Oui, je suis musulman. / Non, je ne suis pas musulman ». Rolf, d’origine allemande, répond : « Non, je suis athéiste ». À l’instar de Rolf, nous avons l’impression que les élèves confondent les notions de « culture » et de « religion ».

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Je décide alors d’intervenir en allemand pour préciser les choses : • « On peut ne pas croire en Dieu tout en appartenant à une culture. Tu es, certes, athée, mais ta culture est chrétienne. Tu es de culture chrétienne, mais tu ne crois pas en Dieu. Tout comme on peut être musulman et athée ».

26 La lecture continue. La diphtongue /o-y/ du mot « croyant » pose également un problème de prononciation. Nous reprenons le même type d’exercice que précédemment : « Es-tu croyant ? » Réponse attendue : « Oui, je suis croyant(e). / Non, je ne suis pas croyant[e]. Je suis athée »). Je suis frappé par le fait que les notions « musulman » et « croyant » ne posent pas uniquement un défi au niveau phonétique, ce sont également les représentations qui posent le plus de questions aux élèves.

27 À la fin de la lecture, nous décidons que c’est le moment de faire une pause de dix minutes. Nous demandons ensuite aux élèves de recopier le texte dans leur cahier. Nous notons les mots nouveaux au tableau : • croyant : je suis croyant • tuer : ils ont tué 130 personnes • mort : il y a beaucoup de morts

28 Nous leur demandons de les copier dans le cahier de vocabulaire dont dispose chaque élève. Pendant ce temps, nous distribuons l’affiche « Marianne qui pleure » aux élèves. Certains ayant recopié le texte plus vite que d’autres peuvent alors la coller sous le texte.

Un témoignage de Facebook

29 Afin d’apporter de nouvelles perspectives quant à l’attentat, nous avons voulu présenter un témoignage d’une victime (indirecte), Antoine Leiris, journaliste sur France Info, qui a perdu son épouse, Hélène, tuée au Bataclan (voir le texte en annexe). C’est par les réseaux sociaux que j’ai pris connaissance de ce texte. Je l’ai choisi parce que sa charge émotionnelle m’a touché.

30 Le texte étant trop difficile pour des apprenants d’un niveau A1, nous l’avons simplifié tout en essayant d’en garder l’aspect très personnel et émotionnel (voir figure 3). Il nous était important de garder le titre. Comme il est d’une complexité langagière que les élèves ne maîtrisent pas, nous avons mis en sous-titre deux possibles traductions allemandes :

31 « Vous n’aurez pas ma haine »

32 (Ich werde Euch nicht hassen / Ihr werdet nicht meinen Hass haben.)

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Vous n’aurez pas ma haine Vendredi soir, vous avez volé la vie de ma femme, l’amour de ma vie, la mère de mon fils. Mais vous n’aurez pas ma haine. Non, je ne vous fais pas ce cadeau : vous n’aurez pas ma haine. Vous voulez que j’ai peur. Vous voulez que j’ai peur de mes amis. Vous avez perdu. Je reste libre. Ma femme est morte et je suis très, très triste. Elle est très belle. Je sais qu’elle est avec moi, avec mon fils Melvil, avec nous. Je sais que nous nous verrons au paradis. Nous sommes deux, mon fils et moi. Nous sommes plus forts que toutes les armées du monde. Maintenant, je vais voir Melvil, mon fils. Il dort. Il a 17 mois. Il va manger, comme tous les jours. Et nous allons jouer, comme tous les jours. Ce petit garçon est heureux et libre. Non, vous n’aurez pas sa haine.

Figure Page Facebook, réduction didactique du texte « Vous n’aurez pas ma haine » d’A. Leiris (2015)

33 Nous avions initialement l’intention de faire un travail de compréhension de l’écrit de façon traditionnelle : lecture du texte – élucidation des mots inconnus par le biais d’un dialogue maïeutique avec les élèves – compréhension globale et détaillée. Mais nous avons sous-estimé le temps nécessaire à l’écriture et l’appropriation de notre texte collectif. Sur les 90 minutes, il nous reste à peine une dizaine de minutes. Nous optons alors pour la traduction.

34 Kasim s’étonne – « von Facebook ? » – que nous utilisions en classe un texte authentique et qui vient tout juste d’être publié. Nous expliquons qu’Antoine Leiris existe réellement et que c’est lui qui a écrit le texte : • « Tu peux chercher son nom sur Facebook et tu trouveras le texte. Pour le travail en classe, pour que vous le compreniez mieux, j’ai simplifié le texte ».

35 Nous sommes surpris de la bonne compréhension et de la bonne traduction des propos d’Antoine Leiris. Güzid propose une traduction du titre qui nous paraît mieux rendre l’intention de l’auteur que ce que nous avions proposé : • « Ihr verdient nicht meinen Hass. »

Limites et possibilités d’une écoute active en classe de langue

J’ai vécu ce cours comme un moment exceptionnel de vie de la classe, dû à un évènement exceptionnel.

36 D’un point de vue didactique, il est également hors cadre à plusieurs titres : • Le séquencement en phases : la didactique du FLE (en Allemagne) propose de changer d’activité toutes les 5 à 7 minutes (pour garder l’attention des élèves). Ce cours de 90 minutes compte 5 phases là où on en aurait pu en attendre une bonne quinzaine. • L’expression orale des élèves en langue française : les élèves ont participé très activement au cours, souvent en langue allemande. • Certes, les instructions du Bade-Wurtemberg prévoient pour le français la « médiation », c’est-à-dire le résumé en langue de scolarisation d’un contenu en langue étrangère. Mais, ici, nous avons travaillé sur une traduction littérale et détaillée du texte de Facebook1.

37 Il nous semble que cette façon de procéder, la démarche, l’approche devrait être la règle à l’école, en classe de langue : par une écoute active, l’enseignant part des centres

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d’intérêt des élèves, de leur vécu, de leurs expériences, de leur esprit curieux. Un manuel, une méthode, quels qu’ils soient, ne peuvent répondre à cette approche2 comme nous l’avons montré plus haut et comme C. Freinet l’avait déjà analysé en 1928 dans son écrit Plus de manuel. Il y fustige avec son emphase habituelle la relation duale traditionnelle entre élève et enseignant où ce dernier peine à instaurer un désir d’apprendre. À travers les techniques dites Freinet (l’imprimerie, la correspondance, le plan de travail, etc.) il prône la mise en place d’une relation médiatisée par un tiers, complétée par un accueil actif du désir de l’enfant. Le rôle de l’enseignant change dans cette triangulation, prend une autre direction.

38 Traditionnellement, l’enseignant, avec le soutien du manuel, apporte le savoir, détermine les objectifs, choisit les tâches, organise les apprentissages et sanctionne les résultats par des évaluations (sommatives). Que les guides de l’enseignant appellent désormais cette démarche « approche actionnelle » ne change en rien les pratiques d’enseignement et d’apprentissage comme nous l’observons régulièrement dans nos visites de classe : l’élève reste dans son rôle d’apprenant pris dans cette relation duale conflictuelle et suivant les étapes d’apprentissage fixées par l’enseignant.

39 Rappelons que rien ne s’oppose, dans le cadre scolaire actuel, à la mise en place d’un autre type de relation élève(s)-enseignant. Ce ne sont pas les schémas didactiques3 et les objectifs linguistiques (lexicaux, grammaticaux…) ou communicationnels (actes de paroles, les quatre compétences…) qui doivent déterminer comment travailler sur un contenu, mais ce sont les contenus et les besoins de les communiquer à d’autres qui doivent conduire aux choix des techniques pédagogiques et à la manière d’organiser les apprentissages. Le rôle de l’enseignant supposé tout savoir peut évoluer vers celle/celui qui sait écouter et aider les élèves lorsqu’ils expriment leur désir (et également leur refus…) d’apprendre. Il mettra en place les outils, les « institutions » (cf. A. Vasquez, F. Oury 1967) de médiation qui font évoluer cette relation duale vers l’émergence et le respect du désir d’apprendre des élèves. Elles sont au centre de l’acte éducatif, de l’intervention pédagogique.

40 Concluons avec une réflexion sur la nécessité d’une éducation à la citoyenneté. Afin qu’elle puisse s’accomplir, elle doit assurer, sur un plan symbolique, une fonction de coupure qui fasse repère, qui différencie les êtres et les choses (cf. R. Laffitte et le groupe VPI, 2006 : 250).

BIBLIOGRAPHIE

DUBOIS A., SAMBE M. 2016. Accueillir les élèves après les attentats, Revue Projet n° 352 (juin) : 28-32.

EDLER K. 2015. Islamismus als pädagogische Herausforderung. Stuttgart, Kohlhammer.

FREINET C. 1928. Plus de manuels scolaires. Méthode vivante et rationnelle de travail scolaire par l’Imprimerie à l’École. St. Paul, Éditions de l’Imprimerie à l’École. Dossier pédagogique de l’Ecole Moderne n° 7.

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LEIRIS A. 2015. « Vous n’aurez pas ma haine ». Facebook. En ligne sur la page de l’auteur : https:// www.facebook.com/antoine.leiris/posts/10154457849999947 ?fref =nf&pnref =story (consulté le : 12/12/2015).

LAFFITTE R. et le groupe VPI. 2006. Essais de pédagogie institutionnelle. L’école, un lieu de recours possible pour l’enfant et ses parents. Nîmes, Champ social.

OKAPI. 2015. Pourquoi y a-t-il des fanatiques. OKAPI (magazine pour adolescents), Paris (mars).

VASQUEZ A., OURY F. 1967. Vers une pédagogie institutionnelle. Paris, Maspero.

ANNEXES

Page Facebook d’Antoine Leiris du 16 nov. 2015, à 13 :18

« Vous n’aurez pas ma haine »

Vendredi soir, vous avez volé la vie d’un être d’exception, l’amour de ma vie, la mère de mon fils mais vous n’aurez pas ma haine. Je ne sais pas qui vous êtes et je ne veux pas le savoir, vous êtes des âmes mortes. Si ce Dieu pour lequel vous tuez aveuglément nous a fait à son image, chaque balle dans le corps de ma femme aura été une blessure dans son cœur.

Alors non, je ne vous ferai pas ce cadeau de vous haïr. Vous l’avez bien cherché pourtant mais répondre à la haine par la colère, ce serait céder à la même ignorance qui a fait de vous ce que vous êtes. Vous voulez que j’aie peur, que je regarde mes concitoyens avec un œil méfiant, que je sacrifie ma liberté pour la sécurité. Perdu. Même joueur joue encore.

Je l’ai vue ce matin. Enfin, après des nuits et des jours d’attente. Elle était aussi belle que lorsqu’elle est partie ce vendredi soir, aussi belle que lorsque j’en suis tombé éperdument amoureux il y a plus de 12 ans. Bien sûr je suis dévasté par le chagrin, je vous concède cette petite victoire, mais elle sera de courte durée. Je sais qu’elle nous accompagnera chaque jour et que nous nous retrouverons dans ce paradis des âmes libres auquel vous n’aurez jamais accès.

Nous sommes deux, mon fils et moi, mais nous sommes plus forts que toutes les armées du monde. Je n’ai d’ailleurs pas plus de temps à vous consacrer, je dois rejoindre Melvil qui se réveille de sa sieste. Il a 17 mois à peine, il va manger son goûter comme tous les jours, puis nous allons jouer comme tous les jours et toute sa vie ce petit garçon vous fera l’affront d’être heureux et libre. Car non, vous n’aurez pas sa haine non plus.

NOTES

1. Nous pourrons envisager des prolongements de ce cours. Comme les élèves viennent d’apprendre l’expression de son opinion (« je pense que » / « je crois que » / « à mon avis »…), le présent travail pourrait être suivi d’un débat en français. – Voir aussi les propositions d’écoute active que propose K. Edler (2015). Le magazine pour adolescents OKAPI (mars 2015 : 21-12) propose le texte « Pourquoi y a-t-il des fanatiques ? ». – Nous exclurions toutefois un travail grammatical sur les deux textes du cours. Nous ne suivons pas la méthodologie didactique qui voudrait que tout « document de base » serve comme outil pour entrainer le plus de compétences possibles. Le texte devient alors un simple prétexte pour justifier des activités pédagogiques. 2. Nuançons notre propos : La nouvelle méthode FLE en Suisse alémanique Mille feuilles (Großenbacher 2012) n’a plus de documents de base et est orientée, dans l’organisation

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pédagogique de ses activités, vers une tâche finale qui est toujours une production à exposer (devant le groupe-classe, à l’extérieur de la classe…) ; environ cinq activités différentes, parmi lesquelles l’élève ou un groupe d’élèves peuvent choisir une ou deux, préparent à la production finale. Il s’agit d’une véritable approche actionnelle soutenue par les techniques de la pédagogie différenciée et des outils issus de l’éducation nouvelle, comme un plan de travail. Mais de tels manuels et méthodes, révolutionnaires au sens propre, font exception dans le paysage de la didactique des langues. Elles bouleversent trop l’agencement classique des phases, le rôle et la fonction de l’enseignant, le sens des apprentissages. 3. Dans les méthodes allemandes en FLE, il s’agit de phases suivantes : introduction des mots nouveaux – première écoute du document sonore – question de l’enseignant pour vérifier la compréhension globale du contenu – deuxième écoute du document sonore – … Elles se trouvent, à quelques variantes près, dans toutes les méthodes de FLE pour un niveau A1 / A2.

RÉSUMÉS

As teacher-trainer of French as a Foreign Language in a German institution of higher education, once a week we accompany our students, future FFL teachers in Germany, to the school where they practice their pedagogy. Each student in turn teaches the class while the official teacher and I look on and take notes. After the class, we talk it over with the student-teacher. When, one day, the designated student-teacher was absent, we took her place on the spur of the moment. This "substitute class" took place the week following the terrible news event: the terrorist attacks in Paris on November 13, 2015. This was the subject we dealt with in this class.

In quanto formatore di francese lingua straniera in un istituto di insegnamento universitario in Germania accompagno una volta alla settimana i nostri studenti, futuri insegnanti di francese lingua straniera in Germania in una scuola per un esercizio d’applicazione. A turno ogni studente fa lezione; l’insegnante di ruolo ed io li osserviamo. Dopo la lezione ci riuniamo per un dare un riscontro sul modo in cui la lezione si è svolta. L’assenza di una studentessa ci ha portati a sostituirla su due piedi. Questa “lezione di sostituzione” si è svolta una settimana dopo un fatto sconvolgente, gli attentati terroristici a Parigi, il 13 novembre 2015. Questi avvenimenti sono stati presi come argomento della lezione.

INDEX

Keywords : didactics of French as a Foreign Language, civilization, terrorism Parole chiave : didattica del francese lingua straniera, civiltà, terrorismo

AUTEUR

GÉRALD SCHLEMMINGER Pädagogishe Hochschule, Karlsruhe (Allemagne)

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Deutsch lernen nach (und trotz) der Bildungsreform in Frankreich - eine Zwischenbilanz

Laure Gautherot

Kontextualisierung

1 Das letzte Schuljahr 2016/2017 in Frankreich hat in einem gespannten Kontext mit der Einführung der umstrittenen Schulreform der damaligen Bildungsministerin Najat Vallaud-Belkacem in den Collèges (gymnasialen Mittelstufen) begonnen, was die deutsche Botschafterin in Paris, Susanne Wasum-Rainer, schon im April 2015 dazu gebracht hatte, vor der „Gefahr einer atmosphärischen Beeinträchtigung unserer bilateralen Abkommen und Absprachen“ (Die Welt 23.04.2015 [Online]) zu warnen. Sorgen haben sich seitdem in den französischen und deutschen Medien verbreitet, Petitionen, offene Briefe an die Bildungsministerin und an französische Abgeordnete, Informationsveranstaltungen (wie der Informationsabend des Goethe Instituts am 6. Mai 2015 in Paris) bis zu LehrerInnenstreiks haben vom Frühling 2015 bis zum Frühling 2017 in ganz Frankreich stattgefunden. Persönliche Stellungnahmen von französischen Politikern gegen die Reform, auch aus der eigenen Partei der Ministerin, hatten sich vermehrt: Ex-Premierminister Jean-Marc Ayrault, der ehemalige Kulturminister Jacques Lang und der Abgeordnete der Franzosen im Ausland Pierre-Yves Le Borgn haben ihre Sorge um die Zukunft der französischen deutschsprachigen SchülerInnen und der deutsch-französischen Beziehungen wiederholt offiziell geäußert. In seinem Brief vom 25.03.2015 an die Bildungsministerin teilt Le Borgn sein Unverständnis der Reform und vor allem seine große Sorge um die Zukunft der deutschen Sprache in Frankreich mit. Er bittet auch die Bildungsministerin um ein offizielles Gespräch mit Thérèse Clerc, Präsidentin des Deutschlehrerverbandes ADEAF (Association pour le Développement de l’Enseignement de l’Allemand en France), das niemals gewährt wurde.

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2 Die großen Wellen, die die Bildungsreform in Bezug auf den Deutschunterricht geschlagen hat, lassen sich dadurch erklären, dass sie zwei Meilensteine der deutsch- französischen Geschichte und Zusammenarbeit verletzt. Zuerst wird die Abschaffung eines intensiven Deutschunterrichts als Beleidigung des historischen, hoch symbolischen Elysée-Vertrags angesehen. Dann verstößt der Angriff auf den Deutschunterricht in Frankreich gegen die gemeinsame Verpflichtung der Regierungen in den deutsch-französischen Ministerräten 2003 in Paris und 2013 in Berlin (jeweils zum 40. und 50. Jahrestag des Elysée-Vertrages), strukturelle Maßnahmen zur Förderung des Deutschunterrichts in Frankreich und des Französischunterrichts in Deutschland zu ergreifen.

3 Inzwischen wurde die Bildungsreform in den Präsidentschaftswahlen 2017 politisch aufgeladen und in den Programmen der wichtigsten Kandidaten als Wahlkampfthema aufgegriffen. Vom Sieg des jungen parteilosen Emmanuel Macron haben sich viele Germanisten und DeutschlehrerInnen eine spätere Aufhebung der Bildungsreform erhofft, denn er hatte sich, ähnlich wie seine Kontrahenten François Fillon und Jean- Luc Mélenchon, für die Wiedereinrichtung der bilingualen Klassen in allen französischen Regionen ausgesprochen. Wie sich die Einführung der Bildungsreform in den Collèges auf den Deutschunterricht ausgewirkt hat und wie die Situation nach Regierungswechsel nun aussieht, wird in diesem Artikel untersucht.

Die Bildungsreform und der DaF-Unterricht 2016 im Collège

4 Die französische Schulreform des Jahres 2015/2016 betrifft in erster Linie den DaF- Unterricht im Collège mit der programmierten Abschaffung der bilingualen Klassen (classes bilangues) und der Europa-Klassen (sections européennes). Das System der bilingualen Klassen kann wie folgt skizziert werden: Ab der sechsten Klasse (6ème) wird neben Englisch eine zweite Fremdsprache (in der Regel drei Stunden pro Woche) unterrichtet, was den Schülerinnen und Schülern ermöglicht, ab der sechsten Klasse zwei Fremdsprachen gleichzeitig zu lernen, wobei Deutsch mehrheitlich gewählt wird. Die bilingualen Klassen wurden einstimmig als Stütze für den DaF-Unterricht in Frankreich betrachtet: ab 2005 sei eine Stabilisierung um die 15% Deutschlernenden zu vermerken (Hannequart 2013:1, zitiert nach Ammon, 2015: 996). Aber aufgrund ihres „elitären Charakters“ erhalten sie laut Bildungsministerin die sozialen Ungleichheiten aufrecht1. Deshalb wurden sie durch die Reform gestrichen und durch die allgemeine Einführung der zweiten Fremdsprache in der 7. Klasse für alle Schüler/innen (ein Jahr früher als bis dahin) ersetzt. Inzwischen wurde die Entscheidung der Bildungsministerin teilweise revidiert und seit dem 22. Januar 2016 – Tag der deutsch- französischen Freundschaft – öffentlich betont: wenn mit dem Erlernen einer anderen Fremdsprache als Englisch in der Primarstufe angefangen wurde, könnte der Unterricht zweier Fremdsprachen in der 6. Klasse theoretisch fortgeführt werden. Es sind die sogenannten „bilangues de continuité“ (bilinguale Fortführungsklassen). Dennoch stellten sich zwei Probleme: • ein Interpretationsproblem, denn die Bedingungen zum Übergang der bilingualen Klassen in Fortführungsklassen wurden von den schulischen Aufsichtsinstitutionen (Rectorats) und Schulleitungen in manchen Regionen nicht gleich interpretiert. Deutschlehrer/innen berichten von Ablehnungen durch die entsprechenden Instanzen, trotz erfüllter

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Bedingungen (ausreichender Anzahl an eingeschriebenen Schülern und DaF-Unterricht in der Primarstufe), im Schuljahr 2016/2017 eine bilinguale Klasse in Fortführungsklasse aufrechtzuerhalten (ADEAF 2016 [Online]). • ein Problem der Stundenzahl, denn die zweite Fremdsprache wurde in den Fortführungsklassen nur noch zweieinhalb und nicht mehr drei Stunden pro Woche unterrichtet, was vor allem in den ersten Lehrjahren für den Spracherwerb bedeutsam ist.

Die Schlacht um die Zahlen

5 Bei den ersten Ergebnissen der Reform des Deutschunterrichts fällt die Schlacht um die Zahlen zwischen Bildungsministerium und Deutschlehrerverband ADEAF auf. Laut Ersterem sei im September 2016 ein Anstieg von 6% der Deutschlernenden im Collège zu vermerken2 während der Verband von einem Rückgang von 26% in der 6. Klasse spricht (http://adeaf.net/IMG/pdf/politique_des_langues_et_allemand- _contribution_de_l_adeaf_2017.pdf).

6 Der Anstieg des Bildungsministeriums lässt sich dadurch erklären, dass in dem Einführungsjahr der Reform zwei Systeme parallel verlaufen. Dieses Jahr – und nur dieses eine Jahr – beginnen alle französischen Schüler/innen der 7. und der 8. Klasse mit dem Erlernen einer zweiten Fremdsprache. Mehr Schüler denn je lernen also de facto zwei Fremdsprachen im Collège, darunter auch Deutsch. Daher können diese Zahlen keine Indikatoren für die Entwicklung der Deutschlernenden in den kommenden Jahren sein und dienen durch ihre argumentative Funktion dem „Ethos der Kompetenz der Ministerin“ (Durand 2017: 194).

7 Im Unterschied dazu verweist die ADEAF auf das Ergebnis einer Felduntersuchung, in dem ein Rückgang von 26% der Deutschlernenden in der 6. Klasse im September 2016 als Folge der Schließung von 1/3 der bilingualen Klassen festgestellt wird. Vor allem in den Pariser Vororten und den grenznahen Regionen Elsass und Lothringen bestehen die bilingualen Klassen weiter, jedoch nicht ohne Klassenschließungen. In einer Umfrage zum Schuljahr 2016/2017 bei den Schulleiter/innen der Straßburger Académie werden die bilingualen Klassen der 43 Collèges, die an der Umfrage teilgenommen haben, in 42 beibehalten. Von den 7 Collèges, die bisher von der 6. bis zur 9. Klasse ausschließlich bilinguale Klassen anboten, verfügen nur noch 5 weiterhin über ein solches Angebot (Geiger-Jaillet, Rothacker 2017: 87).

Die Aktualisierung der Reform nach dem Regierungswechsel 2017

8 Nach den Präsidentschaftswahlen im Mai 2017 in Frankreich herrschten zuerst Euphorie nach dem Sieg des proeuropäischen Kandidaten und eine gewisse Erleichterung darüber, dass die Kandidatin der rechtsextremistischen Partei Front National nicht gewählt worden war. Der neue Präsident Macron schien sich von Anfang an der Tatsache bewusst zu sein, dass die deutsch-französischen Beziehungen auf gegenseitigem Verständnis und dementsprechend auf dem Erlernen der Nachbarsprache beruhen. Der Antrittsbesuch (knapp einen Tag nach Amtseinführung) in Berlin und die Ernennung der Deutschlandkenner Bruno Lemaire zum Wirtschaftsminister und Sylvie Goulard zur Verteidigungsministerin konnten

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Germanisten zuerst einmal freudig stimmen und als deutschfreundliches, positives Signal gedeutet werden. Beide Politiker hatten sich nämlich 2015 eindeutig und vehement gegen die Bildungsreform und die Abschaffung der bilingualen Klassen – Bruno Le Maire in einem Fernseh-Interview mit Najat Vallaud-Belkacem und Sylvie Goulard unter anderem beim Informationsabend des Goethe Instituts in Paris – ausgesprochen. Das Treffen zwischen Mitarbeitern des neuen Bildungsministers Jean- Michel Blanquer und einer Delegation des Deutschlehrerverbands ADEAF am 7. Juli 2017 zeugte auch von einer offensichtlich gutwilligen Haltung der höheren Instanzen und lässt womöglich auf künftige Kooperation statt bisherigen Ignorierens hoffen. Ob diese demonstrativen Zeichen nur ausgewählte Stücke einer neuen Kommunikationsstrategie bilden, wird sich erst in der Zukunft prüfen lassen.

9 Nichtsdestotrotz wurde auf juristischer Ebene die Bildungsreform der vorherigen Regierung nicht abgeschafft, sondern mit dem Erlass vom 16. Juni 2017 lediglich gelockert und in einigen Punkten revidiert. Den Schulleitungen wird in den Artikeln 2 und 4 vor allem eine größere Unabhängigkeit und Organisationsfreiheit gewährt. Die Wiederherstellung der bilingualen Klassen und der Europa-Klassen steht zwar nicht schwarz auf weiß, dennoch wird sie anhand der Artikel 3 und 5 im Rahmen des dreistündigen optionalen Unterrichts ermöglicht. Die Bedingungen zum Erhalt der bilingualen Klassen in der Form von Fortführungsklassen werden durch Artikel 5b de facto aufgehoben, indem eine zweite Fremdsprache ab der 6. Klasse unterrichtet werden darf (solange der gesamte Fremdsprachenunterricht der beiden Sprachen nicht 6 Stunden überschreitet). Ein zweistündiger Unterricht der „europäischen Sprachen und Kulturen“ (in Erweiterung des Fremdsprachenunterrichts) wird im Artikel 5c ab der 7. Klasse erlaubt, was die Europa-Klassen wieder ins Leben ruft. Jedoch beträgt die übliche Stundenzahl der zweiten Fremdsprache ab der 5. Klasse wie nach der Reform zweieinhalb Stunden pro Woche. Um die gleiche Stundenzahl wie in den ehemaligen bilingualen Klassen zu erreichen, wird zwar theoretisch ein Zusatz von 0,5 Stunden durch Aufteilung des optionalen zweistündigen Unterrichts der „europäischen Sprachen und Kulturen“ ermöglicht, aber diese steht unter Zustimmungsvorbehalt des Verwaltungsrats des jeweiligen Collège.

Die „EPIs“, Überbleibsel der Reform für die Neuerung des DaF-Unterrichts

10 Von der Bildungsreform ist nach Regierungswechsel der Vorschlag der „EPIs“ (Enseignements Pratiques Interdisciplinaires) beibehalten worden. Auch wenn das Wort – ähnlich wie für die bilingualen und Europa-Klassen – im Erlass nicht mehr vorkommt, zählt die fächerübergreifende Unterrichtsform im Artikel 5 zum möglichen optionalen Unterricht ab der 7. Klasse. Jeder und jede französische Schüler/in kann von einer bis drei Stunden pro Woche Unterricht in der Form eines optionalen Unterrichts bekommen, dessen pädagogischer Inhalt sich von zwei Themen ableitet: Sprachen und Kulturen der Antike; Regional- oder Fremdsprachen und Kulturen. In einem praktischen Ratgeber hatten die Inspektoren der Straßburger Académie darauf hingewiesen, dass die Fremdsprachen und die neuen Technologien in den EPIs besonders zum Einsatz kommen sollten3. Von den neunzehn konkreten Beispielen auf der Website der Académie nehmen drei explizit Bezug auf Deutsch („Trier gestern und heute“; „Berlin“; „Ein gesundes Frühstück“), eines auf Italienisch und drei auf

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Fremdsprachen im Allgemeinen. Jedes Mal geht es darum, deutsche Kultur zu vermitteln und die deutsche Sprache in die Realisierung des Projekts einzubinden. Dennoch wurde diesen EPIs die geringe Anwendbarkeit der deutschen Sprache in den Projekten häufig vorgeworfen, vor allem in den frühen Klassen (7. und 8. Klasse), in denen die unzureichenden Fremdsprachenkenntnisse und Kompetenzen der DaF- Lernenden die Nutzung der Fremdsprache begrenzen. Aus diesem Grund wurden die EPIs als „ministerielles Aushängeschild der Reform“ kritisiert. Im politischen Wochenmagazin Le Point wurde zum Beispiel über die EPIs zum Artikel ein Begleitfoto veröffentlicht, das folgende Anspielung veranschaulicht: Im Rahmen eines EPIs um Harry Potter hatte sich die Bildungsministerin verkleidet und mitgespielt. Der polemische Titel weist auf das leichtsinnige, potentiell gefährliche Experiment der unerfahrenen Bildungsministerin hin, indem sie als „Zauberlehrling“ präsentiert wird (Coignard 2017 [Online]).

11 Ein weiterer Vorwurf, der den EPIs der Reform und dem optionalen Unterricht des letzten Erlasses gilt, betrifft die schwer zu organisierende Verteilung und Einbettung der betroffenen Fächer in den Stundenplan. In diesem Fall stößt die fächerübergreifende Absicht des Unterrichts erstens auf eine strukturelle Komponente des französischen Staatsexamens zum Lehramt, nämlich die monovalente Ausbildung der LehrerInnen der Mittel- und Oberstufe des französischen Gymnasiums4. Für eine fächerübergreifende effektive Zusammenarbeit in den Lehrerkollegien erscheint daher eine umfangreiche Fortbildung derselben Lehrer/innen erforderlich. Zweitens wird der größere Spielraum der Schulen in der Wahl des optionalen Unterrichts zu wichtigen Unterschieden von einer Schule zur anderen beitragen und eventuell die Konkurrenz zwischen den verschiedenen Fächern und Lehrerkollegien einer und derselben Schule anspornen.

Editorische Didaktisierungsvorschläge

12 Um das Hindernis der geringen Fremdsprachenkenntnisse in den ersten Lehrjahren zu umgehen, schlagen die letzten Handbücher der französischen Verlage EMDL (Editions Maison des Langues) und Hatier seit 2016 mehrere EPIs vor. Zum Beispiel bietet das Handbuch Fantastisch drei EPIs für das erste Lehrjahr: „Une année en fête“ (Ein Festjahr); „Danser les mots“ (mit Wörtern tanzen); „Animaux fantastiques“ (fantastische Tiere), bei denen Deutsch immer im Zusammenhang mit Musikunterricht und dazu Sport oder Kunst gebraucht wird (Fantastisch! 2016: 125ff.). Somit wird der Mangel an Deutschkenntnissen durch kreative Aktivitäten überwunden – oder, um es anders auszudrücken, verdeckt. Ab dem zweiten Lehrjahr werden 2 EPIs vorgeschlagen, in denen die mehrsprachigen Kompetenzen der Schüler/innen in Deutsch und Englisch (eventuell auch Italienisch und Spanisch) deutlich mehr eingesetzt werden, wie zum Beispiel: „Une langue, une vie“ (Eine Sprache, ein Leben) und „Il était une fois... le bonheur“ (Es war einmal... das Glück) im dritten Lehrjahr (Fantastisch! 3ème année 2017: 116-117). Der Verlag Hatier setzt auf eine digitale Strategie und stellt die Vorschläge seiner Reihe Blick und Klick nicht in den Handbüchern (bzw. in den sogenannten „LernBüchern“), sondern in einer allgemeinen online Datenbank zur Verfügung. Damit sollen die Hilfsmittel und das Projekt der kollektiven Gestaltung der verschiedenen Lehrer/innen angepasst werden.

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Schwerpunkt auf dem ökonomischen Interesse

13 Die wohl einzige Motivation zum Erlernen der deutschen Sprache, worüber Konsens herrscht und die von den deutschen LehrerInnen bei ihren Werbetouren in den Grundschulen gerne als Vorteil präsentiert wird, ist das ökonomische Interesse für Deutschlernende, denn der deutsche Arbeitsmarkt bleibt für Franzosen (insbesondere für Pendler der Nachbarregionen) attraktiv. In dieser Hinsicht versucht der DaF- Unterricht in Frankreich, die Lernenden auf die Arbeitswelt besser vorzubereiten. Dieser Kurswechsel der französischen Bildungspolitik in Richtung übertragbare Kommunikationsstrategien zeugt von einer immer größeren Anpassung an die Forderungen der modernen Arbeitswelt. Daher erscheinen das bildungserziehende Prinzip der Bewertung und Unterrichtsgestaltung nach den Kompetenzen der Lernenden und die Forderung der polarisierten Arbeitswelt sehr eng miteinander verbunden. Insofern hat sich das 2002 schon von Schneider-Mizony „neue Erziehungsparadigma, dass die Schule nicht dazu da sei, den Menschen zu bilden, sondern ihn aufs Berufsleben vorzubereiten“ (Schneider-Mizony 2002: 23) heute umso mehr bekräftigt. Anstatt kulturelle und sprachliche Kenntnisse zu erwerben wird zum effizientesten Gebrauch von Kommunikationsstrategien in bestimmten Kontexten trainiert. Mit weniger als drei Stunden Unterricht pro Woche in der ganzen gymnasialen Oberstufe wird jedoch das dazu nötige Sprachniveau wie auch eine interkulturelle Kompetenz schwer zu erwerben sein.

14 In diesem Sinne bemühen sich die deutsche und die französische Regierungen um eine enge Kooperation in grenznahen Gegenden, indem sie mehrere Vereinbarungen zur Mobilität der jungen Lernenden in einer beruflichen Perspektive getroffen haben. In der Erklärung von Saarbrücken vom 15. Juli 2013 zwischen Beauftragten für die deutsch- französische Zusammenarbeit der grenznahen Regionen Saarland / Lothringen und Elsass / Ortenau stehen auf Punkt 1 und Punkt 2 der Richtlinien „Bildung und Ausbildung“ und „Arbeitsmarkt“, vor den Punkten „Polizeiliche Zusammenarbeit“, „Grenzüberschreitender Verkehr“, „Energie“, „Grenzüberschreitendes Gesundheitswesen“ und „Steuerfragen“5. Im Aktionsplan für die deutsch-französische berufliche Mobilität vom 19.02.2016 hatten beide Bundesministerinnen der Arbeit, Andrea Nahles und Myriam El Khomri, zwölf Maßnahmen zur Förderung der grenzüberschreitenden Mobilität junger Azubis und Arbeitsuchender ergriffen. Dabei werden die Akteure der deutsch-französischen beruflichen Mobilität eingebunden, von den beiden öffentlichen Arbeitsverwaltungen (Bundesagentur für Arbeit und Pôle Emploi) bis zu großen Unternehmen beider Länder (Allianz, BASF, Bosch, Danone, L’Oréal, Michelin).

15 Ein konkretes Beispiel für grenzüberschreitende Förderung der französischen und deutschen Lernenden findet man in der Oberstufe des beruflichen Gymnasiums (Lycée Professionnel). 2014 wurde für gewerbliche, kaufmännische und hauswirtschaftliche Zweige des beruflichen Gymnasiums das Programm „Azubi-Bacpro“ eingeweiht. Nach dreijähriger dualer Ausbildung und integrierten Praktikumsphasen bekommen der/die deutsche Azubi und der/die französische „Apprenti/e“ eine Zusatzqualifikation in der Sprache des Nachbarn. Zurzeit haben acht Gymnasien im Elsass und in Baden- Württemberg diese Partnerschaft vereinbart. Während der Ausbildung dieser Gymnasiasten sind mehrere Austauschphasen und Praktikumsphasen (bis 8 Wochen) im Nachbarland vorgesehen. Das Zertifikat der Zusatzqualifikation wird auf beiden

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Seiten des Rheins anerkannt und bildet insofern ein großes Plus für die berufliche Karriere der jungen Abiturienten.

Zwischenbilanz und Aussichten

16 Bevor sich eine klare Tendenz in Richtung Stabilisierung, Rückgang oder Anstieg der Deutschlernenden im ganzen Land bestätigt, sind wir auf künftige Zahlen angewiesen, die einen realistischen Vergleich ermöglichen. Im September 2017 wird der ADEAF eine umfangreiche Felduntersuchung zur Entwicklung des Deutschunterrichts in den letzten drei Schuljahren (2015/2016 vor der Reform, 2016/2017 nach der Reform, 2017/2018 nach der Lockerung bzw. Anpassung der Reform) in ganz Frankreich einleiten. Auch wenn die Abschaffung der bilingualen Klassen nicht weiter umgesetzt wird, ist deren Wiedereröffnung bei weitem nicht automatisch. Zurzeit hängt der Erhalt eines bilingualen Fremdsprachenunterrichtes an erster Stelle von der Schulleitung und dem Verwaltungsrat ab. Für das kommende Schuljahr (2017/2018) sind die meisten bilingualen Fremdsprachenunterrichtszweige in den Collèges hauptsächlich den Bemühungen der Deutschlehrer/innen (gegebenenfalls der kollektiven Lehrkraft) zu verdanken, die anhand des letzten Juni-Erlasses noch vor der Sommerpause mit den schulischen Instanzen um das Weiterbestehen des DaF- Unterrichts ab der 6. Klasse gekämpft haben. In der Tat kann man die späte Verkündung und vage Kommunikation des neuen Ministeriums über den Unterricht einer zweiten Fremdsprache ab der 6. Klasse bedauern, die nicht ermöglicht haben, dass sie überall in Frankreich in der allgemeinen Planung und Stundenverteilung der Collèges berücksichtigt und von den Eltern wahrgenommen wurden. Vor allem lassen sich die dramatischen Folgen der Ankündigung der Abschaffung der bilingualen Klassen nicht wiedergutmachen, da wo die Ankündigung manche Eltern davon abgehalten hat, ihre Kinder in einem Zweig (wieder)einzuschreiben, der zum Verschwinden verurteilt war. Es ist also nicht zu bestreiten, dass die Schulreform der vorherigen Bildungsministerin Vallaud-Belkacem – obwohl sie nur anderthalb Jahre bestand – katastrophale Auswirkungen auf den Deutschunterricht gehabt hat. Ob der DaF-Unterricht trotz Entwarnung und kompensatorischer Maßnahmen zum Aussterben verurteilt wurde, wird erst nach ein paar Jahren festgestellt werden können.

BIBLIOGRAPHIE

Bibliographische Hinweise - Literaturverzeichnis

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MEISTER, Martina: „’Wenn wir uns nicht verstehen, ist das ein Risiko’“, Interview mit Susanne Wasum-Rainer, in: Die Welt, 23.04.2015 [Online]. https://www.welt.de/politik/ausland/article140006107/Wenn-wir-uns-nicht-verstehen-ist-das- ein-Risiko.html

WITZTHUM, Thomas Sebastian: „Sprachenstreit belastet Beziehung zu Frankreich“, in: Die Welt, 21.04.2015 [Online] http://www.welt.de/139889058

Weitere Quellen - Audioaufnahmen

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Blick und Klick, LernBuch 3ème, Paris : Editions Hatier

Fantastisch! 1ère année, 2016, Paris : Editions Maison des Langues.

Fantastisch! 3ème année, 2017, Paris : Editions Maison des Langues.

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Ministère de l’Education Nationale, JORF n°0142 du 18 juin 2017, Arrêté du 16 juin 2017 modifiant l'arrêté du 19 mai 2015 relatif à l'organisation des enseignements dans les classes de collège [Online]

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„Evolution des effectifs à la rentrée 2016 – Résultats de l’enquête“, 2016 [Online]. http://adeaf.net/spip.php?article138

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NOTES

1. Über den vermeintlichen „elitären Charakter“ der bilingualen Klassen lässt sich streiten. In ihrem Vortrag betonte Thérèse Clerc, dass diese Klassen, die „ein hochwertiges, qualitatives und den meistmöglichen Lernenden aller Stadtteile und Herkunft zugänglich sind, gerade das Prinzip der republikanischen Gleichheit verkörpern“ (Informationsabend im Goethe Institut, 6.05.2017 [Online], frei übersetzt nach L.G.), während das Bildungsministerium in seinem öffentlichen Diskurs lieber auf das Wort „Exzellenz“ zurückgreift. Witzthum erinnert daran, dass Vallaud- Belkacem selber bei der Aufnahmeprüfung der Verwaltungsschule Ecole Nationale d’Administration zweimal gescheitert ist und liest aus dieser anti-elitären Mission einen persönlichen Nachholbedarf (Revanche-Bedarf?). Siehe den Artikel: „Sprachenstreit belastet Beziehung zu Frankreich“, in: Die Welt, 21.04.2015 [Online]. 2. http://www.education.gouv.fr/cid107855/-6-de-collegiens-germanistes-a-la-rentree-2016- engagement-tenu.html 3. „Die EPIs bieten auch die willkommene Gelegenheit an, die erlernten Fremdsprachen und die digitalen Medien in die Praxis umzusetzen“ (frei übersetzt nach L.G) in: Enseignements Pratiques Interdisciplinaires – Académie de Strasbourg, Mai 2016: 1 [Online]. 4. Eine Ausnahme bilden die LehrerInnen des beruflichen Zweiges der Oberstufe, die gegebenenfalls auch in der entsprechenden 9. Klasse „3ème prépa-pro“ („3ème préparatoire à l’enseignement professionnel“) unterrichten. Diese bivalenten LehrerInnen unterrichten oft Französisch und Deutsch.

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5. Erklärung von Saarbrücken zur deutsch-französischen Zusammenarbeit in den Grenzregionen, 15.07.2013 [Online]

RÉSUMÉS

Cet article propose de revenir sur les conséquences de la réforme du collège de 2015 pour l’apprentissage de l’allemand et les conditions de sa mise en place à la rentrée 2016/2017. La réflexion sur l’arrêté du 16 juin 2017 publié par le nouveau gouvernement permet de mesurer si les modifications apportées relèvent d’un rétropédalage institutionnel ou d’une possibilité de restaurer ce qui a été détruit par la réforme de la précédente ministre de l’Education Nationale. La dernière partie examinera diverses actions inscrites dans une constante de la politique éducative de ces quinze dernières années : faciliter l’intégration des apprenant.e.s dans le monde professionnel par le développement des compétences.

This article focuses on the consequences of the secondary school reform in France for learning German in 2015 and its implementation in 2016/2017. The by-law decided by the new government on June 16, 2017 allows us to judge whether the latest changes are due to retrograde politics or to the possibility to restore the measures the previous reform destroyed. Several concrete actions are examined as being regular and recurrent features of the French education system over the last fifteen years: facilitating the integration of students into the business world by skills development.

INDEX

Keywords : Learning German in France, Secondary school reform 2015, bylaw of 16-06-2017, French Educational system Mots-clés : apprendre l’allemand, France, réforme du collège 2015, arrêté du 16-06-2017, Ministère de l’Education Nationale

AUTEUR

LAURE GAUTHEROT Université de Strasbourg (France)

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Témoignage

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De la magie des sons à la magie du monde

Christiane Dunoyer

1 C’est parce qu’il est question de moi que ce texte à autant tardé à venir au monde. C’est parce qu’il est question de mes habitudes linguistiques, et dans les habitudes linguistiques il est quelque chose de très intime, de douloureux parfois. C’est parce que j’ai toujours accordé un rôle de premier plan aux mots au cours de ma vie, car il y a de la magie dans les sons qui se succèdent, au-delà du sens qui est souvent une évidence, dans le choix de la langue, de la connivence souhaitée, recherchée ou refusée.

2 Depuis ma première enfance, j’ai été exposée au francoprovençal, la langue de ma famille, au français et à l’italien. Je n’ai pas de souvenirs concernant mes expériences linguistiques, avant l’école maternelle. C’est à ce moment-là que les langues sont devenues une affaire sérieuse. Mon premier mot de français : j’avais trois ans, devant une diapo en noir et blanc : un enfant approche un verre de sa bouche « il boit ». J’enregistre. D’autres mots en noir et blanc se sont ajoutés à celui-là : il fallait le faire, j’ai appris. Comme j’ai appris les ensembles, les couleurs, les nombres, dans les polycopiés. J’étais docile, j’aimais le violet, mais ce n’était pas bien, il fallait se servir de tous les feutres. Et puis il y avait les diapos en noir et blanc et des mots qui n’étaient pas ceux que j’avais dû apprendre en entrant à l’école : dans les salles de classes et dans les salles de jeux tout parlait italien. Il avait suffi de le savoir, on avait parlé italien. On l’avait pris là où on l’avait trouvé, pas à la télé qui était encore trop rébarbative pour nous à l’époque (c’était en 1975 !), mais au marché, pendant les visites du médecin, chez quelques voisins. Je dis on car l’individualité de l’interlocuteur venait en second plan à cet âge-là, d’après mes souvenirs, il y avait un sentiment diffus, ou confus, on se dispersait dans ces vastes espaces, on se dissipait dans le groupe. Et on se passait les mots dans les cours de récréation, autant qu’on s’en passait, car certains enfants en avaient beaucoup, ils n’avaient que ça comme monnaie d’échange, tandis que les autres se regardaient dans les yeux et se savaient de la même souche, on se guettait de loin, lorsque les mamans nous accompagnaient jusque devant le portail en susurrant des mots en patois (c’est ainsi que nous nommons le francoprovençal dans la vie quotidienne, sans aucune connotation négative, et c’est ainsi que je m’y réfère dans ce

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texte lorsqu’il est question de mon point de vue intrinsèque) inquiètes qu’on apprenne bien l’italien. C’était leur souci. Nous, on levait les épaules, on se reconnaissait dans la même vibration, dans ce sanglot long qu’on ravalait à longueur de journée, à cause de cette coupure entre la vie palpitante là-dehors et la langue lisse des heures de classe, luisante comme les carrelages des couloirs, faite de mots intelligibles, mais vides pour le cœur.

3 Rapidement, au gré des diapos, « la pomme », « la table », etc. j’ai reconnu la langue de chez moi, c’était toujours en noir et blanc, mais ça caressait l’oreille. À la maison c’était souvent un peu plus en a, mais peu importe, « la pomma » n’est pas « la mela ». Ça faisait du bien aussi quand on descendait des salles de classe pour se rendre à la cantine. Ce n’était pas le parfum de la cuisine de maman, mais on entendait parler patois, j’en avais les larmes aux yeux tellement j’étais envahie par la nostalgie de là- dehors. J’aurais voulu m’arrêter là-bas toute la journée, c’était si accueillant.

4 Un autre souvenir d’école maternelle : on chantait « Meunier tu dors… », c’était un peu comme les voix des cuisinières, un son qui venait de la maison, il était en couleurs, il portait la vie. Car à la maison on parlait le patois, mais le français était là dans les prières des grands-mères qui se terminaient par « ainsi soit-il », dans les noms de certains objets mystérieux « la cocotte », « la chicorée », « le duvet », « le bain-marie », « l’abat-jour », dans les conversations avec les membres de la famille émigrés en France et en Suisse, dans le vécu transfrontalier des aînés de la famille qui se traduisait par des liens concrets, par des départs et des retours impromptus, par des achats d’objets. Dans l’archéologie des valeurs familiales… Le français était surtout présent dans les chansons : j’aimais chanter et on chantait beaucoup. Et dans les livres de la bibliothèque familiale, qui incarnaient le prestige d’une culture : Jean-Baptiste De Tillier, le Coutumier…

5 Dans ma tête tout se combinait pour produire mon idée de « valdôtain », de chez nous, tant et si bien qu’il me faudra des années pour discerner l’élément francoprovençal de l’élément français. J’avais 22 ans le jour où un ami savoyard me demanda de lui envoyer des chansons valdôtaines en patois : je lui avais répondu qu’il y en avait beaucoup, mais il me fallut les chanter une à une pour trier celles qui étaient en francoprovençal et celles qui étaient en français, tellement elles m’appartenaient en profondeur, loin de toute appréhension rationnelle.

6 Quand le besoin me vint, je dis bien le besoin car c’est de cela qu’il s’agit, d’écrire mes sentiments profonds et d’inventer des histoires, tout naturellement je le fis en français, qui était ma langue écrite, étant donné que je n’avais jamais pensé au cours de ma jeunesse de pratiquer le francoprovençal à l’écrit, au-delà de quelques brèves phrases facétieuses. Ce furent des poèmes d’abord. Par la suite, j’ai publié deux romans. Un troisième est peut-être là, en train de sortir du flou de mes pensées tourbillonnantes. Il y a sept ans, après avoir lu mon dernier roman, un ami savoyard m’a encouragé à utiliser le francoprovençal, à trouver les mots à l’écrit, tout comme je saurais les trouver en parlant… En rentrant très tard ce soir-là je trouvai les mots et en trois mois j’écrivis dix petits poèmes ! Il fallait que je me relâche, que j’oublie les discussions autour de la graphie et des formes pures… Qui parle la langue pure ?

7 Depuis toujours, c’est-à-dire, déjà avant mes premiers souvenirs, deux patois cohabitaient dans mon moi profond : celui de mon père, d’Excenex, village de la colline d’Aoste, et celui de ma mère, de La Magdeleine. Je passais de l’un à l’autre avec bonheur mais avec des émotions différentes, car chaque façon de parler s’associait à des

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personnes et à des situations différentes. Et combien de fois par la suite j’ai redécouvert ces émotions grâce à la langue, à ses sonorités ou à ses expressions typiques. Alors, quand j’ai découvert que les patois n’étaient pas deux comme je l’avais supposé dans ma première enfance, mais très nombreux, j’ai commencé à apprécier toute cette gamme infinie de variations et à mes yeux le francoprovençal était un arc-en-ciel merveilleux qui abritait tout le monde, irradié chacun d’une lumière de couleur un peu différente. Je me souviens que je ressentais une émotion très forte à écouter les différences et assez rapidement il me parut naturel de tenter de les reproduire, car parler une certaine variété plutôt qu’une autre n’est pas un choix neutre : il suffit d’essayer une fois pour le lire dans les yeux de nos interlocuteurs. Plaisir relationnel mais aussi plaisir sensoriel, quand on fait rouler des mots nouveaux dans sa bouche, qu’on oblige sa propre langue à claquer là où elle n’a pas l’habitude et ses oreilles à écouter des suites de sons qui ne sont pas ceux que notre bouche prononçait jusqu’à la veille…

8 L’anglais ne me donnait pas ces émotions : au lycée, les méthodes d’enseignement avaient changé depuis la maternelle, ce n’était plus des diapos en noir et blanc, c’était le magnétophone grinçant avec haut-parleur et rallonge orange, dont le déroulement prenait cinq minutes à chaque fois. C’était encore des mots privés de la joie de la communication, la tristesse de la grammaire coupée de l’émotion. À part les vacances à la mer, les voyages étaient rares dans mon enfance. Je rêvais en regardant les cartes postales, en glanant des mots là où je les trouvais…Un jour sur une plage un garçon anglais m’offrit un coquillage : « shell », je n’oublierai jamais ce mot. Enfin un mot qui n’était pas vide. D’autres mots suivirent et donnèrent une vie à cette langue aussi. Je pouvais désormais composer des phrases sans passer par la traduction, je me réjouissais d’articuler des mots et de matérialiser mes pensées.

9 À chaque fois, il me fallait vivre une expérience de communication pour déclencher en moi la force vitale de la langue. Ça allait de plus en plus vite, au gré des rencontres, des lectures, des voyages…On me disait « tu peux voyager parce que tu connais les langues » je crois que l’inverse serait plus correct.

10 Un jour, je réalisais que le but n’était plus la langue mais la communication, le plaisir d’approcher des personnes et de mieux les comprendre à travers leur système. Je connus l’allemand ainsi. D’autres formes francoprovençales. L’occitan alpin. Des mots de basque. Le portugais. Certaines langues, je les parle couramment, d’autres je les comprends bien. D’autres j’aime en écouter les sonorités, je me fais bercer par ces locuteurs, sans leur avouer que je comprends moins que ce qu’ils croient, mais sans cette petite tricherie je serais privée du plaisir de les écouter : ils me parleraient une autre langue pour venir vers moi, comme les hauts-valaisans, dont je capte quelques mots par-ci par-là…J’aurais pu choisir l’allemand en langue 3 à l’université, quand j’étais en lettres modernes, mais je n’avais pas beaucoup de temps pour m’y consacrer, alors j’ai préféré une langue qui me permette de parler rapidement comme l’espagnol. Le castillan, comme disait mon premier professeur. Je me suis inscrite directement au niveau avancé, j’ai senti le défi que cette langue me lançait. La compréhension était là, presque totale dès le premier jour : le bonheur…et la hâte me prit de parler et d’écrire à mon tour. Je sentais le même élan que j’avais ressenti en passant d’une variété francoprovençale à une autre. Je plongeai dans la vaste littérature hispanique… Des relations professionnelles suivirent peu de temps après, des conversations

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téléphoniques (quand internet n’était pas encore un outil ordinaire) et même des interviews.

11 La chanson aussi m’a servi de pont, car elle nous expose à un riche vocabulaire. C’est ainsi que je peux affirmer avoir appris à comprendre le corse, mais avant encore ce système m’a permis de parler le patois d’Ayas. Les premières fois que je me lançais dans l’expérience, je prenais un ton facétieux et sortais des phrases parfaites quand le contexte s’y prêtait, en n’utilisant que les mots des chansons que je connaissais. Malgré ce soupçon de moquerie, qui d’habitude instille la bonne humeur auprès de mes interlocuteurs, cela resserrait les liens pendant la conversation et mes compétences augmentaient beaucoup plus rapidement.

12 Mais dans la communication, je n’ai pas fait que l’expérience de la proximité. À Aoste, quand je parle italien avec des personnes que je ne connais pas, on me demande souvent depuis combien de temps je suis dans la région, comme s’il ne faisait aucun doute que je viens d’ailleurs. D’où ? De France, de Suisse, de Moldavie, de Pologne, du Canada, me dit-on… Mon accent ? Le jeu des clichés ? Je ne sais trop, mais de me sentir comme une étrangère chez moi, cela me vexe parfois. Mes fils aussi à l’école ont un peu souffert de la curiosité des adultes qui en faisait parfois des objets un peu rares, alors qu’ils étaient tellement à leur aise au milieu des langues parlées en famille et des langues introduites chez nous par le biais de filles et de garçons au pair que nous avons hébergés pendant des années. Pour quelqu’un, les langues restent un exercice intellectuel. Pour moi, c’est avant tout une ouverture sur un monde magique. En arrivant en Bretagne l’année dernière, vingt ans après mon dernier séjour, seulement en parcourant l’autoroute, je retrouvai des mots que je croyais oubliés. De vieux souvenirs jaillissaient de ma mémoire, des mots ensevelis revenaient à moi : les mots et les paysages en même temps ! Jusqu’à rêver en breton une nuit, des mots que j’ai pu traduire le lendemain avec l’aide d’un garçon de café, en découvrant ainsi qu’ils avaient tout leur sens.

13 Et ce francoprovençal qui était au début de mon histoire, il est encore là, au cœur de ma vie, plus vivant que jamais. Je dirais langue charnelle, plutôt que langue maternelle (car c’est aussi ma langue paternelle, ma langue du berceau, même si j’ai perdu les souvenirs de moi bébé…). Car tous les jours je sens que cette langue m’appartient comme ma propre chair et s’enfonce au plus profond de moi-même pour exprimer tout ce qu’il y a de plus primordial et d’irréfléchi en moi. Les autres langues, quant à elles, se sont installées plus haut, dans la tête probablement : elles me suggèrent l’émotion de la découverte, l’ivresse de l’altérité, l’innovation dans mon existence, l’ouverture au monde… Les connaître et les pratiquer toutes, selon les circonstances, c’est un aller- retour infini, de moi au monde, entre introversion et extraversion. En même temps, j’ai des amis toujours plus nombreux avec lesquels partager la langue francoprovençale dans un espace toujours moins imaginaire à cheval sur trois pays, qui m’offre tous les jours une émotion nouvelle à travers ses mille formes que parfois j’écoute, que parfois je répète au gré des jeux subtils qui sous-tendent toute situation de communication, ses règles et ses enjeux, question tantôt de se rapprocher, tantôt de marquer une distance, tantôt de tendre la main à un locuteur hésitant, tantôt de céder à un plaisir purement esthétique. Parfois le son typique crée l’intimité, parfois la forme plus générale me conforte dans la complicité collective que je mets en place… En tant que directrice du Centre d’Etudes Francoprovençales, je plonge dans cette langue à tous les niveaux et je côtoie des esprits passionnés, des chercheurs rigoureux de plusieurs pays, des

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connaisseurs raffinés des subtilités de la langue. Tout en le parlant depuis toujours, j’ai compris la nécessité de développer de nouvelles compétences en francoprovençal pour répondre à de nouvelles exigences et pour m’adapter à de nouveaux registres, afin de le parler devant le public international d’une conférence, comme c’était le cas à pendant la Féta dou Patoué en 2014, ou afin de rédiger des procès-verbaux en temps réel pendant les assemblées du Conseil International du Francoprovençal, pour ne donner que deux exemples.

14 J’oscille entre norme et usage, entre nostalgie et vision à long terme, entre amour du pays et idéal de langue, entre des sentiments identitaires correspondant à de nombreux cercles concentriques du plus exclusif au plus inclusif et vice-versa, mais jamais je n’oublie le sentiment de liberté que me garantissent toutes ces stratégies communicatives, cette panoplie de langues avec lesquelles je jongle avec délectation. De plus en plus, car l’expérience continue. Dès que ma situation familiale me le permettra, je compte m’organiser pour aller travailler quelque temps dans une région dont je ne connais pas la langue et me remettre encore en jeu. J’ai quelques idées déjà, mais je suis trop jalouse de mes rêves pour les partager, car je sais qu’ils vont se réaliser !

RÉSUMÉS

Née à Aoste le 16 juillet 1972 de parents valdôtains, elle a grandi, et vit toujours dans cette région où la variation linguistique est une expérience quotidienne. Sensible à tout ce qui a trait à la communication, elle partage ici ses souvenirs autour des nombreuses langues avec lesquelles elle est entrée en contact. Anthropologue, elle porte un regard décalé sur son expérience personnelle, mais au fil de ces pages elle tente de restituer un témoignage aussi vrai que possible.

Born in Aosta July 16, 1972 of Valdaostan parents, she grew up and still lives in this region, where linguistic variation is a day-to-day experience. Awake to everything that concerns communication, she shares with us her memories of the many languages with which she came into contact. As an anthropologist, she casts an objective eye upon her own life expérience, but tries to deliver, as she goes along, an as authentically personal account as possible.

INDEX

Keywords : francoprovençal, patois, variation, complicity, emotion Mots-clés : francoprovençal, patois, variation, connivence, émotion

AUTEUR

CHRISTIANE DUNOYER Centre « René Willien » de Saint-Nicolas (Italie)

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Débat

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Langues et démocratie : un lien imprescriptible

Gilbert Dalgalian

1 Le lien entre le statut des langues et la démocratie n’est pas seulement – n’est pas essentiellement – de nature institutionnelle. Il est plus profond, plus fondamental, parce qu’il s’agit d’un lien moral et philosophique. En réalité deux faces d’une même médaille.

2 Avant d’illustrer ce lien par quelques indices et exemples aussi désolants que révélateurs, quelques mots sur la nature même du lien.

3 La langue est au cœur de l’individu, à la fois son expression personnelle et sa voix – et sa voie de communication – vers l’Autre. Partant de là, la langue est pour chacun – bien davantage que son statut social, professionnel ou économique – indissociable de son être au monde, de sa personnalité. On peut certes s’identifier à un territoire, un État, une religion, une culture ; mais ces identifications sont mouvantes et en perpétuel mouvement : cela fut toujours le cas et aujourd’hui c’est plus vrai que jamais.

4 En revanche, la langue reste un point d’ancrage que l’on peut rarement perdre, même si on peut lui rajouter des points d’ancrage supplémentaires, des secondes langues donc, tout au long de la vie. Il arrive aussi que l’enfant ait grandi avec plusieurs langues : ce fut mon cas. C’est bien plus fréquent à travers le monde qu’on ne croit : lorsque l’individu est bi- ou plurilingue, ses langues sont toutes constitutives de ses racines. Je préfère parler de « racines » plutôt que d’identité, mot qui renvoie à une vision trop essentialiste à mon goût.

5 « Racines » a d’abord le mérite d’être pluriel, toujours pluriel et toujours en évolution. ’Racines’ a aussi le mérite de laisser chacun libre de pousser – suivant son propre tropisme – dans la direction qui lui convient sans le figer dans un moule identitaire.

6 Et c’est parce qu’elle exprime à la fois sa personnalité, sa façon d’être et sa liberté de choix que la langue est une facette indissociable de chacun, de sa dignité. Dignité, voilà un mot que d’aucuns trouveront ringard. Pourtant ne pas respecter cette dignité, exprimée dans la ou les langues de chacun, c’est en réalité refuser que l’Autre soit autre. Est pervers celui qui vit dans un monde sans Autre. Cette perversion conduit au

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déni de démocratie. La démocratie, c’est – bien avant les institutions – le respect. Lequel respect de l’autre s’exprime et se vérifie d’abord dans le respect de sa ou de ses langues.

7 Les situations de non-respect sont légion. Je vais en évoquer quelques-unes d’inégale gravité. Dans l’ordre de gravité croissante, je parlerai de l’ostracisme anti-accents régionaux, puis de l’effacement des langues régionales par des politiques scolaires éradicatrices, enfin du péril lié au nivellement linguistique à l’échelle planétaire.

8 L’ostracisme anti-accents régionaux naît d’une phobie. Un premier indice de cette phobie – un indice subtil, mais omniprésent – se dévoile dans l’exclusion quasi systématique des accents régionaux chez les présentateurs et les chroniqueurs de nos médias. Exclusion que l’on n’observe ni sur les chaînes allemandes, suisses ou autrichiennes, ni ailleurs.

9 Pourtant on accepte et on apprécie dans nos médias les accents des étrangers qui parlent français, souvent assez correctement. Ce qui signifie que l’exclusion ne vise que les accents de France.

10 Ici il convient de noter que les locuteurs d’une langue régionale de France ne perdent pas tous leur accent, pourtant dévalorisé dès l’école. Les méridionaux occitanophones ou basques, par exemple, se font un plaisir de cultiver leur accent : ce n’est pas parce qu’ils seraient incapables de s’en débarrasser puisque beaucoup le font ; non, c’est une forme de résistance culturelle que de marquer son occitanité, même lorsqu’on ne parle plus l’occitan.

11 D’ailleurs il n’y a pas un seul accent occitan, mais plusieurs selon les variantes dialectales. On retrouve ces différences dans le français des locuteurs du Midi : c’est toujours la transposition au français des traits prosodiques de l’occitan quelle que soit la variante locale.

12 Mais l’exclusion des accents n’est qu’un indice. Il y a plus grave. La phobie anti-langues (et celle anti-accents n’est que la partie émergée de l’iceberg) est la traduction d’un verrou idéologique plus profond que l’on peut formuler ainsi : le nivellement linguistique serait indispensable à l’unité de la nation française.

13 Nous voilà au cœur du blocage : on recherche l’unité et l’égalité dans l’uniformité totale des citoyens ; on accorde au nivellement linguistique et culturel des attributs qu’il n’a pas. Le nivellement linguistique n’est pas synonyme de démocratie, ni de république : le nivellement linguistique est synonyme de non-respect du peuple dans ce qu’il a de plus profond, son parler. Or le respect est LE principe politique majeur ; il est le fondement de toute démocratie.

14 Mais étendons-nous quelques instants sur les idées reçues qui ont fondé ou accompagné les politiques d’éradication des langues régionales. Elles reposent sur deux axiomes erronés.

15 Premier axiome erroné : le monolingue aurait une meilleure maîtrise du français et une seconde langue nuirait à ses compétences en langue nationale. Il m’appartient de combattre cette idée que malheureusement certains enseignants ont encore en tête. Car c’est le contraire qui est vrai. Pour plusieurs raisons.

16 Même lorsque l’enfant n’a pas bénéficié d’une transmission familiale et qu’il découvre cette langue dans une maternelle bilingue comme il en existe de plus en plus partout en

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France, ce n’est pas seulement une langue de plus à apprendre, (comme ce serait le cas au collège ou au lycée).

17 Il s’agit d’autre chose : une seconde langue précoce est une véritable formation cérébrale et intellectuelle. Pas seulement une ouverture et un complément de culture comme avec les langues tardives du collège et du lycée.

18 Pourquoi parler de formation cérébrale ? Parce qu’à cet âge précoce on n’acquiert pas la langue de façon consciente et volontaire, mais dans le vécu des jeux et des interactions, des comptines et des chansons. De telle façon que l’enfant pratique des allers-retours permanents entre ses deux langues inconsciemment et efficacement, sans traduire, ni réfléchir, mais dans une libre reformulation de ce qu’il ressent ou veut exprimer. Avec ses affabulations et ses omissions volontaires.

19 Ces allers-retours permanents l’amènent à saisir que derrière des formes différentes s’expriment des contenus identiques ou similaires. Ce, malgré quelques différences culturelles. Donc l’élève d’une classe bilingue a très tôt touché du doigt la relativité des formes et des mots et l’universalité très large des contenus et des sentiments. Voilà une formation de l’esprit qu’aucune acquisition tardive ne garantit avec autant de profondeur et d’efficacité qu’une éducation bilingue précoce.

20 Ainsi tout petit déjà, j’ai appris dans un vécu que l’Autre n’est qu’une variante humaine comme moi. Et qu’il s’exprime comme moi avec ses différences.

21 L’avantage que donne la maîtrise d’une seconde langue, Johann Wolfgang Goethe l’avait déjà énoncée en son temps : "On ne connaît bien sa langue que lorsqu’on en parle d’autres".

22 Pendant très longtemps les officiels de l’Éducation nationale des 19e et 20e siècles ont avancé l’argument selon lequel "les dialectes ne sont pas de vraies langues, parce qu’elles n’ont pas de grammaire" (sic). Ceci n’est rien d’autre qu’une ineptie. En effet la grammaire n’est pas cette description de la langue que prodigue l’école primaire.

23 La grammaire arrive dans un cerveau d’enfant à l’oral et avant l’école, dès qu’il observe, engrange et reproduit les féminins, les pluriels, les formes des verbes, les constructions de phrases et l’ordre des mots, les prépositions ou ailleurs les déclinaisons.

24 C’est toute la morphosyntaxe que l’enfant a intériorisée et automatisée entre zéro et sept ans et c’est justement cette dimension de la langue qui deviendra plus difficile à acquérir (les bilinguismes tardifs existent aussi, mais ils n’ont pas les mêmes effets sur la formation, notamment cérébrale des individus). D’où aussi la plus grande fluidité des langues précoces, lorsque les automatismes ont été construits dans un âge tendre, l’âge du langage.

25 Bref, une langue sans grammaire, ça n’existe pas.

26 Or la construction d’automatismes linguistiques dans une langue maternelle – ou dans deux langues – est ensuite transférable à d’autres langues : ce sont précisément les automatismes de la tendre enfance qui permettront la construction de nouveaux automatismes pour les langues tardives du collège et du lycée. Ce qui fait du bilingue précoce un plurilingue en herbe, parce que – disposant d’un double stock de sons, de mots et de structures – ses transferts à d’autres langues seront plus aisés et plus rapides que chez le monolingue. De même on n’est pas meilleur francophone parce qu’on est monolingue. C’est le contraire.

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27 Second axiome erroné : le locuteur monolingue serait un meilleur citoyen que les autres. Cela n’est jamais dit explicitement, mais c’est toujours sous-jacent. Or cela fait bon marché de tous nos auteurs, artistes, savants, chanteurs et comédiens – dont les noms peuplent nos écrans et notre histoire – qui ont enrichi la création française grâce à leur bilinguisme et biculturalisme originel.

28 Sans parler de tous ces ’morts pour la France’ qui étaient locuteurs d’une langue africaine ou autre et pour qui le français était leur seconde langue.

29 Ces deux axiomes sont des constructions. Elles ont été élaborées au fil du temps et des méandres et palinodies de l’Histoire. Elles n’ont aucune base en sciences humaines et sociales. Pourtant si elles ont trop longtemps intoxiqué la pensée – ou la non-pensée – c’est que derrière les idées reçues se cachent les phobies tenaces que j’ai évoquées.

30 Mon plaidoyer en faveur des langues régionales vaut également pour les langues d’origine des enfants des immigrations anciennes ou récentes, du moins lorsque la demande est réelle ; ceci pourtant ne fait sens que si ces élèves en désir de bilinguisme ne sont pas enfermés dans un ghetto ethnique ou linguistique, ce qui fut la cas avec les ELCO (langues et cultures d’origine) où les petits Portugais ou les petits arabophones se retrouvaient entre eux. L’accès aux langues d’origine, comme pour les langues régionales, ne doit exclure personne et s’ouvrir à tous.

31 Dans ce panorama trop rapide des politiques linguistiques et scolaires, je m’en voudrais d’oublier le cas le plus désolant de tous : le statut des parlers d’Alsace et de Moselle dont la référence écrite est l’allemand.

32 Pourquoi désolant ? D’abord parce que ces langues – dont l’allemand – sont insuffisamment promus dans l’institution scolaire et universitaire de leur propre région.

33 Insuffisamment par rapport aux nombreuses relations de l’Alsace et de la Moselle avec leurs voisins allemands et suisses ; insuffisamment au vu du grand nombre d’emplois transfrontaliers perdus, soit par manque de bilingues, soit parce que les bilingues alsaciens ou franciques n’ont plus la maîtrise du standard, l’allemand.

34 A ce point précis je souhaite montrer pourquoi ce serait une hérésie de vouloir opposer l’allemand à l’alsacien : ce serait se tirer une balle dans le pied, car ici comme dans toutes les régions germanophones et dialectophones l’allemand est le fond de réserve et le prolongement naturel des dialectes locaux.

35 Même en Suisse les journaux sont de langue allemande standard ; d’ailleurs ils ne disent pas Hochdeutsch mais Schrifdütsch, allemand écrit.

36 Les Dernières Nouvelles d’Alsace et l’autre quotidien, l’Alsace, ont longtemps eu une édition bilingue faisant une large place à l’allemand standard. Hélas les politiques linguistiques combinées à la disparition des vieux locuteurs ont abouti à cette régression : la presse quotidienne bilingue n’existe plus ; elle est remplacée par un supplément hebdomadaire envoyé aux seuls abonnés.

37 Ici un rappel historique indispensable : pendant très longtemps ni le côté officiel français, ni les locuteurs alsaciens n’ont fait de distinction entre le parler oral et le standard allemand. Jusqu’à la fin du 19e siècle, c’est le terme Ditsch ou Deutsch qui est utilisé pour désigner aussi bien les formes parlées que les formes écrites en standard allemand.

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38 Paradoxalement, c’est sous le 2e Reich après 1870 que, l’Alsace n’ayant pas le même statut politique que les autres régions de l’Empire, apparaît l’expression ’Elsässerdeutsch ’ et plus tard ’Elsässisch’. Et c’est bien plus tard, après 1918, que la politique linguistique française va s’engouffrer dans ce distinguo pour mieux estomper le lien organique entre l’oral alsacien et l’écrit allemand.

39 Mais quand donc a eu lieu cette entrée de la langue allemande dans l’univers français ? Cela remonte à 1648, date du premier rattachement de l’Alsace-Moselle au royaume de France en application du Traité de paix de Westphalie. On peut largement attribuer à la diplomatie et à l’intervention militaire de Richelieu d’abord, de Mazarin ensuite, l’entrée de la langue allemande dans le royaume de France. Et pour plusieurs siècles sans interruption.

40 L’exclusion de cette langue est donc relativement récente et n’a d’équivalent que la ’défrancisation’ – la Entwelschung’ – pratiquée par les nazis entre 1940 et 1945.

41 Revenons-en à la politique scolaire officielle d’aujourd’hui. Elle vient encore aggraver les effets de l’éradication tant des dialectes que de l’allemand : le nombre de vraies filières bilingues précoces français/allemand – bien qu’en légère progression en Alsace depuis peu – ne correspond ni aux potentialités en nombre de locuteurs, ni aux besoins économiques, commerciaux et professionnels de l’Alsace. En Moselle la situation est pire encore. Que l’on compare cela au Land de Sarre où le français est enseigné dès l’école primaire.

42 Oui, l’allemand est une langue de France dans sa double face, dialectale et standard ; ce depuis plus de trois siècles. Certes la pulsion de nivellement s’est appuyée sur un lourd passé de guerres franco-allemandes. Mais n’est-il pas venu le temps de faire la distinction entre langue et histoire, entre le passé et le présent ? Il est temps de redonner à la langue allemande sa place de choix non seulement comme langue du voisin et ami, mais aussi comme langue écrite et arrière-plan culturel des locuteurs de l’alsacien et du mosellan, lorsqu’ils le désirent.

43 J’en arrive à cette menace de loin la plus grave : la vertigineuse perte des langues au cours des temps modernes et le nivellement linguistique et culturel observé partout, notamment avec l’omniprésence de l’anglais dominant.

44 Pourtant la tendance au nivellement et à l’uniformisation n’a pas commencé seulement avec l’anglais. Elle a des antécédents sur la planète entière et a aussi une riche histoire dans l’ère française et francophone à travers le temps et l’espace.

45 On peut s’interroger sur le paradoxe de notre pays qui possède le plus grand gisement de langues de toute l’Europe de l’Ouest et qui le néglige. Seul le mépris a pu conduire à être indifférent à une telle richesse, tantôt en les ignorant, tantôt en les rabaissant à des tares. Ce qui fut le cas, de l’Abbé Grégoire à Jules Ferry.

46 Cependant il est inutile de taire la responsabilité des opinions publiques et notamment des parents d’élèves qui ont leur part dans l’alignement sur ce qui leur apparaît comme le plus fort capital culturel et social, désormais presque toujours au bénéfice de l’anglais. Ce capital social semble décider de plus en plus souvent ce qui fait qu’une langue est légitime ou non.

47 C’est une conception exagérément utilitariste qui conduit tant de parents partout à choisir l’anglais en premier, même en filières précoces ou semi-précoces.

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48 Outre que ce choix tient rarement compte de l’environnement linguistique réel, il s’apparente à un (mauvais) pari sur l’avenir de l’enfant. Il procède de la représentation erronée qui voit en chaque progéniture un futur ingénieur, manager ou informaticien, sans se douter que le moment venu cet enfant sera peut-être musicien, enseignant ou garagiste (et que pour tous il serait plus bénéfique de démarrer dans la vie avec les langues de l’environnement réel).

49 Non seulement cette vision – utilitaire jusqu’au conformisme – tourne le dos à la liberté de l’enfant, à ses libres choix et talents, mais en outre elle occulte cette donnée : le bilingue précoce apprendra plus vite et mieux l’anglais en 3e position que son camarade monolingue qui aborde l’anglais en 1ère langue vivante au collège.

50 Avec ce résultat qu’aucune langue ne peut faire aujourd’hui obstacle à l’anglais, tandis que l’anglais nourrit chez beaucoup l’illusion de suffire en toute situation. Avec pour conséquence que trop souvent l’anglais devient de facto un obstacle aux autres langues. Notamment par les choix de certains parents.

51 Bref, la clé anglaise n’est pas la clé universelle. La seule clé universelle, c’est le plurilinguisme dont l’anglais sera une composante.

52 Mais la critique d’une uniformisation par un anglais dominant ne saurait épuiser un problème plus profond et plus complexe. Je veux parler de la régression généralisée de la diversité linguistique et culturelle. C’est bien d’un recul de l’humain dans ce qui est l’essentiel.

53 Or il semble que l’on soit passé très largement à côté de l’essentiel : la diversité linguistique et culturelle est un prolongement de la biodiversité.

54 Voyons comment cela se comprend : au cours des 300 000 dernières années Homo a ajouté à son patrimoine biologique initial tout un nouveau patrimoine d’innovations et d’apprentissages, notamment culturels et linguistiques, transmis de génération en génération et renouvelé et enrichi par les nouvelles générations. Certains auteurs ont appelé ces avancées une ’biodiversité culturelle’.

55 Mais ce terme n’est pas satisfaisant : il montre bien la filiation entre la biodiversité et la diversité culturelle, mais il gomme la différence de nature ; il m’a paru plus judicieux de forger un terme spécifique qui marque cette spécificité du culturel et du linguistique. J’ai donc proposé le terme de ’Glossodiversité’.

56 Quoi qu’il en soit, la glossodiversité est bien le prolongement de la biodiversité, mais sous des formes inédites : l’évolution darwinienne ne pouvait pas s’arrêter au moment même où une espèce, la nôtre, avait mis en œuvre des capacités nouvelles d’évolution et d’auto-transformation. Avec leurs langues, leurs cultures et leurs techniques, les humains avaient changé le rapport de l’homme à son environnement.

57 A la réflexion, il eût été impensable que, toutes les espèces ayant évolué et s’étant diversifiées depuis des millions d’années sous pression constante de l’environnement, cette diversification s’arrête d’un coup avec l’émergence d’Erectus et de Sapiens. C’est forcément le contraire qui devait se produire : doté d’un nouveau cerveau et de nouveaux savoir-faire Homo ne pouvait pas ne pas modifier son environnement et se modifier soi-même dans une interaction permanente tous azimuts.

58 Cela devint une vertigineuse accélération dans l’évolution et la diversification des humains et, partant, de leur environnement. Pour le meilleur et pour le pire !

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59 Pour le pire aussi, car ces capacités nouvelles peuvent ouvrir sur de vrais progrès, mais aussi sur des régressions, notamment en raison désormais de l’énorme pression de la globalisation. L’une de ces régressions concerne justement les langues et les cultures. C’est-à-dire l’essentiel de la psyché humaine !

60 La glossodiversité n’est pas un ’plus’ dont on pourrait se passer au profit d’un nivellement, d’une uniformisation linguistique devant soi-disant permettre une meilleure communication planétaire. Ce qui se ferait au détriment des langues dites minoritaires, puis de langues nationales, y compris de grandes langues.

61 Cette uniformisation planétaire fait que le combat pour les langues est indivisible : c’est l’avenir de toutes les langues qui est en jeu.

62 Or la glossodiversité a été et reste inséparable de toute l’hominisation et il n’y a pas d’humanité sans cette diversité intrinsèque. Dès l’aube de l’humanité, l’hominisation a été synonyme de diversification et cela s’est multiplié avec le temps.

63 Le foisonnement des profils est aussi source de diversité psychologique et intellectuelle et c’est ce foisonnement intellectuel qui constitue le fondement de toute démocratie.

64 En termes actuels, il importe de prendre la mesure de la force et de la légitimité de cette diversité. En clair, aucune langue ne peut prétendre être la clé universelle. La seule clé universelle, c’est le plurilinguisme. Plurilinguisme des individus et des sociétés !

RÉSUMÉS

Le lien entre le statut des langues et la démocratie n’est pas seulement – n’est pas essentiellement – de nature institutionnelle. Il est plus profond, plus fondamental, parce qu’il s’agit d’un lien moral et philosophique. La langue est au cœur de l’individu, à la fois son expression personnelle et sa voix – et sa voie de communication – vers l’Autre. Partant de là, la langue est pour chacun – bien davantage que son statut social, professionnel ou économique – indissociable de son être au monde, de sa personnalité. Elle reste un point d’ancrage que l’on peut rarement perdre, même si on peut lui rajouter des points d’ancrage supplémentaires, des secondes langues donc, tout au long de la vie.

The link between the status of a language and democracy is not only an institutional issue, it is more fundamental because it is moral and philosophical. Language is the core of the individual, both his/her personal expression and means of reaching the Other. More than a symbol of a social, professional or economic status, language is inseparable from one’s way of being in the world. It remains one’s permanent anchor, even if one can add other anchor points to it as life unfolds – second languages.

INDEX

Mots-clés : statut des langues, démocratie, racines, point d’ancrage Keywords : language status, Democracy, roots, anchoring point

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AUTEUR

GILBERT DALGALIAN Linguiste

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Compte rendu d’ouvrage

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Dario Elia TOSI, Diritto alla lingua in Europa Giappichelli Editore, Torino, 2017, 416 p

Luisa Revelli

NOTIZIA

Diritto alla lingua in Europa, Giappichelli Editore, Torino, 2017, 416 p [ISBN 978•88•9210856•1]

1 Il volume Diritto alla lingua in Europa – pubblicato nei primi mesi dell’anno 2017 dall’editore Giappichelli di Torino all’interno della Collana «Le frontiere del Diritto» fondata da Giorgio Lombardi – affronta da un punto di vista giuridico e in prospettiva comparativa la questione delle lingue d’Europa esaminando scelte, indirizzi e provvedimenti che i diversi Paesi membri hanno adottato – nell’alveo collegiale della Comunità europea – come propri modelli di regolamentazione dei repertori linguistici nazionali.

2 L’Autore, docente di Diritto pubblico comparato presso il corso di laurea in Scienze Politiche e delle Relazioni Internazionali dell'Università della Valle d'Aosta, precisa preliminarmente che il suo studio non è dedicato a mere questioni di “diritto della lingua” ma si propone invece di esaminare le discipline normative relative al “diritto alla lingua” in un’ottica comprensiva tanto “dei diritti linguistici riconosciuti a determinati gruppi quanto [del]le prescrizioni sulla protezione delle lingue ufficiali poste a tutela degli interessi delle intere comunità statuali” (pag. XI). I dispositivi giuridici oggetto di osservazione riguardano pertanto sia i diritti sia i doveri: a una densa disamina storica dei modelli interpretativi degli uni e degli altri è rivolto il primo capitolo del volume, comprensivo di un excursus dedicato alle soluzioni terminologiche impiegate nel linguaggio settoriale giuridico per esprimere e rappresentare i rapporti fra lingue e diritto.

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3 Sulle modalità attraverso le quali tali complessi rapporti sono stati assunti e affrontati nel corso del Novecento da parte della comunità internazionale si concentrano i due successivi capitoli: uno specifico approfondimento è dedicato ai contenuti della Convenzione Europea per la salvaguardia dei diritti dell’uomo e delle libertà fondamentali (CEDU) e alle loro applicazioni nella giurisprudenza della Corte di Strasburgo, con concreti esempi di pronunce in tema di tutela dei profili linguistici nazionali e di salvaguardia dei diritti dei cittadini appartenenti a comunità minoritarie.

4 La seconda parte del volume concerne l’analisi dei dispositivi di regolamentazione previsti negli ordinamenti nazionali dei 28 Paesi membri dell’Unione europea, dichiaratamente per sole ragioni espositive raggruppati nelle seguenti tre grandi macroaree: Europa Centromeridionale; Europa centrosettentrionale; Europa centrorientale.

5 A ciascun Paese è dedicato uno specifico report, che confrontando i modelli di politica linguistica espressi negli ordinamenti legislativi con le concrete realtà dei repertori di riferimento mette in luce scelte politiche, implicazioni sociali, fenomeni di cambiamento, criticità e contraddizioni.

6 Nelle Conclusioni, Tosi osserva come il quadro delle discipline normative sul tema linguistico presenti caratteristiche di estrema variabilità: la comparazione fra le soluzioni adottate negli ordinamenti dei diversi Paesi dell’Unione evidenzia, infatti, un’ancora significativa eterogeneità delle politiche linguistiche nazionali, ciascuna indipendentemente dalle altre prodotto di implicite e intricate dinamiche storiche e sociali interne.

7 L’analisi delle tutele previste interiormente ai singoli Stati membri, d’altra parte, mette in luce marcate difformità nei confronti delle diverse minoranze compresenti, e il raffronto sugli spazi dedicati alle medesime parlate rappresentate in diverse aree geografiche manifesta eterogeneità rispetto all’impostazione di scelte e soluzioni. Così, accade in modo diffuso che coesistano spinti incoraggiamenti al pluralismo a fianco di misure protezionistiche a favore di lingue nazionali avvertite come deboli; che in Croazia gli italofoni godano di garanzie diverse da quelle concesse ai gruppi serbo- croati presenti nella medesima area; che i dispositivi di tutela concepiti per i parlanti catalani differiscano notevolmente a seconda che questi siano collocati in Spagna, Francia o Italia, e via discorrendo.

8 E, d’altra parte, osserva l’Autore che la progressivamente crescente consistenza dei flussi migratori verso l’Europa occidentale impone oggi l’individuazione di soluzioni capaci di rispondere efficacemente alla mutata conformazione degli assetti linguistici nazionali: seppur motivati da urgenze di integrazione degli immigrati con la comunità autoctona, i principi dell’assimilazionismo non appaiono rispondenti ai reali bisogni dei parlanti, per i quali l’appartenenza linguistica è portatrice di importanti implicazioni culturali, punti di riferimento valoriali e rappresentazioni identitarie.

9 In un quadro europeo che – conclude Tosi – “si presenterà in futuro sempre più postnazionale” i diversi sistemi politici dovranno quindi individuare le modalità più corrette per affrontare un inevitabile cambiamento anche al di là delle disposizioni normative, in quanto “continuare a governare il problema linguistico secondo gli stilemi tradizionali dello Stato nazione e dei rapporti maggioranze/minoranze appare riduttivo” (pag. 370). Con l’auspicio di un recupero “dell’impianto renaniano della nazione come frutto di un plebiscito di tutti i giorni”, il modello proposto come

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auspicabile prospetta allora il superamento dei rigidi principi di tutela e protezione di lingue nazionali e minoranze, invocando invece l’adozione di ordinamenti politici che favoriscano il costituirsi di repertori plurilingui invece che multilingui; che ammettano aperture nei confronti degli idiomi delle comunità allofone delle nuove minoranze; che consentano, infine e in ogni caso, di “porre le basi per un processo osmotico in cui le singole identità si arricchiscano del contributo di ogni membro della comunità” con l’obiettivo conclusivo di “fare delle lingue un fattore di ricchezza, e non di divisione, dell’Unione” (pag. 371).

INDICE

Keywords : language rights, linguistic policy, linguistic minorization, plurilingualism in Europe Mots-clés : droit aux langues, politique linguistique, minorisation linguistique, plurilinguisme en Europe

AUTORI

LUISA REVELLI Université de la Vallée d’Aoste (Italie)

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Résumé d’HDR

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Diffusion d’un classement académique en France : analyse des logiques sociales et des discours de presse sur le classement dit « de Shanghai ». Habilitation à Diriger des Recherches en Sciences de l’information et de la communication, soutenue le 6 juin 2017 à l’université Pari Est Créteil

Christine Barats

1 Dans un contexte de réformes dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) et de discours sur l’évaluation et sur « l’excellence » académique, les classements académiques nationaux et internationaux se sont multipliés dans les années 2000. L’analyse de l’émergence et du traitement dans la presse française du classement dit « de Shanghai », premier classement international issu du champ académique, a permis d’objectiver les caractéristiques de sa diffusion et de sa mise en mots, de la date de sa publication en Chine en 2003 à septembre 2014. A partir de l’étude de son traitement dans la presse, la recherche menée en Sciences de l’information et de la communication a montré l’intensification du processus de médiatisation à partir de 2007 ainsi que la place de certains organes de presse et acteurs dans ce processus. L’analyse des discours de presse a mis au jour l’importance du cadrage dépréciatif pour « faire événement », c’est-à-dire produire une information qui fait l’actualité, conformément à des logiques de presse. Elle a également montré le poids des logiques sociales et des stratégies d’acteurs en discours, acteurs académiques et politiques qui se sont saisis du classement et dont les propos ont été relayés dans la presse, participant au processus de médiatisation et le co-construisant.

2 En juin 2003, quatre chercheurs de l’université Jiao Tong de Shanghai ont publié, sur le site web de leur université, un classement recensant les 500 universités présentées comme les meilleures du monde : l’Academic Ranking of World Universities (ARWU). Ces chercheurs répondaient à une demande nationale en lien avec les réformes portant sur

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l’enseignement supérieur chinois, caractéristiques des années 1990 (Soulas 2010, 2016). Ils avaient consacré deux années à un travail de benchmarking, c’est-à-dire de comparaison d’établissements de l’ESR, puis deux années à la sélection de critères avant de produire ce classement qui devait contribuer à situer les universités chinoises par rapport à leurs homologues internationales (Liu, Cheng 2005 ; Billaut et al. 2010). Cette information à usage local n’avait pas vocation à dépasser les frontières nationales chinoises : aucun service de communication ou service de presse n’a ainsi contribué à sa médiatisation. Ce classement, plus connu sous le syntagme « classement de Shanghai », s’est cependant diffusé, en particulier en France, et a fonctionné dans de nombreux discours comme l’archétype du classement académique, ce qui s’est traduit in fine par une opération de communication, non souhaitée mais réussie pour l’université Jiao Tong.

3 L’analyse du processus de médiatisation de ce classement a ainsi mis au jour les conditions et les caractéristiques discursives de sa diffusion, de 2003 à 2014. L’approche qui a été privilégiée est longitudinale et basée sur la constitution de corpus de presse exhaustifs (presse écrite généraliste et agences de presse) ainsi que sur des entretiens menés auprès de journalistes et d’acteurs de l’ESR. Compte tenu de la problématique retenue, les critères de constitution des corpus sur la moyenne durée n’ont pas privilégié un type d’organe de presse a priori afin de pouvoir identifier les journaux et les agences de presse qui avaient été leaders. Si la matérialité discursive a été analysée à l’aide d’outils de statistique textuelle (corpus de plus d’un million d’occurrences), les corpus ont également permis de prêter attention à d’autres types de données, comme les organes de presse, la date de traitement ou le profil des acteurs cités ou qui se sont exprimés.

4 Cette recherche a mis l’accent sur les caractéristiques du processus et sa dimension dynamique et a articulé l’étude du profil des acteurs à celle des discours sur le classement, en accordant à leurs conditions de production une place centrale. Elle a permis d’objectiver les modalités de co-construction du processus, en particulier les rapports de force qui s’exercent dans et par les discours entre les acteurs des champs médiatique, académique et politique. La notion de co-construction permet d’éviter une sur-interprétation des logiques médiatiques, en l’occurrence une forme de médiacentrisme que pourrait induire le recours à des corpus de presse. Il s’agissait de prêter attention aux logiques de presse tout autant qu’aux stratégies d’acteurs en discours, afin de montrer la pluralité des logiques en présence dans le processus de médiatisation et en particulier leur lien avec les débats sur l’ESR, que ce soit les débats de 2003 liés au mouvement mené par des biologistes de l’Institut Cochin qui contestaient la Loi d’orientation et de programmation pour la recherche et l’innovation de 2003 (mouvement qui va s’étendre et conduire à la mise en place d’états généraux de la recherche, de même qu’à la diffusion de deux pétitions) ou bien que ce soit ceux de 2007 en lien avec les mobilisations suscitées par l’adoption en août d’une loi phare du quinquennat de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République, la loi dite LRU (Libertés et Responsabilités de Universités).

5 Dans un premier temps, cette recherche s’est adossée à un travail d’historicisation et de contextualisation du format et de la forme « classement », en particulier dans la presse. Les conditions de production et d’émergence de ce classement ont été retracées afin de contextualiser sa diffusion en France et en comprendre la genèse. Dans un deuxième temps, les conditions et les modalités de sa diffusion en France ont été analysées à

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partir des corpus de presse et des entretiens menés auprès des journalistes qui ont traité du classement et auprès d’acteurs de l’ESR. Ce deuxième aspect a permis de montrer que la médiatisation a été le fruit d’une pluralité de logiques. En effet, différents acteurs se sont saisis du classement et ont contribué à le co-construire comme ressource journalistique qui fait événement, compte tenu du choc provoqué par le cadrage dépréciatif, comme instrument de jugement remettant en question les représentations du prestige académique et comme argument politique justifiant les réformes. La circulation de ce classement l’a ainsi façonné, sur la moyenne durée, comme l’archétype du classement académique en France, soulignant sa place atypique, en l’occurrence hégémonique par rapport à d’autres classements concurrents, comme par exemple celui du Times, le THES : le world university ranking du Times Higher Education Supplement, publié depuis 2004.

6 Les organes de presse ont été appréhendés comme des lieux de production de discours et également comme des espaces publics pluriels de prise de parole et de circulation de discours. Cette perspective a permis d’examiner les logiques de presse et également les stratégies d’acteurs en discours.

7 Du point de vue des logiques de presse, trois principaux résultats méritent d’être soulignés. Le premier résultat concerne l’émergence et le déploiement du processus.

Un processus de médiatisation en deux temps : le tournant de 2007

8 Entre la date de publication du classement en Chine, en juin 2003, et son traitement en France, il y a eu un délai de latence de sept mois. L’analyse des données issues des corpus et en particulier l’analyse de la répartition dans le temps de son traitement ont montré que le processus de médiatisation s’est déployé en deux temps. Dans un premier temps, de fin 2003 à 2007, la médiatisation a été confidentielle, c’est-à-dire limitée à un cercle restreint de journaux et d’acteurs qui ont privilégié un cadrage dépréciatif remettant en cause les représentations du prestige académique français, ce qui a fait événement. C’est l’AEF, agence de presse spécialisée dans l’éducation et la formation et la presse quotidienne nationale, en particulier le quotidien Les Échos, et également Libération et La Tribune qui ont relayé l’information au début du processus.

9 À partir de 2007, on observe une diversification des organes de presse : la presse quotidienne régionale et des magazines aussi divers que Le Point, l’Express, Marianne, 01 informatique ou l’Usine Nouvelle ont traité du classement, dans un contexte de réformes et de mouvements sociaux dans l’ESR. À la rentrée universitaire 2007, trois mois après l’élection de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République et la nomination de Valérie Pécresse au Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, plusieurs syndicats étudiants ont en effet contesté les mesures liées à l’adoption de la loi dite LRU (Libertés et Responsabilités des Universités) votée en août (Loi n° 2007-1199 du 10 août 2007) et ont appelé à la grève. L’année 2008 a été marquée par plusieurs manifestations et le maintien de la contestation. L’année 2008 correspond également à une année de forte médiatisation du classement, liée à son emploi par Nicolas Sarkozy et Valérie Pécresse comme argument politique justifiant les réformes. Début 2009, le projet de décret sur la réforme du statut des enseignants-chercheurs, la baisse des postes et de moyens suscitent également un important mouvement de

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contestation (enseignants-chercheurs et étudiants), soutenu par la CPU (Conférence des Présidents d’Université).

10 Le volume des données a explosé à partir de 2007 et représente plus de 80 % des corpus. Le nombre croissant d’organes de presse qui ont traité du classement ainsi que leur diversité attestent de l’intensification de son traitement et de sa circulation à partir de 2007, soulignant l’importance du contexte socio-politique.

11 Afin de prêter attention aux logiques de presse et aux modalités de diffusion du classement, l’analyse des données des corpus a été articulée à celle des entretiens afin de mettre au jour les conditions de traitement et les logiques en présence. L’AEF qui s’avère être une source d’information privilégiée par de nombreux acteurs de l’enseignement supérieur (que ce soit les équipes de direction des établissements de l’ESR, des ministères, ou des médias) a été le premier organe de presse à traiter du classement en décembre 2003 sous la forme d’une revue de presse, puis en janvier 2004 en publiant une dépêche, annonçant les résultats de juin 2003.

12 Les entretiens menés auprès des journalistes ont mis l’accent sur le travail de veille qu’ils effectuent. Ce n’est pas le site de l’université Jiao Tong qui a été la source directe d’information mais le site d’information Cordis de la commission européenne, ainsi qu’une lettre d’information spécialisée dans l’éducation, consultée par les journalistes à la recherche de sujets à traiter, qui a retenu leur attention.

13 Ce premier résultat sur le déploiement du processus se doit d’être complété par un deuxième résultat qui concerne sa dimension discursive, et en particulier le cadrage de l’événement.

Un cadrage dépréciatif : ressource pour faire événement

14 L’analyse longitudinale des corpus, menée à l’aide d’outils de statistique textuelle, en particulier « TextObserver » développé par Jean-Marc Leblanc, a montré l’importance du cadrage dépréciatif, en l’occurrence l’accent mis sur ce qui est présenté comme une contre-performance des établissements français. Les premiers articles consacrés au classement en 2004 mettent ainsi l’accent sur les résultats jugés « décevants » de la performance académique européenne et française et privilégient la métaphore du « choc » ou de « l’électrochoc ». C’est le cadrage de la contre-performance académique qui fait événement, cadrage également caractéristique de la médiatisation de PISA (Programme for International Student Assessment, Pons 2015).

15 Les entretiens menés avec les journalistes ont souligné que la simplicité et la notoriété des critères du classement, principalement des données bibliométriques (issues des bases Science Citation Index (SCI) et Arts & Humanities Citation Index) ainsi que l’obtention de prix à forte reconnaissance internationale comme les prix Nobel ou les médailles Fields, ont été considérés comme un gage de lisibilité et de crédibilité. De plus, si la contre-performance des établissements français a constitué une ressource pour faire événement, la première place qu’occupe l’université d’Harvard, première place constante depuis 15 ans, s’est avérée axiologiquement conforme aux représentations du prestige académique et cela a renforcé la légitimité accordée aux résultats du classement. Cette conformité a ainsi fonctionné comme une caution et a légitimé le

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cadrage de la contre-performance, ce qui a constitué une ressource pour faire événement, dans un contexte de réformes et d’impératif de compétition.

16 Les entretiens ont mis au jour l’intérêt accordé par certains journalistes et acteurs à ce type d’instruments qui sont emblématiques des discours sur l’évaluation et sur la mesure de la performance académique, dans lesquels le classement s’inscrit et qu’il contribue à renforcer. Les analyses du traitement médiatique du classement ont ainsi montré l’apport de la notion d’événement car pour que le classement de Shanghai soit construit comme un événement (Champagne 1991, 2000), il fallait qu’il soit médiatiquement et socialement considéré comme tel. Notons que l’événementialisation, liée au cadrage de la contre-performance, confirme les résultats d’autres travaux, comme par exemple ceux menés par Frédéric Pierru sur la médiatisation de classements hospitaliers (Pierru 2004) ou ceux menés par Xavier Pons sur PISA (Pons 2015), soulignant l’importance du cadrage dépréciatif dans la construction de l’événement, ainsi que l’acuité des débats et des réformes dans les domaines concernés.

17 Le troisième résultat concerne la diffusion et la circulation du classement.

18 L’analyse des corpus a mis en évidence la plasticité du format classement dans la production de l’information, compte tenu de l’apparente lisibilité du format en liste et de la scientificité accordée aux nombres. Elle a également montré l’importance de la formule (Krieg-Planque 2009), « classement de Shanghai », qui a contribué à sa circulation et à la routinisation de son traitement.

19 Le travail de documentation des corpus a par ailleurs montré que le classement a circulé dans d’autres espaces de production de discours. Le classement a par exemple été abordé dans le cas de séminaires organisés par des acteurs de l’enseignement supérieur, ainsi que dans de nombreux rapports dès 2004. Ce dernier point a invité à prêter attention aux autres logiques en présence et en particulier, aux modalités de co- construction du processus.

Diversité des logiques et paroles extérieures

20 L’analyse des corpus a ainsi montré l’importance des profils des acteurs dont les propos ont été relayés dans la presse (citation, interview, tribunes). Deux principaux résultats sont à noter : le premier est lié aux profils des acteurs, le second à la matérialité discursive, en l’occurrence le recours au mouvement concessif, mouvement argumentatif en deux temps qui met en avant un premier argument puis un deuxième, qui vient restreindre ou réfuter le premier. Ce mouvement neutralise les contre- discours sur le classement (« certes… mais ») et contribue à naturaliser cet instrument de jugement.

21 Le relevé systématique des propos cités dans les corpus indique qu’une diversité d’acteurs s’est ainsi saisie du classement. L’analyse de leur profil rend compte de leurs spécificités : il s’agit principalement de représentants de l’autorité de tutelle, de présidents d’universités, de directeurs de grandes écoles ou d’organismes de recherche. Cette sur-représentation d’acteurs académiques et politiques s’accompagne à l’inverse d’une faible présence de représentants du champ économique, et d’une présence relative de représentants d’instances européennes, comme la Commission européenne, principalement de la Direction Générale de l’éducation et, à partir de 2011, des

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représentants de l’Association européenne des universités (EUA) (« Secrétaire général » ou « Président de l’Association européenne des universités »).

22 L’analyse des profils des acteurs a éclairé les usages stratégiques du classement, illustrant que ce sont par et pour les discours que s’exercent des rapports de force et que se co-construit le processus sur la moyenne durée. La variété des profils a souligné la complexité des relations entre les acteurs du champ de la presse et les acteurs des champs académique et politique. Elle a de surcroit mis au jour les rapports de force internes aux champs.

23 L’analyse des profils des énonciateurs du champ politique a ainsi permis d’observer que l’intensification de la médiatisation en 2007 est lié à son sur-emploi par Nicolas Sarkozy, Président de la République ainsi que par Valérie Pécresse, Ministre de l’enseignement supérieur. Le classement a ainsi été utilisé comme argument politique justifiant les réformes.

24 Du point de vue du champ académique, l’analyse du profil des acteurs qui se sont saisis du classement a montré l’importance de leur positionnement et des enjeux internes à l’enseignement supérieur. Les prises de position sur le classement rendent ainsi compte des spécificités du système français et de ses hiérarchies internes. Les analyses ont par exemple montré que les prises de parole sur le classement ont contribué à valoriser la fonction de président d’université. Par ailleurs, des présidents d’universités scientifiques se sont saisis du classement pour renforcer leur communication et pour contrecarrer leur déficit de prestige dans la hiérarchie interne du champ académique, dominé par le prestige des grandes écoles. L’analyse des corpus a ainsi souligné l’importance des rapports de force, qu’ils soient internes au champ académique ou internes au champ de la presse ou au champ politique, mettant en lumière la pluralité des logiques en présence et la dynamique du processus.

25 Le recours à l’analyse de discours s’est avéré heuristique. Trois faits discursifs saillants dans le processus de médiatisation ont été observés : d’une part le poids du cadrage dépréciatif dans l’événementialisation du classement, d’autre part le rôle de la formule « classement de Shanghai » dans sa diffusion et sa circulation, et enfin celui du mouvement concessif qui a contribué à la neutralisation des contre-discours et à la naturalisation de cet outil de jugement.

26 Ces faits discursifs attestent d’un « déjà-là » du discours, celui de l’évaluation dans l’enseignement supérieur et de l’excellence académique, conditions favorables à la médiatisation. L’analyse a rendu visible ce que les discours font au classement dans ce processus dynamique de naturalisation d’un instrument de jugement et de production de valeur (Vatin 2013). Le recours à l’épithète « fameux » (« le fameux classement de Shanghai ») renforce la légitimité à traiter de ce classement dans un processus dynamique et circulaire, voire tautologique : la médiatisation du classement participe à sa notoriété, sa notoriété contribue à lui accorder du crédit et justifie sa médiatisation dans un processus qui s’autoalimente.

27 Si, dès 2004, le début du processus est marqué par la présence de tribunes d’acteurs de l’ESR, elles s’intensifient en 2007 et 2008 et attestent de l’acuité des débats. L’analyse des 90 tribunes qui abordent le classement a mis au jour les modalités de naturalisation de cet instrument de jugement avec le fréquent recours au mouvement concessif, comme par exemple dans des énoncés du type « certes décrié mais incontournable », « contestable mais qui fait autorité ».

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28 La co-construction du processus par une pluralité d’acteurs, en particulier des acteurs des champs académique et politique, a ainsi contribué à façonner le classement comme ressource pour faire événement, instrument de jugement, argument politique et outil de communication.

29 Cette recherche a contribué à éclairer la façon dont se disent et se construisent les multiples modalités d’évaluation dans l’enseignement supérieur. En effet, dans un contexte de réformes dans l’ESR et de multiplication de discours sur « l’excellence » académique, l’analyse des conditions socio-politiques de production et de diffusion de ce classement a mis l’accent sur les modalités de circulation de discours sur l’évaluation dont le classement de Shanghai s’avère emblématique. Les discours sur le classement dit « de Shanghai », appréhendés comme des pratiques sociales, ont ainsi contribué à l’exercice de rapports de force entre acteurs des champs médiatique, académique et politique. Si toutes les pratiques sociales ne sont pas observables en discours, la démarche retenue a permis de mettre au jour par quels usages stratégiques des acteurs ont contribué à la diffusion de ce classement et également à sa co-construction.

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RÉSUMÉS

Dans un contexte de réformes de l’enseignement supérieur et la recherche et de discours sur l’évaluation et sur « l’excellence » académique, les classements académiques nationaux et internationaux se sont multipliés dans les années 2000. L’analyse de l’émergence et du traitement dans la presse française du classement dit « de Shanghai » a permis d’objectiver les caractéristiques de sa mise en mots, de la date de sa publication en Chine en 2003 à septembre 2014. L’analyse des discours de presse a mis au jour l’importance du cadrage dépréciatif pour « faire événement » conformément à des logiques de presse et montré le poids des logiques sociales et des stratégies d’acteurs académiques et politiques, co-construisant le processus de médiatisation.

In a context of university reforms and emphasis on evaluation and academic «excellence», national and international classifications became widespread during the years 2000. Analyzing the emergence and treatment of the so-called «Shanghai Ranking» in the French press brings to light the characteristics of that classification, from its first publication in China in 2003 to September 2014. A discourse analysis of news coverage reveals the importance of negative wording in «creating the event», and shows the weight of social reasoning and of academic and political actors’ strategies, all of which concur in the process of publicizing the issue in the media.

INDEX

Mots-clés : classement de Shanghai, presse française, analyse de discours, corpus, formule Keywords : Shanghai Ranking, french media, discourse analysis, corpora, formula

AUTEUR

CHRISTINE BARATS Université René Descartes - Paris 5 (France)

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