Histoire De La Grèce Ancienne
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HISTOIRE DE LA GRÈCE ANCIENNE PAR JEAN HATZFELD ANCIEN MEMBRE DE L'ÉCOLE FRANÇAISE D'ATHÈNES - PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES LETTRES DE BORDEAUX PARIS - PAYOT - 1926 AVANT-PROPOS. CHAPITRE PREMIER. — Le bassin de la Mer Égée. CHAPITRE II. — La civilisation égéenne. CHAPITRE III. — Les Grecs dans le bassin de la Mer Égée. CHAPITRE IV. — La civilisation mycénienne. Royauté et aristocratie. La cité. CHAPITRE V. — La colonisation grecque. CHAPITRE VI. — Changements dans la vie économique et sociale. CHAPITRE VII. — L'évolution religieuse. CHAPITRE VIII. — Les débuts de la littérature. Les poèmes homériques et l'histoire. CHAPITRE IX. — La formation des États grecs. CHAPITRE X. — Disparition du régime aristocratique. Tyrannie et démocratie. CHAPITRE XI. — Les mœurs, l'art et la science au VIe siècle. CHAPITRE XII. — La Grèce et les grandes nations méditerranéennes à la fin du VIe siècle. CHAPITRE XIII. — La révolte de l'Ionie. Marathon. CHAPITRE XIV. — La grande invasion de Xerxès. CHAPITRE XV. — Fin des guerres médiques. Constitution de l'empire athénien. CHAPITRE XVI. — Agriculture, industrie, commerce en Grèce au milieu du Ve siècle. CHAPITRE XVII. — L'organisation de la démocratie au Ve siècle. CHAPITRE XVIII. — La religion, les fêtes et les beaux-arts au Ve siècle. CHAPITRE XIX. — La curiosité scientifique et la réaction. CHAPITRE XX. — La guerre du Péloponnèse jusqu'à la paix de Nicias. CHAPITRE XXI. — L'expédition de Sicile et la chute d'Athènes. CHAPITRE XXII. — L'hégémonie spartiate et la Perse. Syracuse et Carthage. CHAPITRE XXIII. — La nouvelle confédération athénienne et la suprématie thébaine. CHAPITRE XXIV. — Changements matériels et moraux après la guerre du Péloponnèse. CHAPITRE XXV. — Cités, confédérations, monarchies. CHAPITRE XXVI. — Philippe de Macédoine. CHAPITRE XXVII. — Alexandre. La conquête de l'Asie. CHAPITRE XXV III. — Les partages. CHAPITRE XXIX. — Les grandes monarchies. CHAPITRE XXX. — La Sicile entre Rome et Carthage. CHAPITRE XXXI. — Extension et transformation du monde hellénique. CHAPITRE XXXII. — Évolution intellectuelle et artistique. CHAPITRE XXXIII. — Querelles de rois et ligues de cités. CHAPITRE XXXIV. — Reconstitution des grandes monarchies. Premiers contacts avec Rome. CHAPITRE XXXV. — Rome et les monarchies de Grèce et d'Orient. CHAPITRE XXXVI. — La conquête romaine. La fin des États grecs. CHAPITRE XXXVII. — État de la civilisation grecque au moment de la conquête romaine. Conclusion. AVANT-PROPOS Ce manuel a principalement pour objet de présenter aux lecteurs cultivés, mais non spécialisés dans l'étude de l'antiquité classique, un abrégé de l'état actuel de nos connaissances relatives à l'histoire grecque. On aurait donc bien tort d'y chercher des faits inédits ou des vues originales. Je me suis surtout efforcé d'être clair. La chose n'était pas toujours aisée. Sans doute, sur certaines périodes de l'histoire grecque, l'abondance des documents, le talent des historiens ou des orateurs jette une lumière précise ; il n'y a pas deux façons de raconter la guerre du Péloponnèse. Mais la civilisation préhellénique ne nous est connue que par des monuments non-écrits ; nous ne possédons pas d'inscriptions grecques antérieures au Vile siècle, et c'est seulement à partir du Ve que les documents de cette nature deviennent abondants et copieux ; il serait aussi dangereux de reconstruire l'histoire avec les poèmes d'Homère ou d'Hésiode qu'avec le seul secours de nos épopées et de nos romans du moyen-âge ; Hérodote écrivait entre 450 et 425 et n'a que bien rarement consulté les archives des temples et des villes ; même son récit des guerres médiques présente, sur des points importants, des lacunes déplorables. Les campagnes asiatiques d'Alexandre nous sont racontées par des écrivains tardifs, et le siècle qui a suivi la mort du conquérant reste peur nous si plein de confusion qu'un historien moderne a pu parler, à propos d'une période particulièrement décourageante, d' années perdues . Bien entendu, ces obscurités n'ont pas arrêté le zèle des savants d'aujourd'hui ; entre leurs opinions, parfois chancelantes, souvent contradictoires, j'ai tâché tout en évitant des discussions incompatibles avec le caractère de l'ouvrage, choisir les plus vraisemblables, et de les exposer avec netteté. Les lecteurs qui désireraient pousser plus avant l'étude de questions auxquelles les dimensions de ce Manuel ne permettent de consacrer que des développements restreints, trouveront à la fin des chapitres une bibliographie sommaire, qui pourra au moins servir d'amorce à des recherches plus sérieuses. Aux livres qu'on y verra indiqués il faut ajouter un certain nombre d'ouvrages d'un caractère général dont on trouvera ici la liste : J. B ELOCH . Griechische Geschichte (2e édition, en cours de publication depuis 1912) ; BUSOLT . Griechische Geschichte (2e édition, 1893-1904) ; G. G LOTZ . Histoire de la Grèce (en cours de publication depuis 1925) ; B. N IESE . Geschichte der Griechischen und Makedonischen Staaten seit der Schlacht bei Chaeroneia (1893-1903) ; CAVAIGNAC . Histoire de l'Antiquité (en cours de publication) ; ED. M EYER . Geschichte des Altertums (1re édition, 1893-1902) . CHAPITRE PREMIER. — LE BASSIN DE LA MER ÉGÉE L'histoire grecque est l'histoire du peuple qui, au début du deuxième millénaire avant notre ère, est venu s'établir dans le sud de la presqu'île des Balkans et sur la côté orientale de l'Asie Mineure. Il n'y a donc pas lieu d'établir une distinction tout à fait artificielle entre la Grèce continentale, la Grèce insulaire, et la Grèce asiatique. Pendant toute la durée de l'hellénisme ces régions ont vécu de la même existence ; et le rôle de l'Ionie, de Rhodes, ou des îles de l'Archipel a été plus important que celui de l'Acarnanie ou même de l'Arcadie. Aujourd'hui encore les mêmes populations habitent les deux rives de la Mer Égée et ses îles, et l'on sait comment le gouvernement grec justifie par ce fait incontestable des prétentions qui, au point de vue linguistique et religieux tout au moins, sont parfaitement légitimes. La géographie est sur ce point d'accord avec l'histoire. L'effondrement qui, à l'époque quaternaire, a créé la fosse de la Mer Égée dans un continent qui avait déjà pris, dans l'ensemble, son aspect actuel, n'en a pas altéré l'unité. C'est uniquement pour des commodités d'exposition que la côte occidentale de l'Anatolie est, dans les traités de géographie, rattachée à l'Asie. Homère n'a pas l'idée de désigner d'un nom différent les deux rives de la Mer Égée ; Hérodote s'étonne des limites arbitraires que la science établissait déjà de son temps entre l'Europe et l'Asie. Le voyageur qui s'embarque le soir au Pirée pour se réveiller le lendemain matin à Smyrne ne croit pas avoir changé de continent : il retrouve la même lumière, les mêmes pentes rousses et dénudées qu'il avait quittées la veille. Cette impression n'est pas trompeuse. Les chaînes de montagnes, les formations géologiques se continuent d'un bord à l'autre ; et si le coucher du soleil colore des mêmes teintes mauves l'Hymette et le mont Mycale, c'est que ces deux montagnes appartiennent au même massif cristallin. C'est aussi le même climat, la même végétation, et, dans une certaine mesure, le même régime des eaux. Le paysage change d'ailleurs lorsqu'on quitte la côte asiatique pour s'enfoncer dans l'intérieur des terres : à deux cents kilomètres de la mer, on aborde la région de plateaux et de steppes qui font de la presqu'île anatolienne un morceau d'Asie entouré d'une ceinture côtière d'aspect méditerranéen. Mais la Phrygie, la Galatie, la Lycaonie, n'ont joué dans l'histoire grecque qu'un rôle court et effacé ; on peut donc les négliger dans cette étude préliminaire limitée à la région où pendant vingt siècles s'est développée la civilisation hellénique. La Mer Égée doit son existence, on vient de le voir, à un effondrement qui a morcelé un continent de formation relativement récente et de structure très compliquée. Aussi cette catastrophe y a-t-elle déterminé un dessin côtier d'une étonnante diversité. Les eaux ont envahi les vallées en les transformant en golfes qui pénètrent profondément dans l'intérieur des terres, et en baies innombrables ; les chaînes s'avancent dans la mer en presqu'îles qui s'effilent en caps prolongés eux-mêmes par des chapelets d'îles. Nulle part en Europe on ne trouve des rivages aussi capricieusement découpés ; ceux de la Dalmatie et de la Norvège eux-mêmes, avec leurs fjords de direction uniforme, ne présentent pas une pareille variété. Aussi la longueur de ces côtes y est-elle considérable par rapport à la superficie des régions qu'elles limitent ; pour la Grèce continentale (sans la Macédoine) et les Cyclades (sans la Crète) elle est de 3.100 kilomètres pour 81.593 kilomètres carrés. C'est le triple du développement minimum que comporterait une pareille superficie, tandis que dans d'autres presqu'îles, cependant favorisées elles-mêmes, l'Italie par exemple, le développement côtier en atteint à peine le double. Dans un pays d'un pareil dessin, la mer n'est jamais loin. On la perd rarement de vue dans les voyages qu'on entreprend à l'intérieur des terres. Aucun point du Péloponnèse n'en est éloigné de plus de 52 kilomètres (60 kilomètres dans la Grèce centrale) . Elle sert de fond aux paysages les plus beaux, les plus caractéristiques de la Grèce ; c'est une véritable privation que de la voir disparaître ; et l'on sait de quels cris de joie la saluèrent, en descendant des hauts plateaux d'Asie Mineure, les mercenaires de l'Anabase. Aussi les Grecs se sont-ils bientôt familiarisés avec elle. Venus de l'Europe centrale, et n'ayant même pas un mot pour désigner la mer, dont ils ont, semble-t-il, emprunté le nom aux peuples établis avant eux dans le bassin de la Mer Égée, ils sont rapidement devenus les meilleurs marins de la Méditerranée.